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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 1 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 881) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus. fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Un grand nombre d'habitants de la ville de Gand demandent le démantèlement de la citadelle de cette ville. »

« Même demande des habitants de la commune de Ledeberg. »

M. Van Grootven. - Messieurs, les pétitions dont vous venez d'entendre la lecture, et qui demandent le démantèlement de la citadelle, sont signées et adressées à la chambre par un grand nombre d'honorables habitants de Gand et de la commune de Ledeberg lez-Gand.

Le récent et grave événement, qui a coûté la vie à plusieurs soldats, a jeté la peur parmi les habitants de la ville et surtout parmi les habitants d'un des plus beaux et des plus populeux quartiers de cette grande et industrieuse cité. En effet, messieurs, si le grand magasin à poudre eût fait explosion, et peu s'en est fallu, quel sort eût été réservé à ces fabriques, à ces usines si importantes, à la fortune privée, à la vie même d'un si grand nombre d'habitants demeurant autour de la citadelle ? Le trésor aurait eu des sommes considérables à payer pour indemniser les pertes occasionnées par l'explosion, qui, vous ne l'ignorez pas, messieurs, sont à charge du pays. Les pétitionnaires demandent, avec raison, avec justice, la démolition de cette citadelle, dont la présence déprécie fortement les propriétés voisines, et qui coûte annuellement des sommes considérables pour son entretien.

J'ai la conviction, messieurs, que vous ne voudrez pas qu'un si grand nombre de vos concitoyens vivent plus longtemps sous la crainte et la menace incessante d'une nouvelle catastrophe; et vous demanderez avec nous la démolition de cette citadelle inutile, dangereuse et toujours menaçante.

Je prie la chambre d'ordonner le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de nous faire un prompt rapport sur ces pétitions, qui sont des plus importantes qui vous aient été soumises pendant cette session.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants de la ville de Dinant demandent des modifications à la loi sur la chasse. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi prorogeant la loi sur les étrangers résidant en Belgique

Discussion générale

M. Lelièvre. - Le projet qui vous est soumis doit, à plus d'un titre, exciter votre sollicitude et appeler votre attention sérieuse. Destiné à régler la position des étrangers qui, se confiant dans notre loyauté, sont venus résider parmi nous, il intéresse notre antique renommée de nation hospitalière, il intéresse l'honneur belge qui n'a jamais fait défaut à d'honorables infortunes, qui les a bienveillamment accueillies alors qu'elles étaient repoussées ailleurs.

D'autre part, il touche à des intérêts d'un ordre supérieur, au maintien de la paix publique, que nous ne pouvons tolérer qu'on vienne troubler chez nous. Concilier les droits de l'hospitalité avec le maintien de l'ordre public, tel est, selon moi, le problème que la loi future est appelée à résoudre.

Je n'ai pas pensé, messieurs, que le projet du gouvernement pût, sous tous les rapports, recevoir mon assentiment; j'ai émis cet avis au sein de la section centrale qui, sans égard à cette circonstance, voulut bien me choisir pour son rapporteur. Ce n'est donc pas en cette qualité, mais en mon nom personnel, que j'aurai l'honneur de vous soumettre quelques considérations qui me paraissent devoir faire modifier le projet dont nous nous occupons.

Nous connaissons tous les réclamations énergiques auxquelles ont donné lieu, sous le gouvernement des Pays-Bas, les mesures déployées contre certains étrangers. Elles étaient des griefs sérieux contre le régime détruit en 1850, et n'ont pas peu contribué à en amener la chute.

La Constitution belge, rédigée sous l'impression des abus commis antérieurement, proclama le principe que les étrangers jouissaient sur notre sol de la protection accordée aux personnes et aux biens ; toutefois elle pensa avec raison que cette règle devait recevoir des exceptions dans certains cas prévus par la loi.

La protection due à l'étranger est donc la règle, la cessation de cet ordre de choses ne forme que l'exception.

Déterminée par les circonstances particulières où se trouvait la Belgique avant le traité de paix de 1839, la loi de 1835 permit au gouvernement de prendre des mesures sévères contre les étrangers résidant en Belgique qui par leur conduite compromettraient la tranquillité publique ; le pouvoir exécutif fui même investi du droit d'ordonner leur expulsion de notre territoire. Ces dispositions furent confirmées par la loi du 25 décembre 1841, qui alla même jusqu'à atteindre les étrangers mariés avec une femme belge, dont ils ont des enfants nés sur noire sol pendant leur séjour dans le pays.

On vous propose de maintenir cet état de choses et de le proroger pendant un terme de trois années. Pour moi, messieurs, je ne puis adhérer à ce projet qu'à deux conditions : la première, de n'autoriser le gouvernement à ordonner l'expulsion qu'après avoir pris l'avis de la chambre des mise en accusation de la Cour d'appel dans le ressort de laquelle résidera l'étranger, autorité qui entendra contradictoirement le ministère public et l'inculpé ; la seconde, d'excepter des mesures exorbitantes énoncées en l'article premier de la loi de 1835 l'étranger qui a épousé une femme belge et ayant de ce mariage des enfants nés dans le pays.

L'article 128 de la Constitution, qui garantit aux étrangers la protection accordée aux personnes et aux biens, n'est pas une vaine formule qu'il soit permis de rendre illusoire, ce doit être une vérité pour tout Belge digne de ce nom. Or, je le demande, que devient cette protection, que deviennent les avantages qu'elle assure, si le sort de l'étranger est livré sans garantie aucune à la merci du pouvoir exécutif qui, sans avoir entendu l'inculpé, et même sans l'avoir mis en mesure de se défendre contre des imputations calomnieuses, peut arbitrairement l'expulser de notre territoire ? Nous ne connaissons que trop les susceptibilités d'une police ombrageuse, et les exagérations d'un zèle inintelligent. Eh bien, dans l'état actuel des choses, la moindre démarche qu'on prendra à tâche d'envenimer, la moindre parole imprudente qu'on aura soin de dénaturer, même de simples opinions politiques, pourront servir de prétexte aux mesures les plus sévères. Qu'on veuille nous le dire, messieurs, la protection due à l'étranger est-elle bien réelle sous une semblable législation ? Est-ce bien cette protection incertaine et équivoque qu'a voulu lui assurer l'art. 128 de la Constitution , écrit tout entier sous l'impression des vexations auxquelles avait donné lieu la conduite du gouvernement précédent? Quant à moi, je ne saurais le croire.

Pour être vraie et sérieuse, la protection doit être garantie par des formes tutélaires; or, ces formalités protectrices se rencontrent dans l'avis préalable d'un corps indépendant, d'un corps appelé à protéger les droits de tous et à maintenir la paix publique.

Sous ce rapport, l'on ne peut mieux déférer ces attributions qu'à la chambre des mises en accusation de la cour d'appel dans laquelle résidera l'étranger, autorité qui déjà, aux termes de nos lois actuelles, est chargée de remplir les mêmes fonctions, lorsqu'il s'agit d'extradition.

L'intervention du pouvoir judiciaire, ne fût-ce que par forme d'avis, me semble de nature à prévenir bien des abus ; on sera plus réservé à provoquer une expulsion lorsqu'il faudra déduire devant la justice elle-même les motifs qui la justifient ; on sera plus circonspect encore à l'ordonner, si l'avis de l'autorité judiciaire est défavorable à cette mesure extrême. D'ailleurs les droits de la défense seront respectés, et l'on ne sera plus frappé sans avoir été entendu !

Remarquez, du reste, qu'à l'exemple de ce qui a lieu en matière d'extradition, le gouvernement ne sera pas même lié par la résolution de la chambre des mises en accusation ; celle-ci ne sera appelée qu'à émettre un avis, mais un avis important destiné à garantir les intérêts de l'étranger, qui, par sa résidence fixée dans le pays, ne peut être assimilé sans injustice à celui qui met pour la première fois le pied sur notre territoire.

Quelques personnes ont pensé que l'intervention du pouvoir judiciaire en cette matière tendait à porter atteinte à l’indépendance des pouvoirs constitutionnels. Je ne puis partager cette opinion. Si la législation actuelle admet l'intervention par forme d'avis d'une section de la cour d'appel, relativement à l'extradition, je ne conçois pas de motif de la repousser lorsqu'il s'agit d'une expulsion. Dans les deux cas, en effet, il s'agit d'examiner si la présence de l'étranger sur notre sol présente des inconvénients sérieux et compromet l'ordre public; il s'agit de vérifier quelle conduite l'inculpé a tenue parmi nous ; et que l'expulsion ait lieu dans le but de l'extradition ou seulement dans celui de l'éloignement de notre territoire, les mêmes raisons militent pour appeler l'examen d'une autorité impartiale que sa position met à l'abri des passions politiques.

On conçoit, du reste, l'intervention du pouvoir judiciaire lorsqu'il s'agit de protéger des droits qui, certes, ont une analogie intime avec les droits civils dont la connaissance est attribuée par nos lois aux corps chargés de rendre la justice.

D'ailleurs, l'étranger qui par sa conduite compromet la tranquillité (page 882) publique commet un délit sui generis, sa qualité imprime à ses actes un caractère délictueux tout spécial. On conçoit donc que les tribunaux puissent s'ingérer dans l'examen de faits qui rentrent dans leurs attributions légales.

Dans l'état actuel des choses, les étrangers qui, même depuis plusieurs années, ont une résidence au milieu de nous peuvent à chaque instant être contraints à sortir du royaume, sur la dénonciation la plus calomnieuse. Est-il possible de tolérer semblable résultat dans un pays libre? Et que l'on ne vienne pas nous parler du recours aux chambres comme d'une garantie contre les abus ! Les chambres ne sont pas assemblées en tout temps, et souvent dès lors il n'est pas même possible de formuler la moindre plainte. D'ailleurs les difficultés de ce genre présentent des questions de fait qui échappent à l'appréciation de la législature et ne peuvent être décidées qu'à l'aide d'enquêtes. Or celles-ci ne sont jamais ordonnées qu'avec une difficulté extrême, elles ne pourraient même l'être sans placer un cabinet en état de suspicion et amener ainsi une crise ministérielle. La garantie qu'on allègue est donc illusoire, et dès lors elle ne peut satisfaire les véritables amis de nos libertés.

Telles sont les considérations qui m'engagent à demander qu'on apporte au projet une modification de nature à prévenir des abus, dont l'expérience a révélé l'existence.

Un autre changement à la législation actuelle me paraît indispensable. A mon avis l'on ne peut maintenir la disposition qui autorise des mesures exceptionnelles contre l'étranger marié avec une femme belge, dont il a des enfants nés en Belgique pendant son séjour dans le pays.

Celui qui se trouve dans cette position n'est plus un étranger ordinaire ; par son alliance et sa famille, il est attaché à notre sol ; il s'est, pour ainsi dire, identifié avec lui ; les plus graves, les plus légitimes intérêts le retiennent parmi nous ; l'expulser, c'est expulser son épouse, c'est atteindre ses enfants, c'est frapper d'ostracisme nos compatriotes mêmes ! Je protestai contre pareille expulsion le jour où, pour la première fois, j'eus l'honneur de porter la parole devant vous, mais il me hâte de le dire, M. le ministre de la justice a fait droit à ma réclamation, et je dois ici lui exprimer publiquement; les sentiments que m'a inspirés sa noble conduite. L'acte réparateur qu'il a posé est une belle action à laquelle je suis heureux d'applaudir.

