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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 janvier 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 453) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Kieldrecht demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Maton demande qu'il soit pris des mesures pour assurer aux soldats le libre exercice de leurs devoirs religieux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Hendrick demande que les éléments du dessin fassent partie obligatoire de l’enseignement à tous les degrés. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 118 exemplaires de l'Annuaire de l'Observatoire de Bruxelles, pour l'année 1862. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.


«M. de Borchgrave, juge de paix suppléant à Gand, fait hommage à la Chambre d'un exemplaire des Poésies de son grand-père, P.-J. de Borchgrave, décédé à Wacken (Flandre occidentale), en 1819. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Motion d’ordre

M. H. Dumortier. - Depuis quelque temps de nombreux délits, je pourrais même dire de véritables actes de brigandage se commettent dans l'arrondissement de Courtrai. Cet arrondissement se trouve, sous ce rapport, dans une situation d'autant plus mauvaise qu'il est constamment parcouru par des bandes d'ouvriers de toutes sortes et de mendiants qui se rendent en France ou qui reviennent de ce pays.

Ces vols, ces attaques sur les grandes routes, inspirent dans ces localités une vive inquiétude, surtout chez les habitants des communes rurales.

Le moment est venu d'appeler sur cet objet toute l'attention de M. le ministre de la justice.

Après la série de crimes qui ont ensanglanté l'arrondissement de Charleroi, je croirais manquer à mes devoirs, si je ne donnais en temps utile au gouvernement de salutaires avertissements, afin de préserver mes concitoyens contre de pareils attentats.

Du reste, ce n'est pas seulement sur un point déterminé du pays, mais c'est dans un assez grand nombre de localités que des bandes de voleurs de tout âge commettent des actes de déprédation.

Je ne veux ici accuser personne, mais je ne comprends pas comment, dans un pays comme le nôtre, une nombreuse bande de voleurs et d'assassins ait pu, pendant plusieurs années, dévaster l'arrondissement de Charleroi ; je ne comprends pas comment cela serait possible, si chacun faisait suffisamment son devoir.

Comment ! depuis si longtemps, nous dépensons annuellement 30, 40 et jusqu'à 44 millions pour nous défendre contre des ennemis extérieurs qui, fort heureusement, jusqu'ici, n'ont existé que dans notre imagination, et le gouvernement ne saura pas suffisamment nous protéger contre les voleurs et les assassins !

J'espère que M. le ministre prendra bonne note des faits que je viens de signaler à son attention.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, la critique est toujours facile. Si l'honorable membre qui vient de se rasseoir avait bien voulu suivre l'instruction qui s'est faite à Mons, il aurait pu se convaincre que. si la bande de Charleroi n'a pas été découverte plus tôt, ce ne sont ni les efforts ni la vigilance de l’autorité qui ont fait défaut ; que de mesures de toute espèce ont été prises, que plusieurs de ces individu, ont été placés sous une surveillance spéciale de la gendarmerie ; que plusieurs fois des visites domiciliaires ont été faites chez eux ; que des instructions judiciaires ont été commencées à leur charge ; mais grâce aux précautions qu'ils avaient prises pour échapper aux recherches de la justice, les preuves pour les convaincre ont toujours été insuffisantes.

L'attention de la justice était fixée depuis longtemps sur les crimes qui se commettaient dans l’arrondissement de Charleroi. Le chef du parquet de la cour d'appel de Bruxelles, qui ne manque certes ni de zèle ni d'intelligence, a souvent payé de sa personne ; il s'est rendu sur les lieux ; il a dirigé des instructions et cependant ce n'est en quelque sorte qu'au hasard qu'on doit la découverte de tous les malfaiteurs qui viennent d'occuper la session extraordinaire de la cour d'assises de Mons.

L'honorable M. Dumortier vient de nous dire que sur différents points du pays il y avait des voleurs, des apprentis-voleurs, que des bandes infestaient différentes provinces, que celles-ci étaient littéralement exploitées, qu'elles demandaient sécurité.

On a cité Hasselt où effectivement quelques vols ont été commis, mais les individus qui doivent s'en être rendus coupables sont sous la main de la justice.

L'honorable membre a parlé d'une bande de jeunes voleurs qui exploite Schaerbeek et les environs de Bruxelles : les journaux ont dû lui apprendre que ceux qui faisaient partie de cette association et leur chef ont été mis en état d'arrestation.

La justice veille donc attentivement à la sécurité du pays, et ce n'est que rarement que les malfaiteurs échappent à ses investigations.

Quant aux faits qui se passent dans l'arrondissement de Courtrai, je n'ai pas encore reçu de rapport à cet égard ; mais je ferai tout ce qui dépendra de moi pour que les habitants de cet arrondissement jouissent de.la sécurité à laquelle ils ont droit. Toutefois il ne faut pas oublier que la police préventive appartient à l'autorité administrative et que les autorités locales sont les premières chargées de veiller à la sécurité des citoyens.

M. Thibaut. - J'appuie les observations que vient de présenter l'honorable M. Dumortier. Je désire surtout que le gouvernement prenne des mesures pour faire disparaître autant que possible, les bandes de vagabonds qu'on rencontre, partout dans les campagnes et qui répandent la terreur dans les populations.

Je crois que l'on pourrait demander à la gendarmerie une surveillance plus active. Ainsi, les patrouilles de nuit, qui sont ordonnées, ne se font presque jamais.

Les détachements de gendarmes se rendent dans les communes rurales pendant le jour, et en rapportent des documents qui constatent qu'ils ont été vus la nuit. C'est un abus que le gouvernement peut faire disparaître en donnant des instructions aux chefs de la gendarmerie. Il serait utile aussi que les patrouilles eussent lieu plus fréquemment.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Gottal (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lorsque, dans la séance d'hier, M. le ministre de la justice a proposé de mettre à l'ordre du jour la discussion du Code pénal, je n'ai fait aucune opposition à cette proposition, parce que, telle que je l'avais entendu formuler par M. le président, elle me paraissait impliquer simplement l'insertion de la discussion du Code pénal à la suite de l'ordre du jour. Par le bulletin qui nous a été distribué aujourd'hui, je vois qu'il doit y avoir eu erreur, soit de la part du greffe, soit de ma part. Je désire que cette erreur soit rectifiée ; sinon, je serais obligé de faire une nouvelle proposition, celle de maintenir à l'ordre du jour, immédiatement après le budget du ministère de l'intérieur, les pétitions relatives aux servitudes militaires.

J'insiste sur ce point. Il y a deux ans que les pétitions ont été adressées à la Chambre ; un rapport a été déposé le 17 décembre dernier, et pour que la discussion pût arriver plus promptement, la Chambre a autorisé l'impression du rapport, avant d'en avoir entendu la lecture. Si maintenant la Chambre décide que le Code pénal sera discuté avant ces pétitions, si, comme elle l'a fait sur la proposition de M. le ministre de la justice, elle statue que la discussion des budgets des affaires étrangères et des travaux publics dont les rapports ne sont pas encore distribués, aura encore la priorité, la discussion du rapport relatif aux servitudes militaires sera renvoyée d'ici à un mois ou à six semaines.

Je ferai remarquer que si la Chambre est parfaitement libre de fixer l'ordre du jour comme elle l'entend, je pourrais rendre impossible le retard qui doit résulter de l'adoption d'une proposition pareille, en traitant à fond la question des servitudes militaires dans la discussion générale du budget de la guerre. Je n'userais en cela que de mon droit.

Je propose donc à la Chambre de porter ces pétitions à son ordre du jour avant la révision du Code pénal.

MpVµ. - Les décisions prises par la Chambre sont (page 454) parfaitement conformes à ce que mentionne le procès-verbal. Il n’y a donc pas erreur.

Maintenant, M. de Gottal propose de maintenir à l'ordre du jour, à la suite du budget de l'intérieur, la discussion du rapport sur les servitudes militaires.

M. Vander Donckt. - (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)

M. E. Vandenpeereboom. - Il me semble, messieurs, qu'il aurait moyen de tout concilier.

Il n'y a pas d'opposition, me paraît-il, à la proposition de l'honorable M. de Gottal, qui consiste à laisser au rapport sur les servitudes militaires le rang qui lui était primitivement assigné. On pourrait convenir aussi que le vendredi de chaque semaine sera affecté aux prompts rapports, conformément à l'article 65 de notre règlement. De cette manière il serait fait droit à toutes les observations que l'on vient de vous présenter.

M. Gobletµ. - Messieurs, il y a un autre objet que l'on néglige par trop à la Chambre et que l'on renvoie toujours à la fin des travaux. Ce sont les naturalisations.

Quand un rapport est fait sur une naturalisation, est-il rationnel de laisser l'affaire en suspens, de laisser l'intéressé dans l'attente pendant six mois, un an ?

Je crois qu'il serait convenable de décider que lorsqu'il y aura un rapport sur une naturalisation, il doit suivre les prompts rapports du vendredi.

MpVµ. - L'ordre du jour serait donc modifié en ce sens que les prompts rapports viendront après la discussion du budget de f la guerre et que l'on s'occupera aussi le vendredi des demandes de naturalisation.

M. E. Vandenpeereboom. - J'ai demandé que la proposition de M. le ministre de la justice acceptée hier fût maintenue ; c'est-à-dire que le Code pénal vienne après les budgets dont le rapport est déjà fait et de ceux dont le rapport pourrait encore être fait.

Le rapport sur les servitudes militaires conserverait son rang, et le vendredi serait consacré aux pétitions et même, si l'on veut, aux naturalisations.

De cette manière on satisferait tout le monde.

- Les propositions de MM. E. Vandenpeereboom et Goblet sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Discussion générale

MgCµ. - L'honorable M. Coomans n'a pas été satisfait de la réponse que j'ai faite aux observations qu'il a présentées dans la séance d'hier, et il les a reproduites en me demandant de nouvelles explications.

L'honorable membre insiste pour savoir en vertu de quelle loi on envoie en congé les miliciens qui n'ont pas de dettes à leur masse, tandis qu'on relient ceux qui en ont.

J'ai eu l'honneur de dire à l'honorable membre que la loi sur la milice autorise le gouvernement à garder tous les miliciens pendant cinq ans en activité et pendant trois ans à la réserve ; que tous les congés qu'on accorde avant les cinq premières années révolues sont des congés de faveur et qu'il est tout naturel, quand il y a des congés de faveur à accorder, que le gouvernement les donne de préférence aux hommes les plus méritants et les plus soigneux ; c'est une sorte d'encouragement donné à l'ordre et à la bonne conduite dans l'armée. Mais, messieurs, quand on congédie une classe entière de milice, comme il ne s'agit pas alors de faveur, les hommes qui ont des dettes sont envoyés en congé absolument comme ceux qui n'en ont pas. Il est bon de remarquer, d'ailleurs, qu'au lieu de conserver les hommes pendant cinq ans sous les armes, on ne les retient, dans l'infanterie, que deux ans à deux ans et demi.

L'honorable M. Coomans pense qu'il est impossible que les hommes n'aient pas de dettes. C'est une erreur et elle provient d'une confusion que l'on fait généralement : on ne s'explique pas bien ce que c*est que la solde du soldat. Quand on dit que la solde est insuffisante pour les besoins du soldat, cela est vrai ; mais cela ne l'est plus si l'on entend parler de son habillement.

Sur la solde, il y a un prélèvement fixe de 26 centimes par jour. Eh bien, la commission qui a été nommée dans le temps pour établir cette retenue, avait calculé qu'elle permettrait au soldat de se libérer de sa dette à la masse dans l'espace de dix-huit mois.

Le calcul est facile à vérifier. La valeur de l'habillement et de l'équipement du soldat, au moment de son entrée au régiment, est d'environ 150 fr., plus ou moins, selon l'uniforme du régiment. Le gouvernement accorde une première mise de 10 fr. ; le soldat reste donc débiteur envers l'Etat de 140 fr. après avoir été pourvu de tout ce qui lui est nécessaire pour son service. Au bout d'un an, la retenue de 26 centimes par jour a produit fr. 94-90 ; au bout de deux ans le produit de la retenue est de 189 fr. 80 c, c’est-à-dire de 19 fr. 80 c. de plus que la dette à la masse ; et la partie de cette somme qui reste disponible après déduction de quelques frais d'entretien et de petites réparations, est remise au milicien.

C'est ainsi que la commission est parvenue à établir qu'en deux ans le milicien peut se libérer complètement pourvu qu'il ait de l'ordre et qu'il ne détériore pas trop ses effets. Cela est si vrai qu'il en est qui, loin de laisser des dettes, touchent encore au bout de ce temps un décompte. Mais ce qui est insuffisant, je le reconnais, ce sont les deniers de poche. On s'est plaint à tort de l'insuffisance de la nourriture du soldat. Loin d'avoir été diminuée ou d'être restée stationnaire, elle a été augmentée.

Le soldat, qui autrefois ne recevait que 500 grammes de pain par jour, en reçoit aujourd'hui 750 grammes.

