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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 27 mai 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1369) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Par dépêche du 24 mai, M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition du milicien Cassier, ayant pour objet une pension ou un subside. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Des habitants du faubourg de la ci-devant porte de Courtrai à Gand se plaignent que l'autorité militaire ait défendu à un des propriétaires des maisons situées sur la chaussée de Courtrai de faire des réparations locatives et prient la Chambre de prendre une disposition pour qu'il leur soit permis de faire à leurs habitations les réparations indispensables qu'elles réclament. »

M. Van de Woestyneµ. - Messieurs, cette pétition se rattache à une autre pétition qui est à l'ordre du jour. Je demanderai que la commission des pétitions veuille bien faire un prompt rapport de façon que cet objet puisse être discuté en même temps que la pétition qui est à l'ordre du jour.

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Beverloo prient la Chambre d'accorder au sieur Missalle-Vifquin la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Eyndhoven par Curange, Zolder, Heusden, Coursel, Beverloo, Bourg-Léopold et Lommel. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal et les habitants de Lombartzyde demandent que cette commune soit reliée à l'un ou l'autre des chemins de fer exécutés ou en projet dans la Flandre occidentale. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Marcourt demandent que la société concessionnaire d'un chemin de fer pour la vallée de l'Ourthe, le fasse passer par Laroche, auprès de cette ville, ou bien qu'elle établisse un embranchement de Hotton à Laroche. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Beaumont demandent la construction des chemins de fer de Frameries à Chimay ou Momignies et de Manage à Momignies par Beaumont. »

- Même renvoi.


« L'administration communale d'Aerschot demande la construction d'un chemin de fer de Lierre à Aerschot. »

- Même renvoi.


« Le sieur Moerman, milicien de la levée de 1862, réclame l'intervention de la Chambre pour être exempté du service militaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Faignard, menuisier, à Philippeville, demande un congé illimité pour son fils Alphonse, milicien de la levée de 1860. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Middeleer demande que le projet de loi sur l'organisation judiciaire fixe la position des greffiers des tribunaux de commerce et leur interdise d'intervenir dans une affaire quelconque en dehors des attributions ressortissant à leur greffe. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jean Van Hooydonck, surveillant au dépôt de mendicité de la Cambre, né à Genneken (Pays-Bas), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 118 exemplaires de la statistique agricole de la Belgique, ainsi que du tome VI des documents statistiques publiés par son département. »

- Distribution et dépôt à la bibliothèque.


« Les membres du conseil communal de Chimay demandent la construction d'un chemin de fer projeté de Frameries à Chimay. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Biesmes-sous-Thuin prie la Chambre d'accorder à la compagnie Delval la concession d'un chemin de fer de Momignies à Manage par Thuin. »

M. de Paul. - Je dois prier la Chambre de vouloir bien ordonner qu'un prompt rapport soit fait sur cette pétition et sur quatre ou cinq autres qui, relatives au même objet, se trouvent en ce moment sur le bureau de la Chambre.

Je crois, messieurs, devoir vous dire les motifs qui me font demander ce prompt rapport.

La pétition de l'administration communale de Biesmes, sous Thuin, a pour objet de prier la Chambre d'accorder à MM. Delval et Cie la concession d'un chemin de fer d'une grande importance. Il part de Mons et de Manage, pour se réunir, pour aboutir à Momignies au chemin de fer de Paris à Givet ; il a pour objet de relier tous les charbonnages du. bassin de Mons et ceux du Centre avec divers railways qu'on établit à l'est de la France, c'est-à-dire de leur ouvrir le marché des départements des Ardennes, de la Meuse, de l'Aisne.

Il a en outre pour objet de relier presque toutes les communes de l'arrondissement de Thuin aux chefs-lieux du district et de la province.

Il mérite donc à tous égards la sérieuse attention de la Chambre et du gouvernement. Il a donné lieu depuis plusieurs années à un grand nombre de pétitions qui toutes ont été renvoyées purement et simplement au département des travaux publics.

Mais il existe un autre projet de chemin de fer qui fait l'objet d'autres pétitions que nous allons voir tout à l'heure ; c'est un railway qui partirait du Borinage, de la station de Frameries, pour aboutir à Chimay.

Il a également pour but de relier les bassins du Centre et de Mons à tous les marchés du nord-est de la France.

Il a en outre l'avantage de tirer de l'isolement plusieurs communes importantes de l'arrondissement de Thuin, qui, aujourd'hui, sont encore privés de toute espèce de grande voie de communication. Ce dernier projet a donné lieu tout récemment à une convention provisoire, intervenue entre M. le ministre des travaux publics et M. l'ingénieur Dupré, demandeur en concession.

Je ne veux pas, messieurs, exprimer de préférence pour l'un ou l'autre de ces chemins de fer, je ne veux pas examiner quel degré d'utilité relative chacun d'eux présente ; mais je dois faire remarquer à la Chambre que l'exécution simultanée de ces deux chemins de fer est tout à fait impossible, à moins qu'il ne survienne une entente entre les demandeurs en concession, qu'il n'y ait une fusion des projets. Cette fusion me paraît très réalisable, et je la désire de tout cœur.

Elle ferait disparaître toute difficulté, donnerait satisfaction à tous les intérêts rivaux, et obtiendrait, j'en suis persuadé, toute l'approbation du gouvernement.

Malheureusement la négociation entamée peut échouer, et alors la Chambre aura à faire son choix entre les deux projets. Ce choix, elle ne peut le faire qu'en connaissance de cause, qu'après s'être entourée de tous les éléments de comparaison et d'appréciation possibles ; et c'est du département des travaux publics qu'elle doit nécessairement les réclamer.

J'ajoute qu'elle doit les réclamer promptement, parce qu'il y a un véritable danger à prévenir : chacun des demandeurs en concession, en effet, s'est assuré, au moyen de conventions provisoires, les ressources pécuniaires nécessaires à l'entreprise. S'il survient des retards plus ou moins prolongés, un ajournement indéfini, ces conventions provisoires, seront probablement rompues et l'entreprise entièrement compromise.

Je prierai donc M. le ministre des travaux publics de vouloir bien faire examiner soigneusement les deux projets dont il s'agit et de communiquer à la Chambre tous les renseignements qu'il aura à lui fournir pour l'éclairer, et surtout de faire cette communication en temps utile, c'est-à-dire de manière que la Chambre puisse statuer sur le sort de ces deux projets en même temps qu'elle statuera sur les divers projets de travaux publics que M. le ministre doit nous soumettre prochainement.

Je prierai également M. le ministre de vouloir bien faire tout ce qui sera en lui pour amener un rapprochement entre les demandeurs en concession ; il peut beaucoup aider à un accord qui est dans les intérêts de tous. Enfin, je le prierai de sauvegarder les intérêts des communes qui (page 1370) sont ici en cause quand il s'agira d'adopter un tracé définitif et de veiller à ce que l'emplacement des stations soit désigné de manière à satisfaire autant que possible aux légitimes exigences des diverses localités.

Pour conserver aux deux demandeurs en concession une position d'entière égalité, je demande que la commission des pétitions soit invitée à nous présenter un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« M. Coppens, obligé de s'absenter pour quelques jours, demande un congé. »

« M. J. Jouret, empêché par la mort d'un de ses parents, demande également un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. de Boe. - J'ai l'honneur de déposer quatre rapports sur autant de demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués et les demandes mises à l'ordre du jour.

Projet de loi, amendé par le sénat, accordant un crédit au budget du ministère de la justice

Vote sur l’ensemble

MpVµ. - La Chambre ne s'étant plus trouvée en nombre samedi au moment du vote de ce projet de loi, il va être procédé de nouveau à l'appel nominal.

70 membres prennent part au vote.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des membres présents. Il sera soumis à la sanction royale.

Ont répondu à l'appel nominal : MM. Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Loos, Magherman, Moncheur, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Pirmez, Rodenbach, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Braconier, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Haerne, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, H.Dumortier, B. Dumortier, Dupret, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans et Vervoort.

Projet de loi révisant le code pénal

Rapport de la section centrale

M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, j'ai à vous faire rapport sur trois parties du Code pénal qui méritent par les difficultés qu'elles présentent, non moins que par leur importance, toute l'attention de la Chambre.

Le premier point à résoudre est celui de savoir quelle application il faut faire des dispositions générales du nouveau Code aux infractions prévues par des lois et règlements particuliers.

La commission a été saisie de l'examen de cette question par suite d'une proposition de M. Nothomb.

La difficulté vient de ce qu'il faut prendre toutes les dispositions générales du premier livre et examiner comment chacune de ces dispositions peut être appliquée dans les matières très diverses régies par des lois particulières très nombreuses. On doit donc comparer chacun des principes du premier livre du Code avec chaque loi particulière et voir s'il n'y a pas d'inconvénient à étendre quelqu'un de ces principes à l'une ou l'autre de ces lois.