Pour nous, messieurs, occupés à rédiger, des lois, quels que soient les hommes chargés de les exécuter, ne maintenons pas des dispositions qui répugnent à l'équité naturelle, écartons des mesures qui sont en opposition avec la conscience publique, et dont l'exécution excite dans tous les cœurs généreux une vive et légitime réprobation. C'est le moyen d'élever l'édifice social, sur des bases solides et durables, c'est garantir à la fois l'ordre et la liberté.

M. de Perceval. - Messieurs, la discussion du projet de loi présenté par le gouvernement semble une occasion, non seulement favorable, mais obligatoire pour nous, de demander au ministère quels sont les principes qui, dans les derniers temps, ont guidé sa manière d'agir vis-à-vis des étrangers, réfugiés politiques, qui étaient venus demander au pays une hospitalité plus ou moins prolongée.

Il y a un an, M. le ministre de l'intérieur, répandant à une interpellation de l'honorable M. Bricourt, répétait encore que les étrangers, arrivant en Belgique y trouveraient asile et protection tant qu'ils respecteraient les lois du pays ; que la légalité continuerait d'être respectée par le gouvernement aussi bien que l'hospitalité belge.

Si ces paroles établissent une règle contre laquelle nous n'avons aucune objection à élever, il en est tout autrement des faits qui ont été posés par l'administration de la sûreté publique contre tous les étrangers réfugiés politiques venus en Belgique depuis quelque temps.

Ces faits rendraient, vraisemblable une indiscrétion commise dans les bureaux du ministère de la justice. « Nous ne pouvons pas, aurait-on dit à un réfugié, faire pour vous une exception à la mesure générale qui a été prise en conseil des ministres, et par laquelle nous devons refuser à tout réfugié politique quelconque le séjour en Belgique. »

C'est bien moins cependant cette mesure en elle-même, si elle existait, que je voudrais attaquer en ce moment. L'absence de toute franchise et le mode d'exécution de cette mesure me semblent actuellement le point le plus important; car, en tenant secret le changement de notre conduite à l'égard des réfugiés politiques, en ne leur accordant plus la protection de nos lois, comme avant et depuis 1830, nous les exposons aux inconvénients les plus graves.

En général, ces réfugiés qui se présentent à notre frontière se sont fait adresser à Bruxelles, des lettres, de l'argent, des effets; notre gouvernement les fait placer à Verviers entre deux gendarmes et les fait conduire soit à Ostende, soit à Quiévrain.

Sous les ministères précédents, il suffisait encore de déclarer à l'autorité locale qu'on était réfugié politique, même lorsqu'on n'avait pas de passeport, pour que le gouvernement accordât, à celui qui prenait cette qualité, le délai nécessaire à l'effet de constater sa position.

Aujourd'hui, même avec des papiers qui, dans toute l'Allemagne et dans toute la France, seraient regardés comme des titres suffisants pour obtenir le séjour, en Belgique on n'est pas seulement expulsé, mais quelquefois avant l'expulsion on est emprisonné pendant cinq ou sept jours en compagnie de vagabonds pour être conduit ensuite en voilure cellulaire.

Un commerçant de Berncastel, près de Trêves, avait offert une caution de 3,000 francs pour obtenir le séjour en Belgique, position importante pour soutenir son commerce. C'était un homme d'ordre, présentant toutes les garanties que la société peut demander; il a dû partir pour la France.

Vis-à-vis de faits analogues, et d'autres plus graves que je pourrais communiquer à la chambre, il me reste à demander quel sens le ministère donne au mot hospitalité.

Je ne reconnais que deux catégories possibles d'étrangers venant séjourner dans le pays : les uns, avec des passeports en règle, et ceux-là n'ont pas besoin de notre hospitalité, car, par leur passeport, ils sont sous la protection de leurs gouvernements respectifs; les autres, sans papiers, peuvent avoir des motifs politiques ou non politiques pour demander notre hospitalité. Si nous refusons le séjour aux réfugiés politiques, il ne nous reste plus que la protection pour ceux qui ont quitté leur pays pour des causes qui touchaient de près le pouvoir correctionnel ou celui des cours d'assises.

Une observation encore. L'honorable ministre de la justice croit-il que le pays ait eu à se plaindre de cette hospitalité que nos pères avaient l'habitude de donner sans bruit et sans ostentation? La Belgique doit-elle regretter d'avoir ouvert ses frontières après 1815 et 1830?

Les réfugiés français qui ont résidé dans le pays ne se sont-ils pas rendus utiles et n'ont-ils pas payé leur dette de reconnaissance ? L'émigration polonaise a-t-elle causé des inquiétudes et des embarras? Les réfugiés allemands et français qui, depuis bien des années, résident en Belgique, ont-ils donné lieu à faire regretter leur présence parmi nous?

Pourquoi donc changer les usages du pays? Est-ce parce que nous avons aujourd'hui un ministère libéral que nous devons être moins libéraux ?

Qu'on ne dise point que les puissances exigent de la neutralité belge cette manière d'agir. Car je sais que l'ambassadeur d'une des puissances qui poursuivent avec le plus de rigueur les partis révolutionnaires a déclaré qu'il ne prendrait jamais sur lui d'aggraver encore la position malheureuse des réfugiés qui n'ont commis d'autre crime que de penser autrement que lui.

Le ministère va donc au-devant des puissances. Il fait, plus qu'on ne lui demande. Cette conduite n'est pas digne de sa haute mission, et elle porte une atteinte grave à cette hospitalité large et sympathique que la nation belge a exercée de tous temps vis-à-vis des autres nations.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs; je commencerai par répondre quelques mots à l'honorable M. de Perceval. Suivant l'honorable membre, des abus auraient été commis dans l'administration de la sûreté publique, et il y aurait en quelque sorte parti pris dans cette administration, dont le ministre de la justice est responsable, de refuser le séjour dans le pays à tout réfugié politique, et l'honorable membre nous déclare même qu'il connaît des faits graves qu'il pourrait signaler,, mais qu'il s'abstient de révéler.

M. de Perceval. - Je puis les révéler si vous le désirez.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Certainement, et je vous invite de la manière la plus expresse.

Je ne sais pas ce que l'honorable membre entend par réfugiés politiques. Quant à moi je ne connais pas en Belgique de réfugiés politiques. A une certaine époque il y en a eu, sans doute; mais depuis un an je, crois qu'il n'en existe plus, et les hommes que l'on a pu autrefois ranger dans cette catégorie sont aujourd'hui libres de rentrer dans leur patrie, qu'ils soient Français, Allemands ou Italiens. On n'a donc plus, depuis, un an, expulsé de réfugiés politiques; or, les expulsions dont parle l'honorable membre ont eu lieu depuis moins d'une année, et tout à l'heure j'indiquerai à la chambre quel a été le nombre de ces expulsions, et elle pourra se convaincre combien le gouvernement a été réservé, et modéré dans l'usage qu'il a fait du droit d'expulsion qui lui a été conféré par la loi de 1835.

Messieurs, je dois répondue aux observations un peu plus sérieuses, de l'honorable M. Lelièvre. Cet honorable membre ne conteste ni le principe, ni l'utilité de la loi de 1835, mais il pense, avec la majorité de l'une des sections de cette chambre, que la loi devrait renfermer des garanties plus efficaces contre les expulsions arbitraires, et il propose comme une nouvelle garantie que l'expulsion ne puisse être autorisée sans l'avis préalable de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'étranger aurait sa résidence. Messieurs, je crois qu'il existe de nombreux motifs pour faire repousser l'intervention du pouvoir judiciaire dans les expulsions des étrangers. D'abord les lenteurs judiciaires pourraient, à chaque instant et dans une foule de circonstances, compromettre la sûreté de l'Etat.

Il est indispensable, messieurs, de mettre aux mains du gouvernement une arme dont il puisse se servir au moment même du danger, bien entendu à charge d'être responsable des actes qu'il pose en vertu du pouvoir qui lui est conféré par la loi.

Messieurs, l'intervention du pouvoir judiciaire dans l'expulsion des étrangers reconnus dangereux pour la tranquillité publique, mettrait souvent le gouvernement dans l'impossibilité d'agir en temps opportun contre les perturbateurs de l'ordre public. Cette intervention conduirait à la confusion du pouvoir judiciaire avec le pouvoir exécutif, avec l'administration proprement dite. Vouloir cette intervention, c'est, comme le disait un orateur lors de la discussion de la loi de 1835, livrer la police du royaume aux tribunaux. Ce serait instituer les tribunaux juges des questions de sécurité publique. Ce serait, en un mot, faire descendre le gouvernement dans les tribunaux.

Messieurs, le pouvoir judiciaire ne doit pas se mêler d'intérêts généraux; il ne doit intervenir que dans les affaires contentieuses. En effet, ce pouvoir n'a aucune des qualités qui conviennent pour administrer. Ce serait l'immiscer dans l'administration générale du pays, que de (page 883) vouloir le faire intervenir dans les questions d'expulsions d'étrangers pour cause de sécurité publique.

Messieurs, remarquez d'ailleurs que pour faire intervenir le pouvoir judiciaire dans de semblables questions, il faudrait, en quelque sorte, que tous les cas d'expulsion fussent prévus par la loi. Or, il serait impossible de déterminer dans la loi tous les cas d'expulsion.

De là résulte la conséquence que le droit d'expulsion ne doit être accordé qu'à l'autorité seule à laquelle il appartient par la nature même des choses, c'est-à-dire au pouvoir exécutif, pouvoir qui seul est en mesure de recueillir les renseignements nécessaires pour fixer son appréciation, suivant ce qu'exigent les intérêts de l'Etat, tandis que les tribunaux ne pourraient, le plus souvent, se livrer aux investigations préalables qui doivent nécessairement précéder la mesure d'expulsion d'un étranger.

Messieurs, il ne faut pas non plus perdre de vue, que les magistrats d'un arrondissement ou d'un ressort de cour d'appel ne font pas la police de tout le royaume, et que le fait qui donne lieu à l'expulsion n'est pas toujours un fait local, de sorte que les magistrats seraient très souvent obligés de s'enquérir de ce qui se passe hors de leur juridiction. Il faudrait leur communiquer tous les documents qui auraient pu être recueillis, il faudrait les initier en quelque sorte aux secrets de l'Etat; et dans une foule de circonstances, cela serait contraire aux intérêts généraux.

La section centrale a invoqué une autre considération non moins puissante, et j'ai été étonné, je dois le dire, que l'honorable M. Lelièvre, qui a défendu avec tant de force, dans son rapport, la proposition du gouvernement, soit précisément celui des membres de cette section qui ait voté contre le projet. Quoi qu'il en soit, la section centrale a soutenu avec beaucoup de raison que l'intervention judiciaire, loin d'augmenter les garanties qu'on voudrait accroître, ne ferait que les affaiblir.

En effet, de deux choses l'une : ou l'avis de la chambre des mises en accusation sera favorable à la mesure d'expulsion, ou il lui sera opposé ; eh bien, dans le cas où cet avis sera favorable et le plus souvent le gouvernement pourra obtenir des avis favorables, car lui seul est à même de fournir à l'autorité judiciaire les éléments de son appréciation ; dans le cas où cet avis sera favorable, indépendamment des soupçons auxquels il pourra donner lieu, soupçons toujours fâcheux pour l'indépendance et la considération des corps judiciaires, le gouvernement trouvera dans cet avis des tribunaux, comme le dit la section centrale, un moyen très commode de dégager sa responsabilité ; il en sera de même à peu près quand l'avis sera contraire; alors le gouvernement n'aura plus qu'à se croiser les bras, parce qu'il serait impossible de le rendre responsable de faits qu'il n'aurait pu empêcher qu'au moyen d'une mesure que l'avis négatif des tribunaux l'aura mis dans l'impossibilité de prendre.

