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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 19 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 321) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la séante précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Jean Pecka, garçon de magasin, à Bruxelles, né à Weert (partie cédée du Luxembourg), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur J.-B. Grogniez dit Quélus, professeur de déclamation au Conservatoire royal de musique de Bruxelles, né à Aurillac (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Tulpinck réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la jouissance de fondations de bourses. «

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Colson, ancien directeur de première classe aux manutentions militaires, présente de nouvelles observations à l'appui de sa demande ayant pour objet de faire régulariser sa position militaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Derkx s'offre comme traducteur des Annales parlementaires en langue flamande. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Sivry demandent la construction d'un chemin de fer de Peissant ou de Thuin à Chimay ou Momignies par Beaumont et Sivry. »

- Même renvoi.


« Les chefs de bureau et employés du commissariat de l'arrondissement de Marche prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Des ouvriers à Leuze demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers, diminuer la cherté des vivres et réduire les impôts qui pèsent le plus lourdement sur la consommation. »

« Même demande d'ouvriers à Zele. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion concernant les pétitions relatives au même objet.


« Le sieur Mertens présente des observations sur la question des servitudes militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion concernant les pétitions relatives au même objet.


« M. Faignart, rappelé chez lui pour une affaire urgente, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le crédit supplémentaire à allouer au département de la justice pour l'exercice 1861.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur une pétition

MgCµ. - Messieurs, je désire donner quelques explications à la Chambre sur les pièces dont j'ai fait le dépôt, conformément au désir exprimé par l'honorable M. Orts et par l'honorable M. de Gottal. Je désire aussi, messieurs, compléter les explications que j'ai données dans la séance de samedi et répondre aux différentes questions qui m'ont été posées. J'espère que ces nouvelles explications éclaireront le débat et vous permettront de vous prononcer avec connaissance de cause.

Au préalable, messieurs, je demande la permission de donner communication d'une lettre que j'ai reçue de M, le lieutenant général commandant la 4ème division territoriale.

Cette lettre fait connaître quelle est à Diest la position de M. Hayez, dont on veut faire une victime et que l'on représente comme martyrisé, en quelque sorte, par le département de la guerre.

L'honorable M. de Gottal a dit que cet officier était enfermé dans une casemate humide, malsaine, obscure. En sortant de la séance, j'avais envoyé l'ordre d'améliorer sa situation s'il était vrai qu'elle ne fût pas convenable.

Voici, messieurs, ce que m'écrit M. le lieutenant général commandant la 4ème division :

« Un membre de la Chambre des représentants ayant allégué, à la séance du 14 de ce mois, que le local occupé dans la citadelle de Diest par le lieutenant-colonel Hayez n'était nullement convenable pour y loger un officier et susceptible de compromettre la santé de celui qui l'habite, je me suis empressé de demander à ce sujet des renseignements au commandant de la place.

« J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que le susdit commandant fait connaître que M. le lieutenant-colonel Hayez est logé dans la chambre qu'occupe l'officier de garde, lorsque le poste de la citadelle est commandé par un officier. Ce local, qui se trouve au rez-de-chaussée est éclairé par deux grandes croisées ; il est sec, propre et dans un parfait état d'entretien ; le mobilier qui s'y trouve se compose d'un poêle à colonne, de deux tables, de plusieurs chaises, d'un fauteuil rembourré et d'un lit en fer très convenablement garni. Le commandant de la place ajoute qu'il n'a rien négligé pour rendre ce logement confortable, et qu'il a en outre autorisé M. Hayez à se procurer tous le superflu dont il jugerait à propos de se fournir ; c'est ainsi que son logement se trouve aujourd'hui pourvu de tapis de pied et de table, d'un lit à ressort, d'un canapé, etc.

« Enfin le commandant de la place considère le logement occupé par M. Hayez comme très sain et même plus agréable que celui qu'il pourrait se procurer en ville. Un soldat d'ordonnance a été misa sa disposition.

« En outre, il a été proposé à M. Hayez de lui permettre de se loger en ville, à la condition qu'il y gardât les arrêts et s'engageât à ne pas quitter sa résidence : il a déclaré formellement qu'il s'en irait aussitôt qu'il ne serait plus retenu par la force.

« J'ai en même temps l'honneur de vous informer, M. le ministre, que j'ai cru devoir fixer la punition encourue par M. le lieutenant-colonel Hayez pour avoir quitté sa garnison sans permission, en lui infligeant quinze jours d'arrêts dans la prison militaire pour absence illégale de sa résidence pendant treize jours. Je donne en même temps des ordres pour que, dans le cas où la prison de la ville n'offrirait pas de logement convenable, M. Hayez subisse sa punition dans le local qu'il occupe actuellement.

« Le lieutenant général commandant la division, « (Signé) Du Roy. »

Je ne sais pas ce qui provoque l'hilarité de certains membres. Si on conteste le fait, il sera très facile de s'en assurer, tout le monde peut aller le vérifier.

M. de Gottal. - Quelle est la date de la lettre ?

MgCµ. - La lettre est du 16 décembre.

J'ai reçu une note de M. l'inspecteur général de l'artillerie, dont je désire également vous donner communication parce qu'elle répond encore à d'autres allégations.

On vous dit que le commandement supérieur de l'artillerie de Termonde qui avait été donné à M. Haye, était un commandement ridicule, qui s'exerçait, je crois, sur un sergent et cinq ou six hommes.

Sans que je lui demandasse aucune espèce de renseignement à cet égard, M. l'inspecteur général de l'artillerie m'a envoyé la note suivante :

« Il perd entièrement de vue les règlements militaires sur le service des places ; voir aussi au sujet des devoirs qui incombent à un commandant supérieur d'artillerie, Piobeit, § 490, 491, 492 et suivants, qui résument ce qui a été écrit sur cette matière par les auteurs militaires les plus renommés, qui se sont occupés de la défense des places. La batterie de siège dont ce détachement faisait partie, était, en ce moment, employée au polygone de Bracoschaet. Elle est rentrée, à Termonde, le 3 septembre et avant cette époque, le 16 juillet, une batterie montée est venue tenir garnison à Termonde.

« Les longues études que le commandant supérieur avait à faire de la place, de ses moyens de défense, les inspections des magasins, du matériel, etc., n'exigeaient pas la présence des troupes qui devaient y être (page 322)

employées en temps de guerre ou de siège, et qui se livraient alors utilement aux exercices du tir.

« Dans une des visites que cet officier supérieur a faites à l'inspecteur général de l'artillerie pour lui exprimer ses doléances, celui-ci après lui avoir répété combien les fonctions dont il était chargé étaient importantes et prouvé qu'il n'avait aucun motif de se plaindre de la mutation dont il avait été l'objet, à l'occasion d'un avancement en grade, l'invita à préciser ses demandes de changement de position et lui demanda s'il voulait aller à Malines, à Mons ou dans deux ou trois autres places où il serait possible de lui donner de l'emploi, il déclina toutes ses offres. Anvers était la seule place où il désirât résider. »

J'ajouterai, messieurs, que ce commandement était, comme j'ai eu l'honneur de le dire, de la plus haute importance, vu le rôle que la place de Termonde joue dans notre système de défense. Il y avait alors dans cette place plus de 180 pièces de canon avec leurs armements et un arsenal pourvu de matériel de toute espèce. L'officier désigné pour commander l'artillerie avait à faire un travail immense pour se rendre compte de la topographie des environs de la place et pour en étudier le système d'attaque et le système de défense.

Quelques jours après la nomination de M. Hayez, des troupes arrivaient à Termonde.

Vous voyez, messieurs, que, loin d'être ridicule, ce commandement était tout à fait honorable.

Voici maintenant le motif que M. le lieutenant-colonel Hayez invoquait, en dernier lieu, à l'appui de ses demandes de congé, en transmettant, à la fin du mois de janvier dernier, à l'inspecteur général de l'artillerie une nouvelle demande de congé de trois mois.

« Le certificat médical déclare que mon état de santé est loin d'être satisfaisant. Ce qu'aucun médecin ne peut constater, c'est que mon moral est plus malade que mon physique, et que je me sens parfois dans un état d'exaspération telle, que la raison semble vouloir m'abandonner. »

Interrogé par l'inspecteur général de l'artillerie, s'il croyait qu'à l'expiration de son congé de trois mois, il serait en état de faire son service en toute circonstance, le lieutenant-colonel Hayez répondit :

« J'ai tout lieu d'espérer que trois mois de distraction suffiront amplement à mon entière guérison, cependant si contre mon attente, rien n'avait changé d'ici à trois mois, j'accepterais comme une faveur ma mise en non-activité, jusqu'à l'époque où j'aurai atteint la limite d'âge fixée pour la mise à la pension, par l'arrêté royal du 17 avril 1855. »

La demande de congé fut appuyée et favorablement accueillie, et le 8 mai, lorsque le tenue de congé était près d'expirer, M. le lieutenant-colonel Hayez écrivit à l'inspecteur général.

« J'ai l'honneur de vous exposer que je ne me sens pas la force de retourner à Termonde. En conséquence et comme suite à ma lettre du 8 février dernier qui répondait à votre dépêche du 7 du même mois, n°35, je vous prie de vouloir bien provoquer ma mise en non-activité, en attendant ma pension. »

Il accompagna cette demande d'une nouvelle demande de congé d'un mois, afin de se rendre à Londres, du 20 au 25 du mois courant, et ce nouveau congé lui fut accordé.

J'avais dit aussi que la lettre du 24 mai qui annonçait à M. Hayez les dispositions prises pour sa mise à la pension, et qui lui demandait de fournir la preuve de ses services, était restée sans réponse jusqu'au 18 juin. L'honorable M. de Gottal a fait remarquer que M. Hayez n'avait pas reçu la lettre plus tôt. Eh bien, M. l'inspecteur général me donne encore l'explication de ce fait : si M. Hayez n'a pas reçu plus tôt la lettre du 24 mai, c'est qu'il ne se trouvait pas dans sa résidence ; il était en Angleterre et on n'a pu lui remettre cette lettre qu'à son retour. Voilà donc encore un fait qui s'explique parfaitement.

Maintenant, je passe à l'examen des pièces que j'ai déposées sur le bureau, pour satisfaire au vœu de l'honorable M. Orts.

Je commencerai par vous dire, messieurs, que les pièces auxquelles on attachait le plus d'importance, celles sur lesquelles a roulé toute l'argumentation de l'honorable M. de Gottal et de quelques autres membres de cette Chambre, ces pièces, dis-je, sont inexactes ; je vais avoir l'honneur de vous le démontrer.

Je n'avais pas compris l'argumentation de ces honorables membres, parée que je ne pouvais pas supposer une erreur pareille.

Tour les personnes qui ne sont pas versées dans l'administration de la guerre, je demande la permission d'entrer dans quelques détails, afin de les mettre au courant de la question.

Parmi les nombreux livres d'administration des différents corps de l'armée, il y en a deux qu'on appelle le contrôle et la matricule. Le contrôle est un livre qui se renouvelle tous les ans ; dans ce livre sont inscrits tous les officiers du régiment, leur état de service et toutes les mutations qui les concernent. Ces mutations sont inscrites en vertu d’un formulaire donné par le département de la guerre.

La matricule est un registre qui ne se renouvelle pas, qui reste toujours dans le régiment, et l'on y inscrit toutes les mutations qui modifient la position des officiers.

Ainsi, dans le contrôle, que l'on peut considérer comme la minute de la matricule, on inscrit toutes les mutations, même celles qui ne modifient pas la position de l'officier ; comme, par exemple, les congés qui lui sont accordés, tandis que dans la matricule, on n'inscrit que les mutations qui modifient la position de l'officier, telles, par exemple, que les promotions, les décorations, etc.

Eh bien, messieurs, d'après les règlements, les mutations qui sont inscrites dans le contrôle doivent être textuellement inscrites dans les mêmes termes que dans la matricule. Or, l'extrait du contrôle et de la matricule et le certificat que l'on a délivrés dans le régiment à M. Hayez, sont inexacte et tous les deux sont différents. Je vais vous le prouver.

Le contrôle porte « 26 juin, admis à la pension. » Et la matricule porte « pensionné par arrêté royal du 21 mai 1861. »

Eh bien, messieurs, d'après le formulaire que je vais avoir l'honneur de vous lire, on aurait dû inscrire au contrôle « admis à faire valoir ses droits à la pension, par arrêté royal en date du...,. et lorsque M. Hayez aurait été pensionné, le second arrêté aurait dû être mentionné au contrôle et à la matricule, en ces termes « pensionné par arrêté royal en date du... ».

Je dois vous signaler, messieurs, un fait assez étrange. En même temps que M. Hayez, il y a eu une série d'officiers admis à faire valoir leurs droits à la pension.

Voici cet arrêté :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, Salut.

« Sur la proposition de Notre Ministre de la guerre,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Art. 1er. Sont admis à faire valoir leurs droits à la pension de retraite, les officiers ci-après désignés, savoir :

« Gillain, colonel, à l'état-major des places.

« Absil, capitaine, 5èmr de ligne,

« Predhom, capitaine, 9e de ligne.

« Vermersch, lieutenant, 1er de ligne.

« Malaise, major, commandant d'artillerie en résidence de première classe.

« Durant, capitaine, 11ème de ligne.

« Hayez, lieutenant-colonel, 2ème régiment d'artillerie.

« Bienvenu, capitaine, 3ème de ligne.

a Hartman, capitaine, 8ème de ligne.

« Cammaert, capitaine, 11ème de ligne.

« Devos, sous-lieutenant en non-activité.

a Dubois, capitaine en non-activité.

« Art. 2. Ces officiers cesseront de faire partie de l'armée à la date du 26 juin prochain, époque à laquelle leurs pensions prendront cours. »

Eh bien j'ai ici les inscriptions faites dans les différents régiments ; elles sont toutes conformes au libellé de l'arrêté, elles portent pour chacun des officiers que je viens de citer : « admis à faire valoir ses droits à la pension », et quand ces officiers sont effectivement pensionnés, elles portent : « pensionné par arrêt » de telle date ». Je puis, si on le désire, déposer ces pièces sur le bureau.

Je me suis demandé alors si dans le 2ème régiment d'artillerie on avait l'habitude de faire des inscriptions extra-réglementaires et pour m'en assurer, j'ai fait faire le relevé des inscriptions relatives aux officiers de ce régiment mis à la pension.

Ces inscriptions ont toutes été trouvées conformes à la formule réglementaire, et je puis, si vous le désirez, vous les communiquer.

Il n'y a que l'inscription concernant M. Hayez qui s'écarte de cette formule ; c'est un fait d'autant plus inexplicable, qu'il est unique. En effet, toutes les autres inscriptions, soit d'officiers admis à faire valoir leurs droits à la pension, soit d'officiers réellement pensionnés, sont établies d'après la formule réglementaire.

