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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 avril 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 751) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Des fabricants de céruse demandent que la céruse ne fasse point partie de l'arrangement commercial conclu avec la Prusse. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi approuvant la convention commerciale avec la Prusse.


« Des tanneurs dans la province de Namur demandent égalité de traitement pour les cuirs prussiens et pour les cuirs belges. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner l'arrangement commercial avec la Prusse.


« Le sieur Deprez, secrétaire de la commune de Houtain-le-Val, demande que le traitement des secrétaires communaux soit réglé d'une manière uniforme, suivant la population. »

« Même demande des secrétaires communaux de Nethen, Lathuy et Bossut-Gottechain. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Champion demandent que le chemin de fer de Huy vers le Luxembourg se raccorde à Hotton, au moins par un embranchement, aux lignes qui doivent se diriger, d'une part vers Vielsalm ; d'autre part, vers Bastogne et Wiltz. »

« Même demandes des membres des conseils communaux de Halleux, Hives, Tenneville. »

M. Orbanµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre le dépôt de cette pétition sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession des chemins de fer.

- Cette proposition est adoptée.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 118 exemplaires de la seconde partie du Bulletin du conseil supérieur d'agriculture. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« Le sieur De Cock adresse à la Chambre 120 exemplaires du discours qu'il a prononcé au Conseil provincial du Brabant, le 2 juillet 1862, sur l'institution d'un fonds provincial d'agriculture. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« Des habitants de Bruges prient la Chambre de suspendre la discussion du projet de loi relatif aux bourses d'études et de mettre à l'ordre du jour le projet de loi sur la milice. »

M. Van Overloop. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire en prompt rapport. J'espère que la Chambre fera un favorable accueil à cette réclamation, réclamation qui n'est que l'expression du vœu de toute la population de la Belgique.

MpVµ. - Je ferai observer à M. Van Overloop que les pétitionnaires demandent l'ajournement de la discussion du projet de loi sur les fondations de bourses d'études, et dès lors son renvoi à la commission des pétitions paraît être sans objet.

M. Van Overloop. - L'usage est de renvoyer toutes les pétitions à la commission des pétitions ; la Chambre n'a pas l'habitude de statuer immédiatement sur les pétitions. Je demande que l'on procède aujourd'hui comme on procède toujours. Je demande ensuite, encore conformément aux usages de la Chambre, que la commission des pétitions soit priée de faire un prompt rapport. Ce rapport pourra se faire vendredi, jour fixé par la Chambre pour les prompts rapports.

Je dis que la loi sur la milice intéresse beaucoup plus la généralité de nos populations que le projet de loi que nous discutons en ce moment et qui n'intéresse qu'un parti, tandis que le projet de loi sur la milice intéresse toutes nos populations, et surtout nos populations malheureuses, nos populations pauvres.

M, Mullerµ. - Messieurs, la demande qu'on fait n'est pas sérieuse. Il n'est pas un membre de la Chambre qui ne doive être convaincu qu'il est impossible de discuter, dans la session actuelle, le projet de loi sur la milice. Maintenant ce qu'on vous propose indirectement, c'est de détruire la résolution que vous avez prise de mettre à l'ordre du jour, immédiatement après votre rentrée, la discussion du projet de loi sur les fondations de bourses.

A quoi bon le prompt rapport qu'on demande à la commission des pétitions ? Est-ce à nous faire revenir de cette décision ? Prétend-on que nous interrompions le débat dans lequel nous sommes aujourd'hui engagés ?

A ce point de vue donc, je dois m'opposer à ce qu'il y ait décision d'un prompt rapport ; la pétition qu'on vient d'analyser doit être traitée, non pas exceptionnellement, mais comme toute pétition ordinaire. Evidemment, nous ne pouvons pas songer à interrompre la discussion du projet de loi sur les fondations de bourses, ni laisser supposer que nous serions disposés à y consentir.

MTJµ. - Messieurs, ainsi qu'on vient de le dire, la pétition qui nous est adressée n'a absolument rien de sérieux. Pour discuter une loi, il faut que nous ayons un rapport. La Chambre voudrait faire droit à la pétition qui lui est adressée, qu'elle serait dans l'impossibilité de le faire. Jusqu'à présent la section centrale n'a pas terminé son examen. Nous ne savons pas quelles sont ses conclusions.

En un mot, nous sommes aujourd'hui dans l'impossibilité absolue, je le répète, de discuter, le voulussions-nous, le projet de loi sur la milice. Il est donc inutile de renvoyer à une commission avec demande d'un prompt rapport une pétition dont nous pouvons parfaitement dès maintenant apprécier le mérite.

Je tiens, après cela, à faire une observation. On voudrait bien faire croire, et déjà on l'a dit, que le gouvernement a cherché à retarder la discussion de la loi sur la milice et à à postposer à la discussion actuelle

Eh bien, rien n'est plus faux que cette assertion. Qui a demandé dans cette Chambre et à différentes reprises que la loi sur la milice soit portée à l'ordre du jour des sections ? Mais, c'est le gouvernement lui-même ; c'est mon honorable ami M. le ministre de l'intérieur qui, alors que personne ne le demandait dans cette Chambre, est venu à deux reprises différentes insister pour que la discussion de la loi sur la milice eût lieu le plus tôt possible. Qu'on ne vienne donc pas insinuer que le gouvernement, qu'on ne vienne pas dire qu'il a cherché à retarder la discussion de cette loi dont il comprend, comme tout le monde, toute l'importance et la haute utilité.

Le gouvernement a présenté cette loi en même temps que la loi sur les bourses d'études, dès le début de la session actuelle, et certainement on ne pourra pas l'accuser, avec quelque apparence de raison, d'avoir voulu retarder l'examen de cette loi en sections. Le gouvernement n'a pas à régler l'ordre des travaux de la Chambre et il ne peut pas demander la mise à l'ordre du jour des lois sur lesquelles des rapports ne sont pas encore faits.

Voilà, messieurs, la vérité, et je proteste contre toute insinuation qui tendrait à incriminer la conduite du gouvernement à propos du projet de loi sur la milice.

M. Van Overloop. - Je ne puis admettre la position que l'honorable M. Muller, et après lui M. le ministre de la justice, voudraient me faire. Quand je parle dans cette enceinte, quand j'y formule des demandes, ces demandes sont sérieuses, parfaitement sérieuses. (Interruption.)

Maintenant de quoi s'agit-il ? Des habitants de Bruges demandent qu'on discute sans retard la loi sur la milice. Cette demande est urgente, parce qu'il n'est rien de plus intéressant, aux yeux du pays, que la loi sur la milice. Il y a beaucoup trop longtemps que nos populations souffrent de l'iniquité de la législation actuelle. Qu'a fait le gouvernement ?

Le gouvernement prétend aujourd'hui qu'il a tâché lui-même d'activer autant que possible la discussion de la loi sur la milice, mais combien de temps n'a-t-il pas tardé à la présenter ?

MVIµ. - Je demande la parole.

M. Van Overloop. - Voilà le point de départ ; le véritable point de départ, c'est qu'il a fallu forcer le ministère et lui mettre l'épée dans les reins.

MTJµ. - Et vos amis !

M. Van Overloop. - Je persiste dans ma demande.

(page 752) Je ne demande pas qu'on suspende la discussion actuelle ; je n'ai rien demandé de semblable.

J'ai demandé, conformément au règlement, le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec prière d'en faire l’objet d'un prompt rapport. J'ai moi-même déclaré dès le début de cet incident que je ne pouvais pas demander autre chose et je persiste à croire et à prétendre que cette demande est très sérieuse et conforme au règlement.

MTJµ. - Non, elle n'est pas sérieuse.

MVIµ. - Il n'est pas exact de dire qu'il ait fallu forcer le gouvernement et lui mettre l'épée dans les reins pour le contraindre à déposer le projet de loi sur la milice. Il est encore inexact de dire que le gouvernement n'ait pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour faire discuter cette loi dans la présente session. Le projet de loi a été déposé au mois de novembre dernier ; l'impression en a duré assez longtemps, il est vrai, mais le projet a pu être distribué assez à temps pour que les sections aient pu s'en occuper dès le mois de janvier dernier. Une fois le projet de loi arrivé à ce point, le gouvernement n'avait plus à intervenir, attendu qu'il n'a pas à régler les travaux des sections ; si donc l'examen de la loi n'est pas encore terminé, la faute n'en est pas au gouvernement.

A cette loi, messieurs, se rattachent des questions extrêmement importantes, et je comprends parfaitement que l'examen au sein des sections et de la section centrale ait duré assez longtemps déjà. Mais je constate que le gouvernement n'y est absolument pour rien et que c'est lui, au contraire, qui a, plusieurs fois, réclamé la discussion du projet de loi. Je tiens à constater ce fait, afin qu'on ne puisse tirer, contre le gouvernement, aucune induction du retard que la discussion de ce projet a éprouvé. Le gouvernement, dans cette circonstance, a fait tout ce qu'il pouvait pour hâter le plus possible cette discussion.

M. de Breyneµ. - En ma qualité de membre de la section centrale chargée d'examiner la loi sur la milice, je puis dire à quel point en est arrivé l'examen de ce projet.

La section centrale s'est réunie trois fois, elle s'est occupée de la discussion générale ; on y a produit un nouveau projet ; l'honorable M. Kervyn de Lettenhove après avoir lu une soixantaine de pages est venu prier le président de vouloir faire imprimer son travail ; c'est un nouveau projet de loi ; il nous a été distribué deux ou trois jours avant les vacances de Pâques.

Je demande comment la section centrale aurait pu terminer l'examen du projet, malgré tout son zèle et le vif désir qu'elle a de voir cette question résolue.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, j'ai été mis deux fois en cause : une première fois par M. le ministre de la justice, et la seconde fois par l'honorable M. de Breyne.