Le système de l'honorable M. Lelièvre tend donc à annihiler la responsabilité ministérielle qui est une garantie bien plus efficace que ne le serait l'intervention du pouvoir judiciaire dans les questions de cette nature.

L'honorable M. Lelièvre a fait valoir dans le rapport un autre moyen à l'appui de son opinion. Pourquoi, dit-il, ne pourrait-on pas procéder en matière d'expulsion comme en matière d'extradition? En matière d'extradition on prend aussi l'avis de la chambre des mises en accusation, et cette chambre ne se borne pas à reconnaître l'existence de poursuites criminelles exercées en pays étranger, elle apprécie la conduite de l'étranger dans notre pays, elle déclare s'il convient de le livrer à son gouvernement et si sa présence en Belgique présente des dangers réels. Dès lors, dit l'honorable membre, rien n'empêche le pouvoir judiciaire d'émettre aussi son avis sur ses faits analogues quand il s'agit d'expulsion. Messieurs, si les prémisses étaient vrais, j'admettrais que la conséquence serait assez juste, assez logique.

Mais l'honorable membre est dans une erreur complète relativement aux effets et à l'interprétation de la loi d'extradition du 1er octobre 1833. En effet, qu'il jette les yeux sur cette loi, il verra que la chambre des mises en accusation n'a pas pour mission de rechercher s'il convient de livrer à son gouvernement l'individu qui doit être extradé ou bien si sa présence offre des dangers réels pour l'ordre public. La mission de cette chambre consiste exclusivement à vérifier si le titre de l'accusation est régulier et si le fait incriminé rentre dans la catégorie des crimes et délits pour lesquels l'extradition peut être accordée en vertu de la loi de 1853. Une fois ces vérifications faites, il est impossible de refuser l'extradition, sinon ce serait violer les engagements qui nous lient vis-à-vis des puissances avec lesquelles nous avons conclu des traités d'extradition.

Maintenant quel est le but du système préconisé par l'honorable M. Lelièvre, celui de l'intervention des tribunaux en matière d'expulsion ? Ce fut, dit-il, est d'obtenir des garanties plus certaines, plus efficaces contre les expulsions injustes et arbitraires. Mais, messieurs, ces garanties font-elles défaut, sous l'empire de nos institutions? Je crois, au contraire, qu'elles abondent. N'avons-nous pas le droit de pétition, la liberté de la presse, la tribune parlementaire, la responsabilité ministérielle ? Ne sont-ce pas des garanties suffisantes pour qu'on n'ait rien à redouter de l'arbitraire du gouvernement ?

El s'il fallait d'autres garanties, vous les trouveriez, messieurs, dans l'expérience acquise et dans l'exercice même du droit d'expulsion dont le gouvernement a été investi par la loi depuis bientôt 14 ans. Le gouvernement a usé en effet de cette faculté, avec une réserve, une modération qui doit prouver à la chambre que l'abus, dans l'avenir, est en quelque sorte impossible.

Je puis, messieurs, donner à la chambre quelques chiffres pour le démontrer davantage encore.

Depuis dix ans, depuis 1839 (je prends cette époque, parce que c'est celle du traité avec la Hollande), il y a eu en tout 415 expulsions prononcées par des arrêtés royaux; ce qui fait en moyenne 41 à 42 expulsions par année. Mais il importe d'en rechercher les causes. Vous savez qu'aux termes de la loi de 1835, il n'y a que deux causes qui permettent d'expulser un étranger : c'est qu'il ait été poursuivi ou condamné pour l'un des crimes ou délits prévus par la loi de 1835 et donnant lieu à l'extradition. C'est ensuite qu'il compromette par sa conduite la tranquillité publique.

Eh bien, sur 413 étrangers expulsés depuis dix ans, 393 avaient été poursuivis ou condamnés pour les crimes ou délits dont je viens de parler. C'étaient donc des banqueroutiers frauduleux, des escrocs, des faussaires, des hommes enfin dont il importait de purger le pays. Maintenant quel est le nombre des expulsions prononcées pour des causes que j'appellerai politiques, quoiqu'on puisse troubler la tranquillité publique, sans qu'il y ait réellement une cause politique? 20 en tout, depuis 1839.

Je dirai même plus : de 1835 au 24 février 1848, il n'y a eu aucune expulsion prononcée pour des causes politiques proprement dites. C'est depuis le 24 février seulement que des expulsions ont été prononcées contre des individus qui avaient figuré dans des clubs politiques ou dans des émeutes, et qui compromettaient gravement par leur conduite la tranquillité et l'ordre public.

Cinq autres arrêtés d'expulsion avaient été pris encore. Mais les étrangers qu'ils avaient atteints ont obtenu un sursis à la mesure dont ils avaient été frappés, et cela sur la recommandation de personnes honorables, qui ont en quelque sorte cautionné moralement leur conduite future. Je pourrais à cet égard invoquer le témoignage de plusieurs honorables membres de cette chambre.

Je m'empresse d'ajouter que la conduite de ces individus a été depuis irréprochable, et qu'elle a prouvé qu'ils étaient dignes de la faveur' qu'ils ont obtenue.

Vous voyez donc que le gouvernement a fait l'usage le plus réservé, le plus sage, le plus modéré de la faculté qui lui est accordée, et quoi qu'en ait dit l'honorable M. de Perceval, je ne crois pas qu'aucune critique fondée ait été faite ou qu'aucun abus sérieux puisse être signalé.

La chambre comprendra que ce n'est pas dans les circonstances où nous nous trouvons, et lorsque le gouvernement peut avoir besoin chaque jour de faire usage du même pouvoir dans l'intérêt de la conservation de l'ordre public, qu'il conviendrait de le lui retirer, ou de modifier la loi de 1835.

Je demande donc, avec la section centrale; l'adoption du projet de loi que j'ai eu l'honneur de présenter.

M. Destriveaux. - Messieurs , dans les dernières paroles qu'a prononcées M. le ministre de la justice, je trouve des raisons très puissantes pour ne pas proroger dans toute son étendue la loi dont il s'agit.

En effet, admettant, comme je dois le faire, l'exactitude des calculs qu'a présentés M. le ministre de la justice, il se trouverait qu'à l'exception des expulsions motivées d'une manière précise sur lesquelles on ne peut pas établir la moindre présomption de la possibilité de l'arbitraire, il y a eu 20 expulsions prononcées depuis 1839.

Eh bien, je dis que puisque le nombre de ces expulsions a été tellement restreint, il y a preuve en fait que la nécessité de cette loi dont on demande la prorogation est à peu près illusoire, si elle ne l'est pas tout à fait. Car pour obvier à un danger aussi éloigné, aussi faible, qu'est-ce que l'on demande? On demande la prorogation d'une loi qui ouvre une large porte à l'arbitraire.

Il n'y a pas eu d'actes arbitraires, dit-on; je le crois. Mais à quoi cette absence d'arbitraire peut-elle être attribuée, si ce n'est à la délicatesse des personnes chargées de l'exécution de la loi?

J'admets qu'il n'y a pas eu d'arbitraire. Je laisse à part les réclamations que nous avons vues paraître dans les journaux. Je laisse à part des contestations qui ont été portées devant les tribunaux et dans lesquelles il a été révélée au public qu'une femme, qui certainement n'était pas un agent politique formidable, a été sur le point d'être expulsée ; mais que, sur un défaut de forme, se présentant devant les tribunaux et demandant des dommages-intérêts, elle en a obtenu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - A quelle époque?

M. Destriveaux. - Il n'y a pas très longtemps. Je crois que je puis invoquer ici le témoignage d'un des hommes les plus distingués du barreau, de notre honorable président.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce fait ne s'est pas passé sous le ministère actuel.

M. Destriveaux. - Je n'attaque pas le ministère. Laissons là, autant que possible, les questions de ministère. Lorsque je croirai avoir une observation à faire à un ministre, je me présenterai chez lui en particulier, je lui demanderai des explications en acquit de mon devoir. Si ces explications sont satisfaisantes, j'en serai charmé et je lui en témoignerai ma reconnaissance. S'il me reste des doutes, je le préviendrai que je me crois obligé l'exposer ces doutes en public. Voilà la marche que je me suis prescrite. Ainsi, jamais d'attaque ni directe ni indirecte contre le ministère, je n'en veux pas.

Je n'attaquerais un ministère que s'il entrait dans une voie que je croirais dangereuse pour le pays. Alors je croirais remplir un devoir (page 884) envers mes commettants et envers le ministère lui-même, que je dois avertir s'il s'égare.

Voilà ma profession de foi.

Il y a, dit-on, contre l'arbitraire éventuel, des garanties : la presse, d'abord ; puis la responsabilité ministérielle.

Prenons garde à une chose, messieurs ; c'est que la presse ne peut signaler les intentions ; elle ne signale que les faits; et quand elle peut signaler les faits, ils sont accomplis; le dommage est causé; et l'expulsion d'un étranger est faite et le ruine peut-être.

Les révélations de la presse sont souvent combattues. Il y en a de passionnées, c'est vrai, mais il y en a qui sont sincères et cependant on les combat.

La responsabilité ministérielle ! C'est une garantie que la Constitution renferme, c'est-à-dire, c'est une garantie dont la Constitution renferme le germe; le principe de la responsabilité ministérielle, messieurs, n'est point encore une garantie; le principe proclamé donne l'espoir d'une garantie possible; mais aujourd'hui quelle serait la garantie? Y a-t-il possibilité de faire appliquer la responsabilité ? Où est la loi sur laquelle on pourrait se fonder? L'article de la Constitution qui établit la responsabilité ministérielle, dit qu'une loi sera faite pour régler cette responsabilité et celle d'autres agents du pouvoir; mais en attendant que cette loi soit faite, est-on certain que, devant les tribunaux, il ne s'élèverait pas une fin de non-recevoir? D'ailleurs, faudra-t-il qu'un simple particulier vienne se présenter devant la législature et, pour un délit qui n'est pas même caractérisé, demander que la législature accuse le ministre devant la cour de cassation ? Qui donc pourra le faire ? Sera-ce l'étranger qui est expulsé, sera-ce l'étranger, souvent placé dans des conditions telles qu'il lui sera impossible de faire les avances d'une pareille procédure ? Je ne doute pas que l'étranger, placé dans une pareille situation, ne trouve une autre espèce d'hospitalité ; il trouverait l'hospitalité du barreau, et l'exemple qui a été donné récemment par un homme honorable dont je ne dirai pas le nom, parce que tout le monde le connaît, cet exemple serait certainement suivi.

Mais, messieurs, est-ce là l'hospitalité de la nation ? Est-ce là l'hospitalité dont nous nous vantons tous les jours? Ah! messieurs, pour le petit nombre d'expulsions que l'on a signalées, ne risquons pas de faire voir qu'il y a quelque chose d'incomplet dans notre belle Constitution! Ne risquons pas que l'étranger vienne nous demander ce qu'est devenu l'article 139 de la Constitution!

Je dis donc, messieurs, que la responsabilité ministérielle n'est point ici une garantie véritable, puisqu'on ne peut pas en faire l'application.

L'article 128 de la Constitution déclare que l'étranger est protégé dans sa personne et dans ses biens ; voilà le principe proclamé par la Constitution. C'est un principe d'humanité ; car si tout homme a droit d'habiter quelque part sur la terre, il doit y trouver protection pour sa personne et pour ses biens. L'article 128 contient une réserve, et cette réserve est sage. Il peut arriver qu'un étranger vienne à se montrer hostile au pays qui lui accorde une franche et loyale hospitalité ; il se peut aussi que l'étranger se soit rendu coupable d'un crime qui blesse les lois de l'humanité tout entière, et non pas seulement les lois positives d'un pays ; alors il faut que l'étranger puisse être expulsé ou extradé, qu'on me permette cette expression.

