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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 mai 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 851) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des tanneurs à Liège prient la Chambre d'ajourner la ratification du traité de commerce avec la Prusse, à une époque où, d'après les conventions stipulées, ils pourront jouir du système de la réciprocité. »

- Renvoi à la section centrale pour l'arrangement commercial avec la Prusse.


« La veuve de Joncker demande que son fils Pierre, milicien de la levée de 1843, soit exempté du service militaire pour une année. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre de rejeter du projet de loi relatif aux fondations les dispositions contraires aux droits des communes, en reconnaissant et affirmant leur capacité de recevoir des libéralités au profit de l'enseignement à tous les degrés. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« D'anciens élèves de l'université de Bruxelles prient la Chambre d'adopter le projet de loi sur les fondations tel qu'il est proposé par la section centrale. »

- Même renvoi.

Projet de loi accordant des crédits au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la demande de crédits supplémentaires au ministère de la justice, pour les exercices 1862 et 1863.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux fondations de bourses

Discussion générale

(page 891) M. Bara, rapporteurµ. -Messieurs, le débat avance, et l'on peut dire qu'il a porté ses fruits. Les orateurs de la droite, acculés jusque dans leurs derniers retranchements, en sont venus à faire des aveux qu’il importe de mettre en lumière. Vous êtes sortis des nuages et vous avez précisé votre doctrine. Nous la connaissons ; les masques sont tombés, et nous verrons si vous êtes dans le vrai. Avant d'examiner le discours qui a été prononcé hier et qui est empreint des principes de l'intolérance la plus condamnable... (Interruption.) Permettez-moi de préciser le débat. Deux grands points nous divisent : le premier, c'est de savoir si tout citoyen a le droit de fonder ; le second, c'est de savoir si, le droit de fonder étant reconnu pour certaines choses, la société ne conserve pas toujours le droit d'apporter aux fondations les modifications, les changements que l'utilité publique reconnaît nécessaires.

Prenons la première question, le droit de fonder. La droite réclame le droit de fonder pour les établissements du clergé, elle dit : Tout citoyen aura le droit d'accorder des dotations à des établissements charitables privés, sous des garanties qui seront indiquées par la loi. Tout d'abord on avait dit : Le droit de fonder est une dérivation de la liberté d'enseigner. L'enseignement est libre, il faut pouvoir fournir aux frais de l'enseignement, donc, il faut avoir la liberté de fonder au profit de l'enseignement. Aujourd'hui on recule devant cette prétention, ce n'est plus la liberté de l'enseignement qui est la base du droit de fonder. M Schollaert reconnaissait hier que la liberté d'enseignement n'est pas en cause ; on ne soutient plus que, parce que l'enseignement est libre, en a le droit de créer des mainmortes, de soustraire à la circulation de nombreuses richesses pour les affecter aux écoles créées par les particuliers, on ne le soutient plus, parce que du même coup cette thèse s'appliquerait à toutes choses, à toutes les manifestations de la liberté de la presse et de la liberté d'association ; parce qu'il faudrait autoriser les fondations pour tous les journaux, pour toutes les idées, pour toutes les associations.

Qu'a-t-on fait ? Battu sur les libertés constitutionnelles, on s'est retranché derrière le droit de propriété. Après M. de Liedekerke, c'est M. Nothomb qui est venu dire que la faculté de fonder est naturelle à l'homme, qu'elle dérive du principe de la propriété, qu'elle est la conséquence de la liberté civile et spécialement du droit de tester ; il nous dit : L'homme ne meurt pas tout entier, et sa pensée, persistant dans ses œuvres à travers les âges, affirme l'immortalité de son âme.

Ainsi donc le droit de fonder est un droit naturel. Il dérive de la liberté individuelle, du droit de propriété.

Très bien, mais vous irez jusqu'au bout. Si c'est la liberté individuelle qui donne naissance au droit de fonder, on a le droit de fonder pour toutes choses, pour le saint-simonisme, par exemple, qui n'existe plus. En 1830, alors que le Père Enfantin avait de nombreux disciples, le Père Enfantin aurait eu le droit de créer une fondation pour l'enseignement de ses doctrines. Cette fondation subsisterait aujourd'hui ; elle devrait être maintenue en vertu de votre principe, en vertu du principe de la liberté du fondateur. Demain il viendra un autre utopiste, ayant des idées plus contestables encore que celles du Père Enfantin. Il lui sera permis de fonder pour ses doctrines, il lui sera permis d'arracher des biens de la circulation, de créer et de faire persister dans la suite des siècles des institutions qui seraient condamnées par la société.

Aujourd'hui où sont les saint-simoniens, où est le Père Enfantin et sa doctrine ? Eh bien, en 1830, alors que l'opinion publique se passionnait un peu pour cette doctrine, on eût pu fonder pour elle, avec votre système, et nous aurions aujourd'hui des mainmortes au profit du saint-simonisme.

Mais vous voulez faire une distinction et prétendre que vos établissements sont des établissements d'utilité publique.

Vous voulez, comme l'a dit l'honorable M. Dechamps, que nous ne confondions pas les écoles des petits frères avec les écoles des utopistes.

Vous prenez en pitié le principe moderne qui consiste à prétendre que nous n'avons pas à juger les doctrines, que nous n'avons pas à nous inquiéter des prétentions à l'infaillibilité de certains systèmes, que nous devons rester neutres au milieu du combat des idées.

Vous voulez que nous soyons forcés de décréter d'utilité publique tout ce qu'il plaira à telle ou telle religion de fonder. Nous protestons.

Si vous aviez vécu du temps de Galilée, vous auriez dit qu'il était un utopiste et vous lui eussiez défendu de fonder.

Vous voyez donc bien que les utopies que vous pouvez attribuer à certains hommes peuvent être quelquefois des vérités plus grandes que celles que l'on enseigne dans telles ou telles écoles. La vérité est que la nation ne peut se faire le juge des idées qui se produisent, déclarer les unes bonnes et utiles, les autres nuisibles.

Il faut donc, messieurs, et c'est là le point important de la discussion, c'et le nœud de la difficulté, que quelqu'un vienne déterminer quels sont les objets pour lesptels on peut fonder. Qui doit déterminer cela ? Que l'honorable M. Nothomb me réponde.

Est-ce l'individu ? Est-ce la société ?

Si vous répondez par un oui ou par un non, le débat est terminé.

Si c'est l'individu, on peut fonder pour les choses les plus absurdes. Si c'est la société, le droit de fonder n'existe plus pour l'individu. Si c'est la société seule qui a le droit de déterminer les objets pour lesquels il est permis de fonder, vous n'avez plus alors que le droit de faire des libéralités en faveur des objets décrétés d'utilité publique par la société, eu faveur d'institutions reconnues utiles, dont l'utilité est incontestée et incontestable au point de vue de la société.

Si un individu n'a pas le droit de dire quand il y a utilité publique, si ce droit appartient exclusivement à la nation, vous avez décidé que le droit de fonder n'appartient pas à l'individu et qu'il est l'apanage de la nation.

Que fait la nation, en ce qui concerne les fondations ?

Il y a dans notre société des besoins incontestés, incontestables. Il y a des objets sur lesquels il n'existe pas le moindre doute. Ainsi en matière de culte, dans l'état de nos mœurs, de notre civilisation, on reconnaît que le culte est nécessaire et que l'on peut jusqu'à un certain point en faire un service public.

On peut le contester encore, mais enfin notre Constitution et l'état des esprits sont favorables à une pareille thèse. On autorise les fondations pour le culte.

On autorise également les fondations en matière de bienfaisance, parce que la misère et la douleur ne sont pas près de disparaître, parce que le temps des souffrances du peuple n'est pas encore à sa fin.

Mais vous voulez plus, vous voulez que l'on permette de fonder au profit de vos établissements d'instruction et cela n'est pas possible, parce que là il y a doute ; parce que là il y a contestation, parce que là, que l'honorable M. Dechamps en prenne bien note, nous ne sommes plus d'accord.

Vous, vous prétendez que l'université de Bruxelles est un foyer d'infection, C'est votre droit. Vos évêques ont condamné l'université de Bruxelles ; vous ne pouvez l'admettre avec vos doctrines. Eh bien, nous, nous prétendons que l'université de Louvain ne nous convient pas, que les doctrines qu'on y prêche sont contraires aux idées modernes, qu'elles ne sont plus en rapport avec les aspirations de notre conscience, avec les grands progrès de la société ; et c'est pourquoi nous ne pouvons pas décréter d'utilité publique un établissement qui a pour mission de lutter contre les progrès successifs de l'humanité.

Et, messieurs, en agissant ainsi, nous ne condamnons nullement les établissements privés, catholiques ou autres. Nous leur laissons le grand air de la liberté. Qu'ils naissent en aussi grand nombre qu'ils veulent ; nous ne les craignons pas.

Mais ce que nous ne voulons pas, c'est que s'ils viennent à être condamnés par l'opinion publique, ils s'imposent à l'aide de l'argent et de l'or qu'on y attire les jeunes gens qui ne croiront plus aux doctrines qu'on y professe.

Et c'est parce que nous vous refusons ce droit à une vie éternelle, que nous empêchons que les établissements privés ne subsistent lorsqu'ils auront perdu la confiance publique, que vous prétendez que nous coupons les ailes à la liberté. Mais, dites-moi un établissement que vous n'avez pas pu créer ; montrez-moi un croyant qui n'a pas pu ouvrir une école, qui n'a pas pu instituer une chaire. Le droit de fondation est inutile. Qu'ont fait les premiers professeurs d'universités ? Ils établissaient leurs écoles et leurs tribunes dans les grandes villes et enseignaient leurs doctrines,. Ils n'avaient pas le droit de fonder, ils n'avaient pas de richesses, ils n'avaient pas d'immeubles. Ils avaient la science, ils avaient la popularité, ils avaient la confiance publique, et c'est ce qui faisait leur honneur et leur force. Les richesses des fondations n'ajoutent rien au mérite d'une doctrine.

Ainsi donc, et c'est là, je le répète, le nœud de la question, que l'honorable M. Nothomb ne passe pas au-dessus de l'argument, qu'il y réponde je lui demande : Qui a le droit de fonder ? qui a le droit de désigner l'objet d'utilité publique pour lequel on peut fonder ? Est-ce l'individu ou est-ce la société ? Si c'est l'individu, on peut fonder pour les choses les plus absurdes. Si la société seule a ce droit et si l'on ne peut fonder que pour les objets qu'elle détermine, vous avez supprimé pour l'individu le droit de fonder ; ce droit n'existe plus, il n'appartient qu'à la société.

L'honorable M. Nothomb, après avoir parlé de la liberté naturelle en vertu de laquelle on aurait le droit de fonder, passe au droit de succession et dit : C'est une juste conséquence de la liberté de tester.

Je sais, messieurs, que cet argument est très habile, parce que, dans (page 892) certain parti, on aime à confondre le droit de fonder et le droit de tester. Il est très habile de faire passer les partisans du projet actuel pour des socialistes, pour des gens qui contestent le droit de tester, qui condamnent le droit des individus de faire passer leurs biens à autrui ; on dit que notre système conduit à la confiscation de toutes les successions au profit de l'Etat ; on dit que si maintenant on empêche de faire des fondations, plus tard on supprimera les concessions de mines, on s'emparera de la propriété privée, on fera toutes sortes de belles choses que l'honorable M. Nothomb prend soin d'énumérer.

Eh bien, la liberté de tester est complètement différente du droit de fonder, et jamais il n'y a eu un jurisconsulte, que l'honorable M. Nothomb en soit convaincu, qui ait soutenu le contraire.

Tous les passages de Demolombe que l'honorable M. Nothomb a cités s'occupent du droit de tester et non du droit de fonder, et jamais M. Demolombe n'a soutenu, parce que c'est un jurisconsulte très considérable ce qui ne voudrait pas exposer sa science à pareille hérésie, jamais il n'a soutenu que le droit de fonder dérivait de la liberté de tester.

Qu'est-ce que le droit de tester ? Le droit de tester, mais c'est le droit de transmettre à certaines personnes, au moment même où l'on quitte la vie, les biens que l'on a possédés ; c'est un droit de transmission.* Quand vous avez transmis, quand vous avez passé vos biens de votre tête sur la tête d'un autre individu, qu'arrive-t-il ? C'est que vous avez perdu tout droit sur votre propriété, c'est que celui qui l'a acquise en est absolument maître.

Qu'est-ce que le droit de fonder ? Mais vous donnez d'une main et vous retenez de l'autre. Vous donnez avec une affectation perpétuelle. Le bien est éternellement affecté à tel ou tel usage déterminé, de telle sorte que c'est, en définitive, une âme immortelle qui en reste propriétaire immortel. Eh bien, je dis qu'il y a assez de vivants pour être propriétaires, sans que nous devions partager avec les âmes. Si nous devions être copropriétaires avec toutes les âmes immortelles de M. Nothomb, eh bien, nous ne posséderions pas la pointe d'une aiguille de terrain. (Interruption.)

L'homme a-t-il le droit de disposer des richesses pour les temps à venir ?

Non, messieurs ! Comment voulez-vous que les générations futures vivent sans terres et sans capitaux ; comment voulez-vous que, les instruments de travail étant retranchés à l'homme et affectés d'avance à des buts déterminés, les générations puissent accomplir leur destinée ? Comment voulez-vous qu'elles marchent vers le progrès ? Si vous supprimez l'instrument de travail, le droit de travailler n'est plus possible, il ne peut être exercé.

