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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 avril 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1141) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séanceµ.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des membres du conseil communal et industriels à Marchienne-au-Pont demandent qu'il soit pris une mesure pour séparer les sexes et fixer la limite d'âge et la durée du travail des enfants dans les manufactures et surtout dans les houillères. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Desmet demande un congé de six mois pour son fils Josse, milicien de la classe de 1860. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, les demandes en obtention de la naturalisation ordinaire, présentées par les sieurs Bilharz (Oscar), ingénieur des mines à Moresnet et Berringer (N.-J.-A.), employé à l'administration des chemins de fer de l'Etat, à Ans. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. F. Fay fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de sa notice nécrologique sur M. le baron Seutin. »

- Dépôt à la bibliothèque.


MpVµ. - M. Thibaut, dont la mère est gravement malade, demande un congé de quelques jours.

- Accordé.

Projet de loi proposant de rendre permanente la loi sur les concessions de péages

Rapport de la section centrale

M. Loos présente ira rapport sur le projet de loi ayant pour but de rendre permanente la loi temporaire du 12 juillet 1832 sur les concessions de péages.

- Ce rapport sera imprimé et distribué ; le projet de loi sera mis à la suite de l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la chambre

M. Kervyn de Lettenhoveµ (pour une motion d’ordre). - Avant d'aborder une discussion dont il est difficile de présager la durée, je désirerais profiter de la présence de M. le ministre de la guerre pour lui demander s'il compte présenter bientôt un projet de loi annoncé solennellement et en première ligne au commencement de la session.

Déjà la même interpellation a été adressée à M. le ministre de la guerre, au sein du Sénat, mais il n'y a été fait qu'une réponse assez vague et assez peu satisfaisante : M. le ministre s'est borné à déclarer qu'on se livrait à un examen sérieux.

Aujourd'hui sans doute, M. le ministre pourra nous dire quelque chose de plus, et j'espère qu'il voudra bien nous apprendre que ce projet de loi sera déposé sur le bureau de la Chambre après les prochaines vacances de Pâques.

Dans un moment où les questions militaires soulèvent une assez vive agitation, il serait d'une bonne politique de corriger (ce sont les termes mêmes dont s'est servi le discours de la couronne) les vices du système actuel des lois sur la milice et d'assurer une équitable compensation à ceux qui ont embrassé le noble métier des armes. Ce serait donner à la fois un gage de sollicitude aux intérêts les plus respectables du pays et aux intérêts non moins légitimes de l'armée.

MiVµ. - Bien que l'interpellation soit adressée à mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, je crois qu'il m'appartient d'y répondre, attendu qu'il s'agit d'un objet rentrant dans mes attributions.

J'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre que le projet de loi sur la milice serait présenté aussitôt que possible.

Je crois pouvoir confirmer, aujourd'hui, l'espèce d'engagement que j'ai pris, en disant que probablement ce projet pourra être présenté après les vacances de Pâques.


M. de Gottal (pour une motion d’ordre). - Dans la séance d'hier, la Chambre a décidé que l'on commencerait aujourd'hui la discussion du projet de loi relatif aux avantages à accorder à la compagnie Pauwels. M. le ministre des finances nous a dit qu'à cette occasion les membres qui le voudraient pourraient soulever dans cette enceinte les réclamations qui nous sont venues d'Anvers. Pour ma part, je ne puis, encore une fois, accepter cette manière de procéder, contre laquelle j'ai déjà protesté dans une séance précédente.

Ce n'est pas d'une manière incidente que, selon moi, les réclamations venues d'Anvers doivent être examinées. Je crois que nous aurons à les examiner plus sérieusement quand cet objet sera mis à l'ordre du jour. Je n'entends pas refuser le débat, et quand le jour sera venu, je serai prêt à défendre en tout ou en partie les réclamations d'Anvers.

Du reste, messieurs, comme le retard apporté dans l'envoi de la pétition du conseil communal d'Anvers ne peut cependant pas suspendre indéfiniment la discussion de cette question, j'aurai l'honneur de proposer à la Chambre de fixer comme premier objet à son ordre du jour de la séance du premier vendredi après les vacances de Pâques, la discussion des pétitions d'Anvers. Si je ne demande pas que cette discussion ait lieu le jour ou le lendemain de notre rentrée, c'est parce que des pétitions peuvent être adressées à la Chambre pendant les vacances et que la commission des pétitions n'aurait pas eu l'occasion de se réunir et de préparer son rapport sur ces pétitions, afin de le présenter à la Chambre en même temps que ceux sur les pétitions de même nature qui lui ont été renvoyées.

L'adoption de ma proposition laissera libre tout le monde de parler, à propos du projet de loi en discussion, de tout et d'autre chose encore, mais cela n'empêchera pas que les pétitions d'Anvers soient examinées à fond quand la Chambre les aura placées à son ordre du jour.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne comprends pas l'espèce de protestation de l'honorable M. de Gottal ; nous avons dit que la discussion du projet de loi ne pouvait pas être retardée sous prétexte d'une solution à donner aux questions soulevées par les pétitions émanées de (page 1142) la ville d'Anvers ; j'ai ajouté que ce projet avant rapport aux fortifications, les membres de l'assemblée auraient le droit d'agiter à ce propos telle question, de soumettre telle proposition qu'ils jugeraient convenable.

L'honorable membre a combattu cette manière de voir, parce que, selon lui, une question était liée à l'autre ; la motion de l'honorable membre prouve que j'avais raison hier ; il renonce à discuter dès maintenant les questions que soulèvent les pétitions, nous n'avons pas la moindre raison pour nous y opposer ; nous attendrons la discussion du rapport qui sera présenté à la Chambre à propos de ces pétitions.

M. de Gottal. - M. le ministre sans doute ne m'a pas compris. Pour ma part je n'accepte pas le reproche de contradiction qu'il m'adresse. Si j'ai protesté, c'est contre ce qui s'est passé dans une discussion récente sur la question d'indemnité, où l'on s'est longuement étendu sur des objets qui y étaient entièrement étrangers.

La question d'indemnité a été noyée dans une question qui n'était pas soumise à la Chambre. Voilà ce que je crains de voir se renouveler aujourd'hui.

Je ne demande pas cependant que le débat soit entièrement réservé ; tout le monde conservera son droit de soulever toutes les questions qui lui paraîtront s'y rapporter, mais je demande que la Chambre ajourne les pétitions pour qu'elles soient l'objet d'une discussion spéciale.

MpVµ. - Pour dégager la discussion actuelle de la question des pétitions venues d'Anvers, M. de Gottal propose que la discussion relative à ces pétitions soit remise au premier vendredi après les vacances de Pâques.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne peut pas limiter le débat ; tout le monde pourra, dans la discussion, parler des questions soulevées par les pétitions d'Anvers.

M. de Gottal. - Je l'ai répété deux fois.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On dit que pour dégager la discussion actuelle des questions soulevées par les pétitions d'Anvers, on propose de fixer un jour pour la discussion de ces pétitions. Je dis qu'on peut fixer un jour pour cette discussion, mais non limiter le champ de la discussion du projet de loi que nous allons aborder.

M. Gobletµ. - J'avais demandé la parole pour faire l'observation que vient de présenter M. le ministre des finances.

- La proposition de M. de Gottal de fixer au premier vendredi après les vacances de Pâques, la discussion des pétitions d'Anvers est mise aux voix et adoptée.

M. Van Humbeeckµ (pour une motion d’ordre). - Je demande à la Chambre la permission de l'entretenir un instant d'un objet étranger à son ordre du jour.

D'après une disposition votée dans la session dernière, la loi sur l'enseignement supérieur doit être révisée avant la dernière session des jurys d'examen, c'est-à-dire avant le mois de juillet. Aucun projet de révision n'a encore été déposé.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il ne serait pas possible de déposer ce projet avant que la Chambre s'ajourne.

On pourrait dans ce cas l'étudier pendant les vacances et le discuter en sections au lendemain de notre rentrée. Si au contraire ce projet n'est déposé qu'après les vacances, le fût-il au jour même de notre rentrée, il faudra laisser passer quelque temps avant de commencer la discussion en section ; nous arriverons ainsi au milieu du mois de mai ; il ne nous restera alors que six semaines pour la discussion en sections, pour la discussion en section centrale, pour le discuter et le voter en séance publique, le transmettre au Sénat, le faire discuter et voter par cette assemblée ; nous nous trouverons en présence d'un temps trop court, nous serons obligés de proroger le système actuel avec ses inconvénients, je verrais avec peine que la Chambre fût mise dans cette nécessité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le projet de loi sur les jurys d'examen est préparé ; il manque seulement quelques documents pour compléter les pièces à l'appui de ce projet ; si je les recevais en temps utile et si je me trouvais ainsi dans la possibilité de déposer le projet avant les vacances de Pâques, je serais heureux de le faire ; mais je crains que ce ne soit pas possible.

Dans tous les cas j'espère que je pourrai déposer le projet immédiatement après la rentrée. Si la Chambre le permet, je pourrai, le cas échéant, faire imprimer les pièces de manière qu'elles puissent être distribuées immédiatement aux membres de la Chambre.

M. Van Humbeeckµ. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur de ses bonnes intentions, dont je n'avais, d'ailleurs, jamais douté. J'espère que la Chambre acceptera l’offre par laquelle M. le ministre a terminé sa réponse,

Le moyen est excellent pour éviter le retard que je redoutais.

M. Devaux. - Il est possible que ma mémoire ne soit pas fidèle, mais je croyais que la loi actuelle s'étendait jusqu'à la fin de l'année.

M. Van Humbeeckµ. - Jusqu'à la deuxième session.

M. Devaux. - Inclusivement ?

M. Van Humbeeckµ. - Voici ce que porte la loi : « La loi sera révisée avant la deuxième session de 1862. »


M. de Gottal. - Je remercie la Chambre d'avoir accueilli la proposition que j'ai eu l'honneur de lui faire.

Je pense qu'il entre dans ses intentions d'examiner sérieusement les réclamations qui nous sont soumises.

Or, messieurs, en 1859, une commission d'officiers, présidée par M. le ministre de la guerre lui-même, a examiné la question des fortifications et le projet de grande enceinte ; je désirerais que les procès-verbaux de cette commission fussent déposés sur le bureau, et je pense que M. le ministre de la guerre ne verra aucune difficulté à faire cette communication.

MgCµ. - La communication de ces procès-verbaux a déjà été demandée ; et la Chambre a accepté les motifs de refus que le gouvernement a fait valoir. Je pense donc qu'il n'y a pas lieu de revenir aujourd'hui sur cette question.

M. de Gottal. - Il est possible que je me trompe, mais je pense qu'il y a erreur de la part du gouvernement, car si mes souvenirs sont exacts la communication des mêmes procès-verbaux a été offerte à la section centrale qui a examiné le projet de loi de travaux d'utilité publique ; le gouvernement, dans la lettre par laquelle il offrait cette communication, disait qu'il tenait les procès-verbaux à la disposition de tous les membres de la législature.

Je ne comprends donc pas aujourd'hui l'opposition que rencontre ma proposition.

M. le ministre des finances nous a dit dernièrement qu'un des motifs principaux pour lesquels le gouvernement s'est rallié au projet de grande enceinte après l'avoir combattu, c'est que dans le projet nouveau figurait la citadelle du Nord contre laquelle s'élèvent aujourd'hui les réclamations.

La commission d'officiers réunie en 1859, qui s'est décidée pour le système actuel, doit s'être occupée de cette question de la citadelle du Nord. II est du plus grand intérêt pour nous de nous renseigner par l'opinion des hommes les plus compétents, et il n'y a pas lieu de refuser aujourd'hui ce qu'on offrait d'une manière si bienveillante en 1539.

Je maintiens en conséquence ma proposition.

M. Gobletµ. - Messieurs, je ne comprends pas que le gouvernement repousse la proposition de l'honorable M. de Gottal dans des termes aussi dédaigneux et aussi concis.

L'honorable ministre de la guerre s'est fondé sur une décision antérieure de la Chambre et a cru devoir supposer que la Chambre ne pouvait pas revenir sur une opinion semblable. Je crois que ces sortes de décisions peuvent être infirmées, sans qu'en quoi que ce soit la responsabilité de la Chambre en souffre, et si un jour il ne lui convient pas de demander une communication de pièces, il est parfaitement loisible à l'assemblée de la demander le lendemain.

