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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 janvier 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 465) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

« Le conseil communal d'Aertselaer demande que l'Etat et la province accordent un supplément de traitement aux secrétaires communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Rethy demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

« Même demande de l'administration communale de Moll et du conseil communal d'Aertselaer. »

- Même renvoi.


« Le sieur J.-F. Masfrancx, caporal au régiment des carabiniers, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »

- Renvoi à M. le ministre de la Justice.


« Par deux lettres du 17 janvier 1862, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, les demandes en obtention de la naturalisation ordinaire, faites par les sieurs Frédéric Blanke, à Namur, et Jean Singer, à Liège. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

M. Gobletµ. -- Je comptais demander hier un prompt rapport sur la pétition du sieur Hendrick. J'ai omis de le faire. Je prie la Chambre de revenir sur sa décision et d'ordonner ce prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Motion d’ordre

M. Gobletµ. - Puisque j'ai la parole, je toucherai un autre sujet que jo devais également traiter par motion d'ordre.

Soit par oubli, soit par erreur, dans le discours de l'honorable ministre de la guerre, imprimé aux Annales parlementaires, quelques mots ont été supprimés. Des paroles peu gracieuses, il est vrai, pour la Chambre, ont disparu. Cette phrase avait motivé de ma part une réponse assez vive. Cette réponse devient ridicule si les paroles qui ont été supprimées ne sont pas réintégrées ou du moins ne sont pas censées réintégrées dans le discours de l'honorable ministre de la guerre. Voici ce qui est écrit :

« L'honorable membre m'a fait le reproche d'avoir confié à des officiers un secret que j'avais refusé de confier à la Chambre. »

L'honorable ministre de la guerre avait dit : « à des officiers qui sont des gens d'honneur. » Cela m'a porté à faire cette réponse : « Et nous, ne sommes-nous pas des gens d’honneur ? »

La réponse devient ridicule sans les mots prononcés par l'honorable ministre de la guerre. Je demande que cette rectification soit faite aux Annales parlementaires.

MgCµ. - Messieurs, je ne me rappelle pas m'être exprimé comme le dit l'honorable M. Goblet. Je pense avoir dit que la Chambre a reconnu elle-même que le secret de notre artillerie ne devait pas être divulgué, et que c'est à tort qu'on m'a reproché de l'avoir confié à certains officiers, alors que j'en refusais la connaissance à d'autres personnes. Ne fallait-il pas de toute nécessité communiquer les détails de la nouvelle artillerie aux officiers qui devaient en diriger et en surveiller la fabrication ? J'ai ajouté alors que ces officiers étaient des gens d'honneur et que j'étais persuadé qu'ils ne divulgueraient pas un secret qui devenait le leur.

Je ne pense pas que ces paroles aient pu atteindre qui que ce soit dans cette Chambre ou hors de cette enceinte. On ne peut pas admettre qu'une pensée de défiance soit entrée dans mon esprit.

Quant à avoir supprimé une phrase de mon discours, je dirai que je ne l'ai pas revu, je n'en ai pas eu le temps, et j'étais d'ailleurs fatigué. C'est un de mes aides de camp qui a revu mon discours. On peut voir la minute des sténographes. Si la phrase s'y trouve, je ne demande pas mieux qu'elle reste telle que je l'ai dite. Je n'y attache aucune espèce d'importance. Mais je tiens à ce que la Chambre soit persuadée qu'en parlant d'officiers d'honneur, je n'ai pas entendu exprimer une idée de défiance à l'égard d'autres personnes.

M. Gobletµ. - Je n'ai pas accusé M. le ministre de la guerre d'avoir supprimé quoi que ce soit.

J'ai dit : Par oubli ou par erreur, ces mots ne se trouvent pas aux Annales parlementaires. Je n'ai pas accusé M. le ministre de la guerre d'avoir dit ces paroles avec intention. Mais j'ai dit que, dans tous les cas, pour ceux qui se trouvent en opposition à ces officiers qui sont, dit-on, des gens d'honneur, ces mots me paraissent peu gracieux ; je les ai relevés, et la manière dont je les ai relevés est complètement ridicule, si ces mots ne s'y trouvent pas.

Je n'ai, je le répète, accusé en quoi que ce soit l'honorable ministre de la guerre et j'ai commencé ma phrase en disant : « Soit par oubli, soit par erreur. » Mais les mots dont il s'agit ont été prononcés, j'en appelle à tous mes honorables collègues.

M. de Brouckereµ. - Quand même il serait constaté que ces mots ont été prononcés, ils sont sans valeur après les explications qui viennent d'être données.

M. Gobletµ. - Du moment qu'il est constaté que ma réponse n'est pas une bêtise, c'est tout ce que je demande.

MpVµ. - Plusieurs membres ont demandé communication du règlement de la fonderie de canons, approuvé par le Roi en 1838. M. le ministre de la justice vient de me remettre ce règlement. Il restera déposé sur le bureau pendant la discussion.

Projets de loi de naturalisation

M. de Brouckereµ dépose deux projets de loi ayant pour objet d'accorder la grande naturalisation aux sieurs Becker et Linden.


M. de Boe dépose deux projets de loi de grande naturalisation et divers rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Discussion générale

M. Coomans. - Messieurs, que mes amis et mes adversaires me pardonnent la réflexion suivante : Je trouve que, eu égard au médiocre accueil que reçoivent mes réclamations en faveur de nos miliciens, qui sont les plus nombreux, les plus méritants et les plus estimables de tous les fonctionnaires belges, on s'occupe énormément des affaires de la fonderie de Liège et de M. Hayez. Je ne nie pas l'intérêt qu'offrent ces affaires ; je crois que le gouvernement eût mieux fait de ne pas les soulever, de laisser pénétrer la justice dans la fonderie liégeoise, de ne pas prendre envers le colonel Hayez des mesures qu'il n'a pas pu maintenir.

Mais enfin les deux affaires sont honnêtement discutables. La première surtout me semble encore obscure après les débats qu'elle a provoqués. L'une et l'autre sont des incidents qui, vraisemblablement, ne se reproduiront plus.

Après tout, messieurs, il s'agit là, au fond, de questions plus ou moins personnelles, d'un ingénieur qui se dit lésé, d'un officier qui prétend avoir été retenu indûment sous les armes.

Je sais qu'à ces intérêts privés se joignent des considérations plus élevées, des considérations de légalité ; mais la Chambre sait que ce sont aussi des considérations de ce genre que je n'ai pas cessé de faire valoir au sujet de la milice nationale.

Enfin l'industriel dont il s'agit n'a pas souffert un grand dommage, l'officier est en liberté.

Moi je vous ai signalé des illégalités qui se commettent tous les jouis au détriment de milliers de Belges, victimes continuelles du traitement injuste qui leur est infligé. J'ai affirmé, et il m'est aisé de démontrer, que notre législation sur la milice est sans cesse violée dans le sens le moins excusable.

Il est vrai que les plaignants ne sont pas des officiers, des hauts fonctionnaires publics, des électeurs, des personnes influentes ; ce sont de pauvres diables, ne sachant la plupart ni lire ni écrire et ne s'occupant pas de politique. Mais ce n'est pas là un motif pour leur refuser la justice qui leur est due.

(page 466) Vous me permettrez donc de revenir à ma thèse et de démontrer très clairement à M. le ministre de la guerre qu'il peut, qu'il doit dès demain faire droit à la plupart des réclamations que j'ai présentées.

Je dis dès demain, c'est-à-dire avant la réforme de nos lois de milice. Ce qui prouve que mes observations ne sont pas inopportunes, et qu'on ne peut pas les renvoyer à l'époque, du reste rapprochée, où la réforme, promise par le gouvernement, sera réalisée.

La discipline est une bien belle chose, l'honorable ministre de la guerre nous l'a éloquemment démontré hier. En effet, sans discipline, il n'y a pas d'armée, ou il n'y a que de mauvaises armées, et une mauvaise armée est le pire des maux dans l'état social.

Mais si la discipline est une belle chose, la légalité en est une aussi. Si les inférieurs doivent obéissance aux chefs, les chefs doivent prêcher d'exemple et obéir à la loi. Ces deux devoirs se tiennent. Je ne conçois pas l'un sans l'autre ; car si les chefs ne montrent pas pour la loi le respect qui lui est dû, ils ont bien mauvaise grâce d'exiger de leurs inférieurs l'obéissance qu'ils réclament, et je ne sais pas même s'ils ont le droit de l'exiger.

Mais, il est difficile, malgré notre bonne foi réciproque, que nous nous entendions, l'honorable ministre de la guerre et moi, parce que l'un parle toujours de discipline et de convenances militaires, et moi, de légalité : point de vue auquel je me suis placé et où je reste.

L'honorable ministre de la guerre soutient qu'il-importe que le gouvernement puisse retenir sous les armes presque indéfiniment les miliciens qui ont des dettes à la masse ; qu'il puisse aussi répartir arbitrairement dans les régiments les hommes qui lui sont annuellement livrés et exiger des uns un service plus long que des autres ; enfin qu'il ait le droit de limiter le nombre des volontaires.

C'est la thèse du gouvernement, ce n'est pas la mienne ; mais l'honorable ministre de la guerre eût-il cent fois raison, au point de vue militaire, il aurait encore cent fois tort contre moi ; car je prétends et j'ai établi qu'il est en opposition manifeste avec la loi. La loi n'accorde au gouvernement aucune des trois facultés qu'il s'arroge.

Que la loi est mauvaise - c'est ce que soutient M. le ministre, c'est possible, je n'en disconviendrai pas, - mais alors qu'il la fasse changer.

Jusque-là, je suis autorisé à prétendre qu'aucune des réponses qu'il a bien voulu me faire n'est pertinente.

Le premier jour, l'honorable ministre n'a parlé que du préjudice considérable qu'essuierait le trésor public si l'on ne prenait des mesures de rigueur contre les miliciens endettés.

Cette raison était la vraie. Il n'y en a pas d'autres. Quand j'ai prouvé à M. le ministre que cette raison, fût-elle bonne en elle-même, ne valait rien opposée à mon argumentation, il a senti le besoin de fortifier son argument, et il nous a dit hier qu'en congédiant plus tôt les miliciens non endettés il voulait accorder une prime à l'ordre, à la propreté et à l'économie des soldats.

Messieurs, le prétexte est ingénieux, mais qu'on me permette de le dire et de le prouver, il est complètement inexact. Il n'est pas vrai que le département de la guerre accorde une faveur, une prime aux miliciens soigneux ; je vais vous démontrer qu'au fond ce n'est qu'une question de gros sous.

En effet, il arrive tous les jours, il est arrivé hier, il arrivera demain que le milicien le plus endetté, c'est-à-dire le plus malpropre, le moins soigneux sera celui qui sera renvoyé chez lui de préférence au milicien le moins endetté, et voici comme. Il y a des miliciens qui ont 100, 120 francs de dette à leur masse ; il y en a d'autres qui n'ont que 20 ou 25 francs de dette.

D'après la thèse du ministre, c'est le milicien endetté pour 20 francs qui devrait être d'abord renvoyé en congé comme étant le plus soigneux et le plus économe et c'est le milicien endetté pour 100 francs et plus qui devrait être retenu sous les drapeaux. Il n'en est rien en fait. Ce dernier, s'il apporte les 100 francs dus (la moralité étant égale des deux côtés), sera renvoyé chez lui et celui qui ne pourra fournir les 20 francs qu'il doit à la masse sera maintenu sous les drapeaux, c'est-à-dire que, contrairement à votre principe, vous punissez les bons sujets et vous favorisez les mauvais ; pourquoi ?

Par une seule raison qu'a fait valoir M. le ministre de la guerre, par une raison d'économie, parce que le département de la guerre est effrayé des non-valeurs et parce qu'il tâche de faire toute sorte d'économies, même de très petites économies (et il en est que j'oserais à peine indiquer à la Chambre) pour pouvoir faire de grosses et lourdes dépenses d'autre part.

J'espère qu'il est clairement démontré aujourd'hui qu'en retenant sous les drapeaux les miliciens endettés, vous n'accordez ni faveur, ni récompense, ni prime aux miliciens soigneux, mais que vous prélevez un impôt nouveau sur les familles, sur les pauvres familles, sur les familles des miliciens, qui ne peuvent pas ajouter 20 ou 25 francs à tous les sacrifices qu'elles se sont imposés déjà pour leurs fils. (Interruption.)

Mais, messieurs, je ne me livre pas à de vaines hypothèses. Je suis convaincu que chacun d'entre vous a fait l'expérience que j'ai acquise à cet égard, et qu'il est à votre connaissance que bien des familles ne peuvent pas envoyer à leurs fils le montant de la dette inscrite au régiment, laquelle est le plus souvent très faible.

Quant à moi, eh, mon Dieu ! j'hésite à citer des faits, je pourrais en alléguer des centaines ; mais j'ai vu maintes fois des miliciens retenus sous les drapeaux pour une dette infime, par exemple, pour une dette de 27fr., qui a coûté plus de deux ans de service forcé à un des pauvres diables dont je parlais tout à l'heure. De pareilles conséquences ne sont-elles pas odieuses ?

C'est un impôt que vous prélevez sur les familles, comme si déjà l'impôt du sang n'était pas assez lourd, comme si déjà vous n'aviez pas pris assez à une pauvre famille de vieux parents en lui enlevant son fils, son soutien, pendant cinq à huit ans ; il faut encore y ajouter cette dernière rigueur, le payement à la masse sous peine de contrainte par corps. Vous tendez la main et vous dites : 25 ou 30 francs ; sinon, point de congé. N'est-ce pas vendre les congés ?

Eh bien, messieurs, cela est non seulement déraisonnable, inhumain, cela est non seulement contraire à toute motion de justice distributive ; mais devant une Chambre libre comme la nôtre, cela offre un inconvénient beaucoup plus grave et plus condamnable, cela est illégal.

Parlez-moi encore de M. Hayez, je le veux bien ; plaignez-le, soit, mais vous avez des milliers de Hayez dans l'armée (interruption), oui, des milliers de militaires retenus illégalement sous les armes. Ce n'est pas, à coup sûr, pour M. Hayez, qui est flanqué d'habiles avocats, que sont réservées mes sympathies actives. Il y a des milliers de citoyens belges dans 'larmée que vous y retenez illégalement beaucoup plus longtemps que vous n'avez le droi tde les y retenir. Et parce que M. Hayez porte des épaulettes, parce qu'il est lieutenant-colonel, il met toute la Belgique en émoi ; il inspire des plaidoyers, du reste très beaux, en sens inverse ; il procure l'occasion à d'excellents avocats de déployer leur habileté ordinaire, mais on me laisse parler seul pour les cent mille Hayez qui se trouvent en Belgique. Cela n'est pas juste. Quant à moi, j'abandonne M. Hayez ; il ne le trouvera pas mauvais, je pense, il sera suffisamment défendu, sa cause me paraissant bonne d'ailleurs, et je prie les habiles et généreux défenseurs de M. Hayez de trouver aussi quelques paroles en faveur des autres Hayez si nombreux dont je parle dans le désert.

Non seulement le milicien endetté, forcément endetté par votre fait, est maintenu illégalement sous les drapeaux, première punition : mais on lui inflige une autre punition tout aussi illégale ; lorsque retourné chez lui (endetté encore on l'a lâché au bout de plusieurs années), il sollicite l'autorisation de se marier, on la lui refuse jusqu'à ce qu'il ait acquitté sa dette à la masse. Cela me paraît bien fort ! J'ai vu un jeune homme qui devait une trentaine de francs à son régiment et qui, par sa bonne conduite, par sa conduite exemplaire était parvenu à obtenir une exception, de ce chef et avait été renvoyé chez lui, je l'ai vu essuyer des refus réitérés à ses demandes d'autorisation de se marier ; on lui répondait toujours ceci : Acquittez-vous, acquittez-vous, n'importe comme, ou pas de mariage.