Mais cette exception, messieurs, au principe général de l'article 128 doit être renfermée dans ses limites les plus étroites, comme tout ce qui porte atteinte aux droits de l'homme, aux droits du citoyen. Voilà sous quel régime les étrangers doivent être placés dans notre pays. La Belgique se proclame à juste titre une terre hospitalière, nous avons une Constitution admirable, nous sommes le pays de la liberté véritable. Nous sommes hospitaliers parce que nous connaissons notre force, parce que nous connaissons nos droits et parce que nous connaissons aussi nos devoirs envers l'humanité. L'attitude de la Belgique a été noble et belle, lorsque toute l'Europe était en conflagration ; elle est encore telle aujourd'hui, lorsque l'Europe n'est pas encore assise sur ses fondements, et qu'elle est encore agitée par un tremblement intérieur.

N'avons-nous donc pas assez de certitude pour pouvoir être généreux? Est-ce que nos sentiments éprouvent encore de temps en temps cette vacillation qui pourrait les rendre accessibles au premier souffle d'un étranger qui voudrait nous corrompre ? Mais quels sont donc ces hommes que nous redouterions ainsi? Sont-ce ces grands fauteurs de révolutions, ces hommes à la parole puissante, aux doctrines vastes et téméraires, qui entraînent les peuples à leur suite; sont-ce ceux-là que l'on craint? Eh mon Dieu, non! Ceux-là, s'il en est, agitent leur pays et ne vont pas perdre leurs efforts et chercher une défaite assurée chez des nations qui connaissent les véritables principes.

On veut des précautions contre les étrangers. On a raison. On veut des mesures exceptionnelles contre ceux qui abuseraient de l'hospitalité. On a raison. Mais renfermez cette exception aux droits de l'humanité, renfermez-la dans les plus étroites limites possibles.

On me demandera si j'ai des abus à signaler. Mais, messieurs, si je connaissais des actes arbitraires, le gouvernement en serait instruit; je n'attendrais pas, pour les révéler, l'occasion de monter à la tribune parlementaire. Ce que je ne veux pas, c'est la possibilité de commettre des actes arbitraires ; les hommes qui sont au pouvoir aujourd'hui seront peut-être, demain, remplacés par d'autres ; les hommes changent et la possibilité de commettre des abus reste. Voilà ce que je veux faire disparaître.

On a proposé, messieurs, l'intervention de l'ordre judiciaire. M. le ministre a répondu que ce serait compromettre la puissance de l'autorité administrative, je ne veux pas dire exécutive. Ce que moi je ne puis admettre, c'est la rigueur extrême de la loi qui soumet à l'arbitraire même l'étranger qui a épousé une femme belge et qui a des enfants de cette femme. J'ai cité tout à l'heure un exemple qui prouve qu'il faut placer tous les étrangers à l'abri de l'arbitraire.

Un homme estimable allait être frappé par une pareille détermination. Il a trouvé des hommes honorables qui se sont intéressés à lui, qui se sont dirigés vers le gouvernement, dans l'intention de prévenir un acte arbitraire, d'empêcher peut-être la ruine d'un homme qui était innocent. J'ai cherché avec anxiété quelle pouvait être la cause qui avait soulevé des soupçons; j'ai appris que la personne incriminée avait eu le malheur de faire deux chansons en d'assez mauvais vers. Ce pourrait être une raison pour expulser l'auteur d'une bibliothèque, mais non pour l'expulser du pays.

Mais, dira-t-on, il faut voir la nature de ces chansons. Eh bien, ces chansons étaient-elles dirigées contre l'ordre des choses sous lequel nous nous plaisons à vivre? Etaient-elles de nature à enflammer les esprits? En général, ce ne sont pas de mauvais couplets qui enfantent les révolutions.

Mais, prenons garde à une chose, c'est que si des chansons ont réellement un caractère dangereux, le Code pénal est là.

Le Code pénal ne prévoit-il pas les discours séditieux et les excitations? N'a-t-il pas de pénalités contre les attentats à l'ordre public? Le Code pénal est-il trop tolérant pour ces sortes de crimes et de délits?

J'arrive à l'intervention du pouvoir judiciaire.

L'intervention du pouvoir judiciaire, dit-on, ne doit pas être admise dans le cas présent, parce qu'elle paralyse l'action administrative.

Mais, messieurs, l'action ou l'intervention, ou mieux encore le conseil demandé à l'autorité judiciaire ne paralyse pas l'action administrative, mais l'éclairé. Or, peut-on dire que, pour être complètement libres, les dépositaires du pouvoir administratif doivent nécessairement agir, sans qu'on puisse leur donner un conseil? Cette action est-elle placée dans une espèce de langes, et cela parce qu'on veut lui donner toutes les garanties de justice qui, aux yeux de l'opinion publique, doivent lui attirer le respect et la confiance?

Messieurs, en principe l'étranger jouit de la protection dans sa personne et dans ses biens. Or, est-ce que la personne de l'étranger n'est pas blessée par l'expulsion ? Sa liberté personnelle lui reste-t-elle, lorsqu'on le place dans une voiture cellulaire entre deux gendarmes et qu'on le conduit à la frontière ? N'est-il pas blessé dans ses biens, lorsqu'il est l'objet d'une expulsion plus ou moins inattendue, et dans des circonstances plus ou moins désastreuses pour sa fortune?

L'intervention du pouvoir judiciaire, en pareil cas, serait à la fois une garantie pour l'étranger et pour le pouvoir lui-même?

On dit que si le pouvoir prend un parti, à la suite d'un avis favorable du pouvoir judiciaire, sa responsabilité disparait.

Dira-t-on que les tribunaux seront trop sévères ou trop doux? Messieurs, ils ne seront ni l'un ni l'autre. Ils ne seront que justes.

Maintenant je prétends, et cela paraîtra peut-être un paradoxe, que dans un pays l'étranger a droit à plus de garantie que les indigènes eux-mêmes.

Je ne parle pas des droits que l'on revendique devant les tribunaux ; mais je parle du droit de l'humanité, du droit de l'honneur, le droit de la bienveillance, le droit de la nécessité ? Et où puise-t-il ce droit? dans sa position même. Il est isolé, sans appui. S'il trouve quelqu'un qui le soutienne, il ne le doit qu'à un heureux hasard. Il faut qu'il ait recours au corps institué pour défendre le faible; il faut qu'il soit dans la dépendance. Au lieu que nous, au sein de notre pairie, nous sommes environnés de toute espèces de protecteurs ; il y a solidarité entre nous, nous nous connaissons les uns les autres ; et s'il y a entre nous solidarité, il est bien certain qu'une injure qu'on fait à un citoyen est sensible à tous les autres, et que le redressement de cette injure est un droit acquis à tous et que tous peuvent réclamer. Voilà la protection sur laquelle chacun peut compter chez soi et qui manque à l'étranger.

M. Lelièvre. - Dans l'état actuel de la législation, un étranger peut être expulsé sans avoir été mis à même de se défendre.

Maintiendrons-nous cette disposition exorbitante? Telle est la question qui vous est soumise.

Pour moi, je veux le maintien du principe de la loi de 1835, mais avec une garantie en faveur de l'étranger, pour qu'il ne puisse être expulsé arbitrairement et contre tous les principes de justice.

Cette garantie, je la trouve dans l'avis préalable de la chambre des mises en accusation.

M. le ministre de la justice fait à ce système une objection qui a déjà été réfutée victorieusement par l'honorable M. Destriveaux et que je rencontrerai en peu de mots.

Les lenteurs judiciaires peuvent, dit-on, compromettre dans certains cas la tranquillité publique. Mais ces lenteurs peuvent facilement être évitées, une assignation à bref délai peut être signifiée à l'étranger.

Mus, ajoute-t-on, il y aura confusion du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire. Erreur évidente ! En vertu de la loi de 1835, l'étranger ne peut être expulsé que lorsque, par sa conduite, il compromet la tranquillité publique. Or, le fait qui présente ce caractère constitue un délit spécial.

(page 885) Pourquoi donc la chambre des mises en accusation ne pourrait-elle pas en prendre connaissance?

M. le ministre de la justice est parfaitement convaincu de la force de l'objection que j'ai déduite de l'intervention de la chambre des mises en accusation en matière d'extradition. Nous avons dit à cet égard que cette chambre ne se bornait pas à constater l'existence des poursuites ou de la condamnation prononcée à l'étranger et le caractère du fait incriminé, mais qu'elle avait appelée à porter ses investigations sur la conduite de l'étranger dans notre pays et l'ancienneté du crime lui reproché; qu'en un mot elle recherchait si sa présence au milieu de nous pouvait avoir des inconvénients sérieux.

M. le ministre méconnaît cette doctrine; mais je puis invoquer, à l'appui de mon opinion, la jurisprudence de la cour de Bruxelles que quelquefois par des motifs de la nature de ceux que je viens d'exposer, a émis un avis défavorable à l'extradition. C'est ainsi qu'un étranger, condamné dans son pays aux travaux forcés à temps, ayant été l'objet d'une demande d'extradition, la cour de Bruxelles estima qu'il n'y avait pas lieu à l'accueillir parce que la conduite de l'étranger, pendant un long séjour en Belgique, avait toujours été pure, que le fait lui reproché était déjà ancien, et que la nécessité de l'extradition n'était pas démontrée.

Examinons maintenant si l'intervention de l'autorité judiciaire dans les mesures d'expulsion peut avoir les inconvénients que redoute .M. le ministre. D'abord l'avis de la chambre des mises en accusation ne lie pas le gouvernement; il n'a pour objet que de l'éclairer; mais en même temps il y aura en ce cas une garantie immense pour l'étranger, celle d'être entendu contradictoirement avec le ministère public. On devra déduire les motifs de l'expulsion, or le fait seul d'obliger le gouvernement à exposer les causes sur lesquelles est fondée la mesure et à les justifier, aura pour conséquence que l'on ne formera pas des demandes évidemment mal fondées.

Dans les circonstances actuelles, j'adopte le principe de la loi, mais je réclame pour l'étranger le droit de la légitime défense; je réclame pour lui le droit le plus sacré, celui qu'on ne refuse pas même au coupable; je demande que, contre toutes les règles de la justice et de l'humanité, il ne puisse être expulsé sans avoir été entendu.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. La loi du 22 septembre 1835, telle qu'elle a été modifiée par celle du 23 décembre 1841, est prorogée jusqu'au 1er mars 1852. »

M. Lelièvre a déposé l'amendement suivant :

« Toutefois l'expulsion d'un étranger résidant en Belgique ne pourra être ordonnée par le gouvernement qu'après avoir pris l'avis de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel du ressort dans lequel réside l'étranger. Le ministère public et l'étranger seront entendus en chambre du conseil. »

M. de Perceval a déposé un autre amendement ainsi conçu :

« La modification apportée à l'article 2, n°2 de la loi du 22 septembre 1835, par celle du 25 décembre 1841 vient à cesser.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je viens combattre l'amendement présenté par l'honorable M. Lelièvre et repousser également celui de l'honorable M. de Perceval, quoique plus inoffensif, parce que je le considère comme inutile.

