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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 25 février 1863

Séance du 25 février 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 417) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La veuve du sieur De Jonghe, ancien directeur de l'école moyenne de Lierre, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des cultivateurs à Braine-le-Comte demandent que le gouvernement fasse vendre, dans un délai très rapproché, les peupliers du Canada qui se trouvent sur la route de Mons à Bruxelles, section de Braine-le-Comte à Tubise. »

- Même renvoi.

M. Ansiau. - Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition.

- Adopté.


« Le sieur Aernout, ancien maréchal des logis au 1er régiment de lanciers, demande les arrérages de la pension dont il jouit en qualité de décoré de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Cuylits, Vanden Leemput et autres membres de l'association libérale et constitutionnelle d'Anvers déclarent appuyer les pétitions des communes d’Austruweel, Berchem, Borgerhout, Deurne, Merxem, Edeghem, Hoboken, Mortsel, Wyneghem, Wilryck en Wommelghem, ayant pour objet de faire restreindre à 250 mètres la zone des servitudes militaires à Anvers. »

M. de Boe. - Je demanderai qu'il soit fait rapport sur cette requête eu même temps que sur les autres pétitions relatives à la même question. (Interruption.) Alors je demanderai le dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives aux servitudes militaires.

- Cette proposition est adoptée.


« M. le gouverneur de la Société Générale, pour favoriser l'industrie nationale, adresse à la Chambre 116 exemplaires du compte rendu des opérations de cette société pendant l'année 1862. »

- Distribution à MM. les membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1863

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XIX. Beaux-arts

Article 117

 

MVIµ. - Messieurs, la section centrale qui a examiné le budget du département de l'intérieur reproche au gouvernement, d'abord :

1° De vouloir créer en Belgique un genre nouveau de peinture, genre qui, d'après elle, n'est ni dans l'essence de l'esprit flamand, ni conforme aux vieilles traditions de notre école ;

2° D'exagérer dans ce budget les dépenses de l'Etat ;

3° De ne tenir aucun compte des crédits annuellement votés par la législature ;

4° D'engager inconsidérément l'avenir.

Messieurs, les reproches graves et les chiffres que l'on a cités et qui montent à une somme considérable, ont produit, je ne puis me le dissimuler, un certain effet sur l'opinion publique ; on a fortement critiqué avec la section centrale les actes posés par mon honorable prédécesseur ; pour ma part j'accepte très volontiers la responsabilité de ces actes.

Ce qui m'a étonné, messieurs, dans cette affaire, c'est que les reproches les plus vifs nous sont venus précisément de la part de ceux chez lesquels on comptait que la mesure adoptée par mon honorable prédécesseur trouverait l'appui le plus ardent et le plus entier, je veux parler de ceux qui doivent attacher un grand prix à l'ornementation de l'intérieur des édifices du culte et c'est, en effet de ce côté (en dehors de la Chambre bien entendu) que se sont produits les reproches les plus graves et, d’après moi, les moins mérités.

C'est, dis-je, de ce côté surtout que sont venus les reproches adressés à mon honorable prédécesseur, qui, secondé par un directeur général actif et intelligent, est parvenu à donner aux beau- arts un élan digne, d'après moi, des plus grands éloges.

Déjà, messieurs, l'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke a rencontré quelques-uns des arguments produits dans la section centrale.

Permettez-moi d'examiner à mon tour ce travail ; j'espère pouvoir démontrer à la Chambre et au pays que les reproches, faits au gouvernement, ne sont nullement fondés et qu'au point de vue de l'art, comme au point de vue administratif, le gouvernement a eu raison d'entier résolument dans la voie où il est engagé aujourd'hui.

Et d'abord, messieurs, j'aurai l'honneur de vous rappeler ce qui a eu lieu il y a quelque temps. Dans ce pays surtout où tout le monde s'occupe de toutes les questions et les discute - et c'est un fait heureux que je constate - on oublie parfois que souvent ce qui a été approuvé par l'opinion publique est peu de temps après repoussé par l'opinion publique elle-même.

Il y a cinq ou six ans, quel reproche faisait-on au gouvernement, à propos de la distribution des fonds alloués au budget des beaux-arts ? On lui disait : « Vous éparpillez vos encouragements ; vous donnez à de jeunes gens qui ne présentent aucune garantie des subsides mesquins, des espèces de secours, et vous n'obtenez aucun résultat de ces sacrifices. » On ajoutait : « Vous achetez de petits tableaux, des tableaux de peu de valeur uniquement pour venir en aide aux artistes. Pareilles œuvres ne doivent pas être acquises par l'Etat ; elles sont à la portée des fortunes particulières ; elles trouvent leurs places dans les salons ; mais ces œuvres mesquines ne sont pas dignes de décorer nos grands édifices publics. » Tel était le langage d'un grand nombre d'amis de l'art, puis on ajoutait encore : faites donc de la grande peinture, encouragez l’art dans ses manifestations les plus élevées. Le gouvernement seul aujourd'hui peut donner aux arts l'appui qu'ils trouvaient autrefois dans d'autres institutions. »

Ces observations justes, d'après moi, trouvèrent d’éloquents interprètes dans des assemblées parfaitement compétentes. Le jury des récompenses de l'exposition générale des beaux-arts de 1857, s'associant complètement aux mêmes idées, chargea M. le comte de Liedekerke, son honorable rapporteur, de les produire devant le pays.

Voici, messieurs, comment s'exprime notre honorable collègue qui toujours trouve des paroles éloquentes quand il traite des questions d'art et qui, joignant la pratique au précepte, trouve le moyen d'encourager les artistes autrement que par de brillantes paroles. Voici donc, messieurs, comment s'exprime l'honorable rapporteur du jury des récompenses de l'exposition générale des beaux-arts de 1857 :

« Les hommes d'Etat comprendront que la renommée d'un pays ne repose pas uniquement sur la prospérité et sa richesse matérielle, mais que la grandeur des beaux-arts, de la littérature, forme autant de liens qui y rattachent plus intimement encore les citoyens, et que, multiplier les titres de célébrité de la patrie, c'est la rendre plus chère au cœur de ses enfants.

« C'est donc du gouvernement que doit venir l'impulsion des travaux importants, qui, seuls, peuvent pousser l'art et lui procurer un essor dont l'influence s'étendra à tous les degrés. Car la hauteur d'où part la lumière en fait mieux pénétrer la vivifiante action.

« Nous croyons qu'il faudrait rapprocher plus qu'on ne le fait habituellement, dans notre pays surtout, l'architecture et la peinture. Cette association a donné, dans d'autres temps, des résultats magnifiques.

« Les pinceaux les plus célèbres en ont légué d'ineffaçables traces, et les plus célèbres écoles italiennes du moyen-âge ont perpétué leur renommée par d'immortelles fresques.

« L'Allemagne et la France n'ont pas laissé dans l'oubli ces souvenirs et avec raison, car tout ce qui est monumental, tout ce qui revêt un caractère national, développe les talents, leur inspire d'incalculables effort et grandit l'art.

« On se sent fier de travailler pour tous les âges, de devenir la propriété du public qui ne meurt pas, et d'être adopté par l'histoire de son pays. A l'apathie, à l'indifférence, aux étroites perspectives, succèdent uni brûlante émulation, l'amour du grand et du beau et l'ardeur nécessaire à les réaliser. Heureuses dépenses donc que celles qui excitent les talents, évoquent parfois le génie, qui entretiennent dans un peuple les pensées élevées, lui en prodiguent les exemples et qui le détournent d'une trop constante application aux égoïstes calculs de la richesse. C'est d'elles qu'un ministre, sage et économe, le pénétrant Colbert, a pu dire avec l'assentiment de la postérité : « Rien ne marque (page 418) davantage la grandeur et l’esprit des princes que les bâtiments, et toujours la postérité les mesure à l’aune de ces superbes machines qu'ils ont élevées pendant leur vie. »

Voilà, messieurs, comment s’exprimait l'honorable M. de Liedekerke, rapporteur du jury des récompenses de l'exposition générale des beaux-arts de 1857. L'année dernière encore, l'honorable rapporteur de la section centrale chargé d'examiner le budget de l'intérieur, après avoir fait quelques réserves eu ce qui concerne le mode de comptabilité adopté en matière d'encouragement des beaux-arts par le gouvernement, l'honorable M. Jamar engageait, il y a un an, le gouvernement à persévérer dans la voie où il était entré.

« De pareils travaux, disait le rapport, entrepris avec le concours de nos plus importantes cités, ouvrent à la grande peinture une voie trop longtemps délaissée. Ils répondent victorieusement à cette triste accusation qu'on cherche à faire peser sur les gouvernements parlementaires, de n'accorder à l'art qu'une protection inefficace et stérile.

« Les peintures murales de l'hôtel de ville et du musée d'Anvers, de l'université de Gand, du palais ducal à Bruxelles, de l'école communale d'Ixelles, des églises de Liège, de Verviers et de Saint-Trond seront d'impérissables monuments de la grandeur de l'art flamand au XIXème siècle et de la protection éclairée des Chambres belges. »

Ainsi s'exprimait, il y a un an à peine, l'honorable M. Jamar au nom de la section centrale. Je me demande si, depuis lors, tout est changé dans le pays et pourquoi les idées se seraient modifiées.

Je me demande pourquoi ce qu'on trouvait si bien en 1857, ce qu'on approuvait encore en 1862, soulève aujourd'hui de si nombreuses critiques et mérite de si vifs reproches ?

Qu'a fait le gouvernement en cette circonstance ? Le gouvernement, fort de sa conviction, d'abord, et suivant ensuite les conseils qu'on a bien voulu lui donner, est entré courageusement dans la voie qu'on lui indiquait : et il a bien fait.

Messieurs que vient-on nous dire aujourd'hui ?

La peinture murale ou, pour me servir d'une expression plus large, la peinture monumentale, n'est pas de l'essence de l'esprit flamand !

M. Hymans, rapporteur. - La peinture murale.

MVIµ. - Murale ou monumentale, c'est la même chose dans ma pensée.

M. Hymans, rapporteur. - Du tout ! du tout ! C'est une erreur.

MVIµ. - Soit, mais c'est une erreur volontaire.

La peinture murale, la peinture monumentale, je confonds ces deux expressions parce qu'elles répondent à une même idée ; pour moi, la peinture monumentale est celle qui est alliée à l'architecture ; je le démontrerai tantôt.