Messieurs, si ce ne sont pas là des choses graves, je ne sais plus comment il faut apprécier les questions de moralité, de justice et de légalité.

L'honorable ministre de la guerre m'a dit : De quoi vous plaignez-vous ? Vos miliciens ne servent que deux, trois ou quatre ans au plus, quoiqu'ils appartiennent à l'Etat pendant huit ans ; quand nous renvoyons le milicien au bout de trois ans. nous sommes bien bons, nous pourrions le retenir huit ans, attendu qu'il appartient à l'Etat pendant tout ce temps. Peu importe qu'un milicien reste un ou deux ans même de plus que d'autres sous les armes, il n'a pas à se plaindre puisqu'on lui fait toujours grâce de plusieurs années.

Ainsi raisonne M. le ministre. Cette interprétation de la loi m'étonne beaucoup dans la bouche d'un militaire aussi instruit et aussi jurisconsulte, aussi avocat dans le meilleur sens du mot que M. le ministre de la guerre.

Messieurs, il n'est pas vrai que les miliciens belges appartiennent à l'Etat pendant huit ans ni même pendant cinq ans, quoiqu'il y ait un texte de loi qui permettrait, à la rigueur, de soutenir ce dernier point.

Je dis que cela n'est pas vrai ; je m'appuierai sur une autorité que le ministre ne récusera sans doute pas, celle du département de l'intérieur.

(page 467) Dans les comptes rendus sur la milice, que le ministre de l'intérieur a fait distribuer à la Chambre, il y a un paragraphe rubrique : « Recrutement de l’armée. - Mode de recrutement. », où je lis :

« La destination du milicien est de compléter, en cas de guerre, l’armée permanente. Ils ne passent sous les drapeaux que le temps strictement nécessaire à leur instruction. »

Voilà l'opinion du département de l'intérieur, opinion conforme à des déclarations faites aussi par le département de la guerre. Voilà la vérité, voilà l'esprit de la loi. Donc, quand l'honorable ministre dit qu'il a le droit de choisir parmi les miliciens ceux qu'il veut favoriser et de garder pendant cinq ans ou huit ans, ceux qu'il lui plaît de conserver, il est en désaccord complet avec les principes de la loi et avec la formule si nette et si vraie du département de l'intérieur.

Non, le ministre de la guerre n'a pas le droit de maintenir arbitrairement sous les armes les hommes qui ont achevé leur instruction. La Chambre a voulu qu'en temps de paix tout soldat qui a achevé son instruction soit renvoyé chez lui. Nous avons eu là-dessus une foule de déclarations concordantes.

M. Crombezµ. - Il faut licencier toute l'armée.

M. Coomans. - L'honorable interrupteur veut-il dire que toute l'armée n'est pas suffisamment instruite ?

- Plusieurs membres. ) Au contraire.

M. Coomans. - Ainsi donc mou honorable interrupteur croit que les miliciens qui sont entrés au régiment au mois de mai et de juin dernier sont suffisamment instruits ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y en a d'autres.

M, Coomansµ. - Mais ils font partie de l'armée ceux-ci. Du reste, je me permettrai, en fait d'instruction militaire, de m'en rapporter au témoignage de M. le ministre de la guerre, plutôt qu'à celui des honorables membres qui m'interrompent et je suis très convaincu que M. le général Chazal croit que toute l'armée n'est pas assez instruite pour être renvoyée dans ses foyers, dans le sens du texte de la loi.

MgCµ. - Permettez-moi un mot. Si le système de l'honorable M. Coomans était admis, si le gouvernement n'avait pas le droit de conserver sous les armes les miliciens instruits, je demanderai comment le service se ferait, comment on pourrait conserver les établissements militaires, comment on pourrait soigner les chevaux dans les régiments de cavalerie, comment enfin nous pourrions exécuter les travaux qu'il y a continuellement à faire dans nos arsenaux ? Il faut donc conserver des soldats instruits, à même pour former les miliciens, il faut des sous-officiers instruits.

M. Coomans. - M. le ministre de l'intérieur ne désire-t-il pas répondre à l'honorable ministre de la guerre ? (Interruption.)

Je conçois l'embarras de l'honorable ministre de l'intérieur.

MiVµ. - Je ne suis pas le moins du monde embarrassé.

M. Coomans. - J'avoue que l'observation de M. le ministre de la guerre ne semble assez forte.

Je répète ce qu'ont dit les ministres de l'intérieur : « Les miliciens ne passent sous les drapeaux que le temps strictement nécessaire à leur instruction. » Cela a été dit, imprimé et distribué à tous les membres de la Chambre.

MiVµ. - Cela s'imprime tous les ans.

M. Coomans. - Ah ! c'est une banalité ! Alors faites des économies d'impression.

Si vous distribuez à cette Chambre des aphorismes devant lesquels vous rougissez et que vous laissez détruire par quelques mots de votre collègue M. le ministre de la guerre, je dis que vous devriez nous respecter assez pour ne pas nous distribuer solennellement de pareilles choses.

« Les miliciens ne passent sous les drapeaux que le temps strictement nécessaire à leur instruction. »

Voilà le langage officiel du gouvernement.

M. de Mérode-Westerloo. - Il faut changer cela.

M. Coomans. - Il y a beaucoup de choses à changer. Reste cette critique fondamentale que notre législation sur la milice n'autorise, par aucune de ses dispositions, le gouvernement à appliquer un traitement différentiel aux miliciens dont la conduite est bonne, qu'aucune disposition légale, et pour la troisième fois j'adjure M. le ministre de la guerre et ses honorables collègues de me répondre à ce sujet, ne leur permet de retenir sous les drapeaux pour dettes des hommes à la charge desquels il n'y a pas d'autre reproche à faire que celui de la pauvreté.

Je dis que le milicien qui a passé sous les drapeaux le temps nécessaire à son instruction, a le droit d'être renvoyé chez lui en même temps que ses camarades de là même classe.

Je conclus sur ce point.

Je demande à M. le ministre de la guerre s'il compte maintenir l'abus que je critique, qui ne provient pas de l'initiative de l'honorable ministre, qui existe depuis de longues années, peut-être depuis plus de vingt-cinq ans, celui d'exercer la contrainte par corps contre ceux des miliciens en faveur desquels nous devrions montrer le plus d'égards, si le gouvernement maintient cette contrainte par corps... (Interruption.) C'en est une, je reviendrai sans cesse sur cet abus, en attendant la réforme des lois sur la milice.

L'honorable membre est revenu hier sur l'espèce de circulaire qui aurait été adressée aux parents des miliciens endettés. J'avais déjà déclaré à l'honorable membre que je n'avais rien affirmé à cet égard ; j'ai dit seulement qu'il était à ma connaissance que des officiers avaient réuni leurs soldats pour les prévenir que si eux ou leurs parents ne payaient pas la dette inscrite à la masse, ils ne seraient pas envoyés en congé ; que maintes fois les journaux avaient tenu le même langage et que des officiels avaient écrit aux parents de certains miliciens que l'apurement de la masse était nécessaire avant toute allocation de congé.

Mais, messieurs, la circulaire dont je parlais, l'honorable ministre l'a faite deux fois de la façon la plus solennelle, il ne s'est pas excusé au sujet du reproche que je lui ai fait.

Il a maintenu, je ne sais pourquoi ni comment, son droit de conserver sous les drapeaux, beaucoup plus longtemps que d'autres, les miliciens endettés.

Le langage du ministre vaut, hélas ! une et plusieurs circulaires. Que m'importe la circulaire ? C'est le fait que j'ai en vue. Je demande formellement à l'honorable ministre de renvoyer immédiatement dans leurs foyers les soldats qui ne sont retenus au régiment que pour délit de pauvreté.

Toujours au point de vue de le légalité, j'ai soutenu devant la Chambre que le gouvernement n'avait pas le droit de limiter le nombre des volontaires. A cet égard, l'honorable ministre m'a fait deux réponses qui s'excluent l'une l'autre : en premier lieu, il m'a répondu qu'on ne limitait pas le nombre des volontaires et qu'il en recevrait encore volontiers à bras ouverts 20,000 demain : en deuxième lieu, il m'a dit qu'on limitait et qu'on devait limiter le nombre des volontaires pour permettre aux classes non exercées de s’instruire.

MgCµ. - Je n'ai pas dit qu'on lmitait.

M. Coomans. - Vous n'avez pas dit qu'on limitait ! Mais c'est que vous n'avez pas relu, comme vous le disiez tantôt à l'honorable M. Goblet, c'est que vous n'avez pas relu votre discours dans les Annales parlementaires, car le mot limiter y est en toutes lettres ; je lis :

« Il s'ensuit que si l'on avait un très grand nombre de volontaires, on ne pourrait faire passer sous les armes un nombre de miliciens suffisant pour l'effectif du pied de guerre. On a limité le chiffre des engagements militaires dans chaque corps. »

MgCµ. - J'ai eu soin de dire que c'était en solde.

M. Coomans. - Pas dans ce passage ; du reste, je ne comprends pas cela ; mais vous avez dans tous les cas limité, en solde ou non, le nombre des volontaires, cela est bien évident. Or, cela est illégal. La loi de 1817, qui est en pleine vigueur aujourd'hui, le dit formellement.

L'armée peut se composer de volontaires, de volontaires seulement et ce n'est que lorsqu'on ne peut pas trouver de volontaires qu'il est permis d'avoir recours à la conscription. (Interruption.)

- Un membre. - On ne trouve plus de volontaires.

M. Coomans. - Alors à quoi bon limiter le nombre des volontaires, si vous ne trouvez pas de volontaires ?

MgCµ. - J'expliquerai cela tout à h cure.

M. Coomans. - C'est difficile à expliquer, à moins que je ne comprenne plus le sens naturel des mots, car si vous limitez, dans chaque corps, le nombre de volontaires, l'addition générale de toutes ces limites me donnera un chiffre quelconque ; or, ce chiffre est illégal. Vous n'avez pas le droit de limiter le nombre des volontaires.

Au sujet des volontaires, l'honorable ministre m'a opposé hier une rectification qui m'a peiné. Par respect pour la Chambre, par respect pour moi-même, je n'avance jamais ici un fait ni un chiffre dont je ne sois parfaitement sûr. Je puis me rendre ce témoignage parce que des rectifications de ce genre ne m'ont pas encore été opposées.

J'avais donc parlé d’environ 12,000 volontaires se trouvant aujourd’hui sous les armes. L’honorable ministre m’a répondu que j’étais bien loin de compte, que nous n’avions pas 12,000 volontaires, que nous n’en avions jamais eu au maximum que 9,000 et quelques centaines, et qu’aujourd’hui nous n’en avons plus que 7,000.

(page 468) J'ai opposé tout à l'heure l'honorable ministre de la guerre à l'honorable ministre de l'intérieur, et l'honorable ministre de la guerre a tellement embarrassé l'honorable ministre de l'intérieur que celui-ci n'a pas pu répondre ; ce que j'ai regretté beaucoup, parce que je n'ai pas pu répondre moi-même.

MgCµ. - Il n'y avait rien à répondre.

M. Coomans. - Tant pis pour vous plutôt que pour moi ; cela prouve que vous et moi nous avions complètement tort au point de vue militaire.

J'ai donc opposé M. le ministre de la guerre à M. le ministre de l'intérieur ; je vais faire mieux, je vais opposer M. le ministre de la guerre à M. le ministre de la guerre lui-même.

J'espère qu'il acceptera le démenti qu'il se donnera à lui-même.

Le chiffre de 12,000 volontaires, est-ce moi qui l'ai inventé ? Non, c'est le département de la guerre. Il y a trois ans, comme rapporteur d'une section centrale, je me suis adressé officiellement au ministre de la guerre pour obtenir le chiffre exact de nos volontaires sous les armes. J'ai ici la réponse, elle n'est pas de M. le ministre actuel, elle est de son prédécesseur, l'honorable général Berten ce qui, je l'espère, revient au même, d'autant que la pièce est parfaitement officielle.

« Monsieur le représentant, j'ai l'honneur de vous annoncer que l'armée renfermait, au 1er janvier dernier, 11,310 volontaires. » (Dépêche du 8 mars 1858, 2ème division, numéro 60.) »

Du reste, messieurs, ceci est un détail qui n'importe aucunement à la thèse beaucoup plus grave que je soutiens. Peu m'importe à ce point de vue, qu'il y ait 8,000,10,000 ou 12,000 volontaires, mais j'ai bien le droit de justifier mon allégation, (Interruption.) Voilà la dépêche.

Enfin, messieurs, j'ai soutenu que vous ne pouviez pas imposer à des citoyens belges obéissant à la même loi, un traitement différentiel. Ici encore j'avais en ma faveur tontes les lois qui existent et notamment la loi générale de 1817.

L'honorable ministre a eu beau me prouver qu'il fallait que les cavaliers et les artilleurs restassent plus longtemps sous les armes, que les fantassins, il n'a pas réfuté ma thèse : je prétends encore que le service doit être égal pour tous les citoyens ; si cela est absurde, si cela est impossible, M. le ministre de la guerre n'a qu'à modifier la loi.

Messieurs, j'en resterai là pour le moment.

MiVµ. - Messieurs, l'honorable M. Coomans a cherché à mettre le département de l'intérieur en contradiction avec celui de la guerre : cette contradiction, qui semble exister dans les termes, n'est au fond qu'apparente. Il faut interpréter les textes d'après les règles du bon sens.

Eh bien, lorsque le département de l'intérieur a fait connaître que les miliciens ne devaient rester sous les drapeaux que le temps strictement nécessaire pour terminer leur instruction, on devait nécessairement sous-entendre « lorsque les exigences du service le permettent ».

S'il en était autrement, je le demande, que deviendrait l'armée ? L'instruction dos soldats étant terminée, on devrait, d'après les principes de l'honorable M. Coomans, les renvoyer en congé ; en d'autres termes, l'armée ne serait qu'une école où l'on apprendrait à faire l'exercice ; mais lorsque cette instruction serait terminée, il n'y aurait plus d'armée, car il n'y aurait plus de soldats sous les drapeaux. Voilà les seules réponses que je crois devoir faire, à l'honorable M. Coomans sur ce point.

Puisque j'ai la parole, j'ajouterai une observation.

L'honorable membre auquel je réponds, nous a dit qu'il n'avançait jamais à la Chambre des faits qui ne fussent de la plus stricte exactitude...

M. Coomans. - Lorsque je les connais.

MiVµ. - Oui, lorsque vous les connaissez ; mais lorsque vous ne les connaissez pas, vous devriez les vérifier, afin de ne pas alléguer ici des choses qui ne sont pas exactes ; je suis convaincu, du reste, que vos assertions, sont émises de très bonne foi et que lorsqu'elles manquent d'exactitude, c'est bien contre votre gré.

Mais l'honorable membre risque quelquefois de raconter des faits dont il ne peut pas apprécier toute la réalité ; en voici un exemple : Hier, l'honorable membre a parlé d'un milicien qui, étant enfant unique, a cependant été appelé sous les drapeaux, parce que, disait-il, il avait le malheur d'ignorer les règlements.

Je ne connaissais pas le fait allégué, et c'est pour cela que je n'ai pas répondu catégoriquement hier ; mais, m'intéressant vivement au sort du malheureux protégé de M. Coomans et désirant lui être utile, si le fait était reconnu exact, je me suis fait rendre un compte fidèle de la position du milicien, qui s.e nomme Deswerts et non Swerts.