Je l'ai déjà dit, l'honorable M. de Liedekerke, M. Nothomb et M. Dechamps ne m'ont pas réfuté, vous n'auriez pas le droit d'avoir six pieds de terrain pour votre sépulture ; non, vous n'avez pas ce droit et dès lors comment voulez-vous prétendre que vous avez le droit d'affecter à tout jamais des biens à tel ou tel usage déterminé ?

Ce seul fait est la condamnation de votre thèse. Vous passez au-dessus de cet argument, et dans tous vos discours il n'y a rien qui y réponde.

Et l'argument n'est pas de moi ; il a été produit lors de la révolution française, parce qu'il saute aux yeux, parce qu'il est tellement évident qu'on ne peut pas le discuter. Aussi que faites-vous ? Vous n'y répondez pas, vous passez au-dessus.

Qu'arriverait-il, messieurs, avec le système de nos adversaires ? Mais il arriverait ceci : Avant la religion chrétienne il existait d'autres religions ; avant le christianisme il y avait le paganisme, et vous n'auriez pas pu employer les biens affectés au paganisme, vous n'auriez pas pu les employer pour le christianisme, vous devriez éternellement les faire servir au soutien de la religion païenne !

II y a à Rome, dans. la basilique de Saint-Pierre, un Jupiter auquel on a arraché la foudre, que l'on a remplacée par les deux clefs du paradis ; ce Jupiter....

M. B. Dumortier. - Rien n'est moins prouvé.

M. Baraµ. - Cela est prouvé.

Si votre système est fondé, ce Jupiter aurait dû rester éternellement Jupiter. Vous n'auriez pas pu en faire un san Pietro. Vous avez spolié donc le paganisme, vous avez transformé une statue païenne en statue chrétienne, c'est un vol, c'est une spoliation. Cela fournirait un magnifique thème à un discours de l'honorable M. Dumortier. (Interruption.) !Oh ! il y a bien d'autres choses qu'on a utilisées pour le christianisme et qui appartenaient au paganisme. Prenons un autre exemple.

Je suppose que demain vos missionnaires réussissent en Chine ; vous les envoyez y planter la croix ; vous avez raison ; je vous approuve, j'approuve leur courage et je l'admire ; mais je suppose qu'ils parviennent à triompher et que la religion de Bouddha disparaisse ; eh bien, que ferez-vous des immenses richesses qui sont consacrées à la religion de Bouddha ? Vous ne pourrez pas changer leur destination, par respect pour les fondateurs ; vous devrez conserver à l'ancien culte les richesses qui y ont été consacrées.

Mais c'est absurde : vous empêcheriez la société de marcher dans la voie de ses destinées, vous taririez les sources du progrès. (Interruption de M. Dumortier.)

Vous me répondrez, si vous voulez, relativement au san Pietro de Rome ; mais vous n'affaiblirez pas la force de mon argument.

On nous dit : « Si votre système est vrai, vous devez aller plus loin, il faut supprimer toute espèce de fondation, les fondations pour le culte, pour la bienfaisance, pour l'instruction publique. »

C'est encore là une erreur. Notre système ne nous condamne pas à cette suppression ; qu'est-ce que nous disons ? Nous soutenons que la mainmorte est une fiction, que c'est une création de la société, que c'est un mal en soi ; que nous pouvons bien l'admettre, eu égard à l'imperfection de notre civilisation, parce qu'il n'est pas possible d'avoir en tout temps les ressources nécessaires pour satisfaire à certains besoins ; mais dans quelles limites pouvons-nous l'admettre ?

Voilà où est la difficulté ; nous, nous ne pouvons l'admettre que pour des besoins incontestés et incontestables de la société, parce que là il n'y a pas de doute possible ; mais dès qu'il naît un doute, dès que la question devient une difficulté entre les partis, dès que la nation entière n'est pas d'accord sur l'utilité d'une institution, il n'y a pas lieu de lui donner la personnification civile.

Or, actuellement il n'y a pas de doute pour le culte, la bienfaisance publique et l'instruction publique, et c'est pourquoi on permet la mainmorte à leur profit.

Messieurs, pour prouver que des établissements privés pouvaient être des sources d'erreur et de dangers, je vous ai cité l'exemple de l'ancienne université de Louvain ; et à ce sujet l'honorable M. Nothomb a lancé contre moi toute une accusation : « Vous êtes un fils indigne, un fils irrespectueux de la patrie, vous calomniez l’Alma mater. »

Eh bien, messieurs, c'est un thème que l'honorable M. Nothomb s'est créé ; car s'il avait lu mon discours, qui était imprimé lorsqu'il a prononcé le sien, il aurait vu que j'ai reconnu qu'à certaine époque, l'université de Louvain avait été une gloire pour le pays ; c'est imprimé tout au long aux Annales parlementaires.

Mais j'ai constaté en même temps, j'avais le droit et le devoir de le faire, qu'au XVIIIème siècle, l'université de Louvain avait perdu de sa splendeur, qu'elle était tombée dans la décadence la plus déplorable et que l'instruction et l'éducation qu'on y donnait aux élèves étaient devenues mauvaises.

Si j'ai cité ce fait, que j'avais le droit de citer, c'était pour prouver qu'un établissement, même public, peut dégénérer, peut devenir mauvais, et qu'à plus forte raison, il en pouvait être de même d'un établissement privé.

Ce n'était donc pas pour décrier l'ancienne université de Louvain que j'ai rappelé ce fait, mais c'était pour établir, par un exemple célèbre, que le meilleur établissement pouvait tomber dans la décadence, dégénérer, et porter ainsi un grave préjudice aux intérêts les plus vitaux de la science et de la société.

Reprenant le thème de M. Nothomb, l'honorable M. Schollaert s'est élevé contre la révolution française et il vous a dit : « Si l'université de Louvain n'avait pas été supprimée, nous aurions notre Oxford. »

Eh bien, je ne félicite pas l'honorable député de Louvain de sa comparaison ; car pour moi, l'université d'Oxford ne sera jamais un modèle, et il est très probable que quand l'honorable M. Schollaert en a parlé, il1 ne savait pas ce que c'est que l'université d'Oxford. (Interruption.) Vous allez voir, écoutez !

L'université d'Oxford a brillé du temps d'Elisabeth ; mais depuis elle est loin d'être une gloire pour l'Angleterre.

M. B. Dumortier. - Ah ! ah !

M. Baraµ. - M. Dumortier, vous me répondrez si vous le jugez convenable ; mais permettez-moi de continuer.

MPVµ. Je vous prie, M. Dumortier, de vous abstenir de toute interruption.

M. Baraµ. - Encore si vous disiez quelque chose ; mais vous vous bornez à des ah ! ah ! (Interruption.)

Messieurs, voici ce que c'est que l'université d'Oxford. On n'est immatriculé à l'université d'Oxford qu'après avoir prêté serment aux 39 articles qui sont le symbole de la religion anglicane ; les étudiants y sont (page 893) traités de quatre manières différentes, selon qu'ils sont nobles, quasi nobles, roturiers ne payant qu'une certaine somme, et élèves simples ; les examens n'y sont pas sérieux ; les grades, quand ils ne sont pas accordés à la naissance et à la position sociale, s'acquièrent par le temps bien plus que par le mérite.

Les abus, les préjugés et l'esprit étroit qui règnent dans les universités de Cambridge et d'Oxford ont engagé le parti whig à fonder à Londres une université, l’University College, établie sur les bases des universités d'Allemagne : on n'y enseigne pas la théologie. Le parti tory a fondé, de son côté, un autre collège nommé King's College, bien plus orthodoxe et plus aristocratique encore que l'université d'Oxford.

Voilà donc ce que l'honorable M. Schollaert voudrait voir introduire dans notre pays ; voilà ce qu'il déplore de ne point trouver dans nos universités.

A l'entendre, nous devrions regretter de n'avoir pas une université où l'on ne puisse entrer qu'à la condition de professer une religion déterminée ; où l'on reconnaît les distinctions de noble et de roturier ; où les jeunes gens sont traités selon leur position sociale ; et c'est un prétendu démocrate, un ancien libéral (interruption) qui vient nous proposer de telles institutions comme modèle. (Nouvelle interruption.)

Messieurs, je crois donc avoir démontré, et je me dispenserai d'y insister davantage, que le droit de fonder n'appartient pas à l'individu, qu'il est impossible de permettre aux citoyens de créer des fondations pour n'importe quel objet, pour l'érection de n'importe quelle école bonne ou mauvaise ; qu'il n'y a que la nation qui puisse autoriser des fondations, qui puisse déterminer les objets pour lesquels il est permis aux citoyens de faire des libéralités.

Passons maintenant à la deuxième partie des difficultés qui nous divisent, c'est-à-dire à la question de savoir s'il est permis à la nation d'introduire dans la législation relative aux mainmortes, aux fondations, tous les changements, toutes les modifications qui sont indiqués par la nécessité publique.

Il est d'abord un point de fait incontestable, sur lequel les orateurs de la droite ont habilement passé ; c'est que, en tout temps et dans tous les pays du monde, on s'est emparé des biens de mainmorte, on a changé leur destination et introduit des modifications dans la législation relative aux fondations.

Ainsi, messieurs, en 1789 on a nationalisé les biens du clergé. Eh bien, si ce que vous avez soutenu est vrai ; s'il est vrai qu'on ne peut pas porter la main sur ce qui, une fois, a été attribué par tel ou tel individu à tel objet déterminé, vous devez immédiatement vous mettre à l'œuvre, vous devez réparer ce grand attentat porté en 1789 à la propriété privée.

Assez de belles paroles, messieurs ; il nous faut des actes. Venez donc proclamer ici que quand l'assemblée constituante s'est emparée des biens des corporations civiles et religieuses, elle a commis un vol, elle a commis une spoliation ! Venez donc dire que le clergé a été indignement dépouillé ? Tout votre parti et vous-mêmes vous vous élèveriez contre une pareille thèse. Cependant pour être logiques, vous devriez immédiatement rétablir toutes les anciennes corporations de bienfaisance, tous les couvents. Vous n'avez plus à craindre les passions révolutionnaires, nous sommes revenus à des temps plus calmes, c'est le moment de réparer les grandes spoliations, s'il y en a eu. Venez donc proposer le rétablissement des anciennes corporations, des couvents ! Les fondateurs de ces établissements pieux et charitables ont voulu que leurs libéralités fussent distribuées par des mains religieuses, par des couvents d'hommes et de femmes. Venez dire que les collateurs étaient des religieux, que les fondations avaient un bu religieux et qu'il faut déposséder les bureaux de bienfaisance des biens dont ils ont la gestion, pour les remettre à des mains catholiques. Personne parmi vous n'oserait soutenir une pareille thèse. Vous ne sauriez pas être logiques, vous le voyez, vous devez vous taire et vous passez condamnation.

Eh bien, si nous avons pu faire toutes ces transformations en matière de bienfaisance et de culte, comment ne pourrions-nous pas appliquer le même principe en matière d'enseignement ? Quand nous l'avons appliqué pour les matières les plus importantes, celles pour lesquelles il y a le plus de fondations, le culte et la bienfaisance, il ne serait pas permis de le faire pour l'instruction, dont le patrimoine est beaucoup moindre que celui des autres services publics !

Ce qu'on a fait en 1789, on l'on a fait en vue d'un grand intérêt social ; vous n'avez pas été volés, vous n'avez pas été spoliés ; c'est pour le bien public qu'on a nationalisé ces immenses propriétés qui constituaient la plus grande partie des richesses de la France.

Vous nous dites : Vous tarissez les sources de la bienfaisance.

M. le ministre de la justice vous a présenté naguère le tableau des dons faits à la bienfaisance publique, il vous a montré combien la bienfaisance a vu accroître ses ressources sous l'empire des lois que vous condamnez. Nous ne sommes effrayés que d'une chose, c'est du grand nombre de propriétés qui sont affectées à la charité publique. Nous demandons si peut-être il ne faudra pas un jour empêcher dans une certaine limite la multiplication de ces libéralités et arrêter une immobilisation de richesse qui pourrait nuire à la prospérité nationale.

Nous voulons laisser les forces de la société aux mains des travailleurs afin d'en obtenir plus de produits ; vous, vous voulez les immobiliser.

Vous voulez immobiliser l'avoir social au profit de la religion, parce que vous avez peur qu'elle ne disparaisse.

Vous croyez la rendre immortelle par l'argent. Vous vous trompez, La durée des religions, la persistance des doctrines dépendent non des richesses mises à leur service, mais de la vérité et de la puissance des principes et des idées sur lesquels elles reposent.

Messieurs, j'arrive aux fondations en matière de bourses d'études. Tout le monde jusqu'à ce jour, y compris le parti catholique, avait soutenu que les bourses d'études constituaient des établissements publics. C'est la jurisprudence formelle de la justice belge ; un arrêt de la cour de Bruxelles de 1846 porte que les bourses d'études constituent des établissements publics. Voici qu'arrive M. Schollaert qui se déclare jurisconsulte et qui vient nous dire que les bourses d'études constituent une propriété privée.