La difficulté est beaucoup augmentée par une circonstance qui doit être signalée.

La classification des infractions admise par le Code n'a pas été observée dans toute notre législation : les dispositions du Code qui reposent fréquemment sur la division tripartite des infractions en crimes, délits et contraventions, s'appliquent difficilement aux lois qui n'ont pas accueilli une classification semblable.

Aussi, sous l'empire du Code actuel, les tribunaux n'ont pu adopter une doctrine uniforme, et faire disparaître les doutes qui se sont élevés. La Chambre est actuellement saisie d'un projet de loi interprétatif sur un des problèmes que comprend la question générale.

Nous sommes donc forcés de chercher une solution à la difficulté.

Si nous examinons les dispositions du premier livre du Code, nous voyons immédiatement que quelques-unes de ces dispositions peuvent être étendues aux lois particulières, mais que d'autres doivent être limitées aux matières du Code.

On ne contestera pas, par exemple, que les dispositions relatives au mode de subir et de prescrire les peines, ne doive recevoir d'exception dans aucune partie de la législation.

Qu'un emprisonnement ou une amende soit prononcé en vertu du Code ou en vertu d'une autre loi, les conséquences de la condamnation doivent être les mêmes.

Il serait d'autre part difficile d'étendre la complicité à toutes les infractions que punissent des lois spéciales. Condamnerait-on en matière de presse, de chasse, ou de fraudes au fisc tous ceux dont les actes prêtent une assistance quelconque aux auteurs principaux ?

Ce résultat inverse, quant à différentes dispositions, doit faire reconnaître qu'il y avait un triage à faire. Votre commission a procédé à l'examen des dix chapitres qui composent le premier livre du Code pénal ; elle a décidé l'extension de l'applicabilité de quelques-uns de ces chapitres aux matières spéciales qui n'ont pas autrement disposé ; elle a maintenu, quant aux autres, la limitation de leur application aux dispositions du Code même.

Le chapitre premier contient des dispositions tout à fait générales sur la nature des infractions et le temps et le lieu dans lesquels s'applique la loi pénale. Il n'y a aucune difficulté à décider que ce chapitre régit tous les faits punissables.

Le chapitre II traite des peines, c'est-à-dire des diverses espèces de châtiments admis par la loi et de la manière dont ils sont subis.

L'extension de ces dispositions à toutes les peines prononcées non seulement est possible, mais elle est d'une indispensable nécessité.

Il en est de même du chapitre III qui traite des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais, en un mot à toutes les condamnations accessoires qui accompagnent ou peuvent accompagner dans toutes les matières l'application d'une peine.

Le chapitre IV s'occupe de la tentative.

La définition de la tentative qui y est inscrite doit servir de règle dans toutes les lois où elle est punie. On n'a, du reste, à craindre aucun inconvénient de l'extension de ce chapitre : il ne déclare la tentative punissable sans disposition spéciale de la loi que quand il s'agit d'un crime ; malgré l'extension de ce chapitre aux lois spéciales qui n'ont rien disposé de contraire, la tentative de délit ne sera donc frappée d'une peine que lorsqu'elle sera prévue par un texte formel.

Le chapitre V a pour objet la récidive, lorsqu'il s'agit de deux faits prévus par le Code pénal, c'est-à-dire d'ordinaire de deux faits naturellement et intrinsèquement mauvais, elle peut être étendue aux infractions punies par des législations particulières qui ne sont souvent que des violations de commandements purement positifs.

L'aggravation de la peine par suite de récidive n'a lieu que lorsque la première condamnation s'élève au moins à six mois d'emprisonnement. Cette peine déjà sévère que l'événement démontre n'avoir pas contraint le condamné à respecter la loi, paraît autoriser une sévérité particulière à son égard, quelle que soit la source des infractions dont il se rend coupable.

Le chapitre VI traite du concours des délits.

D'après la législation actuelle, lorsque deux infractions sont constatées en même temps à la charge du même individu, la peine la plus forte est seule appliquée.

Le nouveau Code a modifié cette disposition très simple de la législation actuelle et sans permettre le cumul des peines trop rigoureux, il tient compte du double fait à punir.

Votre commission a pensé qu'il n'y avait pas de difficulté à étendre cette disposition aux législations particulières en faisant toutefois une restriction.

Il peut arriver que, par le concours de délits, la peine d'emprisonnement prononcée contre une des deux infractions constatées supprime quand la pénalité de l'amende comminée contre l'autre infraction. Si l'amende cependant est prononcée pour des délits purement fiscaux, pour des contraventions aux lois d'accises ou de douane, il est incontestable que la peine pécuniaire ne peut disparaître.

L'amende a dans ce cas non seulement le caractère d'une peine, mais aussi celui d'une réparation ; elle doit concourir avec la peine d'emprisonnement méritée par l'infraction plus grave punie en même temps.

Avec la restriction qui vient d'être indiquée, rien ne s'oppose à ce que les dispositions de ce chapitre soient appliquées aux délits des lois spéciales.

Le chapitre VII s'occupe de la participation de plusieurs à la même infraction.

(page 1371) Déjà nous avons indiqué que ces dispositions se seraient appliquées, en dehors du Code pénal, qu'en augmentant considérablement le nombre des faits punissables, et des exemples nous ont montré les dangers qu'aurait cette création par voie de généralisation de délits aussi nombreux peut-être que les faits réellement prévus dans toutes nos lois répressives.

Le chapitre VIII est intitulé : « Des causes de justification et d'excuse. »

Ce chapitre a deux ordres de dispositions.

Il peut paraître à première vue que rien n'est plus impérieusement commandé par la raison et la justice que les dispositions qui ont pour objet d'écarter la peine, lorsque la criminalité morale n'existe pas, ou de l'atténuer, lorsque le jeune âge du condamné mérite cette faveur.

Les dispositions de ce chapitre ont cependant été la cause du conflit qui s'est élevé au sein du pouvoir judiciaire et que la législature est appelée à vider.

Ce chapitre contient des dispositions de droit général et des dispositions de droit exceptionnel et positif.

Les premières, qui font disparaître l'infraction lorsque l'agent n'a pas la conscience du fait qu'il a commis, sont de droit applicables à toutes les infractions quelles qu'elles soient ; l'extension des textes de ce chapitre serait donc sans utilité pratique.

Les secondes dispositions portent certaines mesures à l'égard des mineurs de 16 ans ; elles atténuent la peine quand ils ont agi avec discernement et permettent, quand ils ont agi sans discernement, certaines mesures de rigoureuse éducation.

Si l'on est tenté d'appliquer l'atténuation de la peine, quelle que soit la loi qui punisse l'infraction, on doit reculer devant l'autre partie du système.

Est-il possible de maintenir la faculté donnée aux tribunaux d'envoyer le mineur de 16 ans, qui a agi sans discernement, dans une maison de correction jusqu'à sa majorité, lorsqu'il n'a commis qu'un de ces délits souvent sans gravité que prévoient les lois spéciales ?

Ainsi par exemple, pourrait-on autoriser la détention dans une école de réforme du mineur de 16 ans qui a chassé soit sans port d'armes soit sur le terrain d'autrui ?

Le neuvième chapitre traite des circonstances atténuantes.

Presque toutes les lois particulières faites depuis un grand nombre d'années étendent formellement l'application des circonstances atténuantes aux délits qu'elles prévoient ; l'attention du législateur a toujours été appelée sur ce point, si souvent réglé par lui, en sorte que quand l'extension n'a pas été prononcée, c'est qu'il n'a pas voulu qu'elle le fût.

Dans cette position, la commission a pensé que nous ne devons pas étendre par voie générale aux lois particulières le système des circonstances atténuantes lorsque de nouvelles lois seront faites.

Enfin le chapitre X s'occupe des différents modes d'extinction de la peine.

Ici évidemment l'extension doit être faite aux matières particulières ; toutes les peines sont sujettes aux mêmes modes d'extinction. Une seule exception apparaît ; elle concerne les matières fiscales.

Les peines s'éteignent par la mort du condamné ; l'amende suit la règle générale ; si pendant la vie du condamné l'amende n'a pas été perçue, elle n'est pas due par les héritiers.

Mais on conçoit que ce principe, qui s'appuie exclusivement sur le caractère répressif de la débition, doit se restreindre aux amendes purement pénales ; il faut éviter de l'appliquer quand il s'agit de peines pécuniaires ayant un caractère de réparation, comme celles que l'on encourt pour contravention à certaines lois fiscales. La nature spéciale de ces amendes ,que nous avons déjà signalée, entraîne ici une nouvelle dérogation au droit commun.

Ces diverses considérations ont déterminé votre commission à vous proposer l'article suivant qui les résume.