Le nommé Deswerts a été milicien de l'année 1859 et il a été exempté cette année comme détenu. Devant le conseil de milice, il a produit, en 1860, une pièce constatant qu'il était enfant unique, et ce conseil appliquant la loi, a exempté le milicien. Deswerts n'a donc pas marché avec le contingent de l'année 1860.

Mais, l'année suivante, en 1861, bien que l'administration communale d'Anvers eût fait connaître au même milicien qu'il avait à reproduire le certificat constatant qu'il était encore enfant unique, Deswerts se refusa à produire cette pièce ; il déclara même qu'il renonçait à réclamer, et ne voulait plus profiter de l'exemption qu'il pouvait obtenir en vertu de la loi.

M. Coomans. - Il ne sait pas lire.

MiVµ. - Dans tous les cas, il a dû se faire lire la pièce qu'on avait écrite pour lui et il a eu connaissance de son contenu.

En conséquence, comme le conseil lui avait reconnu la capacité physique pour servir, Deswerts fut, malgré des réclamations tardives, enrôlé dans un régiment.

Le motif probable pour lequel le milicien n'a pas jugé convenable de faire d'abord valoir son droit à l'exemption, c'est qu'il venait de sortir de prison et qu'il trouvait sans doute plus agréable de servir que d'aller aider ses parents.

Voilà comment je rectifie ce fait d'après les dossiers qui m'ont été communiqués. Je dois ajouter qu'en 1861 le milicien n'a pas réclamé en temps utile ; ses parents se sont pourvus en appel devant la députation, mais après l'expiration du délai fixé par la loi, et lorsqu'ils se sont adressés plus tard à mon honorable prédécesseur, il ne dépendait plus du département de l'intérieur de le libérer.

Encore un mot : l'honorable M. Coomans a affirmé que le département de l'intérieur n'a pas répondu aux réclamations qui lui ont été adressées ; j'ai constaté, par l'examen du dossier, que mon département a adressé deux lettres pour cet objet à M. le gouverneur de la province d'Anvers ; car c'est pas l'intermédiaire du gouverneur de la province qui avait transmis la réclamation, que la réponse de l'autorité supérieure a été adressé au réclamant. C'est toujours de cette manière que ces affaires se traitent.

M. Coomans (pour un fait personnel). - Messieurs, je m'étonne que l'honorable ministre de l'intérieur soit revenu sur cette affaire. J'ai' dit qu'un enfant unique se trouvait maintenu sous les drapeaux, malgré les réclamations réitérées qui avaient été faites par ses parents et par lui-même.

J'ai ajouté que j'ignorais s'il y était encore en ce moment ; que j'espérais qu'en tous cas le gouvernement se hâterait, à la suite de cette réclamation, de le congédier, L'honorable ministre de l'intérieur a eu la bonté de m'apprendre hier, en particulier, que le milicien se trouvait encore sous les drapeaux, mais qu'il s'empresserait, par l'intermédiaire du département de la guerre, de le faire renvoyer chez lui. Où est l'inexactitude dans ce que j'ai avancé ?

MiVµ. - Le nom est inexact.

M. Coomans. - En effet, on a imprimé Swerts au lieu de Deswerts. Une faute d'impression du Moniteur me fait dire François Swerts au lieu de François Deswerts ; je le reconnais. Laissons cette bagatelle. M. le ministre de l'intérieur prétend, chose que j'ignorais, que Deswerts n'a pas demandé sa libération ; qu'au contraire, il a déclaré vouloir servir.

Mais comment l'honorable ministre ne sait-il pas que l'exemption d'un enfant unique n'est pas faite en faveur de l'enfant unique, mais en faveur des parents ?

Les motifs de la loi sont positifs.

La prétendue rectification de M. le ministre de l'intérieur prouverait tout au plus que Deswerts est un mauvais fils, mais tous les commentaires qui ont accompagné la loi nous apprennent formellement que l'exemption est accordée aux parents ; or les parents l'ont réclamée plusieurs fois (interruption) oui, et en vain, et moi je l'ai demandée aussi en vain à M. le ministre de la guerre, dès le mois de septembre ; s'ils n'ont pas réclamé devant les conseils de milice, c'est que ce ne sont pas les parents qui comparaissent devant les conseils de milice. Je suis fâché de devoir apprendre de pareilles choses à M. le ministre.

Quand le milicien Deswerts a comparu pour la seconde fois, il a pu dire qu'il aimait mieux la caserne que la prison ou même que la maison paternelle.

Je n'en sais rien. Mais alors les parents ont réclamé ; ils ont usé de leur droit, et c'était à vous, gouvernement, à atténuer les rigueurs de la loi, non pas à libérer, vous ne le pouviez plus, je le sais, mais à congédier un enfant unique. Du reste, si François Deswerts est entré volontairement au régiment, ce dont je doute, il a, depuis le mois d'août 1861, réclamé, avec ses parents, le congé qui leur était si nécessaire. (Interruption.)

(page 469) Eh quoi ! la loi n'impose-t-elle pas au fils l'obligation d'entretenir ses parents ? Donc les parents avaient le droit de réclamer leur fils ; il y a plus, le département de la guerre ne permet pas aux miliciens de réclamer eux-mêmes. Le département de la guerre exige que ce soient les parents ou les tuteurs. Le fait m'est personnellement arrivé. Donc, en supposant que tout ce que vient de dire l'honorable ministre soit vrai, et je n'en révoque formellement en doute aucun point, la conduite du gouvernement est d'autant plus blâmable.

Quoi ! vous saviez que vous aviez dans un de vos régiments un mauvais fils, mauvais fils, selon vous, qui ne voulait pas travailler pour ses deux parents pauvres et plus que sexagénaires l’un et l’autre, et au lieu de répondre aux parents que vous allez leur renvoyer leur enfant, vous gardez le silence envers eux et vous conserver leur gagne-pain. Vous avez aggravé votre faute. Votre devoir était d’accorder à l’enfant unique un congé provisoire suivi d’autres congés, ce qui se fait très souvent.

Je n'ai donc commis qu'une seule inexactitude, le de que je vous abandonne. (Interruption.)

MgCµ. - Messieurs, je ne veux donner qu'un mot d'explication à la Chambre et à l'honorable M. Coomans sur le système d'engagement des volontaires, qu'il semble n'avoir pas compris.

J'ai dit que le nombre de volontaires est illimité ; mais qu'on ne peut en conserver en solde dans chaque corps qu'un nombre déterminé.

On peut engager dans les régiments, je le répète, les volontaires qui se présentent. Il n'y a pas de limites. Mais les chefs de corps ne peuvent conserver en solde, c'est-à-dire sous les armes, qu'un effectif déterminé qui s'élève, pour toute l'armée, à dix mille neuf cent cinquante-quatre hommes.

Les volontaires au-dessus de ce chiffre, s'il était jamais atteint, devraient être envoyés en congé comme les miliciens.

Cette mesure devrait être prise d'une part pour encourager les engagements volontaires en accordant aux militaires de cette catégorie, qui le désirent, la même faveur qu'aux miliciens, et, d'autre part, pour pouvoir conserver, sans dépasser les allocations budgétaires, les miliciens sous les armes pendant tout le temps nécessaire à leur instruction.

Malgré ces facilités, nous ne parvenons pas à obtenir le nombre de volontaires que nous voudrions avoir en solde, car nous n'en avons que 7,500.

Vous voyez donc, messieurs, que, loin de refuser des volontaires, nous prenons toutes les mesures possibles pour en recruter.

L'ordre donné aux chefs de corps d'envoyer en congé les volontaires qui seraient au-dessus de l'effectif en solde déterminé, est une mesure toute favorable à ces militaires, qui savent qu'ils pourront jouir à tour de rôle, si cela leur convient, de congés de faveur et qu'ils ne seront pas obligés de rester pendant toute la durée de leur engagement, c'est-à-dire pendant huit ans, sous les armes.

M. Coomans. - C'est là un détail. Je demande si vous conservez forcément les miliciens sous les drapeaux.

M. Allard. - Avec le système de l'honorable M. Coomans, le chiffre des miliciens ne serait jamais complet. S'il était permis à un homme de ne pas réclamer en temps qu'arriverait-il ? C'est que le gouvernement perdrait une quantité d'hommes, car si le renvoi dans leurs foyers de ceux qui n'ont pas réclamé en temps pouvait avoir lieu, le contingent de l'armée n'atteindrait jamais le chiffre de 10,000 hommes fixé par la loi, puisque l'on ne peut plus, lorsqu'un homme a été incorporé, prendre le numéro suivant.

On doit craindre la fraude en cette matière. Voici comment : un homme qui a droit à l'exemption, s'il use de son droit, exempte nécessairement le numéro qui le suit ; donc il pourrait s'entendre avec celui qu'il peut exempter, pour le libérer du service.

La Chambre a été saisie, il y a quelques années, d'une pétition d'un individu qui avait été incorporé. Arrivé au corps, on l'avait trouvé trop petit, et il réclama son renvoi dans ses foyers. Il est résulté des renseignements fournis à la Chambre, que chaque fois qu'on l'avait toisé avant son incorporation, on l'avait trouvé assez grand. J'ai toujours soupçonné qu'il s'était grandi alors, par son incorporation pour exempter un autre milicien.

Si toutefois les fils uniques ou ceux qui ont des motifs pour être libérés ne réclament pas et si on peut les renvoyer après leur arrivée au corps, le contingent de l'armée ne sera jamais atteint. Cela n'est pas possible.

M. de Renesse. - Messieurs, ayant été pendant quelque temps commissaire d'arrondissement et de milice, je crois devoir donner à la Chambre quelques renseignements sur certaines dispositions de la loi sur la milice. Il y a dans cette loi plusieurs dispositions qui accordent, soit une libération définitive de tout service militaire, ou seulement une libération temporaire ; pour jouir de ces exemptions, il faut fournir, dans le délai fixé par la loi, des certificats constatant la position des miliciens réclamants.

Il paraît que le milicien, fils et enfant unique, dont a parlé l'honorable collègue M. Coomans, n'a pas produit, en temps utile, le certificat exigé par la loi ; il devait nécessairement être désigné pour le service, par le conseil de milice.

Contre cette décision, les parents de ce milicien ou lui-même aurait dû réclamer auprès de la députation permanente du conseil provincial, et produire le certificat dans un délai déterminé ; ceci n'ayant pas eu lieu, la députation devait confirmer la décision première prise par le conseil de milice ; et, comme il paraît qu'il n'y a pas eu de recours en cassation, il n'y a plus aucun moyen légal de libérer ce milicien, fils et enfant unique, de l'obligation de remplir le temps de service exigé par la loi, pour lequel il avait été dûment désigné ; le Roi lui-même ne pourrait le libérer du service militaire ; il dépend de M. le ministre de la guerre d'accorder à ce milicien un congé indéterminé jusqu'à libération de la milice.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et s'il ne veut pas de congé ?

MgCµ. - L'explication de l'honorable M. de Renesse est conforme à la loi. C'est ainsi que les choses se passent.

M. Coomans. - Je ne le nie pas.

MgCµ. - Par conséquent, on ne peut adresser de reproche au département de la guerre.

M. Coomans. - Il fallait donner des congés.

MgCµ. - On vient de vous prouver que la loi ne nous autorise pas à libérer du service et à délivrer de congé.

M. Coomans. - Si ! si !

MgCµ. - Je n'ai pas le droit de libérer définitivement du service qui que ce soit.

M. Coomans. - Pas définitivement.

MgCµ. - Quand des faits de la nature de celui que l'honorable M. Coomans vient de signaler arrivent à la connaissance du département de la guerre et qu'ils sont constatés, car il y a souvent des réclamations inexactes, le département de la guerre fait ce qu'il peut pour alléger la position des individus, victimes d'une erreur ou d'une négligence, c'est-à-dire qu'il leur accorde des congés temporaires.

Je pourrais citer vingt exemples de congés accordés dans des circonstances semblables sur la demande qui en a été faite, soit par des membres de la Chambre, soit par des bourgmestres, soit par des fonctionnaires publics ou même par d'autres personnes.

Mais nous ne pouvons, je le répète, accorder de libération définitive à aucun milicien avant le terme fixé par la loi.

Quant à la question des soldats retenus pour dettes, elle n'a pas été bien comprise. Lorsqu'on envoie une classe entière de miliciens en congé, les hommes sont renvoyés, qu'ils aient des dettes ou non.

La seule mesure administrative que prenne le département de la guerre, c'est de ne pas envoyer le certificat de libération définitive au milicien qui a une dette à sa masse, à moins qu'il n'envoie un certificat d'indigence signé par le bourgmestre de sa commune. Mais qu'il produise ou non ce certificat, il n'en reste pas moins en congé.

Peut-on faire plus ? Ai-je le droit de libérer de sa dette, un homme qui doit de l'argent à l'Etat ?

Lorsqu'on modifiera la loi sur la milice, nous pourrons examiner ce qu'il y a à faire. Jusque-là, je dois faire exécuter la loi.

M. de Gottal. - Je n'entendais nullement entrer dans les discussions qui ont eu lieu jusqu'à présent ; mais, après la réponse de M. le ministre de la guerre et après celle de M. le ministre de la justice dans la séance d'hier, il m'est impossible de ne pas rencontrer quelques-uns des points de ces discussions.

Comme le disait hier M. le ministre de la guerre, je croyais également que l'affaire de M. le lieutenant-colonel Hayez ne devait plus être discutée ici avant que les tribunaux, qui sont saisis de la question, eussent rendu une décision quelconque. Aussi, n'aurais-je pas demandé la parole si M. le ministre ne s'était pas écarté complètement de cette opinion quelques instants après l'avoir formulée.

Mais à peine l'avait-il énoncée qu'il s'est mis à discuter le fond même de la question.

L'honorable M. Goblet avait assez directement, il est vrai, reproché à M. le ministre de la guerre d'avoir, dans cette circonstance, porté atteinte à la liberté individuelle ; mais la simple réponse de M. le ministre, que les tribunaux sont saisis de la question, que la Chambre avait en quelque sorte rendu, dans cette affaire, un jugement interlocutoire ; cette simple réponse eût vraisemblablement prévenu tout débat ; et je n'eusse pas été forcé de répondre quelques mots à M. le ministre de la guerre.

Mais, par des motifs que j'ignore, M. le ministre a recommencé la (page 470) discussion que nous avons eue il y a quelques jours. Il nous a dit que, dans l'affaire du lieutenant-colonel Hayez il n'avait fait que suivre la marche tracée par ses prédécesseurs. Il nous a dit qu'il n'avait fait que suivre les antécédents fort nombreux du département de la guerre.

C'est une erreur, messieurs, que je crois avoir démontrée suffisamment dans une séance antérieure. Je n'insisterai donc pas sur ce point.

M. le ministre a commis une autre erreur quand il a dit qu'il n'avait pu répondre séance tenante à l'argument qui lui avait été opposé.

D'après M. le ministre, l'un des orateurs qui ont pris la parole dans cette discussion aurait prétendu que le cas du lieutenant-colonel Colin n'était pas parfaitement identique avec celui du lieutenant-colonel Hayez dont la Chambre s'occupait à ce moment. C'est, au contraire, M. le ministre qui, en citant ce fait, a établi une distinction qu'il est venu hier réparer devant la Chambre.

Du reste, cela importe peu : s'il y a identité de position sous certains rapports 'il y a une différence énorme qu'il ne faut cependant pas oublier ; c'est que si, comme l'a affirmé M. le ministre de la guerre (car il m'a été impossible de vérifier le fait attendu que l'arrêté primitif de mise à la pension ne figure pas au Journal militaire officiel), si, dis-je, l'arrêté a été rapporté postérieurement à la date fixée pour l'entrée en jouissance de la pension, il y a cette différence entre le cas de M. Colin et celui de M. Hayez, que M. Colin n'a nullement protesté contre la mesure et que par l'acceptation de cette mesure sans réclamation aucune le contrat synallagmatique qui lie l'officier à l'armée et l'Etat envers l'officier, est venu à renaître.

