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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 11 août 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1993) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Hubert-Joseph Janssen, lieutenant au 2ème régiment de ligne, né à Maestricht, demande la grande naturalisation, avec dispense du droit d'enregistrement, »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des négociants en poisson salé et autres articles, domiciliés à Bruges et à Ostende, présentent des observations contre toute augmentation de droit sur le hareng provenant de la Grande-Bretagne, et demandent pour ce poisson l'entrée libre en Belgique. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du traité avec l'Angleterre.


« Le conseil communal de Gand fait connaître que le traité de commerce avec l'Angleterre a répandu l'inquiétude parmi la population industrielle de cette ville, et prie la Chambre de n'adopter aucune mesure qui pourrait jeter la perturbation dans l'industrie à Gand. »

- Même décision.


« Le sieur Baes-Dupersyn, négociant en poisson, à Bruges, demande que le traité avec l'Angleterre permette la libre entrée du hareng en Belgique. »

- Même décision.


« Des habitants de Zele prient la Chambre de remettre à deux ans les ratifications du traité de commerce avec l'Angleterre, si elle croit devoir l'approuver. »

- Même décision.


« Des fabricants teinturiers, ouvriers cotonniers et fileurs prient la Chambre de rejeter le traité de commerce conclu avec l'Angleterre. »

- Même décision.


« La veuve Desprez, journalière à Mons, réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Joseph, déclaré exempt du service militaire, soit dispensé de se rendre à l'ordre de rappel qui lui a été envoyé pour son incorporation dans l'armée. »

-Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal et des habitants de Stevoort demandent que le concessionnaire du chemin de fer d'Anvers à Hasselt par Lierre, Aerschot et Diest, soit tenu de suivre le tracé de Diest par Haelen, Herck-la-Ville en passant entre Stevoort et Kermpt. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Cortenberg demandent que le tracé du chemin de fer de Bruxelles à Louvain par Cortenberg soit maintenu. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Frameries demandent l'établissement d'un canal à grande section de Jemmapes à Alost. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Bellinghen, militaire pensionné, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Buvon, facteur rural à Engis, réclame l'intervention de la Chambre pour que ses enfants soient admis gratuitement à l'école de la commune. »

- Même renvoi.

« Le conseil communal de Merxem prie la Chambre d'indemniser les propriétaires de terrains frappés de servitudes militaires par suite des nouvelles fortifications d'Anvers et de leur permettre de faire à leurs habitations des travaux d'entretien et d'amélioration ou bien de décider que ces propriétés seront acquises par l'Etat. »

- Même renvoi.


« Le sieur Caendael réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir des renseignements sur une succession ouverte en Amérique. »

- Même renvoi.


« Par message en date du 7 août, le Sénat fait connaître qu'il a pris en considération la demande de naturalisation du sieur Pierre Gelhausen et qu'il lui a donné le caractère de demande de grande naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par message du 8 août, le Sénat informe la Chambre qu'il a prononcé l'ordre du jour sur la demande de naturalisation du sieur Adam-Jean Karl, par le motif que le pétitionnaire n'a pas besoin d'être naturalisé pour avoir la qualité de Belge. »

- Pris pour information.


« Par messages en date des 2, 7 et 8 août, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« 1° Concernant des créances à charge de la ville de Louvain ;

« 2° Qui exempte temporairement des frais de régie les terrains incultes boisés pour le compte des communes et des établissements publics ;

« 3° Qui alloue au département de la guerre un crédit spécial de 180,766 fr. 15 ;

« 4° Qui alloue au département des travaux publics, pour les exercices 1861 et antérieurs, un crédit supplémentaire de 557,205 fr. 58 ;

« 5° Sur le timbre des billets au porteur ;

« 6° Qui porte une dérogation à la législation sur les droits d'enregistrement et de transcription en faveur des acquisitions d'immeubles affectés au logement des classes ouvrières ;

« 7° Qui ouvre au département de la guerre un crédit de 338,910 fr. ;

« 8° Relatif à des travaux d'utilité publique ;

« 9° Concernant l'indemnité pour logements militaires ;

« 10° Qui ouvre au département de l'intérieur un crédit de 99,779 fr. 51 ;

« 11° Qui accorde au gouvernement des crédits pour l'exécution de travaux publics. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, quatre demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Julliot, retenu par la maladie d'un de ses plus proches parents, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Décès d’un membre de la chambre

MpVµ. - Messieurs, j'ai reçu, le 6 août dernier, une lettre de M. Gustave de Muelenaere ; la voici :

« M. le président,

« J'ai l'honneur de vous faire part de la perte douloureuse que nous venons d'éprouver en la personne de notre oncle le comte de Muelenaere, membre de la Chambre des représentants, décédé à Pitthem. Nous vous prions, M. le président, de vouloir communiquer cette triste nouvelle à ses honorables collègues. »

La Chambre jugera sans doute convenable de charger le bureau d'adresser une lettre de condoléance à la famille et de donner notification officielle de ce décès à M. le ministre de l'intérieur.

Comme la Chambre n'était pas réunie lors de ce regrettable événement, le bureau s'est chargé, à la suite de la dépêche télégraphique qui lui a été adressée, de constituer la députation qui devait assister aux funérailles de notre honoré et regretté collègue.

Plusieurs membres se sont joints à nous, lorsque nous nous sommes rendus à cette triste cérémonie.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de la justice

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer, sur le bureau de la Chambra, un projet de loi qui augmente de 100,000 francs l'allocation portée au budget du département de la justice de l'exercice 1S62, pour travaux d'agrandissement à effectuer à la maison pénitentiaire de Saint-Hubert. Je prie la Chambre de vouloir bien ordonner le renvoi du projet de loi à une commission spéciale, afin qu'elle puisse statuer sur la proposition avant de se séparer. Il y a une extrême urgence à ce que le crédit soit voté.

Comme la Chambre le remarquera, il s'agît ici d'une dépense dont le principe a été voté par la Chambre. Au budget de 1861, on a voté une partie d'un crédit extraordinaire pour travaux à exécuter au pénitentiaire de Saint-Hubert. Le budget de 1862 portait également une fraction du crédit nécessaire pour cet objet. On comptait faire figurer le troisième tiers au budget de 1863, mais dans l'intérêt d'une bonne exécution, on a (page 1994) constaté qu'il était indispensable d'achever les travaux cette année. Ils sont en cours d'exécution ; il s'agit de les payer.

- Le projet de loi sera imprimé et distribué. Il sera renvoyé à l'examen d'une commission spécial' à nommer par le bureau.

Projet de loi approuvant la convention littéraire et artistique conclue avec la Russie

Dépôt

MaeRµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau une convention conclue entre le gouvernement belge et le gouvernement russe pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres artistiques et littéraires.

MpVµ. - Il est donné acte à M. le ministre des affaires étrangères de ce dépôt.

MaeRµ. - Je n'entends pas presser la Chambre. Nous avons des délais suffisants pour les ratifications. Cependant si la Chambre pouvait voter ce traité avant la séparation...

- Plusieurs membres. - Non ! non !

MaeRµ. - Je n'insiste pas. On peut toujours faire imprimer et distribuer les pièces.

Projet de loi de naturalisation

M. de Brouckereµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre deux projets de loi de grande naturalisation.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec la Grande-Bretagne

Discussion générale

MaeRµ. - Messieurs, le traité du 1er mai 1861 outre la Belgique et la France a été la consécration du principe et en même temps le point de départ d'une grande réforme économique, dont les bases étaient jetées depuis assez longtemps, et à laquelle le pays devait s'attendre. De chaque côté, à cette époque, tant en France qu'en Belgique, on a abordé résolument cette réforme et l'on a porté une main vigoureuse sur le vieil édifice de la protection.

La France avait, sous ce rapport, un plus grand travail que nous à opérer. Il faut lui rendre justice ; elle s'est exécutée courageusement.

Nous n'avions pas à faire, messieurs, d'aussi larges brèches à notre système protecteur. La Belgique vivait sous un régime plus libéral que la France ; mais ce régime n'était pas encore suffisamment libéral aux yeux de ceux qui croient le mieux comprendre les intérêts du pays.

Toutefois, bien que notre travail de démolition ait été moins considérable que celui qu'avait à exécuter la France, nous comptons, dans ce traité international, un très grand nombre d'articles qui ont subi des réductions de tarifs. Parmi ceux qui ont eu à supporter les réductions plus fortes, je citerai les fontes, les ouvrages de fer battu, les fers-blancs, l'acier ouvré, l’étain ouvré, les meubles, les sels de soude, les sulfates de soude, les sulfates de potasse, les cuivres, les peaux tannées, et puis nos fils de laine, nos fils de lin, nos fils de colon, nos tissus de laine, nos tissus de lin, nos tissus de coton.

La France, de son côté, a introduit dans on tarif des réductions beaucoup plus considérables.

De part et d'autre, on s'est beaucoup effrayé, tant en France qu'en Belgique, des conséquences fâcheuses, des résultats funestes, disait-on, de ces grands changements, sur la situation industrielle de l'un et l'autre pays.

Or, il se trouve que, depuis la conclusion du traité, l'un et l'autre pays contractants se sont parfaitement bien trouvés de leur œuvre, n'ont rien eu à regretter, et aujourd'hui je crois qu'on aurait beaucoup plus de mal à revenir sur le traité de 1861 qu'on n'a eu de mal à y arriver.

Mais il ne suffisait pas à la Belgique de faire un traité avec un seul pays.

Notre politique (et nous ne l'avons jamais caché) a été d'introduire dans notre régime économique une réforme générale, applicable non pas seulement à un seul pays, mais à tous les pays, applicable non seulement à la France, mais à l'Angleterre ; et dans les négociations qui ont eu lieu à Paris pour arriver au traité franco-belge, toujours les négociateurs ont eu les yeux fixés sur l'Angleterre, et à chaque article qu'il s'agissait de modifier, ils se sont demandé quelles seraient les conséquences des modifications lorsqu'il s'agirait de faire un traité entre l'Angleterre et la Belgique.

Messieurs, je crois que personne ne mettra en doute dans cette enceinte la convenance qu'il y avait pour la Belgique, après avoir fait un traité avec la France, de ne pas laisser de côté l'Angleterre. Au point de vue politique, nous ne devons pas oublier, eu effet, messieurs, que si nous avons dans la France un allié qui s'est montre loyal et fidèle, nous avons aussi dans l'Angleterre un autre allié, sur le concours loyal et fidèle duquel nous ne devons pas moins compter.

Nous ne devons pas oublier que l'indépendance de la Belgique a eu pour premiers défenseurs, pour appuis solides, ces deux grands gouvernements, ces deux grandes nations, la France et l'Angleterre. Ce sont non seulement nos alliés, ce sont, nous pouvons le dire, nos appuis les plus solides.