« Cet article deviendrait l'article 7 du nouveau Code :

Les dispositions des six premiers chapitres et du chapitre dixième du premier livre du Code seront appliquées, dans le silence des lois et règlements particuliers, aux infractions prévues par ces lois et règlements, en tant qu'elles ne portent point atteinte aux peines pécuniaires portées pour assurer la perception de droits fiscaux.

« Les autres dispositions ne seront appliquées à ces infractions que lorsque les lois et règlements en auront admis l'application. »


Messieurs, vous renvoyez à l'examen de votre commission un amendement que j'avais eu l'honneur de déposer dans une des dernières séances et qui modifie la proposition faite par l'honorable M. Devaux, quant au rétablissement direct ou indirect de la peine du bannissement.

Cet amendement n'a pas dû être examiné par la commission.

M. le ministre de la justice, appelé au sein de la commission, y a soulevé une question constitutionnelle, et dont la solution peut rendre l'examen de cet amendement, et de la proposition de l'honorable M. Devaux complètement inutile.

La théorie émise par M. le ministre de la justice est celle-ci :

Le Roi a, d'après la Constitution, le droit de remettre et de réduire les peines. Ce droit est entier et sans limite.

Le Roi est maître de la peine, il peut en faire remise entière ; s'il est libre d'anéantir la peine, il peut à plus forte raison faire grâce à condition. Il a donc le droit de remettre les peines, soit purement et simplement, soit conditionnellement. Il est incontestable, dès lors, que remise d'une peine quelconque peut être faite à la condition que le condamné quittera le pays pendant un certain temps.

Tel est, messieurs, le point constitutionnel que vous avez nécessairement à examiner.

A cette proposition une objection se fait tout d'abord : admettre le droit de grâce conditionnel, n'est-ce pas permettre au gouvernement de rétablir des peines que la loi a proscrites ? N'est-ce pas l'autoriser à substituer au système de pénalités établi par la législature un système de pénalités tout différent et repoussé peut-être par nos mœurs ?

En d'autres termes, cette proposition ne revient-elle pas à permettre au Roi la commutation des peines existantes en des peines qui n'existent pas dans notre législation ?

Il importe, pour écarter cette objection, de bien déterminer la proposition de M. le ministre de la justice.

La commutation d'une peine en une autre, et la remise de cette peine, faite sous condition, sont deux choses entièrement distinctes.

Il y a entre ces actes des différences parfaitement caractérisées.

La commutation a pour effet de substituer une peine à une autre, de supprimer par conséquent la peine qui a été prononcée et de faire exister à sa place une autre peine. Ainsi, en cas de commutation, la première peine disparaît, et l'on se trouve en présence d'une autre peine qui, au moins, quand elle est acceptée, peut être exécutée comme si elle était prononcée par la justice.

La remise de la peine, faite sous condition, n'empêche pas cette peine de subsister ; elle est suspendue par la condition, il est vrai, mais la force exécutoire de la condamnation est conservée ; elle reparaît tout entière dans le cas où la condition n'est pas accomplie. A la différence de la peine que la commutation substitue à la première, la condition ne peut jamais être imposée au condamné et exécutée par la contrainte contre lui ; elle n'est pas une peine qu'il doit subir ; la réapparition de la peine de la condamnation est le seul effet possible de la violation de la condition apposée à l'octroi de la grâce.

Il résulte de ces principes cette conséquence importante que le gouvernement qui voudrait soumettre un condamné à une condition, qui, par le fait, constituerait une peine étrangère à nos lois, engagerait gravement sa responsabilité.

Les termes du débat bien précisés, quelle est la solution à lui donner ? Peut-il être fait remise d'une peine sous condition ?

Messieurs, c'est un principe général en droit que celui qui peut faire une chose purement et simplement peut aussi la faire sous condition.

Si l'on part de ce principe, que la raison a dicté au droit, il faut admettre que le droit de grâce peut être exercé conditionnellement.

Y aurait-il une raison d'exception quant à la matière qui nous occupe ?

Dans le texte de la Constitution on ne trouve absolument rien qui tendrait à écarter l'apposition des conditions aux remises de peines.

On cherche vainement quelque considération spéciale au droit de grâce qui exigerait qu'il s'exerçât sans condition.

Les jurisconsultes, enfin, enseignent que le droit de grâce peut être exercé conditionnellement :

« La grâce, dit Dalloz, peut n'être accordée que conditionnellement. N'étant qu'un acte de clémence de la part du chef du pouvoir exécutif, il peut apposer telles conditions qu'il lui plaît. »

« Le pardon, dit Blackstone, peut être conditionnel, le roi peut accorder la grâce avec telle clause qu'il lui plaît, y attacher une condition d'où dépende la validité du pardon. »

Cette doctrine est précise, elle a reçu la sanction de notre cour suprême.

Ces considérations ont fait penser à votre commission que le droit de grâce comportait la faculté d'apporter une condition à la remise des peines et que partant l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Devaux ou de celui que j'ai eu l'honneur de déposer, loin d'étendre le droit de grâce, n'en serait qu'une restriction : ce serait n'accorder que pour un cas particulier ce qui est de droit dans tous les cas.


Messieurs, dans votre dernière séance, M. Devaux a présenté des observations contre la qualification de calomnie donnée par le projet aux (page 1372) imputations portant atteinte à l'honneur et à la considération des personnes.

L'honorable membre a fait parvenir à la commission un amendement consacrant les idées qu'il a émises ; cet amendement a été examiné ; il n'a pas été adopté ; mais votre commission vous soumet un système qui tient compte des vices reprochés au projet et concilie les différentes exigences qui se trouvent en présence.

Aucune partie de la législation pénale n'offre tout à la fois plus d'importance et plus de difficultés que la matière des infractions portant atteinte à l'honneur et à la considération des citoyens.

Les biens à protéger et les méfaits à punir appartiennent à l'ordre moral : ils échappent ainsi bien plus facilement aux définitions et aux principes exacts que les faits de l'ordre matériel. Les nuances les plus délicates se présentent, et si le législateur ne peut les prévoir toutes, il doit au moins tracer au juge avec plus de précise vérité que partout ailleurs les grandes démarcations des infractions.

Mais dans cette matière si difficile, aucun point n'a donné lieu à des systèmes plus variés, plus différents, plus contradictoires même que la détermination de la nature et de la qualification des faits punissables.

Le but qui se montre d'abord comme devant être poursuivi, est la réparation aussi complète de l'offense, sans dépasser la répression que mérite le condamné.

Mais comment connaître ce point précis, sans entrer pour chaque prévention dans une série d'investigations non seulement sur l'existence de l'imputation, mais sur l'exactitude même du fait imputé ? Comment déterminer la réparation, sans constater tout d'abord si le prévenu a respecté la vérité ou s'il est coupable de mensonge ? Mais est-il possible d'admettre la preuve de toutes les imputations que la méchanceté et la haine peuvent suggérer ?

Il serait donc libre au premier venu de faire porter les investigations de la justice sur les faits les plus secrets, sur les détails les plus intimes de la vie privée d'un citoyen, de pénétrer au sein d'une famille pour livrer à la curiosité malveillante du public la conduite de chacun de ses membres, de soumettre au tribunal de la foule disposé à toujours condamner, à transformer des actes de légèreté en faute, à ériger des fautes en crimes, même la vertu de l'épouse et de la jeune fille pour lesquels un pareil jugement serait déjà une souillure et une souillure d'après nos mœurs que rien n'efface !

.Notre législation a toujours proscrit ces investigations dangereuses, et l'on est à peu près d'accord pour ne pas demander de changement sous ce rapport.

Mais en maintenant dans les limites actuelles la faculté de prouver la vérité des imputations, deux systèmes sont encore en présence : celui du code de 1830, et celui de la loi française de 1819.

D'après le premier de ces systèmes toute imputation qui n'est pas légalement prouvée est réputée fausse, et l'auteur de cette imputation condamné du chef de calomnie. La preuve ne peut résulter, en ce qui concerne les personnes privées, que d'un acte authentique ou d'un jugement.

Ce système part de ce principe incontesté de droit criminel, qu'il faut préserver l'innocence jusqu'à preuve du contraire : il proclame donc fausse toute imputation déshonorante dont la preuve n'est pas rapportée, et par une déclaration de calomnie il répare l'atteinte portée à l'honneur.

Ce système serait irréprochable, si la preuve était toujours admissible de la part du prévenu ; mais comme elle lui est très souvent interdite et avec raison, il en résulte que dans tous les cas où la preuve est rejetée, il se trouve puni comme ayant menti, sans pouvoir établir qu'il a dit vrai.

On le voit, cette théorie par une extension exagérée qu'elle donne à la présomption d'innocence à l'égard, de l'offensé arrive à l'oublier complètement à l'égard de l'offenseur ; parce que l'un est réputé innocent, l'autre est préventivement déclaré coupable.