C'est ce qui a été dit de plus audacieux dans la matière ; j'appellerai cela un véritable tour de force ; si l'honorable membre n'avait pas avancé cette proposition en se frappant la poitrine, en protestant de ses convictions, j'aurais cru que c'était une plaisanterie. Singulière propriété privée que celle qui dans ses moindres détails est réglée par la loi ; singulière propriété privée que celle dont on est tenu de rendre compte chaque année à l'autorité publique, de dire l'usage qu'on en a fait !

Mais, passons par les exigences., M. Schollaert, soit, c'est une propriété privée ; cependant il est un point que le député de Louvain a laissé dans l'ombre, c'est de nous dire quel est le propriétaire de cette propriété privée. C'est une question importante au débat que je vais essayer de résoudre avec les notes que j'ai recueillies du discours de M. Schollaert. Plusieurs fois il a répété que le grand tort du projet était de faire passer une propriété du domaine privé dans le domaine public, et que les bourses étaient du domaine privé.

Mais quels sont les propriétaires de ce domaine privé ? Nous libéraux, en droit nous pensons qu'il n'y a que des particuliers qui puissent être propriétaires d'un domaine privé.

. Dans les fondations de bourses, quels sont les propriétaires ? Sont-ce les institués, les boursiers ? En aucune manière ; car M. Schollaert ne s'en occupe pas ; il consent bien à ce qu'ils jouissent des bourses, mais à la condition qu'ils se livrent corps et âme aux idées du fondateur et qu'ils soient à la merci des collateurs.

Ce ne sont donc pas les institués qui sont propriétaires. Est-ce la nation ? M. Schollaert soutient le contraire. Alors ce sont les collateurs. Les collateurs sont donc les propriétaires du domaine privé qu'on appelle bourses d'études.

On peut dire que jamais on n'a soutenu pareille chose. Vous ne sauriez pas dire quel est le propriétaire de cette propriété privée, si ce ne sont pas, d'après vous, les collateurs.

Voilà votre système. Où avez-vous été chercher ce système ? Vous l'avez trouvé dans les journaux cléricaux, qui l'ont produit à propos d'un fait qui a occupé la Chambre, lorsque les chanoines de Tournai, croyant répondre à de prétendues attaques que j'aurais dirigées contre eux, ont adressé à la Chambre une pétition dans laquelle ils me désignaient comme boursier du chapitre de Tournai, ce qui est inexact.

« M. Bara, qui a été boursier du chapitre, dit la presse catholique s'emparant de cette pétition, est un monstre d'ingratitude ; il frappe ses bienfaiteurs. »

Le pays en a ri, c'est vrai, mais au fond c'est votre système, c'est votre idée.

Les collateurs sont propriétaires, et dès lors quand ils donnent une bourse, c'est un acte de munificence privée, et dès lors nous, qui avons reçu le bienfait, nous sommes des ingrats. (Interruption.)

Qui est propriétaire ? Répondez ! Vous ne sauriez pas me répondre. Ce doit être, d'après votre système, les collateurs et personne autre. Ainsi donc, messieurs, le fait brutal est là. Les collateurs de bourses s'attribuent la propriété des bourses comme leur patrimoine et l'honorable M. Schollaert transforme ce fait en doctrine, en théorie. Je suis convaincu que l'honorable membre a été épouvanté lui-même de la (page 894) hardiesse de cette thèse. Aussi a-t-il essayé de s'étayer de l'opinion de Stockmans et d'un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles.

Eh bien, messieurs, voyons Stockmans et voyons l'arrêt de la cour de Bruxelles.

Je ne sais pas d'abord pourquoi l'honorable M. Schollaert nous cite Stockmans. Stockmans a écrit à une époque où les idées de droit public et de droit politique n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui.

Or, nous nous trouvons dans une matière complètement politique, et il est évident que Stockmans ne peut être une autorité dans cette question.

Que dit Stockmans, d'après ce que prétend M. Schollaert ? Car il n'a pas trouvé sa note hier et il n'a pu nous indiquer le passage qu'il devait lire.

D'après M. Schollaert, Stockmans dit que c'est une opinion probable que les bourses constituent, non pas des corporations, mais des institutions successives.

Soit, j'admets avec Stockmans, quoique la jurisprudence décide que les bourses d'études sont des établissements publics, je concède que ce sont des institutions successives. Mais il me semble que les institutions successives, cela s'appelle, en langage de droit, des substitutions, et il me semble que les substitutions ont été supprimées. Je ne pense pas que l'honorable M. Schollaert, qui a trouvé une théorie nouvelle pour faire des bourses d'études une propriété privée, ait trouvé aussi une loi rétablissant les substitutions. En tout cas, il me rendra un grand service en me la désignant.

La théorie de l'honorable M. Schollaert n'est donc pas soutenable, même en acceptant les opinions de Stockmans.

Voyons maintenant quel est l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles. Cet arrêt n'a pas été compris par l'honorable député de Louvain, et il est même à présumer qu'il n'en a lu que l'intitulé, car s'il en avait lu les considérants, il aurait vu que cet arrêt soutient absolument le contraire de ce qu'il a dit.

Cet arrêt, messieurs, est du 26 juin 1839. De quoi s'agissait-il ? L'administration de la bourse de Natalis Dubois réclamait de la commune de Rotselaer le payement de certains biens qui faisaient partie de la fondation de Natalis Dubois et la commune de Rotselaer disait :

« Cette bourse a été incorporée aux collèges de l'université de Louvain, et comme ces collèges ont été nationalisés, la commune de Rotselaer ne doit rien à l'administration particulière de la fondation de Natalis Dubois. »

Quel était le point en litige ? C'était la question de savoir si la fondation avait fait partie des collèges annexés à l'université ou bien si elle avait été conservée comme propriété particulière, distincte. C'est ce point seul que décide l'arrêt.

Voici ce qu'il dit :

« Attendu qu'il est incontestable que les biens de fondations de bourses de la nature de celles dont s'agit au procès constituaient une propriété particulière »

L'honorable M. Schollaert change tout à fait la question ; il prétend que la cour a décidé qu'une bourse d'étude constitue un droit civil, un droit privé. Mais pas du tout, la cour n'était pas saisie de cette question. La cour s'est bornée à déclarer que les biens de la fondation Dubois étaient une propriété distincte, séparée, indépendante des collèges de l'université de Louvain.

M. Schollaertµ. - Particulière.

M. Baraµ. - La cour d'appel n'aurait jamais soutenu que les bourses sont des propriétés privées.

M. Schollaertµ. - Voulez-vous continuer la lecture ?

M. Baraµ. - Certainement. Si vous vouliez me répondre comme je vais le faire, chaque fois que je vous interpelle, nous arriverions vite à la fin de ce débat.

Voici l'attendu que l'honorable M. Schollaert invoque.

« Attendu que les intimés agissent au procès comme proviseurs des fondations de bourses autrefois annexées au ci-devant grand collège dans l'université de Louvain, et réclament à ce titre les canons arriérés de la rente due par la commune appelante à la fondation de bourses de Natalis Dubois ;

« Attendu qu'il est incontestable que les biens des fondations de bourses de la nature de celle dont s'agit au procès constituaient une propriété particulière ;

« Attendu, en effet, que la dotation de Natalis Dubois, qui remonte à 1757, et qui avait pour objet principal l'étude de la philosophie et de la théologie dans le grand collège à Louvain, était spécialement affectée à des boursiers désignés dans l'acte de fondation par préférence de parenté et de localité, et que les biens qui en dépendaient devaient être administrés par un receveur particulier chargé d'en tenir une comptabilité à part ;

« Attendu, dès lors, que les biens de cette fondation n'ont pu être confondus avec ceux du Grand Collège auquel elle était annexée ; que ce collège n'était autre chose, à l'égard de la fondation, qu'un lieu de retraite où les boursiers, moyennant les revenus de la même fondation, obtenaient la table et le logement et pouvaient suivre, pendant quelques années, les cours de l'université ;

« Attendu, par suite, que si le Grand Collège, ainsi que tous les autres érigés près l'ancienne université, ont été supprimés en exécution de la lei du 3 brumaire an IV, qui a réorganisé l'instruction publique en France, et si leurs propriétés ont été dévolues au domaine national, conformément à l'article 3 du décret du 22 novembre-1er décembre 1790, cette suppression et cette nationalisation n'ont pu atteindre les bourses d'études de Natalis Dubois, qui formaient une propriété privée tout à fait indépendante du collège supprimé... » (Interruption.)

Modérez-vous. Le mot « privé a été employé ici en opposition avec le mot « public ». On prétendait que cela avait été donné à l'Etat et la cour dit : Non, cela n'a pas été nationalisé, c'est resté une propriété distincte. Le mot « privé », selon tous les considérants de l'arrêt, est employé pour dire que cette bourse n'avait pas été nationalisée, qu'elle était restée une fondation particulière. (Interruption.)

Mais, si ce n'est pas là le sens de l'arrêt, que l'honorable M. Schollaert me réponde. Qui donc soutenait, dans le procès jugé par la cour, avoir un droit de propriété privée ? Quel était au procès le particulier qui prétendait un droit sur cette bourse ? C'est l'administration d'une fondation et la commune de Rotselaer, deux personnes publiques, qui sont en présence.

Du reste, messieurs, je suis convaincu que la droite ne soutiendra pas la doctrine de l'honorable M. Schollaert. Jamais les hommes de la droite n'oseront sérieusement prétendre que les bourses d'études sont des propriétés privées.

D'ailleurs la droite a à se défier de l'honorable M. Schollaert. Il doit créer un parti nouveau et avant de donner à ses opinions la sanction de l'orthodoxie, la droite y regardera à deux fois.

Le premier article du programme du nouveau parti de M. Schollaert est donc ainsi conçu :

« Les bourses d'études constituent des propriétés privées appartenant aux collateurs. »

Bientôt viendront d'autres articles qui diront : «Les biens des hospices et des bureaux de bienfaisance sont la propriété privée des administrateurs de ces institutions ; les biens des fabriques appartiennent aux membres des conseils de fabrique. »

Je prétends que ce sont là des hérésies de droit que personne n'a jamais osé soutenir, et il faut véritablement s'accrocher à un mot dans un arrêt, mot qui n'a pas été compris, pour prétendre que les bourses d'études sont des propriétés privées.

Quittons un instant, messieurs, l'honorable M. Schollaert, pour nous occuper de l'honorable M. Nothomb.

D'abord, messieurs, je me garde bien d'accuser l'ancien ministre de la justice de soutenir la théorie de l'honorable M. Schollaert ; il n'y a jamais songé et il n'y songera jamais.

L'honorable M. Nothomb a tâché de démontrer que le droit de collation est un droit civil et que dès lors on ne pouvait y toucher. Il prétend que ce droit naît du testament et de la donation et qu'il est de droit naturel.

Messieurs, nous avons déjà examiné ce point. Si l'honorable M. Nothomb me concède, et il doit le faire, que le particulier ne peut fonder que pour des objets qui lui sont indiqués par la nation ; qu'il n'a pas le droit de fonder pour tel objet qu'il veut, évidemment le droit de fonder et le droit de collation qui en dérive, ne peut appartenir qu'à la nation ; dès lors les collateurs de bourses n'ont qu'un emploi public, qu'un emploi administratif, ainsi que l'a reconnu lui-même l'honorable M. Nothomb dans une dépêche dont M. le ministre de la justice a donné lecture.

Mais, messieurs, qu'est-ce que le droit de collation ? Voyons si c'est un droit civil ou si c'est un droit politique. Pour moi, je soutiens que c'est un droit politique et pour le démontrer, il n'y a qu'à définir le droit civil et le droit politique.

Qu'est-ce que le droit civil ? C'est le droit qui appartient à l'individu, dans n'importe quelle forme sociale il vit, c'est le droit qui dérive de la liberté naturelle, qui touche à la personnalité de l'individu, qui est essentiel pour son développement physique et moral. Les droits civils, la loi ne les crée pas, elle les sanctionne.

(page 895) Qu'est-ce que les droits politiques ? Ce sont les droits qui touchent au gouvernement des hommes, qui dérivent des rapports de la société avec l'individu, qui sont créés dans l'intérêt de la société et non dans l’intérêt de l'individu.

Qu'est-ce que la fondation ?

C'est une administration publique créée dans l'intérêt de la société ; c'est, dans notre espèce, une administration publique en vue de favoriser les études.

Et dès lors, quand un collateur exerce son droit de collation en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés, c'est un droit politique qu'il exerce ; il participe à une administration publique. Ce n'est pas là un droit essentiel à sa nature, comme le droit de propriété, comme le droit de se marier, comme le droit d’être père. Il n'y a rien de tout cela. Les fondations peuvent disparaître ; elles peuvent exister demain pour un objet, après-demain pour un autre ; elles peuvent être supprimées comme certaines l'ont été, et l'individu n'en peut pas moins continuer sa route, accomplir ses destinées ; cela ne touche en aucune manière aux droits naturels de l'individu.

L'honorable M. Nothomb nous fait quatre objections.

On dit que le droit civil est un droit transmissible. Or, dit M. Nothomb, il y a des droits civils qui ne sont pas transmissibles, et de ce que le droit de collation n'est pas transmissible, vous ne pouvez en conclure que ce n'est pas un droit civil.