Il reçoit en outre tous les jours 250 gr. de viande, un kil. de pommes de terre, une soupe composée de bouillon, de légumes, de pain blanc et de lard, et de plus une ration de café qu'on a ajoutée depuis un certain temps. Cette nourriture est parfaitement suffisante et meilleure que celle que les soldats ont généralement chez eux ; car je doute que, dans leur famille, la plupart des miliciens mangent tous les jours de la viande. Il est vrai, la nourriture absorbe la presque totalité de ce qui reste de la solde.

Mais quand le soldat est nourri, habillé et logé, on n'a pas satisfait à tous ses besoins ; il est une foule de petites nécessités auxquelles il devrait être en état de pourvoir. Autrefois il pouvait au moyen de ses deniers de poche se procurer les choses nécessaires à l'entretien de ses effets, du tabac, un verre de bière ; aujourd'hui il ne lui reste presque plus rien, car il ne touche que 30 à 40 centimes tous les cinq jours, suivant le degré de cherté des vivres dans la garnison où il se trouve.

Cela n'est pas suffisant, et il est incontestablement urgent d'augmenter la solde journalière, afin de mettre les deniers de poche en rapport avec les besoins réels du soldat.

J'ai répondu hier à l'honorable M. Coomans, lorsqu'il a accusé le département de la guerre d'avoir adressé des circulaires aux parents des miliciens pour les engager à payer les dettes de leur fils, sous peine de ne pas les voir revenir en congé, que le département de la guerre n'a jamais envoyé semblable circulaire.

L'honorable M. Coomans nous a dit alors : Ce sont des officiers qui ont tenu ce langage à leurs soldats.

Il est possible, probable même que des officiers aient dit cela ; peut-être des capitaines, pour faire apurer les comptes, ont-ils écrit aux parents de soldats qu'ils connaissaient : Payez la dette de votre fils, il ira plus tôt en congé. Mais de quelques faits isolés et tout personnels, il y a loin à une circulaire émanée de l'autorité supérieure.

L'honorable M. Coomans prétend encore qu'on ne se conforme pas à la loi de 1817, aux termes de laquelle les congés doivent se tirer âa sort.

J’ai répondu que l'on tire les congés au sort toutes les fois qu'il est rationnel de le faire.

D'après notre organisation, nous avons trois classes sous les armes ; quand on envoie des soldats en congé par mesure générale, par exemple, quand on renvoie une classe tout entière, il n'y a pas lieu de tirer au sort, puisque tous ceux qui font partie de cette classe retournent chez eux. Au contraire, lorsque dans des circonstances exceptionnelles, comme à l'époque de la moisson, on envoie une partie des hommes en congé, alors on fait tirer au sort, car c'est le seul moyen de rester équitable.

Comme je l'ai dit à l'honorable M. Coomans, les cavaliers ne peuvent être envoyés en congé aussitôt que les hommes de l'infanterie, parce que l'instruction des cavaliers exige un peu plus de temps ; que d'ailleurs le fantassin ne laisse, en partant, rien derrière lui ; tandis que les cavaliers laissent des chevaux, qu'il faut entretenir et nourrir, ce qui nécessite le maintien sous les armes d'un effectif relativement plus élevé. Il n'y a pas moyen d'en agir autrement.

M. Coomans. - Il faut changer la loi.

MgCµ. - Quand même on changerait loi, il ne serait pas possible de retenir moins longtemps les cavaliers sous les armes.

Si donc on voulait traiter tout le monde sur le même pied, il faudrait, toute nécessité, garder les fantassins plus longtemps qu'aujourd'hui. Quel résultat aurait-on obtenu, si ce n'est d'aggraver la position du plus grand nombre et d'imposer au trésor public des dépenses plus considérables ?

La question des volontaires a été de nouveau traitée par l'honorable (page 455) M. Coomans. Il a dit qu'on avait défendu d'engager des volontaires au-delà du nombre de 12,000.

L'honorable M, Coomans croit aussi que nous avons 12,000 volontaires. Eh bien, ceux qui lui ont donné ces renseignements, n'ont pas compris les instructions ministérielles ou peut-être même ne les ont pas lues.

Lorsqu'on a arrêté la nouvelle composition de l'année, on a indiqué à chaque chef de corps le nombre de volontaires qu'il pourrait avoir en solde ; ce nombre s'élevait, pour toute l'armée, au chiffre de 10,000. Mais dans le but d'encourager l'enrôlement, on a admis un principe nouveau, celui de délivrer des congés aux volontaires.

Ainsi, on a donné pour instruction aux chefs de corps, que quand ils auraient 700 à 800 volontaires sous les armes, ils pourraient en envoyer en congé avec les classes de milice, en ayant soin néanmoins qu'il en restât un nombre suffisant pour les besoins du service. Malgré cet avantage, on n'a jamais pu obtenir dans l'armée le nombre de 12,000 volontaires sur lequel on avait compté. Dans l'année la plus favorable, celle de 1851, nous en avons eu 9,948, et à la fin de 1861, nous en avions 7,705.

Vous voyez, messieurs, que nous sommes loin de compte.

Et cependant nous tiendrions à avoir beaucoup de volontaires ; ce sont eux qui peuplent nos cadres subalternes et faute d'en avoir assez, nous sommes souvent dans l'impossibilité de pourvoir aux vacances.

Nous avons refusé, dit-on, beaucoup d'hommes qui se présentaient comme volontaires.

Eh bien, messieurs, si nous ne sommes pas encore plus difficiles en ce qui concerne l'admission des volontaires, c'est parce que les hommes qui s'engagent deviennent de plus en plus rares.

Si les volontaires s'offraient en plus grand nombre, nous exigerions plus de garanties morales.

Il résulte, en effet, d'une statistique qui a été faite, que les hommes qui donnent lieu au plus de condamnations, au plus de désordres sont précisément les volontaires et les substituants.

Je vous l'ai dit, cela tient à ce que la catégorie des volontaires recommandables diminue dans l'armée, c'est la conséquence de la prospérité du pays et de la facilité qu'ont les jeunes gens d'avenir à se créer une position dans la vie civile.

Il y a un point sur lequel je suis complètement d'accord avec l'honorable M. Coomans.

C'est sur l'état d'un grand nombre de nos casernes. Je n'ai cessé de réclamer à ce sujet auprès des autorités locales qui sont tenues de fournir le logement à la troupe.

J'ai employé tous les moyens en mon pouvoir pour faire améliorer le casernement ; j'ai nommé une commission d'hygiène pour inspecter les casernes et, sur son rapport, j'ai retiré une partie de la garnison à quelques villes jusqu'à ce que le casernement fût amélioré.

Ces moyens m'ont déjà fait obtenir beaucoup de quelques administrations communales, et, si l'honorable M. Coomans veut joindre ses efforts aux miens, je lui en saurai beaucoup de gré.

Quant aux prisons, messieurs, il n'est pas étonnant qu'elles soient bien tenues : elles sont sous la direction de l'Etat ; mais je doute très fort que les prisonniers soient mieux nourris que nos soldats.

Je crois, messieurs, avoir répondu à toutes les observations de l'honorable M. Coomans, sauf en ce qui concerne la loi de milice. S'il y a des défauts dans cette loi, ce sera quand vous la discuterez qu'il y aura lieu d'y remédier. Jusque-là, je crois, nous n'avons pas à nous en occuper.

Messieurs, dans son discours d'hier l'honorable M. Goblet, embrassant l'ensemble de nos institutions militaires, a remis tout en question, la loi sur l'organisation de l'armée, les lois organiques, le système de défense, la discipline, enfin tout ce que la Chambre elle-même a décidé. Il a fait un grief au ministre de la guerre d'appliquer ces lois ou de les faire exécuter.

Messieurs, l'organisation actuelle de l'armée a été votée par la Chambre après l'examen minutieux d'une grande commission mixte nommée d'après le vœu émis par la Chambre elle-même.

Cette commission était composé en partie de membres de la législature, en partie de militaires.

Les anciens membres de cette assemblée se rappelleront qu'en 1847, 1848 et 1849 on demandait des modifications à l'organisation de l'armée ; dans la pensée de quelques-uns, il était possible de faire de grandes réductions ; d'autres, au contraire, croyaient qu'on ne pouvait toucher à cette organisation sans compromettre le sort de l'armée.

C'était aussi ma conviction, et je me suis opposé à la nomination dej l commission parce que je croyais qu'on la demandait uniquement pour arriver à la réduction de nos cadres, pour le maintien desquels j'ai constamment combattu,

Je disais, à cette occasion, à la Chambre que, si la commission était composée d'hommes compétents, elle demanderait un budget de 32 millions (Le chiffre est au Moniteur.)

La commission a fait un projet d'organisation et un projet de budget ; la Chambre a adopté ses conclusions, la loi a été votée et le budget en est la conséquence.

On ne peut donc me faire un reproche d'exécuter ce qui est prescrit par la loi. On me dit :

« En 1847 et en 1848 vous défendiez l'organisation d'alors qui n'exigeait qu'un budget de 26 ou 27 millions. »

Oui, messieurs, je défendais cette organisation quand je croyais qu'on voulait l'amoindrir et je disais qu'avec les 80,000 hommes que nous avions, nous pouvions faire face à toutes les1circonstances. On est parti de là pour dire que ce système de défense est tout à fait opposé à celui que j'ai aujourd'hui ; eh bien, je suis heureux de pouvoir citer mes paroles d'alors. Voici ce que je disais :

« Avec une armée concentrée sur un seul point et que nous pourrions porter partout où il y aurait du danger, nous défendrions bien la Belgique. »

Dans la discussion de la loi sur l'agrandissement d'Anvers, j'ai dit aussi qu'avec notre armée nous étions certains de pouvoir défendre le pays ; je voyais dans la création d'une grande place, devant servir d'appui à notre armée, une amélioration de mon système de 1848.

En 1848 j'ai émis l'opinion qu'il fallait concentrer l'armée sur un point, ne pas défendre de petites forteresses non susceptibles d'être défendues. Déjà en 1847 j'avais provoqué la démolition de Marienbourg et de Philippeville.

Sous l'administration de mes successeurs, on a continué à marcher dans la même voie ; on a démoli Menin, Ypres, Ath, et le principe de la démolition des petites places a prévalu définitivement, comme il prévaut partout en Europe.

Les journaux allemands nous apportent aujourd'hui encore une nouvelle preuve que partout on démolit les petites forteresses.

C'est là, messieurs, le système que j'ai toujours défendu.

Je sais bien qu'on veut faire croire au pays que mon système est d'abandonner la défense du territoire et de concentrer l'armée sous Anvers dès le principe de l'invasion ; mais je proteste contre cette idée. J'ai toujours soutenu que quand une armée a une bonne base d'opérations, elle est beaucoup plus ferme en campagne ; si elle éprouvait un échec, tout ne serait pas perdu, attendu qu'elle pourrait se retirer dans la place de refuge et s'y refaire pour se mettre de nouveau en campagne. Voilà le système que j'ai toujours défendu.

On vous a dit, messieurs, que ce système tend à conserver l'intégrité de l'armée aux dépens de l'intégrité du territoire. J'avoue que de prime abord je n'avais pas compris cette idée, tant elle est contraire à tous mes sentiments et à mon passé : mais, messieurs, je voudrais bien savoir si, en disséminant l'armée dans une foule de petites places, on pourrait bien défendre le pays ; si au lieu de concentrer l'armée en une masse compacte pouvant s'opposer à des forces considérables et pouvant se réfugier dans une place où elle serait à l'abri de tout danger et d'où elle pourrait sortie pour se remettre en campagne, on l'éparpillait de manière à la faire battre en détail, aurait-on plus de chances de sauver la nationalité ? Je n'hésite pas à dire que la concentration constitue un système beaucoup plus propre à assurer la défense du pays.

Messieurs, après avoir combattu le système de défense qu'en définitive vous avez adopté en votant les fortifications d'Anvers, on a critiqué toutes les lois relatives à l'armée.

Je n'ai pas coopéré à la confection de ces lois.

Il se peut qu'elles présentent des lacunes ou des défectuosités.

Si on veut bien signaler ces défauts, le gouvernement sera heureux de les faire disparaître et d'introduire dans la législation toutes les améliorations dont elle peut être susceptible. Mais en attendant que les lois soient modifiées, le département de la guerre doit nécessairement les exécuter telles qu'elles sont.

On a dit que l'application de la loi sur les pensions a donné lieu à des actes scandaleux, arbitraires ; que bien que cette loi permette de pensionner un, officier à 55 ans, le gouvernement s'était engagé, lors de la discussion, à n'user de cette faculté qu'avec la plus grande modération ; mais que, nonobstant cette promesse, le gouvernement applique aujourd'hui la loi d'une manière impitoyable.

Messieurs, voici comment les choses se passent :

Dans le but de prévenir l'arbitraire et le favoritisme, un de mes honorables prédécesseurs a provoqué un arrêté royal qui porte que les officiers subalternes seront pensionnés à 55 ans, les officiers supérieurs à 58, (page 456) les colonels à 60, les généraux-majors à 63, et les lieutenants-généraux à 65 ans.

Il y a un article qui admet une exception en faveur des officiers qui se trouvent dans une position exceptionnelle et qui auront à faire valoir des motifs spéciaux.