On arrête ainsi à flétrir du nom de calomnie ce qui peut n'être que la simple divulgation d'un fait vrai.

Ce système a été souvent combattu. M. Haus l'a énergiquement attaqué dans le rapport si complet dont cette partie du projet est accompagnée et si la commission extra-parlementaire n'a pas accueilli les idées du savant professeur, c'est surtout parce qu'il proposait d'étendre la faculté de faire la preuve des imputations.

Au sein de la Chambre, les mêmes critiques ont été formulées par M. Guillery d'abord, par M. Devaux tout récemment.

Les vices de cette législation ont été reconnus en France, où la loi de 1819 a fait disparaître le délit de calomnie.

Comme il arrive presque toujours, la législation française de 1819 qui était une réaction contre le système du Code impérial, a versé dans un excès complètement opposé,

Ainsi, tandis que le Code actuel veut, dans tous les cas, la réparation de l'atteinte portée à l'honneur ou à la considération et proclame d'avance, et la plupart du temps sans examen, la fausseté de l'imputation, la loi de la restauration ne se prononce jamais.

Quelque ardente que soit la calomnie, elle ne condamne jamais l'auteur de l'imputation comme étant un calomniateur. En sorte que si cette législation évite de condamner un homme qui a dit vrai, comme coupable de mensonge, elle tombe dans l'inconvénient non moins grave : celui de ne jamais réparer l'atteinte faite à la réputation.

Et, en effet, quelle réparation obtient celui à qui on a imputé un acte déshonorant, lorsqu'il ne peut obtenir que la justice proclame qu'il n'a pas commis ce fait déshonorant ?

La réparation est bien plus dans la déclaration de la fausseté de l'imputation que dans la peine qui l'atteint.

L'honorable M. Devaux a présenté un système qui, ainsi que je viens de le dire, se rapproche du système français. Il n'en diffère guère qu'en un point, c'est que la législation française qualifie de diffamation l'atteinte portée à l'honneur ou à la considération de quelqu'un, tandis que l'honorable M. Devaux s'abstient de donner une qualification quelconque au délit.

Dans son système, on prononcerait la peine, mais sans donner de dénomination particulière à l'infraction commise. Voici le texte de cet amendement :

« Quiconque, soit dans des lieux ou réunions publics, soit dans des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, aura méchamment imputé à une personne un fait précis, de nature à l'exposer au mépris public ou à porter atteinte à son honneur et dont la preuve légale n'est pas apportée, sera punie d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de cent francs à deux mille francs. »

Vous le voyez, messieurs, à la qualification près, le système de l'honorable membre est le système français.

Votre commission s'est donc trouvée en présence de deux systèmes complètement opposés : le système actuel qui, partant de la présomption d'innocence en faveur de celui qui est offensé, proclame toujours, jusqu'à preuve légale contraire, l'offenseur calomniateur ; le système français qui, partant du même principe appliqué au prévenu, ne le déclare jamais coupable que de diffamation.

Votre commission n'a pas pensé que le second système fût préférable au premier ; elle a rejeté l'amendement de M. Devaux par quatre voix contre une.

Mais elle s'est demandé alors si l'on ne pourrait pas prendre dans ces deux systèmes ce qu'ils ont d'incontestablement bon, c'est-à-dire d'appliquer à l'infraction, lorsque la fausseté de l'imputation est reconnue, la qualification de calomnie et de lui donner, dans le cas contraire, la qualification de diffamation.

Cette distinction se fait naturellement lorsqu'on parcourt les différentes hypothèses qui peuvent se présenter.

Si déjà un jugement a déclaré non établis les faits qu'on reproche à quelqu'un, il est conforme à tous les principes de la raison et de la législation de proclamer coupable de calomnie celui qui, malgré l'autorité de la chose jugée, maintient l'imputation. Quand les tribunaux se sont prononcés sur la non-existence du fait, il ne doit pas appartenir à un particulier d'aller à rencontre de la vérité de la sentence et de condamner celui que la justice a acquitté.

Dans ce cas il ne paraît pas qu'il y ait aucune difficulté à rendre la réparation entière en déclarant l'imputation calomnieuse.

Il est une autre hypothèse qui ne paraît pas offrir plus de difficulté : A l'égard des fonctionnaires publics, la preuve des imputations est toujours permise lorsque les faits articulés se rattachent à leurs fonctions ; le prévenu a donc le droit d'établir ce qu'il a imputé à un fonctionnaire ; s'il ne fait pas cette preuve, les faits doivent être tenus pour faux, et lui-même condamné comme calomniateur.

Evidemment, dans ces deux cas, en rendant la réparation complète par la déclaration de la calomnie, le législateur ne risque pas de tomber dans le défaut reproché au Code actuel, de condamner pour calomnie un individu qui n'a pas établi la vérité de ce qu'il a dit.

Il en est de même encore, quand le fait imputé est punissable d'après nos lois, et que la poursuite en est encore actuellement recevable. Le prévenu peut provoquer, soit par une plainte, soit par une dénonciation, les investigations de la justice, appeler les tribunaux à se prononcer sur l'existence de ce fait ; et si, par suite de cette dénonciation le fait n'est pas établi, il est encore juste que l'auteur de l’imputation, soit condamné comme coupable de calomnie.

(page 1373) Ainsi, dans les trois cas que je viens d'indiquer, on peut condamner le prévenu qui ne fait pas constater la vérité des faits qu'il a avancés, du chef d'imputation calomnieuse. C'est, messieurs, ce que la commission vous propose de faire.

Mais une situation toute différente se présente pour d'autres hypothèses. Lorsque le fait imputé est un délit qu'on ne peut plus poursuivre parce que la prescription le couvre, ou un acte de la vie privée qui ne constitue pas une infraction, aucune espèce de preuve ne peut être faite ; le doute absolu plane sur la vérité ou la fausseté de l'imputation ; la présomption d'innocence milite à la fois pour la partie lésée et pour le prévenu. Dans ce doute, il est sage de s'abstenir et de cesser de juger sur la nature du délit, lorsque les lumières légales cessent de l'éclairer.

Votre commission propose d'adopter pour ces cas la qualification de diffamation.

Ce système nouveau ne touche donc pas à la répression ; il ne porte que sur la qualification de l'infraction. Le délit constituera la calomnie quand il pourra être statué sur la vérité du fait imputé, la diffamation quand cette recherche ne serait pas possible ; nous prendrons dans notre législation ce qu'elle a de juste quant à l'efficacité de la réparation et dans la législation de la France ce qu'elle a de sage dans son abstention de qualifier un fait dont elle ignore la nature.

Nous ne devons pas omettre de dire que le projet punit aussi dans certains cas l'imputation d'un fait vrai ; il donne à cette infraction le nom de diffamation ; comme ce terme s'appliquera dans le nouveau système au cas où aucune preuve ne sera possible, votre commission vous propose d'appeler « divulgation » méchante, l'articulation d'un fait infamant dont la preuve est rapportée.

Les imputations pourront donc constituer trois infractions : la calomnie, quand le fait est reconnu faux ; la diffamation, quand on ignore si le fait est vrai ou faux, et la divulgation méchante quand il est constaté que le fait est vrai.

Ce système a été adopté par trois voix contre une et une abstention.

Voici comment la commission présenterait ce système dans l'article 514 :

« Est coupable de calomnie ou de diffamation celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis digne du mépris public ou qui serait de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne et dont la preuve légale n'est pas rapportée.

«Le délit est qualifié calomnie lorsque le fait imputé a été judiciairement déclaré non établi et lorsque le prévenu est admis par la loi à provoquer ou à faire la preuve du fait imputé.

« Dans les autres cas, le délit est qualifié diffamation. »

Ce changement dans l'article principal entraîne des modifications de rédaction dans les articles subséquents.

Je suis prêt à faire connaître ces articles à la Chambre, mais comme on ne peut apprécier ces changements, que par la comparaison des deux textes, la Chambre préférera attendre pour se prononcer sur les différences de rédaction, que ces textes soient imprimés. Je me dispense donc de les lui indiquer.


L'honorable M. Coomans propose d'abaisser les peines édictées contre a calomnie.

L'article 515 porte un emprisonnement d'un mois à 2 ans. M. Coomans propose de le réduire au maximum d'un an ; toutes les autres peines subiraient une diminution proportionnelle.

L'honorable membre a présenté diverses considérations à l'appui de cette réduction ; la principale est que dans un pays où l'on jouit de la liberté de parler et d'écrire, les imputations calomnieuses sont moins à craindre que dans les pays où cette liberté n'est pas complète ; la faculté de répondre est une puissante garantie ; l'énergie individuelle a aussi en son pouvoir un moyen efficace de repousser les attaques à la considération à l'honneur, qui rend la répression pénale moins nécessaire.