C'est parfait. Nous savons parfaitement bien qu'un homme marié ne peut conférer ses droits d'époux à un autre individu. Mais c'est là un droit personnel. Et si nous ne pouvons pas prétendre qu'un droit est politique parce qu'il n'est pas transmissible, l'honorable M. Nothomb ne peut à son tour soutenir qu'il est civil. La propriété de pouvoir s'aliéner n'est donc pas le critérium à l'aide duquel on peut distinguer le droit civil du droit politique. Pour savoir si un droit est civil ou politique, il faut examiner si ce droit touche au gouvernement des hommes, à l'exercice du pouvoir, s'il existe dans un intérêt social ou bien s'il appartient à l'individu, s'il préexiste à la formation de la société et est nécessaire à l'homme.

Or, le droit de collation est-il un droit naturel de l'individu ? Tout le monde n'est pas collateur. Vous n'êtes pas collateur ni moi non plus, et nous n'en sommes pas moins libres de suivre notre destinée. Si l'on vous défendait de vous marier, si l'on vous défendait d'être père de famille, alors on porterait atteinte à votre liberté, on froisserait des droits civils ; mais il n'y a ici rien de semblable.

Second argument : Le jugement des contestations relatives au droit de collation et à l'administration des fondations est conféré aux tribunaux. Donc, dit l'honorable M. Nothomb, c'est un droit civil.

Mais je prierai l'honorable M. Nothomb de bien vouloir lire l'article 93 de la Constitution. Cet article 93 dispose comme suit : « Les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. »

Or, vous prétendez déduire de ce que les tribunaux jugent les contestations relatives aux collations de bourses, qu'il s'agit d'un droit civil. Mais non. La règle est que les contestations relatives aux droits politiques sont du ressort des tribunaux civils, et il faut des exceptions dans la loi pour que les droits politiques soient soumis à une juridiction exceptionnelle. Ainsi vous êtes dans l'erreur quand vous induisez de ce qu'un litige relatif au droit de collation doit être déféré aux tribunaux, que ce droit de collation est un droit civil. Vous émettez une hérésie constitutionnelle.

Troisième argument ; on conserve le droit de collateur aux parents du fondateur, donc c'est un droit civil. Mais en aucune manière. Si l'honorable M. Nothomb avait voulu lire le rapport, il aurait vu que nous n'admettons pas que nous soyons obligés, que la société soit obligée de conserver les droits de collation aux parents du fondateur. Nous admettons seulement que, dans l'état actuel de nos mœurs, il n'y a pas d'inconvénient grave à conserver ce droit aux parents. Mais nous ne disons pas par-là que ce soit un droit civil ; nous maintenons, pour les générations à venir, le droit de réformer en ce point la législation. C'est là un droit inhérent à la société, c'est un droit qui lui appartient en vertu de sa souveraineté, et qu'elle ne peut aliéner. Ne venez donc pas prétendre que nous reconnaissions un caractère civil au droit de collation/parce que nous l'accordons aux parents des fondateurs. Nous disons que ce n'est pas un droit civil, que c'est un droit politique. Mais nous jugeons utile pour le moment de permettre aux parents des fondateurs d'en avoir l'exercice.

Quatrième argument et c'est le plus remarquable : Le droit de collation est un droit civil parce qu'on l'accorde à des étrangers. Les étrangers ne peuvent pas jouir de droits politiques, dit M. Nothomb, ils ne peuvent jouir que des droits civils. Donc accorder la collation aux étrangers, c'est avouer que c'est un droit civil. Eh bien, c'est encore là une petite hérésie constitutionnelle.

L'article 6 de la Constitution est ainsi conçu : « Les Belges sont égaux devant la loi ; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers. »

Vous voyez donc que nous pouvons admettre des étrangers à un emploi civil, à des fonctions politiques ; mais pour cela il faut une loi. Or c'est précisément parce que le droit de collation est un droit politique, que nous sommes obligés de stipuler dans la loi qu'il pourra appartenir à des étrangers.

C'est là la condamnation de votre système. Vous dites que les étrangers ne peuvent jouir des droits politiques, mais lisez la loi sur la garde civique. L'article 8 est ainsi conçu :

« Les Belges et les étrangers, admis à établir leur domicile en Belgique en vertu de l'article 13 du Code civil, âgés de 21 à 50 ans, sont appelés au service de la garde civique dans le lieu de leur résidence réelle. »

Voilà l'exercice d'un droit politique ; les étrangers sont obligés de servir dans la garde civique.

Un prêtre était étranger ; il a été appelé aux fonctions d'évêque. Il jouissait d'un droit politique, puisqu'il recevait un traitement de l'Etat. Nous avons, dans le corps professoral, beaucoup d'étrangers. C'es tencore un droit politique que vous accordez à l'étranger.

La quatrième objection de l'honorable M. Nothomb ne tient donc pas plus que les trois autres.

Messieurs, nous croyons vous avoir démontré que toutes les réfutations qu'on a tentées passent à côté de la question ; on ne la touche pas, on ne la rencontre pas, et c'est précisément ce qui nous gêne dans ce débat. Si nos adversaires possèdent des arguments spéciaux, s'ils possèdent des arguments complets qui nous frappent, qui emportent la question, qu'ils les signalent, nous y répondrons ; mais qu'ils répondent aussi à ceux que nous faisons valoir.

J'arrive à la questionne savoir si l'on fait bien de modifier la législation actuelle. M. le ministre de la justice et moi, nous vous avons cité des chiffres. J'ai prouvé que sur 132 bourses conférées à Tournay, à peine 8 avaient été données à l'enseignement laïque. Ce fait reste debout. Il reste vrai qu'alors que ces bourses étaient pour la plupart destinées aux humanités, aux études universitaires, au droit, à la médecine, à la théologie, on ne s'est pas fait scrupule de les accaparer pour l'enseignement théologique et pour l'enseignement des grands et petits séminaires et des établissements ecclésiastiques. On n'a rien répondu aux chiffres que j'ai donnés.

J'ai dit que les collateurs de Tournai avaient détourné les bourses de leur véritable destination, et je le maintiens.

J'ai prouvé qu'il y avait un grand nombre de bourses pour les différentes branches d'études et que la plupart ont été accordées pour la théologie. Eh bien, je dis que ces collations ont été faites contrairement aux intentions des fondateurs qui avaient donné aussi bien pour les études universitaires que pour la théologie.

Je vais vous prouver, messieurs, qu'il n'y a personne au monde pour refaire les testaments comme les collateurs ecclésiastiques. Je vais vous prouver, par des faits que je puise dans les documents officiels, que les collateurs ont fait beaucoup plus que le projet de loi que nous discutons.

Un prêtre du nom de Laurent fait un testament au profit d'œuvres charitables.

Les exécuteurs testamentaires font un acte de fondation et créent trois bourses au profit des primiciers de Tournai pour suivre le collège de Saint-Paul à Tournai.

Le roi Guillaume rétablît la fondation, et comme le collège Saint-Paul avait disparu, il affecta les bourses à l'athénée de Tournai, Les bourses sont donc distribuées aux Tournaisiens et pour l'athénée de Tournai. La révolution de 1830 éclate et proclame la liberté d'enseignement. Que font les collateurs, qui sont trois chanoines du chapitre de Tournai. Ils s'adressent au gouvernement et lui disent : La liberté d'enseignement est proclamée, l'athénée de Tournai n'est pas le successeur du collège Saint-Paul ; il n'a aucun droit aux bourses du chanoine Laurent. Nous vous prions de vouloir bien permettre que ces bourses soient conférées au collège des jésuites en même temps que pour l'athénée de Louvain.

Le gouvernement cède et permet aux collateurs de conférer les bourses à l’athénée de Tournai et pour le collège des jésuites.

Ce n'est pas tout, messieurs ; l'esprit d'envahissement va bien plu loin, bientôt on s'aperçoit qu'on n'a pas fait assez, et ces bourses, créées (page 896) pour le collège Saint-Paul, doivent quitter Tournai. Un nouvel établissement dépendant de l’épîscopat a été fondé à Bonne-Espérance, les collateurs s'adressent de nouveau au gouvernement et demandent que les bourses Laurent, fondées pour le collège Saint-Paul, à Tournai, puissent être données par le séminaire de Bonne-Espérance. Un arrêté royal permet de conférer les bourses pour tous les établissements du pays, et voilà les bourses créées pour le collège de Saint-Paul à Tournai, en route pour le séminaire de Bonne-Espérance.

Qu'arrive-t-il après ? Jusqu'ici on ne change que les établissements. Mais les bourses étaient créées pour les primiciers de Tournai, et il est certain qu'à défaut de primiciers c'était aux habitants de Tournai que ces bourses devaient être données. Cela ne convenait pas aux collateurs, et que firent-ils ? Le fondateur était de Frasnes-lez-Buissenal, village situé à 4 lieues de Tournai ; eh bien, les collateurs des bourses, les chanoines vont changer les institutions et voici ce qu'ils demandent au gouvernement :

« D'après les considérations qui précèdent, les trois chanoines désignés ci-dessus, à titre des devoirs qu'ils sont appelés à remplir par l'arrêté du 5 février 1819, proposent de modifier cet arrêté comme il suit.

« Les appelés aux bourses d'humanités de l'archidiacre Jacques Laurent seront à l'avenir : en premier lieu, les parents du fondateur, choraux de la cathédrale, représentant les primiciers ; en second lieu, les parents et les choraux ; en troisième lieu, les étudiants de Frasnes-lez-Buissenal, village natal du fondateur ; en quatrième lieu, les étudiants du canton de Frasnes, et en cinquième lieu les natifs de Tournai.

« Les dispositions de l'arrêté royal du 2 septembre 1841 seraient maintenues, en ajoutant (pour se conformer aux vues du fondateur), aux collèges que peuvent fréquenter les pourvus, le séminaire de Bonne-Espérance qui est maintenant l'établissement diocésain, où se font les études préparatoires pour l'état ecclésiastique.

« A Tournai, en séance, le 6 juillet 1860. »

Voilà le fait : on crée des bourses pour un collège de Tournai, et pour les Tournaisiens ; les chanoines font passer ces bourses à Frasnes-lez-Buissenal. Mais vous faites plus que nous, vous spoliez les Tournaisiens et vous venez prétendre, après cela, que nous détournons les bourses de leur véritable destination.

Si le gouvernement avait écouté les chanoines, si le gouvernement n'avait pas dit : Non ! les natifs de Tournai auraient été spoliés, les bourses seraient passées aux habitants de Frasnes-lez-Buissenal. Voilà comment vous refaites les testaments !

Ces faits sont authentiques, ils ne sauraient être contesté :. On pourra signaler de nouvelles bourses que j'ai obtenue, mais on ne démentira pas les faits que je viens de citer.

Vous voyez donc, messieurs, que si nous sommes révolutionnaires, les chanoines de Tournai le sont à un titre bien autre que nous. Non seulement ils changent l'établissement, ils transfèrent le collège Saint-Paul à Tournai au collège des jésuites et ai séminaire de Bonne-Espérance ; mais ils changent les institués, ils les remplacent par d'autres, et cela au détriment de la ville de Tournai.

Comme on n'ose plus soutenir aujourd'hui que l'université de Louvain est l'héritière de l'ancienne université, on a inventé un singulier système pour attribuer à cette université toutes les bourses dont jouissait l'ancienne. C'est l'honorable M. Schollaert qui s'est charge de formuler ce système qui n'avait pas encore osé se produire dans cette enceinte. Voici les moyens qui ont été trouvés par l'honorable membre.

Les bourses ont été créées, dit-il, pour étudier dans la ville de Louvain ; il est donc impossible d'aller étudier ailleurs. C'est probablement à raison du climat et de la salubrité de la localité que les fondateurs ont créé des bourses pour l'université de Louvain. Mais alors je demanderai à l'honorable M. Schollaert de se mettre d'accord avec l'honorable M. Van den Branden de Reeth ; si l'Université catholique était restée à Malines, est-ce que les plantureuses bourses de Louvain ne seraient pas allées à Malines ? Auriez-vous attendu des temps meilleurs où il aurait plu à je ne sais qui de fonder une université à Louvain ? L'argument de M. Schollaert peut être bon pour égayer la Chambre dans ce long débat, mais l'honorable membre voudra bien reconnaître qu'il ne peut être pris au sérieux.

La ville de Louvain, poursuit M. Schollaert, est débitrice des fondations de bourses et les collateurs ont fait une transaction avec la ville de Louvain, transaction dans laquelle il a été convenu qu'on aurait égard, dans la collation, au lieu où se feraient les études.

L'honorable M. Schollaert n'a pas cité l'acte, il n'a pas cité non plus la date de l'arrêté royal, mais qu'est-ce que cela peut faire ? il était bien naturel que les collateurs de Louvain et la ville de Louvain fissent une transaction toute favorable à l'université de Louvain ; mais la question est de savoir s'il avaient le droit de la faire avec les stipulations qu'on nous indique.