M. le ministre de la justice s'est adressé, je pense, à moi, quand il a fait remarquer que dans une séance récente, on avait semblé faire un grief au gouvernement d'avoir fait ajourner l'examen du projet de loi sur la milice pour aborder d'abord et avant tout la loi sur les bourses d'études.

Je déclare que j'ai été sincère dans l'expression de ce regret et je demande la permission de rappeler à la Chambre que, dans la session dernière, j'ai interpellé le gouvernement en exprimant le vœu que la loi sur la milice (loi que je considérais comme étant plus importante que toutes les autres) fût présentée sans retard.

Les paroles que vient de prononcer l'honorable M. de Breyne constatent l'importance que j'attache à ce projet de loi.

Comme l'a fait remarquer l'honorable représentant de Dixmude.je me suis livré à un travail très sérieux sur cette question, et. je prends à témoin mes honorables collègues de la section centrale, qu'aussitôt que j'ai reçu les renseignements que j'avais demandés à M. le ministre delà guerre, j'ai terminé mon travail avec une telle précipitation que 48 heures après il était distribué aux membres de la section centrale.

Je regrette que la discussion en sections du projet de loi sur les bourses ait entraîné la regrettable nécessité de faire ajourner l'examen du projet de loi sur la milice qui intéresse si vivement nos populations, Il est évident que les membres de la Chambre ne pouvaient pas être en même temps convoqués en sections pour examiner deux projets de loi différents.

Je regrette une fois de plus que la loi sur la milice qui intéresse si vivement nos populations n'ait pas eu l'honneur de passer la première.

Je n'ai pas bien compris en quels termes était conçue la pétition qui vient d'être présentée, mais il me paraît que si son but est de voir accélérer la discussion de ce projet dans les limites de ce qui est possible, c'est-à-dire d'obtenir que cette discussion vienne le plus tôt possible ; cette pétition ne saurait être accueillie avec assez d'empressement ; et c'est en appuyant la demande d'un prompt rapport, que j'exprimerai de nouveau le regret que la discussion de la loi sur la milice n'ait pu avoir lieu dans cette session, et je désire qu'elle soit abordée le plus tôt possible.

MTJµ. - M. Kervyn vient de dire que l'examen et la discussion en section centrale du projet de loi sur les bourses d'études, a été cause qu'on a dû retarder l'examen du projet de loi sur la milice en section centrale. Quels sont les membres qui font partie des deux sections centrales ? Si je ne me trompe, la section centrale pour les bourses d'études était présidée par M. l'honorable Moreau, et composée de MM. de Liedekerke, Nothomb, de Pitteurs, Bara, Van Humbeeck et Sabatier. Comment était composée la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice ? Elle était présidée par M. E. Vandenpeereboom, et composée de M. Kervyn de Lettenhove, de Breyne, Muller, Braconier, Guillery et Julliot.

Où donc était l'entrave, je vous prie, où était la difficulté pour les deux sections de se réunir ?

Ainsi donc, ces deux travaux pouvaient parfaitement marcher ensemble.

Je constate donc que le fait avancé est complètement inexact. Je constate que la Chambre eût pu, et ce n'est certes pas au gouvernement à régler le travail des sections, eût pu, dis-je, examiner les deux projets de lois en même temps.

Prétendra-t-on, messieurs, que c'est le travail en sections qui a été entravé ? Mais, messieurs, nous savons tous que le travail en sections de l'un et de l'autre projet n'a pas duré longtemps. Le travail en sections de la loi sur les bourses d'études n'a pas duré plus de quatre jours. Il était terminé depuis longtemps en sections lorsque mon honorable ami M. le ministre de l'intérieur est venu demander à la Chambre de presser l'examen du projet de loi sur la milice.

Voilà ce qui s'est passé. Par conséquent que l'on ne vienne pas accuser le gouvernement d'être la cause que jusqu'à présent le rapport sur le projet de loi sur la milice n'est pas fait.

Messieurs, la raison pour laquelle le rapport n'est pas fait, c'est qu'il s'agit d'un projet des plus importants et des plus difficiles.

Nous ne pouvons que féliciter l'honorable M. Kervyn de toute l’attention qu'il veut bien donner à ce projet de loi, des études auxquelles il se livre ; mais par cela que le projet de loi est très important, qu'il présente de très difficiles questions sur lesquelles il y a la plus grande divergence d'opinion, cela explique comment le rapport n'est pas fait.

- Une voix. - Il n'y a pas même de rapporteur nommé.

MTJµ. - Il n'y a pas même de rapporteur nommé, dit-on. Cela explique comment ce travail n'a pas pu venir pendant cette session.

Ce que l'on demande ne peut donc pas aboutir, et ne peut être sérieux. Il est impossible que vous adoptiez aujourd'hui n'importe quelles conclusions.

Vous ne pouvez discuter sans rapport, et il est sûr dès maintenant, quelque regret que nous en éprouvions, que ce n'est pas dans cette session que l'on pourra s'occuper de ce projet de loi.

M. Gobletµ. - Messieurs, je ne dirai que quelques mots. Les explications que chacun des membres intéressés ont données dans ce débat prouvent surtout qu'il est complètement intempestif, que la motion tendante à interrompre la discussion actuelle est parfaitement absurde et qu'elle ne peut aboutir à rien.

Chacun a fait son devoir, le gouvernement, la section centrale et les membres de la Chambre.

En prouvant que chacun a apporté tout le zèle possible à l'accomplissement de sa tâche, en serons-nous plus près de conclure dans ce débat ?

Faire un prompt rapport sur une pétition demandant la mise à l'ordre du jour d'un travail qui n'est pas distribué et dont le rapporteur n'est pas même nommé, c'est vouloir par une fin de non-recevoir ridicule, permettez-moi l'expression, c'est en un mot vouloir interrompre d'une manière indirecte une discussion que l'on voudrait ne pas continuer.

Je propose la clôture de l'incident et le renvoi pur et simple de la pétition à la commission des pétitions.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je n'ai pas compris exactement, je l'ai déjà dit, les termes de la pétition. II n'est pas dans ma pensée d'interrompre la discussion actuelle. Cette discussion, nous ne la fuyons pas. J'ai voulu seulement constater que dans le pays, en dehors de la Chambre, il y a un motif très légitime d'anxiété, et un très vif désir d'arriver à un résultat qui l'intéresse à un aussi juste titre que la loi sur la milice.

Je ne reviendrai pas sur les faits exposés par M. le ministre de la justice. Je n'ai pas voulu parler de la section centrale, mais des travaux des sections.

(page 753) On comprend qu'en présence de deux textes de lois aussi importants que la loi sur les bourses et la loi sur la milice, les études des membres de la Chambre n'aient pas pu embrasser simultanément les deux projets.

Je ne veux pas prolonger cet incident. J'aime à croire que la Chambre proclamera comme moi que vis-à-vis de la loi sur la milice nous sommes tous animés d'une même pensée et d'un même désir, et le pays nous tiendra compte au moins de ces bonnes intentions.

M. Muller. - Je fais un appel à la loyauté de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove. Alors qu’il a proposé tout un nouveau projet de bi sur la milice, projet de loi qui entraîne la révision de notre organisation militaire sur plusieurs points importants, l'honorable M. Kervyn croit-il possible que le projet de loi sur la milice soit livré à la discussion de la Chambre dans la session actuelle ?

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Non.

M. Muller. - Je n'en demande pas davantage, je constate seulement cette réponse.

MpVµ. - Nous sommes d'accord pour le renvoi à la commission des pétitions.

M. Van Overloop demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

M. Van Overloop. - Je ne demande pas, remarquez-le bien, la suspension de la discussion actuelle.

- La demande d'un prompt rapport est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.

La pétition est renvoyée à la commission des pétitions.

Projet de loi relatif aux fondations de bourses en matière d’enseignement

Discussion générale

M. de Theux (pour une motion d’ordre). - Il a été souvent question du nombre des bourses affectées à chacune des quatre facultés des quatre universités. Il est temps de mettre un terme aux allégations contraires. Je prierai donc M. le ministre de bien vouloir déposer sur le bureau le chiffre exact des revenus dont jouit l'ensemble des boursiers de chacune des facultés dans les quatre universités, soit que ces bourses proviennent du gouvernement, des provinces, des communes ou des fondations. Alors la Chambre pourra d'un coup d'œil apprécier la situation des universités quant à la jouissance actuelle des bourses.

Il est bien entendu que comme il s'agit dans cette discussion de questions de principes qui dominent le débat, je n'entends nullement subordonner la discussion de ces questions à un chiffre. Ce sont deux choses d'un ordre différent. Mais je crois qu'il est important de constater une bonne fois quel est le chiffre dont se composent les bourses attribuées aux étudiants des diverses universités.

M. Tesch, ministre de la justiceµ. - Messieurs, j'ignore si ce tableau existe ; je ne le crois pas. Mais je ferai en sorte de donner d'ici à mardi, plus tôt si c'est possible, les renseignement que l’honorable comte de Theux désire, au moins quant aux bourses de fondation, non pas pour chacune des facultés, mais pour les facultés réunies de philosophie, des sciences, de droit et de médecine, en distinguant la faculté de théologie.

Quant aux bourses accordées par les communes, par les provinces et par l'Etat, c'est un document que le département de la justice ne possède pas, mais je puis faire en sorte de l'obtenir du département de l'intérieur pour une année déterminée.

M. de Theux. - Pour l'année actuelle ; c'est plus simple.

MTJµ. - Pour l'année actuelle, ce n'est guère possible. Je ne puis guère donner, en ce qui concerne les bourses de fondation, que le relevé fait sur les derniers comptes, et celui-ci se reporte à l'année scolaire 1858-1859.