Que reproche-t-on donc au gouvernement ? La peinture murale, dit-on, n'est pas dans l'essence de l'esprit flamand, n’est pas conforme aux traditions de l'école flamande, c'est un genre nouveau que l'on veut introduire. Eh bien, messieurs, d'après moi il y a dans ces reproches autant d'erreurs que de mots et il me sera facile de le démontrer à la Chambre.

Pour préciser le style d'une école, ne faut-il pas avant tout examiner quel est le caractère des œuvres produites par ses grands maîtres, par ses chefs. Eh bien, quel est le caractère dominant de la peinture murale ou delà peinture monumentale ? Ce caractère, d'après nous, réside tout entier dans la grandeur de la pensée, dans la splendeur de la forme.

Je vous le demande, ces caractères ne se retrouvent-ils pas dans les œuvres de nos grands maîtres flamands ? Un homme qui manie avec un égal talent la plume et le pinceau m'écrivait il y a peu de jours une lettre dont je demande la permission de lire un extrait à la Chambre.

« Des hommes éminents soutiennent que l'école flamande du commencement du XVème siècle a pour caractère distinctif l'élévation et la profondeur de la pensée, et qu'elle exprime son sentiment par la grandeur dans la forme. Il est en effet impossible de contempler les œuvres des Van Eyck et des Hemming sans être frappé de la justesse de cette assertion ; la profondeur du sentiment, la grandeur du style autant que la beauté et la force du coloris font éclater dans les œuvres de cette école l'esprit flamand dans toute sa plénitude, dans toute sa pureté, dans toute sa virginité.

Nous avons donc eu une école de grand style, nous avons eu des maîtres illustres parmi les plus illustres, dont les œuvres procèdent de la pensée et de la forme, et ne voir dans notre école que la période qui a succédé à celle-ci, c'est s'exposer à ne pas embrasser dans son ensemble ce grand mouvement intellectuel qui a jeté et qui continue à jeter tant d'éclat sur notre patrie.

En encourageant la peinture monumentale, le gouvernement ne cherche donc point à introduire dans notre école des éléments nouveaux, il continue simplement à stimuler les générations présentes dans les différentes voies qui leur ont été ouvertes par le génie des générations passées. »

Voilà, messieurs, une appréciation à laquelle pour ma part je me rallie complètement.

M. B. Dumontierµ. - Van Eyck peignait sur toile et à l'huile.

MVIµ. - Oui et sur panneaux, mais l'art ne consiste pas à peindre sur panneaux sur toile ou sur mur.

L'art vit de son propre état, et emprunte à lui-même son cachet, qu'importe qu'on peigne sur zinc, sur cuivre ou sur plomb comme cela se faisait autrefois.' On n’a fait pas de la grande peinture parce que l'on peint sur un grand espace, parce que l'on peint sur telle manière plutôt que sur telle autre.

Telles sont les appréciations générales auxquelles je crois pouvoir me rallier. Je pourrais faire d'autres citations encore.

Mais à l'appui de ma thèse et pour démontrer que la peinture murale n'est pas un genre nouveau, voici des preuves matérielles. Allez visiter nos anciens monuments ; là, les faits protestent à chaque pas, dans chaque monument, dans chaque édifice contre vos allégations.

L'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke vous a cité hier des édifices où l'on peut remarquer d'antiques peintures murales. A mon tour, permettez-moi de vous rappeler les peintures murales qui se trouvent à Gand, celles qui se trouvent à Tongres, celles de l'église de St-Martin, d'Ypres, celles de la salle des magistrats d'Ypres, celles qui existent à Courtrai, à Anvers, à Liège ; partout en un mot où se trouve un ancien monument, on trouve des spécimens de cet ancien art flamand.

Et à ceux qui viennent nous soutenir que la peinture murale est une innovation en Belgique, je pourrais me borner à répondre, passez-moi la vulgarité de l'expression, au lieu de gratter du papier pour nous prouver que la peinture murale n'a jamais existé en Flandre, allez gratter le badigeon de nos vieux édifices et vous y trouverez la preuve que la peinture murale existe depuis des siècles dans le pays.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Très bien.

MVIµ. - On me dira, messieurs, je le sais, que les anciennes peintures dont je parle sont des peintures polychromes, d'ornement, que ce ne sont pas des tableaux proprement dits.

Erreur ! Evidemment la plupart de nos églises, de nos hôtels de ville sont revêtus de peintures polychromes et de dorures même, mais au milieu de ces peintures on trouve à chaque instant de grandes peintures et même des tableaux !

Faut-il citer des faits ? Je vous dirai : allez à Courtrai. Là vous trouverez dans l'église Notre-Dame des figures des anciens comtes de Flandre. Allez à Ypres à l'église de Saint-Martin ; vous y trouverez la figure de Robert de Béthune mort en cette ville. Sous les voûtes de la même église vous verrez de grandes peintures représentant les évangélistes.

A l'hôtel de ville d'Ypres, je parle beaucoup de cette ville parce que je la connais mieux que d'autres et que je l'aime, à l'hôtel de ville d'Ypres on a découvert il y a quelques années une peinture murale considérable et représentant les ducs et les duchesses de Bourgogne.

Dira-t-on que ce ne sont là que des simples décorations polychromes et que ce ne sont pas de véritables tableaux d'histoire ? Évidemment non.

J'ai entendu dire aussi que ces vieilles peintures sont des œuvres mal conçues, sans mérite aucun !

Messieurs, cela dépend un peu des goûts. J'y trouve parfois, moi, un caractère de naïveté, un cachet de pureté qui ne sont certes pas à dédaigner et si l'on admire à juste titre les anciens peintres italiens comme Cimabue et Giotto, nous pouvons, nous, admirer aussi les œuvres naïves de nos anciens peintres flamands.

Tout prouve que dans notre pays la peinture murale n'est pas un genre nouveau et que le gouvernement ne cherche pas à introduire de force une innovation artistique.

Autrefois, messieurs, les communes, qui avaient des attributions si grandes et les exerçaient si dignement, favorisaient l'industrie, faisaient la guerre pour conquérir leur liberté et leur indépendance, mais elles comprenaient aussi qu'à côté de cette mission matérielle, il y en avait une autre pour elles, celle de protéger les arts, et chose étonnante que nous comprendrons peut-être difficilement à l'époque où nous vivons, autrefois les grandes communes avaient, comme les seigneurs et les souverains, leurs peintres ordinaires.

Dans les comptes de nos anciennes communes flamandes, nous trouvons (page 419) presque à chaque année, un article indiquant ce qui a été payé à tel ou tel peintre ordinaire de la commune, pour travaux de peinture historique, exécutés soit à l’hôtel de ville, soit à la halle, soit enfin dans les salles de ces corporations, de ces gildes qui ont joué un rôle si important au moyen âge. Ces peintures ne sont pas, je le sais bien des artistes qui ont conservé un grand nom ; c’était tout simplement des hommes modestes qui, animés de l’esprit de la foi, en représentaient dans les temps les emblèmes, les mystères de la religion ; et qui, patriotes ardents, représentaient sur les murs des hôtels de ville les portraits des souverains et les grandes actions de leurs compatriotes qui combattaient pour conquérir l’indépendance ou maintenir les franchises communales.

Messieurs, je crois avoir prouvé et par les appréciations, et par les faits, et par l'histoire elle-même, que la peinture murale n'est pas un genre nouveau introduit dans notre pays, que cette peinture est dans l'essence de l'ancien esprit flamand, et qu'elle est conforme à toutes nos traditions, aux traditions les plus anciennes et les plus respectables de l'école flamande.

Je passe à un autre ordre d'idées.

La peinture murale (et quand je dis peinture murale, j'entends l'art du grand style qui se manifeste par la peinture murale, par la peinture à l'huile, par la sculpture, par l'architecture), la peinture murale, la grande peinture doit exercer une influence salutaire sur les intérêts matériels du pays.

On nous disait naguère encore que la Belgique se trouvait vis-à-vis des autres nations dans une position d'infériorité en ce qui concerne l'art industriel : Voyez, disait-on, ce qui vient de se passer à l'exposition universelle de Londres ! On engageait le gouvernement à faire des efforts pour relever l'art, l'industrie. Créez, disait-on, des écoles de dessin, appliquez telle ou telle méthode, prenez telle et telle mesure et vous arriverez au but.

Mais, croyez-vous que toutes les écoles du monde et les meilleures méthodes pourront donner à nos ouvriers le goût artistique, si l'on ne commence par leur former le goût lui-même. Et comment forme-t-on le goût du peuple ? Evidemment en lui faisant voir toujours et partout le beau, l'art se manifestant par tous les moyens possibles et pour tous.

Il est évident, messieurs, et les faits le prouvent, l'art proprement dit jette ses reflets sur l'industrie. Les écoles les mieux composées ne pourront pas former des dessinateurs, des industriels, si le goût ne domine pas partout et si le goût n'a pas été en quelque sorte purifié par la contemplation des chefs-d'œuvre artistiques.

A cet égard, messieurs, je demanderai la permission de faire encore une citation un peu longue peut-être ; mais elle est pleine d'intérêt, elle vous prouvera l'influence que l'art a toujours exercée et exercera toujours sur les nations.

Voici comment s'exprime M. Viardot, dont personne ne contestera la compétence en pareille matière.

« Comment l'Attique, dit-il, dont le territoire étroit, rocailleux, presque stérile, n'avait ni champs de blé, ni prairies, ni bois, ni fer, ni chanvre, ni laine, ni cuir, ni troupeaux ; qui achetait au-dehors sa nourriture, sa boisson, ses vêtements, ses meubles, ses métaux, ses cordages, ses chevaux, ses esclaves ; qui n'avait à livrer, en retour de tant de productions étrangères que l'huile des arbres de Minerve, le miel de l'Hymète et le marbre de Pentélique, comment l'Attique partie décharnée du squelette du monde, ainsi que la nommait Platon, a-t-elle pu nourrir sur son sol infertile cette population de cinquante mille citoyens libres et de quatre cent mille esclaves ? Comment s'est-elle donné une marine et une cavalerie ? Comment a-t-elle assujetti les îles de l'Archipel, fondé de lointaines colonies, vaincu les hordes innombrables du roi de Perse, lutté contre Philippe, résisté à Sylla ? C’est qu’à défaut d'agriculture, elle avait la haute industrie ; c'est qu'elle possédait, en tous genres de belles choses, les meilleures manufactures de toute la Grèce, c'est-à-dire du monde connu. Et cette supériorité dans l'industrie, qui lui fit supplanter, l'un après l'autre, Egine, Sicyone, Rhodes et Corinthe, elle la devait à sa supériorité dans les arts.

