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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19 mars 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 953) (Présidence de M. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 1/4 heures et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur de Boeck, ancien brigadier des douanes, demande que l'arrêté du 9 septembre 1855, qui le démissionne de ses fonctions, soit rapporté ; qu'on lui paye les appointements de son grade depuis le 1er août 1835 jusqu'au 1er janvier 1862, et qu'on lui accorde une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les artistes et employés du Théâtre des Galeries Saint-Hubert demandent l'abrogation de l'arrêté royal autorisant les villes à percevoir, à titre de droit des pauvres, un tantième sur les recettes brutes des spectacles et concerts. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires, cultivateurs et industriels à Thisnes, demandent la suppression des barrières sur toutes les routes. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Villes-devant-Orval demande que le commissariat d'arrondissement à Virton ne soit pas rétabli. »

« Même demande des membres du conseil communal de Jamoigne. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Momignies prie la Chambre d'accorder au sieur Delval la concession d'un chemin de fer de Momignies à Manage par Thuin. »

- Même renvoi.


« La veuve Dujardin demande un congé pour son fils Charles, appelé au service militaire. »

- Même renvoi.


« M. le directeur de la Banque de Belgique adresse à la Chambre 140 exemplaires du compte rendu des opérations de la banque pendant l’année 1861. »

- Distribution à MM. les membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Rapports de pétitions

Pétitions relatives à l’établissement des servitudes militaires et à la responsabilité des faits de guerre

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on a été généralement surpris et surtout généralement affligé des manifestations qui se sont produites dernièrement à Anvers, à propos de questions qui pouvaient assurément se traiter avec calme et modération. Je dois dire cependant que ce n'est pas seulement la forme de ces réclamations qui nous a étonnés ; c'est aussi le fond même de la question qui leur a servi de prétexte.

Vous le savez, messieurs, ces réclamations portent sur deux points : le premier est relatif à l'établissement de la citadelle du Nord, le deuxième concerne les servitudes militaires et les indemnités auxquelles elles pourraient donner droit. Mais ces deux questions se sont-elles révélée tout à coup dans ces derniers temps ? N'existaient-elles pas, telles qu'elles se présentent aujourd'hui, lors du vote de la loi en 1859 ? Les ignorait-on alors ?

On a feint de le croire, messieurs, non pas sans doute quant aux servitudes, mais quant à l’établissement de la citadelle du Nord ; et, chose assez singulière, c'est que la question relative à cette citadelle ne s'est produite qu'à la suite de la question relative aux servitudes ! D'où vient cela ?

Peut-être a-t-on compris qu'il était bien difficile d'agiter toute une population à propos d'indemnités pour des servitudes. Sans doute, il y avait là déjà un intérêt respectable, je le veux bien ; mais, en définitive, il s'applique à un nombre relativement très restreint de personnes, et un meeting de propriétaires, quelque légitime qu'il eût été, aurait été aussi très peu nombreux, et, sinon fort modéré dans ses prétentions, du moins et nécessairement très pacifique dans leur expression,, C'est peut-être à cause même du peu de bruit qui se serait fait autour d'une telle réunion, qu'on a jugé à propos de joindre à la question des servitudes cet élément de la citadelle du Nord. On aura cru nécessaire de jeter au sein de la population anversoise un ferment d'inquiétudes au sujet de dangers, prétendus ou réels, qu'on allait faire courir à la place d'Anvers.

Or, messieurs, il est vraiment inconcevable qu'on ait réussi, après ce qui s'était passé, à troubler la population d'Anvers, sous prétexte de l'érection de cette citadelle du Nord.

La citadelle du Nord, ou plutôt des établissements militaires considérables au nord de la place d'Anvers, ont sans doute figuré dans des projets, avant de se trouver dans le plan de 1859, car, dès 1856, des pétitions ont été adressées au Roi, à la Chambre, au Sénat, dénonçant les conséquences de l'établissement d'une citadelle, dans les conditions surtout où elle était projetée ; on signalait les prétendus dangers qui devaient en résulter pour la ville ; on faisait l'historique obligé en pareille matière, sur le rôle des citadelles, sur les dangers qu'elles font courir à la ville et aux habitants ; on rappelait le rôle également obligé des tyrans, en y parlant comme il convient du duc d'Albe ; enfin, tout ce que nous avons entendu aujourd'hui était produit alors avec la même force et la même énergie.

Eh bien, messieurs, c'est d'Anvers même, comme vous le verrez tantôt, que nous sont venues plus tard les réponses à ces objections, A cette époque, et même à une époque beaucoup plus rapprochée, ainsi que je le dirai tout à l'heure, on n'a pas paru s'effrayer comme aujourd'hui du danger que la citadelle pouvait créer pour la ville d'Anvers.

L'exposé que je vais avoir l'honneur de faire à la Chambre, et qui est devenu indispensable, la fatiguera peut-être par des longueurs ; mais cet exposé lui démontrera que le plan qui a été proposé par le gouvernement en 1859, et qui a été sanctionné par les Chambres, l'a été, quant à la citadelle du Nord, en pleine connaissance de la situation des choses par la ville d'Anvers, et, par conséquent, que les réclamations qu'on fait entendre aujourd'hui n'ont absolument aucun fondement, aucune raison d'être.

Un pareil exposé aura une autre utilité : il me permettra de répondre à diverses attaques irréfléchies qui ont été dirigées contre nous ; il me permettra surtout de relever la légèreté avec laquelle, dans une séance précédente, un honorable orateur a traité tout ce qui concerne la défense du pays. Il a tout raillé, tout ridiculisé ; il a représenté le gouvernement comme ayant tour à tour combattu et défendu la grande enceinte ; preuve qu'on soumet le pays à une mesure absurde qui, dans la conviction des hommes les plus compétents, ne pouvait produire aucune espèce d'avantage, ni pour la ville d'Anvers, ni pour le pays lui-même.

On s'est même fait un mérite d'avoir, à une certaine époque, encouragé les espérances de la population d'Anvers qui réclamait à grands cris la construction de là grande enceinte ; on s'est fait un mérite d'une sorte de mystification ; on convient d'avoir voté cette grande enceinte, d'avoir convié le gouvernement à l'établir, mais on ne l'a fait que dans la profonde conviction qu'elle était impraticable, impossible et absurde.

J'avoue, messieurs, qu'il m'a été impossible de rire des lazzis et des plaisanteries que l'on a prodigués à propos d'une pareille question ; et je n'ai pas pu considérer cette espèce de tromperie qui aurait été faite à toute une population, comme méritant les éloges ou l'approbation de l’assemblée.

En 1855, messieurs, un crédit a été soumis aux Chambres pour l'exécution des forts du camp retranché. La Chambre n'ayant pu s'en occuper, ce projet fut reproduit en 1856 par le cabinet de l'honorable M. de Decker, avec une proposition d'agrandissement de la place vers le nord.

(page 954) Le ministre de la guerre déclarait alors « que le gouvernement, en présentant ce projet, doit s'appliquer avant tout à compléter le camp à l'abri duquel on pourra se livrer sans imprudence à d'autres travaux.

« Nous avons déclaré en même temps, ajoutait-il, que le gouvernement ne faisait aucune difficulté d'admettre en principe l'extension que comporte le périmètre indiqué dans la dernière publication émise sous le nom de MM. Keller et Cie. »

« L'agrandissement au nord, continuait l'exposé des motifs, considéré comme indispensable au point de vue des intérêts commerciaux, ne constitue pas un obstacle aux extensions futures de la ville vers l'est et le sud.

« S’il se présentait plus tard pour cet objet un projet mûrement élaboré, le gouvernement s'empressera de l'accueillir avec bienveillance et de lui donner son appui. »

Voilà ce que déclarait le gouvernement dans l'exposé des motifs signé par les honorables MM. Greindl et Mercier, par M. Mercier dont le nom a été invoqué par l'honorable M. Coomans, et derrière lequel celui-ci s'est retranché, prétendant qu'il avait déclaré l'exécution de la grande enceinte chose complètement impossible.

Messieurs, c'est sur ce projet que l'honorable général Goblet fit un rapport dont probablement vous avez tous gardé le souvenir.

Dans ce rapport, l'honorable général examine, dans son ensemble, le système de défense de la position d'Anvers, et justifie les conclusions de la section centrale, auxquelles l'honorable M. Coomans s'est associé. C'est la mystification dont il a parlé et qui porte ce qui suit :

« Considérant que les intérêts de la défense militaire, de la population et du commerce réclament l'agrandissement général de cette ville ;

« Considérant que les études ne sont pas assez avancées pour apprécier la portée financière de l'ensemble des travaux nécessaires à cet effet ;

« Considérant néanmoins qu'il y a lieu de décréter dès maintenant l'exécution des ouvrages qui pourront se combiner avec les différents projets ;

« La section centrale propose d'allouer un crédit, en émettant le vœu que les devis d'une grande enceinte soient établis sans exagération. »

Mon honorable collègue des affaires étrangères faisait partie de la section centrale, et l'on sait avec quelle faveur, avec quel enthousiasme les conclusions de ce rapport furent accueillies à Anvers. C'est à cette occasion, si je ne me trompe, que des médailles ont été votées, et c'est d'une de ces médailles que se prévalait aussi l'honorable M. Coomans. Je crois qu'il eût dû, voulant mystifier la population d'Anvers, lui donner, lorsque cette médaille lui fut présentée, l'explication qu'il vous a fait entendre samedi.

Messieurs, le rapport de l'honorable général Goblet qui précédait les conclusions dont je viens d'avoir l'honneur de donner lecture à la Chambre, était digne à tous égards de l'honorable et savant général et comme militaire et comme homme politique.

Il indiquait les questions dans l'ordre de leur importance et suivant lequel elles devaient être examinées, au point de vue des plus graves intérêts du pays.

« En premier lieu, disait-il, la défense nationale ; la défense nationale occupe le premier rang.

« Le trésor public vient immédiatement après ; et, tout importantes que soient les nécessités de notre métropole commerciale, on ne peut hésiter à la placer, dans le cas présent, au troisième rang. »

C'est, messieurs, ce qu'on ne devrait jamais oublier.

La clôture de la session législative empêcha la discussion de ce projet ; mais le gouvernement déféra au vœu de la section centrale. Il fit examiner, d'une manière approfondie, les projets d'agrandissement au nord, les projets d'agrandissement général. Il institua un comité pour émettre son opinion sur la valeur de ces projets au point de vue militaire. Le 22 avril 1857, le gouvernement fit connaître à la Chambre les conclusions de ce comité, en déposant sur le bureau le devis estimatif de l'agrandissement général d'Anvers, accompagné du plan de l'enceinte et du camp retranché. Le cabinet déclare à la Chambre, dans cette communication, que le comité qu'il a consulté, « après avoir étudié les dispositions militaires proposées pour l'agrandissement au nord (projet de 1855) et pour l'agrandissement général (projet de 1856), met les deux projets sur la même ligne, sous le rapport militaire. »

L'honorable M. Coomans vient cependant, de sa propre autorité, infirmer de pareils témoignages, de pareilles déclarations, et prétendre que le cabinet, composé de ses amis, avait une opinion absolument opposée à celle qui est consignée dans des documents publics ayant un caractère d'authenticité irrécusable, dans les documents de la Chambre !

C'est dans cet état, messieurs, que nous trouvons la situation de cette grave affaire, lorsque, en 1858.1c devoir nous est imposé de reprendre la question de la défense nationale.

Selon l'honorable M. Coomans, nous aurions dû, à cette époque, combattre à outrance, comme une chose absurde et parfaitement impraticable cette grande enceinte qui s'exécute aujourd'hui.

M. Coomans. - Avant cette époque.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Avant cette époque ! Mais c'était impossible, puisque nous n'en avions pas parlé auparavant.

M. Coomans. - Je vous répondrai.

MaeRµ. - Vous l'avez appuyée vous-même dans la section centrale dont vous faisiez partie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est en 1856 que les conclusions du rapport préparé par l'honorable général Goblet étaient votées, notamment par mon honorable ami M. le ministre des affaires étrangères.

