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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 16 mars 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 849) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants de Blaugies demandent la construction du chemin de fer Grand-Central franco-belge d'Amiens à Maestricht, projeté par le sieur Delstanche. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi approuvant la convention conclue entre la Belgique et le Hanovre sur le payement des droits de Stade

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la convention conclue entre la Belgique et le Hanovre, en ce qui concerne le payement des droits de Stade.

rapport au nom de la commission chargée de la révision du code pénal.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre X)

Rapport de la commission

Articles 602 et 603

M. Pirmez. - Messieurs, la commission chargée de l'examen du projet de révision du Code pénal doit faire rapport à la Chambre sur un double objet : d'abord sur la section qui traite des infractions en matière de propriété artistique et littéraire, section qui a été réservée ; ensuite sur différents articles qui ont donné lieu à des observations et ont été renvoyés à la commission.

La Chambre est en même temps saisie par le gouvernement de deux projets de loi qui comminent des peines contre les attentats à la propriété artistique et littéraire : la loi qui doit régir cette propriété et le Code pénal.

La section centrale chargée de l'examen de cette loi, et la commission de révision du Code pénal, se sont réunies pour vider cette espèce de conflit d'attributions.

Le but même de la législation nouvelle qui nous est proposée sur le droit des auteurs et des artistes devait porter à comprendre la partie répressive de cette législation dans le Code pénal. Le résultat que l'on poursuit est de rapprocher, quant aux garanties dont elles jouissent, la propriété intellectuelle de la propriété matérielle. Les principes qui régissent celle-ci et les droits qu'elle confère sont déterminés dans le Code civil et dans les lois qui le complètent ; la répression contre ceux qui y portent une atteinte coupable est édictée par le Code pénal. Pour suivre la même marche, la loi sur la propriété artistique et littéraire doit se borner à indiquer les conditions de son existence, son étendue, les droits qui en découlent, les obligations qu'elle impose, en laissant la législation criminelle ouvrir aux infractions dont elle est l'objet, une place parmi les dispositions réprimant les attentats contre toutes les espèces de propriété.

Investie par ces considérations de la mission de vous soumettre les articles qui punissent les infractions dont il s'agit, votre commission a entendu la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur la propriété intellectuelle, ainsi que les ministres de l'intérieur et de la justice ; c'est après avoir recueilli leur assentiment qu'elle a l'honneur de vous soumettre les dispositions sur lesquelles elle vient vous faire rapport.

Avant d'entrer dans l'étude détaillée des dispositions pénales qui doivent protéger les droits du créateur d'œuvres intellectuelles, il est un principe qui doit être rappelé, parce qu'il est la mesure même de la répression à comminer.

Dès que la loi reconnaît un droit, elle lui doit protection, mais cette protection n'est pas nécessairement celle d'une peine infligée aux faits préjudiciables. Celui à qui le droit est attribué peut justement réclamer la faculté de repousser les faits qui attenteraient à son droit et d'en obtenir réparation, s'ils sont consommés ; mais il est satisfait à sa juste prétention, lorsque la loi lui a mis en mains une arme avec laquelle il peut se maintenir en possession de son droit ; l'action civile est cette arme.

La propriété immobilière et les créances n'ont guère d'autre protection que celle que les intéressés, gardiens nécessairement vigilants de leurs avantages, peuvent exercer. La société ne doit venir à leur aide par l'emploi des moyens rigoureux dont elle a le monopole, que lorsque, par leur nature, les faits sont ou assez coupables ou assez dangereux pour ébranler la confiance dans le maintien du droit et ne pas être arrêtés par la barrière des condamnations civiles. Le principe qui gouverne toute la législation pénale doit évidemment être appliqué quant à cette propriété de création moderne qui se rapproche autant des créances par leur immatérialité que du domaine matériel par l'absence d'une personne directement obligée.

Notre tâche n'est donc pas de rechercher et de punir tous les faits qui nuisent à la propriété intellectuelle, mais de déterminer ceux qui ont un caractère de criminalité suffisant pour donner lieu à l'application d'une peine.

Quelles que soient les dispositions qui seront adoptées sur l'étendue des droits attachés au produit du travail de l'intelligence, ceux-ci seront protégés par l'action civile dont le mode devra être réglé de manière qu'elle soit sérieusement efficace.

La peine atteindra les plus coupables de ces faits en se référant, quant à l'étendue des droits à protéger, aux dispositions de nature civile que contiendra la loi dont la Chambre aura prochainement à s'occuper.

Les articles 602 et 603 du projet de Code pénal que la commission a soumis à la Chambre déterminent les infractions à la propriété intellectuelle dont les résultats sont permanents.

Ces articles sont ainsi conçus :

« Art. 602. Toute reproduction frauduleuse, entière ou partielle, d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre œuvre scientifique, littéraire ou artistique, par le moyen de l'impression, de la gravure, du moulage ou par tout autre procédé mécanique, au mépris des droits des auteurs, constitue le délit de contrefaçon.

« Sont assimilées à la contrefaçon l'introduction sur le territoire belge, pour les revendre, d'ouvrages contrefaits à l'étranger, et l'usurpation, sur une œuvre de la nature préindiquée, du nom d'un auteur ou d'un artiste.

« La contrefaçon sera punie d'une amende de cent francs à deux mille francs. »

« Art. 603. Le débit ou l'exposition en vente d'ouvrages contrefaits sera puni d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs. »

Ces articles ont donné lieu à plusieurs critiques. Le délit de contrefaçon proprement dit requiert, d'après les termes de l'article 602, trois conditions : 1° La reproduction de l'œuvre d'autrui par un procédé mécanique ; 2° L'intention frauduleuse ; 3° La lésion des droits de l'auteur.

De ces trois conditions, la dernière ne prête à aucune difficulté ;' l'essence même de l'infraction est le préjudice illégitime causé au propriétaire du droit.

La première et la seconde condition n'étaient pas exigées par le projet de loi sur la propriété littéraire ; elles ont soulevé des objections auxquelles il a été fait droit.

Votre commission avait pensé qu'une simple copie à la main, soit d'une œuvre d'art, soit d'une œuvre quelconque, ne doit, dans aucun cas, être frappée d'une peine parce qu'elle ne constitue pas un trouble assez grave aux droits de l'auteur.

On a fait remarquer avec raison que la peinture et la sculpture perdraient ainsi toute protection pénale contre les faits qui attentent le plus directement aux droits de l'artiste, et qui sont la reproduction la plus coupable de son œuvre parce que le contrefacteur crée, sans y ajouter d'éléments nouveaux, une œuvre semblable à celle qu'il imite.

L'établissement d'ateliers spéciaux de peinture pour reproduire les œuvres de nos maîtres et exporter des copies frauduleuses érigées en originaux a été signalée à l'appui du danger que peut présenter la contrefaçon s'exerçant sans le concours de procédés mécaniques.

Ces considérations sont d'un grand poids ; aussi votre commission, qui a trouvé d'ailleurs dans la condition essentielle de l'intention frauduleuse, une garantie contre l'excès de la répression, n'a pas hésité à renoncer à la modification qu'elle avait, sur ce point, apportée au projet du gouvernement.

Dans la définition de tous les délits dont la cupidité est le mobile, le nouveau Code prend soin d'exiger que l'agent ait été mû par une intention frauduleuse.

(page 850) Une raison d'analogie porte déjà à ne pas séparer, quant aux conditions de la culpabilité morale, les attentats contre la propriété immatérielle des attentais contre la propriété matérielle en déployant contre les premiers une rigueur dont les seconds, qui troublent cependant bien plus sérieusement l'ordre social, ne sont pas atteints.

Lorsqu'on examine d'ailleurs les conséquences que doit avoir la restriction de l'application de la peine au cas où la reproduction est frauduleuse, on se convainc aisément que le projet satisfait encore à toutes les exigences de la répression, en sauvegardant d'une poursuite correctionnelle les faits non empreints d'un caractère de déloyauté et d'improbité.

On se fait souvent une fausse idée de ce qui constitue dans les matières pénales l'intention frauduleuse. La fraude existe indépendamment de tout artifice, de toutes machinations astucieuses, de toute habileté doleuse, par cela seul que l'agent cherche à se procurer un bénéfice quelconque aux dépens des droits d'autrui ; le mot « frauduleusement » n'est, dans le langage du droit criminel, que la traduction de cette condition que les lois romaines considéraient comme constitutive du vol, cette infraction typique des délits contre les propriétés : lucri faciendi gratia. Et qu'on prenne garde encore de restreindre à un autre point de vue l'étendue de cette condition ; la fraude ne distingue pas dans les diverses espèces de profit illégitime ; elle n'implique aucune idée de spéculation de revente, d'accroissement de patrimoine. L'agent agit frauduleusement lorsqu'il veut posséder une chose en s'affranchissant du respect du droit d'autrui.

On ne peut guère, en législation, penser à frapper d'une peine correctionnelle celui qui n'agirait que dans l'ignorance du privilège de l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique. cette ignorance exclurait ici, comme dans tous les autres cas, la culpabilité, indépendamment de toute expression dans le texte de la loi. En ajoutant le mot « frauduleusement » à l'article, votre commission veut aller plus loin et soustraire à la peine, pour les laisser sous l'empire du droit privé, les faits dans lesquels l'agent n'aurait pas pour but de se soustraire au tribut dû à l'auteur d'une œuvre intellectuelle.

Quelques exemples éclairciront d'une manière complète le sens du texte que nous proposons quant à la culpabilité morale de l'agent. Sa portée d'ailleurs ne présentera pas plus de difficultés que les autres articles où un dol spécial est exigé, et dont les tribunaux font l'application la plus fréquente.

Un statuaire célèbre fait un buste d'une haute valeur artistique. Une personne qui voudrait en orner son salon, au lieu de s'adresser à l'artiste qui réclamerait la rémunération de son talent, en fait faire une copie.

D'autre part, un jeune homme qui s'adonne à la sculpture prend ce buste pour modèle et, sans autre but que celui de s'exercer dans cet art, en fait une reproduction. N'y a-t-il pas entre ces deux positions une différence sensible et ne voit-on pas dans la première percer ce sentiment de cupidité portant à l'acquisition illégitime, dont aucune trace ne se montre dans le second cas ?

L'auteur d'une brillante composition musicale ne la vend qu'à un prix élevé ; pour s'affranchir de cet impôt du génie, une personne fait copier cette composition qu'elle désire ; la fraude est incontestable. Mais, dira-t-on la même chose, si trouvant chez un ami une œuvre étrangère que l'on ne peut se procurer que difficilement, un amateur recourt au procédé le plus simple qui dans la circonstance s'offre à lui, la copie manuscrite ?

Dans la plupart des cas, la contrefaçon se montrera comme nettement frauduleuse. La contrefaçon qui est redoutable et qu'il faut surtout atteindre est celle qui sert à réaliser une opération commerciale illégitime. Là le doute ne se montrera jamais. Mais il importait de déterminer les limites de la culpabilité punissable, et c'est pour le faire que nous nous sommes placés sur les confins de la fraude, pour indiquer comment elle se distinguera toujours d'une intention trop peu répréhensible pour provoquer une autre action que l'action civile.

Les questions d'intention sont essentiellement du ressort des tribunaux ; ils sauront les résoudre d'après les principes que nous avons indiqués et l'examen spécial des faits.

Votre commission, en n'exigeant pas, pour que l'infraction existe, l'emploi d'un procédé mécanique, croit donc que la peine ne doit être encourue que lorsque la reproduction est frauduleuse.

Deux questions se sont présentées sur l'application du texte ainsi modifié.

Si, comme le porte le projet de la section centrale, la loi accorde à l'auteur d'un ouvrage un droit exclusif de traduction, et à l'orateur qui a prononcé une série de discours un droit exclusif de publication, les infractions à ces droits donneront elles lieu à l'application des peines de la contrefaçon ?

Examinons d'abord cette double question au point de vue législatif. Votre commission a été frappée d'une différence profonde entre les deux cas proposés. Le traducteur n'est pas un simple contrefacteur qui s'approprie de travail d'autrui sans rien y ajouter du sien ; s'il prend le fond, il y ajoute la forme, et celle-ci a souvent une importance telle, que lorsque l'œuvre originale a un mérite supérieur, on voit souvent se succéder des traductions différentes, qui constituent des œuvres entièrement distinctes.

Dans la reproduction d'un cours d'histoire ou d'une série de sermons, par exemple, rien de semblable n'existe ; celui qui les publie tire son mérite d'avoir fidèlement dérobé une œuvre que l'auteur peut d'ordinaire éditer sans travail, au moment qu'il juge opportun. Cette nuance, importante au point de vue moral, se reflète dans l'efficacité de l'action civile. La confiscation, qui devra être prononcée au profit de l'auteur lésé, enlève au traducteur illégitime le fruit d'un travail pénible et en met l'auteur en possession. Cette réparation qui, par la nature des choses, devient une véritable pénalité, n'atteint en rien celui qui publierait un recueil de discours.

Ces considérations ont porté votre commission à ne pas frapper d'une peine la traduction non autorisée par l'auteur, mais à comprendre dans la répression la publication des discours faite frauduleusement au mépris des droits de l'auteur.