Je suppose qu'au lieu de la ville de Louvain, ce fût un particulier quelconque qui eût disposé de cette manière, qui eût dit par exemple :

« Je veux bien transiger mais c'est à la condition que les bourses soient attribuées à mes parents ou qu'elle soient affectées à telle ou telle université. »

Si vous prétendiez qu'une pareille transaction est valable, on vous répondrait : Vous n'avez pas le droit de déterminer l'université de Louvain et de lui donner ainsi indirectement la capacité civile, cela n'appartient qu'à la loi. Quand vous avez demandé la personnification civile pour l'université de Louvain, à qui vous êtes-vous adressés ? A la législature ; c'était là le but de la proposition Brabant-Dubus. Or, qu'avez-vous fait par la transaction ? Vous avez donné la personnification civile à l'université de Louvain ; vous avez attribué les bourses exclusivement à cette université. Est-ce sérieux ? Est-ce possible ? (Interrruption.)

On nous dit que M. Faider a approuvé la transaction. Je n'ai pas lu l'arrêté royal d'approbation ; mais si l'arrêté est interprété comme l'arrêt de 1359 dont a parlé M. Schollaert, il y aura beaucoup à en rabattre.

Messieurs, voici un troisième moyen à l'aide duquel on s'empare des bourses qui ont été créées par nos pères. J'appelle ici toute l'attention de la Chambre.

Nous avons enfin forcé les catholiques à démasquer leur système et à nous dire toute leur pensée. Je suis encore sous l'impression des doctrines qui ont été professées hier par l'honorable M. Schollaert, et je vous l'avoue, j'ai peine à dominer ces impressions, tant toutes mes aspirations vers la liberté ont été froissées, tant le soufflet donné à nos grandes libertés, à toutes nos conquêtes depuis 1789 a été sanglant !

Des doctrines les plus intolérantes ont été professées à cette tribune par un homme qui a figuré dans nos rangs, par un homme qui, lui aussi, a attaqué l'intolérance, par un homme qui prétend devoir constituer un parti nouveau en Belgique.

Ce que personne n'a osé soutenir, il fallait l'honorable M. Schollaert pour venir le défendre devant nous !

L'université de Louvain, a dit M. Schollaert n'est pas héritière de l’Alma Mater, mais elle est catholique ; or, lorsque le testateur était catholique, et lorsqu'il a voulu fonder pour l'université catholique, on ne peut donner ses bienfaits à d'autres qu'à des catholiques, et les bourses doivent exclusivement profiter à l'université catholique de Louvain.

Non, le boursier n'est pas libre d'aller étudier où il veut ; on peut violenter sa conscience ; un mort, couché dans la tombe, peut lui dire : « Tu croiras comme moi, tu penseras comme moi ; sinon, tu seras privé de toute lumière ! » Que devient, dans ce système d'intolérance, la liberté sacrée de la conscience ? Que font les progrès de la civilisation, que font les droits de la conscience ? « Toi, boursier, tu n'as pas de conscience de tes droits, je m'en moque ; il y a un homme mort il y a 500 ans, qui a dit que tu serais catholique ou ignorant. Choisis. »

Vous avez applaudi hier, messieurs, à ce passage du discours de l'honorable M. Schollaert ; mais vous n'y avez pas pensé ; vous avez applaudi sans y réfléchir, car je le dis à l'honneur du parti catholique, vous n'avez jamais professé de semblables doctrines, vous avez protesté contre de pareilles exagérations et vous avez condamné une atteinte aussi audacieuse à la liberté de conscience.

Messieurs, voici ce que disait en 1857, l'honorable M. de Decker dans la question qui nous occupe : il ne faisait que répéter en cela ce qu'avait dit avant lui l'honorable M. Malou :

« Mais, dit l'honorable M. Frère, il y a un arrêté de 1816, qui ordonne que les bourses soient divisées entre les trois universités des provinces méridionales. Il y a l'article 13 de l'arrêté de 1823 qui dispose qu'aucun payement ne sera fait à ceux à qui les bourses seront conférées que pour autant qu'on produise, avec la quittance du boursier, le certificat constatant qu'il a fréquenté l'un des établissements d'instruction publique reconnus par le gouvernement.

« Quelle est la portée de ces dispositions ? Déjà l'observation en a été faite par deux orateurs que vous avez entendus dans la séance précédente, ces dispositions ont été prises en conformité avec l'organisation de l'enseignement supérieur à cette époque.

« Le gouvernement voulait que les bourses profitassent aux jeunes gens fréquentant l'un des établissements existants. Le régime légal des administrations spéciales de fondations fut mise en rapport avec l'organisation de l'enseignement supérieur. Rien de plus simple, rien de plus rationnel.

« Que s'est-il passé depuis lors ? Nous avons inauguré une ère nouvelle en 1830. Un principe nouveau a surgi, c'est le principe constitutionnel (page 897) de la liberté d'enseignement. II en résulte que les bourses, en général, doivent être indistinctement conférées aux jeunes gens qui fréquentent l'enseignement supérieur tel qu'il est organisé aujourd'hui.

« C'est ce qui a lieu. L'administration particulière* e toutes les anciennes fondations de bourses reste et a dû rester établie sur le pied des arrêtés de 1818 et de 1823, seulement la collation des bourses est mise en rapport avec la nouvelle organisation de l'enseignement supérieur, profondément modifiée par le principe de la liberté d'enseignement.

« Je conçois que si l'université de Louvain avait réclamé pour elle seule l'attribution de bourses dont il n'a pas été disposé spécialement pour cette université, ce serait quelque chose d'exorbitant, qui ne pourrait soutenir un examen sérieux.

« Mais l'université de Louvain n'a pas des prétentions de ce genre. Ce sont les collateurs qui, agissant en vertu des arrêtés de 1818 et de 1823, et conformément à la volonté des fondateurs, confèrent les bourses en laissant aux boursiers la liberté de faire leurs études où bon leur semble. Je trouve ce régime parfaitement légal et rationnel, parfaitement constitutionnel. »

Eh bien, voilà ce que l'honorable M. de Decker disait en 1857. Et vous prétendez aujourd'hui que parce que l'université de Louvain a un enseignement catholique et que les bourses ont été créées pour une université catholique, il faut les donner toutes à l'université de Louvain. (Interruption.)

Vous avez dit que vous vouliez de la liberté du boursier pour l'avenir, mais que vous n'en vouliez pas pour le passé.

Mais il y a plus, c'est que le parti catholique a appliqué les principes qui ont été professés par l'honorable M. de Decker. Qu'avez-vous fait, en vertu de la liberté de l'enseignement ? Des bourses avaient été créées par les fondateurs pour une université catholique, mais en même temps pour une université publique, l'ancienne université de Louvain. Eh bien, vous avez fait fléchir la volonté du testateur devant le grand principe de la liberté d'enseignement. Vous avez supprimé une des conditions des testaments, le caractère public de l'institution ; vous avez permis qu'on accordât des bourses à des élèves d'établissements privés.

Eh bien, nous venons vous demander aujourd'hui, au nom d'un grand principe aussi respectable que celui de la liberté d'enseignement, nous venons vous demander de ne pas forcer les jeunes gens à aller étudier dans des établissements où leur conscience, où leurs opinions ne leur permettent pas d'aller.

Vous invoquez le testament, mais vous ne le prenez pas dans son entier ; vous prenez la condition catholique et vous ne prenez pas la condition relative au caractère public exigé par le testament. Messieurs, cela n'est pas logique. Si vous vouliez exécuter la volonté du testateur, vous ne devriez accorder les bourses qu'à des élèves fréquentant une université catholique et publique.

. Et après tout, messieurs, qu'est-ce que c'est donc que la condition « université catholique » écrite dans les testaments ? Nos pères étaient catholiques sans doute ; mais alors la religion catholique était la religion de l'Etat ; on ne pouvait fonder que pour des universités catholiques et des établissements catholiques ; on ne pouvait pas en créer d'autres : on ne les eût pas autorisés.

A cette époque, on faisait brûler les hérétiques et l'on exorcisait les possédés. Voilà quelle était le situation, et c'est sous l'empire de ces erreurs, c'est sous l'empire de ces préjugés, M. Schollaert, que tous les actes de fondation ont été faits.

On a cru que, pour favoriser la religion catholique, il fallait créer des armes de propagande pour lutter contre l'esprit de Luther, pour arrêter les progrès du schisme. Mais depuis lors, nous avons marché et, vous, vous êtes restés les mêmes ; mais, depuis lors, la situation a bien changé ! Nous avons proclamé la liberté de conscience, nous avons proclamé les droits imprescriptibles de l'homme, et vous ne pouvez plus nous opposer des testaments faits sous l'empire de l'intolérance et des idées les plus funestes relativement aux droits de la commune.

Et voyez ! quelle est votre logique !

Vous êtes obligé de reconnaître la force de nos principes ; vous êtes obligé de nous concéder que nous avons raison. Vous avez dit, en effet, M. Schollaert : J'admets vos principes pour l'avenir. Donc, vous allez interdire aux fondateurs de désigner les universités pour l'avenir ; vous allez les empêcher de prescrire que les études se feront à Louvain ou à Bruxelles. Et pourquoi faites-vous cela ? Parce que vous obéissez aux grandes idées de tolérance, aux grands principes de la société moderne ; et vous prétendrez que nos pères, s'ils revenaient, ne seraient pas aussi libéraux que vous ? Vous prétendez que nos pires n'applaudiraient pas à toutes les conquêtes que nous ayons faites depuis qu'ils sont descendus dans la tombe ! Non, messieurs, cela n'est pas possible ; vous calomniez vos ancêtres. (Interruption.)

Et qu'est-ce donc que votre droit de désigner aux boursiers un établissement à toujours ? Quel orgueil et quelle démence, quand on songe à la faiblesse humaine ! Vous prétendez que l'homme a le droit d'imposer à tout jamais ses opinions, ses idées, à ses successeurs. Vous prétendez que parce qu'un jour il a professé telle ou telle doctrine, tous ceux qui, dans la suite des temps, profiteront de ses bienfaits, devront confesser le même principe. Mais, messieurs, considérons le monde. Ne voyons-nous pas tous les jours des hommes qui ne sont pas capables de conserver, pendant dix ans, la même opinion (interruption) ; ne voyons-nous pas les consciences vaciller à tout instant ? Et vous voulez que la volonté d'un fondateur persiste à travers les âges et qu'elle s'impose à perpétuité aux générations futures ! (Interruption.)

Suivez, messieurs, votre système jusque dans ses conséquences. Vous voulez qu'un païen puisse dire à ses descendants : Jamais vous ne serez chrétien : qu'un catholique puisse dire : Jamais vous ne serez protestant ; qu'un juif puisse dire : Jamais vous ne serez catholique ou protestant.

Et bien, nous protestons de toutes les forces de notre conscience ; vous êtes des momies, vous l'avez dit ; vous soutenez de vieilles doctrines du temps de Philippe II ; un souffle d'intolérance a passé en vous, et j'espère que 1l’onorable M. de Decker se lèvera pour vous le dire encore une fois ; et que, quand il verra la liberté de conscience ainsi attaquée, il protestera au nom même du catholicisme. (Interruption.)

Et voyez, messieurs, quelle est la prétention de la droite ? Elle frappe d'interdiction tous les établissements publics et privés autres que ceux du clergé ! L'instruction catholique, où se donne-t-elle ? A Louvain seulement, dites-vous. Mais de quel droit prétendez-vous que l'université de Louvain est plus catholique qu'aucune autre ? Est-ce parce qu'elle s'est donné l'épithète de catholique ? Mais cela ne suffit pas, l'honorable M. Schollaert a été professeur à Louvain et ses doctrines y ont été condamnées. J'en conclus qu'à Louvain on n'enseigne pas toujours des doctrines catholiques ; en effet l'université de Louvain a déclaré qu'elle n'avait rien de commun avec les principes de M. Schollaert. (Longue interruption.)

Moi, je soutiens qu'on peut étudier à Gand, à Liège et même à Bruxelles et rester parfaitement catholique ; je soutiens que la foi n'est nullement en cause ici ; votre université est une université politique et rien de plus ; ce n'est pas une université catholique, par la raison bien simple que je ne connais pas de science catholique ; je ne connais que la science de la vérité et pas d'autre.

Que devient la liberté de conscience et que devient même la liberté de la famille, le droit de propriété qui vous paraît si cher ; que devient tout cela avec le système de l'honorable M. Schollaert ? Voici une bourse de fondation créée au XVIème siècle au profit des parents du fondateur ; plus tard, la famille, poussée par ses convictions, change de religion ; un jeune homme, devenu ainsi protestant, je suppose, s'adresse aux collateurs et leur dit : Donnez-moi la bourse qui a été créée par mes parents. On lui répond : Non, vous n'aurez pas la bourse ; votre ancêtre était catholique ; nous sommes intolérants ; nous ne disposons qu'en faveur des catholiques. Et le jeune homme viendra répondre : Mais je croyais que je vivais dans un pays libre, où tous les citoyens étaient égaux devant la loi et la Constitution sans distinction de religion ; je croyais qu'on ne pouvait pas m'imposer un acte de culte que ma conscience réprouve ; je croyais qu'on n'avait pas le droit de descendre au fond de ma conscience, m'interroger sur mes opinions religieuses ! Et voici qu'un collateur me dit : « Apostasie, va chercher un billet de confession ou tu n'auras pas de bourse ! » Voilà le système de l'honorable M. ScholIaert ! (Interruption.)