J'ai appliqué cet arrêté comme l'ont fait mes honorables prédécesseurs. La mise à la retraite a été retardée pour 3 ou 4 officiers, sur la proposition de leurs supérieurs.

M. de Brouckereµ. - Vous avez mis à la pension un grand nombre d’officiers, avant qu’ils eussent atteint le maximum d’âge.

MgCµ. - Cela n'a pas lieu, quand il n'y a pas de motifs exceptionnels. Mais, quand des généraux qui sont atteints d'infirmités, demandent leur retraite, il faut bien la leur accorder, puisqu'ils y ont droit.

Messieurs, on a critiqué également l'avancement au choix. Ce mode d'avancement existe dans toutes les armées, par la raison qu'il serait impossible d'avoir de bons cadres, si l'on se bornait à faire les nominations à l'ancienneté.

Quant à l'arbitraire, il est bien difficile de l'introduire aujourd'hui dans l'armée. Voici, en effet, comment se fait actuellement l'avancement au choix.

Des inspections générales ont lieu presque tous les ans ; les officiers généraux chargés de ces inspections, reçoivent les propositions des chefs de corps et examinent tous les officiers des corps qu'ils inspectent ; ils appuient ou n'appuient pas les propositions des chefs de corps. Ses propositions sont ensuite transmises au département de la guerre, qui les soumet à tous les généraux inspecteurs réunis en comité. Ce comité dresse une liste des candidats dignes des avancements au choix, et c'est d'après cette liste que les promotions au choix se font.

Voilà comment les choses se passent ; je pense que les avancements au choix sont une nécessité de notre état militaire.

Messieurs, après avoir critiqué les lois et les règlements de l'armée, l'honorable M. Goblet m'a fait des griefs de la plupart de mes actes ; c'est même un procès de tendance qu'il m'a intenté.

L'honorable membre m'a fait un reproche d'avoir confié à des officiers un secret que j'avais refusé de confier à la Chambre.

Messieurs, vous vous rappellerez que lors de la discussion sur la transformation de notre artillerie, j'ai déclaré que je m'étais engagé à ne pas divulguer le secret de cette opération, et que la Chambre, approuvant ma réserve, a rejeté une motion par laquelle on voulait m'obliger à déposer sur son bureau des documents confidentiels.

Quant aux officiers, chargés de présider à la fabrication de la nouvelle artillerie, il fallait bien qu’ils fussent initiés aux secrets du système. Quelques indiscrétions avaient été commises. On faisait planer des doutes sur beaucoup de personnes. Afin de faire cesser ces doutes et de connaître l'auteur d'une indiscrétion que les règlements condamnent, j'ai chargé une commission composée du substitut de l'auditeur général et de deux lieutenants 'généraux de faire une enquête à l'effet de savoir comment un dessin et d'autres renseignements avaient été livrés au public.

- Qu'y a-t-il de si extraordinaire dans la nomination de cette commission rogatoire ? Y avait-il un autre moyen de découvrir la vérité et de dissiper les soupçons qui planaient sur des officiers honorables ? II y a eu souvent des enquêtes de ce genre dans l'armée.

On m'a reproché encore d'avoir fait deux ventes de fusils l'année dernière, ventes pour lesquelles on prétend que j'ai été obligé de demander un bill d'indemnité.

D'abord, messieurs, ces ventes de fusils ont été faites avec l'assentiment du conseil des ministres. C'était une excellente occasion de se débarrasser, à un prix très avantageux, d'armes hors de service, alors que nous avions le plus grand besoin de faire fabriquer des fusils neufs. Il était tout naturel qu'on se défît de mauvais fusils, pour en faire faire de bons.

Voilà l'opération qui a été exécutée. La Chambre l'a approuvée ; je n'ai pas demandé de bill d'indemnité, et la Chambre n'avait pas à m'en accorder. Loin de demander un bill d'indemnité, j'ai dit, au contraire, que si une occasion se présentait de faire une nouvelle opération de ce genre, la gouvernement s'empresserait de la saisir.

La Chambre a approuvé ce système qui nous procure les moyens de nous débarrasser de tous nos mauvais fusils et de compléter ainsi en grande partie, et sans frais nouveaux l'armement de l'armée. Chacun conviendra, je pense, que c'est là une très bonne ne mesure d'administration.

On est revenu aussi, meneurs, sur une question que je ne m'attendais plus de voir traiter, du moins pour le moment. On m'a accusé d'avoir fait emprisonner un citoyen ; une discussion a eu lieu dans cette enceinte ; l'affaire ayant été soumise aux tribunaux, je pensais qu'on aurait attendu leur décision avant de me faire de nouveaux reproches ; au surplus quel grief pourrait-on me faire d'avoir suivi la ligne de conduite de tous mes prédécesseurs ?

Je vous ai cité des faits, notamment celui d'un lieutenant-colonel, du même grade que l'officier dont il est question ; un lieutenant-colonel avait été admis à faire valoir ses droits à la pension, il a été mis en non-activité par un arrêté royal, comme l'a été le lieutenant-colonel Hayez. Maïs, a-t-on dit, l'arrêté qui l'a mis en non-activité, avait été pris avant le terme fixé pour sa mise à la retraite. Eh bien, c'était une erreur. Je n'ai pu relever le fait pendant la discussion.

Depuis, je me suis fait produire les deux arrêtés, et je déclare que les deux arrêtés sont identiquement les mêmes.

- Un membre. - Quel est le nom du lieutenant-colonel auquel vous faites allusion ?

MgCµ. - C'est le lieutenant-colonel Colin.

Il s'est présenté encore une autre affaire qui prouve que de tout temps, le département de la guerre a considéré l'arrêté royal qui admet les officiers à faire valoir leurs droits à la pension comme étant une simple mesure administrative.

Un arrêté du 12 mars 1859, pris avant mon entrée au ministère de la guerre, avait admis plusieurs officiers à faire valoir leurs droits à la pension et avait fixé la date de l'entrée en jouissance au 29 mars suivant.

L'honorable M. Coomans fit remarquer à la Chambre que parmi ces officiers il y en avait quatre qui auraient pu être maintenus encore en activité pendant quelque temps, parce qu'ils occupaient des positions spéciales.

C'étaient M. Frédericx, directeur de la fonderie de canons à Liège et les docteurs Gouzec, Tallois et Lebeau.

L'honorable ministre de l'intérieur fit observer que ces messieurs n'étaient pas encore mis à la pension et que probablement son collègue de la guerre les maintiendrait en activité.

La Chambre fut satisfaite de ces explications et malgré l'arrêté royal qui admettait les quatre officiers à faire valoir leurs droits à la pension ces officiers furent maintenus pendant plusieurs mois encore en activité de service.

Vous voyez donc, messieurs, que le département de la guerre a toujours interprété les arrêtés et les lois concernant les pensions comme je l'ai fait à l'égard du lieutenant-colonel Hayez. Si cette interprétation est vicieuse, la justice, qui est en ce moment saisie de son examen, la changera ; mais je constate en attendant qu'elle n'a donné lieu à aucune observation de la part de la cour des comptes ni de la part de la Chambre.

On m'a également accusé, messieurs, et cette accusation est beaucoup plus grave, d'avoir fait croiser la baïonnette sur la poitrine d'un magistrat.

Je désire donner sur ce point quelques explications à la Chambre qui probablement n'a pas une connaissance exacte des faits. Il s'agit, messieurs, du conflit survenu à la fonderie de canons. Un ancien ouvrier de cet établissement se figure qu'on y fabrique des boulets, des projectiles pour lesquels il est breveté.

La vérité est que son brevet date du 28 février 1861 et que l'on fabriquait à la fonderie les projectiles dont il est question depuis le mois d'octobre 1859. Le modèle en avait été confié au département de la guerre par une puissance étrangère qui l’employait dans ses établissements depuis 10 ans.

Le prétendu inventeur écrivit au département de la guerre pour lui dire qu'il croyait qu'on fabriquait à la fonderie le projectile pour lequel il était breveté.

Le département de la guerre lui répondit qu'il était dans l'erreur et qu'on ne savait ce qui avait pu donner lieu à cette supposition de sa part.

Au bout de quelque temps le même individu écrivit au directeur de la fonderie : « De deux choses l'une : ou l'on fabrique les projectiles pour lesquels je suis breveté ou vous ne les fabriquez pas. Si vous ne les fabriquez pas, il est un moyen bien simple de nous mettre d'accord. Laissez-moi entrer dans votre établissement, laissez-moi voir ce que vous faites. Je me présenterai samedi prochain accompagné d'un sieur Marchand, ingénieur mécanicien, pour examiner ce que vous faites. »

Or, messieurs, dès qu'on s'était mis à fabriquer di nouveaux canons, ordre avait été donné au directeur de la fonderie de ne laisser entrer dans l'établissement aucune personne étrangère.

En conséquence de cet ordre, le directeur de la fonderie fit savoir à (page 457) l'individu en question qu'il n'entrerait pas dans la fonderie de canons sans l'autorisation du ministre de la guerre.

Le sieur Lejeune-Chaumont envoie copie au ministre de la guerre de la lettre qu'il avait adressée au directeur de la fonderie.

On écrit du département de la guerre au directeur de la fonderie de faire observer l'ordre qui lui a été donné, la loi de 1791 et le décret de 1811 rendant le ministre de la guerre responsable des établissements militaires et de tout ce qu'ils contiennent.

Personne ne peut donc entrer dans ces établissements sans son autorisation.

Le 25 juin, l'inspecteur général de l'artillerie transmet au département de la guerre un exploit d'huissier.

Messieurs, j'oubliais de vous dire qu'au préalable le directeur de la fonderie avait fait savoir au département de la guerre que l'individu qui réclamait l'entrée de l'établissement s'était effectivement présenté avec plusieurs autres personnes, dont une se disait juge de paix ; ces personnes n'étaient pas munies de l'autorisation du ministre de la guerre.

M. Guilleryµ. - On ne se dit pas juge de paix ; on est officier public ou on ne l'est pas-.

MgCµ. - Je suis parfaitement à l'aise dans cette affaire, messieurs, et je vais vous le prouver.

Je n'y suis absolument pour rien. J'étais malade et à 300 lieues d'ici quand tout cela s'est présenté.

C'est M. le ministre de la justice qui a donné toutes les instructions. Quand je suis revenu, j'ai appris ce qui s'était passé, et je vais vous rendre compte des notes que j'ai prises sur cette affaire.

Vous pouvez vérifier la date de mon départ et celle de mon retour.

Si vous préférez que ce soit M. le ministre de la justice qui vous donne ces renseignements, je lui laisserai la parole.

J'ai donné ces explications parce que je trouve que la conduite tenue par le gouvernement dans cette circonstance était tellement bien indiquée, tellement conforme aux lois, que j'accepte volontiers la responsabilité de tout ce qui s'est fait. Si j'avais été dans le pays, j'aurais agi absolument comme l'a fait mon collègue, M. le ministre de la justice, pendant mon absence.

Voilà pourquoi j'ai cru pouvoir en parler, et je n'aurais pas dit que j'étais absent sans l'interruption qui vient de se produire. J'ai, du reste, cité une lettre.

Je ne dis pas que ce n'était pas le juge de paix qui s'est présenté, mais le directeur de la fonderie m'a écrit que M. Lejeune-Chaumont était venu accompagné de plusieurs personnes, entre autres un monsieur se disant juge de paix et que ces personnes n'ayant pas autorisation il leur avait interdit l'entrée de l'établissement.

Dans toute cette affaire, messieurs, le département de la guerre a consulté le département de la justice et il n'a agi qu'en conformité de vues avec lui.

Voilà comment les choses se sont passées.

Je laisserai à mon collègue le soin de vous donner des explications plus détaillées. Il s'en acquittera mieux que moi, parce que les faits rentrent dans sa spécialité. Je passerai, par conséquent, à d'autres explications.

L'honorable M. Goblet m'a fait un grief d'un règlement sur le service intérieur que, pendant mon premier ministère, j'avais donné à l'armée. Ce règlement contenait un article que l'honorable membre trouve extrêmement blâmable et que cependant mon successeur, l'honorable général Greindl, a maintenu dans le nouveau règlement élaboré par lui et qui est encore en vigueur.

Cet article si vivement attaqué n'était pas plus de moi que l'article actuel ; il existait antérieurement, et je suis étonné que l'honorable M. Goblet le trouve si détestable puisqu'il se trouve tout au long et à peu près dans les mêmes termes dans le règlement pour la garde civique ; or, je ne pense pas qu'on ait jamais songé à critiquer cet article dont je vais vous donner lecture :

« La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants, que les ordres soient exécutés littéralement, sans hésitation ni murmure ; l'autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n'est permise à l'inférieur que lorsqu'il a obéi.

« Si l'intérêt du service demande que la discipline soit ferme, il veut en même temps qu'elle soit paternelle. Toute rigueur qui n'est pas d'une nécessité absolue, toute punition qui n'est pas déterminée par le règlement, ou que ferait prononcer un sentiment autre que celui du devoir ; tout acte, tout geste, tout propos outrageant d'un supérieur envers son subordonné, sont sévèrement interdits.

