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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 11 mars 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 543) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

« M. le ministre de la justice fait hommage de deux exemplaires du premier cahier du troisième volume des procès-verbaux des séances de la commission royale des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Van Overloop, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1863

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Cultes

Article 27

MpVµ. - La parole est continuée à M. Nothomb.

M. Nothombµ. - Veuillez me permettre, messieurs, de compléter les observations que j'ai commencées hier.

J'ai soutenu et je crois avoir établi, contrairement à l'opinion de M. le ministre de la justice, que le culte israélite jouit, en Belgique, de la personnification civile, au même titre que les cultes catholique et protestant. Je l'ai démontré en invoquant les décrets de l'empereur Napoléon Ier et dont voici la série, par dates, que je n'avais pas hier sous les yeux :

Décret du 17 mars qui homologue et approuve un règlement arrêté par l'assemblée générale des juifs ;

Décret du même jour qui prescrit les mesures d'exécution du précédent ;

Décret du 19 octobre 1808 sur l'installation des membres du consistoire juif de Paris ;

Enfin décret général du 11 décembre 1808 sur l'organisation des synagogues consistoriales dans toute l'étendue de l’empire ; il en établit treize avec un consistoire attaché à chacune d'elles.

L'article 2 du décret du 17 mars mérite surtout votre attention ; il y est dit « qu'aucune synagogue particulière ne peut être établie qu'en vertu d'une autorisation impériale. »

C'est exactement le même principe que celui que l'empereur appliquait à l'érection des églises catholiques et des temples protestants.

Ces dispositions, qui sont encore en vigueur chez nous, témoignent d'une manière certaine qu'aux yeux du législateur de 1808, le culte juif, obtenant ou subissant, comme on veut, une organisation officielle, devait par là même jouir des avantages de la personnification civile. Autrement, si, dans la pensée du gouvernement impérial, les juifs, quant à leur culte, devaient n'être qu'une collection d'individualités, il eût été impossible, même à ce gouvernement absolu, de les réglementer et organiser comme il l'a fait.

J'ai ajouté que, dans l'esprit de notre Constitution, ces dispositions sont confirmées.

Et, en effet, la liberté des cultes, qu'elle proclame, suppose évidemment pour chacun d'eux des droits et des prérogatives plus étendus.

Enfin, pour rappeler la pratique administrative suivie chez nous depuis 1830, j'ai cité les précédents ; maintes fois l'on a accordé des allocations, des subsides aux Israélites, à titre de communauté, pour leur culte, Je vous ai lu entre autres un arrêté royal du 19 juin 1833 qui décide la question d'une manière formelle en « autorisant (ce sont les termes dent il se sert) le consistoire Israélite de Bruxelles à faire l'acquisition de la salle dite des Beaux-arts à l'effet de la convertir en synagogue. »

Or, il est manifeste que l'on ne peut autoriser une communauté qu'à titre de personne civile, de corporation, sinon l'emploi de ce terme serait un non-sens. Du moment que le gouvernement peut autoriser le consistoire juif à passer un acte d'administration, il peut aussi le lui refuser ; et ce pouvoir d'autorisation d'une part et de refus d'autre part, impliue évidemment q ue le gouvernement a devant lui une personne civile dans toute l'acception du mot.

Je reviens, messieurs, sur une opinion de M. le ministre de la justice, contre laquelle je me suis vivement élevé hier et que je veux réfuter encore aujourd'hui.

C'est quand l'honorable ministre prétend que plus les corporations morales ont de droits, plus aussi le gouvernement, dans un pays libre, doit être armé v s-à-vis d'elles pour empêcher les abus.

C'est bien là, je crois, la pensée de M. le ministre de la justice.

MTJµ. - Ce n'est pas là ma pensée.

M. Nothombµ. - Nous allons voir ; relisons la déclaration que vous avez faite à la fin de la séance, et sauf les termes, le sens est exactement tel.

Voici vos paroles :

« Dans un pays où existent la liberté d'association et la liberté d'enseignement, les abus de la personnification civile sont beaucoup plus à craindre et plus difficiles à réprimer que dans un pays où ces deux libertés n'existent pas ; et la raison en est bien simple. C'est que dans le premier de ces deux pays on peut, en cas d'abus, faire disparaître l'association et l'enseignement, ce qui ne serait pas possible dans l'autre. Voilà ce que j'ai dit et pas le moins du monde ce que m'a attribué l'honorable membre. »

Ce membre c'est moi.

Mais que font ici les mots ? Est-ce que la pensée, au fond, n'est pas la même ? Je le demande à toute l'assemblée. Ne dites-vous pas que vis-à-vis des corporations morales, dans les pays à institutions libres, où existe la liberté de s'associer, d'enseigner, le gouvernement, pour empêcher certains abus, doit être plus puissant que partout ailleurs ?

Eh bien, c'est cette pensée que je combats ; c'est elle que j'ai qualifiée hier de système préventif.

Je réitère et je maintiens la qualification. Ce système est contraire à l'essence de notre pacte fondamental et il est certainement incompatible avec les franchises, avec les droits qu'il proclame ; appliquez-le, je le suppose un instant, aux personnes morales par excellence, à la province et à la commune, où irez-vous ?

En exagérant la manie de tout réglementer, vous finirez par supprimer la liberté sous prétexte d'en empêcher les abus.

C'est ce que nous ne pouvons pas admettre. Ce qu'il y a de vrai, ce qu'il y a de fondé, ce qu'il y a de gouvernemental et de libéral à la fois, c'est le système répressif. C'est celui-là qu'il faut adopter. L'autre conduit à ces beaux résultats que l'on voit ailleurs, tels, par exemple, que des autorisations pour les association» pour s'associer, pour publier un journal. C'est le germe des avertissements à la presse, qui fleurissent dans un autre pays, et certes ce n'est pas au plus grand profit de la liberté, ni même du gouvernement qui les emploie.

Je comprends une chose : que le gouvernement ait la faculté d'accorder ou de refuser la personnification civile à une association, à une fondation, à une œuvre permanente ; qu'il ait le pouvoir de tracer des règles déterminées, des règles rigoureuses même ; mais aussi longtemps que cette personne morale ainsi créée reste fidèle à sa charte d'institution, aux règles, aux conditions qui doivent présider à son action, je soutiens que l'on n'a pas le droit, sous préexte d'empêcher les abus, d'y intervenir d'une manière préventive.

Ce que vous devez faire, le voici : si cette corporation manque à son but et si elle devient infidèle à sa destination, si elle viole ses conditions d'existence, frappez-la, et au besoin supprimez-la, mais avec l’intervention du pouvoir judiciaire.

Faites constater par les tribunaux que la corporation, que la fondation méconnaissant sa mission, a cessé de remplir le but social en vue duquel on lui a permis de naître et alors vous serez en droit de vous montrer sévère.

C'est ainsi que procédait le projet de loi de 1857, sur les établissements de bienfaisance et qu'on a mis en cause hier. Il contenait les dispositions suivantes :

« Art. 93. Dans le cas où les revenus de la fondation seraient détourées de leur destination, les administrateurs, collateurs ou distributeurs spéciaux peuvent être révoqués par les tribunaux. »

« Art. 94. Le procureur du roi, soit d'office, soit sur la dénonciation de la députation permanente, citera les administrateurs, collateurs ou distributeurs spéciaux devant le tribunal et requerra, le cas échéant, leur révocation. »

« Art. 95. Si tous les administrateurs, collateurs eu distributeurs spéciaux sont révoqués, l'administration de la fondation est de plein droit dévolue à la commission administrative du bureau de bienfaisance. »

Cette intervention du pouvoir judiciaire constituait une mesure efficace (page 544) et une garantie incontestable : elle assurait, d'un côté, les droits de la liberté représentée par la personne morale ; de l'autre, elle sauvegardait ceux de l'autorité publique.

C'est à ce système que nous vous convions ; tout autre conduit à la censure, à l'immixtion préventive du gouvernement dans les œuvres de la liberté ; c'est une voie dangereuse, un précédent funeste où d'empiétement en empiétement, la liberté elle-même finira par sombrer.

Dans les deux séances précédentes, on est revenu sur le projet de loi sur la bienfaisance ; je suis tout disposé à me conformer, quant à moi, à l'imitation de notre honorable président, qui nous disait hier : « Ne discutez pas le projet de 1857. » Mais chaque fois qu'on l'attaquera injustement, qu'on en dénaturera le caractère, je me lèverai pour le défendre énergiquement. Cela doit m'être permis.

C'était une œuvre consciencieuse, loyale, de bonne foi ; appliquée suivant la pensée qui l'avait inspirée, elle n'aurait jamais pu donner lieu aux conséquences et aux dangers que l'on a imaginés. Elle a échoué parce que l'on n'a pas voulu la comprendre.

Rappelez-vous, messieurs, que le projet posait les plus étroites règles aux fondations avec administrateurs spéciaux ; nous limitions le personnel ; nous avions exclu et par le texte et par nos déclarations les plus formelles tout ce qui aurait pu favoriser les congrégations ou communautés religieuses non reconnues ; nous en avions écarté tout ce qui n'aurait pas eu un caractère essentiellement charitable ; nous avions admis la présence du bourgmestre à titre obligatoire dans toutes les administrations spéciales de fondation ; c'était l'œil ouvert et la main du pouvoir suspendue sur tous les établissements ; nous ne faisions plus de personnes civiles nouvelles ; nous ne permettions la possession d'immeubles que pour le strict nécessaire. Enfin et par-dessus tout, comme garantie suprême, nous avions investi le pouvoir judiciaire d'un droit de vie et de mort, en quelque sorte, sur toutes les fondations spéciales ! Avec un pareil contrôle, un tel ensemble de précautions, les dangers signalés ne sont-ils pas de pure imagination !

Messieurs, on nous fait encore un autre reproche général, qui revient invariablement dans toute discussion de ce genre ; les honorables MM. Pirmez, Tesch et Guillery n'y ont pas manqué : c'est le reproche de ne vouloir que le privilège. Vingt fois j'ai entendu nos adversaires s'écrier d'un ton indigné : « Vous parlez de liberté et vous voulez le privilège en matière de charité, d'enseignement et de fondations, en un mot, partout. » Vingt fois aussi nous avons répondu.

Arrêtons-nous-y encore un instant, il est véritablement étrange ; d'après nos honorables adversaires il semblerait que nous réclamons pour nous seuls certains droits, certaines prérogatives.

On dirait que c'est pour nous seuls, pour notre profit exclusif que nous demandons la liberté d'enseignement, de la charité, de la chaire ; l'étranger, peu initié à nos luttes et à nos débats parlementaires pourrait se dire : Mais le parti conservateur, en Belgique, est composé de singulières gens ! il parle sans cesse de liberté et ne veut, au fond, que le privilège pour lui seul !

Eh bien, peut-on rêver rien de plus inexact ? Quand nous réclamons ce que vous appelez des privilèges, c'est pour tout le monde. Le droit d'enseignement, le droit de faire librement la charité, de la doter par des fondations, nous le revendiquons aussi bien pour ceux qui combattent que pour ceux qui partagent nos convictions. La liberté de la chaire, nous la voulons pour les ministres des cultes dissidents autant que pour les nôtres. A tous et à chacun nous faisons la même part de liberté. Tant pis pour ceux qui ne savent pas en user !

Voilà donc un bien singulier privilège ! Un privilège qui devient celui de tout le monde ! Cela se nomme tout bonnement l'égalité. C'est elle que nous n'avons cessé de demander. : le droit commun, c'est toute notre prétention. Et vous en faites notre crime !

M. Baraµ. - Je demande la parole.

M. Nothombµ. - A ce propos, l'honorable M. Pirmez a même fait une revue rétrospective.et répétant toujours que nous demandons un privilège, il vous a rappelé la question de la liberté de la chaire et celle des inhumations.

Eh bien, messieurs, pour la première, qu'avons-nous voulu ? Le droit commun ; nous avons demandé que ce qui est permis à tout le monde, ne devienne pas un délit dans la bouche d'un ministre du culte. Est-ce trop ? Et à cet égard je suis bien aise de me rencontrer avec l'honorable collègue qui vient de demander la parole. J'ai eu l'occasion toute récente de connaître l'opinion qu'il a émise à une époque où ii ne siégeait pas encore parmi nous,

Dans un écrit de lui que je n'ai lu que par extrait, se trouve énoncée cette vérité dans les termes les plus clairs et les plus concis :

« Un ministre du culte n'est qu'un simple citoyen. Un fait innocent en soi ne peut donc être punissable parce qu'il a été posé par un prêtre. »

Nous n'avons jamais dit autre chose. Lorsqu'un prêtre en chaire critique simplement dans la mesure permise à tous, sans tomber sous le coup da la loi pénale commune, quand il émet une opinion politique, il use d'un droit civique, et vous ne pouvez le poursuivre sans créer un privilège, cette fois contre lui, ce qui équivaut à le mettre hors la loi.