Messieurs, dans la situation où nous nous trouvons relativement aux fortifications d'Anvers, ce n'est plus avec les mystères, avec les cachoteries qu'on apaisera l'opinion publique. Il faut que la représentation nationale, le pays sachent tout. Il faut que nous soyons instruits de ces prétendus grands secrets que l'on nous cache sans nous donner aucune bonne ni excellente raison.

MgCµ. - Messieurs, pendant la discussion qui va s'ouvrir, les membres de cette assemblée qui ont des doutes sur la valeur de certaines parties des fortifications d'Anvers, pourront me demander toutes les explications qu'ils jugeront nécessaires. Mais la Chambre comprendra que j'éprouve une certaine répugnance à déposer des documents qui, lorsqu'ils sont une fois délivrés, ne peuvent plus rester secrets.

Ces documents résument notre système de défense, et tous les débats qui ont eu lion sur la valeur de chaque pièce de la fortification d'Anvers. Je crois donc qu'il y aurait des inconvénients à satisfaire à la demande qui m'est faite.

Lorsque j'aurai fourni les renseignements qui m'auront été demandés, si je n'étais pas parvenu à dissiper tous les doutes, il me resterait à proposer à la Chambre de vouloir bien se rendre sur les lieux, où le ministre de la guerre et les officiers du génie se feraient un devoir d'expliquer les points critiqués ou incompris.

Je suis convaincu que quand les membres de la Chambre auraient vu (page 1143) les travaux et la manière dont ils sont exécutés, il n'y aurait plus d'opposition aux fortifications d'Anvers.

Je ne prétends pas, d'ailleurs, que la Chambre ne puisse pas se déjuger ; si, après avoir refusé une première fois de faire déposer les procès-verbaux, elle exige qu'on les dépose, incontestablement je ne puis m'y opposer ; mais j'ai fait valoir les motifs pour lesquels il serait prudent de ne pas effectuer ce dépôt.

La Chambre appréciera.

MpVµ. - Voici la proposition déposée par M. de Gottal :

« Je propose à la Chambre d’ordonner le dépôt sur le bureau des procès-verbaux des séances de la commission d’officiers supérieurs présidée par M. le ministre de la guerre en 1859 pour le système de défense nationale et les fortifications d’Anvers. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il y a probablement erreur dans la motion telle qu'elle est formulée. On demande à la Chambre d'ordonner le dépôt de ces pièces.

M. Coomans. - De prier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'ordonner.

M. Coomans. - Moi, je dis prier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Chambre peut demander incontestablement le dépôt de ces pièces, mais l'ordonner, cela me paraît singulier.

Messieurs, lorsqu'il a été question de voter le projet de loi relatif aux fortifications d'Anvers, la Chambre, paraît-il, a déjà pris une résolution à ce sujet dans d'autres circonstances, elle n'a pas jugé convenable d'adopter de semblables motions.

Pourquoi la Chambre n'a-t-elle pas admis de telles motions ? Parce que le gouvernement, usant de son droit, et je dirai plus, remplissant un de ses devoirs les plus impérieux, a dit à la Chambre :

De pareilles communications ne se font dans aucun pays ; on n'a jamais, dans aucune assemblée, présenté des motions de ce genre, ou, si elles ont été faites, elles n'ont pas été accueillies. Vous avez pu en voir récemment un exemple dans les discussions du parlement anglais ; d'ailleurs, de tels exemples ne manquent pas. Une communication de pièces est demandée au gouvernement ; si le gouvernement déclare que l'intérêt public, que l'intérêt du pays s'oppose à ce que la communication ait lieu, on n'insiste pas. Cela va de soi.

En effet, messieurs, il est bien évident que certains documents d'une nature toute particulière, comme le sont les procès-verbaux dont il s'agit, ne pourraient, sans de graves inconvénients pour le pays, être livrés à la publicité.

Tout le monde doit le reconnaître. On ne peut pas demander qu'on livre le département des affaires étrangères, par exemple, à une publicité sans restriction.

On peut demander communication de certains documents ; si le gouvernement n'y trouve pas d'inconvénient, il les dépose ; s'il y voit de l'inconvénient, il le déclare, et la motion est retirée.

J'engage donc les honorables membres qui ont fait ou appuyé la proposition, à ne pas insister.

M. de Gottal. - Je demande la parole.

MpVµ. - La Chambre s'oppose-t-elle à ce que M. de Gottal prenne la parole pour h troisième fois ?... Personne ne s'y opposant, la parole est à M. de Gottal.

M. de Gottal. - Messieurs, je viens de faire demander à la bibliothèque les pièces qui ont été imprimées par ordre de la Chambre, dans la session extraordinaire de 1859. Je pourrai tout à l'heure établir d'une manière certaine ce que j'ai avancé.

M. le ministre des finances vient de rappeler à la Chambre qu'elle a pris une décision sur une motion identique en 1859.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit qu'on avait rappelé, mais je n'ai pas invoqué un souvenir personnel.

M. de Gottal. - Vous avez rappelé ce qu'a dit M. le ministre de la guerre. Le gouvernement déclare donc que la Chambre a pris une décision en 1859 ; je crois que sur ce point le gouvernement est dans l'erreur ; je m'en assurerai tout à l'heure par l'inspection du document que j'ai fait demander à la bibliothèque ; en attendant, je crois pouvoir affirmer que M. le ministre de la guerre a offert à la section centrale, dont je faisais partie, de laisser prendre communication dans ses bureaux, il est vrai, des procès-verbaux des différentes séances tenues par les commissions qui avaient examiné cette affaire.

Or, si cette communication est une chose indifférente aux yeux de M. le ministre de la guerre, elle ne l'est pas aux yeux de M. le ministre des finances qui vient déclarer qu'il y a un immense danger à livrer ces documents à la publicité. Je ne pense pas que le dépôt sur le bureau soit une publication. Si les pièces sont déposées, ce ne sont que les membres de la Chambre qui en prendront connaissance, tout comme ils auraient pu en prendre connaissance dans le cabinet de M. le ministre de la guerre.

Du reste, on a parlé hier de la dignité de la Chambre. Eh bien, c'est au nom de cette dignité que je ne puis pas adopter l'offre de M. le ministre de la guerre. Il ne peut pas convenir à la Chambre d'aller prendre connaissance de pièces dans les bureaux des ministères ; la Chambre examine si certaines pièces lui sont nécessaires pour examiner les affaires, et en demande communication.

Il y a trois ans, M. le ministre de la guerre, si mes souvenirs ne me trompent pas, a offert de nous communiquer ces documents ; il n'existe aucun motif pour nous en refuser la communication aujourd'hui ; il n'y a pas là de secret d'Etat.

Je doute même que dans la commission on ait discuté tous les plans et faces qui ont été faits bien longtemps après que la commission avait examiné l'affaire. Ce qu'elle a discuté, c'est la question de savoir si l'on adopterait le système de la grande enceinte ou celui de la petite enceinte. Quant à la proposition faite à la Chambre par M. le ministre de la guerre, d'aller visiter les travaux d'Anvers, il me semble qu'elle n'est pas sérieuse ; on a contesté notre compétence dans la discussion sur le système même, et aujourd'hui on nous convie à aller examiner des travaux de terrassement et de maçonnerie !

Je crois donc que, dans cette affaire, la Chambre n'a pas à s'arrêter à pareille offre, et que dans tous les cas elle ne peut avoir d'influence sur la question que nous avons à examiner.

M. Coomans. - Messieurs, d'après le gouvernement, il y aurait, dans les procès-verbaux demandés, des secrets d'Etat dont la divulgation serait dangereuse pour la sécurité du pays.

S'il en était ainsi, aucun de nous n'insisterait sur le dépôt des procès-verbaux.

Si d'honorables membres insistent, c'est qu'ils ne croient pas à l'existence de ces secrets d'Etat.

Pour moi, il me sied un peu d'en parler. J'ai été membre de plusieurs de ces grandes commissions militaires et maritimes, et je déclare en conscience que je n'y ai jamais aperçu l'ombre d'un secret d'Etat.

Je crois qu'il n'y a pas de gouvernement étranger assez sot, assez prodigue pour vous donner 10 centimes pour l'exhibition de ces prétendus secrets.

Il faut donc que le gouvernement ait une autre raison de s'opposer à la demande de l'honorable membre. Cette raison, je dois dire ce qu'elle est ,à mon sens ; la voici : les membres de ces commissions ont été très rarement d'accord, ils ont émis les vues les plus opposées, les opinions les plus contraires.

Il est rare qu'on soit parvenu à obtenir sur l'un ou l'autre point une majorité un peu respectable.

Si donc les procès-verbaux nous étaient montrés, nous pourrions voir que les points que l'on veut nous faire admettre ici comme évangile, comme les choses les plus incontestables, ont été très contestées par les hommes dont la compétence est incontestable. Il serait assez important pour nous, au point de vue de la réplique au gouvernement, de pouvoir nous appuyer publiquement sur les opinions d'honorables militaires.

C'est pourquoi je désire, quoique je sois désintéressé dans la question, que la Chambre reçoive communication de ces procès-verbaux.

A ce propos, j'invoquerai un précédent. Sous le ministère de mon honorable ami, M. de Decker, une grande commission maritime a été instituée. Elle a tenu beaucoup de séances, S. A. R. le Comte de Flandre présent ; elle a discuté toutes les questions qui se rattachent à la défense nationale centralisée à Anvers.

Je suppose, si secret d'Etat il y a, qu'il y en a tout autant dans ces procès-verbaux que dans les autres.

Cependant le ministère de 1856 n'a pas hésité à publier au Moniteur tous les procès-verbaux de la commission maritime, laquelle commission, soit dit entre parenthèse, composée d'hommes très compétents, excepté l'honorable M. Orts et moi, moi surtout, a décidé à l'unanimité, moins les deux voix susdites, que tout ce que l'on faisait à Anvers était complètement inutile, si nous n'avions pas une marine militaire.

Eh bien, messieurs, ces conclusions ont figuré en toutes lettres au Moniteur.

Je soumets ces observations à la Chambre qui appréciera.

Je le répète, je ne tiens pas personnellement au dépôt de ces procès-verbaux. Je les connais, j'en suis partiellement l'auteur, mais je serais heureux de pouvoir m'appuyer publiquement sur certains témoignages (page 1144) qui s'y trouvent consignés et qui démontreront les nombreuses variations des hommes pratiques et politiques à l'endroit des fortifications d'Anvers.

MgCµ. - L'honorable M. Coomans nous dit qu'il a fait partie de commissions militaires et que dans ces commissions il n'y a pas eu le moindre secret et qu'il n'y aurait aucun inconvénient à divulguer ce qui s'y est passé.

Je comprends très bien que quand des commissions sont réunies pour traiter des questions de principe par exemple, il n'y a pas de secret dans leurs délibérations ; mais lorsqu'une grande commission militaire, composée d'hommes spéciaux, est réunie pour examiner un système particulier de défense, un nouveau système de fortifications, il est évident qu'il y a un certain intérêt à ne pas divulguer les discussions qui ont eu lieu, alors surtout que le temps et la réflexion ont fait disparaître, dans l'esprit des dissidents, la plupart des objections qu'ils avaient faites sur des points imparfaitement étudiés.

C'est ce qui se présente dans toutes les commissions ; je dirai même que dans la commission des 27 membres militaires qui ont examiné la question d'Anvers, il y a eu plusieurs officiers qui ont fait opposition au nouveau système de fortifications adopté parce qu'ils ne le connaissaient pas complètement.

Et aujourd’hui plusieurs de ces officiers sont complètement revenus de leur opinion et se montrent même les partisans les plus prononcés du système.

Ainsi donc, messieurs, si l'on déposait les procès-verbaux, on n'y puiserait qu'une idée très erronée des opinions des officiers qui ont discuté la question.

Je demande donc à la Chambre de ne pas exiger ce dépôt. Je le demande dans l'intérêt de la chose publique ; car je n'ai pas d'autre intérêt que celui-là ; je prie la Chambre de le croire.

MpVµ - La Chambre consent-elle à ce que M. de Gottal complète son discours par une citation ?