La Chambre comprendra le peu de fondement de l'argumentation qu'on avait cru pouvoir baser sur les inscriptions faites au contrôle et à la matricule du régiment, en ce qui concerne M. Hayez, puisqu'il est reconnu maintenant que ces inscriptions sont vicieuses et erronées.

L'honorable M. de Gottal, vous a dit : Messieurs, il y a deux instructions du département de la guerre, sur la tenue des feuilles matriculaires, l'une de 1849, l'autre de 1850, et si je ne me trompe, l'instruction de (page 323) 1850 est de M. le général Chazal lui-même, elle a détruit celle de 1849 et prescrit un autre formulaire.

L'honorable membre se trompe. L'instruction de 1849 est du général Chazal comme celle de 1850, elles ont été prises à peu d'intervalle l'une de l'autre, la seconde est le complément de la première.

Voici ce qui a donné lieu à ces instructions :

En entrant au département de la guerre, j'ai appris que les matricules des corps, qui sont l'état civil de l'armée, présentaient des négligences et n'étaient pas tenus d'une manière uniforme.

Après un examen sérieux j'ai nommé une commission qui a eu un travail immense à faire ; elle a constaté des erreurs nombreuses et le défaut de concordance des matricules particulières des corps avec la matricule générale du département de la guerre.

Pour régulariser cette branche de service, j'ai fait deux circulaires prescrivant la manière détenir la matricule dans les corps. La première est intervenue le 15 juin 1849.

Voici un des articles qu'elle renferme :

« On aura soin de transcrire les nominations ou les changements de position dans les mêmes termes que ceux qui sont employés dans les brevets ou les lettres d'avis. Donc, quand un officier est admis à faire valoir ses droits à la pension, le corps est tenu de se servir des termes de la lettre qui sont aussi ceux du formulaire : admis à faire valoir ses droits à la pension. »

La circulaire ministérielle prise quelques mois après en janvier 1850, disait : Pour donner plus de facilité aux différents corps dans leurs recherches, il y aura un formulaire spécial pour chaque corps ; un formulaire pour l'artillerie, un formulaire pour le génie, un pour l'état-major, un pour l'intendance, un pour le service de santé, etc., parce que les mutations des officiers ont un caractère particulier dans chaque arme.

Dans l'infanterie, il y a des mutations d'une certaine nature ; dans l'état-major il y en a d'une autre espèce.

Il y avait d'ailleurs une catégorie d'officiers qui avait été oubliée dans le premier formulaire et qu'il fallait absolument indiquer dans le second : ce sont les officiers pensionnés sans arrêté préalable les admettant à faire valoir leurs droits à la pension.

Ainsi, par exemple, un officier a des droits absolus à la pension. Il envoie toutes les pièces et on trouve qu'elles sont en règle ; il est évident dès lors qu'il peut être pensionné sans arrêté préalable.

Le second formulaire portait que, pour ces officiers, il fallait dire : « pensionné par arrêté royal du... »

C'était clair, c'était simple, c'était de bonne administration.

Peut-être objectera-t-on qu'il n'y a pas d'officiers pensionnés sans arrêté préalable, je pourrais en citer plusieurs ; le général Raikem, le colonel Vermeylen, du génie, et vingt-cinq autres depuis six ans.

Voilà donc un fait que je crois avoir éclairci.

Messieurs, toutes les objections qui ont été faites à la mesure prise proviennent de ce que l'on veut considérer l'arrêté qui admet un officier à faire valoir ses droits à la pension, comme un arrêté qui met l'officier hors de service.

Je vais vous prouver que cette extension n'est pas admissible.

Voici ce que porte l'article 6 de la loi de 1838 sur les pensions militaires :

« La cause, la nature et les suites de blessures ou infirmités qui donnent droit à une pension de retraite, seront justifiées dans les formes et dans les délais qui seront déterminés par un arrêté royal inséré au Bulletin officiel. »

Il fallait donc, immédiatement après la loi sur les pensions militaires, prendre un arrêté royal, et le faire insérer au bulletin officiel pour pouvoir appliquer cette loi. Cet arrêté royal a été porté immédiatement, il est du 19 août 1838 et la loi était du 24 mai de la même année. Eh bien, voici l'article premier de cet arrêté : « Tout militaire qui a des droits à faire valoir à la pension de retraite pour cause de blessures ou d'infirmités, est tenu de les faire valoir par la voie hiérarchique, avant de quitter le service. »

Or, si vous admettez que le premier arrêté qui admet un officier à faire valoir ses droits à la pension est l'arrêté qui lui fait quitter son service, il ne peut plus faire valoir les droits pour lesquels cet arrêté a été pris.

Ainsi, d'après votre système, un officier qui aura des infirmités, ne pourra plus les faire valoir, parce qu'il y a un arrêté qui l'admet à les faire valoir.

Je démontrerai, messieurs, que, sous ce rapport, la jurisprudence de la cour des comptes est tout à fait d'accord avec les errements du département de la guerre.

Le général Borremans est admis, par arrêté royal, à faire valoir ses droits à la pension.

Il ne fait pas de réclamations, et un nouvel arrêté le pensionne. Après cet arrêté, il fait valoir ses droits à une augmentation de pension du chef d'une blessure bien honorable. Le ministère de la guerre s'intéresse à la position du général, et il engage la cour des comptes à admettre cette augmentation de pension.

La cour refuse, alléguant « qu'il est trop tard, et que la loi ne permet pas la révision de la pension du général. »

Celui-ci s'adresse à la Chambre, qui lui témoigne la plus vive sympathie. Je le fais savoir à la cour des comptes ; mais elle persiste dans son refus. Permettez-moi, messieurs, de vous lire sa lettre :

« Bruxelles, le 21 décembre 1860.

« Monsieur le ministre,

« La cour des comptes a l'honneur de vous communiquer le résultat de l'examen auquel elle s'est livrée de la demande qui fait l'objet de votre dépêche du 15 avril dernier, et qui est relative à la révision de la pension du général Borremans.

« La cour croit inutile, monsieur le ministre, de rappeler toutes les phases de cette affaire, elle se bornera ainsi à répondre à la question que vous lui soumettez par votre dépêche précitée.

« Vous informez la cour, que, partageant la manière de voir de messieurs vos prédécesseurs, vous avez cru devoir, suivant en cela l'avis de la cour elle-même, déférer l'affaire dont il s'agit à vos collègues réunis en conseil, et que le conseil des ministres a pensé que la discussion qui a eu lieu à la Chambre et la sympathie avec laquelle on y a examiné la réclamation du général Borremans, seraient peut-être de nature à engager la cour des comptes à ne pas persister dans son refus de visa, si la question venait de nouveau à être soumise à sa décision.

« Vous ne sauriez ignorer, M. le ministre, toute la sympathie que la cour des comptes porte au général Borremans ; elle croit en avoir donné tous les témoignages en son pouvoir, dans la correspondance intervenue entre votre département et elle, au sujet de la question qui l'intéresse.

« Mais la cour se trouve liée par les lois et les règlements, et aussi longtemps qu'il ne lui sera point démontré qu'on s'y est conformé, la liquidation devient pour elle une impossibilité.

« La circonstance que l'affaire a été mise sous les yeux de la Chambre des représentants, et qu'elle y a provoqué toute sa sympathie, n'aurait pu changer cet état de choses que pour autant que la discussion eût fait jaillir sur la question de nouvelles lumières, ce qui n'a pas eu lieu.

« La cour ne peut donc que répéter ce que déjà elle a eu l'honneur de vous dire, à savoir : Que la question est toute autre pour le ministère et pour la cour des comptes ; que cette dernière n'a pas à s'enquérir si des infirmités existaient, mais bien si celles-ci ont été constatées en temps utile, et de la manière déterminée par la loi.

« La réponse à cette double question étant négative, la cour ne peut passer outre au visa, pas plus aujourd'hui qu'hier.

« La cour des comptes,

« Le président, Th. Fallon.

« Par ordonnance : le greffier, Dassesse. »

Voilà donc, messieurs, comment la cour des comptes juge cette affaire.

Voyons, maintenant, si la cour procède de la même manière, lorsque les officiers sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite par un premier arrêté, si la cour les considère comme ayant quitté le service lorsqu'ils ont fait valoir leurs droits après la date fixée pour l'entrée en jouissance de la pension.

M. le général de Gruquembourg est admis par un de mes prédécesseurs, M. le général Anoul, à faire valoir ses droits à la retraite par arrêté royal du 19 décembre 1853. Sa pension devait prendre cours le 29 décembre 1853. Il subit cependant une visite médicale le 12 janvier 1854, et sa pension est réglée par arrêté royal du 10 février 1855.

C'est donc un mois dix-huit jours après le premier arrêté que mon prédécesseur le général Anoul ordonne des contre-visites, et la cour admet la liquidation.

Croyez-vous, messieurs, que ce soit là une exception ? L'honorable général Greindl, qui interprétait la loi exactement comme moi, fait admettre par arrêté royal en date du 24 avril 1855, M. le major Meunier à faire valoir ses droits à la pension de retraite, en fixant au 20 juin l'époque de l’entrée en jouissance de cette pension.

Cependant cet officier subit de nouvelles visites médicales le 30 juin et le 12 juillet de la même année. La pension est réglée par arrêté royal du 11 septembre 1855 et la cour des comptes liquide.

M. le général Berten fait la même chose.

Il avait fait admettre, par arrêté royal en date du 19 mars 1859, M. le capitaine Boirot à faire valoir ses droits à la pension de retraite en fixant au 29 mars l'entrée en jouissance de cette pension. Cet officier subit (page 321) cependant encore une visite médicale le 6 avril et sa pension est réglée le 18 mai 1859.

Enfin, messieurs, sous mon ministère actuel, M. le major Dresse fut admis, par arrêté royal du 11 novembre 1859, à faire valoir ses droits à la retraite, parce qu'il avait atteint la limite d'âge fixée par la loi. Sa pension devait prendre cours le 26 décembre de la même année. Eh bien, cet officier fit valoir des droits à une pension d'un chiffre plus élevé pour cause d'infirmités, et il subit une visite médicale le 10 janvier 1860. La pension fut réglée pour infirmités par arrêté royal du 15 février.

Voilà donc, messieurs, des faits qui prouvent que la manière de voir de la cour des comptes est exactement la même que celle du département de. la guerre, pour l'interprétation de la loi et de ce premier arrêté royal.

On a dit aussi :

« Mais vous considériez si bien cet officier comme pensionné que vous lui avez accordé certaines faveurs qu'on accorde aux officiers admis à la pension. »

Mais quand on communique à un officier l'arrêté royal qui l'admet à faire valoir ses droits à la pension, on lui demande en même temps s'il entend jouir des soins médicaux. Jadis les officiers, lorsqu'ils étaient pensionnés, n'avaient pas droit à ces soins ; j'ai pensé que les officiers pensionnés en avaient peut-être plus besoin que les autres et j'ai soumis à Sa Majesté un arrêté pour leur donner le droit d'en jouir moyennant une légère retenue sur le montant de la pension.

On demande donc à 1'oflicier qu'on admet à faire valoir ses droits à la pension, s'il veut jouir des soins médicaux, niais il ne faut pas inférer de là qu'il est considéré comme pensionné. Ce sont là des mesures préliminaires qu'il faut prendre afin de pouvoir déterminer exactement quelle sera la position de l'officier lorsque sa pension sera liquidée.

On a demandé encore, messieurs, quelle était, suivant la loi, la position d'un officier admis à faire valoir ses droits à la pension. Cette position est bien simple : lorsqu'un officier est admis à faite valoir ses droits à la retraite, il reste dans la position où il est jusqu'au moment où sa pension est liquidée, à moins de circonstances exceptionnelles dont on peut citer plusieurs exemples.

En voici un :

Sous le ministère du général Anoul, un lieutenant-colonel commandant d'une place est admis à faire valoir ses droits à la pension.

Au moment où il reçoit l'avis de cette disposition, il commet un acte d'indiscipline. Le ministre fait rapporter l'arrêté et en provoque un autre qui le place en non-activité de service.

Ou dira que le cas n'est pas identique, attendu que la mesure prise contre cet officier, admis à faire valoir ses droits à la pension, le fut avant le terme fixé dans l'article 2 de l'arrêté royal pour l'entrée en jouissance de cette pension.

J'admets la distinction ; mais alors, d'après le système préconisé par mes adversaires, le ministre de la guerre n'avait pas le droit de faire durer la punition de cet officier au-delà du jour fixé pour l'entrée en jouissance de la pension, jour où, selon mes honorables contradicteurs, il est libéré du service. Mais, M. le général Anoul a maintenu le lieutenant-colonel dont il s'agit, jusqu'au mois de décembre, c'est-à-dire trois mois après la date fixée par le premier arrêté, pour l'entrée en jouissance de la pension, et cet officier n'a pas réclamé. Personne n'a trouvé la chose illégale.

Je citerai encore un autre exemple, et il y en a une infinité.

M. le colonel Libotton est, admis à faire valoir ses droits à la pension de retraite le 17 mai 1846. C'est sous le ministère du général Prisse. Vous voyez que tous mes prédécesseurs ont eu la même manière de voir que moi dans ces circonstances.

Le terme fixé pour entrer en jouissance de la pension, qui est, d'après ces messieurs, la date de la libération du service, était fixé au 1er juin.

M. Libotton reste cependant à la tête de son régiment, et le 15 juin, trois jours après la date fixée pour entrer en jouissance de sa pension, il punit le lieutenant-colonel de son régiment. Le lieutenant-colonel dit : Vous n'avez pas le droit de me punir.

On en réfère au département de la guerre qui ne considère nullement M. le colonel Libotton comme pensionné, mais seulement comme admis à faire valoir ses droits à la pension, et qui confirme les arrêts infligés au lieutenant-colonel.

Voici encore un autre exemple tout aussi concluant que le précédent pour prouver que le premier arrêté royal qui admet cet officier à faire valoir ses droits à la pension de retraite, ne le libère pas du service.

Le capitaine Verleysen a été admis à faire valoir ses droits à la pension par arrêté royal du 21 mai 1850, lequel arrêté porte que cet officier a cessera d'appartenir à l'armée le 1er juin suivant.

A la suite d'une contre-visite médicale à laquelle cet officier fut soumis le 20 juin, on reconnut qu'il pouvait encore rendre des services.

Un arrêté du 30 juin rapporta alors l'arrêté du 21 mai, en disant que cet officier reprendrait, à partir du 1er juin, sa position ancienne dans la division de réserve et qu'un rappel de traitement serait fait à son profit depuis ledit jour.

Si M. Verleysen avait été pensionné au 1er juin, il n'aurait pu être réintégré dans les cadres de l'armée le 30 du même mois.

Je pourrais encore citer d'autres cas, messieurs, mais je ne veux pas abuser de votre patience, car j'ai encore plusieurs raisons à faire valoir.