Cette distinction est consacrée par le texte. Rien n'y suppose l'application d'une peine à la traduction ; les mots « œuvre scientifique ou littéraire » comprennent évidemment les discours.

L'introduction sur le territoire belge, le débit et l'exposition en vente d'ouvrage, contrefaits, sont des faits équivalents et complémentaires de la contrefaçon.

Le projet de la loi sur la propriété littéraire et le Code pénal ne les punissent pas tous de la même peine que la contrefaçon.

Votre commission a pensé que l'on pouvait comprendre tous ces faits dans la même disposition en prenant pour extrêmes de la peiné le maximum de la peine la plus élevée et le minimum de la peine la plus légère.

Le projet de loi sur la propriété littéraire qualifie de contrefaçon l'usurpation, sur une œuvre d'art, du nom d'un artiste. Voire commission s'était bornée à une assimilation de ce fait à la contrefaçon.

Un examen nouveau a démontré que cette usurpation doit constituer une infraction spéciale. Elle ne consiste, en effet, ni à prendre l'idée, ni à imiter l'œuvre d'un artiste, mais à lui attribuer un travail qui n'émane pas de lui. L'acte constitue non une soustraction, mais une attribution frauduleuse. Il n'y a, du reste, aucune raison pour limiter l'incrimination au cas où cette usurpation de nom est faite sur un objet d'art individuel, comme un tableau ou une statue, et ne pas y comprendre l'inscription mensongère dans le titre d'un ouvrage ou d'une composition musicale du nom d'un savant ou d'un musicien. Cette espèce de fraude prend un caractère de gravité spéciale lorsque l'agent non seulement usurpe le nom d'un artiste, mais encore usurpe sa signature.

Le projet de loi sur la propriété littéraire érigeait ce fait, que l'on ne conçoit guère que dans les ouvrages d'art que l'auteur exécute lui-même, en faux en écriture privée.

Votre commission, en reconnaissant qu'il y a dans cet acte une criminalité bien marquée, n'a pu adopter cette disposition qui repose sur une appréciation inexacte des éléments du fait et qui conduit à édicter une pénalité d'une rigueur inacceptable.

Ce serait une grave erreur de croire que toute imitation d'écriture ou de signature constitue un faux punissable. La loi pénale détermine avec précision les cas où l'altération de la vérité donne lieu à une peine. Le faux en écriture privée notamment, auquel on veut assimiler l'imitation du nom d'un artiste au bas d'un tableau ou d'une statue n'existe que lorsqu'il a un résultat dommageable pour autrui.

Ce serait une erreur non moins grave que de penser que la réclusion atteint inévitablement le faux.

Il suffit de parcourir les dispositions du titre III du Code pour se convaincre qu'il n'en est pas ainsi ; les faux dans les certificats et les feuilles de route n'entraînent jamais qu'une peine correctionnelle.

Si l'on examine les conséquences du faux en écriture privée dans le commerce, dans les affaires, dans la société, on se convainc qu'il est peu de faits qui jettent un trouble aussi grand et ébranlent autant la confiance.

Est-il bien possible de comparer à ce fait si redoutable et si infamant l'imitation du nom d'un artiste sur un tableau ?

(page 851) Au fond, cette imitation n'est, du reste, pas dominante dans l'infraction ; celle-ci demeure une tromperie sur la nature de la chose vendue. Cette signature n'a pas pour but de créer, sous le nom d'un tiers, des obligations, mais bien de donner une valeur supérieure à une chose matérielle existante.

Ces considérations ont déterminé votre commission à ne pas considérer cette imitation de signature comme un faux.

Elle pourra tomber sous deux incriminations différentes.

Lorsque le tableau sur lequel on a mis une fausse signature a été vendu à une personne qui ignore qu'une signature d'emprunt y figure, il y a tromperie sur la matière de la chose vendue, tromperie punissable en vertu d'une disposition déjà votée par la Chambre et prononçant une peine de deux ans d'emprisonnement.

Mais si l'imitation de la signature d'un artiste peut ne pas constituer une tromperie, c'est dans le cas où l'œuvre artistique a été livrée à une personne qui avait connaissance de cette fraude.

Dans ce cas le fait doit constituer une infraction spéciale, la peine doit être prononcée non dans l'intérêt de l'acheteur, mais dans l'intérêt de l'artiste ; cette peine, votre commission la porte à un emprisonne ment de 5 mois à 1 an et de 300 fr. à 3,000 fr.

Enfin, on a fait remarquer qu'il était convenable de mentionner la sculpture à côté de la peinture.

Ces diverses considérations ont porté votre commission à vous proposer les articles 602 et 603 dans les termes suivants :

« Art. 602. Toute reproduction frauduleuse, entière ou partielle, d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture, de sculpture ou de toute autre œuvre scientifique, littéraire ou artistique, par le moyen de l'impression, de la gravure, du moulage ou par tout autre procédé, au mépris des droits des auteurs, constitue le délit de contrefaçon.

« Sont assimilés à la contrefaçon l'introduction sur le territoire belge, le débit ou l'exposition en vente d'ouvrages contrefaits. »

« Art. 603. L'usurpation du nom d'un auteur ou d'un artiste sur une œuvre de la nature indiquée à l'article précédent, sera punie d'une amende de 200 à 2,000 fr. '

« L'imitation de la signature d'un artiste sur une œuvre d'art sera punie d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 500 à 5,000 fr. »

Articles 604 à 606

M. Pirmez, rapporteur. - L'article 604 n'a donné lieu à aucune difficulté.

Cet article est ainsi conçu :

« Art. 604. La confiscation de l'édition ou des objets contrefaits, et celle des planches, moules ou matrices de ces objets, sera prononcée contre les coupables. »

Une observation a cependant été faite.

La confiscation ne peut, d'après cette disposition, être prononcée que par une condamnation correctionnelle. La confiscation doit cependant être considérée, dans certains cas, plutôt comme une réparation que comme une peine.

Un article additionnel devra être joint au projet de loi sur la propriété littéraire et artistique pour autoriser les tribunaux civils à prononcer cette confiscation ; cette disposition est surtout nécessaire dans le cas où le préjudice est causé, et où cependant la poursuite criminelle est écartée, par exemple, lorsqu'il y a bonne foi ou lorsque les poursuites sont dirigées contre les héritiers du contrefacteur.


M. Pirmez, rapporteur. - L'article 605 est ainsi conçu :

« Art. 605. Tout directeur, tout entrepreneur de spectacle, toute association d'artistes, qui aura fait représenter sur un théâtre public des ouvrages dramatiques au mépris des droits des auteurs, sera puni d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs et de la confiscation des recettes, si elles ont été saisies. »

Cet article a été aussi adopté dans les termes, dans lesquels il a été présenté d'abord.

La commission croit seulement devoir faire remarquer comme étant hors de doute que le texte par les mots : « faire représenter sur un théâtre public un ouvrage dramatique » comprend évidemment les représentations des œuvres musicales scéniques. L'opéra est donc protégé comme toute autre espèce d’œuvre dramatique.


MpVµ. - L'article 606 n'a également donné lieu à aucune difficulté.

Il est rédigé comme suit :

« Dans les cas prévus par les articles précédents, le produit des confiscations sera remis aux ayants droit pour être imputé sur les dommages et intérêts dont ils pourront réclamer le surplus par les voies ordinaires. »

D'après cette considération, messieurs, la commission propose, comme nous avons eu l'honneur de le dire, de l'assentiment de la commission qui a examiné le projet de loi sur la propriété littéraire et de l'assentiment du gouvernement, l'adoption des articles dans les termes qui viennent d'être indiqués.

Il reste, messieurs, à faire connaître la décision de la commission sur les quelques points qui lui ont été renvoyés.

Article 623

M. Pirmez, rapporteur. - L'article 623 s'occupe du cas où l'incendie s'est communiqué de l'objet auquel le feu a été mis à d'autres biens. Cet article contient deux dispositions.

Par le premier alinéa il prévoit le cas où l'agent a mis le feu à une chose dans l'intention d'obtenir l'incendie d'une propriété voisine ; dans ce cas, évidemment aucune difficulté ne peut exister, du moins sur le fond même de la disposition.

L'agent doit être condamné comme s'il avait directement mis le feu à l'objet incendié. La seule observation qu'ait soulevée cette partie de l'article est relative à la forme.

M. Van Humbeeck a pensé que l'article n'est pas assez clairement rédigé, qu'il ne fait pas saisir à première vue l'idée que l'on veut rendre.

Cet alinéa est ainsi rédigé :

« Celui qui aura mis le feu à des objets quelconques, dans l'intention de le communiquer à d'autres choses placées de manière à être incendiées par communication, sera condamné comme s'il avait mis ou tenté de mettre le feu à ces choses. »

La commission qui a revu ce texte n'a pu admettre la critique qui en est faite. M. Van Humbeeck, en disant que le coupable en cas d'incendie consécutif, sera puni comme s'il avait directement mis le feu à la chose secondairement incendiée, exprime clairement que la peine comminée par d'autres articles pour l'incendie de ces choses est encourue, Votre commission croit donc ne pas devoir se rallier à l'amendement de M. Van Humbeeck ; elle le considère comme inutile, sans trouver toutefois que son adoption entraîne des inconvénients.

Le deuxième paragraphe soulève une difficulté plus grave. M. Van Humbeeck propose de le supprimer. M. Coomans propose d'y apporter un changement qui aurait des conséquences très graves dans la pratique. Voici le texte de ce second alinéa :

« Lorsque, dans les cas prévus dans les articles précédents, le feu s'est communiqué à d'autres choses placées de manière à être incendiées par communication, le coupable sera aussi condamné comme s'il avait directement mis le feu à ces choses. »

Ce texte a pour but de punir les faits secondaires d'incendie que le dol éventuel de l'agent permet de lui imputer. L'agent, en mettant le feu à des biens quelconques, n'a d'autre but que d'incendier ces biens, mais le feu se communique à d'autres propriétés, protégées par une peine plus forte.

Celte peine supérieure est-elle encourue ?

Il est impossible de se dissimuler que celui qui a mis le feu à une grange tenant immédiatement à une maison habitée, lorsque aucune solution de continuité n'existe entre la maison habitée, est responsable moralement et criminellement de l'incendie de la maison. D'autre part, on conçoit que si le feu est mis à une meule éloignée d'une habitation, le coupable pense ne pas devoir être responsable de l'incendie de cette habitation, si des circonstances exceptionnelles communiquent le feu. M. Van Humbeeck propose de supprimer la disposition même. L'honorable M. Coomans a proposé de dire que dans ce cas le coupable pourra être condamné à la peine plus grave prononcée eu égard à la nature des biens pour cet incendie consécutif. Ni l'une ni l'autre de ces deux propositions ne peut être admise. La proposition de M. Van Humbeeck conduirait à ne pas punir le dol éventuel, même lorsqu'il se produit dans des circonstances où il n'est guère moins coupable qu'une volonté directe, à affranchir l'agent des conséquences découlant à sa connaissance directement de son fait.

La proposition de M. Coomans créerait une situation contraire à tous les principes admis et créerait pour les cours d'assises une position très difficile.

La plupart des faits d'incendie donnent lieu à des poursuites criminelles. Serait-ce le jury ou la cour qui déciderait de l'application de la disposition facultative ?

Quelle que soit la solution, une disposition semblable serait la seule, dans le Code pénal, qui laissât un pouvoir aussi étendu aux tribunaux.

(page 852) Une question sérieuse résulte cependant des observations qui ont été faites :

Résulte-t-il bien des termes de l'article que si l’incendie secondaire n'est produit que par des circonstances exceptionnelles, l'agent ne sera pas criminellement responsable ?

Résulte-t-il bien de ce texte qu'il faut, pour que la peine atteigne l'incendiaire, qu'il ait dû nécessairement par la nature des lieux et des choses, prévoir que l'incendie allumé par lui devait, dans le cours naturel des choses, se communiquer à d'autres propriétés ?

Peut-être le texte n'est-il pas aussi positif, et on peut exiger plus de clarté et de précision, dans une matière qui entraîne des pénalités aussi graves.

Messieurs, votre commission, pour éviter jusqu'à l'ombre d'un doute sur la portée de l'article, vous propose de modifier le second alinéa de l'article 623 et de le rédiger de la manière suivante :

« Lorsque, dans les cas prévus par les articles précédents, le feu s'est communiqué à d'autres choses, placées de manière à devoir être incendiées par communication, le coupable sera condamné comme s'il avait directement mis le feu à ces choses. »

Evidemment ces mots « placées de manière à devoir être incendiées, » qui remplacent ceux-ci « placées de manière à être incendiées, » n'indiquent pas une nécessité absolue ; ils n'impliquent pas l'idée que l'incendie doive infailliblement se réaliser.

Le verbe « devoir » indique un futur d'une réalisation presque certaine ; il suppose que, d'après le cours naturel des choses, la communication de l'incendie aura lieu.

La commission croit que cette modification dans le texte doit lever les scrupules qui ont donné naissance aux amendements à cet article.

Articles 659

M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, le second point sur lequel votre commission a eu à se prononcer, est relatif à la destruction des animaux

Une protection plus grande a été réclamée pour certains animaux domestiques et notamment pour les chiens.