La commission a adopté les réductions proposées par M. Coomans. Elle s'est déterminée surtout par cette considération, qu'en matière de calomnie on a un mode de réparation très efficace, souvent employé et parfois sévèrement appliqué, c'est la demande de dommages intérêts.

Cette réduction qui porte sur tous les articles du chapitre sera indiquée dans la nouvelle rédaction qui sera soumise à la Chambre.


- Un membre. - L'article 516.

M. Pirmez. - L'honorable M. Devaux a présenté au sein de la commission un amendement à l'article 516. L'honorable membre se propose de présenter une nouvelle proposition à cet égard, J'ai cru, dans cet état, ne pas devoir faire un rapport probablement inutile.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Discussion des articles amendés (livre II. Des infractions et de leur répression en particulier

Titre IV. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions ou par des ministre des cultes dans l’exercice de leur ministère

Chapitre IX. Des infractions commises par les ministres des cultes dans l’exercice de leurs fonctions
Article 295

M. Julliot. - J'ai voté contre la protection spéciale et contre la répression spéciale des ministres des cultes, parce que je n'aime pas les lois d'exception ; le principe en e-t dangereux.

On parle sur tous les tons de la séparation du spirituel et du tempo-rel.

On dit qu'on la veut, et quand on agit on fait le contraire et on les mêle plus encore qu'ils ne l'étaient.

Les dispositions que vous voulez faire voter sont à leur place là où il y a une religion d'Etat, mais en Belgique elles sont de trop.

Quand vous donnez une protection spéciale au prêtre, c'est un privilège.

Vous marchez dans la direction de ceux d'autrefois, qui, par privilège, lui donnaient un tribunal ecclésiastique pour le juger.

Le fond est le même, ce n'est que la forme qui diffère.

Dans votre protection privilégiée, vous placer l'église au-dessus de la société civile.

Quand au contraire, vous lui appliquez des répressions spéciales, c'est un privilège pour l'Etat sur l'Eglise, et vous placez le trône au-dessus de l'autel.

Est-il quelqu'un qui nie le caractère de ces privilèges réciproques ? Je ne le pense pas, car il reconnaîtrait implicitement qu'il ne comprend pas la portée de son vote.

Soumettre dans la même loi alternativement l'Etat à l'Eglise et l'Eglise à l'Etat quand la Constitution dit le contraire, cela me semble trop fort.

Votre loi est un concordat exclusivement laïque que vous faites pour le prêtre, contre le prêtre et sans le prêtre.

On s'escrime sur la dose relative de la protection et de la répression et des deux côtés on discute à côté de la Constitution.

La vérité constitutionnelle n'existe que dans le droit commun, et nos lois organiques ne doivent pas prendre naissance dans des plébiscites de l'une ou l'autre tribu plus ou moins ténébreuse mais dans la Constitution seule.

Si on enlevait au pape le pouvoir temporel, M. le ministre de la justice n'en ferait pas une maladie, je crois en être sûr. Néanmoins ce même ministre a proposé de renforcer le pouvoir temporel de l'Eglise en accordant des privilèges en fait de protection à ses ministres.

Or, donner aux prêtres des lois spéciales pour les défendre, ou leur donner des juridictions spéciales pour les juger, cela se ressemble beaucoup, et ne diffère que pour la forme ; et si un jour on voulait aller jusque-là, on pourrait s'appuyer sur un principe inscrit à tous les programmes révolutionnaires, savoir qu'il faut faire juger les hommes par leurs pairs.

A preuve, les conseils de guerre pour le militaire.

Puis encore on place les voleurs en face des jurés en leur disant : En Belgique les citoyens sont jugés par leurs pairs, allez.

Ce n'est pas étonnant que les jurés se révoltent contre ce superbe droit civique, et, sans la consécration des 500 fr. d'amende, vous n'auriez pas de jury.

Il est évident pour moi, que beaucoup de lois votées sous le régime d'une religion d'Etat, contiennent des dispositions opposées à l'esprit de la Constitution qui proclame le contraire d'une religion d'Etat.

Je suis donc d'avis qu'au lieu de renforcer les obligations réciproques entre l'Eglise et l'Etat, il faut à chaque occasion en diminuer le nombre et la portée.

Enfin je me demande quelle est la portée de l'article 295 et de l'amendement, car ce sont les dispositions les plus élastiques du Code entier.

« Les ministres des cultes qui, dans des discours prononcés ou par des écrits lus dans l'exercice de leur ministère en assemblée publique, auront fait la censure ou la critique du gouvernement, d'une loi, d'un arrêté royal ou de tout autre acte de l'autorité publique, sera puni, etc.»

Ainsi, tout curé mérite la prison, s'il se permet de critiquer les principes économiques du gouvernement ;

S'il critique en chaire la loi du divorce ;

S'il censure l'ouverture trop hâtive de la chasse ;

S'il se moque d'un ministre ou d'un procès-verbal de garde champêtre, il sera fautif au même degré.

En vérité, c'est une loi de bon plaisir et d'un autre âge.

Car si le professeur en science sociale le plus remarquable que nous ayons avait été prêtre, il aurait subi en Belgique le sort de son ami Ganesco en France.

Quand une loi est nette et claire, il faut qu'on l'applique en tout cas ; mais quand elle est ambiguë, élastique, qu'on y trouve ce que l'on veut ; y voir, cela devient le règne de l'arbitraire et du bon plaisir.

(page 574) D'ailleurs, le prêtre a-t-il seul une influence sociale exceptionnelle ? Mais non, les maîtres d'école, les professeurs, ceux qui font des conférences, les théâtres, école des mœurs, quand mœurs il y a, n'ont-ils pas une influence sociale exceptionnelle ? Evidemment oui. Mais alors pour que votre loi soit complète, il faut proportionner la protection et la répression privilégiées, au degré de l'influence sociale de chaque élément constitutif de la société. Pourquoi ne voir que le prêtre dans toute cette collection d'apôtres ? Qu'on me le démontre !

On dirait vraiment que cet article 295 a été rédigé sous l'influence spirituelle de ces pièces de théâtre où l'on se moque plus de l'autorité qui en rit ou en pleure, que tous les curés réunis ne s'en moqueront.

On dirait qu'on réserve le dos du curé pour y escompter toutes les traites à l'adresse de l'élément officiel laïque, car on dit que l'Etat avec ses 27,000 serviteurs est laïque, ne l'oublions pas.

Nous pourrions nous attirer une méchante affaire, quoique l'Etat, par le privilège qu'il accorde au prêtre, endosse un costume clérical pour mieux pincer le clérical.

J'espère que le Sénat nous renverra cette loi exceptionnelle tout entière et que nous finirons par y voir plus clair en appliquant la loi commune à tous les citoyens égaux devant la Constitution. En attendant je voterai contre l'article 295.

M. Rodenbach. - A propos des articles 295 et 296 qui ont été adoptés au premier vote et auxquels je me suis opposé, dans le temps, de toutes mes forces, je crois de nouveau devoir combattre ces dispositions illibérales.

Ne voulant pas renier l'opinion que j'ai émise au Congrès national en 1831, je persiste à croire qu'il ne peut y avoir de pénalités exceptionnelles pour les prêtres et que les ecclésiastiques doivent rester dans le droit commun.

Il est certain que, dans les articles proposés, la liberté des cultes proclamée par le Congrès est méconnue, et que l'on ne respecte point le principe fondamental de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Si le prêtre calomnie en chaire, il est punissable d'après les lois ordinaires qui atteignent ce genre de délit, il doit encourir la responsabilité comme les autres citoyens. Chacun doit répondre de ses œuvres, soit par ses paroles, soit par ses écrits.

Le culte est placé sur la même ligne que la presse.

Je me rappelle, messieurs, que de 1825 à 1830 des agents de police assistaient comme espions aux sermons et dénonçaient à Van Maanen, des prédicateurs, comme ayant blâmé les actes du gouvernement. Ces vexations avaient profondément irrité le pays.

Je sais bien que nous ne sommes plus sous le régime hollandais, mais nos lois doivent être des lois libérales, des lois belges.

Le prêtre, comme l'évêque, est citoyen, il a le droit de faire usage de la liberté que lui garantit le pacte fondamental.

Nous voulons la Constitution, toute la Constitution et rien que la Constitution. Le prêtre doit être puni comme le laïque, point de peines spéciales. Egalité, voilà ce que je veux pour le prêtre comme pour les autres citoyens.

Je regrette beaucoup, messieurs, dans notre libre Belgique les classifications de clérical et de libéral. L'opposition du libéral et du clérical est sans portée, on peut dire qu'elle est anti-belge. Il y a autant de libéralisme à droite qu'à gauche aussi la Belgique a tort de se laisser infliger de pareilles distinctions qui divisent le pays, désunissent les familles et nuiront en cas de catastrophe politique, à notre nationalité. Lorsqu'un parti est en majorité, il ne doit point gouverner avec passion car les flots et les destins sont changeants. Je le répète, je veux la liberté pour tout le monde, pour le prêtre, comme pour les autres citoyens.