On a demandé ce qui adviendrait si un officier refusait de faire valoir ses droits, de produire ses titres. On a demandé s'il resterait indéfiniment soumis aux lois militaires. Mais, messieurs, quand un officier ne produit pas ses titres, on lui envoie, avec l'arrêté qui l'admet à faire valoir ses droits à la pension, ses états de service, et le relevé des droits qui lui sont acquis d'après les pièces officielles déposées au département de la guerre.

Si l'officier ne réclame pas, c'est qu'il trouve cet état exact, et il est pensionné.

Ainsi donc, des officiers qui ne réclameraient pas seraient mis à la pension d'après les états de service du département de la guerre. Ce cas se présente tous les jours.

Enfin, on a demandé ce qui adviendrait d'un officier ayant de la fortune et ne voulant pas accepter de pension.

Il est naturel d'admettre que si cet officier ne voulait pas être pensionné, il offrirait sa démission.

El si cette démission était acceptée, il serait complètement libéré du service militaire.

Toutefois, conformément à l'article 4 du Code pénal militaire, il resterait encore un an et six semaines sous la juridiction militaire, pour les actes d'indiscipline qu'il pourrait poser et qui auraient trait à son ancien service.

L'honorable M. de Gottal a fait encore une supposition.

Dans le cas, dit-il, où un officier se trouvant dans la même position que M. le lieutenant-colonel Hayez, manifesterait l'intention de se mettre sur les rangs pour arriver à la Chambre, il pourrait dépendre du ministre de la guerre de lui en fermer l'entrée en arrêtant le règlement de sa pension.

Je ne sais, messieurs, si l'on peut faire des suppositions de cette nature.

Mais évidemment, si un officier qui n'a pas de droits à la pension se portait candidat à la représentation nationale, si même il était nommé député, l'élection ne pourrait être validée, non par le fait du ministre de la guerre, mais bien par le fait de la loi des incompatibilités.

Il en serait de même de l'officier qui, n'ayant pas de droit à être pensionné, se ferait élire député, sauf à donner sa démission.

Mais, messieurs, l'officier ne dépend pas seulement de lui-même ; il dépend aussi du gouvernement.

Si un officier pouvait quitter le service sans autorisation du gouvernement, il n'y aurait plus de discipline, il faudrait supprimer le code pénal.

M. de Renesse. - Il n'y aurait plus d'armée.

MgCµ. - Certes il n'y aurait plus d'armée.

L'honorable M. de Gottal a encore fait une supposition. Je lis dans le Moniteur...

Messieurs, j'ai beaucoup de peine à y voir. Je me reposerai un moment en attendant que l'on ait apporté de la lumière.

- La séance est suspendue pendant 10 minutes.

M. Vervoort remplace M. E. Vandenpeereboom au fauteuil de lu présidence.

MgCµ. - M. de Gottal a fait encore, messieurs, une autre supposition.

Je cite le passage de son discours tel qu'il est dans les Annales parlementaires.

« Messieurs, voyons les conséquences où l'on arriverait dans le système de M. le ministre de la guerre.

« Je suppose qu'un officier qui se trouve dans le cas du pétitionnaire, vienne à décéder avant le règlement de sa pension, quels seront les droits de ses héritiers ?

« Seront-ils admis à venir prétendre que, parce que la pension n'était pas réglée, l'officier n'était pas pensionné et que, par conséquent, ils ont (page 325) ont droit à la solde entière du jour fixé pour l’entrée en jouissance de la pension jusqu’au jour du décès ? La cour des comptes, et je crois qu’elle serait dans le vrai, n’accepterait pas cette prétention et elle dirait : Non la pension de l’officier étai définitivement acquise à partir de cette époque et vous ne pouvez plus prétendre qu’au droit qu’avait le pensionné, c’est-à-dire au règlement de sa pension.

Telle est l'opinion de M. de Gottal.

Eh bien, messieurs, c'est précisément l'opinion contraire qui prévaudrait el qu'a soutenue la cour des comptes.

Les héritiers auraient le droit de dire : L'officier n'était pas pensionné, il n'était qu'admis à faire valoir ses droits à la pension. Donc nous avons droit à la totalité de son traitement jusqu'au jour de son décès.

En voulez-vous une preuve ? La voici :

Le sous-intendant de première classe Dauchie a été admis, le 14 juin 1853, sous l'administration de M. le général Anoul, à faire valoir ses droits à la pension, et le 28 du même mois était le jour fixé pour l'entrée en jouissance de cette récompense. Cet officier est mort le 14 juillet avant que le second arrêté, l'arrêté de pension, eût été pris.

Eh bien, messieurs, les héritiers ont réclamé la totalité du traitement de M. Dauchie jusqu'au jour de son décès.

Ils ont dit qu'il n'était pas pensionné, et la cour des comptes a parfaitement liquidé. Si c'était là un cas exceptionnel, on pourrait dire que la cour des comptes a pu faire erreur, mais en voici plusieurs autres.

Sous le ministère du général Brialmont, M. le médecin de régiment Lutens estadmis à faire valoir ses droits à la pension de retraite, le 25 novembre 1850, et l'entrée en jouissance est fixée au 1er décembre suivant.

Le 23 janvier 1851, il meurt. Ses héritiers réclament, comme l'avaient fait les héritiers de M. Dauchie, le montant de son traitement ; on le leur accorde et la cour des comptes liquide.

M. Dolez. - Son traitement d'activité ?

MgCµ. - Evidemment. Ce n'est pas tout. M. le major Janssens fut admis, sous le ministère de M. le général Anoul, à faire valoir ses droits à la retraite par arrêté du 29 novembre 1852, l'époque de l'entrée en jouissance fut fixée au 1er décembre suivant. 1

Cet officier supérieur meurt le 16 janvier. Les héritiers réclament encore une fois la totalité de son traitement et la cour des comptes liquide de nouveau.

On me demandait, messieurs, où l'on irait avec le système du département de la guerre ; mais je demanderai, à mon tour, où l'on irait avec le système de mon honorable contradicteur.

D'après ce dernier système, il aurait fallu, dans les cas que je viens de citer, que le ministre de la guerre soumit au Roi un arrêté pour pensionner un mort.

M. de Gottal. - Cela s'est fait déjà.

MgCµ. - J'en doute.

M. de Gottal. - On a même mis des morts en non-activité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On peut ignorer la mort d'un individu.

MgCµ. - Si cela s'est fait déjà, ce ne peut être que par erreur, et l'on ne prétendra certes pas que des erreurs puissent former jurisprudence.

Messieurs, je pense que ces explicitions suffiront pour prouver que la plupart des hypothèses de nos honorables adversaires sont dépourvues de fondement ; qu'elles s'écroulent devant l'évidence des faits.

Elles prouveront aussi que je n'ai fait que suivre les errements de mes prédécesseurs, MM. les généraux Prisse, Brialmonl, Anoul, Greindl et Berten, errements que la cour des comptes a constamment sanctionnés. Je crois que mes adversaires ont été induits en erreur sur quelques faits que.je viens de rectifier, erreurs résultant de ce qu'on a donné peut-être une extension trop grande au texte de l'arrêté qui admet les officiers à faire valoir leurs droits à la pension.

Mais, messieurs, je ne défends nullement la formule de l'arrêté dont il s'agit.

Si l'on me demandait mon opinion sur ce point, je dirais que je ne la trouve nullement heureuse, mais cette formule n'est pas de moi, elle remonte à 1844, et bien que depuis lors on ait pensionné environ treize cents officiers, elle a été appliquée pendant 18 ans sans avoir jamais donné lieu à aucune observation.

Si l’on reconnaît aujourd’hui la formule vicieuse, il suffirait de la modifier et de faire disparaître toute équivoque.

J'ajouterai même que la question est déjà à l'étude au département de la guerre et je crois qu'il suffirait d'un seul mot pour donner satisfaction à tout le monde. L'article premier de l'arrêté est ainsi conçu :

« Sont admis à faire valoir leurs droits à la pension de retraite, les sieurs... »

Et l’article 2 porte :

« Ces officiers cesseront d'appartenir à l'armée à la date du..... époque à laquelle leur pension prendra cours. »

Que l'on ajoute un seul mot, en disant :

« Ces officiers cesseront éventuellement d'appartenir à l'armée.....» et il n'y aura plus de doute possible.

Messieurs, je viens d'avoir l'honneur de vous exposer de nouveau les faits tels qu'ils se sont passés ; j'ai cherché à vous les expliquer le plus simplement, le plus clairement que j'ai pu.

Je ne suis pas jurisconsulte.

Je ne puis donc pas avoir la prétention déplacée de traiter la question au point de vue du droit.

Je déclare mon incompétence la plus complète sous ce rapport. Je croirais même me rendre quelque peu ridicule si je voulais traiter une question de droit dans une assemblée comme celle-ci où brillent tant de jurisconsultes éminents.

Mais je crois que la Chambre doit se placer à un autre point de vue ; elle doit examiner si l'interprétation du ministre de la guerre n'a pas été loyale, constante, utile ; si le ministre n'a pas suivi la jurisprudence constante de son département et de la cour des comptes, si enfin le ministre de la guerre pour lequel la discipline est un dépôt sacré dont il est responsable envers le Roi et envers le pays, et qui n'est pas même libre et je dis ceci pour l'honorable M. Goblet, de se montrer généreux pour celui qui la viole envers lui, parce qu'il doit la transmettre intacte à son successeur, pouvait agir autrement que je l'ai fait.

M. Grosfils. - Non certainement.

M. de Gottal. - L'honorable ministre de la guerre vient de nous entretenir encore pendant quelques instants de la personne de M. Hayez. Dans la dernière séance, j'avais, en prenant la parole, demandé l'impression de la correspondance échangée entre le département de la guerre et le pétitionnaire. Sur l'observation d'un de mes collègues...

MgCµ. - Voulez-vous me permettre d'ajouter encore un mot ? J'ai oublié une chose essentielle.

M. de Gottal. - Très volontiers.

MgCµ. - Quand je vous ai parlé, messieurs, de mon intention de donner des ordres (tl ces ordres je les ai donnés déjà) pour examiner la question de rectification de l'arrêté-formule, je voulais répondre à un passage du discours de l'honorable M. Orts.

L'honorable membre m'avait dit dans la dernière séance : Traduisez M. Hayez devant la cour militaire et je me tiens pour satisfait. Je ne pouvais pas à ce moment-là accéder à la demande de l'honorable M. Orts et cela par une raison bien simple : j'avais puni M. Hayez pour le fait d'indiscipline qu'il avait commis. Or, si je traduisais M. Hayez devant la cour militaire, après l'avoir puni, on m'opposerait infailliblement un non bis in idem, auquel je n'aurais rien à répondre.

M. le lieutenant-colonel Hayez a été puni pour l'acte d'indiscipline qu'il a posé ; depuis lors une nouvelle infraction disciplinaire de sa part a été réprimée par le lieutenant général commandant la division militaire ; de ce chef il a été puni de 15 jours d'arrêts à la citadelle de Diest.

M. Hayez a déclaré qu'il quitterait la résidence qui lui a été assignée dès qu'il ne serait plus retenu par la force.

Eh bien, messieurs, si M. Hayez traduit cette intention en fait, il se mettra en état de rébellion ouverte.

Je serai obligé de le traduire devant la cour militaire qui aura à examiner la question. Si la cour militaire prononce un jugement qui ne convient pas à M. Hayez ou au gouvernement, la cour de cassation scia naturellement appelée à statuer, et l'on satisfera ainsi au désir de l'honorable M. Orts, sans que la discipline soit compromise. Pour moi, je ne tiens qu'à une chose, c'est que le principe de la discipline reste intact.

M. de Decker. - Il me semble que cette réclamation doit donner satisfaction à tout le monde.

MgCµ. - Le lieutenant-colonel Hayez déclare qu'immédiatement après l'expiration de ses arrêts il quittera la résidence qui lui a été assignée. Je ne puis pas avoir toujours un officier de gendarmerie employé à conduire cet officier d'Anvers à Diest.

Or, si M. le lieutenant-colonel Hayez s'absente de nouveau illégalement, ce sera une rébellion ouverte, et en vertu du Code pénal militaire, je serai obligé de le traduire devant la cour militaire. Mais, comme il prétend n'être plus militaire, il ne reconnaîtra pas la juridiction de la cour et il plaidera l'incompétence. La cour aura à prononcer ; si l'arrêt lui est défavorable, il se pourvoira devant la cour de cassation ; s'il nous est défavorable, nous suivrons la même voie, de sorte que, dans l’un et l’autre cas, la cour de cassation aura inévitablement à se prononcer.

Je ne puis pas faire autrement.

M. Orts. - C’est ce que j’avais demandé.

MgCµ. - Je demande à dire encore un mot ; l'honorable M. de Gottal demande quelle sera la position de M. le lieutenant-colonel Hayez, en attendant que la cour prononce.

Comme je l'ai déjà dit, je ne puis continuer à faire conduire M. le lieutenant-colonel Hayez d'Anvers à Diest. Je le laisserai libre jusqu'à ce que la cour ait décidé.

M. Orts. - D'après les explications que vient de donner M, le ministre de la guerre, le débat peut être simplifié. Mais il est bon que la Chambre prenne acte des déclarations ministérielles, non qu'il y ait la moindre défiance de la loyauté du ministre dans ma pensée, loin de là. M. le ministre de la guerre a annoncé l'intention de faire résoudre la question par la haute cour ; il tiendra sa promesse.

Mais la Chambre a apprécié l'importance do la question soulevée ; l'examen auquel elle se livre depuis deux séances le démontre assez.

Il est de sa dignité de faire quelque chose et de s'associer à la mesure que le ministre annonce vouloir prendre.

En conséquence je propose un ordre du jour motivé, ainsi conçu :

« Considérant que la pétition du sieur Hayez soulève une question de droit dont la solution appartient au pouvoir judiciaire, la Chambre exprime le vœu que le gouvernement défère le sieur Hayez à la haute cour militaire et passe à l'ordre du jour. »

MgCµ. - Je n'ai qu'une observation à faire sur la proposition de l'honorable M. Orts. Il désire que la Chambre « exprime le vœu » que le gouvernement défère le sieur Hayez à la cour militaire ; je désire qu'on y ajoute : « s'il y a lieu » ; car s'il ne pose aucun fait répréhensible nouveau, je ne puis pas le traduire devant la cour militaire, on nie répondrait : « Vous l'avez puni, il accepte sa punition. »

On n'aboutirait pas dans ce cas ; mais il est certain que M. Hayez quittera Diest après ses arrêts, il l'a annoncé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici une rédaction qui, je pense, pourra satisfaire tout le monde :

« La Chambre, considérant que la pétition du sieur Hayez soulève une question de droit, dont la solution appartient exclusivement au pouvoir judiciaire, après avoir entendu les explications de M. le ministre de la guerre, passe, à l'ordre du jour. » (Interruption.)

