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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 avril 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 717) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

M. Thienpont, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Dubois appelle l'attention de la Chambre sur l'emploi des fonds perçus par les fabriques d'église. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La dame Blaireau, veuve du sieur Sébille, légionnaire de l'empire, demande un secours annuel. »

- Même renvoi.


« Le sieur Berger, secrétaire communal du Lillois-Witterzée, demande que le traitement des secrétaires communaux soit réglé d'une manière uniforme, suivant la population. »

« Même demande du secrétaire communal de Couture-Saint-Germain. »

- Même renvoi.


« Le sieur Gottlieb Georges-Michel Carrière, ouvrier ébéniste, à Louvain, né à Wesel (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Archange Joseph Descarpenteries, garde-général du charbonnage de Belle-Vue, à Elouges, né à Beuvery (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Huy prie la Chambre de rejeter les dispositions des n°13 et 14 de l'article 21 du projet de loi sur la milice. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner ce projet de loi.

« M. Crombez, retenu à Paris pour affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »

- Ce congé est accordé.


MpVµ. - La Chambre a adopté hier le projet de loi portant modification de l'article 11 de la loi du 21 avril 1810. La section centrale qui a examiné ce projet de loi et à laquelle la pétition de MM. Dandrimont, Pastor et autres membres du charbonnage liégeois avait été renvoyée, propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

S'il n'y a pas d'opposition, ce renvoi est ordonné.

Projet de loi relatif aux fondations en faveur de l'enseignement public ou au profit de boursiers

Discussion générale

MpVµ. - M. le ministre se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?

MTJµ. - La discussion peut s'ouvrir sur le projet de la section centrale.

Les modifications ne sont ni nombreuses ni importantes. Je ferai mes observations à mesure de la lecture des articles.

MpVµ. La discussion s'ouvre donc sur le projet de la section centrale.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - C'est sous l'empire d'un profond sentiment de tristesse et d'inquiétude que je prends la parole dans le grand débat qui s'ouvre aujourd'hui. Je m'afflige de voir, dans un temps où toutes les garanties sont si faibles, où tous les droits sont si aisément contestés, le gouvernement méconnaître des garanties solennelles et des droits qui jusqu'à ce moment avaient été respectés. Je me demande avec anxiété ce que peut produire un système qui, substituant sans cesse le prétexte de l'utilité publique à la justice et celui de l'intérêt public au droit privé, tend à déplacer, au profit d'un pouvoir politique chancelant et transitoire, cet esprit d'initiative et d'action spontanée qui est la grande puissance des sociétés modernes.

Les circonstances mêmes au milieu desquelles nous abordons ce débat semblent en accroître la gravité.

Pourquoi le gouvernement a-t-il pressé cette discussion avec une vivacité, une ardeur singulière ? Etait-ce donc celle qui répondait avec le plus d'urgence aux besoins et aux réclamations du pays ?

La loi sur les fondations en matière d'instruction a été portée à la Chambre, le 13 novembre dernier. Le même jour était déposé sur son bureau un autre projet de loi, qui, selon le discours du Trône de 1861, devait réaliser une réforme appelée depuis longtemps. Je veux parler de la loi de milice qui touche à toutes les classes, à toutes les familles, aux sentiments les plus légitimes, aux intérêts les plus chers des populations. La loi de milice a été sacrifiée, elle a été reléguée au second rang et (il n'y a que trop lieu de le craindre) elle ne sera pas discutée dans cette session.

Plus récemment, la Chambre a été saisie d'un projet de loi portant concession de 700 kilomètres de chemins de fer, destinés à favoriser le développement du commerce et de l’industrie. Il eût été facile de s'en occuper dès aujourd'hui, puisque le rapport de l'honorable M. d'Hoffschmidt nous a déjà été distribué. Et néanmoins ce projet, si important, a été ajourné jusqu'à la fin de la session, et sera peut-être abandonné aux hasards d'une discussion précipitée et incomplète.

Quel motif y avait-il donc de hâter ainsi le débat que nous abordons ? Serait-ce la préoccupation des élections prochaines ? La loi sur la milice, rédigée non pas au point de vue étroit où elle a été présentée, mais en tenant compte des progrès de la science militaire et surtout des intérêts si importants des populations, eût assuré bien plus de popularité au gouvernement et je l'en eusse félicité.

S'agirait-il peut-être de donner un gage à certaines associations qui ont inscrit cette réforme dans leur programme et qui, nées pour les luttes, ne voient autour d'elles qua des vainqueurs et des vaincus ? Mais au-dessus de ces associations isolées n'avons-nous plus un gouvernement sage qui comprenne que c'est le respect des droits de tous qui, seul, peut assurer l'appui de tous au gouvernement. Et quel est ce gage ?

Sur quel terrain faut-il détruire l'œuvre du passé et enchaîner l'avenir ; sur quel terrain faut-il asseoir ce travail de contrainte et d'étroite réglementation ? Sur le terrain de l'instruction qui a surtout besoin de liberté, de l'instruction en ce qu'elle a de plus digne de sympathie, de l'instruction ouverte aux déshérités de la fortune. Et l'on arrive ainsi à se heurter violemment contre deux grands intérêts sociaux, contre deux grands principes de civilisation le libre accès des capacités aux carrières libérales, et le développement des sciences et des arts par le libre accès des capacités.

Mais en supposant que ce gage rallie certaines opinions avancées qui ont peur de la liberté et n'aspirent qu'à la domination, croyez-vous qu'il soit d'une bonne politique de compromettre pour un succès d'un moment tant d'intérêts durables et d'un ordre si élevé ? Est-il permis d'ailleurs d'oublier que, s'il est en Europe un pays où les mœurs repoussent énergiquement un monopole de l'Etat, en quelque matière que ce soit et surtout en matière d'instruction, ce pays est certainement la Belgique ?

Pour moi, j'aime à croire que la majorité de cette assemblée saura se placer au-dessus des préoccupations étroites d'un intérêt de parti, je pourrais dire d'un intérêt de circonstance, pour aborder avec le sentiment du devoir qui lui est tracé, c'est-à-dire avec impartialité l'examen des dispositions du projet de loi soumis à la Chambre, et je me hâte de reconnaître que si l'honorable rapporteur de la section centrale s'est montré fort hostile à tout ce qui n'est pas l'enseignement de l'Etat, il a du moins fait preuve d'impartialité en sacrifiant également à l'Etat l'université libre de Bruxelles et l'université catholique de Louvain.

Comme l'honorable M. Bara, j'écarterai de ce débat l'université de Louvain et l'université de Bruxelles. S'il est bien établi que les boursiers choisissent librement les établissements d'instruction (et nous voulons qu'en l'absence de la désignation expresse des fondateurs, l'exercice de ce droit leur soit pleinement assuré), peu importe que les boursiers préfèrent soit Gand, soit Liège, soit Louvain, soit Bruxelles. Nous n'avons pas à leur demander compte de ce qu'ils font. Ce choix libre est au contraire garantie pour l'émulation et le développement des établissements d'instruction.

Comme l'honorable M. Bara, je suis convaincu qu'il convient de bien préciser les divers points de la discussion et je me propose de les traiter successivement en remontant aux principes et en interrogeant les textes de lois. Dans cette discussion étendue et difficile, je réclamerai l'indulgente attention de la Chambre.

L'importance de la question est reconnue par tout le monde.

M. Bara dit fort bien :

« L'institution des bourses d'études répond à une nécessité sociale. La société aurait bien vite perdu ce caractère démocratique qui fait sa force (page 718) si le peuple et la bourgeoisie n'avaient le moyen de s'élever par l’instruction, si les connaissances devaient être exclusivement le patrimoine des riches et si tout ce qu'il y a d'intelligence dans les classes inférieures était condamné à l'inaction. Les bourses d'études ont pour but de réaliser, dans la mesure du possible, l'égalité de tous quant aux moyens de s'instruire et de procurer à la patrie le plus grand nombre d'hommes intelligents et éclairés. »

Voilà un excellent langage, auquel j'applaudis.

Le développement de l’instruction est assurément dans le vœu de nous tous. Nous en voulons tous les progrès ; nous en proscrivons tous les abus. Nous entendons par progrès tout ce qui peut contribuer à mettre à la portée du plus grand nombre les lumières de notre temps et de notre civilisation ; nous repoussons comme abus tout ce qui tendrait à entraver et à retarder ces progrès.

Comme conséquences de ces prémisses, voici quelle serait selon nous, la solution de toutes les difficultés et de toutes les controverses :

En présence de l'article 17 de la constitution, proclamer les principes les plus larges et les plus libéraux ; mais en même temps, et comme sanction même de cette liberté, attribuer à l'Etat le contrôle le plus sévère et le plus efficace.

Le devoir du gouvernement est de respecter non pas nominalement, mais aussi efficacement que cela dépend de lui, la liberté de l'enseignement.

Son droit est de surveiller et de réformer au besoin l'administration des fondations faites en faveur de l'instruction.

Cependant, si l’on jugeait qu'il est utile de s'assurer d'autres garanties pour les fondations qui seraient faites à l'avenir, rien ne s'y opposerait.

Si vous craignez les abus des fondations qui arrêtent la transmission de la propriété et qui s'ont aussi contraires aux intérêts des particuliers qu'à ceux du trésor, déclarez qu'à l'avenir les fondations ne pourront comprendre d'autres immeubles que le siège de l’établissement fondé, que pour le surplus elles devront être complètement mobilières ; si d'autre part, vous redoutez l'amoindrissement exagéré des patrimoines, si le patrimoine héréditaire, totalement réduit par la loi des successions, vous paraît tout à coup, comme principe de stabilité et d'ordre, mériter une légitime sollicitude, augmentez la réserve au profit du fils ; établissez même une réserve, en cas d'absence de descendants, au profit des collatéraux du second degré, c'est-à-dire du frère et de la sœur. Multipliez ce qui assure le contrôle de l'Etat ; affermissez ce qui garantit les intérêts de la famille ; nous chercherons, comme vous, ce qu'il y a de mieux à faire pour parvenir à ce but et avec le sincère désir de l'atteindre.