Plusieurs membres ont pensé que le projet du Code pénal ne contenait pas, à cet égard, un système de répression suffisante.

L'article 659 a été tenu en réserve.

La commission l'a examiné de nouveau ; elle pense qu'au moyen d'une addition au texte soumis à la Chambre on peut avantageusement satisfaire aux objections qui se sont élevées.

La Chambre se rappellera que les articles 658 et 659 punissent d'une peine sévère ceux qui empoisonnent, qui tuent ou qui blessent grièvement les animaux qui servent principalement à l'industrie agricole et qui ont en général la plus grande valeur.

Ces articles sont applicables quel que soit le lieu dans lequel les faits délictueux se sont produits.

L'article 659 punit les mêmes faits dirigés contre les autres animaux domestiques, mais la peine qu'il prononce n'est encourue que lorsqu’ils sont commis dans un lieu appartenant au propriétaire de l'animal.

Les autres actes de méchanceté commis sur des animaux d'autrui sont prévus par les contraventions de police.

Un fait a surtout préoccupé et soulevé les critiques dont cette partie du projet a été l'objet ; c'est celui-ci : un chien est tué ou empoisonné non pas dans la propriété de celui à qui l'animal appartient, mais dans un lieu autre, où son maître l'emploie légitimement au service qu'il attend de lui.

Ainsi par exemple on empoisonne ou l'on tue le chien de garde lorsqu'il surveille les voitures qu'il accompagne, un chien de berger quand il est avec le troupeau de son maître, le chien de trait quand il est attelé à la petite voiture qu'il traîne, une peine de simple police est-elle suffisante pour atteindre des faits empreints d'une méchanceté caractérisée, et causant un préjudice notable ?

Une aggravation de peine se restreignant aux cas que je viens d'indiquer satisfait aux observations qui ont été faites, sans exposer à un excès de répression d'autres faits qui trouvent sinon leur justification du moins leur excuse dans les circonstances qui les entourent.

Une extension de texte au second alinéa de l'article 659 fait atteindre ce résultat. Cet alinéa est ainsi conçu :

« La même peine sera encourue, si ces faits ont été commis méchamment sur un animal apprivoisé ou sur un animal entretenu en captivité, dans les lieux où ils sont gardés. »

« La peine dont il s'agit est une amende de 26 à 200 fr. et un emprisonnemeut de huit jours à trois mois prononcés cumulativement ou séparement. »

Cette rédaction serait remplacée par la suivante :

« La même peine sera encourue si ces faits ont été commis méchamment sur un animal domestique au moment où il était employé au service auquel il est destiné dans un lieu où son maître avait le droit de se trouver. »

Article 545bis (nouveau)

Un troisième et dernier point a été soumis à votre commission.

M. Savart a signalé une lacune dans le projet de loi. Il se plaint de ce qu'aucune peine n'atteint ceux qui coupent les câbles ou lèvent les ancres qui retiennent un bateau dans le cours d'une rivière. L'honorable membre a signalé les conséquences très graves que ce fait a dans certains cas.

En examinant cette observation, votre commission s'est convaincue qu'elle s'applique encore à des faits semblables, dont les conséquences ne sont guère moins redoutables : par exemple l'enlèvement des cales qui retiennent un waggon sur un chemin de fer en pente ou des pierres qui arrêtent une voiture sur une route montante.

En tenant compte de tous ces faits et voulant les mettre sur la même ligne, la commission propose l'article suivant, qui serait l'art. 545 bis,

« Quiconque aura méchamment enlevé, coupé ou détruit les liens ou les obstacles qui retiennent un bateau, un waggon ou une voiture, sera puni d'un emprisonnement de 8 jours à 2 ans. »

Il résulte suffisamment du mot « méchamment » employé que ces faits ne sont punissables que lorsqu'ils sont contraires au droit ; ainsi le propriétaire qui délierait des cordes attachées à ses arbres ne pourrait évidemment tomber sous l'application de cet article.

Tels sont, messieurs, les différents articles sur lesquels votre commission avait à vous faire rapport.

MpVµ. - Le rapport sera imprimé et distribué. Nous reprenons maintenant la discussion du Code pénal.

Discussion des articles

Chapitre premier. Des vols et des extorsions

Section I. Des vols commis sans violences ni menaces
Article 546

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'avais demandé la parole dans l'avant-dernière séance pour répondre quelques mots au discours de l'honorable M. Nothomb.

Comme la Chambre a remis à aujourd'hui la suite de la discussion, je la prie de vouloir bien m'accorder encore quelques instants d'attention.

Dans les premières observations que j'ai présentées, j'ai signalé tous les faits judiciaires qui se rapportaient à la question qui vous est soumise en ce moment.

Je vous ai démontré que, dans la période de dix années de 1850 à 1859 inclus, les vols domestiques s'étaient élevés au nombre de 5,661 ; que dans ce nombre 145 seulement avaient été renvoyés devant la cour d'assises, que, par conséquent, 5,566 individus sur 5,661 avaient été traduits devant la juridiction correctionnelle.

De là, messieurs, la conséquence manifeste et incontestable que la magistrature belge, que nos cours, que nos tribunaux avaient trouvé que la répression par la voie correctionnelle était suffisante et plus sûre que par la peine de la réclusion et la juridiction criminelle.

Le fait paraît ne pas pouvoir être contesté.

A cela l'honorable M. Nothomb m'a fait deux objections.

Il a soutenu d'abord que nous punissons d'une peine supérieure à la peine de la réclusion des faits d\me nature moins grave que le vol domestique.

Il nous a opposé ensuite que, dans notre système, les 145 individus qui avaient été traduits devant la juridiction criminelle n'eussent pas pu être jugés par cette juridiction, par le jury, et n'eussent pas pu être soumis à une peine supérieure à cinq années d'emprisonnement.

Je vais examiner ces deux objections.

D'abord, en supposant qu'il soit vrai que le Code actuel que nous discutons punisse d'une peine plus grave des faits d'une immoralité moins grande que le vol domestique, je dis qu'il ne faudrait pas en tirer la conclusion qu'il faut punir le vol domestique de la réclusion, mais plutôt diminuer la peine comminée contre les faits qu'il signale ; il faudrait faire descendre ces faits au niveau des délits et non pas élever les vols domestiques à la hauteur des crimes.

Il y aurait plutôt, je le répète, à correctionnaliser certains faits plutôt qu'à infliger le caractère de crime au vol domestique.

M. Nothombµ. - Je n'ai pas dit cela ; vous m'avez mal compris ; je vous le ferai voir tout à l'heure.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai dit que dans mon opinion et d'après l'opinion unanime de la magistrature sur la répression qu'il est nécessaire d'introduire, en ce qui concerne le vol domestique, la peine correctionnelle est suffisante, et je préfère m'en rapporter à l'opinion de la magistrature qui a été unanime pour trouver que cette répression est plus efficace.

(page 853) M. Nothombµ. - Je ne conteste pour cela, mais je conteste la portée que vous donnez à mes paroles.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je soutiens qu'il est établi par la statistique, ce qui est incontestable, que la magistrature en général regarde le vol domestique comme suffisamment réprimé par l'emprisonnement et les tribunaux correctionnels, et plus sûrement, plus efficacement que par la réclusion, que par la juridiction criminelle. D'où j'induis que s'il y a des faits d'une immoralité moins grande que le vol domestique qui se trouvent punis d'une peine criminelle, ce serait une raison pour faire descendre la peine prononcée contre ces faits plutôt que d'élever le vol domestique au rang de crime, et ce raisonnement me paraît d'une vérité incontestable.

Mais est-il vrai que les faits cités par M. Nothomb soit d’une immoralité moindre que le vol domestique ?

Je le conteste de la manière la plus formelle.

Il a cité le vol avec fausses clefs, le vol avec armes cachées ou apparentes.

Je dis que ces faits accusent une immoralité plus grave, une volonté plus déclarée de commettre le crime.

Il suffit de réfléchir un instant pour en être convaincu. Quels sont les caractères du vol avec fausses clefs ou armes apparentes ou cachées ? L'usage de fausses clefs annonce une préméditation, une délibération qui se révèlent par les instruments dont il s'est servi ; les armes dont un voleur est porteur indiquent à la fois et la préméditation et des intentions qui allaient au-delà du vol même.

Ces vols indiquent une volonté réfléchie qui a longtemps persisté dans l'intention de commettre un crime.

Dans le vol domestique que trouvez-vous le plus souvent ? Oubli momentané du devoir, une tentation à laquelle on n'a pas résisté ; entre les faits cités par l'honorable membre, il y a toute la différence qu'on trouve entre le crime mûri, réfléchi, prémédité et un délit commis spontanément, sans qu'à l'avance on en ait calculé toutes les conséquences ; il y a là une différence capitale.

Voulez-vous la preuve manifeste que non seulement la commission qui a élaboré le Code actuel le pensait ainsi, mais encore que c'est là une opinion qui n'a jamais été contestée.

Le vol domestique, de quelle peine est-il puni aujourd'hui par le Code actuel, ce monument législatif que l'honorable membre voulait maintenir ? Le vol domestique est puni de la réclusion.

De quelle peine est puni, par exemple, le vol avec fausses clefs ? Si l'immoralité est moindre, nous allons le voir puni d'une peine moindre, ou au moins de la même peine, il n'y aura pas de différence ; eh bien, ce fait, alors que le vol domestique est puni, je le répète, de la réclusion, ce fait, le vol avec fausses clefs est puni par le Code actuel des travaux forcés à temps. Ainsi, le législateur de 1810 a apprécié les faits dont il s'agit comme nous les apprécions ici.

L'opinion de l'honorable M. Nothomb, que des faits d'une nature moins coupable sont punis par le projet d'une peine plus forte, n'est évidemment pas fondée.

J'aborde maintenant le deuxième argument de l'honorable M. Nothomb.

L'honorable membre nous dit : Mais d'après vôtre statistique môme il y a 145 individus qui n'auraient pas été traduits devant la cour d'assises, qui auraient par conséquent échappé à la peine sévère qui les a atteints.

D'abord, il y'a on fait une observation à faire : de ces 145 individus, il y en a eu 25 d'acquittés, ce qui réduit déjà ce nombre à 120 ; il y en a eu 25 condamnés par les cours d'assises à de simples peines correctionnelles, ce qui réduit le nombre à 95 ; 50 étaient récidivistes ; voilà donc le nombre réduit à 40.

Vous avez donc sur 5,661 accusés 5,571 individus acquittés ou punis de peines correctionnelles ; des 90 individus condamnés à une peine plus forte que l'emprisonnement, une grande partie étaient des récidivistes qui seraient aussi atteints d'une peine plus forte que par le projet en discussion, car la peine peut être portée à dix ans pour la récidive.

Dans les individus qui ont été traduits devant la cour d'assises combien y on a-t-il qui n'ont été condamnés qu'au minimum de la peine ?

La statistique ne l'indique pas, mais bien assurément il y en a plusieurs.

Vous savez que le minimum de la réclusion est de 5 ans et le maximum de l'emprisonnement est de 5 ans. Dans notre pays, entre la réclusion et l’emprisonnement la différence est plus nominale que réelle, et l'on peut dire que le maximum de l’emprisonnement équivaut au minimum de la réclusion ; d'où la conclusion que là où le minimum de la réclusion a été prononcé, le projet commine une peine aussi sévère, si les juges veulent l'appliquer, que celle qui atteint les rares individus traduits en cour d'assises.

Du reste, cinq années d'emprisonnement me paraissent déjà un moyen de répression assez sérieux, assez efficace ; c'est déjà une peine très forte.

L'amendement de l’honorable M. Nothomb me semble donner lieu à une objection péremptoire. L'honorable M. Nothomb veut que le législateur se place exclusivement au point de vue de l'exception. Ainsi aujourd'hui, je répète les chiffres que j'ai déjà cités, tous les tribunaux, toutes les cours jugent que sur 5,661 individus accusés, la peine de l'emprisonnement est une peine suffisante. En ce qui concerne 5,571 accusés, resteraient, en défalquant 35 individus en état de récidive, 61 accusés qui auraient mérité une peine plus sévère.

Nous allons donc faire une loi pour l'exception, une loi qui comminera une peine qui ne doit trouver d'application que soixante fois sur cinq mille six cent soixante et un cas qui se présentent.

Pour quelques cas exceptionnels M. Nothomb nous propose de changer la qualification du fait et la nature de la peine.

Je demande si nous pouvons admettre une semblable disposition ; je demande si, quand nous faisons une loi, nous ne devons pas tenir compte avant tout du caractère que présente le plus grand nombre de faits et combiner les peines de manière à les atteindre sûrement et efficacement ?

Et si, messieurs, nous ne nous préoccupons que des faits les plus graves, comme on nous propose de le faire, si donc nous fixons les peines de manière à les appliquer aux faits les plus exceptionnels, mais, messieurs, nous devrons faire une loi beaucoup plus sévère que le Code actuel ; et que résultera-t-il de là ? Que votre loi sera inhumaine ou sera un mensonge.