(page 755) M. De Fré. - Messieurs, les principes que le projet de loi consacre ne sont pas nouveaux ; ils ont été proclamés et défendus dans tous les temps par les hommes les plus éminents du parti libéral, lorsque ce parti était dans la minorité, non pour faire de l'opposition, mais comme des principes salutaires et féconds, dans lesquels ils avaient une foi entière, et c'était un devoir pour eux, le jour où ils arrivaient au pouvoir, de chercher à réaliser les principes pour lesquels ils avaient lutté dans l'opposition.

Cependant le projet de loi a été attaqué et dénoncé comme une loi monstrueuse qui rappelle Tibère, a dit l'honorable comte de Liedekerke, qui prépare le despotisme, a dit l'honorable M. Kervyn, qui annonce la décomposition sociale, diront d'autres orateurs.

Une justice à rendre à nos honorables adversaires, c'est que s'ils ont frappé fort, ils n'ont pas frappé juste. Leurs coups ont été tellement forts qu'ils sont allés atteindre qui ? La majorité libérale ? Non ! mais la papauté elle-même. On nous accuse de supprimer les collateurs, la papauté a fait mieux que cela, elle a supprimé les institués, comme je le prouverai tout à l'heure.

Si un étranger, qui ne connaît pas la manière de discuter des honorables membres de la droite, assistait à ces débats, un étranger qui ne sait pas que chaque fois que le parti libéral propose une réforme utile, c'est toujours avec la même violence et la même injustice que ce parti est attaqué, cet étranger se demanderait comment il est possible qu'un parti qui commet de pareils méfaits, reste au pouvoir pendant deux fois vingt-quatre heures. Et cependant ce parti gouverne depuis plus de cinq ans !

De quoi s'agit-il et quel est le reproche qu'on fait à la loi ? On reproche à la loi de ne pas permettre les fondations au profit des écoles du clergé. Je dis : les écoles du clergé, car ce n'est pas au profit de l'université de Bruxelles qu'on réclame des fondations, puisque l'enseignement de l'université de Bruxelles a été condamné par les lettres pastorales.

Que reproche-t-on encore à la loi ? La loi veut substituer à des administrations multiples et intolérantes, des administrations centrales et impartiales. Il existe dans le pays des fondations de bourses, que les siècles passés nous ont léguées. Ces fondations constituent un patrimoine commun, un patrimoine national, et le projet de loi a pour but de répartir d'une manière équitable entre tous les enfants du pays, sans distinction d'opinions et de cultes, ce patrimoine de l'enseignement ; et parce qu'il est arrivé, par des circonstances que tout le monde connaît, qu'une école du clergé s'est mise en possession presque exclusive de ce patrimoine, et qu'à ce privilège, le projet veut substituer le droit commun, nous entendons des lamentations et des cris de colère !

L'honorable M. Kervyn, d'un ton plaintif et attendrissant, est venu nous demander s'il n'y avait pas moyen d'écarter pour quelque temps cette calamité publique...

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je ne vous ai pas compris.

M. De Fré. - Je ne vous comprends pas toujours non plus.

Après lui, l'honorable M. B. Dumortier, dans un de ces incidents où il a toujours tant de succès, est venu dire que la loi était tellement mauvaise que personne n'osait se lever pour la défendre. Il nous a accusés de vouloir épuiser les orateurs de la droite ; ce n'est pas pour lui qu'il l'a dit, l'honorable M. B. Dumortier est inépuisable.

L'accusation de l'honorable M. B. Dumortier est étrange. Je suppose que la gauche eût dit à la droite : « Voilà un projet qui consacre nos principes. Vous êtes dix, quinze, vingt orateurs ; levez-vous les uns après les autres pour le combattre ; nous recevrons vos coups, et nous ne les rendrons pas. »

C'eût été de la part d'adversaires politiques un acte de courtoisie ; et l'honorable M. B. Dumortier nous le reprocherait comme un acte de déloyauté !

Réellement, je ne comprends pas l'honorable M. B. Dumortier ; lorsque les orateurs de la gauche parlent, il nous accusé d'étouffer la discussion, et lorsque la gauche laisse parler les orateurs de la droite, l'honorable M. B. Dumortier se lève et dit que nous conspirons. Je me demande quand nous pourrons satisfaire l'honorable M. B. Dumortier.

Après l'honorable M. B. Dumortier, nous avons entendu l'honorable comte de Liedekerke...

« Vous nous fîtes, seigneur,

« En nous croquant beaucoup d'honneur. »

Dans un discours plein de pompe oratoire, l'honorable comte de Liedekerke, pour mettre la loi en pièces, a défendu la propriété, la famille, la démocratie et l'immortalité de l’âme ! Jamais je n'ai entendu invoquer des sentiments plus élevés pour soutenir des doctrines plus oppressives. Puisque l'honorable membre s'est fait le défenseur de la démocratie, et qu'il nous accuse, nous, de soutenir des lois que Tibère n'eût point désavouées, je lui dirai que les empereurs de Rome empruntaient les formules libérales de la république, pour mieux cacher leur despotisme.

Les doctrines qui ont été soutenues par l'honorable comte de Liedekerke sont des doctrines despotiques ; des doctrines que la société moderne, avec ses principes d'égalité, de liberté et d’unité sociale ne peut pas laisser prendre racine dans nos lois...

M. de Haerne. - Je demandé la parole.

M. De Fré. - Ensuite, est venu l'honorable M. Landeloos. (page 756) L'honorable membre accuse la loi de spoliation ; pour prouver que la loi est spoliatrice, il attaque l'administration des hospices de Bruxelles, l'administration des hospices de Diest, l'administration des hospices de Louvain, et il vient nous parler de l'enquête électorale de Louvain.

Ce sont là des choses tout aussi étrangères à la discussion que les pages que nous ont lues et l'honorable comte de Liedekerke et l'honorable M. Kervyn.

Que dirait l'honorable M, Landeloos, si, m'écartant de ce débat, je venais faire ici l'éloge de la probité politique ; si je venais soutenir que dans un pays de liberté où les partis gouvernent, les hommes qui composent un parti doivent montrer l'exemple de la fidélité au drapeau ; si, sous le cri de ma conscience indignée, je flagellais ici les hommes sans conviction et sans conception politiques, qui vont d'un parti à l'autre et qui ne défendent de drapeau que celui qui couvre leur nullité ou calme leur impatience ? Que dirait l'honorable membre ? Que cela est étranger au débat.

Après avoir indiqué toutes les exagérations de la droite, je me demande ; de quoi il s'agit.

Messieurs, la loi a deux objets ; elle constitue en premier lieu, la partie organique des fondations. Vous avez, tous, voté le principe des fondations, en matière d'enseignement ; vous l'avez voté dans la loi de 1842, en matière d'enseignement moyen, vous l'avez voté en 1850.

Mais les personnes qui voulaient faire des libéralités au profit de l'enseignement primaire comme au profit de l'enseignement moyen, ne savaient à qui s'adresser, parce qu'il n'y avait pas un organisme constitué. Or, le gouvernement, en présence des principes que vous avez votés, vous a présenté une loi d'organisation.

Je crois bien que ce point ne soulèverait pas de grandes discussions dans la droite, si le gouvernement avait permis de faire des fondations au profit d'écoles libres.

Et ici, je rencontre directement les discours de l'honorable comte de Liedekerke et de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove.

Messieurs, il est un principe que tous ceux qui sont pénétrés de l'esprit de nos institutions, doivent proclamer.

Il n'est pas possible de faire des fondations au profit des écoles libres, que ces écoles soient libérales ou qu'elles soient catholiques. Cela n'est pas possible ; et quand on vient soutenir la doctrine que des fondations peuvent être faites au profit des écoles libres, on soutient une véritable hérésie, une hérésie qui n'a jamais été soutenue même sous l'ancien régime !

Et d'abord, pourquoi ni peut-on pas admettre les fondations au profit des écoles libres ? Parce que la fondation est un privilège et que tout privilège étouffe la liberté et l'égalité.

Lorsqu'une école libre aura reçu une fondation, que cette école soit catholique ou libérale, elle se trouvera dans une position privilégiée à l'égard des autres écoles libres, et le principe de l'égalité sera violé. Si une école libre reçoit une fondation, cette fondation sera soumise à la surveillance de l'autorité, et je demanderai si le clergé laisserait l'autorité entrer dans son école ; je demanderai si l'université libre de Bruxelles laisserait pénétrer l'autorité chez elle, si elle se soumettrait à une pareille inspection.

Evidemment, elle ne le voudrait pas, et le clergé ne le voudrait pas non plus. Pourquoi ? Parce que cela serait contraire à la liberté constitutionnelle dont nous jouissons.

Que dit la Constitution, messieurs ? Elle proclame la liberté de l'enseignement ; elle met l'enseignement à l'abri des atteintes de l'autorité. Non seulement l'autorité n'a pas d'action sur l'enseignement libre, mais elle n'a pas même le droit d'inspection sur cet enseignement ; et je suis vraiment surpris d'entendre les honorables MM. de Liedekerke et Kervyn, des chefs du parti catholique, demander, au nom de leur parti, ce privilège qui tuerait leur parti et les libertés dont il jouit.

Mais, messieurs, comment est-il possible qu'on n'ait pas songé à consulter l'histoire, qu'on n'ait pas eu recours à la science juridique ? On eût facilement pu se convaincre, en recourant à ces lumières, que jamais une fondation n'a été permise au profit d'un intérêt privé : tous les jurisconsultes anciens et modernes ont toujours enseigné et proclamé qu'on ne peut faire de fondation qu'au profit d'établissements publics.

Et puisque l'honorable M. Kervyn a cité des autorités, étrangères au débat, je vais, à mon tour, invoquer des noms de jurisconsultes dont la valeur juridique ne sera contestée par personne.