M. Devaux. - Il n'y a donc plus de règlement ? On parle trois, quatre fois sur une même question.

M. de Gottal. - Vous n'observez guère plus le règlement en prenant la parole sans l'avoir obtenue, ni même demandée.

M. Devaux. - On se borne à demander si la Chambre ne s'oppose pas.

MpVµ. - La Chambre est consultée. Elle peut ne point consentir à la demande qui lui est adressée.

Y a-t-il quelque opposition à ce que M. de Gottal prenne encore la parole ?

M. de Gottal. - Je désire simplement donner lecture de ce que M. le ministre de la guerre a écrit en 1859,, pour prouver que tout ce que j'ai avancé jusqu'à présent sont des faits parfaitement positifs ; tandis que tout ce que dit le gouvernement au sujet des votes qui auraient été émis ne sont que des allégations erronées.

Voici, en effet, ce que disait M. le ministre de la guerre en 1859, quant aux procès-verbaux dont je demande le dépôt :

« Quant aux volumineux procès-verbaux de la commission, aux notes, mémoires et rapports remis par des membres, je ne puis que renouveler mon offre de les communiquer dans mon cabinet aux membres de la législature qui désireraient en prendre communication. Je me ferai en même temps un plaisir de leur donner sur ces documents toutes les explications qu'ils pourront désirer. »

Vous le voyez, à cette époque, ce ne sont pas seulement les procès-verbaux que le ministre de la guerre mettait à la disposition de la Chambre, ce sont même les notes, des mémoires des membres, et aujourd'hui on refuse cette communication.

J'ai suffisamment développé les motifs qui me l'ont fait demander, et je ne conçois plus ce refus après que M. le ministre de la guerre vient de déclarer qu'il n'y a aucun secret d'Etat dans ces procès-verbaux, en conséquence aucun inconvénient à les déposer sur le bureau de la Chambre. (Interruption.) Je maintiens donc ma proposition.

MpVµ. - Si personne ne demande plus la parole, je vais mettre aux voix la proposition de M. de Gottal.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

92 membres y prennent part.

27 membres votent pour :

65 membres votent contre.

En conséquence, la Chambre rejette.

Ont voté pour la proposition : MM Faignart, Goblet, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Laubry, Loos, Mouton. Nothomb, Rodenbach, Snoy, Thienpont, Van Bockel, Vander Donckt, Van Humbeeck, Carlier, Coomans, Coppens, Crombez, Cumont, Debaets, de Boe, Dechentinnes, de Gottal, de Lexhy, de Man d'Attenrode, de Smedt et Vervoort.

Ont voté contre la proposition : MM. d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lange, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Magherman, Mercier, Moreau, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Decker, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt et B. Dumortier.

Projet de loi dérogeant à l’article 20 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l’Etat

Discussion générale

MpVµ. - Nous abordons l'ordre du jour.

La section centrale, d'accord avec le gouvernement, a amendé le projet de loi ; la discussion générale est donc ouverte sur le projet amendé par la section centrale, d'accord avec le gouvernement.

M. Coomans. - Avant de rentrer dans cette discussion si difficile et si ingrate pour moi, je demande à la Chambre la permission de répondre un mot à un reproche qui m'a été itérativement adressé, celui de ne pas traiter sérieusement les questions que la Chambre examine. Ce reproche, je le repousse de toutes mes forces comme une injure imméritée.

Par respect pour la Chambre et pour moi-même, je me livre, avant de parler, à une étude très consciencieuse de toutes les questions qui nous sont soumises.

Je ne défends que les opinions que je crois bonnes et justes, et quand je résiste, quand j'insiste, c'est que mon devoir me semble clairement tracé.

On blâme ma façon de parler, les formes de mon langage ; on ne les trouve pas à la hauteur de la majesté parlementaire. Ici on a peut-être raison, mais c'est là un défaut naturel, incorrigible à mon âge, auquel il n'y a qu'un remède : le silence.

J'admire le beau style de mes adversaires, leur diction élégante et leur tenue toujours si grave, mais je sens ma faiblesse et je n'ai garde d'essayer de les imiter ; le pénible labeur que je m'imposerais n'aurait d'autre résultat que de me rendre pompeux, prétentieux, ennuyeux ; qui donc y gagnerait ?

Je vous prie, messieurs, de me laisser dire simplement et naturellement' ce que je pense et d'excuser toute mon insuffisance que je sens bien.

Les hommes sérieux s'attachent au fond, non à la forme ; or, quant au fond (je vous abandonne mes formes défectueuses, incultes), quant au fond, je vise au sérieux autant que l'académicien le plus roide et le doctrinaire le plus prude.

Je crois que l'homme sérieux, même le représentant sérieux est celui qui recherche ardemment la vérité et la justice, qui sacrifie à l'accomplissement de ce devoir son amour-propre, sa santé, ses intérêts, ses amitiés même, qui met sa conscience sur ses lèvres et qui se considère comme rigoureusement obligé à défendre ses convictions en tout lieu, en tout temps, au risque de paraître obstiné et de tout perdre, tout jusqu'à la bienveillance de ses chers collègues.

D'autre part, je doute que l'homme sérieux soit celui qui pactise avec les principes, qui change d'avis et de langage selon les circonstances, qui fait de la politique d'expédient au lieu de faire de la politique de principes. Non, cet homme n'est pas sérieux.

C'est un homme plaisant, et de la pire espèce, employât-il le langage le plus sévère et le plus sérieux en apparence, (Interruption). Messieurs, j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre la motion suivante :

« La Chambre, considérant qu'il y a lieu de suspendre les travaux militaires d'Anvers, ajourne à un mois la discussion du projet de loi concernant la compagnie Pauwels. »

Il faut suspendre les travaux militaires d'Anvers par les raisons suivantes.

D'abord, c'est un fait incontestable, la population d'Anvers tout (page 1145) entière s'est virement émue depuis plusieurs mois ; quand elle a bien connu le système défensif qu'on imposait à son patriotisme, elle s'en est effrayée, elle a exposé ses plaintes que, pour ma part, je trouve fondées.

Quoi qu'il en soit, quand même la population d'Anvers aurait tort, ce qui n'est pas, son opposition unanime est un grand fait dont il est prudent, dont il est juste de tenir compte. Ce n'est pas dans un petit pays comme le nôtre qu'on peut considérer comme indifférente l'opposition vive, raisonnée, intelligente, qu'une grande ville fait au système de fortifications dont on l'entoure.

Jusqu'à présent le gouvernement ne s'est pas expliqué à cet égard d'une façon franche et nette ; il n'a pas dit au début de l'émotion, de l'agitation, si vous voulez, de la population de la ville d'Anvers : « Vous avez tort, je ne modifierai pas la loi de 1859 ; par conséquent vos efforts sont vains, ils resteront stériles. » Il s'est tu ; il a eu tort ; il a laissé imprudemment et injustement dans l'incertitude la population d'Anvers ; il faut que cette incertitude cesse, que le gouvernement et la Chambre se prononcent le plus tôt possible sur cette question brûlante des fortifications d'Anvers.

Un deuxième fait me frappe, c'est la détresse financière de la plupart des grands gouvernements de l'Europe, détresse qui à certains égards est heureuse, parce qu'elle les oblige à désarmer et les y contraindra de plus en plus.

Ne vous dissimulez pas l'importance de certains signes du temps qui sont manifestes pour les hommes sérieux ; c'est le recul de la Prusse devant les budgets militaires exagérés, de la Prusse puissance militaire, puissance presque exclusivement militaire ; c'est le recul de la France militaire devant les gros budgets. (Interrruption.)

M. le ministre des finances sourit ; n'a-t-il pas lu au Moniteur la dernière économie ordonnée par le gouvernement impérial ? Elle n'est pas des plus considérables, elle ne s'élève qu'à 40 millions environ, mais c'est beaucoup dans les circonstances actuelles de la part de la France, et ce n'est pas là le dernier mot du gouvernement de l'empereur, j'en ai dit tantôt les raisons.

En Angleterre vous voyez le gouvernement, tout aussi soucieux de sa dignité que le gouvernement belge peut l'être de la sienne, interrompre les travaux militaires que lui et la chambre des communes avaient ordonnés, et cela pour faire une économie afin de pouvoir appliquer à sa marine des dépenses qu'il croit gaspillées ou aventurées sur terre.

Ne nous y trompons pas, la réaction contre les dépenses et les charges militaires est en ce moment européenne ; elle grandira à mesure que les nations déniaisées s'apercevront que l'exagération de leurs armées permanentes est un danger immense pour leur prospérité aussi bien que pour leur liberté.

Evidemment, je ne veux pas traiter à fond toutes ces questions ; cela m'entraînerait trop loin ; je me borne à les indiquer. Mais je crois que nous devons tous être d'accord à reconnaître que la réaction que je signale est vraie et qu'elle tend chaque jour à s'étendre, à se développer. Je la salue comme un progrès, comme un bienfait pour l'humanité.

Ce sera, à mes yeux, un beau jour que celui où l'Europe désarmera, où elle congédiera la moitié de ses armées et où elle pourra appliquer ces énormes économies à des travaux d'utilité morale et matérielle.

La troisième raison que je vous soumets pour suspendre les travaux militaires d'Anvers, c'est le perfectionnement rapide, incroyable, des instruments militaires. Il suffit de peu de semaines pour introduire en quelque sorte une révolution en cette matière.

Permettez-moi de vous le rappeler.

Quand ces fortifications d'Anvers ont été ordonnées, à la fin de 1859, le gouvernement nous déclarait très formellement qu'il ne nous demanderait pas un sou pour l'artillerie ; que toute l'artillerie belge serait transformée pour une somme si minime, qu'il ne fallait pas en entretenir la Chambre.

Il s'agissait de 5 francs par canon. Ces déclarations figurent au Moniteur, et malheureusement elles ont exercé une très grande influence sur le vote de 1859.

Moins de deux ans après, cette artillerie que l'on trouvait si bonne, si convenable, a été déclarée ne plus rien valoir du tout, et l'on est venu nous demander 15 millions pour des canons Wahrendorff. Je ne suis pas très au courant des évolutions et des révolutions de l'art militaire ; mais je suis presque certain que l'honorable baron Chazal n'est plus aussi satisfait aujourd'hui des canons Wahrendorff que l'an dernier, ce qui prouverait du reste en faveur de son instruction et de son amour pour le progrès.

Puisque nous voilà devenus aussi une puissance militaire, à mon grand regret, il ne nous messied pas de causer un peu du progrès de l'artillerie.

Or, il s'en est fait un immense, à notre insu, à l'insu de l'Europe entière et ce progrès a éclaté avec un bruit épouvantable dans l'autre monde, dans les eaux de Norfolk. Un bateau plat, laid, affreux a détruit, en une demi-heure à peu près, presque toute une flotte, et si un autre bateau plus laid encore n'était pas intervenu, il ne resterait rien de la flotte américaine. Ce sont là des assertions d'hommes très compétents que j'ai lues et relues dans les journaux.

L'Angleterre, qui se connaît en marine militaire, dont la compétence ne peut pas être contestée par notre ministre de la marine, l'Angleterre est d'avis, nous assure-t-on, que tous ces beaux navires de Nelson ne valent plus rien aujourd'hui et qu'il faut les transformer, les cuirasser, les raccourcir, les aplatir, ou sinon les brûler comme du bois de rebut. Cette transformation se fera.

Pour qui sait ce qu'étaient le Monitor et le Merrimac, il est clair que plus vos vaisseaux de ligne sont hauts et grands, plus ils sont aujourd'hui mauvais.

Le progrès, c'est une chose merveilleuse, a souvent une marche très inattendue. Pendant des siècles depuis les Grecs et les Latins, jusqu'il y a six mois, le progrès maritime militaire a consisté dans l'élévation croissante des navires.

On n'a pas été satisfait d'avoir une rangée de canons, on y a superposé une autre rangée puis une troisième. On s'est cru alors puissant, formidable, invulnérable.

Eh bien, le contraire arrive aujourd'hui.

Il est démontré que les navires les plus bas, les moins visibles, pourvu qu'ils soient transformés en chevaliers cuirassés du moyen âge, auront facilement raison de tous ces fiers trois-ponts qui ne serviront plus qu'à parader dans des ports ou sur des rives où des souverains iront s'amuser. (Interruption.)

