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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 30 novembre 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 113) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à trois heures un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Quelques cabaretiers et débitants de boissons distillées à Tournay, demandent l'abolition de l'impôt de consommation sur les boissons distillées. »

« Même demande de quelques habitants d'Enghien. »

M. le président. - Je propose le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget des voies et moyens.

M. Rodenbach. - J'appuie le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée de l'examen du budget des voies et moyens; mais je demanderai si, conformément à la promesse qu'il nous en a faite, lors de notre dernière réunion, M. le ministre des finances présentera bientôt un nouveau projet de loi qui repose sur des bases plus justes ; car vous savez, messieurs, que, sous l'empire de la législation actuelle sur cet objet, les petits sont sacrifiés aux grands.

Le projet de loi plus juste, que je provoque, rapporterait plus de 900,000 francs au trésor.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire dans une autre circonstance, le gouvernement présentera un projet de loi sur cet objet.

- Le renvoi des pétitions à la section centrale du budget des voies et moyens est ordonné.


« Plusieurs fabricants de poteries à Bouffioulx et Châtelet demandent exemption de l'accise sur le sel destiné à la salaison de leurs poteries. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Filleul prie la chambre de lui faire obtenir le grade de candidat-huissier, et demande une loi autorisant ceux qui plaident devant les tribunaux de commerce à plaider devant les tribunaux correctionnels. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Malines présente des observations contre la suppression des octrois communaux. »

M. de Brouwer de Hoogendorp. — Messieurs, je demande à la chambre, en mon nom et en celui de mes collègues représentants nommés par l'arrondissement de Malines, de vouloir bien ordonner le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

Il s'agit de la question importante des octrois. Le conseil communal de Malines se prononce contre la suppression des octrois; nous n’avons pas à examiner ici si c'est à tort ou à raison; mais, je le répète, il s'agit d'un objet d'une importance extrême ; il s'agit pour la chambre de s'éclairer, et je crois que les observations que le conseil communal de Malines soumet à la chambre, sont de nature à jeter quelque jour sur cette question.

- La proposition de M. de Brouwer est adoptée.


M. Moncheur, retenu par une indisposition de Mme Moncheur, exprime ses regrets de ne pouvoir assister à la séance.

- Pris pour information.


Il est fait hommage à la chambre, par M. Ch. Nys, d'un opuscule historique qu'il vient de publier et qui est relatif à la tentative d'assassinat faite contre Guillaume le Taciturne, le 18 mars 1582. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi érigeant la commune de Ville-en-Waret (Namur)

Rapport de la commission

M. Moxhon, au nom d'une commission spéciale, fait rapport sur le projet de loi concernant l'érection de la commune de Ville-en-Waret dans la province de Namur.

Projet de loi érigeant la commune de Ville-en-Waret (Namur)

Rapport de la commission

M. Dautrebande, au nom d'une autre commission spéciale, dépose le rapport sur le projet de loi relatif à la délimitation des communes de Seny, Ellemelle et Warzée.

- Ces deux rapports, qui seront imprimés et distribués, sont mis à l'ordre du jour.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi de crédits supplémentaires au département de la justice.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances delà présentation du projet de loi qu'il vient de déposer. Ce projet et les motifs qui raccompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Delehaye. - Je suis chargé de faire un rapport sur plusieurs demandes en naturalisation prises en considération par les deux chambres. Elles concernent des militaires auxquels on a accordé exemption un droit de naturalisation.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La mise à l'ordre du jour sera ultérieurement fixée.

Projet de loi portant le budget des dotations pour l’exercice 1849

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IV. Cour des comptes

Article 4

M. le président. - Voici la proposition de M. Delfosse telle qu'elle a été modifiée par la section centrale :

« Par dérogation à l'article 19 de la loi du 29 octobre 1840, le traitement du président de la cour des comptes est fixé à 8,000 fr.; celui des conseillers et du greffier à 6,000 fr. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, une discussion qui semble prendre d'assez grandes proportions est née d'une proposition qui, au premier abord, n'avait rien de grave ni de bien sérieux. Le gouvernement ce pouvait pas attacher une importance considérable à la proposition faite par l'honorable M. Delfosse, de réduire d'un millier de francs le traitement de quelques fonctionnaires publics.

Aucun dissentiment, j'entends un dissentiment profond, ne pouvait donc s'élever à ce sujet entre la chambre et nous. Le gouvernement d'ailleurs, a parfaitement compris qu'en proposant un ensemble, un système complet d'économies, il ne pouvait espérer de faire accueillir dans leur intégrité toutes ses idées par la chambre.

Il n'est pas disposé à s'émouvoir des changements qui seraient apportés aux projets de budget qu'il vous a soumis. Il faut cependant, même pour des économies, qu'une certaine limite ne soit pas franchie. Il est évident que du jour où le gouvernement croirait que, par des économies introduites contre son gré, il y a péril de désorganisation pour les services publics, ce ne serait pas seulement son droit de s'y opposer fortement, ce serait encore son devoir.

Je tenais à donner ces explications préalables afin que le débat ne soit pas dénaturé. La question d'économie s'efface devant une question qui a une tout autre gravité. Il s'agit ici d'une question de prérogative.

L'honorable M. Delfosse a proposé d'abord de réduire purement et simplement l'allocation qui se trouvait au budget; il a ajouté dans sa proposition qu'on mentionnerait dans les développements du budget que le traitement du président de la cour des comptes serait réduit à 8,000 francs et celui des conseillers et du greffier à 6,000 fr.

Les développements du budget ne sont, vous le savez, que de simples renseignements, ils n'ont aucun caractère de loi ; c'est une indication, rien de plus. On nous conviait donc, en réalité, à réduire purement et simplement l'allocation. Et depuis que l'objection a été faite que la simple réduction d'allocation ne pouvait modifier une loi, on a quelque peu transformé la proposition : on la rédige en article de loi à insérer soit dans la loi qui arrête le budget, soit en regard de l'allocation, dans le tableau du budget.

En fait, c'est déjà un abandon du système primitif. Mais en droit, on soutient toutefois que la chambre est investie de la puissance de changer, d'abroger une loi par simple réduction d'allocation du budget. Ce système est celui que défend la section centrale; c'est le seul qu'elle puisse admettre; elle n'en reconnaît pas d'autre.