Votre loi sera inhumaine, parce qu'elle sera d'une sévérité exagérée si vous l'appliquez à tous les faits ; elle sera un mensonge si vous ne l'appliquez qu'à un fait sur cent qui se présenteront, elle sera un mensonge si, dès le lendemain de la promulgation de votre nouveau Code, vous devez continuer le régime actuel des circonstances atténuâmes qui n'est qu'un véritable expédient contre la trop grande sévérité des peines ; car il ne faut pas se le dissimuler, votre système actuel est un système complètement faux, un système qui, je le répète, n'a été introduit qu'à raison de la trop grande sévérité du Code pénal. Est-ce là ce que vous voulez continuer ?

M. Nothombµ. - Oui.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Eh bien, je vous rappellerai que vous en avez proposé la suppression à la Chambre.

M. Nothombµ. - Du tout. Je vais m'expliquer.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vais vous le prouver. Vous-même, vous avez proposé la suppression de ce système.

M. Nothombµ. - Dans quelle occasion ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vais vous le dire, vous avez proposé la suppression du système actuellement en vigueur qui donne aux cours et tribunaux le droit de changer la qualification des faits au moyen des circonstances atténuantes ; voici dans quelle circonstance. Cette question a été examinée par la commission qui a élaboré le projet de loi sur l'organisation judiciaire ;cette commission l'a examinée à deux reprises : d'abord lorsqu'elle est arrivée à déterminer les attributions de la chambre du conseil et ultérieurement quand elle a examiné quelles seraient les attributions de la chambre des mises en accusation.

Et voici, messieurs, quelle a été la résolution prise par cette commission, résolution consignée en ces termes dans les procès-verbaux. :

« La commission s'occupe en premier lieu de l'article 30, au titre des cours d'appel, qui donne à la chambre des mises en accusation le droit de renvoyer, dans les certains cas, au tribunal correctionnel, les individus prévenus de faits que la loi punit des travaux forcés à temps ou de la réclusion.

« Après discussion, elle décide la suppression de cet article. Cette décision est motivée sur ce que la chambre des mises en accusation ne prononce que sur une instruction écrite, dont les résultats sont, de leur nature, provisoire ; qu'elle ne peut, en conséquence, apprécier définitivement les faits de la cause, pour qualifier délit ce que la loi qualifie crime ; que pareille qualification n'appartient qu'au juge appelé à prononcer sur l'instruction orale, complète et définitive, qui se fait à l'audience de la cour d'assises. »

(page 854) Ainsi, messieurs, vous le voyez, la commission qui a élaboré le projet de loi sur l'organisation judiciaire a supprimé le système qui consiste à donner aux tribunaux et aux chambres du conseil le droit de renvoyer devant le tribunal correctionnel ; et l'honorable M. Nothomb a proposé cette suppression à la Chambre. (Interruption.) Sans doute ; mais il est bien évident que j'ai avancé un fait parfaitement vrai en disant que l'honorable M. Nothomb avait proposé à la Chambre la suppression de ce système.

Le projet de Code pénal lui-même contient la preuve la plus manifeste que la commission qui a élaboré ce projet regarde comme un véritable expédient le système qui est suivi jusqu'à présent.

Voici, en effet, ce que porte son article 491 :

« Art. 491. Jusqu’à la révision du Code pénal actuellement en vigueur dans tous les cas où le Code pénal prononce la peine des travaux forcés à temps ou celle de la réclusion, et où il y aurait lieu de ne prononcer qu'une peine correctionnelle, à raison soit d'une excuse, soit de circonstances atténuantes, et dans le cas où il y aurait lieu d'appliquer les article 66 et 67 du Code pénal, la chambre des mises en accusation peut, à la simple majorité, et par une ordonnance motivée, renvoyer le prévenu au tribunal de police correctionnelle. »

Ainsi, ce n'est qu'aussi longtemps que le Code pénal actuel sera en vigueur, que la commission propose de maintenir, pour les chambres des mises en accusation seulement, le système qui existe en ce moment. La commission, à mon avis, a senti qu'il y avait là quelque chose de tout à fait anomal ; que c'était, en quelque sorte, transporter aux tribunaux et aux cours, une partie des attributions du pouvoir législatif.

En effet, il me semble que c'est au pouvoir législatif à déterminer le caractère des faits, et c'est aux tribunaux à appliquer la peine, lorsque le fait revêt les caractères qui sont déterminés par la oui. Les circonstances atténuantes ne doivent pas intervenir, à mon avis, pour changer la qualification des faits et l'ordre des juridictions.

C'est l'affaire du législateur. Les circonstances atténuantes ne doivent être appliquées par les tribunaux, lorsque les peines sont proportionnées par la loi à la gravité des faits, que pour élever ou diminuer les peines, mais non, je le répète, pour changer l'ordre de juridiction, la qualification des faits.

Messieurs, je crois qu'il ne serait pas possible de faire du code que nous élaborons une critique plus sérieuse que celle qui consisterait à ne le voir, le lendemain de sa promulgation, appliquer qu'à un fait sur cent. C'est cependant ce qui arriverait inévitablement.

On demande d'un côté que le vol domestique soit puni de la réclusion, qu'il soit soumis à la juridiction du jury ; on demande d’un autre côté que l'on maintienne le système qui accorde aux cours et tribunaux de droit de décréter des circonstances atténuantes. Eh. bien, qu'arrivera-t-il, le lendemain du jour où votre Code sera promulgué ? Mais ce qui arrive aujourd'hui, c'est-à-dire que sur cent faits il y en aura un seul qui sera jugé par la cour d'assises et qu'il y en aura quatre-vingt-dix-neuf jugés par tes tribunaux correctionnels ; et pour ces 99 faits vous condamnerez les cours et tribunaux, j'allais dire à des mensonges pieux, c’est-à-dire à trouver des circonstances atténuantes, à en inventer là où il n'y en a pas, car vous admettrez bien, je pense, que sur 100 vols domestiques, il n'y en a pas 99 où il y ait réellement des circonstances atténuantes.

Eh bien, je vous le demande, est-ce que cela est digne, est-ce que cela est convenable ? Est-ce que cela n'est pas de nature à altérer le respect qui doit s'attacher aux décisions de la magistrature ? N’est-il pas regrettable de voir tous les jours que, pour éviter des peines trop sévères, l'on doive supposer, inventer ces circonstance atténuantes qui n'existent pas ? Voilà ce que je désire voir cesser. Nous faisons un Code pour rentrer dans la vérité des faits, pour éviter les abus que nous avons vus jusqu'à présent. Mais si l'on veut maintenir ce système, je trouve réellement une révision du Code pénal inutile. Vous n'avez qu'à étendre un peu les lois de 1838 et de 1849, qui donnent aux tribunaux et aux cours le droit de changer complètement la qualification des faits. Vous n'avez qu'à dire que les tribunaux auront le droit de renvoyer devant les tribunaux correctionnels les faits prévus par le Code, s'ils y voient des circonstances atténuantes, et d'appliquer des peines correctionnelles au lieu de peines criminelles, et toute la réforme est faite. Mais ce sera alors la magistrature que vous aurez fait législature ; la législature aura abdiqué.

Quelques mots maintenant, messieurs, en réponse à l'honorable M. Tack, qui nous a signalé l'inconvénient qu'il pouvait y avoir, au point de vue de la loi sur les extraditions et des traités qui existent entre nous et certaines autres puissances, de ne punir le vol domestique que de peines correctionnelles.

D'abord, quant à la loi sur les extraditions, il n'y a pas de difficulté. La loi prévoit le vol en général ; par conséquent, nous n'avons rien à modifier.

II est vrai que, dans certains traités, le vol simple ne donne pas lieu à extradition. Mais l'inconvénient que signale l'honorable M. Tack ne se présents pas seulement pour le vol domestique, il se présente pour tous les vols qui passent de la catégorie du vol qualifié au vol simple.

A moins donc que vous ne renonciez à diminuer les peines qui sont prononcées par le Code actuel, vous aurez la difficulté qu'on signale.

Je ne pense pas que ce soit là l'opinion de la Chambre et elle l'a manifestée en rangeant dans la catégorie des vols simples, des vols considérés comme des vols qualifiés.

Il y aura, du reste, d'autres dispositions dans le nouveau Code qui forceront à réviser vos traités d'extradition, à ouvrir des négociations à ce sujet.

Du reste, nous avons des traités dans lesquels le vol simple est prévu et donne lieu à l'extradition.

Mais il ne faut pas croire, messieurs, que la difficulté n'existe pas dès maintenant ; dès à présent, j'ai vu soutenir, je ne dis pas que c'est avec raison, mais j'ai vu soutenir que, par cela seul que les tribunaux changeaient la qualification du fait, et d'un vol qualifié faisaient un vol simple, les traités ne sont plus applicables, et ce n'est pas seulement pour le vol domestique, c'est pour d'autres faits encore que la difficulté surgit et qu'elle devra bien être levée.

Ainsi que la Chambre range le vol domestique dans la catégorie des vols simples ou qu'elle le range parmi les vols qualifiés, toujours faudra-t-il arriver à de nouvelles négociations au sujet de nos traités d'extradition.

M. Moncheur. - Permettez-moi, messieurs, de rappeler en quelques mots le point où en était restée la discussion avant-hier, en ce qui concerne le mode de punir le vol domestique. La commission du gouvernement, messieurs, et la commission de la Chambre, dont j'ai l'honneur de faire partie, sont d'accord pour ranger le vol domestique dans la classe des délits et pour ne le punir que d'une peine correctionnelle.

Cette peine est comminée par l'article 544 du projet ; c'est celle d'un mois d'emprisonnement au moins et cinq années au plus, et en outre 26 fr. d'amende au moins et 500 fr. au plus ; les coupables peuvent de plus être placés pendant cinq à dix ans sous la surveillance spéciale de la police et condamnés enfin à l'interdiction de certains droits civils et politiques.

Vous le savez, messieurs, le Code de 1810 avait multiplié les distinctions en fait de vol ; le projet actuel simplifie au contraire, autant que possible, cette mat ère. Il est basé sur une grande distinction qui est celle-ci : d'abord les vols commis contre les choses seules, sans qu'aucune contrainte ait été dirigée contre les personnes propriétaires ou en possession des choses volées, puis les vols accompagnés de violence ou de menace, c'est-à-dire les vols dans lesquels une contrainte physique ou morale a été dirigée contre les personnes. Les vols contre la chose seule sont tous rangés dans la classe des délits ; les vols avec violences ou menaces, qui comprennent les vols accompagnés des circonstances les plus graves, sont seuls des vols qualifiés, c'est-à-dire puni d'une peine criminelle et soumis aux cours d'assises.

Il y a cependant, messieurs, deux exceptions à la première règle, à la règle qui range tous les vols contre la chose seule, les vols commis sans violence et sans menaces dans la classe des délits ; ces exceptions sont d'abord le vol commis à l'aide de fausses clefs et ensuite le vol commis eu usurpant le titre ou le costume de fonctionnaire public, ou en faisant abus des fonctions publiques dont l'agent du vol est revêtu. La question s'est présentée à la commission de savoir si une troisième exception devait être faite à cette règle générale, en ce qui touche le vol domestique, c'est-à-dire si l’on devait ranger le vol domestique dans la classe des crimes, alors même que cette infraction n'est pas accompagnée d'une des conditions aggravantes de violences ou de menaces.

Messieurs, comme les autres membres de la commission, j'ai pensé que cette question devait être résolue négativement ; que le vol domestique, comme le vol commis par les aubergistes, les voituriers, les bateliers, comme beaucoup d'autres vols punis criminellement par le Code de 1810, peuvent et doivent même être dorénavant réprimés par des peints correctionnelles.

Et voici, messieurs, quels ont été mes motifs.

Si ou punit le vol domestique de la réclusion, je crains que, dans un nombre considérable de cas, il en résultera l'impunité même de cette (page 855) infraction grave. En effet, messieurs, la peine de la réclusion est une peine afflictive et infamante ; le Code actuel la déclare positivement infamante ; le projet que nous discutons ne lui donne plus, il est vrai, cette qualification : il ne la qualifie point, il se borne à en prescrire la nature, mais dans l’opinion publique, toute peine prononcée par la cour d'assises est infamante.

En quoi consiste la peine de la réclusion ? Le minimum de sa durée est de 5 années et le maximum de 10 ans. Elle est accompagnée, de droit, de l'interdiction du condamné pendant la durée de sa peine ; ainsi : incapacité pour le condamné d'administrer ses biens ; nomination d'un curateur dans la forme prescrite pour la nomination des tuteurs aux interdits ; défense de lui donner quelque portion que ce soit de ses revenus.

Enfin, messieurs, la réclusion a une autre conséquence, c'est la détention préventive, en règle générale, de l'inculpé jusqu'à ce que l'affaire puisse arriver devant la cour d'assises.

Or, je crois, messieurs, que dans cet état de choses, il y aura souvent impunité pour le voleur domestique si vous comminez la peine de la réclusion.

Il y aura impunité pour deux raisons : d'abord parce que le jury reculera devant la gravité de la peine comparée avec le peu de gravité du fait ; dans la plupart des cas, il prononcera un verdict d'acquittement plutôt que d'amener une condamnation aussi sévère ; et en deuxième lieu, parce que le maître s'abstiendra de porter la plainte qui seule, généralement, peut donner l'éveil à la justice quant aux vols domestiques et motiver une information et la mise en accusation des auteurs de ce vol.