MFOFµ. - A condition que le bourgmestre puisse lui répondre.

M. Nothombµ. - Mais pouvez-vous admettre sérieusement qu'il soit permis de répondre à un prêtre dans la chaire ? Admettez-vous que l'on puisse discuter avec un président sur son siège ? Mais avec ce système, aucune assemblée ne serait possible, ni conseil communal, ni conseil provincial. De quel droit empêcheriez-vous un auditeur de ces tribunes qui sont au-dessus de nous de m'interrompre et de me prendre à partie ? Répondez plutôt à cette argumentation si sensée de notre collègue : « Un fait innocent en soi ne peut devenir un fait délictueux, parce qu'il est posé par un prêtre. »

Pendant huit jours, lors de la discussion du Code pénal, nous avons soutenu la même chose. Et cependant votre réponse ne varie jamais : privilège, privilège ! et cela quand nous demandons pour nous le traitement que nous accordons à tous les citoyens, à tous les cultes indistinctement, juif, protestant, anglican, n'importe lequel.

Pour les inhumations, même position. Nous demandons simplement ce que la loi spéciale, le décret de l'an XII, nous accorde, un cimetière particulier, ce que le bon sens indique, ce que nulle législation dans aucun pays du monde ne refuse et ce que la Constitution commande impérieusement à moins de faire une lettre vaine du grand principe de la liberté des cultes.

Nous le voulons pour toutes les croyances religieuses. Et vous nous répondez imperturbablement : Privilège !

Vous voulez que la désignation du lieu d'inhumation soit faite par l'autorité civile. Nous répondons que cela est impossible ; que l'inhumation est un acte essentiel du culte, que l'autorité spirituelle est seule compétente - sauf la question de police et d'hygiène. Votre prétention est l'immixtion déguisée du pouvoir laïque dans les choses spirituelles du culte : c'est la destruction du principe de la séparation de l'Etat et de l'Eglise. Nous ne pouvons vous la concéder.

C'est donc bien à tort que vous nous reprochez de vouloir des privilèges ; vous ne pouvez fournir aucune preuve à l'appui de vos accusations. Mettez-y un terme ou montrez-nous quels sont nos attentats contre la liberté constitutionnelle.

On nous a demandé où nous puisions le droit de faire des fondations. M. Pirmez et l'honorable ministre de la justice y ont insisté.

J'ai déjà répondu hier, et l'on a, sur ce point, très mal interprété les paroles de mon honorable ami, M. Thibaut. Il a dit : La Constitution ayant proclamé certaines grandes libertés, elle a implicitement voulu qu'on pût faire des fondations, qu'on pût créer des établissements durables, afin d'organiser, de féconder ces libertés. C'est ainsi que j'ai compris la pensée de notre honorable collègue, et je la crois exacte. Mais nous n'avons jamais placé la faculté de fonder dans la Constitution, en ce sens que nous aurions prétendu qu'il suffit de la Constitution pour établir des personnes morales. Pour moi personnellement, je réponds par mes actes comme ministre, comme par mes paroles dans cette enceinte., t le projet de loi que j'ai présenté en est une affirmation surabondante. Voici comment, en 1857, le rapport de l'honorable M. Malou s'explique sur ce point :

« Personne ne conteste que le droit de créer des fondations doit être réglé par la loi et ne peut être exercé d'une manière illimitée selon les caprices individuels ; mais la question soumise aux Chambres consiste précisément à savoir, non pas s'il faut des règles, mais de quelle nature elles doivent être et quelles sont les restrictions légitimes qu'une loi sage peut établir. »

Tel a été, messieurs, notre principe à cet égard, et vous voyez que jusqu'ici nous sommes d'accord avec nos honorables contradicteurs. Notre point de départ est le même. Nous admettons comme vous que la personnification civile ne peut être accordée que par une loi ou en vertu d'une loi, mais où nous différons considérablement, c'est dans la mesure, dans l'appréciation des limites légitimes, comme nous le disions en 1857.

(page 545) Dans votre système vous affaiblissez la faculté de fonder, et à fores de restrictions vous la supprimez ; nous, au contraire, nous l’étendons, nous l'élargissons ; nous y convions un plus grand nombre de personnes, nous la stimulons, nous croyons cela juste et conforme à l'intérêt social. Vous êtes d'un avis opposé, vous êtes vis-à-vis des fondations un obstacle, nous sommes un auxiliaire.

Nous partons du même principe pour aboutir à des conséquences différentes.

Et même je crois m'apercevoir qu'au fond l'honorable M. Pirmez est hostile à la faculté de fonder.

Il a imaginé un vieillard acquérant sur son lit de mort un grand domaine et le léguant à une fondation ; l'exemple est assez bizarre et je ne m'y arrête pas ; mais voici où je crois découvrir la pensée de l'honorable membre :

« Ce prétendu droit (de fondation), dit-il, bien loin d'être la liberté, est au contraire la négation la plus complète de la liberté. »

Si telle est l'opinion de mon honorable collègue, il faut qu'il soit logique jusqu'au bout, il ne faut pas qu'il s'arrête en mi-chemin ; il faut supprimer toutes les fondations, les hospices, les bureaux de bienfaisance ; tout ce qui est personnalité civile doit disparaître. Ce serait logique, mais logique, permettez-moi de le dire, jusqu'à l'absurde.

Le système n'est pas nouveau d'ailleurs, il a été soutenu par quelques économistes qui ont proclamé l'axiome : pas de fondation, il n'est pas permis d'engager l'avenir ni de soustraire à jamais des valeurs à la circulation sociale.

Je ne veux pas discuter ici, incidemment cette grave question ; l'occasion s'en présentera bientôt, j'en parle parce que l'honorable M. Pirmez y a touché. C'est pourquoi je lui dis : Si vous ne voulez plus de fondations, si vous voulez briser le lien de reconnaissance entre le bienfaiteur et les générations futures, si vous avez le courage de rompre cette noble solidarité entre le passé et l'avenir, soit, supprimez-les toutes.

Que si, au contraire, vous les jugez utiles, si vous croyez avec nous qu'elles dérivent d'un droit sacré, qu'elles touchent au principe même de la propriéte, qu'elles s'inspirent des idées les plus élevées de l'homme ; si vous croyez qu'elles peuvent favoriser les plus grands intérêts sociaux, alors ne garrottez pas la faculté de fonder, ne la rendez pas stérile ; faites au moins, en lui maintenant l'existence, qu'elle puisse s'exercer d'une manière utile et atteindre à son but.

Messieurs, je voudrais dire deux mots seulement sur l'affaire de Mont.

Mon honorable ami, M. Thibaut, me semble avoir établi d'une manière irréfutable, surtout dans son dernier discours, que l'arrêté du 23 septembre 1862 est mal fondé. Je constate d'abord qu'il s'est glissé une certaine confusion dans le débat. J'ai entendu beaucoup parler de fondation. Mais remarquez-le bien, il ne s'agit pas ici de fondation ; il s'agit d'une simple libéralité faite à la fabrique de l'église de Mont.

Il y a là une différence capitale qu'il importe d’autant plus de signaler, que l'honorable M. Pirmez y a vu tout un complot ; il y a découvert un ballon d'essai, les couvents, la mainmorte et tout ce qui s'ensuit. Or, il n'en est rien, et je ramène l'affaire à ses simples et vraies proportions ; en fait, il ne s'agit pas de fondation, mais d'une modeste libéralité à une fabrique d'église.

Il ne peut être question d'ériger ici une nouvelle personnification civile ; tout se borne à savoir si celle qui existe peut recevoir le legs qui lui est fait. Il y a donc à examiner deux points : d'abord la capacité personnelle dans le chef de l'être qui doit accepter ; ensuite la capacité réelle à raison de l'objet dont il s'agit.

En d'autres termes, d'un côté la capacité subjective, de l'autre la capacité objective.

Quant au premier, pas de discussion possible, la fabrique représente ici le corps moral, qui est le culte catholique ; elle est apte à recevoir.

Quel est l'objet ? Une mission à prêcher tous les dix ans à Mont. Il rentre ainsi naturellement dans la sphère d'une fabrique d'église puisqu'il s'agit d'une libéralité en faveur de l'exercice du culte ; car, à moins de prétendre qu'une mission n'appartient pas au culte, il est impossible de rejeter cette conséquence. De plus, cet objet rentre expressément dans le texte, dans les termes mêmes de l'article 37 du décret du 30 décembre 1809, organique des fabriques d'église. Ou y dit en toutes lettres que la fabrique a l'obligation de payer les frais de prédication du Carême et des autres solennités.

MTJµ. - C'est autre chose.

M. Nothombµ. - Prouvez-le. Oh ! je sais ce que l'on objecte ; le décret du 26 septembre 1809, qui a supprimé les missions. Mais nous voilà devant une argumentation vraiment extraordinaire.

L’arrêté que nous critiquons admet et déclare formellement que le décret du 26 septembre 1809 ne doit pas être compté, parce qu'il n'a pas été publié et parce qu'il a été virtuellement abrogé par la Constitution. Et cependant un instant après il déclare que ce même décret, non publié et d'ailleurs abrogé par notre Constitution, doit servir à interpréter le décret organique du 30 décembre 1809 !

Ainsi, nous voyons invoquer une disposition qui n'existe pas, qui ne peut plus exister, pour apprécier une loi existante ? J'avoue n'avoir jamais rencontré une pareille inconséquence juridique. Vous faites interpréter le décret du 30 décembre 1809 par l'esprit d'un décret antérieur qui, de votre aveu, a disparu ! Quelle contradiction ! Faites donc une chose bien plus rationnelle, bien plus simple ; faites interpréter le décret de 1809 par l'esprit de notre Constitution et vous arriverez à la seule conclusion vraie, qui est de permettre à une fabrique d'accepter une libéralité pour les frais d’une mission, d'une prédication, tout comme pour une procession, une messe, un anniversaire.

Au surplus, nous rencontrons ici, dans cette petite affaire, la profonde division qui existe entre nous sur un point bien autrement important. Les lois antérieures à notre établissement de 1830 sont interprétées par nos contradicteurs selon l'esprit du gouvernement impérial et d'après les tendances de cette époque ; nous, au contraire, nous voulons qu'on les applique selon l'esprit de notre Constitution ; ce qui est tout différent ; je m'explique :

Quand un régime nouveau s'établit, avec des institutions plus libérales, l'ancien, auquel il succède, ne disparaît pas tout entier ; on ne fait pas table rase en un jour. Il subsiste une foule de lois, de décrets qui ne sont pas manifestement en opposition avec les idées nouvelles ; l'esprit jure, la lettre pas.

Que faire alors ? Comment interpréter les anciennes dispositions, legs du gouvernement passé ? Est-ce par l'esprit qui animait ce gouvernement ? Est-ce par des traditions de son époque ? Non, évidemment. Et c'est cependant ce qu'a fait l'honorable ministre de la justice dans son arrêté du 23 septembre. Au lieu de se guider par la pensée qui est dans notre Constitution, il a suivi les errements de l'empire de 1809. Cette voie n'est pas la bonne, si vous en adoptiez une différente, je suis convaincu que bien des difficultés viendraient à disparaître et n'auraient même jamais surgi.

A propos de cette mesure, je ne conteste d'ailleurs pas que le gouvernement ne pût, en fait, refuser la libéralité, il pouvait le faire, soit parce que la fabrique aurait eu assez de ressources, soit par égard pour une famille pauvre, soit par tout autre motif de cette nature ; mais qu'on ait basé le refus sur l'interprétation de la loi, en droit, cela n'est pas admissible.

Je n'ai qu'un regret ; c'est que la question ne puisse pas être déférée au pouvoir judiciaire ; je suis convaincu que sa décision ferait bonne justice du système du gouvernement et que l'arrêté du 23 septembre 1862 apparaîtrait tel qu'il est, comme un tissu d'erreurs et d'inconséquences juridiques.

Permettez-moi, messieurs, de terminer par quelques mots à propos d'un livre écrit par un professeur d'une université de l'Etat et dont il a été beaucoup parlé dans cette discussion. Je commence par déclarer que je n'entends rendre responsable personne dans cette enceinte des opinions de cet écrivain ; mais je veux seulement m'expliquer franchement, en ce qui me concerne, sur le principe qui est engagé.