Elle en sent bien les inconvénients, ils sont graves, elle ne les dissimule pas, mais si, pour les éviter, on se décide à employer un autre mode, c'est, selon elle, par pure convenance, et pour ne pas embarrasser les discussions. On peut, selon le temps, selon les difficultés, l'importance de la question, faire une loi comme on fait toutes les lois, mais le droit de changer la loi en changeant le chiffre de la dépense, de supprimer la loi en supprimant la dépense, ce droit existe plein, entier, absolu.

Messieurs, ce système est-il vrai? Est-il conforme aux principes du gouvernement représentatif?

Aux termes de l'article 110 de la Constitution, aucun impôt au profit de l'Etat ne peut être établi que par une loi.

Aux termes de l'article 111 de la Constitution, les lois qui établissent les impôts sont annales; elles expirent de plein droit si elles ne sont pas renouvelées. Il résulte de là, selon nous, une distinction grande, capitale, entre les lois d'impôt et les autres lois. De leur nature les lois d'impôt sont temporaires; de leur nature les lois de dépenses sont permanentes, elles sont perpétuelles.

La loi d'impôt cesse par la seule expiration du temps; la loi ordinaire, la loi de dépense ne cesse que pour autant qu'elle soit modifiée, changée, abrogée. Le budget est réglé en conséquence de ces principes. D'une part le budget des recettes, le budget des voies et moyens; d'autre part, le budget des dépenses. Pour le budget des voies et moyens, tout est variable, tout dépend de la décision à prendre par la législature, à. l'occasion même de l'examen de ce budget.

(page 114) Quant au budget des dépenses, il est entièrement d'application. On doit y comprendre toutes les dépenses qui incombent à l’Etat et qui résultent de la Constitution, des contrats, des lois ou des nécessités administratives.

De là naturellement des différences, des distinctions qu'il est impossible de méconnaître : ou bien il s'agit de dépenses résultant de lois, ou il s'agit de dépenses qui résultent de simples autorisations données au gouvernement, de simples allocations de budget.

Dans le premier cas, lorsqu'il s'agit de dépenses résultant de la Constitution, des contrats ou des lois, le droit de la chambre, l'obligation de la chambre, c'est de voter les dépenses décrétées par des lois; à moins que la chambre ne juge à propos, conformément à son droit, de modifier, de changer les lois: mais de les changer, de les modifier dans les formes qui sont déterminées pour faire des lois.

Lorsqu'il s'agit, au contraire, de simples allocations du budget, elles sont soumises à la libre disposition de la chambre; les crédits peuvent être modifiés, réduits, abstraction faite de toute disposition antérieure.

Je tire, messieurs, la preuve de ces diverses distinctions de la Constitution même.

Que porte, par exemple, l'article 114 de la Constitution ? Aucune pension, dit cet article, ne peut être accordée qu'en vertu d'une loi. Est-ce que, par hasard, l'article 114 de la Constitution dit, comme l'article 111, que cette loi est annuelle, qu'elle expirera avec le budget ?

L'article 114 s'en garde bien. L'article 114 est même écrit comme pour avertir qu'il y a une loi, c'est-à-dire une chose qui est permanente et qui, à certain degré, est sacrée. C'est comme par opposition à ce qui est variable, à ce qui manque de stabilité que l'article 114 proclame qu'une pension ne peut être accordée qu'en vertu d'une loi.

L'article 102 de la Constitution dit que les traitements des membres de la magistrature sont fixés par une loi. Encore une fois est-ce que l'article 102 dispose, comme l'article 111, que cette loi est annuelle? Suppose-t-il, par hasard, en ordonnant de régler cet objet par une loi, que cette loi est inutile, ou du moins qu'elle est temporaire comme les lois d'impôts? En aucune façon ; il s'agit encore là d'une loi définitive, d'une loi permanente.

Si toutes les dépenses, messieurs, de quelque nature qu'elles soient, fixées ou non par une loi, sont soumises à la même discussion lorsqu'il s'agit d'examiner les budgets, quelle en doit être la conséquence? Mais évidemment, c'est qu'il n'y a pas besoin de lois.

Que l'on me dise pourquoi l'on fixe par la loi certaines dépenses, si elles doivent l'être toujours annuellement; si elles peuvent être mises en discussion annuellement à l'occasion de l'examen des budgets ? Pourquoi a-t-on voulu une disposition fixe, permanente, ayant un caractère de durée, de stabilité? Pourquoi l'a-t-on voulu dans un cas? Pourquoi pas dans l'autre? Quelle différence y aurait-il alors entre les dépenses fixées par la loi et celles qui ne sont pas fixées par la loi?

Je pense, messieurs, que c'est pour n'avoir pas réfléchi à ces différences entre les dépenses fixées par des lois et celles qui sont votées annuellement, que l'auteur de la proposition et, après lui, la section centrale, ont admis le système que vous voyez reproduit dans le rapport qui est sous vos yeux. La doctrine qui est énoncée dans ce rapport est vraiment fort étrange. Je ne voudrais point l'affaiblir en l'analysant, je vais la reproduire textuellement.

« En droit, dit la section centrale :

« Aucune loi supérieure ne défend à la chambre d'apporter des modifications au budget;

« L'article 115 de la Constitution oblige la chambre de voter le budget chaque année;

« Le vote suppose une discussion préalable ;

« La discussion préalable présuppose un examen ;

« Le droit de la chambre de voter, après examen, son budget entraîne pour elle la faculté de le rejeter tout aussi bien que la faculté de l'adopter ;

« La faculté de rejeter en totalité le budget, ou de ne rejeter que quelques articles, donnerait déjà à la chambre le droit absolu de modifier ces derniers, si l'article 42 de la Constitution n'avait formellement, et sans distinction, consacré le droit d'amendement, de la manière qu'il est exercé par la proposition de l'honorable M. Delfosse.