Certes, s'il s'était agi de sauvegarder des intérêts aussi respectables que ceux qui sont engagés dans la discussion des bourses d'études, on comprendrait difficilement que nous n'eussions pas été unanimes pour les favoriser et les protéger.

C'est à un ordre d'idées bien différent que s'est inspiré le projet que nous discutons, et pour bien en apprécier les tendances et le caractère, il est utile de comparer l'exposé de M. le ministre de la justice qui est parfois (s'il m'est permis de le dire) vague et timide, et le rapport de l’honorable M. Bara qui développe les motifs de ce projet de loi, en termes vifs et énergiques, qui me semblent peu conciliables avec les principes inscrits dans la Constitution.

L'émotion qui a accueilli la présentation du projet de loi ne s'est pas produite, comme le dit l'honorable M. Bara, parce qu'il en sera ainsi « pour toute loi qui touche de près ou de loin à l'instruction, » mais parce que jamais projet de loi, tout en permettant dans la forme à l'instruction libre de vivre, n'a été si loin au fond pour lui défendre de vivre.

Déjà ce qui s'est passé dans l'examen du projet de loi depuis qu'il est arrivé à la Chambre, démontre combien la gravité en a été comprise.

Dans les sections la loi a été rejetée par 38 voix contre 28 et une abstention.

Dans les quatre sections dont les votes sont analysés page 27 du rapport de l'honorable M. Bara, l'article 49 sur la rétroactivité a été repoussé par 29 voix contre 16 et 7 abstentions.

Et dans la section centrale, les délégués des diverses sections se sont trouvés partagés, et parmi ceux qui ont adopté la loi, il en est un qui, dans une note du travail de M. Bara, a fait des réserves sur une des questions les plus importantes.

Nous sommes donc en présence d'un projet qui n'a recueilli que la minorité des suffrages dans les sections, et d'un rapport qui n'est pas, au moins dans son ensemble, l'expression de la majorité de la section centrale.

Nous avons dit comment la question a été introduite à la Chambre ; il nous reste à en faire l'objet de notre examen.

La fondation est un véritable contrat.

Tout contrat exige l'intervention, active ou tacite, réelle ou fictive, d'autant de personnes qu'il en faut pour que le contrat puisse produire ses fruits. Dans les actes de fondation de bourses, ces personnes sont au nombre de trois : le fondateur, le collateur et le boursier. Supprimez le fondateur, il n'y a rien à donner ; supprimez le collateur, il n'y a plus personne qui remette le bienfait et qui choisisse le bénéficiaire ; s'il n'y a pas de boursier, personne ne reçoit, et la fondation reste sans application. Il y a donc là trois positions nettement tracées et donnant toutes les trois ouverture à un droit borné pour le fondateur à la durée de sa vie, mais perpétuel pour le collateur et pour le boursier. De là il résulte que tout individu qui se prétend ou collateur ou boursier, peut venir débattre son droit devant les tribunaux. C'est un droit civil spécial.

Voyons d'abord qui peut fonder des établissements d'instruction supérieure.

D'après le projet, c'est l'Etat dans son omnipotence ; ce sont ensuite les particuliers dans les limites les plus restreintes.

Mais dès que j'aborde cette discussion, je me trouve en présence d'une omission considérable, je veux parler de celle de la commune.

En Belgique, la commune n'est-elle pas l'égale de l'Etat ?

En Belgique, la commune n'est-elle pas la véritable base de l'Etat ?

M. Bara reconnaît que la commune tient ses droits d'une source supérieure à la loi, et s'il en est ainsi comment la loi viendrait-elle lui contester ce qui, certes, ne peut constituer une usurpation, puisqu'un acte de ce genre ne froisserait en rien ceux de l'Etat ?

« La formation de la société, dit l'honorable M. Bara, a nécessité la création de deux personnes fictives ; la commune et l'Etat. La commune, réunion de citoyens habitant le même territoire et ayant dès lors de nombreux intérêts communs, représentait des besoins spéciaux qui, pour être satisfaits, devaient nécessairement avoir des organes particuliers et donner naissance à un être doué de capacité. »

Mais si cela est vrai, pourquoi admettre cette capacité pour les établissements d'instruction primaire ? Pourquoi la contester pour les établissements d'enseignement supérieur ?

Les communes peuvent, dit-on, créer des athénées, mais non pas des établissements d'enseignement supérieur. Les uns sont d'intérêt communal, les autres d'intérêt général. Je ne comprends pas cette distinction. Il est assurément d'intérêt général que toute la jeunesse soit instruite. Donc, les écoles primaires et secondaires et les athénées sont d'intérêt général ; mais il n'en est pas moins vrai qu'il est de l'intérêt communal que les jeunes gens ne se bornent pas tous aux premières études et qu'il y en ait qui deviennent des jurisconsultes qui défendront les droits litigieux des habitants, ou des médecins qui veilleront à leur santé.

On admettrait que la commune érige des hospices et des hôpitaux pour tous les genres d'infirmités et des souffrance qu'engendrent les misères humaines et l'on ne voudrait pas que la commune, par des établissements de divers degrés, s'associât à tout ce qui touche à l'intelligence et à la dignité de l'homme, à tout ce qui l'élève, l'éclairé et l'ennoblit.

On sait que cette question présente en ce moment un intérêt tout actuel pour la ville de Bruxelles, et, pour ma part, je comprendrais difficilement que le gouvernement, qui approuve chaque année le budget communal où figurent des allocations en faveur de l'université libre, pût s'opposer à ce que la ville acceptât une libéralité destinée exactement au même emploi

Voilà ce qui concerne le droit des communes.

Examinons maintenant quel sera le droit des citoyens.

Peut-il encore être permis de créer des établissements d'instruction publique qui soient des personnes civiles ? Un homme riche qui voudrait attacher son nom à un établissement d'instruction afin que pendant une longue suite de générations on y donnât à des boursiers l'instruction telle qu'il la comprend, le pourrait-il encore ? Il aurait le légitime désir de pousser la science dans des voies nouvelles, restées étrangères aux établissements de l'Etat : ne le pourrait-il pas ? Mais si cela avait été défendu naguère, il lui eût été impossible, il y a quelques années, de créer, en dehors de l'enseignement public, une chaire d'économie politique, de statistique, de chimie appliquée à l'agriculture ! Il faut aller plus loin. Si ce système avait été adopté dans les temps qui ont précédé le nôtre, l'Europe serait encore plongée dans les plus épaisses ténèbres, et pour ne citer qu'un seul pays que serait l'Angleterre aujourd'hui si elle n'avait dû à des libéralités particulières les nombreux collèges qui ont fait la gloire de Cambridge et d'Oxford ? La défense de léguer des immeubles, ne serait-elle pas suffisante ? Je ne veux pas toutefois aller si loin, et je me borne à demander que le droit de créer des personnes civiles en (page 719) matière d'instruction soit inscrit dans le projet de loi avec la garantie la plus haute, je veux dire, avec la sanction du vote de la législature. Un établissement de ce genre qui recevrait une si solennelle approbation ne serait pas seulement l'honneur d'un fondateur : ce serait aussi l'honneur de la nation. Quels seront donc les droits des fondateurs futurs ? Pourront-ils nommer des collateurs et des administrateurs spéciaux ?

En ce qui touche les administrations spéciaux, je consens à admettre que par leur nombre ils peuvent rendre le contrôle difficile, et je refuserai aux fondateurs le droit de les désigner. Ce sera aux autorités instituées par la loi qu'appartiendra l'administration.

Qu'adviendra-t-il pour les collateurs ? S'agit-il encore là d'un acte d'administration ?

L'honorable rapporteur de la section centrale observe que le droit de désigner un collateur est inutile aux fondateurs ; mais encore une fois, cela ne peut se justifier. Je fais une fondation, je désire qu'elle profite à des jeunes gens qui en soient dignes, et comment, après ma mort, pourrais-je atteindre ce résultat, si je ne puis désigner comme collateurs des personnes que je choisis entre toutes les autres parce qu'elles ont plus de titres à ma confiance ? Evidemment, si le fondateur ne trouve pas la garantie que son bienfait servira aux fins utiles qu'il se propose, il ne fondera pas.

La fondation est-elle faite au profit de boursiers, sans désignation d'établissement ? Il est certain en ce cas que le boursier ira où il voudra ; mais est-il permis aux fondateurs de désigner, avec obligation de le fréquenter, soit un établissement public, soit un établissement privé ? Je suis tout disposé à l'admettre. Le motif qui en ce cas détermine le fondateur, C'est le désir de faire profiter le boursier d'un enseignement qu'il juge excellent. Le fondateur s'est-il trompé ? L'enseignement d'abord excellent est-il devenu détestable ? En ce cas le remède sera dans le mal même. Cet enseignement détestable qui n'aura pour se soutenir que quelques bourses, bourses qui peut-être ne seront pas réclamées, ne tardera pas à disparaître, et dès ce moment le boursier choisira l'établissement qu'il préfère.

J'ai peine à comprendre pourquoi l'on redoute si vivement de voir le boursier fréquenter des établissements libres.

Vous craignez, dites-vous, qu'on fasse rebrousser la société ou qu'on la précipite dans l'abîme des utopies.