Quoi qu’en ait pu dire l'honorable M. Lelièvre, il est évident que l'intervention du pouvoir judiciaire dans les questions d'expulsion serait la négation de tous les droits du gouvernement et même de la responsabilité ministérielle. D'abord elle paralyserait complètement, dans presque toutes les circonstances, l’action du pouvoir. Il a dit que les lenteurs judicaires pourront être évitées par une mesure sommaire, et qu'on pourrait appeler l'étranger par assignation à bref délai devant la chambre des mises en accusation de la cour d'appel du ressort de sa résidence. Qui ne comprend que, dans une foule de circonstances, ce serait rendre inutile l'effet de la mesure d'expulsion ; le désordre aurait été commis, l'ordre public aurait été compromis, et le plus souvent tout serait consommé avant que la justice ait pu seulement connaître les faits qui motiveraient l'expulsion. Je suppose , par exemple, que dans la province du Luxembourg des étrangers viennent proclamer la république, comme cela a failli avoir lieu l'année dernière, à Virton; eh bien, il faudrait les appeler devant la cour d'appel de Liège pour venir y débattre contradictoirement les causes d'expulsion et contester le droit du gouvernement.

Mais il suffit de poser de semblables hypothèses pour convaincre la chambre que l'intervention du pouvoir judiciaire est impossible dans des mesures de police générale qui, pour être efficaces, doivent rester du ressort exclusif du gouvernement.

L'honorable M. Lelièvre est revenu sur ce qu'il avait dit dans le rapport de la section centrale relativement à la manière dont on doit interpréter la loi d'extradition, et il a prétendu que la jurisprudence de la cour d'appel de Bruxelles était favorable à son opinion. Messieurs, je ne connais pas l'arrêt auquel l'honorable membre a fait allusion; mais en présence du texte formel de la loi, je considère comme impossible que la chambre des mises en accusation ait pu s'ingérer de donner un avis de la nature de celui dont il a parlé. Encore une fois, d'après les dispositions formelles de la loi, combinées avec les dispositions des traités, la chambre des mises en accusation n'a d'avis à émettre que sur la régularité du titre de l'accusation et sur la question de savoir si le fait incriminé rentre dans la catégorie des crimes et délits pour lesquels l'extradition peut être prononcée.

Je répondrai quelques mots concernant l'amendement de M. de Perceval. La loi de 1835 contenait diverses exceptions, d'abord à l'égard de l'étranger autorisé à établir son domicile en Belgique, ensuite en faveur de l'étranger marié à une femme belge dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa résidence dans le pays. La première exception a été maintenue, mais la seconde a été abrogée par la loi de prorogation du 28 décembre 1841. Il était arrivé, en effet, que des étrangers mariés à des femmes belges et ayant des enfants nés dans le pays, avaient mérité d'être expulsés comme compromettant par leur conduite la tranquillité publique; or, le gouvernement s'était trouvé dans l'impossibilité d'exercer à leur égard le droit d'expulsion, Ce sont ces motifs qui l'ont déterminé à demander que cette exception fût retranchée, comme elle l'a été, en effet, par la loi du 25 décembre 1841.

Maintenant convient-il de rétablir cette exception dans la loi que nous discutons? Je ne le pense pas. Je la crois tout à fait inutile. Dans certaines circonstances, elle pourrait même être nuisible. Il pourrait arriver que des étrangers qui se trouveraient dans la position dont on a parlé fussent des hommes dangereux que l'on fût contraint d'expulser par des motifs de sécurité publique.

La position d'un étranger qui a épousé une femme belge est-elle d'ailleurs si favorable? Il conserve sa qualité d'étranger. La femme qu'il épouse devient elle-même étrangère par le fait de son mariage. Ses enfants restent étrangers, sauf la faculté qu'ils ont d'acquérir la qualité de Belge en faisant, dans l'année de leur majorité, la déclaration autorisée par l'article 9 du Code civil.

Vous voyez donc que l'étranger qui est dans cette position ne tient à la Belgique que par des liens extrêmement insuffisants. D'ailleurs cet étranger peut toujours, en vertu de l'article 13 du Code civil, demander l'autorisation d'établir son domicile en Belgique, et du moment qu'il l'a obtenue, il se trouve dans le cas d'exception prévu par la loi de 1835. Cette autorisation, le gouvernement l'accorde presque toujours, il ne l'a jamais refusée à l'étranger qui possède des moyens d'existence, qui prouve qu'il a toujours vécu en citoyen paisible, qu'il a toujours tenu une conduite honorable, et dont la demande est favorablement accueillie par les autorités qu'il est d'usage de consulter. Si l'étranger résidant en Belgique, ayant épousé une femme belge et en ayant des enfants, n'a pas demandé l'autorisation de fixer son domicile dans le royaume, il est par cela même plus ou moins dangereux et suspect car cela prouve qu'il n'a pas de titres à obtenir cette faveur qu'où ne refuse presque jamais.

Je pense donc, messieurs, qu'il est inutile de rétablir dans la loi la disposition abrogée par la loi du 25 décembre 1841. Le gouvernement, lorsqu'il s'agit d'un étranger marié en Belgique, avant de prendre un arrêté d'expulsion, examine toujours avec une attention particulière les motifs qui doivent le déterminer, et il faut des motifs extrêmement graves pour que l'on prenne une mesure aussi sévère contre l'étranger qui se trouve dans cette position.

Je persiste donc à repousser l'amendement de l'honorable M. de Perceval.

M. Lelièvre. - Je prie la chambre de remarquer que les garanties réclamées par mon amendement ne concernent que l'étranger résidant en Belgique, et sont étrangères à celui qui, pour la première fois, met le pied sur notre territoire. M. le ministre pense que les formalités dont j'ai parlé peuvent donner lieu à des inconvénients, qu'elles pourraient protéger l'étranger qui viendrait proclamer la république ou commettrait tout autre acte attentatoire à la sûreté de l’Etat. L'objection n'est pas sérieuse, puisque l'étranger qui se rend coupable sur notre territoire d'un crime ou d'un délit prévu par nos lois, est soumis aux mesures répressives qu'elles sanctionnent; il peut être arrêté préventivement, et sous ce rapport il est assimilé aux citoyens belges.

Ne perdons pas de vue l'objet de la loi de 1835. Il s'agit d'une position tout à fait exceptionnelle faite à l'étranger, et d'atteindre celui qui par sa conduite compromet la tranquillité publique. J'admets le principe, mais je veux qu'il soit mis en action de manière à ne pas devenir un instrument de vexation contre celui qui aurait été en butte à une dénonciation calomnieuse. C'est ce qui m'engage à réclamer des formalités tutélaires et protectrices de l'innocence.

M. le ministre a contesté l'exactitude de ce que j'ai dit sur l'intervention de la chambre des mises en accusation dans les extraditions; mais il est évidemment dans l'erreur. Pour s'en convaincre, il suffira de remarquer que l'extradition est pour le gouvernement, non pas une obligation, mais bien une simple faculté.

Dès lors le pouvoir exécutif, et par suite la chambre des mises en accusation, sont compétents pour examiner non seulement les faits qui ont motivé la demande d'extradition, mais encore la conduite qu'a tenue l'étranger dans notre patrie, en un mot, toutes les circonstances qui doivent faire apprécier s'il y a des raisons suffisantes pour déférer à la réclamation du gouvernement étranger.

Maintenant un mot sur l'amendement de l'honorable M. de Perceval.

Il est à remarquer qu'une proposition de même nature ayant été faite en 1844 contre le maintien de la disposition dont il s'agit. M. Nothomb, alors ministre, répondait :

« Qu'il croyait superflu d'engager une discussion alors que la prorogation ne devait être votée que pour une année; que la chambre savait (page 886) bien que jamais un étranger dans cette position ne serait expulsé à moins de motifs tellement graves que le gouvernement en devrait compte à la chambre, que d'ailleurs l'année suivante, il irait au-devant du rétablissement de cet article 2 n°2 de la loi de 1835. » Nous réclamons l'exécution de cette promesse.

N'est-il pas évident qu'un étranger qui a épousé une femme belge dont il a des enfants nés sur notre sol s'est identifié avec le pays même ? L'expulser, ce n'est pas seulement expulser un étranger, c'est expulser également sa femme qui est Belge, ses enfants qui, nés sur notre territoire, auront le droit, à leur majorité, de réclamer la qualité de Belges.

Cet étranger peut, dit-on, obtenir l’autorisation de fixer son domicile en Belgique, mais il y a une différence entre les deux hypothèses. L'étranger autorisé à établir son domicile en Belgique jouit d'autres avantages que celui qui se trouve dans la position dont nous nous occupons. Relativement à ce dernier, je demande seulement qu'il ne puisse être expulsé pour des faits qui ne sont pas qualifiés crimes ou délits par nos lois.

Les motifs d'équité et si favorables sur lesquels repose l'amendement de M. de Perceval, doivent à mon avis le faire adapter par la chambre.

M. Coomans. - Messieurs, je voudrais dire deux mots à l'appui du projet du gouvernement. On l'a beaucoup attaqué jusqu'à présent, et M. le ministre seul l'a défendu. Je ferai observer, en termes sommaires, que les Belges seuls ont le droit de faire de la politique en Belgique, de la politique hostile à l'ordre public, bien entendu. C'est un principe que je crois pouvoir soutenir.

Evidemment la loi qui nous est proposée tend à frapper l'étranger qui, non satisfait d'exercer ses droits civils chez nous, se mêlerait bruyamment de nos affaires politiques. Cela est si vrai, que la Constitution accorde des droits politiques aux Belges et n'en accorde pas aux étrangers. L'article 19 dit : « Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, etc. » L'article 20 dit : « Les Belges ont le droit de s'associer, etc. »

Il s'agit, je pense, messieurs, d'empêcher que des étrangers ne fassent de la politique désordonnée en Belgique, et ne méconnaissent ainsi les devoirs qu'ils ont contractés envers le pays qui les a libéralement accueillis.

Quand la Belgique reçoit des étrangers chez elle, elle leur garantit l'exercice des droits civils et non des droits politiques. Elle protège leurs biens et leurs personnes, rien de plus. Leur accorder des droits politiques, c'est tendre à leur accorder aussi le droit de vote. Or personne ne veut certes aller jusque-là.

L'intervention des tribunaux serait insuffisante, car il s'agit souvent parfois d'expulser un étranger qui compromet l'ordre sans violer aucun texte de loi. Les tribunaux ne sont appelés qu'à faire respecter les lois. Ils ne font pas la police.

Messieurs, on a parlé aussi de l'antique hospitalité belge qui doit nous servir d'exemple. Mais anciennement les étrangers jouissaient de moins de garanties en Belgique qu'aujourd'hui. Il faut ne pas avoir lu attentivement notre histoire pour nier ce fait.

Du reste jusqu'à présent aucun des ministères qui se sont succédé en Belgique n'a abusé de la faculté qui lui était laissée. Je ne vois aucun inconvénient à ce que le gouvernement en use encore. S'il faut des garanties aux étrangers, ce que je ne nie point, il me semble que les Belges peuvent en exiger aussi de leur part.

M. Deliége. - Je dirai quelques mots pour appuyer l'amendement de M. de Perceval.

M. le ministre a dit qu'il fallait des motifs beaucoup plus graves, pour expulser un étranger marié, il a ainsi légitimé cet amendement.

Si l'étranger commet un crime, un délit, s'il trouble la tranquillité publique, le gouvernement est armé, il a ses lois de police.

En expulsant un étranger, on expulse en même temps sa femme, qui est Belge.