Eh bien, messieurs, après avoir examiné cette question, le gouvernement se décide à présenter le projet d'agrandissement au nord, mais combiné de manière à faire un tout avec la grande enceinte future. Laisse-t-il quelque doute sur sa pensée ?

M. Coomans. - Sans citadelle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez ; nous y arriverons tout à l'heure. Ne vous hâtez pas trop, parce que vous pourriez à votre tour être, sur ce sujet, très mystifié.

« La question du système défensif d'Anvers, combiné avec l'agrandissement de cette ville, après avoir été tenue en suspens pendant plusieurs années, ne pouvait plus être ajournée.

« Le gouvernement l'a examinée avec toute l'attention dont elle est digne, et avec la ferme volonté de ne rien négliger pour concilier à la fois les intérêts du commerce et de la population avec ceux de la défense du pays.

« Le plan qu'il a cru devoir adopter se lie à l'agrandissement général de la ville ; mais outre la difficulté d'affecter immédiatement des sommes considérables à une extension qui donnerait à la ville une superficie environ six fois plus grande, il y a aussi à prendre en considération les perturbations profondes qui résulteraient, pour la valeur vénale des propriétés, d'un changement qui ne serait pas suffisamment ménagé.

« Le gouvernement pense que l'agrandissement proposé répond le mieux aux besoins actuels ; mais l'emplacement des forts détachés a été déterminé de manière à faire système avec la grande enceinte future. »

Nous restions donc, sous ce rapport, sur le même terrain que nos honorables prédécesseurs. Nous ne contestions pas qu'on pût exécuter une grande enceinte, nous faisions valoir des considérations sur l'opportunité de l'exécution d'un pareil projet ; cependant, vous l'avez entendu on nous a représentés comme ayant chanté la palinodie à propos de cette grande enceinte ; on nous a dit que, tout au moins, le commissaire du Roi, défendant le projet dans cette Chambre, avait combattu la grande enceinte.

Eh bien, messieurs, il n'en est absolument rien ; le commissaire du Roi, en défendant le projet d'agrandissement au nord, que nous avions soumis à la Chambre en 1858, a combattu le projet de la compagnie Keller ; le tracé de ce plan était considéré comme défectueux, en ce qu'il présentait une pointe vers Berchem, circonstance qui affaiblissait la valeur défensive de la place. Le commissaire du Roi devait d'autant moins combattre une grande enceinte, au point de vue militaire, que lui-même était l'auteur d'un projet d'agrandissement général, qui n'avait pas été accueilli.

M. Coomans me fait un signe de dénégation ?

M. Coomans. - Non pas, c'est exact ; mais ce projet ne comportait pas l'agrandissement général, mais seulement l'agrandissement restreint d'Anvers.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici, messieurs, ce que disait M. le commissaire du Roi dans la séance du 29 juillet 1858 :

« Où l'on équivoque encore, c'est sur cette expression de grande enceinte. Faut-il empêcher indéfiniment Anvers de s'agrandir ? Messieurs, cela n'est jamais entré dans mon esprit, et si j'avais dû soutenir une pareille doctrine, je ne serais certes pas sur ces bancs, je n'ai pas l'habitude de chanter la palinodie, et de nier le lendemain ce que j'ai dit la veille. Dans le comité où je siégeais avec l'honorable M. Loos, j'ai parlé de la prospérité d'Anvers, et de la nécessité de l'agrandir au Nord et à l'Est. J'avais même, dans cet ordre d'idées, indiqué un tracé, tracé qui, il est vrai, ne comprenait pas 1,300 hectares, mais qui donnait à la ville près de quatre fois son étendue.

a Ce tracé a été repoussé. En existe-t-il une autre plus convenable, un autre qui puisse concilier les nécessités militaires avec les intérêts de notre métropole commerciale ? C'est là un point à examiner ; cette question de la grande enceinte n'est pas mûre ; elle doit encore être étudiée.

(page 955) « Il importe qu'on l'examine, qu'on l'étudie, mais il est absolument impossible qu'on songe à l'exécuter maintenant, d'abord parce qu'il n'y a point encore nécessité, et en second lieu, parce qu'on n'a pas encore trouvé une combinaison de nature à rapprocher les opinions. »

Ainsi ce n'était pas plus absolu que je ne viens de l'indiquer. Il est donc complètement inexact de prétendre que le gouvernement aurait tour à tour combattu et préconisé le système qui s'exécute aujourd'hui dans l'intérêt du pays. Après le vote du 4 août 1858, par lequel la Chambre rejeta le projet d'agrandissement au nord, le gouvernement a eu à examiner ce qu'il devait faire.

Le plan proposé sous le nom de MM. Keller et Cie avait été ici même l'objet d'une vive critique. Comme je viens de le rappeler encore, une grande enceinte avait été admise comme possible dans l'avenir ; mais le tracé indiqué avait été critiqué.

Or, dès le 5 octobre 1858, un nouveau plan fut adressé au gouvernement sous le nom de MM. Keller et Cie. Ce plan faisait droit à la plupart des objections qui avaient été produites contre le plan primitif. Le tracé en était modifié. L'une des objections graves faites au point de vue militaire contre le premier projet, c'est que l'on n'y trouvait pas, pour la défense de la place, un réduit considéré comme indispensable par les autorités militaires. Eh bien, voici commentée plan était exposé.

On avait tenu compte, disait-on, des objections qui avaient été reconnues fondées. Le tracé avait été changé.

« En modifiant ce dernier tracé comme nous venons de l'indiquer, ajoutait-on, le nombre des fronts de la grande enceinte a été diminué de trois (voir le plan n°1) ; mais au lieu de faire tourner ces modifications au profit du trésor, en supprimant les fronts excédants, nous avons cherché à les rendre utiles à la défense en employant ces fronts à la construction d'une vaste citadelle destinée à servir de réduit à la partie nord de la grande enceinte. »

On justifiait, messieurs, ces propositions en ces termes :

« Il n'y aurait qu'un seul moyen de donner à la grande enceinte un réduit efficace, ce serait de créer au nord de cette enceinte, le plus près possible de l'Escaut, une vaste citadelle, pouvant recueillir la plus grande partie de la garnison après l'abandon du corps de place. La partie restante se retirerait dans la vieille citadelle, au sud de la rade, dans les forts de la rive gauche, vis-à-vis des quais et dans la zone réservée pour le pacage des bestiaux, espèce de camp retranché à défense passive, très convenable à la défense d'une armée battue.

« Ainsi, l'abandon du camp retranché et de la grande enceinte n'entraînerait point la perte de la position maritime, qui resterait en notre pouvoir, protégée efficacement par une série d'ouvrages inexpugnables.»

Ainsi, le 5 octobre 1858, l'objet et l'utilité de cette vaste citadelle du Nord sont parfaitement expliqués et définis. La nature et l’importance de l'ouvrage sont parfaitement exposées, et vous le remarquerez, messieurs, l'exécution de ce travail se lie, comme une condition nécessaire, à l'adoption de la grande enceinte. C'était la justification, si je puis m'exprimer ainsi, de la grande enceinte ; c'était la condition indispensable de son exécution.

Or, tout le monde se rappelle avec quelles acclamations, ce projet, émis sous le nom de MM. Keller et Ce, fut accueilli à Anvers. Immédiatement de toutes parts, on conviait le gouvernement à exécuter ces travaux qui paraissaient aussi bien combinés, aussi complètement justifiés.

Est-ce que, par hasard, l'on se préoccupait alors des dangers que pouvait faire naître pour la place d'Anvers cette vaste citadelle établie au nord ? Ou bien était-on assez aveugle pour ne les point voir ? Non, messieurs, l'auteur du plan allait au-devant de toutes les objections, il réfutait tout ce qui est dit aujourd'hui à ce sujet. Voici comment il s'exprimait :

« Le commerce ne sera pas non plus compromis par l'établissement de la citadelle du Nord ; que certains critiques peu versés dans les choses de la guerre ne laisseront pas de représenter comme une cause de destruction pour ses établissements spéciaux. Ils soutiendront notamment que la défense de ce réduit contre une attaque venant du côté de la ville couvrira de ruines tout le terrain environnant. Mais les hommes non prévenus, qui se rendront exactement compte du but assigné à la citadelle du Nord et de la situation de l'armée au moment où cette citadelle sera menacée ne prendront pas l'alarme si légèrement. Ils considéreront que les nouveaux bassins sont à plus de 900 mètres du bastion le plus rapproché de la citadelle, que les travaux d'attaque contre celle-ci seront nécessairement des travaux rapprochée (l'espace manquera, en effet, aux assaillants pour commencer l'attaque de loin), que dès lors la défense m'étendra son action que sur une zone très étroite, que, du reste, le général belge chargé de cette défense aura le plus grand intérêt à ménager les propriétés du commerce, et, qu'en conséquence il ne fera pas usage de projectiles creux, les seuls qui puissent produire de grands dégâts, enfin que la destruction des établissements maritimes, par suite de l'attaque de la citadelle, ne pourrait s'expliquer que s'il y avait, de la part des défenseurs, parti pris d'arriver à ce résultat, ce qui n'est pas admissible. »

M. de Gottal. - 900 mètres ! ce n'est plus la même chose aujourd'hui.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous savez que la zone de 585 mètres n'arrive pas même aux bassins. (Interruption.) Au surplus, ne faisons pas d'équivoque. Il s'agit de savoir si vos établissements seront à la portée du canon ; or, que la citadelle soit un peu plus éloignée ou un peu plus rapprochée, je ne vois pas quel peut être l'avantage avec des canons qui portent à 5,000 mètres. Que le bastion soit à 200 mètres plus près ou à 200 mètres plus loin, le résultat me paraît absolument le même.

Ce qui est essentiel, messieurs, c'est de prouver par un témoignage irrécusable, connu de tout le monde, connu surtout de tous les Anversois intéressés dans cette question, que, quand ce plan qui est l'équivalent de celui qui a été indiqué à cette époque sous le nom de Keller et Cie, a été ensuite soumis à la Chambre, on n'a rien objecté contre l'établissement de la citadelle du Nord ; c'est qu'on avait signalé, discute et réfuté dès lors les prétendus dangers dont on semble s'apercevoir aujourd'hui pour la première fois.

Ce projet a été, en effet, imprimé et publié, il a été répandu, par les Anversois eux-mêmes, à profusion, dans l'intérêt de l'exécution de la grande enceinte. (Interruption.)

Nous viendrons tout à l'heure aux servitudes ; c'est une toute autre question.

Déjà, je le crois, nous avons fait un grand pas. Il était du plus haut intérêt pour le gouvernement, pour les Chambres, pour tous ceux qui se sont associés aux travaux d'Anvers, pour la population même de cette ville, que l'on a cherché à égarer, de rappeler ce qui s'est passé à cette époque.

Remarquez donc bien, messieurs, que c'est en pleine connaissance de cause que les plans ont été soumis à la Chambre ; que ces plans comportaient une vaste citadelle au nord de la place, et que cette citadelle était la condition même de l'exécution de la grande enceinte.

Au surplus, messieurs, il n'y aurait pas trop à se préoccuper des plaintes qui se sont produites, si, par le caractère, par la forme irritante qu'elles ont revêtue, elles n'étaient de nature à énerver les sentiments les plus élevés et à étouffer toute idée généreuse et patriotique.

Dans ces plaintes, une seule préoccupation a tout dominé : On va endommager nos maisons, nos magasins, nos propriétés ; nos vies sont en danger !

Certes, messieurs, je comprends que l'on s'anime pour de tels intérêts, qui sont très légitimes ; mais ne faut-il tenir aucun compte des exigences impérieuses de la défense du pays ? Faut-il oublier qu'il peut devenir glorieux de sacrifier sa propriété et sa vie même pour des intérêts supérieurs, pour la conservation de l'indépendance nationale et des institutions libres dont nous jouissons ? Si nous devions perdre tout sentiment viril, nous plaindre et gémir toujours à propos de tout sacrifice, de toute charge imposée dans l'intérêt du pays, si nous devions ainsi énerver tout sentiment énergique dans la population, quel espoir auriez-vous de sauvegarder, au moment du danger, cette indépendance que vous acclamez tous les jours ?