« La Minerve colossale de Phidias, dont on apercevait le panache du promontoire de Sunium, appelait les commerçants de tout l'univers dans les ateliers où se créaient les tableaux, les statues, les broderies, les vases, les casques, les cuirasses, dont le prix devait entretenir la richesse de la population de l'Attique. Périclès avait donc fait un bon calcul en même temps qu'une belle œuvre, lorsqu'il dépensa, sous la direction de Phidias, jusqu’à quatre mille talents, trois fois le revenu total de la République, en travaux d'architecture, de sculpture ou de peinture, et en récompenses aux artistes célèbres. Il assurait à sa patrie la puissance et la richesse par le moyen de la grandeur et de l'éclat.

« Et Venise ! Après la destruction de l’empire roman, les métiers disparaissaient avec les arts, et les sources de la prospérité publique se desséchaient tandis qu’en Occident toute tradition artistique et professionnelle s’était complètement rompue ; les connaissances techniques disparaissant avec les ouvriers, Byzance avait accueilli l’art émigré pour lui communiquer quelques nouveaux éléments de vie. L’industrie occidentale était donc à recommencer. Venise se chargea de cette mission. Dans le Xème siècle, elle appela des mosaïstes byzantins pour orner sa riche église de Saint-Marc et cultiva dès lors tous les arts avec autant de munificence que de succès. Devenue le grand entrepôt des produits de l’univers, elle profita de sa culture artistique pour développer les arts industriels, et fonda, la première dans l'Europe du moyeu âge, la fabrication et l’exportation, et bientôt d'une métropole du commerce ; elle se fit la métropole de l'art et de l'industrie et la reine du monde civilisé. »

Messieurs, je pourrais continu cette citation déjà longue, je me bornerai à constater que dans un grand nombre de pays l'art pratiqué d'une manière grandiose a exercé sur l'industrie une influence prépondérante.

A ce point de vue donc, encore, le gouvernement a bien fait, je pense, d'entrer dans la voie, où il se trouve aujourd'hui.

Messieurs, si je me place à un autre point de vue, au point de vue national, je soutiens encore qu'il est du devoir du gouvernement d’encourager la grande peinture et spécialement la peinture murale. En effet, messieurs, pensez-vous que les grandes pages de notre histoire, inscrites sur les murs des édifices publics ne soient pas le meilleur enseignement historique qu'on puisse donner au peuple ?

Ne sont-elles pas les pages d'un livre toujours ouvert à tous, où tout le monde peut lire l'histoire du passé, et croyez-vous que nos populations belges, si généreuses, lorsqu'elles voient la représentation de ces grands combats livrés pour l'indépendance du pays, ne sentent pas battre leur cœur d'une patriotique émotion, comme lorsqu'elles voient la représentation de l'ouverture de ces anciens Etats-Généraux qui s'occupaient des mêmes choses dont nous nous occupons aujourd'hui ici, et qui réglaient aussi les affaires du pays. Croyez-vous que ces populations ne comprennent pas que la liberté n'est pas née d'hier eu Belgique, qu'il est de leur devoir de la défendre, et que si nous sommes fils de nos œuvres depuis 1830, nous avons dans nos veines du vieux sang de ceux qui siégeaient avant nous dans ces grandes assemblées.

Et puis, messieurs, pensez-vous que lorsque nous voyons représentés dans nos halles, dans nos hôtels de ville, ces grandes luttes soutenues par des bourgeois nos ancêtres pour conquérir leurs franchises, leurs privilèges, croyez-vous que lorsque nous voyous représenter une joyeux entrée des anciens seigneurs du pays que des populations reconnaissantes acclamaient quand ils gardaient la foi jurée, croyez-vous que ces représentations ne soient pas faites pour surexciter le patriotisme et le sentiment national ?

Quant à moi, je considère la peinture monumentale comme une instruction, comme un stimulant du patriotisme, comme un bienfait pour tous et je pense qu'il est du devoir du gouvernement de l'encourager largement.

Je voudrais donc, messieurs, s'il était possible, et j'espère que lentement on y arrivera, je voudrais que tous nos édifices publics, nos halles, nos hôtels de ville, nos écoles, oui surtout nos écoles, fussent décorés de peintures historiques.

Nos écoles surtout, ai-je dit, car d'après moi, l'œuvre exécutée en ce moment par un artiste de talent qui retrace l'histoire de la Belgique, œuvre qui sera, j'espère, placée dans toutes les écoles du pays, contribuera mieux à vulgariser l'histoire de notre pays que tous les livres qu'on pourrait écrire et que le peuple ne lit pas.

M. H. Dumortier. - Il faudrait les mines de la Californie !

MVIµ. - Les mines de la Californie ! Non, et je prouverai tantôt que la Belgique ne fait pas trop de sacrifices pour encourager la peinture murale, elle y apporte peut-être même trop de parcimonie ; l'argent, d'ailleurs, employé pour l'art est de l'argent parfaitement employé.

J'arrive maintenant à quelques objections de détail, présentées par la section centrale.

On nous a dit, messieurs, que la peinture murale ne convient pas à nos climats. C'est là une assertion, d'après moi, toute gratuite et qui est démentie par les faits.

Je puis citer un exemple tout récent ; la peinture qui décore le fronton de l'église de Caudenberg, faite depuis plusieurs années, n'a souffert en rien, je l'ai fait constater, et elle est aussi intacte aujourd'hui que le premier jour. Mais si la peinture murale ne convenait pas à nos climats, comment ont été conservées les anciennes peintures dont je vous ai parlé au commencement de ce discours.

(page 420) On m'a cité l’abbaye de Vilecrs, où une salle complétement exposée à l’air depuis 60 ans conserve encore des traces de peintures murales.

M. de Haerne. - C'est l'ancien réfectoire.

MVIµ. - Vous trouvez de ces traces dans tous nos anciens monuments. Or, il n'est pas de preuve plus convaincante qu'un fait, il suffit de vouloir voir pour être forcé de croire.

Et, messieurs, notre climat est-il donc plus ingrat, plus mauvais que le climat des pays voisins, et la Belgique est-elle le seul pays de cette partie de l'Europe où s'exécute la peinture murale ? Evidemment non. Vous savez tous qu'à Munich et dans l'Allemagne en général, il existe un grand nombre de ces peintures.

En France, patrie du critique cité dans le rapport de la section centrale, il existe de magnifiques peintures monumentales. L'hémicycle de Paul Delaroche, les peintures de Flandin, à Saint-Germain-des-Prés sont sans doute des œuvres qui méritent l'approbation des artistes et qui, sous tous les rapports, sont dignes d'être considérées comme des chefs-d'œuvre de l’art français.

En Angleterre, pays dont le climat est sans doute moins favorable encore que le nôtre, eu Angleterre, presque tous les édifices nouveaux sont ornés de peintures murales. L'hôtel du Parlement que l'on vient de construire est exclusivement décoré de pointures de ce genre. Voici la note indicative de ces œuvres d'art :

Peintures murales modernes à Londres.

Monuments civils : Le Parlement.

1° Grande peinture au wasserglass dans la salle royale par Maclise ;

2° Chambre des lords, six peintures par Cope, Dyce, Maclise et Horsley ;

3° Premier corridor, six peintures sont achevées par Cope et Warel ;

4° Second corridor, huit peintures par Warel ;

5° Salle de Saint-Etienne, sera décorée par huit peintures ;

6° Salle d'attente supérieure. Elle sera décorée de huit peintures dont déjà quelques-unes sont terminées ;

7° Chambre d'atour des pairs, neuf peintures représentant la Justice humaine, développée par la Loi et le Jugement.

Des peintures murales à Londres décorent aussi des monuments religieux ; voici quelques indications à ce sujet :

1° Eglise anglicane de Tous les saints, peinte par William Dyce ;

2° Eglise de Notre-Dame, Farn-street, peinte par Henry Doyle ;

3° Eglise de St-James the Less, Garden-street, fresques par G.-F. Watts ;

4° Eglise St-Alban, Baldiven-Garden, par Strange ;

5° Eglise de St-Jean l'Evangéliste, Duncan-Terrace, fresques par Edward Armitage ;

6° A Lincolns, Inn Hall, une grande fresque par J.-F. Watts.

Je pense donc que ce qui est possible en Allemagne, en Russie, en France et en Angleterre peut très bien se faire en Belgique ; si les peintures murales ne pouvaient pas se conserver dans ces pays étrangers, on n'y exécuterait pas un si grand nombre de ces œuvres d'art.

Mais on nous dira : « Pourquoi ne pas remplacer les peintures murales parties peintures à l'huile ? » Je le veux bien, quand les peintures peuvent s'adapter aux murs. Mais les peintures à l'huile ne se conservent pas, quand elles sont en contact avec la chaux.

D'un autre côté, pour pouvoir bien juger d'une peinture à l'huile, il faut choisir ce qu'on appelle le point de vue : si on ne prend pas cette précaution, la toile miroite et brille à cause du vernis. Que fait-on pour éviter cet inconvénient ? On est obligé d'incliner légèrement le tableau en avant. Ce n'est plus alors un tableau monumental, c'est un meuble qu'on place ou qu'on déplace à volonté.

Sous ce rapport, à moins de pouvoir faire de la peinture à l'huile qui soit adhérente au mur, il faut donner la préférence à la peinture murale proprement dite pour la décoration de nos monuments.

Je sais que les mesures prises par le gouvernement excitent quelques mécontentements ; on s'imagine que le gouvernement, en faisant faire de la peinture murale, néglige d'encourager la peinture à l'huile. Il n'en est rien.

Le gouvernement, en encourageant la grande peinture monumentale, n'a pas diminué pour cela les subsides qui étaient accordés à la peinture à l'huile ; bien au contraire ; depuis lors, le Musée moderne s'est notablement enrichi.

Dans mon opinion, ainsi que je l'ai déjà déclaré l'année dernière, le musée moderne doit posséder des œuvres de tous nos grands peintres. C'est là le but où nous devons arriver.

Déjà on a fait beaucoup pour atteindre ce but ; tout en faisant de la peinture monumentale, on achète des tableaux pour le musée moderne et pour d'autres collections.

La sollicitude de l’administration n’a pas négligé le musée moderne ; il a reçu des tableaux de MM. Florent Willems, de Groux, F. Pauwels Fourmois, de Knyff, C. Tschaggeny, J. Stevens, Lies, Stallaert, Robie, etc. ; des sculptures de MM. Jos. Geefs, Sopers, etc. Le gouvernement est également devenu propriétaire d'une nouvelle grande composition de M. Wiertz.