J'avais lu ce livre, il y a quelque temps déjà, et vraiment je ne crois pas qu'il faille tant s'en émouvoir ; selon moi, il faut laisser à la critique, à la libre discussion, à l'opinion publique le soin d'apprécier et de juger. Les théories de l'auteur, dont je ne suspecte pas la bonne foi, et ne méconnais pas le talent, me paraissent historiquement et philosophiquement erronées. Elles sont au moins surannées et rétrogrades, c'est l’œuvre d'un retardataire. Il s'inspire d'un sentiment exagéré du principe d'autorité ; Il procède de l'idée d'une société gouvernée à l'excès, régentée comme une école ; ce n'est pas une doctrine pour l'avenir, c'est la glorification d'un système qui se meurt, quoi que l'on tente pour le galvaniser ; l'auteur se heurte aux tendances modernes ; le temps des gouvernements (erratum, page 555) absorbant à outrance passe et nous marchons, Dieu merci, vers cette ère plus heureuse où les nations sont appelées à se gouverner de plus en plus elles-mêmes. Les doctrines de l'auteur n'ont pas même le mérite de la nouveauté : on les connaît depuis l'Encyclopédie, les discussions de la Constituante et de la Convention.

Dans un pays de liberté comme le nôtre, il faut être tolérant, patient et savoir en supporter même les écarts.

- Un membre. - Dites cela à M. Thibaut.

M. Nothombµ. - Est-ce qu'il me contredit ? Ne vous l'ai-je pas déclaré : (page 546) je parle pour moi et je m'explique franchement ? La franchise, en cette matière, je m'imagine, ne peut pas vous déplaire.

Je ne voudrais faire à personne, fût-ce même un fonctionnaire, un crime de discuter théoriquement la Constitution, voire même d'en demander la révision.

Seulement il y a deux manières de la demander.

L'une dans le sens restrictif, c'est celui du livre en question, c'est le mauvais ; l'autre dans le sens extensif et le temps viendra, il serait inutile de se le dissimuler et il faut le prévoir, le temps viendra, dis-je, où cette extension du droit politique s'imposera non seulement comme un acte de justice, mais comme une nécessité à laquelle il est prudent de se préparer.

M. Baraµ. - Quoique un peu tard, je suis heureux de pouvoir donner une réponse à l'interpellation adressée par M. Thibaut au gouvernement et à la gauche. Il a demandé si le gouvernement et l'opinion libérale étaient solidaires des opinions de M Laurent. Nous avions répondu que nous n'étions pas obligés de nous expliquer sur ce point, mais aujourd'hui nous apportons une réponse de M. Laurent lui-même ; voici ce qu'il dit dans son ouvrage :

« Es -ce à dire, que les libéraux répudient l'œuvre du Congrès, qu'ils ne veulent plus de la liberté d'enseignement, de la liberté d'association, de la séparation de l'Eglise et de l'Etat ? Les catholiques le prétendent ; ils vont jusqu'à accuser les libéraux d'attaquer la religion. Nous n'avons aucune mission de parler au nom du libéralisme, nous tenons trop à notre indépendance, pour nous enchaîner à un parti quelconque. Nous ne faisons que constater un fait, en disant que le parti libéral, comme tel, loin d'attaquer les principes constitutionnels, chers aux catholiques, a toujours protesté qu'il voulait le maintien de toute la Constitution. Nous sommes le premier, que nous sachions, qui ayons soumis l'œuvre du Congres à un examen critique, il est presque superflu de répéter que nous écrivons pour notre compte, en libre penseur, et sûr d'avance que très peu de lecteurs seront de notre avis. »

Il est probable que M. Thibaut, qui a lu la nuit l'ouvrage dont il a entretenu la Chambre, n'aura pas remarqué ce passage du livre de M. Laurent.

Puisque j'ai la parole, je désire répondre au discours prononcé hier par l'honorable comte de Theux.

D'après l'honorable chef de la droite, le parti libéral n'a qu'un but : ruiner la religion catholique, faire disparaître son autorité, limiter le plus possible son influence.

D'après l’honorable orateur, tous les actes de l'administration libérale ont été dirigés en ce sens qu'il fallait restreindre la liberté quand elle devait profiler au catholicisme. A cet égard faisant un retour vers le passé, il a eu l'imprudence de comparer le régime actuel avec le régime impérial et la législation hollandaise, il a dit que notre parti avait diminué la portion de liberté que les lois antérieures avait donnée à la religion.

Il est important que nous protestions contre un pareil langage, que nous disions que jamais la religion n'a été mieux traitée, n'a joui de plus d'indépendance, de plus de liberté qu'aujourd'hui.

Non seulement la religion a la liberté de faire le bien, mais encore celle de faire le mal, et ses ministres en usent parfois.

Messieurs, sous le régime impérial et sous le gouvernement du roi Guillaume, la religion catholique et toutes les religions autorisées étaient subordonnées au pouvoir, elles étaient placées sous la main de fer du gouvernement, elles n'étaient tolérées qu'à la condition de servir les complaisances du pouvoir.

Ou vous accordait certains privilèges, des faveurs qui ne résultent pas du droit naturel, pour vous faire oublier que l'on confisquait vos libertés.

Sous le régime actuel, vous avez conservé tous les avantages de la protection, et vous en avez secoué tous les inconvénients. Vous avez conservé du régime impérial et hollandais tout ce qu’il y avait de bon pour vous, toutes les faveurs dont vous jouissiez alors et qu'on ne vous avait accordées que par tolérance à cause des restrictions qu'on avait apportées à votre liberté. Nous vous les avons maintenus par respect pour le sentiment religieux, concurremment avec tous les droits dont la Constitution vous a mis en possession. Vous avez donc, avec tous les avantages de la protection, ceux de la liberté, et vous vous plaignez, vous criez que la religion est persécutée.

Nous avons proclamé la liberté religieuse et cependant nous avons laissé subsister les traitements des ministres des cultes et le temporel des cultes. Vous puisez dans les caisses de l'Etat, et malgré cela aucune entrave n'a été mise à votre liberté ; le prêtre est aussi libre qu'un simple citoyen.

Nous eussions pu soutenir que les appels comme d'abus ne sont pas abolis par la Constitution, que des poursuites peuvent être dirigées devant les tribunaux contre les ministres du culte qui se permettent des écarts dans l'exercice de leurs devoirs.

Nous eussions pu invoquer à cet égard l'opinion d'un magistrat, d'un homme dont vous ne pouvez repousser le témoignage, de l'honorable M. de Bavay, qui a prétendu que les appels comme d'abus continuent à exister et que la Constitution n'empêche nullement que les ministres des cultes qui manquent à leurs devoirs en chaire ou bien dans l'accomplissement de leurs fonctions, soient traduits devant la justice.

En matière d'inhumations, vous avez repris votre liberté entière.

Le décret de prairial n'est plus exécuté.

Aujourd'hui on n'a plus en Belgique le droit, comme on l'a en France, de forcer un prêtre à donner sa bénédiction à un mort quand il ne le veut pas.

Lorsque vous avez prononcé dans la sincérité de votre conscience qu'un homme ne mérite pas les secours de la religion, qu'il est mort hors de l'Eglise, l'autorité civile n'intervient pas. On ne voit pas aujourd'hui des maires en écharpe qui forcent les portes du temple et présentent les corps.

Voudriez-vous d'un pareil régime ?

C'est là ce qui existait sous l'empire et sous le royaume des Pays-Bas.

Notre Constitution proclame que les traitements ne peuvent être accordés qu'à des Belges. Eh bien, vous avez des évêques étrangers alors que la loi organique des cultes dit que pour toucher un traitement, pour remplir une fonction ecclésiastique, il faut être indigène.

Vous avez supprimé cette disposition en vertu de la liberté religieuse. Nous, nous n'avons rien dit, nous laissons faire.

Il ne s'agit pourtant pas là de liberté religieuse, mais de la disposition des deniers publics. Vous appelez aux fonctions ecclésiastiques les plus importantes des étrangers et vous les payez avec l'argent du budget, sans que vous éprouviez d'opposition de notre part.

En matière de nomination des ministres du culte, qu'avez-vous fait ?

Vous avez prétendu que les évêques avaient la révocation ad nutum des ministres du culte et, nous, nous vous avons concédé la pleine indépendance des évêques. Ils révoqueront sans motifs sérieux, par haine, par vengeance, même contrairement à l’intérêt des paroissiens, les ministres du culte, leurs subordonnés, et l'autorité civile n'aura rien à dire, n'interviendra pas.

En un mot vous disposez de l'argent de l'Etat sans avoir vis-à-vis de l'Etat la moindre obligation, sans que votre liberté éprouve la plus légère diminution.

Sous l'empire on vous défendait de correspondre avec l'étranger, de recevoir l'influence de la cour de Rome.

Ou ne pouvait lire les bulles, les décrets du pape qu'après qu'ils avaient passé par les bureaux du ministère des cultes.

Et maintenant quand les évêques reçoivent une bulle, une encyclique, a-t-on quelque chose à leur dire ?

Non, elle est publiée, elle est lue au prône dans toutes les églises, et le pouvoir civil ne peut agir, quel que soit le contenu des décrets du pape.

M. Rodenbach. - C'est pour cela que nous avons fait la révolution.

M. Baraµ. - Vous ne voulez pas être des fonctionnaires publics. Nous vous l'accordons, et cependant vous voulez et vous avez encore la protection, les faveurs de l'autorité.

C'est ainsi que l'on maintient encore dans notre pays un arrêté de 1814 qui défend d'afficher des images, de montrer des gravures qui tendent à avilir la religion. Quand la cour d'appel de Bruxelles applique cet arrêté et punit de pareils faits, elle consacre un système de privilège et de faveur au profit de la religion catholique.

Sous le régime impérial, il suffisait au gouvernement d'envoyer au curé un écrit pour qu'il fût obligé de le lire en chaire. On pouvait forcer le prêtre à lire en chaire tous les actes de l'autorité, et maintenant quand vous avez publié un mandement, quand vous avez attaqué l'autorité de l'Etat, quand vous avez discrédité les établissements publics, quand vous avez dit que les universités de l'Etat étaient des sentines impures, appartiendrait-il au gouvernement de vous faire lire en chaire la réfutation de vos mandements ?

En un mot, messieurs, le parti catholique a supprimé tout ce qu'il y avait dans l'ancien régime de contraire à ses intérêts. Il a été bien au-delà de ce que les principes constitutionnels exigeaient du moment que l'on n'admet pas une séparation complète et radicale de la religion et de l'Etat.

Et qu'est-ce que le pouvoir civil a conservé à l'égard de la religion ? (page 547) Quelles sont les entraves qui existent à l'exercice du culte ? Les deux seules restrictions à cette liberté, c'est la prédication en chaire et le mariage religieux.

Quant au mariage religieux, Vous n'établirez pas une discussion sur ce point, vous ne prétendrez pas qu'il puisse précéder le mariage civil.

En ce qui concerne la liberté en chaire, je vais m'expliquer.

L'honorable M. Nothomb a cru peut-être que je reculerais devant mes opinions et que je ne professerais pas ici les idées que j'ai exprimées dans un ouvrage.

Je les maintiens et je dis à l'honorable M. Nothomb qu'il n'a pas bien lu mon livre. Qu'ai-je soutenu ?

M. Nothombµ. - Pardon, je vous ai dit que je regrettais de ne l'avoir lu qu'en extrait.

M. Baraµ. - Eh bien, je vais me permettre de vous en donner connaissance d'une manière un peu plus approfondie.

M. Nothombµ. - Vous êtes cité dans un livre qui m'est tombé sous la main hier.

M. Baraµ. - C'est possible, mais si celui qui m'a cité a agi comme vous, et ne m'a lu qu'en extrait, des explications de ma part sont d'autant plus nécessaires.

J'ai dit dans mon ouvrage qu'il y avait deux systèmes : le système de l'alliance de la religion et de l'Etat, et le système de la séparation radicale. J'ai dit qu'au point de vue gouvernemental actuel, et de la jurisprudence de notre pays, c'est le système de l'alliance qui avait triomphé ; qu'en quelque sorte les religions salariées jouissaient de faveurs spéciales.

Et, en effet, messieurs, nous voyons que les ministres des cultes sont exempts du jury, de la milice, de la garde civique, ont un rang dans les cérémonies publiques. Nous voyons que l'on fait incliner l'armée devant les cérémonies religieuses, et que les corps publics assistent au Te Deum. Je dis que ce sont là des marques de faveur au profit de certaines religions et que tout cela appartient à un système de protection au profit de certains cultes.

J'ai dit que dans un pareil système l'Etat ne devait pas avoir la faiblesse de tout céder aux religions ; que quand les cultes avaient des privilèges, l'Etat était excusable peut-être de conserver des droits, mais que si vous voulez de la séparation complète, radicale, comme aux Etats-Unis, je suis d'accord avec vous.

J'ai dit que je réclamais la liberté en chaire des ministres du culte, parce qu'un fait innocent en soi ne pouvait devenir coupable, posé par un ministre du culte, et je le maintiens.

II est évident qu'une critique d'un acte du gouvernement faite en chaire par un ministre du culte ne peut être un délit.