Elle a perdu sa qualité de Belge en épousant un étranger, dira-t-on ; mais elle est restée Belge de cœur ; elle a témoigné, en restant en Belgique, l'intention de conserver les liens qui rattachaient au pays.

On expulse aussi ses enfants, sa famille.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - C'est une erreur, on n'expulse pas les femmes et les enfants.

M. Deliége. - On les expulse de fait, car la femme est obligée, par la loi, à suivre son mari.

Dès lors, en expulsant le mari, vous expulsez par le fait la femme. Il peut arriver que cet homme soit un négociant, un industriel, qu'il soutienne sa famille de son état, de son travail ; et vous pouvez l'expulser avec sa femme et ses enfants qui doivent le suivre ; c'est-à-dire que vous pouvez le plonger dans la misère !

Je crois, messieurs, qu'il faut plus de garanties pour celui qui réside depuis assez longtemps en Belgique, qui y a une famille, que pour l'étranger qui n'est dans le pays que depuis peu de temps, qui n'y est pas marié, qui ne tient à la Belgique par aucune espèce de lien.

Je voterai donc pour l'amendement de l'honorable M. de Perceval.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je ne puis laisser passer ce qui a été dit tout à l'heure par l’honorable M. Lelièvre sur l'interprétation de la loi du 2 octobre 1835, relative aux extraditions.

Suivant l'honorable M. Lelièvre, l'extradition ne serait que facultative. Il se fonde sur l'article premier de la loi, qui dit :

« Le gouvernement pourra livrer aux gouvernements des pays étrangers, à charge de réciprocité, etc. »

La loi a donné, il est vrai, une faculté au gouvernement ; mais c'est la faculté de faire des traités; lorsque des traités existent, le gouvernement est obligé de les exécuter. C'est ainsi que dans les traités faits avec la France, avec la Prusse et d'autres pays, sur les extraditions, nous nous sommes engagés de la manière la plus formelle à livrer à ces pays tous les étrangers qui auraient commis des crimes ou des délits indiqués dans la loi de 1833. Les dispositions des traités sont formelles.

« Le gouvernement belge et le gouvernement français s'engagent par la présente à se livrer réciproquement, à l'exception de leurs nationaux, les individus réfugiés de Belgique en France, et de France en Belgique;» et tous les traités sont conçus de la même manière.

Ce n'est donc pas une simple faculté que nous avons de livrer les individus appartenant aux pays qui ont avec nous des traités d'extradition. C'est une obligation que nous contractons, et que nous devons remplir dans les circonstances déterminées par la loi et les traités.

Quant à l'amendement de l'honorable M. de Perceval, je crois toujours qu'il n'est nullement nécessaire. Comme j'ai eu l'honneur de le dire à la chambre, le gouvernement n'use du droit d'expulsion contre des étrangers mariés en Belgique que dans des circonstances extrêmement rares, et alors il faut que les faits soient tellement graves que cette mesure sévère soit parfaitement justifiée. Ce cas ne s'est présenté, je pense, que deux ou trois fois depuis la loi de 1835 ; et si les circonstances dans lesquelles l'expulsion a été prononcée étaient exposées à la chambre, je suis persuadé qu'elle reconnaîtrait que le gouvernement a eu de justes motifs d'agir comme il l'a fait.

Le gouvernement continuera, messieurs, à apporter, dans l'application de la loi, toute la modération possible, et principalement en ce qui concerne les étrangers qui sont dans la catégorie de ceux auxquels s'applique l'amendement de l'honorable M. de Perceval.

- La discussion est close.

Les amendements de M. Lelièvre et de M. de Perceval sont mis successivement aux voix ; ils ne sont pas adoptés.

- L'article premier est adopté.

Article 2

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

84 membres sont présents.

76 adoptent.

6 rejettent.

2 s'abstiennent.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Troye, Van den Berghe de Binckum, Van den Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp , Dedecker , de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Pilleurs, de Renesse, de Royer, Desoer, de Theux, de T Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dubus, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Debourdeaud'huy, de Perceval, Destriveaux, Lelièvre, Lesoinne et Liefmans.

MM. David et Orts se sont abstenus.

M. David. - J'admets, messieurs, qu'il faille une loi d'expulsion, mais j'aurais désiré que celle qui vient d’être votée eût contenu plus de garanties pour les étrangers et principalement pour ceux qui se sont mariés en Belgique et qui ont des enfants. Pour cette raison, je n'ai pu voter ni pour, ni contre la loi.

M. Orts. - Je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce que je crois qu'une loi semblable est nécessaire en Belgique ; je n'ai pas voulu voter pour la loi, parce que le rejet de l'amendement de M. de Perceval lui conserve un caractère injuste et réactionnaire qu'il m'était impossible d'admettre.

M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

Projet de loi supprimant le conseil des mines

Discussion générale

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, j'ai demandé la parole au début de cette discussion pour expliquer les motifs qui ont déterminé le gouvernement à proposer la suppression du conseil des mines et le but qu'il poursuit en maintenant sa proposition, malgré les conclusions contraires de la section centrale.

Le gouvernement ne regarde pas le conseil des mines comme une institution mauvaise, vicieuse ; bien moins encore regarde-t-il les membres qui le composent comme des hommes indignes de votre confiance. Loin de là, le conseil des mines a rendu tous les services qu'on était en droit d'attendre de son institution, et les membres qui le composent sont des hommes à la probité et aux lumières desquels je me plais à rendre (page 887) hommage. Mais le gouvernement a pensé que, pour répondre au vœu d'économie qui avait été manifesté dans le pays, il était de son devoir de retrancher non seulement toute institution mauvaise dans son principe, nuisible, funeste, mais encore toute institution, tout rouage, toute chose dont le maintienne serait pas reconnu indispensable, toute institution, tout rouage qui pourrait être supprimé sans qu'il en résultât un mal réel pour le pays.

Tel est, messieurs, le point de vue sous lequel le gouvernement a envisagé cette question.

Messieurs, les observations mêmes qui précèdent doivent suffire pour vous faire présager l'attitude que le gouvernement compte garder dans ce débat. Je me propose d'expliquer franchement à la chambre les motifs qui ont déterminé ma conviction.

Mais si cette conviction n'était pas partagée par la majorité de cette chambre, si la chambre était plus frappée des dangers de supprimer une institution qui a utilement fonctionné jusqu'à ce jour, que de l'économie que sa suppression pourra procurer au pays, nous accepterons sa décision sans la moindre répugnance. C'est vous dire, messieurs, que, tout en persistant dans son projet, le gouvernement n'entend faire violence à aucune conviction.

La chambre comprendra facilement ce que je vais lui dire, à savoir qu'à peine arrivé au département des travaux publics, entièrement étranger aux questions spéciales que les affaires des mines soulèvent, n'ayant appris en quelque sorte à connaître le conseil des mines que sur le papier, ou par l'expérience de quelques rares affaires, je ne me suis déterminé à proposer la mesure qui est en ce moment transmise à vos délibérations, qu'après m'être entouré de tous les avis qui pouvaient être de nature à m'éclairer, à me rassurer sur ses conséquences.

J'ai examiné attentivement le nombre et la nature des affaires sur lesquelles le conseil des mines avait été appelé à statuer, depuis sa création ; j'ai étudié soigneusement les affaires les plus difficiles qui lui avaient été soumises, et j'ai recherché si ces affaires étaient de telle nature qu'un ministre, étranger à cette étude spéciale, pût les décider en connaissance de cause, même sans le secours de l'avis du conseil.

Après avoir ainsi éclairé ma conviction, je me suis cru suffisamment autorisé à soumettre le projet de loi aux délibérations de mes collègues dont le plus grand nombre, notez-le bien, a passé avant moi au département des travaux publics, dont un a fait partie du conseil des mines, et dont un cinquième enfin est initié mieux que personne, par une très longue pratique des affaires, aux intérêts et aux besoins d'un de nos districts miniers les plus importants.

Ce n'est, messieurs, qu'après avoir mis ainsi ma conviction à l'épreuve de l'expérience d'autrui, ce n'est qu'après avoir, même en dehors du conseil, consulté les hommes les plus compétents, que je me suis enhardi à vous soumettre cette proposition : si je me suis trompé, c'est là ce qui doit excuser mon erreur.

Me serais-je trompé en effet? A ne voir que la surface des choses, à n'entendre que les voix nombreuses qui se sont élevées de toutes parts pour la défense du conseil attaqué, on serait tenté de le croire. Mais qu'on ne s'abuse pas, ces voix ne sont pas les voix de l'opinion publique. Il est arrivé en cette circonstance ce qui est arrivé parfois au siège d'une place forte, où une garnison très peu nombreuse a réussi à se multiplier par le courage et la vivacité de sa défense.

Je respecte beaucoup le droit sacré de la défense. Mais je crois être en droit de dire qu'on ne doit pas en accepter les manifestations même les plus vives et les plus variées, comme le jugement de l'opinion du pays.

Messieurs, vous savez quelle est la loi qui régit les demandes en concession de mines; vous savez par quelles épreuves multipliées une demande de cette nature doit passer avant d'être soumise à la décision du gouvernement.

Après que l'ingénieur du district a été appelé à en connaître, arrive l'ingénieur de la division qui juge la question d'art, en quelque sorte en degré d'appel; puis un corps doublement électif qui, par sa nature même, présente les garanties les plus complètes d'impartialité et d'indépendance. C'est à ce degré que se place l'intervention du conseil des mines. S'il est contraire à la demande, son avis lie le gouvernement qui ne peut accorder la concession ; si l'avis est favorable, libre au gouvernement d'accorder ou de refuser.

C'est cette dernière épreuve, c'est l'épreuve du conseil des mines que nous vous proposons, messieurs, de supprimer, mais en donnant en même temps à tous les intérêts de plus fortes garanties de publicité; et en remplaçant un ministre unique par le conseil des ministres placé dans la nécessité de motives sa décision dans la forme des jugements. Toutes ces formes, pensons-nous, constituent, dans leur ensemble, la garantie la plus complète qu'on puisse désirer.

Avant d'entrer plus avant dans cette démonstration, j'attendrai les objections qui seront présentées par les adversaires du projet en discussion.

M. Allard. - Messieurs, l'exploitation des mines est une des branches les plus importantes de la richesse nationale, les concessions sont toujours vivement recherchées, il faut donc que la loi oppose une puissante barrière au favoritisme et à l'arbitraire.

Toujours la découverte d'une mine est le résultat de dépenses très considérables; souvent il faut non seulement payer de sa bourse, mais encore à payer de sa personne et courir les plus grands dangers. Il ne faut pas qu'un particulier, après avoir exposé sa fortune et sa vie, soit évincé par des hommes puissants par leur fortune et par leur influence électorale.

Le projet que nous discutons remplacera-t-il effectivement les conditions que consacre la loi du 2 mai 1837? Je ne crains pas d'affirmer le contraire.

J'ai lu attentivement les longues et profondes discussions qui ont précédé l'adoption de cette loi; je dois le dire, ce n'est pas sans une vive reconnaissance pour ses auteurs que j'ai vu le soin avec lequel ils ont assuré et coordonné les droits et les intérêts de la propriété du sol, comme ceux de la propriété et de l'exploitation des mines.

La loi de 1837 a pris à tâche d'assurer par les précautions les plus minutieuses l'impartialité et l'indépendance des membres du conseil des mines, auxquels il ne manque que l'inamovibilité pour présenter toutes les garanties que l'on rencontre dans les magistrats.

Le projet, non content de substituer à ce conseil un corps électif, exposé à des influences de tous genres, écarte résolument, par l'abrogation pure et simple du titre premier de la loi de 1837, les dispositions tutélaires dont on avait jugé prudent d'entourer une institution stable et à l'abri de toute pression étrangère à ses devoirs.