En effet, messieurs, vous le savez, en fait de vol domestique le maître seul en général a connaissance du fait et des circonstances qui l'accompagnent ; il porte, pour ainsi dire, plus spécialement que dans d'autres cas la responsabilité de la condamnation. Il sait qu'il devra aller témoigner de toutes les circonstances devant la cour d'assises. Eli bien, la solennité du jugement dit : au grand criminel et surtout la gravité de la peine feront reculer bien souvent le maître devant le devoir qui lui incombe, je le reconnais, de porter plainte ; il préférera se débarrasser du domestique infidèle, et le chasser de sa maison, sans s'en inquiéter davantage.

Je crois, messieurs, que la solennité et le prestige de la cour d'assises doivent être réservés à des faits plus graves que ne sont généralement les vols domestiques.

Je reconnais cependant que, parmi ces méfaits, il en est de très graves et qui indiquent chez l'agent une perversité qu'il faudrait punir très sévèrement ; mais ce sont les rares exceptions : la plupart des vols domestiques sont, quant à la valeur des objets votés surtout, d'une importance peu considérable.

Si l'on voulait punir d'une peine criminelle les vols domestiques les plus graves et d'une peine correctionnelle les plus légers, il faudrait faire cette distinction dans la loi pénale elle-même. Or, je la crois impossible, a priori, dans la loi ; les faits seuls peuvent l'indiquer.

Ainsi, nous sommes placés dans l'alternative, ou de punir le vol domestique d'une peine criminelle, ou de le punir d'une peine correctionnelle.

Eh bien, je crois que la certitude et l’efficacité de la répression exigent que, dans cette alternative, nous adoptions le système qui a été adopté par la commission du gouvernement et par celle de la Chambre.

Mais, messieurs, est-ce à dire pour cela que le vol domestique ne soit pas d'une nature plus grave que le vol simple ? Non, telle n'est pas, selon moi, la conséquence de ce système. Je déclare qu'à mes yeux le vol domestique a une gravité spéciale et doit être puni spécialement aussi dans les limites des peines correctionnelles.

J'adhère donc, à cet égard, à plusieurs des considérations qui ont été émises par l'honorable M. Nothomb, auteur d'un des amendements qui sont en discussion, ainsi que par MM. Van Overloop et Coomans.

Messieurs, dans le vol domestique, outre la soustraction de la chose d'autrui, il y a un manque de foi évident, il y a violation du devoir sacré de la fidélité ; la criminalité du vol domestique est donc plus forte que celle du vol ordinaire.

Ainsi, supposez que dans une place publique, dans une foule, un filou dérobe le mouchoir, la montre, la bourse d'une personne qui s'y trouve ; c'est là un vol simple ; le voleur a cédé à la cupidité ; il doit être puni en vertu de l'article 544 du projet. Mais qu'un domestique prenne un vêlement de son maître, ou sa montre ou sa bourse, dans une commode non fermée ou sur un meuble quelconque, il est évident que dans le second cas la culpabilité de l'agent sera plus grande que dans le premier ; car le domestique voleur a cédé d'abord à la cupidité comme le premier ; puis en outre il a violé le devoir de la fidélité qu'il a implicitement promise à son maître, lorsqu'il a accepté son salaire, lorsqu'il est venu s'asseoir au foyer domestique, lorsqu'il a reçu, pour ainsi dire, la qualité de membre de la famille dans laquelle il est entré.

Il y a donc une distinction réelle à faire entre le vol ordinaire et le vol domestique, quant à la nature de l'une et de l'autre, et quant au mode de le punir.

Je propose de faire cette distinction en triplant pour le vol domestique le minimum de la peine qui est comminée pour le vol simple. . le minimum de cette dernière peine est d'un mois d'emprisonnement, je propose donc trois mois d'emprisonnement au moins pour le vol domestique.

J'atteins par là deux buts : d'abord, j'équilibre mieux la punition du délit à la gravité di fait incriminé ; puis, je satisfais à cette opinion qui, quoi qu'on en dise, est dans la conscience publique, c'est que le vol domestique est plus grave que le vol ordinaire.

Messieurs, je n'étends pas mon amendement aux vols commis par les aubergistes, les voituriers, les bateliers, etc., je crois que la peine comminée par l'article 544 est suffisante à leur égard.

J'ajouterai un mot encore pour établir que les peines correctionnelles suffisent pour réprimer les vols domestiques.

Ou a dit que si on ne les punit pas d'une peine criminelle, le domestique voleur pourra, après avoir subi quelques mois d'emprisonnement, pour un fait très grave peut-être, rentrer dans la société et recommencer ses exploits.

Eh bien, messieurs, voyons comment la société sera armée par la loi qui sera appliquée par les juges des tribunaux correctionnels. Certes nous pouvons, nous devons avoir pleine confiance dans les magistrats qui sont appelés à sauvegarder la société contre tous les attentats qui la troublent. Or, s'il se présente des vols domestiques ayant des caractères spéciaux de gravité, le tribunal correctionnel pourra, en vertu de l'article 544 du projet, condamner le coupable à 5 années d'emprisonnement et à 500 fr. d'amende, en outre, à l'interdiction de certains droits civils et politiques, et à dix ans de surveillance spéciale de la police.

Voilà pour le premier fait, et certes, cette peine paraît déjà suffisante pour un vol domestique sans circonstance aggravante d'effraction ou de violences.

Mais le domestique voleur est-il récidiviste ? le tribunal est alors armé de dix années d'emprisonnement et de mille francs d'amende, plus la surveillance de la police.

Le coupable pourra donc être condamné à quinze ans d'emprisonnement et à quinze cents francs d'amende pour deux vols domestiques qu'il aura pu commettre.

Je crois que ces peines sont suffisantes.

J'insiste surtout sur cette considération que, si nous prononçons une peine très grave et si surtout la faculté de la correctionnalisation n'existait plus, faculté qui, dans mon opinion, ne sera plus en harmonie avec la législation révisée, on arriverait à l'impunité d'une foule de vols domestiques qu'il faut, au contraire, atteindre d'une manière certaine, prompte et efficace.

- M. Ernest Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. Tack. - Messieurs, pour écarter, en matière de vol domestique, la peine de la réclusion, on s'est appuyé surtout sur deux moyens. Le premier consiste à nier que la criminalité de l'agent qui commet un vol domestique soit plus grande que celle de l'auteur d'un vol simple. Le second moyen est tiré de cette considération que la peine de la réclusion est excessive et que par suite, elle conduit à l'impunité. Le plus souvent, dit-on, le maître recule devant les conséquences que doit entraîner pour le domestique la comparution devant la cour d'assises.

Quant au premier moyen, qui a été principalement développé par l'honorable M. Pirmez, quoi qu'on dise de la tentation, à laquelle le domestique est exposé, de l'entraînement de l'occasion, de la facilité avec laquelle il peut commettre un vol, on ne me persuadera jamais qu'il n'y a pas une perversité plus grande de la part de celui qui, par cupidité, ou pour satisfaire à de mauvais instincts, à de mauvaises passions, non seulement dérobe le bien d'autrui, mais encore trahit la confiance qu'on a mise en lui, manque à ses devoirs les plus essentiels, trouble la paix du foyer domestique, éveille souvent d'injustes soupçons contre l'innocent, que dans le chef d'un malheureux qui, poussé par le besoin, porte atteinte à la propriété de son voisin.

(page 856) Il est impossible de ne pas voir là une grande différence, au point de vue de la criminalité des agents.

Eu égard à la justice absolue, l'un des faits peut donc être puni plus sévèrement que l'autre.

En ce qui touche la seconde objection, celle sur laquelle s'est appuyé davantage l'honorable ministre de la justice et qu'il a tirée de la considération que l'impunité sera souvent la conséquence de l'exagération de la peine, je l'avoue, messieurs, elle me touche davantage.

M. le ministre nous a présenté des statistiques qui me paraissent assez péremptoires.

Il nous a démontré que la loi du 28 novembre 1838 qui a autorisé les tribunaux à correctionnaliser les crimes punis de la réclusion a eu pour conséquence immédiate de multiplier le nombre des poursuites en matière de vol domestique, ce qui semble établir que la rigueur de la répression était un obstacle à la recherche de ces sortes de délits. Cependant, je puis difficilement pour mon compte consentir à voir biffer du Code, dans tous les cas et pour toutes les hypothèses quelconques, la peine de la réclusion en matière de vol domestique, ou même d'abus de confiance domestique.

La question pour moi est celle de savoir s'il ne serait pas possible, tout en assurant la répression des délits de peu d'importance, des délits les moins graves, qui sont aussi les plus nombreux, de maintenir, en même temps la réclusion pour ce qui concerne les faits qui dénotent évidemment une perversité plus grande de la part de l'agent.

Je pense, messieurs, que le but pourrait être atteint en punissant de la peine de l'emprisonnement les vols domestiques aussi bien que l'abus de confiance, lorsque la valeur de l'objet soustrait ou détourné excède une somme déterminée. En un mot, je voudrais fixer le genre de poursuites et de peines d'après l'importance de l'objet voté ou détourné.

Il est impossible de contester que l'importance de l'objet voté influe sur la criminalité de l'agent ; par conséquent au point de vue de la justice résolue, point de difficulté, quant à l'aggravation de la peine.

Vous auriez cet avantage, c'est que vous atteindriez inévitablement ce que j'appellerai les petits vols domestiques, les vols de peu d'importance, et que d'un autre côté vous conserveriez l'épouvantail de la réclusion et le prestige de la cour d'assises à l'égard des vols domestiques et des abus de confiance plus graves qui occasionnent une plus grande perturbation dans les relations sociales.

Vous éviteriez en même temps cette espèce de monstruosité de ne voir punir que d'un simple emprisonnement de 5 ans celui qui a commis un vol domestique ou un abus de confiance quelque élevée que soit la somme qu'il s'est appropriée, fût-elle de cent mille francs. Ces cas se .sont présentés.

Vous éviteriez en même temps l'impunité dans laquelle pourront se draper ceux qui étant parvenus à faire des soustractions considérables se rendent à l'étranger et dont vous ne pouvez par aucun moyen obtenir l'extradition, du moins tant et aussi longtemps que vos traités ne seront pas changés.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il en est de même de tous les vols, notamment en ce qui concerne la France.

M. Tack. - M. le ministre m'objecte qu'il en at de même de tous les vols pour ce qui concerne notamment la France.

Eh bien, quant au vol simple, le plus souvent lorsqu'il aura une certain -importance il sera accompagné de circonstances aggravantes qui le transforment en crime ; il aura été commis avec effraction ou avec fausses clefs, par conséquent il donnera lieu à extradition, tandis que les vols domestiques et les abus de confiance, si considérâmes que soient la soustraction ou le détournement, sont perpétrés souvent sans circonstances aggravantes, sans qu'ils supposent l'effraction ou de fausses clefs.

En adoptant ma manière de voir, on se mettrait complètement à l'abri de toutes ces contradictions que M. le ministre de la justice croit apercevoir dans la proposition de l'honorable M. Nothomb. Ce ne serait pas le juge qui se substituerait au législateur : le fait serait toujours nettement qualifié par la loi.

Ces 5,661 petits vols, dont nous a parlé tantôt M. le ministre, seraient punis en vertu du texte formel de la loi et le juge n'aurait pas à recourir à la ressource des circonstances atténuantes pour se montrer indulgent.

Mon système ne serait donc ni un mensonge.ni un expédient, et il ne serait pas non plus inhumain, tous reproches que M. le ministre de la justice fait à l'honorable M. Nothomb.

Je sais, messieurs, qu'on peut faire des objections à cette façon de trancher la difficulté : on peut dire que l'appréciation du fait, envisage au point de vue de la culpabilité de l'agent, n’a rien d'absolu ; qu'ainsi, lorsque je dérobe à un homme peu fortuné une somme de cent francs, je suis plus criminel que si je soustrais une somme de mille francs à un millionnaire. Cela est vrai, messieurs, mais si je choisis une limite telle que l'on soit obligé de convenir que la peine de la réclusion, quelle que soit la victime du vol est méritée, en quoi aurai-je donc contrevenu aux lois de la justice, ou aux principes du droit criminel ? Dira-t-on que l'évaluation est chose difficile ? Je n'admets pas cette difficulté ; ce que je sais, c'est que le juge sera naturellement porté à l'indulgence, et s'il ne peut pas apprécier par lui-même l'importance de l'objet vidé, il pourra recourir à d'autres moyens.

Mais ce cas sera extrêmement rare ; le juge sera placé ici dans une position analogue à celle où il se trouve lorsqu'il statue sur les circonstances atténuantes ou plutôt dans une position identique à celle qui lui est faite lorsqu'il apprécie l'importance de la valeur de l'objet voté pour fixer le quantum de l'emprisonnement pour vol simple dans les limites du minimum et du maximum.

Du reste, la commission qui a élaboré le projet de Code et M. le ministre de la justice lui-même n'ont point reculé devant des considérations de cette nature ; car je remarque que l'article 544, tel qu'il était d'abord rédigé, élevait le minimum de l'emprisonnement à deux ans lorsque la valeur des objets soustraits était supérieure à 5,000 fr.