Du reste, je ne sais pas, quoique cette mise en non-activité ait été prise par mesure d'ordre, si l'officier qui en a été l'objet a pu y voir une punition puisqu'il a pu être guidé, en ne réclamant pas, par un sentiment que, dans d'autres circonstances, M. le ministre a qualifié de spéculation, son traitement de non-activité étant inférieur au taux auquel sa pension aurait été liquidée.

M. le ministre de la guerre a dit hier que quatre officiers, parmi lesquels j'ai pu saisir le nom de M. Frederickx, alors directeur de la fonderie de canons, que quatre officiers étaient restés en activité postérieurement à la date fixée pour l'entrée en jouissance de leur pension. C'est encore un argument auquel il avait été suffisamment répondu, et j'ai été surpris de l'entendre reproduire encore ; car vous vous rappelez, messieurs, que j'ai répliqué tout d'abord par la lecture d'un passage de l'ouvrage de M. de Bassompierre qui reproduit l'opinion émise par M. Bemelmans, dans son Recueil administratif.

Vous avez vu que, dans certains cas spéciaux, les officiers comptables, les officiers attachés à certains établissements militaires, dont la présence est exigée par les nécessités du service, pourraient être maintenus.

Du reste, et c'est encore un fait bien caractéristique, ces officiers ont touché le montant intégral attaché à leur position d'activité ; et, sous ce rapport même, ils n'avaient pas encore à se plaindre.

Quant à ce qu'on a dit de la jurisprudence de la cour des comptes, je n'insisterai pas ; je dirai simplement que, dans un des exemples cités, il y a eu mise en non-activité après le décès de l'intéressé et l'on a liquidé sur le pied du traitement de non-activité.

Et cela s'expliquait encore facilement, puisqu'on servait ainsi les intérêts du trésor, le montant du traitement de non-activité étant, dans ce cas spécial, inférieur à la pension.

Pour en finir de cette affaire, je demanderai seulement à M. le ministre de la guerre si la haute cour militaire n'aura pas à s'occuper bientôt de l'affaire qui lui est déférée.

Jusqu'ici on avait, d'après les journaux, argué de l'indisposition de M. l'auditeur général pour retarder le débat. Je ne pense pas que, dans ce cas, on ne puisse pas, dans cette affaire, remplacer l'auditeur général qui (soit dit par parenthèse) siège fort rarement.

Dans nos tribunaux civils ou correctionnels, jamais on n'a trouvé une espèce d'empêchement à poursuivre une affaire parce que l'officier du ministère public qui aurait déjà émis un avis à ce sujet ne pourrait pas momentanément siéger. Ce magistrat n'en continue pas moins la poursuite, même à l'audience publique.

J'ai vu également que M. le lieutenant-colonel Hayez s'était engagé, par déférence pour la cour (ce dont je ne le blâme en aucune manière) à se présenter en uniforme. Je demanderai donc (peut-être M. le ministre de la justice pourra-t-il me répondre) si, dans ce cas, il ne s'expose pas à être poursuivi, en vertu de l'article 259 du Code pénal, qui punit de 6 mois à 2 ans d'emprisonnement celui qui se rend coupable du port illégal d'uniforme.

M. le ministre de la guerre a également parlé d'une discussion qui a eu lieu à propos du projet de loi de crédit de 15 millions peur la transformation du matériel de l'artillerie et pour différents autres objets concernant son département. Il a rappelé (et il m'a forcé ainsi à revenir encore sur ce point) que le secret d'Etat lui avait imposé l'obligation de ne pas communiquer les rapports et surtout les procès-verbaux relatifs aux expériences faites à Brasschaet.

Or, messieurs, je sais qu'il n'est nullement fait mention de ce secret dans les rapports dont il s'agit ; je puis l'affirmer aujourd'hui de la manière la plus positive ; il y est dit, au contraire, qu'on n'entrera dans aucun détail concernant la description, ni dans aucune explication concernant la fabrication et la construction du système, parce qu'on l'avait expressément défendu.

Je passe, messieurs, à la discussion qui a eu lieu au sujet des faits qui se sont passés à Liège, à l'établissement de la fonderie de canons.

M. le ministre de la justice nous a donné, à ce sujet, des explications assez longues ; je ne m'en plains en aucune manière ; mais je ferai remarquer que, comme son collègue, M. le ministre de la guerre, M. le ministre de la justice a commencé par dire qu'il ne semblait pas convenable que la Chambre s'occupât de cette question alors que les tribunaux en étaient saisis, et aussitôt il s'est mis à plaider l'affaire en entier et au fond, bien que l'observation de l'honorable M. Goblet n'eût pas du tout motivé cette discussion.

Quant à moi, je n'entends nullement discuter la question au fond.

J'entends simplement dire un mot sur la forme, si, toutefois, on peut parler de forme à propos de la façon dont l'autorité militaire s'est conduite, dans cette affaire, envers un magistrat.

Vous avez entendu, messieurs, de quelle manière bénigne, dirais-je, M. le ministre de la guerre avait commencé l'exposé de cette affaire. D'après lui, c'est-à-dire, naturellement d'après les renseignements qu'on lui a fournis, il y avait eu quelques démarches, une lettre adressée au directeur de la fonderie, par laquelle ces messieurs lui avaient annoncé qu'ils viendraient faire une visite avec un sieur Marchand, pour voir si rien n'y était contrefait. Le directeur avait informé M. le ministre de la guerre qu'un jour le sieur Lejeune accompagné du sieur Marchand et d'autres personnes parmi lesquelles s'en trouvait une qui se disait juge de paix...

Cette manière de parler d'un magistrat peut n'avoir pas d'importance dans une correspondance entre le ministre de la guerre et un de ses subordonnés ; mais en produisant cette lettre, j'aurais désiré que M. le ministre montrât un peu plus de réserve en parlant d'un magistrat du haut de la tribune devant la Chambre et devant le pays, c'est-à-dire, parlant devant toute la nation.

Aussi vous avez entendu les protestations assez vives qui ont accueilli cette communication et engagé le ministre à dire qu'à cette époque il était malade et absent à 300 lieues de nous.

L'honorable M. Goblet a répondu à cette partie du discours de M. le ministre. J'ajouterai seulement qu'à ce moment, les explications de M. le ministre se trouvaient également à 300 lieues de la réalité des faits.

Les relations qui avaient eu lieu entre le directeur de la fonderie et les intéressés s'étaient faites au moyen d'exploits, signifiés d'abord à la fonderie, comme cela résulte de deux discours de l'honorable membre lui-même, qui reconnaît que le 23 juin l'inspecteur général lui a donné communication d'un exploit signifié à la fonderie de canons.

Comme je l'ai dit, je ne veux pas traiter la question de fond. Je veux parler de faits qui se sont passés à Liège et sur lesquels on a passé d'une manière assez légère.

C'est ainsi que lors de la première signification, irrégulière si vous le voulez, où le juge de paix ayant essuyé un refus d'entrer dans la fonderie, avait demandé une entrevue avec le directeur de la fonderie ou l'officier qui le représente, il lui avait été répondu que le directeur était absent et que l'officier qui le représente se refusait à toute explication.

Comme on a dit qu'il y avait eu vice de forme en ce que l'exploit n'avait pas été signifié au ministre de la guerre, en son hôtel à Bruxelles, l'intéressé a fait cette signification et s'est présenté postérieurement à la fonderie ; il a essuyé un nouveau refus.

Le portier de ladite fonderie, requis de viser l'exploit, est allé prendre les instructions de ses supérieurs, et le capitaine, qui se trouvait à quelques pas de là, a répondu qu'il avait reçu de M. le directeur défense de viser quoi que ce fût.

On s'était montré plus convenable à Bruxelles, où un officier supérieur n'avait fait aucune difficulté de viser l'exploit signifié au ministre de la guerre.

Je demande si ce sont là des réponses à faire à, un magistrat, à un fonctionnaire de l'ordre judicaire. Je demande au ministre si ces faits pour le cas où ils auraient été à sa connaissance, car peut-être les ignore-t-il, n'auraient pas motivé de sa part au moins une réprimande sévère. On a bien usé d'une rigueur très grande envers la personne d'un brave général.

(page 471) Dans une question aussi grave le département de la guerre avait cru ne pouvoir se contenter de consulter son jurisconsulte, il avait eu recours à l’avis du département de la justice. Le général dont je parle avait cru, lui, pouvoir consulter aussi des jurisconsultes et, pour ce fait, il avait été puni de 15 jours d'arrêt. Cette punition l'a tellement affecté, qu'on prétend qu'il a contracté une maladie qui l'a conduit au tombeau. Il n'est personne parmi nous qui ne doive blâmer hautement la conduite de l'autorité militaire en cette circonstance.

Et c'est ce que, pour ma part, je n'hésite pas un instant à faire de la manière la plus formelle.

Je signale spécialement ces faits à l'attention de M. le ministre de la guerre, qui peut-être les ignore. Laissez de pareils faits sans les punir ou les blâmer, c'est en quelque sorte les approuver.

M. le ministre de la justice a dit hier qu'à l'époque ou des projectiles étaient fabriqués à la fonderie, des projectiles pareils étaient confectionnés dans d'autres établissements ; les intéressés ont probablement ignoré cette circonstance.

Mais ce que M. le ministre ignore peut-être, ou ce qu'il a oublié de dire, c'est que dès que les intéressés ont eu connaissance de ce fait ils se sont de nouveau adressés au président pour obtenir l'autorisation de saisir ces projectiles dans les établissements privés où ils |é trouvaient.

Le président a rendu une ordonnance de non-lieu. Le fait a lieu de vous surprendre, mais messieurs, vous vous l'expliquerez quand vous saurez qu'aussitôt que l'autorité militaire a eu connaissance que cette requête était présentée, des officiers sont restés en permanence du matin au soir dans l'établissement où des boulets se fabriquaient et ont engagé les propriétaires de ces établissements à en refuser l'entrée, prétendant que les projectiles de l'Etat étaient aussi peu saisissables dans un établissement privé que dans un établissement de l'Etat.

Vous comprenez qu'en présence de ces faits, du conflit déjà élevé, du peu d'égards de la part de l'autorité militaire pour un fonctionnaire de l’ordre judiciaire dans l'exercice de ses fonctions, le président a pu refuser l'autorisation pour ne pas faire naître un conflit nouveau.

Un dernier mot quant à la théorie que j'ai cru rencontrer dans le discours de M. le ministre de la justice.

C'est une question controversée chez les auteurs que celle de savoir si on peut s'opposer par la force, à main armée à un ordre illégal. Il me semble que M. le ministre de la justice résout cette question d'une manière affirmative. Je n'entends me prononcer ni pour ni contre cette opinion. Mais je pense qu'il est dangereux de la voir trancher devant la Chambre par un ministre de la justice comme elle l’a été ; vous en comprendrez aisément tous les dangers.

Le ministre a dit qu'en pareil cas on s'opposerait à un jugement passé en force de chose jugée, revêtu de la formule exécutoire. Je n'examine pas la question de droit. Messieurs, n'est-ce pas là un avis très significatif donné aux tribunaux chargés d'examiner la question ? Quelque décision qu'ils prennent, elle ne recevra pas d'exécution.

Je passe à un autre ordre d'idées que je comptais présenter dans la discussion générale du budget.

Je demanderai à l’honorable ministre de la guerre, s’il ne juge pas encore utile, s'il ne juge pas convenable de ne plus permettre aux soldats le port des armes en dehors du service.

Cette question n'est pas nouvelle. Elle s'est déjà présentée devant la Chambre. Notamment elle a été posée au département de la guerre, il y a une couple d'années, par la section centrale chargée d'examiner le budget de la guerre.

Voici la question que posait à cette époque la section centrale :

Permettez-moi de vous donner lecture de la réponse. Elle est très courte.

Voici ce que répondit le département de la guerre :

« 1° L'arme fait partie de l'uniforme des troupes et les règlements en vigueur font au soldat une obligation de ne jamais s'en séparer ;

« 2° Ce n'est pas là un privilège, une prérogative, qui puisse froisser les citoyens, puisque les lois générales du pays ne défendent pas de porter des armes, pourvu qu'elles ne soient pas cachées ;

« 3° L'interdiction du port de l'arme est considérée par les règlements militaire comme une punition que l’on inflige à ceux qui ont abusé de leurs armes ;

« 4° L'armée verrait une humiliation dans la généralisation d'une mesure qui, dans ses usages, est une punition ;

« 5° Il est à remarquer d'ailleurs que le port de l'arme par les militaires n'a jamais donné lieu à des abus d'une certaine gravité.

« 6° S'il y a eu de loin en loin quelques rixes, leurs résultats, bien qu'infiniment regrettables, ne semblent pas de nature à motiver une mesure qu'à tort ou à raison les défenseurs du pays considéreraient bien certainement comme une humiliation. »

Cette réponse qui, en 1860, était déjà fort peu satisfaisante, me le paraît encore moins aujourd'hui, et je tâcherai de le faire ressortir en quelques mots.

Et d'abord, messieurs, lorsqu'on vous dit que l'arme fait partie de l’uniforme des troupes, que les règlements en vigueur font au soldat une obligation de ne jamais s'en séparer : c'est là une réponse à une question qui n'est nullement posée. Si les règlements sont ainsi, ce que demandait la section centrale, c'est que M. le ministre de la guerre qui, sous ce rapport, est omnipotent, voulût bien les modifier.

Du reste, que ces règlements existent, je n'en doute pas, mais qu'ils soient observés, j'en doute fort. Il n'est personne de nous qui n'ait rencontré tous les jours dans les rues, dans les promenades, des soldats se promenant sans être munis de leur arme. Je ne m'expliquerais ce fait, d'après la réponse qui a été faite à la section centrale que de deux manières : ou que ces soldats sont punis pour avoir abusé de leur arme, ou que les règlements ne sont pas exécutés. Je ne viens pas non plus attaquer le port de l'arme en dehors du service comme un privilège. Je ne prétends pas avoir le même droit ni le revendiquer pour personne.

Si, comme on le dit, il s'agissait seulement d'une prérogative qui pût froisser les citoyens, si le port d'armes froissait seulement la foule des citoyens par la vue, s'il ne donnait pas souvent lieu à des froissements beaucoup plus sensibles, je n'insisterais nullement.

L'interdiction du port de l'arme est considérée comme une punition, répond M. le ministre de la guerre à la section centrale. Rien de plus simple que de substituer une autre punition à celle-là. Et je ne puis admettre non plus que l'armée verrait dans une mesure pareille une humiliation.

Je n'ai jamais pu m'apercevoir que le soldat qu'on rencontre sans armes, ait l’air plus humilié que celui qui est pourvu de cet appendice parfaitement inutile. S'il en était ainsi, aucun soldat ne pourrait se promener sans armes de peur d'être soupçonné d'avoir été puni pour avoir abusé des armes que l'Etat lui a confiées.

Cependant j'ai vu des soldats sans armes. J'ai vu, et sous ce rapport ni les règlements, ni les lois militaires n'ont pu me fournir d'indication, des soldats ayant des morceaux de bois dans le fourreau de leur baïonnette. Je demande si cela est conforme à la dignité du soldat qu'on prétend que nous venons attaquer en demandant qu'on lui enlève son arme en dehors du service.

M. le ministre disait que le port de l'arme n'avait donné lieu à aucun abus d'une certaine gravité.

C'était une erreur en 1860.

Cette erreur est devenue beaucoup plus évidente encore. Je n'ai pu me procurer un relevé exact ; je le regrette, car cela eût été édifiant pour la Chambre. Mais j'en appelle à vos souvenirs ; vous savez que chaque semaine, presque tous les jours, les journaux signalent des rixes qui ont lieu par suite de cet abus.