Messieurs, il faut au contraire inspirer aux populations, et par ses paroles et par son exemple, le sentiment du dévouement, le sentiment du sacrifice et de l'abnégation, sans lesquels il est impossible de conserver une patrie et la liberté. Si les populations s'accoutumaient peu à peu à ne considérer que le bien présent, la jouissance actuelle, si elles étaient rendues insoucieuses de toute préoccupation du lendemain, de tout devoir à accomplir dans la société, et considéraient les questions matérielles comme devant primer toutes les autres, eh bien, messieurs, il faudrait alors les préparer aux jours néfastes, aux servitudes humiliantes et autrement rigoureuses du joug étranger.

Mais, heureusement, on ne peut pas rendre les populations d'Anvers solidaires des sentiments manifestés par quelques énergumènes. Ces sentiments ne répondent point à ceux que la ville d'Anvers a exprimés en maintes circonstances. Nous avons vu, et il est consolant de pouvoir le rappeler, à une époque récente encore, s'élever, du sein même de la ville d'Anvers, d'autres témoignages auxquels tout bon citoyen doit être heureux de s'associer ; nous avons entendu partir de cette ville des paroles qui ont reçu l'approbation sympathique du pays tout entier.

(page 956) Les récents meetings ne nous feront point oublier que c'est d'Anvers même qu'est venu le signal de ces imposantes manifestations qui ont eu lieu, en 1860, pour affirmer de nouveau le sentiment national, le dévouement à la dynastie et aux institutions que le pays s'est données.

Vous vous rappelez, messieurs, les paroles qui étaient alors prononcées au sein du conseil provincial d'Anvers : elles doivent nous faire perdre jusqu'au souvenir de celles qui ont été proférées dans les meetings qui viennent d'avoir lieu. Un honorable conseiller provincial proposait, qu'à l'occasion de l'anniversaire du 21 juillet 1831, une adresse fût présentée au Roi le 21 juillet 1860, afin d'exprimer, au nom de la province, les sentiments du plus pur patriotisme.

Mais aujourd'hui, on cherche à persuader à Anvers qu'elle seule doit souffrir pour tous ; qu'elle paye d'avance, en quelque sorte, la rançon du pays ; que si des jours néfastes arrivaient pour la Belgique, c'est elle seule qui aurait à en souffrir.

C'est là, messieurs, une étrange erreur. Si des jours de dangers se présentaient, le pays tout entier serait humilié, foulé, pillé, rançonné, tandis qu'Anvers à l'abri des murailles édifiées par nous tous, serait à l'abri de toute insulte et de tout danger.

Le pays serait, comme il l'a été à toutes les époques, le champ de bataille de l'Europe, le rendez-vous des armées étrangères ; nos villes ouvertes qui, je l'espère, ne seraient pas disposées à se livrer sans se défendre, seraient meurtries, saccagées peut-être, tandis qu'Anvers, en sûreté derrière ses remparts, pourrait attendre paisiblement, tranquillement, le retour de temps meilleurs.

C'est seulement lorsque le dernier terme de la défense serait arrivé, qu'Anvers aurait à supporter sa part des sacrifices.

Messieurs, je me hâte eo le dire, je suis convaincu qu'Anvers saurait alors remplir fidèlement, intrépidement, héroïquement son devoir. Anvers a de beaux souvenirs ! elle- les invoque pour le passé ; qu'elle les invoque aussi pour l'avenir ; qu'elle se rappelle avec fierté, avec orgueil, les sièges héroïques qu'elle a si honorablement soutenus, pour l'encourager à déployer encore au jour du danger le même héroïsme qu'autrefois.

Anvers, ne doit-elle pas se souvenir toujours que nulle ville plus qu'elle n'a eu à souffrir de la perte de l'indépendance nationale ; qu'aucune ville plus qu'elle n'a perdu à être placée sous le joug de l'étranger ? C'est à l'étranger qu'elle doit la fermeture de l'Escaut, qui a été le signal et la cause de sa ruine.

Et croit-on que si les Anversois du XVIIème et XVIIIème siècle avaient pu, par quelques entraves autour de leur place, payer le rétablissement de leurs immenses relations commerciales et d'un gouvernement national, croit-on qu'ils eussent hésité à faire ce sacrifice, et qu'ils se fussent plaints comme on se plaint aujourd'hui ?

On nous dit encore :

« Anvers est un port de commerce, Anvers ne devrait pas être fortifiée. »

Déjà, dans bien des circonstances, on a dû répondre et on a répondu à cette objection de la façon la plus péremptoire : Ce serait un malheur pour Anvers de n'être pas fortifiée. Anvers, pour n'être pas fortifiée, en serait-elle moins un point stratégique de la plus haute importance ? En cas de conflit entre les nations européennes, n'est-ce pas à qui occuperait le premier cette position ? N'est-ce pas à qui irait immédiatement la disputera celui qui l'aurait occupée ?

On dirait, messieurs, que c'est une exception qu'un port de commerce fortifié ! Je ne parle pas des ports de guerre, cela va de soi ; mais généralement les ports marchands en Europe et en Amérique sont fortifiés ; de grandes places de commerce sont de grandes places de guerre. Ainsi Cadix, Gênes, Livourne, Barcelone, Trieste, Dantzig, Stettin, Memel, Riga sont fortifiés.

Aux Etats-Unis, Baltimore, Norfolk, New-York, Boston sont entourés de fortifications. Le Havre que j'oubliais est également fortifié.

Si Anvers n'était pas fortifiée, elle demanderait à l'être et elle aurait raison, car c'est dans ses murailles que réside la sécurité. Sans doute, les fortifications l'exposent à un danger dans une hypothèse donnée. Sans doute si le siège de la place doit se faire, et on prend toutes les précautions, j'imagine, pour que le siège soit rendu improbable, Anvers courra certains dangers, je le reconnais

Mais, grâce à ces mêmes fortifications, qu'elle paraît apprécier si mal aujourd'hui, elle est préservée de dangers bien plus grands ; elle est à l'abri d'un bombardement, d'une surprise, d'une invasion subite, dont rien ne pourrait la garantir, si elle n'avait les moyens de se faire respecter.

Au surplus, si j'en crois les hommes très compétents, grâce aux progrès de la marine militaire, qui facilitent singulièrement les descentes maritimes, il deviendra presque indispensable de fortifier tous les ports marchands, pour mettre leurs précieuses richesses à l'abri des atteintes de l'ennemi.

Cependant, messieurs, j'aime à le constater, tout le monde ne méconnaît point l'utilité des fortifications d'Anvers. S'il le faut de toute nécessité, soit, dit-on (c'est le langage des gens raisonnables) ; mais que tout au moins nous n'ayons pas des servitudes intérieures. Voilà ce qu'a dit mon honorable ami, M. Loos.

Ici se place un incident dont je dois d'abord dire un mot. On a traité, à propos d'une question toute spéciale, la question générale des servitudes intérieures ; et l'on a fait à ce sujet une assez singulière position au département de la guerre. - « Aussi longtemps, disent quelques honorables membres, que le gouvernement élèvera la prétention d'avoir une servitude intérieure de 585 mètres, nous voterons systématiquement contre le budget de la guerre. »

Le gouvernement, par l'organe de M. le ministre de la guerre, a répondu : « Je n'ai pas une pareille prétention ; je me contente de l'esplanade qui existe autour des citadelles dans les diverses villes du pays, terrains non bâtis dans leur zone restreinte, et qui appartiennent à l'Etat, soit qu'il les possède en pleine propriété, soit qu'ils lui soient soumis à titre de servitudes. Je ne réclame pas davantage. »

Vous n'avez pas le droit de renoncer à la servitude, répond-on au gouvernement. Mais que peut donc faire le gouvernement pour vous satisfaire ? Vous supposez qu'il élève des prétentions, et vous le condamnez ; il infirme vos suppositions et vous le condamnez encore. D'où vient cela ? C'est d'abord que vous confondez ce que la loi peut autoriser et ce que fait le gouvernement. Si la loi, en effet, a une portée plus étendue, si elle permet d'exiger plus que cette esplanade, ce n'est pas le gouvernement, c'est la loi qu'il faut accuser Et si, comme vous le prétendez, la loi n'a pas cette portée, si elle n'accorde aucune espèce de servitude intérieure, alors de quoi vous plaignez-vous ?

Il me semble que le dilemme est bien clair.

M. Crombezµ. - Expliquez-vous franchement.

M. dc Gottalµ. - Changez la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous nous expliquons très franchement. Nous répondons à des objections. On nous déclare que l'on votera contre le budget de la guerre aussi longtemps que le gouvernement élèvera la prétention d'avoir une servitude de 585 mètres à l'intérieur des villes. Nous répondons que le gouvernement n'élève pas de prétentions, et l'on nous condamne encore !

De deux choses l'une : ou la loi est telle que vous le prétendez contre nous, ou elle n'est pas telle ; elle accorde les servitudes ou elle ne les accorde pas.

Si elle accorde la servitude avec l'extension que vous voulez lui assignez, c'est une question judiciaire ; cela est incontestable. Or, nous n'avons déjà que trop de questions judiciaires transportées au parlement. Si, au contraire, la loi n'a pas cette portée, si, comme vous l'affirmez, elle n'accorde aucune espèce de servitude intérieure, vous n'avez pas de crainte à concevoir.

M. B. Dumortier. - Ce n'est pas la question. Nous disons que le gouvernement prend deux positions diamétralement opposées.

Dans ses paroles il déclare ne pas vouloir prendre de servitudes au-delà des esplanades des citadelles et dans tous ses écrits il prétend qu'il a un droit au-delà de ces esplanades.

Il y a là une équivoque demi il importe de sortir.

La question en vaut la peine. Avez-vous le droit, oui ou non ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement n'a pas le pouvoir de créer des servitudes.

M. Coomans. - Il est important de connaître votre opinion.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous me permettre de continuer ?

Je voulais vous démontrer, par cette manière d'argumenter, que l'on raisonne toujours comme on l'a fait dans les meetings d'Anvers, où l'on s'insurge contre le gouvernement, alors qu'il s'agit de s'adresser à la loi.

On dit : C'est le gouvernement qui fait cela ; c'est le gouvernement qui établit les servitudes ; c'est le gouvernement qui élève telle ou telle prétention. Mais, messieurs, l'ignore-t-on ou feint-on de l'ignorer, le (page 957) gouvernement n'a pas ce pouvoir ; il n'a pas ce droit ; il ne veut rien de semblable. C'est la loi qui a parlé, si elle parle.

M. Gobletµ. - C'est la question,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais démontrer que cette question n'a aucune utilité pratique.

Oui, les citadelles ont des servitudes ; elles ont droit à des servitudes intérieures vers les villes, cela n'est pas contestable.

Cela est enseigné, je crois, partout ; mais il est également vrai que, partout, la servitude des citadelles signifie l'esplanade, lz terrain libre autour des citadelles.

M. B. Dumortier. - Pas le moins du monde.

M. Loos. - C'est la propriété de l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est là la pratique constante, c'est l'exécution que la loi a reçue en Belgique depuis l'an de grâce 1791.

M. Loos. - Et en France ?

M. Beeckmanµ. - Et là où il n'y a pas d'esplanade !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'entendez-vous par esplanade ?

M. Beeckmanµ. - Le terrain qui entoure la citadelle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y en a partout.

M. Pirmez. - Pas à Charleroi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A Charleroi, soit ; passons sur l'exception.

En France cette question spéciale a été réglementée par une ordonnance du 1er août 1821. Voici ce qu'elle porte :

« Les citadelles et les châteaux ont à l'extérieur les mêmes limites et prohibitions que celles des places fortes dont les uns et les autres font parties.