Je n'attache pas d'importance à une rédaction plutôt qu'à une autre. Mais voici ce qui ne doit pas et ne peut pas se trouver dans la résolution que la Chambre prendra. On émet le vœu que le gouvernement défère le sieur Hayez à la haute cour ; il ne peut le faire que si le sieur Hayez commet une infraction au Code pénal militaire ; il peut n'en pas commettre, il peut se soumettre, cela dépend de lui ; la Chambre ne peut pas émettre le vœu qu'on le traduise, quand même, devant une juridiction répressive ; elle ne peut pas prévoir qu'il commettra une contravention ou un délit qui le rende justiciable de cette juridiction. Qu'on propose une autre rédaction que la mienne si l'on veut ; nous sommes d'accord sur le fond ; mais il me semble que la Chambre, prenant acte de la déclaration du ministre, peut passer à l'ordre du jour.

M. de Decker. - Messieurs, j'ai, comme vous tous, écouté attentivement les explications fournies par l'honorable ministre de la guerre. Il me paraît avoir prouvé à la Chambre qu'il a apporté une parfaite loyauté dans l'interprétation qu'il a cru devoir donner aux arrêtés relatifs à la mise à la pension des officiers. La conduite tenue en cette circonstance par l'honorable ministre semble avoir été conforme aux antécédents du département de la guerre.

Les dernières paroles de M. le ministre de la guerre m'avaient suggéré comme à l'honorable M. Orts, l'idée de proposer un ordre du jour motivé.

La question qu'il s'agit de résoudre ne me paraît pas de la compétence de la Chambre. Nous sommes en présence d'une question délicate ; on pourrait éviter des émotions, qu'il me paraît inutile de soulever dans ce débat.

Le ministre a la conviction d'avoir rempli son devoir ; quelles que soient les conséquences que peut entraîner l’accomplissement de ce devoir, nous devons notre appui au ministre. Mais nous devons, avant tout, faire respecter la loi. Quelles que puissent être nos sympathies pour M. le ministre de la guerre, nous ne pouvons pas consacrer par notre vote une illégalité.

Le corps compétent pour décider la question c'est la haute cour militaire ; je voudrais qu'on pût, par un vote unanime, renvoyer l'affaire devant cette cour, sans en préjuger.

M. de Gottal. - Je ne puis pas accepter l’ordre du jour tel qu’il a été proposé, à moins (2 ou 3 mots illisibles) de la part du ministre de ne pas maintenir, comme l’ordre en a été donné, pendant quinze jours, le colonel Hayez aux arrêts sans accès.

Par suite de l’engagement pris samedi on a voulu le mettre en liberté et le laisser loger dans la ville s’il donnait sa parole de ne pas quitter cette résidence ; il a refusé. Je n’ai pas à apprécier ses motifs ; mais à l’instant où cet ordre a été donné à Diest, le général commandant la division a informé le commandant de la place de Diest que le lieutenant-colonel Hayez devait subir quinze jours de prison militaire. De sorte qu’au lieu d’être améliorée, sa position s’est empirée.

Si M. le ministre veut prendre l'engagement que cette peine sera suspendue, et si alors M. le lieutenant-colonel Hayez vient à quitter la place de Diest, on pourra le déférer à la haute cour militaire, comme la proposition en a été faite.

Ce n'est qu'à cette condition que je puis voter l'ordre du jour tel qu'il est proposé.

MgCµ. - Lorsque, samedi dernier, l'honorable M. de Gottal nous a fait savoir que M. le lieutenant-colonel Hayez était dans une casemate obscure, humide, malsaine, mon premier mouvement a été de vous dire que si la chose était ainsi, je m'empresserais de la faire cesser. Je vous ai lu la réponse du lieutenant général. M. le lieutenant-colonel Hayez ayant commis une infraction à la discipline, le lieutenant général l'a puni. Si j'allais désavouer le lieutenant général, si j'allais lever la punition qu'il a infligée à M. IHyez, je méconnaîtrais toutes les lois de la discipline et je condamnerais l'officier général qui a dû réprimer une infraction à ces lois.

La punition de M. Hayez court déjà depuis sept ou huit jours.

M. de Gottal. - Depuis lundi à midi.

MgCµ. - Eh bien, c'est une affaire de quelques jours.

Vous avez vu comment M. le lieutenant-colonel Hayez est logé. On lui a même donné la faculté de garder les arrêts en ville.

Quand M. le lieutenant-colonel Hayez aura terminé ses arrêts, il sera mis en liberté et il lui sera loisible d'agir comme il le voudra. On n'y mettra aucun obstacle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est au pouvoir du pétitionnaire de se pourvoir immédiatement devant les tribunaux pour faire cesser ce qu'il considère comme une arrestation illégale, comme une détention arbitraire.

M. B. Dumortier. - Il ne le peut pas. La Constitution le lui défend.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le lieutenant-colonel Hayez prétend qu'il a été rendu à la vie civile. Il prétend qu'il est un simple citoyen, et comme tel non soumis à la discipline militaire. Il est donc victime, selon lui, d'une arrestation et d'une détention arbitraires. Il a, ce me semble, le droit de se pourvoir en référé devant le président du tribunal. Il peut se pourvoir en tous cas devant les tribunaux par voie d'action en dommages-intérêts contre ceux qui ont opéré l'arrestation.

M. De Fré. - Il ne peut se pourvoir en référé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il peut se pourvoir devant les tribunaux. (Interruption.) Il a pu saisir les tribunaux de la question ; il ne l'a pas fait jusqu'à présent.

Nous voulons, au surplus, déférer nous-mêmes la question à la juridiction militaire, mais il faut pourtant que M. Hayez puisse être traduit devant cette juridiction. On ne peut demander qu'on le traduise devant la haute cour, s'il ne commet pas une infraction, un délit. Que peut de plus M. le ministre de la guerre ? Absolument rien. Il fera tout ce qui dépendra de lui pour que M. Hayez soit déféré aux tribunaux, d'une façon quelconque, afin que la question qui est soulevée soit décidée par le pouvoir judiciaire, puisque l'on reconnaît que cette question ne peut être décidée que par ce pouvoir. Il me semble que M. le ministre de la guerre fait tout ce qu'il peut faire en pareille circonstance.

M. Tack. - Je suis tout prêt à voter un ordre du jour qui a pour effet de déférer la question aux tribunaux. Je reconnais, avec l'honorable M. de Decker, que l'honorable ministre de la guerre a agi loyalement dans l'occurrence, qu'il y a des précédents sur lesquels il a pu se fonder, qu'il peut y avoir doute sur l’interprétation de la loi.

Mais si le doute existe pour M. le ministre de la guerre, il a existé aussi pour M. le lieutenant-colonel Hayez, et il me semble dès lors qu’il y a lieu de faire pour ce dernier tout ce qu’il est possible de faire en ce moment et de tenir compte de la position exceptionnelle où il se trouve pour le traiter avec bienveillance.

Je ne pense pas que M. le lieutenant-colonel Hayez puisse se pourvoir (page 327) efficacement devant les tribunaux civils comme l'a dit M, le ministre des finances, sans l'intervention préalable de la Chambre. L'intention de l'honorable M. Orts est, sans doute, de répondre à cette partie du discours de M. le ministre des finances ; si j'ai bien compris, c'est pour cela qu'il a demandé la parole. Je lui laisserai donc ce soin.

Mais, quant au second moyen de se faire rendre justice qu'on veut fournir au lieutenant-colonel Hayez, savoir : la comparution devant la haute cour militaire, je dois le repousser du moins dans les termes indiqués ; en effet, l'honorable général Chazal place le lieutenant-colonel Hayez dans une très fausse position, il le met en demeure de commettre un acte de rébellion. Cela n'est pas acceptable. (Interruption.)

Il est vrai que M. le lieutenant-colonel Hayez a déclaré que du moment qu'il le pourrait, il quitterait la place de Diest. Mais au point de vue de M. le ministre de la guerre, c'est bien là un délit. J'ai, par conséquent, le droit de dire que c'est mettre le lieutenant-colonel Hayez en demeure de poser un acte de rébellion, de réaliser sa menace pour pouvoir comparaître devant les tribunaux. Je voudrais qu'on trouvât une formule d'ordre du jour qui pût nous éviter cette conséquence, absurde et immorale.

MpVµ. - La parole est à M. Goblet.

M. Gobletµ. - Je la cède à M. Orts.

M. Orts. - Messieurs, je ne demande qu'à dire deux mots sur la question que vient de soulever très incidemment M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances est dans l'erreur s'il croit qu'il a été possible au lieutenant-colonel Hayez de saisir la justice civile de sa réclamation. Si la chose avait été possible, je suis intimement convaincu que le lieutenant-colonel Hayez n'aurait pas attendu le conseil de M. le ministre des finances, pour s'adresser à une autorité quelconque pouvant s'établir juge entre lui et M. le ministre de la guerre.

« L'arrestation, selon vous, dit M. le ministre, est arbitraire. Tout citoyen, victime d'une arrestation arbitraire, a le droit de s'adresser en référé au président du tribunal de première instance pour obtenir sa mise en liberté. »

M. le ministre se trompe. Cela est vrai dans un cas, cela ne l'est pas dans l'autre. Voici les deux hypothèses :

Lorsqu'un citoyen est arbitrairement arrêté par quelqu'un qui n'est pas, au nom de la loi, investi du droit d'arrestation, il peut immédiatement user du remède que lui indique M. le ministre des finances.

Si un citoyen, n'étant revêtu d'aucune fonction publique qui lui permette de faire procédera l'arrestation d'un autre citoyen, se permet cet attentat à la liberté individuelle, le Code d'instruction criminelle permet l'intervention immédiate de la justice et la justice fait relâcher celui qui a été incarcéré par ordre de l'individu dénué de toute espèce de caractère, pour procéder à des arrestations.

Mais lorsque l'arrestation est faite par ordre d'un fonctionnaire qui a le droit d'arrestation, le cas est prévu par les articles 414, et suivants du Code pénal. Le fonctionnaire a commis un abus de son droit en arrêtant ; il a commis un attentat à la liberté individuelle, c'est sans doute un délit. Mais pour pouvoir le poursuivre, il faut que le fonctionnaire qui s'en est rendu coupable ne puisse pas s'abriter derrière l'ordre ou la responsabilité de ses supérieurs qui répondent pour lui. Et comme ici le supérieur est M. le ministre de la guerre et que M. le ministre de la guerre ne blâmera pas l'usage qui a été fait du droit d'arrestation, c'est à M. le ministre de la guerre seul que le lieutenant-colonel Hayez peut s'en prendre. Or, lorsqu'on a à s'en prendre à un ministre d'un acte arbitraire qu'il a commis, on se trouve placé devant la loi qui règle la responsabilité ministérielle, soit au point de vue de la répression du délit, soit au point de vue de l'action civile, c'est-à-dire d'une simple demande de dommages-intérêts.

D'après la Constitution, seule loi sur la matière, aucune de ces actions ne peut être exercée contre un ministre, si ce n'est après la mise en accusation de ce ministre par la Chambre des représentants. Ainsi l'a décidé la cour de cassation dans une affaire qui présentait quelque analogie avec celle-ci.

Le ministre de la guerre avait, à certaine époque, mis à la pension, sur sa demande, portait l'arrêté, un officier supérieur appartenant à l'armée belge et qu'on n'avait pas le droit de pensionner d'office. Cet officier protesta contre son exclusion de l'armée, soutint qu'une erreur avait été commise par le département de la guerre ; qu'il n'avait jamais demandé sa pension et il s'adressa à la justice. Il intenta au ministre une action en dommages-intérêts fondée sur le préjudice que lui avait causé la faute, l'erreur ministérielle. Qu'ont dit les tribunaux ?

Ils se sont tous déclarés successivement incompétents en décidant que si le ministre avait commis une faite, c’était comme ministre et dans l’exercice de ses fonctions ; qu’il fallait s’adresser à la Chambre.

Messieurs, cet état de choses est déplorable, sans doute, mais il existe et il subsistera aussi longtemps que nous, législateurs, nous n’aurons pas accompli cette promesse, inscrite dans l’article final de la Constitution depuis 1831, aussi longtemps que nous n’aurons pas voté une loi organique du principe de la responsabilité ministérielle. Le débat d’aujourd’hui prouve que nous avons eu tort d’attendre.

Voilà ce que je voulais répondre à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). Il se peut que le ministre de la guerre, attrait en justice (je n’examinerai pas cette question), eût pu exciper du droit dont vient de parler l’honorable M. Orts ; mais si M. le ministre n'intervient pas au procès... (Interruption) Ce n'est pas le cas, si M. le ministre de la guerre laisse poursuivre l'action en dommages-intérêts, confie l'agent qui a opéré l'arrestation, la procédure pourra avoir son cours devant les tribunaux.

Au surplus, je n'ai indiqué ce moyen que pour montrer que nous n'entendons pas opposer des fins de non-recevoir à une action qui serait portée devant les tribunaux ; j'ai voulu faire connaître que nous sommes prêts à accepter la compétence du pouvoir judiciaire, que nous acceptons la juridiction de la haute cour militaire, si M. Hayez se trouve dans le cas d'être traduit devant cette cour. Que voulez-vous de plus ? Que peut faire de plus M. le ministre de la guerre ?

Vous proclamez (et c'est dans votre proposition d'ordre du jour), vous proclamez que la question est de la compétence du pouvoir judiciaire ; nous disons que nous sommes prêts à saisir tous les moyens possibles d'arriver à soumettre la contestation à ce pouvoir. Nous ne pouvons pas faire davantage. Nous ne demandons pas mieux que de voir se produire une formule d'ordre du jour qui donne pleine satisfaction à tous les membres de la Chambre, mais personne ne peut vouloir que l'on s'engage à poursuivre M. Hayez devant la haute cour militaire, s'il n'est pas dans une position... (interruption) qui le rende justiciable de cette cour.

M. le ministre de la guerre a demandé aux autorités compétentes si le lieutenant-colonel Hayez pourrait être traduit devant la haute cour militaire, dans la position où il se trouve, et les avis ont été négatifs. (Interruption.) Il y a des objections ; peut-on les lever ? Nous ne demandons pas mieux.

Nous sommes prêts à faire ce qui sera reconnu légal, ce qui sera reconnu juste et praticable ; nous sommes prêts à traduire le lieutenant-colonel Hayez devant la haute cour militaire, si l'on reconnaît qu'il se trouve dans des conditions telles, que ce renvoi puisse avoir lieu.

M. Gobletµ. - Je crois, messieurs, que le débat s'égare complètement. Une motion d'ordre est intervenue, et il était bien entendu que c’était pour sauvegarder toutes les opinions, tous les intérêts. C'était parce qu'on voulait bien croire à la loyauté de tout le monde. Je veux bien croire, de mon côté, à la loyauté de tout le monde ; à la loyauté de l'honorable ministre de la guerre ; mais je demande, à mon tour, qu'après une discussion où l'on n'a entendu qu'une voix, on veuille bien croire à la loyauté des autres. (Interruption.) Je dis que l'ordre du jour proposé par l'honorable ministre des finances consacre le triomphe absolu de la doctrine de M. le ministre de la guerre ; eh bien, c'est ce que je ne puis pas admettre.