Pour moi, ma conscience réprouve l'incrimination d'une semblable critique, parce qu'il m'est impossible d'admettre que nous puissions partout blâmer le gouvernement et qu'il ne puisse en être de même eu chaire ; mais j'ai ajouté qu'à côté du droit de critique par le ministre du culte il y avait le droit de réponse pour le particulier. J'ai dit que le prêtre était dans le droit commun, qu'il n'y avait pas d'impunité pour lui et que parce qu'il se trouvait dans une chaire de vérité, il n'avait pas le droit d'insulter impunément un citoyen.

Après avoir admis que le citoyen insulté pouvait répondre au prêtre, j'ai ainsi justifié ce droit dans mon ouvrage :

« On prétend que le ministre du culte en chaire est en quelque sorte inviolable, qu'il peut tout dire et tout faire et que le citoyen n'a qu'à se taire et à s'incliner devant ses paroles. C'est là méconnaître le texte de l'article 261 du code pénal. Cet article dit : Ceux qui auront empêché ou retardé les exercices d’un culte, etc. Or, faire de la politique en chaire, critiquer un bourgmestre, est-ce un exercice du culte ?

« Le ministre du culte qui se livre à ces sortes de discussions et de critiques sort du domaine religieux, tout le monde le reconnaît et dès lors il n'exerce pas le culte. C'est un tort de croire que le prêtre exerce toujours le culte, dès qu'il est revêtu des habits sacerdotaux et qu'il est en chaire. Est-ce qu'un prêtre qui ferait en chaire un discours tellement immoral qu'un cri d'indignation sortirait du public et que les fidèles abandonneraient bruyamment le temple, exercerait le culte, et y aurait-il lieu à l'application de l'article 261 du code pénal ? »

Ainsi, messieurs, vous le voyez, quand je réclamais la liberté du prêtre en chaire, je réclamais aussi le droit sacré et inviolable pour tout citoyen de ne pouvoir être calomnié et injurié sans pouvoir repousser immédiatement la calomnie et l'injure. Et si vous le voulez, sur ce terrain, je serais prêt à m'entendre avec vous. Mais jamais vous ne me ferez cette concession.

Ainsi, le parti catholique, les ministres du culte ont la liberté en tout. Ils ont la liberté d'enseignement la plus complète ; ils ont la liberté d'association la plus entière ; ils ont la liberté du culte poussée jusqu'à ses dernières limites, jusqu'au privilège même. Car on admet qu'une procession dans la rue peut interrompre la circulation, que le ministre du culte peut s'emparer de la voie publique et empêcher les citoyens de circuler.

Vous avez donc tous les avantages de la liberté. Et vous venez prétendre que la politique libérale a pour but d'amoindrir ces avantages. Mais citez un fait. Vous a-t-on empêchés d'ouvrir une école ? Vous a-t-on empêchés de créer une chaire, de subsidier des journaux, de faire en un mot tout ce qui était possible à l'aide de la liberté ? Vous ne sauriez citer un fait. Ce n'est qu'à l'aide d'une confusion qu'on espère changer les sentiments libéraux du pays.

Comme vous l'a dit l'autre jour M. le ministre de la justice, ce que vous voulez, c'est le privilège. Vous voulez retourner au passé ; vous voulez le droit de fondation, le droit de spoliation des générations futures. Vous voulez spolier les générations futures au profit de certaines œuvres, au profit de certaines idées et de certaines gens. La société vous résiste et elle a raison.

L'honorable M. Nothomb nous dit : Mais il faut être logique, il faut supprimer toutes les fondations ; il faut faire disparaître les bureaux de bienfaisance, les fabriques d'église, même la personnalité civile de l'Etat, de la commune et de la province.

Mais l'honorable M. Nothomb oublie que le culte, et ce n'est pas lui qui me contredira, dans l'état de notre civilisation actuelle, est considéré par la généralité des esprits comme une sorte de service public, comme quelque chose aux dépenses duquel il faut subvenir, et dès lors en l'absence de tout doute, de toute contestation de la part d'aucun parti, il n'y a pas d'inconvénient de donner au culte la personnification civile.

Pour la bienfaisance, pas encore de doute : on crée des services au point de vue des douleurs et des souffrances de l'humanité, douleurs qui subsisteront toujours ; mais vous voulez aller plus loin ; vous voulez pouvoir créer des fondations en dehors de ces services publics pour des œuvres spéciales et engager l'avenir.

Vous voulez que ces fondations vous garantissent que certaines idées ne périront pas dans l'avenir. Eh bien, cela vous ne l'obtiendrez jamais, parce que la société ne peut vous l'accorder.

L'honorable M. Pirmez a dit que le droit de fondation était la négation de la propriété, et il a eu parfaitement raison. Le droit de fondation est une fiction, une création de la loi. On ne peut le tolérer, que pour satisfaire des nécessités sociales. Mais on ne peut prétendre en droit pouvoir l'accorder sans danger, à d'autres personnes qu'à des personnes publiques dont l'utilité est incontestable.

Messieurs, il est donc évident que toutes ces accusations lancées par l’honorable comte de Theux contre la politique libérale, ne tiennent pas.

Le gouvernement et l'opinion libérale ont toujours maintenu les libertés intactes, complètes tant pour leurs adversaires que pour eux-mêmes, nous dirons même surtout pour leurs adversaires, et vous n'avez aucun droit de vous plaindre, lorsqu'on voit ce que vous avez pu faire à l'aide de la liberté.

Comment ! Vous n'avez pas la liberté ; et vous avez des collèges presque partout, et vous avez des écoles de petits frères et de petites sœurs presque partout, vous avez presque le monopole de l'enseignement des jeunes filles ; vous avez une université puissante. Mais auriez-vous pu vous créer, sous le régime impérial et sous le roi des Pays-Bas, de pareils moyens de lutte et d'influence ? Seriez-vous capables de combattre comme vous le faites aujourd'hui contre l'opinion libérale ? Si nous avions le régime impérial, vous ne seriez peut-être pas dix membres dans cette Chambre. (Interruption.)

Savez-vous ce qui existait sous ce régime impérial que vous paraissez regretter ? (Nouvelles interruptions.)

Je dis que le discours de l'honorable comte de Theux n'a eu qu'un but : c'est de comparer nos institutions actuelles avec le régime impérial et avec le régime hollandais, c'est de faire croire que nous sommes des réactionnaires relativement à l'empereur et au roi Guillaume.

Eh bien, je vous ai démontré qu'il n'y avait pas, sous l'empereur et sous le roi Guillaume, une liberté que vous n'ayez aujourd'hui. J'ai démontré que vous aviez conservé toutes les faveurs, tous les avantages dont vous jouissiez alors, et au-delà de ces faveurs et de ces avantages vous avez encore l'immense bienfait de la liberté.

Eh bien, sous ce beau régime impérial, qu'arriverait-il ? Vous n'auriez pas même les moyens de discuter vos opinions religieuses. Dernièrement un malheureux qui vivait dans un hospice donne à un de ses amis une petite brochure sur l'immaculée conception et l'on trouve dans la législation une petite loi sur le colportage qui fait condamner le distributeur de cet écrit.

Voilà le régime. Vous ne pourriez pas même répandre vos opinions (page 548) religieuses ; vous ne pourriez pas lire et distribuer vos mandements sans en avoir obtenu l'autorisation du pouvoir.

M. Coomans. - Vous ne pourriez pas faire grand-chose non plus. (Interruption.)

M. Baraµ. - Si la droite n'avait pas étouffé ma parole sous les rires, il m'eût été facile de répondre immédiatement à la plaisanterie de l'honorable M. Coomans.

M. Coomans. - Ce n'est pas une plaisanterie.

M. Baraµ. - C'est une vérité au fond, mais quand vous nous l'adressez à nous, c'est une plaisanterie. Car nous ne nous plaignons pas, nous, de ne pas vivre sous le régime hollandais ou sous le régime français, et nous ne venons pas dire qu'il y avait alors mieux qu'aujourd'hui.

M. de Naeyer. - Personne n'a dit cela.

M. Baraµ. - L'honorable comte de Theux a dit hier qu'on avait restreint la liberté qui existait sous l'empire.

Messieurs, il est constant que ce n'est pas avec de pareils arguments que l'on parviendra à exercer la moindre influence sur l'opinion publique. Et quant à ce qu'a dit l'honorable comte de Theux, que la situation était tendue, je lui répondrai que si elle l'est, ce n'est pas quant à la question religieuse.

Je lui dirai que, dans aucune partie du pays, l'on ne partage cette opinion que la religion est persécutée et que le gouvernement cherche à diminuer ses libertés.

Tout le monde reconnaît, au contraire, que dans aucun pays la religion catholique n'est plus libre et plus indépendante. Et si l’on parvenait à renverser le gouvernement libéral, ce serait encore par des prétextes et non par une lutte sur le véritable terrain.

Un mot, messieurs, sur l'affaire de Mont.

L'honorable M. Nothomb, en terminant son discours, a prétendu que les fabriques d'église ont une capacité absolue, illimitée, indéfinie.

M. Nothombµ. - Pas du tout.

M. Baraµ. - C'est votre thèse, et je vais vous le prouver en peu de mots.

Le principe en cette matière est celui-ci : les personnes civiles n'ont de droits que ceux qui leur ont été formellement reconnus par la loi.

Or, à l'époque du décret de 1809, les missions étaient interdites, c'était encore un des actes de ce beau régime que vous semblez aimer ; les missions étaient interdites, et dès lors il est évident que le décret de 1809 ne permettait pas de tester en faveur des missions, ne donnait pas aux fabriques d'église la capacité d'accepter des donations faites pour ces exercices religieux.

Or si les fabriques d'église n'ont que les droits que la loi leur a donnés, la fabrique du Mont n'avait pas le droit d'accepter la donation qui a donné lieu à ce débat. Cela est clair comme le jour et si la question était portée devant les tribunaux, comme le désire l'honorable M. Nothomb, elle ne ferait pas, j'en suis sûr, l'objet d'un bien long examen.


M. Gobletµ dépose le rapport de la section centrale du budget des travaux publics sur les amendements présentés, dans la séance d'hier, par M. le ministre.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.


M. B. Dumortier. - Je sais gré à l'honorable membre qui vient de se rasseoir d'avoir carrément et nettement posé sur son véritable terrain la question qui nous divise. Ilnous a fait comprendre ce que l'on veut sur les bancs de la gauche, car il ne faut pas s'y tromper, à travers toutes ces belles paroles, il règne une pensée et une pensée profonde ; le regret des libertés données aux cultes par le congrès national.

Voilà, messieurs, ce qui résulte à la dernière évidence de ce discours.

Voilà ce qui vient confirmer l'unanimité de pensée entre le livre que l'on désavoue et les paroles que l'on prononce.

Eh bien, voyez-vous maintenant dans quelle politique le gouvernement est entré eu 1847, voyez-vous la politique qu'il a inaugurée de nouveau en 1858 ? C'est une politique réactionnaire contre les principes de 1830, une politique antinationale. Il est temps que le pays voie clair sur cette politique, il est temps que le pays sache où on le mène, car nous sommes dans une situation qui peut compromettre nos plus chères institutions, et la Constitution, et la liberté, et la patrie.

On répète toujours que l'on veut protéger le culte de l'immense majorité des citoyens, on répète toujours que l'on veut la Constitution dans son entier, et cependant on regrette qu'il n'y ait plus l'appel comme d'abus ; on regrette qu'on ne puisse pas faire du prêtre l'instrument du pouvoir ; on regrette que le gouvernement ne puisse pas forcer le prêtre à lire en chaire les doctrines qu'il plairait au ministère de lui dicter.

Voilà ce qui ressort du discours de l'honorable membre, et en l'écoutant, j'ai cru entendre l’orateur de l'empereur de Russie parlant contre les Polonais. (Interruption) Oh ! je connais vos rires ! les souffrances de la Pologne ne nous émeuvent pas, elles excitent vos rires, parce que, comme nous, la Pologne est catholique.

M. Guilleryµ. - Les souffrances de la Pologne nous intéressent autant que les souffrances des Romains.

MpVµ. - Je vous invite, messieurs, à vous abstenir de toute interruption. Je ne puis pas dominer les mouvements de l'assemblée, mais je puis et dois interdire les interruptions ; elles sont incompatibles avec la dignité des débats.

M. B. Dumortier. - Qu'est-ce donc, messieurs, que le libéralisme ? Qu'est-ce qui nous sépare de vous ? Une seule chose, c'est que nous voulons, dans toute son intégrité, la liberté religieuse et que vous, vous voulez la restreindre. Vous montrez-vous plus amis de la liberté que nous ? Etes-vous venus en aucune circonstance défendre une liberté publique que nous ne défendions pas avec vous ? Vous le savez, jamais notre voix n'a manqué, jamais notre langue n'a fait défaut à la défense de toutes les libertés, de celles dont vous avez le plus comme des autres. Un seul point vous sépare de nous, c'est que vous voulez anéantir les libertés religieuses, tandis que nous voulons les maintenir. C'est la seule différence qui nous sépare, il n'y en a pas d'autre.