« Les limites de leurs esplanades du côté de la ville peuvent être réduites, selon les localités, par des fixations spéciales que le gouvernement arrête sur la proposition du ministre de la guerre. »

Eh bien, ce qui est spécialement indiqué dans cette ordonnance française du 1er août 1821, est ce qui a toujours été pratiqué antérieurement en France, et c'est ce qui a continué à se faire chez nous.

J'ai dit que la question n'a véritablement pas d'utilité pratique. Et, en effet, ne suffit-il pas d'énoncer que la prétendue zone de servitude, à laquelle le gouvernement ne songe assurément pas, comprendrait la moitié, les deux tiers, les trois quarts et même la totalité de certaines villes, pour démontrer l'absurdité d'une pareille prétention ? C'est une chose absolument impossible. Quand on voudrait prétendre que cela est, le plus simple bon sens répondrait que cela n'est pas.

A Tournai les deux tiers de la ville seraient compris dans ce rayon de servitude de 585 mètres. A Anvers elle s'étendrait jusqu'à la place de Meir ou jusqu'au théâtre si je ne me trompe. La ville de Dinant serait complètement absorbée.

Les servitudes s'étendraient sur les trois quarts de la ville de Liège.

M. Moncheur. - Et sur toute la ville de Namur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce seraient des prétentions tout à fait absurdes. Leurs conséquences ne permettent même pas de les énoncer.

Il est donc incontestable que quand nous parlons de la zone de servitude des citadelles, celle-ci ne comprend que l'esplanade, le terrain libre qui entoure la citadelle ; mais il est vrai aussi que la citadelle ne peut, en thèse générale, exister sans celle esplanade.

Maintenant, faudrait-il une disposition analogue à l'ordonnance française de 1821 pour délimiter celle esplanade ?

M. B. Dumortier. - Il faudrait soumettre un projet aux Chambres. Ce serait plus légal.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le veux bien ; mais il n'en reste pas moins vrai que la difficulté soulevée n'a aucune espèce d'utilité pratique.

Voilà ce que je voulais démontrer. Je tiens l'incident comme vidé, et je reviens à la question des servitudes intérieures en ce qui concerne Anvers et la citadelle du Nord.

La question est ici toute différente de celle qui vient d'être traitée. De quoi s'agit-il au nord d'Anvers ?

Des fortifications existaient de ce côté ; elles étaient séculaires ; elles possédaient une zone de servitude légale. Cela est incontestable.

On démolit l'enceinte d'Anvers et l'on permet à la ville de s'étendre jusqu'à la zone de la servitude. Evidemment, Anvers n'a pas à se plaindre ; elle n'a aucune objection sérieuse à opposer ; le fait de la démolition des fortifications de la ville ne peut faire que les servitudes qui existaient au profit du fort du Nord soient du même coup absorbées.

Cela est de toute évidence. Ce n'est pas la citadelle qui vient se placer contre la ville et qui a la prétention d'absorber une partie de la ville ; c'est une partie de la ville qui s'étend vers la citadelle et qu'on arrête très légitimement à la servitude, qu'on arrête à cette barrière séculaire. (Interruption.)

M. de Gottal. - C'est une erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais ce n'est pas une erreur de dire que le fort du Nord est à l'extérieur d'Anvers ; ce n'est pas une erreur de dire que le fort du nord avait une servitude, la servitude légale ; ce n'est pas une erreur de dire que les fortifications qu'on érige aujourd'hui n'ont pas une servitude plus grande que celle de l'ancien fort du Nord ; ce n'est pas davantage une erreur de dire que, quand on démolit une fortification pour permettre à une ville de s'étendre, on peut parfaitement l'arrêter aux servitudes de fortifications qui se trouvaient en dehors de son enceinte.

Ce n'est pas du tout la question qui se présente à l'égard des villes près desquelles on érige une citadelle. Puis, d'ailleurs, pour le cas particulier qui nous occupe, que pouvons-nous faire ? Eh bien, comme il s'agit ici d'une citadelle, nous pouvons lui appliquer la même condition qu'à toutes les autres citadelles ; nous limiterons la zone des servitudes ;, en la réduisant jusqu'au ruisseau nommé le Vosseschyn ; et, de cette façon, il n'y a plus aucune plainte possible de la part d'Anvers : car enfin, que l'Etat possède à titre de servitude le polder au-delà du Vosseschyn, ou qu'il le possède à titre de propriété, cela est parfaitement indifférent au point de vue de l'intérêt public, de l'intérêt d'Anvers. (Interruption.) Plaidez-vous ici un intérêt privé ? Je ne puis le croire, et je dis qu'au point de vue de l'intérêt public, il n'y a pas d'objection possible. Il existe sur ce terrain des servitudes séculaires et on les restreint à la zone des citadelles ; je dis qu'à ce point de vue vous êtes satisfait : nous ne conservons qu'une simple esplanade au profit de la citadelle.

Messieurs, c'est ce qui a été déclaré par le département de la guerre dans le cours des négociations suivies par l'honorable bourgmestre d'Anvers, avec ce zèle, ce soin et cette persévérance qu'il apporte à la défense de tous les intérêts qui lui sont confiés. Eh bien, je crois que l'intérêt commercial est parfaitement sauvegardé, du jour oh nous nous relirons jusqu'au Vosseschyn, du moment que les établissements commerciaux et maritimes peuvent se développer dans un espace qui suffira aux besoins de la ville d'Anvers pendant plusieurs siècles encore.

Tout ceci écarté, il ne reste plus dans l'affaire des servitudes que la question de l'indemnité. Mais ici encore, j'ai quelques faits à rappeler, car il me semble qu'on oublie un peu vite à Anvers.

La servitude était parfaitement connue, lorsque nous discutâmes le plan de 1859. Il vous souvient encore, messieurs, de ces plans qui vous ont été distribués à profusion par des habitants d'Anvers, au nom de la 5ème section, et indiquant par de grands cercles toutes les propriétés qui se trouvaient grevés de servitudes, tant du chef de l'ancienne citadelle que du chef des nouveaux forts qu'on avait construits depuis 1848. On connaissait donc parfaitement la question. Ces servitudes étaient en partie séculaires.

Si elles avaient été respectées, comme le rappelait hier l'honorable M. Pirmez, la place conservait toute sa valeur défensive, et il n'était nullement besoin d'imposer de grands sacrifices au pays pour l'agrandissement de la ville au point de vue militaire. Il n'y avait de préjudice pour personne, si l'on tient compte du temps écoulé et des transmissions successives qui avaient eu lieu sous la réserve de la charge dont ces propriétés étaient grevées.

Elles ne s'étaient vendues que sous la condition de la servitude. Ainsi, il n'y avait là aucune espèce de préjudice pour personne.

Aussi, messieurs, à une certaine époque, on le comprenait si bien à Anvers, que l'idée dont l'honorable M. Pirmez nous a entretenu hier fut la première qui s'y fit jour, comme moyen d'exécution de la grande enceinte.

Lorsque les premiers plans parurent, les propriétaires de la 5ème section demandaient au gouvernement, à nos prédécesseurs, de leur désigner deux commissaires avec lesquels ils examineraient la question des moyens pratiques d'exécution de la grande enceinte, et je lis ce qui suit dans une brochure du temps :

« Plusieurs habitants notables des faubourgs se sont réunis pour l'étude de ce projet, et le gouvernement a délégué deux commissaires pour les assister dans leur travail.

« Dès la première entrevue de cette commission avec l'inspecteur général des fortifications, elle a été avertie que la construction des nouveaux ouvrages exigerait une somme d'environ 80 millions !

« Cette énorme dépense ne l'a point effrayée. Elle compte y faire face à l'aide d'une combinaison financière qui repose, dit-on, sur ce simple (<page 958) raisonnement : Si les propriétaires des immeubles compris dans l'agrandissement s'associaient, et s'ils consentaient à se dessaisir d'une partie de la plus-value de leurs biens, on trouverait aisément la somme nécessaire à l'établissement des nouvelles fortifications ; l'Etat n'aurait pas lieu de se plaindre, et les propriétaires feraient une bonne opération. »

On annonce ensuite la formation d'une société. Soit que cette première idée ait été considérée comme étant d'une réalisation trop difficile, soit qu'on en ait trouvé la réalisation comme trop onéreuse, on annonce la formation d'une autre société qui, elle, fera mieux encore ; elle proposera d'indemniser les propriétaires qui seront grevés de nouvelles servitudes : système plein et entier que l'honorable M. Pirmez indiquait sous forme hypothétique.

Voici ce qu'on annonçait ; la société qui obtiendrait la concession de l'exécution de ces travaux.

« La société qui obtiendrait la concession de l'exécution des travaux s'engageait notamment à payer aux propriétaires des terrains qui tomberaient dans la zone défensive des nouveaux forts une indemnité pour moins-value à déterminer par expertise, et pouvant s'élever à un maximum de 5,000 fr. par hectare. »

« Mais la société réclamait entre autres, pour couvrir ses dépenses, 3 p. c. de la valeur locative des bâtisses construites avant la concession et 5 p. c. de la valeur de celles que l'on construirait ultérieurement ; et pour les bâtisses élevées en contravention à la loi sur les servitudes, une rente annuelle de 6 p. c. et 10 p. c. des constructions que l'on élèverait pendant la durée de la concession sur les terrains actuellement frappés d'une servitude militaire. Enfin, pour toutes les constructions faites pendant la durée de la concession, il devait être payé à la société 1 fr., 1 fr. 30 ou 2 fr. par mètre cube d'espace intérieur, selon la longueur des façades, etc.

« Dans la pensée des auteurs de ce projet, il paraissait juste de faire contribuer aux dépenses de l'agrandissement d'Anvers, et la ville et les particuliers, les propriétaires favorisés par l'exécution de ces grands travaux. »

On annonçait donc que moyennant ces conditions, qui paraissaient assez favorables (c'était le temps où l’on assurait déjà que ces travaux devaient s'exécuter sans bourse délier), on déclarait qu'on pourrait ainsi indemniser les propriétaires qui se trouveraient grevés de servitudes.

D'autres combinaisons encore furent ensuite proposées ; il s'agissait d'obtenir un subside de l'Etat, puis l'abandon des terrains des anciennes fortifications, qui n'étaient pas estimés moindre par des spéculateurs à une somme de 15 millions. À quoi s'est arrêté le gouvernement ? a-t-il puisé dans l'une ou l'autre de ces combinaisons les moyens d'arriver à l'exécution d'une grande enceinte ? Non, messieurs.

Le gouvernement s'est arrêté à une combinaison qui met à la charge du pays, c'est-à-dire de la généralité des citoyens, l'exécution de ses projets ; aucun concours n'a été demandé aux particuliers ; il a de plus accueilli la demande faite par la ville d'Anvers de reprendre les terrains pour une somme de dix millions. Or, je le demande, était-il possible de se montrer plus conciliant que le gouvernement l'a été dans cette circonstance ? pouvait-il faire plus dans l'intérêt des habitants d'Anvers ?

Notre attention a été appelée alors sur les conditions nouvelles qui allaient être faites à un grand nombre de propriétaires, qui s'enrichiraient manifestement par suite de l'exécution du projet.

Si nous avons écarté toute combinaison qui pouvait les grever, c'était pour rester dans le principe général qui règle en Belgique les conditions de la propriété vis-à vis de l'Etat, et d'après lequel, si une servitude est établie, il n'y a pas lieu à indemnité, pas plus qu'il n'y a lieu de demander une compensation quelconque au citoyen dont la propriété vient à être dégrevée de cette charge. Si nous avions adopté un autre système, nous bouleversions le régime normal de la propriété en Belgique.

Aujourd'hui, quand ces choses étaient parfaitement connues, que cette situation des particuliers était parfaitement établie, quand il était bien constaté que les uns seraient dégrevés et que d'autres seraient grevés, après que la loi a été réclamée et votée dans ces conditions, n'est-il pas en réalité exorbitant que l'on vienne se plaindre de l'exécution et réclamer des indemnités ?