M. Orts. - Ni moi non plus.

M. Gobletµ. - Vous constituez le pétitionnaire dans une position d’accusé ou plutôt dans une position de condamné, car vous lui dites : La Chambre n’a rien à voir dans l’objet de votre réclamation ; vous serez d’abord puni, puis pour être jugé vous serez obligé de commettre un nouveau méfait ; sans cela vous ne serez pas jugé. Vous ne serez pas jugé, M. le ministre de la guerre vous l’a déclaré en citant ladage : non bis in idem, il vous a dit qu’il ne peut pas vous poursuivre su vous n’êtes pas de nouveau désobéissant.

Messieurs, lorsqu'un pareil débat est soulevé devant une Chambre belge, il ne peut pas finir par une échappatoire ; une question de liberté individuelle ne peut pas être résolue par des fins de non-recevoir.

Comment ! l'honorable M. Hayez doit être puni, pourquoi ? Parce qu'il a eu la simplicité de croire aux termes d'un écrit portant la signature du Roi et celle de M. le ministre de la guerre. L'honorable M. Hayez a reçu une pièce dans laquelle, à tort ou à raison, je n'ai pas à examiner ce point en ce moment, dans laquelle on lui dit positivement : « Vous ne faites plus partie de l’armée à partir du 26 juin, et aujourd'hui vous venez dire à cet homme : Vous êtes puni, vous resterez puni, et si vous voulez être jugé il faut que vous commettiez un nouveau méfait. Je dis que cela n'est pas digne de la Chambre, que c'est une manière de faire que nous ne pouvons pas laisser passer sans protestation.

M. de Gottal. - Messieurs, j'aurai fort peu d'observations à (page 328) présenter après celles que vient de faire l’honorable M. Goblet, et qui ont prévenu en quelque sorte les miennes.

Je ne puis m’empêcher d'exprimer mon étonnement de ce qu'on veuille ne pas laisser son libre cours à la discussion et recourir à une échappatoire, comme l’a dit l'honorable M. Goblet, après n'avoir entendu que M. le ministre de la guerre. De cette façon, tous ses arguments avaient l’air, devant la Chambre et le pays, de rester entièrement debout. Si vous voulez voter un ordre du jour, vous ne pouvez le faire qu'après avoir entendu toutes les opinions.

Je demande à la Chambre si elle entend, oui ou non, que la discussion continue.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parles !

M. de Gottal. - Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de le dire tantôt, il s'est de nouveau agi de la personne du pétitionnaire ; on a continué avec beaucoup plus de modération aujourd'hui, je l'avoue, mais on a continué à vouloir ternir, en quelque sorte, la réputation d'un officier distingué.

Dans une séance précédente j'avais demandé l'impression de la correspondance échangée entre le département de la guerre et le pétitionnaire relativement aux faits qui se sont passés à Termonde. Sur l'observation d'un de mes collègues que cette pièce importait fort peu à la discussion, je n'ai point fait de proposition formelle ; mais, comme M. le ministre de la guerre a donné lecture, dans la séance de samedi, de la réponse du lieutenant-colonel Hayez, je me permettrai également de donner lecture de la lettre qui a provoqué cette réponse.

D'abord, messieurs, je dois relever un fait, une inexactitude qui s'est trouvée dans les allégations de M. le ministre de la guerre en ce qu'il a dit qu'il avait été d'une bienveillance extrême en ne punissant pas M. le lieutenant-colonel Hayez, qui lui écrivait d'Anvers au lieu de lui écrire de Termonde.

Cela s'expliquerait parfaitement pour le ministre s'il n'avait pas oublié qu'à l'époque où cette lettre est parvenue, M. Hayez était en congé et avait le droit de se trouver à Anvers, comme partout ailleurs.

Voici la lettre qu'écrivait le pétitionnaire au département de la guerre :

« Avant de soumettre à votre approbation une nouvelle demande de congé, je crois devoir porter à votre connaissance les motifs puissants qui me font agir. Je me trouve dans l'obligation de vous les adresser par écrit, n'ayant pu réussir dans les diverses tentatives que j'ai faites pour avoir l'honneur d'être admis en votre présence. »

Et ceci répond, messieurs, à des entretiens que j'ai entendus dans cette enceinte et au-dehors que déjà à cette époque une altercation aurait dû avoir lieu entre M. le ministre de la guerre et le pétitionnaire.

« Eloigné depuis 1843 du service de la troupe et placé en 1852 en qualité de sous-directeur à l’arsenal de construction d’Anvers, et cela à la sollicitation pressante du directeur actuel, je me suis vu privé de cette position au mois de mai dernier. L’époque à laquelle j’ai cessé d’appartenir à l’arsenal de construction ne doit-elle pas me faire envisager mon déplacement comme une véritable disgrâce. En effet, m’ôter à l’établissement auquel j’étais attaché depuis sept ans, et où, par conséquent, je devais au moins avoir acquis quelque expérience au moment où le travail allait y être plus que doublé, n’était-ce pas me donner certificat très clair d’incapacité ? »

Le travail était doublé, messieurs, par suite de la circonstance que nous a signalée lui-même M. le ministre de la guerre, qu'il y avait des craintes de guerre à cette époque.

« J'ai payé pendant 13 ans mon tribut au service de la troupe et j'y ai contracté une maladie de poitrine qui m'a laissé cette partie trop faible pour que je puisse encore donner à ma voix l'étendue nécessaire au commandement des manœuvres, et, lorsque j'ai été déplacé, il nu me restait plus que trois années à servir pour atteindre l'âge voulu pour la mise à la pension de retraite.

«J'avais donc tout lieu d'espérer d'être maintenu dans le poste que j'occupais, ou tout au moins d'y être rappelé aussitôt après que mon inutilité à Termonde eût été bien constatée, puisque je n'ai réellement été remplacé à l'arsenal qu'au mois de septembre dernier, je pouvais l'espérer, à moins cependant que les rapports de mon chef immédiat ne m'aient été défavorables au point de faire regarder mon éloignement comme un avantage pour l'arsenal.

« Ne croyez pas, mon général, que mon désir de rester à Anvers, où tous mes intérêts matériels sont cependant réunis, soit mon seul mobile aujourd'hui ; je suis assez soldat pour savoir qu'il me faut aller là où je reçois l'ordre de me rendre et je ne balancerais pas un instant à sacrifier ma vie, si un tel sacrifice pouvait être utile à mon pays. Mais la position qui m'a été faite, je ne puis la regarder que comme une humiliation que me antécédents semblaient devoir m'épargner.

« Puisqu'il paraît impossible, pour le moment, de me rendre mes anciennes fonctions ou de me détacher à un titre quelconque à l'établissement que je ne demandais pas à quitter, accordez-moi du moins de nouveaux congés qui ne font tort à personne et qui me soustraient, au moyen d'un sacrifice pécuniaire, à l'espèce de ridicule qui s'attache toujours à des fonctions qui n'ont plus de raison d'être.

« Cet appel que j'adresse à votre justice, à votre loyauté et non au ministre de la guerre, c'est celui d'un homme de cœur profondément blessé et découragé d'une humiliation par laquelle il était loin de s'attendre à voir terminer sa carrière militaire, et j'ose espérer, mon général, qu'il ne vous sera pas fait en vain. »

Je crois, messieurs, que dans cette lettre il n'est pas un terme qu'aucun de nous ne puisse approuver.

Vous savez la réponse qui y a été faite par le département de la guerre et je ne la reprendrai plus ici. Elle est conçue d'une manière fort peu bienveillante ; on a l'air d'y reprocher assez durement au pétitionnaire,1a lettre dont j'ai eu l'honneur de donner lecture.

M. le ministre, en commençant son discours d'aujourd'hui, a relevé ce que j'avais avancé quant à la position qu'occupait M. le lieutenant-colonel Hayez à Termonde.

Il n'a pas cependant démenti ce que j'avais annoncé qu'au moment de l'envoi de cet officier à Termonde, il n'y avait pour toute garnison en fait d'artillerie qu'un sous-officier, un caporal et huit hommes. Il y avait aussi» il est vrai, un major et un lieutenant garde d'artillerie. Il y avait, dit M. le ministre, 180 pièces de canon ; cela est possible ; mais ce fait importe fort peu, et je demande si le commandement d'un corps de cette importance est une position à envier par un officier général.

M. le ministre, dit pour détourner l'attention sur ce fait, que des batteries d'artillerie étaient arrivées à Termonde pendant le séjour du pétitionnaire dans cette résidence.

Ce fait est exact, mais pour bien l'apprécier il faut rapprocher les dates.

M. Hayez a été envoyé à Termonde au mois de mai.

La première batterie n'est arrivée qu'au mois de juillet ; et partie au mois d'août, deux autres sont arrivées au mois de septembre 1859, la 8ème de siège qui y est restée jusqu'après le départ de M. Hayez et la 5ème montée qui y a séjourné depuis le 3 septembre 1859 jusqu'au 8 novembre 1860.

Quelle était la position de M. Hayez vis-à-vis de ces troupes ? C'est qu'on ne le prévenait ni de leur arrivée ni de leur départ et qu'un jour voyant, une batterie près de partir, il a demandé quelle était la signification de ce mouvement ; il lui fut répondu que cette batterie devait assister à une revue à Bruxelles.

On a prétendu que Termonde était un poste d'honneur que le lieutenant-colonel Hayez devait être fier d'occuper.

Qu'on vérifie la correspondance échangée entre le département de la guerre et le lieutenant-colonel Hayez, et l'on verra quelle était la grande importance de ce poste.

Je ne veux pas vous donner l'analyse de toutes les lettres que M. Hayez a reçues ; je ne vous en signalerai que deux ; l'une par laquelle le commandant du 1er régiment d'artillerie demande l'état signalétique de ses chevaux, l'autre dans laquelle on lui demande s'il prend les bains de mer en automne.

MgCµ. - De qui sont ces lettres ?

M. de Gottal. - Ces lettres ne sont pas émanées du département de la guerre. Du ministère il n'en a pas reçu une seule dans ce commandement important d'une place dont peut dépendre le sort de la nationalité belge. Il n'en a pas reçu non plus de l'inspecteur général de l'artillerie.

Il me reste, messieurs, une dernière observation à présenter, quant à cette correspondance, c'est au sujet d'une lettre déposée sur le bureau et qui prouve la bienveillance dont le département de la guerre était animé envers le pétitionnaire dans ces derniers temps.

Lorsque à la lettre du lieutenant-colonel Hayez, lettre en date du 25 octobre, on eut répondu par l'arrêté royal de mise en non-activité, on répondit que dans sa lettre l'effronterie le disputait à la mauvaise foi ; voulez-vous savoir à quelles mesures on a soumis M. Hayez ?

A des mesures auxquelles on soumet les forçats libérés. Voici les instructions qui ont été données au commandant de la ville de Diest :

« D'exercer une surveillance des plus actives sur sa conduite et ses démarches. »

- Une voix. - Tous les officiers en non activité sont dans cette position.

(page 329) M. Gobletµ. - C'est humiliant pour eux !

M. de Gottal. - Je vais maintenant, messieurs, discuter la question du fond, la seule qui aurait dû être traitée devant vous.

A la fin de la dernière séance, M. le ministre des finances est venu dire que dans tous les discours qui ont été prononcés de la part de ceux qui soutenaient le bien-fondé des réclamations du pétitionnaire, il n'avait pas rencontré un seul argument juridique, qu'il n'y avait eu que des pétitions de principe.

Je crois vraiment, messieurs, qu'en s'exprimant de la sorte M le ministre des finances a entendu parler du discours de son honorable collègue de la guerre. Je ferai remarquer, d'abord, que fût-il exact de dire que, de notre côté, il n'a été produit aucun argument juridique, cela serait parfaitement excusable, attendu que nous n'avons pas de jurisconsultes à notre disposition. Mais quant aux pétitions de principe, je vais vous en signaler quelques-unes tirées du discours de M. le ministre de la guerre.

Et d'abord, en commençant son premier discours, à la séance de samedi dernier, M. le ministre nous a dit qu'en vertu de l'article 3 du Code pénal militaire, pour ne pas être passible des lois de la discipline militaire, il faut être pensionné. Or, il est évident que M. Hayez n'a jamais été pensionné ; donc il n'est pas soumis au Code pénal militaire. Première pétition de principe.

En parlant du premier arrêté qui est pris pour accorder aux officiers leurs pensions, M. le ministre de la guerre a prétendu que c'était là une mesure préliminaire ; donc elle n'est pas définitive. Enfin, dans le discours de M. de Gottal, a-t-il dit, je ne vois pas un argument d'où il résulterait que M. Hayez était pensionné alors qu'il n'existait qu'un arrêté qui l'admettait à faire valoir ses droits à la retraite. Vous le voyez, c'est toujours le même système : il n'est pas pensionné parce qu'il n'y a qu'un arrêté qui l'admet à faire valoir ses droits à la retraite, donc il n'avait pas le droit de se soustraire aux ordres de l'autorité militaire.

J'avais dit dans la dernière séance que je croyais que les mesures dont M. Hayez a été l'objet avaient été prises dans un moment d'oubli ou d'irritation.

M. le ministre a relevé cette assertion, et je tiens à lui répondre quelques mots.

« Si M. de Gottal, a-t-il dit, savait comment les choses se passent au département de la guerre, il ne serait pas venu nous dire qu'on y prend des mesures ab irato »

Si, messieurs, je savais tout ce qui se passe au département de la guerre, j'aurais sans doute le triste devoir d'en parler plus souvent à la Chambre ; mais enfin s'il m'est permis à moi de ne pas savoir tout ce qui se passe au département de la guerre, il n'en est pas de même de l'honorable chef de ce département.

S'il est regrettable que des mesures soient prises ab irato, il est impardonnable qu'elles soient prises ab ignoto, c'est-à-dire sans que l'on connaisse la question.

Je conçois que l'on n'ait pas pu faire une instruction complète du 26 octobre, date où l'on a reçu la lettre de M. le colonel Hayez, au 29 novembre, date à laquelle a été pris l'arrêté royal de mise en non-activité. Je le conçois par l'empressement que l'on voulait mettre à faire triompher l'autorité sur la rébellion, comme on l'a dit, et ce que moi j'appelle le despotisme sur la légalité.

Et si, comme je le maintiens, M. le ministre de la guerre, ou son département avait sérieusement examiné la question, comme on l’a prétendu, on ne serait pas venu affirmer devant la Chambre que c'est ainsi que les choses se sont toujours passées.

J'ai indiqué comment elles se sont passées et comment elles se passent encore en vertu d'une circulaire du 15 janvier 1850, et ici je dois répondre à ce que nous a dit tout à l'heure M. le ministre de la guerre à propos de cette circulaire.