« Le droit absolu de la chambre de modifier un article du budget, même un article portant une demande de crédit pour des traitements de fonctionnaires déterminés par une loi spéciale, est donc un droit constitutionnel qui n'a pas même semblé contestable à la majorité de la section centrale. »

Eh bien, messieurs, ce qui n'a pas paru contestable à la majorité de la section centrale, je déclare que, dans mon opinion, c'est le plus audacieux sophisme qui jamais ait été produit. Le droit de voter suppose un examen; le droit de voter après examen entraine, pour la chambre, la faculté d'admettre ou de rejeter ! Voyons, messieurs, où ce droit commence et où il s'arrête. Prenons les pensions. Une allocation figure au budget pour y faire face; la chambre doit voter cet article.

Le droit de voter suppose l'examen ; l'examen suppose le droit d'admettre ou de rejeter.....est-ce que vous vous croyez le droit de réduire purement et simplement l'allocation pour les pensions et de mettre ainsi le gouvernement dans l'impossibilité de faire face aux engagements contractés ? C'est donc, messieurs, par pure dérision que l'article 124 de la Constitution garantit aux militaires de ne pouvoir être privés de leur pension que de la manière déterminée par la loi ! Votre manière serait la réduction de l'allocation portée au budget; ce serait là la manière déterminée par la loi, ce serait là la garantie écrite dans l'article 124 de la Constitution !

Autant vaudrait dire que vous avez le droit de réduire le budget de la dette publique. Vous avez aussi à voter le budget de la dette publique; vous êtes appelés à voter sur chacune des allocations de ce budget; est-ce que vous vous croyez le droit de ne point voter les allocations déterminées par les contrats? Qui l'oserait prétendre?

Ainsi, votre droit est nécessairement limité, il n'est pas absolu. Il est limité par la loi, il est limité par les contrats pour la dette publique. Cette loi, ces contrats, voilà, messieurs, la loi supérieure que la section centrale n'a point aperçue; c'est le respect des engagements pris, le respect des obligations contractées, le respect de la loi. Votre droit, tel que vous l'entendez, que signifie-t-il? C'est le droit de faire banqueroute, le droit de violer la loi. Or, ce droit vous ne l'avez pas.

Est-ce à dire que la chambre est enchaînée? Est-ce à dire que la chambre doit enregistrer purement et simplement les dépenses qui résultent des lois? En aucune façon. La chambre a le droit de proposer la modification de la loi; que la chambre use de son droit ; c'est ce droit que nous avons déclaré incontestable l'autre jour, c'est ce que nous répétons de nouveau : oui, ce droit est incontestable, mais ce droit doit être exercé suivant les formes qui ont été déterminées; ce droit ne peut pas être exercé à l'occasion de la discussion des articles d'un budget; car, en ce cas, l'objet en délibération n'est pas de savoir si la loi est bonne ou mauvaise, mais si elle existe. Si, à l'occasion de la discussion d'un article du budget, l'idée vient à un membre de faire la proposition de modifier une loi, certes, il le peut; mais que doit faire la chambre ? Exécuter son règlement, renvoyer cette proposition aux sections, pour savoir si elles en autorisent la lecture; la proposition lue et renvoyée aux sections pour être examinée, le projet de loi rapporté régulièrement, la proposition sera mise alors en délibération par la chambre. C'est là le mode qui est tracé par le règlement; ce mode est important, et il n'est permis à personne de le violer.

Vous avez le droit d'initiative, les articles 27 et 42 de la Constitution le consacrent, cela est incontestable; mais l'article 46 de la Constitution dit aussi que vous exercez vos attributions, suivant le mode déterminé par votre règlement.

Pourquoi le règlement de la chambre a-t-il tracé des formes nombreuses, a-t-il entouré de garanties l'exercice du droit d'initiative dévolu aux membres de la chambre ? Il en est une foule de raisons, et l'une d'entre elles, non la moins grave assurément, c'est que les formes constituent la garantie du droit des minorités. On ne veut pas qu'il y ait ou qu'il puisse y avoir surprise à propos de propositions improvisées dans la chambre; on veut qu'elles soient mûrement examinées et délibérées; et si vous vous écartiez de ces règles tutélaires, vous courriez risque de compromettre nos institutions. Mais cette question de forme n'est pas moins grave sous d'autres rapports.

Messieurs, en suivant les règles qui sont tracées par le règlement, on laisse à chaque pouvoir sa liberté d'action; en agissant autrement, en agissant par la loi du budget, on violente les autres pouvoirs de l'Etat. Quand la proposition d'une loi spéciale est faite pour abroger une loi préexistante, le sénat a le droit de l'examiner; que si l'une ou l'autre de ces branches du pouvoir législatif n'est pas d'accord avec la chambre, la proposition tombe ; elle est écartée.

Si l'on procède, au contraire, par voie de réduction des allocations du budget, on mettra, en réalité, l'une des branches du pouvoir législatif dans l'impuissance d'agir. Est-ce là ce qu'on veut? J'ai regret de le dire, mais il me semble que telle est la tendance du système que je combats.

Je lis, dans le discours de mon honorable ami M. Delfosse, les paroles suivantes :

« Remarquez, messieurs, que vous ne pouvez changer une loi sans l'assentiment des deux autres branches du pouvoir législatif. Si le gouvernement s'opposait à une réduction de traitements fixés par une loi, vous ne pourriez rien dans le système de nos contradicteurs; vous seriez tenus de voter aveuglément les sommes demandées par le gouvernement.

« Dans notre système, au contraire, vous êtes libres; on ne peut dépenser sans votre autorisation les sommes qui vous paraissent trop élevées. »

Ainsi, et j'ai l'espoir encore qu'une pareille doctrine ne sera pas maintenue, ainsi, messieurs, c'est en avouant catégoriquement la volonté de faire violence à l'une des branches du pouvoir législatif, que la proposition est défendue devant vous.

Qu'est-ce donc que cette théorie? C'est la théorie qui consiste à biffer l'article 26 de la Constitution. Si cette théorie est fondée, il n'est pas vrai, comme l'article 26 de la Constitution le déclare, que le pouvoir législatif s'exerce collectivement par le Roi, par la chambre des représentants et par le sénat; il n'y a plus qu'un pouvoir, c'est la chambre des représentants; elle est omnipotente.