Messieurs, du côté de l'Angleterre, je le dirai tout de suite, la Belgique n'a pas eu de grands efforts à faire pour obtenir des réductions de tarifs, et la raison en est bien simple, c'est que l'Angleterre, sous ce rapport, avait fait une réforme radicale, on peut le dire. L'Angleterre, grâce à l'initiative de ses illustres hommes d'Etat, l'Angleterre a fini par délivrer son tarif de toute espèce de prohibition.

Qu'on le sache bien, messieurs, les produits belges de toute espèce sont admis sans droits en Angleterre, à l'exception de 12 ou 15 articles sur lesquels sont établis des droits plus ou moins fiscaux ; tout est libre à l'entrée. Nous n'avions donc pas, je le répète, de grands efforts à faire pour obtenir en Angleterre un tarif libéral.

On vient nous dire : Qu'est-ce que l'Angleterre nous a donné, qu'avez-vous obtenu de l'Angleterre, quels sacrifices a-t-elle faits ? Des sacrifices de tarifs, matériellement saisissables, je dirai qu'en effet, l'Angleterre n'a pas fait de grands sacrifices parce qu'elle n'avait pas à en faire ; mais l'Angleterre, en se liant par un traité avec nous, nous a garanti pour 10 ans le régime libéral qui existe aujourd'hui, nous a garanti 10 ans de liberté, dix ans de libre entrée sur son marché, et c'est beaucoup.

L'Angleterre, pays constitutionnel, est soumise, comme tous les pays où règne l'opinion publique, à de grands changements dans ses allures politiques ; il n'est donc pas inutile d'obtenir d'un pays constitutionnel la garantie d'une liberté entière pendant dix ans.

Voilà un premier résultat ; plus tard j'en signalerai un deuxième qui est aussi pour la Belgique, suivant moi, d'une très haute importance.

Hors de là, il faut bien admettre que l'Angleterre n'avait pas grand-chose à nous offrir, nous ayant tout donné.

Mais, attendu que son industrie va nous faire concurrence, vous auriez dû obtenir, dit-on, des exceptions, des droits différentiels, imposer des conditions à l'Angleterre.

Mais, messieurs, l'Angleterre ne nous a pas demandé a priori de modifier nos tarifs. L'Angleterre nous dit : « Le régime prohibitif vous convient-il ? Je ne m'y oppose pas. Vous convient-il d'établir des droits protecteurs ? Je ne vous en laisse juges ; je ne vous demande pas de modifier vos tarifs ; mais ce que je vous demande, c'est que lorsque vous modifiez vos tarifs vis-à-vis d'un autre pays, vous les modifiiez aussi vis-à-vis de l'Angleterre ; ce que je vous demande, c'est que l'Angleterre, qui reçoit librement vos produits, ne soit pas traitée d'une manière hostile par la Belgique ; je ne demande pas la réciprocité, je ne demande que l'égalité devant vos tarifs. »

Eh bien, avons-nous une seule raison que le bon sens et l'équité avoueraient pour répondre à l'Angleterre : « Non ; nous avons la prétention d'entrer chez vous librement, sans payer de droits ; mais nous n'entendons pas recevoir vos produits aux conditions auxquelles nous recevons les produits des autres nations. »

Est-ce là un langage à tenir à l'égard d'un gouvernement quel qu'il soit ?

Ainsi, que ceci soit bien entendu ; et je le dis pour répondre à ce genre d'opposition qui consiste à déclarer que la Belgique est la vassale de l'Angleterre, que l'Angleterre n'aspire qu'à faire de la Belgique un désert, à réduire la Belgique à la misère, à détruire chez elle toutes les industries ; l'Angleterre ne demande pas que la Belgique abaisse ses tarifs ; mais quand la Belgique les modifie pour d'autres nations, l'Angleterre a le droit de demander que nous les modifions aussi pour elle.

Maintenant, messieurs, est-il vrai que l'Angleterre veuille la ruine des industries de la Belgique. Je n'ai nullement cette appréhension ; je ne l'ai pas plus vis-à-vis de l'Angleterre que nous ne l'avons eue vis-à-vis de la France dont on redoutait aussi pour certains produits une concurrence fatale. Je vois dans l'Angleterre, comme je vois dans la France un marché essentiel pour la Belgique, un marché de jour en jour plus ouvert et qui contribuera considérablement à la prospérité du travail national.

(page 1995) On craint que l'Angleterre ne vienne détruire en Belgique les produits belges, ne vienne faire une concurrence mortelle à nos laines, à nos cotons, à nos lins.

Eh bien, il est un fait qui répond victorieusement à une pareille hypothèse. La Belgique, à l'heure qu'il est, exporte des tissus et des fils de laines, des tissus et des fils de lin, des tissus et des fils de coton, sur les mêmes marchés que l'Angleterre, en France et en Hollande notamment.

Ces produits belges rencontrent ces produits anglais sur un pied d'égalité parfaite ; ils ne sont protégés ni en France ni en Hollande contre les produits anglais : ils se vendent en France, dans les Pays-Bas et ailleurs aux mêmes conditions, quant aux droits protecteurs, que les produits anglais ; et ils soutiennent parfaitement la concurrence.

Peut-être, messieurs, me traitera-t-on d'utopiste, mais j'irai jusqu'à dire que je ne désespère pas qu'un jour ces mêmes produits aillent, en Angleterre même, lutter avec les produits anglais.

M. H. Dumortier. - Cela existe déjà.

MaeRµ. - Précisément ; j'attendais l'épithète d'utopiste pour dire que cela se réalise déjà, que déjà des produits pour lesquels nous redoutons la concurrence de l'Angleterre vont, en Angleterre même, lutter avec les produits similaires anglais.

Ainsi, sous ce rapport, je ne crains nullement cette concurrence mortelle dont on parle. Je vois, au contraire, dans l'Angleterre un marché qui sera dans l'avenir, à côté du marché français, le plus considérable que nous ayons à desservir.

J'ai parlé, messieurs, de nos produits industriels ; je ne sais pas pourquoi je ne parlerais pas aussi de nos produits agricoles. J'ai entendu faire bon marché des produits agricoles dans la polémique qu'a soulevée le traité anglo-belge.

Qu'est-ce que vous exportez, dit-on, en Angleterre ? Des produits agricoles. La belle affaire ! Voilà le langage que l'on tient. Quant à moi, messieurs, je pense que dans notre Belgique agricole, les produits agricoles ont bien au moins autant de droits à notre sollicitude que les produits industriels.

Je crois que, sous ce rapport, ceux qu'on appelle dédaigneusement des paysans valent bien les citadins ; et je pense qu'un grand marché ouvert à notre agriculture, mériterait toute la sollicitude du gouvernement et toute l'attention sérieuse du pays.

Eh bien ! qui niera, dans cette enceinte, que l'Angleterre, Londres seul, ne soit pour notre industrie agricole le marché le plus puissant, le plus rempli d'avenir qui puisse nous être ouvert ?

Oh ! je le sais, nous avons entendu et nous entendrons peut-être encore ce raisonnement que j'appellerai un raisonnement de cuisinière.

M. B. Dumortier. - Eh bien, je suis une de ces cuisinières ; je raisonne comme cela.

MaeRµ. - Je n'ai pour le moment l'intention de faire allusion à personne et c'est d'une manière générale que j'appelle cela un raisonnement de cuisinière. Je ne parle pas de l'intérêt que peuvent avoir ces estimables personnes à rehausser le prix des choses ; mais à chaque instant nous entendons dire dans nos familles : Cette Angleterre nous enlève tout ; il n'est plus possible de rien obtenir ; nos fruits, nos légumes, notre beurre, nos poulets, tout nous est enlevé par l'Angleterre.

- Un membre. - Et les lapins.

MaeRµ. - J'ai parlé des lapins, il y a longtemps : on en riait alors ; on n'en rit plus aujourd'hui.

L'Angleterre nous enlève tout, l'Angleterre nous mange tout. C'est vrai, messieurs, l'Angleterre nous enlève beaucoup de nos poulets, beaucoup de nos fruits, de nos légumes, de nos petits produits agricoles. Cela peut faire hausser sur notre marché le prix de ces choses, je le reconnais ; mais l'Angleterre ne reçoit pas cela pour rien, l'Angleterre nous rend quelque chose en échange, et ce quelque chose va dans la poche de nos cultivateurs ; et quand nos cultivateurs vendent à de bonnes conditions leurs produits, ils savent mieux se vêtir, mieux se meubler, mieux se nourrir, donner une meilleure éducation à leurs enfants. Ils dépensent utilement dans le pays, le produit de ce qu'ils envoient en Angleterre.

Voilà pourquoi nous devons prendre à cœur, nous devons prendre au sérieux les exportations de nos produits agricoles vers l'Angleterre. Plus nos agriculteurs trouveront d'écoulement vers l'Angleterre, plus l'agriculture s'améliorera ; chacun voudra produire ce qui rapporte, ce sera une source de perfectionnement et d'accroissement ; plus nous vendrons, plus nous produirons et mieux nous produirons.

M. Coomans. - Alors il faut être logique et laisser sortir les chiffons.

MaeRµ. - Il ne s'agit pas de chiffons, je vous prie de ne pas m'interrompre. Vous pourriez ajouter encore quelque chose, la chicorée ; l'Angleterre, sur cet article n'a pas accordé de réduction.

M. Coomans. - Ce n'est pas cela, je dis qu'il faut laisser sortir les chiffons.

MaeRµ. - Nous n'en sommes pas là. Nous avons fait des efforts pour rentrer dans l'ancien droit sur les chicorées ; la chicorée étant devenue un objet d'accise, on nous a dit qu'on ne pouvait pas accorder de dégrèvement sur le droit d'entrée de la chicorée, mais on ne nous a pas laissés sans espoir d'obtenir plus tard un tarif plus modéré sur cet article important.

Nous avions aussi à combattre un droit sur le houblon, mais l'Angleterre a pris l'initiative de la suppression de ce droit, je ne veux pas en faire un mérite au gouvernement belge ; mais nous demandions un abaissement du droit, le droit sur le houblon a disparu.

Il est un côté de notre activité nationale qui, suivant moi, n'est pas suffisamment développé, qui n'a pas suivi le mouvement de l'activité agricole et de l'activité industrielle, je veux parler de l'activité maritime. Sous ce rapport nous sommes très loin des progrès que nous avons faits dans le domaine industriel et agricole. Le mouvement maritime n'est pas en rapport avec les progrès de l'industrie et du commerce.

L'Angleterre accorde à notre pavillon une égalité complète avec le sien tant pour l'inter course entre les deux pays que pour ses colonies et pour le cabotage.

Je vois dans le traité avec l'Angleterre la source d'un progrès notable pour notre mouvement maritime. Il ne faut pas se faire illusion sur l'importance de ces marchés lointains à la recherche desquels nous voyons les imaginations se livrer. Sans doute si la Belgique pouvait avoir un grand commerce direct établi dans de bonnes conditions sur les marchés lointains, au point de vue de l'honneur, au point de vue des profits, ce serait très bien, mais nous avons des marchés qui, pour être plus près de nous, n'en méritent pas moins notre sollicitude.