La circulaire de 1849, comme je l'ai dit, indiquait que l'inscription à la matricule devait se faire en ces termes : « Admis à la pension par arrêté royal en date du... »

La circulaire de 1850 au contraire a prescrit que l'inscription se ferait en ces termes : « pensionné par arrêté royal en date du... » M. le ministre de la guerre a cherché à expliquer ce changement de rédaction.

Il nous a dit : Lorsqu'un officier demande à être admis à la pension et qu'il est pensionné, l'inscription se fait conformément à la circulaire de 1850 ; c'est pour cette catégorie d'officiers que la formule a été adoptée. Mais je demanderai alors à M. le ministre de la guerre comment on pourra distinguer par l'inscription à la matricule la position de ces officiers de ceux qui se trouvent dans la catégorie où figure le pétitionnaire. Non, il n'y a qu'une rédaction indiquée indifféremment pour tous les officiers admis à faire valoir leurs droits à la pension, et c'est par le mot « pensionné » que cette position est indiquée, Cette rédaction est uniforme pour tous, et n'existe pas seulement pour une catégorie, comme M. le ministre de la guerre a bien voulu nous le dire.

M le ministre nous a dit encore qu'il consultait un jurisconsulte dans toutes les questions douteuses, soulevant des difficultés juridiques. Mais il nous a dit aussi que l'interprétation (c'est le mot dont il s'est servi, mais ce mot est incorrect, puisqu'il ne s'agit ici que de constater un fait), que l'interprétation qu'il a fait connaître à la Chambre a toujours été suivie par son département.

Eh bien, sans remonter fort loin, il doit se trouver dans cette enceinte plusieurs membres qui doivent se souvenir d'avoir entendu produire ici une interprétation diamétralement opposée par un des prédécesseurs de M. le ministre de la guerre actuel.

Voici ce que disait, lors de la discussion provoquée par l'arrêté royal de 1855, relatif à la mise à la pension des officiers, l'honorable général Greindl, alors ministre de la guerre :

Quant à la formule : «Seront admis à faire valoir leurs droits à la retraire », que veut-elle dire ? Signifie-t-elle que les officiers ont un droit absolu à obtenir leur retraite, alors qu'ils ont atteint l'âge fixé par l'arrêté ? Nullement. cette formule a été constamment admise, vous la retrouvez, depuis 1830, dans tous les arrêtés qui concernent les pensions.

« Elle constate la mise à la pension en évitant simplement des expressions qui pourraient paraître moins convenables à ceux qui en sont l'objet. » Or, c'est ce qu'on a encore fait ici.

L'arrêté royal porte, article 2, que les officiers cesseront de faire partie de l'armée à telle date, époque où la pension prendra cours. Dans la lettre d'information à l'intéressé, on supprime la première phrase parce qu'elle pouvait être désagréable à l'officier, surtout quand, comme c'est le cas pour M. Hayez, il ne sollicite pas lui-même sa pension ; mais la constatation de la mise à la pension résulte des explications données par un des derniers prédécesseurs de M. le ministre de la guerre.

Si au département de la guerre on savait ce qui s'y est passé, on n'aurait pas affirmé encore que jamais le premier arrêté qui admet l'officier à faire valoir ses droits à la retraite n'était publié au Moniteur.

J'ai relevé cette erreur, et si l'on a quelque doute à cet égard, qu'on veuille se donner la peine d'ouvrir le Moniteur du 18 octobre 1848 où figurent plusieurs arrêtés de cette nature. On n'aurait pas été non plus étonné de ce que le lieutenant-colonel Hayez n'a répondu que le 18 juin si l'on avait lu la lettre qu'il a écrite à cette date même ; les premiers mots de cette lettre donnent l'explication de ce retard.

On ne serait pas non plus venu dire : C'est que l'officier se trouvait dans une position d'attente, je ne connais pas cette position dans l'armée, et beaucoup de membres partagent ma manière de voir à cet égard.

Quand j'ai demandé quelle était la position de M. Hayez le 26 juin, on m'a répondu qu'il avait été en congé jusqu'au moment où l'arrêté royal a été rendu. Si au département de la guerre on avait examiné les pièces avant de s'engager dans ce débat, on aurait vu qu'il avait obtenu un congé du 15 mai 1861 jusqu'à son admission à la pension de retraite, et que s'il était allé à Londres, il était parfaitement en règle, sa permission lui ayant été donnée pour visiter l'Angleterre. Remarquez que ce congé a été accordé avec solde entière.

Je demanderai comment on pourra m'expliquer la lettre du 13 juin, à l'intendant militaire de Gand, lettre dans laquelle on informe cet officier de l'admission du lieutenant-colonel Hayez et d'autres officiers à faire valoir leurs droits à la pension, et où l'on fixe la date du 26 juin, comme celle à partir de laquelle la pension prendra cours, et l'on ajoute :

« En conséquence, ces officiers cesseront d'être payés par vos soins à compter de cette dernière date, et vous voudrez bien m'adresser en temps opportun leur certificat de cessation de payement.

« Pour le ministre de la guerre :

« L'intendant en chef, (Signé) Servaes. »

Ainsi donc le ministre nous disait dans la séance de samedi, qu'il était en congé avec solde entière jusqu'au 2 novembre, et cependant depuis le 26 juin jusqu'au 2 novembre, aucun mandat ne lui a été adressé à Anvers ou à Termonde.

J'ai donc quelque raison de me défier de cette grave instruction qu'on prétend avoir été faite du 26 octobre, date de l'arrivée de la malheureuse lettre du 25 octobre, au 2 novembre, date de l'arrêté royal, plus malheureux encore, qui a mis le pétitionnaire en non activité. On a dit que les mandats de payement avaient été envoyés à Diest. On fait ici une contusion. Oui, les mandats de payements ont été envoyés à Diest, mais postérieurement à l'arrêté royal qui mettait le lieutenant-colonel Hayez en non-activité. Il a eu raison de refuser de le (page 330) recevoir, car s’il l’avait fait, on sera venu en argumenter pour dire qu’il reconnaissait comme bien fondé le système du département de la guerre.

Messieurs, il me reste à ajouter quelques mots pour répondre aux arguments présentés dans la séance précédente. On vous a dit : Il y a des précédents au département de la guerre ; un lieutenant-colonel atteint d'ophtalmie a été admis à faire valoir ses droits à la pension, et l'arrêté indiquait la date de l'entrée en jouissance de la pension. La cour des comptes ne l'a pas admis à la pension, parce que l'infirmité dont il était atteint n'était pas déclarée incurable ; un arrêté royal a replacé ce lieutenant-colonel en non-activité.

Y a-t-il là illégalité ? Non, si le lieutenant-colonel a consenti à être replacé en non-activité.

L'engagement qui lie un militaire à l'armée est un contrat synallagmatique qui ne peut pas être rompu par l'une des parties sans le consentement de l'autre, sauf les cas prévus par la loi militaire.

Le département de la guerre avait admis le lieutenant-colonel dont il s'agit à faire valoir ses droits à la pension, sur sa demande ; il avait accepté cette position.

La cour des comptes refuse de liquider sa pension ; on le remet en non activité ; il ne proteste pas ; et s'il ne proteste pas, ne serait-ce point, pour me servir des termes de l'honorable ministre, ne serait-ce pas par spéculation, car la solde de non-activité dépasse en général la pension, par conséquent, si de consentement commun, ce lieutenant-colonel rentrait au service, il n'y avait plus d'observation à faire ; il en serait de même si on réintégrait dans les cadres, de son consentement, un officier qui aurait reçu sa démission.

On m'a fait dire quelque chose que je n'avais pas dit ; on m'a fait dire, que j'avais demandé ce qui adviendrait de la pension d'un officier qui ne ferait pas valoir ses droits, et on a répondu : Cet officier, on le pensionnerait d'office, d'après ses états de service relevés au département ; s’il refusait d'accepter sa pension, il donnerait sa démission.

Ce n'est pas là la question que j'avais posée. La voici : Que diriez-vous si le pétitionnaire était venu à son régiment, prétendant qu'il avait le droit de commander ?

Ne seriez-vous pas venu prétendre et à bon droit qu'à partir du 26 juin il ne faisait plus partie de l'armée ?

Voici ce que dit, dans son recueil administratif, Bemelmans dont les opinions font encore aujourd'hui autorité, et sont reproduites dans l'ouvrage que j'ai déjà eu l'honneur de vous citer, dans le livre de M. l'intendant de Bassompierre (Voir plus loin.)

Ceci répond à l'argument tiré des exemples cités par M. le ministre de la guerre à la dernière séance, à propos des comptables, et aujourd'hui à propos du colonel Libotton qui aurait continué son service après la date assignée à l'entrée en jouissance de sa pension et dans cette position aurait infligé des arrêts à un inférieur.

Or M. le colonel Hayez n'a plus fait de service après le 26 juin, il n'a pas mis les pieds à Termonde, lieu du commandement qui lui avait été confié.

Celte punition infligée par le colonel à son subordonné, dit le ministre, a été maintenue trois mois après la date fixée pour la mise à la pension, si le système de mes adversaires était vrai, elle aurait été levée.

Nullement ; si elle avait été infligée légalement elle devait être subie jusqu'au bout.

Il s'agit donc de savoir si la peine était légale ; une fois la légalité admise, le condamné devait subir sa peine entièrement.

M. le ministre s'est encore trompé sur une question que je lui aurais posée, en lui demandant s'il pourrait empêcher un officier qui aurait donné sa démission de se porter candidat à la Chambre ; on vous a dit : Un officier qui donnerait sa démission ou demanderait sa pension, tant qu'il ne l'aurait pas obtenue, ne pourrait, pas siéger parmi vous ; ce n'est pas là la question. Le cas que j'ai posé est celui ou la pension ou démission n'a pas été demandée, mais donnée d'office ; la date de l'entrée en jouissance fixée, mais la pension non liquidée.

On a dit encore que j'avais professé l'opinion contraire à celle de la cour des comptes : qu'on ne peut pas payer aux héritiers d'un pensionné qui viendrai à mourir, qu'on ne peut pas leur payer le jour fixé pour l’entrée en jouissance du défunt au jour de son décès, la solde, mais qu'on déviait régler, liquider leur réclamation sur le pied de la pension. Je persiste dans cette opinion.

A la cour des comptes, dit l'honorable ministre, on a fail cependant le contraire, et il est venu vous citer des exemples que malheureusement je ne peux pas vérifier tous.

Mais j'en avais prévu un, et vous allez juger par celui-là si la cour des comptes a réellement suivi ce système, et si l'on peut en tirer les conséquences que veut en tirer M. le ministre de la guerre.

Et d'abord j'ai interrompu M. le ministre pour demander si c'était bien le traitement d'activité qui avait été payé aux héritiers du médecin de régiment Lutens. M. le ministre m'a répondu affirmativement. M. le ministre s’est trompé. Car je vais donner lecture d'une pièce qui prouve que c'est sur le pied de la non-activité que le traitement a tlé payé, ce qui vous démontre que les renseignements que l'on donne à M. le ministre de la guerre ne sont pas toujours exacts.

Du reste, dans l'espèce, vous allez voir que le cas n'est pas aussi clair ni aussi simple qu'on veut bien le prétendre. Le médecin de régiment Lutens se trouvait en non-activité. L'arrêté royal admet cet officier à faite valoir ses droits à la pension de retraite à partir du 1er' décembre 1850 ; je ne sais pas de quelle date est l'arrêté.

MgCµ. - Voici le fait :

Le médecin de régiment Lutens est admis à faire valoir ses droits à la retraite par un arrêté du 23 novembre 1830 qui fixe au 1er décembre suivant l'entrée en jouissance de la pension.

M. Lutens étant mort le 23 janvier 1851 avant que l'arrêté définitif de pension fût pris, l'arrêté préparatoire est rapporté par disposition royale du 2 mars 1851.

Une circonstance analogue se présente en 1853 pour le major Janssens du 9ème régiment de ligne.

M. de Gottal. - M. le ministre vient de dire ce que je voulais faire remarquer, et ce qu’il avait oublié de nous dire, c’est que le médecin de régiment Lutens a été admis à faire valoir ses droit à la pension, que la pension devait courir à partir du 1er décembre, que M. Lutens est mort le 23 janvier suivant et qu’effectivement le traitement de non-activité a été payé à ses héritiers du 1er décembre au 23 janvier.

C'est un fait que je m'explique difficilement. Mais voici ce qui s'explique plus difficilement encore. M. le ministre de la guerre nous a dit qu'on ne pensionnait pas les morts ; on fait mieux, on les met en non-activité.

C'est ainsi que par arrêté du 2 mars 1851, M. Lutens, décédé le 23 janvier, a été mis en non activité ; cet arrêté rapportait l'arrêté de mise à la pension, et sur cet arrêté la cour a liquidé ; M. Lutens n'a pas protesté, vous en concevez la raison.

Messieurs, si au département de la guerre on pouvait se tromper, l'on devait au moins y faire des choses sérieuses. En voilà une qui ne me paraît guère sérieuse et que vous jugez comme moi, puisqu'elle provoque vos sourires.

M. le ministre de la guerre nous a dit que l'on ne pensionnait pas les morts. Voici un exemple qui prouve le contraire :

Delnoy, Pierre-François, capitaine admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite par arrêté royal du 23 août 1859, a joui de sa solde d'activité jusqu'au 23 septembre inclus.

Décédé le 6 octobre 1839. Pensionné le 7 novembre suivant.

La pension a pris cours à partir du 26 septembre jour où la solde d'activité a cessé d'être payée et les arrérages ont été liquidés pour la période qui s'est écoulée depuis cette dernière date jusqu'au 6 octobre, jour du décès.

Ainsi donc mort le 6 octobre 1859, on l'a pensionné le 7 novembre suivant, c'est-à-dire pensionné, dans le système du département de la guerre. Mais comme j'aime à donner un caractère sérieux aux actes que pose le département de la guerre, je dois trouver encore là la preuve évidente que le système que j'ai professé devant la Chambre est le seul vrai, car si vous venez prétendre que l'officier n'est réellement pensionné que par le dernier arrêté qui fixe le chiffre de la pension, vous avez pensionné un mort, et dans ce cas la cour des comptes a liquidé les arrérages d'après le chiffre fixé pour la pension, comme je crois qu'elle doit le faire. Or, il est très naturel que, même après le décès d'un officier pensionné, alors que la pension n'est pas liquidée, ou la liquide encore ; cette liquidation est nécessaire.

Messieurs, cessons de faire de la théorie et passons un instant aux faits.

II s'est présenté dans cette affaire un fait excessivement curieux et que je ne m'explique pas, qu'est venu nous révéler aujourd'hui M. le ministre de la guerre.

Il paraît que pour tous les officiers on a suivi le formulaire de 1849 et que pour le lieutenant-colonel Hayez on a suivi le formulaire de 1830.

J'avoue que ce fait est extraordinaire, mais qui faut-il en rendre responsable ? Est-ce M. Hayez ? Est-ce le département de la guerre ? En tous cas, M. Hayez n'a rien à se reprocher quant à ce fait et d'après tout ce qui s'est passé, non seulement il a pu de très bonne foi, mais il a dû se croire libéré du service.