Pour être conséquent et logique, je crois, pour ma part, qu'il faudrait assimiler l'abus de confiance domestique avec le vol domestique. Pour moi, il n'y a pas de différence entre ces deux ordres de faits quant à leur criminalité.

C'est ce que la Chambre a déjà décidé quant au vol simple et à l'abus de confiante, qu'elle met sur la même ligne. C'est ce système qui a prévalu en Fran ce quand on a fait la loi de 1832.

Le législateur français met identiquement sur la même ligne le vol domestique et l'abus de confiance domestique. C'est au surplus la doctrine d'un grand nombre d'auteurs ; c'est la doctrine développée par l'honorable M. Pirmez, dans un rapport et ici à cette tribune. Au moyen de cette assimilation, vous évitez les contradictions, les disparates, les anomalies que nous a signalées l'honorable M. Pirmez.

L'honorable membre vous disait : Je ne puis admettre que le domestique qui s'approprie une montre qui se trouve sur la table de son maître soit puni de la réclusion, tandis que le domestique qui détournerait la montre que son maître lui a confiée pour la porter chez l'horloger ne serait puni que d'un simple emprisonnement. Je suis d'accord avec l'honorable membre, il convient de leur infliger la même peine et de borner cette peine à un simple emprisonnement. Il n'y a ici qu'une différence de pure théorie, la différence que l'on établit en droit entre le vol et l'abus de confiance ; dans le premier cas il y a vol dans le sens rigoureux du mot, l'agent coupable a pris possession de l'objet à l'insu du propriétaire ; dans le second cas il y a abus de confiance parce que le coupable avait déjà la possession de l'objet lorsqu'il se l’est approprié et l'a détourné, mais la criminalité est identique.

Des deux côtés, la confiance de la victime a été la même ; des deux côtés cette confiance a été trahie indignement par l'auteur de la soustraction ou du détournement.

Pour arriver à ce résultat de pouvoir réprimer efficacement les vols de peu d'importance comme les abus de confiance de même genre ; et pour consacrer en même temps l'épouvantail de la réclusion à l'égard des grands coupables, j'ai formulé, de concert avec l'honorable M. Savart, l'amendement suivant :

Je propose d'abord d'adopter le n°1° de l'amendement de l'honorable M. Nothomb ; d'ajouter à la fin de l'article 546 le paragraphe additionnel suivant :

« Toutefois, dans les cas prévus par le n°1 du présent article, la peine de la réclusion sera remplacée par celle d'un emprisonnement d'un mois à 5 ans et d'une amende de 26 fr. à 300 fr., lorsque la valeur des objets voies n'excédera pas la somme de mille francs. » .

J'ajoute à la suite du premier paragraphe de l'article 577 les dispositions ci-après :

« Si l’abus de confiance prévu et puni par le présent article a été perpétré par un domestique, un homme de service à gage, élève, clerc, commis, ouvrier, compagnon ou apprenti au préjudice de son maître, il sera réputé vol et puni de la réclusion. »

Je fais observer à la Chambre que cette portée de mon amendement est pour ainsi dire h reproduction textuelle de la loi française ; je dis (page 857) que l'abus de confiance sera réputé vol afin qu'il soit compris dans les cas d'extradition prévus par nos traités internationaux.

« Pareillement, si l'abus de confiance a été perpétré par un aubergiste, un hôtelier, un voiturier, un batelier ou un de leurs préposés, lorsqu'ils auront détourné ou dissipé tout ou partie des choses qui leur étaient confiées à ce titre, il sera réputé vol et puni de la réclusion.

« Toutefois, dans les cas prévus par les deux paragraphes précédents, la peine de la réclusion sera remplacée par cette d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs, lorsque la valeur des objets votés n'excédera pas la somme de mille francs. »

Je transporte l'amendement de l'honorable M. Nothomb de l'article 546 à l'article 577 pour répondre à cette observation que l'aubergiste, le voiturier, l'hôtelier ne commettent réellement pas un vol, mais un abus de confiance, quand ils détournent les objets qui ont été confiés à leur bonne foi.

M. le président. - Voici le nouvel amendement déposé par M. Moncheur :

« Après les mots : « et d'une amende de vingt-six à cinq cents francs, » ajouter ces mots : « L'emprisonnement sera de trois mois au moins, si le voleur est un domestique ou un homme de service à gages, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trouvaient soit dans la maison du maître, soit dans celle où il l'accompagnait, ou si c'est un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'atelier ou magasin de son maître, ou un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura volé. »

Je donne maintenant lecture de l'amendement que vient de développer M. Tack :

« Adopter le n°1° de l'amendement de M. Nothomb.

« Ajouter à la fin de l'article 546 le paragraphe additionnel suivant :

« Toutefois, dans les cas prévus par le n°1 du présent article, la peine de la réclusion sera remplacée par celle d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs lorsque la valeur des objets votés n'excédera pas la somme de mille francs. »

« Ajouter à la suite du premier paragraphe de l'article 577 les dispositions ci-après i

« Si l'abus de confiance prévu et puni par le présent article a été perpétré par un domestique, un homme de service à gages, élève, clerc, commis, ouvrier, compagnon ou apprenti au préjudice de son maître, il sera réputé vol et puni de la réclusion.

« Pareillement, si l'abus de confiance a été perpétré par un aubergiste, un hôtelier, un voiturier, un batelier ou un de leurs préposés, lorsqu'ils auront détourné ou dissipé tout ou partie des choses qui leur étaient confiées à ce titre, il sera réputé vol et puni de la réclusion.

« Toutefois, dans les cas prévus par les deux paragraphes précédents, la peine de la réclusion sera remplacée par celle d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs, lorsque la valeur des objets votés n'excédera pas la somme de mille francs. »

M. de Naeyer. - Messieurs, j'ai surtout demandé la parole parce qu'il m'est impossible d'admettre plusieurs principe qui ont été invoqués contre l'amendement de l'honorable M. Nothomb.

D'abord il me paraît évident que le vol domestique présente une gravité toute spéciale, sous le rapport de l'immoralité de l'acte. Il y a incontestablement ici un degré de plus que dans le vol ordinaire, la raison en est excessivement simple ; l’immoralité de l’acte comment doit-on l'apprécier ?

Par l'importance des devoirs violés. Or, pour le domotique il n'y a pas seulement le devoir général de respecter la propriété d'autrui, il y a en outre le devoir résultant de l'engagement qu'il a contracté de servir les intérêts de son maître, d'en être le gardien ; en d'autres termes le domestique n'est pas seulement obligé de s'abstenir du vol, il est obligé encore d'empêcher le vol qui pourrait être commis par d'autres.

Sous ce rapport, il y a ici violation d'un double devoir, par conséquent immoralité plus grande et toute spéciale.

Quelques honorables membres ont dit que dans le vol domestique il y a, tout à la fois, soustraction frauduleuse de la chose d'autrui et abus de confiance.

Cette opinion a été critiquée par l'honorable rapporteur de la commission, qui trouve qu'il y a la contradiction, que le vol et l'abus de confiance sont deux choses qui s'excluent mutuellement et qui ne peuvent se rencontrer simultanément dans une même atteinte portée à la propriété d'autrui.

Cela est vrai, in apicibus juris, comme on dit. Cela est vrai, suivant les définitions arbitraires et conventionnelles de notre Code ; mais dans le sens moral il en est tout autrement. En effet, interrogez la conscience publique et partout et toujours vous aurez pour réponse que le domestique voleur trahit la confiance de son maître et qu'il en abuse indignement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et la femme qui vote son mari ?

M. de Naeyer. - C'est une question résolue, et ce vol-là vous ne l'avez pas puni ; mais-vous ne prétendrez pas qu'il y ait entre le domestique et le maître la même intimité de relations et la même communauté d'intérêts qu'entre le mari et la femme. Il y avait là évidemment des raisons spéciales qui n'ont rien à voir dans la question actuelle.

Pour appuyer ce que je viens d'avancer je pourrais au besoin invoquer une autorité qui certes en vaut bien une autre, je veux parler de l'autorité de Rossi qui s'exprime ainsi dans son Traité de droit pénal, livre 2 chapitre 8 : « Le domestique qui dérobe les effets de son maître commet un vol et de plus un abus de confiance. »

Cela est bien clair et bien positif, et le criminaliste célèbre que je viens de citer parle justement de cet abus de confiance qu'li constate dans la soustraction frauduleuse commise par le domestique, pour caractériser une circonstance aggravante du vol.

Il est donc incontestable qu'il y a ici une immoralité plus grande, par conséquent la justice absolue réclame aussi une peine plus forte : mais cela ne suffit pas, je le reconnais, pour justifier la proposition de l'honorable M. Nothomb.

Il est rare que le législateur puisse exercer le droit de punir jusqu'aux dernières limites de la justice absolue. Jamais il ne peut aller plus loin et en général il doit rester en deçà ; ce sont les considérations d'utilité sociale qui seules doivent fixer le point auquel il doit s'arrêter. Ainsi tout en repoussant la doctrine des utilitaires proprement dits, il faut cependant admettre que l'utilité joue un grand rôle dans la législation pénale, puisque en définitive c'est elle qui doit déterminer le quantum de la peine, toujours dans les limites de la justice absolue.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On ne peut l'invoquer quand il ne s'agit pas d'aggraver la peine.

M. de Naeyer. - L’utilité sociale est jusqu'à un certain point la mesure de la peine qu'on inflige.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'utilité ne suffit pas.

M. de Naeyer. - Aussi je me suis avant tout attaché à la moralité ; d'abord j'ai démontré qu'il s'agissait de punir la violation d'un devoir et sous ce rapport, j'ai constaté une circonstance aggravante, dans le vol qui nous occupe, en d'autres termes, j'ai justifié une aggravation de peine au point de vue de la justice absolue ; mais ce premier point étant établi, je dis que l'utilité sociale doit être seule prise en considération pour préciser le quantum de la peine, parce que, toujours dans les limites de la justice absolue, l'utilité sociale est la condition fondamentale du droit de punir. Lorsque cette utilité fait défaut, le droit de punir n'existe plus ; elle doit donc nous guider pour proportionner la peine au mal qu'il s'agit de réprimer, c'est pour cela qu'on a eu tort de se scandaliser de ce que l'abus de confiance qui est tout aussi immoral que le vol, est cependant puni d'une manière moins sévère, car des actes plus immoraux encore que l'abus de confiance ne sont pas punis du tout ; la question n'est donc pas là. La question est de savoir si une aggravation de peine comminée contre le vol domestique est autorisée par les principes de la justice absolue, et si elle est justifiée par des considérations d'utilité sociale.

Toute autre considération serait sans valeur et l'on ne peut tirer aucune conséquence de ce que d'autres actes, même plus immoraux, seraient frappés de peines moindres ou même resteraient impunis.

En admettant que l'abus de confiance soit puni moins que le vol, il n'y a là aucune anomalie, parce qu'encore une fois, l'immoralité de l'acte seule ne peut déterminer le quantum de la peine. L'abus de confiance, quoique aussi immoral que le vol, peut cependant être considéré comme présentant un danger social moindre, et voici pourquoi, c'est que l'abus de confiance offre moins de chances d'impunité. L'auteur est facile à découvrir, tandis que, dans le vol, il parvient souvent à déjouer toutes les investigations les plus actives de la justice.

Eh bien, pour l'abus de confiance, cela est presque impossible. Ainsi il y a danger moindre, par conséquent utilité moindre et par conséquent la diminution de peine s'explique parfaitement et est parfaitement justifiée.

(page 858) Maintenant quant au vol domestique, je dis qu'il présente un danger tout spécial, par cela même que l'ennemi est en quelque sorte dans la place.

Voilà pourquoi il y a utilité à le punir plus sévèrement.

Ensuite ce n'est pas sans raison qu'on l'assimile jusqu'à un certain point au vol avec effraction. Pourquoi ? Parce que le domestique est dispensé de l'effraction grâce à un engagement tout spécial qu'il a contracté, l'engagement de servir loyalement les intérêts de son maître. Il présente encore un danger social très sérieux parce qu'il jette un véritable trouble dans la famille, et qu'il détruit la confiance, qui est l'âme de la vie de famille.

Eh bien, c'est là une considération de premier ordre, car on peut dire qu'en Belgique surtout la vie de famille a quelque chose de sacré, qu'elle ne peut être entourée de trop de respect et de protection, parce que c'est la vraie source du bonheur des individus. A ce point de vue encore, il y a évidemment une utilité sociale incontestable à punir plus sévèrement le vol domestique, et du moment que vous restez dans les bornes de la justice absolue, vous pouvez élever la peine jusqu'au niveau de cette utilité. Maintenant, la justice absolue d'une aggravation de peine, il est impossible de la révoquer en doute puisque vous avez inscrit dans votre Code que pour le vol ordinaire le maximum de cinq ans d'emprisonnement n'est pas trop fort, que vous ne commettez pas d'injustice en comminant cette peine.

Eh bien, si vous admettez la justice de la peine de cinq ans d'emprisonnement pour le vol simple, par cela même que le vol domestique a un caractère plus immoral, la peine plus forte est justifiée.