Messieurs, vous repousserez une doctrine de cette nature; car, contre la volonté, contre l'intention assurément de ceux qui la professent, elle n'est pas seulement révolutionnaire, elle est anarchique.

Il faut admettre nos institutions, telles qu'elles sont, complètement, intégralement, et n'employer aucun moyen détourné pour les violer ; il faut admettre cette triple branche formant l'unité du pouvoir législatif ; il faut admettre que chaque branche puisse agir librement dans la (page 115) sphère d'action qui lui a été tracée ; il ne faut pas qu'il y ait un seul pouvoir, celui de la chambre; il faut un contrepoids, ce contrepoids existe, il faut le respecter.

On a dit, dans le rapport de la section centrale, et c'est là un autre sophisme : on a dit : « Nous avons le droit de rejeter le budget ; si nous avons le droit de rejeter tous les budgets, nous avons le droit d'en rejeter une partie; notre droit est complet, absolu. »

Messieurs, vous avez le droit de rejeter le budget... Oui, sans doute, mais il faut nous entendre. En quel sens avez-vous le droit de rejeter le budget? En ce sens que vous pouvez dire : « Le cabinet n'a pas ma confiance. » Le rejet du budget est une déclaration de non-confiance; il n'a et ne peut avoir d'autre signification. Vous n'avez pas le droit de rejeter le budget en ce sens qu'il n'y aura plus d'impôt, plus de dépenses à payer; ce pouvoir, je le conteste ; car un tel droit serait la négation de tous les droits.

Non, non, je le répète, vous n'avez pas le droit de déclarer que vous ne payerez pas les dettes de l'Etat. Ce n'est pas en ce sens que vous avez le droit de rejeter le budget, et ce que j'ai l'honneur de vous dire prouve de plus près cette vérité que vous êtes tenu, dans le règlement du budget, de comprendre toutes les dépenses de l'Etat. Et la disposition constitutionnelle qui parle du vote des budgets, ne s'en explique-t-elle pas assez clairement? Elle dit : Les chambres votent le budget; mais elle ajoute : Toutes les dépenses de l'Etat « doivent » être portées au budget !

Qu'est-ce que vous avez donc à examiner? Vous avez à examiner si la dépense est conformée la loi, dans le cas où une loi existe, et, s'il n'y a pas de loi, si la dépense est suffisamment justifiée. Si le chiffre proposé est supérieur à celui qui est nécessaire pour exécuter la loi, vous le réduisez, mais vous n'avez pas le droit de le réduire au-dessous sans violer la loi ; or, la loi pour tout le monde, pour la chambre comme pour les particuliers, c'est la loi ; c'est la loi, jusqu'à ce qu'elle ait été modifiée par le concours des trois branches du pouvoir législatif.

Messieurs, jamais à aucune époque les chambres n'ont voulu s'engager dans la voie périlleuse qui vous est indiquée. Les chambres ont invariablement appliqué les principes que nous avons eu l'honneur de développer tout à l'heure devant vous.

Les chambres ont fait une grande distinction entre les lois d'impôt et les lois de dépense.

Les lois d'impôt, annuelles en vertu de la Constitution, ont été ou pu être modifiées annuellement. Un grand nombre de lois de budget, votées depuis 1830, contiennent quelques changements aux lois d'impôt, augmentations ou même réductions. Vous trouvez des précédents de ce genre dans chacune des lois qui ont arrêté les budgets depuis 1830.

Quant aux lois de dépense, il n'en est pas ainsi. Aucune des lois réglant les budgets des dépenses ne renferme des modifications aux lois. Les modifications dont l'application était faite dans les budgets, ont été introduites par des lois séparées.

La section centrale, ainsi que l'honorable auteur de la proposition, se sont singulièrement trompés, lorsque, pour infirmer l'exactitude de cette assertion, ils ont fait appel à la disposition du budget des voies et moyens de 1843 en vertu de laquelle a eu lieu la reprise du canal de Mons à Condé.

C'est aussi pour n'avoir pas suffisamment réfléchi, qu'on a commis une deuxième erreur en invoquant l'article 2 du projet de budget des voies et moyens de 1849 contenant une attribution au trésor d'une quotité du salaire jusqu'à présent perçu par les conservateurs des hypothèques.

Ne remarquez-vous pas que, dans les deux cas, il s'agit d'impôts? Qu'était-ce que la disposition en vertu de laquelle l'Etat reprenait le canal de Mons à Condé? La question était de savoir au profit de qui serait perçu le péage sur ce canal. Il avait été jusque-là perçu au profit de la province du Hainaut; il a été décidé, sous certaines conditions, que ce péage, cet impôt, serait prélevé désormais au profit de l'Etat.

Qu'est-ce que la disposition insérée au budget des voies et moyens de 1849? Une rétribution, un impôt suivant l'article 113 de la Constitution, est perçu par les conservateurs des hypothèques ; on leur en attribue tout ou partie à titre de salaire.

Nous proposons, par la loi du budget des voies et moyens, de faire verser une partie de cet impôt dans les caisses de l'Etat.

Il s'agit donc encore ici d'une loi d'impôt qui, conformément aux principes que nous venons d'indiquer, peut être régulièrement changée par la loi du budget des voies et moyens. C'est ainsi que l'on a procédé en France; c'est ainsi que les choses ont été toujours pratiquées en Belgique.

Mais n'y a-t-il pas d'autres précédents ?

Après avoir établi ce qui s'est pratiqué quant au budget des voies et moyens, voyons si nos principes n'ont pas été appliqués quant aux budgets des dépenses.

En 1838, l'honorable M. d'Huart proposa d'augmenter le traitement des membres de la cour des comptes; le cas était identique; il y avait cette différence que cette proposition étant due à l'initiative du gouvernement, elle se trouvait inscrite dans le budget et dès lors soumise régulièrement à l'examen préalable des sections. La différence n'est pas sans valeur. Que fait la chambre ? Les sections examinent et se prononcent sur le fond et sur la forme. La section centrale du budget des dotations présente un rapport et conclut en ces termes :

« Sans s'occuper de la question de savoir s'il convient d'augmenter le traitement des membres de la cour des comptes dont le taux a été fixé par une loi spéciale, la section centrale penne que ce n'est pas par une loi annale que cette disposition devrait être modifiée, mais qu'il y a lieu de statuer sur tous et chacun des changements qu'il s'agirait d'introduire dans l'organisation de cette institution par une loi distincte de la loi du budget. Elle vous propose donc de porter au budget de 1839 une somme égale à celle que vous avez votée pour l'exercice courant. »

La discussion s'ouvre devant la chambre. M. le ministre des finances est interpellé sur le point de savoir s'il se rallie à la proposition de la section centrale, il la repousse.