Mais quand M. le ministre vient dire que toutes les inscriptions autres que celle de M. le lieutenant-colonel Hayez sont conformes aux circulaires ministérielles, je prétends qu'elles sont toutes contraires. J'ai eu (page 331) l'honneur de vous donner lecture du formulaire de 1850, en vertu duquel l’inscription de tous les officiers admis à la pension se fait d'une telle manière, par ce mot : « pensionné. »

Et qu'on ne vienne pas dire que c'est probablement pour les besoins de la cause qu'une inscription pareille a été faite. C'est jeter de la suspicion sur des officiers que je n'ai pas l'honneur de connaître, mais que je dois défendre de pareils soupçons.

Quand un officier est en congé, dit M. le ministre, on l'inscrit au contrôle. Eh bien, M. le ministre, nous a dit que depuis le 26 juin jusqu'au 2 novembre, M, le lieutenant-colonel Hayez avait été en congé. Que M. le ministre veuille bien nous montrer, sur le contrôle, la mention de ce fait Peut-être y aura-t-il encore eu là une nouvelle irrégularité commise,

Examinons les pièces.

La preuve que, depuis le 26 juin, le pétitionnaire n'a pas reçu de solde, se trouve dans son livret, qui constate que M. le lieutenant-colonel Hayez a été payé jusqu'au 26 juin inclus, et en marge il est écrit par l'intendant, ce qui suit : « Par arrêté royal du 21 mai, admis à la pension de retraite à dater du 26 juin, payé jusqu'au 25 dito inclus. »

Depuis cette époque donc plus de payement ; ce qui distingue encore la position du pétitionnaire de toutes celles que l'on a citées comme exemples, c'est que dans tous ces cas les officiers qui ont continué par exception leur service ont touché leur traitement.

La matricule, et je me sers de l'expression de M. le ministre de la guerre, indique l'état civil des officiers, détermine leur position. Eh bien, nous avons pu tous le lire, la matricule porte : « Pensionné par arrêté royal du 21 mai. »

Le contrôle qui porte la date où commence et où finit telle ou telle position, porte : « au 26 juin admis à la pension. »

Donc la balance du gain et de la perte, vous avez vu dans la colonne des officiers perdus, un ; dans la colonne des officiers partis, figure le nom de M. Hayez.

Tout cela ne vient-il pas corroborer ce fait, qu'à partir du 26 juin, aux yeux de l'administration militaire, M. Hayez ne faisait plus partie de l'armée ?

Et si, comme le prétend M. le ministre de la guerre, ce sont des inscriptions contraires aux règlements et aux circulaires de son département, je m'étonne que, pendant six mois, aucune observation n'ait été faite concernant la tenue de ces pièces. Et cependant depuis le mois de juillet, elles sont déposées au département de la guerre.

Dans une autre pièce qui vous a été soumise, dans l'état de présence, une chose semble indiquer d'une manière plus positive encore que M. le lieutenant-colonel Hayez ne faisait plus partie de l'armée. Dans la colonne où figurent les officiers faisant partie de l'année, à la place où devait se trouver le nom de M. Hayez, on voit une barre. C'est ce qui s'appelle en terme militaire : rayé des cadres.

Ici j'ai une observation à faire, quant à une des pièces qui nous ont été soumises, et cette observation ne vous paraîtra peut-être pas sans importance. M. le ministre de la guerre voudra-t-il bien nous expliquer comment il se fait que sur l'état de service, déposé sur le bureau, il a été copié littéralement ; « pensionné par arrêté royal du 21 mai », mais que l'on a barré ces mots à l'encre rouge pour les remplacer par ceux-ci : « admis à faire valoir ses droits à la pension » ?

MgCµ. - Cela s'est fait en vertu d'une circulaire ministérielle qui dit que les erreurs doivent être barrées et rectifiées à l'encre rouge. Une erreur avait été commise, elle a été rectifiée. C'est là un fait tout naturel.

M. de Gottal. - Messieurs, si quelque doute pouvait vous rester, je demanderais la production de nouvelles pièces très faciles à fournir, puisqu'il suffit d'aller les chercher au ministère de la guerre ; je demanderais qu'on voulût nous remettre pour le 3ème trimestre les pièces qu'on nous été remises pour le 2ème trimestre et je pense que nous n'y trouverions plus aucune trace du nom de M. Hayez.

Enfin, messieurs, et c'est par là que j'aurais dû peut-être commencer, l'arrêté royal porte dans son article 2, d'une manière bien explicite, la position que M. Hayez devait occuper à partir du 26 juin.

Cet article porte : Ces officiers cesseront de faire partie de l'armée à la date du 26 juin prochain, époque à laquelle leurs pensions prendront cours.

Messieurs, je ne sais pas quelle interprétation l'on peut donner à ces termes, et je m'étonne qu'on puisse trouver en Belgique- un jurisconsulte qui vienne prétendre qu'ils signifient : « Ces officiers font encore partie de l'armée. »

Ainsi donc, messieurs, les arrêtés royaux du 2 septembre et du 21 novembre ont été pris illégalement, et les arrestations qui s'en sont suivies ce sont des actes illégaux qui constituent une violation de la liberté individuelle, nue violation de l'article 7 de la Constitution.

Il me semble donc que le ministre de la guerre, dont je ne soupçonne aucunement la loyauté, n'a plus qu'un seul parti à prendre, c'est, si je puis m'exprimer ainsi, de passer l'éponge sur tous les arrêtés postérieurs à celui du 21 mai, de laisser subsister l'arrêté du 21 mai, de liquider la pension à partir du 26 juin et de mettre M. Haye/ en liberté. Si l'honorable ministre de la guerre ne croit pas pouvoir prendre cet engagement, la Chambre aura à se prononcer ; elle pourra le faire en votant sur un ordre du jour motivé que j'aurai l'honneur de lui proposer.

M. Grosfils. - D'après les explications que nous a données l'honorable ministre de la guerre, je crois, messieurs, qu'il devient inutile de prolonger ces débats el que je pense que tel est l'avis d'une grande partie de la Chambre.

Je crois, messieurs, que quand M. le ministre de la guerre a infligé une punition à un officier placé sons ses ordres, il était parfaitement dans son droit et que lorsque cet officier a refusé de se soumettre à la punition, M. le ministre aurait manqué à ses devoirs en ne le faisant pas emprisonner.

Il faut, messieurs, sauvegarder la discipline militaire, et. celui qui tient au bien-être de son pays, à son indépendance, à ses libertés, doit, en ce moment-ci, soutenir M. le ministre de la guerre. (Interruption.)

Je dis, messieurs de la droite, que vous faites un mal immense au pays. Votre attitude compromet la discipline militaire, elle est de nature à entraîner la désorganisation de l'armée. (Interruption.)

Je dis que M. le ministre est dans son droit et je crois que c'est l'opinion d'une grande partie de la Chambre. Je ne parle pas de la droite, qui voudrait à tout prix renverser le ministère.

Il y a un point sur lequel je ne partage pas la manière de voir de M. le ministre, et je ne m'en suis jamais caché : il croit qu'il nous faut une armée de 80,000 hommes ; je. pense, moi, que 40,000 pourraient suffire, mais je dis que l'armée est bien disciplinée, qu'elle est parfaite, qu'elle ne laisse rien à désirer ; je dis encore qu'on ne pourrait pas trouver dans le pays un ministre qui conviendrait mieux que celui que vous avez maintenant. Je ne dis pas cela pour flatter M. le ministre, nous ne sommes pas en relations, nous ne frayons pas toujours ensemble, je le dis uniquement dans l'intérêt du pays.

M. Orts. - Je demande à dire quelques mots à la Chambre. Je serai très bref, mais je ne veux pas que d'ici à demain on se méprenne sur la signification de l'ordre du jour que j'ai présenté.

Je demande, en présence de la déclaration de M. le ministre de la guerre, que la Chambre émette le vœu de voir la question soulevée par la pétition de M. Hayez, immédiatement déférée à la haute cour militaire, juridiction qui, d'après moi, est le mieux placée dans les conditions de savoir et d'impartialité pour l'apprécier.

Je répète le mot : immédiatement parce que je ne comprends pas qu'on puisse attendre, pour déférer la question à la haute cour militaire, que M. Hayez ait commis un autre acte que ceux qu'il a posés jusqu'ici. Je ne comprends pas qu'on ne le défère à la justice dont il sollicite l'intervention qu'à la condition qu'il commette une rébellion.

Le mot immédiatement a encore, selon moi, cette portée : de témoigner que la Chambre n'approuve pas l'état de choses actuel, que personne ici n'a trouvé parfaitement légal tout ce qui a été fait.

Je ne demande pas à la Chambre qu'elle condamne, mais je demande que les opinions restent intactes, qu'il n'y ait ni approbation ni désapprobation.

S'il pouvait y avoir doute sous ce rapport, je serais obligé de répondre aux théories avancées par M. le ministre de la guerre dans la séance de ce jour, et je dois dire que ma tâche serait peu difficile. Le système défendu aujourd'hui pas le gouvernement ne doit pas plus être accueilli que celui qu'il a défendu dans la séance de samedi.

Maintenant, est-il possible au gouvernement de faire ce que je demande, de déférer le lieutenant-colonel Hayez à la haute cour militaire, pour les faits qu'il a posés ?

Je réponds : Oui.

M. le ministre des finances dit : Non, et voici son argumentation :

M. Hayez a été puni disciplinairement pour ces faits, il ne peut pas être puni deux fois pour les mêmes actes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce qu'on a répondu au département de la guerre.

M. Orts. - On a rappelé un axiome latin et on a dit non bis in idem. C'est une phrase consacrée par les jurisconsultes et M. le ministre de la guerre l'a employée.

Messieurs, ou a mal appliqué ce brocard, il n'y a pas cumul quand on (page 332) applique au même fait des peines disciplinaires et des peines commutés par les lois pénales.

On peut appliquer les dernières à celui qui a déjà été puni disciplinairement, lorsque la gravité du fait le comporte.

Ce principe, en matière disciplinaire, est suivi pour les avocats, pour les notaires et pour toutes les professions soumises à des règles disciplinaires, et je ne crois pas qu'il y ait une exception pour l'armée. Cette exception, je l'ai cherchée depuis tantôt dans le Code militaire que je tiens à la main, et je ne l'ai pas trouvée.

Mais enfin, messieurs, je concède un instant à M. le ministre des finances que son objection soit fondée. Est-ce un obstacle sérieux à ce que M. Hayez soit traduit devant la haute cour militaire et qu'il obtienne ainsi la satisfaction qu'il désire ?

Est-ce un obstacl .au moyen de faire juger la question en litige entre M. Hayez et le département de la guerre ?

Pour démontrer la négative, je retourne à M. le ministre des financs8 l'objection qu'il me faisait tout à l'heure quand je voulais lui démontrer que la Constitution même s'opposait à ce que M. Hayez intente une action civile à M. le ministre de la guerre.

M. le ministre des finances me disait : Mais si le ministre de la guerre n'excipe pas des dispositions de la Constitution sur la responsabilité ministérielle, s'il laisse juger la chose par les tribunaux, il n'v a plus la moindre difficulté !

Nous avons répondu : Il s'agit ici d'une matière qui touche à l'ordre public, et les tribunaux se déclareront incompétents d'office pour juger une question de ce genre, même dans le silence des parties, comme ils se déclarent incompétents lorsque le ministère public poursuit un membre de la Chambre pendant la durée de la session, alors même que celui-ci n'excipe pas du privilège que lui accorde la Constitution.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et l'affaire de Mlle Jones.

M Ortsµ. - L'affaire de Mlle Jones a en effet été jugée. C'était une action intentée à l'administrateur de la sûreté publique. Ce fonctionnaire avait le droit d'agir comme il avait agi vis-à-vis de Mlle Jones, en vertu de son propre pouvoir, sans s'abriter derrière l'ordre et la responsabilité du chef du département de la justice. Il ne pouvait pas le faire et il ne l'a pas fait. Voilà pourquoi les tribunaux se sont déclarés compétents ; ils eussent décidé le contraire si M. Hody s'était retranché derrière M. le ministre de la justice, et n'avait exercé qu'un pouvoir délégué par son chef.

N'admettez donc pas, messieurs, qu'en matière d'ordre public les tribunaux se laisseront prendre aux comédies qu'il plairait aux plaideurs de jouer devant eux.

Votre objection répond donc complètement, lorsque je l'emploie contre vous, à votre argument de tout à l'heure.

M. le colonel Hayez pour échapper à la haute cour devrait, dans votre système exciper d'un droit personnel à lui et d'un droit privé étranger à l'ordre public ; c'est-à-dire de la règle : Non bis in idem.

Mais il ne le fera pas et il ne peut le faire, car il compromettrait ainsi, en le faisant, son droit de défense. Le jour où il comparaîtra devant la cour militaire, il doit soutenir avant tout, pour rester conséquent et logique, l'incompétence de cette cour.

Il ne peut donc pas demander à cette juridiction qu'il récuse, dont il décline la compétence, de le protéger en vertu du principe : non bis in idem.

Il reconnaîtrait la compétence de la haute cour s'il plaidait autre chose.

Il se reconnaîtrait militaire s'il acceptait le débat sur l'exception tirée du non-cumul des peines.

M. Hayez doit donc commencer par soutenir l'incompétence de la haute cour et c'est ainsi seulement qu'il parviendra à faire décider en sa faveur la question qui est aujourd'hui soulevée devant la Chambre.

Permettez-moi, messieurs, de dire encore quelques mots sur cette question et je termine. Cela nous épargnera une discussion de principe demain. M. le ministre de la guerre a confondu dans les exemples qu'il a cités, dans les arguments qu'il a produits pour démontrer que, malgré l'arrêté qui l'admettait à faire valoir ses droits à la pension, M. Hayez était encore militaire ; M. le ministre, dis-je, a confondu deux ordres d'idées quant aux officiers à pensionner et c'est cette confusion qui cause son erreur.

Il y a en matière de pensions militaires deux situations différentes pour les officiers. Elles sont indiquées par les articles 1 et 2 de la loi du 16 mai 1838 sur cette matière.

Il y a d'une part les officiers qui demandent leur pension el qui peuvent l'obtenir moyennant certaines justifications d'infirmités, de blessures, d'âge ou d'autres conditions.

Le gouvernement est libre d'accorder ou de refuser à ces officiers la pension dans certains cas. Il doit l'accorder dans d'autres ; mais il s'agit là dans les deux cas d'officiers qui prétendent être dans les conditions voulues pour jouir de la pension de retraite et qui par conséquent doivent en justifier. M. Hayez n'est pas dans cette catégorie. Il est ensuite une autre position faite par l'article 2 aux officiers vis-à-vis de l'armée, c'est celle du lieutenant-colonel Hayez. Il est des officiers que le gouvernement admet à faire valoir leurs droits à la pension uniquement parce qu'ils ont 55 ans d'âge et qu'il ne plaît plus au gouvernement de les conserver dans les rangs de l'armée.