Mais la liberté n'est-elle pas encore le remède à tous ces dangers ? Si les établissements qui existent se laissent aveugler par de fatales illusions dirigées soit vers le passé, soit vers l'avenir, la liberté créera d'autres établissements qui suppléeront à ces fautes et à ces lacunes.

Dans le système du gouvernement, toutes les fondations de bourses doivent désormais profiter aux établissements de l'Etat.

Mais il est permis d'appeler de ce système étroit à la commission de 1849 et même à la discussion parlementaires de 1857.

La commission de 1849, dont M. le ministre de la justice invoque sans cesse l'autorité, avait admis que le collateur pourrait désigner l'établissement que fréquenterait le boursier sans que ceci entraînât pour l'établissement aucune personnification civile. Cette règle était sage, et je regrette qu'elle n'ait pas été conservée dans le projet de loi.

Dans la discussion de 1857, l'honorable M. Frère déclarait que si l'Etat devait être investi du droit de collation, ce ne serait qu'à la condition d'admettre tous les établissements privés à participer au bénéfice des bourses, et il ajoutait qu'en tenant ce langage, il se montrait favorable à la liberté d'enseignement.

J'espère que l'honorable M. Frère ne se montrera pas, sur ce point, moins favorable à la liberté d'enseignement en 1863 qu'en 1857.

Si l'exclusion des établissements privés devait être prononcée, je demanderais, comme l'insinue l'honorable M. Bara lui-même, que la désignation de l'établissement public fût interdite comme on veut interdire celle de l'établissement privé et que la liberté du boursier restât entière.

La collation peut d'après le projet de loi être accordée à des parents. Une section de la Chambre a demandé pourquoi le fondateur qui n'aurait pas de parents ou qui les jugerait peu propres à être collateurs, ne pourrait pas instituer le droit de collation dans une autre famille que la sienne. Assurément rien ne s'y oppose.

Mais ici une question grave se présente. C'est la collation à raison de certaines fonctions.

La commission de 1849 avait admis que la collation pourrait être conférée à raison d'un titre ou d'une fonction.

Le projet de loi proscrit ce genre de collation, et néanmoins il faut bien reconnaître que le fondateur peut placer autant de confiance dans un magistrat ou dans un membre du clergé que dans un héritier dont les talents, dont les vertus ne reposent pas même sur la base d'une présomption. Le projet de loi fait une exception pour les études théologiques, dont il confère la collation aux bureaux administratifs des séminaires. Mais ici encore, une autre objection se présente. C'est la loi qui organise les bureaux administratifs. L'élément laïque peut par des dispositions nouvelles être appelé à y dominer, et l'on reconnaîtra volontiers que c'est bien aux divers cultes qu'il faut abandonner le soin de pourvoir aux bourses de théologie.

J'aurais voulu une disposition qui eût porté qu'à l'avenir, le droit de collation ne pourrait être conféré à raison d'une fonction qu'autant que la fonction désignée serait du même ordre que les études à suivre par le boursier. Ainsi, j'admettrais que les bourses pour l'étude du droit puissent être conférées par des fonctionnaires de l'ordre judiciaire, celles qui se rapportent aux sciences par l'Académie des sciences, celles qui concernent la médecine, par l'Académie de médecine, celles qui concernent la théologie, par des membres du clergé. Cette disposition serait une garantie pour l'emploi du droit de collation, et en même temps elle préviendrait tout empiétement, toute usurpation. J'aurais ainsi élargi la liberté des fondateurs, et je leur aurais donné une garantie nouvelle qui aurait pu contribuer à multiplier les fondations.

C'est aussi par respect pour la volonté du fondateur que je repousse cette autre disposition du projet de loi qui adopte la règle posée par l'article 900 du Code civil, règle exorbitante. Si le but de la fondation est noble et digne d'encouragement, ii faut l'avouer et le proclamer ; s'il est honteux et hostile aux bonnes mœurs, il ne faut pas séparer de votre réprobation la disposition même à laquelle est attachée l'expression de cette intention. Si un fondateur lègue une somme pour enseigner la débauche, ce n'est pas à l'instruction morale de la jeunesse qu'il faut employer cette somme. La disposition dans laquelle est exprimé ce honteux mobile doit être rayée toute entière.

Je ne crois pas que la disposition de l'article 900 du Code civil place la volonté de la nation au-dessus de celle des citoyens, je ne crois pas que ce soit ainsi, pour emprunter le langage de l'honorable M. Bara, qu'on maintiendrait la majesté delà loi devant les caprices d'un moribond. Etrange vengeance, étrange châtiment exercé par la société contre un homme, au moment où cet homme isolé choisit la société pour l'objet de ses bienfaits !

Mais que ferez-vous pour les anciennes fondations ?

Considérerez-vous aussi comme non écrites celles où l'on prescrit aux boursiers d'étudier à l'université de Louvain et celles où l'on a inséré une clause de retour si les règles prescrites pour la collation n'étaient pas observées ? Il y en a un assez grand nombre de cette catégorie.

Je me résume en disant qu'à l'avenir, d'après le projet de loi, l'enseignement supérieur donné par l'Etat sera le seul auquel des chances de durée puissent être assurées. Désormais l'enseignement privé ne pourra lutter qu'avec des forces limitées et, si je puis parler ainsi, viagères. La commune ne pourra pas, même temporairement et viagèrement, constituer un enseignement supérieur.

Ainsi l'Etat seul peut fonder efficacement.

Si des particuliers font des fondations, c'est l'Etat qui les approprie à ses établissements.

Comme conséquence de ce système, l'Etat, sauf une seule exception, est toujours collateur.

Et ce système ne formerait pas un monopole au profit de l'Etat ? Et ce serait là le rôle du gouvernement d'un pays libre ?

« Un véritable gouvernement, dit M. Ancillon, doit tendre à mettre un peuple en état de se gouverner lui-même par sa propre intelligence et sa propre liberté. »

Mais le projet va bien plus loin, à l'article 49 il ne se borne plus à organiser pour l'avenir. Il supprime les collations existantes si elles sont entre les mains de personnes étrangères à la famille.

Il n'y a pas de rétroactivité, déclare M. le ministre. Il y a rétroactivité, confesse M. Bara, mais elle est licite.

Chose étrange ! Dans l'exposé des motifs du projet de loi, chapitre IV, page 15, il n'y pas une ligne pour justifier l'article 49.

On se borne à dire ailleurs qu'au chapitre IV le projet de loi s'occupe de l'administration des fondations, et c'est là toutefois que se trouve l'article 49 qui dispose rétroactivement en matière de collations.

Je sais que M. le ministre de la justice, pour contester la rétroactivité, s'efforce de confondre la collation et l'administration.

Tel a été le thème choisi par M. le ministre de la justice lorsqu'il me fit l'honneur de me répondre, dans la séance du 17 mars, que je n'avais pas le droit de parler de rétroactivité.

Assurément cette question de la rétroactivité est très grave aux yeux de M. le ministre de la justice, et l'on comprend fort bien que M. Bara ait écrit dans son rapport : « Une loi qui ne se justifierait pas du (page 720) reproche de porter atteinte à la propriété et de violer la volonté des mourants serait un malheur public. » Aussi ne puis-je oublier que lorsque le 14 mars dernier, je déclarais à M. le ministre des finances en faisant allusion au projet de loi actuel que j'adhérerais à toutes les mesures qui auraient pour but un contrat sérieux, mais que je repousserais tout principe de rétroactivité, M. Devaux me fit l'honneur de répliquer : « Pourquoi attaquer une loi qui n'est pas encore soumise à la discussion ? Pourquoi vous élever contre un article où vous croyez découvrir la rétroactivité ? Qui vous dit que cet article sera maintenu ? ! Non-seulement cet article a été maintenu, mais il se trouve justifié par M. le ministre et par M. le rapporteur de la section centrale de deux manières toutes différentes.

Selon M. le ministre, il ne s'agit que d'administration et M. le ministre confond l'administration, qui n'est qu'un fait soumis au contrôle de l'autorité politique, et ce qu'on appelle, et que le projet de loi aussi appelle le droit de collation.

Selon l'honorable M. Bara, la collation, qu'il distingue formellement du fait de la gestion, est un droit, mais un droit politique et par suite soumis à la. rétroactivité.

L'honorable M. Bara ne nie pas qu'il y ait une disposition rétroactive. Il reconnaît qu'il y a, en faveur des collateurs actuels, des droits acquis ; mais il observe que la rétroactivité a toujours été admise dans les lois politiques. Or, d'après l'honorable représentant de Tournai, la loi que nous discutons est une loi politique.

M. Baraµ. - Je n'ai pas reconnu cela.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Il y a lieu de faire une distinction importante.

Oui, il y a dans le projet de loi des dispositions essentiellement politiques ; mais l'article 49, auquel s'applique précisément la rétroactivité, n'est aucunement politique : il est tout à fait de droit civil.

Les droits politiques sont ceux qui règlent d'une manière générale les rapports de l'Etat avec tous les citoyens.

Les droits civils sont ceux dont la loi civile garantit les avantages aux citoyens.

Le droit de fonder une personne civile, ce droit que je voudrais à l'avenir ne voir établi que par mesure législative, est un droit d'ordre public, un droit politique. Depuis longtemps en Belgique, en France et en Angleterre, lorsque la fondation est en immeubles, il faut l'autorisation de la loi pour créer ces personnes civiles. Au XVIIIème siècle, ces autorisations étaient aussi solennelles et revêtues de la même formule exécutoire que les lois de cette époque.

Ainsi ces fondations ne pouvaient exister qu'en vertu d'une approbation supérieure ; mais une fois cette approbation donnée, elles avaient une existence propre, elles pouvaient ester en justice ; mais n'est-ce pas aussi ce qui arrive pour les sociétés industrielles autorisées par arrêtés royaux ?