Messieurs, je dois dire ici un mot de la théorie des tentations, qui a été exposée d'une manière assez séduisante et qu'il m'est impossible d'admettre. Je n'admets pas que la gradation des peines puisse se faire en raison inverse des tentations ; en règle générale, c'est le contraire qui doit avoir lieu.

Car enfin la tentation, c'est un des principaux éléments de l'impulsion criminelle, comme disent les criminalistes ; or, les peines sont précisément destinées à combattre cette impulsion. Tout au plus les tentations peuvent servir d'excuse, quand elles sont le fait d'autrui, lorsque l'individu ne les trouve pas dans sa propre perversité, mais qu'il est entraîné par les suggestions, les provocations, les séductions exercées par d'autres ; alors elles peuvent diminuer l'imputabilité ou la moralité de l'agent, mais dans d'autres circonstances ces tentations forment surtout le danger social qui est la véritable raison d'être de la législation pénale.

Je crois donc, messieurs, qu'au point de vue de la justice absolue et en même temps de l'utilité sociale, il est incontestable qu'il y a lieu d'appliquer une peine plus forte au vol domestique qu'au vol ordinaire.

Cela veut-il dire qu'il faut ériger ce vol en crime ? Je vous avoue franchement que d'après les faits nombreux qui ont été cités par M. le ministre de la justice et qui, je dois le dire, ont fait une grande impression sur mon esprit, il me serait impossible d'admettre un système qui tendrait à ériger le vol domestique en crime sans que les tribunaux ou les cours de justice eussent le droit de le correctionnaliser suivant les circonstances. En effet, voici comment la question se présenterait : si nous ne commuions que des peines correctionelles, certains vols domestiques, qui mériteraient d'être considérés comme crimes, échapperaient à la répression qui leur est due ; mais si nous considérons ces vols invariablement comme des crimes, nous nous exposons à un inconvénient plus grave, c'est de faire en sorte qu'une foule d'individus qui, d'après l'appréciation des faits par nos cours de justice, ne mériteraient pas d'être renvoyés devant la cour d'assises, devraient cependant subir cette humiliation, cette honte qu'ils n'auraient pas méritée.

Eh bien, en présence de ces deux alternatives il me serait impossible d'hésiter. Car enfin l'appréciation des cours et des tribunaux qui sont parfaitement à même de sonder les plaies de la société, doit exercer, me paraît-il, une grande influence sur notre esprit et dès lors nous devons considérer comme un fait constant que les vols domestiques qui ont lieu en Belgique se commettent très souvent dans des circonstances telles qu'ils n'ont pas en réalité le caractère de crimes. Quant à la faculté laissée aux cours et aux tribunaux de correctionnaliser certains crimes, je ne suis pas de l'avis de M. le ministre de la justice, en ce sens que ce système entraîne nécessairement une espèce d'abdication du pouvoir législatif. Cela dépend de la manière de l'appliquer. S'il s'agissait de l’appliquer à l'avenir d'une manière aussi absolue qu'il est aujourd'hui inscrit dans nos lois, M. le ministre pourrait avoir raison. Mais il est possible de le mitiger. Au lieu de dire d'une manière générale que pour tous les faits qui sont susceptibles d'entraîner la réclusion ou les travaux forcés à temps, les chambres de mises en accusation ont le droit de renvoyer les détenus devant les tribunaux correctionnels, lorsqu'il y a des cas d'excuse ou des circonstances atténuantes, on pourrait peut-être limiter le nombre de ces faits et laisser aux tribunaux et aux cours le droit de les correctionnaliser selon la gravité des circonstances.

Ainsi il y a des faits pour lesquels les circonstances varient extrêmement, et je crois que celui qui nous occupe en ce moment en est peut-être l'exemple le plus frappant.

Il peut y avoir des degrés si différents et si multipliés, qu'il est impossible de les préciser dans la loi.

Eh bien, il serait peut-être utile, pour sortir de cet embarras, de continuer aux cours et aux tribunaux le pouvoir qu'ils ont aujourd'hui, en le limitant, par exemple, en ne leur permettant d'exercer ce pouvoir que pour certains faits spécialement prévus et en fixant quelques circonstances ou quelques principes qui devraient leur servir de base.

Mon opinion n'est donc pas entièrement fixée, et mon embarras provient surtout du point de savoir si le pouvoir de correctionnaliser sera continué aux cours et aux tribunaux.

Ici la question de procédure et de juridiction vient un peu compliquer la question du Code pénal. Mais dans tous les cas, je suis d'avis qu'il y a lieu d'élever la peine à l'égard du vol domestique, par exemple, en admettant la proposition de l'honorable M. Moncheur ou toute autre proposition dans le même sens.

Toutefois il me serait difficile de me rallier à l'opinion de l'honorable M. Tack, qui fait dépendre la gravité du délit de l’importance de la somme volée. Je crois que cette base n'est pas acceptable. Car le vol d'une somme de 500 fr. pourrait, dans certaines circonstances, constituer un acte d'une gravité plus grande que le vol d'une somme de 1,000 fr. dans d'autres circonstances. Cela dépend beaucoup de la position de la personne lésée. Si j'ai bonne mémoire, des criminalistes distingués font dépendre surtout la gravité du vol de la position de l'individu qui a été dépouillé.

En résumé je suis d'avis qu'il y a lieu d'adopter une proposition quelconque qui tende à mettre le vol dans une catégorie à part et je me rallierai à la proposition qui me paraîtra le plus en harmonie avec les principes que je viens d'exposer.

M. Nothombµ. - J'ai déjà si longuement, et peut-être trop longuement entretenu la Chambre de l'amendement qui vous est soumis, que je n'aurais certes pas repris la parole dans cette discussion, si je n'y étais en quelque sorte obligé par M. le ministre de la justice.

M. le ministre a cru convenable de me mettre personnellement en cause, je ne sais vraiment pourquoi, car j'avais constamment maintenu la discussion sur un autre et sur son vrai terrain.

Quoi qu'il en soit, si l'honorable M. Tesch a cru m'embarrasser, il se trompe, et bien que je doive répondre à l'improviste à un discours préparé, je vais lui démontrer que ma position, à propos de la présentation du projet d'organisation judiciaire, est exactement la même que la sienne dans le projet de Code pénal que nous discutons.

J'ai effectivement, messieurs, eu l'honneur de présenter en 1856 à la Chambre un projet de loi d'organisation judiciaire dans lequel est supprimée la faculté jusqu'ici accordée aux chambres de mises en accusation d'appliquer le système de la correctionnalisation. Cela est vrai.

Mais est-ce à dire que par là j'aie d'avance adopté cette suppression, comme ministre, comme membre du gouvernement ? que j'aie aliéné le droit d'avoir une autre opinion ? Evidemment, non. Quand un ministre présente des projets de loi de cette nature, il soumet d'habitude le projet tel qu'il a été élaboré par la commission extra-parlementaire, la commission de jurisconsultes ou d’hommes spéciaux qui en a été chargée. Et il faut qu'il en soit ainsi ; dans un gouvernement comme le nôtre, certaines grandes lois ne peuvent se faire qu'avec le concours des sommités de la science, de la magistrature ou de l'administration ; ces hommes consacrent leur talent et leurs soins à élaborer un travail considérable ; c'est souvent un traité complet, un volume qu'ils remettent au gouvernement.

Que peut faire le ministre ? Peut-il d'un trait de plume anéantir cette œuvre, la jeter au rebut, la cacher au pays pour venir apporter à la Chambre son idée personnelle ? Ce serait manquer de bon goût, oublier les égards dus à des hommes éminents, les froisser et les décourager. Ce serait une outrecuidance ; je ne l'ai pas eue, messieurs, et l'honorable M. Tesch ne l'a pas eue non plus, car le projet du Code pénal qu'il nous a apporté est aussi l'œuvre de la commission (page 859) extraparlementaire. M. Tesch l'a soumis tel quel, se réservant sa propre opinion. Sa position est la mienne ; il m'a imité ; il a donc mauvaise grâce de m'en faire un reproche.

En déposant ainsi le projet d'organisation judiciaire, je n'ai nullement abdiqué ma liberté d'opinion. Je l'avais si peu abandonnée, que je me souviens parfaitement d'avoir dit à plusieurs membres de cette assemblée et entre autres à l'honorable M. Orts, que, sur plusieurs points et notamment à propos de la composition des cours d'assises, je formulerais un système différent de celui du projet.

M. Orts. - C'est vrai.

M. Nothombµ. - C'est vrai, vous l'entendez, M. le ministre, l'honorable M. Orts vous répond pour moi : C'est vrai. Il me semble donc que la matière même et le tour que nous avons donné à la discussion ne comportaient pas qu'on cherchât ainsi à me mettre inutilement en cause.

Ceci écarté, j'aborde le système même de la correctionnalisation. Je tiens, messieurs, que ce système est non seulement utile, mais qu'il est inévitable. Je ne puis entrer en ce moment dans tous les développements que comporte cette grande question, mais je suis convaincu qu'aucune bonne législation répressive n'est possible sans la faculté laissée aux cours d'appel de correctionnaliser certaines affaires criminelles.

Vous l'aboliriez aujourd'hui ce système, qu'avant peu la force des choses vous obligerait à le rétablir.

Si vous renfermiez le juge dans l'application d'un texte inexorable, véritable lit de Procuste, vous arriveriez aux résultats les plus fâcheux.

Le système des circonstances atténuantes est aussi ancien que la raison écrite, c'est le système du droit romain, du droit prétorien, c'est l'adoucissement des mœurs qui vient atténuer l'inflexible rigueur de la loi.

Ce système a été reçu partout comme un bienfait, et, dans les pays où il n'existe pas encore, on le réclame avec ardeur. La nécessité en subsistera sous le Code nouveau, comme sous tout autre Code. Il y aura toujours des faits qui se présenteront avec des circonstances telles qu'il serait cruel de les déférer à la cour d'assises, alors cependant que, dans sa généralité, la loi dût les frapper d'une peine criminelle.

Un seul moyen peut vous préserver de tomber soit dans l'inhumanité des peines, soit dans l'impunité : c'est de laisser aux tribunaux le droit d'apprécier les circonstances atténuantes avant de renvoyer les accusés devant la cour d'assises, ce redoutable seuil dont nul, fût-il acquitté, ne sort sans péril.

Pour moi, messieurs, ce système des circonstances atténuantes, savez-vous ce qui le domine ? C'est le règne de l'opinion publique, notre maîtresse à tous. Oui, dans l'application des lois et surtout des lois pénales, l'opinion publique doit avoir sa part ; elle doit agir, avec ses aspirations, ses nuances, ses ménagements, ses indulgences, quelquefois même avec ses préjugés, et il faut que le juge puisse lui donner satisfaction. Il faut que la loi puisse être appliquée non seulement dans son texte, mais encore selon les besoins du temps et de la société.

Là, messieurs, et seulement là, est la bonne répression ; hors de là, vous avez une justice de textes, une justice, une justice farouche, une justice du moyen âge ; vous n'aurez plus une justice progressive, c'est-à-dire humaine !

Vous manquez, me dit M. le ministre, vous manquez de respect à la magistrature. Vraiment le reproche est étrange. Comment ! je laisse au juge l'immense pouvoir d'adoucir la sévérité de la loi, je lui donne cette marque de considération et de confiance, et vous dites que c'est un manque de respect.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que vous manquez de décision et qu'on sera amené ainsi à manquer de respect pour la justice.

M. Nothombµ. - Je croyais avoir exactement marqué vos paroles au moment où elles sortaient de votre bouche. Mais j'admets la rectification.

Vous forcez, dites-vous, la magistrature à inventer des mensonges pieux. Cette fois je crois avoir bien compris. Mais qui vous parle de mensonges pieux ? La magistrature, dans mon système, n'a pas besoin d'inventer des mensonges pieux ; elle pèse les circonstances dans toute leur vérité, dans toute leur exactitude, elle fait la part due à chaque chose.

Et d'ailleurs où serait le si grand mal, je vous le demande, si par ce que vous appelez un pieux mensonge on évitait une application inhumaine, barbare de la loi ; si par une appréciation largo et bienveillante des circonstances multiples d'une affaire, l'on épargnait à un homme une poursuite retentissante, excessive, qu'il n'aurait moralement pas méritée ?

Je ne craindrais donc pas de voir parfois intervenir ce que vous appelez un mensonge pieux et ce que j'appelle, moi, un hommage rendu à la vérité relative, ce qui signifie à l'indulgence, à la discrétion dans l'application des peines. Le mensonge pieux, comme vous le nommez c'est l'humanité, c'est le progrès, c'est la conscience publique dans la justice pénale, et ces trois choses valent bien, je m'imagine, votre justice inflexible, formaliste, immuable, plus digne d'un sophiste du moyen âge que d'une ère de progrès et de liberté.

Où serait donc le mal ? Je le demande encore ? Ne serait-il pas plutôt dans cette répression inflexible, dans ce fanatisme d'un texte de loi, dans cette justice criminelle à outrance que votre système léguerait à l'avenir ?