Prenons-y garde, ceci est bien sérieux, à mon sens. Le fait militaire le plus grave qui se soit accompli depuis un siècle, sans en excepter les batailles navales d'Aboukir, du cap Saint-Vincent et de Trafalgar, c'est cette rencontre de deux affreux petits vaisseaux mal faits, improvisés, on le reconnaît, dans une crique de l'Atlantique.

Il y a là matière à une grande, à une bonne révolution militaire. Il est providentiel que les moyens de défense soient plus faciles, plus efficaces que les moyens d'attaque. Ainsi chaque fois que nous voyons un perfectionnement même militaire avoir pour résultat de faciliter la défense des faibles contre les forts, nous devrons applaudir. Or, les hommes compétents, puisque ce témoignage est toujours invoqué, affirment que si nous possédions dans l'Escaut, près d'Anvers, un ou deux Merrimac ou plutôt un ou deux Monitor, nous serions beaucoup plus forts qu'avec toutes nos fortifications.

Qui vous dit qu'on ne finira pas par nous proposer la construction de Monitors, après Pâques par exemple ? On va vite dans ce chemin. Qui vous dit qu'on ne viendra pas, que les mêmes ministres qui ont fait voter les fortifications d'Anvers ne viendront pas nous proposer de cuirasser les fortifications d'Anvers ? (Interruption.) M. le ministre de la guerre me fait un signe d'assentiment qui m'effraye.

Eh bien, messieurs, cela ne suffit-il pas pour qu'on y réfléchisse un mois ou deux ?

L'Angleterre, qui sans doute avait bien combiné les fortifications de Spithead, a décidé qu'elle en suspendrait l'exécution. Et il ne s'est pas trouvé un seul Anglais assez mal avisé, assez dédaigneux des deniers publics, assez aveugle pour dire que c'était là un manque de dignité nationale. La dignité nationale consiste, messieurs, à bien se défendre, à honorablement se défendre le moins cher possible.

Je vous disais tantôt, messieurs, que l'opinion publique dans l'Europe entière réagissait de jour en jour, d'heure en heure, davantage contre les grosses dépenses militaires, qui renferment aussi de grandes charges militaires. Je vous citais, pour fortifier mon argument, des puissances militaires telles que la Prusse et la France. Mais, messieurs, ce qui doit surtout nous préoccuper, c'est l'opinion de la Belgique. Or, ici je parle devant des hommes qui peuvent contrôler parfaitement l'exactitude de mon langage ; je crois pouvoir affirmer que la réaction contre les dépenses et les charges militaires devient grande en Belgique, et que si on ne l'arrête pas par des concessions raisonnables, elle deviendra effrayante, et que peut-être elle dépassera un jour mes espérances et ma volonté.

Si la Chambre n'est pas de cet avis, elle se trompe. Notre devoir est de consulter l'opinion publique, car n'oublions jamais que nous sommes les représentants de la nation et que la principale force du gouvernement et des Chambres gît dans l'assentiment de la nation.

Concluons-en que si, dans l'état actuel des idées, je ne dis pas dans six mois, mais dès aujourd’hui, la Chambre avait à comparaître devant (page 1146) les électeurs, on lui demanderait un compte sévère de ses votes de 1859 et de ceux qu'on lui demande encore aujourd'hui.

Je crois fermement qu'en ce qui concerne les dépenses militaires, la Chambre n'est pas approuvée par le pays ; la Chambre ne représente plus le pays sur les questions relatives au budget de la guerre.

- Un membre. - Ne dites pas cela.

M. Coomans. - Je le dirai et le redirai, car c'est vrai.

Chaque fois que je me suis permis de dire qu'il y avait lieu d'examiner la question de savoir si les fortifications d'Anvers, telles qu'elles sont décrétées, doivent être maintenues et achevées, on a paru trouver cette parole fort étrange, et le gouvernement l'a repoussée comme une sorte d'injure faite à lui, à la Chambre et au pays.

Messieurs, sied-il au gouvernement de nous dire qu'en fait de questions militaires il a mis la main sur la vérité absolue, qu'il n'y a rien à changer à Anvers ? Cela ne lui sied pas, parce que le gouvernement a varié très souvent sur la question des fortifications d'Anvers. Où serait le mal si aujourd'hui le gouvernement, d'accord avec la Chambre, reconnaissait qu'il y a lieu d'examiner les faits nouveaux qui se sont produits et de prendre une décision nouvelle ?

Cela serait prudent, cela serait digne, parce que cela serait bon.

J'ai dit que le gouvernement a varié souvent au sujet d'Anvers. En 1848, quand l'Europe était en feu, on nous proposait une dépense totale de 1,500,000 fr. pour nous défendre, à outrance, à Anvers. Peu de temps après, on nous proposait une dépense de 5 à 6 millions, puis une dépense de 8 millions, puis une autre à peu près double, puis, enfin, la grosse dépense de 50 millions.

Et non seulement on a varié sur les chiffres, mais on a étrangement varié sur les systèmes de défense.

En 1848 il ne s'agissait pas de concentrer l'armée belge tout entière à Anvers, de la faire fuir sur Anvers, comme le disait si patriotiquement l'honorable M. Frère en 1858 ; il s'agissait de nous réserver une position solide, une sorte de porte de derrière à Anvers.

Voilà ce dont il s'agissait en 1858, et bien malheureux, bien bafoué eût été celui d'entre nous qui aurait proposé à cette époque le système d'aujourd'hui.

On a voulu aussi l'enceinte restreinte, puis la grande enceinte, et remarquez bien, messieurs, que jusqu'en 1858 il n'a jamais été question de grandes citadelles autour d'Anvers, jamais le mot même n'a été prononcé avant 1858 ; comment donc ose-t-on assurer aujourd'hui que l'existence des deux grandes citadelles à Anvers est une condition sine qua non de salut pour la Belgique ? Je ne puis pas admettre un semblable raisonnement.

On a donc varié à la fois sur les chiffres et sur les systèmes. (Interruption.) J'ai le droit de répéter qu'on a varié sur tous les chiffres et sur toutes les théories. On a énormément varié à cet égard et les contribuables le savent bien. On a varié aussi sur la question de la marine militaire.

Messieurs, combien de fois n'ai-je pas entendu MM. les ministres déclarer dans cette enceinte qu'il fallait une marine militaire à la Belgique, que c'était là une question de salut pour Anvers, une condition de salut pour nos pécheurs, pour nos commerçants ?

Or, une grande commission maritime a été instituée, j'ai eu l'occasion d'en dire un mot tantôt à l’occasion de la motion de M. de Gottal, une grande commission maritime a été constituée, des hommes très compétents en faisaient partie. Qu'a fait cette commission ? Elle a conclu qu'il était nécessaire, indispensable d'avoir une marine militaire ; que sans cette marine militaire toutes les fortifications d'Anvers étaient superflues, attendu qu'il était impossible, sans marine, de défendre l'accès d'Anvers par l'Escaut.

Quand on nous prêche si hautement le respect dû aux commissions compétentes, n'ai-je pas quelque raison de me montrer sceptique dans les questions militaires ? Les commissions militaires se contredisent ; l'une fait le contraire de l'autre. Quand il s'agit de la marine, on n'accepte pas la décision de cette grande commission compétente et spéciale, alors on lui manque de respect ; et qui y manque ? Les ministres qui l'ont instituée.

Aujourd'hui l'idée de la nécessité d'une marine militaire pour la Belgique est abandonnée ; c'est un progrès ; on n'aime pas même que je vous en parle encore ici. Le gouvernement vient nous dire : « Je ne veux pas examiner s'il est réellement indispensable que nous ayons une marine militaire ; mais nous y renonçons pour le moment. N'en parlons plus. »

Prenez y garde ; si le salut du pays est attaché à l'existence d'une marine militaire, comme l'a décidé la grande commission compétente et spéciale, pouvez-vous ajourner le salut du pays ?

Voilà donc une raison nouvelle pour suspendre les travaux d'Anvers et pour joindre aux études qu'on vous demande celles de la marine militaire ?

L'opinion publique doit être éclairée, si elle se trompe au sujet de nos dépenses militaires, parce qu'elle se prononce de jour en jour davantage pour les économies et qu'elle menace d'aller plus loin.

J'entends parler depuis deux ou trois jours d'une lacune à combler en Belgique ; on me propose de faire partie d'une association qui se formerait pour réduire les charges militaires.

Nous avons en Belgique beaucoup d'associations pour défendre une foule d'intérêts. J'approuve fort ces associations, car on ne peut assez provoquer la lumière ; aussi, je le déclare, ne verrai-je pas sans plaisir se former une association pour la réduction de nos dépenses militaires, et je réclame l'honneur d'être l'un des premiers à apposer ma signature à ses statuts.

Je dis « les charges militaires » et non pas seulement « les dépenses militaires », parce que s'il est vrai qu'une dépense militaire de 45 millions et demi par an est énorme pour la Belgique, il est vrai aussi que les charges militaires ne le sont pas moins. Au commencement de la séance, ce n'est pas moi qui en ai parlé aujourd'hui, l'honorable M. Kervyn de Lettenhovc a prié le gouvernement de déposer le plus tôt possible le projet de loi depuis si longtemps promis sur la réforme de la législation de la milice.

Eh bien, la conscription est une de nos plus grandes charges militaires ; les servitudes militaires en sont une aussi ; il en est de même des logements militaires ; je crois qu'il est temps que tous, même les citoyens en dehors de cette Chambre et en dehors du corps électoral, se réunissent pour voir s'il n'y aurait pas moyen de réduire, sans danger pour la patrie, toutes ces charges qui pèsent sur le pays et qui finiront par nous créer de bien plus grands embarras que ceux que nous voulons éviter.

Ainsi, messieurs, je crois vous soumettre une proposition très modérée et très raisonnable, en vous engageant à suspendre pour un mois ou deux les travaux militaires d'Anvers.

Quant au projet de loi lui-même, qui m'a fourni l'occasion de présenter ces remarques, j'ai peu de choses à dire.

Si on démolit, comme je le désire, les citadelles d'Anvers, je ne marchanderai pas à la compagnie Pauwels le chiffre de l'indemnité.

M. Loos. - Messieurs, j'aurais désiré que la discussion relative aux travaux des fortifications d'Anvers eût été ajournée, ainsi que l'avait proposé M. de Gottal, jusqu'après la décision qui doit être prise par la Chambre sur les pétitions d'Anvers.

Mais l’honorable M. Coomans ayant usé de son droit, pour parler de cet objet, je présenterai à mon tour quelques courtes observations.

D'abord, messieurs, il n'y a en réalité que les travaux qui s'exécutent à la citadelle du Nord qui aient donné lieu à des réclamations de la part des habitants d'Anvers ; les travaux exécutés sur les autres points n'ont pas provoqué la moindre réclamation.

Les considérations que l'honorable M. Coomans a fait valoir et qui résultent de faits militaires maritimes récents, ne peuvent non plus exercer aucune influence sur les travaux qui s'exécutent dans la campagne, tels que les forts du camp retranché et de l'enceinte. Mais il n'en est pas de même de la citadelle du Nord, située contre le fleuve et qui pourrait avoir à subir les effets destructeurs des nouvelles inventions.

Je ne pourrais donc pas demander d'une manière absolue la suspension des travaux, mais je suis prêt à déposer un amendement tendant à suspendre, au moins jusqu'après la discussion des pétitions d'Anvers, les travaux qui s'exécutent à la citadelle du Nord.

Messieurs, tous les motifs se réunissent pour que la Chambre adopte une pareille proposition.

En effet des faits militaires maritimes qui vous ont été rappelés tout à l'heure, ont frappé les esprits dans tous les pays.

Tous les gouvernements se sont préoccupés de la question de savoir si les travaux militaires qui étaient en cours d'exécution, ne devraient pas subir de modification. En Angleterre même, le gouvernement a déclaré qu'il examinerait sérieusement les modifications que les travaux exécutés en ce moment sur la Tamise et sur les côtes, auraient à subir, par suite de l'invention d'un système destructif aussi épouvantable que celui qui a été mis en œuvre récemment.