M. Delfosse. - Il n'a pas dit un mot.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne puis admettre qu'il n'ait pas dit un mot, car j'ai trouvé au Moniteur un assez long discours de M. d'Huart, et j'y ai lu notamment ceci : « Pour lever tous les scrupules, je propose d'ajouter ces mots : " Par modification à l'article 16 de la loi du 30 décembre 1830, le traitement du président de la cour des comptes est porté à 9,000 fr. et celui des conseillers et du greffier à 7,000.»

C'est-à-dire que la section centrale aujourd'hui et l'honorable auteur de la proposition font exactement la même chose; ils copient la même disposition.

M. Delfosse. - En sens inverse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela est clair. Immédiatement l'honorable M. Rodenbach se lève pour déclarer que les traitements sont fixés par une loi, ils ne peuvent, par conséquent, être changés par le budget.

M. Rodenbach. - Il s'agissait d'augmentation !

M. Delfosse. - Il n’a pas dit cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici les paroles de l'honorable M. Rodenbach:

« Les traitements des membres de la cour des comptes sont fixés par une loi, je ne trouve donc pas rationnel qu'on vienne demander une augmentais au budget. »

Il me semble que je n'avais pas travesti la pensée de l'honorable M. Rodenbach.

Je sais, messieurs, qu'il faut justifier l'opinion émise dans le rapport de la section centrale.

Dans le rapport de la section centrale, pour écarter ce précédent accablant, on a dit que la question n'a pas été suffisamment examinée, qu'elle n'a pas été discutée, que le ministre n'a pas insisté. Eh bien ! après l'honorable M. Rodenbach, c'est M. Donny qui prend la parole et qui soutient encore exactement la même chose.

Il trouve l'opinion de la section centrale très rationnelle : « Ce n'est pas par une loi de budget qu'il faut déroger à une autre loi, c'est en adoptant le projet qui vous est soumis par l'honorable M. Dumortier. »

Puis vient l'honorable M. Verdussen, ce qui prouve que l'on a quelque peu examiné la question, et que l'assertion contraire de la section centrale n'est pas tout à fait exacte. L'honorable M. Verdussen prend la parole : « Une seule considération a dominé la section centrale quand elle a rejeté l'augmentation proposée. Elle n'a pas voulu examiner s'il y avait lieu de placer les membres d'une cour dans une position plus avantageuse que ceux d'une autre cour; mais elle s'est dit que ce serait renverser tous les principes que d'admettre qu'une loi annale puisse défaite ce qu'une loi organique a établi. Si, d'une part, vous admettiez que le budget peut augmenter des appointements fixés par une loi, vous devriez admettre qu'il peut les diminuer, et vous vous jetteriez dans une confusion étrange, et vous mettriez ces fonctionnaires dans une position précaire ; ils ne sauraient sur quoi compter, leur position pouvant subir l'influence du moment, dépendre de l'état critique où serait le pays. »

M. Dubus prend à son tour la parole. Bien qu'on dise qu'on n'a pas examiné la question, je trouve encore son discours trop long pour le lire tout entier. « Dans le budget, dit-il, nous devons assurer les services établis, payer les traitements fixés par la loi. Il a toujours été admis qu'on se bornait dans le budget à appliquer les lois existantes et qu'on ne les révisait pas. Ce doit être l'affaire d'une loi spéciale, d'une disposition spéciale, de modifier des lois en vigueur. »

Or, à part l'opinion politique, et il ne s'agissait pas là d'opinion politique, tout le monde se plaît à rendre hommage aux connaissances de l'honorable M. Dubus, comme jurisconsulte. J'ajoute que la section centrale était présidée par l'honorable M. Raikem, qui est aussi, je pense, un jurisconsulte de quelque valeur, et la chambre, messieurs, conformément à ses précédents, car elle avait déjà appliqué rigoureusement ce principe à l'ordre judiciaire, la chambre refuse d'admettre la proposition de M. d'Huart, et elle ne se laisse pas arrêter par l'offre que lui faisait le ministre d'insérer dans le budget une disposition spéciale portant dérogation à la loi.

Maintenant, à l'occasion d'un autre budget, en 1837, si je ne me trompe, l'honorable M. Gendebien propose d'augmenter au budget le chiffre des traitements des greffiers.

Sur-le-champ on oppose, comme toujours invariablement, à l'honorable M. Gendebien, que ces traitements sont fixés par une loi et qu'ils ne peuvent être changés que par une loi.

L’honorable M. Gendebien ne peut pas être suspect d'avoir abandonné à la légère la prérogative du parlement, et M. Gendebien pourtant, en face de l'objection qui lui est faite, n'insiste pas sur sa proposition. Autre exemple du mode suivi quant au budget de dépenses.

(page 116) Au budget de la guerre, en 1834, on propose une allocation pour une dépense nouvelle. Il s'agissait de créer, si je tiens bien, l'école militaire. L'article était libellé comme suit : « Traitements des professeurs et fonctionnaires de l'école; » et le budget contient en marge cette mention : « Pour le cas d'adoption d'une loi. » On vote la dépense, mais le crédit n'est accordé qu'avec cette réserve : Pour le cas d'adoption d'une loi.

En 1836, le gouvernement propose d'augmenter les traitements des substituts des procureurs généraux près des cours d'appel. Il fait figurer l'allocation au budget. Le budget est voté le 10 février 1836 ; mais ce même jour, 10 février 1836, une loi spéciale est portée pour accorder l'augmentation sollicitée.