Dans le Dictionnaire de droit canonique on lit :

« Fondation s'entend communément de l'établissement d'une église, d'un monastère, d'un bénéfice, d'un service. »

Fleuricéon, dans son code administratif dit : « Le mot fondation a été consacré pour désigner des donations ou des libéralités faites dans quelque vue à l’intérêt public »

Et Camus, qui écrivait avant 1789, dit :

« Toute fondation suppose, dans son objet, un intérêt supérieur à l'intérêt privé, c'est-à-dire un intérêt public. »

Et le Journal du palais, qui résume les doctrines de tous les auteurs sur la question, s'exprime ainsi :

« Le mot fondation désigne sensu lato, toute libéralité faite entre-vifs ou par disposition de dernière volonté en faveur d'un établissement ou d'un service public. »

Je défie l'honorable M. Kervyn de trouver une seule autorité juridique qui soutienne que, sous l'ancien régime ou sous le régime nouveau, il ait jamais été possible de faire une fondation au profit d'un intérêt privé.

Les anciennes fondations messieurs, à qui se faisaient-elles ? Oui, certainement, il y avait les corporations, les églises. Mais à la différence de ce qui existe aujourd'hui, les corporations, les églises, les abbayes étaient des personnes civiles ; dans la société de ce temps, elles remplissaient un service public ; et c'était à titre de service public, pour la charité, pour le culte et pour l'enseignement, qu'elles recevaient des fondations.

De sorte donc, que ce que la droite réclame est condamné par l'histoire et par le droit, par la science juridique : jamais on n'a enseigné, jamais on n'a compris la fondation au profit d'un intérêt privé !

Et qui donc aujourd'hui peut faire des fondations ? C'est le pouvoir législatif, c'est ce qu' on appelle l'Etat, c'est-à-dire, la nation tout entière représentée par la Chambre, par le Sénat et par le Roi. Les particuliers peuvent donner et non fonder. Quand ils donnent, leur libéralité va accroître le patrimoine d'un établissement public ; les particuliers ne peuvent pas fonder. Ce droit n'appartient qu'à la nation tout entière.

Voilà, messieurs, les principes modernes. S'il était possible qu'il y eût en Belgique un pouvoir législatif qui autorisât des fondations au profit d'écoles libres, quelles qu'elles soient, il rétablirait la personnification civile. Quand vous aurez proclamé pour les écoles libres le droit de recevoir des fondations, il faudra bien que le gouvernement accepte toutes les fondations. On fera 10, 20, 30, 40 fondations à un seul établissement ; et on rétablira ainsi la personnification civile ; et c'est ce que le pays repousse, vous le savez bien vous-mêmes.

Lorsque en 1840 vous avez essayé de donner la personnification civile à une école libre, vous n'avez pas osé laisser discuter le projet, vous l’avez retiré, vous avez reculé devant une pareille œuvre ; en 1857, vous réclamiez, en matière de charité, ce que vous demandez aujourd'hui en matière d'enseignement, c'est-à-dire des fondations au profit de la charité privée, comme vous demandez aujourd'hui des fondations au profit de l'enseignement privé, c'est le même principe ; et le pays vous a fait retirer le projet parce que la société moderne ne peut pas supporter les fondations ; l'esprit de notre société repousse les fondations, parce que les fondations constituent des privilèges et que la base des sociétés modernes est le droit commun, la liberté, l'égalité de tous les citoyens.

Ainsi donc, deux fois déjà vous-mêmes vous avez reculé, et en i 857 c'est le pays qui vous a fait reculer. Pas de fondations. ! Voilà le cri du pays.

Maintenant je me demande si c'est au profit de la liberté qu'on vient ici demander des fondations. J'admire les honorables membres de la droite avec leurs phrases libérales et démocratiques, au profit de l'enseignement libre.

Lorsque autrefois l'Eglise dominait l'Etat, lorsque vos pères étaient les maîtres, est-ce que vous demandiez la liberté d'enseignement au profit des philosophes ? Est-ce que, à Rome, vous demandez des fondations au profit de l'enseignement libre ? Vous n'en avez pas besoin. Vous espérez en Belgique, à l'aide des fondations, rétablir l'ancienne servitude, l'ancienne tyrannie ; chose étrange, ce serait au nom de la liberté qu'on égorgerait la liberté !

Messieurs, pourquoi y avait-il autrefois des fondations et pourquoi ces fondations se faisaient-elles au profit du clergé ? Parce que le clergé remplissait les deux grandes fonctions sociales, la charité et l'enseignement.

Dans quelle situation était l'Etat, le gouvernement d'alors ? Vous savez combien de fois il lui est arrivé de faire banqueroute ; il ne comprenait pas ces grands devoirs sociaux : l'enseignement et la charité. Il n'était pas l'expression de la volonté nationale ; il n'y avait pas d'unité nationale ; voilà pourquoi ces grands devoirs n'étaient pas compris.

Le gouvernement, du reste, était entièrement absorbé par l'Eglise ; l'Eglise donnait ; l'Eglise instruisait, l'Eglise faisait la charité et à cet état de choses qui a amené la tyrannie et la pauvreté, a succédé l'enfantement de 1789. De cet enfantement qu'est-il sorti ? L'Etat, c'est-à-dire (page 757) la nation toute entière triomphante, gérant le pays, dans l'intérêt du pays, puisque c'est le pays qui est géré par ses mandataires.

Je suis étonné d'entendre des membres distingués de la droite parler de l’Etat comme si c'était le gouvernement ; l'Etat, ce n'est ni le ministre de l'intérieur, ni le ministre de la justice, l'Etat, c'est la société entière, la nation entière, représentée par ses mandataires ; c’est parmi ces mandataires qu'on choisit les hommes qui gouvernent et garantissent les libertés des citoyens.

C'est la nation entière qui a succédé à l'église, c'est la nation qui remplit aujourd'hui ces deux grands devoirs sociaux, la charité et l'enseignement.

On va jusqu'à dire que l'Etat ne doit pas enseigner. Comment ! quelss«ont les principes de l'Etat, quels sont les principes de la nation ? Ce sont les principes qui ont triomphé en 1789.

C'est le principe de l'unité nationale, c'est pour cela que l'Etat doit enseigner l'amour de la patrie ; c'est pour cela que l'Etat doit veiller à ce que ce sentiment ne périclite pas dans la conscience des masses.

Ce qui a triomphé en 1789 ; c'est la liberté.

Vous catholiques, quand vous êtes troublés dans l'exercice de votre culte, l'Etat intervient pour vous en garantir le libre exercice. Quand les philosophes sont condamnés par le prêtre, quand un prêtre vient dire : ce mort, je le condamne et j'ordonne à l'Etat d'exécuter ma sentence, l'Etat intervient non pour exécuter la sentence intolérante du prêtre, mais pour protéger le mort.

L'Etat, dites-vous, ne doit pas enseigner ? Comment ! l'Etat fait des lois qui frappent de la peine de mort, et l'Etat n'apprendrait pas à lire ! Il n'avertirait pas ceux qui peuvent être frappés par ses lois, il ne donnerait pas aux populations les moyens de lire la loi qui les frappe, la loi qui peut les tuer !

Messieurs, il est évident que d'après les principes que nous avons exposés plus haut, la société moderne ne peut pas permettre que des individus acquièrent, contre la nation tout entière, une position privilégiée, parce qu'il y aurait là un danger pour la liberté, un danger pour l'égalité, un danger pour l'unité nationale, principes que nos pères ont conquis et que nous devons conserver. Donc pas de fondations !

Le second objet du projet concerne les bourses.

Il y a un grand nombre de fondations de bourses. La Constitution de 1830 a exigé une organisation nouvelle pour ces bourses. Il s'agit, comme je le disais en commençant, de remplacer des administrations multiples dont je n'attaque pas l'honnêteté, par des administrations centrales et impartiales, et dont l'existence est condamnée par nos principes constitutionnels.

La plupart de ces collations de bourses sont faites au profit de titulaires ecclésiastiques. Eh bien, messieurs, pourquoi cela ? Pourquoi les fondateurs donnaient-ils la collation à des ecclésiastiques ?

Cela s'explique par l'organisation de l'ancienne société.

Le clergé constituait un ordre dans l'Etat. Le clergé avait des privilèges dans l'Etat, une juridiction spéciale dans l'Etat, le clergé enseignait, le clergé faisait la charité, le prêtre était le personnage le plus important de l'ancienne société.

Aujourd'hui tous les ordres et tous les privilèges sont abolis. Et quand la Constitution déclare que tous les Belges sont égaux devant la loi, que tous sont admissibles aux emplois publics, laisser subsister ces titulaires d'autrefois c'est porter atteinte à un principe constitutionnel.

Voici ce que dit M. de Bonne dans son remarquable travail sur le droit de fonder :

« La Constitution veut l'égalité des Belges devant la loi, et les déclare tous admissibles aux emplois publics. Par conséquent le pouvoir législatif ne peut concéder à certains individus, tels que curés, évêques, supérieurs ou membres de congrégations, le privilège d'administrer les fondations. »

L'honorable M. Landeloos disait hier : Je vous jure qu'il n'y a pas de pression, qu'aucun collateur n'a cherché à peser sur un élève pour le faire aller à l'université catholique.

Je réponds à l'honorable M. Landeloos : Il y a pression ou il n'y en a point ; s'il n'y a point de pression, comme vous le dites, mais alors pourquoi attaquez-vous la loi, pourquoi dites-vous que c'est une spoliation ? Si tous les boursiers qui sont aujourd'hui à l'université de Louvain, y sont allés de leur libre volonté, eh bien, après le vote de la loi, ils auront encore le droit d'aller à l'université de Louvain. Pourquoi craignez-vous la loi ? Pourquoi appelez-vous la loi une spoliation ?

Ou bien il y a pression et alors vous devez subir la loi parce que nous vivons dans un pays libre et qu'il n'appartient à aucun fonctionnaire d'exercer sur un citoyen une pression quelconque pour entraver sa liberté, pour opprimer sa conscience.

On dit qu'il n'y a pas de pression. Mats voyons. Je dis qu'il doit y avoir pression parce qu'il n'est point possible que des prêtres permettent à des boursiers d'aller à l'université de Bruxelles, d'aller à l'université de Gaud. Et pourquoi ? Parce que ces universités ont été condamnées par les évêques.