D'ailleurs, est-ce qu'en principe général, l'établissement des servitudes peut donner droit à indemnité ? Lorsque la question est posée isolément, au premier aspect, je l'avoue, on répond en quelque sorte instinctivement : Oui, puisqu'il y a charge, il faut aussi qu'il y ait indemnité. Cela paraît rationnel, car cette charge est pénible, elle est désagréable ; elle fait évanouir toute espérance d'accroissement de valeur ; elle peut aller, pas toujours, mais enfin elle peut aller jusqu'à constituer un véritable dommage immédiatement appréciable. Mais, messieurs, est-ce qu'il n'en est pas de même, sauf quelques différences plus ou moins grandes, pour la propriété en général dans un pays civilisé ? Comme l'a dit l'honorable M. Nothomb, les charges qui pèsent sur les personnes et sur les choses sont innombrables. Depuis la servitude de balayer la rue, imposée sous peine d'amende, et, en cas de récidive, sous peine d'emprisonnement jusqu'aux prescriptions relatives aux alignements, pour les habitants, il n'y a que charges. Enumérez, si c'est possible, les servitudes qui grèvent la propriété ?

Vous avez les chemins des halage, les servitudes de voirie, les servitudes forestières, les servitudes qui grèvent les propriétés situées le long des chemins de fer ; vous avez la servitude douanière qui a déjà été indiquée et sur laquelle j'appelle votre attention ; c'est parce que tout cela existe, qu'on n'entend pas de plaintes.

M. Coomans. - Dans la Campine on se plaint beaucoup.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais au temps où vous défendiez la régime protecteur, vous rendiez plus dure encore la servitude de la zone frontière. C'est la zone frontière qui garantissait le régime protecteur.

M. de Haerne. - C'est la question des droits fiscaux que la zone frontière a pour but d'assurer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est le droit protecteur ! S’il ne s'agissait que des droits fiscaux, on pourrait adoucir considérablement la servitude douanière, et elle a été considérablement adoucie déjà depuis qu'on a réduit les tarifs ; le progrès est d'aller vers l'adoucissement de ces servitudes, qui constituent une grande charge et qui pèsent sur les citoyens et sur les propriétaires.

Je les ai déjà adoucies ; pour le prouver, je n'ai qu'à rappeler le temps' où un droit protecteur existait pour le bétail ; dans le rayon douanier, on était obligé alors d'avoir pour ainsi dire l'état civil du bétail qui s'y trouvait, les embarras les plus désagréables étaient imposés aux habitants. Voyez ce que c'est comparativement à la servitude militaire qu'une zone de 10 kilomètres autour de tout le pays, et voyez quelles gênes, quelles charges l'existence de ce rayon entraîne pour les citoyens qui y résident :

« Aux termes de la loi, il est défendu d'avoir ou d'établir dans cette zone de 10 kilomètres des magasins et dépôts de marchandises, sous peine de confiscation de ces marchandises et d'une amende égale au décuple du droit... Aucune, raffinerie de sel ou de sucre, brasserie, distillerie, fabrique de vinaigre, clouterie, papeterie, fabrique d'étoffes de laine, ni autres grandes fabriques, ni moulin quelconque n'y peuvent être établis sans l'autorisation spéciale du gouvernement. » Enfin, dans cette zone de 10 kilomètres, là où les magasins et dépôts sont défendus, « les employés sont autorisés à faire des recherches dans toutes les maisons et tous enclos où ils en soupçonneraient l'existence clandestine. »

En présence de pareilles sujétions, n'est-on pas fondé à dire que c'est là autre chose que la servitude militaire, si gênante, si désagréable, si onéreuse qu'elle puisse être.

Il est inutile de les énumérer toutes, mais il y a des charges excessivement lourdes qui pèsent sur la propriété sous toutes les formes ; autour des forêts, 100 mille hectares sont grevés de servitude !

Eh bien, messieurs, si c'est là la condition générale de la propriété, par cela même, il n'y a pas lieu à indemnité.

L'équité ne commande pas de donner une indemnité ; il y aurait même iniquité à le faire, car ce serait donner une indemnité pour quelques servitudes, tandis qu'on n'indemniserait pas, qu'on ne pourrait absolument pas indemniser pour d'autres, tout aussi graves, tout aussi onéreuses, si pas plus onéreuses encore. L'Etat, dit-on, dispose d'une partie des propriétés ; il ne devrait pas en disposer sans indemnité. Mais, messieurs, qu'est-ce donc que l'Etat ? L'Etat, représenté comme riche à milliards, comme devant indemniser tout le monde, mais c'est nous tous ; ces milliards supposés sont à nous tous ; on les prendra donc aux uns pour les donner aux autres.

Ne croyez pas que ce soit ici une question d'argent ; non, messieurs : ; s'il y avait lieu à indemnité, ce serait une liquidation qu'il faudrait faire ; il faudrait faire une liquidation générale des charges qui grèvent les citoyens ; on payerait des différences.

Mais, il est à peine nécessaire de le dire, on voit que l'opération serait sans but, sans utilité, et n'aurait aucun des résultats que l'on pourrait s'en promettre.

Il y aurait peut-être un peu plus d'égalité dans la répartition. Je dis (page 959) peut-être, à un certain point de vue. Mais, comme nous ne pourrions avoir cette égalité qu'à l'aide d'indemnités prélevée, au moyen de l'impôt, et que l'impôt lui-même amène des inégalités de répartition contre lesquelles on s'élève constamment, on ne ferait que changer la nature du mal. Ce serait à ce point de vue absolument sans résultat. Et je le dis,. c'est là évidemment la justification de l'existence des servitudes sans indemnité ; c'est qu'elles sont innombrables, nécessaires. Dans ces conditions il ne peut y avoir lieu, sous aucun rapport, à accorder des indemnités.

Ces questions, messieurs, ont été examinées plus d'une fois, car ces servitudes ne sont pas toutes anciennes ; il y en a de nouvelles. On en a créé à propos des chemins de fer en 1843 ; la question n'a pas soulevé de difficultés dans cette Chambre. A peine a-t-elle donné lieu à quelques observations au Sénat, et cela n'a pas empêché la loi de recevoir la sanction de cette assemblée.

M. Orts. - Il y a eu vote, et le principe de l'indemnité a été rejeté par 19 voix contre60.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En France, où la police des chemins de fer a été réglée un an ou deux plus tard que chez nous, la question a été examinée de la manière la plus approfondie, et toutes les raisons qu'on fait valoir aujourd'hui ont été produites. On a invoqué en faveur de la propriété l'article 10 de la charte, comme on invoque ici l'article 11 de la Constitution.

Et, ce qui est remarquable, c'est que la Chambre des pairs a été la plus énergique à défendre le principe de l'établissement de la servitude sans indemnité ; non seulement cette Chambre a proclamé ce principe, mais c'est encore elle qui a donné à la servitude son caractère le plus grave. Ainsi la Chambre des députés avait admis que les constructions qui se trouvaient dans la zone de servitude pourraient être entretenues, réparées, reconstruites, dans l'état où elles se trouvaient ; mais la chambre des pairs a persisté à deux reprises à appliquer aux constructions mêmes qui se trouvaient dans la zone de servitude, le principe général de la loi sur les alignements, c'est-à-dire qu'elles pourraient être simplement entretenues, mais non reconstruites dans l'état où elles se trouvaient.

Messieurs, je crois qu'il serait impossible à un gouvernement quelconque d'entrer dans la voie de ces prétendues réparations, au point de vue de l'équité, sur le terrain où l'on se place aujourd'hui à propos des servitudes militaires.

Je pense avoir assez nettement établi devant vous que le gouvernement n'a pas cessé d'être bienveillant à l'égard de la ville d'Anvers, qu'il a fait tout ce qui était compatible avec son devoir pour assurer son bien-être et sa prospérité. L'esprit de bienveillance et de justice qui a animé la Chambre comme le gouvernement dans l'adoption des plans arrêtés pour la défense nationale, continuera à diriger le gouvernement mais aussi le gouvernement persistera dans ses devoirs les plus impérieux, en opposant à des prétentions tout à fait inadmissibles un calme et une fermeté qui, je pense, recevront l'approbation de la Chambre.

M. le président. - M. Dumortier a demandé la parole pour la troisième fois. La Chambre veut-elle l'entendre ?

M. B. Dumortier. - Je n'ai parlé qu'une fois. Du reste, je cède mon tour de parole à M. Vervoort.

M. Vervoort. -Messieurs, l'honorable ministre des finances, au début de son discours, a réveillé des pensées patriotiques qui s'étaient produites ici lors de la discussion de la loi sur les fortifications. Nous avons soutenu alors avec lui qu'il faut savoir, au jour du danger, pratiquer la loi du sacrifice. Nous avons dit que la ville d'Anvers acceptait le rôle glorieux éventuellement attaché à sa destinée, et qu'elle saurait se montrer héroïque, si nous avions le malheur de devoir utiliser ses fortifications.

Mais en même temps nous avons dit que s'il faut préparer d'énergiques mesures pour les jours de danger, il faut songer aussi à la vie de tous les jours. Nous rappelions alors le rôle important de cette grande cité et de son commerce maritime en temps de paix, et nous disions qu'il faut tenir compte de leurs exigences de tous les jours et du développement de ces grandes sources de prospérité.

Nous demandions alors la conciliation des intérêts de la paix et de ceux des temps de guerre.

Eh bien, je le demande, le gouvernement travaille-t-il aujourd'hui à la conciliation de ces intérêts ?

L'honorable M. Pirmez, dans une autre séance, et aujourd'hui M. le ministre des finances nous ont parlé du moyen de satisfaire les pétitionnaires, en imposant ceux dont les propriétés ne seront plus à l'avenir grevées de servitudes. L'honorable M. Pirmez voudrait établir un impôt sur les propriétés dégrevées,

Messieurs, remarquez-le bien, avant 1852 le ministère usait d'une grande tolérance et laissait construire dans les environs d'Anvers, à telles enseignes que l'on élevait environ 300 maisons par an. Les faubourgs avaient pris un immense développement.

En 1854 seulement on a invoqué les lois sur les servitudes militaires, et l'on a provoqué des jugements de démolition que l'on ne mettait pas toutefois à exécution. C'est alors que la propriété privée a été frappée dans les environs d'Anvers d'une grande dépréciation, et dans un discours prononcé en 1859, et invoqué par l'honorable M. Pirmez, je vous disais que telle propriété qui, grevée de servitude, valait 40,000 fr. en 1854, avait été vendue 9,000 fr. depuis les poursuites exercées en vertu de la loi sur les servitudes.

Le dégrèvement dont on parle n'aura donc pas tout l'effet que l'on veut bien lui attribuer, car la propriété avait pris un développement considérable, malgré les servitudes, antérieurement à l'application de la loi.

D'un autre côté, dans quelle mesure la propriété augmentera-t-elle de valeur par suite du dégrèvement qu'amène la grande enceinte ? C'est ce que l'on ne saurait établir.

Le système de l'honorable M. Pirmez est à tous égards impraticable et ne sera jamais formulé. Cet impôt serait inconstitutionnel.

Mais, s'il faut que les propriétaires des environs d'Anvers contribuent à indemniser les habitants de la campagne dont les propriétés vont être grevées de servitude, dans ce cas, il faut nécessairement que la ville de Charleroi, la ville de Mons et d'autres villes y contribuent également. Car il résulte des déclarations du gouvernement, de la proposition de la section centrale de 1858 et de la loi de 1859 que la construction des grandes fortifications d'Anvers doit entraîner la démolition des autres forteresses.