J'ai parlé du patrimoine du boursier ; j'ai dit que c'était le patrimoine du pauvre. Oui, dit M. Schollaert, mais du pauvre catholique ; nous n'avons pas à nous occuper du pauvre protestant ; nous créons une distinction dans le patrimoine des bourses, comme nous créons des distinctions dans la tombe. Et c'est là de la liberté, c'est là de la démocratie ! Moi, j'appelle cela du moyen âge, j'appelle cela de l'intolérance au plus haut degré ; et je suis vraiment ému de voir un homme qui prétend se détacher du parti catholique et apporter des idées nouvelles dans le parlement, venir se faire ici le champion de pareilles doctrines !

Savez-vous, messieurs, quel serait le résultat du système de (page 898) l’honorable M. Schollaert ? Ce serait de corrompre les consciences, et de porter les plus déplorables atteintes à la moralité si grande du peuple beige. On dirait aux boursiers : Vous irez à Louvain ou vous n'aurez pas de bourse. Eh bien, on verra des boursiers aller à Louvain bien que leurs convictions dussent les en éloigner. Tout le monde n'a pas les moyens de mettre ses convictions au-dessus des nécessités de l'existence. Il y a eu à Louvain des prêtres qui y sont restés pendant vingt ans pour jouir des bourses de la faculté de théologie. Eh bien, vous trouverez des boursiers qui vendront leur conscience pour aller étudier à Louvain. Et voilà ce que vous aurez gagné avec ce système ! vous aurez porté atteinte à la moralité du pays ; sous le prétexte de favoriser dans la collation des bourses le respect et la volonté du donateur, savez-vous ce que tous aurez fait ? Ces jeunes gens, après avoir vendu leur conscience pour étudier, la vendront pour parvenir. Voilà ve qui arrivera.

Je termine. Vous nous avez accusé d'avoir méconnu l'éclat de la papauté, d'avoir méconnu ce qu'il y a de grand dans l'attitude de pape. Nous n'avons pas parlé du vieillard sombre et blême qui veut ramener des siècles odieux, nous n'avons pas dit que nous creusions la tombe du catholicisme. Ah ! j'admets que votre retour est sincère, mais alors au lieu de nous accuser vous devez être modéré, vous devez reconnaître que vous êtes faible et douter de vous-même. Nous n'avons jamais insulté à la papauté. Si nous voyons succomber un régime qui permet d'enlever les enfants à leurs mères, nous en serons heureux, mais nous entourerons de notre respect le chef d'une religion antique et nous ne lui refuserons pas le tribut de notre vénération.

(page 852) M. de Theux. - Messieurs, on a combattu une intolérance prétendue par une intolérance évidente, sans précédent dans le Congrès national aussi bien que dans les assemblées qui lui ont succédé.(Interruption.)

Oui, messieurs, j'ai le droit de qualifier ainsi le discours que nous venons d'entendre. Ce qui m'étonne et ce que je regrette profondément, ce sont les applaudissements que je viens d'entendre.

Si ce discours est un discours de progrès, s'il a pour but d'inaugural un régime parlementaire nouveau, je viens vous prévenir que c'en sera bientôt fait de nos libertés.

M. de Moor. - N'avez-vous pas applaudi hier M. Schollaert ?

M. de Theux. - Nous reprendrons la discussion sérieuse du projet, en dehors de toute personnalité, car il est affligeant de voir un talent aussi magnifique, dont l'assemblée devrait s'honorer, être l'objet de personnalités sans précédent, sans exemple ; si c'est ainsi qu'on prétend honorer le régime parlementaire, on va à rencontre du but qu'on se propose. C'est l'anéantissement du régime parlementaire ! Reprenons la discussion sérieuse. (Interruption.) Si vous voulez m'interrompre, je ferai une pose à chaque interruption. Je n'entends pas être ici victime de l'esprit de parti.

Nous pensons que le projet de loi est illibéral et spoliateur, que c'est un nouveau pas fait dans la voie des hostilités à l'enseignement libre. Le Congrès national voulant conserver les traditions nationales, les mœurs nationales, assurer le gouvernement du pays par le pays, a créé un faisceau de libertés, la liberté des cultes, la liberté religieuse, la liberté d'opinion, la liberté d'enseignement, la liberté d'association, la liberté de la presse et tout cela garanti par un système électoral complet.

Messieurs, la liberté d'enseignement a toujours été en butte à tous les gouvernements ; sous l'empire, c'est par l'enseignement de l'Etat qu'on a voulu éteindre l'esprit national de la Belgique ; sous le régime des Pays-Bas, c'est par l'enseignement de l'Etat qu'on a voulu nous faire perdre notre caractère national pour nous assimiler à nos frères du Nord.

Aussi, il n'est pas de précaution que le Congrès n'ait prise pour empêcher l'enseignement de devenir le monopole de l'Etat ; il a proclamé la liberté de l'enseignement sans limites, écartant toute mesure préventive, il n'a autorisé l'enseignement de l'Etat que pour combler les lacunes qui pourraient se présenter.

« Quelle est la marche qu'on a suivie ? Réactionnaire aux dispositions du Congrès, on a prétendu que la Constitution faisait un devoir à la législature d'organiser à tous les degrés l'enseignement de l'Etat, tandis que la Constitution dit le contraire, et on a organisé à l'enseignement libre une concurrence immense au moyen des ressources de l'Etat, des provinces et des communes.

Dès 1850, on a présenté un vaste projet d'enseignement moyen. L'exposé des motifs a soin de nous donner les raisons de ce système nouveau ; c'est qu'il voulait faire concurrence à l'enseignement libre ; c'est que la liberté présentait des dangers pour la politique libérale. En 1850, on a changé le mode de collation des bourses créées par la loi de 1835, sur les universités de l'Etat. Ces bourses, accessibles à la liberté d'enseignement, n'ont été réservées exclusivement aux universités de l'Etat.

En 1857, l'honorable M. de Decker, dont vous vous plaisez à invoquer l'opinion souvent à tort et à travers et dans un sens diamétralement opposé à la vérité, eh bien, messieurs, l'honorable M. de Decker a rétabli l'égalité pour la collation des bourses à charge du budget de l'Etat. La loi de 1857 a stipulé qu'elles seraient accessibles à tous les étudiants, quel que soit le lieu de leurs études. Et en 1862, les propositions restrictives de 1850 sont de nouveau reproduites et c'est à ce moment que vous prétendez donner par effet rétroactif la liberté à tous les boursiers, alors même que l'acte de fondation pose des conditions expresses. Vit-on jamais contradiction plus flagrante ?

Messieurs, on ne s'arrête pas là dans la voie des attentats à l'enseignement libre.

En 1863, on vous propose une loi de confiscation de la volonté des fondateurs de bourses d'études, confiscation au moins partielle, car il eût été par trop révoltant de la présenter complète en excluant les établissements libres. C'est une confiscation déguisée par l'introduction d'un nouveau système de collation.

Dans ce même projet on vous propose d'interdire les fondations en faveur des établissements pour l'enseignement libre, et on vous propose de décréter que ces mêmes fondations pourront être faites exclusivement pour des établissements publics.

Et pourquoi, messieurs, cette lutte incessante contre la liberté d'enseignement, tantôt directe, tantôt déguisée ? Parce que la liberté profiterait davantage aux conservateurs. Le parti libéral trouve plus commode de puiser les soutiens de ses opinions, de son système dans le budget de l'Etat, des provinces et des communes.

Voilà, messieurs, tout le secret de nos dissentiments, de nos discussions.

Ce calcul égoïste, appliqué à toutes nos libertés, les compromettrait toutes ; car si vous avez intérêt à entraver la liberté d'enseignement par tous les moyens possibles, d'autres auront peut-être un intérêt opposé et chercheront à contrarier des libertés qui vous sont particulièrement chères.

On vient encore invoquer des motifs moraux ! On craint qu’il ne se fasse des fondations au profit d'un enseignement athée, au profit d'un enseignement socialiste.

Oh ! messieurs, le Congrès national ne s'est pas ému par de semblables considérations.

Là aussi on les a fait valoir, quand il s'est agi de la liberté d'enseignement ; mais le Congrès, dans sa haute raison, les a considérées comme des arguments sans caractère sérieux.

Vous avez la liberté d'enseignement, et vous craignez de donner quelque consistance aux établissements libres ?

Mais si vous avez une crainte sérieuse d'un enseignement athée ou socialiste, si c'est là votre sollicitude, votez la révision de la Constitution, car il n'y a pas d'autre moyen d'y porter remède.

Messieurs, vous voulez vous attribuer les anciennes fondations de bourses !

Outre que vous puisez dans divers budgets, vous avez établi le siège de votre enseignement dans les plus grandes villes du pays. Là vous avez toutes les ressources de personnel et de matériel, de vastes bibliothèques, de vastes collections de tous genre, une population nombreuse qui peut alimenter vos établissements sans se déplacer ; et pour les établissements libres, la plupart ont leur siège dans des localités inférieures en population ; les étudiants qui fréquentent ces établissements doivent quitter leur famille pour la plupart, payer des pensions, faire des frais d'études beaucoup plus considérables, et vous regrettez ce faible secours qu'ils trouvent dans la collation des bourses, faite en définitive conformément à la volonté des fondateurs. Est-ce là de l'équité naturelle, de l'équité administrative ?

En France, la loi du mois de novembre 1848 a réglé le mode de collation des bourses ; mais cette loi, émanée d'une assemblée républicaine, s'est bien gardée de porter atteinte au titre des fondations.

Si les bourses de l'Etat, des départements et des communes doivent être données au concours, il n'en est pas de même des bourses de fondation qui sont données selon la volonté des fondateurs.

C'est au nom de l'intérêt national qu'on veut spolier l'enseignement libre. Mais, l'intérêt national, le véritable intérêt national n'est-il point de fortifier la confiance dans le pouvoir législatif et dans le gouvernement ?

Et qu'est-ce, auprès de ce grand intérêt, que le misérable intérêt de quelques milliers de francs que vous voulez accaparer ?

Le gouvernement, messieurs, devrait nous donner l'exemple de la justice et de l'impartialité.

C'est ainsi qu'il peut former un trait d'union entre les partis ; mais point du tout, le gouvernement, animé de l'esprit de parti, vient de lancer dans cette enceinte un nouveau brandon de discorde.

Messieurs, l'on vous dit : Vous avez conquis la liberté ! mais en vertu de la liberté, vous n'avez pas conquis la faculté de changer les lois qui présenteront toujours des garanties à la société humaine, les lois des droits naturels.

C'est, messieurs, ce que proclame la constitution de France de 1848, émanée d'une assemblée qui résumait en elle tous les pouvoirs sans contrôle.

Voici ce que porte l'article 3 de cette constitution :

« La France reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives. »

Et cet article a été voté à la presque unanimité, après le commentaire le plus lumineux.

Donc toute loi politique est subordonnée à la loi du droit naturel, et c'est dans ce sens que mon honorable ami M, de Liedekerke a parlé avec grande raison du droit divin.

On a beau couvrir de ridicule ces mots de droit divin, ce droit n'en existera pas moins. La déesse Raison a voulu usurper la divinité vraie, et qu'en est-il résulté ? De pitoyables souvenirs, que personne n'oserait plus relever. Le culte de la divinité, messieurs, est la source de la civilisation : il s'est propagé au milieu de toutes les persécutions ; il est sorti victorieux de la dernière tempête comme il était sorti victorieux des persécutions suscitées au temps de l'apparition du christianisme.

(page 853) Messieurs, c’est au nom de la justice que l’on veut spolier les fondations de bourses. Celui qui a imaginé ce titre de spoliation mériterait un brevet d’invention.

La première chose à établir, quand on ose invoquer la justice, c'est le fait et le droit.

Le fait, on ne l'a pas établi. Nous avons demandé la production de tous les titres de fondation. On nous l'a refusé. Et pourquoi ? C’est que la lecture de ces titres eût condamné irrésistiblement le projet de loi. On eût vu les volontés des fondateurs se dresser comme un faisceau inaltérable devant nos discussions. Cette simple lecture eût été plus puissante que tous les discours que l'on pourra jamais prononcer.

Le roi des Pays-Bas a proclamé un grand principe. Il a ordonné aux collateurs de bourses de suivre scrupuleusement la volonté des fondateurs. C'est un titre d'honneur pour le gouvernement et pour l'honorable M. Falck, qui, si je me rappelle bien, a été l'auteur de cet arrêté.

On invoque la liberté des boursiers, au nom de la liberté d'enseignement. On prétend que c'est violenter la conscience des boursiers. Prenez-vous-en donc à l'honorable ministre des affaires étrangères qui, dans une circulaire du mois de mars 1833, a déclaré qu'en règle générale les boursiers étaient libres, mais que quand la volonté des fondateurs était expresse, ils ne l'étaient pas.

Prenez-vous-en au comité des fondations siégeant au ministère de la justice qui, à diverses reprises, a proclamé le même principe.

Voici ce que je lis dans un avis de ce comité du 24 décembre 1852 :

« Nous avons établi, pensons-nous, dans notre rapport du 19 octobre dernier, n°106, en nous appuyant sur la circulaire du ministre de l'intérieur, en date du 26 mars 1833, que cette disposition, ainsi que l'article 13 de l'arrêté du 2 décembre 1823, qui l'avait érigée en règle générale, sont incompatibles avec le principe de la liberté de l'enseignement et se trouvent abrogés par l'article 17 de notre Constitution ; qu'ainsi les jeunes gens appelés à jouir des bourses ne peuvent être astreints, à moins que le fondateur ne leur eût lui-même imposé cette condition, à faire leurs études dans tel établissement du pays plutôt que dans tel autre. »

Voilà, messieurs, l'avis du comité des bourses. Ce n'est pas le seul. Le 12 novembre 1860, huit années après, malgré les modifications subies par ce comité, il persiste dans la même opinion.