En finissant je proteste de toutes mes forces contre l'article 295, contraire à l'esprit de la Constitution. Il n'est jamais entré dans les vues du Congrès de créer de pénalités exceptionnelles pour les membres du clergé.


MpVµ. - Vous avez chargé le bureau de nommer la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.

M. Devaux ne pouvant accepter de faire partie de cette commission, vu l'état de sa santé, le bureau a nommé M. de Ridder à sa place.


M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, ainsi que vient de le faire dans son discours l'honorable M. Rodenbach, mon ami, j'ai demandé la parole pour protester de toutes mes forces contre toutes mesures inopportunes, illibérales ou contraires à la Constitution.

Et, en effet, les dispositions de l'article 295 constituent :

Une violation formelle de l'article 14 de la Constitution ;

Une violation du principe constitutionnel contraire aux lois d'exception ;

Une violation non moins flagrante de l'article 16 de la Constitution quant aux brefs ou mandements lus en chaire.

Je dois critiquer et combattre l'article 295, parce que nous devons regarder la liberté de la chaire comme un droit constitutionnel.

Il est évident que, dans l'espèce, la liberté des cultes, proclamée par le Congrès, est totalement méconnue.

Il ne peut y avoir de pénalités exceptionnelles pour les prêtres, qui doivent rester dans le droit commun.

En matière d'enseignement nous n'avons jamais fait que réclamer l'application des principes du Congrès.

En matière de charité, une liberté susceptible de favoriser le plus possible les donations destinées aux classes souffrantes.

En matière des cultes, nous demandons le droit commun.

Ces articles 295... sont exhumés du trésor législatif de l'empire.

Le délit dont il est question, nous voulons qu'il soit réprimé par le droit commun au lieu de l'être par des mesures exceptionnelles.

Et voilà bien la différence radicale entre la droite et la gauche prises en masse.

Veuillez, messieurs, bien le remarquer : depuis le Code pénal de 1810, un esprit nouveau a passé sur la terre et le souffle de la liberté n'est pas resté stérile dans notre libre et patriotique Belgique : on peut donc facilement juger quel effet doivent produire dans le pays de semblables dispositions dans notre législation, alors que les principes de liberté, éclos au sein de l'union nationale, se sont épanouis dans la Constitution belge pour rester les règles immuables du droit positif. J'ai dit.

M. de Theux. - Messieurs, l'article 295 du Code pénal était vraiment digne de figurer parmi les institutions du gouvernement le plus despotique de l'époque moderne.

Ce gouvernement ne reconnaissait pas la liberté individuelle. Si des hommes influents lui portaient ombrage, il les renfermait dans les prisons d'Etat.

La liberté des cultes, la liberté des opinions, la liberté de la presse, la liberté des associations, la liberté de rassemblement, la liberté des discussions parlementaires, tout cela était matière à délit ; tout cela était soumis à des mesures préventives, de manière à appesantir sur la nation la main de fer la plus dure qu'un peuple civilisé ait subie dans notre époque.

Serait-il possible que, dans la libre Belgique, en présence de notre Constitution la plus libérale du monde, l'on votât l'article 295 qui consacre la violation la plus directe de notre pacte fondamental ?

Cet article viole la liberté des cultes inscrite dans notre Constitution, celle qui est le plus puissamment garantie par l'ensemble de ses dispositions, et la liberté d'opinion qui est placée auprès de la précédente, côte à côte, de crainte qu'on ne fît encore quelque distinction subtile entre la liberté des cultes et la liberté des opinions. L'une fortifie l'autre dans les termes mêmes de l'article 14 de notre Constitution.

L'article 14 dit : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière sont garantis, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »

Vous voyez, messieurs, que cet article n'admet pas de délits exceptionnels et spéciaux résultant de l'usage de la liberté des cultes ou de l'usage de la liberté des opinions. Ainsi, de la même manière que vous réprimez l'abus de la liberté des opinions, vous avez le droit de réprimer les abus de la liberté des cultes ; mais vous ne pouvez allez au-delà.

De quelle manière se manifestent et les doctrines et les opinions religieuses ? De tout temps, elles se sont manifestées par la prédication, elles se sont manifestées par les actes émanant des autorités supérieures des divers cultes.

C'est ainsi que par des mandements on prescrit ou l'on exhorte les fidèles à faire certaines choses qui sont dans l'intérêt des cultes. Et où ces mandements, ces prédications reçoivent-ils la publicité ? Evidemment dans les assemblées des fidèles de chaque culte, dans les temples ou dans des réunions spéciales extraordinaires, réunions qui ne sont guère usitées dans notre pays.

Ce n'est véritablement que dans, les temples que se voit l'emploi de cette liberté.

(page 1575) On semble faire une distinction entre l'écrit imprimé par la voie des journaux ou distribué en public de toute autre manière et l'écrit lu en chaire. Or, je ne crains pas de le dire, cette distinction est absurde.

Serait-ce par la voie des journaux que les supérieurs des communautés religieuses feraient connaître leurs ordonnances, leurs exhortations ? Mais tout le monde est-il donc obligé d'être abonné à un journal de l'évêché, d'un consistoire protestant ou israélite ? En aucune manière.

Ce qui est imprimé par la voie des journaux n'a pas un caractère d'autorité. Mais ce qui est lu dans le temple par le pasteur de chaque paroisse au nom de leur chef diocésain, a un caractère d'autorité. C'est le seul mode de publicité possible consacré par un usage séculaire.

Ainsi lorsque l'article 16 de la Constitution porte ; « L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication, » il semble avoir été écrit comme une protestation anticipée contre l'article qui est soumis à notre vote.

Ainsi le clergé a le droit de publier les actes de ses supérieurs, et en les publiant, il ne peut encourir d'autre responsabilité que la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.

Or, quelle est la responsabilité en matière de presse et de publication ?

Elle est écrite dans l'article 18 de la Constitution. D'après cet article : « La presse est libre, la censure ne pourra jamais être établie ; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. »

Et plus loin, messieurs, la Constitution dit que les délits en matière de presse ne peuvent être soumis qu'à la seule juridiction' du jury. Or, c'est aux délits de la presse que sont assimilés les délits qui peuvent être punis aux termes de l'article 16 de la Constitution. Je ne conçois pas qu'il soit possible de sortir du cercle de fer tracé par ces trois articles.

On peut subtiliser, mais jamais, en présence de la saine raison, on ne pourra détruire la preuve irrécusable qui résulte de la combinaison de ces trois articles.

Non seulement l'article 295 crée un délit spécial qui n'est point compatible avec l'article 14 de la Constitution, mais il soustrait l'auteur de ce délit inconstitutionnel, inventé en opposition à la liberté des cultes, il le soustrait à la juridiction du jury. Et cela est-il sans importance ? En aucune manière.

Le jury est la garantie de la liberté de la presse, de la liberté des opinions et de la liberté des cultes, qui leur est assimilée. Ce n'est que là que le Congrès a cru trouver des garanties suffisantes, bien qu'il ait entouré la composition des cours d'appel et de la cour de cassation de beaucoup de garanties. Mais notre loi renvoie ce délit a de simples tribunaux correctionnels.

La protection du jury est accordée à l'écrivain le plus obscur et vous la refusez aux premiers pasteurs du pays, vous la refusez aux chefs de nos paroisses. Et les tribunaux correctionnels sont-ils entourés dans leur composition des garanties que présente la composition du jury, la composition des cours d'appel et de la cour de cassation ?

En aucune manière. Un tribunal correctionnel peut être organisé à un point de vue politique, en vue de faciliter dans telle ou telle localité des jugements de complaisance. (Interruption.) Cela s'est vu. et cela se verra encore, n'en doutons point. Tous les abus qui ont parcouru le monde le parcourront encore. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil ; tout ce qui se passe sous nos yeux confirme la vérité de cet adage. Ne faisons donc l'abandon d'aucune de nos libertés, d'aucun de nos droits.

L'article est inconstitutionnel. Il donne ouverture à des procès odieux, à des délations, à des enquêtes, à des plaidoiries contradictoires devant les tribunaux correctionnels ; il tend à jeter la division dans le pays, à jeter la déconsidération sur les matières les plus graves.

Je dis, messieurs, que la répression d'une simple critique ou d'une censure doit se faire par des moyens beaucoup plus doux et plus conformes à l'esprit de nos institutions.

J'ai entendu dire qu'il existe en France le moyen des appels comme d'abus devant le conseil d'Etat et que ce moyen nous faisant défaut, nous devons être d'autant plus portés à voler l'article 295.