Des considérations de diverses natures militent donc en faveur de la suspension des travaux de la citadelle d'Anvers au moins jusqu'après nos débats sur les pétitions d'Anvers. Quand nous serons à discuter ces pétitions, nous examinerons d'une manière plus approfondie la question de savoir si la citadelle du Nord, telle qu'elle a été conçue par le département de la guerre, doit être réellement maintenue.

(page 1147) Je déposerai donc un amendement dans ce sens à la proposition de l'honorable M. Coomans. Voici dans quels ternies mon amendement serait conçu :

« La Chambre décide que les travaux de fortification de la citadelle du Nord à Anvers seront suspendus jusqu'après la décision de la Chambre, sur les réclamations d'Anvers. »

- M. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil de la présidence.

M. le président donne lecture de la proposition déposée par M. Loos.

M. de Renesse. - Je ne crois pas que la Chambre seule a le droit de suspendre l'exécution d'une loi ; c'est en vertu d'une loi longuement discutée que le pouvoir législatif a décrété l'exécution des fortifications d'Anvers ; savoir la grande enceinte, ainsi que les forts qui en dépendent ; il faut donc que le gouvernement, pouvoir exécutif, remplisse l'obligation qui lui a été imposée par une loi dans l'intérêt de la bonne défense nationale ; pour faire surseoir à l'exécution d'une loi, il faut l'accord des Chambres et du gouvernement.

M. Vervoort. - La proposition n'a pas pour objet de faire voter al suspension de l'exécution de la loi. Elle implique au contraire cette exécution et ne tend qu'à demander que des travaux partiels et déterminés ne soient pas continués momentanément par le motif très simple que les pétitions dont la discussion est fixée, mettent en question l'utilité, la nécessité, le danger de ces travaux partiels.

(page 1153) MgCµ. - Messieurs, je demande la permission de donner à la Chambre quelques explications sur un fait qui paraît avoir produit une certaine sensation.

Les honorables MM. Coomans et Loos ont voulu tirer parti du combat naval qui a eu lieu en Amérique entre deux navires cuirassés, pour en conclure qu'on doit suspendre et modifier les travaux d'Anvers.

Messieurs, le combat qui a eu lieu entre les deux navires cuirassés, le Merrimac et le Monitor, n'a rien appris, n'a rien prouvé de nouveau.

Depuis plusieurs années déjà que la France et l'Angleterre ont...

M. Gobletµ. - Je demande la parole.

MgCµ. -... ont des navires cuirassés, on sait parfaitement que ces navires peuvent résister, jusqu'à un certain point, au choc des projectiles et qu'ils peuvent couler les navires en bois.

Je comprendrais parfaitement l'émotion qui s'est produite à propos de ce combat naval, si nous étions une puissance maritime, si nous avions une flotte menacée ; mais je crois que notre flotte ne court aucun danger, et qu'il n'est besoin ni de Merrimac, ni de Monitor pour la couler à fond.

Je comprendrais encore cette émotion si le combat avait prouvé qu'une batterie de côte construite dans de bonnes conditions peut être rasée ou annihilée par un bâtiment cuirassé. Mais rien de semblable ne s'est produit.

Un navire cuirassé épuiserait toutes ses munitions contre les remparts d'Anvers sans produire de dégâts sérieux. Tous les militaires instruits connaissent les effets insignifiants des projectiles creux ou pleins contre des épaulements en terre ; de nombreuses expériences ont prouvé ce fait que nous avons nous-même constaté au polygone de Brasschaet.

En Angleterre, oh l'on a fait de longues et concluantes expériences sur la force de résistance des cuirassements et sur la force de pénétration des projectiles, on construit en terre toutes les parties vulnérables des batteries de côte qui bordent les rades et les ports de Plymouth, de Portsmouth, Sheerness, Woolwvich, Chatham, Portland, etc.

Quant aux batteries destinées à tenir les vaisseaux éloignés des rades, ces batteries devant être construites dans la mer, sur des points limités en largeur et sur des enrochements artificiels, on ne pouvait leur donner assez de développement pour les construire en terre et à plusieurs étages de feu.

Il a fallu adopter un autre système. On a décidé que des tours totalement en fer, à trois étages et armées de 40 canons à chaque étage, seraient placées sur ces enrochements, sur ces îlots artificiels construits en pleine mer.

On disait tout à l'heure qu'à la suite du combat du Merrimac et du Monitor le gouvernement anglais, partageant l'émotion qui agite les esprits, avait ordonné de suspendre les travaux de fortification en voie d'exécution.

Il y a erreur dans une partie au moins de cette assertion.

L'émotion causée par ce combat dans le public anglais est vraie ; elle se conçoit, elle s'explique aisément. Une nation maritime doit nécessairement s'émouvoir lorsqu'elle apprend que les flottes en bois qui constituaient sa force et lui assuraient une prépondérance marquée dans le monde ont perdu la plus grande partie de leur valeur et doivent être remplacées ou transformées au prix de sommes immenses.

Il est incontestable aujourd'hui que les navires en bois ne peuvent plus résister aux navires cuirassés. Ce fait n'était ignoré ni des hommes spéciaux, ni des gouvernements ; mais en se révélant au public par un événement de guerre, il a naturellement produit une grande sensation.

Quoi qu'il en soit, c'est une erreur complète que de croire que le gouvernement anglais ait fait suspendre les travaux des places fortes et des batteries de côte.

Voici ce qui s'est passé au parlement et à la chambre des lords.

Ce n'est pas la suspension des travaux de fortifications sur la Tamise et dans les ports militaires qu'on a demandée, comme le disait l'honorable M. Loos, c'est uniquement l'ajournement des fortifications de Spithead.

Lord Palecrston avait d'excellents motifs pour se rallier à cette proposition.

En effet, qu'est-ce que ces travaux, ces fortifications de Spithead ?

Spithead n'est pas un port de mer, une ville, une position militaire ; c'est un bras de mer qui sépare l'île de Wight de Portsmouth.

Quant aux fortifications de Portsmouth et des autres places, personne n'a songé à en demander, ni la suspension, ni le changement.

La rade de Spithead est trop large pour pouvoir être défendue par les batteries des côtes de l'île de Wight et de Portsmouth.

Il fallait donc, pour la défendre, construire en pleine mer ces enrochements, ces îlots artificiels destinés à porter les tours en fer dont je vous parlais tout à l'heure.

C'est ainsi que Cherbourg est défendu du côté de la mer par une immense digue construite au milieu des flots et surmontée de batteries.

Lorsqu'il s'est agi de Spithead, deux systèmes ont été proposés.

L'un consistait à défendre la rade par une flottille de navires cuirassés, l'autre par des tours en fer bâties sur des enrochements. En 1861, de longs débats ont eu lieu à ce sujet entre les hommes spéciaux.

Vous voyez, messieurs, que cette question était agitée par le gouvernement avant le combat du Merrimac et du Monitor.

L'amiral Dundas proposait l'emploi d'une flottille cuirassée.

Le gouvernement soumit la question au comité de défense nationale qui se compose des sommités de la marine, de l'armée et du génie.

Ce comité se prononça à l'unanimité pour l'emploi des tours en fer construites en mer sur des enrochements artificiels. Il devait y en avoir cinq. Les deux systèmes présentaient des avantages.

Les partisans d'une flottille cuirassée faisaient valoir que cette flottille aurait l'avantage d'être une force défensive et offensive ; qu'elle pourrait être employée au besoin pour l'attaque d'une flotte ennemie dans tous les parages ; qu'elle pourrait concourir aussi à la défense de tous les autres points du littoral, et qu'elle ne serait pas condamnée à l'immobilité comme les tours.

Les partisans des tours faisaient valoir de leur côté, et avec raison, que la flottille de navires cuirassés ne pourrait pas toujours rester à son poste de surveillance et de défense ; qu'elle devrait s'abriter dans le port pendant les gros temps, afin d'échapper aux accidents de mer et même au naufrage.

Ils ajoutaient que l'ennemi pourrait, par d'habiles manœuvres, et par de fausses attaques sur différents points, attirer la flottille sur l'un ou l'autre de ces points et en profiter pour incendier Portsmouth qui est le principal arsenal maritime de l'Angleterre, le cœur de sa puissance navale.

Ils objectaient encore que, comme puissance défensive, ces navires étaient très inférieurs aux tours ; qu'ils ne pouvaient être armés que d'un petit nombre de canons et qu'ils n'auraient d'efficacité que contre des navires en bois. En effet les batteries flottantes sont bien inférieures aux batteries fixes, aux batteries de terre ferme.

Les batteries des navires ne peuvent pas être armées de canons d'un calibre aussi considérable que les batteries de terre. Leur tir est très incertain. Les navires, même par les temps calmes, éprouvent un certain balancement, un certain roulis qui fait qu'on ne peut tirer avec précision. Il faut en quelque sorte tirer au jugé, sans viser, à l'aventure et c'est un hasard lorsqu'on atteint le but même avec les meilleurs canons.

Dans les batteries fixes, au contraire, on tire aujourd'hui avec une précision presque infaillible parce que la plate-forme des pièces est immobile et que rien ne dérange le pointage.

Le Monitor ne portait que deux pièces.

M. Van Humbeeckµ. - Mais il s'en servait bien.

M. Coomans. - Il tournait constamment, c'est comme s'il avait eu 50 canons.

MgCµ. - Vous allez voir que les choses ne sont pas comme vous le supposez et que deux canons dans une batterie ne peuvent pas faire l'office de 50 canons.

Si vous lisez les documents fournis par les journaux américains, vous verrez que la fumée ainsi que le bruit causé tant par les détonations que par le choc des projectiles contre la tour et le pont voûté étaient tels qu'après quelque temps de combat, l'équipage ne pouvait plus y résister.

Du reste, la fumée qui envahit les entreponts des navires, constitue un grand inconvénient qui n'existe pas à beaucoup près au même degré dans les batteries casematées de côte bien établies.

Il faut aussi, pour servir les batteries des navires, un personnel plus nombreux parce que les canons doivent être amarrés, sans quoi le roulis, les mouvements du vaisseau les jetteraient à droite et à gauche.

Dans les batteries fixes il ne faut ni amarrés, ni anneaux, etc.

Enfin on peut donner aux tours fixes un cuirassement bien plus résistant qu'aux navires, parce que dans leur construction on n'est pas limité par le poids du cuirassement.

(page 1154) Telles sont les principales considérations qui décidèrent le comité de défense à donner la préférence au système des tours.

Il est incontestable que dans une lutte contre ces tours, le Monitor et le Merrimac seraient très exposés, tandis qu’ils pourraient lutter, à chance égale, contre des navires cuirassés comme eux.

Les partisans des tours objectaient que les navires cuirassés offrent très peu de prise au feu rasant des autres navires, parce qu'ils ne présentent au-dessus de l'eau qu'un pont en forme de dos de tortue, et que les boulets ricochent sur cette surface courbe, sans l'endommager.

Ils faisaient remarquer, au contraire, que les batteries supérieures des tours parviendraient à enfoncer les ponts des navires cuirassés, parce qu'elles les choqueraient avec des boulets plongeants du plus fort calibre.

Le feu des navires cuirassés, comme le Monitor, est peu redoutable. La tour qui est au centre et qui tourne, comme on fait tourner certains moulins à vent pour leur faire prendre le vent, n'est armée que de deux canons dont le tir est incertain et ne peut être ni rapide, ni prolongé.

Ces navires agissent plutôt par le choc, comme béliers, que par le tir. C'est surtout par le choc que le Merrimac a obtenu ses succès contre les navires en bois, et s'il a dû se retirer devant le Monitor, c'est qu'il n'a pas pu le couler en le heurtant avec son éperon.

Ces considérations et ces faits doivent vous prouver l'avantage des batteries de côté sur les batteries navales.

Néanmoins lord Palmerston a cru pouvoir ajourner la construction des tours qui doivent défendre la rade de Spithead, parce que, a-t-il dit, si on est d'accord sur le principe de ces tours, on n'est pas encore arrêté sur les dispositions à leur donner et sur la fabrication des plaques.

On n'a encore adjugé que les fondations, les enrochements artificiels, et pendant qu'on exécutera ces travaux préliminaires, on pourra, sans renoncer à la construction ultérieure des tours, appliquer les fonds disponibles au cuirassement des navires.