Voilà la position du lieutenant-colonel Hayez. Je ne discute pas d'autre situation parce que je veux empêcher la complication du débat et je dis que, quand le Roi a usé de son droit souverain par un arrêté royal et qu'il a dit à un officier, âgé de plus de 55 ans : Vous ne faites plus partie de l'armée, tout est dit, tout est consommé ; que lorsque l'arrêté royal du 21 mai a dit au lieutenant-colonel Hayez, âgé de plus de 55 ans : Vous cessez de faire partie de l'année à partir du 24 juin, M. Hayez, passé cette époque, n'appartient plus à l'armée et que cet arrêté royal, en le disant, a exprimé une idée vraie.

Et qu'on ne dise pas que l'éventualité d'un chiffre de pension à liquider est pour quelque chose dans cette affaire.

Il n'y a rien à liquider ici, sinon un maximum. La loi a si bien compris la position de l'officier ainsi exclu de l'armée qu'elle a fixé le minimum de la pension à laquelle l'officier a droit au minimum qu'on ne peut lui enlever.

La liquidation ultérieure n'a pour but que de savoir s'il a droit à un chiffre de pension plus élevé.

Il est donc évident que lorsque le Roi use du pouvoir dont il a usé à l'égard du lieutenant colonel Hayez, il le met hors de l'armée et lui assure par là une pension quoi qu'il arrive. Et quelle portée a la loi qui donne au Roi ce pouvoir sans l'obliger à donner à l'officier d'autre motif que son âge ?

Permettez-moi, messieurs, une courte citation pour l'indiquer.

Lorsqu’en 1838 a été proposée la loi sur les pensions militaires, le droit dont je parle, le droit de retraite d'office n'existait pas pour le gouvernement.

Pendant la discussion, on a cru qu'il était important au point de vue de l'intérêt de l'armée, pour la rajeunir, disait-on, de donner au Roi le pouvoir de mettre d'offre à la pension. (Ce sont les termes qu'employait M. le ministre de la guerre dans ses explications à la section centrale.)

Le ministre ajoutait : La proposition n'est nullement dans l'intérêt des officiers, c'est l'intérêt du service qui fait désirer qu'à un certain âge le gouvernement ait le droit de donner la pension. Et prenez maintenant les termes de la loi elle-même et vous allez voir que l'esprit est clairement manifesté par le texte.

A l'article 1er on parle des militaires ayant droit à la pension de retraite et qui la réclament comme un bénéfice. Ceux-là ont à justifier de leurs droits.

A l’article-2, il s'agit de la faculté qu'a le Roi de mettre d'office à la retraite.

Ainsi donc, c'est le Roi qui met à la pension, et s'il le fait, il fait sortir l'officier de l'armée, car les officiers qui ont un droit certain et déterminé à la pension, ne font plus partie de l'année.

Ils sont déchargés (ontslagen), comme le dit l’article premier du Code militaire, du service de l'Etat et dès lors, aux termes de ce même Code, ils échappent à la loi et à la juridiction militaires.

Avant de terminer, et si le débat doit continuer, je demanderai si le fait que voici est exact. Il répond aux exemples d'application qu'a cités le ministre.

Est-il vrai que les officiers de la catégorie du lieutenant-colonel Hayez ont été si bien considérés comme pensionnés à dater du jour où ils ont été admis à faire valoir leurs droits à la pension que, pour cette raison, ils n'ont pas obtenu la croix de 25 ans de service, parce qu'ils avaient été admis à faire valoir leurs droits avant le mois de juillet 1856, quoique l'époque de l'entrée en jouissance fût postérieure ?

Je cite, comme exemple nominatif, M. le major De Raedt, commandant la place d'Alost, admis à faire valoir ses droits à la retraite le 26 juin 1856, à qui l'on a refusé la croix le 21 juillet, parce qu'il n'était plus en activité de service, alors que l'arrêté royal qui fixe sa pension est du 12 septembre suivant.

Est-ce vrai ? Et si c'est vrai, n'est-ce pas concluant ?

MgCµ. - Je n'étais pas au département de la guerre quand ce fait s'est passé ; je.ne puis donc pas m'en expliquer immédiatement ; je devrais pour cela vérifier la chose. Je demanderai donc qu'on me permette de différer ma réponse jusqu'à demain.

(page 333) - Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

MpVµ. - La parole est à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'y renonce.

M. Dolez. - Je n'ai que deux mots à dire. L'honorable M. Orts a présenté un ordre du jour qui semblait devoir satisfaire à peu près toute la Chambre. Pour mon compte, j'étais disposé à voter cet ordre du jour. J'aurais pourtant voulu que son auteur consentît à en modifier quelque peu la rédaction.

H me semble que la Chambre ne peut pas émettre le vœu qu'une poursuite soit dirigée contre quelqu'un.

- Un membre. - Pourquoi pas ?

M. Dolez. - Parce que cela n'est pas dans la haute mission de la Chambre.

Mais je pense que l'on pourrait parfaitement corriger cette partie de la proposition, tout en rendant la pensée qui a inspiré son auteur. J'ai l'honneur de vous soumettre dans ce but la rédaction suivante :

« La Chambre, considérant que la pétition soulève une question de droit dont la décision appartient au pouvoir judiciaire (c'est le premier considérant de la proposition do l'honorable M. Orts) ; après avoir entendu M. le ministre de la guerre dans ses explications, et prenant acte de sa déclaration de son intention de déférer le sieur Haye/à la haute cour militaire, passe à l'ordre du jour. »

Je crois, comme l'honorable M. Orts, que M. Hayez peut être immédiatement déféré à la haute cour militaire, bien que je n'admette pai avec lui que celle cour ne puisse pas elle-même exciper de la règle de droit non bis in idem ; mais je crois qu'on peut lui déférer immédiatement le lieutenant-colonel Hayez avec efficacité, parce que cette poursuite soulèvera immédiatement la question de compétence, comme l'a dit l'honorable M. Orts ; si M. Hayez prétend qu'il n'est plus militaire (et c'est en définitive, la seule question que soulève sa réclamation), il excipera de l'incompétence de la cour et celle-ci sera appelée à se prononcer.

Je crois donc que la Chambre fera chose à la fois prudente, sage et très digne en votant l'ordre du jour de l'honorable M. Orts, modifié dans le sens que je viens d'indiquer.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Gobletµ. - Je demande l'impression des deux propositions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous n'avons pas présenté d'objection contre l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Orts. Nous avons fait des observations sur les conséquences possibles du vote de cet ordre du jour. Mais cet ordre du jour, modifié dans le sens que vient d'indiquer l'honorable M. Dolez, me paraît faire droit aux divers scrupules qui ont été exprimés, et nous ne voyons aucune difficulté à l'accepter avec cette modification.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

- D'autres membres. - Aux voix ! aux voix !

- L'amendement de M. Dolez est appuyé ; il fait partie de la discussion.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! Aux voix !

M. Gobletµ. - Précisons la question. (Interruption.) Messieurs, je ne demande qu'un instant...

MpVµ. - La Chambre veut-elle continuer la discussion aujourd'hui ?

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

- D'autres voix. - Non ! non ! à demain !

MaeRµ. - Continuons.

M. Moncheur. - L'honorable M. de Gottal, si je l'ai bien compris, a annoncé aussi un ordre du jour.

Je demande que sa proposition soit imprimée ainsi que celles de MM. Orts et Dolez.

MpVµ. - Je n'ai reçu aucune proposition écrite de M. de Gottal, il ne peut donc pas être question d'en ordonner l'impression.

M. de Gottal. - J'ai, eu effet, annoncé l'intention de présenter un ordre du jour motivé, mais j’ai dit aussi que je ne serais pas éloigné de me rallier à celui de l’honorable M. Orts et j'ai dit à quelles conditions je pourrais le faire.

J'attends donc que M. le ministre de la guerre nous dise si, oui ou non, il veut s'engager à mettre immédiatement M. Haye/ en liberté si la proposition de M. Orts était adoptée.

On a mis, selon moi, beaucoup trop de zèle dans cette affaire, je le prouve par un seul fait. Le 15 ou le 16 de ce mois, l’ordre a été donné à Diest de mettre le pétitionnaire en liberté sur parole, et l’ordre de le tenir pendant 15 jours, c’est-à-dire jusqu’au 1rer janvier, aux arrêts sans accès, est parti de Bruxelles le 16. En présence de tels faits, je ne saurais me rallier à aucun ordre du jour, à moins que le ministre ne prenne l'engagement que je viens de rappeler.

- Voix diverses. - Aux voix ! Aux voix ! A demain.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Gobletµ. - Je demande la parole.

MpVµ. - La clôture est-elle demandée ?

- Voix diverses. - Oui ! Oui ! Non ! Non !

MpVµ. - La clôture est demandée.

M. Gobletµ. - Je demande la parole contre la clôture. Je ne comprends vraiment pas que l'on demande la clôture lorsqu'il y a encore plusieurs orateurs inscrits qui sont personnellement engagés dans le débat.

D'ailleurs, on veut clore encore une fois sur une fin de non-recevoir. Les explications de M. le ministre de la guerre sont contraires aux assertions de l'honorable M. Orts, et ils ne sont point parvenus à s'entendre ; il faut donc que la discussion continue pour élucider les points contestés de part et d'autre.

Cependant, je ne m'opposerais pas à la clôture si M. le ministre de la guerre voulait prendre l'engagement de faire cesser, à partir du moment où la Chambre aura voté la proposition de l'honorable M. Orts, les mesures de rigueur dont M. le lieutenant-colonel Hayez est encore l'objet. (Interruption.)

Il est évident que si M. le ministre de la guerre maintient sa première déclaration et s'il faut que M. Hayez se rende coupable d'une nouvelle infraction aux règles de la discipline militaire pour être traduit devant la justice, nous ne sommes plus du tout dans les termes de la proposition de l'honorable M. Orts.

MgCµ. - D’après les lois militaires, quand un officier a été puni, s'il croit que sa punition est illégale et s'il aurait devant la cour militaire celui qui l'a puni ,il commence par se constituer lui-même aux arrêts.

M. de Brouckereµ. - S'il est militaire.

M. Gobletµ. - M. Hayez ne l'est plus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la question.

MgCµ. - Je soutiens qu'il est encore militaire. Si j'acceptais l'opinion contraire, il n'y aurait plus de discussion, et il ne faudrait plus ni ordre du jour motivé ni jugement. Mais j'abandonnerais ainsi, malgré ma conviction, les principes professés de tout temps par le département de la guerre.

Au lieu de cela, que M. Hayez quitte sa résidence avant l'expiration de sa peine, et il le fera, il l'a déclaré en toutes lettres, on ne le poursuivra pas disciplinairement, on le traduira devant la cour militaire.

On ne peut pas faire autre chose.

- Un grand nombre de voix. - A demain ! A demain !

M. Dolez. - Je propose d'ajouter à ma rédaction le mot « immédiatement ». M. le ministre n'a pas de raison pour se refuser à admettre la proposition que je fais dans cet ordre d'idées. Comme la question, ainsi que l'a démontré l'honorable M. Orts, peut être déférée immédiatement à la haute cour, tous les intérêts seront satisfaits pourvu que le renvoi soit immédiat.

MgCµ. - On me demande de faire cesser toutes les mesures de rigueur et d'un autre côté on veut que je traduise immédiatement le lieutenant-colonel Hayez devant la cour militaire ; mais alors de quel chef veut-on que je le traduise ?

M. Orts. - Pour désobéissance grave envers un supérieur.

MgCµ. - La loi de 1836 porte que pour une infraction grave à la discipline la peine est la mise au traitement de réforme.

J'ai appliqué cette peine, on veut que je traduise encore celui à qui je l'ai infligée devant la cour pour cette infraction ; la cour répondra : Mais vous l'avez déjà puni. (Interruption.)

- Un grand nombre de voix. - A demain ! à demain !

- D'autres voix. - Non ! non ! la clôture !

M. Gobletµ. - Si on met la clôture aux voix, je demande l'appel nominal.

MaeRµ. - Je demande pourquoi on veut faire lever la séance !

- Plusieurs voix. - Il est cinq heures. A demain ! à demain !

MaeRµ. - Je ne comprends pas qu'on veuille renvoyer la séance à demain au moment où nous sommes sur le point de nous mettre d'accord. (Interruption. Non ! non !)

Est-ce parce que vous voyez que nous sommes sur le point de nous mettre d'accord que vous demandez le renvoi à demain ? (Interruption.)

(page 334) Eh bien ceux qui veulent voter contre le cabinet, contre le ministre de la guerre. (Interruption.)

- Plusieurs voix. - C'est cela 1 Tout de suite une question de cabinet

M. Van Overloop. - C'est une question de justice !

- Plusieurs voix. - Votons ! votons !

MaeRµ. - Je demande si j’ai dit un seul mot qui soit de nature à soulever une pareille tempête ? On ne me laisse pas finir ma phrase. (Interruption)

MpVµ. - Messieurs, je vous engage encore à ne pas interrompre. Je réclame le silence et vous prie de reprendre vos places.

MaeRµ. - Je demande pourquoi de ce côté on jette de pareils cris : est-ce parce que j'apporte des paroles conciliantes ? J'ai dit que le moment était mal choisi pour demander qu'on lève la séance quand nous allions nous mettre d'accord.

L'amendement proposé, nous l'acceptons parce qu'il vient de nos amis.... (Interruption.)

M. de Decker. - C'est une indignité ! Il ne s'agit pas ici d'amis et d'adversaires.

MaeRµ. - Vous ne me laissez pas achever une phrase ! Laissez-moi donc interpréter les choses comme je les entends.

- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

- D'autres voix. - Votons ! votons !

M. Gobletµ. - A demain ! à demain ! On ne saurait plus sur quoi on vote !

MaeRµ. - Je me borne à dire pourquoi nous acceptons la proposition ; je ne comprends pas qu'on ne veuille pas me laisser parler.

M. de Decker. - Vous parlez d'amis et d'ennemis ; suis-je un de vos ennemis dans cette question ?

MaeRµ. - On couvre ma voix par des cris, quand j'apporte des paroles de conciliation. (Interruption.)

M. de Decker. - J'avais fait un pas vers vous et c'est vous qui rendez la conciliation impossible en venant parler d'amis et d'ennemis. (A demain ! à demain !)

MaeRµ. - Il m'est impossible de m'expliquer, on ne veut pas que je dise pourquoi le cabinet se rallie à l'amendement proposé.

- Un grand nombre de voix. - A demain ! à demain !

- D'autres voix. - Consentez à la remise à demain.

MpVµ. - On insiste sur la demande de la remise à demain ; je vais consulter la Chambre.

- La Chambre, consultée, décide que la discussion sera renvoyée à demain.

La séance est levée à 5 heures et un quart.