Ainsi, par exemple, aux termes de l'article 2 de la loi actuelle, les membres du conseil des mines ne peuvent, ni leurs épouses, ni leurs parents en ligne directe, conserver un intérêt dans une exploitation de mines.

Ils sont censés démissionnaires, si eux-mêmes, leurs épouses et leurs parents en ligne directe conservent, pendant six mois, un intérêt dans une exploitation.

Ainsi, messieurs, un père, un fils peut faire destituer un membre du conseil des mines, par cela seul qu'il s'intéresse dans une exploitation ; qu'une succession échoie à un membre du conseil des mines, à son père ou à un de ses fils; que, parmi les biens de cette succession, il se trouve des actions dans une exploitation de mines, il faut que ce conseiller, s'il veut conserver sa place, s'empresse dans les six mois de vendre ou de faire vendre ces actions, s'il ne veut pas perdre sa place, et si cette succession est arrivée dans un moment de crise, il faut que cette propriété soit vendue à vil prix.

Cette exigence de la loi de 1837 vous paraîtra peut-être incroyable, messieurs; cependant aucun doute sur ce point n'est possible en présence de ce qui s'est passé lors de la discussion de cette loi, dans cette enceinte.

L'honorable M. Liedts s'étonnait alors de ce que la démission d'un membre du conseil put résulter du fait d'un tiers, ce qui arriverait si le père ou le fils d'un conseiller achetait quelque part dans une exploitation. C'est une garantie que la loi stipule, lui répondit le ministre de la justice. S ile conseiller tient à conserver sa place, il fera en sorte que l'obstacle cesse ; s'il ne peut pas y parvenir, il ne présente plus les garanties nécessaires, et dès lors il ne doit plus conserver des fonctions qui ne lui ont pas été conférées dans son intérêt, mais dans l'intérêt de la société. (Moniteur du 1er mai 1836.)

Le projet supprime cette disposition. Il est vrai que son maintien rendrait presque impossible, dans les provinces de Liège et de Hainaut, la composition de la députation permanente à laquelle on se propose de déléguer une partie des attributions du conseil des mines.

Messieurs, il est impossible de déléguer aux députations permanentes ces attributions. Ces députations subiront l'influence des grands propriétaires, l'influence électorale se fera sentir à chaque instant. On me dira peut-être: Mais toutes ou presque toutes les concessions de mines sont accordées. Je ne sais, messieurs, jusqu'à quel point cela peut être avancé. Qui peut dire qu'il n'y a plus de mines à découvrir en Belgique? Mais, messieurs, le conseil des mines n'est pas seulement institué pour les concessions nouvelles; son action est de tous les jours; voyons si les députations permanentes n'auront pas à subir, dans plusieurs circonstances, la pression électorale, quand bien même il n'y aurait plus de concession à accorder.

Nous avons les extensions de concessions. L'article 11 de la loi de 1837, vous le savez, messieurs, accorde la préférence au propriétaire de la surface lorsqu'il justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi.

Qu'une concession soit abandonnée, ou que des gisements de houille soient découverts par suite des travaux d'une concession voisine, que cette société demande une extension de concession, et qu'une famille, puissante par sa fortune, et surtout par son influence électorale, demande la concession, croyez-vous, messieurs, que l'influence de cette famille ne pourra pas être d'un grand poids dans la décision que devra prendre la députation permanente? Et cependant, messieurs, pourquoi cette famille puissante revendiquera-t-elle ce droit de préférence ? C'est, comme on l'a dit lors de la discussion de la loi de 1837, lorsqu'à côté d'elle un ancien exploitant aura fait connaître les ressources, les gisements, la profondeur, l'épaisseur, la direction des couches. Il est évident que les chances sont tout autres lorsque l'exploitation doit commencer là où rien n'est venu constater la situation intérieure du sol, et quand l'exploitation se fait avec une sorte de certitude à côté d'une ancienne exploitation.

« Supposez, disait l'honorable M. de Brouckere, lors de la discussion de cette loi, supposez, par exemple, le cas où un industriel, pour découvrir une mine, aurait fait des dépenses considérables, se serait ruiné en quelque sorte ; supposez le cas où le propriétaire, au lieu de s'associer à ces recherches, aurait cherché à les entraver. Ces deux hommes se trouvant en concurrence pour obtenir une concession, voulez-vous qu'on accorde la préférence au propriétaire qui n'a fait aucune recherche, aucunes dépenses, à qui il n'a été l'ait aucun préjudice, alors qu'un industriel a perdu son temps, a dépensé sa fortune à découvrir la mine ? »

Eh bien, messieurs, ce que disait alors notre honorable collègue, M. de Brouckere, pour la concession d'une mine, je le dis pour l'extension. Les (page 888) extensions de concession se demandent lorsque, par la direction, l'allure des veines, on reconnaît qu'il y a possibilité de les retrouver dans telle ou elle localité, ou lorsqu'une société a abandonné une concession. Est-il juste, dans ces cas, que le propriétaire de la surface ou une société, souvent uniquement composée de spéculateurs, qui n'a demandé la concession que pour la vendre quelque temps après l'avoir obtenue, ait la préférence sur la société voisine ?

Tout homme impartial répondra que la préférence doit être accordée à la société qui par ses travaux a fait découvrir la mine. Eh bien, messieurs, j'ai vu le contraire, bien avant l'adoption de la loi de 1837; j'ai vu accorder une concession au détriment d'une société voisine. Cette concession, messieurs, a déjà été vendue plusieurs fois, et à l'heure qu'il est, ses richesses minérales n'ont pas encore été exploitées, la bourse seule des actionnaires l'a été; il n'existe sur cette concession aucun vestige d'une exploitation. Et cependant, messieurs, si cette concession avait été accordée à la société voisine, ses produits seraient livres aujourd'hui à l'industrie.

Par l'article 12 de la loi de 1837, le gouvernement peut, sur la proposition du conseil des mines, déclarer qu'il y a utilité publique à établir des communications dans l'intérêt d'une exploitation de mines.

Cette disposition est très sage ; on conçoit que s'il n'en était par, ainsi, comme l'emplacement d'une bure dépend de l'allure des veines, l'exploitant ne pouvant choisir telle ou telle place pour l'établir, il pourrait arriver, sans cette disposition de la loi, que des propriétaires pourraient à volonté ruiner une exploitation.

Ici encore, messieurs, la députation permanente sera substituée au conseil des mines, ici encore l'influence électorale sera doublement à craindre; tous les jours nous le voyons, beaucoup de propriétaires s'opposent à ces communications, qui, je dois le dire, viennent quelquefois morceler des propriétés que l'on affectionne. Eh bien, messieurs, lorsqu'une communication nouvelle, nécessaire, utile, même indispensable, sera réclamée par une société charbonnière, si cette communication doit morceler des terres de 30 ou de 40 propriétaires électeurs, croyez-le-bien, il arrivera souvent que les députations donnent leur avis, sous la pression de l'influence de ces électeurs.

La loi que nous discutons ne parle pas du droit de récusation ; non seulement les membres des députations pourront posséder des intérêts dans les mines, mais encore ils pourront siéger lorsque l'on agitera une question qui les intéressera. Par l'article 6 de la loi de 1837, tout membre du conseil des mines peut être récusé pour les causes qui donnent lieu à la récusation des juges, aux termes de l'article 378 du Code de procédure civile.

En supposant maintenant que le droit de récusation pourrait être exercé, comment remplacera-ton les membres des députations qui seraient récusés?

Le conseil des mines est composé d'un président et de quatre conseillers, le roi peut nommer quatre conseillers honoraires; on comprend qu'en cas de récusation d'un ou de plusieurs conseillers, ils peuvent être remplacés par des conseillers honoraires. Mais pour les députations permanentes, comment fera-t-on?

Il est on autre point sur lequel j'appelle l'attention la plus sérieuse de la chambre , et dont le projet fait également bon marché ; je veux parler de la disposition, à mes yeux fondamentale, de la loi du 2 mai 1837, de celle que contient l'article7 qui porte, qu'aucune concession, extension ou maintenue de concession, ne peut être accordée contre l'avis du conseil des mines.

Je conçois que l'on ait reculé devant l'idée d'attribuer un semblable pouvoir aux députations permanentes ; mais est-ce à dire pour cela qu'il faille détruire une garantie aussi puissante, et sans laquelle, je ne crains pas de le dire, la loi de 1837 n'eut pas été acceptée par les chambres ?

Pour moi, la valeur de la loi du 2 mai 1837 réside tout entière dans cette garantie, et certes dans la vue d'économiser quelques milliers de francs, je ne consentirai pas à en faire le sacrifice.

Est-il convenable ensuite, pour obtenir ce mince résultat, de priver les intéressés d'un recours que leur offre la législation actuelle, et surtout de celui qui offre le plus de garanties? N'est-ce pas ici le cas d'appliquer les paroles si sages, prononcées dans la séance du 23 décembre dernier par l'honorable ministre des finances, lorsqu'en proposant d'ouvrir en matière de patentes, un recours en cassation contre les décisions des députations permanentes, il nous disait : « C'est consacrer les principes les plus arbitraires que de laisser des corps comme des députations permanentes, créer des jurisprudences spéciales, applicables seulement à leurs provinces, et souvent contradictoires. » (Annales parlementaires, n°357.)

Ce danger que l'on redoute lorsqu'il s'agit d'intérêts assez minimes, d'où vient qu'il disparaît lorsqu'il est question de décider sur des droits et des intérêts très importants ? L'intervention du conseil des ministres ne me rassure nullement sur ce point. J'ai la plus entière confiance dans les membres du cabinet, et je ne craindrais pas de leur abandonner les pouvoirs illimités, pour ne pas dire arbitraires, que le projet attribue au gouvernement, si ces pouvoirs devaient cesser avec l'existence du ministère actuel; mais, malgré tous les souhaits que je forme pour sa longue durée, elle doit avoir un terme; et peut-être alors aurait-on à regretter l'étendue de ces pouvoirs. Je ne veux pas assumer une semblable responsabilité. Souvenez-vous, messieurs, qu'avec notre loi de 1837, un pays voisin n'eût pas été le théâtre d'un des plus grands scandales qui puissent affliger une nation, celui d'un ministre prévaricateur.

Aussi voyez la défaveur avec laquelle a été partout accueillie la proposition de mutiler cetlte loi! Pas une voix si je ne me trompe, ne s'est élevée pour approuver cette mesure, tandis qu'au contraire la plupart des organes de la presse l'ont énergiquement combattue, que les chambres de commerce, les sociétés charbonnières en réclament le maintien; à Bruxelles comme à Liège, à Mons comme à Charleroy, ailleurs encore, le projet fait naître les plus vives critiques.

Cette réprobation unanime mérite d'être prise en sérieuse considération; mais, dira-t-on, peut-être qu'elle n'est que l'écho d'intérêts privés. S'il arrive parfois que l'intérêt particulier parvienne à donner le change sous couleur d'intérêt général, il est impossible d'admettre que la presse tout entière, les chambres de commerce, les sociétés charbonnières, se soient mises, en cette circonstance au service de calculs privés.

Pour ma part, j'y vois l'expression de la véritable opinion publique, et je n'hésite pas à m'y rallier, en repoussant le projet de loi : je le repousserais d'ailleurs, n'eût-il d'autre vice que de constituer un monopole, non seulement au profit de certaines provinces, mais encore au profit de certains arrondissements; car il ne faut pas se faire illusion sur le résultat, auprès de l'autorité provinciale, d'une demande en concession faite par un habitant d'Anvers ou des Flandres, par exemple, et un habitant de la province, de l'arrondissement où la mine est située; et que sera-ce si celui-ci est un électeur influent ? Je voterai contre la loi.