Messieurs, pour éclaircir cette situation, je me pose cette question : D'où sommes-nous partis ? Où en sommes-nous arrivés, où mène-t-on la société ? Et d'abord qu'a fait la Belgique, en 1830 ? A-t-elle fait des dissertations creuses, de belles théories ? Non, messieurs, quand le Congrès national a proclamé la Constitution, il a fait une œuvre pratique, il a émancipé une chose qui devrait toujours être respectée, il a émancipé la conscience humaine et il a interdit au gouvernement toute intervention dans tout ce qui est du domaine de la conscience de l'homme.

Eh bien, ce grand principe, cette base fondamentale de la Constitution et de la nationalité, c'est là ce que vous voulez abattre, c'est à cela que vous voulez porter des atteintes incessantes, sacrifiant ainsi à de mauvaises passions, à de mesquins intérêts de portefeuille les plus grands intérêts de la patrie.

Voilà ce qui nous sépare de vous, ce qui met entre vous et nous toute la distance d'un abîme.

Toute votre conduite est une série non interrompue d'attaques contre les libertés religieuses, et ici, messieurs, permettez-moi de rencontrer la définition donnée par M. le ministre de la justice. Pour lui, la liberté des cultes est le droit de croire et de professer sa foi religieuse, d'exercer son culte, c'est l'adoration de la Divinité, la liberté des sacrements de la religion à laquelle on appartient.

Tout cela est vrai, mais la liberté des cultes comprend autre chose encore, elle comprend l'établissement religieux, sans lequel aucun culte ne peut exister. Ce n’est pas la doctrine elle-même, je le sais bien, que vous attaquez par vos lois ; vous ne le pourriez pas ; tous vos efforts ne prévaudront jamais contre elle ;.vous êtes impuissants à la combattre ; mais ce que vous voulez attaquer c'est l’établissement religieux, sans lequel aucun culte ne peut exister. Imaginez donc un culte sans prêtres, sans écoles, sans temples, sans mobilier religieux ; cela est impossible. Eh bien, ce qui fait l'objet de vos attaques incessantes, c'est l'établissement religieux, partie intégrante, essentielle, indispensable de l'exigence de la liberté des cultes.

Je prends vos actes les uns après les autres, qu'avez-vous fait de la liberté de la charité ?

Qu'avez-vous fait de cette charité créée par le catholicisme et qui est un des premiers devoirs du chrétien ?

La liberté de faire le bien, de donner pour le pauvre, cette liberté vous l'avez déniée et vous avez poussé la chose jusqu'au point de refaire les testaments ; vous avez substitué votre volonté à la volonté du testateur en violant, de la manière la plus odieuse, la plus chère, la plus touchante de toutes les libertés, la liberté de faire du bien à ses semblables.

Et vous direz que lorsque nous réclamons cette liberté nous voulons un privilège ! Eh quoi. ! si je donne pour les pauvres à vos bureaux de bienfaisance, je puis le faire, vous l'accordez ; mais si je veux faire distribuer l'aumône par une main qui m'est chère, alors vous repoussez cette main parce qu'elle est catholique et qu'elle s'unit aux œuvres de la foi.

Vous préférez la main glacée de la philosophie à celle qui vivifie, à la chaleur bienfaisante de la religion, et vous appelez cela de l'égalité devant la loi ! Et vous oserez dire que nous voulons le privilège, alors que nous sommes victimes du privilège que vous établissez contre nous !

(page 549) La liberté de la chaire, oh ! vous en voulez bien, mais à la condition de faire de l'église un meeting, une taverne, un lieu où pourraient se produire toutes les opinions. Mais si vos principes sont vrais, pourquoi donc n'autorisez-vous pas les gens qui sont dans les tribunes à venir prendre à partie le membre de la Chambre qui porte la parole ?

Pourquoi donc n'autorisez-vous pas tous les citoyens à venir dans vos temples maçonniques réfuter les opinions qui y seraient émises contre les catholiques ? Le droit que vous invoquez est donc un privilège contre le culte catholique, celui de l'asservir ou de l'attaquer !

Messieurs, la religion est un grand besoin social ; par vos mesures et par vos lois, vous en entravez l'exercice ; si vous faites que ce besoin ne puisse pas être satisfait, vous portez atteinte à la liberté la plus chère des libertés et par là vous arrivez à des abus que vous ne pourrez pas assez déplorer plus tard.

Le peuple sera privé de ces consolations qui lui sont indispensables pour supporter ses malheurs ; il ne trouvera plus cette résignation dont il a besoin dans ses souffrances ; en entravant la moralisation du peuple par la foi chrétienne, en faisant prédominer sur cette foi un néopaganisme, vous faites du peuple une série de partageurs, d'hommes ne connaissant plus de devoirs, mais seulement la satisfaction de leurs passions et de leurs appétits, et par là vous arrivez à détruire la société jusque dans ses bases les plus fondamentales.

Et la liberté de l'aumône dans les églises, qu'en avez-vous fait ? Comment ! un curé ne pourra, dans son église, recueillir des aumônes de ses coreligionnaires pour les pauvres de sa communion ! Ainsi, ce qui est un exercice du droit naturel, ce qui découle le plus clairement de la liberté individuelle, la liberté des actions de l'homme, vous allez jusqu'à l'interdire au profit de vos établissements, à vous, et vous nous accusez de vouloir le privilège, et vous osez dire que jamais la religion n'a été mieux traitée que par vous ! Loin de là, jamais, non jamais on n'avait osé provoquer une interdiction pareille ; il a fallu que l'opinion libérale fût au pouvoir pour que de semblables doctrines se fissent jour. Et vous viendrez prétendre que ce n'est pas attenter à la liberté religieuse, que ce n'est pas s'attaquer à l'établissement religieux ! Et vous direz que c'est du privilège 1 Oh ! étrange privilège, puisque vous prétendez venir chez nous, malgré nous, contre nous, quêter au profit de vos institutions et nous interdire le droit de quêter pour les nôtres !

Qu'avez-vous fait de la liberté d'association ? qu'avez-vous fait des écoles dentellières, etc. ? ces écoles tenues par des religieuses, par ces anges de vertu qui passent leur vie entière à faire du bien à leurs semblables ; à enseigner aux enfants la religion et le travail, à leur donner à la fois et le pain du corps et le pain de l'âme !

Eh bien, qu'avez-vous fait de ces bienfaitrices de l'humanité ? Vous les avez persécutées, traînées devant le fisc, comme des misérables ; vous avez fait vendre sur la voie publique les instruments du travail des enfants pauvres, des petites ouvrières par les agents du fisc ; et en agissant ainsi, vous avez assimilé ces religieuses, ces filles du Ciel, à de vils mercenaires ! Et ce mot vous l'avez prononcé, outrageant ainsi et la morale et la foi !

Qu'avez-vous fait de la liberté d'instruction ? Je le sais bien ; cette liberté d’instruction, nous l'avons de par la Constitution, et, Dieu merci ! vous ne pouvez pas nous l'enlever, à moins que vous ne révisiez la Constitution ; ce qui est peut-être dans vos vœux.

Mais comme vous ne pouvez pas changer la Constitution à votre guise, vous avez entrepris de la refaire par les lois et de refaire les lois par circulaires interdisant à la commune catholique ce que vous accordez à la commune libérale. Ainsi il sera permis à la ville de Bruxelles d'adopter, de subsidier l'université libérale, cet établissement que vous proclamez élevé contre la foi de nos pères, mais il ne sera pas permis à une commune d'adopter, de subsidier une école catholique. Et vous appelez cela la liberté et l'égalité ? Et vous osez parlez de privilège ! Et pour le reste qu'avez-vous fait ? La liberté d'enseignement vous l'avez étouffée sous le poids du trésor public, grâce aux deniers des contribuables, grâce aux deniers des catholiques, vous avez établi une concurrence contre l’enseignement catholique lui-même ; et aujourd'hui, par un sophisme indigne, vous voulez arriver à ce résultat, d'avoir un enseignement sans religion, c'est-à-dire un enseignement athée dans lequel le peuple ne recevra aucune espèce de maximes salutaires, un enseignement païen qui doit faire perdre un peuple son caractère religieux et dès lors entraîner la société dans les plus grands maux.

Qu'avez-vous fait de la liberté de la chaire ? Qu'avez-vous fait de la liberté de lire dans les églises les mandements des évêques ? N'exprimait-on pas tout à l'heure le regret que l'appel comme d'abus n'existât plus ? Ne disait-on pas qu'il n'était pas impossible de le rétablir ? Les mandements des évêques, des supérieurs ecclésiastiques, seraient donc soumis à la censure du gouvernement ; et le pouvoir qui, en Belgique, n'a d'action que sur les corps, s'arrogerait le droit d'action sur les âmes ; il deviendrait le dispensateur de la foi de nos pères : il viendrait dire : « Tel mandement peut-être lu, tel mandement ne peut pas l'être. » Il interviendrait dans la lecture des mandements épiscopaux !

Là encore qu'avez-vous fait ? La Constitution vous interdit dans les termes les plus exprès toute intervention quelconque dans la lecture des mandements religieux ; eh bien, vous avez audacieusement violé la Constitution, en inscrivant dans votre nouveau code pénal un article qui punit le prêtre qui lit en chaire les mandements de ses supérieurs !

Qu'avez-vous fait des bourses d'études ? Ces bourses, ces fondations sacrées qui ont été faites par nos pères au profit de certaines localités, au profit de certaines institutions catholiques, au profit du développement de la foi et des maximes religieuses - car ce sont des hommes religieux qui ont créé ces bourses - vous voulez, par la loi la plus odieuse qui ait jamais été présentée, vous voulez en spolier ceux qui en sont les dépositaires ; vous voulez détourner ces fondations de leur destination, vous en emparer, les donner à des écoles rivales, hostiles à ce même principe religieux en faveur duquel elles ont été fondées. Voilà comment vous attaquez de toutes parts l'établissement religieux dont vous vous proclamez les défenseurs ! Voilà comment vous réalisez cette conspiration contre les sentiments religieux du pays !

Maintenant, qu'allez-vous faire des fabriques d'église ? Vous voulez les enlever à l'autorité ecclésiastique pour qu'elles soient gérées par l'autorité civile, vous voulez donner à cette autorité la nomination de ceux qui auront la direction du temporel du cuit1, vous voulez que le bourgmestre ait dans les délibérations voix prépondérante ; de manière que si le bourgmestre est un ennemi de l'Eglise, ce sera un ennemi de l'Eglise qui viendra gérer les affaires du temporel du culte !

Encore une fois, est-ce là protéger, comme vous le prétendez, l'établissement religieux ?

Je dis, moi, que la série de vos actes est une vaste conspiration, une persécution légale contre l'établissement religieux du pays ; je dis que la prétention que vous affichez, que votre tendresse de sirène pour la religion du pays est contraire à la vérité ; qu’elle est la négation la plus absolue des faits historiques les plus incontestables.

Vous aurez un compte à rendre à l'histoire ; elle dira ce que vous avez fait depuis dix ans pour détruire l'établissement religieux en Belgique.

Et maintenant pour les cimetières !... Il restait aux catholiques une liberté, la liberté du tombeau, celle de se faire enterrer selon leur croyance. Le catholique qui croit à la résurrection des corps, veut ressusciter avec ses père et mère, avec ses proches, avec ceux qui furent unis avec lui dans la même foi ; il désire donc étre enterré à côté de tous ces êtres qui lui furent chers et qui constituent la famille catholique.

Eh bien, qu'avez-vous fait encore de cette liberté ? Vous avez proclamé cette maxime, que c'est l'autorité civile seule qui a la police des cimetières ; vous voulez rendre civiles des instituions successivement créées par le sentiment religieux qui est encore aujourd'hui une des bases essentielles de l'ordre social. Vous avez été jusqu'à dénier aux catholiques le droit qu'ont les Israélites, la liberté du tombeau.

Et après tout cela, vous viendrez nous dire que vous voulez protéger la religion catholique ! En voyant cette rapide énumération de vos actes, j'avais raison de dire que ce qui vous sépare de nous, ce sont vos attaques incessantes contre l'établissement religieux ; ce que vous voulez, c'est entraver le prêtre dans tous les actes de son ministère, et vous osez prétendre que vous respectez la liberté des cultes !