Je le répète, messieurs, mon intention est d'acheter successivement de nouveaux tableaux pour le musée, et j'espère qu'à l'occasion de la prochaine exposition des beaux-arts, la Chambre en m'accordant des crédits, me mettra à même de faire des acquisitions importantes. Si la Chambre veut bien voter les crédits nécessaires, je me ferai un véritable bonheur d'acheter un grand nombre de tableaux pour compte de l'Etat.

Il est encore un autre moyen de favoriser les artistes, c'est d'engager les communes à commander des tableaux représentant des scènes de l'histoire locale ; c'est une idée que je cherche à mettre à exécution.

Je pense qu'au moyen de l'intervention pécuniaire de l'Etat et des provinces, nous pourrons avoir dans la plupart des communes belges des tableaux représentant l'histoire de ces localités.

Une autre objection a été faite encore. On nous a demandé : « Les procédés qu'on emploie sont-ils bons ? »

A cela, je ne puis répondre qu'une chose, c'est qu'on emploie, en Belgique, les procédés qu'on emploie dans les pays étrangers. Vos artistes, hommes consciencieux et de science, jaloux surtout d'assurer la conservation de leurs œuvres, font des études sérieuses avant de s'engager dans une pareille entreprise.

Si l'on trouve en Allemagne, en Angleterre, en France, en Russie, que ces procédés sont bons, pourquoi ne le seraient-ils pas en Belgique ? Mais la science elle-même est venue au secours de l'art, si je puis parler ainsi.

Des chimistes très distingués ont reconnu que les procédés employés aujourd'hui ne laissent rien à désirer. Un chimiste éminent, M. Stas, dans une conférence qu'il a donnée, si je ne me trompe, au Cercle artistique et littéraire, a démontré que les procédés employés en cette matière sont excellents, et conservent parfaitement les œuvres d'art exécutées par nos artistes.

Je crois avoir rencontré la plupart des observations générales consignées dans le rapport de la section centrale. Je demande à la Chambre la permission de répondre aux observations administratives produites dans ce document.

On nous a dit : la Belgique dépense trop pour ses peintures murales. Messieurs, si nous comparons les dépenses que l'on fait dans notre pays pour cet objet à celles qui sont faites pour beaucoup d'autres services, on reconnaîtra que ce reproche n'est nullement fondé.

Le budget de l'intérieur s'élèvera à environ 10 millions de francs, quand toutes les augmentations de traitement y seront inscrites, eh bien, tout le chapitre des beaux-arts comprend une somme de 579,000 francs et dans cette somme figurent toutes les allocations affectées à l'enseignement artistique.

Cette somme est destinée à encourager non seulement la peinture murale mais l'art dans ses diverses manifestations, la. gravure, la sculpture, la musique ; elle a pour but aussi d'accorder des prix pour les concours généraux, etc., etc. Si, sur un budget de dix millions de francs, on consacre 579,000 francs aux beaux-arts, est-ce trop, messieurs, surtout dans un pays dont la principale gloire est la gloire artistique, dans un pays qui s'est fait un grand renom en Europe et qui soutient ce renom par le talent de ses artistes ? Quant à moi, je suis loin de croire que la somme consacrée actuellement à l'encouragement des beaux-arts soit exagérée.

Je sais que cette dépense doit être maintenue dans une juste proportion avec les autres dépenses publiques ; mais, prise en elle-même, je ne pense pas qu'elle puisse être taxée d'une exagération quelconque. Puis, quelle est, dans cette somme de 579,000 fr. la part de la grande peinture, de la peinture murale ? Elle y figure pour cent mille francs, si vous votez le crédit demandé, c'est-à-dire pour un peu plus du sixième. Est-ce là une protection exagérée et sommes-nous réellement si coupables d'oser proposer à la Chambre de voter un pareil crédit ?

Autre question qui a fait l'objet de nombreuses critiques. On a dit : Le gouvernement ne tient aucun compte du vote des chambres ; le gouvernement marche sans se préoccuper des votes qui le lient et il dépense même des crédits qui n'ont pas été mis à sa disposition.

Mais, messieurs, sur quoi repose ce reproche ? L'année passée, dit-on, les Chambres ont voté un crédit de 60,000 francs ; on nous demande aujourd'hui 100,000 francs. Cela est exact, messieurs ; mais de ce que nous demandons aujourd'hui 100,000 francs, s'ensuit-il que cette somme soit déjà dépensée ? Evidemment non.

Quand, l'année dernière, le gouvernement a demandé le crédit de 60,000 fr. il a attenta que ce crédit lui fût alloué pour l'engager par des contrats.

(page 421) C'est encore, messieurs, ce qui a lieu aujourd'hui. Nous demandons 100,000 fr. et j'espère bien que la Chambre nous les accordera ; mais il va de soi que si ce crédit n'est pas voté, je devrai renoncer, à mon grand regret, aux projets, en vue desquels il a été demandé, et voilà tout.

On outre-passe, dit-on, les crédits. Mais, messieurs, les notes justificatives produites à l'appui du budget prouvent que c'est là une véritable exagération. Cela vous étonnera sans doute, après tout ce bruit qu'au-dehors on a fait autour de cette question, bruit qui ferait croire que nous avons dépensé la moitié des produits de la Californie pour la peinture murale.

Voici la vérité dans tout cela. Les engagements contractés l’année dernière ont dépassé de 4,000 francs le crédit de 60,000 francs qui a été voté.

Voilà, messieurs, le grand péché que j'ai commis et dont je ne répudie nullement la responsabilité.

M. Rodenbach. - C'est un péché véniel. (Interruption.)

MVIµ. - En effet, ce n'est pas un péché mortel et j'espère que la Chambre ne fera pas grande difficulté à m'accorder l'absolution. Du reste, veuillez-le remarquer, le crédit de 60,000 francs est un des litteras de l'article en discussion et ne constitue qu'une partie du crédit total de 294,000 francs.

Par conséquent, cette somme de 60,000 francs n'était point rigoureusement limitative et, dès lors, l'insuffisance de 4,000 francs peut fort bien être imputée sur les autres littéras, sans froisser en aucune façon les principes de la comptabilité.

Vous le voyez donc, messieurs, ces reproches sont extrêmement exagérés et le gouvernement ne les a certainement pas mérités pour avoir dépassé de 4,000 francs le crédit qui lui a été alloué l'année dernière.

Mais, autre crime dont je tiens aussi à laver le gouvernement, nous avons engagé l'avenir ; des engagements ont été contractés à concurrence de 500,000 fr. ; donc, les budgets futurs sont engagés pour un grand nombre d'années.

C'est vrai, messieurs, parfaitement vrai ; mais était-il possible de faite autrement ? Ce qu'on nous reproche ici quant aux beaux-arts, ne se passe-t-il pas tous les jours en matière de travaux d'utilité publique ?

Je suis encore, sous ce rapport, un très grand coupable ; vous voyez que je ne fais aucune difficulté d'avouer mes fautes.

Lorsqu'il s'agit de construire une route, que fait le gouvernement ? Il promet des subsides et dit aux communes : Je vous donnerai 3,000, 5,000, 10,000 fr. pendant quatre ou cinq ans.

Et si je suis coupable, vous êtes un peu mes complices, messieurs, car la plupart des membres de la Chambre ne manquent aucune occasion quand je leur objecte l'insuffisance des crédits, de me répondre : Vous prélèverez la dépense sur deux ou trois exercices.

Comment voulez-vous que l'érection et la restauration des monuments s'effectuent, s'il doit être interdit d'engager quelque peu l'avenir ? Croyez-vous qu'on puisse restaurer en un an un édifice tel que l'église de Sainte-Gudule, par exemple ? (Interruption.) L'honorable M. Dumortier, qui aura la bonté, je pense, de m'attaquer un peu tantôt...

M. B. Dumortier. - Pas vous ! Pas vous !

MVIµ. - L'honorable M. Dumortier, dis-je, aurait-il pu assurer la restauration de la magnifique cathédrale de Tournai si le gouvernement n'avait pas consenti à s'engager pour un certain nombre d'exercices ? Verrions-nous restaurer l'hôtel de ville de Bruxelles ? Et quant à moi-même, aurais-je eu le bonheur d'assister à la restauration des magnifiques halles d'Ypres si mes honorables prédécesseurs n'avaient pas suivi les mêmes errements que moi ?

Eh, messieurs, ce système est pratiqué dans de bien plus grandes proportions en ce qui concerne d'autres services publics. En voici un exemple ; il est relatif à la restauration des monuments religieux. Depuis 1857, si je ne me trompe, les crédits du budget du département de la justice affectés à la construction et à la restauration des églises et s'élevant à 444,000 fr. soit 3,552,000 francs sont engagés jusqu'en 1865. Pour pareils travaux toujours on est forcé d'engager l'avenir, mais ce n'est évidemment que sous réserve du vote des Chambres. Mais, dit-on, vous faites des contrats. Sans doute, messieurs, et la raison en est simple : c'est qu'il faut bien lier l'artiste.

S'il n’existait pas de contrat, comment pourrait-on contraindre l'artiste à remplir ses engagements. Mus quant au gouvernement, l'accomplissement de ses engagements est toujours subordonné au vote des Chambres. (Interruption.) M. le ministre de la justice me fait remarquer que tous les chefs de son département sont obligés d'engager l'avenir quand il s'agit de construction ou de restauration d'édifices religieux, et l'on conçoit qu'il ne peut pas en être autrement quand il s'agit de travaux de longue haleine : nos ancêtres mettaient un siècle pour construira une église ; il me semble que c'est marcher assez vite que de n'y consacrer que 10 à 15 années. Vous le voyez, messieurs, la plupart des reproches qu'on nous a adressés sont au moins très exagérés, et, d'après moi, ils manquent complétement de fondement.

Je viens donc prier la Chambre, et j'espère que la section centrale sera d’accord avec moi sur ce point, de vouloir bien voter le crédit demandé. Les travaux qu'il s'agit d'exécuter sont dans une condition toute spéciale ; il s'agit de peintures à exécuter dans une église à Gand ; ce travail est confié à un artiste du plus grand mérite et qui a déjà fait ses preuves ; il s'agit en outre de la continuation des magnifiques peintures murales qu'on exécute à Saint-Nicolas, travail qui mérite toutes les sympathies du gouvernement, et qui les mérite d'autant plus que les habitants de la ville de Saint-Nicolas ont fait exécuter en grande partie ces immenses travaux avec leurs seules ressources.

Si aujourd'hui cette ville vient demander un subside à l'Etat, c'est parce que, après les grands sacrifices qu'elle a faits, elle a besoin d'être un peu aidée.