« Les membres de la hiérarchie militaire, à quelque degré qu'ils y soient placés, doivent traiter leurs inférieurs avec bonté ; être pour eux des guides bienveillants, leur porter tout l'intérêt et avoir pour eux tous les égards dus à des hommes dont la valeur et le dévouement procurent leurs succès et préparent leur gloire. »

Voilà l'article concernant l'armée, voici maintenant celui qui concerne la garde civique :

« La discipline consiste dans le plus grand ordre possible, dans la prompte exécution et sans la moindre réplique, des ordres donnés, dans la répression inévitable des négligences ou défauts et dans la punition certaine de ceux qui les ont commises, ou qui manquent à leur devoir dans l'exécution des ordres prescrits, tandis qu'un obéissance absolument passive des inférieurs envers leurs supérieurs en est la base. »

Vous le voyez, messieurs, c'est absolument le même principe qui prévaut dans les deux articles.

Du reste, ce n'est pas la première fois que cette disposition du règlement est critiquée : quelque temps après que le règlement parut il fut attaqué au sein même de cette assemblée par un de ses honorables membres, et alors ce n'est pas le ministre de la guerre qui vint le défendre ; ce fut l'honorable et regretté M. de Brouckere, ancien bourgmestre de Bruxelles. Cet honorable membre déclara qu'il ne trouvait absolument rien à redire aux principes du règlement, et que si l'on supprimait ces principes il n'y aurait plus d'armée possible.

- Plusieurs membres. - C'est évident !

MgCµ. - Cela me paraît évident aussi. Par conséquent la Chambre ne s'étonnera pas si les principes de discipline soutenus par l'honorable M. Goblet sont totalement opposés aux miens. Je déclare que je plaindrais l'armée dans laquelle on mettrait en pratique les principes que l'honorable M. Goblet a professés ici, et plus encore le pays qui aurait une pareille armée.

Messieurs, une armée qui ne serait pas basée sur la subordination, sur le respect des inférieurs pour les supérieurs, serait incapable de remplir sa mission.

Ces principes élémentaires sont écrits à chaque page de nos codes ; depuis qu'il existe des armées permanentes, ils ont formé la base de leur organisation.

Une armée, je le répète, dans laquelle ou pourrait attaquer les chefs, critiquer leurs actes, jeter le blâme sur leur conduite, les couvrir de ridicule, une telle armée ne pourrait pas remplir sa mission.

Messieurs, dans un pays comme le nôtre qui jouit d'une très grande liberté, la discipline est plus difficile à maintenir que partout ailleurs. Les idées d'indépendance personnelle, qui sont la base de toutes nos institutions politiques, fermentent dans l'esprit des membres de l'armée ; elles poussent des officiers jeunes, ardents, sans expérience, à des actes d'indiscipline qu'il faut savoir réprimer et réprimer d'une manière énergique. On peut dire que, plus il y a de liberté dans un pays, plus la discipline doit être maintenue d'une main ferme et sévère.

C'est à ce prix seulement que l'armée sera à la hauteur de sa mission et que le pays pourra jouir en sécurité de toutes ses libertés. Ces libertés, messieurs, dont vous êtes fiers à si juste titre, ces libertés seraient exposées au plus grave danger si les idées d'indépendance absolue dont je parlais tout à l'heure pouvaient pénétrer dans l'armée.

On l'a si bien compris, que partout on soumet les armées à un régime spécial et à des lois exceptionnelles.

Ce qui est de droit commun dans la vie civile, est souvent imputé à faute, à crime même aux militaires. On leur interdit des droits qu'on accorde à la généralité des citoyens.

Leur noble profession leur impose une vie de dévouement et d'abnégation, qui exclut tout sentiment égoïste.

Il faut que chaque membre de l'armée, quel que soit son grade ou sa position, sache se plier aux exigences de la discipline, si pénibles qu'elles pussent être.

Mais cette vie de dévouement, de servitude même, si vous le voulez, est ennoblie par les sacrifices qu'elle impose, et l'armée dans laquelle ne régnerait pas ce sentiment élevé du devoir militaire, l'armée qui chercherait à secouer le joug de la discipline et qui ne saurait pas supporter un fardeau auquel s'attachent la gloire et l'honneur de la profession des armes, ne serait pas digne de la confiance du pays.

Il y a bien des années, messieurs, que dans cette enceinte même, j'ai soutenu ces principes, et l'expérience n'a fait que confirmer de plus en plus leur utilité, leur nécessité absolue.

Je ne me laisserai donc pas détourner de mon devoir par les attaques dirigées contre moi et par l'esprit de critique de quelques officiers, un petit nombre heureusement, dans notre armée ; quand, à défaut d'expérience, un militaire s'écarte de la voie de l'ordre et de la discipline, il faut savoir l'y ramener ; et, pour ma part, je ne faillirai pas à cette tâche.

(page 458) Encore une fois, messieurs, si les principes contraires à ceux que je viens d'exposer pouvaient prévaloir, que la Chambre me permette de le lui dire (c'est mon devoir), nous n'aurions plus d'armée ; les sacrifices que nous ferions pour notre état militaire auraient été faits en pure perte. Le jour où cette armée devrait agir ,elle raisonnerait, elle discuterait et peut-être hésiterait. Ainsi, au lieu d'être un appui, une sauvegarde, elle serait un sujet de douleur et d'amère déception pour le pays.

Messieurs, la Chambre comprendra qu'avec ces principes qui ont toujours été les miens, je ne transigerai point avec la discipline, c'est-à-dire avec mon devoir. Je lui demande de me soutenir dans l'accomplissement de ce devoir, difficile, pénible parfois et d'autant plus nécessaire que nous vivons dans un pays de liberté et de discussion ; je lui demande enfin de prendre sous sa sauvegarde les principes que je viens d'exposer et sans lesquels l'existence de l'armée serait compromise.

M. de Brouckereµ. - Je demande à la Chambre la permission de donner une courte explication sur une interpellation que je me suis permis de faire.

Quand M. le ministre de la guerre parlait de l'âge fixé pour la mise des officiers à la pension, j'ai eu le tort de l'interrompre en lui disant : « Il est des officiers qui ont été mis à la pension avant l'âge que vous venez d'indiquer. » M. le ministre de la guerre m'a paru nier le fait.

Eh bien, je commence par déclarer moi-même qu'il est des cas où M. le ministre de la guerre doit mettre des officiers à la pension avant qu'ils aient atteint la dernière limite de l'âge. Ce n'est donc nullement à un fait spécial que j'ai fait allusion. Mais M. le ministre de la guerre doit se rappeler qu'il y a eu une époque où il a mis simultanément à la pension un assez grand nombre d'officiers qui n'avaient pas tous atteint la dernière limite de l'âge.

M. le ministre a paru m'engager à citer des noms. Je n'aime pas, messieurs, à citer des noms propres ; mais je pourrais citer deux généraux, par exemple, qui ont été mis à la pension en même temps que d'autres officiers supérieurs, bien qu'il n'eussent pas atteint l'âge requis.

MgCµ. - A quelle époque ?

M. de Brouckereµ. - Il y a trois ans, je pense. Je n'ai pas besoin, M. le ministre, de nommer ces généraux ; vous les connaissez parfaitement et en même temps plusieurs officiers supérieurs que je connais et que vous connaissez aussi.

Je le répète, je n'entends pas critiquer un fait isolé, je reconnais que le département de la guerre peut mettre un officier à la pension avant qu'il ait atteint la dernière limite d'âge.

J'ai vu avec regret une mesure qui avait un air de généralité, et dans un même moment un assez grand nombre d'officiers avaient été mis à la pension avant qu'ils eussent atteint l'extrême limite d'âge.

J'exprime le désir que la chose ne se renouvelle plus. Je le répète, je ne fais pas allusion à des cas spéciaux.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'affaire de la fonderie de canons est soumise aux tribunaux, et j'eusse désiré qu'elle ne vînt pas en ce moment occuper la Chambre. Quelque réserve que nous apportions dans la discussion, il est complètement impossible de ne pas toucher aux questions pendantes devant l'autorité judiciaire et de ne pas nous exposer à établir des préjugés, des préventions qui ne se fussent pas produites dans un débat judiciaire qui eût été complet.

La Chambre comprendra cependant qu'étant attaqué, je me trouve dans la nécessité de répondre et de présenter des explications qui justifieront la marche que nous avons suivie.

Ainsi que l'a dit mon honorable collègue, M. le général Chazal, quand cet incident a surgi, il était absent. Comme il s'agissait de questions de droit et de procédure, le département de la guerre s'est adressé à moi, j'en ai conféré avec mes collègues ; l'affaire a été dirigée d'après les instructions qui ont été données par nous, et c'est à nous qu'incombe la responsabilité des actes qui ont été posés ; c'est à nous à les défendre.

Quoique la presse se soit beaucoup occupée de cette affaire, les faits et les graves questions qu'ils soulèvent me semblent encore peu connus.

Permettez-moi de les rappeler et d'indiquer les points difficiles qui se trouvent engagés dans ce débat.

A la date du 24 mai 1861 un nommé Lejeune-Chaumont présenta au président du tribunal civil de Liège une requête où on trouve le passage suivant :

« Ayant appris qu'à la fonderie royale de canons de Liège on se livre à la contrefaçon du projectile breveté en faveur des exposants et voulant en fournir la preuve à la justice, ils vous prient, M. le président, de vouloir nommer un expert pour procéder à la description des boulets de canon qu'on confectionne dans cet établissement et l'autoriser au besoin à mettre sous scellés un ou deux boulets. Ils vous prient également d'autoriser ledit sieur Lejeune, l'un des exposants, à assis er à l'opération et de commettre un huissier pour la signification de votre ordonnance. »

Tels sont, messieurs, les termes de la requête présentée au président du tribunal ; on demandait à mettre sous les scellés et à faire décrire quelques-uns des projectiles qu'on fabriquait à la fonderie de canons de Liège.

Cette requête fut apostillée par le président du tribunal civil de Liège, de la manière suivante :

« Vu la requête qui précède, l'exposé y fait et les articles 6, 7 et 8 de la loi du 24 mai 1854 ; vu aussi le brevet joint à la présente ; nous, président du tribunal civil de première instance séant à Liège, autorisons les exposants à faire procéder à la description des objets contrefaits, nommons pour expert le sieur Jean-Baptiste Marchand, ingénieur mécanicien, à Liège, commettons l'huissier Englebert pour faire la signification. Autorisons aussi les exposants à mettre sous scellés un ou deux boulets, et le sieur Lejeune, l'un des exposants, à assister à l'opération. »

Je viens de donner lecture de la requête et de l'ordonnance ; la Chambre remarquera qu'il ne s'agit pas de pénétrer dans la fonderie de canons.

Le droit d'entrer dans cet établissement n'est ni demandé ni accordé. Cette ordonnance fut signifiée à la fonderie de canons le 22 juin, et le 25 se présenta à cet établissement un huissier accompagné du suppléant du juge de paix, du sieur Lejeune-Chaumont, de l'expert et d'agents de la force publique. A cette date, et je prie la Chambre de le remarquer, aucune notification n'avait encore été faite, à Bruxelles, au ministre de la guerre dans les attributions duquel se trouve la fonderie de canons.

La première question que nous nous posâmes était celle de savoir si, avant toute espèce de signification au ministre de la guerre, l'on pouvait se présenter à la fonderie et tenter d'exécuter une ordonnance dont, légalement, nous n'étions pas touchés, dont, légalement, le gouvernement n'avait pas connaissance.

Cette manière de procéder était évidemment irrégulière et à elle seule elle justifiait notre résistance.

Le domicile du ministre de la guerre est à Bruxelles, l'établissement de la fonderie de canons est dans les attributions directes du département de la guerre, il n'a pas une personnalité à part, une existence propre et indépendante, il était donc impossible d'exécuter une décision avant qu'elle fût notifiée au ministre de la guerre sous l'autorité duquel se trouve l'établissement.

De ce que je viens de dire résulte déjà que la fonderie de canons a un caractère particulier, que c'est un établissement militaire. Ce caractère, personne, je pense, ne le contestera, personne ne prétendra qu'on puisse le considérer comme un établissement particulier, privé, dans lequel il soit permis de pénétrer, d'agir, de saisir, d'exécuter comme on le ferait dans une usine ordinaire, ou dans une maison de commerce ; si quelqu'un soutenait un pareil système, la loi de 1791 lui répondrait de la manière la plus péremptoire.

Voici ce que porte d'abord l'article premier du titre IV : « Tous les établissements et logements militaires ainsi que leurs ameublements et ustensiles actuellement existants dans lesdits logements et établissements ou en magasin, soit que ces divers objets appartiennent à l'Etat ou aux ci-devant provinces et aux villes, tous les terrains et emplacements militaires, tels qu'esplanades, manèges, polygones dont l'Etat est légitime propriétaire, seront considérés désormais comme propriétés nationales et confiés en cette qualité au ministre de la guerre pour en assurer la conservation et l'entretien. »

Ce texte ne peut pas laisser de doute, et du moment que la fonderie de canons est un établissement militaire, la première chose à se demander, c'est si la justice civile a le droit d'y pénétrer, a le droit d'en permettre, d'en autoriser l'accès ?