Enfin, par quel acte avez-vous couronné ce système de persécution contre la foi du pays ? Par un acte qui donne le caractère de votre ligne de conduite, je veux parler du choix odieux qui vient d'être fait pour les fonctions de directeur des cultes ? Je sais bien que chaque citoyen a la liberté de croire ce qu'il veut ; mais je sais aussi qu'il est des choses que les simples convenances devraient faire respecter, alors surtout qu'il s'agit d'un intérêt aussi délicat que celui de la conscience publique ; je sais que, pour le respect de ces intérêts, le gouvernement est responsable des actes qu'il pose ; or, quand je vois le gouvernement pousser l'audace jusqu'à mettre à la tête de l'administration des cultes le beau-frère de celui qui a écrit les pages horribles dont nous nous occupons depuis quelques jours, de ces maximes impies désavouées par chacun de nous, un homme hostile ou du moins indifférent aux intérêts que cette administration a pour mission de garantir, je dis qu'un tel acte est le sceau de la politique de persécution contre la foi religieuse du pays !

Eh quoi, ce grand parti libéral que vous nous représentez comme le pays, ne compte-t-il donc plus dans son sein un seul homme possédant des sentiments religieux ?

Que dirait-on d'un ministre qui mettrait à la tête de la direction des (page 550) lettres et des sciences un homme qui ne sût ni lire ni écrire ? Un tollé général accueillerait une pareille nomination. Si à la tête de la direction des beaux-arts on plaçait un homme hostile aux arts, cette nomination n'encourrait-elle pas une réprobation unanime ?

Eh bien, je dis que la nomination qui a été faite récemment par M. le ministre de la justice est non seulement un défi, mais qu'elle est un outrage à l’opinion catholique, qu'elle est le couronnement de toutes les mesures qui ont été successivement imaginées pour persécuter l'Eglise et qu'elle est le moyen d'arriver plus sûrement, plus facilement à cette persécution.

Et c'est en présence des faits dont je viens de dérouler le rapide tableau, qu'on nous accuse de vouloir du privilège. Oui, nous savons ce que c'est. Quand vous ne pouvez pas opprimer vos adversaires, vous criez au privilège ; vous criez au privilège, quand nous voulons faire respecter notre culte, comme nous l'avons fait respecter à toutes les époques de notre histoire. Des sophismes, il en a toujours existé à l'usage des persécuteurs. Tel dans l'antiquité le sacrificateur couronnait de fleurs la victime avant de lui plonger le fer dans le cœur !

Pour justifier vos actes intolérants et fanatiques, vous avez en vérité une étrange maxime. Il y a, dites-vous, en Belgique un être au-dessus de tout ! cet être s'appelle l'Etat. Tout doit plier devant l'Etat, seul il peut perpétuer ses actes, et il doit tout absorber : le corps, l'intelligence, l'âme, la conscience humaine.

Je dis, messieurs, que ce système est l'antithèse des grands principes de 1830, des principes d'où nous sommes partis, et qu'il mène directement à la plus odieuse, à la plus infâme des tyrannies, à l'asservissement du corps et de l'âme des citoyens. Le jour où le gouvernement aura un mot à dire à la conscience humaine, le jour où il aura le droit d'intervenir dans la liberté de ma conscience, le gouvernement se sera fait le plus infâme tyran qui ait jamais existé sur la terre. Eh bien, voilà le système que l'on préconise sous le nom de souveraineté de l'Etat. Et comment s'y prend le libéralisme pour arriver à ce but ? Le libéralisme pose en principe que dans la société il ne reconnaît que deux choses : l'individu et l'Etat. Ecartant l'existence successive qui est la base de toutes les institutions religieuses ou humaines, il ne permet pas à l'homme de perpétuer l'œuvre sociale à laquelle il s'est attaché : il lui dénie un de ses droits les plus sacrés en disant que l'Etat seul a le droit de perpétuer ses œuvres, et au moyen de cette distinction étrangement subtile, on arrive à cette conséquence fatale que l'Etat seul étant doué de successivité est le dispensateur suprême de tous les biens en Belgique !

Je dis, messieurs, que cette doctrine est l'antithèse des principes de 1830, qu'elle est diamétralement opposée à l'esprit que révèle chaque article de notre Constitution. Oh ! je le sais, d'après l'honorable membre qui vient de s'asseoir, dans le règlement des rapports entre l'Eglise et l'Etat, il y avait deux systèmes possibles, l'alliance avec l'Etat et la séparation : l'alliance, c'est le système de la Constitution, et cette alliance, dit-il, se résume en deux mots ; protection et faveur.

Mais l'honorable membre perd de vue qu'à côté des deux systèmes qu'il a indiqués il y en a un troisième, celui précisément que le Congrès a adopté et qui est l'émancipation de la conscience humaine. Là, messieurs, est l'acte le plus important du Congrès national, celui qui a fait de notre Constitution l'objet de l'admiration du monde entier. Oui, messieurs, l'émancipation de la conscience humaine, voilà l'acte dominant du Congrès ; l'émancipation de la conscience humaine par la liberté et le respect des droits de tous, tel est ce principe qui domine toutes ses résolutions. Voilà d'où nous sommes partis. Où en sommes-nous aujourd’hui ? où menez-vous la société ? Sont-ce là les droits de tous que vous respectez ?

Voyez le chemin que vous avez parcouru, voyez les libertés auxquelles vous avez porté atteinte, voyez les mesures que vous avez prises et celles que vous réparez encore ; et dites-nous si c'est ainsi que vous prétendez respecter les droits de tous !

Non, messieurs, il ne s'agit plus de l'émancipation de la conscience humaine ; votre doctrine mène à une seule chose, à l'oppression des consciences afin d'arriver au despotisme ministériel. Et cela est d'autant plus monstrueux dans un pays comme le nôtre qu'il n'y existe point de pouvoir ministériel de par notre Constitution. Le Congrès l'a proclamé, le gouvernement n'a d'autorité que par les Chambres et avec leur assentiment ; il ne peut pas prendre des arrêtés contraires aux lois ; il n'a pas le droit d'intervenir en quoi que ce soit hors des limites qui lui sont tracées.

Simple pouvoir exécutif, les ministres n'ont que le droit d'exécuter, et rien de plus.

Eh bien, que faites-vous de cette autorité ministérielle à laquelle la Constitution a dénié le titre de pouvoir, et qui n'est que la simple exécution des volontés, des besoins du pays ? Vous en faites, par une étrange subversion d'idées, un pouvoir auquel vous confiez le droit de subjuguer et d'asservir les corps et les consciences, et que vous appelez Etat. Oui, quand vous venez nous violenter dans notre conscience, dans tout ce que nous avons de plus cher au monde, vous nous ramenez au régime tyrannique des peuples d'Orient qui pratiquent cette maxime impie : Crois ou je te tue.

M. Guilleryµ. - C'est en Espagne que l'on dit cela.

M. B. Dumortier. - Je n'ai point à prendre ici la défense de l'Espagne ; mais je vous dirai : Commencez par justifier les abus qui se commettent en Suède et dans tous les pays protestants avant de nous opposer l'exemple de pays catholiques.

- Voix à gauche. - Nous ne justifions aucune espèce de violence.

M. B. Dumortier. - Ne nous accusez donc pas et ne venez pas nous citer l'Espagne.

Je vous ai montré, messieurs, par un rapide examen, la marche du gouvernement et du parti libéral depuis son entrée au pouvoir. Encore une fois, qu'est-ce qui nous sépare, le parti libéral et nous ? Une seule chose : la question religieuse.

Il n'y a de différence entre nous que cette unique question. Or, voici ce que nous voulons : nous voulons conserver à l'établissement religieux, à l'établissement catholique, les libertés que le Congrès lui a données, libertés dont il a joui jusqu'à notre avènement au pouvoir, rien de plus, rien de moins ; tandis que vous voulez nous ravir la liberté de l'établissement religieux par des lois contre lesquelles protestent tous les principes constitutionnels. Oui, vous voulez refaire la Constitution par les lois organiques, en violant la liberté religieuse, la liberté de la pensée ; et vous voulez ensuite refaire, par des circulaires, les lois portées avant votre arrivée au pouvoir, de manière à laisser les libertés religieuses inscrites dans la Constitution, mais hors la loi.

Ainsi, quand vous venez présenter une indigne loi de spoliation des bourses d'études fondées dans un intérêt catholique ; quand par cette loi ne reculant pas devant la plus odieuse des mesures, la rétroactivité, vous voulez retirer les bourses d'études aux personnes qui les possèdent depuis une longue suite d'années, pour les donner à des adversaires de la religion du pays, est-ce, par hasard, par amour pour la religion que vous voulez faire consacrer une telle spoliation ? Quand vous voulez transférer ces bourses à des institutions fondées dans un esprit diamétralement opposé à celui des établissements que les fondateurs ont entendu favoriser, est-ce dans l'intérêt de la liberté religieuse que vous agissez ? Quand vous voulez faire des bourgmestres et des échevins, des sacristains qui finiront par se substituer complètement aux curés, est-ce dans l'intérêt des cultes ?

Non, ce que vous voulez, c'est faire éclater la guerre au sein de l'Eglise ; vous voulez la guerre entre le bourgmestre et le curé, et pour arriver à vos fins, vous avez eu grand soin de ne nommer comme bourgmestres que des hommes notoirement hostiles au culte catholique.

Messieurs, quand j'examine la marche du parti libéral, en Belgique, depuis vingt ans, je suis profondément frappé d'un grand fait ; je suis renversé, je dois le dire, quand je vois la marche rapide avec laquelle il s'est porté à l'extrême au point de vue de l'intérêt religieux.

En 1846, lors du congrès libéral, que demandait le parti libéral ? Une seule chose : c'est que le prêtre n'intervînt pas dans les écoles à titre d'autorité ; c'est-à-dire qu'il voulait bien de son intervention dans les écoles mais non à titre d'autorité. De la persécution religieuse, il n'en était pas question : des associations religieuses, des bourses d'études, des séminaires, des quêtes dans les églises, des écoles dentellières, de la liberté de la chaire, des fabriques d'église, il n'était pas question ; rien de tout cela n'était mis en cause par le parti libéral. Il ne demandait qu'une chose : c'est que le prêtre n'intervînt pas dans les écoles à titre d'autorité, le titre d'autorité, tel était l'unique programme du parti libéral.

Voilà donc en 1846 ce que demandait uniquement le parti libéral.

Eh bien, quand, par la loi sur l'enseignement moyen, on fut arrivé à ce résultat, pensez-vous que le parti libéral se soit arrêté ? Non, messieurs ; il lui fallait quelque chose de plus : afin de ne point diviser le parti libéral, on crut devoir sacrifier d'autres libertés religieuses aux hommes les plus extrêmes de ce parti ; d'abord on a voulu refaire les testaments et porter atteinte à la liberté de la charité, puis anéantir la liberté de la chaire, afin que le parti libéral ne fût pas divisé.

C'est ainsi que sont successivement intervenues toutes les lois qui nous ont été présentées dans ce but. On aurait cru avoir épuisé la source des persécutions contre les libertés religieuses : quand le pouvoir était fort il y a 5 ans il s'est bien gardé de nous présenter ces lois odieuses ; quand le pouvoir était fort, il était modéré précisément parce qu'il était fort.

(page 551) Mais depuis qu'il s'aperçoit que le pouvoir commence à lui échapper aux applaudissements unanimes de la nation, il se porte aux résolutions extrêmes et il est arrivé avec les lois de sécularisation de l'établissement religieux qui mettent le comble à la mesure de la persécution religieuse. Cette fois encore, pour conserver un pouvoir qui lui échappe, il se tourne vers les extrêmes, pour rallier tous les éléments du parti libéral.

Après la loi sur l'instruction primaire, la loi sur les fondations ; on a refait la loi communale, et cela uniquement dans un intérêt politique. Puis, afin de ne pas diviser, on sacrifie les principes les plus chers au peuple belge ; dans l'intérêt de l'union, on cède aux exigences de l'opinion du parti ; c'est elle qui domine, c'est elle qui lui impose des lois ; c'est ainsi que le gouvernement est arrivé à ce résultat de présenter la loi inouïe des bourses d'études et la loi indigne des fabriques d'église. C'est ainsi qu'on est arrivé aux dispositions sur les cimetières, toujours parce qu'i ne faut pas que le parti soit divisé.

Eh bien, je suppose qu'on vote la loi sur les cimetières, celle sur les bourses d'études ainsi que celle sur les fabriques d'église, en aurez-vous fini avec vos lois de persécution religieuse ? Quelle sera votre position ? Elle sera la même, vous aurez besoin toujours, pour plaire à la queue de votre parti, d'entrer dans la voie des persécutions religieuses. Les mêmes causes amenant les mêmes effets, vous arriverez fatalement à sacrifier toute la liberté religieuse, vous arriverez de concession en concession à sacrifier tout au besoin du portefeuille, à l'amour du portefeuille, parce que c'est la queue qui impose sa volonté à la majorité du parti.