Lorsque l'on calcule, le mouvement d'un pays sur lui-même, on est frappé de son importance, lorsque l'on compare, par exemple, le cabotage de l'Angleterre autour d'elle-même, sur ses côtes, à sa navigation au long cours, on constate ceci : c'est que le cabotage de l'Angleterre est plus considérable que tout son commerce extérieur dans le monde entier.

Eh bien, le cabotage actif entre l'Angleterre et la Belgique serait, pour la Belgique comme pour l'Angleterre, une grande source de richesse et de bien-être.

Nous avons, messieurs, un fleuve que nous proclamons volontiers le premier fleuve du continent.

Nous avons une côte maritime qui, à une autre époque, était très florissante.

Quant au fleuve, je suis tranquille sur son avenir en voyant son passé et son présent. Mais quant à notre côte maritime, je trouve qu'elle n'est pas à la hauteur qui lui revient, qu'elle n'est pas en rapport avec la situation du pays et qu'il y a beaucoup à faire pour l'avenir de notre littoral.

Eh bien, messieurs, quel est le débouché naturel de la côte maritime des Flandres ?

C'est l'Angleterre, qui se présente à quelques lieues de nos côtes maritimes et où l'on peut à toute heure de la journée transporter des produits de toute espèce.

Et l'Angleterre a aussi beaucoup à nous rendre.

Voyons un seul article. Je prends un exemple qui, j'espère, n'offusquera aucun représentant d'aucune localité, la houille. La houille dans le nouveau traité subit une réduction de droit de près de moitié. Le droit descend de 1 fr. 70 c. à 1 fr.

Je suppose qu'à l’aide de cette nouvelle réduction la houille anglaise vienne à alimenter seulement le littoral et que l'on en importe 200,000 tonneaux.

Relativement aux huit ou neuf millions de tonneaux que produisent nos houillères, c'est bien peu de chose. Je ne crois pas qu'elles redoutent ces 200,000 tonnes.

Et bien, ces 100,000 tonnes qui, au point de vue de l'industrie houillère ne sont rien, savez-vous ce que c'est au point de vue maritime ? C'est 1,000 navires de 200 tonneaux, et vous figurez-vous le mouvement extraordinaire que nous aurions à constater, avec bonheur, sur nos côtes maritimes, si seulement l'Angleterre nous envoyait 200,000 tonneaux de houille ?

(page 1196° M. B. Dumortier. - Combien cela coûterait-il au trésor public du chef de péage ?

MaeRµ. - Je ne parle en ce moment que de la côte maritime. Je parlerai tantôt du péage et je démontrerai, si vous voulez bien me permettre de continuer, M. Dumortier, que, sous ce rapport, vous avez, au sein de la section centrale, versé dans une grave erreur.

M. B. Dumortier. - Nous verrons cela

MaeRµ. - Ce sera très clair pour tous ceux qui veulent voir.

Je cite, messieurs, cet exemple de la houille, pour vous montrer comment cet accroissement maritime, que j'espère pour le pays, peut naître du transport d'un seul produit industriel, sans affecter notre propre industrie.

Je sais bien que, loin de voir dans le traité avec l'Angleterre la source d'un grand accroissement de mouvement maritime, quelques personnes y voient la ruine de notre marine nationale à Ostende.

Cette marine nationale a eu le monopole du transport du sel pendant des années.

Comment s'est-elle développée à l'aide de ce monopole ?

Elle a marché comme toutes les industries protégées par le monopole. Elle a langui et le pays a souffert.

Le pays, condamné à ne recevoir du sel anglais que par navire national, a trouvé que cette manière de se procurer un aliment essentiel était fort onéreuse pour lui, et il a vu avec plaisir tomber un des derniers monopoles.

Mais, en compensation de la suppression de ce monopole il y aura pour toute la côte maritime des Flandres de grands avantages dans les relations plus multipliées et plus faciles entre l'Angleterre et la Belgique.

Je rappelle que sous ce rapport les Chambres ont fait sagement d'accorder au gouvernement la faculté de créer entre la Belgique et l'Angleterre des moyens de transport plus fréquents

Deux voyages par jour entre la Belgique et ce grand marché ne sont certes pas trop et jusqu'à présent les résultats que nous ayons obtenus nous donnent pleine sécurité pour l'avenir de l'entreprise. De plus, nous avons aussi amélioré le régime postal entre les deux pays.

Aujourd'hui, grâce à certaines modifications, résultat de notre double service quotidien, les dépêches partant de Londres le matin peuvent être distribuées le soir du même jour à Bruxelles, à Gand, à Anvers et même à Liège, et arriver beaucoup plus tôt en Allemagne.

Voilà quelques améliorations que je note en passant comme propres à compléter les effets de notre traité avec l'Angleterre.

Maintenant, messieurs, que ce traité donne lieu à certaines critiques, qu'il ne donne pas satisfaction à tous les intérêts, qu'il puisse même temporairement blesser quelques intérêts ; c'est ce que je ne veux pas contester.

Dans une opération aussi compliquée, lorsqu'il s'agit d'un tarif général embrassant un grand nombre d'articles divers, il est impossible, de rencontrer juste la mesure qu'il faut pour que chaque intérêt soit satisfait.

Il en est un qui n'est pas d'une faible importance et qui n'a cessé, de préoccuper le gouvernement non pas seulement pendant la négociation avec l'Angleterre, mais même avant cette négociation.

Nous avons messieurs, dans le pays, une ville de la plus haute importance, où se trouve établie une grande industrie dont nous ne voulons méconnaître aujourd'hui en aucune façon l'état critique.

Dès nos négociations avec la France, nous avons eu constamment en vue, spécialement en vue, l'industrie cotonnière.

A l'époque où le traité avec la France allait être conclue, on a averti les industriels du pays entier par l'intermédiaire des chambres de commerce, que le traité franco-belge serait rendu applicable à l'Angleterre.

La circulaire de mon honorable prédécesseur, qui est insérée dans le rapport remarquable de l'honorable M. Orts, ne laisse aucun doute à cet égard.

La chambre de commerce de Gand fit observer qu'il y aurait des changements à introduire dans le traité, lorsqu'il serait appliqué à l'Angleterre. Elle en demandait notamment deux.

Il y avait, disait-on, une erreur dans la classification des fils. Le traité franco-belge n'indiquait qu'une classification. L'industrie cotonnière de Gand en voulait trois.

La chambre de commerce de Gand demandait un droit différent pour les fils lors, pour les fils ourdis et pour les fils teints. Cette classification de la chambre de commerce de Gand, nous avons eu l'avantage de la faire passer en partie dans le traité anglo-belge.

La chambre de commerce de Gand demandait en second lieu une tarification au poids sur les tissus imprimés. Nous avons obtenu pour les tissus imprimés ce que demandait la chambre de commerce de Gand.

Je ne dis pas, messieurs, que ce soit là une merveille dont nous devions grandement nous enorgueillir. Je constate seulement que nous avons obtenu en très grande partie ce qui nous avait été indiqué comme désirable par la chambre de commerce de Gand.

Je n'ai pas, messieurs, à raconter à la Chambre les diverses phases de cette longue négociation avec l'Angleterre. Je ne veux pas non plus faire ressortir, aux yeux de l'industrie cotonnière, les efforts que le gouvernement a dû faire, les procédés qu'il a dû employer pour retarder jusqu'au 1er septembre 1862, un traité qui, en bonne justice, aurait pu être appliqué à l'Angleterre dès le 1er septembre 1861. Mais je dois le dire et je rends hommage ici, en passant, à ce que j'appellerai la patience des hommes d'Etat de l'Angleterre, pendant seize mois, nous avons tenu le cabinet anglais en quelque sorte en échec, devant l'application annoncée et en quelque sorte promise du régime franco-belge à l'Angleterre.

Cela n'a pas suffi, et jusque dans les derniers temps, nous avons insisté auprès de l'Angleterre pour obtenir dans le traité des droits différentiels, transitoirement et pendant deux ans pour certains articles l'Angleterre ne sera pas traitée comme est traitée la France.

On dit : Cela n'est rien. On tient pour rien de pareilles concessions. Mais qu'on se figure bien ceci : c'est que l'Angleterre, dans toute cette négociation, n'a jamais fait qu'une observation, mais une observation radicale et essentielle : Je demande le traitement de la France ; je demande à être traitée par vous comme vous traitez les autres nations. Et cependant, malgré cette déclaration de principe parfaitement justifiable au fond, nous avons obtenu un atermoiement, nous avons obtenu des droits différentiels dans le nouveau traité.

Je croyais, messieurs, quand, après beaucoup de labeur, j'avais obtenu ce qui répugnait le plus à l'Angleterre, un système différentiel pour plusieurs articles, je croyais avoir fait une bonne chose ; et j'étais presque fier de mon œuvre, lorsque en arrivant, j'appris à ma pénible surprise, que ce qui avait été fait en exécution de ce qui avait été demandé, ne suffisait pas, qu'il fallait autre chose, qu'il fallait plus que cela.

Eh bien, messieurs, je veux dire très nettement l'esprit qui nous dirige, mes collègues et moi, dans cette affaire. Nous avons à cœur de montrer à Gand que le gouvernement a pour cette ville qui souffre la sollicitude qu'elle mérite.

Et pour le dire aussi, le gouvernement a été encouragé dans ces bons sentiments par l'attitude de la population gantoise, maîtres et ouvriers. Nous n'avons pas senti, de ce côté, de pression violente, illégitime. On ne nous a pas parlé la menace à la bouche. Nous avons trouvé des hommes raisonnables, modérés, pratiques, nous demandant des choses raisonnables et modérées.

Eh bien, messieurs, nous nous montrerons conciliants jusqu'au bout. Les efforts que nous avons tentés pendant la négociation et même après la négociation, nous les continuerons jusqu'au moment des ratifications. Nous les continuerons avec le même zèle.

Des ouvertures nous ont été faites, des délégués de l'industrie gantoise sont venus nous indiquer une combinaison, dont nous avons accepté l'examen sans hésiter et que nous prenons bien volontiers l'engagement de produire auprès du gouvernement anglais.

Toutefois, il ne faut pas de malentendu. Trop souvent, quand une parole sort de la bouche d'un ministre, elle devient promesse, engagement, non pas seulement engagement d'agir, mais engagement de réussir. Or, messieurs, une pareille promesse, la promesse de réussir, nous ne la faisons pas. Nous ne pouvons pas la faire. Nous ne sommes pas seuls à traiter. Mais ce que nous voulons bien examiner sérieusement, ce que nous poursuivrons avec dévouement, c'est une nouvelle satisfaction qui pourrait être donnée à l’industrie cotonnière de Gand.