Telle a été la détermination prise en Angleterre. On ne suspend pas les travaux de fortification des côtes ; on ne renonce nullement aux tours ; seulement on s'occupe du plus pressé et on consacre les fonds disponibles aux nécessités de premier ordre.

On voit par ces explications que les résolutions qu'on a prises au sujet des travaux de Spithead n'ont aucune analogie, aucun rapport avec ce que l'on vous propose de décider relativement aux travaux d'Anvers.

Messieurs, le cuirassement des navires a été la conséquence des perfectionnements introduits dans l'artillerie. Ces perfectionnements devaient nécessairement apporter de profondes modifications, non seulement dans, les constructions navales, mais aussi dans le système de fortification des places de guerre et jusque dans la tactique et l'organisation des armées de terre et de mer.

C'est ce que j'ai eu l'honneur de vous dire lors de la discussion des fortifications d'Anvers et de la transformation de notre artillerie.

A propos de notre nouvelle artillerie, M. Coomans vous disait tout à l'heure que le progrès marchait si vite qu'il était bien certain que je n'en étais plus aussi satisfait et que probablement, si c'était à recommencer, je proposerais autre chose.

Je suis heureux que M. Coomans m'ait fourni cette occasion de proclamer que les canons que nous avons adoptés dépassent toutes mes espérances ; je puis dire ici, hautement, à la face du pays entier, que nous avons une artillerie admirable, qui ne le cède à aucune autre et qui même est supérieure à beaucoup d'autres. Je crois qu'il est impossible qu'on atteigne un résultat plus parfait, plus complet que celui que nous avons obtenu. M. Coomans peut consulter à ce sujet tous les officiers d'artillerie qui ont expérimenté ces canons, même ceux qui ont été opposés à leur adoption, parce qu'ils ne les connaissaient pas et qu'ils se méfiaient d'une aussi grande innovation, et je suis certain qu'il ne trouvera plus parmi eux un seul officier qui ne lui exprime sa satisfaction à ce sujet.

C'est donc parce que j'avais la conviction profonde des modifications que devaient apporter dans la fortification les perfectionnements admirables introduits dans l'artillerie, que je vous ai proposé, pour Anvers, un système de fortification nouveau, qui pût garantir la place des effets de la nouvelle artillerie.

Ce système n'a pas été accepté d'emblée, je le reconnais, par des officiers qui s'étaient longtemps nourris d'autres idées, d'autres principes.

Consultez ces mêmes officiers aujourd'hui qu'ils ont fait une étude sérieuse, consciencieuse de ce système, qu'ils l'appliquent, car plusieurs font partie de ces officiels d'élite employés aux travaux d'Anvers, et vous reconnaîtrez alors leur véritable opinion sur la valeur de cette fortification.

Ils vous diront que c'est un progrès réalisé, ils vous diront que c'est l'opinion des plus illustres ingénieurs étrangers et que nous avons l'honneur de voir un type analogue à celui d'Anvers adopté par des puissances de premier ordre.

Si je dois en croire l'opinion exprimée par des sommités militaires de plusieurs pays, c'est là l'appréciation que l'on fait partout de ces travaux.

Les remparts en terre valent mieux que tous les cuirassements du monde. On ne pourra assaillir les nôtres et traverser les fossés pleins d'eau, de 60 mètres de large, qui les précèdent qu'après avoir éteint le feu de nos batteries flanquantes.

Or, ce feu ne pourra être éteint parce que ces batteries sont couvertes par d'énormes massifs en terre, et que les embrasures non garanties, qu'il a été impossible de couvrir par la terre, sont disposées pour recevoir un cuirassement. C'est ce qui explique le signe de tête affirmatif que j'ai fait lorsque l'honorable M. Coomans a dit : Vous verrez que bientôt on viendra nous proposer d'appliquer le cuirassement des navires aux batteries de terre.

C'est précisément ce que nous avions prévu dans les plans de nos batteries d'Anvers. Ce n'est pas l'événement récent qui s'est passé en Amérique qui nous a donné cette idée. Elle a été conçue et appliquée par nos ingénieurs dès l'adoption des fortifications d'Anvers, et on en a la preuve dans les constructions déjà exécutées depuis un an. On peut voir au fort n°5 une batterie de 14 pièces, dont quatre embrasures sont construites pour recevoir leur cuirassement.

Ce cuirassement aurait été déjà appliqué depuis plusieurs mois à ces embrasures, si nous n'avions pas jugé prudent d'attendre le résultat d'expériences qui se font en Angleterre, sur une grande échelle et à grands frais, pour déterminer le meilleur mode de fabrication et le meilleur mode d'attache des plaques.

Déjà plusieurs expériences ont été faites, et des officiers de notre armée y ont assisté. L'épaisseur et la forme des plaques de fer pour garantir d'une manière absolue les batteries de terre, et les rendre invulnérables, ont été déjà déterminées.

Jusqu'ici on n'avait fait usage pour la marine que de plaques de 4 1/2 à 5 pouces d'épaisseur (11 à 12 centimètres).

Le Warrior n'a pas de plaques plus épaisses. Le Monitor avait des plaques de 6 pouces (15 c).

Cette épaisseur n'est pas suffisante pour résister au choc des projectiles des puissants calibres dont peuvent être armées les batteries de côte. Mais le poids déjà si considérable de ces plaques ne permet pas d'en augmenter l'épaisseur pour le cuirassement des navires.

Les batteries de terre, au contraire, peuvent porter un cuirassement d'un poids presque illimité. Les expériences ont constaté que les plaques de 10 pouces (25 c.) étaient invulnérables, et résistaient au choc des projectiles des pièces du plus fort calibre.

C'est donc cette épaisseur que nous avons dû admettre. Nous nous sommes adressés à quelques-unes de nos plus importantes usines, il y à déjà un an, pour savoir si elles pourraient fabriquer ces plaques dont nous aurions voulu conserver la fabrication au pays.

Malheureusement nos usines ne sont pas outillées pour cette fabrication spéciale, exceptionnelle, et ne peuvent faire les frais considérables de la création d'ateliers spéciaux pour une fabrication très limitée.

Force donc nous a été de nous adresser à l'industrie étrangère. Nous avons fait faire un devis et un projet par le fabricant anglais qui a la spécialité de cette fabrication et nous savons que ce cuirassement nous coûtera quinze mille francs par embrasure.

Le cuirassement n'est qu'une question d'argent, mais bien plus facile à résoudre pour les batteries de terre que pour les batteries de mer, car il coûte 12 à 15 fois moins, et il ne faut cuirasser sur terre que quelques pièces, exceptionnellement lorsqu'on ne peut pas les garantir par des massifs en terre.

Le Warrior a coûté plus de douze millions et ne porte que des plaques de 4 1/2 pouces. Il n'est armé que de 40 canons. C'est donc 300,000 fr. par canon.

Une batterie de terre, maçonnerie, cuirassement, magasin à poudre, logement des artilleurs, etc. compris, ne coûte que 25,000 fr. par embrassure et elle a un cuirassement invulnérable de 10 pouces (25 centimètres).

Chaque pièce, dans une batterie de terre cuirassée, coûte donc dix fois moins et produira dix fois plus d'effet qu'une bouche à feu navale.

L'entretien des batteries de terre est peu coûteux, leur durée presque éternelle, tandis que l'entretien des navires est considérable et leur durée très limitée. Ils sont en outre exposés à des accidents de mer continuels.

Quatre navires comme le Warrior coûteraient autant que toutes les fortifications d'Anvers.

(page 1155) Permettez-moi maintenant, messieurs, de vous donner quelques explications sur la citadelle du Nord, dont on vous demande de faire suspendre les travaux. Cette citadelle est une des plus sérieuses garanties contre les dangers qu'Anvers redoute.

Il y a une grande différence entre une forteresse située dans l'intérieur des terres et à portée de laquelle des navires ne peuvent arriver qu'un à un et après un long et difficile trajet sur un fleuve, et une forteresse située sur le bord de la mer.

Devant une place située sur le bord de la mer, une flotte peut arriver inopinément, s'embosser sans danger et faire converger le feu de chaque navire sur la pièce de fortification qu'elle veut ruiner. La place ne peut lui répondre que par un feu divergent.

C'est un des grands dangers des places fortes situées sur les bords de la mer, et le motif pour lequel on cherche à les protéger par des digues faites en mer comme à Cherbourg, ou par des enrochements artificiels surmontés de tours en fer comme à Spithead.

La position d'Anvers est bien meilleure. Anvers est à vingt lieues de la mer. Une flotte ne peut pas y arriver à l'improviste ; elle ne peut entrer dans l'Escaut qu'à marée haute, navire par navire, en marchant en colonne avec un grand intervalle entre chaque navire.

Elle est obligée de s'engager dans des passes qu'elle ne peut éviter et qui sont battues par le feu de plusieurs puissantes batteries auxquelles elle ne pourra répondre, pendant sa marche, que par une ou deux pièces de l'avant d'un seul navire. Ce feu sera insignifiant, sans effet contre nos batteries en terre ou cuirassées. Tout au plus en passant devant une batterie chaque navire pourra-t-il lâcher une bordée qui lui sera rendue par des canons qui auront l'avantage du calibre, et de la précision par cela même qu'ils seront tirés de batteries immobiles.

Un seul boulet explosif qui pénétrera dans le navire par un des sabords, causera les plus terribles ravages dans le navire. Les batteries de campagne établies sur les digues auront grande chance de produire cet effet désastreux.

Mais ce n'est pas là le seul obstacle qu'une flotte rencontrera dans sa marche.

On peut établir dans un fleuve d'autres défenses encore beaucoup plus facilement, plus efficacement qu'en mer.

Les mines sous-marines sont un immense danger pour les navires, qu'ils soient cuirassés ou non.

Pendant la guerre de Russie, l'inventeur de ces mines en fil l'essai devant Cronstadt.

Bien que cette invention n'eût pas reçu les perfectionnements qui y ont été apportés depuis lors, l'explosion d'une de ces mines suffit pour causer des avaries au vaisseau amiral anglais et tenir en échec devant Cronstadt les flottes alliées.

Nous avons fait dans l'Escaut l'essai de ces mines et nous avons acquis la preuve qu'elles présentent un terrible moyen de défense.

Enfin, messieurs, on peut encore établir dans les fleuves plus facilement qu'en mer, des barrages qui suffisent souvent pour arrêter et paralyser une flotte. Le barrage établi par les Russes devant la rade de Sébastopol, n'a pu être forcé par les flottes anglaise, française et turque.

Je doute qu'une flotte quelconque ose affronter jamais ce moyen de défense dans l'Escaut.

Un seul navire échoué arrêterait la marche de la flotte, et couperait toute retraite aux navires qui seraient parvenus à passer. Ils se trouveraient alors pris comme dans un piège.

Mais admettons un instant qu'une flotta ait passé successivement sous les feux croisés de Lillo et de Liefkenshoek, sous le feu de Sainte-Marie et des batteries des digues, admettons qu'elle ait résisté aux batteries sous-marines et enfoncé les barrages.

Admettons qu'ayant bravé tous ces dangers elle soit parvenue à s'embosser dans la rade devant Anvers et qu'elle cherche à y opérer un débarquement pour prendre la place par la gorge. Qu'arrivera-t-il alors ?

Elle devra effectuer cette opération sous les feux croisés des citadelles du Nord, da Sud, de la Tête de Flandre, des forts de Burght, d'Austruweel et de toutes les batteries établies sur différents points de la rade et des digues.

Il n'y a pas un seul point de cette rade qui ne puisse être battu par le feu de 800 bouches à feu. Chaque navire serait pris à dos, en flanc, par devant, et exposé de plus aux bombes du plus énorme calibre.

Quelle est la flotte cuirassée ou non qui pourra résister à ce feu et entreprendre l'opération délicate d'un débarquement dans de telles conditions ? Quelle est la flotte qui osera braver ces dangers et s'exposer à voir sa retraite coupée par l'échouement d'un seul de ses navires ?

Cette entreprise ne pourrait être tentée que si l'ennemi avait la presque certitude de s'emparer de la place par un débarquement.

Il n'aurait cette chance que si les citadelles étaient ouvertes à la gorge, du côté de la ville.