Si ces rixes ne suffisent pas, comme le prétend M. le ministre de la guerre, pour prendre la mesure que je réclame, je lui demanderai ce qu'il attend de plus. Attendra-t-il que l’on commette un grand nombre de meurtres, ou que les citoyens, pour résister à ces excès, s'arment eux-mêmes, comme on semble leur en reconnaître le droit, pourvu qu'ils portent leurs armes d'une manière ostensible ?

Attendra-t-il cela pour prendre une mesure que réclame depuis longtemps la sécurité publique ?

Et qu'on se rassure à cet égard, nos soldats ne sont pas plus susceptibles que ceux des autres nations. En Angleterre, en Autriche les soldats, en dehors du service, ne sont pas pourvus de leur arme et ils n'ont pas moins le sentiment de leur dignité que les nôtres.

Craindra-t-on d'humilier les soldats dans leurs promenades sentimentales et autres, en ne se sentant pas la jambe caressée par un sabre ou par une baïonnette ? Craint-on que les soldats n'adressent en masse des pétitions à la Chambre ?

Eh bien, qu'on se rassure. Je puis affirmer à la Chambre que la mesure que je réclame et que j'ai déjà réclamée rencontrera l'approbation du pays tout entier.

Il est un autre ordre d'idées dont je dois un moment entretenir la Chambre. J'ai à ce sujet quelques observations à présenter à M. le ministre de la guerre. Je veux parler des faits qui se passent depuis quelque temps à Anvers, concernant l'exécution de certains jugements que le département de la guerre à obtenus contre les personnes qui, contrairement aux (page 472) lois qu'on prétend être encore en vigueur, ont élevé des constructions dans la zone des nouvelles servitudes.

Je le sais, l'honorable ministre de la guerre est ici entièrement dans la légalité. Il a obtenu des jugements passés en force de chose jugée, parfaitement exécutoires. Mais s'il ne fait ici qu'user de son droit, je lui demanderai si, par mesure d'humanité, surtout en présence de la rude saison dans laquelle nous venons d'entrer, il ne pourrait mettre moins de rigueur dans l'exécution de ses jugements, s'il ne pourrait surseoir tout au moins aux démolitions jusqu'à ce que la Chambre ait pris une décision à ce sujet.

Il n'y a, du reste, aucun péril en la demeure, aucune nécessité à faire opérer ces démolitions à l'instant même. Et s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, il se présente dans ce cas des circonstances très atténuantes.

Des constructions se sont élevées au vu et au su du génie militaire. Ce n'est que lorsqu'elles étaient presque entièrement achevées que des procès-verbaux ont été dressés, que l'on a pris jugement.

Il s'est même présenté certains cas spéciaux où les circonstances sont tellement atténuantes que je ne conçois pas la persistance de M. le ministre à mettre immédiatement à exécution les jugements obtenus. Permettez-moi d'en citer un.

Une construction s'est élevée à Deurne. Avant de bâtir, l'intéressé s'est adressé à l'autorité communale, parfaitement incompétente, il est vrai, pour autoriser à construire, dans le rayon de servitude. Il y avait eu des précédents, il y avait eu des constructions élevées dans le rayon réservé, depuis un an, contre lesquelles on n'a pas, je pense, même verbalisé et que, dans tous les cas, on n'a pas fait démolir.

Le prévalant de ces précédents, l'habitant de Deurne construit. Un jugement vient d'être pris contre lui et l'on va procéder à la démolition.

Je dis qu'une circonstance atténuante générale, c'est que les propriétaires ont pu croire qu'on userait vis-à-vis d'eux de la tolérance antérieure.

Auparavant lorsqu'une construction s'élevait, on se bornait à dresser procès-verbal, quelquefois à faire signer au contrevenant l'engagement d'opérer, à la première réquisition, la démolition ou bien l'on prenait jugement, mais nu aucun cas on n'a exécuté des jugements semblables.

On a pu croire qu'il en serait encore ainsi ; on a pu le croire d'autant plus que des constructions ont été élevées par l'Etat lui-même dans la zone de servitudes.

C'est ainsi que le gouvernement a élevé dans cette zone des maisonnettes de garde-barrière et des stations secondaires, sans que jamais le département de la guerre les ait fait démolir.

Il y a, du reste, messieurs, une autre difficulté sur laquelle j'appelle l'attention toute spéciale de M. le ministre de la guerre, c'est la question de savoir quels sont les terrains frappés de servitude militaire. Je sais bien que la loi dont on se prévaut, indique d'une manière générale le point de départ d'où l'étendue de la zone doit être calculée, mais en fait, ce point de départ est souvent difficile à déterminer, et je rappellerai à ce sujet la réponse faite par M. le ministre de la guerre à une interpellation de M. Beeckman, interpellation relative aux modification successives apportées au tracé primitif des travaux militaires exécutés autour d'Anvers. M. le ministre répondait que c'étaient des coups de crayon, qu'il se réservait d'en donner autant qu'il le jugerait convenable jusqu'au parfait achèvement des travaux.

Je demande, dans ce système, comment on peut être sûr que son terrain est ou n'est pas dans la zone de servitude. Est-on certain, en s'endormant le soir, sur un terrain parfaitement libre de toute servitude, est-on certain, s'il prend fantaisie la nuit au ministre de la guerre de donner un coup de crayon, est-on sûr de ne pas se réveiller en plein dans la zone de servitude ?

Cette difficulté a déjà été signalée depuis longtemps, et l'honorable ministre de la guerre a reçu le 10 novembre dernier, une lettre à ce sujet de plusieurs architectes de la ville d'Anvers.

II était probablement très occupé en ce moment, car la lettre, est restée sans réponse pendant un mois. Le 15 décembre M. le ministre répondit par la lettre suivante :

« En réponse à la lettre que vous m'avez adressée sous la date du 10 novembre dernier, j'ai l'honneur de vous informer qu’aussitôt après avoir été revêtus de mon approbation, les plans terriers des zones des servitudes militaires de la place d'Anvers, des ouvrages qui en dépendent et des forts du camp retranché de cette place, seront déposés dans les bureaux des commandants du génie de la place et dudit camp retranché, où les personnes intéressées pourront en prendre connaissance, sans déplacement. »

Ainsi, messieurs, l'honorable ministre, comme cela se fait, du reste, en vertu des lois qui existent sans doute en Belgique, des lois existant en France et en Hollande, l'honorable ministre fera dresser un plan des terrains grevés de servitudes militaires. Ce plan sera déposé chez le commandant du génie et soumis à l'inspection des intéressés.

Je demanderai à l'honorable ministre si les lois en vigueur dans notre pays ne prescrivent pas des mesures pareilles à celles que prescrivent les lois françaises ; si lorsque de pareils plans sont faits et lorsqu'il s'agit de faire procéder au bornage des terrains frappés de servitude il ne faut pas que le bourgmestre et les personnes intéressées soient appelés à être présents à ce bornage. C'est là un moyen d'éviter bien des difficultés.

La loi hollandaise, sur laquelle nous aurons à revenir lorsque nous discuterons la question à fond, cette loi est plus positive encore, et prévient toute difficulté.

L'article 5 prescrit d'une manière positive que les servitudes ne seront établies en vigueur, avant qu'aux principaux points de la ligne du tracé des fortifications, à partir desquels, la distance, l'étendue des zones doit être mesurée, à moins, dis-je, qu'à ces points on n'ait placé des poteaux indicateurs.

De cette manière toute incertitude, tout arbitraire cesse, et le gouvernement et les particuliers ne peuvent qu'y gagner.

Par toutes ces considérations, messieurs, je prierai l'honorable ministre de la guerre de ne pas continuer à exercer la même rigueur qu'il a exercée jusqu'ici dans l'exécution des jugements qu'il peut avoir obtenus contre ceux qui élèvent des constructions dans la zone nouvelle.

J'ai encore, messieurs, à appeler l'attention de la Chambre sur un point très important qui n'intéresse pas seulement l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte, mais qui intéresse le pays entier et principalement les villes qui ont le triste avantage de posséder des citadelles.

J'ai à appeler l'attention de l'honorable ministre de la guerre et de la Chambre sur une circulaire de son département en date du 17 janvier 1861 par laquelle il fait connaître à l'administration du génie que la loi des 8-10 juillet 1791, et l'arrêté-loi du 4 février 1815, sont applicables aux citadelles dont la zone d'action, d'après la nature des ouvrages, doit s'étendre vers l'intérieur des villes auxquelles elles sont contiguës.

D'après cette circulaire dans laquelle il me semble que le département de la guerre a élevé une prétention toute nouvelle, une prétention qu'il n'avait jamais élevée depuis 70 ans, d'après cette circulaire les constructions à l'intérieur d'une ville, qui se trouvent dans un rayon de 585 mètres de la citadelle, sont soumises aux prescriptions de la loi de 1791 et de la loi de 1811, quant aux constructions, aux restaurations et aux reconstructions.

De pareilles prétentions me paraissent exorbitantes. Il est certain que depuis cinquante ans au moins des constructions considérables ont été élevées sans que jamais le génie militaire ait pris jugement, sans qu'il ait même protesté.

Cette circulaire du département de la guerre est basée sur la loi de 1849, qui n'est pas applicable en Belgique et sur une instruction ministérielle de 1812 qui porte en parlant de la « dimension » (remarquez le mot) de la dimension des esplanades, ce qui suit :

« Dans les grandes places lorsque la ville ne cerne pas déjà de trop près les fronts de la citadelle, il serait à désirer qu'on pût porter la limite de l'esplanade au maximum, que les anciennes ordonnances fixent à 500 mètres, etc. »

Il me semble, messieurs, et j'espère que l'honorable ministre de la guerre voudra bien faire examiner de nouveau cette question, il me semble que cette circulaire est la conséquence d'une confusion entre ce qu'on appelle la zone militaire et la zone des servitudes ; la zone militaire comprend les terrains militaires appartenant au département de la guerre et dont lui-même a la police.

La loi des 8-10 juillet 1791 porte dans son article 13 :

« Tous terrains de fortifications, de glaces de guerre, ou forts militaires tels que remparts, esplanades, glacis, etc., sont déclarés propriétés nationales. »

On ne créé plus aujourd'hui, messieurs, de propriétés nationales d'un trait de plume et si, au point de vue militaire, il est désirable que l'esplanade ait la plus grande étendue possible, que le département de la guerre acquière ces terrains, et nous rentrerons dans les termes de la loi.

Je ne discuterai pas cette question plus à fond aujourd'hui ; nous y reviendrons à l'occasion des pétitions relatives aux servitudes militaires. Seulement j'ai cru devoir signaler cette circulaire, parce qu'elle intéresse non seulement la ville d'Anvers, mais la plupart des villes du pays, et la circulaire dont je parle, lorsqu'elle sera connue, soulèvera dans le pays entier les protestations les plus justes et les plus énergiques.

(page 473) M. Guilleryµ. - Messieurs, je ne comptais point prendre part à la discussion du budget de la guerre, mais une question toute spéciale a été soulevée dans la séance d'hier ; la théorie développée au nom du gouvernement ne me permet pas le silence.

Comme l'a dit M. le ministre de la justice en terminant son discours, la question est des plus importantes. Elle touche à ce qu'il y a de plu» élevé dans l'organisation politique et dans l'organisation civile du pays.

Jusqu'à quel point les arrêts des tribunaux sont-ils exécutoires ? Jusqu'à quel point le pouvoir exécutif est-il indépendant ? Quand agit-il comme pouvoir ? Quand agit-il comme justiciable ? Tels sont les points que nous avons à examiner pour savoir si le commandant de la fonderie de canons à Liège avait le droit de repousser par la force un magistrat qui se présentait pour exécuter un mandat de justice.

Mais, messieurs, avant d'aborder ces difficultés, je tiens à lever un scrupule qui a été manifesté hier par l'honorable organe du gouvernement : il craignait qu'une discussion parlementaire ne vînt porter atteinte à l'indépendance que doit apporter le pouvoir judiciaire dans l'exercice de ses fonctions.

Je répondrai que si cette conséquence devait résulter de nos débats, je la déplorerais, mais qu'elle ne m'arrêterait pas ; lorsqu'une question aussi grave se présente devant le parlement, lorsqu'il s'agit de savoir si les immunités du pouvoir judiciaire lui-même, si les droits de propriété des citoyens ont été respectés ou non, le parlement ne peut, sous aucun prétexte, décliner sa compétence ; et dût-il y avoir vingt procès en première instance, en appel et en cassation, procès qui, du reste, pourraient durer bien des années, le parlement ne peut pas surseoir ; il ne peut refuser sa protection aux citoyens, son appui à la loi.

Mais, en fait, messieurs, nous n'avons pas à examiner ici une seule des questions qui sont soumises au pouvoir judiciaire, du moins tel que je comprends le procès qui s'instruit devant le tribunal de Liège ; j'avoue que je n'en ai pas une connaissance bien approfondie. Ce que nous avons à examiner, c'est la conduite du gouvernement ou de subordonnés non désavoués, c'est le système qu'il tend à faire prévaloir. L'administration pouvait-elle repousser l'exécution d'un mandat de justice ? Pouvait-elle faire croiser la baïonnette contre un magistrat agissant au nom de la loi ? Voilà la seule question que nous ayons à examiner.

Que les boulets aient été contrefaits ou ne l'aient pas été ; que l'Etat ait le droit, comme on l'a prétendu, ou n'ait pas le droit de contrefaire ce que bon lui semble ; que le président du tribunal de première instance de Liège ait ou n'ait pas eu le droit d'ordonner ce qu'il a ordonné, peu importe ; mais ce qui nous préoccupe, la seule chose qui mette en question les prérogatives du pouvoir judiciaire et par conséquent nos libertés les plus précieuses, c'est la manière dont un commandant de la force publique s'est opposé à l'exécution d'un mandat de justice.

Et tout d'abord, messieurs, je tiens à ôter à M. le ministre de la justice l'appui d'un partisan qu'il s'est attribué hier. Loin que M. le procureur général près la cour d'appel de Liège ait approuvé la conduite du gouvernement, il résulte de son avis que le gouvernement a violé la loi, en agissant comme il l'avait fait...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Du tout.

M. Guilleryµ. - La Chambre en jugera tout à l'heure. Je lirai l'avis tout entier, je n'en lirai pas des phrases isolées.

Sans doute, M. le procureur général ne blâme pas le gouvernement, et on comprend assez qu'il n'avait pas qualité pour cela ; mais il résulte de sa lettre qu'il eût été facile de suivre la voie légale.

Messieurs, voici les faits qui ont donné lieu au regrettable conflit dont il s'agit, conflit regrettable dans toute hypothèse, car si, par malheur, la Chambre donnait raison au gouvernement, il en résulterait qu'il n'y a pas en Belgique de sécurité pour les citoyens ; il en résulterait que l'état de civilisation en Belgique en est encore à ce point, que c'est par la force, à coups de pierre et à coups de fusil qu'on rend la justice ! Il en résulterait qu'ayant en mains un arrêt rendu par le pouvoir judiciaire, je pourrais être reçu à coups de fusil par des gens qui agissent au nom du Roi, exercent en son nom un commandement.,

Voici ce qui s'est passé :

Le sieur Lejeune-Chaumont, inventeur ou se prétendant inventeur, peu importe, présente une requête au président du tribunal de première instance de Liège, afin de pouvoir faire opérer la description de boulets de canon qu'il prétend contrefaits.

Le président appointe cette requête, autorise la description, autorise l'exposant à mettre sous scellé des boulets et à être présent à l'opération ; il exige enfin que l’exposant verse un cautionnement.