Nous sommes, messieurs, de grands amis de la liberté en tout et pour tous, de grands amis d'un régime libéral en matière de douanes, mais nous tenons compte aussi des circonstances, nous ne sommes pas des ministres aveugles, opiniâtres, nous tenons compte de la situation de la ville de Gand : elle a eu le malheur d'être protégée dans son industrie plus qu'aucune autre, les réductions de tarifs sont plus fortes pour les produits similaires de son industrie que pour d'autres industries.

Nous tenons compte surtout de la situation de l'industrie cotonnière en général. Dans de pareilles circonstances, messieurs, une nouvelle combinaison se présentant, qui puisse offrir quelque satisfaction à Gand, nous prenons bien volontiers l'engagement de la produire auprès du gouvernement anglais.

La combinaison consisterait en ceci : Supprimer dès maintenant toute (page 1997) espèce de droits sur des fils fins au-delà du n°70, mais retarder de deux ans l’application des droits nouveaux sur les fils et tissus communs,

M. Coomans. - Est-ce qu'on ajournera la discussion ?

MaeRµ. - Pourquoi ?

M. Coomans. - Après le vote c'est inutile.

MaeRµ. - Non pas.

M. Coomans. - Alors je ne comprends pas.

MaeRµ. - Vous avez trop d'esprit pour ne pas comprendre. Dans tous les cas, je crois que la Chambre me comprend.

Après comme avant le vote, nous avons encore les ratifications, et même après les ratifications le traite peut être modifié de commun accord ; il suffit que la modification convienne à l'Angleterre.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Il faudrait commencer par là.

MaeRµ. - Je suppose que nous commencions par là et que nous ne réussissions pas, qu'est-ce que vous ferez ? (Interruption.)

Messieurs, on ne me fera rien dire au-delà de ma pensée ; je la crois suffisamment claire.

Je dis que, conséquents avec nous-mêmes, persévérant dans la voie où nous avons marché dès le principe des négociations, nous examinerons si la proposition qui nous a été soumise par les principaux représentants de l'industrie cotonnière a chance d'être admise par l'Angleterre, nous a produirons, nous la soutiendrons de tous nos efforts.

Mais en attendant, messieurs, que l'hypothèse se réalise ou non, car il ne faut pas fonder non plus là-dessus de vastes espérances, je donnerai un conseil aux représentants de l'industrie cotonnière, je leur dirai de ne pas se décourager, de repousser ces appréhensions que je considère, moi, comme exagérées, de jeter les yeux en arrière, de voir ce qui s'est passé pour d'autres industries analogues, pour l'industrie des laines notamment.

Lorsqu'il s'est agi de réduire les droits sur les fils et tissus de laine, Verviers, qui marche aujourd'hui à la tête des partisans des réformes économiques, Verviers s'est déclaré ruiné, des députations sont venues au ministère déclarer que la ville de Verviers était perdue.

Depuis lors, messieurs, Verviers et l'industrie lainière ont fait des pas immenses ; aujourd'hui, et nous luttons sur tous les marchés avec les tissus de laine et les fils de laine étrangers de même qu'avec nos toiles et avec nos fils de lin.

Au reste, l'industrie cotonnière elle-même lutte aujourd'hui avec les produits similaires de tous les pays.

Voyez les derniers tableaux qui sont au Moniteur et vous serez frappés du chiffre de l'exportation de nos produits cotonniers sur le marché français, sur le marché des Pays-Bas et même sur le marché de l'Angleterre. Proportionnellement nous exportons au moins autant que l'Angleterre, sinon plus.

Nous ne pouvons pas croire que si le traité est voté et s'il est exécuté tel qu'il est, nous ne pouvons pas croire que l'industrie de Gand ait à redouter les conséquences qu'on signale.

Je reconnais, messieurs, que lorsqu'un gouvernement fait des réformes économiques, lorsqu'il vient plus ou moins troubler la situation de certaines industries, il a aussi des devoirs à remplir envers ces industries, il doit leur procurer autant qu'il est en lui les moyens de soutenir la concurrence des pays étrangers dont il reçoit les produits d'après un tarif plus modéré. L'industrie elle-même a ses devoirs à remplir, mais l'autorité publique a aussi les siens.

Ainsi quant à moi, je considère comme un devoir pour le gouvernement comme pour les Chambres de faciliter autant que possible les relations des centres producteurs avec les marchés des matières premières et avec les marchés de consommation ; il faut donc abaisser autant que possible les péages sur les chemins de fer et sur les voies navigables, multiplier les routes, en un mot développer, faciliter, alléger toutes les voies de transport.

Voilà, messieurs, des moyens qui sont au pouvoir du gouvernement et devant l'application desquels il n'a jamais reculé.

Mais il est une situation tout à fait extraordinaire et exceptionnelle dont on souffre, non seulement en Belgique, mais dans tous les pays où le coton joue un rôle essentiel dans l'industrie.

Que peut faire le gouvernement en de pareilles circonstances ?

Si la vue du mal dont souffre un voisin pouvait être une consolation ou un remède, nous dirions à ceux qui souffrent : Jetez les yeux à côté de vous et vous verrez des souffrances beaucoup plus grandes. Vous qui redoutez l'industrie anglaise, voyez dans quelle situation se trouve aujourd'hui l'industrie cotonnière en Angleterre.

La situation des ouvriers cotonniers de l'Angleterre est beaucoup plus pénible que celle déjà très pénible des ouvriers gantois.

Cette situation est violente, elle est exceptionnelle, elle ne peut pas durer. Vis-à-vis de cette situation, l'action directe du gouvernement est assez impuissante ; c'est au pays, c'est aux magistrats locaux, c'est aux industriels eux-mêmes à faire les sacrifices que les circonstances commandent, et c'est enfin aux malheureux ouvriers à montrer de la résignation.

Messieurs, j'ai parlé tout à l'heure de la nécessité, pour les pouvoirs publics, d'affranchir autant que possible toutes les voies de communication et de transport qui doivent servir à l'industrie.

C'est le moment de dire un mot d'un article important qui figure au traité ; je veux parler de l'article 21 qui concerne le rachat du péage de l'Escaut. (Interruption.)

Avant de passer au péage de l'Escaut, il est un point que j'ai omis de toucher.

On a prétendu que dans le quatrième paragraphe de l'article 22 du traité, on avait commis une erreur, en ce sens, dit la section centrale, que le droit fixé au poids ne répond pas au droit fixé à la valeur.

Je ne veux pas aborder dans cette discussion générale une question technique ; cela me mènerait trop loin ; je ne pense pas que la Chambre pût y prendre un grand intérêt ; je pourrais facilement démontrer qu'il n'y a pas eu erreur, je ne veux pas discuter des questions de détail ; mais enfin s'il y a eu une erreur matérielle, nous tâcherons d'obtenir qu'elle soit réparée.

Maintenant, messieurs, j'en viens à un article très important du traité. C'est l'article 21 qui est ainsi conçu :

« Art. 21. A partir, au plus tard, du jour où la capitalisation du péage de l'Escaut sera assurée par un arrangement général :

« 1° Le droit de tonnage prélevé dans les ports belges cessera d'être perçu ; .

« 2° Les droits de pilotage dans les ports belges et dans l'Escaut, en tant qu'il dépendra de la Belgique, seront réduits :

« De 20 p. c. pour les navires à voiles ;

« De 25 p. c. pour les navires remorqués ; «

« De 30 p. c. pour les navires à vapeur ;

« 3° Le régime des taxes locales imposées par la ville d'Anvers sera dans son ensemble dégrevé. »

Lorsque, il y a quelques mois, j'ai eu occasion de parler à la Chambre d'une négociation ouverte avec l'Angleterre, en ce qui concerne le péage de l'Escaut, j'ai exposé l'historique de cette affaire, et montré le but que le gouvernement poursuivait, avec l'espoir d'y arriver. Ce but, nous avons été assez heureux pour l'atteindre. Il résulte de l'article 21 du traité conclu avec l'Angleterre, que le principe de la capitalisation du péage de l'Escaut par un arrangement général se trouve accepté et consacré de la part de l'Angleterre.

L'Angleterre s'est donc engagée sur ce point ; elle reconnaît en principe le remboursement du péage de l'Escaut sur des bases équitables ; la Belgique, de son côté, s'engage à supprimer les droits de tonnage sur l'Escaut et dans les ports de mer, à diminuer les droits de pilotage, à obtenir de la ville d'Anvers la réduction de ses droits locaux.

Et ici je dois rendre hommage à la bonne volonté qu'a montrée le gouvernement anglais. Si nous réussissons, nous pourrons dire qu'il nous a puissamment aidés dans notre belle entreprise. Quand le principe déposé dans l'article 21 du traité sera exécuté, on peut dire que la navigation de l'Escaut sera complètement libre, sera non seulement affranchie, matériellement, mais politiquement et moralement ; il ne restera plus rien de cet ancien péage, de cet ancien vasselage qui rappelle une époque néfaste de notre histoire, époque où le peuple qui occupe les bouches de l'Escaut, s'en était rendu entièrement le maître.

Ce restant de ce vasselage disparaîtra le jour où nous obtiendrons que le principes déposé dans le traité devienne une loi générale.

En outre, la Belgique renoncera aux revenus qu'elle perçoit sur l'Escaut, et j'espère qu'Anvers suivra en ceci l'exemple qui sera donné par l'Etat.

On nous dit : « Vous avez consacré dans le traité le droit de l'Angleterre au remboursement de l'Escaut pendant 10 ans » ; eh bien, c'est entièrement dénaturer le sens et la portée du traité que de lui supposer une pareille signification. Nous avons, au contraire, dégagé la Belgique de l'obligation qu'elle s'était bénévolement imposée de rembourser sans condition le péage de l'Escaut.

Nous avons eu beaucoup de mal, et ici il faut rendre justice à tous les ministres qui se sont succédé depuis l'honorable M. Vilain XIIII, nous (page 1998) avons eu beaucoup de mal à faire disparaître de nos traités l'article qui obligeait la Belgique à rembourser le péage de l'Escaut pour le compte de pavillons étrangers ; nous avons fait disparaître cette stipulation onéreuse dans les traités que nous avons successivement conclus.

Aujourd'hui nous disons que le pavillon britannique continuera à jouir en Belgique du remboursement du péage de l'Escaut tant que le pavillon belge en jouira lui-même. Donc, s'il convient à la Belgique de ne plus rembourser le péage de l'Escaut à son pavillon, elle ne le remboursera pas au pavillon anglais.

Messieurs, ainsi que je l'ai dit dans une discussion précédente, nous n'avons pas imposé à l'Angleterre l'obligation d'adhérer au principe du rachat de l'Escaut, comme condition du traité.