Et, à mon avis, cette question n'en est pas une.

Du moment qu'il s'agit d'un établissement militaire, les règles qui le concernent sont tout autres que celles qui sont applicables à un établissement particulier. Les articles 14 et 15 de la loi de 1791, les articles 67 et 68 du décret de 1811 déterminent le régime sous lequel ces établissements sont placés et dans quelles conditions on peut y pénétrer.

Voici ce que porte l'article 14 du décret du 5 décembre 1791 :

« Art. 14. Dans tous les objets qui ne concerneront que le service purement militaire, tels que la défense de la place, la garde et la conservation de tous les établissements et effets militaires, comme hôpitaux, arsenaux, casernes, magasins, prisons, vivres, effets d'artillerie ou de fortifications, et autres bâtiments, effets ou fournitures à l'usage des troupes, la police des quartiers, la tenue, la discipline et l'instruction des troupes, l'autorité militaire sera absolument indépendante du pouvoir civil. »

(page 459) Voilà une première disposition qui rend les hôpitaux, les arsenaux, les établissements militaires absolument indépendants du pouvoir civil. L'article 15 ajoute :

« Art. 15. Il ne pourra être préjugé de l'article précédent, ni de tous autres du présent décret, que, dans aucun cas, les terrains, bâtiments et établissements confiés à la surveillance de l'autorité militaire, puissent devenir des lieux d'exception ou d'asile, et soustraire le crime, la licence, les délits ou les abus à la poursuite des tribunaux ; l'action des lois devant être également libre et puissante dans tous les lieux, sur tous les individus, et nul ne pouvant, sans forfaiture, pour aucun cas civil ou criminel, se prévaloir de son emploi et de ses fonctions dans la société pour suspendre ou détruire l'effet des institutions qui la gouvernent. »

Ces dispositions, messieurs, ont été, je ne dirai pas modifiées, mais organisées par le décret du 24 décembre 1811 de la manière suivante :

« Art. 67. Pour les délits ordinaires, toute personne prise en flagrant délit ou poursuivie par la clameur publique, aux portes de la ville ou sur toute autre partie du terrain militaire, y sera sur-le-champ arrêtée, soit par les postes et sentinelles, soit par les officiers de police civile et judiciaire, soit même par les particuliers, sans qu'il soit besoin d'une autorisation préalable du commandant d'armes, lequel en sera d'ailleurs et de suite informé. »

Puis viennent les dispositions de l'article 68, qui sont décisives.

« Art. 68. Hors les cas prévus dans l'article précédent, nul ne peut pénétrer, sans l'autorisation du commandant d'armes, dans l'intérieur des bâtiments ou établissements militaires et des terrains clos qui en dépendent, ni sur les parties des fortifications autres que celles qui sont réservées à la libre circulation des habitants, en vertu de l'article 28 de la loi des 8-10 juillet 1791.

« En conséquence et hors lesdits cas, les officiers de police civile et judiciaire s’adresseront, pour la poursuite des délits ordinaires, au commandant d'armes, qui prendra de suite et de concert avec eux, les mesures nécessaires pour la répression du désordre, et, s'il y a lieu, pour l'arrestation des prévenus. »

Voilà donc, messieurs, les dispositions sous l'empire desquelles se trouve placée la fonderie de canons.

Hors le cas de flagrant délit, nul n'a le droit d'y pénétrer. L'autorité civile n'a rien à y autoriser, rien à y commander. Le paragraphe de l'article 67 ajoute, comme on vient de le voir, que lorsqu'il s'agira de délits autres que le flagrant délit, les officiers de police devront s'adresser au commandant d'armes, qui prendra de suite et de concert avec eux, les mesures nécessaires ; s'il en est ainsi en cas de délit, à combien plus forte raison l'intervention du commandant d'armes ne sera-t-elle pas requise lorsqu'il s'agira d'une simple contestation civile ?

Ainsi que je l'ai dit, dès le 25, avant qu'aucune notification eût été faite au ministre de la guerre, sans qu'on se fût adressé au commandant d'armes, en dehors de tout délit, flagrant ou autre, car de délit il ne s'en agissait pas, on s'est présenté à la fonderie de canons pour y pénétrer. L'entrée de la porte a été refusée, et elle l'a été à bon droit.

D'abord, messieurs, une question préalable. Est-ce que le sieur Lejeune-Chaumont était autorisé par l'ordonnance même du président à pénétrer dans la fonderie de canons ?

C'est une première question qui, examinée attentivement et à la vue des pièces, doit être résolue négativement et qui, à mon avis, simplifie beaucoup le débat. J'ai lu tantôt la requête présentée au président du tribunal et l'ordonnance qui a été rendue par ce magistrat sur cette requête.

Eh bien, vous n'y trouvez pas un mot qui indique la volonté de permettre l'accès de la fonderie de canons. Les exposants demandent à pouvoir décrire les boulets qui se fabriquent ; ils demandent à pouvoir les mettre sous le scellé ; ils demandent à faire nommer un expert ; mais quant à pénétrer dans la fonderie de canons, il n'y en a pas un mot, et dans la réponse du président pas davantage.

M. Nothombµ. - Pour saisir, il fallait pénétrer dans l'établissement.

M. Guilleryµ. - Toutes les ordonnances sont comme cela. Il n'y a jamais d'ordonnance qui permette de pénétrer dans les demeures.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Toutes les ordonnances sont comme cela et peuvent être comme cela, sauf quand il s'agit de lieux dont la loi interdit l'accès. C'est là la grande différence que vous ne faites pas.

Si vous voulez soutenir que les articles 14 du décret de 1791, 67 et 68 du décret de 1811 n'existent pas, vous aurez raison ; mais leur existence ne dépend pas de votre volonté, et vous ne trouverez personne qui soutienne que l'on peut entrer dans un établissement militaire comme on peut le faire dans les maisons particulières. Personne, je le répète, ne soutiendra un pareil système.

Je prétends donc que le président du tribunal n'avait ni autorisé ni entendu autoriser le requérant à pénétrer dans la fonderie de canons, et il est très certain pour moi que si l'on avait demandé au président l'autorisation d'entrer dans cet établissement, il eût été immédiatement rendu attentif et il eût refusé d'autoriser ce qu'en définitive il n'avait pas le droit d'autoriser.

Mais vous prétendez qu'il fallait nécessairement entrer pour saisir. Le fait fût-il vrai, que cela n'autoriserait pas à donner à la requête une extension pareille à celle que vous voulez lui donner, alors surtout que votre interprétation conduit à une flagrante illégalité. Le président eût pu ignorer qu'il n'y en avait pas ailleurs ; mais en fait il y avait de ces projectiles ailleurs que dans la fonderie de canons, et l'on aurait même pu s'en procurer sans entrer dans cet établissement ; on pouvait saisir les projectiles qui étaient transportés d'un lieu dans un autre, et j'ajouterai que dans ce moment il y avait, ailleurs que dans la fonderie de canons, des projectiles en fabrication, il y en avait dans différents établissements à proximité de Liège, et on le savait si bien, que le sieur Lejeune a eu même un instant le projet de les faire saisir et, consulté par mon collègue, sur la question de savoir s'il fallait laisser opérer cette saisie, et quoique convaincu qu'elle n'était pas légale, qu'elle était au contraire une violation manifeste de la loi dont les tribunaux feraient ultérieurement justice, j'avais conseillé, pour bien établir qu'il n'y avait pas, de la part du gouvernement, contrefaçon, de laisser saisir dans les établissements particuliers les projectiles qui s'y trouvaient et qui étaient tout à fait du même modèle que ceux qui se trouvaient à la fonderie de canons.

Je dis donc, messieurs, que l'autorisation de saisir n'autorisait pas le moins du monde à entrer dans l'établissement dont l'accès est défendu par la loi.

Pour soutenir le contraire il faut, comme déjà je l'ai dit, prétendre que les décrets de 1791 et de 1811 sont abrogés, et personne, que je sache, n'a jusqu'à présent soutenu cette thèse.

Ou bien il faut en arriver à dire qu'en vertu de l'ordonnance du président qui permet de saisir, on peut exécuter même dans les lieux où la loi s'oppose à ce que semblable mesure soit pratiquée.

Ainsi, messieurs, aux termes de l'article 781 du Code de procédure, l'on ne peut pas saisir un individu dans les édifices consacrés au culte et pendant les exercices religieux : prétendrez-vous que parce que vous avez une ordonnance du président vous pouvez pénétrer dans l'édifice consacré au culte pendant les cérémonies du culte et y opérer une arrestation ?

En vertu de la même disposition l'on ne peut pas arrêter un débiteur dans le lieu et pendant la tenue des séances des autorités constituées, prétendrez-vous qu'en vertu d'une ordonnance du président, qui vous autorise à arrêter, vous pourriez entrer dans un pareil local pendant la séance pour y opérer l'arrestation ? Vous n'oseriez pas le soutenir ; eh bien, c'est exactement le même cas, la simple autorisation de saisir n'implique pas l'autorisation d'entrer dans un établissement militaire dont les lois vous défendent l'entrée.

Ainsi, messieurs, il n'y a pas eu à Liège, en réalité, opposition à l'ordonnance du magistrat, puisque le magistrat n'avait pas permis de pénétrer dans la fonderie de canons.

Si le sieur Lejeune, sans entrer dans le lieu dont l'accès lui est interdit, avait pu se procurer un des projectiles qu'il prétendait être le résultat d'une contrefaçon, l'ordonnance du magistrat l'autorisait à en faire la description et à le mettre sous scellé, mais l'ordonnance n'allait pas au-delà.

Je le répète donc, messieurs, et cela est capital, en refusant de laisser pénétrer dans la fonderie il n'y avait pas opposition à l'ordonnance du président, mais bien à un mode d'exécution que ne comportait pas l'ordonnance du président ; on a voulu donner à l'ordonnance une portée qu'elle n'avait pas, et on a voulu l'exécuter là où elle ne pouvait pas être exécutée.

Dans la réalité, l'on n'agissait qu'en vertu d'un titre insuffisant, c'est-à-dire sans titre, et notre résistance a été des plus légitime.

Mais, messieurs, je suppose que le juge eût réellement et formellement autorisé à pénétrer dans la fonderie de canons, le gouvernement devait-il subir l'exécution d'une semblable ordonnance ?

Ici, messieurs, nous nous trouvons en présence des questions constitutionnelles les plus graves, les plus sérieuses et les plus délicates : d'un côté nous nous trouvons en présence du principe qui exige le respect des décisions de la justice, du principe que les jugements rendus, les sentences prononcées doivent être tenus pour vérité ; mais, d'un autre (page 460) côté, messieurs, nous rencontrons les grands principes de la séparation et de l'indépendance des pouvoirs organisés par la Constitution.

Remarquez-le bien, messieurs, dans ce conflit tel qu'il se présente, le gouvernement n'a pas la position d'un justiciable, ce n'est pas un justiciable qui se trouve en lutte avec l'autorité judiciaire. Cette affaire met en présence le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

C'est au gouvernement, comme pouvoir exécutif, qu'est confiée la défense du pays, qu'est confiée la confection des projectiles, qu'est confiée la garde de tous les établissements militaires.

Si l'ordonnance du président a le sens, la portée que l'on veut lui donner, elle porte une atteinte manifeste aux droits, aux prérogatives du pouvoir exécutif ; elle dispose d'établissements dont le pouvoir exécutif a seul la disposition et l'administration. C'est là un empiétement évident sur les attributions du gouvernement, et celui-ci est non seulement responsable de l'abus qu'il ferait de ses pouvoirs, mais aussi de l'atteinte qu'il y laisserait porter.

Lorsque la loi confie au gouvernement la garde des établissements militaires qui intéressent au plus haut degré la sécurité du pays, est-ce que le gouvernement peut tolérer qu'on y pénètre malgré lui ? Doit-il laisser exécuter les ordonnances, les jugements qui en permettraient l'accès au simple particulier au risque d'y voir dérober les secrets qu'ils recèleraient ?

Je ne puis l'admettre. Si les droits de l'autorité judiciaire vont jusque-là, je déclare qu'il n'y a plus qu'un seul pouvoir en Belgique, c'est le pouvoir judiciaire. Si dans tous les cas analogues au cas actuel, aussitôt qu'une ordonnance sera rendue, qu'un jugement, qu'un arrêt sera prononcé, il ne reste plus aux autres pouvoirs qu'à s'y soumettre, si toutes les décisions doivent être respectées et exécutées, je le demande, que devient l'indépendance des autres pouvoirs ? Elle n'existe plus. Messieurs, on choisirait un fait à dessein, et on n'en trouverait pas de plus frappant que celui qui nous occupe pour montrer combien la théorie que je combats est à la fois insoutenable et dangereuse.