Cette ordonnance du président est revêtue de la formule :

« Mandons et ordonnons à tous huissiers à ce requis de mettre la présente ordonnance à exécution ; à nos procureurs généraux et procureurs près les tribunaux de première instance d'y tenir la main ; à tous commandante et officiers de la force publique d'y prêter main forte lorsqu'ils en seront légalement requis. »

Un citoyen en possession d'une ordonnance rendue au nom du Roi (Nous Léopold 1er, Roi des Belges), à l'appui de laquelle le chef du pouvoir exécutif, ayant mission spéciale de faire exécuter les arrêts de la justice, enjoint à tous les huissiers à ce requis de procéder à l'exécution ; qui ordonne à tous les officiers de la force publique de prêter main forte en cas de réquisition légale, et qui, de plus, comme garantie, requiert l'intervention, en cas de besoin, des trois procureurs généraux et de tous les procureurs près des tribunaux de première instance, ce citoyen pourrait sans doute se croire en parfaite sécurité. Ce serait une illusion de sa part ; vous allez voir, messieurs, ce que valent ces ordres du Roi et comment les procureurs généraux tiennent la main à leur exécution.

On fait signifier cette ordonnance ; on la fait signifier régulièrement ou irrégulièrement, peu importe ; toujours est-il qu'on en donne connaissance au commandant de la fonderie de canons et qu'on se présente pour exécuter.

J'admets qu'une signification faite à M. le ministre de la guerre, à la fonderie de canons, ne soit pas faite au département de la guerre ; j'admets qu'il fût nécessaire de la faire à Bruxelles.

C'est une question de forme sur laquelle l'administration serait assez mal venue d'insister beaucoup.

Les formalités, je l'admets, n'ont pas été remplies la première fois ; mais elles l'ont été la seconde fois : de telle sorte que l'inventeur était parfaitement en règle. Or il n'a pas été mieux accueilli la seconde fois que la première.

Il se présente à la fonderie de canons : Croyez-vous que le commandant se dise : « Je suis ici au nom de la loi, au nom du Roi, chef de l'armée ; je représente ici l'autorité, » croyez-vous qu'imbu du principe d'autorité, de pouvoir fort, qu'il est peut-être excusable à un militaire, d'exagérer, il ajoute : « Je vais employer toute ma force, de caractère, toute mon intelligence, pour empêcher que le principe d'autorité ne soit compromis en ma personne. »

J'admets la bonne foi de tous les systèmes ; j'admets volontiers que les dépositaires du pouvoir s'exagèrent les attributions du pouvoir ; mais ce que je ne puis admettre, c'est qu'ils emploient le pouvoir contre le pouvoir, l'autorité contre l'autorité ; c'est qu'ils agissent au nom du Roi contre les ordres du Roi, au nom de la loi contre la loi ; c'est qu'un commandant de la force publique la dirige contre le magistrat qu'il a mission de défendre, contre le magistrat agissant au nom de la loi

M. Dolez. - Etait-ce la loi ?

M. Guilleryµ. - Comment ! si c'était la loi ! L'honorable M. Dolez admettra sans doute que le président du tribunal de première instance de Liège représente la loi, quand il rend des ordonnances au moins autant qu'un caporal. Il admettra que le juge de paix était requis légalement. Il faut donc admettre que la présomption légale était en faveur du porteur de l'ordonnance.

Il faut surtout admettre que le requérant, conseillé par l'honorable M. Forgeur, qui, je crois, vaut bien les autorités citées hier, était de bonne foi... (Interruption.)

Je crois qu'il est permis de se prévaloir, dans cette Chambre, de l'opinion d'un ancien membre du Congrès qui était une des gloires les plus pures du barreau belge avant d'être l'une de nos gloires parlementaires. Je ne crois rien exagérer en le qualifiant ainsi.

Appuyé de cette autorité que l'on peut, sans blesser personne, mettre au-dessus de celle de M. le directeur de la fonderie de canons et surtout de celle du caporal avec lequel on a mis le requérant en contact, on se présente à la fonderie.

Croyez-vous que le magistrat soit présumé avoir raison ?

Croyez-vous que l'autorité militaire à qui il a été mandé et ordonné de prêter main forte aux arrêts de la justice, va s'incliner devant les magistrats ou du moins les recevoir avec tous les égards dus à la robe ?

Non ; la présomption c'est que ces gens n'y entendent rien. C'est que tout est mauvais, excepté la consigne.

Croyez-vous que, gardien des intérêts de l'Etat, ayant un commandement à exercer, ayant à faire respecter l'autorité du Roi, le directeur de la fonderie comprend que l'autorité est représentée aussi par la magistrature et que lorsqu'il protège l'exécution des jugements, il défend l'autorité du Roi ? Croyez-vous qu'il va se montrer poli avec le magistrat, croyez-vous qu'il va le recevoir décemment ?

Pas le moins du monde. On refuse de le recevoir, on le chasse comme un laquais ; on le met en relation avec le portier de l'établissement.

Voilà la conduite du commandant delà fonderie, du représentant de (page 471) l’autorité, voilà la conduite qui a été approuvée au département de la guerre et au département de la justice et, l’on nous a dit même, approuvée par le conseil des ministres.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le conseil des ministres ne s’est jamais occupé de cela.

M. Guilleryµ. - C'est fâcheux, la chose en valait la peine.

M. Gobletµ. - On a défendu le tout.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le ministre a défendu la question soulevée et rien de plus.

M. Guillery. _ Je croyais que le gouvernement était indivisible ; et je pourrais d'autant plus le croire que, quand M. le ministre de la guerre s'absente, on ne nomme pas de ministre intérimaire ; c'est, comme on le faisait remarquer hier, l'un ou l'autre de ses collègues qui le remplace, ou plutôt ce sont les chefs de service.

De temps en temps les bureaux vont consulter l'un ou l'autre ministre selon qu'ils ont besoin de lumières ou de signatures. C'est un système contraire au principe constitutionnel de la responsabilité ministérielle, e .qui n'est même pas admis dans les gouvernements despotiques.

Toujours est-il que pas un mot n'a été prononcé par M. le ministre de la guerre ni par M. le ministre de la justice, pour désavouer la conduite du directeur de la fonderie et que, malgré les protestations de l'opinion publique, pas un mot n'a figuré au Moniteur, et c'est encore là un point sur lequel je me permettrai, messieurs, d'appeler votre attention.

Dans des pays où la liberté de la presse est moins étendue, où la liberté parlementaire a des limites, il ne se passe pas un fait important sans que le journal officiel croie devoir s'expliquer devant la nation, pour expliquer la conduite du gouvernement.

Ici jusqu'au jour où la Chambre a été saisie de la question, pas un mot du gouvernement n'est venu calmer l'irritation publique, pas un mot surtout n'est venu rappeler le respect que doivent à la loi tous les fonctionnaires.

Je dois donc croire que le gouvernement n'a pas désavoué. Qu'il s'explique d'ailleurs, à ce sujet, je ne demande pas mieux.

Le gouvernement s'est plaint le jour de la discussion que les faits ne sont pas connus. Je le crois bien, vous tenez la vérité sous le boisseau.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce sont des exploits.

M. Guilleryµ. - Les exploits ne font pas connaître la pensée du gouvernement sur la conduite de ses subordonnés ; mais si le gouvernement ne blâme pas, je me permettrai, en ma qualité de représentant, de blâmer. Je ne puis admettre que, quelles que soient les exigences du service d'une forteresse, il puisse être permis d'agir comme on l'a fait à Liège. (Interruption.)

II suffit pour cela de lire les instructions données dans l'arrêté de 1815 aux commandants de places. Toutes les instructions données aux officiers de l'armée qui ont un commandement leur prescrivent, chaque fois que l'autorité militaire se trouve en rapport avec l'autorité civile ou avec des citoyens, de montrer la plus grande condescendance, les plus grands égards, la plus grande circonspection.

Au lieu de cela, nous recevons de M. le ministre de la guerre communication d'une lettre, d'un style tel, que l'on est tenté de croire qu'elle émane du caporal chargé de recevoir le juge de paix de Liège.

Qu'on écrive une lettre comme celle du lieutenant-colonel Hayez dans laquelle se montre un peu de persiflage à l'égard du ministre de la guerre, et aussitôt ; arrêté de mise en non-activité, arrestation par la gendarmerie, envoi à Diest ; mais qu'on se borne à insulter un magistrat dans l'exercice de son mandat, qu'on ne lasse que ce qui a été fait à Liège, et l'on n'aura pas encouru le moindre blâme, la moindre réprimande.

Avait-on tort lorsqu'on disait dans une précédente séance qu'on entretient l'armée dans des idées qui sont tout à fait en dehors de celles qui animent les citoyens belges ; qu'on entrelient chez elle un esprit incompatible avec l'esprit de nos institutions ?

La première chose que devrait apprendre un officier, c'est à respecter la loi ; c'est que la seule chose absolue en Belgique, c'est la loi et la justice.

Eh bien, messieurs, il n'y avait pas seulement ici un manque d'égards, de respect ; on a failli faire couler le sang.

L'huissier ayant requis la force publique, la gendarmerie, fidèle à son devoir devant la formule « mandons et ordonnons », était décidée à agir s'il était nécessaire.

Croyez-vous, messieurs, qu'il y ait eu un intermédiaire quelconque, un homme bienveillant qui soit venu dans l'intérêt de la paix, dans l'intérêt de l'autorité, dire : Il y a un malentendu, essayez de concilier les affaires ; dire : vous ne voyez pas que, comme commandant militaire, j'ai un devoir à remplir, un devoir pénible, mais un devoir ? Non, messieurs, au contraire, on fait armer les fusils de part et d'autre et l'on dit ; Si vous entrez, vous recevrez des coups de fusil.

Or, messieurs, je vous le demande, lorsque nous votons des fonds pour fondre des balles, est-ce à cet usage que nous les destinons ?

Mais en mettant les choses au pis, quand on serait entré dans la fonderie, quand on aurait violé ce sanctuaire, quand un profane y aurait mis le pied, quand un individu « se disant juge de paix » y aurait pénétré ! l'Etat était-il perdu ? Tout était-il bouleversé ? Non, messieurs, il pouvait y avoir un boulet mis sous scellé et rien de plus.

Et en définitive, puisque M. le ministre de la justice nous a déclaré que si l'on avait voulu saisir ces boulets, ou aurait pu le faire ailleurs qu'à la fonderie, où était le mal ?

Mais j'admets un instant qu'il y eût nécessité pour le commandant d'empêcher par la force l'entrée de l'établissement, d'obéir à une consigne bien ou mal donnée, je dis que tout en agissant avec énergie, en faisant respecter ses ordres, il devait entrer en pourparlers avec le magistrat qui se trouvait là, lui expliquer pourquoi il agissait ainsi, et ce n'était pas trop de la personne du colonel lui-même pour se mettre en rapport avec le magistrat qui se présentait.

Si le requérant et le magistrat requis n'avaient pas été des hommes calmes et sages, savez-vous ce qu'il serait arrivé ?

Les gendarmes avaient déclaré qu'ils ne failliraient, pas à leur devoir, que, s'il le fallait, ils entreraient par la force.

Il y aurait donc eu conflit. Il y aurait eu sang versé. On aurait mis aux prises soldat belge contre soldat belge !... (Interruption.)

Je demande si l'on est digne de commander un peloton lorsqu'on expose les soldats belges à de pareilles aventures.

Quant à la question en elle-même, elle ne paraît pas douteuse, et comme je l'ai dit tantôt, j'appuierai mon opinion de celle de M. le procureur général près la cour de Liège et de celle de MM. Ch. de Brouckere et Tielemans.

Je l'appuierai de l'avis d'un jurisconsulte spécial ; seulement, il est attaché au département de la guerre en France.

Le décret de 1811, article 67, 68 et 69, détermine quelles sont les obligations des commandants de forteresse. On a voulu en conclure que, sous aucun prétexte et dans aucun cas, la justice ne pouvait pénétrer dans une forteresse.

Eh bien, vous allez voir que tout le contraire se trouve écrit par le législateur et dans ce décret de 1811 et dans celui 'de 1791, auquel il renvoie.

« Art. 67. Pour les délits ordinaires, toute personne prise en flagrant délit ou poursuivie par la clameur publique, aux portes de la ville ou sur toute autre partie du terrain militaire, y sera sur-le-champ arrêtée, soit par les postes et sentinelles, soit par les officiers de police civile et judiciaire, soit même par les particuliers, sans qu'il soit besoin d'une autorisation préalable du commandant d'armes, lequel en sera d'ailleurs et de suite informé. »

Vous voyez, tout d'abord, messieurs, que, dans le cas de flagrant délit, toute personne peut, entrer dans une forteresse pour opérer une arrestation sans qu'il soit besoin de l'autorisation du commandant d'armes.

« Art. 68. Hors les cas prévus dans l'article précédent (c'est-à-dire hors le cas de flagrant délit) nul ne peut pénétrer, sans l'autorisation du commandant d'armes, dans l'intérieur des bâtiments ou établissements militaires et des terrains clos qui en dépendent, ni sur les parties des fortifications, autres que celles qui sont réservées à la libre circulation des habitants, en vertu de l'article 28 de la loi du 10 juillet 1791.

« En conséquence et hors desdits cas, les officiers de police civile ou judiciaire s'adresseront pour la poursuite des délits ordinaires au commandant d'armes, qui prendra de suite et de concert avec eux, les mesures nécessaires pour la répression du désordre, et s'il y a lieu pour l'arrestation des prévenus. »

« Art. 69. Le commandant d'armes veille lui-même et de son propre mouvement et pourvoit, conformément à l'article 15, littera 3, de la loi des 8-10 juillet 1791, à ce qu'aucune partie du terrain militaire devienne un lieu d'asile pour le crime et le désordre ; en conséquence, il donne les ordres et consignes nécessaires pour prévenir les délits de toute espèce ; il y fait arrêter les prévenus et les renvoie, s'il y a lieu, devant les officiers de la police judiciaire et civile, conformément aux dispositions de ladite loi..

Mais où donc voit-on l'intention, de la part du législateur, d'empêcher qui que ce soit de pénétrer dans une forteresse ? C'est précisément le contraire que disent les articles dont je viens de donner lecture. On dit à ceux qui veulent pénétrer dans une forteresse pour exécuter un mandat de justice : Vous ne pouvez pas entrer sans en référer au commandant, « lequel vous y autorisera », et non pas : « vous refusera l’autorisation ».

MM. les ministres de la justice et de la guerre ont évidemment lu le (page 475) contraire de ce qui est écrit ; ils ont lu que l'autorisation, après avoir été demandée devait être refusée ; c'est précisément le contraire.

« En conséquence et hors lesdits cas, les officiers de police civile et judiciaire s'adresseront, pour la poursuite des délits ordinaires, au commandant d'armes qui prendra de suite et de concert avec eux... «

« De concert » ; qu'est-ce à dire ? Ce n'est pas sans doute un concert de coups de fusil.

« ... Les mesures nécessaires pour la répression du deésorre ; et, s'il y a lieu, pour l'arrestation des prévenus. »

Ainsi, messieurs, le décret de 1811, rendu par Napoléon Ier, ne l'oubliez pas, c'est-à-dire à une époque où le respect pour l'autorité militaire était certes assez grand, le décret de 1811 enjoint aux commandants d'armes, d’ « agir de suite et de concert » avec l’autorité civile, de prêter main forte à l’autorité civile et nullement de la recevoir à coup de fusil.

Voici maintenant le décret de 1791, auquel se réfère le décret de 1811. L'article 14 est ainsi conçu :

« Dans tous les objets qui ne concerneront que le service purement militaire... »

Que le service purement militaire, comprenez bien cette expression, messieurs, il s'agit d'objets qui ne concernent que le service purement militaire.