L'Angleterre n'aurait pas voulu acheter à ce prix un traité avec la Belgique. Mais nous avons dit à l'Angleterre qu'au moment où nous allions multiplier, faciliter les relations internationales, il se présentait une question qu'il fallait aborder et tâcher de vider. Nous avons dit à l'Angleterre : Nos relations vont s'étendre ; mais nous avons un obstacle permanent sur l'Escaut ; nous avons un péage qu'il faut faire disparaître, nous-mêmes nous percevons des droits de tonnage et autres que nous sommes disposés à supprimer ou à réduire.

Eh bien, traitons aussi cette question ; comprenons cette question dans les négociations. Et l'Angleterre y a consenti ; elle y a sérieusement, loyalement prêté la main ; car, indépendamment du principe qui fait partie du traité, nous avons une déclaration de lord John Russell, qui est, pour moi, de l'équivalent d'un article du traité. Nous avons une déclaration écrite, imprimée à la suite du traité, par laquelle lord John Russell promet ses bons offices pour arriver à régler les détails de la question du péage de l'Escaut, dans une conférence à laquelle seront appelées les principales puissances intéressées.

J'appelle l'attention de la Chambre sur cette seconde phase de la négociation : principe du rachat du péage, déposé dans le traité ; principe d'une conférence déposé dans la déclaration officielle du ministre négociateur. Voilà où nous en sommes, et je crois que la Chambre saura peut-être quelque gré au gouvernement d'être parvenu, dans cette longue et difficile négociation, à ce premier résultat.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, je m'étais fait inscrire, comme vous le voyez, le premier, dans cette discussion, croyant combattre le traité et exposer à la Chambre les motifs de circonstance qui m'empêcheraient de l'appuyer.

En prenant une telle position, je ne mentais pas à mes principes : je ne suis pas prohibitionniste ; je ne suis pas même protectionniste. Mes études théoriques et l'observation des faits existants me prouvent que toutes les nations finiront par entrer dans un système douanier plus libéral.

J'ai toujours cru et je crois encore que la Belgique ne doit pas être la dernière, elle si libérale, elle qui a une organisation industrielle si avancée, qu'elle ne doit pas être la dernière, dis-je, à entrer dans cette voie. Mais j'aurais cru, à cause des circonstances, à cause de la crise si courageusement subie, et, je puis ajouter, si abondamment secourue, que le moment n'était pas opportun, à l'égard de certaines industries, pour aborder une telle réforme, d'une manière aussi immédiate, aussi brusque, pourrais-je dire.

La déclaration que vient de faire l'honorable ministre des affaires étrangères, au sujet des démarches faites par les principaux intéressés de Gand, me permet de suspendre cette hostilité au traité et d'expliquer sous quelles conditions je pourrai y donner mon adhésion.

Mais avant tout, messieurs, il faut bien exposer les faits et l'état de cette transaction, qui nous a été indiquée. Dès que le traité a été connu, les intéressés se sont émus ; ils sont dans une position fort difficile ; beaucoup d'établissements sont fermés ; d'autres ne travaillent plus que 28 et même 22 heures au lieu de 72 heures par semaine.

Ils se sont donc alarmés, mais ils n'ont fait ni mouvement, ni manifestations publiques : ils se sont réunis paisiblement et ont exposé leurs plaintes au gouvernement. Ce qu'ils demandaient, dès l'abord, c'était un sursis pour l'application du nouveau régime ; c'est-à-dire du temps pour se préparer à la lutte. On dit : Ils en ont eu assez, puisque le traité français est de beaucoup antérieur au traité anglo-belge, et ils ont pu s'attendre, dès ce moment, que le même traité serait appliqué à l'Angleterre, comme il l'a été à la France.

Mais, messieurs, pour changer de position, il faut faire des dépenses et, dans ce moment-ci, la plupart des industriels sont encombrés de marchandises, à ce point qu'ils m'ont dit qu'au lieu de 60 pièces ils n'en vendent que 10 par semaine. Pour introduire des changements dans l'industrie, il faut des fonds et les fonds ne sont pas à la disposition de beaucoup d'entre eux. Enfin, ils se sont adressés au gouvernement et ont demandé qu'on leur obtienne des délais

Le gouvernement a répondu qu'il avait déjà tâché de les satisfaire sur ce point, qu'il pourrait leur fournir la preuve qu'il avait beaucoup insisté pour obtenir des délais et qu'il n'avait pas pu les obtenir.

Ces intéressés, très nombreux, très bien placés dans l'industrie, sont retournés à Gand découragés ; mais enfin, en hommes pratiques et courageux, ils se sont dit : Cherchons le moyen de sortir de cette fâcheuse position. Nous ne pouvons pas obtenir gratuitement ces délais. Achetons-les. Proposons à l'Angleterre, non pas de changer son système gratuitement ; offrons-lui des avantages réciproques.

Et qu'ont-ils fait ? Plusieurs d'entre eux qui fabriquent les numéros 70 et au-dessus ont dit : Eh bien, que la petite partie de l'industrie paye pour la grande ; sauvons la grande partie et sacrifions la petite ! Je vous citerais bien les noms de ces fabricants généreux qui ont fait ce sacrifice, mais je craindrais d'en oublier quelques-uns.

D'ailleurs, dans la ville de Gand ces honorables industriels sont bien connus et je ne doute pas que la reconnaissance publique les payera en considération des sacrifices qu'ils ont faits.

Ils sont donc revenus encore une fois exposer très paisiblement en termes très convenables, M. le ministre vient de leur rendre cette justice, les embarras qu'ils éprouvaient et soumettre leurs nouvelles propositions, c'est-à-dire qu'ils consentaient à laisser entrer à un faible droit de balance les fils n°70 et au-dessus, à la condition d'obtenir deux ans de délai pour les articles qui ne seraient plus frappés, après le traité, que d'un droit de 15,centimes.

En fait donc, ils acceptent pour ces numéros une sorte de libre échange. Ils demandent seulement deux années pour l'application du nouveau tarif, pour certaines catégories.

Or, messieurs, pour vous faire apprécier le sacrifice que font ces industriels ; il faut vous dire qu'ils sont protégés aujourd'hui d'un franc sur ces mêmes objets qui ne jouiront plus désormais que d'un droit de 15 c ; c'est-à-dire qu'ils font un sacrifice de plus de 85 p. c. de protection, car le droit était même de fr. 1-10.

Qu’on ne dise donc pas que Gand est une ville protectionniste : elle accepte le sacrifice qu'on lui impose, mais elle demande du temps pour s'y préparer. Jamais plus grand sacrifice n'aura été si facilement, si généreusement accepté.

Eh bien, les industriels de Gand renoncent à ce chiffre de 40 centimes pendant 10 ans, dès à présent, immédiatement.

L'Angleterre a un immense intérêt à cette transaction, car au-dessus de 70 métrique, les fils peuvent servir, dans une large mesure, et cet emploi peut s'accroître, pour la fabrication des tulles, des dentelles, de la bonneterie fine et d'autres industries. Il est impossible de prévoir l'accroissement que peuvent prendre ces industries, après la suppression des droits.

Je dis que cet intérêt doit être pris en haute considération par l'Angleterre. Au-dessus de cet intérêt, auquel l'Angleterre n'est pas insensible, il en est un autre, c'est que l'Angleterre ne peut pas se refuser à nous accorder ce qu'elle a accordé à la France.

Je ne vois pas pourquoi l'Angleterre, qui veut être traitée par nous comme nous avons traité la France, ne nous accorderait pas ce qu'elle a accordé à la France. Je vois, dans le traité avec la France, plus de 40 articles qui ont des droits différents en1860 et 1864. L'Angleterre a accordé à la France un délai sur une multitude d'articles ; nous demandons un simple délai de deux ans, pour une certaine catégorie seulement, frappée de 15 centimes.

Ce sont là des conditions très acceptables ; de même que nous avons voté le traité français à la presque unanimité, moins une ou deux abstentions, il est désirable pour l'Angleterre que le traité que le gouvernement vient de contracter soit adopté à la même unanimité ; il ne faut pas que ce traité soit un sujet de haine et de rancune, mais un véritable traité d'amitié et d'union. L'union avec l'Angleterre est une des vieilles traditions de nos annales flamandes.

L'Angleterre a veillé sur le berceau de notre nationalité ; elle ne voudra pas être accusée, dans une grande ville, de vouloir étouffer son industrie, de vouloir mettre un obstacle au développement de notre féconde virilité ; la transaction, que nous lui demandons, sera donc appréciée et par notre administration et par le gouvernement anglais, dont nous reconnaissons les procédés chevaleresques.

Quand les industriels de Gand sont venus proposer un sacrifice permanent, en échange d'un avantage temporaire, ils n'ont pas demandé que le sacrifice fût payé par d'autres industries, ils n’ont pas demandé de changer la libre entrée des houilles, encore frappées de 10 p. c., malgré la présence de nos amis politiques, les libre-échangistes de Liège, de (page 1999) Mons et de Charleroi ; ils ont dit : Nous voulons payer notre propre rançon.

La Chambre doit prendre en considération cette proportion si généreuse. Si je n’avais pas l’espoir que cette proposition sera soutenue vigoureusement par le gouvernement et favorablement accueillie par l'Angleterre, sans hésiter je voterais contre le traité, comme inopportun et trop brusque ; mais j'ai espoir fondé qu’elle sera accueillie.

Je crois que si nous pouvions arriver à ce résultat, il écarterait un des principaux griefs contre le traité, nous aurions satisfait à ce que demandent les principaux intéressés, dans ces difficiles circonstances.

Si je voulais entrer dans les détails, je pourrais citer d'autres clauses, sujettes à réclamations ; d'autres industries auraient pu être mieux traitées ; si elles ne l'ont pas été, ce n'est pas la faute du gouvernement, je pense.

Il y a plusieurs anomalies, mais je m'occupe particulièrement de l'intérêt principal et le plus menacé de la ville que je représente. Je crois que l'Angleterre prendra en considération les propositions de l'industrie gantoise si elles sont acceptées par la Chambre et par le gouvernement.

S'il en était fait mention dans le projet approbatif du traité, ce serait un témoignage du désir formel de la Chambre de voir réussir la négociation qui sera suivie. A cet effet, je proposerai donc d'ajouter au projet du gouvernement un article 2 ainsi conçu .

« Si, d'accord avec le gouvernement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne, les droits fixés par le traité pour l'importation en Belgique des fils et des tissus de colon d'origine britannique, sont modifiés, le nouvel arrangement pourra être mis en vigueur par arrêté royal. »

Messieurs, la signification que je veux donner à cet article nouveau que je propose à la Chambre d'adopter, c'est de dire que notre désir est que ces négociations aboutissent ; que pour beaucoup de membres, et pour moi en particulier, c'est une condition morale et expresse de mon vote, que si j'avais su que cet arrangement ne dût pas être accepté, je n'aurais pas voté le traité ; je le vote donc parce que cette transaction, proposée par mes commettants, admise par le gouvernement et par la Chambre, je suis convaincu que la grande, la généreuse Angleterre, ne repoussera pas une proposition aussi juste et en même temps aussi avantageuse pour elle.