Un autre travail mérite aussi la bienveillance de la Chambre, ce sont les peintures murales à exécuter à l'église du Sablon, peintures, du reste, qui coûteront peu, mais auxquelles un subside est destiné ; enfin, messieurs, un autre travail, auquel j'attache une grande importance, consiste, dans les peintures murales des halles et de l'hôtel de ville d'Ypres. Ces. différentes affaires étaient traitées et engagées avant mon avènement au ministère.

Je n'ai pas signé de contrat sur ces objets, parce que j'aurais été obligé de dépasser les crédits ; j'ai donc été au-devant des vœux de la section centrale, puisque j'ai tenu ces travaux en suspens ; je viens demander à la Chambre les moyens de les exécuter. J'y ai mis de la délicatesse parce qu'il s'agissait du pays flamand et de ma ville natale en particulier. J'espère, messieurs, que la Chambre ne me fera pas repentir de ma délicatesse.

Les traces de peinture murale se retrouvent dans tous les monuments dont je viens de parler, on les réhabilitera complètement en leur rendant leur décoration.

L'affaire d'Ypres, comme je le disais tout à l'heure, était engagée avant mon arrivée au ministère.

Pour les quatre travaux dont je viens de parler, le gouvernement a pris des engagements, mais pas définitifs ; aucun contrat n'est signé, ce n'est qu'un engagement sur parole et qui ne pourrait valoir devant les tribunaux. Si la Chambre ne veut pas les approuver elle en est libre, mais je la conjure de voter les crédits que je demande.

Ne nous décourageons pas, ne modifions pas les idées qui ont été adoptées dans le pays ; il y a quelques années à peine on demandait de grandes peintures murales. Laissons faire une expérience. Si ou ne veut pas aller loin, faisons au moins un essai, voyons où cela peut nous mener.

Depuis 20 ans, les Chambres ont fait beaucoup pour la restauration de nos monuments à l'extérieur, il reste beaucoup à faire à l'intérieur de nos monuments.

Dans les églises il y a des objets d'art, sans doute, mais aussi un mobilier indigne des lieux où il se trouve, des autels du style rococo dans toute sa puissance ; il y a eu un temps où ce style charmait tout le monde, on enlevait des autels gothiques pour les remplacer par d'autres de style rococo, on enlevait les aubés pour donner plus de jour, on enlevait les magnifiques vitraux qu'on remplaçait par de simples carreaux pour mieux éclairer l'édifice.

Faisons, messieurs, quelques sacrifices pour la décoration intérieure de nos églises, pour la restauration de l'intérieur de nos halles et de nos hôtels de ville, nous ferons alors ce que nous voyons aujourd'hui en Italie. Quand un étranger arrivera dans notre pays, le peuple se pressera autour de lui et lui montrera avec fierté des pages de l'histoire du pays et les portraits de ses grands hommes dans l'intérieur de ses églises et sur les murs de ses monuments publics.

M. Hymans, rapporteur. - Messieurs, quelque étrange que cela puisse paraître à la Chambre, M. le ministre de l'intérieur, dans le discours qu'il vient de prononcer, a complètement déplacé la question ; il a parlé de beaucoup de choses qui ne se trouvent pas dans le rapport de la section centrale, tout en ménageant très peu son travail. (Interruption.)

L'honorable ministre s'est même servi d'expressions qui m'ont semblé peu parlementaires, en disant qu'au lieu de gratter du papier pour prouver que la peinture murale n'a jamais existé en Belgique, mieux vaudrait gratter le badigeon des églises pour retrouver les fresques qui recouvrent les murailles.

(page 422) Ce n’est pas à vous que cela s’adressait.

M. Hymans. - A qui donc s’adressaient vos paroles ?

Les prenant pour nous, je les avais trouvées peu parlementaires, car le rapport qu'on discute n’est pas mon œuvre personnelle.

Je ne sache pas qu'un seul membre de la section centrale se soit levé pour le désavouer : il a été lu, approuvé et signé ; la majorité de la section centrale en prend la responsabilité, ce n'est pas moi, mais la section centrale entière, c'est une émanation de la Chambre, qui blâme le gouvernement de s'être engagé dans la voie où il est entré.

Quoi qu'il en soit, M. le ministre a parlé de beaucoup de choses qui ne se trouvent pas dans le rapport de la section centrale et de beaucoup d'autres qui n'ont aucun trait à la question qui nous occupe.

Ainsi, il a parlé de l'application de l'art à l'industrie. Qu'est-ce que cela a de commun avec la peinture murale ?

Il a parlé des critiques émanées précisément de ceux qui devraient attacher le plus grand prix à l'ornementation des églises.

Qu'est-ce à dire ? Faut-il être catholique pour admirer en artiste l'ornementation d'un temple ?

Parce qu'on est libéral ou protestant, est-on tenu d'avoir moins de vénération pour les chefs-d'œuvre qui décorent nos vieilles et vénérables cathédrales !

M. le ministre a critiqué encore ceux qui, en fait d'art, ne veulent pas que l'on fasse de grandes choses ; il a insisté sur le devoir qui incombe au gouvernement d'encourager les arts, d'exercer sur eux un constant et fécond patronat, et il a cité, à l'appui de sa thèse, un remarquable travail de M .le comte de Liedekerke.

Pourquoi cette affirmation si énergique des devoirs de l'Etat, ? Mais en tous points, messieurs, je suis de l'avis du ministre, et je serais heureux et fier de signer le passage du rapport qu'il nous a cité.

Est venue ensuite, à propos de peintures murales, une explosion de patriotisme, fort blessante, à mon avis, pour ceux qui ne sont point les partisans de cette face de l'art.

Est-ce donc faire acte de mauvais patriote que de ne point se constituer le défenseur de la peinture à fresque ?

Faut-il absolument avoir sous les yeux les images du passé pour se sentir porté vers les idées nationales et généreuses ? Mais je ne sache pas que les membres du Congrès qui ont siégé dans cette enceinte aient eu besoin de voir ces lambris couverts de peintures, pour être animés, de l’esprit qui leur a dicté les institutions et les lois qui font notre orgueil et l'admiration de l'Europe.

Ce sont donc là des hors-d'œuvre dans ce débat, qui se trouve ainsi fort inutilement allongé,

Je vais droit au but et je suis tout prêt à admettre trois points.

J'admets que M. le minière des affaires étrangères, dont l'honorable M. Vandenpeereboom défend les actes, a beaucoup fait pour les arts ; qu'il a fait pour eux plus qu'aucun ministre en Belgique avant lui ; qu'il a donné un grand et bel exemple à ses successeurs.

Je suis prêt à admettre encore que l'honorable fonctionnaire dont on a parlé tout à l'heure a secondé M. le ministre des affaires étrangères dans son œuvre avec zèle, intelligence et désintéressement.

J'admets, enfin, que l'Etat doit intervenir en matière d'art, dans un pays comme la Belgique où le patronage des anciennes corporations n'existe plus, où les Mécènes sont malheureusement trop rares Je n'ai pas oublié qu'à toutes les grandes époques de l'histoire de l'art belge, c'est le patronage de l'Etat ou du souverain qui a donné à notre école cet éclat dont elle a resplendi sous les ducs de Bourgogne ; sous Marguerite d'Autriche ; sous les archiducs Albert et Isabelle à qui l'on a pardonné bien des fautes à cause de la protection éclairée qu’ils ont accordée à Rubens et à sa brillante pléiade.

Ainsi encore le gouvernement issu de la révolution de 1830, nous a ramenés, par son utile et intelligente intervention, dans la voie trop longtemps abandonnée des Flamands des XVème et XVIème siècles.

Sur ces divers points nous sommes d'accord ; seulement comme il est dit dans le rapport de la section centrale, si nous ne contestons pas la nécessité du patronage de l'Etat, si nous sommes prêts à voter des crédits sollicités franchement pour l'exécution de grands travaux destinés à rehausser l'éclat de notre école, nous ne pouvons admettre, comme représentants du pays, que l'on nous fasse approuver des dépenses faites en dehors du contrôle des Chambres et qu’il impossible de discuter librement, par cela seul que des contrats engagent la responsabilité du gouvernement.

C'est ce qui arrive aujourd'hui. Nous avons les mains liées ; l'Etat est engagé ; il faut qu'il s'exécute, quel que soit notre avis.

Si au lieu d'engager l'Etat pour un million, vous l'aviez engagé pour 10 millions, par le seul fait de cet engagement, nous serions encore tenus de faire honneur à la signature du ministre, à moins de lui laisser la dépense pour compte.

Si c'étaient des tableaux ; il pourrait les accepter ; mais des murs ! ce serait difficile. (Interruption.)

Cette question mise à part, voyons, pour les principes, ce qui se trouve dans le rapport. Presque rien de ce que l'honorable ministre y a trouvé, et d'abord, comme la Chambre n'est pas une académie, chargée de résoudre les questions d'esthétique, nous avons tenu à laisser ces questions dans un certain vague, afin que les appréciations restassent entièrement libres et qu'on ne nous accusât point d'avoir empiété sur un domaine qui n'est pas le nôtre. Nous considérons la peinture monumentale comme une des grandes manifestations de l’art ; elle aide à perpétuer les glorieux souvenirs de l'histoire ; ce serait une faute de ne pas l'encourager, et l’Etat seul peut remplir cette tâche. Ici nous sommes d'accord avec l'honorable ministre de l'intérieur.

Mais ici également se posent les diverses questions sur lesquelles nos opinions sa divisent. La peinture à fresque convient-elle à tous les climats ? Est-elle dans l'essence et le génie de l'école flamande ? Et enfin peut-on entreprendre d'emblée la décoration d'un édifice sans être préoccupé des garanties que donne l'artiste pour la conservation du caractère et de style du monument qu'il est appelé à décorer de son pinceau ?

Voilà, me semble-t-il, des questions importantes, fort dignes, à coup sûr, d'être discutées, mais sur lesquelles nous n'avons pas émis cette opinion positive que nous a attribuée tantôt M. le ministre de l'intérieur.

Voyons en très peu de mots sur quoi se fondent les doutes de la section centrale. J'espère vous démontrer qu'ils sont beaucoup plus sérieux que ne pourraient le faire croire le discours de M. le ministre de l'intérieur et celui de l'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke.

Je dis que la peinture murale n'est pas dans l'essence de l'esprit flamand et je le prouverai.