« Il est incontestable que, sous l'empire de la Constitution, les boursiers ne peuvent pas être astreints, comme sous le gouvernement précédent, à faire leurs études dans un établissement du royaume reconnu par le gouvernement, qu'ils jouissent sous ce rapport d'une liberté entière, et, qu'en thèse générale, aucune restriction ne doit être apportée à cette liberté, à moins qu'elle ne résulte de la volonté expresse du testateur. »

Messieurs, que peuvent faire, après cela, toutes les belles tirades sur la liberté de conscience des boursiers ? Voilà des avis émanés d'hommes graves, sérieux, profonds jurisconsultes, un avis émané du chef du ministère de l'époque. Eh bien, tout ce que nous avons entendu aujourd'hui ne peut prévaloir contre de telles autorités.

Il est vrai que les clauses expresses sont rares. De ce côté donc, sauf la force de la transaction autorisée par M. Faider, ministre de la justice, transaction qu'il faudra respecter, il y aurait peu de parti à tirer pour une université rivale de la suppression rétroactive de cette clause des fondations.

Mais le principe essentiel de la législation civile, de la législation civilisée de l'époque, serait violé et de ce chef je ne cesserai de protester. Les principes avant tout.

Je demande à l'honorable M. Orts, si par l'amendement qu'il a déposé il entend introduire la rétroactivité quant aux bourses de fondation à conditions expresses, rétroactivité que le comité des bourses a deux fois condamnée, que le gouvernement a condamnée ; je lui demande aussi s'il entend que cette liberté absolue des boursiers existera pour les bourses à charge du budget de l'Etat, pour les bourses portées au budget des provinces, pour les bourses portées au budget des communes.

Car si la liberté d'enseignement est entamée, quand il s'agit d'actes de fondations anciennes, à plus forte raison le serait-elle, quand il s'agit de bourses budgétaires de l'Etat, des provinces et des communes, qui seront créées avec les deniers communs des contribuables.

M. Orts. - Evidemment.

M. de Theux. - M. Orts me fait un signe affirmatif. Je l'en remercie ; il est conséquent avec son principe.

M. Orts. - Mais je le veux pour le passé, pour le présent et pour l'avenir.

M. de Theux. - Pour l'avenir, je l'admets. Pour le passé, je ne puis l'admettre. (Interruption.) Là nous sommes en dissentiment. Il ne m'appartient pas de détruire des droits que je n'ai pas créés.

M. Orts. - Je m'en doutais,

M. de Theux. - De quelle manière a-t-on voulu prouver sommairement l’injustice des collateurs actuels ? En disant : Tel établissement a plus de bourses que tel autre. Ce n'est pas là une preuve. Si l'on constitue juge, agissez alors comme on agit en justice ; demandez la production des preuves ; demandez la production des actes. Consultez-les, demandez que l'on apporte, pour chaque acte de fondation, les collations de bourses qui ont été faites depuis 1823 jusqu'à présent, et vous pourrez juger si, sous le gouvernement des Pays-Bas, l'arrêté-loi de 1823 a été appliqué suivant son texte et suivant son esprit, vous pourrez juger s'il y a eu abus depuis 1830 dans la collation des bourses.

Mais on juge d'après le seul nombre des boursiers et on ne fournit aucune espèce de preuve ; on ne fournit qu'une présomption et une présomption apparente qui aurait besoin d'être justifiée par les titres.

Il ne s'agit, messieurs, que des bourses données par des collateurs à titre d'office ; il faut en exclure les collations faites par les parents, droits que le projet de loi respecte ; il faut en excepter les collations faites au profit des parents des fondateurs, droit qui est encore respecté, les collations faites au profit de jeunes gens de telle ou telle localité ; il faut en excepter les bourses fondées par des étrangers.

Ensuite, messieurs, une statistique complète des bourses de chaque établissement devrait être faite d'après les bases que je viens d'indiquer ; il faudrait consulter aussi les titres des pétitionnaires, car il faudrait aller jusque-là si la cause se plaidait devant la justice régulière, il faudrait mettre en regard les demandes et les titres sur lesquels les demandes ont été appuyées.

Il est une autre observation essentielle, c'est que les bourses doivent surtout être conférées à ceux qui en ont besoin. Or, messieurs, prenez la population de chaque établissement, et voyez combien d'élèves dans chaque établissement appartiennent à la localité où l'établissement a son siège. Ceux-là ont droit à la bourse, on ne peut le leur contester, quand c'est conformément au titre de fondation qu'ils la réclament.

Mais si c'est à titre de concurrence, ils doivent prouver le besoin qu'ils ont de la bourse. Eh bien, tenez compte de la population de chaque établissement, tenez compte de la population du lieu où l'établissement est situé et vous arriverez à la preuve évidente que la prétendue inégalité dont on se plaint n'a que bien peu d'importance.

On nous dit encore : La loi peut disposer des bourses parce que les bourses ont été fondées dans un but d'utilité publique, parce que ce que la loi a accordé, la loi peut le reprendre. C'est là une maxime qui, dans son application complète, serait d'une brutalité qui ferait tomber toute espèce de confiance dans les établissements publics et dans le pouvoir législatif qui agirait dans cet ordre d'idées.

Savez-vous, messieurs, en quoi consiste l'utilité publique des fondations de bourses ?

C'est de faciliter les études. Or, que les études soient faites par un parent du fondateur ou par un étudiant quelconque capable, jouissant de la confiance des collateurs, et n'étant point exclu, à titre de préférence, par un autre candidat, ces études, messieurs, n'en seront pas moins utiles au public que celles qui se feront en vertu de votre nouveau projet de collation. L'utilité publique subsiste dans toute son étendue quels que soient les collateurs.

C'est ainsi, messieurs, que les anciens législateurs de la Belgique ont compris l'utilité publique.

Ils ont cru que, pour parvenir à favoriser les études, il fallait surtout inspirer confiance, qu'il fallait accorder au fondateur le droit de désigner les administrateurs et les collateurs, le droit de faire choisir par ces administrateurs les étudiants qui seraient appelés à jouir de son bienfait.

Dans cet ordre d'idées, quelles que soient les prescriptions religieuses du fondateur, elles ne portent atteinte en aucune manière à la conscience du pourvu de la bourse.

S'il en était ainsi, n'est-il pas simple qu'on ne pourrait pas même réserver des bourses pour les études théologiques ? Car enfin, si le pourvu d'une bourse pour les études théologiques ne veut pas étudier la théologie, on ne porte pas atteinte à sa liberté de conscience en lui retirant la bourse. Celui qui veut profiter d'un bienfait doit se soumettre aux conditions auxquelles le bienfait est subordonné. Voilà la règle du bon sens et du droit naturel.

Messieurs, la liberté de poser des conditions aux fondations de bourses est ancienne dans notre pays, elle est ancienne dans tous les Etats libres.

L'honorable M. de Haerne nous a fait une longue énumération des législations des Etats libres et de la pratique simple et facile des fondations dans l'ordre de la liberté. Mais que voulez-vous faire ? Vous voulez conserver la fondation, le bienfait, et vous voulez transgresser la volonté du bienfaiteur !

(page 854) On dit : Le droit de conserver les collateurs à titre d'office peut être changé par la loi ; ce droit doit être aboli, car il est incompatible avec l'esprit de nos institutions. Un citoyen ne peut pas créer une fonction publique, un citoyen ne peut pas étendre une fonction publique à d'autres objets que ceux que la loi a déterminés.

Eh bien, messieurs, il ne s'agit point ici d'une fonction publique ; il s'agit tout simplement d'un acte de confiance de la part du fondateur dans l'homme qui sera appelé à la fonction publique, et cette confiance est méritée parce que le fondateur sait qu'il n'est d'usage, ni dans l'ordre civil, ni dans l'ordre ecclésiastique, d'appeler aux emplois publics des hommes qui n'ont ni moralité, ni intelligence, ni justice. Cette confiance dans les collateurs à titre d'office est bien mieux placée que celle qui s'attache à des héritiers dont l'opinion et la conduite peuvent devenir un sujet de mépris.

L'empire français qui par son décret de 1810 a rétabli les cotations de bourses anciennes et a permis d'en créer de nouvelles, était régi, sous le rapport des fonctions publiques, par les mêmes principes politiques que nous. Un particulier n'avait pas le droit d'établir des fonctions publiques ni d'étendre les attributions attachées à des fonctions publiques, ni de les conférer par voie d'hérédité. Sous le royaume des Pays-Bas, il en était de même. Sous la république française, qui avait proclamé le respect dû aux fondations, il en était de même. Il y avait cependant encore cette circonstance particulière qu'on avait aboli en toutes choses le principe d'hérédité, par un article de la Constitution, et la commission de 1849 elle-même aurait donc méconnu les principes de notre droit public, puisqu'elle admettait les administrateurs-collateurs, à titre d'office, qu'elle les maintenait pour le passé et les autorisait pour l'avenir.

Maintenant, le comité des bourses institué près du département de la justice a-t-il jamais soulevé la moindre objection de droit public, de droit politique à l'état de choses qui existait ?

Comment ! ce système pratiqué depuis 1823 jusqu'en 1830, en présence des états généraux, ce système pratiqué depuis 1830 jusqu'aujourd'hui, aurait été inconstitutionnel, contraire à nos institutions politiques !

Ah ! c'est par trop fort ; et c'est seulement en 1863 qu'on aurait fait cette magnifique découverte ; mais cette découverte n'est en réalisé qu'un prétexte pour colorer la spoliation.

Comment ! la commission de 1849 qui proposait d'établir des commissions centrales et provinciales, qui voulait un système d'uniformité pour l'administration des biens, qui entendait que les bourses qui seraient fondées dans l'avenir fussent exclusivement conférées par ces commissions centrales ; la commission de 1849 aurait laissé subsister pour le passé, quant à la collation, un ordre de choses qui ne serait pas entré dans cette régularité à laquelle la législation actuelle nous habitue.

Evidemment, messieurs, cette commission a été arrêtée par un principe de droit, par un principe de justice, par ce qui fait une des bases de notre grande civilisation, par le respect de la propriété et des droits acquis.

Maintenant je demande si le mode d'administration et de collation qu'on veut introduire a quelque supériorité sur le mode organisé par l'arrêté de 1823.

Et tout d'abord je dirai que quand même cela serait vrai, ce ne serait pas un motif suffisant pour justifier la disposition rétroactive. Mais il n'en est rien ; cette commission provinciale produira beaucoup moins de bons résultats que l'ordre de choses actuellement existant. Cette commission sera composée de sept membres qui doivent se réunir au chef-lieu de la province. Ces membres ne reçoivent pas de traitement ; le projet de loi ne leur accorde pas même d'indemnité. Et cependant il est probable que les membres seront pris dans les diverses parties de la province et qu'ils devront se déplacer fréquemment.

J'admets qu'on leur accorde une indemnité de voyage et de séjour, mais est-ce là un motif suffisant pour se déplacer aussi souvent que l'exigeront l'examen des titres et la collation impartiale des bourses ? Non, messieurs, cette commission de sept membres ne siégera que rarement au complet. Ce sera, eh réalité, un titre d honneur, sauf pour le cas où des membres auraient quelque intérêt particulier à faire prévaloir, par suite de recommandations ou par des motifs de bienveillante affection.

Mais, messieurs, qui sera, en réalité, la collation des bourses ? Qui examinera les lettres des postulants ? qui déterminera le sens des fondations ? N'est-il pas évident pour le simple bon sens, que l'unique collateur sera le secrétaire de la commission ?

Vous le savez, les actes de fondation ont, en général, une étendue très considérable ; croyez-vous que les membres de la commission qui ne porteraient qu'un mince intérêt à la chose, se réunissait pour prendre connaissance de ces actes ? Mais non, nous avons en cette matière de nombreuses expériences,

Que de commissions n'ont pas été instituées par le gouvernement et par la Chambre pour examiner les projets les plus importants et qui pouvaient exercer la plus grande influence sur le bien-être du pays ! Eh bien, ces commissions se sont réunies rarement ; peu de leurs membres étaient présents, et leurs délibérations ont généralement été incomplètes, et l'on prétend que la commission provinciale exercera ses fonctions en pleine connaissance, avec zèle et dévouement ! Cela ne sera pas et ne peut pas être. La simple expérience le prouve.

Il y a plus : la commission sera nommé par un esprit politique émanant de la députation permanente ; car les députations permanentes sont aujourd'hui devenues généralement des corps plus ou moins politiques. Cette commission sera soumise à toutes les influences qui s'agitent au chef-lieu de la province et qui viendront l'obséder ; et vous aurez ainsi attribué la plus grande partie des bourses aux chefs-lieux de province, déjà si largement partagées sous tous les autres rapports ; et les habitants des autres localités, auxquelles appartiennent le fondateur, seront privés d'un bienfait que les fondateurs avaient institué dans l'intérêt des générations futures dans ces localités.