J'ai donc l'honneur de proposer d'ajouter l'article 2 nouveau dont je viens de donner lecture.

En prenant cette position, je crois consciencieusement servir les intérêts de mes commettants, autant et le plus utilement que me le permettent les difficiles et pressantes circonstances dans lesquelles nous nous trouvons en ce moment. La demande formelle des principaux intéressés est pour moi un guide sûr et que j'accepte.


MpVµ. - Voici comment le bureau a composé la commission chargée d'examiner la demande de crédit de 100,000 fr. au département de la justice, déposée par M. le ministre des finances : MM. Orts, Nothomb, Muller, d'Hoffschmidt et Van Overloop.


M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Messieurs, je vous avoue que je ne m’attendais guère à voir surgir une nouvelle proposition de la part du gouvernement.

L'honorable ministre des affaires étrangères nous a dit, qu'à la demande des fabricants de Gand, il aurait proposé au gouvernement anglais des modifications au traité en ce qui concerne les fils et les tissus à introduire en Belgique.

Je ne m'étonne que d'une chose, c'est que cette proposition arrive aujourd’hui et qu'on nous demande d'abord de voter le traité. L'honorable préopinant qui vient de s’asseoir nourri l’espoir très fondé que le gouvernement anglais s'empressera d'acquiescer à ces vœux.

Mais si j'ai bien compris ce que l'honorable ministre nous a dit, on a éprouvé de grandes difficultés avant d'arriver au point où nous sommes aujourd'hui.

Seize mois de négociations ! On a lassé la patience des hommes d'Etat d'Angleterre. On a tout fait pour obtenir une modification en faveur de l’industrie nationale et l’on a le regret de devoir dire qu’on n’a rien obtenu.

MaeRµ. - Je n'ai pas dit que je n'avais rien obtenu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a tout obtenu.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Je vais vous dire ce que vous avez obtenu.

MaeRµ. - Nous avons obtenu ce qui a été demandé.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Vous avez obtenu l’article 22 du traité et aujourd'hui vous dites qu'il peut y avoir erreur et que, s’il y a erreur, on espère qu’elle sera rectifiée.

Cela prouve, messieurs, que M. le ministre des affaires étrangères, malgré tous les soins, tous ses efforts, malgré toute la patience dont il a fait preuve après seize mois de négociations, j’insiste sur ce point, n’est arrivé qu’à introduire dans le traité un article en quelque sorte défectueux que l’on doit refaire aujourd’hui. Mais on doit commencer par le voter et quand il sera voté, M. le ministre ne garantit pas que le gouvernement anglais lui donnera gain de cause et daignera modifier le traité conclu dans le sens indiqué. Non, il ne le garantit pas, et cependant il demande à la Chambre un vote approbatif.

Eh bien, messieurs, je ne partage pas l'espoir de l’honorable M. Vandenpeereboom à cet égard ; au contraire, je crains que les efforts de l'honorable ministre n'aboutissent qu'à une nouvelle déception.

Je vous déclare très franchement, je voterai contre le traité.

M. E. Vandenpeereboom. - Les intéressés, nos commettants, partagent cet espoir.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - C'est possible, mais je ne le partage pas du tout et voici pourquoi...

M. E. Vandenpeereboom. - Je ne veux pas être plus catholique que le pape.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Il ne s'agit ici ni de pape ni de catholique, il s'agit de défendre l'industrie gantoise. Vous, M. Vandenpeereboom, vous, député de Gand comme moi.,.

M. De Fré. - C'est une comparaison.

M. E. Vandenpeereboom. - Nos commettants doivent connaître leurs intérêts.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Vous devez défendre comme moi les intérêts des industriels de Gand.

MpVµ. - Les colloques sont interdits. Il faut s'adresser au président de la Chambre.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Je demande si je puis continuer.

M. E. Vandenpeereboom. - Je demande la parole.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Dans le rapport de la section centrale on nous dit que le traité avec l'Angleterre était connu de tout le monde ; que toutes les chambres de commerce s'étaient prononcées dans le sens du libre échange. Il n'en est absolument rien. Quelques-unes se sont prononcées dans ce sens, tandis que d'autres ont formé des vœux pour arriver à un abaissement de tarif par voie législative.

On affirme encore qu'il n'y a eu de surprise pour personne. Cette phrase figure dans le rapport. C'est encore une erreur. J’ai lieu de croire que tous les industriels de Gand doivent reconnaître que, pour eux, il y a eu surprise. En effet, l'année dernière, au mois de mai, on répandait partout le bruit qu'il n'y avait pas de traité.

La discussion du 13 du mois de novembre dernier l'a prouvé à toute évidence. L'honorable M. B. Dumortier a interpellé à ce sujet le gouvernement, et les réponses du gouvernement n'ont nullement satisfait la Chambre. Il est resté parfaitement démontré que le cabinet a cherché, à cette époque, à induire les électeurs eu erreur, afin de pouvoir exercer une influence sur les élections.

MaeRµ. - Nous savons qui a tiré parti du traite contre le gouvernement.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Vous allez dire qu'on a fait une manœuvre électorale. Eh bien, oui, il y a eu manœuvre électorale, mais du côté du gouvernement, et non du nôtre. (Interruption.)

Qu'a-t-on fait ? On a prétendu qu'il n'y avait pas de traité et qu'il n'y en aurait pas. Tout le monde sait pourquoi.

L'honorable M. B. Dumortier n'a-t-il pas demandé au gouvernement s'il ne considère pas comme un cas de fraude électorale que d'annoncer qu'il n’y avait pas de traité alors qu'on était en pleine négociation.

MaeRµ. - C’est inexact.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Maintenant, messieurs, je voudrais demander à M. le ministre des affaires étrangères s'il est parfaitement convaincu que le traité que nous allons conclure avec l'Angleterre doit nous procurer tant d'avantages.

Je suis convaincu de la sincérité de l'opinion émise par l’honorable ministre, mais je me permettrai, pour la combattre, de lui citer l'opinion d'un homme très compétent, député au corps législatif de France,

Voici ce que disait l’honorable M. Pouyer-Quertier, dont la compétence en pareille matière ne peut être révoquée en doute, sur les conséquences du traité franco-anglais.

« Dans une des dernières séances du parlement anglais, un des plus (page 2000) grands fabricants des articles de Roubaix en Angleterre, M. William Forster, invitait le gouvernement de son pays à conclure avec tous les autre Etats de l'Europe des traités pareils au traité si favorable conclu avec la France. N'y a-t-il pas là un dernier enseignement ?

« Que représentent en salaires les 150 millions de produits introduits déjà en France ou commandés en Angleterre ? Je le demande à l'honorable M. Chevalier. Si nos fabriques avaient eu, depuis le mois d'octobre, les commandes faites aux Anglais, le gouvernement n'aurait pas été obligé de demander au corps législatif des millions pour parer au chômage. Le travail national marcherait, et nos ouvriers s'en tiendraient plus honorés.

« Ne comprenez-vous pas maintenant, messieurs, les cris de joie de M. Gladstone ? Voilà les résultats officiels du traité de commerce, résultats constatés deux fois, et par nos états de douane, et par les applaudissements des Anglais.

« Ajoutez que nos entrepôts sont devenus des magasins anglais d'où nos négociants font sortir les marchandises au fur et à mesure de leurs besoins. Ainsi, à quelque point de vue que l'on se place, vous subissez la plus ruineuse des défaites. Vos rêves d'exportation ! il ne s'en est pas réalisé un seul, et l'importation a pris des proportions énormes.

« Je veux rappeler à M. Chevalier des paroles qu'il prononçait l’année dernière : « Il n'entrera pas en France, nous disait-il, un seul mètre de tissus anglais. Je lui demande où est sa prédiction.

« Et vous, M. le président du conseil d'Etat, vous rappelez-vous avoir traité d'injustice les exactes prévisions de mon rapport de 1860 ? Vous rappelez-vous les efforts que vous avez faits pour nous causer, bien involontairement, tant de mal, tandis qu'il ne vous en eût rien coûté pour nous faire beaucoup de bien ?

« Vous avez arraché des mains du pouvoir législatif la protection et la défense qu'il avait vouées à l'industrie nationale, et qu'avez-vous fait de l'industrie ?, Vous l'avez confiée au traitement de docteurs empiriques du libre échange, qui, eux, l'ont livrée aux soins désintéressés, comme toujours, de leur plus généreuse alliée, l'Angleterre. Voilà votre œuvre !»

Messieurs, il me paraît que cette citation est concluante,

M. Orts, rapporteur. - Lisez la réponse.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Vous lirez la réponse, si cela vous convient. Je ne suis pas chargé de traiter votre cause.

Messieurs, vous voyez quel est le résultat produit en France par le traité. Je crois que l'honorable ministre des affaires étrangères voudra bien m'accorder que l'opinion de M. Pouyer-Quertier, l'un des principaux industriels de France, a une importance incontestable. Si nous devons l'en croire, le même sort attend l'industrie belge, si la Chambre sanctionne de son vote le traité soumis à ses délibérations. Messieurs, en présence de la situation qui nous est faite, en présence de la discussion surtout du corps législatif, il me paraît que le gouvernement aurait pu mieux sauvegarder les intérêts du pays.

Je ne mets nullement en doute les bonnes intentions du gouvernement ; mais j'ai des craintes sérieuses sur l'avenir réservé à notre industrie nationale et sur le sort de nos nombreux ouvriers. M. le ministre des affaires étrangères vient de témoigner toute sa sympathie pour l'industrie et pour les ouvriers de Gand. Je l'en remercie, et je lui suis reconnaissant des efforts qu'il a faits pour atteindre le but qu'il s'était proposé, mais, je regrette de ne pouvoir le féliciter sur ses succès diplomatiques. Il est parti pour l'Angleterre dans le but de sauver notre industrie, et ses généreux efforts sont restés sans succès. Je suis plutôt porté à croire que le gouvernement a subi la pression de la politique anglaise, pression que le gouvernement a dû subir, parce que l'Angleterre a besoin de notre marché ; cela est si vrai, qu'aujourd'hui même, j'ai pu constater qu'en Angleterre les tissus anglais sont cotés à 2 francs de moins que les tissus belges. Notre industrie n'est donc pas aussi forte que l'a dit M. le ministre. Elle ne l'est certainement pas assez pour oser affronter la redoutable concurrence que lui ferait l'industrie de la Grande-Bretagne.

Messieurs, on a beaucoup parlé de l'industrie gantoise, et jusqu'à présent on ne vous a pas fait connaître son importance actuelle. Permettez-moi de vous l'indiquer.

Il y a à Gand 54 établissements cotonniers, tant filatures que tissages.

Ces établissements contiennent 600,000 broches filatures et 7,000 métiers à tisser.

Le prix de ces usines montées, prêtes à tourner, terrains, bâtiments, machines, etc., etc., compris, doit être évalué à 50 fr. par broche et à 800 fr. par métier à tisser, soit 30,000,000 en filatures et 5,600,000 en tissages. Ensemble, 35,600,000 francs.