L'honorable ministre vient de critiquer la comparaison que j'ai faite, dans une séance précédente, entre le vol domestique et certains autres faits que le projet actuel punit de la réclusion. J'avais cité le vol à l'aide de fausses clefs ou de simple effraction, le vol avec simple menace et j'avais dit : Mais ces faits, au point de vue moral, ne sont pas plus graves que le vol domestique ; au point de vue moral ils sont souvent moins graves et cependant vous les punissez de la réclusion.

Je n'ai pas prétendu qu'il ne fallût pas le faire ; je n'ai pas demandé que l'échelle de ces peines fût diminuée ; j'ai seulement établi ce qui est vrai, incontestable, et l'assemblée entière ne me démentira pas : c'est qu'il y a, au point de vue de la criminalité morale, de la conscience, une différence entre le vol domestique et les vols commis à l'aide de la simple menace, d'une fausse clef, de la seule effraction. Je n'ai pas dit autre chose.

j'avais aussi parlé de vols commis par des individus porteurs d'armes cachées.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez ajouté « ou apparentes ».

M. Nothombµ. - Vous faites erreur ; non pas ; et je maintiens ce que j'ai avancé.

Comment ! un individu commet un vol porteur d'une arme cachée ; il n'a donc pas fait usage de cette arme ; personne même ne l'a vue, car elle est restée cachée, et cependant vous punissez cet homme de la réclusion, à raison d'une circonstance restée ignorée, qui n'a pu effrayer personne.

Non seulement vous le punissez, mais encore ses complices, même ceux qui n'ont rien su de cette particularité.

Encore une fois, je sais bien pourquoi vous le faites, je ne vous en blâme pas ; mais permettez que je constate la différence morale qui existe entre ce fait et le vol domestique.

L'article 546 du projet punit encore de la réclusion le vol commis avec le faux costume, la fausse qualité ou le faux ordre d'un fonctionnaire public.

Je vous le demande, messieurs, n'est-ce pas d'une grande analogie avec le domestique qui vole à son maître ?

Le domestique qui s'introduit chez vous, y entre sous le costume de l'honnête homme, si je puis parler ainsi, avec la qualité apparente d'être probe. Que fait-il cependant ? Il vole ; voilà aussi un faux costume, une fausse qualité ; voilà l’hypocrisie ; voilà le masque ; eh bien, masque pour masque, je ne vois pas de différence entre le domestique voleur et trompeur et l'individu qui me dépouille, après être entré chez moi, en se disant faussement gendarme ou garde champêtre.

J'ai donc raison de soutenir qu'il y a, dans les faits punis de la réclusion par le projet, des infractions qui, au point de vue moral, ne sont pas plus graves que le vol domestique. Je crois avoir justifié cette assertion par les exemples que j'ai cités.

M. le ministre de la justice m'objecte encore que le vol domestique implique seulement, chez le domestique, l'oubli momentané d'un devoir.

J'avais soutenu, moi, que le vol domestique implique une volonté méchante préméditée. Je le soutiens plus que jamais. Pour que le serviteur commette le vol, il faut qu'il viole un devoir plus impérieux chez lui que chez tout autre, qui fait sa raison d'être, si je puis parler de la sorte, qui fait partie de lui-même : la probité exemplaire, l'honnêteté absolue. Il y a pour le domestique un devoir spécial. L'honorable M. de Naeyer vient de l'établir on ne peut mieux, le domestique a l'obligation spéciale d'être fidèle, honnête à l'extrême, il est le surveillant et le gardien des choses de son maître. Ce devoir doit toujours luire devant les yeux du serviteur et quand il l'oublie, nous avons cent fois raison de dire qu'il commet un acte prémédité, qu'il méconnaît une obligation qui ne (page 860) devrait jamais disparaître de sa pensée, qui est sa consigne en quelque sorte, comme l'honneur cette du soldat.

Messieurs, je vous ai déjà parlé du danger que présente le vol domestique au point de vue de la famille ; c'est la démoralisation de la famille ; c'est la contagion de l'exemple pour les enfants.

Comme magistrat du ministère public remplissant mon office auprès des cours d'assises, j'ai eu à constater plus d'une fois que des domestiques faisaient voler, par les enfants de leurs maîtres, des bagatelles, puis des sommes minimes, enfin de grosses sommes ; ces domestiques infâmes ont fait de l'enfance innocente leur complice involontaire, l'ont corrompue et lui ont préparé, Dieu sait quel avenir !

Voilà jusqu'où peuvent conduire les conséquences funestes du vol domestique ; et vous le mettriez sur la même ligne que le vol ordinaire quand il peut laisser de pareilles traces, quand il démoralise les familles, quand en un mot, initiateur au mal il répand la contagion irrémédiable du vice et du crime ! Cela me paraît impossible !

Messieurs, je l'ai déjà dit : Ce que je veux avant tout conserver, c'est le prestige de la cour d'assises contre le vol domestique. C'est un frein des plus puissants, et si vous l'enleviez, vous poseriez, je le crains bien, un acte dommageable à la sûreté de la société. Quiconque s'est occupé d'affaires criminelles, a traité des affaires criminelles devant les cours d'assises ; quiconque a étudié les criminels, sait quelle terreur salutaire exerce sur eux la cour d'assises, et non seulement sur eux, mais sur le public.

Croyez m'en, messieurs, maintenez ce prestige qui est une force.

« Vous faites, me dit-on, une loi pour quelques exceptions. Parce qu'il y a quelques vols graves, extraordinaires commis par des domestiques, vous voulez rompre l'harmonie de la loi. »

D'abord, messieurs, nous maintenons, nous, ce qui existe ; c'est vous qui innovez, sans justifier votre innovation, car votre harmonie n'est pas un motif sérieux. Nous maintenons ce qui a toujours prévalu dans toutes les législations, chez tous les peuples, à toutes les époques, le vol domestique a été frappé d'une pénalité toute spéciale. A moins donc de donner un démenti au sens commun du genre humain, il faut admettre que le vol domestique renferme une valeur criminelle intrinsèque plus considérable.

Pour le nier, il faut s'inscrire en faux contre la tradition des siècles, contre l'histoire, contre la législation de tous les peuples, de tous les temps. Cette universalité nous voulons, nous, la respecter.

Ce sont des exceptions, dit-on encore. Mais heureusement tous les grands crimes sont des exceptions. Les faits que vous punissez spécialement sont aussi. J'aime à me persuader que les vols commis avec effraction, avec violence, avec coups et blessures, resteront des exceptions ; vous faites cependant contre ces vols-là des articles de loi qui les frappent tantôt de la réclusion, tantôt des travaux forcés.

L'assassinat est, Dieu merci, une exception, et nous nous hâtons de le prévoir. Nous n'imitons pas Solon qui avait exclu le parricide de son code.

Pourquoi dès lors ne pas prendre des précautions spéciales contre une infraction que je vous démontre être aussi grave et même plus grave que quelques-uns des faits punis par vous-mêmes de la réclusion ? Pourquoi donc dire que des exceptions ne justifient rien ? Ce n'est pas la fréquence des méfaits qui doit guider exclusivement le législateur répressif, mais c'est avant tout la violation plus grande du devoir moral qui incombait à l'agent.

Telle est la principale raison du droit de punir. En dehors de là nous n'avons plus que le Code utilitaire, et le Code utilitaire, c'est le Code arbitraire.

Et maintenant, messieurs, pour terminer, je dirai quelques mots des amendements présentés par l'honorable M. Moncheur et par les honorables MM. Tack et Savart. Je serai très bref à cet égard.

D'après ce que j'ai dit depuis trois jours, la Chambre comprend que je ne puis me rallier aux amendements qui ont été produits.

Ce n'est pas une question de quantum quant à la peine, ni surtout de valeur du vol même qui nous sépare.

Il m'importe fort peu que le coupable encoure 3 ou 6 mois d'emprisonnement de plus ou moins. C'est pour moi le petit côté de la question ; le grand, c'est le côté moral.

Ce qui nous divise, c'est un principe.

Je vois dans le vol domestique une infraction grave, particulière, sui generis. Ce vol révèle chez l'agent une intensité de méchanceté, une immoralité plus caractérisée, une perversion beaucoup plus grande que dans le vol ordinaire.

Partant de ce principe, j'arrive nécessairement à une autre conclusion que mes honorables collègues ; pour un fait moralement inégal, je dois vouloir une peine et une qualification inégales aussi. Ne les confondant pas dans la réprobation morale, je ne puis les confondre dans la punition.

Je dois maintenir mon amendement,

M. Savart. - Messieurs, ce qui a été dit jusqu'à présent me permettra d'être très bref.

L'honorable M. de Naeyer nous a fait remarquer avec beaucoup de raison que le domestique violait, avant de voler, l'engagement qu'il avait pris de conserver la chose de son maître et de lui être fidèle et qu'il se plaçait ainsi à un degré d'immoralité où ne se trouve pas l'étranger qui vote un étranger.

Dans l'esprit de nos lois, les délits ont toujours pris plus ou moins de gravité suivant la qualité de la personne qui les commet et suivant la qualité de la personne contre laquelle ils sont commis.

Les lois anciennes ont admis cette différence, le Code actuel l'admet, et je crois que le Code qui vous est présenté l'a admise. Ainsi le domestique, d'après vos lois mêmes, est un homme exceptionnel. Vous l'avez rangé dans une catégorie particulière.

D'après l'article 333, lorsque le crime de viol est commis par un étranger sur une personne âgée de moins de 15 ans, la peine comminée consiste dans les travaux forcés à temps. Lorsque le même viol est commis par un domestique, ce sont les travaux forcés à perpétuité.

Soyez donc conséquents avec vous -mêmes.

Vous faites là du domestique un être à part, parce vous voyez une aggravation du fait dans sa qualité de domestique.

Comment se fait-il que vous ne voyiez plus une aggravation dans sa qualité lorsqu'il s'agit d'un autre délit ou d'un autre crime ?

Il me semble que cette raison est péremptoire pour qu'on suive toujours la même ligne de conduite. Si nous agissions autrement, nous ne serions pas conséquents avec les articles votés précédemment. (Interruption,)

Je dis donc que la loi ayant à examiner la qualité de la personne qui commet le délit et la qualité de la personne sur laquelle il est commis pour en faire jaillir un crime plus ou moins grand, il y a des raisons d'analogie pour le vol comme pour le viol.

L'honorable ministre de la justice s'est basé sur la statistique ; il est venu dire qu'il y avait eu 5,661 vols domestiques punis dans le courant de 10 ans.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, 5,661 accusés.

M. Savart. - Et qu'il n'y on avait pas eu plus de 145 jugés par la cour d'assises.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - 145 accusés.

M. Savart. - Il en résulte qu'il y a un grand nombre de vols domestiques qui doivent être punis correctionnellement et qu'un certain nombre sont de nature à être portés devant la cour d'assises.

La portée de votre amendement est de dire que pour toute cette partie de vols domestiques que les juges ont renvoyés devant les tribunaux correctionnels la répresssion correctionnelle subsistera, mais probablement dans ces milliers de vols que les tribunaux domestiques ont renvoyés devant les tribunaux correctionnels il n'y en avait pas de 200,000 fr.

Ceux-là ont été renvoyés devant la cour d'assises. C'est ce que nous demandons.

Mais on dit : comment veut-on faire dépendre la gravité de la peine de l'importance du dommage causé ?

C'est une idée qui me comble toute naturelle.

Pour une petite blessure on punit d'un emprisonnement, pour une blessure très grave on applique la peine de la réclusion.

C'est la même chose ici, on applique à la bourse le principe que l'on applique au corps.

Quand on brûle une meule on est puni moins sévèrement que quand on brûle une maison où peuvent se trouver des personnes.

Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas suivre cette ligne de conduite.

Le but que nous poursuivons est un but d’utilité publique. Ce que nous voulons, c’est qu’on ne puisse pas voir un domestique s’en aller en pays étranger avec 200,000, 300,000, 400,000 francs volés (les domestiques peuvent commettre des vols de cette importance aussi bien que (page 861) d'autres) et vivre là du produit de leurs rapines, sans qu'on puisse obtenir leur extradition.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous changerons nos traités.

M. Savart. - M. le ministre de la justice dit : Nous changerons nos traités d'extradition.

Il me semble beaucoup plus simple de changer un article du Code pénal, car vous ne pouvez changer les traités de votre seule autorité, il vous faut pour cela le concours et le consentement des puissances avec lesquelles vous faites des traités et peut-être ces puissances ne consentiront-elles pas à ce que vous proposerez.

C'est du reste une affaire diplomatique difficile à accomplir et qui exige du temps, et en attendant ceux qui voleraient des sommes énormes pourraient vivre à l'étranger à l'abri de l’article qui ne commine à leur égard qu'une peine correctionnelle.

Voilà ce que nous voulons éviter. Notre amendement n'est qu'une espèce de transaction, si l'on croit nécessaire de porter le chiffre de 1,000 à 5,000 francs, je ne m'y opposerai pas.

Mais il me semble que nous ne pouvons pas consacrer usa législation qui n'établisse pas une démarcation entre le vol domestique et l'abus de confiance et qui ne nous donne pas le moyen de faire punir ceux qui auraient passé à l'étranger.

- Plusieurs membres. - A mardi.

M. le président. - Deux amendements ont été déposés, l'impression est de droit.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.