Eh bien, cet argument n'a aucun caractère de solidité. Qu'est-ce que c'est que le conseil d'Etat statuant comme d'abus ? C'est une opinion contraire à celle de l'évêque. C'est une opinion qui censure celle de l'évêque. Une décision du conseil d'Etat n'a de force morale qu'en tant que l'opinion publique lui est favorable.

Si l'opinion publique considère la décision comme un abus de pouvoir, elle est sans influence dans le pays et le mandement de l'évêque conserve toute sa force morale.

Eh bien, messieurs, ici vous avez un moyen beaucoup plus simple que celui-là, si, par hasard, il arrivait que l'un ou l'autre évêque dans un mandement, dans une lettre pastorale, vint critiquer un ou plusieurs actes du gouvernement. Quelle est la marche que le bon sens indique pour obvier à cet inconvénient ?

Le ministre compétent ou le conseil des ministres rétablit dans le Moniteur les faits et leurs conséquences, sous leur véritable jour et le public donne raison au gouvernement et tort à l'évêque. Ainsi, le gouvernement est vengé par l'opinion publique. Si, au contraire, le gouvernement prétend se justifier par de mauvaises raisons, alors la lettre pastorale aura son effet moral, que personne au monde ne peut empêcher.

S'agit-il de la critique d'un acte de l'autorité inférieure dans une commune, de l'autorité locale ? Eh bien, cette autorité a des moyens de publicité plus que suffisants pour obvier à l'inconvénient des écarts que l'un ou l'autre prédicateur aurait pu commettre.

Les moyens de publicité ne font défaut en aucune manière ; chaque autorité locale a ses partisans, ses influences, et si le prédicateur a tort, le tort rejaillit sur lui, il affaiblit sou autorité morale et relève la position de l'autorité civile qu'il a critiquée.

Si, au contraire, vous intentez des poursuites judiciaires du chef d'une simple critique, eh bien, messieurs, ces poursuites judiciaires font ordinairement le plus mauvais effet dans la commune, dans la paroisse.

Il est encore un autre moyen qu'on peut employer avec succès, si un prédicateur abuse de la parole, s'il fait du bruit, du scandale, on dénonce le prédicateur à son supérieur et il sera certainement rappelé à l'ordre, au besoin même changé de résidence.

Ainsi, dans nos libres institutions tout peut se pratiquer largement sans que la considération, soit de l'autorité civile, soit de l'autorité religieuse en souffre en aucune manière, si ce n'est par la faute que l'une ou l'autre autorité peut commettre et dont elle reste moralement responsable devant le public.

Je dis, messieurs, que cet article ne peut profiter en aucune manière au gouvernement ; au contraire, ce n'est qu'un embarras pour lui. Des poursuites de ce genre ne pourront avoir lieu évidemment, qu'en vertu de l'autorisation du gouvernement, comme les poursuites en matière de délit de presse. Eh bien, si le gouvernement échoue, c'est un échec très considérable pour lui ; s'il réussit, pourra-t-il se prévaloir de la force morale du jugement ? Mais non, messieurs ; le jugement n'aura de force morale qu'autant qu'il soit conforme aux principes de la Constitution et de la justice. Cela est évident. Ce n'est point parce qu'un jugement est conforme à un article du Code pénal que tout le monde considérera le fait comme abusif ; ce n'est point pour cela qu'il en résultera une force morale contre les membres du clergé inculpé.

Nous avons vu des faits très graves et très précis sous le royaume des Pays-Bas, à charge de Mgr l'évêque de Broglie, évêque de Gand ; ce prélat a été condamné au bannissement et exposé en effigie comme le plus grand criminel, pour avoir correspondu avec Rome ; et je pense que l'un des griefs qui l'ont fait condamner a été d'avoir demandé à Rome l'autorisation d'ordonner des prières pour le roi. L'évêque condamné s'est retiré en France.

Mais ce fait a constitué un grief énorme dans les Flandres et dans tout le pays. Ce fut une des origines des griefs religieux contre le gouvernement des Pays-Bas. Ces griefs se sont ensuite multipliés, parce que le pouvoir, ayant une fois fait abus de la force, tend toujours à en abusé davantage et multiplie ainsi les motifs de désaffection,

Il y a eu beaucoup d'autres motifs politiques et civils, commerciaux et financiers ; mais il n'en est pas moins vrai que, par l'ensemble des abus qui se sont accumulés sous le royaume des Pays-Bas, le gouvernement fort a lui-même été banni.

Messieurs, nous appartient-il à nous d'être si sévères à l'égard d'un écart possible de la part d'un évêque ou d'un pasteur de paroisse ?

Ces écarts sont-ils si probables ? Peuvent-ils être si nombreux, si dangereux ? Non, je dis qu'il ne nous appartient pas d'être si sévères à l'égard des pasteurs spirituels, nous qui jouissons de l'inviolabilité constitutionnelle, qui pourrions, dans cette enceinte, prononcer des discours criminels, qui pourrions provoquer à la révolte, à la sédition, à la violation de la Constitution et qui resterions inviolables, non seulement comme individus, mais même comme majorité. Des faits nombreux de ce genre se sont présentés.

Certainement je reconnais que cette inviolabilité parlementaire est nécessaire. Les pouvoirs parlementaires ne sauraient pas remplir leur mission avec indépendance, si leurs membres pouvaient être recherchés à l'occasion de leurs discours ou de leurs votes. Mais il n'en est pas moins (page 1376) vrai que nous jouissons seuls de cette prérogative énorme : l'inviolabilité au sujet de tous les délits que nous pourrions commettre dans l'exercice de nos fonctions.

Nous ne demandons l'inviolabilité ni pour les prélats, ni pour les pasteurs, nous ne demandons pour eux que le droit commun. S'ils contreviennent aux lois communes, ils subiront la juridiction commune et on leur appliquera la peine commune. Mais ce que nous voulons pas, c'est un délit spécial, exceptionnel, c'est une juridiction spéciale, exceptionnelle, l'un et l'autre étant contraires aux dispositions de notre Constitution, à l'ensemble de nos institutions libérales.

Nous craignons la liberté là où elle est le moins à craindre ; nous craignons la liberté de la chaire en présence de la liberté de la presse, de la liberté de discussion, de la liberté d'association, de la liberté des meetings. Mais, messieurs, ne perdons pas de vue les leçons du passé. Quand, sous des prétextes futiles, en vue de dangers plus ou moins réels, mais dont la Constitution n'a pas tenu compte, on vient déroger au pacte fondamental et qu'on arrive ainsi, soit par des actes de violence, soit par des mesures législatives subtiles, à porter atteinte à une des libertés, toutes les autres libertés sont en péril ; c'est aujourd'hui l'une, demain l'autre, et finalement rien n'échappe à la faux du despotisme, quand une fois il a pris pied ; quelle que soit, du reste, la forme du gouvernement, qu'elle soit représentative, monarchique ou même républicaine, cette faux du despotisme ne se repose jamais, car il est toujours des hommes disposés à la manier.

J'espère que notre sage Belgique saura s'en préserver et que le parlement évitera le danger qui se présente dans cette occasion, de violer ouvertement notre pacte fondamental. Quant à moi, je voterai contre l'article en discussion, et s'il passe, je voterai contre l'ensemble du Code pénal.

- M. Ernest Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. Van Overloop. - Dans la séance du 8 février 1859, j'ai combattu les articles 295 et 296 du Code pénal. Je crois de mon devoir de les combattre encore en 1862.

Je m'associe à tout ce que vient de dire l'honorable M. de Theux. J'ai peu d'arguments nouveaux à faire valoir.

J'appelle l'attention de la Chambre sur ce point capital que l'article 295 n'a nullement pour but de protéger les personnes. Si un prêtre injurie quelqu'un du haut de la chaire, il tombe sous l'application du droit commun. Pas n'est besoin de l'article 295 pour punir ce délit.

Cet article n'a qu'un but, c'est de faire décerner une espèce d'inviolabilité à tout ce qui est autorité constituée.

En effet, l'article 295 porte :

« Les ministres des cultes qui, dans des discours prononcés ou par des écrits lus, dans l'exercice de leur ministère et eu assemblée publique, auront fait la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi, d'un arrêté royal ou de tout autre acte de l'autorité publique, seront punis d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs. »

L'article 295 n'a donc nullement pour but de protéger la personne des citoyens ; il n'a pour but que de protéger les actes du gouvernement, les actes de l'autorité ; en un mot, il a pour but de faire déclarer le gouvernement inviolable à certains égards, de le faire déclarer infaillible.