C'est là, messieurs, ce que le parlement a toujours fait ; c'est là ce que vous devez faire encore. Admettez la réduction, c'est votre affaire; mais admettez cette réduction par une loi spéciale; une loi séparée du budget, une loi qui laisse une liberté d'action véritable au sénat, à la Couronne; c'est-à-dire à chacune des branches du pouvoir législatif.

Il serait donc, messieurs, évidemment contraire à tous les principes, à tous les antécédents, à l'esprit, et j'irai presque jusqu'à dire au texte même de la Constitution, d'adopter la proposition qui vous est faite par la section centrale.

M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.

- Plusieurs membres. - A demain!

M. de Luesemans, rapporteur. - Messieurs, je crois qu'il est inutile de renvoyer cette discussion à demain. Pour le moment, je n'ai, en ma qualité de rapporteur, que très peu de mots à répondre à une observation de M. le ministre des finances.

Je sais que l'honorable M. Delfosse, l'auteur de la proposition, se propose de la défendre.

M. Delfosse. - Voulez-vous me permettre de prendre la parole?

M. de Luesemans. - Bien volontiers. Si l’honorable M. Delfosse désire prendre la parole, je la lui céderai avec plaisir.

Je ne tiens à répondre à M. le ministre qu'en un seul point. J'éprouve dès ce moment le besoin de protester contre une parole qui probablement lui est échappée dans la chaleur de l'improvisation. Je déclare que de la part de la section centrale, pas plus, je puis le proclamer, que de la part de l'honorable M. Delfosse, il n'y a eu intention d'exercer une pression quelconque, soit sur le sénat, soit sur le gouvernement.

Comme cette intention qu'on nous a supposée a joué un grand rôle dans le discours que vous venez d'entendre, j'ai éprouvé le besoin de dire immédiatement que si nous avions pensé faire un acte pour ainsi dire anarchique, comme l'a dit M. le ministre des finances, en nous prononçant pour la proposition de l'honorable M. Delfosse, nous nous en serions abstenus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai discuté les actes et non les intentions.

M. Delfosse. - Messieurs, je ne croyais pas, lorsque j'ai présenté ma proposition sons forme d'amendement; qu’elle ferait naître des débats aussi longs, encore moins de vifs dissentiments. La fin de non-recevoir qui m'a été opposée par l'honorable M. Lebeau a fait d'une question, fort simple dans le principe, une question d'une grave portée. Ce n'est plus maintenant le traitement de quelques fonctionnaires qui est eu jeu, c'est la prérogative parlementaire qui est menacée d'une atteinte contre laquelle nous devons protester.

On nous conteste le droit de toucher par le budget à des dispositions d'une loi organique, même à celles qui, se bornant à fixer des traitements, ont avec le budget un rapport intime et direct. On soutient que tant que ces dispositions n'auront pas été abrogées par le concours des trois branches du pouvoir législatif, nous serons tenus de nous y conformer dans le vote des budgets; vote dépourvu, par conséquent, de toute liberté.

Cette doctrine étrange se fonde sur le principe que les lois ne peuvent se défaire que de la manière dont elles ont été faites. Il faut, pour faire les lois, le concours des trois branches du pouvoir législatif; la volonté de l'une d'elles ne peut donc suffire pour les défaire.

Ce principe, messieurs, et c'est là la source de l'erreur que je combats, n'est pas vrai d'une manière absolue. Il trouve ses limites dans les droits que les article 115, 41 et 42 de la Constitution confèrent aux chambres :

« Art. 115. Chaque année les chambres votent les budgets. Toutes les recettes et dépenses de l'Etat doivent y être portées. »

« Art. 41. Un projet de loi ne peut être adopté par l'une des chambres qu'après avoir été voté article par article. »

« Art. 42. Les chambres ont le droit d'amender et de diviser les articles et les amendements proposés. »

Il résulte de ces dispositions constitutionnelles que les chambres ont le droit incontestable de réduire ou de rejeter les dépenses portées au budget, alors même qu'elles y figureraient conformément à des lois en vigueur, Car je défie M. le ministre des finances de trouver dans la Constitution un seul article qui mette les dépenses de cette catégorie à l'abri du vote libre des chambres. J'en excepte les dépenses expressément garanties par la Constitution ; par exemple, la liste civile. A part ces dépenses expressément garanties par la Constitution, le vote des chambres est et doit être entièrement libre.

M. le ministre des finances, avec une subtilité que j'admire, vient de contester aux chambres le droit formel qui leur est garanti par les dispositions constitutionnelles que j'ai citées. Et savez-vous pourquoi, messieurs? Parce qu'un autre article de la Constitution porte que les lois qui établissent les impôts n'ont de force que pour une année.

Quoi! parce que les lois qui établissent les impôts n'ont de force que pour une année, il s'ensuit que le droit conféré aux chambres de voter les lois article par article et de les amender, il s'ensuit que ce droit n'existe pas; ce sont là, en vérité, de singulières conséquences !

Il fallait donner aux contribuables la garantie que l'impôt ne pourrait pas être exigé en l'absence des chambres et sans leur consentement. Voilà pourquoi on a dit expressément que les lois qui établissent l'impôt n'auraient de force que pour une année; mais il était inutile de prendre la même précaution pour les dépenses ; il est bien clair que si le gouvernement ne perçoit pas les impôts, il n'aura rien à dépenser! Et parce qu'on n'a pas pris cette précaution inutile, vous soutenez que les chambres doivent voter aveuglément toutes les dépenses fixées par des lois spéciales ! Vous oubliez donc que les chambres, lorsqu'elles votent le budget, agissent comme pouvoir législatif et qu'elles ne sont liées que par la Constitution.

Si, comme on ne peut en douter, les chambres ont le droit de rejeter ou de réduire toutes les dépenses portées au budget, à l'exception de celles qui sont garanties par la Constitution (car c'est toujours sur le terrain constitutionnel que je me place et M. le ministre des finances devrait être le dernier à en douter), si les chambres ont ce droit, il en résulte que les lois qui se rattachent au budget peuvent chaque année être remises en question, et qu'il suffirait de la volonté d'une seule chambre pour en rendre l'exécution impossible. Ainsi l'a voulu la Constitution et, n'en déplaise à M. le ministre des finances, trop facile à s'alarmer, la Constitution a eu d'excellentes raisons pour le vouloir.