« L'université catholique de Louvain, dit Mgr l'évèquc de Bruges, qui, dans toutes les luttes littéraires, comme dans toutes les épreuves légales auxquelles elle a été soumise, a su conserver le premier rang des universités belges, par le nombre et le succès de ses élèves, vous rend l'accomplissement de vos devoirs paternels très facile. Dans cet établissement vraiment catholique, les jeunes gens trouvent tous les moyens de faire des études solides, sans compromettre leur foi et leurs mœurs. La direction fatale que l'enseignement supérieur a prise dans les deux universités de Bruxelles et de Gand, ajoute un nouveau prix à l'enseignement de l'université catholique. Aussi saisissons-nous avec empressement cette occasion de remercier les fidèles qui chaque année offrent une généreuse aumône pour le soutien de cet établissement, et nous conjurons le : Seigneur de les récompenser au centuple.

« En terminant, nous conjurons de nouveau les pères de famille de bien se convaincre des dangers que présente pour leurs enfants un enseignement supérieur qui n'est pas sincèrement chrétien, et de ne point s'exposer aux tristes mécomptes qui échoient toujours aux parents ou trop faibles ou trop intéressés pour obliger leurs enfants à fréquenter les écoles catholiques. C'est par un sentiment d'affection pour eux et pour leurs enfants que nous leur donnons ces conseils. Le Seigneur voit la pureté de nos intentions, et ce ne sera désormais plus à nous qu'il pourra imputer la perte des jeunes gens catholiques que des doctrines impies et erronées entraîneront dans l'abîme de l'impiété et du vice.

« Cette lettre pastorale sera lue au prône dans les églises paroissiales et les oratoires publics du diocèse, le dimanche qui en suivra la réception. » (Mandement du 10 septembre 1856).

Cette lettre pastorale est pour chaque prêtre une autorité et un ordre auxquels il ne peut se soustraire. Eh bien, messieurs, je vous le demanderai, y a-t-il dès lors un seul prêtre, s'il a la foi, s'il remplit son devoir, s'il écoute les paroles de son pasteur, qui puisse permettre à un boursier d'aller étudier à Bruxelles ou à Gand ? Le permettre ! Sa conscience de prêtre lui impose le devoir d'envoyer le boursier à l'université catholique.

On a beau dire : il n'y a pas de pression, il doit y en avoir puisque l'évêque a condamné l’enseignement de l'université libre et de l'université de Gand.

Puisque l'évêque a condamné cet enseignement, il ne peut pas être permis à un seul prêtre collateur de laisser aller un jeune homme étudier à Gand ou à Bruxelles. Pourquoi ? Parce que le prêtre serait responsable du mal qui pourrait arriver.

Je viens de vous rappeler comment s'exprime l'évêque de Bruges. Je ne vous lirai pas les autres lettres pastorales ; mais toutes n'ont qu'un but : faire arriver à Louvain le plus grand nombre de jeunes gens possible. Et cela pourquoi ? Dans l'intérêt de l'université ? Non ; mais pour le salut de ces pauvres jeunes gens qui, à Gand ou à Bruxelles, seraient perdus et qu'un bon pasteur ne peut pas laisser perdre.

Du reste, les chiffres cités par l'honorable M. Landeloos prouvent qu'il y a pression. M. Landeloos est venu vous dire : Sur un chiffre de... l'université catholique n'a eu que pour 25,000 fr. de bourses. Eh bien, dans cette même année où l'université catholiques avait pour 25,000 fr. de bourses, combien en avait l'université de Bruxelles ? Elle en avait pour 1,600 fr. Et quels étaient les collateurs de ces bourses s'élevant à 1,600 fr. ? N'étaient-ce pas des collateurs laïques ?

A-t-on le droit d'aller étudier où l'on veut ? Est-ce que la liberté existe pour les boursiers ? Est-ce qu'on a le droit, lorsqu'on n'est que distributeur d'un patrimoine commun, d'un patrimoine national, d'imposer à un homme, contrairement à ses opinions, contrairement à sa religion, d'aller étudier dans telle université plutôt que dans telle autre ? Evidemment, non.

Messieurs, l'honorable M. Landeloos était dans l'erreur lorsqu'il est venu nous parler de ces fondations de bourses comme étant la propriété de l'université catholique.

Les anciennes fondations de bourses constituaient des établissements publics, elles faisaient partie d'un établissement public.

Car l'ancienne université de Louvain n'était pas une association libre. Elle avait été érigée avec l'autorisation du pape, comme cela devait se faire à cette époque, lorsqu'il s'agissait d'enseignement (page 758) supérieur, mais en vertu d'un édit de Jean IV, de 1426 ; c'était une personne civile qui avait le droit de collation des grades ; ceux qui voulaient exercer des fonctions publiques, ou des professions libérales, devaient avoir un diplôme de l'ancienne université de Louvain. Les fondations de bourses constituaient le patrimoine de cet établissement public.

Cet établissement public a été supprimé. Et alors que sont devenues les fondations ? Elles ont été réunies au domaine. Depuis elles ont appartenu à l'université impériale de France, encore une personne civile, et après 1814 le roi Guillaume les a réparties entre les universités de l'Etat.

Messieurs, je suis très étonné d'entendre invoquer ces arrêtés du roi Guillaume comme favorables aux prétentions de la droite. Ces arrêtés du roi Guillaume interdisaient la jouissance des bourses à une école libre, à l'université de Louvain comme à l'université de Bruxelles. (Interruption.)

M. Wasseigeµ. - Il n'y en avait pas et il ne pouvait pas y en avoir.

M. B. Dumortier. - II ne pouvait donc pas leur interdire les bourses.

M. De Fré. - Ne parlez pas tous à la fois.

Les arrêtés du roi Guillaume ne vous permettent pas de disposer d'une seule bourse au profit de l'enseignement catholique de Louvain. Voilà l'esprit de ces arrêtés.

M. B. Dumortier. - Sous le gouvernement hollandais il n'y avait pas d'enseignement libre.

MRAEµ. - Il y avait des écoles privées.

M. De Fré. - La liberté d'enseignement n'existait pas comme elle existe aujourd'hui ; je suis d'accord sur ce point avec l'honorable M. Dumortier ; mais il y avait des établissements particuliers.

Il s'agit ici de l'enseignement supérieur, et aucune université libre ne peut, en vertu des arrêtés du rei Guillaume, se mettre en possession d'une fondation de bourse. Et on invoque ces arrêtés contre le projet de loi !

La loi qu'on discute permet ce que les arrêtés du roi Guillaume ne permettaient pas. Quand la loi sera votée, les universités libres jouiront, comme les universités de l'Etat, des anciennes fondations de bourses.

Et maintenant, si l'on n'avait pas le droit de se mettre en possession des bourses qui ont été réglementées par le roi Guillaume, je suis fort étonné que l'on crie à la spoliation. Ce sont ceux qui ont pris une chose qui ne leur appartenait pas, qui crient ici à la spoliation et au voleur.

Je suis fâché que l'honorable M. Dumortier m'ait interrompu. Si j'ai parlé des arrêtés du roi Guillaume, c'était pour soutenir que sous la législation qui va être modifiée, une université catholique n'avait pas le droit de se mettre en possession des bourses. Or il est arrivé, qu'en fait, elle est en possession du plus grand nombre de bourses.

Et c'est son représentant le plus direct, c'est l'honorable M. Landeloos qui crie à la spoliation ! Ceux qui jouissent du bien d'autrui, du bien de l'Etat, c'est-à-dire de la nation, ceux-là crient au voleur !

La loi nouvelle, messieurs, ne donne-t-elle pas des garanties à la liberté ? N'y a-t-il pas dans les commissions nommées par les députations permanentes une garantie entière ? Comment ! Les commissions provinciales proposées par la loi sont nommées par les députations permanentes. Les députations permanentes sont nommées par les conseils provinciaux. Les conseils provinciaux sont nommés par les électeurs. Et vous avez peur des électeurs. Vous ne voulez pas admettre qu'une commission qui sort des entrailles du pays par le fait des élections, donne toutes les garanties d'impartialité possibles.

Mais ces commissions sont renouvelées tous les ans. Si des actes de partialité se font jour, mais vous avez le recours au gouvernement, et au-dessus du gouvernement vous avez le contrôle des Chambres. Ces administrations provinciales sont sous le contrôle des Chambres et les Chambres sont sous le contrôle du pays. Quelle plus grande garantie voulez-vous avoir ? Qu'est-ce, à côté d'une commission constituée de cette manière et agissant au grand soleil, qu'est-ce que les collations d'aujourd'hui ? Rendent-elles toujours compte ?

Si j'en avais le temps je prouverais combien il y a de bourses qui ne sont pas distribuées. Je renvoie à cet égard à la discussion parlementaire de 1857.

Je prie la Chambre de m'écouter encore pendant quelques instants, je n'ai plus qu'un seul point à rencontrer, c'est la question de rétroactivité.

On ne touche point aux institués, on ne touche qu'aux collateurs.

Messieurs, pour résoudre la question de la rétroactivité, il s'agit de savoir ce que c'est qu'une fondation. Evidemment une fondation c'est un établissement public et celui qui administre cette fondation, cet établissement public, le collateur, qu'est-ce qu'il est ? Il est fonctionnaire public. Il remplit une fonction publique et cette fonction publique il peut la perdre.

Ce n'est pas là un droit civil. Le droit civil, c'est ce qui tient à la personne, c'est ce qui naît avec la personne, c'est ce qui meurt avec la personne.

L'honorable M. Kervyn de Lettenhove est venu nous dire qu'une collation est un droit civil, un contrat. Mais je demanderai à l'honorable M. Kervyn de Lettenhove, qui est membre de 1 Académie, si sa qualité d'académicien constitue un droit civil et s'il y a un contrat entre lui et le gouvernement qui l'a nommé membre de l'Académie des belles-lettres de Belgique ?