Je ne saurais trop insister sur ce point que ce n'est pas ici le cas d'un justiciable plus ou moins puissant, plus ou moins fort, qui se met en opposition avec l'autorité judiciaire qui a prononcé une décision contre lui ; c'est le pouvoir judiciaire entrant en lutte directe, ouverte avec le pouvoir exécutif.

C'est le pouvoir judiciaire disposant d'établissements que la loi confie à la garde et à la responsabilité du pouvoir exécutif.

Il ne s'agit pas ici d'un des actes de la vie civile, d'une entreprise, d'une exploitation de chemin de fer, d'opérations que peut faire 1e citoyen.

Le gouvernement est ici pouvoir exécutif, pouvoir libre, indépendant, et, à ce titre, il doit résister aux empiétements que tenterait sur lui un autre pouvoir.

Messieurs, ces questions que je viens de traiter ne sont pas les seules que cette affaire soulève. Il en est d'autres dont je ne dirai que deux mots pour montrer que sous bien d'autres rapports encore, il y aurait eu lieu pour le gouvernement de résister à la saisie qu'on pratiquait ; les projectiles dont on autorisait la saisie sont des objets d'artillerie qui font partie du domaine public, qui ne sont pas dans le commerce.

Le décret de 1791 et les principes généraux ne devaient-ils pas en empêcher la saisie ? Le pouvoir judiciaire peut-il autoriser une mainmise sur des objets indispensables à la défense du pays ?

Avec un pareil système, ne pourrait-il pas arriver qu'à un jour donné tous les projectiles fussent saisis ?

Le fait peut ne pas se réaliser, mais la possibilité existe, et cette possibilité ne doit pas exister.

Lorsque la loi a ordonné que tout ce qui était objet d'artillerie, établissement militaire, était indépendant de l'autorité civile, elle a voulu éviter toute entrave, elle a sagement décidé de mettre tout ce qui pouvait servir à la défense du pays, à l'abri des atteintes, des poursuites des particuliers.

Ces objets ne pouvaient donc pas être saisis.

Sous ce rapport, le gouvernement eût encore été dans son droit en résistant.

Enfin, messieurs, l'on pouvait se demander si l'Etat, fabriquant pour la sûreté du pays, tombait sous l'application de la loi de 1854 faite contre les industriels qui contrefont des objets pour les livrer au commerce.

Ces dernières questions, quoique très graves, très sérieuses, ne nous eussent pas déterminés à nous opposer à l'ordonnance du président du tribunal de Liège.

Mais ce qu'il était impossible de tolérer, c'est qu'on donnât à cette ordonnance une exécution qu'elle ne comportait pas et qui eût été dans tous les cas une flagrante illégalité, une atteinte dangereuse aux droits du pouvoir exécutif si elle avait la portée qu'on lui assignait.

L'on a attribué, messieurs, à ce conflit un caractère qu'il n'a à aucun degré. On a voulu l'attribuer à des prétentions de prépondérance de l'élément militaire sur l'élément civil.

La meilleure preuve que je puisse donner qu'il n'en est pas ainsi, c'est que la direction donnée à cette affaire lui a été imprimée par des jurisconsultes ; que, jurisconsulte moi-même, je me suis entouré de l'opinion d'avocats éminents.

Ainsi, à Bruxelles, j'ai immédiatement soumis mon opinion à celle d'autres juristes.

J'ai ici une consultation de MM. de Becker et Dequesne qui résolvent la question comme je l'ai résolue. Je demanderai à la Chambre la permission de lui en donner lecture.

« Le refus de laisser pénétrer dans la fonderie royale de canons à Liège, l'huissier Englebert, quoique porteur de l'ordonnance du président du tribunal de première instance de cette ville, obtenue sur la requête de MM. Lejeune-Chaumont et Labeye, est légal ; il est conforme aux principes généraux du droit et à un texte formel de loi.

« L'action du pouvoir exécutif, l'un des trois pouvoirs qui composent l'Etat, peut avoir un double objet.

« Ou elle s'applique à des actes de la vie civile ordinaire, ou elle est dirigée vers un but d'intérêt public et politique.

« Dans le premier cas, l'Etat est soumis aux prescriptions de la loi civile ; dans le second cas au contraire, il agit comme pouvoir politique, et il n'est soumis qu'aux règles de la responsabilité politique, telle que celle-ci se trouve déterminée par la Constitution.

« Ainsi l'Etat, représenté par le pouvoir exécutif, achète, vend, se fait entrepreneur de transports, etc. Il pose de ces différents chefs des actes de la vie civile, et ces actes seront régis par la loi civile, comme s'ils émanaient d'un simple citoyen. Mais quand il agira à titre de pouvoir, et dans la sphère d'action qui lui est attribuée par la Constitution, il exercera son autorité avec la même liberté et la même indépendance que le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, quand le premier fait la loi, quand le second l'applique.

« Or, le commandement de l'armée, et la défense du pays, sont des attributs constitutionnels du pouvoir exécutif.

« Sauf les questions financières et sous la seule restriction de la responsabilité prévue par la Constitution, le pouvoir exécutif est chargé de la gestion des intérêts militaires du pays : quand il indique le tracé des fortifications, quand il s'occupe de l'armement des places de guerre, quand il détermine le système des armes à fabriquer, quand enfin il fabrique ces armes, il agit comme pouvoir politique dans la plénitude de son indépendance.

« Ces quelques idées générales sur la nature et la distinction des pouvoirs dans l'Etat, idées que le temps ne permet pas de développer dans cette simple note, indiquent déjà qu'il est impossible que le pouvoir exécutif, agissant dans l'intérêt de la défense du pays, puisse, à un titre quelconque, être appelé à s'expliquer devant le pouvoir judiciaire, sur un système de canons ou d'armes, qu'il a cru convenable d'adopter ; et que dans l'hypothèse même où il se serait servi d'un procédé pour lequel un citoyen est breveté, le pouvoir judiciaire puisse ordonner la saisie, faire défense de fabriquer et prononcer la confiscation.

« Aussi du jour où l'on s'est occupé de législation militaire, l'on a compris que les intérêts de la défense du pays exigeaient que l'autorité militaire à laquelle ils étaient confiés, ne relevât que d'elle-même, et fût ainsi en mesure de remplir sa mission dans l'Etat.

« Les places de guerre, les terrains et les établissements militaires, étant consacrés à la sûreté du pays, à ses moyens de défense, font partie du domaine public (voir notamment article 13 titre premier, article premier titre 4, de la loi des 8-10 juillet 1791, articles 538, 540 du Code civil) ; ils sont donc hors du commerce et en dehors du droit privé ou civil.

« Leur conservation, leur surintendance et leur garde sont confiées exclusivement au ministre de la guerre (articles précités de la loi de 1791. Articles 14 et 15. titre 5, et article 5, titre 4 de cette loi).

« Cet article 14 porte : « Dans tous les objets qui ne concerneront que le service purement militaire, tels que... la garde et la conservation de tons les établissements et effets militaires, comme hôpitaux, arsenaux,... effets d'artillerie ou de fortifications,... l'autorité militaire sera absolument indépendante du pouvoir civil. »

« L'article 15 ajoute : « Il ne pourra être préjugé de l'article précédent, ni de tous autres du présent décret, que dans aucun cas, les terrains, bâtiments et établissements confiés à la surveillance de l'autorité militaire, puissent devenir des lieux d'exception ou d'asile, et soustraire le crime, la licence, les délits, pu les abus, à la poursuite des tribunaux...

(page 641) « De cet article 15 que résulte-t-il ? Qu'en matière répressive, la police civile ou judiciaire doit s'entendre et se concerter avec l'autorité militaire, et non point que celle-ci doit s'effacer devant le pouvoir civil, et qu'elle n'est plus soumise à la responsabilité de la garde et de la conservation des objets qui lui étaient confiés.

« Le décret du 24 décembre 1811 est venu mettre ce point en relief, et a organisé l'exécution du principe.

« L'article 68 est ainsi conçu : « Hors les cas prévus dans l'article précédent (c'est-à-dire les cas de flagrant délit, ou de poursuite par la clameur publique), nul ne peut pénétrer, sans l'autorisation du commandant d'armes dans l'intérieur des bâtiments ou établissements militaires, et des terrains clos qui en dépendent, ni sur les parties des fortifications autres que celles qui sont réservées à la libre circulation des habitants en vertu de l'article 28 de la loi des 8-10 juillet 1791.

« En conséquence et hors des dits cas, les officiers de police civile ou judiciaire s'adresseront pour la poursuite des délits ordinaires au commandant d'armes, qui prendra de suite et de concert avec eux, les mesures nécessaires pour la répression du désordre, et s'il y a lieu, pour l'arrestation des prévenus. »

« Art. 69. Le commandant d'armes veille lui-même et de son propre mouvement et pourvoit, conformément à l'article 15, titre 3, de la loi des 8-10 juillet 1791, à ce qu'aucune partie du terrain militaire ne devienne un lieu d'asile pour le crime et le désordre ; en conséquence, il donne les ordres et consignes nécessaires pour prévenir les délits de toute espèce ; il y fait arrêter les prévenus et les renvoie, s'il y a lieu, devant les officiers de la police judiciaire ou civile, conformément aux dispositions de ladite loi.

« De la loi de 1791 et du décret de 1811, il suit, que l'action de la police, et le commandement sur les terrains et dans les établissements militaires, appartiennent exclusivement au commandant d'armes, sauf à lui, et sous sa propre responsabilité, à déférer aux réquisitions de la police civile et judiciaire, et à autoriser, au besoin, celle-ci à pénétrer dans l'intérieur de ces établissements.

« S'il en est ainsi en matière de délits, où l'intérêt de la société entière est en jeu, a fortiori en serait-il de même, lorsqu'il ne s'agit que d'un simple intérêt privé, d'un prétendu quasi-délit.

« L'huissier Englebert n'avait point l'autorisation du commandant d'armes, il ne pouvait donc pénétrer dans la fonderie royale de canons à Liège, même en vertu d'un mandat de justice.

« Si cette autorisation était ultérieurement demandée, cet officier devrait-il l'accorder, ou pourrait-il la refuser ?

« Si l'autorisation de pénétrer dans cet établissement militaire, donnée aux fins de faire des perquisitions et de se livrer à des descriptions, pouvait compromettre la sûreté et la défense du pays, en divulguant une fabrication secrète, il est incontestable que le commandant non seulement peut, mais doit refuser l'autorisation.

« Il est à remarquer d'ailleurs, que l'Etat en fabriquant des canons, des boulets, des armes pour la défense du pays, ne peut être contrefacteur, aux termes de la loi du 20 mai 1854, quand bien même il y aurait contrefaçon en fait ; l'Etat en-effet, comme tel, fabrique pour son usage personnel, dans un intérêt politique, et non dans un but commercial ou industriel.

« Enfin, et à un autre point de vue, il est impossible d'appliquer, dans l'espèce, la loi sur les brevets d'invention, puisque les objets prétendument contrefaits font partie du domaine public, qui ne peut être ni saisi ni confisqué. »

Voilà, messieurs, quelle a été l'opinion des deux avocats consultés par moi dans cette affaire.

A Liège, messieurs, où l'affaire devait se traiter, j'ai consulté également deux avocats. Tous ont été d'avis que le gouvernement devait persister à refuser l'entrée de la fonderie de canons.

Enfin, messieurs, je citerai une autorité dont la valeur ne saurait être contestée par personne. J'ai échangé, au sujet de cette affaire, une correspondance avec M. le procureur général de Liège, l'honorable M. Raikem.

Voici, messieurs, sa lettre dans laquelle il reconnaît expressément que les établissements militaires sont régis par des dispositions spéciales et que, hors le flagrant délit, nul ne peut y pénétrer sans autorisation :

« Monsieur le ministre,

« Comme suite à votre dépêche du 27 juin dernier, troisième division, deuxième bureau, P. 1622, et à ma lettre du lendemain, n°3320, j'ai l'honneur de vous transmettre copie du rapport que m'a adressé M. le procureur du roi à Liège, le 30 juin dernier, n°78771, et qui m'est aujourd'hui parvenu.

« Ce rapport contient des renseignements sur les faits ; et, comme vous le faites remarquer, la question qui forme le fond du débat est très grave.

« La question de savoir si l'action en contrefaçon pouvait procéder contre l'Etat, a été agitée dans la cause du sieur Manceau, demandeur, contre l'Etat belge, défendeur. Il s'agissait de machines à rayer les canons des armes à feu. Le tribunal de Liège s'est prononcé dans le sens de l'affirmative, sur les conclusions contraires de M. le procureur du roi ; et par un jugement du 14 août 1857, ce tribunal, sans avoir égard aux exceptions du défendeur, a déclaré le demandeur recevable dans son action.

« Les recherches faites au greffe de la cour de ce siège n'ont pas fait découvrir qu'il serait intervenu un arrêt dans cette cause.

« Il y avait eu d'abord, dans cette affaire, une ordonnance du président, mais on ne s'était pas opposé à son exécution. La saisie opérée par l'huissier avait été annulée par un jugement du 10 février 1855, du chef que l'on avait outre-passé l'autorisation accordée. Mais il paraît que l'on n'avait argué de nullité que la saisie. C'est sur une action intentée depuis qu'est intervenu le jugement du 14 août 1857.