«... tels que la défense de la place, la garde et la conservation de tous les établissements et effets militaires, comme les hôpitaux, arsenaux, casernes, magasins, prisons, vivres, effets d'artillerie ou de fortifications, et autres bâtiments, effets ou fournitures à l'usage des troupes, la police des quartiers, la tenue, la discipline et l'instruction des troupes, l'autorité militaire sera absolument indépendante du pouvoir civil. »

Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est assez clair, me paraît-il ; c'est que l'autorité civile n'a rien à voir dans la conservation du matériel de l'artillerie. C'est là un principe très sage, mais je dirai qu'il est tellement élémentaire qu'il était presque inutile de le décréter dans un article de loi.

L'autorité militaire, dans tout ce qui concerne le service purement militaire, peut donc agir librement, de même que l'autorité civile, dans tout ce qui concerne le service civil, doit pouvoir agir librement.

L'article 15 ajoute :

« Il ne pourra être préjugé de l'article précédent, ni de tous autres du présent décret, que, dans aucun cas, les terrains, bâtiments et établissements confiés à la surveillance de l'autorité militaire, puissent devenir des lieux d'exception ou d'asile, et soustraire le crime, la licence, les délits ou les abus à la poursuite des tribunaux ; l'action des lois devant être également libre et puissante dans tous les lieux, sur tous les individus, et nul ne pouvant, sans forfaiture, pour aucun cas civil ou criminel, se prévaloir de son emploi et de ses fonctions dans la société pour suspendre ou détruire l'effet des institutions qui la gouvernent. »

Voilà la pensée du décret, voilà la pensée de la constituante lorsqu'elle a tracé les limites de l'autorité militaire et de l'autorité civile ; c'est que « dans aucun cas, les terrains et établissements soumis à la surveillance de l'autorité militaire ne peuvent devenir des lieux d'asile et soustraire le crime, la licence, les délits ou seulement les abus à la poursuite des tribunaux ; l'action des lois devant être également libre et puissante dans tous les lieux, sur tous les individus et nul ne pouvant sans forfaiture, pour aucun cas civil ou criminel, se prévaloir de son emploi et de ses fonctions dans la société pour suspendre ou détruire l'effet des institutions qui les gouvernent. »

Voilà le langage que parlait la grande assemblée qui a fondé l'édifice de la liberté. Et c'est cet article qui marque en termes si saisissants et si éloquents la limite de chacun des pouvoirs, les devoirs de tous ceux qui sont appelés à exercer des fonctions publiques ou à commander un corps d'armée, c'est cet article qu'on invoque contre la liberté, contre le respect du droit de chacun ; c'est ce décret qu'on invoque pour justifier un abus tellement scandaleux que je ne sais pas s'il a un précédent dans notre pays.

Eh bien, messieurs, cet article 15 et cet article 14 inspirent les réflexions suivantes à un jurisconsulte, avocat, chef du bureau de la justice militaire au département de la guerre de France, membre de la Légion d'honneur et de l'Académie des sciences et des belles-lettres, M. Chenier, qui publiait cet ouvrage (qui en est à sa seconde édition) ; en 1855 ; je vous prie de ne. pas oublier la date :

« Cet article contient des principes qui ne doivent jamais être oubliés et qui, bien compris, éviteraient des difficultés qui se présentent quelquefois. Il arrive, en effet, que l'autorité militaire, lorsqu'il s’agit, soit d'un jugement en matière civile ou commerciale, entraînant la contrainte par corps, suit d'un jugement correctionnel prononçant l'emprisonnement, s'oppose à l'introduction des officiers ministériels dans les casernes ou bâtiments militaires, ou lorsqu'ils y ont pénétré, s'en plaint au ministre de la guerre... »

II paraît qu'en France, on les laisse quelquefois pénétrer. C'est que probablement l'esprit militaire n'est pas encore suffisamment développé dans ce pays. Je continue la citation :

« Si, conformément à cet article 15, l'autorité militaire était bien convaincue que, loin de s'opposer aux mandats ou aux décisions de la justice, elle doit prêter son concours pour en amener l'exécution, dès qu'un huissier se présenterait, un commissaire de police, un juge d'instruction, un membre du parquet du procureur de la république ou enfin tout autre officier public ayant mission d'exécuter un ordre de la justice, elle s'empresserait de fournir elle-même les moyens d'exécution ; c'est-à-dire que s'il y avait impossibilité, par exemple de laisser pénétrer dans un fort, une citadelle, un magasin, etc., les préposés à la garde de ces fort, citadelle ou magasin, auxquels l'officier public se serait nécessairement adressé, devraient prévenir sur-le-champ l'autorité supérieure, dont le devoir est alors de faciliter les moyens d'exécution, tandis qu'il arrive quelquefois que cette autorité supérieure élève des difficultés, parce qu'elle pense qu'on aurait dû préalablement lui donner avis de l'exécution des mandats ou des arrêts de la justice... »

II ne s'agit pas, on le voit, de faits semblables à ceux qui se sont produits à Liège ; il ne s'en passe pas de pareils en France. C'est de la susceptibilité du ministre de la guerre qui lui fait demander à être averti avant qu'on exécute un arrêt.

Doit-il être prévenu ou non ? Voilà ce qu'examine l'auteur ; mais il ne suppose même pas qu'on puisse prétendre que l'autorisation ne doive pas être accordée.

Doit-on donner un avis préalable, comme le prétendent certains administrateurs ? Voici la réponse :

» Cette opinion est erronée : la justice est la seule puissance absolue en France (heureuse France !), parce que c'est l'exécution de la loi égale pour tous quoi qu'on en dise et qui n'admet de privilège pour personne ni pour aucune profession (toujours le chef de bureau militaire !). Prévenir une corporation que l'on va exécuter contre l'un de ses membres une décision judiciaire, ce serait en quelque sorte solliciter une permission de faire obéir à la loi, ce serait renverser ce principe de gouvernement ; Arma cedant togae, et dire comme à Rome, du temps des guerres civiles ; Togae cédant armis, silent leges. L'autorité judiciaire n'est donc pas tenue d'avertir l'autorité militaire de l'exécution de ses mandats ou jugements ; il y a même des cas où elle pourrait manquer à ses devoirs en le faisant.....»

Ainsi, d'après cet auteur tout spécial qui certes n'aurait pas publié son ouvrage s'il avait cru pouvoir encourir la désapprobation de son administration, il ne faut pas prévenir l'autorité militaire, il y aurait souvent danger à le faire et l'autorité civile manquerait alors à son devoir en le faisant.

Je sais que M. le ministre de la justice ne pense pas que le président du tribunal ait, par son ordonnancé permis qu'on entrât dans la fonderie ; que l'ordonnance s'était bornée à autoriser la description de deux boulets ; je me suis permis d'interrompre l'honorable ministre en disant que les ordonnances étaient toujours formulées ainsi.

Jamais une ordonnance (du moins parmi celles que j'ai vues) ne dit en propres termes : Vous entrerez dans le domicile d'un citoyen ; elle autorise une description qui nécessite l'entrée dans le domicile, c'est-à-dire dans le lieu où, d'après les probabilités, se trouvent les objets à décrire chez le fabricant ou dans sa fabrique.

L'ordonnance n'aurait aucune portée si elle n'autorisait pas à faire la description des objets contrefaits là où ils se trouvent.

Ainsi l'ordonnance disait tout ce qu'elle devait dire, c'est si bien le sens de l'ordonnance prévue par l'article 6 de la loi sur les brevets d'invention, que le gouvernement ne l'avait pas prévu dans son projet ; il autorisait le breveté à procéder par voie de saisie conformément au code civil, au titre des saisies-exécutions.

Un membre du Sénat, M. Forgeur, qu'on trouve toujours sur la brèche quand il s'agit de défendre les principes de liberté et d'indépendance du citoyen, fit observer que permettre à tout breveté, sur simple allégation qu'il y a contrefaçon, de procéder par voie de saisie, c'était porter atteinte à l'inviolabilité du domicile ; qu'il ne pouvait pas être permis à tout individu prétendant qu'il y avait contrefaçon de requérir le juge de-paix et d'entrer dans un domicile pour faire la description des objets. C'est sur la proposition de cet honorable sénateur qu'on a exigé l'ordonnance du président du tribunal de première instance comme garantie.

C'est donc bien de pénétrer dans le domicile d'un citoyen qu’il s'agit.

La portée de l'ordonnance du président du tribunal de Liège n'était donc pas douteuse.

(page 476) Mais, dit M. le ministre de la justice, si le président du tribunal avait su qu’il s'agissait d'entrer dans la fonderie de canons (ce qu'il n'avait pas soupçonné), il est probable qu'il n'aurait pas appointé la requête.

C'est une erreur, le président a parfaitement su qu'il s'agissait d'entrer dans la fonderie, car, après la première réception faite au magistrat qui s'est présenté au nom de la loi, on a cru devoir faire une signification au ministre de la guerre. Or, cette signification ne pouvait être faite que par un huissier spécialement commis ; requête fut présentée à cette fin.

Le président, qui avait connaissance des faits comme toute la ville de Liège, le président qui connaissait le conflit n'en a pas moins accordé ce qu'on lui demandait.

Ainsi il savait qu'il s'agissait de pénétrer dans la fonderie de canons et il a persisté. L'argumentation est donc vicieuse sur ce point.

Qu'avait à faire le gouvernement ? Ce que fait tout le monde : s'il avait à se plaindre d'une décision judiciaire, interjeter appel ou employer tout autre mode qu'il aurait trouvé convenable.

Je suppose que l'appel ne fût pas recevable, l'exécution se serait néanmoins arrêtée devant cet appel.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pour recommencer trois jours après.

M. Guilleryµ. - Vous supposez donc que la cour aurait confirmé. (Interruption.) Je ne comprends pas.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous demande pardon de vous avoir interrompu.

M. Guilleryµ. - Je ne m'en plains pas. Je tâche de vous répondre. Je dis que si même l'appel eût été recevable, il n'y avait aucun inconvénient à tenter cette voie.

Vous produisez l'avis du procureur général de Liège, je l'ai lu et j'ai trouvé que, suivant son avis, l'appel était recevable ; par conséquent l'avis du procureur général est le blâme le plus formel de tout ce qui s'est fait à Liège.

D'abord, quant au fond de la question, M. Raikem est d'avis que l'Etat ne peut pas se faire impunément contrefacteur. Il cite un jugement du tribunal de Liège, rendu en cause d'un sieur Manceau contre l'Etat belge, affaire dans laquelle il s'agissait de la prétendue contrefaçon d'une machine à rayer les canons des armes à feu, et dans laquelle le tribunal déclara l'action recevable.

Or, le gouvernement n'a pas jugé à propos de relever appel ; d'où je conclus que le gouvernement à cette époque partageait l'opinion du tribunal de Liège. Le jugement est du 14 août 1857.

L'honorable procureur général se demande ensuite si de ce que l'action serait recevable, il s'ensuit qu'on puisse pénétrer indistinctement dans tous les établissements de l'Etat en vertu de l'autorisation du président du tribunal et se prononce pour la négative.

C'est-à-dire que d'après l'honorable procureur général, la cour aurait dû réformer l'ordonnance du président ou que celui-ci aurait dû spécifier dans son ordonnance qu'il n'autorisait la saisie-description qu'en dehors des terrains militaires. Mais le système de recevoir à coups de fusil n'est pas du tout approuvé par M. le procureur général.

Après avoir cité de nombreuses autorités, pour établir la recevabilité de l'appel, voici comment conclut le savant magistrat :

« Si, comme je le pense, ce recours n'est pas interdit, il est ouvert à tous les citoyens. Et il y a un motif particulier quant aux établissements militaires ; car on pourrait, sous prétexte de contrefaçon, se procurer la description des procédés qu'on y emploie et même en faire un abus irréparable.

«Et d'ailleurs, de ce qu'on doit obtenir l'autorisation du président pour procéder en vertu de l'article 6 de la loi de 1854, il ne s'ensuit pas, à mon avis, que cette autorisation doive être nécessairement accordée.

« Sur le recours, il y aurait donc lieu de statuer non seulement sur la question de savoir si l'on peut y procéder dans un établissement militaire malgré l'autorité militaire, mais aussi s'il n'y a pas lieu de refuser l'autorisation par d'autres motifs.

« Et en exerçant un recours contre l'ordonnance, on pourrait faire valoir tous les moyens de nature à faire interdire les investigations auxquelles on voudrait se livrer dans un établissement militaire. »

Ainsi, messieurs, l'avis du savant procureur général a été simplement qu'il fallait interjeter appel. Je ne dis rien d'autre. Je ne veux pas examiner le fond de la question. Je ne veux pas examiner ce qui est soumis à l'autorité judiciaire, je partage à cet égard les scrupules de M. le ministre de la justice. Que l'Etat ait le droit de contrefaire, cent fois, je ne le pense pas, mais je l'accorfe dans la discussion ; que les boulets que fabrique l'Etat ne ressemblent en rien aux boulets que fabrique le sieur Lejeune-Chaumont, je l'accorde. Que le président du tribunal ait eu tort cent fois, il a agi dans l'exercice de ses fonctions, et il y avait une chose bien simple à faire : c'était d'interjeter appel ou même d'aller en référé.

Je ne dis pas que le référé fût le moyen préférable ; mais enfin un référé même non recevable ne valait-il pas mieux que la réception que l'on a faite à la justice ? Tous les moyens valaient mieux que ce qu'on a fait. On a pris le plus détestable et le moins justifiable.

On a cru, messieurs, justifier cette conduite en traçant la ligne de démarcation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. On vous a dit : le pouvoir exécutif a ses attributions, le pouvoir judiciaire a les siennes, et s'il était permis au pouvoir judiciaire d'ordonner toute espèce de choses contre le pouvoir exécutif, il n'y aurait plus que le pouvoir judiciaire.

Pourquoi suppose-t-on que le pouvoir judiciaire ordonnerait toute sorte d'absurdités ? S'il en était ainsi, nous citoyens, qui n'avons pas à notre disposition des canons Wahrendorff pour repousser la justice quand elle se présente, nous devrions trouver qu'il n'y a plus de liberté en Belgique par cela seul que nous serions soumis au pouvoir judiciaire. Car si le pouvoir exécutif ne peut soumettre ses intérêts au pouvoir judiciaire sans exposer ses droits, pourquoi moi, citoyen, serais-je en sécurité ?

C'est là une singulière recommandation en faveur du pouvoir judiciaire et vous nous tranquillisez bien peu sur les procès qui peuvent lui être soumis. Injuste envers vous, sera-t-il juste envers moi ?

Messieurs, je n'admets pas que l'on pose en principe que le pouvoir judiciaire ait jamais l'idée d'empiéter sur le pouvoir exécutif. D'après notre constitution, quand il y a des conflits entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, c'est au pouvoir judiciaire qu'est remise la décision du conflit.

C'est une différence entre la constitution belge et la loi fondamentale des Pays-Bas.

Comment ! on aurait supprimé en Belgique la juridiction administrative, on m'aurait pas voulu de conseillers d'Etat qui, après tout, sont inamovibles, pour en arriver à accepter la justice que vous rendez à la fonderie de canons ?

Non, messieurs, ce qu'on a voulu en 1830, ce qu'a ordonné la constitution, c'est que ce fût au pouvoir judiciaire à déterminer les attributions de chacun.