En 1856 le gouvernement écrivait au rapporteur de la section centrale chargée d'examiner la demande de crédit de 9 millions :

a La modification essentielle que la construction du camp retranché a apportée dans le système général de défense du pays a engagé le gouvernement à examiner s'il n'y a pas lieu de supprimer quelques points fortifiés. »

Et voici la proposition de la section centrale de 1858 :

« La section centrale, par toutes les considérations qui précèdent, est d'avis que, si c'est à Anvers que l'on entend concentrer la défense du pays, il est indispensable de démolir l'enceinte actuelle, d'en construire une nouvelle à la hauteur des fortins existants, en supprimant toutefois le n°4, et enfin, d'exécuter, en avant de l'enceinte nouvelle, les forts du camp retranché proposés par le gouvernement.

« La section centrale croit, en outre, que l'on ne peut concentrer la défense à Anvers sans démolir en même temps un certain nombre de forteresses, et notamment la place de Mons. »

Il faudra donc que les habitants de ces forteresses apportent, comme je le disais, leur tribut, et ce n'est pas l'honorable M. Pirmez qui y consentira jamais.

Laissons, messieurs, cette doctrine impraticable et arrivons à d'autres objections.

L'honorable M. Nothomb, au système duquel l'honorable ministre des finances a paru aussi se rallier, l'honorable M. Nothomb a établi, dans un discours brillant, une théorie générale qui, a priori, repousse tout examen, et met l'Etat fort à l'aise.

Il y a des servitudes innombrables, a dit l'honorable membre, et l'on ne pourrait sans injustice, sans établir un privilège, accorder des indemnités aux uns sans en accorder à tous les autres.

Je le répète, messieurs, c'est une doctrine fort commode ; elle prévient toute étude, toute discussion, mais aussi elle est exclusive de tout progrès et de toute amélioration, et certes elle ne sera jamais pratiquée en Belgique. On ne peut pas, je le veux bien, résoudre à la fois toutes les questions de même nature, mais ce n'est pas une raison pour ne pas livrer à l'examen des questions qui nous sont soumises actuellement.

Il est loin de ma pensée de vouloir combattre le principe de l'indemnité en général, mais nous avons à nous occuper, en ce moment, de la pétition du conseil provincial d'Anvers et c'est dans cet objet spécial que nous devons nous renfermer.

Comme le disait très bien l'honorable M. Loos, si lors de la discussion de la suppression des octrois, les adversaires du projet de loi l'avaient combattu en le déclarant inséparable de la réforme des lois douanières et de la réforme de la législation relative aux barrières, comment la Chambre aurait-elle accueilli une semblable doctrine ?

L'honorable M. Nothomb a dit : « II n'y a de juste que ce qui est possible ; » mais, messieurs, ce que demandent les pétitionnaires est incontestablement possible, puisqu'il y a en Hollande une loi décrétant l'indemnité pour les cas du dommage appréciable et constaté.

(page 960) Je demanderai à l'honorable ministre des finances si, dans son opinion, il n'y a absolument rien à faire, s'il considère la demande du conseil provincial d'Anvers comme dénué de toute espèce de fondement. Voilà, messieurs la véritable question.

Si le ministère se refuse à rien faire, ou bien nous devons prendre l’initiative d'une proposition de loi, ou bien il faut laisser en souffrance les intérêts qui nous sont signalés.

Le discours même de l'honorable ministre que nous venons d'entendre prouve que la législation ne peut pas être maintenue dans l'état actuel, tout au moins en ce qui concerne les servitudes intérieures.

On a reconnu que pour Tournai, Gand et d'autres villes il faut réduire les droits de l'Etat à ce qu'on appelle l'esplanade ; mais pour Anvers, dit l'honorable ministre, la question n'est plus la même. Là d'anciennes servitudes entourent les murs de la ville et le fort du Nord et l'Etat a conservé ces servitudes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai constaté le fait ; j'ai dit que la chose est sans importance et sans difficulté, puisque le gouvernement consent à laisser bâtir jusqu'au Vosseschyn.

M. Vervoort. - Le fait doit être autrement apprécié. Et d'abord, la servitude des anciens remparts disparaît avec les remparts ; quant à la servitude du fort du Nord, ce fort sera démoli, et vous le remplacerez par une grande citadelle, située dans l'intérieur de la ville.

Si vous pouvez exiger la servitude intérieure, elle s'étendrait jusqu'aux bassins nouveaux et l'on ne pourrait pas y construire les grands entrepôts et magasins qui doivent les compléter.

Vous répondrez : « On vous laissera bâtir jusqu'au Vosseschyn, » mais ce sera à la condition, a dit le ministre de la guerre, que s'il y a mise en état de siège on pourra démolir sans indemnité. (Interruption.)

Si vous êtes d'avis qu'on peut bâtir sans s'exposer à voir démolir ses constructions sans indemnité, alors il faut le décréter par une loi.

De pareils droits ne peuvent pas dépendre de la bonne volonté du gouvernement.

Maintenant, à partir du Vosseschyn jusqu'à la citadelle, vous voulez exercer vos droits sur le terrain d'autrui ; pourquoi ne faites-vous pas l'acquisition de ces terrains ? (Interruption.)

Il est certain que dans ce pays-ci les esplanades sont partout la propriété de l'Etat.

En ce qui concerne les servitudes extérieures, le gouvernement se met complètement à l'aise. On a objecté le rayon douanier, je reconnais qu'il faut subir parfois des nécessités très dures. De ce nombre est l'obligation do donner accès dans son domicile à certains employés.

Ce droit de visite est fort pénible ; mais, messieurs, la plupart de ces servitudes ne causent pas un dommage réel, ni permanent. J'ai signalé à la Chambre les dommages réels et permanents résultant des servitudes.

J'ai signalé la ruine lente, mais certaine, de constructions et d'établissements situés dans les zones de servitudes nouvelles, on n'a rien répondu.

Il y a, messieurs, trois points sur lesquels l'attention doit se fixer : il y a d'abord les terres arables ; je comprends que l'on dise au propriétaire d'une terre arable : L'Etat a dû établir dans votre voisinage une fortification ; l'intérêt de l'Etat exige que votre terre conserve sa destination ancienne et actuelle.

Viennent ensuite les terrains à bâtir : ils présentent une expectative. Le propriétaire n'a pas bâti encore et n'a pas réalisé parce qu'il espérait pouvoir le faire plus tard avec plus d'avantage. Cette position est plus délicate et présente plus d'intérêt. Sans justifier ni partager entièrement cet avis, je comprends encore qu'on dise au propriétaire :

«Vous ne possédez qu'une espérance ; vous n'avez pas usé de votre droit ; vous devez, à l'avenir, respecter les droits de l'Etat, qui a besoin d'une zone de servitudes. »

Mais jamais je ne pourrais admettre que l'on puisse dire à celui qui a réalisé son droit et donné une destination légitime à la propriété qu'il occupe ou exploite : Votre bien est condamné désormais à périr, parce qu'une forteresse va naître dans votre voisinage.

Ici encore d'une manière irrécusable et sans réplique la Constitution protège les propriétaires dans les termes les plus formels.

Je rappelle quelques exemples invoqués dans mon premier discours, c'est un moulin en activité, un cabaret en exploitation depuis de longues années ; il faut fatalement que moulin et cabaret périssent, parce qu'on construit un fort à la distance de 500 mètres.

Pourquoi ne pas offrir tout au moins l'autorisation de réparer, le cas échéant, de reconstruire dans les mêmes conditions et dimensions ?

Une briqueterie est exploitée dans le voisinage d'une forteresse.

Pourquoi l'exploitation doit-elle cesser ? En quoi peut-elle nuire en temps de paix ?

J'ai cité un autre exemple ; c'est celui d'une maison construite jusqu'à la toiture au moment de la construction d'une forteresse, cette maison encore est condamnée à périr, on ne peut pas y placer un toit, n'est-ce pas une iniquité révoltante ? Ne devons-nous pas respecter religieusement tous les droits acquis ?

Il y a donc de nouvelles dispositions à décréter.

Je ne conçois vraiment pas comment, en 1862, le gouvernement belge ne trouve rien à proposer, même en faveur de ces propriétaires, alors qu'en 1854, dans un projet qui fut autographié et distribue, on admettait cette dernière thèse.

L'article 23 de ce projet disait :

« La défense de reconstruire en tout ou en partie des ouvrages d'art, des maisons, bâtiments, clôtures, etc. élevés à une époque où le fonds n'était pas grevé de la servitude donne lieu à indemnité. »

Dans la séance du 24 mai 1856 que j'ai rappelée l'honorable général Greindl disait que ce projet n'était pas assez large, qu'il voulait l'étudier et le mettre à la hauteur des idées qui s'étaient fait jour. Et en 1862, alors qu'en Hollande une loi consacre les principes les plus larges en cette matière, le gouvernement soutiendra qu'il n'y a rien à faire et que les propriétaires du voisinage des forteresses doivent subir les servitudes dans les termes rigoureux des lois actuelles ! (Interruption.)

Mais vous le soutenez même devant les tribunaux ; vous assignez en démolition ceux qui font des réparations solides à leurs bâtiments. L'autre jour, M. le ministre de la guerre s'est trompé en prétendant pour justifier sa rigueur qu'on avait exhaussé un bâtiment d'un étage et que de deux bâtiments on en avait fait un seul.

On n'a donné aucune extension au bâtiment. La hauteur a été diminuée, des fenêtres ont été placées dans un toit solidement construit. L'honorable ministre en demande la démolition sans présenter d'indemnité.

On veut donc exécuter rigoureusement la loi dont on exagère la portée ; jusqu'à présent du moins on a agi ainsi. Eh bien, je m'élève contre cette exécution rigoureuse et exorbitante ; et je trouve qu'elle suffit à justifier la pétition du conseil provincial d'Anvers.

Je le répète, il y a lieu de réviser la loi.

En 1856, on avait diminué aussi la zone en la réduisant pour l'enceinte à 300 mètres. Cette concession n'est-elle plus possible aujourd'hui et pourquoi ?

Voilà les trois points sur lesquels j'appellerai l'attention du gouvernement et de la Chambre. D'abord les prétendues servitudes intérieures ; l'indemnité en matière des servitudes extérieures ; le droit à réparer et à reconstruire et la question des zones.

L'honorable M. Pirmez disait hier : « Cette grande étendue de fortifications a été acceptée dans l'intérêt exclusif de la ville d'Anvers. On a dépensé 25 millions pour satisfaire l'ambition d'Anvers. »

Messieurs, nos documents parlementaires et nos discussions protestent hautement contre cette allégation.

Le rapport qui avait été fait lors de la demande de l'extension au Nord, en 1858, se terminait ainsi :

« Il résulte donc des considérations précédentes que l'agrandissement général, dans les limites oµ il est demandé, est indispensable :

« 1" Pour mettre la place à même de recevoir le personnel et le matériel qui y seraient dirigés en cas de guerre.

« 2° Pour utiliser toutes les forces disponibles dans la défense de la forteresse elle-même.

« 3° Pour dégager la zone défensive et rendre les travaux d'approche plus difficiles.

« 4° Pour soustraire les faubourgs à une destruction préventive ordonnée parla défense ou à celle qui résulterait de l'établissement des batteries ennemies.,

« Il y avait, en effet, dans les faubourgs 30,000 à 35,000 habitants et 3,000 à 3,500 maisons ; et pour faire voir que l'extension que l'on demandait pour les faubourgs n'avait pas seulement pour but de préserver l'intérêt privé, mais avait surtout un but d'intérêt général, vous me permettrez de vous lire quelques lignes du même rapport dans lesquelles il s'exprime sur la nécessité d'englober les faubourgs dans les fortifications ;

« Pour que le camp ait son maximum de valeur, il faut que l'enceinte actuelle reçoive un développement qui est également réclamé à d'autres points de vue.

« Anvers, comme place de refuge et base d'opérations de l'armée, est destinée à recevoir un personnel et un matériel considérable.

« Les dépôts régimentaires, les magasins, les poudrières, les principaux établissements de l'armée devront y être concentrés.

« Elle recueillera en outre les administrations communales et les grands corps de l’Etat.