« Mais, de ce que l'action serait recevable, s'ensuit-il qu'on puisse pénétrer indistinctement dans tous les établissements de l'Etat, en vertu de l'autorisation du président du tribunal de première instance ?

« Les établissements militaires sont régis par des dispositions spéciales. Ils rentrent dans les attributions du ministre de la guerre, et notamment l'artillerie (loi du 10 vendémiaire an IV). En ce qui concerne la garde et la conservation de tous les établissements militaires, l'autorité militaire est indépendante du pouvoir civil (loi des 8-10 juillet 1791, titre 3, article 14). Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut, sans autorisation, pénétrer dans l'intérieur des établissements militaires (article 68 du décret du 24 décembre 1811).

« Il est de principe que les dispositions générales d'une loi ne sont pas censées déroger aux dispositions spéciales d'une loi antérieure ; comment donc pourrait-on induire des articles 6 et suivants de la loi du 24 mai 1854, une telle dérogation ?

« L'autorisation dont parle l'article 6, s'obtient sur requête, sans appeler celui contre lequel on veut procéder à la mesure dont il s'agit dans cet article.

« On a discuté le point de savoir si l'ordonnance rendue sur la demande d'une seule partie était susceptible d'opposition ? Merlin regarde l’affirmative comme certaine (Répertoire de jurisprudence, au mot : « Opposition à un jugement », § 1, n° 1).

« Pigeau pense que cette opposition n'est plus admissible ; mais il estime que la partie lésée peut faire valoir ses droits par une simple demande et sans attaquer le jugement, lequel serait à son égard regardé comme non avenu.

« C'est bien, dit Carré, en venir aux mêmes résultats que produirait une opposition. Et Chauveau fait la remarque que cette question présente une des difficultés les plus sérieuses du Code (Lois de la procédure civile, n° 660).

« Une ordonnance sur simple requête est exorbitante du droit commun lorsqu'elle ne se renferme pas dans le cercle de la juridiction gracieuse. Aussi, lorsque le législateur du Code a autorisé ce mode de procéder, n'a-t-il pas attribué à une telle ordonnance la même force qu'à un acte ou à un jugement en forme exécutoire. La saisie-revendication en offre un exemple.

« L'ordonnance pour y procéder sur requête (article 826 du code de procédure). Mais, s'il y a refus d'ouvrir les portes ou s'il y a opposition à la saisie, il en est référé au juge ; et il est sursis à la saisie (article 829). Il est donné une assignation devant ce juge (article 62 du tarif décrété le 16 février 1807).

« Il paraît néanmoins que la loi du 24 mai 1854 a envisagé l'ordonnance rendue sur requête, sous un point de vue différent ; car, en cas de refus d'ouverture des portes, il renvoie à l'article 587 du Code de procédure civile.

« Une saisie-exécution, à la différence d'une saisie-arrêt qui peut se faire en vertu d'une permission du juge (article 558), ne peut avoir lieu qu'en vertu d'un titre exécutoire. Et le renvoi à l'article 587 semble considérer l'ordonnance sur requête comme un tel titre.

« Mais, de ce que la loi de 1854 déroge au droit commun, c'est un motif de ne pas y voir une dérogation aux lois antérieures contenant des dispositions spéciales ; et, quant aux établissements militaires, l'autorité militaire est indépendante du pouvoir civil.

« Cependant lorsqu'un acte judiciaire contient un excès de pouvoir, il n'est pas nul de plein droit ; il y a donc lieu de se pourvoir pour en faire prononcer l'annulation. Mais par quelle voie peut-on y parvenir ?

« L'ordonnance obtenue sur la requête d'une seule partie, est nécessairement rendue par défaut contre l'autre partie.

« La cour d'appel de Paris avait, dans son arrêt du 11 février 1846, regardé la mesure autorisée par l'article 47 de la loi du 5 juillet 1844, (page 462) comme n'étant susceptible d'aucun recours, les pouvoirs conférés au président constituant une juridiction non contentieux (Dalloz, an 1846, 4ème partie, page 45). Mais par un arrêt du 9 juillet 1855, la même cour s'est prononcée en sens contraire ; et elle a reçu l'appel de l'ordonnance, en se fondant sur ce que cette voie est de droit commun, et que les mesures de l'espèce peuvent engendrer de graves conséquences (Dalloz, an 1856, 5ème partie, page 47).

« La loi belge du 24 mai 1854 ne déclare pas que l'ordonnance du président ne sera sujette à aucun recours. Elle prescrit la signification par un huissier commis, une élection de domicile dans la requête (article 6 et 7). C'est donc pour faciliter le recours que l'on voudrait exercer.

« En effet, l'ordonnance peut inférer un grief au détenteur des objets prétendus contrefaits ; car les mesures autorisées par le président peuvent avoir des conséquences très graves.

« Si, comme je le pense, ce recours n'est pas interdit, il est ouvert à tous les citoyens. Et il y a un motif particulier quant aux établissements militaires ; car on pourrait, sous prétexte de contrefaçon, se procurer la description des procédés qu'on y emploie et même en faire un abus irréparable.

« Et d'ailleurs, de ce qu'on doit obtenir l'autorisation du président pour procéder en vertu de l'article 6 de la loi de 1854, il ne s'ensuit pas, à mon avis, que cette autorisation doive être nécessairement accordée.

« Sur le recours, il y aurait donc lieu de statuer non seulement sur la question de savoir si l'on peut y procéder dans un établissement militaire malgré l'autorité militaire, mais aussi s'il n'y a pas lieu de refuser l'autorisation par d'autres motifs.

« Et en exerçant un recours contre l'ordonnance, on pourrait faire valoir tous les moyens de nature à faire interdire les investigations auxquelles on voudrait se livrer dans un établissement militaire.

« J'ai l'honneur de joindre à la présente les pièces qui accompagnaient le rapport précité de M. le procureur du roi.

« Agréez, M. le ministre, l'assurance de ma plus haute considération. »

Ainsi, comme vous le voyez, M. Raikem n'admettait pas du tout que, même avec l'autorisation formelle du président du tribunal, l'on pût pénétrer dans un établissement militaire qui se trouve exclusivement confié à la garde et placé sous la surveillance de l'autorité militaire.

Je sais, messieurs, ce que de semblables conflits ont de grave, de regrettable.

Mais quand il existe, quand il se produit sans qu'il ait été possible au gouvernement de l'éviter, celui-ci, responsable vis à-vis du pays et des Chambres du maintien de ses attributions, ne peut pas céder.

Messieurs, la ligne de conduite qu'a suivie le gouvernement lui a été indiquée par la Chambre dans une autre circonstance où elle a soutenu que le pouvoir judiciaire avait empiété sur les droits du pouvoir législatif.

Aujourd'hui encore un arrêt rendu contre l'Etat (il ne s'agit pas ici d'une simple ordonnance rendue par un président, mais d'un arrêt passé en force de chose jugée), n'a pas été exécuté par la Chambre qui a refusé de voter les fonds nécessaires.

Elle n'a pas accepté cette théorie que toute sentence du pouvoir judiciaire devait être exécutée par les autres pouvoirs. L'honorable M. B. Dumortier a dans cette question établi et soutenu le principe que nous soutenons aujourd'hui.

M. B. Dumortier. - C'est justement la même chose.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Dans l'affaire actuelle il y a toutefois cette différence en notre faveur qu'un texte formel, clair et précis, place les établissements militaires dans les attributions du pouvoir exécutif, qu'il est incontestable que les tribunaux n'ont pas à en disposer, tandis que dans l'affaire des traitements d'attente, la question de compétence elle-même était controversée.

Voici, messieurs, un passage d'une note annexée par M. Dumortier à un rapport fait à la Chambre :

« L'Etat a deux natures qu'il importe de ne pas confondre. Tantôt il agit comme pouvoir politique, à titre de sa souveraineté ; tantôt comme personne privée.

« Ainsi quand il traite comme propriétaire de ses domaines, lorsqu'il se fait constructeur ou exploitant de chemins de fer, quand il fait des achats et adjudications de vivres, de fourrages, d'habillements, de fournitures quelconques, l'Etat agit à titre de personnes privées, et alors il est justiciable des tribunaux comme le serait une personne privée, parce qu'il entre dans le régime du droit privé.

« Mais quand par ses pouvoirs politiques l'Etat pose des actes internationaux de gouvernement ou de haute administration, alors il agit en vertu de sa nature suprême, dans l'exercice de sa souveraineté, et les tribunaux n'ont rien à y voir. S'il en était autrement, si les tribunaux étaient juges de la souveraineté et de ses actes, ce serait mettre le pouvoir judiciaire au-dessus de la souveraineté elle-même.

« Or, un pareil envahissement serait la destruction de la pondération des pouvoirs, ce serait un acte révolutionnaire, une rébellion contre l'Etat. »

Et messieurs, plus loin je trouve un passage de l'honorable M. du Bus, président du tribunal de Tournai, qui confirme la même opinion.

« Certes, dit-il, si un arrêt de compétence des tribunaux pouvait être considéré comme attentatoire à notre compétence, nous ne serions pas tenus de nous incliner devant un semblable arrêt. Si le pouvoir judiciaire est juge de sa compétence, nous sommes juges de la nôtre. Nous n'avons pas de lois à recevoir du pouvoir judiciaire. »

Si le pouvoir judiciaire autorisait ce que le pouvoir exécutif seul avait le droit d'autoriser, sa sentence étant évidemment attentatoire aux droits du gouvernement, le devoir de celui-ci était de résister.

C'est ce que nous avons fait. Loin de nous être écartés de la voie légale, nous crevons nous être conformés aux grands principes de la Constitution qui veut que les pouvoirs qu'elle a institués se meuvent librement et se renferment chacun dans sa sphère d'action.

M. Guilleryµ (pour une motion d’ordre). - Je demande à M. le ministre de la justice de vouloir bien communiquer à la Chambre le règlement de la fonderie de canons de Liège, en date du 27 décembre 1838 et de faire imprimer l'avis du procureur général de Liège.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n’ai pas le règlement de la fonderie de canons.

M. Guilleryµ. - Alors je le demanderai à M. le ministre de la guerre. Je n'ai pu me procurer ce règlement.

M. Dolez. - Pour compléter la motion d'ordre qui vient d'être présentée, je voudrais que M. le ministre de la justice fît également imprimer l'avis des honorables avocats de Bruxelles qui ont été également consultés et dont il a été parlé tout à l'heure.

M. Nothombµ. - Cela a été entendu.

M. Guilleryµ. - C'est évident.

M. Dolez. - S'il en est ainsi, je me déclare satisfait.

M. Gobletµ. - Lorsque, hier, j'ai pris la parole dans cette enceinte, je ne me suis pas fait un seul instant illusion : je n'ai pas cru un seul instant que l'honorable général Chazal se rallierait sur aucun point à ma manière de voir. Ce n'est pas dans cette intention que j'ai prononcé mon discours ; ce n'est pas dans cet espoir que j'ai émis des opinions que je savais être diamétralement contraires à celles de M. le ministre de la guerre.

En m'exprimant comme je l'ai fait, j'ai cru remplir, dans la mesure de mes moyens, un devoir que me dictait ma conscience ; j'ai cru accomplir la mission que je me suis imposée de défendre mes convictions et de concourir autant qu'il est en mon pouvoir au bien-être du pays dont j'ai l'honneur d'être l'un des représentants.

Deux genres de critiques, a dit l'honorable général Chazal, ont été dirigées dans mon discours contre l'autorité militaire ; les unes ne peuvent l'atteindre, a-t-il dit, les autres le touchent directement, et il s'en est personnellement défendu.

Messieurs, quand, à l'occasion de l'examen d'un budget, on discute les mesures du gouvernement, il est tout naturel de s'adresser au chef, quel qu'il soit, du département dont le budget est en cause ; je déclare ici que dans les critiques auxquelles je me suis livré il n'y avait absolument rien de personnel pour l'honorable général Chazal et que je les eusse formulées quel qu'eût été le chef actuel du département de la guerre, si j'avais été convaincu dans cette occurrence de leur fondement.

Mes critiques s'adressaient à notre organisation militaire, à nos lois militaires.

Messieurs, je maintiens toutes mes observations à cet égard. Je maintiens que l'autorité militaire n'agit pas et que nos lois militaires ne sont pas conçues dans un esprit conforme aux principes si largement libéraux qui sont la base de notre Constitution.

Et si je me trouve en désaccord sur certains points avec la législature actuelle, ne puis-je pas invoquer en ma faveur l'article 139 de la Constitution qui ordonne précisément la révision que je réclame aujourd'hui ?

L'honorable général Chazal m'accuse de lui faire en quelque sorte un procès de tendance. Tel n'a nullement été mon but ; j'ai, non pas fait un procès de tendance, mais dénoncé des tendances et je me suis basé, pour justifier mes appréciations, sur des faits qui se sont passés récemment sous son administration.