Quant au personnel vivant de ces établissements, il se compose de dix mille ouvriers fileurs et de cinq à six mille ouvriers tisserands travaillant en usine, plus quatre à cinq mille autres ouvriers, tels que charpentiers, maçons, etc., vivant exclusivement de la fabrique.

Veut-on savoir dans quelle situation se trouve cet immense centre industriel pai suite de la crise cotonnière qui sévit en ce moment ?

Les deux tiers de la production sont supprimés par le chômage ou la diminution des heures de travail, et, je crois ne pas me tromper en disant qu'il manque hebdomadairement plus de cent mille francs de salaires.

C'est-à-dire qu'il faut plus de 150,000 francs par semaine pour donner le pain à cette nombreuse population de travailleurs.

C'est, messieurs, au milieu d'une crise aussi épouvantable que celle que nous subissons en ce moment, que le gouvernement, sans doute malgré lui, s'est hâté de nous présenter le traite de commerce avec l'Angleterre.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il s'est hâté lentement.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Comment se fait-il qu'il n'ait pu attendre encore quelque temps ?

MaeRµ. - Combien de temps ?

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - J'aurais attendu au moins que la crise fût passée.

M. Hymans. - Vous auriez crié plus fort.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Comment ! nous aurions crié plus fort ? L'honorable M. Hymans aurait voulu qu'on eût attendu jusqu'à ce qu'on fût passé de vie à trépas. En effet, la mort termine toutes les souffrances, même celles de l'industrie.

Messieurs, vous savez aussi quelles sont les privations de toute nature que supporte cette population ouvrière, cette population admirable qui se conduit, depuis qu'elle supporte la faim, d'une manière que l'on peut qualifier d'héroïque ; c'est la seconde fois que j'ai l'occasion de le proclamer dans cette enceinte et je m'estime heureux de pouvoir rendre un nouvel hommage aux sentiments qui animent ces courageux et malheureux ouvriers de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.

Je ne veux pas occuper la Chambre trop longtemps. Je bornerai là mes observations ; car je crains qu'elles restent stériles ; l'honorable M. Orts nie le fait pressentir dans son rapport : le traité avec l'Angleterre, a-t-il dit, est à prendre ou à laisser. Cela veut dire que nous ne sommes pas appelés à discuter, mais à voter. Voilà pourquoi nous sommes réunis. Nous n'avons pas à discuter les intérêts de notre pays, quand une grande puissance commande. Eh bien, je n'accepte pas ce rôle.

MaeRµ. - Rejetez le traité.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Nous le rejetterons. Je le répète, je n'accepte pas un pareil rôle.

Comme conséquence des observations que je viens d'avoir l'honneur de vous soumettre, je propose formellement à la Chambre d'ajourner l'application du traité au 1er octobre 1864.

MaeRµ. - Messieurs, je pense que le discours de l'honorable préopinant était préparé de longue main et qu'il n'a pas voulu en priver la Chambre. Sinon, on pourrait s'étonner de cette persistance d'opposition au nom d'intérêts qui, semble-t-il, se montrent satisfaits de l'altitude du gouvernement.

L'honorable représentant de Gand croit que ses commettants n'ont pas lieu de se montrer satisfaits : il veut, lui, se montrer plus difficile qu'eux ; il veut voir dans la situation des choses ce qu'ils n'y voient pas, et malgré eux il votera contre le traité. Libre à lui ; le traité, comme l'a dit l'honorable M. Orts en termes familiers, est à prendre ou à laisser, il a le droit de le laisser.

Le traité est soumis à la Chambre précisément pour qu'elle le prenne ou le laisse : si la Chambre le rejette, il n'existera pas. En quoi donc lui force-t-on la main ? Du moment que la Constitution veut que les traités de commerce soient soumis aux Chambres, il va de soi que les Chambres ont parfaitement le droit de les rejeter, et soyez-en bien persuadés, vous avez affaire à des ministres qui comprennent assez leurs devoirs pour se retirer dans le cas où un traité qu'ils ont conclu de bonne foi ne serait pas adopté.

On a dit, messieurs, que l'année dernière nous aurions, comme expédient électoral, annoncé qu'il n'y aurait pas de traité avec l'Angleterre tandis qu'à cette époque le traité aurait déjà été fait.

D'où est venue, à cette époque, la manœuvre électorale ? De l'opposition. On voulait combattre le ministère et en particulier l'honorable ministre des travaux publics et l'on disait aux Gantois : Le ministère vient de (page vendre l'industrie cotonnière à l’Angleterre ; la ruine nous menace, le traité avec l'Angleterre est signé.

Eh bien nous avons nié alors de la manière la plus formelle l'existence de ce traité et nous disions vrai Nous avons ajouté que les négociations n'étaient pas encore commencées et elles n'étaient pas commencées. L'affaire était instruite, notre ministre en Angleterre était saisi des pièces, mais les négociations n'étaient pas commencées.

II importe, messieurs, d'en finir une fois pour toutes avec ces attaques très injustes et qui ont été reproduites chaque fois qu'il y a eu un intérêt politique à servir.

Combien de fois depuis n'avons-nous pas vu annoncer par les journaux que le traité avec l'Angleterre était signé, que la dernière heure avait sonné pour la ville de Gand ?

M. Jacquemyns. - Le traité a été signé au mois de juillet 1862.

MaeRµ. - C'est à-dire 15 mois après l'époque où l'on disait qu'il venait d'être signé.

Maintenant, messieurs, je ne veux pas accepter le rôle que me fait jouer l'honorable représentant de Gand.

Je ne suis point parti pour Londres avec la prétention, comme on dit, de sauver l'industrie cotonnière : les négociateurs et notamment le ministre qui représente si dignement la Belgique à Londres, n'avaient pas besoin d'aide pour négocier le traité, ils étaient parfaitement en état de conduire l'affaire, mais j'ai été heureux de pouvoir obtenir des choses qui jusque-là avaient éprouvé de la résistance de la part du gouvernement anglais.

On dit : Ce que vous avez obtenu n'est rien ; et l'un des articles du traité modifié repose sur une erreur : je voudrais bien que l'honorable membre me dît en quoi consiste l'erreur. D'ailleurs ceci concerne médiocrement la ville de Gand ; il s'agit de tissus mélangés. Quant aux autres articles, nous avons obtenu pour la classification des fils et les tissus imprimés, ce qui a été primitivement demandé par la chambre de commerce de Gand, au nom de l'industrie gantoise. Ce n'est que postérieurement que l'industrie gantoise a dit : Il faut étendre l'exception aux fils simples et aux tissus communs et elle nous offre une combinaison qui la satisferait si elle réussit.

Eh bien, messieurs, animés toujours des mêmes sentiments pour l'industrie gantoise, nous disons que nous ne refusons pas de prendre en considération cette nouvelle combinaison et que nous n'hésiterons pas à la produire et à la défendre devant le cabinet anglais. Voilà, messieurs, notre déclaration, ni plus ni moins.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que je ne prends pas l'engagement de faire réussir cette combinaison, je prends l'engagement de la produire et de la défendre.

J'avais espéré, messieurs, après avoir entendu l'honorable vice-président de la Chambre, député de Gand, après avoir eu, aujourd'hui encore, une conférence avec des représentants très estimables et très sérieux de l'industrie gantoise, j'avais espéré un moment que pas une voix discordante ne s'élèverait ; l'honorable membre a cru devoir troublé un peu ce concert ; il votera contre le traité. Soit ! Les députés gantois en masse eussent voté contre le traité qu’il n’en eût pas moins été adopté, non pas parce que l’Angleterre le veut, mais parce que la Belgique le veut, parce que le véritable intérêt de la Belgique le veut.

Mais, messieurs, bien que nous eussions la conviction que le traité serait adopté, nous n'avons pas cru devoir nous refuser à une mesure conciliatrice, et tous nos efforts comme tous nos vœux seront pour le succès de cette mesure.

M. de Rongéµ. - Messieurs, mon intention était de voter contre le traité de commerce, surtout à cause de l'anomalie qui se trouve dans l'article 22 en ce qui concerne les tissus mélangés. le rapport entre le droit à la valeur et le droit spécifique, est inexact et la faculté laissée aux importateurs rend le premier illusoire.

D'après les explications données par M. le ministre des affaires étrangères, je voterai le traité. L'honorable ministre a fait des restrictions pour les fils, les tissus de coton et les tissus mélangés. Je déclare que ces restrictions me satisfont.

L’honorable M. Kervyn de Volkaersbeke vient d'exprimer son opinion sur le traité et sur les arrangements qui sont intervenus entre le gouvernement et quelques représentants de l'industrie gauloise. Si cette opinion lui est personnelle, je n'ai rien à dire ; s'il s'est fait l'écho de l'opinion de ses commettants, je n'ai qu'un regret, c'est que ses commettants ne l'aient pas mis au courant de ce qui s'est passé.

L'initiative de ces arrangements n'a pas été prise par le gouvernement, elle l’a été par le comité commercial et industriel de Gand qui a envoyé les délégués à Bruxelles ; ces délégués sont arrivés dans la capitale samedi ; ils sont venus me trouver, dans un moment où je ne m'attendais nullement à leur visite. Nous nous sommes rendus à trois, d'abord chez M. le ministre des affaires étrangères, ensuite chez M. le ministre des finances.

C'est après de longs pourparlers, c'est après des concessions beaucoup plus considérables, que celles que nous comptions accorder, que nous avons établi la base des arrangements.

Les membres de la députation gantoise ont rendu compte au cercle commercial de ce qui s'était passé au ministère, et les industriels ont ratifié ce qui avait été fait.

Ces messieurs sont revenus ce matin ; nous sommes retournés de nouveau au ministère, et nous avons formulé d'une manière plus précise encore les demandes de l'industrie gantoise.

Il y a eu, je dois en convenir, d'excellentes dispositions chez MM. le ministres des affaires étrangères et des finances. Ils ont pris l'engagement formel de faire tous leurs efforts pour a-outir dans le sens des observations présentées par l'industrie gantoise. Mais ils n'ont pas pu aller au delà de cet engagement.

Comme cet engagement me satisfait, il ne me reste, à moi qui ai fait partie des négociateurs, qu'à voter le traité.

Voilà en peu de mots ce qui s'est passé.

Dans toutes les conditions, il faut des positions franches, et c'est une position franche que je viens prendre dans cette enceinte ; parce que je ne veux pas qu'on puisse lui donner plus tard une autre interprétation. Mes paroles prennent en quelque sorte en ce moment un cachet officiel ; on pourra les contredire, si l'on veut ; niais quoiqu'il n'y ait pas de pièces écrites, j'ai la conviction que les faits que je viens d'avancer ne seront pas contredits par le cercle commercial de Gand. Mes deux collègues qui faisaient partie de la députation pourront affirmer que je ne me suis pas le moins du monde écarté de la vérité.