C'est une fonction à laquelle il a été nommé à cause des titres qu'il y avait, mais son droit d'académicien il ne le puise pas en lui-même. Il exerce ce droit en vertu d'une nomination qui lui a conféré cette qualité. Cela ne constitue pas un droit civil.

Voici ce qu'on enseigne sur les bancs de l'école :

« Le droit privé s'empare de l'homme à sa naissance, et lui donne, en quelque sorte, le baptême juridique par l'état civil, accompagné de toutes ses conséquences, relativement à l'exercice des droits individuels. » (Encyclopédie du droit, par M. Ad, Roussel, professeur à l'université de Bruxelles.)

Maintenant si la collation constitue une fonction publique, il est évident que le gouvernement peut la supprimer, que la nation peut la supprimer par la voie de ses mandataires directs.

Si donc la nation trouvait que les principes politiques sous l'empire desquels elle vit ne permettent pas de conserver une fonction d'un autre âge, une fonction qui n'est plus en harmonie, ni avec les besoins du siècle, ni avec les principes de la société moderne, il faut nécessairement que la nation, représentée par le pouvoir législatif, dans l'intérêt commun, pour le bien commun, supprime cette fonction et la remplacer par une autre mieux appropriée à la société actuelle.

Messieurs, je pourrais vous lire dans l'excellent travail de Duvergier un passage sur la, rétroactivité, qui prouve clairement que lorsqu'il s'agit de fonctions politiques, il ne peut pas être question de rétroactivité ; mais je crois qu'il n'est pas nécessaire.

Messieurs, on accuse le projet de loi de ne pas respecter la volonté du testateur ; j'ai ici en mains la copie d'une décision de collateurs, appartenant à l'ordre ecclésiastique et oh la volonté du testateur n'a pas été respectée. Il s'agissait de savoir si une bourse pouvait être donnée à une autre qu'à un institué.

La fondation Sanders, rétablie par arrêté ministériel du 18 septembre 1820, a été créée le 8 février 1658, par G. Sanders, en faveur 1° de ses parents, 2° des habitants de Breugel et d'Oedenrode (Brabant septentrional). Le revenu annuel sert à former une bourse, conféré à un étudiant de Louvain, parent du fondateur. Or, qu'a-t-on fait ? La bourse a été conférée à un jeune homme que l'acte de fondation exclut ! Voici l'acte de collation, quand vous l'aurez entendu, je doute que l'on vienne encore nous reprocher à nous, de vouloir violer la volonté des fondateurs :

« Nous collateurs de la bourse fondée par Guillaume Sanders, curé du Béguinage à Louvain, pour étudier en philosophie, etc.

« Vu que la publication de la vacance de cette bourse a été faite de la manière voulue par la loi ;

« Vu la demande en obtention de cette bourse, nous faite par le sieur Joseph-Charles-Antoine-Benoît de B....., d'Hoogstraeten, élève en droit à l'université de Louvain ;

« Vu son certificat de bonne conduite et bonnes mœurs ;

« Considérant qu'aucun appelé de préférence à la jouissance de cette bourse ne s'est présenté ;

« Avons conféré, comme nous conférons par les présentés, jusqu'à révocation et sauf les droits des tiers, audit sieur j. de B....., une bourse de deux cent treize francs sur la fondation susdite, et ce pour l'année scolaire du 1er octobre 1861 au 30 septembre 1862, et ainsi de suite, s'il y a lieu. »

« Louvain, le 1er octobre 1861.

« (Signé) F.-C, dec. S.-Petri ; J.-L. V., past. ; B.-M. V.,a d., St-Dom. »

Eh bien, que constate cet acte ? II constate que la volonté du testateur n'a pas été suivie, que la bourse n'a été donnée ni à un parent, ni subsidiairement aux jeunes gens qui étaient appelés à défaut de parents. Oh aurait pu, comme cela s'est fait dans d'autres circonstances, laisser capitaliser les revenus. Je n'en fais pas un grief aux collateurs, je ne les accuse pas d'avoir fait servir cette bourse à un jeune homme qui n'était pas institué.

Mais j'invoque cette pièce pour prouver que c'est avec trop de légèreté que de la part de la droite, on accuse la gauche, le gouvernement et le projet de loi de violer la volonté des fondateurs.

(page 759) Il y a mieux que cela : il existait en Belgique au XVIème siècle, quatre évêchés. Une bulle du 3 ides de mai 1559, de Paul IV, confirmé par une autre bulle du pape Pie IV, du 8 mars 1560, crée en Belgique 14 évêchés et 5 archevêchés, au lieu de quatre évêchés. Et savez-vous comment on a constitué une dotation aux nouveaux évêques ? »

Il y avait à cette époque de riches abbayes auxquelles des âmes pieuses avaient légué leur fortune. Ces abbayes étaient donc des institués ; la fortune des testateurs était allée à ces institués ; que fait le pape ? Le pape prend aux abbayes leurs fondations pour les donner à ces nouveaux évêques. Les abbayes disaient que c'était violer la volonté des fondateurs ; elles reprochaient au pape ce que vous nous reprochez aujourd'hui, messieurs ; et cependant nous ne touchons qu'à la collation et non à la fondation.

Ici le pape touchait à l'institution ; et le font comme aujourd'hui les honorables MM. Kervyn et de Liedekerke, les abbayes d'alors crièrent à la spoliation.

Voici la relation que j'en lis dans un travail d'un honorable collègue de H. Kervyn à l'Académie, de M. Borgnet :

« Les abbayes alléguaient ouvertement à leur profit l'intention des fondateurs, et le serment prêté lors de l'inauguration du prince, serment qui contenait la promesse de maintenir les monastères dans tous leurs droits, franchises et privilèges. La cour de Rome, après quelques délais, fit céder le principe, en prétendant que les fondateurs ayant en vue l’intérêt de la religion, employer le produit de leurs libéralités à une œuvre semblable, c'était se conformer à leur désir. On procéda en conséquence a l'inauguration des nouveaux prélats. » (Borgnet, Philippe II et la Belgique, extrait du tome XXV des Mémoires de l'Académie royale de Belgique, in-4° pages 16 et 17).

Messieurs, je ne viens pas attaquer la doctrine du pape. Vous, catholiques, vous l'attaquez ! Il y a cette différence entre vous et nous que vous n'avez pas de principes.

M. B. Dumortier. - Nous n'avons pas pour principe de prendre la bien d'autrui.

M. De Fré. - Dans la question qui nous occupe, vous ne défendez que la domination de votre parti ; vous vous prétendez catholiques, et vous vous mettez en opposition avec les doctrines mêmes du pape.

Et ne dites pas, vous M. Dumortier, vous un des derniers croisés, vous en avez la fougue et le courage, ne dites pas que nous voulons la spoliation. Car que faisait le pape ici ? Il spoliait des abbayes...

M. B. Dumortier. - Qui avait créé ces abbayes ? C'est le pape ; mais vous n'avez pas, je pense, créé les fondations de bourses d'études.

M. De Fré. - Ce n'est pas le pape qui avait créé les monastères, qui avait créé l'université de Louvain.

M. B. Dumortier. - Vous ne connaissez pas l'histoire.

M. De Fré. - L'ancienne université de Louvain était un acte de l'autorité civile ; et d'après les lois du temps, tous les établissements d'enseignement supérieur devaient être agréés par le pape. Voilà pourquoi le pape est intervenu ; et c'est moi qui vous reproche, M. Dumortier, tout académicien que vous êtes, de ne pas connaître l'histoire.

Je rétorque l'accusation de l'honorable membre ; je dis que nous ne voulons pas de spoliation, je dis que la doctrine qui a été professée dans cette circonstance par le pape, l'a été dans l'intérêt général de la religion ; car il n'agissait pas ici contre les abbayes, ni au profit des évêques ; c'était une question d'intérêt général ; on trouvait bon, pour vaincre l'instinct libéral de ce pays.et pour y introduire avec succès l'inquisition, d'augmenter le nombre des évêques.

C'était une idée générale : il fallait détruire la liberté dans le pays, il fallait y détruire la tolérance. Voilà pourquoi au lieu de 4 évêques on en a institué 14. Lisez l'histoire...

M. B. Dumortier. - Vous défigurez l'histoire.

M. De Fré. - Mon Dieu ! si vous disiez des choses réfléchies, je vous laisserais m'interrompre continuellement.

Je dis qu'ici la fondation n'avait pas été faite par le pape : la fondation appartenait aux abbayes et le pape les en a dépouillées dans l'intérêt général.

Eh bien, d'après cette doctrine, si l'Etat disait : les anciennes fondations je les applique spécialement à telle ou telle université, parce que c'est l'intention des fondateurs qu'elles servent à l'enseignement, si l'Etat tenait ce langage, mais il trouverait une autorité dans la bulle du pape Pie IV.

Ce n'est pas ce que je lui conseille de faire ; mais je dis que vous êtes mal venus à nous parler de spoliation lorsque ce que vous appelez de ce nom et ce que moi je ne considère pas comme une spoliation a été fait par le pape lui-même.

Vous voyez donc bien, messieurs, que toutes ces doléances, que tous ces cris de colère contre la loi, sont des clameurs stériles et vaines qui ne peuvent avoir aucun résultat, puisque, en dernière analyse, ce que nous faisons aujourd'hui par le projet de loi est justifié par nos principes constitutionnels et par l'histoire elle-même.

Et maintenant, je dirai aux honorables membres de la gauche, à mes honorables amis qu'on aura beau venir se lamenter successivement et mettre au service de ses doléances les discours les plus sonores et les plus émouvants, cela restera sans effet sur nos esprits. La Belgique est un pays de bon sens qui ne se laissera pas égarer par tous ces grands mots de spoliation, de despotisme et de décomposition sociale.