Qu'arrive-t-il dans cet ordre de persécution, quelle est la conséquence pour le pays de ce régime incessant de persécution contre les idées religieuses, comme conséquences de faveur pour ceux qui leur sont hostiles ?

Pour les uns, l'indignité, l'incapacité, l'écartement de tous les emplois. Pour les autres toutes les fonctions.

Quand je vois la Belgique ainsi divisée en deux camps, dont l'un composé de vaincus, l'autre de vainqueurs, les premiers considérés comme n'étant plus propres à rien, les autres, les favoris, recevant tout, je m'explique la situation du pays dont chacun se plaint, que chacun exprime en particulier, cette grande atonie, parce qu'un pareil système amène l'amoindrissement du pouvoir, l'énervation des âmes, l'amoindrissement des caractères, l'abaissement des consciences, l'abdication des citoyens. Voilà où nous sommes arrivés, où on mène la société ! Je dis qu'un pareil système opposé aux grandes maximes de 1830, est fatal au pays, qu'il pervertit nos institutions, ruine les grands principes déposés dans la Constitution, proclamés par le Congrès, comme devant faire le salut de la Belgique et lui permettre de résister à l'étranger.

Est-ce en agissant comme vous le faites que vous voulez résister à l'étranger, en reproduisant les luttes de l'époque de Joseph II et de celle de Guillaume ? Non, en revenant aux maximes orangistes contre lesquelles s'est faite notre glorieuse révolution, en organisant de toutes parts, dans un intérêt de parti, une guerre impie contre l'établissement religieux du pays, qui est sa force principale et l'élément le plus vivace de sa nationalité, vous créez une situation terrible, désastreuse, fatale pour l'avenir de la patrie.

Messieurs, quand j'examine la marche du libéralisme et les dangers auxquels il expose le pays en abandonnant ce grand principe de 1830 : le respect des droits de tous, je crains bien que l'histoire ne dise un jour : La Belgique avait toujours trouvé dans l'union sa vitalité et sa force, elle a toujours trouvé dans son amour pour Dieu et la liberté des moyens suffisants pour résister à l'étranger, mais il lui a suffi de six années d'un ministère libéral pour l'exposer au plus grand des maux, à l'anéantissement de la nationalité et à la perte de la patrie.

MFOFµ. - Messieurs, quoique l'heure soit déjà avancée et que je ne pense pas pouvoir terminer aujourd'hui, je me trouve obligé de prendre sur-le-champ la parole, ne voulant pas laisser un seul instant sans réponse une partie au moins du discours que vous venez d'entendre.

Depuis longtemps, messieurs, nous nous étonnions tous du silence que gardait l'opposition dans cette Chambre. Il y avait, entre l'attitude de l'opposition dans le sein du parlement et celle de l'opposition à l'extérieur, un contraste vraiment extraordinaire. En effet, journellement, sans relâche, à propos des questions même les plus infimes, l'opposition extérieure sonnait le tocsin à toutes volées ; elle appelait aux armes le ban et l'arrière-ban de ses milices ; elle conviait par ses exhortations les plus pathétiques ses partisans à se presser sous ses drapeaux, pour défendre toutes les libertés publiques menacées par l'hydre du libéralisme. La Constitution était en danger ; les droits de l'Eglise étaient en péril et la persécution religieuse était triomphante, tout, en un mot, était compromis, tel était le thème quotidien de la presse de l'opposition.

Mais ici, messieurs, à l'intérieur de cette Chambre, ces plaintes amères, ces accusations, ces cris d’alarme, avaient-ils, jusqu'à ce jour, trouvé quelque écho ? Un silence à peu près absolu régnait au sein de l’opinion catholique. Aucun acte du cabinet n'était dénoncé au pays comme attentatoire à notre pacte fondamental ; aucune plainte n'était formulée contre la marche adoptée par le gouvernement dans les différentes questions sur lesquelles il avait eu successivement à se prononcer, aucune accusation n'était dirigée contre les tendances qu'il avait manifestées. Tout récemment encore, qu'avons-nous constaté ? Les budgets sont mis en discussion : l'occasion se présente tout naturellement d'attaquer la politique du gouvernement, de faire entendre dans le sein de cette assemblée les griefs dont on fait si grand bruit au-dehors. Mais non ! rien de tout cela n'a lieu. Le budget de l'intérieur, celui auquel se rattachent plus particulièrement les discussions politiques, est voté ; pas un mot.

Le budget de la justice allait passer sans doute de la même manière, car la discussion générale avait été close sans qu'une seule protestation se fût fait entendre de la part des membres de l'opposition, lorsqu'un soldat aussi impatient que téméraire sortit des rangs sans permission, et, tirant un coup de fusil de son propre chef, sans attendre le commandement...

M. B. Dumortier. - Nous n'avons pas besoin de permission.

MFOFµ. - Oh ! comment donc ? Dans le parti de l'autorité !

Il a fallu, dis-je, cet incident, il a fallu l'acte d'insubordination de l'honorable M. Thibaut, reproduisant ici, mot à mot, un thème que nous avions lu la veille dans un journal de l'opposition, pour engager enfin une action devant laquelle on semblait prudemment vouloir reculer, pour contraindre en quelque sorte l'honorable chef de la droite à intervenir, et M. Dumortier à faire entendre cette fois dans la Chambre le véritable langage de l'opposition extérieure.

Messieurs, ce contraste que je viens de vous signaler n'avait-il pas quelque raison d'être ? Serait-ce par hasard un fait qui ne pourrait s'expliquer ? Je ne le pense pas. Je crois, au contraire, que cela tient à un double courant d'idées, produit de deux esprits plus ou moins divergents qui règnent dans le parti catholique et qui le divisent. Dans ce parti, tous n'ont pas les mêmes sentiments à l'endroit de nos institutions ; nous l'avons déjà signalé plus d'une fois ; d'autres, plus autorisés ou moins suspects l'ont également constaté.

Un écrivain, que nos adversaires ne récuseront pas, le déclare en termes exprès : « Il y a évidemment, en Belgique, dit-il, une fraction du clergé et du parti catholique... qui pousse l'Eglise dans les voies de la réaction et ne veut, pour elle, point d'autre avenir que le retour plus ou moins complet vers le passé... »

M. B. Dumortier. - Vers le passé de 1830.

MFOFµ. - Non pas vers le passé de 1830, mais vers le passé du moyen âge.

M. Rodenbach. - Cela n'est pas soutenable.

M. B. Dumortier. - Respectez les intentions.

MFOFµ. - Nous ne suspectons pas les intentions, nous constatons les faits de la politique intérieure, faits que nous avons le droit et le devoir d'apprécier. Il s'agit de savoir quelles sont les idées générales qui vous dirigent. Il s'agit de savoir si vous êtes d'accord sur la politique que vous avez à poursuivre, et j'espère que vous ne contesterez pas que je suis dans la plénitude de mon droit, lorsque je compare votre silence dans la Chambre au bruit de votre presse, et que je recherche les causes de cet étrange contraste.

Je dis qu'il y a dans l'opinion catholique un double esprit qui la divise. Cette situation s'est révélée depuis longtemps dans le pays. Nous avons eu naguère les catholiques de 1830 ; nous avons eu le parti catholique du Congrès ; mais à côté de celui-ci, nous avons vu se former depuis lors un parti catholique nouveau. Nous avons un parti catholique qui a aidé les libéraux à établir les institutions nationales qui nous régissent, un parti catholique croyant, fervent dans sa croyance, et qui cependant a proclamé avec nous, libéraux, les grands principes qui se trouvent inscrits dans notre pacte fondamental.

Depuis lors, il s'est formé un parti catholique contempteur de ces institutions, mais dont il affecte de prendre la défense ; attaquant, faussant, dans leur principe et dans leur essence les plus précieuses libertés que nous avons conquises ; un parti qui, doctrinairement, conteste tous et chacun des grands principes reconnus par la Constitution.

Eh bien, messieurs, ce dernier parti est devenu le plus puissant au. dehors. C'est lui qui vous mène. C'est lui qui s'est emparé de votre presse. (page 552) C'est lui qui parle seul au public ; et quand on a voulu essayer de représenter aussi dans la presse l'autre fraction de l'opinion catholique, de cette fraction fidèle aux idées constitutionnelles, aux traditions de 1830, nous avons vu de quelles accusations il a été l'objet ,avec quelle animosité il a été poursuivi, et comment il a dû se retirer de la carrière.

Quoi qu'il en soit, vous nous demandez ce qui distingue les deux grandes opinions qui existent en Belgique. Vous prétendez, vous affirmez que c'est la question religieuse. Eh bien, cette prétention est absolument dénuée de tout fondement, je dirai même de toute vraisemblance. Vous êtes assurément impuissants à citer, soit un fait, soit un acte, soit l'opinion d'un membre du parti libéral ou d'un membre du cabinet, ayant pour objet d'induire les pouvons publics à statuer sur un différent religieux,

Je soutiens, au contraire, que nous ne sommes divisés que par des questions politiques, des questions constitutionnelles. Nous n'entendons pas la Constitution de la même manière. Quand la Constitution dit « liberté, vous traduisez toujours « privilège » ! Voilà, voilà réellement ce qui nous divise ! et vous ne montrez le fantôme d'un prétendu différend religieux, que dans l'espoir d'agiter la partie la moins éclairée des populations.

Comment donc prétendez-vous appliquer les principes inscrits dans le pacte fondamental ? Et notez-le bien, je n'adresse cette question qu'à la fraction la plus modérée du parti catholique, à cette fraction contre laquelle nous avons lutté jusqu'à présent ; car, quant à la fraction nouvelle, au parti catholique nouveau, il conteste tous ces principes jusque dans leur essence.

Mais les principes admis, reconnus, proclamés, comment avez-vous entendu les appliquer ?

Voyons d'abord l'enseignement, c'est un terrain sur lequel nous nous sommes fréquemment rencontrés. En cette matière, après avoir garanti les droits des citoyens, les droits de la conscience, la Constitution a proclamé que l'enseignement était libre et que l'enseignement donné aux frais de l'Etat était réglé par la loi. Il a fallu appliquer ces principes.

Nous avons eu à nous occuper d'abord de l'enseignement primaire.

Quelles ont été vos prétentions ? Quels ont été les défenseurs de la liberté ? Quels ont été ceux qui ont voulu faire proclamer la prédominance du clergé sur l'Etat ?

Pour répondre à ces questions ; il suffit de rappeler le principe que vous vous êtes efforcés d'introduire dans la loi sur l'enseignement primaire. Votre principe était celui-ci : Il n'existera d'école dans aucune commune, et aucune école par conséquent, même une école libre, ne pourra recevoir de subside de la commune, de la province ou de l'Etat, si le clergé refuse son concours.

Voilà la principe que vous avez défendu, voilà le principe que vous avez essayé de faire prévaloir, voilà le principe contre lequel s'est révoltée l'opinion libérale et l'opinion publique, voilà le principe exagéré, exorbitant, devant lequel vous avez dû reculer vous-mêmes.

Or, si un tel principe avait été admis, le clergé eût eu droit de vie et de mort sur toutes les écoles du pays. Et cependant vous l'avez soutenu et défendu avec opiniâtreté.

- Un membre à droite. - Jamais.

MFOFµ. - Jamais, dites-vous ! oh ! il est trop tard pour vous en défendre. Cela est inscrit dans nos annales. Quand vous avez émis cette prétention, c'est l'honorable M. Dolez, l'un des membres les plus modérés de la Chambre, qui s'est levé pour interpeller le gouvernement, pour signaler les conséquences du système incroyable que l'on voulait faire consacrer ; et ce sont les auteurs mêmes de la loi proposée qui ont défendu le principe insensé devant lequel, je le répète, il vous a enfin fallu reculer.

Croit-on, messieurs, que le parti libéral a rempli un devoir constitutionnel vis-à-vis du pays, en résistant avec une courageuse énergie à des prétentions aussi exorbitantes ?

Voyons maintenant l'enseignement moyen. Je ne veux pas rappeler que pendant tout le temps qui s'écoulait avant le vote d'une loi sur l'enseignement moyen, vous ne cherchiez qu'à organiser vos propres établissements, vous efforçant en même temps d'empêcher que le principe constitutionnel de l'enseignement donné aux frais de l'Etat ne fût traduit en fait par l'organisation de cet enseignement ! Je ne m'occupe pas de cela, je veux constater seulement les idées que vous avez tâché de faire prévaloir dans chacune des lois organiques de l'enseignement.