Que l'on blâme l'abus de ce droit, je ne trouve rien à y redire. Si la chambre rejetait les allocations demandées pour la dette publique, et pour les pensions loyalement acquises par de longues années de service, il y aurait abus et je serais le premier à le blâmer. Si les chambres voulaient faire banqueroute, rien ne pourrait les en empêcher, mais elles encourraient le blâme général. Qu'on s'élève donc contre l'abus, je ne trouve rien à y redire, mais qu'on proscrive l'usage, c'est ce que je ne puis admettre, parce que ce serait faire le procès à la Constitution.

Remarquez bien, messieurs, les inconvénients que M. le ministre des finances pourrait signaler; les craintes qu'il manifeste peuvent s'appliquer à toute espèce de modification faite au budget, et cela seul condamne sa doctrine. Qu'y a-t-il, en effet, au fond de la pensée de M. le ministre des finances? Il y a ceci : lorsque la chambre des représentants réduit ou rejette des dépenses portées au budget, conformément à des lois en vigueur, elle porte atteinte à la prérogative du sénat, elle lui fait une espèce de violence, probablement parce qu'elle place le sénat dans l'alternative ou de voter comme elle ou de renvoyer le budget, mesure extrême à laquelle on n'a recours qu'à regret. On peut dire en outre que si le sénat avait recours à cette mesure, et que si la chambre persistait dans son opinion, le sénat finirait par céder pour éviter les malheurs qui résulteraient du rejet définitif d'un budget.

Mais, comme je le disais tantôt, ce sont là des effets qui pourraient se produire chaque fois que la chambre des représentants ferait un changement quelconque au budget, ou du moins un changement qui ne serait pas agréable au sénat.

Les dangers que l'on peut craindre par suite du rejet d'une dépense portée au budget, conformément à une loi en vigueur, peuvent également se produire à la suite de toute autre modification faite au budget contre le gré du sénat. Ira-t-on pour cela jusqu'à dire que, pour ne pas faire violence au sénat, nous devrions tout approuver ? Non, sans doute.

On pourrait aller plus loin, on pourrait supposer les choses portées à l'extrême et le dissentiment entre les deux chambres complet et définitif, et dans ce cas, il faudrait s'en prendre, non à mon système, mais aux bases mêmes de notre gouvernement représentatif. Personne n'ignore que tout dissentiment entre les deux chambres est de nature, quelle qu'en soit la cause, à produire des effets fâcheux, et que le seul moyen de les prévenir réside dans le bon esprit qui doit animer les représentants de la nation. On a un peu, je dirai même beaucoup, compté sur leur modération et leur prudence.

Je suis si loin de porter atteinte à la prérogative du sénat que je reconnais au sénat, comme je réclame pour la chambre des représentants, le droit de réduire ou de rejeter les allocations portées au budget, en vertu de lois spéciales. Il n'y a, entre la prérogative du sénat, que je respecte, et celle de la chambre, que j'entends faire respecter, qu'une seule différence : c'est que l'initiative, en matière de finances, appartient à la chambre des représentants.

M. le ministre des finances nous a parlé de l'article de la Constitution qui veut que la chambre exerce ses attributions conformément au règlement; il a dit que lorsqu'on procède par voie d'amendement on peut exposer la chambre à un vote irréfléchi, à un vote d'entraînement et que c'est pour ce motif que le règlement a prescrit certaines formalités aux membres qui usent de leur droit d'initiative. Il me semble, messieurs, que le droit d'amendement est consacré par le règlement tout comme le droit d'initiative, et qu'il est en outre consacré par la Constitution.

Cette fois encore, l'objection de M. le ministre des finances porte trop haut ; ce n'est pas mon système qu'il attaque, c'est un droit consacré par la Constitution, droit que nous devons tous respecter.

Le règlement consacre aussi ce droit, et la preuve que le règlement n'a (page 117) pas été violé, c'est que M. le président ne m'a pas rappelé à l'observation du règlement.

Le règlement a, d'ailleurs, paré aux dangers d'un vote d'entraînement, d'un vote irréfléchi, par la disposition qui veut que tout amendement adopté soit soumis à un second vote, et en outre, qu'il y ait au moins un jour d'intervalle entre les deux séances.

M. le ministre des finances a invoqué quelques antécédents. Je ne dirai rien de celui auquel le nom de l'honorable M. Gendebien a été mêlé, ni de celui qui concerne les substituts des cours d'appel. Il y a une disposition formelle de la Constitution qui porte que les traitements de l'ordre judiciaire seront fixés par une loi. On peut n'être pas d'accord sur la portée de cet article de la Constitution, mais on comprend les scrupules qui ont pu arrêter les chambres; on comprend qu'en présence de cette disposition constitutionnelle elles aient jugé qu'il fallait une loi spéciale.

Le seul antécédent qui puisse être réellement invoqué, c'est celui de 1838. Là j'ai une rectification à faire; j'avais cru que M. d'Huart n'avait pas pris la parole, mais M. le ministre des finances s'est trompé, de son côté, en disant que M. d'Huart avait prononcé un long discours ; le fait est que M. d'Huart a été très court.

Je ne fais pas, messieurs, grand cas de ces antécédents.

J'ai la discussion sous les yeux et si vous voulez vous donner la peine de la lire, vous verrez que la question de prérogative parlementaire a été à peine effleurée; l'honorable M. Rodenbach a dit en quelques mots que la marche proposée ne lui paraissait pas rationnelle. Mais vous savez quelles sont, en général, les impressions de l'honorable M. Rodenbach; l'honorable membre a une tendance louable à repousser toute augmentation de dépense, et comme il s'agissait alors d'une augmentation de dépense, il a trouvé excellent le moyen qu'on mettait en avant pour la repousser. M; Donny a dit deux ou trois mots dans le même sens. M. de Saegher, aujourd'hui gouverneur de la Flandre orientale, alors membre de la chambre, a déclaré qu'il était disposé à voter pour l'augmentation. Après lui, MM. Verdussen et Dubus ont dit quelques mots. M. le ministre des finances nous a dit qu'il ne donnerait pas lecture du discours de M. Dubus parce qu'il était trop long; il est, au contraire, très court : il se compose de deux paragraphes.