Dans cette condition quel serait le moral des défenseurs des batteries des citadelles ? Il serait nul. Tout militaire sait que des troupes prises à dos, menacées d'être tournées, sont inquiètes, incertaines et presque toujours démoralisées.

Mais si nos soldais savent qu'ils sont à l'abri de ce danger dans leurs citadelles fermées, qui ne peuvent être enlevées par un coup de main, ils défendront la rade avec une énergie d'autant plus grande qu'ils sauront les dangers auxquels l'ennemi est exposé et le sort qui l'attend. Or, quel est l'ennemi qui entreprendra une telle opération, si nos citadelles sont fermées et s'il sait que, lors même qu'il réussirait à opérer un débarquement, ses troupes mutilées devraient entreprendre une attaque en règle contre des forteresses très puissantes, formidables ?

Jamais, je le pense fermement, Anvers fortifié, comme vous le verrez bientôt, ne sera attaqué ni par mer, ni par terre, mais si on affaiblit son système de défense pour céder à des craintes chimériques, nous serons exposés à tous les dangers qu'Anvers redoute.

C'est là une des nombreuses raisons pour lesquelles il est impossible de toucher à ces citadelles. On ne peut le faire qu'en amoindrissant notre fortification, en lui faisant perdre une partie de sa valeur, de sa force, en la rendant incomplète, ridicule et impuissante à remplir le but que nous poursuivons, celui d'en faire la sauvegarde du pays.

Voilà pourquoi je m'élève de toute la force de mon âme contre cette proposition, voilà pourquoi je vous supplie de ne pas permettre le ralentissement des travaux, et je vous demande, au contraire, d'adopter les mesures nécessaires pour les activer, pour en hâter l'exécution. Je vous le demande au nom de l'intérêt du pays, au nom de la sécurité nationale.

Depuis trois ans j'emploie tout ce que j'ai de force et d'énergie pour atteindre ce but, j'y ai consacré tous mes efforts, toute mon intelligence, et je ne puis me défendre d'une vive émotion en présence des entraves qu'on me suscite.

De la résolution que vous prendrez peut dépendre le salut du pays à un moment donné ; ma responsabilité envers vous et envers la nation est immense, et je vous supplie de me soutenir dans cette importante circonstance.

(page 1147) M. Loos. - Messieurs, personne plus que moi ne rend hommage au talent oratoire de M. le ministre de la guerre. Il a défendu cette cause comme toutes celles qu'il entreprend de défendre devant cette assemblée. Seulement je dois dire qu'il ne m'a pas convaincu.

Messieurs, s'il avait pu me convaincre, je serais trop fier d'être Belge. Comment ! nous, un petit pays, qui ne nous sommes jamais occupés de faire la guerre, nous avons tout prévu ; cette invention nouvelle, qui a produit un coup de foudre en Europe, nous l'avions prévue ; nous avions prévu les effets qu'elle pourrait produire contre les fortifications que nous allions construire, nous n'avons rien à y changer !

Eh bien, M. le ministre de la guerre ne m'a pas rassuré, je dois le dire. Il m'est impossible de croire que la grande nation anglaise, qui, en fait de défense des côtes, a dû faire des études plus approfondies que nous, qui a une expérience que nous n'avons pas, ait moins prévu que nous tous les effets des inventions nouvelles, alors que nous les connaissions.

D'après M. le ministre de la guerre, ni le Merrimac ni le Monitor ne pourraient rien contre les fortifications d'Anvers. Le tir des navires n'est pas assez certain pour produire du mal. Les canons formidables que nous aurons dans nos citadelles détruiront toutes les flottes qui pourraient se hasarder dans l'Escaut, fussent-elles composées de Merrimac et de Monitors.

On oublie une chose, c'est que les navires qui ont pris part au combat dont on vous a entretenus, sont presque invulnérables, c'est-à-dire que tous les boulets qu'ont pu leur lancer les autres vaisseaux et les batteries de terre n'ont rien fait.

Je le répète, messieurs, si je pouvais avoir une confiance illimitée dans les paroles de M. le ministre de la guerre, je serais trop fier de mon pays. Un petit pays qui n'a jamais fait la guerre, qui est appelé pour la première fois à construire une fortification aussi importante, a tout prévu, n'a rien ignoré des inventions nouvelles ; tout a été prévu.

La citadelle est imprenable, elle est invulnérable. Eh bien, je crois, messieurs, malgré l'immense talent de l'honorable ministre de la guerre, que la Chambre ne sera pas plus convaincue que moi. Je crois que les faits qui viennent de se produire doivent nécessairement attirer l'attention, et que nous devons examiner si les citadelles ne doivent subir aucune modification.

Je crois que quand on aura appelé sur ce point les méditations des hommes spéciaux, ils ne seront pas aussi convaincus que l'honorable ministre de la guerre.

Je maintiens donc la proposition que j'ai eu l'honneur de faire à la Chambre, c'est qu'on suspende, au moins jusqu'à ce qu'une décision ail été prise sur les pétitions d'Anvers, les travaux de la citadelle du Nord.

J'ai la confiance que la Chambre, convaincue qu'il y a quelque chose à faire, approuvera le vœu que les représentante d'Anvers viennent d'émettre pour que jusqu'à plus ample informé les travaux de la citadelle du Nord soient suspendus. L'ensemble des travaux militaires qui s'exécutent à Anvers n'aura pas à eu souffrir, les ouvriers qui travaillent à la citadelle du Nord pourront être employés sur d'autres points, on avancera ainsi d'autant plus le reste des travaux, et quand il ne restera plus à faire que la citadelle du Nord la suspension des travaux de cette citadelle n'aura pas retardé l'exécution complète des fortifications.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je veux dire quelques mots seulement pour montrer à la Chambre qu'il est impossible d'accueillir soit la motion principale, soit l'amendement déposé par l'honorable M. Loos.

Déjà, messieurs, dès que ces motions ont été déposée, on a fait entendre incontinent, de divers côtés de cette Chambre, une objection qui est indiscutable c'est qu'il existe une loi et que la Chambre ne peut pas en suspendre l'exécution.

Cela seul suffit pour que la motion ne puisse pas aboutir.

Je n'ai pas besoin de démontrer combien cette objection est fondée ; quoi qu'il en soit, et bien qu'elle constitue à elle seule une barrière infranchissable à la motion que je combats, je ne m'y arrêterai pas d'une manière absolue, parce qu'il est une deuxième raison qui est encore, si c'est possible, plus péremptoire.

Que signifie une pareille motion ? Quel but veut-on atteindre ? Quel résultat utile peut-on s'en promettre ? Suspendre les travaux pendant quinze jours, à quoi bon ? Laissez donc continuer ces travaux. Dans quinze jours, lorsqu'on discutera les pétitions d'Anvers, on pourra faire telle motion que l'on voudra, et la Chambre décidera si elle entend y donner suite.

Il y aura eu quinze jours de travaux en plus à la citadelle, voilà tout.

Ainsi, messieurs, quoi qu'on puisse dire pour justifier la motion, il est bien prouvé que son adoption ne pourrait avoir que des résultats complètement négatifs. Elle est donc de nul intérêt pour la cause que défendent les honorables membres qui y donnent leur adhésion.

Enfin, messieurs, cette motion, tout à fait vaine au point de vue où l'on se place, aurait, sans aucun doute, des conséquences très onéreuses pour le trésor.

Il y a des contrats qui nous lient vis-à-vis de l'entrepreneur, et voilà que l'honorable M. Coomans, qui est si opposé à toutes les dépenses relatives à la défense nationale, dépenses qu'il considère comme inutiles, voilà que M. Coomans veut qu'on paye des indemnités pour se donner le vain plaisir de suspendre les travaux !

M. Coomans. - En cas de suppression de la citadelle, je payerai l'indemnité avec grand plaisir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soit ; mais vous ne payeriez pas moins l'indemnité du chef de la suspension des travaux.

M. Coomans. - Du tout !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout ! c'est bientôt dit ; mais comment imaginer que la compagnie, qui a des capitaux engagés, qui a un personnel employé aux travaux, acceptera une suspension de ces travaux sans exiger une indemnité ? Cela est vraiment absurde, il faut bien dire le mot.

Ainsi le trésor sera obligé de payer cette satisfaction de ce qu'on serait tenté d'appeler un caprice de la part de certains membres, puisque la mesure ne peut, en définitive, aboutir à rien.

En vérité, messieurs, c'est trop insister contre une pareille motion. J'ai la conviction que la Chambre en apprécie toute l'inanité, et je la convie à l'écarter dès maintenant.

M. de Boe. - Je ferai observer à M. le ministre des finances que dans la proposition signée par les députés d'Anvers, il ne s'agit pas le moins du monde de suspendre l'exécution d'une loi ; il s'agit tout simplement de suspendre des travaux qui, d'après les renseignements que j'ai reçus, ont été repris tout récemment.

Pendant toute la mauvaise saison, la saison des pluies, les travaux de la citadelle du Nord ont été suspendus.

MgCµ. - C'est une erreur. Les travaux ont toujours été continués.

M. de Boe. - Ce que nous demandons, le ministre de la guerre peut le faire de sa propre autorité, et il me paraît que ce que le pouvoir exécutif peut faire, le pouvoir législatif peut le faire aussi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous n'êtes pas le pouvoir législatif.

M. de Boe. - En supposant que la Chambre adopte la motion, si le gouvernement ne veut pas y voir une décision législative, il y verra tout au moins une invitation, et ne fût-ce que par déférence pour le vœu de la Chambre, il fera droit à la demande.

Quant aux observations de M. le ministre des finances relativement à la proposition de M. Coomans, mon honorable collègue M. Loos a développé les considérations qui nous ont déterminé à l'amender ; par conséquent les observations de M. le ministre relativement aux indemnités à allouer éventuellement à la compagnie Pauwels, ne nous touchent pas et laissent complètement intacte la proposition que nous avons, eu l'honneur de soumettre à la Chambre.

(page 1148) M. Orts. - Messieurs, j'ai de très courtes observations à présenter pour démontrer qu'il y a une différence énorme entre la proposition de l'honorable M. Coomans et le sous-amendement des honorables députés d'Anvers.

M. Coomans est l'adversaire consciencieux, déterminé, ancien des fortifications d'Anvers. Ce qu'il veut, c'est la disparition des fortifications, et il fera tout au monde pour parvenir à ce but.

Je comprends donc très bien que l'honorable M. Coomans vienne, à l'occasion du projet qui nous est soumis, s'opposer à la continuation des travaux des fortifications d'Anvers. Cela est parfaitement logique, c'est le dernier acte de la guerre que l'honorable M. Coomans fait depuis plusieurs années aux fortifications d'Anvers, guerre que l'honorable membre fait à toutes les lois ayant pour objet le développement de notre état militaire.

Mais je ne conçois pas que, refusant de s'associer à la proposition de l'honorable M. Coomans, et s'associant pourtant aux motifs que donne M. Coomans, nos honorables collègues d'Anvers viennent proposer leur sous-amendement.

L'honorable M. Loos, qui l'a développé, nous a dit : « Nous n'adhérons pas à une mesure ayant pour but la suppression des fortifications d'Anvers ; nous admettons qu'Anvers doit être fortifié ; mais dans le système des fortifications d'Anvers, une partie spéciale provoque les plaintes les plus vives des populations dont nous sommes ici plus particulièrement les représentants, c'est la citadelle du Nord. »

« Or, continue, l'honorable M. Loos, remarquez combien l'occasion est favorable, en présence de ce que vient de dire l'honorable M. Coomans, pour donner satisfaction aux réclamations d'Anvers, combien il y a de bonnes raisons dans son discours pour arrêter les travaux de la citadelle du Nord ! L'affaire du Merrimac et du Monitor est décisive ! »

Eh bien, messieurs, tout cela n'est pas possible ; l'argument emprunté à l'honorable M. Coomans, si on voulait l'appliquer aux choses auxquelles les honorables députés d'Anvers attachent réellement de l'importance ; cet argument, dis-je, ne conduirait pas les honorables membres au but qu'ils veulent atteindre.

S'il est vrai, et l'honorable M. Loos n'a pas indiqué d'autre argument ; s'il est vrai que le combat naval livré en Amérique a démontré chez les navires de guerre une puissance de destruction qui jusqu'à présent était ignorée, ce n'est pas la citadelle du Nord tout entière qu'il faut démolir, mais seulement la partie qui regarde le fleuve.