Et ici, messieurs, je n'autorise pas M. le ministre de l'intérieur, pour les besoins de sa cause, à commettre avec préméditation cette confusion trop habile entre la peinture monumentale et la peinture à fresque. La peinture monumentale existe en dehors de la fresque. Le gouvernement doit le savoir, car il a commandé des tableaux pour la décoration d'un de nos édifices, et je félicite l'artiste qui a été chargé d'orner de ses toiles le Palais Ducal, de s'être attaché aux vieilles traditions de l'art flamand, d'avoir fait ce qu'auraient fait à sa place nos vieux maîtres, en ne sacrifiant pas à l'engouement du jour pour la peinture murale,

A mon sens, messieurs, cette peinture est anti-flamande. (Interruption.)

M.B. Dumortierµ. - C'est très vrai.

M. Hymans. - Restons calmes ; ce ne sont pas là, que je sache, des questions à propos desquelles doivent s'éveiller, des susceptibilités personnelles.

Pour moi, la peinture à fresque est contraire aux traditions de l'art flamand. En effet, l'école flamande est essentiellement réaliste ; elle a toujours cherché ses types et ses inspirations dans la nature. A une certaine époque, au XVème siècle, la foi religieuse a pu modifier légèrement ses tendances et la jeter dans le mysticisme.

Mais la peinture religieuse elle-même à cette époque a conservé son cachet réaliste. Quand elle a voulu s'en écarter, sous l'influence de, l'école italienne, notre glorieuse école flamande marcha à grands pas vers la décadence. Nous avons le droit d'affirmer que jusqu'à Rubens, l'influence italienne fut éminemment fatale à l'art belge.

M. B. Dumortier. - Elle fut trois fois fatale.

M. Hymans. - Elle fut fatale jusqu'au jour où un génie tel que Rubens, un homme qui pouvait demander à l'Italie ce qu'elle avait de grand sans abdiquer le caractère et le génie de ses ancêtres, put fonder sur le sol belge une école nouvelle à laquelle les principes de l'école italienne fussent d'un utile concours sans détruire nos propres traditions.

Rubens alla en Italie s'inspirer aux grandes qualités de Michel-Ange et de Raphaël. Il leur prit la fougue, le mouvement, la passion, le dessin magistral, et il féconda tout cela de son génie à lui, qui était essentiellement flamand.

Si d'un côté l'école flamande est essentiellement réaliste, elle est de l'autre essentiellement coloriste et pour moi la fresque est l'antipode de la couleur. Il y a à cela une raison matérielle.

La fresque, quel que soit le système que l'on emploie, se peint sur un enduit qui boit la couleur et qui éteint les tons.

(page 423) Il ne faut pas dans la fresque songer à la beauté ni à l'éclat des teintes, ni à des effets bien séduisants et bien mordants ; de plus, l'enduit de plâtre, préparé pour recevoir la fresque, sèche en un jour ; il faut faire vite ; impossible de revenir sur le travail fait. En outre, les teintes changent d'aspect à mesure que l'enduit sèche ; on ne peut calculer qu'approximativement ce qu'elles deviendront. Autant d'impossibilité aux belles colorations.

La fresque est donc essentiellement anti-coloriste.

La preuve existe dans les faits. Un des plus grands coloristes d'Italie, Véronèse a décoré en entier, de sa main, l'église de Saint-Sébastien à Venise, moitié en tableaux, moitié en fresques. Les fresques ne sont pas seulement délabrées ; elles sont sourdes et tristes d'aspect ; on ne peut même les comparer aux tableaux, qui sont des merveilles.

Le Titien a peint un grand saint Christophe sur l'escalier du palais ducal, on ne songe pas même à l'indiquer dans les Guides ; les cicérones n'en parlent pas davantage, tant il est inférieur aux peintures à l'huile du maître.

Le Corrége a trois grandes fresques à Parme. L'Assomption, à la cathédrale (il n'en reste rien), la Vision de saint Jean à San-Giovanni (très noirci), le Triomphe de Diane, au couvent de San-Paolo. Tout cela est très inférieur à ses tableaux. Ses qualités de couleur, de charme et de finesse y disparaissent. Il ne reste que des qualités de dessin qui se retrouvent parfaitement dans ses toiles.

Par la même raison que la fresque est funeste aux coloristes, elle est très favorable aux natures peu coloristes. En éteignant les tons, elle les empêche d'être criards, elle leur procure une harmonie factice. On en trouve un exemple dans Raphaël.

La Transfiguration est un tableau aux ombres noires, aux lumières dures et métallurgiques. En revanche la Dispute du Saint Sacrement est une fresque tranquille et harmonieuse.

Michel-Ange, André del Sarte, Jules Romain, le Dominiquin, tous les grands fresquistes de l'Italie n'ont jamais été cités comme des coloristes. Et jamais on ne s'est avisé de citer une fresque d'aucun peintre comme un modèle de belle coloration.

La fresque tue la couleur, que nous avons, et elle ne peut se passer du style, que nous n'avons pas.

Nos anciens maîtres l'avaient admirablement compris, et à ceux qui viennent parler des anciennes peintures murales qui existent en Belgique, je demanderai qu'ils veuillent bien me citer un seul artiste des grandes époques de l'art, un seul artiste de l'école de Van Eyck, de Rubens qui, dans aucun édifice, ait songé à faire de la peinture murale.

Cependant, la plupart de ces artistes, surtout ceux de l'école du dix-septième siècle, ont visité l'Italie ; ils y ont admiré, étudié Raphaël et Michel-Ange et certes ils étaient à même d'apprécier leurs œuvres.

Ils sont revenus en Belgique ; ils n'ont pas pensé à faire des fresques ; ils ont fait des tableaux. Ils ont perfectionné en Italie ce qui était déjà dans leur nature, c'est-à-dire l'instinct du pittoresque, le sentiment de la vie et du mouvement. Mais aucun d'eux n'a songé à rapporter cette qualité que nous avons le droit de considérer comme étrangère à notre école et qui cependant est indispensable pour la grande peinture, l'aspiration vers l'idéal, en un mot ce que dans l'art on appelle le style. Le caractère flamand, nous pouvons le dire, je l'espère, sans être pour cela taxé de mauvais patriote, est essentiellement positif, et par cela même essentiellement réaliste.

La peinture flamande brille plutôt par la santé que par la beauté. Enfin, la vie de famille est très développée en Flandre, tandis qu'en Italie on vit beaucoup sur la place publique ; et ces dispositions à la vie intérieure, ces sentiments bourgeois, si vous le voulez, sont pour beaucoup dans les tendances des Flamands à traiter plutôt le genre que la peinture monumentale.

Je n'insiste pas sur ce côté de la question, mais je tiens à prouver par des faits la répugnance des maîtres du XVIIème siècle en ce qui concerne la peinture à fresque.

Parmi les prédécesseurs de Rubens, Bernard Van Orley passa plusieurs années à Rome, et travailla dans l'atelier de Raphaël. Il revint en Italie et ne songea pas à peindre des fresques.

Martin Van Veen (Hamskerke) visita l'Italie en 1532, il y étudia Michel-Ange et les antiques. De l'avis unanime, les peintures qu'il fit à son retour valaient moins que celles qu'il fit antérieurement à son voyage.

Frantz Floris alla étudier Michel-Ange en Italie. Il est à remarquer qu'il exécuta à l’huile et sur toile les peintures décoratives qui servirent à Anvers pour l'entrée de Charles-Quint.

Martin Devos vit Rome et Florence, mais fut surtout attiré vers Venise. Il fut l'ami du Tintoret. Il n'a jamais songé à faire, à son retour, des peintures murales.

Rubens alla d'abord à Venise ; il y fit une multitude de copies d'après Véronèse. A Rome, il étudia surtout la chapelle Sixtine. C'est qu'il y retrouvait les qualités qui lui étaient propres, la violence, la fougue, la hardiesse, le sentiment dramatique. A son retour, quelques amis l'engageaient à repartir pour l'Italie, à s'y fixer, à suivre la voie tracée par Michel-Ange et Raphaël. II ne le voulut pas, il resta fidèle à l'art flamand, et quand Marie de Médicis lui demanda la décoration de son palais, il la fit sur toile ; et quand on lui demanda de décorer l'église des Jésuites à Anvers, il fit des tableaux. Jamais il ne pensa à faire des fresques.

Van Dyck fit comme Rubens ; il visita l'Italie et ne peignit point de fresque. Quellin le jeune alla en Italie et y étudia surtout Paul Véronèse Tous étudièrent les fresques, s'inspirèrent des qualités de dessin qu'ils y rencontraient, mais conservèrent leurs qualités de coloristes, continuant ainsi les traditions de l'école flamande, conservant ce qu'ils considéraient comme un héritage sacré des maîtres du XVème siècle.

Maintenant, ne l'oublions pas, l'art a sa logique comme toutes les autres manifestations de l'esprit humain.

« Ce n'est jamais impunément, dit M. Ernest Renan, qu'on renonce à ses pères. Pour fuir la vulgarité, on tombe dans le factice. Un idéal artificiel, telle est la dure loi des transfuges. » On dirait que ces paroles ont été écrites pour la cause que je défends aujourd'hui.

Les flamands, à aucune époque, n'ont voulu déserter les traditions de leurs maîtres, et le jour où les successeurs des Memling et des Van Eyck ont abandonné les traditions de leurs maîtres, ils ont mis au monde un fastidieux, mélange de goût flamand et de style italien, une sorte de pédantisme académique, interprété par la bonne foi flamande.

J'ai dit que l'école flamande était essentiellement réaliste et que la peinture murale exige le grand style ; que ce grand style, notre école ne l'a jamais eu.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - C'est une hérésie !

M. Hymans. - Ce n'est pas une hérésie. J'affirme le fait, et il n'est pas un artiste qui me démentira. Prouvez le contraire, si vous le pouvez.

- Une voix. - Et Rubens !

M. Hymans. - Ce n'est point par le style que Rubens a brillé, c'est par le mouvement, par la vie et surtout par les couleurs.

Du reste, je ne trouve pas que ce soit là un défaut dont nous ayons à rougir ; telles qu'elles sont, nous avons le droit de placer les œuvres des maîtres de l'école flamande au même rang que les plus belles pages des grands maîtres de l'Italie, et le chef-d'œuvre de Van Eyck, l’Adoration de l'Agneau, quoique étant un simple tableau d'autel placé dans une petite chapelle, se range parmi les plus sublimes créations de l'art dans tous les temps.