En second lieu, je remarque, je n'ai pas eu le temps de relire la discussion, n'étant revenu que depuis hier au soir, je remarque que l'article 295 avait été modifié par la commission. Je ne sais pourquoi cette modification n'a pas été maintenue. La commission avait rédigé l'article de cette façon :

« Les ministres des cultes qui, dans des discours prononcés dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique, auront attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal, ou tout autre acte de l'autorité publique, seront punis, etc. »

Je ne me rappelle pas pourquoi on a supprimé le mot « attaqué », proposé par la commission, pour en revenir à la rédaction primitive du gouvernement, c'est à-dire aux mots : « la critique ou la censure du gouvernement, etc. »

Il est évident que les mots : « la critique ou la censure du gouvernement » sont beaucoup plus élastiques que le mot « attaqué ».

Je suis d'autant plus fondé à faire cette observation, que dans la discussion il avait été entendu que chaque fois que le mot « attaqué » était employé, il devait s'entendre d'une attaque méchante.

D'après la proposition du gouvernement il ne faut donc plus d'attaques ; la critique nu censure suffisent. Où arrivez-vous avec un pareil système ?

La critique la plus anodine, ce qui ne serait pas même une critique pi une censure dans ma pensée, la moindre observation sur un acte quelconque d'une autorité publique quelconque, m'exposerait à des poursuites correctionnelles.

C'est là un vague qui peut donner lieu à un arbitraire épouvantable.

Le mot « attaque » avait au moins une apparence de précision, mais la rédaction du gouvernement n'a pas même cette apparence.

Qu'est-ce qui constitue une censure ou critique ?

C'est une question d'appréciation. Ce qui pour tel ministère public constituera une censure, une critique, ne constituera pas une critique ou une censure pour tel autre.

Ce qui pour tel tribunal constituera une censure ou une critique n'en constituera pas une pour tel autre tribunal.

Où donc arrivez-vous avec des lois pénales ayant une élasticité pareille à celle-là ?

Et puis c'est le gouvernement qui, en dernière analyse, serait juge de l'opportunité des poursuites ; ce n'est pas le ministère public.

Il y a encore là une source d'inégalité entre les ministres du culte eux-mêmes.

Tel ministre du culte sera poursuivi pour une critique donnée, tandis que tel autre ne le sera pas, selon la bonne volonté du ministère.

L'article consacre donc non seulement une inégalité entre le clergé et les autres citoyens, il consacre encore une inégalité entre les membres du clergé eux-mêmes.

Je ne conçois vraiment pas pourquoi les actes de l'autorité civile doivent être spécialement protégés contre les atteintes du clergé. Pourquoi ne pas rester dans le droit commun ? Le clergé a-t-il l'habitude de déverser le blâme sur les actes de l'autorité ? La statistique répond négativement. Pourquoi donc faut-il introduire dans le Code pénal un délit exceptionnel ?

Ainsi, moi, conseiller communal, je m'avise de critiquer, de censurer, dans l'exercice de mes fonctions et en assemblée publique, les actes du gouvernement, de l'autorité supérieure ! Que peut-on me faire ? S'il y a une disposition de droit commun qui prévoit ce fait, je serai poursuivi. Qu'on applique ce même droit aux membres du clergé et, loin de blâmer l'exercice du droit, nous l'approuverons.

Un conseiller provincial peut censurer ou critiquer les actes du gouvernement. Il n'est pas inviolable comme les membres de la Chambre. Quel est le texte de la loi sous l'application de laquelle il tombe ? Il n'y en a pas que je sache.

Pourquoi donc cette loi exceptionnelle, ce privilège contre le clergé ?

Prenons un exemple actuel. Le conseil provincial d'Anvers a critiqué si je ne me trompe, la loi sur les fortifications d'Anvers.

Est-il punissable de ce chef ?

Si maintenant un prêtre se permettait de dire 100,000 fois moins que le conseil provincial d'Anvers contre la loi des fortifications - j'espère que jamais prêtre ne sera assez oublieux de ses devoirs pour se permettre une pareille incartade, - il serait punissable, tandis que les membres du conseil provincial ne le seraient pas.

Dans les meetings d'Anvers, on a attaqué d'une manière excessivement violente, non seulement les actes du gouvernement, mais même les personnes qui les ont posés. Eh bien, ces critiques sont dangereuses ou elles ne le sont pas. Si elles ne sont pas dangereuses,, respectez la liberté des citoyens ; si elles le sont, appliquez le droit commun.

Punissez les auteurs de ces actes, qu'ils soient prêtres ou laïques. C'est tout ce que nous demandons. Poursuivez tous ceux que vous appelez des énergumènes ou n'en poursuivez aucun. Ainsi le veut le principe de l'égalité devant la loi pénale.

L'honorable M. de Theux vous a prouvé, d'une manière évidente, le texte de l'article 16 de la Constitution à la main, que l'application de l'article 295 du Code serait une violation flagrante de l'article 16 de la Constitution, et que la responsabilité ordinaire en matière de presse est applicable aux publications faites du haut de la chaire .

M. le ministre de la justice a beau faire des signes de dénégation, c'est la pensée du Congrès. Partout, toujours, dans les discussions du Congrès, les orateurs ont mis sur la même ligne la presse, les cultes, l'enseignement, les associations.

On ne considérait pas le prêtre. On disait que la loi civile ne. pouvait pas connaître le moine, que le moine ou le prêtre était la personne religieuse.

Quelle différence y a-t-il, au point de vue de la libre manifestation des opinions, entre un prêtre qui lit un mandement et un distributeur de journaux contenant ce même mandement ?

Ainsi, vous punirez le prêtre quand il parlera du haut de la chaire ou quand il lira un acte, un mandement de son évêque, et ce même prêtre, quand il fera distribuer son discours ou ce mandement à tous, ses paroissiens, ne sera pas punissable !

(page 1377) Pourquoi donc ces distinctions, ce vague, cet arbitraire ?

Je suppose qu'un évêque écrive un mandement prêchant l'insurrection. C'est un délit politique. Il sera renvoyé devant le jury. Mais si un prêtre lit ce mandement dans sa chaire, comment le considérerez-vous ? Il sera au fond le complice du délit politique de l'évêque. Et cependant, avec le système de l'article 295, vous le renverrez tout simplement devant le tribunal correctionnel, quoique la critique ou la censure d'un acte de l'autorité soit de sa nature essentiellement un délit politique, et par conséquent justiciable de la cour d'assises.

Voilà encore une conséquence de votre système inconstitutionnel.

Vous ne vous contentez pas de créer une législation exceptionnelle contre les prêtres de quelque culte que ce soit, vous établissez encore une juridiction exceptionnelle contre eux.

Or, vous le savez, messieurs, la Constitution a formellement prohibé toute juridiction exceptionnelle, de même qu'elle a proclamé la liberté de tous et l'égalité de tous devant la loi pénale.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs ; je ferai cependant remarquer à la Chambre que chaque nation a son esprit propre, sou esprit national ; que le devoir du gouvernement, dans l'intérêt même de l'indépendance du pays, est de favoriser le développement de cet esprit national.

Or, l'esprit national du Belge est l'esprit de liberté ; il repousse autant que possible l'intervention du gouvernement ; moins le gouvernement a d'action sur lui, plus le Belge se sent libre, plus il est réellement libre.

Dans un pays voisin, au contraire, l'esprit national .est tout autre. Le gouvernement s'y est donné toutes les attributions, tous les pouvoirs. Là, point ou peu de spontanéité individuelle. Le gouvernement exerce une haute tutelle sur tout. Veut-on introduire ou maintenir chez nous une législation qui nous vient de ce pays voisin ?

Le ministère a, à la vérité, modifié les dispositions du Code pénal de 1810 relatives au clergé ; mais remarquez qu'en nous proposant l'article 295, il a maintenu le principe qui a dirigé le gouvernement français dans la rédaction de ce Code.

J'espère, messieurs, que, pour rester fidèles à l'esprit de notre Constitution, vous rejetterez l'article 295. Je l'espère d'autant plus qu'en le rejetant, vous établirez une nouvelle séparation entre nous et nos voisins et vous cimenterez davantage l'indépendance du pays.

- Plusieurs membres. - A demain !

- D'autres membres. - Non/continuons !

- D'autres. - Aux voix !

M. de Theux. - J'entends des membres dire « Aux voix », d'autres : « La clôture ».

Je pense que cela n'est pas sérieux ; je pense que vous voulez tous, messieurs, la pratique sincère, loyale et sérieuse du gouvernement représentatif. Conséquemment il convient que vous daigniez accepter des discussions sérieuses et approfondies sur des matières importantes. Ge serait, j'ose le dire, un scandale sans précédent.

M. Muller. - Mais nous ne demandons pas la clôture. Nous désirons seulement que la discussion continue maintenant.

M. de Theux. - Plusieurs membres ont demandé la clôture, d'autres ont dit : Aux voix !

M. le président. - La clôture n'a pas été régulièrement demandée. La Chambre entend-elle renvoyer la suite de la discussion à demain ?

- L'assemblée, consultée, renvoie à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et demie.