(page 463) D’après, l'honorable général Chazal, je ne pourrais pas venir critiquer aujourd'hui notre organisation militaire, parce que cette organisation a été consacrée par la législature après avoir été mûrement étudiée par une commission composée d'hommes spéciaux et particulièrement compétents.

Mais, messieurs, pourquoi la loi d'organisation militaire serait-elle plus immuable que toutes les autres ? Si l'opinion de M. le ministre de la guerre pouvait prévaloir, il en résulterait qu'il ne serait plus permis de réviser une loi reconnue vicieuse, surannée et qu'il faudrait continuer à l'appliquer malgré ses défectuosités évidentes.

Vous-même, M. le ministre, quand vous citez l'organisation produite par les travaux de la grande commission, ne condamnez-vous pas, par cela même, l'argument que vous m'opposez, puisque cette organisation a détruit l'organisation précédente contre laquelle on a lutté, du reste, dès le jour où elle a éternise à exécution ?

On m'oppose aujourd'hui les travaux de la grande commission, et cependant, M. le ministre de la guerre a bien eu soin, pendant qu'elle était encore réunie, de faire ses réserves quant aux conclusions auxquelles la commission pourrait arriver. Il a déclaré qu'il ne se croyait nullement lié par ses décisions ; qu'il y prendrait ce qu'il y trouverait de bon et laisserait de côté ce qui lui déplairait.

Vous le voyez, messieurs, l'objection qu'on m'oppose n'est pas sérieuse, et je pourrais aisément la renvoyer à son auteur.

La Chambre a toujours le droit de défaire ou d'amender ce qu'elle a fait, et quand viendra le jour où mes convictions seront partagées par la majorité de cette Chambre ; quand viendra le jour où la majorité trouvera notre organisation militaire trop coûteuse pour le pays, la Chambre, usant de sa souveraineté, ne manquera pas de changer cette organisation et de la baser sur les idées nouvelles qui domineront alors.

L'honorable général Chazal soutient que son système militaire de 1857 était tout à fait le même que son système militaire de 1859. Eh bien, messieurs, je maintiens ma première appréciation sur ce point, et je vais vous prouver que je suis complètement dans le vrai et que ces deux systèmes sont diamétralement opposés.

En 1857, il ne s'agissait pas, comme le dit l'honorable général Chazal, pour donner le change, de détruire quelques petits fortins et de s'appuyer sur quelques petites places fortes ; il s'agissait d'un système complet de lutte en rase campagne. Voici, à cet égard, les propres paroles de l'honorable général ; vous verrez qu'il n'y est nullement question d'une concentration à l'extrémité du pays, mais d'une concentration au point même de l'attaque, de quelque côté qu'elle vînt :

« En effet, l'organisation militaire dont (la Belgique) est dotée lui permet de mettre promptement sur pied, au premier cri d'alarme, une année de 80,000 hommes, et 80,000 hommes ne seraient pas son dernier mot, parce que pendant plusieurs années, de 1832 à 1859, l'effectif de l'armée a été de 110,000 hommes qui ont été souvent présents sous les armes. Dans un moment suprême, la Belgique saurait supporter encore le même effort. »

Rappelez-vous, messieurs, que tout cela était basé sur un budget de 26 millions.

« Quelle est la nation, quelque puissante qu'elle soit, ajoute l'honorable baron Chazal, qui puisse opposer, sur un champ de bataille, une armée beaucoup plus nombreuse une année supérieure ? »

Vous le voyez, messieurs, il ne s'agit pas du tout ici d'aller s'enfermer derrière les murailles d'une place forte, mais de lutter sur un champ de bataille. Je continue ma citation.

« On peut conclure de ces considérations que bien loin de s'abandonner aux hasards de l'avenir, de renoncer à se défendre, à se faire respecter par elle-même, la Belgique peut attendre avec confiance et en sécurité les événements futurs, certaine que son indépendance et sa neutralité seront suffisamment sauvegardées, aussi longtemps qu'elle possédera une armée régulière, maintenue à la hauteur des progrès de la science militaire, une armée telle enfin qu'elle la possède aujourd'hui. »

Et, dans un autre paragraphe, l'honorable général Chazal ajoute que cette armée suffit, ce sont ses expressions, pour défendre nos frontières, maintenir l'intégrité de notre territoire et faire respecter l'indépendance nationale.

Vous voyez, messieurs, si le système de 1857 était aussi un système de concentration comme celui de 1859, l'honorable général Chazal ne pourra nier que l'un est un système de concentration en arrière et l'autre un système de concentration en avant ; il ne pourra motiver qu'il ne peut abandonner avec son effectif tout entier une base d'opération et que tout ce qu'il peut espérer, c'est d'avoir une petite armée qui lui servira en quoique sorte de corps détaché ; mais jamais avec son armée actuelle, il ne pourra quitter les murs d'Anvers sans courir le risque d'être coupé par l'ennemi et de perdre à la fois toutes ses ressources militaires et nationales, que l'on aura réunies en un seul point.

Savez-vous ce qui résultera de votre grande concentration, établie d'une manière fixe, de cette place si importante établie à Anvers, si une guerre européenne venait à éclater ? C'est que chacun des adversaires en présence tâcherait de s'en emparer et que nous n'aurions plus alors pour ressources que de nous unir à celui qui viendrait le dernier ravager nos provinces, sous prétexte qu'il veut tenter d'en chasser les premiers occupants.

Anvers sera devenu un point stratégique tellement important, qu'il ne sera pas permis d'en négliger l'existence, et la guerre sera nécessairement portée dès l'abord dans nos riches provinces.

Messieurs, l'honorable général Chazal m'a reproché d'avoir accusé la loi sur la mise à la pension des officiers de donner lieu à des mesures scandaleuses ; ce n'est pas à cette loi que j'ai adressé ce reproche, c'est à la loi sur l'avancement en ce qui concerne les avancements au choix. Je ne veux pas citer des faits personnels ; il est inutile de mettre en cause des individus.

Il serait facile avec des noms propres de prouver que le ministre de la guerre a reculé lui-même plus d'une fois devant l'effet produit par sa première détermination.

Quand on a brisé la carrière d'un officier par un passe-droit, on cherche à le consoler en lui donnant la croix de Léopold et on tâche par cette faveur de lui faire oublier qu'on lui dénie assez de mérite pour passer à un grade supérieur.

Ce mode de compensation est-il bien digne ? Et dans tous le cas il enlève aux officiers toute espèce de garantie d'avancement, le décourage et le démoralise et devient de jour en jour plus désastreux pour l'année.

Quant à la mise à la pension, la législature qui l'a votée a compris les conséquences où elle pouvait conduire et elle a cherché à les prévenir en introduisant l'article 26.

Lisez les considérations qui l'ont fait voter : nous ne voulons pas, disait-on, que le gouvernement abuse sans contrôle des prérogatives qu'il demande.

Le projet du gouvernement ne renfermait pas cet article 26 qui donne, en imposant la publicité, le moyen de juger si les motifs de la mise à la pension sont fondés ou non.

Reviendrai-je sur ce que j'ai dit relativement à une récente mise à la pension ? C'est inutile ; je me bornerai à rappeler que, pour s'excuser dans cette circonstance, le général Chazal a été obligé de s'inscrire en faux contre sa propre signature et contre la signature royale.

Que la question soit du reste tranchée par l'autorité judiciaire pour ou contre l'honorable ministre de la guerre, son argumentation soulève une question accessoire que je m'étonne de lui voir trancher ainsi qu'il le fait.

Comment se fait-il que le général Chazal, qui se proclame le défenseur le plus soigneux des droits de ses subordonnés ; qui prétend leur porter un intérêt tout spécial, comment se fait-il qu'il cherche à enlever une partie de leurs droits acquis à ceux qu'il met à la pension ?

S'ils ne sont mis à la pension qu'à partir du dernier arrêté, pourquoi les prive-t-il de leur solde, depuis le jour fixé par le premier, date à laquelle jamais aucune pension n'a été réglée ?

Il devrait leur payer leur solde entière jusqu'à la date du dernier arrêté et non les réduire à la portion congrue de la pension, alors que vous prétendez qu'ils n'y sont pas encore.

J'arrive à l'affaire de la fonderie, je laisserai à d'honorables membres plus aptes que moi en cette matière, le soin de répondre au plaidoyer de M. le ministre de la justice et d'apprécier la valeur des arguments légaux qu'il a présentés.

Si je me suis adressé au chef du département de la guerre, c'est parce qu'il s'agissait de son budget et qu'il en est seul responsable.

Quel que soit, du reste, le ministre responsable en cette affaire, je lui dirai qu'il n'est, selon moi, personne qui puisse se placer au-dessus de la loi.

Cela m'a froissé comme Belge et comme citoyen.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Personne ne s'est placé au-dessus de la loi.

M. Gobletµ. - Le système que vous soutenez, M. le ministre, serait la confiscation de la propriété. (Interruption.)

Cela résulte positivement de ce que vous avancez. (Interruption.)

Comment ! vous avez une loi sur les brevets qui reconnaît la propriété, et vous venez dire au propriétaire d'un brevet : Je vous l'enlève, je suis contrefacteur, vous n'y pouvez rien faire.

(page 464) Vous venez argumenter de l'ordonnance qui ne dit pas : Vous pouvez entrer dans la fonderie, et qui se borne à dire : Vous pouvez saisir les boulets. Si vous pouvez saisir les boulets, c'est là évidemment où ils se trouvent, ce n'est certes pas dans la rue.

Le général Chazal a relevé ce que j'ai dit à propos de discrétion, pour ne pas me servir d'un autre mot. On me reproche, dit-il, de n'avoir pas communiqué à la Chambre un secret que j'ai cru bon de confier à des officiers spéciaux qui sont des gens d'honneur. Nous ne le sommes donc pas, nous ?

Est-ce parce que nous ne portons pas l'épaulette ? Sont-ce, du reste, comme le dit M. le ministre, des secrets spéciaux ? Non, car ils sont en nos mains quand nous voulons ; il suffit d'aller à la cour des comptes ; là nous saurons par exemple le nombre de canons existants dans nos places, ce que l'honorable général Chazal prétendait nous cacher comme nécessaire à la bonne défense du pays.

J'ai demandé et vous n'avez pas voulu nous faire connaître les résultats des expériences faites à Brasschaet. Il ne s'agissait pas des pièces ou des projectiles, mais seulement du résultat du tir, vous avez refusé sous prétexte de secret d'Etat.

Vous dénaturez la question, vous la faites spéciale de générale qu'elle était.

Je ne pouvais pas m'attendre à ce que le général Chazal condamne les errements des pays ayant des armées où le droit de la force est absolu.

Je le sais, c'est le grand mobile des armées permanentes dans presque tous les pays d'Europe, mais il est des pays dont l'organisation militaire n'a aucune analogie avec la nôtre.

Il y a des armées où vous avez tous volontaires. J'admets qu'il y ait là un code spécial parce que vous n'obligez pas les citoyens à entrer dans ses rangs ; vous avez alors des mercenaires, vous les traitez comme tels.

Mais ce sont des pays qui ont à côté d'une armée de volontaires très restreinte, des milices bien organisées présentant une force considérable. Voyez l'Angleterre. La Suisse, n'a-t-elle pas également une armée sans avoir vos principes ? Sans doute il faut de la discipline, non seulement pour les jeunes soldats, pour les exaltés, comme le dit l'honorable général Chazal, mais bien plus il la faut pour tout le monde.

Je dois dire à l'honneur de l'armée belge que si quelques actes d'indiscipline se sont produits, c'est plutôt dans les rangs supérieurs que dans les rangs inférieurs ; il semble que quand on a occupé une certaine position, on est devenu un demi-dieu et qu'en rentrant dans les rangs, l'on ne doive plus se soumettre et obéir.

C'est là que les actes d'indiscipline sont plus déplorables et plus dangereux, et l'on devrait bien songer aussi à ceux qui les posent, quand on parle de ceux qui se montrent indisciplinés.

Chaque pas que nous faisons dans l'examen du budget de la guerre nous dévoile une irrégularité.

L'honorable général Chazal nous dit : J'étais absent, vous pouvez vérifier les dates. J'étais, pour des motifs de santé graves, en Italie ou ailleurs. Je suis prêt à reconnaître que l'honorable général Chazal avait parfaitement raison d'aller soigner une santé qui lui permettra de rendre encore des services au pays, je n'en doute pas ; mais il devait le faire comme cela se fait dans tout pays constitutionnel, où la responsabilité ministérielle existe, en n'abandonnant pas son portefeuille sans se faire remplacer.

Dans tous les gouvernements représentatifs il faut un ministre responsable, et il n'a pas été nommé de ministre ad interim, quand l'honorable général Chazal voyageait à l'étranger.

Il avait confié, nous dit-il, les intérêts du département de la guerre à M. le ministre de la justice, avait-il ce droit ? C'est au Roi qu'incombe un pareil droit.

C'est par un arrêté royal que cela peut se faire. On ne peut, par complaisance et camaraderie, arriver à violer toutes les lois et notre Constitution, tous les principes fondamentaux de notre gouvernement.

- La Chambre fixe sa séance de demain à une heure.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.