Cette citadelle a un double but ; la défense d'Anvers du côté du fleuve et du côté de la terre ; or, par terre, Anvers ne sera jamais attaqué, que je sache, par le Monitor ou par le Merrimac.

L'honorable M. Loos veut-il appliquer les raisonnements de l'honorable M. Coomans à son sous-amendement ? Il doit, pour rester logique, demander alors qu'on suspende, non pas tous les travaux de la citadelle d'Anvers, mais seulement les travaux qui s'exécutent aux fronts de cette citadelle regardant le fleuve.

L'honorable M. Loos doit demander en même temps l'achèvement de l'enceinte et l'achèvement de tous les fronts de la citadelle qui regardent la ville d'Anvers ou la campagne.

Ceci fera-t-il l'affaire d'Anvers ? Je me permets d'en douter.

M. Loos. - C'est une plaisanterie.

M. Orts. - Ce n'est pas une plaisanterie. Admettez-vous que la citadelle du Nord ne servira à rien pour la défense d'Anvers vers la terre ? Si vous admettez que la citadelle du Nord ne servira qu'à défendre Anvers du côté du fleuve, alors mon observation est une plaisanterie ; mais vous ne l'admettez pas, et dans ce cas, j'ai le droit de vous dire : Vous défendez votre proposition par des arguments qui ne s'y appliquent pas. J'ai le droit de vous dire : Vous défendez pas votre proposition par les arguments qui lui appartiennent. Et pourquoi ? Parce que vous n'oseriez pas ouvertement appuyer au sein de la Chambre les prétentions d'Anvers avec les raisons données à Anvers, et lorsque je vous le dis, je suis vrai et je ne suis nullement plaisant.

M. de Gottal. - Messieurs, je n'ai que deux mots à dire en réponse à M. le ministre des finances.

Je ne reviendrai pas sur les arguments présentés par M. de Boe au sujet de la question s'il y a oui ou non suspension d'une loi ; tout ce que nous demandons, c'est que le pouvoir exécutif défère au désir que nous demandons à la Chambre d'exprimer : suspendre les travaux de la citadelle du Nord, jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur les pétitions de la ville d'Anvers.

M. le ministre des finances nous demande quel pourrait être le résultat de la suspension des travaux pendant quinze jours.

Je rétorquerai l'argument et je demanderai à M. le ministre des finances quel péril il y aurait à suspendre les travaux pendant quinze jours ?

La dépense du pays est-elle compromise ? (Interruption.) Oui, je comprends l'interruption.

M. le ministre des finances vous a dit : « Nous avons des contrats avec la compagnie Pauwels. »

Mais ce qui n'est pas un contrat, c'est le projet de loi que. nous discutons : c'est une faveur qu'il s'agit d'accorder à cette compagnie ; et pour obtenir cette faveur, je n'hésite pas à croire que la compagnie Pauwels consentirait à suspendre les travaux pendant quinze jours.

Quant aux arguments présentés par l'honorable M. Orts, l'honorable M. Loos a déjà dit que le Merrimac et le Monitor ne viendraient pas attaquer Anvers par terre ; mais comme l'a déclaré l'honorable M. Loos, en développant notre sous-amendement, ce n'est pas seulement au point de vue des progrès réalisés par la science militaire, mais encore au point de vue des réclamations d'Anvers, que nous avons soumis notre proposition à la Chambre.

La question des citadelles est une question qui n'est pas tranchée, et c'est pour cela qu'au commencement de cette séance j'ai insisté, pour obtenir la communication des procès-verbaux de la commission militaire de 1859.

Si le gouvernement s'est refusé à cette communication ce ne peut être que parce qu'il a redouté les arguments que l'on pouvait en tirer.

Voilà pour le moment les observations que j'avais à présenter à celles que l'on nous avait opposées.

M. Coomans. - Messieurs, l'honorable M. Orts a très logiquement démontré que ma proposition vaut mieux que celle de l'honorable M. Loos, et je l'en remercie.

En effet, if faut être franc avant tout : je ne vois dans la proposition de l'honorable M. Loos qu'une satisfaction mesquine, inefficace, donnée à la population anversoise, et je reconnais que le gouvernement ne peut guère l'accepter, parce que le gouvernement, croyant que les citadelles tiennent intimement à son système de défense, ne peut pas consentir à la suspension partielle des travaux.

Je prends au sérieux les déclarations du gouvernement et je lui dis : « Vous croyez que les citadelles du Nord et celle du Midi tiennent intimement à votre système ; soit. Eh bien, examinons, eu égard aux faits nouveaux qui se sont produits, si vous ne pouvez pas adopter un autre système ; » c'est-à-dire que je veux laisser au gouvernement une liberté pleine et entière pour revenir sur le système des fortifications d'Anvers et même pour les supprimer toutes et les transporter ailleurs.

Maintenant ai-je eu pour but pratique d'obtenir la disparition complète des fortifications d'Anvers ? Non ; j'aurais trop raison, et la raison n'a jamais entièrement raison. Mais mon but est d'appeler très sérieusement l'attention du gouvernement sur le point de savoir s'il ne pourrait pas remplacer avantageusement toutes ces citadelles, y compris les petites citadelles en dehors de l'enceinte, par des tours cuirassées, semblables à celle de Spithead ou à celle du Monitor.

M. le ministre de la guerre m'a prouvé aisément que l'artillerie du Monitor est beaucoup plus puissante sur terre que sur mer.

En effet, il est évident que si les artilleurs du Monitor se trouvaient avec leur tour en pleine terre, ils se croiraient beaucoup plus sûrs du succès. (Interruption.)

Mais ce n'est pas mon idée seulement que j'ai exprimée, c'est celles d'hommes très compétents que je regrette de ne pas pouvoir nommer encore, qui croient qu'il serait facile, profitable, efficace d'emprunter la tour du Monitor et d'établir une douzaine de tours de Monitor autour d'Anvers ; ces tours (ce sont des revolvers monstrueux), ces tours, qui renferment seulement deux canons, mais deux carions qui ont fait plus de bruit que les 80 canons du Cumberland, seraient d'autant plus terribles contre les assaillants que ceux-ci ne pourraient pas amener de semblables tours devant Anvers.

Ces tours sont trop puissantes pour être déplacées ; et quand même nous eussions, comme les peuples anciens, des armées d'éléphants, nous ne parviendrions pas encore à conduire contre l'ennemi de pareils tours. (Interruption.)

Donc, si la tour du Monitor est efficace sur mer, elle doit être cent fois meilleure sur terre. Je ne désespère pas d'en voir construire de mes propres yeux, dans un avenir prochain, une douzaine autour d'Anvers, à la place des citadelles.

L'honorable ministre des finances nous accuse, l'honorable M. Loos et moi, de demander une inconstitutionnalité, c'est-à-dire la suppression d'une loi. Le reproche est grave, si grave que, si je le prenais au sérieux, je retirerais immédiatement ma proposition. Mais il n'en est rien ; nous ne proposons pas de suspendre la loi.

La loi ne dit pas qu'on travaillera constamment aux fortifications. Les (page 1149) citadelles ne sont même pas dans la loi Vous pourriez les supprimer, sans toucher à la loi, et comme d'honorables préopinants l'ont déjà dit, le gouvernement peut, sans violer la loi, suspendre pendant quinze jours et même pendant plusieurs mois les travaux militaires, pourvu que ces travaux soient achevés dans le délai voulu par la loi.

Maintenant je reconnais qu'en cas d'adoption de ma proposition il faudrait s'entendre avec la compagnie Pauwels au sujet de ses intérêts. Cela est incontestable, mais c'est pour cela que j'ai demandé que cette discussion précédât la discussion du projet de loi concernant la compagnie Pauwels.

Mais l'objection des indemnités qu'on pourrait devoir à la compagnie peut être faîte à l'honorable M. Loos parce que l’on pourrait très bien suspendre pendant quinze jours les travaux de la citadelle sans pour cela nuire d'une manière sensible, me semble-t-il, aux intérêts de la compagnie qui continuerait à travailler sur d'autres points. D'après le cahier des charges, elle doit s'occuper des points que le ministre lui indique.

- Plusieurs membres. - Aux voix, la clôture !

M. Vervoort. - Messieurs, l'honorable membre dit que nous voulons donner une satisfaction mesquine aux Anversois. Je dois relever ce mot.

M. Coomans. - Une satisfaction inefficace.

M. Vervoort. - Je comprends fort bien que votre intention n'a pas été de rien dire d'offensant, mais il faut que je relève le mot.

M. Allard. - On lui donnera une médaille.

M. Vervoort. - M. Allard, les députés d'Anvers remplissent ici un devoir consciencieux sans ambitionner une récompense quelconque.

M. Allard. - C'est à M. Coomans que j'ai voté une médaille.

M. Vervoort. - Comme je prends la défense d'Anvers, je pouvais croire que cela s'adressait à moi. J'avoue que j'en étais fort surpris.

La Chambre a décidé que le vendredi après les vacances de Pâques elle s'occuperait d'une manière sérieuse des pétitions venues d'Anvers.

Ces pétitions demandent que les travaux intérieurs des citadelles ne soient pas achevés. Il nous a paru logique de demander que ces travaux fussent momentanément suspendus, sauf à diriger les ouvriers sur d'autres points.

Vous voyez donc que cette proposition, comme je l'ai dit, n'arrête pas l'exécution de la loi.

- Plusieurs membres : La clôture !

- La clôture est prononcée.

M. le président. - Il y a une proposition d'ajournement de M. Coomans, il y a ensuite un amendement à cette proposition, présenté par MM. Loos et consorts. Suivant le règlement, tout amendement doit être mis aux voix avant la proposition principale.

Je soumets, par conséquent, cet amendement aux voix : il est ainsi conçu :

« La Chambre décide que les travaux de fortification de la citadelle du Nord, à Anvers, seront suspendus jusqu'après la décision de la Chambre sur les réclamations d'Anvers. »

- Il est procédé au vote par assis et levé.

L'amendement n'est pas adopté.

MpVµ. - Vient maintenant la proposition suivante de M. Coomans : -

« La Chambre, considérant qu'il y a lieu de suspendre les travaux militaires d'Anvers, ajourne à un mois la discussion du projet de loi concernant la compagnie Pauwels. »

- Plusieurs voix. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

90 membres y prennent part.

20 disent oui.

63 disent non.

7 s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu non : MM. d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, C. Lebeau, J. Lebeau, Mercier, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Carlier, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, de Decker, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Lexhy, de Liedekerke, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt et E. Vandenpeereboom.

Ont répondu oui : MM. Goblet, Guillery, Kervyn de Volkaersbeke, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Nothomb, Rodenbach, Snoy, Thienpont, Van Bockel, Vander Donckt, Coomans, Coppens, Debaets, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt et B. Dumortier.

Se sont abstenus : MM. de Boe, de Gottal, Kervyn de Lettenhove, Loos, Nélis, Van Humbeeck et Vervoort.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Loos. - Messieurs, je n'ai pas pu voter contre la proposition de l'honorable M. Coomans, parce que son adoption, tout en dépassant le but que je m'étais proposé, réaliserait cependant le vœu exprimé par la députation d'Anvers.

Je n'ai pas pu voter pour, parce que je ne veux pas retarder l'achèvement de l'ensemble des travaux et conséquemment la démolition de la vieille enceinte.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, étranger au vote en vertu duquel ont été exécutées les fortifications d'Anvers, je ne veux assumer la responsabilité ni de ce vote ni de ses conséquences ; mais d'un autre côté je ne crois pas pouvoir renverser incidemment une loi qui est en voie d'exécution ; c'est le motif de mon abstention.,

M. Nélis. - Je n'ai pas voté pour la proposition, pour ne pas m'opposer à l'exécution d'une loi.

Je n'ai pas voté contre pour qu'on ne regarde pas mon vote comme contradictoire avec celui que j'ai émis sur les travaux de fortifications d'Anvers.

M. Van Humbeeckµ. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Kervyn de Lettenhove.

M. Vervoort, M. de Boe et M. de Gottal déclarent s'être abstenus par les mêmes motifs que M. Loos.

La séance est levée à 5 heures.