Non seulement l'article 92 porte que les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux, non seulement l'article 93 dit que les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi, mais l'article 100 attribue à la cour de cassation le jugement des conflits et l'article 107 porte que les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. C'est-à-dire que le pouvoir judiciaire est juge de l'usage que fait le pouvoir exécutif du droit que la loi lui a conféré ; c'est-à-dire que le pouvoir judiciaire peut et doit décider qu'un arrêté royal est illégal, lorsqu'il excède les pouvoirs donnés au Roi, et le Roi n'ayant, aux termes de la constitution, que les pouvoirs qui lui sont formellement accordés, il est facile de résoudre ces questions. C'est ce qui fait que souvent nous voyons des arrêts de cour d'appel et des arrêts de la cour de cassation déclarer illégales les dispositions contenues dans des arrêtés royaux.

Ainsi, s'il y a conflit, ce n'est pas aux caporaux de garde qu'on a remis le soin de le vider ; ce n'est pas à la force publique à laquelle on a eu recours, c'est au pouvoir judiciaire.

Lorsqu'on vient demander au pouvoir judiciaire un jugement, un arrêt contre le gouvernement, mais il décide lui-même de sa compétence. Lorsqu'un ministre s'est trouvé assigné devant le pouvoir judiciaire, c'est le pouvoir judiciaire qui a décidé que l'action n'était pas recevable, que ce ministre ne pouvait pas être poursuivi sans l'autorisation de la Chambre des représentants.

Mais le ministre assigné a dû se présenter devant le tribunal pour demander à ce tribunal de se déclarer lui-même incompétent. Il ne suffit pas de dire : je trouve que le pouvoir judiciaire est incompétent et je le repousse par la force.

Mais si demain l'on m'assigne devant un conseil de guerre je suis tenu de comparaître ; je plaiderai l'incompétence, mais je dois comparaître, je dois demander au conseil de guerre de déclarer sur lui-même son incompétence.

Si je suis attrait devant un tribunal de commerce, il faut que je me présente pour faire déclarer par ce tribunal que je ne suis pas commerçant.

(page 477) Eh bien, si vous trouviez que l'ordonnance était illégale, il fallait venir demander â l'autorité judiciaire de constater cette illégalité.

Je suppose, messieurs, que l'autorité judiciaire ne soit pas compétente pour statuer dans une question de propriété ; qu'elle n'ait rien à voir à ce qui se fait à la fonderie de canons ; il était toujours temps de recourir à la force après avoir employé tous ces moyens.

Il n'y avait pas péril en la demeure, puisque la loi nous donnait le moyen d'arrêter l'exécution de l'ordonnance et qu'il n'est pas d'huissier qui eût continué l'exécution en présence d'une demande de référé ou d'un appel. Vous pouviez donc éviter le détestable moyen que vous avez employé.

Je dis, messieurs, que le pouvoir judiciaire est seul juge de la compétence et le gouvernement a prouvé dans bien des circonstances en venant plaider l'incompétence du pouvoir judiciaire, qu'il reconnaissait à ce pouvoir le droit de statuer à cet égard.

On a invoqué, à mon grand étonnement, l'opinion de MM. Dumortier et Dubus, pour étayer la thèse contraire.

La question présente n'a aucune espèce d'analogie avec celle qui était soulevée alors. Il s'agissait de la compétence du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif ; il ne s'agissait pas de savoir si l'on peut se rendre justice à soi-même, il ne s'agissait pas de savoir si le gouvernement, la législature ou tout autre pouvoir a le droit de se faire justice à lui-même. Cette doctrine n'a jamais été défendue dans cette Chambre ; c'est hier pour la première fois que je l'ai entendue développer.

On s'est demandé si lorsqu'un tribunal a rendu un jugement passé en force de chose jugée et condamnant le gouvernement, la Chambre est obligée de voter les fonds nécessaires pour exécuter le jugement. Voilà la question qui a été soulevée à la tribune. Personne a-t-il prétendu que l'on pût employer des mesures de violences quelconques ?

Non, messieurs, on a dit ceci : Si nous avons à voter les fonds, c'est à nous d'apprécier la conduite que nous devons tenir.

Si l'on nous demande de voter une somme quelconque, nous devons examiner si la demande qu'on nous adresse est juste ou non. Nous ne pouvons pas voter des sommes à la charge de l'Etat avant d'avoir la conviction que ces sommes sont légitimement dues.

Je dois intervenir ou je ne dois pas intervenir, mais si j'interviens, je demande à raisonner ce que je fais. C'est dans cet ordre d'idées que l'honorable M. Dumortier et l'honorable M. Dubus ont soutenu que la Chambre n'était pas obligée. par cela seul qu'il y avait une condamnation contre le gouvernement, de voter les fonds nécessaires.

Ce n'est pas mon opinion, et je croyais que ce n'était pas non plus l'opinion de M. le ministre de la justice, mais enfin, c'est une question très grave, et qui a divisé les membres les plus éminents de la Chambre. Le pouvoir législatif, en vertu de son indépendance, est-il obligé d'exécuter les arrêts de la justice ? Ce que le gouvernement a soutenu hier, ce n'est pas l'indépendance du pouvoir exécutif, c'est le droit du pouvoir exécutif de paralyser l'exécution d'un jugement exécutoire.

II soutient que quand, au nom du Roi, on se présente, accompagné d'agents de la force publique pour exécuter un jugement, le pouvoir exécutif peut venir, lui aussi, au nom du Roi, engager un conflit. Je demande si un pays où cela peut se passer est un pays civilisé oui ou non.

On dit d'avance que quelle que soit la décision de la justice on ne l'exécutera pas.

Il était inutile alors de manifester des craintes au sujet de l'influence que pourraient exercer nos discussions sur les tribunaux ; on déclare que quand les agents de l'autorité se présenteront pour exécuter un jugement revêtu de la formule : « Mandons et ordonnons », ce jugement ne sera qu'un chiffon de papier ; et ceux qui voudront l'exécuter seront reçus à coups de fusil.

Sans doute le pouvoir exécutif n'agit pas toujours comme particulier, sans doute il a ses attributions dans lesquelles il est entier comme le pouvoir judiciaire dans les siennes, et si le pouvoir judiciaire peut examiner la légalité d'un arrêté royal et refuser de l'appliquer, il ne peut cependant pas le réviser, et toute décision tendante à statuer par voie réglementaire serait annulée par la cour de cassation.

De son côté, le pouvoir exécutif est chargé de la garde des forteresses, mais cela fait-il qu'il puisse jamais y avoir, je ne dirais pas dans un pays constitutionnel mais dans un pays civilisé, un conflit matériel, brutal, entre deux autorités, entre des corps armés.

On a distingué le pouvoir exécutif agissant comme simple particulier du pouvoir exécutif rendant des décrets.

Sans doute lorsque le pouvoir exécutif, dans les limites qui lui sont assignées par la loi, rend un arrêté royal, cet arrêté a force de loi ; c'est une yéritable loi. Le pouvoir exécutif agit là comme législateur.

Mais qu'est-ce que cela fait à la question ? A la fonderie de canons le gouvernement agit comme industriel.

Il ne faut pas se méprendre sur ce qu'est la fonderie de canons. C'est une fabrique qui autrefois appartenait à des particuliers et qui demain peut appartenir de nouveau à des particuliers ; elle fournissait à la marine impériale le matériel qu'on lui commandait.

Aujourd'hui, le gouvernement a cru devoir faire des canons lui-même ; peut-être en est-il arrivé là parce qu'il n'a pas trouvé à se pourvoir chez l'industrie privée ; mais en définitive le gouvernement fabrique des canons pour toute l'Europe, il est marchand de canons, il en fournit à toutes les puissances amies qui en demandent.

La fonderie de Liège est une manufacture de canons, pas autre chose ; ce n'est pas une forteresse et demain le gouvernement peut mettre en adjudication la fourniture des canons, comme il met en adjudication ou comme il devrait mettre en adjudication la fourniture des chevaux de l'armée.

On a même fait des commandes, d'après ce que nous disait hier M. le ministre de la justice, on a fait des commandes dans des établissements privés, et, ce qui montre l'importance des secrets de la fonderie de canons, c'est que dans les établissements privés, se trouvent ces secrets si terribles que personne ne peut les connaître à moins de porter l'épaulette.

M. le ministre de la justice est venu reconnaître que si on avait fait la saisie dans un établissement privé, il n'aurait pas pu s'y opposer.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'aurais pas voulu m'y opposer.

M. Guilleryµ. - Soit. Vous y auriez consenti. On aurait donc pu le faire ; mais alors pourquoi s'est-on prévalu de la loi qui empêche de pénétrer dans les bâtiments militaires ; je voudrais savoir en vertu de quel droit on n'aurait pas pu saisir chez un industriel ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Parce que les objets d'artilleries appartiennent à l'Etat.

M. Guilleryµ. - Puisque nous m'appelez sur ce terrain, il faut pour cela soutenir que tous les objets appartenant à l'Etat sont du domaine public. Mais il y a une grande différence entre le domaine public et la domaine de l'Etat. Les chevaux de la cavalerie ne sont pas du domaine public, comme les routes et toutes les autres choses qui sont à l'usage de tout le monde ; les fusils, les canons ne sont pas non plus de domaine public, c'est le domaine de l'Etat.

Je dirai plus : si les objets dont parle M. le ministre de la justice pouvaient faire partie du domaine public, par destination, ce ne serait, que lorsqu'ils ont été reçus et acceptés par l'autorité militaire et qu'ils sont prêts à servir à leur destination ; mais ce n'est pas alors qu'ils n'ont pas encore été livrés qu'ils pourraient faire partie du domaine public.

Mais on ne peut pas soutenir sérieusement que des fusils, des chevaux, des canons, des boulets, fassent partie du domaine public, soient autre chose que le domaine de l'Etat...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). -Domaine de l'Etat, soit ; mais domaine de l'Etat qui n'est pas saisissable.

M. Guilleryµ. - M. le ministre de la justice dit que non seulement le domaine public, mais même le domaine de l'Etat, n'est pas saisissable. C'est une autre question. Il s'agit de savoir si l'on peut exécuter des arrêts contre l'Etat. A cet égard la jurisprudence s'est prononcée. Le gouvernement a bien voulu se soumettre à sa décision dans cette circonstance, et reconnaître sa compétence. Le pouvoir judiciaire a décidé qu'on ne pouvait pas exécuter contre le domaine de l'Etat. Cela va sans dire ; nous n'avons pas la moindre envie de contester ce principe, mais il ne résulte pas de là qu'on ne puisse pas faire la description d'un objet appartenant à l'Etat ; il ne s'agit pas d'une aliénation, d'une exécution quelconque ; et notez que si la cour de cassation a décidé qu'on ne pouvait pas saisir le domaine de l'Etat, elle a consacré un principe constitutionnel, parce qu'on ne peut pas, sans l'intervention de la législature, procéder à aucune dépense ; mais constater un fait, faire une description, ce n'est pas aliéner le domaine de l'Etat.

Il n'y avait ici en réalité qu'un acte conservatoire qui ne touchait en rien au domaine de l'Etat.

Messieurs, je termine par une citation qui, j'en suis convaincu, sera acceptée par vous comme émanant d'une des autorités les plus imposantes qui puissent exister dans la matière. Je veux parler de MM. Tielemans et de Brouckere qui, lorsqu'ils écrivaient leur savant Répertoire, joignaient à une science profonde une expérience administrative et aussi un peu une expérience militaire qui ne sont pas à dédaigner.

(page 478) Les auteurs du Répertoire, au mot « Casernement », in fine, examinent précisément la question qui nous occupe.

Ils se demandent si un commandant de place peut repousser l'exécution d'un mandat de justice ; et après avoir établi que l'autorité militaire a la police des casernes, qu'elle a le droit d'en expulser quiconque y est sans autorisation ; après lui avoir attribué les prérogatives les plus étendues à cet égard, ils se demandent ce qu'elle doit faire, dans le cas où l'on se présente au nom de la justice ; et voici quelle est leur réponse : C'est que quand il y a un recours légal ; lorsqu'il y a le moyen de surseoir en interjetant appel, il faut recourir à ce moyen ; c'est exactement ce que dit M. le procureur général de Liège ; mais si le jugement est passé en force de chose jugée, bon ou mauvais, il faudrait l'exécuter. Voici le passage auquel je fais allusion.

« ... L'article 82 du décret du 24 novembre 1811 et l'article 15 de l'instruction du 11 janvier 1815 portent l'un et l'autre que les commandants de place sont tenus de prêter main-forte aux officiers de police et ceux autorisés qui s'adressent à eux, non seulement pour la répression des délits, mais encore pour l'exécution des ordonnances, etc., et jugements des tribunaux.

« D'autre part, il est certain cependant que la police des casernes appartient exclusivement à l'autorité militaire ; que si les tribunaux sont juges des droits qui compétent aux particuliers, ils ne le sont pas des mesures que nécessitent l'ordre et la discipline dans l'intérieur des casernes ; qu'il ne dépend pas d'eux seulement d'ordonner que des personnes étrangères au service militaire y pénètrent ou s'y établissent contre le gré du commandant de place (article 16, instruction du 11 janvier 1815.)

Ici, voilà l'incompétence du pouvoir judiciaire, d'après les honorables auteurs, parfaitement constatée ; ils ne croient pas là qu'on puisse faire réintégrer dans la caserne qui que ce soit en vertu d'une ordonnance de justice. Mais c'est aux tribunaux qu'il faut demander de proclamer cette incompétence.

Je continue.

« Placé entre cette instruction, qui lui impose des devoirs rigoureux et une sentence judiciaire qui serait en contradiction avec elle, un commandant serait peut-être excusable de donner préférence aux règlements militaires sur un jugement qui lui semble erroné, surtout s'il était de bonne foi. Mais lorsqu'un juge se trompe, la loi trace une voie régulière pour faire réformer sa décision, et c'est cette voie qu'il faut toujours prendre. Si l'appel du jugement et le recours en cassation n'amènent pas le résultat qu'on s'en était promis, c'est le commandant qui doit être réputé en erreur et non le juge, dont la sentence a été confirmée dans tous les degrés de juridiction ; il serait par trop dangereux d'admettre que l'autorité militaire, seule dépositaire de la force publique et chargée à ce titre de prêter main-forte à la justice, pût jamais faire prévaloir son opinion sur celle des tribunaux, même lorsqu'il s'agit de police militaire.

« Et si, après toutes les épreuves judiciaires que l'interprétation de la loi peut subir, elle finit par être entendue dans un sens qui soit incompatible avec la discipline ou l'intérêt du service, la législature est là pour y faire les changements que réclament cet intérêt et cette discipline. »

Voilà, messieurs, les principes consacrés par des hommes qui ont occupé le pouvoir, qui ont exercé les plus hautes fonctions administratives, qui ont été les lumières du parlement, et qui, certes, ne pouvaient pas ignorer quelles peuvent être les nécessités de la pratique, ni la difficulté d'y plier la théorie.

Je me résume, messieurs, laissant de côté la question de savoir s'il y avait lieu ou non de procéder à une saisie, si le président du tribunal pouvait, oui ou non, ordonner ce qu'il a ordonné ; je n'ai voulu examiner qu'une seule question.

C'est quelle a été la conduite du directeur de la fonderie de canons ; je n'ai pas entendu blâmer jusqu'à présent par le gouvernement, et auquel je n'ai pas entendu qu'on eût infligé le moindre blâme, le moindre réprimande.

Après avoir examiné consciencieusement les faits de la cause, je suis resté convaincu que la doctrine qui a été suivie serait la plus déplorable, la plus contraire à nos lois, la plus menaçante pour la liberté et la plus menaçante pour l'autorité parce que le jour où l'autorité au lieu de montrer l'exemple du respect pour les lois, pour toutes nos institutions, pour tous les pouvoirs qui sont exercés au nom de la loi, le jour où elle viendrait elle-même donner l'exemple du mépris de ce qu'elle doit défendre, il n'y aurait plus de société possible, il n'y aurait plus d'Etat civilisé ; c'est ce qui j'espère n'arrivera pas.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.