Les fondations admises et reconnues, elles restaient subordonnées quant à l'exécution de leurs dispositions, quant à la surveillance de leur administration, au contrôle de l'Etat. M. Faider mentionne la nomination d'un inspecteur chargé expressément de veiller à ce que les bourses fussent employées conformément à la lettre et à l'esprit des fondations.

Ainsi, l'approbation de la fondation et la gestion de la fondation, en ce qui touche tant l'administration des fonds que l'application des fonds au but indiqué, tout cela était d'ordre public.

Mais sous la garantie de cette approbation et de cette protection, il restait un acte régulier constatant un droit sui generis soumis à la juridiction civile, et rien n'est plus simple, et il suffirait peut-être, pour le démontrer, de mettre en regard l'article 92 de la Constitution, qui déclare que les tribunaux ne connaissent que des droits civils, et le nouvel article 48 introduit par la section centrale qui défère aux tribunaux les différends entre les bénéficiaires et les collateurs.

Mais il est d'autres arguments que je ne dois pas négliger.

J'ai déjà dit que M. le ministre de la justice déclarait suivre les traces de la commission de 1849. A ce titre, il est intéressant de rechercher si la commission de 1849 a distingué la collation et l'administration, et, en second lieu, si elle n'a pas reconnu, comme je le fais, que l'administration relève des droits politiques, mais que la collation est de droit civil.

Je lis, page 92 des procès-verbaux de la commission de 1849 :

« Les fondateurs n'ont aucun intérêt à ce que la gestion des biens de bourse se fasse par telle personne ou par telle institution plutôt que par telle autre. Ils n'ont d'intérêt réel qu'au respect du droit de collation : et à cet égard aucune difficulté n'est soulevée. »

Et plus loin, page 104 :

« Il s'agit, en définitive, dans l'espèce, de la validité d'un acte, de la reconnaissance d'un droit civil, en un mot, d'une question d'intérêt privé et non d'ordre public. »

Plus loin encore, page 156 :

« Un membre. - Ce principe posé, je me demande ce que c'est que le droit de conférer la bourse ; ce droit a un caractère mixte : il y a du civil et du public. Dès lors, un étranger pourra-t-il être collateur ?

« Un autre membre. - Je ne puis voir dans la collation l'exercice d'un droit public, c'est une application d'un véritable droit civil qui reposait sur la tête du fondateur.

Je citerai cet autre passage que je rencontre, page 205 :

« Nous avons reconnu que, dans les fondations, il y a du droit civil et du droit public. Pour compléter ma pensée, je dirai que tout ce qui touche à la propriété des biens ou aux droits de ceux qui doivent jouir des biens, à titre de boursiers ou de toute autre manière constituerait du droit civil ; mais je verrais du droit public dans tous les points qui se réfèrent à l'administration. »

Il y a quelques années l'honorable M. Tesch, en reconnaissant que la collation est un droit civil, s'efforçait de faire une distinction entre l'exercice et le droit par les familles ou par des personnes investies d'une fonction ; mais rien ne justifie cette distinction puisque les collateurs à titre d'office exerçaient les mêmes droits et relevaient de la même manière de la compétence des tribunaux. A l'époque où ces fondations ont été faites, ni la loi, ni la jurisprudence, ni l'usage n'admettaient aucune distinction, et Van Espen, dont l'autorité ne saurait être contestée, n'en faisait point quand il disait que la fondation établissait au profit des collateurs une véritable propriété sui generis, non seulement le jus ad rem, mais le jus in re.

Je compléterai ces citations en renvoyant à la page 214, où l'on voit que la commission de 1849 vota le maintien du droit de collation des bourses dans son intégrité, tel qu'il était réglé par les actes de fondation ; c'est donc contrairement à ses vues que la rétroactivité a été introduite dans le projet de loi.

Tout ceci c'étaient singulièrement la question.

La fondation résulte parfois d'une donation, le plus souvent d'un testament, ces actes remontent le plus souvent à une époque où la collation à raison d'offices était assimilée aux collations de famille, ces collations, entre lesquelles on ne distinguait pas, créaient des droits civils identiques. En en dépouillant aujourd'hui ceux qui en ont été investis en vertu d'un droit qui, au moment où ils sont devenus collateurs, était incontestable, ne commettrait-on pas un fait de rétroactivité ?

Si, laissant de côté les dénégations de M. le ministre de la justice et les aveux de M. Bara, nous demandons la solution de cette question aux jurisconsultes, cette solution sera affirmative.

En effet, pour qu'une loi soit rétroactive, il suffit qu'elle revienne sur un fait antérieur pour en changer les effets au préjudice de personnes intéressées, c'est-à-dire ayant un droit déjà établi sous l'empire de la loi précédente.

« Tels sont, dit Merlin, les droits que nous a conférés un testament dont l'auteur est décédé. »

Tout ce qui résulte d'un contrat est également à l'abri des lois rétroactives.

Il y a donc rétroactivité, et une odieuse rétroactivité, car elle consiste à dépouiller des personnes privées par la loi au profit de la loi elle-même.

Mais c'est surtout au point de vue des principes supérieurs du droit de législation que je m'élève contre l'article 49, contre cet article 49 qui, je ne puis en douter, sera modifié par quelque amendement voté par la grande majorité de cette assemblée. « Nous faisons la loi et nous la violerions ; nous demanderions le respect des lois que nous avons faites et nous ne respecterions pas nous-mêmes ce qui était consacré par la loi d'un autre temps. » Oh ! s'il devait en être ainsi, les inquiétudes que j'exprimais en commençant ce discours, seraient pleinement confirmées, car il faudrait résoudre affirmativement la question posée par M. Bara, et nous serions réduits à dire : « Votre loi n'a pu se justifier de l'accusation dont elle était l'objet : elle est donc un malheur public. »

J'ai voulu rechercher comment les législateurs qui nous ont précédés ont apprécié, non pas seulement au point de vue de l'application par les tribunaux, mais surtout au point de vue de la législation, ce principe, si contraire à nos mœurs, de la rétroactivité. En l'an III, on le jugeait si sacré qu'on l'inséra dans la déclaration des droits de l'homme qui précédait la nouvelle Constitution.

Plus tard, lors de la rédaction du code civil, Portalis, orateur du gouvernement du corps législatif, remarquait qu'il était utile de consacrer une maxime à laquelle le législateur est lié par sa conscience et à laquelle il se lie encore par ses propres lois.

M. Thiessé, orateur du tribunat, disait :

(page 721) « C'est au législateur à bien se pénétrer de ce principe ; c'est à lui de ne jamais proposer ni adopter de pareilles lois. »

Portalis ajoutait dans une autre discussion :

« Il est des vérités utiles qui doivent sans esse frapper l'oreille du magistrat, du juge, du législateur, parce qu’elles doivent constamment être présentes à leur esprit. L'office des lois est de régler l'avenir : le passé n'est plus en leur pouvoir... Loin de nous l'idée de ces lois à deux faces qui, ayant sans cesse un œil sur le passé et l'autre sur l'avenir, dessécheraient la source de la confiance. »

Grenier exprimait la même pensée avec non moins d'énergie :

« C'est là une règle éternelle qui, quand elle ne serait écrite dans aucune loi, serait gravée dans tous les cœurs : elle peut être considérée comme un précepte de morale. Mais c'est la morale de la législation. »

Eh bien, messieurs, la disposition que je combats est précisément une de ces dispositions législatives à deux faces qui sont inévitablement destinées à dessécher la source de confiance et qui tournent un œil vers le passé et l'autre vers l'avenir, et je déclare comme Grenier « que l'admettre, ce serait violer la morale et la législation. »

Voilà ce qu'est le projet de loi, mais pour mieux nous en rendre compte, il faut se demander aussi quelle sera son influence.

Oh ! je sais bien qu'en ce qui touche le passé, l'œil de la loi qui sera tourné de ce côté, y découvrira l'œuvre des siècles précédents pour l'engloutir et l'absorber, mais quel est le but de la loi. C'est de faire créer de nouvelles fondations.

« Le projet de loi, dit M. le ministre de la justice, tend à consacrer la faculté de créer de nouvelles fondations. » Et vous croyez sérieusement que vous atteindrez ce but ; qu'il y aura des fondateurs disposés à favoriser un enseignement qui ne sera pas celui qu'ils préfèrent, qui ne sera pas celui qu'ils auront organisé eux-mêmes, mais l'enseignement organisé par l'Etat ; vous croyez qu'ils viendront offrir leurs bienfaits à des établissements dont l'existence est parfaitement assurée par le budget de l'Etat ? Jamais.

En cet état de choses, la situation future sera-t-elle meilleure que la situation actuelle ? Mais qu'est la situation actuelle elle-même ? Y a-t-il de 1816 à 1862 un grand nombre de libéralité au profit des établissements de l'Etat ? Combien y en a-t-il ? Y en a-t-il eu une seule ? Pas une seule.

M. le ministre de la justice a eu l'obligeance de nous communiquer le tableau de toutes les bourses créées du temps du gouvernement des Pays-Bas et depuis 1830. J'écarte celles où figure la théologie principalement ou accessoirement.

En ne tenant pas compte de 40 fondations faites pour la théologie, je trouve 3 fondations de bourses de 1816 à 1830 et 2 fondations de bourses de 1830 à 1862 et encore l'une d'elles prescrivait-elle d'étudier à l'université de Louvain.