Nous libéraux, qui connaissons toute la valeur du dépôt précieux que nos pères nous ont légué pour le conserver et le défendre dans l'intérêt de la sécurité commune, de la liberté commune, nous ne nous laisserons pas troubler. Nous ne voulons pas de privilège, parce que le privilège étouffe la liberté, parce que le privilège étouffe l'égalité.

(page 753) M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, le premier orateur de la gauche, l'honorable M. Van Humbeeck, qui a pris la parole dans ce débat, disait que le projet de loi, examiné au point de vue des principes, était un projet parfaitement utile, parfaitement sage, et qu'il ne comprenait pas les véhémences et les passions dont l'attaque avait disposé.

Que l'honorable membre me permette d'être d'une opinion tout opposée à la sienne : le projet, d'après moi, n'est ni sage, ni utile, et les principes qu'il consacre ne sont pas conformes à ceux admis dans les pays où la société repose sur les principes de justice et sur le respect des droits acquis. Ce qu'il appelle véhémence et passion, n'est que l'expression, énergique si vous le voulez, mais loyale et fortement motivée d’une conscience alarmée.

L'honorable M. Bara convient, dans son rapport, que si les accusations dirigées contre le projet étaient fondées, la loi que nous discutons serait un malheur public.

Eh bien, messieurs, je le dis la main sur la conscience, nous croyons ces accusations fondées. Ainsi le danger que vous signalez, comme une simple hypothèse, sera pour nous une réalité lorsque la loi sera votée. Ne vous étonnez donc pas du sentiment de profonde inquiétude qui règne dans nos paroles.

A mon sens, messieurs, le projet de loi que nous discutons dans ce moment est, sans contredit, sous le rapport du sujet qu'il traite et des conséquences qu'il peut entraîner, un des plus importants qui aient été soumis à nos délibérations depuis plusieurs années. Les observations qu'il provoque sont nombreuses et l'esprit dans lequel il est conçu fait naître une impression pénible. Sa présentation par le ministère actuel ne me surprend joint ; mais, comme le disaient les honorables baron Kervyn de Lettenhove et comte de Liedekerke, au début de leurs remarquables discours que nous avons[écoutés avec un si vif intérêt ; moi aussi, j'éprouve un sentiment de regret, j'ajouterai même détresse, en présence de ce projet de loi qui est de nature à faire naître parmi nous de longs et profonds dissentiments, inutiles pour l'enseignement dont l'intérêt devront nous préoccuper exclusivement dans une pareille matière, mais toujours dangereux pour le pays, qu'une pareille discussion mécontente, désunit et affaiblit moralement.

Destiné à agiter et à passionner les esprits, ce projet arrive à son heure, et en son temps et fait partie de ce système déplorable toujours hostile à la vraie liberté, pratiqué par le gouvernement avec une si triste persévérance et qui a rencontré sur les bancs de la droite, chaque fois qu'il s'est produit, d'énergiques et d'éloquents adversaires.

En prenant pour prétexte et pour but apparent les besoins de l'enseignement, il divise les esprits sur une matière où l'on devrait chercher au contraire à faire régner l'accord le plus complet, et compromet ainsi, pour une question de parti, l'avenir de la jeunesse studieuse, dont les intérêts ne devraient jamais être mêlés à nos débats.

Non content d'enchaîner la liberté pour les fondations que l'on pourrait encore être disposé à créer en présence d'un pareil système, on vient nous proposer de revenir sur le passé en inscrivant dans la loi le détestable principe de la rétroactivité, devant lequel tous les législateur ont toujours reculé, à moins de rappeler une époque néfaste où la société était ébranlée jusque dans ses fondements. Par cette disposition, la loi porte atteinte à la propriété et viole la volonté des fondateurs : elle est à la fois injuste et spoliatrice.

Je vais tâcher de justifier par quelques considérations mon hostilité à un pareil projet.

En 1857, dans une discussion dont nous avons conservé le souvenir, l'opposition reprochait au ministère la présentation du projet de loi sur la charité, bien qu'à maintes reprises elle en eût provoqué la discussion, et le chef de l'opposition de cette époque, aujourd'hui chef du cabinet, disait : « Dans certaines matières délicates qui tiennent tous les esprits attentifs, souvent alarmés, tout ce qu'il n'est pas indispensable d'entreprendre est dangereux ou tout au moins inutile.

« L'erreur de M. le ministre est grande, poursuivait-il, lorsqu'il suppose que le pays réclame, que le pays approuve son projet de loi. Où sont les signes de son impatience en faveur de la loi que nous discutons ! ; Où sont ces manifestations si vives et si éclatantes, etc. ? »

Cette espèce de leçon de modération donnée au ministère de 1857, ne pourrais-je pas la faire au ministère actuel ? Ce blâme formulé alors contre la présentation d'un projet de loi destiné, d'après l’opinion de l'orateur, à alarmer les esprits, ne puis-je pas l'adresser à mon tour au ministère ? Je lui demande donc quelle était l'urgence, quelle était la nécessité, l'opportunité même de saisir la Chambre de la question qui nous occupe ?

L'urgence ou la nécessité ne pourraient se motiver que s'il existait des abus criants, signalés chaque jour par tous les organes de la publicité dont nous disposons, si le maintien de ces abus présentait un danger pour l'Etat et si la situation était telle, qu'elle réclamât une réforme immédiate et radicale. L'exposé des motifs, pas plus que le rapport n'en signale aucun.

Certes, je le sais, on en découvrira, l'on en produira devant la Chambre dans le cours de la discussion, car quelle est l'institution humaine qui n'a jamais donné lieu à des abus ? L'honorable préopinant s'est déjà chargé en partie de cette tâche.

Mais avouez-le, messieurs, ces abus que l'on vous a signalés et que l'on vous signalera peut-être encore auront bien peu impressionné le pays, puisque pendant trente ans de liberté la Belgique ne s'en sera guère aperçue.

Quant à l'opportunité, je pense qu'une réforme dans une matière aussi délicate et qui soulève d'aussi graves questions, qui tombe aux intérêts vitaux de la société, ne peut se faire efficacement que dans le calme et le recueillement et en apportant dans le débat un esprit de conciliation et un scrupuleux respect pour toutes les opinions.

(page 754) Sommes-nous dans ces conditions ? Qui pourrait le prétendre ?

Il n'y avait donc ni urgence, ni nécessité, ni opportunité et je suis amené à dire que la présentation du projet de loi, dans ce moment, n'a pas été déterminée par les besoins de l’enseignement, mais répond à un autre but. Ce but est purement politique ; c'est un intérêt politique qui domine toute la question et, sous ce rapport, la loi actuelle rentre dans cette catégorie de mesures mises en avant et imposées au pays, pour assurer la domination d'un parti.

A n'envisager les choses que superficiellement, le ministère paraît soutenu dans cette Chambre par une grande majorité, compacte et dévouée, et il se croit au-dehors de nombreux adhérents ; c'est le propre du pouvoir de se faire illusion !

Mais lorsque l'on va au fond des choses l'on s'aperçoit aisément que les éléments dont se compose cette majorité, au-dedans comme au-dehors, sont bien éphémères. Pour la conserver il faut faire bien des sacrifices, s'imposer bien des déboires que le public n'aperçoit pas, mais qui n'en sont pas moins réels, il faut, en un mot, subir toutes les vicissitudes d'une position fausse et factice. En présence de pareils embarras l'art de gouverner est trop souvent forcément réduit à une mesquine tactique.

Lorsque la popularité abandonne les hommes qui sont au pouvoir, lorsque le terrain commence à manquer sous leurs pas (et en effet, ne voyons-nous pas aujourd'hui un des principaux membres du cabinet, autrefois chef de ce même cabinet, repoussé par les électeurs d'un grand arrondissement qui l'avait envoyé dans cette enceinte, obligé, nouveau Juif-Errant, de promener sa candidature vagabonde de ville en ville ?) lorsque de pareils faits se produisent, force est de recourir à des moyens extrêmes pour sauver la position ; voilà tout le secret de la présentation de ces projets de loi qui viennent périodiquement agiter le pays à de certaines époques.

Chaque fois qu'il faut agir sur l'opinion, et surtout à l'approche des élections, nous voyons apparaître une de ces lois qui sont de véritables brandons de discorde lancés au milieu du pays.

Ces projets de loi, faut-il le dire ? sont toujours inspirés par une même pensée et poursuivent un même but.

C'est la guerre à tout ce qui, de loin ou de près, revêt un caractère religieux, c'est la méfiance semée entre les citoyens d'une même patrie, c'est une provocation à la lutte des partis.

Messieurs, je n'ai jamais étudié l'art de déguiser ma pensée, et mon langage se ressent un peu de ce manque d'étude ; permettez-moi cependant de continuer à m'exprimer sans détour, les positions franches sont d'ailleurs les meilleures.

Je dirai donc que si la plupart des fondations anciennes en matière d'enseignement et de bourses, n'avaient pas été inspirées par un sentiment religieux, si derrière la loi l'on n'apercevait pas l'université catholique et libre de Louvain, je le dis avec une entière conviction, jamais le projet de loi que nous discutons n'aurait vu le jour.

C'est, messieurs, une bien triste ressource pour un gouvernement aux abois que de placer les questions sur un terrain aussi brûlant ; en Belgique surtout, où le bon sens domine, c'est jouer gros jeu que d'alarmer toujours les consciences, que d'évoquer à tout propos des fantômes pour agir sur l'esprit des masses.

Un jour viendra, et je l'appelle de tous mes vœux, où le pays s'apercevra qu'il est pris pour dupe. Mais en attendant, si la situation que je signale venait à se prolonger, elle présenterait un véritable danger pour l'avenir de nos institutions en altérant profondément le caractère national.

Dans tous les temps et sous tous les régimes, l'on est parvenu à fasciner les esprits, à les entraîner, à les passionner, en mêlant aux débats politiques des questions qui touchent à la religion.