Pour l'enseignement moyen, quels furent les principes que l'on voulut faire admettre et que l'on soutint plus ou moins ouvertement, avec plus ou moins de déguisements, avec plus ou moins de franchise ? En voici la substance :

Il nous faut une part d'intervention dans la nomination de tous les professeurs et maîtres des écoles et des collèges ! Voilà la prétention ; voilà ce qu'on exigeait ! Voilà quel était le prix du concours du clergé à l'enseignement religieux ! Avons-nous eu tort de résister ? Avons-nous eu tort de faire respecter les droits des citoyens en cette matière ? Avons-nous eu tort de vous empêcher de faire décider par la loi, en violation de la Constitution, en violation des principes les plus essentiels qui y sont déposés, en violation du principe de la liberté des cultes, que l'on ne pourrait être professeur ou maître dans un établissement dirigé par l'Etat, qu'à la condition d'appartenir à un culte déterminé, qu'à la condition d'être catholique, apostolique et romain, qu'à la condition d'être croyant et pratiquant ?

Voilà cependant où vous prétendiez en venir. Mais, grâce à l'opposition vigilante du libéralisme, vous avez été impuissants à porter une pareille atteinte à la Constitution.

Enfin, dans l'enseignement supérieur, quelles sont encore vos prétentions ?

Dais l'enseignement supérieur, votre principe est celui-ci : L'enseignement peut être conforme, mais jamais contraire aux dogmes du culte catholique.

Voilà ce que vous essayez de faire prévaloir. Voilà ce que vous avez soutenu, ce que vous avez même tenté de faire déclarer, dans un langage obscur et équivoque, lorsque vous étiez au pouvoir.

Ainsi, l'enseignement supérieur lui-même, vous voulez l'enfermer dans les étroites limites d'un dogme ! Vous voulez que toute opinion contraire à un dogme quelconque du culte que vous professez, soit nécessairement proscrite ; c'est-à-dire que l'enseignement supérieur serait impossible, s'il fallait le renfermer dans les limites que vous voudrez lui assigner.

Ce sont là, messieurs, les prétentions que nous avons combattues, et si, par impossible, elles avaient pu prévaloir, maintenant que je les ai indiquées pour chacun des degrés de l'enseignement, comment aurait-on qualifié le pays dans lequel de pareils principes auraient régné ? Mais on aurait dit, et on aurait eu parfaitement raison de dire qu'il était en pleine théocratie ! On aurait dit qu'il n'y avait qu'un seul pouvoir dans l'Etat, le pouvoir religieux ! Lui seul eût décidé de tout. Point d'écoles sans sa permission, pas de professeur s'il n'est muni d'un certificat de son curé, et pas d'enseignement supérieur, si ce n'est à la condition de se conformer exactement et en tous points aux prescriptions de l'Eglise.

Une telle situation peut exister dans certains pays, dans les Etats Romains, par exemple ; mais dans notre libre Belgique, elle serait, j'imagine, peu conformé aux principes constitutionnels et aux principes de liberté dont vous vous prétendez les défenseurs.

M. de Liedekerke). - Et même à nos goûts.

MFOFµ. - Même à vos goûts ! Eh bien, je suis fâché dès lors que vous n'ayez pas changé de place pour venir défendre avec nous les principes que je viens d'énoncer, et qui sont quelque peu contraires, je pense, à ceux que votre parti soutient.

Nous venons de voir comment vous compreniez les prescriptions constitutionnelles relatives à l'enseignement. Voyons maintenant ce que vous voudriez faire d'une autre liberté, que proclame également la Constitution, et au nom de laquelle l'honorable M. Dumortier vient de s'exprimer avec tant de chaleur.

La liberté d'association, comment l'entendez-vous et comment l'entendons-nous ?

Pour nous, le droit d'association c'est le droit qu'ont tous les citoyens de s'unir dans un but quelconque, religieux, philosophique, politique, industriel, littéraire, commercial. C'est le droit des individus.

Mais pour vous, qu'est-ce que le droit d'association ? Le droit n'est rien, s'il n'est accompagné d'une fondation, si vous n'avez, directement ou indirectement, la personnification civile ? Car vous ne prétendrez pas, sans doute, que vous soyez gênés dans l'exercice du droit d'association, tel que le définit la Constitution. Il n'y a, Dieu merci, aucun pays au monde où l'on jouisse de plus de liberté sous ce rapport, et où le parti catholique en ait plus largement usé. Mais cela ne vous suffit pas. Du moment que ces associations que vous qualifiez de religieuses, d'associations de bienfaisance, d'associations charitables, ne peuvent pas recevoir de fondations, comme le rappelait tout à l’heure l'honorable M. Dumortier, il y a, selon vous, violation de tous les principes les plus saints et les plus sacrés. La Constitution est alors violée de toutes les façons.

Eh bien, je convie l'honorable M. Dumortier à relire la Constitution.

M. B. Dumortier. - Je la sais par cœur.

MFOFµ. - Vous la savez par cœur ? Eh bien, probablement vous ne savez pas par cœur les discussions qui ont précédé la Constitution ; car s'il est une prétention du parti catholique qui soit contraire à l'esprit clairement révélé de la (page 553) Constitution, c'est bien la prétention à la personnification civile que vous soutenez aujourd'hui, celle qui s'était glissée insidieusement dans le projet de loi de 1857, celle qui a fait alors tressaillir le pays et qui le fera constamment tressaillir, chaque fois qu'il s'agira d'une pareille question. (Interruption.)

Oh ! la question que vous soulevez aujourd'hui, que vous avez essayé de faire résoudre de tant de façons, et par voie administrative, et par voie d'arrêtés que le pouvoir judiciaire frappait de nullité, et par voie législative quand tous les autres expédients avaient échoué, vous l'avez soulevée à toute époque et à tout propos. Le parti catholique l'a soulevé au Congrès même. Dans le sein du Congrès, on a formulé une proposition en vertu de laquelle les associations religieuses et de bienfaisance (exactement les mêmes termes qu'en 1857) les associations charitables auraient pu recevoir des dons et legs, à concurrence d'une somme déterminée pour chacun des membres composant ces associations.

Quel accueil le Congrès a-t-il fait à cette proposition, que l'on s'était efforcé de renfermer dans les termes les plus modestes, afin d'obtenir au moins que le principe fût consacré ? Je vous le demande à vous tous, à ceux surtout qui soutiennent aujourd'hui que c'est en vertu de la Constitution que le droit de fonder existe ? Eh bien, le Congrès l'a formellement écartée ; le Congrès a rejeté successivement cette proposition, qui lui a été soumise par amendement sous trois ou quatre formes différentes, et il l'a rejetée après une discussion dans laquelle on a vu se produire ce que nous rencontrons encore aujourd'hui : D'une part, l'honorable M. de Sécus, l’homme de confiance du parti catholique, disant : « Vous croyez apercevoir les couvents derrière ce droit que nous désirons faire reconnaître aux associations religieuses et de bienfaisance ? Détrompez-vous ; ce droit est limité de telle manière qu'il ne pourra en résulter aucune espèce de préjudice pour la société. Mais il faut qu'il y ait dans la société autre chose que de simples associations ; il faut qu'il y ait des corporations qui permettent de perpétuer l'œuvre (précisément ce que vient de répéter l'honorable M. Dumortier). Ce résultat ne peut être obtenu, ajoutait l'honorable M. de Sécus, que par la personnification civile et par les fondations. » Et il avait parfaitement raison !

Mais qu'ont objecté alors les honorables membres du Congrès, que nous n'objections encore nous-mêmes aujourd'hui ? Pas de privilège ! se sont-ils écriés ; nous proclamons la liberté d'association pour tous les particuliers ; le droit commun doit suffire à toutes les catégories de citoyens. Nous aurons les jésuites, les rédemptoristes, les récollets, les capucins, les carmes, les dominicains, soit ! Qu'ils aient le droit d'exister, de s'associer, nous ne voulons pas nous y opposer. Mais ils viendront ici, ils s'associeront ici comme de simples citoyens, en vertu du droit commun, et ils n'auront aucun privilège, soit comme corporations, soit en vertu de fondations.

Voilà ce qui a été répondu.

Eh bien, malgré cette décision si positive du Congrès, malgré les discussions qui révèlent admirablement l'esprit dans lequel la Constitution a été écrite, le parti catholique n'a pas cessé un jour, n'a pas cessé une heure depuis trente ans de chercher à reconquérir, par des moyens directs ou indirects, par des moyens avoués ou astucieux, ce qui lui avait été refusé alors, et de l'obtenir soit à l'aide de la personnification civile, soit à l'aide de fondations.

Or, si le parti libéral ne s'était pas dressé devant vous pour vous combattre encore sur ce terrain, pour vous arrêter dans ce dangereux entraînement auquel vous ne savez pas résister, que verrions-nous aujourd'hui au lieu de ce qui existe ?

Des associations très respectables assurément se sont formées partout le pays, et nous sommes tous prêts à les défendre, alors cependant que nous pourrions ne pas être le moins du monde d'accord sur l'efficacité du but de leur institution, sur la bonté des résultats qui doivent être la conséquence de leur existence. Mais nous sommes tous prêts à défendre le droit d'association, ne contestant ce droit à personne, pas plus aux capucins et aux récollets qu'aux francs-maçons, le voulant égal pour tous, mais le voulant aussi sans privilège pour personne.

Et, je le demande encore, si nous n'avions pas été devant vous pour vous arrêter, qu'aurions-nous au lieu de ces simples associations ? Nous aurions bel et bien la personne civile, c'est-à-dire le couvent ! Nous aurions la corporation, avec tous ses inconvénients, avec tous les dangers qu'elle présente pour la société.

L'association, messieurs, c'est le libre exercice du droit individuel. L'association naît par la volonté des individus, elle meurt par la volonté de ces individus. La corporation, au contraire, subsiste abstraction faite de la volonté des individus ; elle survit à la volonté de ses fondateurs ; qu'il y ait seulement des administrateurs, et elle se perpétue d'âge en âge, alors même que le besoin social en vue duquel elle a été créée a complétement disparu.

En vertu du droit naturel qu'ont les hommes de s'unir, ils peuvent former telle espèce d'association qu'ils trouvent bon, dans tel but qu'ils jugent convenable. Mais si le besoin social, si l'erreur ou le préjugé qui a fait naître ces associations vient à disparaître, sans peine, sans difficulté, sans trouble, sans embarras, sans le moindre effort, l'association disparaît en même temps.

Mais que la corporation, au contraire, vienne se substituer à l'association, et vous ne pouvez plus la réformer qu'à l'aide de moyens souvent violents, et par conséquent dangereux.

M. B. Dumortier. - Vous savez parfaitement que nous ne demandons la personnification civile que pour les œuvres de bienfaisance.

MFOFµ. - Oh oui ! je le sais parfaitement ! Mais je voudrais bien connaître quel est le couvent auquel on pourrait refuser le titre d'association religieuse et charitable, et qui ne prétend pas accomplir une œuvre de bienfaisance ? Je n'en connais pas ! Dans tous les cas, il n'y en a pas qu'on ne puisse qualifier ainsi, et qui ne puisse aussi, par conséquent, à l'aide de cette qualification, recevoir la personnification civile. Sur ce point même, nous connaissons d'ailleurs vos actes et votre système d'application.

Du reste, encore une fois, reportez-vous aux discussions du Congrès, et voyez si je me fais illusion. Mais à cette époque aussi on faisait les associations toutes petites ; elles étaient insignifiantes ! Qu'est-ce qu'on voulait pouvoir donner en vertu des amendements, successivement présentés ? Qu'est-ce qu'on voulait pouvoir donner à chaque membre, en excluant toute possession d'immeubles ? Mais 150 florins de revenu ! C'était là sans doute une chose bien insignifiante ; et les corporations qu'on voulait ainsi faire admettre étaient parfaitement qualifiées, comme le dit M. Dumortier, d'associations religieuses charitables. Eh bien, c'est cette espèce de corporation que le Congrès, dans sa prévoyante sagesse, n'a pas voulu reconnaître, auxquels il a refusé de conférer la personnification civile et la capacité de recevoir des dons et des legs.

Je n'hésite pas à dire, messieurs, que cette résistance du Congrès a été un véritable bienfait pour la société. C'est qu'en effet il y a, entre l'association et la corporation, une différence importante, essentielle, au point de vue de la sécurité des familles. L'association ne peut recevoir ni dons, ni legs ; le couvent peut les recevoir ; la corporation peut être instituée par testament ; l'association ne peut pas l'être.

Je le répète, et je ne saurais trop y insister, c'est là une différence de la plus haute importance pour la sécurité des familles qui, comme l'histoire nous l'apprend, sont gravement exposées en présence des corporations, tandis qu'en présence des associations, elles sont beaucoup plus préservées. Je ne dis pas sans doute qu'elles le soient complètement ; mais l'association les menace beaucoup moins que la corporation.

Messieurs, l’heure est trop avancée pour que je termine aujourd'hui ; je prie la Chambre de renvoyer la suite de la discussion à vendredi.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.