Comparez, je vous prie, messieurs, cette situation avec celle du siècle dernier où il y avait certes moins d'opulence et de prospérité, et qui a néanmoins été si généreux en fondations qu'en 1837 M. Verhaegen, si je ne me trompe, comptait encore plus de sept cents bourses conservées jusqu'alors ; et qu'on ne dise point que toutes les études du XVIIIème siècle étaient consacrées à la théologie. Le président de Nény nous apprend que de son temps, sur 58 professeurs de l'université de Louvain, il y en avait 14 pour les études ecclésiastiques, 8 pour le droit, 8 pour la médecine, 1 pour les mathématiques, 10 pour les lettres, et 17 pour la philosophie.

J'ai donc bien le droit de dire que non seulement votre loi est mauvaise, mais qu'elle ne contient qu'une seule disposition puissante et efficace : celle de la rétroactivité. Pour l'avenir, elle sera stérile.

Et c'est dans ce but si étroit qu'on vient proclamer des principes si opposés à nos institutions et à nos mœurs, la centralisation, le monopole, au profit de l’autorité souveraine de l'Etat, l'intérêt public justifiant toutes les usurpations !

Mais je voudrais demander à l'honorable rapporteur de la section centrale, comment il justifie son système. Certes, je le crois très convaincu des bienfaits de l'instruction, très convaincu aussi qu'il faut la répandre le plus possible, et son œuvre, je regrette de le dire, est un manifeste de compression intellectuelle.

Il est vrai que M. Bara reconnaît que le monopole de l'Etat, en matière d'instruction, rétrécit l'esprit public et empêche l'essor de la science, et, d'autre part, « que la liberté d'enseignement est certainement un principe utile, fécond en heureux résultats. »

Si M. Bara était logique, il en résulterait que même en matière de fondations, il ne faut pas créer un monopole en faveur de l'Etat, et que dans cette question comme dans toutes les autres, il faut maintenir tout ce qui peut soutenir et développer la liberté de l'enseignement.

Il est assez étrange de voir des prémisses, si heureusement exprimées, conduire aux idées les plus exclusives de centralisation et de monopole, d'adulation pour le monopole de l'Etat, d'hostilité pour l'enseignement privé. Voici, sur ce point, le système de l'honorable M. Bara.

L'instruction est une matière toute politique.

Toutes les lois qui régissent l'instruction sont des lois politiques.

Dans les questions politiques, il n'y a pas de droit qui ne doive faire place à l'intérêt de l'Etat.

L'instruction publique a été et doit toujours être le reflet de l'Etat.

La concurrence peut être utile, mais seulement comme aiguillon.

C'est l'instruction officielle seule qui doit posséder des garanties de vie et de durée.

Et c'est dans une Chambre belge, en présence de l'article 17 de la Constitution, que ce système se produit !

M. Bara ajoute : le progrès, but de la société, peut être arrêté par l'enseignement privé ; il ne peut pas l'être par l'enseignement public.

Mais il me serait facile d'apporter ici vingt, trente, cent citations qui établiraient que toujours on a cru que, surtout en ce qui touche aux travaux de l'intelligence, le monopole est stérile et la liberté féconde.

M. Bara veut assurer un droit exclusif au pouvoir politique, parce que c'est un pouvoir central, et nous, au contraire, nous voudrions l'étendre à toutes les communes, par esprit de décentralisation.

Mais ceci n'est encore qu'une partie de la théorie de M. Bara. Nous la chercherons plus complète et plus menaçante dans une autre partie de son rapport, à la page 21 :

L'intérêt public prime les intérêts individuels.

En présence de l'intérêt public, il n'y a pas de droits acquis.

Dès qu'il s'agit de l'accomplissement d'un progrès, l'intérêt public est intéressé.

Dès que l'intérêt public parle, la rétroactivité n'est pas seulement le droit de la nation ; elle constitue aussi pour la nation un devoir.

Ainsi ceux qui avaient cru que les Etats étaient liés davantage par la justice que par l'intérêt, ceux qui avaient cru que l'engagement solennel d'une nation était aussi sacré qu'une promesse signée d'un nom obscur se sont étrangement aveuglés. Tous les jours des donations de bienfaisance reçoivent l'approbation de l'Etat. Des sommes importantes sont remises aux hospices civils à certaines charges, à certaines conditions : il est bon que l'on sache que l'Etat peut effacer ces charges et ces conditions le jour où il croira que cela est de l'intérêt public ou même plus simplement en déclarant qu'il y a un progrès à réaliser.

Cependant, M. Bara lui-même semble avoir parfois reculé devant le principe que le progrès est lié à l'enseignement officiel de l'Etat.

Ainsi, page 4. il dit que « l'enseignement public ne peut jamais arrêter le progrès ; qu'il est en rapport avec les idées dominantes et qu'il ne peut pas devenir une entrave pour le progrès », et page 9, il reconnaît au contraire que « la liberté d'enseignement, en bravant les opinions dominantes, marche sans entraves vers le progrès ».

De ces deux affirmations inconciliables, j'adopte la seconde.

Mais, je ne puis laisser passer sans une autre protestation ces paroles de l'honorable M. Bara : « L'enseignement public est en rapport avec les idées dominantes, avec l'état de civilisation d'un pays. »

Depuis quand, messieurs, est-il permis de dire que les idées... ?

M. Baraµ. - J'ai parlé des idées de la science.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je suis exact dans ma citation. Or, je le demande, depuis quand, messieurs, peut-on dire que les idées qui dominent officiellement sont toujours et nécessairement en rapport avec la civilisation d'un pays ?

Aux époques d'intolérance, dit encore M. Bara, et cette allégation mérite, messieurs, toute votre attention, l'enseignement public est empreint des farouches principes de l’inquisition. » Et c'est là l'enseignement public que vous préconisez ! Je vous abandonne cet enseignement public qui au XVIème siècle, dites-vous, devait, docile à la pensée de Philippe II, recommander à nos populations opprimées l'inquisition espagnole et qui, dans la pensée de la Convention, devait recommander à des populations opprimées bien plus cruellement encore, les bienfaits du niveau symbolique de 93.

J’aime mieux, au XVIème siècle, l’enseignement de Louvain, enseignement privilégié mais libre, libre en vertu même de ses privilèges, qui protestait contre l'inquisition et contre le duc d'Albe ; j'aime mieux le langage de la Harpe, qui sous la Convention, protestait à l’école normale de Paris.

(page 722) Vous dites, il est vrai, que désormais tout sera pour le mieux. D'après vous, l'Etat, c'est la nation légalement représentée ; la nation, c'est la législature ; eh bien, messieurs, cela ne me satisfait pas. Ni l'Etat ni la Chambre ne peuvent se vanter de représenter d'une manière stable et fixe la civilisation et le progrès. Nous avons à compter avec l'opinion publique, et l'un des éléments essentiels de l'opinion publique, c'est l'enseignement supérieur s'inspirant, non pas du monopole, mais de la liberté

L'honorable M. Bara s’exprime encore ainsi, page 22 : « Les fondations sont créées en vue de l'intérêt général, elles ne peu ent être maintenues qu'autant que l'exige cet intérêt. »

C'est un cachet d'impuissance et de stérilité que vous imprimez sur cette loi qui n'est pas encore faite.

Tel constituera une fondation parce que la loi permet la collation par ses parents ; tel autre, parce qu'il vent propager le goût de certaines branches de la science ; tel autre parce qu'il veut encourager les études des jeunes gens d'une ville, d'un village. Quelles garanties leur donnerez-vous ? Demain un autre législateur, invoquant le progrès, ce mot si flexible et si complaisant, supprimera toutes ces règles parce qu'il jugera que ces branches de la science ont fait leur temps et qu'il est contraire à l'intérêt général de restreindre, soit la collation, soit le bénéfice, à quelques-uns.

Et ces doctrines qui depuis soixante et dix ans n'ont jamais osé se produire avec cette franchise, cette clarté, cette précision, cette hardiesse et en partant ainsi, ma pensée va plus loin que l'expression, ne soulèveraient pas nos craintes et ne légitimeraient pas nos inquiétudes !

Ces théories, ces principes que l'honorable rapporteur de la section centrale a inscrits dans son travail ne sont pas d'aujourd'hui. Il est bon d'en faire connaître l'origine et rien, selon moi, n'est plus utile que de chercher en même temps dans les diverses phases qu'a traversées l'instruction publique depuis trois quarts de siècle, des données de tout genre, données auxquelles s'attachent le souvenir de nobles caractères, plus souvent encore de grands et parfois des souvenirs sinistres qui ont aussi leurs enseignements.

Quand le mouvement de 1789 éclata, on voulait le pouvoir là où il n'était pas, les lumières là où elles n'étaient pas. Il semblait que tous dussent gouverner, si ce n'est le gouvernement lui-même, et lors même qu'on frappait de la haché sanglante l'aristocratie du talent, Bailly comme Lavoisier, on rêvait, à la base de la société, je ne sais quelle égalité de science et de capacité qu'on voulait généraliser sans qu'on reconnût à personne le droit d'enseigner et d'instruire, en vertu d'une supériorité quelconque.

Mirabeau ouvrit la voie, Mirabeau, cette étonnante, cette insaisissable antithèse de la laideur physique, unie à la dépravation morale, et du talent le plus brillant, Mirabeau qui à sa mort se couronnait de parfums et de fleurs, et qui au milieu de ces fleurs et de ces parfums s'écriait : « J'emporte avec moi le deuil de la monarchie. » Mirabeau, avec tout l'éclat de son pompeux langage, avait insisté sur les bienfaits de l'instruction comme source de la rénovation de la France de 1789. Son nom, son éloquence attachaient le succès à toutes les créations de son génie, et à peine Mirabeau était-il descendu au tombeau qu'un homme connu par son cynisme, qu'un homme qu'on accusait d'avoir empoisonné Mirabeau,l)e médecin Cabanis, annonça, en y mêlant quelques phrases de rhétorique sur les frais ombrages d'Argenteuil qui ne devaient plus revoir le tribun, qu'on avait trouvé, dans ses papiers, un grand travail sur l'instruction publique où il était question notamment de fondations. J'en lirai quelques lignes :

L'assemblée nationale, conformément à des principes déjà discutés, établit que toute fondation quelconque ne pouvant avoir pour objet que l'utilité publique, et n'étant garantie que par la loi qui représente la volonté de la nation, la nation, seul juge naturel de cette utilité, reste toujours maîtresse de retirer sa garantie et de se mettre à la place des fondateurs pour expliquer leurs intentions.