Il s'est trouvé plus d'un gouvernement assez aveugle pour recourir à de pareils moyens afin d'asseoir sa domination et de la perpétuer, mais chaque fois qu'un pareil fait s'est produit, les victoires de ce machiavélisme ont été payées au prix de la liberté.

Que la jeunesse sortie de nos écoles, et surtout de nos écoles libres s'en souvienne ; qu'elle se sépare résolument des transfuges de 1830 qui ont abandonné le drapeau de la liberté et qu'elle se rappelle les grandes choses que les libéraux unionistes de cette époque ont faites en cédant aux élans généreux d'un âge où le cœur n'est pas encore desséché. Qu'elle s'inspire de ces grands souvenirs. Qu'elle se méfie, comme à cette époque mémorable, des hommes qui, se couvrant du masque d'un faux libéralisme, représentent et défendent des doctrines contraires à la vraie liberté !

Lorsque de pareils sentiments auront fait explosion dans le pays, des projets de loi, chefs-d'œuvre de centralisation et d'absolutisme, comme celui qui nous est soumis, seront rendus impossibles en Belgique.

Si j'en juge par la disposition des esprits, c'est dans ce sens que les prochaines élections se feront. Dans un pays où le bon sens domine, les positions factices ne peuvent durer longtemps. Chacun sent instinctivement que ce n'est pas au profit de quelques-uns que doivent fonctionner les institutions d'un pays, et que faire de la chose de tous l'affaire de quelques-uns, plus habiles à profiter de certaines circonstances ou plus remuants, c'est affaiblir le patriotisme, c'est le tuer !

Messieurs, la loi en discussion, bien loin d'être conçue dans un esprit qui donne satisfaction à toutes les opinions et laisse à la liberté la part qui lui revient, foule aux pieds nos traditions, nos mœurs, notre passé.

Elle est en contradiction flagrante avec les principes de liberté inscrits dans la Constitution. Elle heurte, à chaque pas, le caractère du peuple belge et semble le produit d'inspirations dues à un régime étranger.

En effet, une nation ne vit-elle pas par les souvenirs du passé ; ses traditions ne forment -elles pas le lien qui unit le passé au présent ? Ce que nos pères ont fondé de bon, de grand, de généreux, ne mérite-t-il pas nos respects ? N'est-ce pas là qu'il faut aller chercher les véritables titres d'ancienneté et de noblesse d'un peuple ? Et au lieu de parler toujours des abus d'un autre âge, rappelons aussi quelquefois les souvenirs glorieux que nous ont légués nos ancêtres.

Lorsque, à une époque déjà éloignée, dans des siècles où la science avait fait encore peu de progrès, nous voyous s'ériger au centre de la Belgique une université florissante comme l'était l'ancienne université de Louvain, ce souvenir est-il donc sans grandeur ?

Des hommes aux vues larges et élevées ont voulu perpétuer cette grande œuvre et aider à la propagation des sciences. Ils ont consacré leur fortune à cette grande idée. Joignant la prévoyance à la générosité, ils ont pris des soins, quelquefois minutieux, tant leur sollicitude était grande, pour assurer l'exécution de leur volonté. Et aujourd’hui vous n'en tenez pas même compte ; une espèce de dédain remplace le respect que devrait inspirer une œuvre si grande, si civilisatrice. Non ! il faut que la science subisse aussi le niveau de la centralisation.

Et voilà ce que l'on décore pompeusement du nom de progrès !

J'ai dit que la loi était en contradiction flagrante avec l'esprit de nos institutions.

Messieurs, je ne veux pas reproduire ici ce que d'autres orateurs ont prouvé à l'évidence, mais je veux joindre ma protestation à la leur pour repousser les principes inscrits dans l'exposé des motifs et développés dans le rapport avec une complaisance quelque peu compromettante par son auteur.

Après avoir lu certains passages de ce rapport, je me suis demandé si c'était bien là un document destiné à éclairer les débats d'une Chambre belge ? Et je me suis dit que si un jour la Liberté entreprenait ce voyage autour du monde, dont parlait l'honorable et regretté M. Delfosse, il serait à désirer qu'elle passât par la Belgique pour y refaire notre éducation politique, Je trouve dans ce rapport le plaidoyer le plus complet en faveur de la centralisation, la glorification de ce système si souvent combattu dans cette enceinte et si spirituellement ridiculisé par l'honorable M. Julliot, et l'on peut dire que le culte du Dieu-Etat y est poussé jusqu'à l'idolâtrie.

Quoi ! dans notre libre Belgique vous ne voyez partout que de prétendus droits de l'Etat et vous faites à la liberté une place si petite qu'on a peine à la découvrir. L'enseignement par l'Etat c'est l'idéal de la perfection, la liberté est un danger, car elle arrête et enchaîne le progrès.

Croyez-vous donc qu'un enseignement qui arrêterait le progrès, qui serait enchaîné aux idées du passé, qui serait une entrave pour la science pourrait subsister dans un pays de liberté ? Si cet enseignement, produit frelaté de la liberté, n'était pas en harmonie avec les idées dominantes avec l'état de civilisation du pays, pourrait-il se maintenir un seul instant ?

Vous méconnaissez les bienfaits de la vraie liberté, vous n'avez pas confiance en elle, vous en avez peur et vous semblez ignorer qu'elle est le principal remède aux abus mêmes qu'elle pourrait engendrer.

S'il existe un danger, c'est l'enseignement par l'Etat, précisément parce qu'il subit l'influence et l'impression des hommes et des faits nouveaux ; parce qu'il peut devenir, entre les mains du pouvoir, un instrument de domination ; parce qu'il tend à asservir à son profit ce que l'homme a de plus noble, la pensée et l'intelligence.

Résumons ce qui précède en disant : Dans les pays qui ont le bonheur de vivre sous un régime de liberté, l'enseignement libre doit être le principe et la règle, l'enseignement de l'Etat l'exception et l'accessoire. C'est ainsi que l'avait compris l'immense majorité du Congrès.

J'ai dit encore que le projet de loi heurtait de front le caractère belge et qu'il semblait une réminiscence d'une époque où le joug étranger pesait sur le pays.

En effet, toutes les fois qu'une réforme doit être introduite dans une (page 755) partie de notre législation, c'est dans le vieil arsenal des lois françaises de la république que l'on va chercher ses inspirations ; au lieu d'être des législateurs, nous ne sommes plus que des légistes qui commentent et interprètent des lois étrangères presque toujours surannées. Nous oublions ce précepte de celui qui est notre maître à tous ; que les lois doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c'est un très grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre. (Montesquieu, Esprit des lois, livre premier, chapitre III.)

C'est une grande vérité que méconnaît complètement la lot que l'on nous propose de voter.

La plupart des fondations remontent à une époque éloignée et furent crées sous l'empire de lois appropriées aux besoins de la Belgique.

Lorsque l'on examine avec soin les actes constitutifs de ces fondations, le but du fondateur apparaît clairement, l'expression de sa volonté est évidente et irrécusable. Il disposait de sa propriété et y affectait certaines charges onéreuses. En agissant ainsi, il se conformait aux lois du pays, tout en obéissant à de nobles sentiments. Pendant des siècles et malgré les vicissitudes d'une époque tourmentée, cette propriété demeura sacrée et cette volonté fut respectée jusqu'au moment où une invasion étrangère vint nous ravir nos lois, nos libertés et notre nationalité.

Je ne dirai pas quel fut le sort des institutions dont le projet de loi s'occupe à l'époque néfaste que je rappelle ; l'honorable M. Kervyn s'est charge de ce soin, il vous a dit quels furent les tâtonnements et les vicissitudes de la législation révolutionnaire sur cet objet ; mais il est un point acquis à la discussion, c'est qu'en Belgique les biens des fondations de charité et d'instruction n'ont jamais été nationalisés.

M. le ministre de la justice, dans son exposé des motifs, semble insinuer le contraire lorsqu'il dit que les anciens biens des fondations devinrent la propriété des Pays-Bas, et que le roi Guillaume disposa de cette propriété.

A mon sens, c'est à tort que M. le ministre invoque comme précédent, pouvant justifier la loi, les arrêtés du souverain promulgués à cette époque, car il y a une énorme différence à réglementer une matière, comme l’a fait le roi Guillaume, en tenant compte de la volonté des fondateurs, ou bien à faire table rase, comme le propose le gouvernement, sans tenir compte de rien. Ces mesures avaient un caractère de réparation, et l'on se rapprochait, autant que possible, de la volonté du fondateur ; les administrations distinctes étaient conservées, ainsi que les collateurs et les proviseurs, et le contrôle que l'on organisait avait pour but d'assurer l'existence de la fondation et sa bonne gestion.

En est-il de même aujourd'hui, et que fait-on ? Pour renouer le fil interrompu de notre passé, ce n'est pas chez nous que l'on va chercher ses inspirations, c'est dans le fatras des lois révolutionnaires de la république française, c'est là qu'on va chercher un modèle, et en 1863, après 33 ans de liberté, l'on ne trouve rien de mieux en matière de fondation en faveur de l'enseignement et au profit de boursiers que de nous imposer une loi qui exhale une odeur de 93 qui soulève le cœur.

Que nous reste-t-il à faire en pareille occurrence ? Dire au pays : Soyez sur vos gardes, car un premier pas fait dans une voie malheureuse est bientôt suivi d'un autre ; une première atteinte aux principes immuables sur lesquels repose la société en appelle une autre ; une première atteinte au droit de propriété ébranlé à tout jamais la confiance.

Tandis qu'on vous fait croire à des dangers imaginaires, un autre péril vous menace, c'est l'affaiblissement moral du pays par la désunion, c'est la domination d'un parti exclusif, et la domination d'un parti c'est le despotisme plus odieux encore que le despotisme d'un seul.

- La séance est levée à 4 heures 3\4.