Maintenant, on nous parle de nos anciennes fresques belges. La peinture murale a toujours existé en Belgique ; ce n'est pas un genre nouveau qu'on veut introduire. Mais citez-moi donc un seul grand maître, à n'importe quelle époque, qui ait voulu s'en occuper. On a cité quelques-unes de nos anciennes peintures murales. L'honorable M. Kervyn a parlé de la découverte faite à Gand, dans la chapelle de Saint-Paul, et qui a permis de transmettre à la postérité la forme exacte des armes avec lesquelles les Flamands ont battu les Français à la bataille de Courtrai.

Ces peintures murales, je les connais, j'ai même eu le bonheur de les voir au début de cette curieuse trouvaille.

Elles sont très intéressantes au point de vue de l'archéologie, mais qui songer jamais à les représenter comme des monuments artistiques ?

On s'enorgueillit encore, à Gand, des fresques découvertes à la Biloque, et qui prouvent que la peinture murale existait déjà au XIIIème siècle. Or, voici quelle est, à cet égard, l'opinion d'un archéologue très distingué, ami de l'honorable M. Kervyn, et son collaborateur au Messager des arts, M. Van Lokercn :

« Manque de vérité, roideur, irrégularité, barbarie, dam le contour des bras, des mains, des pieds ; tous les contours sont fortement prononcés, ce sont des lignes noires ayant eu quelques endroits un centimètre de largeur. » (Interruption.)

Voilà ces peintures dont l'honorable M. Kervyn nous parlait hier.

M. Kervyn de Volkaersbekeµ. - Tenez compte de l'époque.

M. Hymans, rapporteur. - J'en tiens compte en disant que c'est l'enfance de l'art et que ce n'est point dans ces essais barbares qu'il faut aller chercher des arguments.

On trouve de ces peintures primitives dans tous les pays.

Il ye n avait en Espagne avant Murillo, et voici ce qu'en dit un éminent écrivain, M. Beulé, membre de l'Institut de France :

« La plupart des peintres du temps étaient prêts à orner à la détrempe les voûtes et les murs des chapelles et à colorier les statues de bois et de terre cuite, les buffets d'orgue et les catafalques. »

(page 424) Ce n’est assurément pas là que vous irez chercher les traditions de la grande école espagnole, pas plus que vous ne trouverez l'art flamand dans les ébauches informes qui couvrent les murs de nos anciens édifices.

Et aujourd'hui même, jetons nos regards autour de nous, je vois un pays où la fresque est en grand honneur, où elle absorbe presque toutes les ressources du budget des beaux-arts ; je veux parler de certains pays de l'Allemagne, comme la Bavière et la Prusse. Trouvez-vous cette école allemande supérieure à la nôtre ? Je me permettrai d'être patriote à mon tour et de dire que l'école allemande, avec ses fresques monumentales, avec ses pans de muraille couverts de figures gigantesques, ne vaut pas le plus petit musée belge où se trouveraient réunis quelques panneaux de nos artistes.

Et l'école française se personnifie-t-elle dans la fresque ? Est-ce parce que M. Flandrin a décoré l'église de Saint-Vincent-de-Paul, parce que Eugène Delacroix a décoré une chapelle de l'église Saint-Sulpice, parce qu'Abel de Pujol a décoré les voûtes de la Bourse, que la fresque fera la gloire et l'immortalité de l'école française, ou que cette école sera supérieure à la nôtre ?

Mais, messieurs, si nous devions chercher à remplacer la tendance de notre école par une tendance nouvelle ; si nous devions, à tout prix, faire de la peinture murale, il me semble tout au moins que nous devrions, comme en France, en confier l'exécution à des hommes qui ont étudié spécialement ce genre, qui s'y sont laborieusement préparés, qui ont prouvé par leurs œuvres qu'ils en comprennent le style et la grandeur.

En France on a choisi Ingres, Flandrin, Delacroix ; en Belgique il y a deux maîtres qui ont fait leurs preuves en fait de peinture monumentale. C'est Wiertz et Gallait. Je ne vois pas figurer leurs noms dans le programme du gouvernement.

Je crois avoir prouvé, messieurs, que nous ne sommes pas hostiles aux encouragements que l'on peut donner aux arts.

Tout ce que nous demandons, c'est que l'art soit encouragé d'une autre façon, c'est que les encouragements soient donnés de manière à développer les qualités que nous avons et non pas de manière à nous créer des qualités factices.

En agissant de la sorte, nous ne sommes pas moins amis de l'art que M. le ministre de l'intérieur et ceux qui le soutiennent dans ce débat.

L'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke a dit hier, et l'honorable ministre de l'intérieur a répété aujourd'hui, qu'on avait conservé des fresques en Belgique.

C'est possible. Il y en a très peu ; mais pourquoi les a-t-on conservées ? Parce qu'on les a couvertes d'un épais badigeon sous lequel on le retrouve aujourd'hui.

J'ai vu quelques-unes des plus belles œuvres de ce genre qui existent à l'étranger, j'ai pu constater partout que les fresques ne se conservent guère.

Essayez donc de retrouver à Bâle la fameuse Danse des morts de Holbein tant de fois décrite, et jamais entrevue. Allez voir les fresques peintes à Fontainebleau par le Primatice. Vous les verrez restaurées, retouchées, abîmées. Il a fallu les abîmer pour ne point les perdre.

Allez en Italie, les fresques du Véronèse, ont complètement disparu ; ses tableaux y brillent toujours de leur glorieux éclat.

A Gênes, la plupart des palais étaient décorés par des peintures à fresque ; tout a disparu.

A Pise, toutes les fresques de Giotto au Campo Santo, sont presque entièrement détruites. Celles d'Orcagua et de Benozzo Gozzoli sont écaillées et dégradées.

A Parme, une des fresques du Corrège eût entièrement perdue.

A Florence, les fresques de Masaccio, de Ghirlandajo, de Fra Filippo Lippi sont presque indéchiffrables.

A Rome les grotesques de Raphaël (arabesques, mêlées de figures) entièrement perdus ; ses Loges à moitié perdues ; le Jugement dernier de Michel-Ange, si noir qu'il en est presque indéchiffrable ; plusieurs figures de la chapelle Sixtine presque entièrement perdues et le reste fort abîmé.

A Venise, le Titien et Giorgione avaient peint à fresque l'entrepôt des Allemands, le Furdaco de Tedeschi ; il ne reste rien de leur oeuvre.

Enfin, à Milan, la Sainte-Scène de Léonard de Vinci, 50 ans après qu'elle avait été faite, était tellement délabrée qu'il fallut la restaurer.

M. de Boe. - Ce n'est pas une fresque.

M. Hymans. - Cela a déjà été dit à la Chambre l'année dernière. On a prétendu que la Cène n'était pas une fresque, parce que Léonard se servit pour le peindre d'un procédé spécial. Or, Léonard n'était pas seulement un grand peintre, c'était aussi un savant distingué, et il est probable qu'il étudia consciencieusement son procédé avant de condamner à l'oubli son œuvre de prédilection.

Du reste, en Italie, la fresque devint très rare après la Renaissance.

Quand Michel-Ange et Raphaël eurent disparu, quand ces géants de l'art eurent cessé d'exercer leur irrésistible ascendant, la peinture à fresque devint d'un usage fort rare.

M. de Liedekerke). - Et les Carrache !

M. Hymans, rapporteur. - Les Carrache, c'était déjà la décadence. Ce ne sont plus des peintres de la grande école italienne.

Du reste, je vais citer ici, à l'appui de mon allégation, un livre devenu classique, Histoire de l'art en Italie, par M. Coindet :

« La fresque devient (en Italie, à partir de la Renaissance) d'un usage de plus en plus rare ; l'encaustique est tout à fait abandonnée et quant à la détrempe elle ne peut convenir à des climats froids et humides où elle est promptement altérée et détruite.

« La peinture à l'huile, convenablement traitée, a une durée qu'aucun autre procédé n'a surpassée ; c'est ainsi que des tableaux qui ont une existence de plus de trois siècles sont de la même condition que le jour où ils sortirent des mains de l'artiste ; peut-être même quelques-uns ont-ils acquis une plus parfaite harmonie dans les teintes.

« La vivacité et la profondeur des couleurs, le moelleux et la fermeté de la touche, la facilité de revenir sur le travail pour le porter au plus grand degré de perfection, voilà les avantages qui ont fait prévaloir la peinture à l'huile. »

Voilà les avantages qui ont fait prévaloir la peinture à l'huile sur la peinture à fresque.

Certes, si l’on a tenu compte de ces avantages et des inconvénients en Italie, il y a plus de raison encore pour qu'on en tienne compte en Belgique.

La section centrale s'est demandé dans son rapport si, avant de s'engager dans la voie des peintures décoratives, il n'était pas indispensable de se fonder sur des études préalables. Nous avons demandé si la peinture murale convient à tous les styles .Oui, elle convient à tous les styles, à la condition que le style soit respecté...

Mais c'est là une tâche très difficile et pour l'architecte même la restauration est peut-être une œuvre plus délicate que la construction d'un édifice nouveau, et l'on ne charge de travaux de ce genre que des artistes qui ont donné des preuves d'un talent hors ligne.

Vous admettrez avec moi que le vrai caractère de la peinture murale, c'est la décoration ; qu'on l'exécute à la fresque, à la cire, ou à l'huile.

« L'expression la plus simple et la plus sensible d'un fait ou d'une pensée, voilà l'unique fonction de cette peinture élevée à l'iconographie. En d'autres termes, l'édifice est le livre dont l'art écrit ou décore les pages, sans altérer la forme ni des pages, ni du livre, sans envahir les marges, sans sortir de cette limite que la typographie nomme justification. »

Ainsi s'exprime un inspecteur général des monuments religieux en France, dans un ouvrage devenu classique.

Je le demande, a-t-on pris ces garanties en chargeant des artistes qui avaient produit quelques tableaux dans les expositions, de décorer nos églises ?

Je ne sache pas qu'on ait demandé conseil à personne, je ne sache pas que l'on ait consulté la commission des monuments qui est seule compétente pour un tel examen.

En un mot, s'est-on assuré, avant de faire décorer des édifices, qu'on n'allait pas plutôt les altérer ? Nous avons pour cela d'excellentes raisons de crainte.

Je pourrais, si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, citer des appréciations très sévères de certaines restaurations qui jusqu'à ce jour ont été tentées en Belgique, entre autres, la décoration de l'église Saint-Jacques, à Liège. Les hommes compétents, bien loin d’avoir approuvé ces travaux, les ont au contraire traités en termes très durs, très désobligeants et que je me garderai de faire connaître à la Chambre de peur de soulever une tempête sur le banc liégeois.