Ne sont-ce pas les idées que j'analysais tout à l'heure dans le rapport de l'honorable représentant de Tournai ? Mais que l'on ne s'y méprenne pas, la nation, ce c'était pas le gouvernement. On demandait la liberté de l'enseignement vis-à-vis ou même contre le gouvernement.

Aucun pouvoir permanent, dit Mirabeau, ne doit avoir à sa disposition des armes aussi redoutables.

L'impression produite par ce travail posthume, attribué à Mirabeau, fut sans doute considérable, et presque aussitôt après l'assemblée constituante chargea un ancien évêque d'Autun, Talleyrand-Périgord, de lui présenter un plan de l'organisation de l'instruction. Ce plan lui fut soumis au mois de septembre 1791.

Talleyrand s'exprima ainsi :

« Tout privilège est par sa nature odieux ; un privilège, en matière d'instruction, serait plus odieux et plus absurde encore.

« Puisque chacun a le droit de concourir à la répandre, il faut donc que tout privilège exclusif sur l'instruction soit aboli sans retour. »

Plus loin il émit le vœu que « tous les petits enfants apprissent comme catéchisme la déclaration des droits de l'homme ». Il s'occupa aussi du boursier :

« Destiné à être un jour le bienfaiteur de la société, il faut que par une reconnaissance anticipée, il soit encouragé par elle et qu'elle écarte d'autour de lui tout ce qui pourrait arrêter sa marche ; il faut qu'il puisse librement parcourir tous les degrés de l'instruction. »

« Les encouragements connus sous le nom de bourses offrent quelques points de discussion... Les principes sur les fondations sont connus. Ce qui a été donné pour un établissement public a été remis à la nation qui en est devenu la vraie dispensatrice, la vraie propriétaire, sous la condition d'accorder en tout temps l'intention du donateur avec l'utilité générale. L'assemblée nationale peut donc, en se soumettant à ce principe, disposer du domaine de l'instruction, comme aussi des fonds de la charité publique.

« Mais il faut garder soigneusement à l'instruction ce qui lui fut primitivement consacré... Nous vous proposerons d'établir un certain nombre de bourses : ce moyen se fortifiera surtout par de nombreuses souscriptions volontaires, mouvements spontanés des peuples libres qui associent l'homme à tout ce qui s'élève autour de lui. »

Dans ce même mois de septembre 1791, à la suite de ce rapport, intervint un décret qui maintenait provisoirement avec leur organisation tous les établissements d'instruction publique.

Cependant le travail présenté à la Constituante était resté stérile, et un illustre philosophe, Condorcet, reçut la mission de présenter un nouveau plan à l'assemblée législative. Je citerai quelques lignes du discours dé Condorcet :

« La première condition de toute instruction étant de n'enseigner que des vérités, les établissements que la puissance publique y consacré doivent être aussi indépendants que possible de toute autorité politique.

« La puissance publique doit dire aux pauvres : Si la nature vous a donné des talents, vous pourrez les développer, et ils ne seront perdus ni pour vous ni pour la patrie.

« Aucun pouvoir politique ne doit avoir l'autorité, ni même le crédit d'empêcher le développement des vérités nouvelles, l'enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés.

« Après avoir affranchi l'instruction de toute espèce d'autorité, gardons-nous de l'assujettir à l'opinion commune : elle doit la devancer, la corriger, la former et non la suivre et lui obéir.

« L'indépendance de l'instruction fait en quelque sorte une partie des droits de l'espèce humaine. Quelle puissance pourrait avoir le droit de dire à l'homme. Voilà ce qu'il faut que vous sachiez... Il ne reste qu'un seul moyen. L'indépendance absolue des opinions dans tout ce qui s'élève au-dessus de l'instruction élémentaire... Aurait-on réellement respecté cette indépendance inaliénable du peuple s'il l'on s'était permis de fortifier quelque opinion particulière de tous le poids que peut leur donner un enseignement général ! et le pouvoir qui se serait arrogé le droit de choisir ces opinions n'aurait-il pas véritablement usurpé une portion de la souveraineté nationale ? »

A la suite de ce rapport de Condorcet, le décret du 18 août 1792 excepta de la confiscation des biens des séminaires et des collèges, les fondations de bourses qui devaient être conservées.

Au mois de décembre 1792, la discussion sur l'instruction publique fut reprise. Plusieurs orateurs soutinrent que la nation ne devait que l'enseignement primaire et qu'il fallait qu'elle restât étrangère à l'enseignement supérieur, et Rabaut Saint-Etienne demandait qu'on apprît surtout au peuple « la fraternité, ce sentiment aimable et doux,» quand Marat l'interrompit : « Assez de brillants discours ! Occupons-nous d'objets plus importants. » Les objets les plus importants, c'était le meutre juridique du premier roi constitutionnel des Français.

Le 10 mars 1793, au moment où toutes les académies, où toutes les sociétés savantes étaient frappées du même ostracisme, un décret de la Convention ordonna la réunion aux domaines nationaux de tous les biens appartenant à des bourses. Un nouveau décret du 8 mai 1793 supprima tout droit de collation de bourses. Peu après Robespierre monta à la tribune ; il se souvenait de Cabanis ressuscitant Mirabeau et apportait à la Convention un plan d'organisation de l'instruction publique trouvé, assurait-on, sur le cœur sanglant du martyr Lepelletier de Saint-Fargeau que la paroisse des Arcis venait de choisir pour son patron en remplacement de Saint-Nicolas. C'était la théorie non plus la liberté de l'enseignement, mais de l'enseignement obligatoire ; quelques-uns allaient jusqu'à dire (page 723) qu'il fallait régler l'instruction des jeunes citoyens jusque dans le sein maternel, d'autres disaient qu'il fallait avant tout révolutionner la langue, et l'on sait que l'ex-capucin Chabot intervint dans ces débats en déclarant qu'au lieu de favoriser l'instruction, il fallait l'étouffer, et que la véritable égalité c'était l'ignorance. Mais dès le mois de décembre, deux nobles intelligences protestaient et réclamaient la liberté de l'enseignement. L'un de ces hommes était Chénier, l'autre Fourcroy, et la liberté de l'enseignement fut de nouveau solennellement proclamée par la loi du 19 décembre 1793.

Dans la discussion de l'an II où Fourcroy s'écria « que la liberté est le premier et le plus sûr mobile des grandes choses » et de la Constitution de l’an III où Daunou, parlant des lois de 93 sur l'instruction publique, disait de Robespierre qu'il avait imprimé le sceau de la tyrannie stupide sur des dispositions barbares. »

Lorsque assez longtemps après, en l'an X, on s'occupa de nouveau de l'instruction publique, Chapsal écrivait : « Tout privilège est odieux de sa nature ; il serait absurde in matière d'instruction », et Fourcroy, interprète de la même pensée, cherchait un exemple de l'utilité des fondations, notamment en ce qui touche les beaux-arts, dans ce qui existait dans la ci-devant Belgique. Et après 60 ans d'expérience, après 30 ans d'indépendance nationale, je suis réduit à vous exhorter, messieurs, à conserver à la Belgique ce que Fourcroy admirait dans notre pays, même sous une domination étrangère.

La voix de Fourcroy, qui en ce moment dirigeait l'instruction publique, ne fut pas écoutée. Il avait pour lui toutes les grandes autorités qu'il invoquait et que j'invoque comme lui, Condorcet, Chénier, Daunou, Chapsal. Il avait triomphé de Robespierre et de Danton ; il ne triompha pas d'une autre volonté qui, cette fois, sous le prétexte et les auspices de la gloire, demandait que toute la nation fût jetée dans un même moule à l'effigie de l'Etat et que ce moule fut l'université.

« Napoléon, dit M. Guizot, s'était efforcé de convertir en un instrument de despotisme une institution qui tendait à n'être qu'un foyer de lumières, un principe d'ordre et de régénération. »

On imposa à Fourcroy un travail que sa conscience repoussait. Il le recommença, dit Cuvier, 23 fois, mais cela ne suffit pas. Fourcroy fut rejeté, Fourcroy fut brisé comme un instrument qui résiste trop à la main du maître, et l'université impériale se constitua sous la direction de Fontanes, et pour vous faire apprécier l'œuvre à laquelle avaient résisté Chapsal et Fourcroy, j'analyserai les dispositions qui se rapportent à la discussion d'aujourd'hui (je les emprunte au décret de 1811, qui complète l'organisation de l'université).

Le droit de collation des anciennes bourses ne sera maintenu qu'au profit des héritiers des fondateurs.

Dans les autres cas, la collation passera au gouvernement. A l'avenir le fondateur ne pourra réserver le droit de collation qu'à ses parents, sans être admis à l'attacher à aucun titre ou fonction.

Toutes les nouvelles fondations devront être faites au profit de l'université.

Je désirerais fort que l’honorable M. Bara voulût bien nous apprendre en quoi ces disposions diffèrent de celles dont il recommande aujourd'hui l'adoption à la Chambre, et n'est-il pas évident qu'en ne permettant les fondations qu'au profit de l'enseignement public, nous arriverions, si ces fondations devaient exister, à l'université impériale ! Nous discutons véritablement en ce moment le décret de 1811, et nous sommes saisis d'un autre appel à la domination de l'enseignement de l'Etat dans un pays où la liberté de l'enseignement est un dogme constitutionnel !