M. le ministre des finances a, dans l'intérêt de sa cause, grossi cette discussion outre nature : la question constitutionnelle y a été à peine effleurée; le ministre des finances de 1838, voyant que la proposition d'augmentation n'avait aucune chance de succès, n'a fait aucun effort sérieux pour défendre son système. Voilà la vérité.

C'est à peu près le seul précédent qu'on puisse invoquer. Mais, je le demande, nous convient-il à nous, qui représentons d'autres idées, qui sommes arrivés dans cette enceinte, à la suite d'une large réforme électorale, de puiser nos inspirations à une telle source ? J'avoue que je suis quelque peu surpris de voir mon honorable ami, M. le ministre des finances, nous proposer pour modèle les actes de la chambre de 1838.

Que prouvent d'ailleurs les antécédents invoqués par M. le ministre des finances? Ils prouvent que la chambre a refusé, dans quelques circonstances, de procéder par voie d'amendement au budget ; mais je n'ai jamais soutenu, je ne soutiens pas encore qu'il faille toujours procéder par voie d'amendement au budget ; je reconnais qu'il y a des circonstances où ce mode de procéder présenterait des inconvénients.

S'il y a des précédents dans un sens, il y en a aussi dans l'autre. M. le ministre d< s finances ne tient aucun compte des précédents que nous avons invoqués, parce qu'ils ne s'appliquent qu'au budget des voies et moyens. « Les lois qui établissent des impôts n'ayant, dit-il, de durée que pour un an, il est naturel que lorsqu'on les renouvelle, on y fasse des modifications par voie d'amendement au budget des voies et moyens.»

Comment M. le ministre des finances ne voit-il pas que tous les inconvénients qu'il a signalés, l'atteinte à la prérogative du sénat, la prétendue violence qu'on fait à ce corps existent tout aussi bien lorsqu'il s'agit des recettes que du budget des dépenses.

Comment, en effet, se conforme-t-on à la disposition constitutionnelle qui veut que les lois d'impôt soient renouvelées tous les ans? Par une simple formule qui se reproduit en ces termes dans tous les budgets des voies et moyens :

« Art. 1er. Les impôts existant au 31 décembre, etc., seront recouvrés conformément aux lois en vigueur, etc. »

Voilà la formule adoptée ; si, après l'avoir inscrite, on fait par le budget des modifications spéciales aux lois d'impôt, ne tombe-t-on pas dans tous les dangers qui paraissent avoir cause tant de frayeur à M. le ministre des finances; ne s'expose-t-on pas à violenter le sénat?

Mais si M. le ministre des finances veut absolument un précédent qui s'applique au budget des dépenses, je lui en citerai un et même deux. On a fait cesser en 1839 les effets de l'arrêté du 27 décembre 1819, pris par le roi Guillaume en vertu des pouvoirs qu'il tenait de la loi fondamentale et qui donnait aux provinces l'administration de certains fleuves et canaux.

Cet arrêté n'a été révoqué, quant au canal de Mons à Condé, que par un amendement de M. Malou au budget des voies et moyens de 1844; mais en 1839, on a repris l'administration d'autres voies navigables, par le vote du budget des travaux publics, en insérant, dans la colonne des observations jointes à ce budget, qu'à partir du 1er janvier 1840, ces voies navigables seraient reprises par l’Etat.

Voilà un changement à un état de choses qui avait existé pendant plus de vingt ans, opéré, non par une loi spéciale, mais par un article au budget des travaux publics.

Il y a mieux que cela ; je puis citer un autre précédent qui émane d'un collègue de M. le ministre des finances, je veux parler de M. le ministre de l'intérieur. Je ne suis pas un si grand coupable, puisque je puis m'abriter derrière le ministre de l'intérieur. M. le ministre de l'intérieur propose, dans son budget, un changement à une loi organique; il propose de modifier une disposition de la loi provinciale. Un article de la loi provinciale porte qu'il y aura dans chaque arrondissement administratif un commissaire du gouvernement; eh bien, M. le ministre de l'intérieur propose, par son budget, de déroger à cette disposition d'une loi organique; il propose de faire administrer deux arrondissements administratifs par un seul commissaire. Je ne m'explique pas, quand on a posé de pareils actes, les grandes colères qui se déchaînent contre moi.

Vous voyez, messieurs, que les bonnes raisons ne manquent pas à la cause que je défends et qu'elle trouve appui jusque dans les actes de nos contradicteurs. N'hésitez pas à vous joindre à nous : sachez maintenir la prérogative qu'on vous conteste; faites comme ce philosophe en présence duquel on niait le mouvement et qui, pour toute réponse, se contenta de marcher. On nie votre prérogative; usez-en.

Si, messieurs, vous n'en usez pas dans cette circonstance, vous n'en userez jamais. S'agit-il, en effet, d'une de ces propositions qui compliquent qui retardent la discussion d'un budget? S'agit-il d'une de ces propositions qui soulèvent des questions d'une grande importance et qui méritent les honneurs d'une discussion spéciale? Non, messieurs, il s'agit tout simplement de savoir si des fonctionnaires qui, depuis 1830 jusqu'en 1843, n'ont eu qu'un traitement de 2,500 fL, 3,000 fr. environ, ne pourraient pas, dans les circonstances difficiles où le pays se trouve, se contenter d'un traitement annuel de 6,000 fr.

C’est là une de ces questions que l'on peut résoudre après de courts débats; toutefois si la proposition a peu d'importance en elle-même, elle peut en avoir beaucoup par ses conséquences.

Nous en sommes à nos premiers pas dans la voie des économies, les membres de la cour des comptes sont des fonctionnaires qui émanent de la chambre, qui sont nommés par la chambre ; si le ministère voit que la chambre sait, pour opérer des économies, se soustraire aux liens de sympathie qui l'attachent à des fonctionnaires émanés d'elle, il sera plus porté à en opérer de son côté. Je crois les intentions du ministère bonnes ; mais il est peut-être utile de lui donner l'exemple.

- La séance est levée à 5 heures.