Messieurs, l'amendement déposé par l'honorable M. E. Vandenpeereboom a pour objet d'autoriser le gouvernement à appliquer par arrêté royal les modifications qui pourront être introduites dans le traité. L'honorable membre nous a parlé des fils et des tissus de coton. Je demanderai qu'on ajoute les tissus mélangés. Je dois déclarer que sur ce point je ne suis pas jusqu’à présent tout à fait d’accord avec M. le ministre des affaires étrangères, il pense qu'il n'y pas d'erreur ; je suis convaincu qu'une erreur a été commise ; si elle est reconnue, je demande qu'on veuille bien la rectifier. Je ne pense pas que le gouvernement ait des motifs sérieux pour s'y opposer.

Voilà les explications que j'avais à donner sur ce qui s'est passé dans cette circonstance ; et après l’engagement pris par le ministère, il ne me reste plus, je le répète, qu'à voter le traité.

MpVµ. - M. le ministre des affaires étrangères propose une addition à l'article unique du projet de loi qui devient maintenant l'article 1er ; après les mots « le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, » il demande qu'on ajoute ceux-ci : « ainsi que le protocole additionnel de la même date. »

La fin de l'article, par suite de cette addition, doit être modifié comme suit : « Sortiront leur plein et entier effet. »

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je n'occuperai pas longtemps l'assemblée. Je dois deux mots de réponse à l'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke qui, lorsqu'il a parlé de la date de nos négociations avec l'Angleterre, a, en employant le mot « gouvernement, », voulu évidemment m'indiquer, et qui m'a ainsi attaqué personnellement.

Je croyais que l'honorable membre aurait eu le bon goût de ne pas revenir sur un incident qui a été vidé immédiatement après qu'il eût été soulevé au début de cette session.

Il s'agissait de la portée d'un acte posé par moi lors des élections de 1861.

La question était de savoir si j'avais fait des déclarations d'où les industriels de Gand pussent induire qu'il ne serait pas conclu de traité de commerce entre la Belgique et l'Angleterre.

J'ai démontré alors à la dernière évidence que c'était exactement le contraire qui résultait des déclarations faites par moi aux intéressés.

Je n'ai pas seulement démontré que les industriels de Gand avaient été prévenus d’une manière générale qu'il serait négocié prochainement un traité de commerce entre la Belgique et l'Angleterre ; j'ai démontré que moi personnellement je les avais avertis ; j’ai dit dans quelles circonstances et dans quels termes.

(page 1002) J'ai fait connaître qu'au mois d'octobre 1860, m'interposant dans l'intérêt de l'industrie de Gand, j'avais été en relation avec des délégués de cette industrie, que j'avais intentionnellement choisi la plupart de ces délégués parmi les protectionnistes les plus prononcés ; j'ai rappelé notamment ce qui s'était passé dans une conférence dont j'ai précisé la date. Voici comment je m'exprimais, en rapportant ce qui avait eu lieu dans cette conférence. Je cite les Annales parlementaires :

« Un des membres prit la parole au début de notre conférence, pour exprimer l'avis qu'en débattant les droits qu'on demanderait au gouvernement de stipuler dans le traité français, on débattait, en réalité, - et que c'était cette circonstance qui donnait toute son importance à l'affaire, - les droits qui seraient stipulés dans un futur traité avec l'Angleterre ; que le traité avec l'Angleterre s'apercevait clairement derrière le traité avec la France. Tous les membres présents furent unanimes à former les mêmes prévisions, et j'intervins pour clore cette première partie de notre discussion, par la déclaration, sans réserve, qu'il était impossible de se faire illusion ; que le traité français recevrait, en effet, l'extension qu'on venait de dire, qu'il servirait de base et à nos futurs traités et à notre législation douanière générale. »

Messieurs, comme l'honorable M. de Rongé, j'aime les situations nettes ; et c'est pour que la situation fût complètement nette, entre MM. les industriels et moi, entre l'honorable M. B. Dumortier qui m’attaquait, et moi, que j'ai cité devant la chambre les noms des membres dont se composait la députation qui m'avait fait l'honneur de se présenter dans mon cabinet.

A la suite d'explications données o®us une forme destinée précisément à provoquer une réponse, cette réponse advint immédiatement ; et dans une lettre qu'ils m'ont adressée et qu'ils ont en même temps livrée à la publicité, tous les membres qui avaient assisté à notre entrevue, ont confirmé point par point la parfaite exactitude des renseignements que j'avais fournis à la Chambre.

Je pense que voilà une position en effet bien loyale, bien franche.

Cette entrevue, je viens de le rappeler, avait lieu au mois d'octobre 1860. Vinrent les élections de 1861. A l'approche de ces élections, on tenta, l'honorable M. Kervyn l'a dit, une manœuvre électorale. Le traité anglais en fournit le sujet.

Au mois de mai, c’est-à-dire quelques jours seulement avant les élections, on prétendît qu’un traité avec l’Angleterre était signé ou allait l’être incontinent.

Quel était le but qu'on voulait atteindre ? Il était patent. On voulait éloigner de l'opinion libérale les industriels de Gand, en les effrayant sur les conséquences d'un prétendu traité avec l'Angleterre qui aurait été mis immédiatement en vigueur, au risque de la perturbation qu'une solution aussi hâtive pouvait entraîner.

C'est contre cette manœuvre flagrante que j'ai réagi, et je le ferais encore demain, je le ferais chaque fois que les mêmes faits se reproduiraient.

En disant au mois de mai 1861, qu'aucun traité ne se négociait avec l'Angleterre, j'ai dit la stricte vérité. Et en effet, non seulement il n'était point question alors d'un traité immédiat ; non seulement un traité n'était pas signé ou n'était pas sur le point de l'être, mais les négociations n'étaient même pas encore entamées, puisque le cabinet n'a délibéré de cet objet qu'au mois d'octobre suivant, au mois d'octobre 1861, et le gouvernement, comme vient de le dire l'honorable ministre des affaires étrangères, depuis l'envoi des instructions officielles, a mené les négociations avec autant de lenteur que possible, uniquement dans l'intérêt de la ville de Gand. C'est le 7 du mois de novembre dernier seulement que notre ministre à Londres a remis à lord Russell le projet de traité qui lui avait été expédié par le cabinet de Bruxelles. C'est la remise de ce projet seul évidemment qui a pu marquer le débat des négociations. Voilà les faits exacts.

Ainsi, messieurs, voici la situation en deux mots : Depuis toujours, car mon avertissement n'a certainement pas été le premier, les industriels de Gand ont été prévenus qu'on traiterait avec l'Angleterre sur les bases mêmes qui ont servi au traité français ; cela a été dit, cela a été écrit ; mon honorable collègue, M. le ministre des finances, s'en est nettement expliqué, entre autres, dans la discussion du traité français ; cela a été indiqué dans l'exposé des motifs de la loi ratifiant ce traité.

Ainsi, quant à l'avenir, aucun doute n'était possible sur ce point ; toute la question a été de savoir si, au mois de mai 1861, un traité était signé ou allait l'être, simple question de fait matériel. Or, messieurs, il n'en était rien, et la meilleure preuve que j'en puisse fournir, c'est que le traité anglais porte la date du 23 juillet 1862.

Encore une fois donc, il y a eu manœuvre manifeste, mais pas de notre part. Que ceux qui y ont eu recours en portent la responsabilité.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

MpVµ. - Il n'y a rien eu de personnel dans la discussion qui vien1 d'avoir lieu. Vous avez émis une opinion et M. le ministre des travaux publics l'a combattue. Cependant si la Chambre ne s'y oppose pas, je vous accorderai la parole.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Je dois nécessairement relever un mot que l'honorable ministre des travaux publics vient de m'adresser. Il a dit qu'il croyait qu'il aurait été de bon goût de ne plus parler de cette affaire. Je comprends qu'il soit fort peu agréable pour M. le ministre des travaux publics d'entendre parler encore de cet incident, mais je pense qu'il fait nécessairement partie de la discussion et dès lors il ne peut être de mauvais goût de s'en servir. D'ailleurs, je prierai M. le ministre des travaux publics de vouloir se mettre d'accord avec son collègue des affaires étrangères.

Comment ! il n'était pas question de traité avec l'Angleterre à cette époque, et M. le ministre des affaires étrangères lui-même vient de nous dire qu'on a négocié pendant seize mois. Seize mois ! ce chiffre est précieux à constater.

A-t-on oublié les attaques violentes que lord John Russell a dirigées coutre nous au sein du parlement anglais ? Et l'on voudrait passer tout cela sous silence ; ou ne pourrait plus en souffler mot sous peine de faire preuve de mauvais goût en reproduisant ce malheureux incident ! M. le ministre en pensera ce qu'il voudra ; mais, quant à moi, je suis parfaitement convaincu de n'avoir pas fait preuve de mauvais goût en revenant sur cette affaire.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est une question d'appréciation.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Soit. Mais nous ne sommes pas plus d'accord sur cette question que sur beaucoup d'autres.

Maintenant, puisque j'ai la parole, je voudrais répondre deux mots à l'honorable M. de Rongé.

L'honorable membre me dit que probablement je dois n'avoir eu aucune connaissance des décisions qui ont été prises par le Cercle commercial et industriel de Gand.

J'avoue, messieurs, que je n'ai pas été aussi heureux que l'honorable membre.

Je n'ai eu connaissance de cette décision que tout l'heure à mon arrivée à la Chambre. Maintenant honorable M. de Rongé nourrit l'espoir que les modifications qui seront proposées à l'Angleterre seront acceptées par elle.

Je ne puis qu'admirer la foi robuste de l'honorable M. de Rongé, et je l’admire d'autant plus que M. le ministre des affaires étrangères qui sera chargé de négocier ne paraît pas avoir une bien grande confiance dans le succès de ses démarches futures.

MaeRµ. - Vous n'êtes pas encourageant ; il est probable qu'on invoquera vos paroles au Parlement anglais.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Je ne fais que reproduire votre propre pensée. Vous avez dit très clairement qu'il ne fallait pas fonder de grandes espérances sur le résultat des négociations futures. Qui donc est décourageant dans cette enceinte ? Est-ce moi qui n'ai fait que répéter les paroles de M. le ministre des affaires étrangères ou bien est-ce cet honorable ministre qui nous annonce quel sera le résultat probable de ses futures démarches ? Je puis abandonner cette question à l'appréciation de la Chambre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous interprétez mal les paroles dont vous vous êtes emparé et votre appréciation est contraire aux intérêts que vous voulez défendre. Au lieu de servir les intérêts de vos commettants, vous les compromettez.

M. de Gottal (pour une motion d’ordre). - L'intention de la Chambre est sans doute de terminer cette semaine la discussion du traité. (Oui ! oui !) Je proposerai donc que nous nous réunissions désormais à une heure.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à cinq heures.