Mais croyez-vous, messieurs, que l'empire ait beaucoup gagné à ces rêves de domination ? Les institutions libres élèvent les âmes. Tout ce qui les enchaîne, les énerve et les amollit. On ne peut pas les faire fléchir sans les dégrader. Trois années à peine s'étaient écoulées depuis le décret de 1811, lorsque Fontanes se présentait au nom de l'université aux envahisseurs du sol national « pour témoigner son admiration aux souverains alliés qui venaient d'acquérir une gloire unique dans les annales des nations. »

Quant à l'ancien évêque d'Autun devenu prince de Bénévent, et le courtisan le plus adulateur du pouvoir impérial, il oubliait le fameux mémoire où il faisait de la déclaration des droits de l'homme le catéchisme de l'enfance, il ne trouvait (c'étaient ses propres paroles) en présence de « la bonté céleste » du comte d'Artois qu'à lui faire agréer l'hommage de « son religieux attendrissement. »

Et ce sont les traditions de l'université impériale qu'on voudrait introduire en Belgique ?

Seraient-ce plutôt les dispositions de 1793 qu'on voudrait invoquer, ces dispositions si énergiquement flétries par Daunou, écloses au milieu des saturnales des plus mauvais jours de la révolution ? Ah ! je sais que l'on y est assez disposé. Un éminent jurisconsulte belge a écrit en ce sens une savante dissertation. Mais, en mettant même de côté le caractère et l'origine des lois de 95, je tiens à démontrer que juridiquement elles sont sans influence et sans valeur.

La question est très sérieuse, puisque M. Tielemans a conclu à l'inconstitutionnalité des arrêtés du roi Guillaume, et par suite à l'efficacité et au plein effet du droit de confiscation de 1793.

Il n'y a guère qu'une phrase à ce sujet dans l'exposé du projet de loi, mais elle est fort importante. On y dit que les anciens biens des fondations devinrent la propriété du royaume des Pays-Bas et que le roi Guillaume disposa de cette propriété.

Ceci me paraît fort inexact.

Le décret du 10 mars 1793, le seul qui dispose des biens des fondations, n'a jamais été publié en Belgique - et lors même qu'il eût été publié en Belgique, il a été révoqué par la loi du 25 messidor an V.

La loi du 25 messidor an V contenait cet article :

« Les dispositions de la loi du 16 vendémiaire an V, qui conserve les hospices civils dans la jouissance de leurs biens, sont déclarées communes aux biens affectés aux fondations des bourses dans tous les collèges de la république. »

M. Tielemans apprécie cet article de la manière suivante : « En conséquence, les hospices et les bureaux de bienfaisance entrèrent en possession de tous les biens affectés à l'instruction sous le titre de bourses ; ils en perçurent les revenus et ils payèrent aux titulaires nommés par l'administration centrale, conformément au mode prescrit par le décret du 5-8 mai 1793, le montant des bourses fondées à leur profit.

« Le motif qui a fait réunir lesdits biens à ceux des hospices mérite d'être remarqué : c'est que les fondations de bourses, tant d'après leurs titres que d'après l'emploi constant des fonds, doivent être considérées comme œuvres de bienfaisance. »

L'opinion de l'auteur du Répertoire du droit administratif est fort contestable.

La loi du 16 vendémiaire an V avait restitué aux hospices civils tous leurs biens. Elle n'avait rien fait ni pour les biens dépendants des bureaux de bienfaisance, ni pour les biens dépendants des fondations de bourses. On y pourvut par deux lois semblables dans leur but, par la loi du 20 ventôse et par la loi du 25 messidor an V.

Or, la loi du 20 ventôse déclara les articles de la loi du 16 vendémiaire « communs aux établissements formés pour les secours à domicile » et ordonna la remise aux bureaux de bienfaisance. Il en résulte évidemment que dans la pensée du législateur qui emploie exactement les mêmes dispositions, les mêmes mots dans la loi de messidor, il y avait lieu de restituer également les biens des bourses aux fondations. Au conseil des Cinq-Cents, Portiez s'exprimait ainsi :

« Les boursiers étaient les propriétaires de ces biens et les usufruitiers des revenus. Ces biens ont toujours été administrés au nom des boursiers, comme biens appartenant à des mineurs : c'est sans doute un grand acte de bienfaisance que de soulager l'humanité souffrante, et les établissements qui ont cette utile destination doivent être précieusement conservés... Les temps de troubles et de révolution sont passés ; vous donnerez la vie à ces établissements, et vous ferez renaître l'éducation en France. »

Il s'agissait donc de restituer aux fondations les biens dont elles avaient été dépouillées, et la même intention fut exprimée au conseil des Anciens où le membre de l'Institut Dusaulx disait :

« Les boursiers méritent tout l'intérêt de la nation... Combien va honorer les deux conseils le rétablissement des maisons d’instruction gratuite, naguère transformées en cachots par des monstres ! La demande des pétitionnaires n'est pas indiscrète, ils se bornent à réclamer la restitution des biens non vendus. »

C'est à la suite de ces rapports de Portiez et de Dusaulx que la loi du 25 messidor an V fut votée sans discussion.

Ce fut ainsi que la loi fut interprétée de divers côtés et puisqu'il s'agit des fondations de bourses belges, c'est en Belgique que j'étudierai les faits. M. Tielemans les a présentés d'une manière fort incomplète et fort inexacte.

M. Tielemans pense que l'administration centrale du département de la Dyle émit de son propre chef sur la loi de messidor une opinion isolée, à laquelle elle renonça presqu'aussitôt. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi ;

Ce fut le 4 brumaire an VI qu'un arrêté de l'administration (page 724) centrale du département de la Dyle prononça la fermeture des établissements d’instruction établis à Louvain. Dans cet arrêté, on trouvait le considérant suivant :

Considérant qu'il existe auprès de cette université plusieurs collèges qui ont des propriétés et fondations affectées comme bourses à l'instruction, lesquelles sont conservées à celle-ci par une loi du 25 messidor an V ; que ces propriétés n'étant pas dans le cas d'être administrées par la direction du domaine national, il convient, au moment de la suppression de l’université, et pour empêcher qu'elles ne soient dilapidées, de prendre des mesures conservatrices.

A la suite de ce considérant, on ordonnait l'apposition des scellés.

On lisait dans le même arrêté :

Attendu que les biens servant de dotations pour l'instruction publique sont conserves à celle-ci par la loi du 25 messidor an V, et que les collèges qui existent auprès de ladite université ont de nombreuses propriétés qui ont cette destination.

Puis venaient d'autres mesures conservatoires,

Quelques jours après le 18 brumaire an VI, l'administration centrale du département de la Dyle prit un autre arrêté, par lequel il déclara qu’il y avait lieu de nommer une commission de 5 citoyens qui serait charge de la régie des biens et de la perception des revenus des collèges de Louvain. Il y eut, il est vrai, un arrêté du 19 germinal an VIII qui réunit ces mêmes biens sous l'administration du prytanée, arrêté formellement annulé le 7 novembre 1814 ; mas ce qui prouve que cet arrêté ne reçut pas son exécution, c'est une lettre du préfet du département de la Dyle du 4 floréal an VIII, qui maintint à l'ancienne commission le titre de bureau des régies des biens de l'ex-université de Louvain, et elle continua longtemps à exercer ces fonctions. Cette commission était composée de MM. Everaerts, Jacquelart, de Hurtebise, Trenteseaux et Van Leempoel. Ainsi, voilà une commission bien constituée et officiellement reconnue !

Mais cela n'avait pas eu lieu uniquement dans le département de la Dyle. Dans le département de Jemmapes, il est constaté qu'une commission du même genre siégeait déjà en l'an VI (1798), et elle continua à siéger officiellement pendant vingt ans, c'est-à-dire jusqu'en 1818. Et il serait possible de nier la valeur et l'évidence de ces faits !

Il y a, relativement à cette commission du département de Jemmapes, quelque chose de bien plus remarquable : c'est que cette administration provisoire des biens de fondations, qui laissait intacte la question de propriété, a été formellement citée par l'arrêté royal du 26 décembre 1818.

Cet arrêté ne statuait pas seulement sur les biens des fondations qui étaient restés sous le séquestre du domaine ; il mettait aussi un terme à l'existence de la commission du département de Jemmapes, qui non seulement administrait, mais même conférait les bourses. Par l'article 4 de la loi du 20 décembre 1818, la commission administrative des bouges existant à Mons était supprimée.

Ainsi la constitutionnalité de l'arrêté de 1818 est bien reconnue.

Pendant l'empire la propriété des biens était toujours restée aux fondations, sous l'empire de la loi de messidor, qui avait reconnu le droit de propriété des fondations.

Et l'article premier de l'arrêté de 1818 était si bien fondé sur cette base, qui, sans même mettre en doute la question de propriété, il se bornait à statuer sur ce qui touchait à la jouissance et au revenu. Afin qu'aucun doute ne pût subsister sur la portée de ces dispositions, il était dit à l'article 5 : « Les dispositions des actes de fondations seront autant que faire se pourra scrupuleusement observées dans tous les points. » L'arrêté du 2 septembre 1823 est conçu dans le même esprit, car on lit dans les considérants : « Voulant assurer la bonne administration des biens des fondations de bourses pour études, voulant de même assurer à ceux qui sont appelés à ces fondations la jouissance de leurs droits. » C'est dans ce même arrêté de 1823 que toutes les questions relatives aux bourses d'études sont déférées aux tribunaux.