D'ailleurs, M. le ministre de l'intérieur a tout à l'heure prouvé lui-même combien il faut être prudent en pareille matière : il nous a dit qu'au siècle dernier on avait dénaturé le style et le caractère d'une grande partie de nos églises, qu'en y avait introduit le style rococo. Cela est parfaitement exact, on a emprunté aux jésuites un genre d'architecture qui leur était particulier et à l'aide duquel on a défiguré nos belles églises gothiques.

Tous les jours nous protestons contre ces mutilations dont les églises ont été l'objet, surtout aux XVIème et XVIIème siècle ; et nous nous exposerions à y voir introduire des ornements en discordance complète avec le style des vieux édifices !

Certes, messieurs, nous sommes tous ici partisans de la peinture (page 425) monumentale ; mais à la condition qu'elle soit en harmonie avec l'architecture de l'édifice qui la reçoit. Et c'est précisément pour cela qu'il faut agir avec beaucoup de circonspection en cette matière.

Je suis très heureux de voir que la cause de la décoration des églises, pour laquelle on a lutté pendant si longtemps, soit enfin gagnée. Je sais gré à M. le ministre des affaires étrangères et à son honorable successeur au ministère de l'intérieur, de leur enthousiasme pour cette œuvre ; mais je crains qu'à force de zèle on ne la compromette, et qu'à force de faire de la décoration partout et d'en faire exécuter par tout le monde, on n'arrive à un résultat diamétralement opposé à celui qu'on veut atteindre.

Du reste, nous avons pu constater ici même, dans cette Chambre, la vérité de ce que j'avance. Il a été question un jour de décorer cette salle où nous siégeons, l'une des plus belles du pays ; il ne s'agissait pas de la décorer à fresque, mais de l'orner de bas-reliefs. Qu'a-t-on fait ? On a demandé des plans et des projets ; et la Chambre, consultée, a trouvé qu'il valait mieux, au point de vue de l'art laisser l'édifice dans l'état de simplicité qui lui prête un si majestueux caractère.

Si pareille délibération devait avoir lieu toujours en pareil cas, n'arriverait-on pas souvent à des résultats analogues ?

Du reste, en France, quand il s'agit de faire exécuter une œuvre importante, comment procède-t-on ? On demande à l'artiste une esquisse s'il s'agit d'une œuvre de peinture, une maquette s'il s'agit d'une statue ; et si le projet n'est pas approuvé, on en arrête l'exécution.

Vous, au contraire, que ferez-vous si, après avoir admis tous les artistes qui se seront présentés pour décorer vos églises, vous reconnaissez qu'ils ont trompé votre attente ? Vous badigeonnerez leurs œuvres comme on a badigeonné les anciennes fresques, et c'est pour cela que nous aurons dépensé des millions peut-être !

Encore une fois, quand un tableau est mauvais on peut le faire recommencer ; quand le prix en est trop élevé, on peut le laisser pour compte à son acquéreur. Mais quand on aura, marchant ainsi par degrés, étant parti de 30,000 fr. par an pour arriver à 100,000 fr., fait de la peinture murale une institution permanente, coûtant chaque année 200,000 ou 300,000 fr., les contribuables auront le droit de demander un compte sévère de l'emploi de leurs deniers. Et j'ajoute qu'en dehors des 16 ou 17 artistes qui ont obtenu des commandes de peintures murales, il n'y en a pas un (je défie qu'on m'en cite un seul) qui approuve le système inauguré dans ces derniers temps.

Je termine et réponds à l'invitation que M. le ministre de l'intérieur m'a adressée à la fin de son discours.

Je crois qu'en effet nous pourrons nous entendre. Je n'admets pas tout à fait l'exactitude des calculs que M. le ministre nous a présentés.

II nous a dit que tout le péché de l'administration était d'avoir dépassé de 4,000 fr. la somme votée au budget de 1862, cela n'est pas tout à fait exact.

MVIµ. - L'excédant est de 4,260 francs.

M. Hymans, rapporteur. - Cela dépend de la manière de grouper les chiffres.

M. B. Dumortier. - C'est cela.

M. Hymans, rapporteur. - On a voté, si j'ai bonne mémoire, un premier crédit de 30,000 francs pour la peinture murale ; cette somme a été portée, au budget suivant, à 60,000 francs ; or, ce n'est pas 64,000 francs qu'on nous demande aujourd'hui ; mais cent mille francs.

M. le ministre nous dit que ces 100,000 francs ne sont pas dépensés ; qu'il les demande pour être à même de faire honneur à des engagements qui ne sont pas définitivement signés et que la Chambre peut ne pas ratifier. Mais puisque l'on commence par dire que ces engagements sont sacrés, comment pourrait-on ne pas les tenir ?

MVIµ. - La Chambre n'est pas liée par ces engagements.

M. Hymans, rapporteur. - Sur ces 100,000 francs qu'on nous demande, des engagements sont contractés à concurrence de 87,400 fr.

Si l'on était resté dans les limites du crédit qui a été voté, c'est 60,000 francs qu'on aurait eu à demander et non pas 87,451 ; l'excédant est donc, non pas de 4,260 francs, mais de 27,451 francs, pour une seule année.

MRAEµ. - Pour dix ans.

M. Hymans, rapporteur. - Pour dix ans, à la condition de multiplier la somme par dix, en supposant qu'on ait engagé dix exercices. On a augmenté d'autant les engagements annuels puisque la plupart des travaux sont répartis sur une période de dix années.

J'admets que des travaux de cette nature ne peuvent pas se faire en une année ; c'est même dans cette prévision que la loi de comptabilité a permis aux ministres de contracter, dans certains cas, pour un terme de cinq année. Mats il y a deux ans, la cour des comptes a adressé au gouvernement des reproches assez vifs, dam son cahier d'observations, sur les engagements dont les exercices futurs avaient été grevés.

L'année dernière, comme il y a deux ans, la Chambre n'a pas discuté le budget des beaux-arts. La discussion du budget de l'intérieur avait été assez longue ; à l'arrivée au chapitre des beaux-arts, on a voté les crédits sans débat. Aujourd'hui, M. le ministre de l'intérieur se prévaut de ce silence pour prétendre que la Chambre et le pays ont tout approuvé. C'est là un artifice de logique que je ne saurais admettre. (Interruption.) Vous avez dit qu'on avait commencé par approuver le système du gouvernement, et vous avez cité le rapport de mon honorable ami M. Jamar. Or, les conclusions de ce rapport n'ont pas même été discutées et la discussion en a été formellement remise à une époque ultérieure, au prochain budget ; c'est pour cela que nous discutons aujourd’hui.

Cependant je ne veux pas que les artistes de mérite qui ont eu confiance dans la parole du gouvernement soient victimes d'un vote trop rigoureux. Si nous voulons être juste, nous ne devons pas admettre que l'artiste distingué qui a été chargé des travaux de décoration des Halles d'Ypres et son confrère qui a été chargé des fresques de l'église de Sainte-Anne à Gand soient victimes d'une rigueur un peu tardive de la Chambre.

Nous pouvons d'autant moins le vouloir que ces deux artistes, qui semblent avoir été placés à la fin de la liste comme pour faire passer plus facilement le crédit global, ont fait preuve d'un talent qui les place au-dessus de tout débat.

Je proposerai donc de voter les 87,600 fr. dont le gouvernement a besoin pour faire honneur à tous les engagements pris, même ceux qui ne sont pas définitivement conclus.

Les travaux des Halles d'Ypres et ceux de Sainte-Anne à Gand seront aussi exécutés.

M. Van Overloop. - Et Saint-Nicolas ?

M. Hymans. - Il n'en est pas question dans le budget. M. le ministre parle dans ses notes d'engagements pris à Ypres et à Gand. Vous venez, aujourd'hui, parler de Saint-Nicolas ; il n'y a pas de raison pour que chaque ville ne vienne faire valoir des prétentions nouvelles et qu'au lieu de 100 mille francs on ne soit obligé de voter le double ou le triple.

Nous proposons d'accorder les sommes nécessaires pour faire honneur aux engagements formels que le gouvernement a pris.

- Un membreµ. - Vous modifiez les conclusions de la section centrale.

M. Hymans. - Je les modifie pour autant que les membres de la section centrale se rallient à ma proposition, qui permet de réaliser une économie de 13,000 fr.

Remarquez que les explicitions données en séance publique n'ont pas été fournies à la section centrale. M. le ministre n'a pas parlé d'engagements devant lesquels on ne pourrait pas reculer. S'ils avaient été connus, la décision n'aurait pas été la même, j'en appelle à la loyauté de mes collègues. Je suis convaincu qu'il ne me désavoueront pas.

En opérant une réduction de 13 mille francs, on pourrait satisfaire à tous les engagements pris et l’on s'abstiendrait d'en prendre de nouveaux.

On a parlé d'essais à faire, nous sommes allés assez loin. Attendons les résultats pour faire davantage et de la sorte, épargnons-nous des regrets pour l'avenir.

M. de Ruddere de Te Lokerenµ. - Messieurs, après le discours prononcé dans la séance d'hier, par mon honorable ami, M. Kervyn de Volkaersbeke, je n'ai que quelques mots à dire pour démontrer la nécessité de maintenir le crédit pour peintures murales dont la section centrale vous propose une réduction de 36,000 francs sur la somme de 100,000 francs portée au budget de l'exercice courant ; je ne puis me rallier à cette réduction ; cette somme a été jugée nécessaire pour achever les peintures murales plus ou moins en voie d'exécution dans différentes églises et monuments, entre autres dans l'église de Notre-Dame du Sablon, dont le devis estimatif est arrêté ; l'artiste désigné par la commission royale des monuments est agréé par M. le ministre de l'intérieur. Les peintures murales qui doivent y être faites sont la reproduction des anciennes peintures murales découvertes au chœur de cette église et qui remontent au XIVème ou XVème siècle, qu'il s'agit de rétablir dans (page 426) un des beaux monuments de la capitale. Ce travail est urgent pour rendre au culte le chœur de l'église dont les travaux, exécutés sous la direction de l'administration de la ville, seront terminés cette année.

Par ces motifs, j'espère que la Chambre, convaincue de l'utilité et de la nécessité de terminer ces peintures, adoptera le chiffre de 100,000 fr. proposé par M. le ministre de l'intérieur.

M. de Montpellier. - Je me propose de répondre à M. le ministre de l'intérieur. Je demande à ne parler que demain.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des finances et au budget des non-valeurs et remboursements

Rapport de la section centrale

M. Allard. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi tendant à ouvrir des crédits supplémentaires aux budgets des finances, des non-valeurs et des remboursements pour l'exercice 1863.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à cinq heures trois quarts.