(page 961) « L’enceinte actuelle est évidemment trop resserrée pour satisfaire à toutes ces nécessités ; d’un autre côté, en cas d’attaque régulière, la difficulté des travaux d'approche de l'ennemi serait singulièrement atténuée par les nombreuses constructions qui s'étendent depuis l'emplacement de la première parallèle jusqu'au pied du glacis. Ces constructions, à cause de leur importance et de la nature des matériaux dont ils se composent, ne pourraient être rasés en temps opportun. »

A cette époque on n'invoquait comme motif déterminant que l'intérêt général.

Dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1856, le gouvernement l'avait dit nettement :

« Parmi les considérations présentées pour justifier l'agrandissement, celles qui se rapportent aux grands intérêts maritimes et commerciaux viennent se placer en première ligne. Elles revêtent tous les caractères d'une question d'intérêt général qui est suffisamment comprise et appréciée.

« Les mêmes caractères s'attachent aux motifs énoncés dans le comité par les membres qui se sont appuyés sur des considérations militaires et politiques pour insister sur la nécessité d'augmenter le périmètre de l'enceinte qui constitue le réduit principal du système défensif d'Anvers. »

Nous voyons donc que le gouvernement considérait comme étant d'un intérêt général et les besoins de la défense et ceux du grand port maritime.

M. le ministre des finances, en termes assez clairs, me semble-t-il, conclut au statu quo. Je crois, pour ma part, que c'est un véritable déni de justice ; car il y a lieu de mettre nos lois sur les servitudes en harmonie avec notre Constitution et avec les principes de droit et d'équité souvent évoqués en Belgique et mis en pratique chez nos voisins.

Je terminerai, en rappelant une circonstance qui me frappe, en présence de cette opposition à laquelle je me suis peu attendu. En 1814, Carnot, gouverneur d'Anvers, eut à défendre la ville d'Anvers contre les Anglais. Le comité de défense de la ville décida que le faubourg de Borgerhout serait détruit.

Tous les habitants se réfugièrent en ville, et l'on allait mettre le feu â cet immense faubourg, les matières incendiaires étaient déjà préparées dans quelques maisons et dans l'église, lorsque Carnot s'opposa à la destruction, en jugeant que les avantages qui pouvaient en résulter ne valaient point ce cruel sacrifice.

Eh bien, messieurs, si au milieu de l'état de guerre, si à l'approche de l'ennemi, et malgré la décision d'une commission de défense, Carnot a conservé ce faubourg et a su donner l'exemple de la conciliation des intérêts civils et de ceux d'une suprême défense, je ne concevrais pas que dans notre Belgique, à une époque de progrès et au milieu des bienfaits de la paix, on ne prendrait pas à cœur les intérêts de notre grand port maritime de manière à concilier pleinement les devoirs du gouvernement en tout ce qui concerne la défense du pays avec les exigences des intérêts du commerce, avec la sécurité dont a besoin sa prospérité, et avec le respect de toutes les propriétés qui entourent la grande forteresse.

M. Coomans. - Messieurs, j'ai occupé une assez large place dans le discours de l'honorable ministre des finances pour que je demande à lui répondre quelques mots.

Je m'efforcerai d'être bref. Je m'attacherai à démontrer que les inconséquences que m'a reprochées l'honorable ministre sont absolument imaginaires, tandis que les siennes sont réelles.

Messieurs, toute cette affaire des fortifications d'Anvers, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, a été pleine de mystères et de réticences.

Quand elle se produisit pour la première fois dans une séance secrète de la Chambre il y a 13 ans, M. le ministre des finances nous avertit qu'il s'agissait seulement de construire en avant d'Anvers quelques petits forts à gorge ouverte et que la dépense totale ne dépasserait pas deux millions de francs.

Voilà l'œuf des fortifications. Vous savez tout ce qui en est sorti.

Plusieurs membres de cette assemblée, entre autres l'honorable M. Delfosse, s'émurent de cette petite communication faite d'une manière presque incidente, mais on réitéra la déclaration formelle que la dépense générale ne dépasserait pas deux millions de francs on assura que le salut public était à ce prix, et pour sauver la patrie nous passâmes outre.

Plus tard, en 1856, le gouvernement composé alors de mes amis politiques et à qui j'ai fait dans les questions militaires une opposition non moins vive qu'aux ministres qui siègent aujourd'hui sur ces bancs, le gouvernement vint nous proposer un agrandissement partiel d'Anvers au nord.

Je m'y opposai. Membre de la section centrale, je fis la motion formelle d'abandonner toutes les fortifications d'Anvers, d'émanciper cette ville et de lui laisser accomplir ses grandes destinées commerciales. Je fus réfuté plus ou moins et débouté.

Alors nous nous trouvâmes en section centrale devant deux projets : Le maintien de l'état de choses existant avec un léger agrandissement au nord, sans citadelle, ou bien le projet Keller qui offrait le double avantage d'affranchir de toutes servitudes la zone habitée, d'agrandir enfin Anvers et de ne coûter presque rien au trésor publie.

Quel fut alors le langage du gouvernement ? C'est que la grande enceinte était impossible, qu'on n'en voulait pas, que c'était une idée creuse, impraticable, chimérique..

Quand nous eûmes à voter, je votai contre la petite enceinte, dont je ne voulais pas, et d'accord avec les honorables MM. Rogier, Veydt et Goblet nous fîmes à l'unanimité la déclaration qu'on vous a lue et relue, à savoir que la grande enceinte, dans les conditions auxquelles j'ai fait allusion, était de beaucoup préférable à la petite. Je ne fus donc pas inconséquent dans la section centrale. Peu de temps après, le gouvernement nomma une grande commission militaire dans laquelle il eut la bonté de m'appeler contre mon attente avec trois collègues civils.

Quel fut encore une fois mon premier acte dans cette grande commission militaire ? Une proposition formelle d'abandonner toutes les fortifications d'Anvers, de les raser, et d'établir ailleurs le camp retranché.

Dans cette commission j'eus moins de succès encore que dans la section centrale. J'aurais dû m'y attendre. Je restai non pas seul, mais à peu près seul de mon avis.

La commission militaire examina l'enceinte restreinte et l'agrandissement général.

Il y eut toutes sortes d'avis sur les deux questions. Nous étions quinze, je crois, et je ne pense pas me tromper en affirmant, qu'on soutint sept ou huit thèses différentes.

En général, nous trouvâmes, nous défenseurs civils d'Anvers, chez les honorables officiers supérieurs, membres de la commission, un accueil assez favorable. Ils penchaient pour une grande enceinte.

Que fit alors le gouvernement ? '

Il nous défendit de nous réunir encore, et la commission cessa subitement ses travaux.

Après vint le projet de 1858, celui-là proposé par l'honorable M. Frère qui vient d'affirmer qu'il n'a pas cessé de se montrer très conséquent à l'endroit des fortifications d'Anvers.

Je me suis abstenu, dans mon premier discours, de dire que l'honorable ministre des finances d'aujourd’hui s'était prononcé contre la grande enceinte.

Puisqu'il m'y force par ses attaques, je vais vous prouver immédiatement que cet honorable ministre s'est prononcé contre la grande enceinte de la manière la plus formelle.

Dans la séance du 20 juillet 1858, l'honorable M. Frère prononça ces paroles :

« On l'examine (c'est-à-dire la grande enceinte) surtout quant aux dépenses qu'entraînerait l'extension sollicitée. Il en résulte que la charge qu'il faudrait s'imposer serait si considérable, que je ne crois pas qu'on trouve un ministère disposé à la proposer.

« Je dis : Le temps n'est pas venu de nous occuper de la grande enceinte. Et, en effet, n'est-ce pas un spectacle étrange, après les faits que j'ai cités, qui se sont passés, il y a si peu de temps, en 1855, en 1856, de voir qu'aujourd'hui l'on considère la grande enceinte comme une impérieuse nécessité ?

« A l'heure qu'il est, il n'y a pas de gouvernement qui accepte la responsabilité de proposer l'exécution de la grande enceinte comme devant donner satisfaction aux intérêts légitimes de la défense du pays.

« La grande enceinte et les plans que soumet aujourd'hui le gouvernement, tiennent à deux ordres d'idées entièrement différents.

« Le gouvernement vous déclare que son projet n'est pas un obstacle dans l'avenir à la réalisation de la grande enceinte ; il vous déclare que tous les travaux qu'il fera pourraient se concilier avec une grande enceinte. »

« Dans le système de la section centrale, il s'agit, en réalité, quoi qu'on en ait dit, d'enfermer l'armée dans la place et de la charger uniquement de garder cette position.

« Dans le système du gouvernement, l'armée doit jouer, dans le pays et pour le pays, le noble rôle qui lui est assigné. Si quelque jour il était nécessaire de combattre pour défendre ce que nous avons de plus cher... vous ne la réduiriez jamais à l'humiliation de fuir au plus vite pour aller s'enfermer dans une place de guerre et y attendre l'ennemi. »

C'était là le langage de l'honorable M. Frère en 1858, bien différent de son langage de 1859 et de 1562. Remarquez que son projet de 1858 ne. contenait pas la citadelle du Nord, déclarée aujourd'hui indispensable.

(page 962) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous savez bien que le projet proposé par le génie était d'une somme plus élevée.

M. Coomans. - La somme n'y fait rien. II n'en est pas moins vrai, que, le 29 juillet 1858, vous condamniez la grande enceinte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas du tout. Je vous ai cité l'exposé des motifs.

C'est un projet différent de celui qui a été adopté par la Chambre et qui ne s'élève qu'à 45 millions.

M. Comansµ. - Je cite vos paroles.

« Je ne crois pas qu'on trouverait un ministre disposé à le proposer. »

L'honorable ministre ajoutait :

« Je dis que le temps n'est pas venu de nous occuper de la grande enceinte.

« En effet n'est-ce pas un spectacle étrange, etc. »

L'opinion de M. le ministre était très clairement exprimée, voulez-vous que je rende tout doute impossible ? J'achèverai la preuve. M. le ministre affirmait que la grande et la petite enceinte tenaient à deux ordres d'idées entièrement différents.

Dans l'un ordre d'idées, il s'agissait de défendre Anvers, Anvers seulement ; dans l'autre ordre d'idées, il s'agissait de défendre le pays. (Interruption.)

- Un membre. - Vous pourriez lire d'autres extraits curieux.

M. Coomans. - Je ne continue pas les extraits du discours de l'honorable M. Frère, chacun pourra se livrer à cette lecture, fort intéressante du reste. A cette époque, dis-je, en août 1858, l'honorable M. Frère soutenait qu'il était inconvenant de supposer ici que l'on pût abandonner toute la Belgique pour se renfermer dans Anvers ; et il prétendait que voter pour la grande enceinte c'était voter pour la fuite (c'est le mot dont il s'est servi), pour la fuite de l'armée belge vers la grande enceinte, c'était voter l'abandon du pays.

L'honorable M. Frère, d'accord, du reste, avec l'honorable général Renard, disait que la grande enceinte était beaucoup trop vaste pour l'effectif de notre armée et que voter cette grande enceinte c'était voter pour la retraite immédiate et générale vers Anvers, retraite qualifiée de honteuse.

Ces considérations, développées par M. le ministre, avec le talent oratoire que nous lui connaissons tous, firent une grande impression sur la Chambre.

Mais, messieurs, j'ai à vous faire remarquer (chose que j'ai, affirmée déjà l'autre jour) qu'en août 1858, il n'était pas question encore de la grande citadelle. Il n'en avait pas été question en 1856, bien moins encore en 1849. Cette grande citadelle s'est greffée presque inopinément sur le dernier des divers projets que chaque ministère s'est attaché à préconiser. Il y a plus, messieurs ; cette grande citadelle déclarée aujourd'hui indispensable était jugée si peu telle par le ministère de MM. de Decker et Greindl que je ne crains pas d'affirmer que des membres de ce ministère, et pourquoi ne les nommerai-je pas ? l'honorable MM. de Decker et Nothomb m'ont eux-mêmes déclaré que jamais ils n'auraient proposé à la Chambre de construire la grande citadelle du Nord.