Il est donc évident que le roi Guillaume n'a rien innové, quant à la propriété, et n'a fait que remplir l'honorable tâche d'un gouvernement réparateur, en restituant la jouissance et la collation à ceux qui y avaient droit, et je remarque, à l'honneur de ces dispositions du gouvernement de cette époque, qu'à chaque ligne (elles ressemblent peu au projet de loi d'aujourd'hui), on rencontre l'expression du désir du législateur de respecter la volonté des auteurs des fondations.

Je crains, messieurs, d'abuser des moments de la Chambre. Je m'arrêta ici et je termine par cette réflexion.

Il y a 32 ans que l'indépendance de la Belgique a été fondée sur la base des plus larges libertés. Il est du devoir du gouvernement, il est du devoir de la Chambre de les maintenir et aussi de chercher à les féconder. A côté de l’article 17 de la Constitution qui proclame la liberté d’enseignement, il y a quelque chose à faire pour que cette liberté ne reste pas stérile ; c’est de protéger sous toutes les formes, la diffusion de l'instruction et en même temps le développement des sciences, des lettres et des arts. Pour les lettres, pour les sciences comme pour les arts, la liberté est la première, l'unique garantie de progrès et de succès. C'est en dehors de l'action du gouvernement, c'est par l'émulation et le travail que les forces intellectuelles, peuvent grandir et s'étendre de plus en plus. C'est également ainsi que se forment et se propagent les idées nobles et utiles qui tôt ou tard entrent dans le domaine de l'expérience et des fait accomplis.

Comme membre de la représentation nationale, je repousse un projet de loi qui me paraît hostile à un principe constitutionnel, qui est aussi l'une des grandes bases de la civilisation moderne : la liberté de l'enseignement.

Je repousse en second lieu le projet de loi, parce que j'y découvre l'un des abus les plus odieux de toute législation : la rétroactivité.

Mais, qu'il me soit permis de l'ajouter, j'adjure aussi la Chambre au nom de ces intérêts si dignes de sa sollicitude que j'invoquais tout à l'heure, de ne pas compromettre l'avenir de l'instruction.

Les sentiments qui élèvent l'intelligence sont répandus en Belgique chez toutes les classes de la population. Loin de multiplier les entraves, il faut les faire disparaître. Ce n'est pas assez que tous les jours la richesse matérielle aille se développant, il faut que dans notre temps comme du temps de nos pères, elle appelle généreusement la jeunesse aux saines et fortes études ; il faut que, marchant ensemble vers le même but, la richesse matérielle et la richesse intellectuelle s'associent dans les mêmes progrès et se prêtent toujours un mutuel appui.

M. Landeloos. - Messieurs, je me proposais d'examiner la question relative à la rétroactivité, mais le savant discours qui vient d'être prononcé m'empêche de prendre en ce moment la parole.

Je sais, messieurs, que je ne pourrais qu'affaiblir les arguments si lucides qu'a fait valoir l'honorable préopinant. Je renonce donc pour le moment à la parole, sauf à la reprendre lorsque d'autres membres auront cru convenable de réfuter le discours de mon honorable ami.

MpVµ. - Quelqu'un demande-t-il la parole ? Il n'y a plus d'orateurs inscrits.

M. B. Dumortier. - M. le président, j'avoue que je suis fort étonné de voir que la loi présentée par le gouvernement ne trouve pas un seul soutien sur les bancs de la majorité. S'il y a des membres qui approuvent le projet, leur devoir est d'entrer en lutte pour le défendre, car le règlement exige qu'on entende alternativement un orateur pour et un orateur contre. (Interruption.)

Comment ! vous êtes la majorité et vous n'avez pas d'orateurs pour soutenir vos projets ! De deux choses l'une : ou bien c'est une comédie, ou bien vous reconnaissez vous-mêmes combien le projet est détestable.

Je déclare, pour mon compte, qu'il est indispensable que vous répondiez devant l'opinion publique pour justifier une loi qui porte atteinte à tout ce qu'il y a de plus sacré dans l'existence des nations, dans l'existence des peuples civilisés.

Je dis que si aucun de vous n'ose monter à la tribune pour défendre un pareil projet de loi, ce projet est jugé par l'opinion publique.

MPVµ. - Je ne puis laisser passer sans les relever de pareilles imputations ; chaque membre a le droit de choisir le moment où il le juge convenable d'entrer dans la discussion.

M. de Theux. - Messieurs, il ne s'agit pas ici d'une matière qui peut donner matière à plaisanterie. Il s'agit de la dignité du parlement. Comment ! vous organiseriez au nom du gouvernement, au nom de la majorité, la conspiration du silence..

MFOFµ. - Que l'opposition remplisse son rôle ; qu'elle ouvre une discussion sur le fond du projet ; nous sommes prêts à lui répondre.

M. de Theux. - Je demande, au nom de la dignité du parlement, que les membres de la majorité prennent la parole, et s'ils ne veulent pas la prendre aujourd'hui, je demande que la séance soit remise à demain.

MFOFµ. - Messieurs, le spectacle que nous donne l'opposition dans cette discussion est vraiment étrange ; l'opposition doit être sans aucun doute suffisamment préparée, à l'heure qu'il est, à combattre les propositions qui sont soumises à la Chambre, et cependant elle se tait ! Un seul membre de la droite a jusqu’à présent jugé convenable de se prononcer : l'honorable M. Landeloos, le seul orateur inscrit après lui, renonce à la parole, et l’on somme la majorité de défendre un projet de loi que nous considérons comme n'étant pas attaqué sérieusement jusqu'à présent. (Interruption.)

Sans vouloir en aucune façon dire quoi que ce soit de désobligeant pour l'honorable députa d'Eecloo, je crois pouvoir me permettre de déclarer que je regarde le discours qu’il a prononcé comme étant (page 725) absolument à côte du projet de loi. (Interruption.) Cela est incontestable. Le discours que vous venez d'entendre n'a certes pas traité les questions que soulève le projet ; sauf une protestation vague contre la prétendue rétroactivité de certaines dispositions du projet, ce discours n'est qu'une sorte de revue purement historique de la législation relative aux fondations. Or, messieurs, c'est là un point sur lequel nous n'avons pas à répondre pour le moment, et j'ai ainsi le droit de dire que le projet de loi n'est pas jusqu'à présent sérieusement attaqué. (Interruption.)

Dites que vous n'êtes pas prêts, que vous ne voulez pas parler aujourd'hui, soit ! demandez que la séance soit remise à demain, nous n'y faisons pas la moindre opposition ; nous voulons agir à l'égard nos adversaires politiques avec la plus grande bienveillance. Mais que l'opposition veuille nous contraindre à parler pour défendre un projet non encore combattu, c'est là évidemment une prétention qui passe tout ce que l'on peut imaginer, et à laquelle nous n'entendons pas céder. Je supplie donc l'opposition de prendre la parole, soit dès à présent, soit demain si elle le préfère, pour discuter le projet de loi, et pour formuler ses griefs contre les dispositions qu'il renferme.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je trouve étrange que M. le ministre des finances vienne dire que l'opposition n'attaque pas le projet de loi, alors que mon honorable ami, M. Kervyn de Lettenhove a prononcé un discours qui a duré près de deux heures et qui n'est qu'une attaque constante du projet de loi. Il n'est pas permis à M. le ministre des finances de venir soutenir qu'il fait nuit en plein jour, comme il vient de le faire.

Ce n'est pas nous qui désertons le débat ; nous sommes entrée en lice ; qu'on nous réponde ; ceux-là désertent le débat, qui veulent s'écarter du règlement, déroger à nos précédents ; il n'est pas possible qu'une discussion marche dans ces conditions-là.

Ceux-là désertent le débat qui n'osent pas se faire inscrire pour défendre le projet de loi. Et ceux-là reconnaissent et déclarent par-là même en présence du pays, qu'ils n'ont pas un mot à dire pour appuyer un projet de loi qui a été rejeté à une notable majorité par la Chambre réunie dans les sections.

C'est à vous maintenant à tâcher de ramener l'assemblée ; c'est à vous à prendre la parole pour répondre aux arguments de mon honorable ami M. Kervyn de Lettenhove, et ne venez pas nous dire encore une fois que cet honorable membre n'a pas attaqué le projet de loi, que le discours qu'il a prononcé est à côté du projet de loi. M. le ministre des finances n'était pas présent quand mon honorable ami a prononcé son discours ; il ne peut donc savoir ce que l'orateur a dit.

Depuis 1831, il n'y a pas d'exemple de ce que j'appellerai une pareille tactique. Comment ! vouloir forcer la droite à épuiser ses orateurs, et venir ensuite avec tous les orateurs de la gauche ! Franchement ce ne serait pas extrêmement loyal.

Exécutons les prescriptions du règlement ; si vous avez à défendre le projet de loi, faites-vous inscrire, réfutez les arguments de mon honorable ami M. Kervyn de Lettenhove, et alors nous viendrons sur la brèche pour vous combattre ; mais je le répète, si vous ne vous faites pas inscrire, si vous désertez ce débat, c'est que vous n'avez pas un mot à dire pour la défense du projet de loi, et le pays jugera.

MpVµ. - L'honorable préopinant vient de commettre une erreur en invoquant le règlement.

Aux termes de l'article 18 du règlement, la parole est accordée suivant l'ordre des demandes des inscriptions, et il n'est dérogé à cet ordre que pour accorder la parole alternativement pour, sur et contre les propositions en discussion.

Cet article ne s'applique que lorsqu'il y a des inscriptions, mais il n'impose à personne l'obligation de se faire inscrire.

- Des membres. - A demain.

- La Chambre consultée remet la suite de la discussion à demain à 2 heures.

La séance est levée à 4 heures 1/2.