Et voilà le beau résultat que vous avez obtenu ! et c'est pour cela qu'on jette de l'animosité dans la Chambre, de l'inquiétude dans les esprits ! c'est pour cela que l'on compromet la confiance dans la sainteté des lois !

Messieurs, voyons le système d'administration, tel qu'il a été organisé par le gouvernement des Pays-Bas. D'abord au siège de la fondation, vous avez un ou plusieurs administrateurs-collateurs, suivant les clauses de l'acte de fondation.

Vous avez ensuite un receveur également local ; puis des proviseurs, ayant aussi leur habitation au siège de la fondation, surveillant les administrateurs-collateurs et les receveurs ; les administrateurs visent les comptes des receveurs ; les proviseurs visent les comptes arrêtés par les administrateurs, et après cela la députation permanente les approuve souverainement.

L'ouverture de chaque bourse est annoncée avec grande publicité.

En cas de réclamation, quelles sont encore les ressources ? On peut s'adresser au ministre de la justice. Aux termes de l'arrêté de 1823, le département de la justice doit avoir un comité spécial de bourses, composé des jurisconsultes. Là, les plaintes, les griefs peuvent être examinés sans partialité. Le roi des Pays-Bas avait encore institué le recours en justice réglée.

On nous dit que le recours en justice réglée est maintenu par le projet de loi. Mais je le demande à votre bonne foi : Quel est l'élève qui voudra plaider dans un chef-lieu de province, en première instance, puis peut-être en appel, et peut-être en cassation ? Eu égard aux frais énormes qu'elle existe aujourd'hui, la justice ne peut plus guère se distribuer qu'aux riches ; et quel est le pauvre étudiant, en réclamation pour une bourse, qui pourra trouver, dans les ressources de sa famille, le moyen de recourir aux tribunaux ? Cette garantie qu'on nous vante est vraiment dérisoire !

Messieurs, toutes les bourses avaient été localisées autrefois ; c'était la volonté expresse des fondateurs. Parcourez le tableau que le gouvernement nous a distribué, il y a quelques années, et vous n'y trouverez pas l'ombre d'une idée d'administration centrale : c'est que les fondateurs ont entendu favoriser principalement les habitants de leur localité ; c'est qu'ils ont voulu que ces habitants, avant tous autres, profitassent de leurs bienfaits ; c'est qu'ils avaient compris que si ces bourses étaient conférées par une commission centrale, elles deviendraient la proie des plus habiles solliciteurs, de ceux qui pourraient faire agir le plus d'influence là où siégerait la commission centrale.

Je conclus, messieurs ; quant à l'effet rétroactif, j'ai dit qu'il n'est nullement justifié et je vous l'ai prouvé par toutes les autorités, par celle de jurisconsultes éminents comme par celle des divers gouvernements des Pays-Bas et de Belgique ; je vous l'ai prouvé par l'analyse des dispositions nouvelles que le projet introduit en comparaison avec les dispositions de l'arrêté de 1823.

Oh ! messieurs, un argument nouveau s'est produit. Vous reniez la grande législation de 1789 à 1793 ! Les assemblées de l'époque, au milieu d'une perturbation révolutionnaire dont il n'y a pas d'exemple dans l'histoire, ont fait table rase de beaucoup d'institutions publiques ; elles ont confisqué les biens des établissements religieux ; elles ont confisqué aussi le patrimoine du pauvre, car les biens des hospices ont été réunis au domaine de l’Etat.

Vous savez, messieurs, en ce qui concerne le patrimoine religieux, que la même loi qui décrétait la confiscation ordonnait cependant qu'il serait pourvu aux dépenses du culte, à la chargé de l’Etat.

Vous savez aussi que la même loi qui confisquait les biens des hospices ordonnait que les charges des hospices deviendraient des charges de (page 855) l’Etat, que la pauvreté serait une charge de l'Etat. Le gouvernement français en 1801, qui, à cette époque surtout, n'était point pusillanime, qui disposait d’une forte puissance, qui se trouvait, lui, en présence d'une opinion libérale tout aussi avancée et peut-être plus avancée que l'opinion libérale moderne ; ce gouvernement, messieurs, n'a pas eu honte de négocier avec le saint-siège pour obtenir de sa part la renonciation aux biens de l'Eglise, promettant en retour des facilités pour les donations et les dotations en faveur du culte catholique.

En ce qui concerne les hospices, le gouvernement républicain eut une telle honte de la confiscation du bien des pauvres, que sa loi ne reçut pour ainsi dire pas d'exécution et que 18 mois après il en fit le rappel en même temps que, pour remplacer le peu de biens qui avaient été aliénés par le domaine, il attribua aux hospices des biens nouveaux surpassant de beaucoup ceux qui leur avaient été enlevés pendant cette courte période.

Et en ce qui concerne les fondations des bourses, elles avaient été considérées comme un apanage de la bienfaisance et ainsi réunies au domaine de l'Etat ; niais cette loi no fut pas publiée en Belgique ; cette loi fut rapportée avant que la Belgique ne fût réunie à la France. Et quant aux bourses fondées en France, que fit-on ? On rétablit ces bourses, mais comme l'université impériale avait seule, le droit d'enseigner, elle a eu la main haute sur ces fondations ; mais cependant une exception fut établie : ce fut en faveur de ceux qui avaient le droit de collation. Voilà comme on agissait à cette époque de pleine omnipotence.

La république de 1848', messieurs, vint encore confirmer ces dispositions. Je vous ai fait connaître le décret de novembre 1848 relatif à la collation des bourses. Et c'est, messieurs, quand un gouvernement né en France au milieu d'une semblable perturbation, c'est quand le gouvernement républicain, né d'une révolution soudaine qui avait mis en doute tous les droits, l'existence sociale elle-même, c'est quand le gouvernement républicain de 1848 agit de la sorte que l'on vient, en l'an de grâce 1863, vous proposer, à vous les successeurs du Congrès national, de sanctionner de pareilles spoliations ! Non, vous ne le ferez point.

Ah ! messieurs, si l'on veut proclamer et faire prévaloir dans cette enceinte les principes qui ont prévalu au sein des assemblées de 1789 à 1793 en France, je dis que c'en est fait de la civilisation, c'en est fait de votre réputation, c'en est fait de la confiance dans le gouvernement et dans les pouvoirs publics ! C’est marcher à grands pas vers le précipice social.

La rétroactivité ! mais vous l'avez condamnée vous-mêmes en 1859. Le gouvernement prétendait que l'article 84 de la loi communale n'autorisait pas les administrateurs spéciaux ; il nous conviait à soumettre la question aux tribunaux ; nous l'avons fait et ensuite, après que les tribunaux nous avaient donné gain de cause, le gouvernement est venu nous demander une loi interprétative contrairement aux règles du respect qui est dû à l'autorité judiciaire.

Et le Sénat, qu'a-t-il fait ? A l'unanimité il a introduit dans la loi une disposition formelle interdisant la rétroactivité, et vous-mêmes, vous avez voté l'amendement du Sénat à l'unanimité. Et c'est après de tels faits que le gouvernement vient se déjuger et vous demander, à vous et au Sénat, de se déjuger également.

Que deviendra, dans une pareille situation, le respect pour le gouvernement, le respect pour les opinions ? Tout cela disparaîtrait parce que vous auriez eu deux poids et deux mesures.

Messieurs, il ne s'agit pas seulement des bourses d'études, mais aussi des fondations mixtes d'établissements pour l'instruction primaire et pour la bienfaisance.

Cette question est identique avec celle pour laquelle vous avez fait une réserve spéciale en 1859 contre la rétroactivité. Dans les annexes au rapport de la section centrale se trouve un acte de fondation créé à Anvers ; la seule lecture de cet acte démontre que c'est une fondation essentiellement mixte de bienfaisance et d'instruction primaire. Cette fondation, messieurs, a passé à travers toutes les tempêtes et tous les gouvernements qui se sont succédé en Belgique, grâce à la courageuse énergie des proviseurs et des administrateurs de ces fondations. Un mémoire vous a été distribué et doit vous avoir instruit du fait. Eh bien, voilà une fondation qui viendra succomber devant un gouvernement belge, devant un parlement belge, et il en sera de même de toutes les autres institutions analogues ! Cela n'est pas possible.

Messieurs, les arrêtés du roi Guillaume avaient force de loi ; les tribunaux l'ont reconnu, et si vous avez respecté le principe de la non-rétroactivité dans une question que le gouvernement vous présentait comme douteuse, comment la contesteriez-vous, quand les lois du royaume des Pays-Bas sont formelles ? Les droits des anciens collateurs sont rétablis. Or, dit-on, ce que le roi Guillaume avait rétabli par un arrêté-loi, nous pouvons le détruire par une autre loi. Ainsi les biens rendus aux hospices qui avaient été pris autrefois au profit de l'Etat, on pourrait dire aussi qu'on pourrait les reprendre aux hospices et les rendre au domaine national.

Comme les biens des églises ont été autrefois réunis au domaine de l'Etat, nous pourrions aujourd'hui enlever le patrimoine des églises : la propriété instituée a acquis une force morale nouvelle, une nouvelle et solennelle sanction.

Remarquez bien encore un vice du projet qui prouve évidemment l'hésitation de ses auteurs. On exproprie les collations de bourses qui se font à titre d'office, mais on n'exproprie pas celles qui se font par les parents du fondateur.

M. Nothomb a démontré la contradiction du système ; il vous a dit que s'il s'agissait d'une affaire publique l'héritier n'avait rien à y voir, que c'est un instrument aveugle comparativement au magistrat institué à titre d'office. Qu'a répondu M. Orts ? Qu'il était difficile de s'attaquer aux familles des fondateurs.

Voilà le système, on s'est dit : Commençons par les collations à titre d'office, quand nous en serons débarrassés, nous prendrons aussi les collations à titre d'héritier. On dira : Les titres des institués doivent être appréciés par une seule et même commission ; les héritiers collateurs sont souvent des parents pauvres, sans intelligence, qui décident en aveugles ; le but des fondateurs est manqué ; ces bourses sont destinées à faciliter les études à des jeunes gens studieux qui puissent un jour être utiles à l'Etat ! Et vous voterez la seconde loi comme la première.

On respecte la volonté des fondateurs d'accorder la bourse à certaines catégories de parents, d'habitants domiciliés dans un endroit désigné par le testament.

On dira : C'est un abus, il y a trop de jeunes gens de la même localité pourvus de bourses ; les bourses sont instituées dans un intérêt général, il faut les distribuer sur toute la surface du pays. On sera encore logique, d'accord avec les principes consacrés par la loi.

Messieurs, si on fait tant de constitutions, si nous voyons tant de variations dans les lois, c'est parce que les constitutions ne sont pas appliquées suivant leur esprit, c'est parce que le pouvoir législatif est souvent empreint de l'esprit de parti et d'innovation. Qu'en résulte-t-il ? Que l'attachement à la Constitution est éphémère. Il en est de même des lois, et du respect pour les plus grandes institutions.

C'est là une plaie de l'époque qui, par son accroissement incessant, doit produire les conséquences les plus fâcheuses dans l'avenir.

Je termine par cette dernière considération. Appliquons avec loyauté, sans restriction, les principes si larges de la Constitution ; n'examinons pas si telle liberté profite plutôt à telle opinion qu'à telle autre ; pratiquons franchement la liberté d'association, la liberté d'enseignement, la liberté de la presse, la liberté des cultes, la liberté des élections ; laissons aux influences naturelles tout ce que le congrès national a voulu leur conserver ; laissons à chacun son développement naturel sans le concours du gouvernement comme sans l'empêchement du gouvernement, sans le concours du pouvoir législatif comme sans l'empêchement du pouvoir législatif.

Voilà la politique vraie, juste, avec laquelle ira prospérant, dans notre belle patrie, l'œuvre du Congrès.

Pour assurer l'avenir de cette œuvre, le gouvernement, au lieu de chercher à dominer et d'aller d'un parti à l'autre, devrait dire à chaque parti : Arrangez vos affaires comme vous voulez, proclamer la justice et la liberté pour tous, ne pas mettre le poids de son influence dans la balance, mais dire : Développez vos aspirations. Si le pays est avec vous, vous triompherez ; s'il est contre vous, il vous condamnera et vous n'aurez de reproche à faire à personne.

MpVµ. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits ; personne ne demande la parole.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. B. Dumortier. - Je demande qu'on entende un discours pour soutenir le projet du ministère ; je sais que plusieurs membres de la gauche ont encore l'intention de prendre la parole ; je désire les entendre. Je demande si on peut clore après le discours de M. de Theux.

MpVµ. - Il n'y a pas d'orateur inscrit.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. B. Dumortier. - Si on prononce la clôture, je parlerai sur l'article premier.

- Plusieurs voix. - La clôture !

MpVµ. - Si personne ne demande la parole, je serai obligé de mettre la clôture aux voix. (Interruption.)

M. Dumortier, demandez-vous la parole ?

M. B. Dumortier. - On termine toujours la séance à 4 1/2 heures. (page 856) Nous avons commencé aujourd'hui à 1 heure. Il est 4 heures et un quart ; de manière que cela fait un quart d'heure de différence.

Vous comprenez qu'il ne me serait pas possible de faire en un quart d'heure un discours sur une pareille matière.

- La Chambre, consultée, renvoie la discussion à demain.

La séance est levée à 4 heures et un quart.