Messieurs, M. le ministre a parlé de patriotisme, et dans les termes les plus chaleureux ; mais laissons les grands mots de côté. (Interruption.) Le sentiment patriotique, messieurs, nous le possédons tous et au même degré ; nous voulons tous le salut de la Belgique, la prospérité et l'honneur de la Belgique.

Quand nous différons sur les moyens, c'est que nous nous plaçons à des points de vue différents. Vous pensez vous que la prospérité, l'honneur de la Belgique exigeaient que nous opposions une défense à outrance à l'ennemi, peut-être dix fois plus fort que nous, qui viendrait nous attaquer.

C'est un sentiment honorable ; mais si d'autres pensent, et je suis du nombre, qu'il n'est pas absolument nécessaire que les petits se montrent aussi forts que les grands, et que la défense soit soutenue à outrance, jusqu'au suicide, ceux-là peuvent très bien croire qu'il y a des dangers aussi grands, aussi sérieux et plus certains qu'une invasion du pays, qu'il y a des dangers financiers, réels, imminents, dont il importe de tenir compte. Je n'hésite pas à croire que l'énorme extension que nous avons donnée à nos dépenses militaires peut devenir un des plus grands dangers qui menacent la Belgique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Allons donc !

M. Coomans. - Il est impossible que la Belgique supporte longtemps encore, aussi longtemps qu'existeront les fortifications d'Anvers, l'énorme budget de 45 1/2 millions qui l'écrase aujourd'hui. (Interruption.)

On a dit encore que les fortifications existent en vertu d'une loi et qu'il faut respecter la loi.

Messieurs, je respecte les bonnes lois, mais je me borne à subir les mauvaises, je déclare que je ne professe pas de respect pour les mauvaises.

Je déplore la loi relative aux fortifications d'Anvers ; j'aurai encore l'occasion d'y revenir et d'engager de nouveau la Chambre à renoncer aux travaux entrepris.

- Plusieurs voix : Allons donc !

- Un membre. - Proposez-le.

M. Coomans. - Un dernier mot, messieurs. Malgré Vauban et malgré la loi, si je pouvais d'un souffle raser les fortifications d'Anvers et les envoyer aux Antipodes, chez les sauvages de la Nouvelle-Zélande (interruption), je n'hésiterais pas un seul instant, et je croirais avoir posé ainsi le plus grand acte de citoyen qui ait été accompli en Belgique. Vous le voyez, messieurs, dans toutes ces questions la solution dépend du point de vue où l'on se place.

M. Allard. - Vous voulez faire de nous un peuple d'eunuques.

M. Coomans. - Les vrais eunuques sont les morts.

M. Nothombµ. - Je demande à la Chambre la permission de dire deux mots seulement qui me sont inspirés par les paroles de M. le ministre des finances lorsque tout à l'heure il avançait que, dans le projet déposé en 1856, se trouvait la citadelle du Nord.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pardon, je n'ai pas exprimé cette pensée.

M. Nothombµ. - Je vous avais compris ainsi. J'avais cru entendre que, d'après M. le ministre, dans le projet de 1855, reproduit en 1856, figurait déjà parmi les travaux de fortification au nord d'Anvers la grande citadelle dont il a été tant question dans la discussion. Du reste, votre dénégation, M. le ministre, me satisfait complètement.

Je tiens toutefois à déclarer comme membre du cabinet de 1855 que la citadelle du Nord ne figurait nullement dans le projet déposé par mon honorable collègue de cette époque, M. le général Greindt. Il s'agissait simplement alors, pour protéger Anvers au nord, d'établir une batterie au Kattendyck. II y a eu alors une conférence entre les députés d'Anvers et le ministre de la guerre et il avait été bien convenu qu'il suffisait d'une batterie au Kattendyck pour commander le cours de l’Escaut et défendre l'approche d’Anvers par le fleuve. Mon collègue de la guerre s'était même engagé à examiner s'il ne serait pas possible d'éloigner davantage encore cette batterie d'Anvers.

J'affirme donc, pour maintenir la vérité historique, que, ni moi, ni aucun de mes collègues nous n'avons jamais ouï parler de la grande citadelle du Nord que nous n'avons ni voulue, ni proposée.

J'ai consulté mes anciens collègues sur ce point, notamment l'honorable M. de Decker, et ses souvenirs concordent parfaitement avec les miens.

Il m'importait de donner cette explication ; à chacun ses œuvres !

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant m'a évidemment mal compris ; j'ai signalé qu'à une époque antérieure à 1856, des travaux de fortification au nord d'Anvers avaient été signalés comme utiles, qu'une citadelle avait été indiquée, qu'alors des pétitions avaient été adressées à la Chambre et au Sénat contre ces travaux ; je n'ai pas prétendu que l'honorable membre, qui faisait alors partie du cabinet, ait fait une proposition à cette époque ; j'ai même indiqué la date précise de la production du plan Keller (5 octobre 1858), dans lequel on justifia l'établissement de la citadelle du Nord comme condition absolue de l'exécution de la grande enceinte, comme étant le réduit nécessaire de la grande enceinte.

Je ne veux pas rectifier les allégations de l'honorable M. Coomans, je n'y'attache pas la moindre importance ; il a repris le premier plan des fortifications d'Anvers de 1848, et il a refait une petite histoire qu'il avait déjà éditée dans cette Chambre, et à laquelle j'avais déjà répondu lors des communications faites en comité secret relativement à des travaux qui s'exécutaient. J'ai réfuté tout cela, je n'y reviendrai pas.

L'honorable M. Coomans veut me mettre en contradiction avec moi-même en prenant quelques lambeaux de l'un de mes discours qu'un ami complaisant lui a communiqué. Je lui démontrerai qu'en combattant la grande enceinte, en 1858, je combattais une enceinte déterminée, tracée dans des conditions précises, et qui était critiquée au point de vue militaire comme au point de vue financier, car il eût imposé de très lourdes charges au pays ; mais on ne combattait pas la grande enceinte dans les conditions où elle a été admise ; c'est ce que j'ai démontré dans l'exposé des motifs de 1858, dont j'ai lu l'introduction au début de cette séance.

Puisque j'ai la parole, je dirai deux mots en réponse à l'honorable M, Vervoort.

(page 963) Il s'est attaché à démontrer que le gouvernement aurait déclaré, de la manière la plus absolue, qu'en fait de servitudes militaires, il n'y avait rien à faire, qu'il fallait s'arrêter devant cette déclaration. Le gouvernement n'a rien dit de semblable ; il a discuté la question qui fait l'objet des préoccupations des pétitionnaires, l'établissement de la citadelle du Nord et l'établissement des servitudes ; sur ces deux points, il a donné les explications les plus précises, les plus catégoriques. Quant aux autres points, il n'avait pas à s'en occuper ; ils ne sont pas à l'ordre du jour. La servitude intérieure, nous en avons dit quelques mots, mais ces questions ne sont pas soumises à la Chambre.

- Un membre. - Des pétitions ont été envoyées qui en parlent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quand la Chambre sera saisie du rapport nous verrons.

- Un membre. - Elles sont connues.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous nous sommes occupés de ce qui fait l'objet des préoccupations d'Anvers. Personne n'a prétendu qu'il n'y eût pas lieu d'apporter quelques modifications à la loi sur les servitudes militaires ; le contraire résulte clairement des explications données par M. le ministre de la guerre dans une lettre qu'il a écrite au bourgmestre d'Anvers.

Si l'on veut proposer, a-t-il dit, une modification à la loi en ce qui touche la réduction de la zone de servitude, jusqu'au Vosse-Schyn, je ne m'y oppose pas.

La question reste donc tout entière dans le domaine du gouvernement. Mais ce n'est pas en présence de ce qui s'est passé que le gouvernement fera une proposition. Ce qui prouve ses dispositions conciliantes, c'est qu'il y a des projets élaborés depuis 1854. Ces projets seront présentés en temps opportun. Quant à la question principale, nous avons dit notre pensée, nous croyons qu'il n'y a pas lieu à indemnité. (Aux voix, aux voix.)

M. B. Dumortier. - Je ne veux pas laisser clore la discussion sans protester contre la prétention que le gouvernement énonce d'avoir un droit de servitude militaire dans la partie bâtie des villes. Si nous nous taisions, on pourrait croire que nous avons acquiescé quand le ministre des finances est venu dire : Oui, nous avons ce droit, cela n'est pas contestable.

Je lui réponds : C'est très contestable, vous ne l'avez pas ce droit, vous n'avez point prouvé que vous l'ayez ! En effet, qu'a dit le ministre pour établir ce droit ? Il a cité une ordonnance française de 1821 ; remarquez qu'une ordonnance semblable n'a aucune espèce de valeur en Belgique ; elle prouve même que le droit invoqué n'existait pas en vertu de la loi, puisqu'il a fallu qu'on rendît cette ordonnance en France pour l'établir.

Depuis que la loi de 1791 existe, c'est-à-dire depuis 70 ans, aucun gouvernement n'a eu la prétention, en Belgique, d'avoir des servitudes militaires dans la partie agglomérée des villes. Si des contestations à cet égard se présentent, dit M. le ministre des finances, c'est aux tribunaux à décider.

Je dis non, c'est aux Chambres ; les tribunaux ne peuvent examiner que les cas qui leur sont soumis, et l'interprétation par voie d'autorité ne peut venir qu'ensuite ; mais c'est à la Chambre qu'il appartient de juger comment les lois sont exécutées. Si une contestation était portée devant la justice, je ne veux pas qu'il soit dit que sur les paroles prononcées par le ministre des finances la Chambre s'est tue.

M. Vervoort. - Je n'ai pas dit que le gouvernements avait déclaré formellement qu'il n'y a rien à faire, mais qu'il résulte du discours de l'honorable ministre des finances, que le gouvernement paraît décidé à ne point proposer de modification à la législation actuelle.

M. le ministre vient de dire que telle n'était pas l'intention du gouvernement ; je lui demanderai s'il accepte le renvoi des pétitions au gouvernement avec demande d'explications.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il va de soi que nous n'avons aucune espèce de motif pour repousser le renvoi proposé, même avec demande d'explications, quoique ces explications viennent d'être données. (Interruption.)

Nous ne voulons pas établir un débat sur ce point ; nous redonnerons les explications.

M. Van Humbeeck, rapporteurµ. - M. le ministre des finances, tout en acceptant le renvoi même avec demande d'explications, vient de dire que les explications données avaient satisfait entièrement aux conclusions de la commission ; c'est une erreur ; il y a plusieurs points qui ont été traités dans le rapport et dont il n'a pas été dit un mot dans la discussion publique, tandis qu'on a parlé de beaucoup de choses dont le rapport ne s'était pas occupé.

Je maintiens les conclusions de la commission et en présence de la déclaration de M. le ministre des finances, je ne crois pas devoir démontrer que ces conclusions ont encore un objet. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - La commission propose le renvoi des pétitions à MM." les ministres de la guerre, des finances et de la justice avec demande d'explications.

Il est entendu que les pétitions déposées sur le bureau pendant la discussion, seront jointes à celles qui ont été l'objet du rapport de la commission.

- Le renvoi de toutes ces pétitions aux ministres de la guerre, des finances et de la justice avec demande d'explications est ordonné.

Proposition de loi relative aux servitudes militaires

Développements

M. le président. - Le second objet à l'ordre du jour est les développements de la proposition de loi se rattachant à la discussion qui vient de se terminer.

La parole est à M. de Boe.

M. de Boe. - Les développements de ma proposition de loi sont en partie dans le discours que j'ai prononcé la semaine dernière, et je prierai la Chambre de fixer ultérieurement le jour où il sera statué sur la prise en considération de cette proposition. Nous avons besoin de nous consulter. Je dois savoir quelles sont les dispositions de la Chambre. Il n'y a pas d'inconvénient à mettre cet objet à la suite de ceux qui sont à l'ordre du jour.

-- La Chambre décide que la discussion sur la prise en considération de la proposition de M. de Boe sera mise à la suite de l'ordre du jour.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.