M. Lelièvre. - Messieurs, le gouvernement, pour satisfaire au vœu des chambres et du pays de voir réaliser des économies, vous propose la suppression du conseil des mines établi par la loi du 4 mai 1837. Il pense que, dans l'état actuel des choses, le concours de ce corps qui a rendu des services incontestables à la chose publique n'est plus nécessaire à l'administration et que les garanties qu'il présente peuvent être obtenues par d'autres dispositions réglementaires qu'on soumet à notre sanction.

Je viens appuyer cette opinion, quoiqu'elle n'ait pas reçu l'assentiment de la majorité de la section centrale.

Il me semble que l'instruction minutieuse et contradictoire introduite par le projet ne laisse rien à désirer; les parties discutent longuement et avec la garantie de la plus grande publicité le mérite de leurs prétentions, la députation permanente du conseil provincial émet son avis qui est communiqué aux intéressés. Ces derniers sont en mesure de le débattre, d'en signaler les erreurs, de rectifier les faits et raisonnements qui lui servent de base. Une instance s'engage encore devant le ministre des travaux publics, et c'est après une nouvelle instruction dans laquelle les parties ont pu épuiser leurs moyens de défense, que le conseil des ministres prononce définitivement par arrêté royal motivé en forme de jugement.

J'estime qu'une décision entourée de tant de formalités tutélaires offre toutes les garanties que l'on soit en droit d'exiger. Tout se traite à la vue de tous; la liberté la plus étendue de la défense est laissée aux intéressés; tous les éléments de l'instruction leur sont communiqués, rien donc ne manque pour éclairer l'autorité chargée d'apprécier le mérite des droits contestés.

Toutefois la section centrale a pensé que la décision du conseil des ministres est loin de sauvegarder les intérêts privés aussi puissamment que l'institution actuelle du conseil des mines, corps permanent habitué à traiter les affaires spéciales dont il s'agit.

Je ne saurais partager cette opinion, d'abord parce que, sous la législation qui nous régit, le conseil des mines n'émet qu'un simple avis, de sorte qu'en définitive c'est le ministre qui prononce en dernier ressort et exerce la mission qu'on redoute de lui conférer d'une manière plus générale. Et puis, messieurs, ne sait-on pas que les résolutions des corps permanents de la catégorie de celui dont il s'agit sont ordinairement adoptées sur le rapport de l'un de ses membres, qui seul s'occupe sérieusement de l'affaire et fait presque toujours prévaloir son opinion. A cet égard, nous ne pensons pas nous écarter de la vérité en proclamant que le plus souvent c'est le membre le plus instruit, le plus éclairé qui juge seul le différend, c'est le rapporteur qui tranche le débat.

Or, à mon avis, le conseil des ministres responsables, qui certes tient à cœur de rendre à chacun ce qui lui est dû, non moins que tout autre corps constitué, le conseil des ministres dans une question où s'agitent des intérêts purement privés et étrangère à toute préoccupation politique, me paraît pouvoir dignement remplir sa mission et ne le céder à personne sous le rapport des lumières et de l'impartialité.

D'un autre côté, l'existence de corps permanents chargés de statuer exclusivement sur certain genre d'affaires peut en général donner lieu à des inconvénients que l'on ne rencontre pas dans un conseil des ministres dont le personnel se renouvelle fréquemment.

Inutile de dire que je raisonne ici en principe, sans application aucune à la composition du conseil des mines actuel, qui compte dans son sein des hommes éminents sous tous les rapports; mais, messieurs, comme on vous l'a dit, les hommes passent et les institutions demeurent. Lorsque nous travaillons pour l'avenir, lorsque nous posons les bases d'institutions solides et durables, les considérations actuelles de personnes ne doivent exercer aucune influence sur nos esprits.

Pour apprécier le projet qui vous est soumis, il me semble nécessaire de ne pas perdre de vue la nature des questions soumises au conseil des mines. S'agit-il de questions d'art, le conseil ne peut que se référer, comme le ministre lui-même, aux hommes spéciaux et compétents sur la matière. Les contestations sur les droits de propriété sortent de ses attributions et sont renvoyées aux tribunaux. Il ne reste donc plus que des questions de préférence qui ne présentent que des points de fait qu'il sera facile de décider, surtout après la longue instruction que les affaires doivent subir d'après le projet, difficultés sur lesquelles la députation permanente est appelée à émettre un avis motivé.

A cet égard, messieurs, les explications du ministre des travaux publics devant la section centrale nous ont révélé un fait important, c'est que (page 889) relativement aux demandes en concession ou en maintenue, le conseil des mines n'a eu le plus souvent qu'à homologuer lus résolutions prises par les députations des conseils provinciaux, circonstance qui prouve en fait que la composition de ces corps électifs ne présente pas les inconvénients qu'a redoutés la section centrale et, d'un autre côté, que l'on peut sans témérité considérer désormais comme inutile le corps dont on vous propose la suppression. Ce qui me paraît encore conduire à cette conséquence, c'est que les principales difficultés que faisaient naître les affaires de mines ont été tranchées par des décisions de principe qui ont fixé la jurisprudence en cette matière; les règles fondamentales qui doivent faire apprécier la plupart des contestations sont donc posées, et le conseil des ministres les prendra pour base de ses délibérations.

D'un autre côté, si l'on prend garde au petit nombre d'affaires qui restent soumises au conseil des mines, il ne paraît guère possible de laisser subsister une institution dont l'existence occasionne à l'Etat des dépenses qui ne sont plus en harmonie avec son utilité réelle.

La question financière n'est pas ici sans importance. Or, si l'on remarque que le projet qui vous est soumis tend à réaliser une économie de certaine valeur, on ne peut, ce me semble, hésiter à adopter une mesure qui doit procurer au pays un avantage matériel sans compromettre aucun intérêt, sans porter atteinte à de légitimes garanties. Telles sont les considérations qui détermineront mon vote favorable au projet?

Du reste, messieurs, nous aimons à le dire, les membres du conseil des mines se sont acquittés de leurs fonctions avec un zèle et une intelligence au-dessus de tout éloge. Aussi lors de la discussion du budget des travaux publics, je m'associerai avec bonheur à la proposition équitable du ministère, ayant pour objet de rémunérer d'importants services que la chambre s'empressera de reconnaître.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je demanderai à ajouter quelques observations à celles qui viennent d'être présentées. Je vous ai dit tout à l'heure l'attitude que le gouvernement a résolu de garder dans ce débat. Il reste à examiner la question de savoir si le projet de loi qui est soumis a vos délibérations présente toutes les garanties désirables de probité et de lumières, des garanties égales à celles que présente la loi actuellement en vigueur.

On l'a contesté, messieurs. En effet, vous a-t-on dit, l'on peut exercer contre les membres du conseil des mines de nombreuses récusations ; il leur est prescrit de rester étrangers à toute exploitation de mines; si leurs épouses, si leurs parents en ligne directe y sont intéressés, ils sont réputés démissionnaires.

Or, dans la députation permanente vous ne rencontrez rien de tel.

Je ferai remarquer que c’est là une erreur. Il y a dans la loi provinciale des dispositions de nature à écarter le danger dont on se préoccupe. En effet, cette loi interdit aux membres des députations permanentes de prendre part aux délibérations auxquelles eux-mêmes ou un de leurs parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclusivement ont un intérêt personnel direct.

En fait depuis 1837, les députations permanentes ont fonctionné de telle sorte que les avis qu'elles ont émis en matière de concessions de mines ont été régulièrement homologués par le conseil. A coup sûr je ne prétends pas faire un crime au conseil d'avoir sanctionné des avis qu'il a reconnus bien et légitimement émis. Mais ce fait même prouve que les députations permanentes offrent, sous le double rapport de l'impartialité et des lumières, toutes les garanties désirables.

Une disposition de la loi de 1837 qu'on vous a signalée comme une des plus tutélaires est celle qui défend d'accorder aucune concession, extension ou maintenue de concession contre l'avis du conseil. Eh bien, messieurs, combien de fois le conseil des mines a-t-il en l'occasion d'aviser pour le rejet d'une concession à laquelle une députation avait été favorable? Jamais. Ainsi, depuis 1837, cette garantie, dont on regrette l'absence dans la loi nouvelle, n'a pas eu, une seule fois, l'occasion d'être mise en action.

Quelle peut-être, dès lors, je vous le demande, son importance réelle?

Au demeurant, on vous a parlé des dangers du pouvoir, arbitraire: que le projet de loi semble confier au conseil des ministres. On a toute confiance, dit-on, dans les ministres actuels, mais il pourrait s'en présenter qui fussent inspirés par de mauvaises passions, qui fussent disposés à se laisser entraîner à accorder des concessions qu'ils devraient rejeter. Mais, comme l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable M. Lelièvre, s'il faut tenir compte de la faiblesse humaine et de ses dangers. Il n'y a pas plus de raison de se défier d'un conseil des ministres que d'un conseil des mines. Je défie qu'on signale une raison qui rende l'un plus suspect que l'autre.

Consultez le cœur humain, abstraction faite des personnes auxquelles je rends un éclatant hommage. Il y a dans un collège consultatif un danger qui n'existe pas dans un conseil qui décide. Dans le premier, c'est en réalité le rapporteur dont l'avis entraîne d'ordinaire celui de ses collègues, et ceux-ci lui servent de rempart contre la censure publique.

L'avis émis par le collège n'est l'avis de personne. Il n'en est point ainsi du ministre qui est appelé à décider, dont la responsabilité est en évidence, dont tous les actes sont discutés au grand jour, et dont la décision est préparée, et en quelque sorte commandée par une longue instruction telle que vous la voyez réglée par le projet de loi, en présence d'intérêts contraires, appelés, à chaque pas, à se défendre.

Comment, dans de telles circonstances, supposer la possibilité d'un acte d'improbité?

Quant aux garanties de lumières, vous les trouvez aussi complètes dans la loi en discussion, que dans la loi de 1837. Il y a des questions d'art et des questions de préférence. Les questions d'art, le conseil des mines est aussi peu compétent pour les trancher que le conseil des ministres lui-même ; l'un et l'autre sont tenus de s'en rapporter à l'avis des officiers des mines.

Où est la garantie? Dans le débat contradictoire que le gouvernement est forcé de provoquer à tous les degrés. Dans le contrôle que l'ingénieur de division exerce sur l'ingénieur de district, et l'inspecteur ou le directeur du département de quelque nom que vous l'appeliez, qui contrôlera à son tour l'ingénieur de division. En examinant de près les affaires sur lesquelles le conseil des mines a été appelé à statuer, j'ai reconnu que chaque fois qu'une question de cette nature a été soulevée, il a été forcé de faire ce que ferait en pareille circonstance le conseil des ministres ; c'est-à-dire de consulter les officiers des mines dont je viens de parler; et c'est leur avis qui a servi de base à ses résolutions.

Que s'il s'élève un débat sur le droit de propriété, le conseil des ministres sera tenu, forcé de se dessaisir, comme le conseil des mines est tenu de le faire sous l'empire des lois en vigueur; ces questions demeureront exclusivement du ressort des tribunaux, et le gouvernement devra, pour leur solution, renvoyer les parties à se pourvoir devant le juge civil, pour y faire valoir leurs droits comme le conseil.

Restent les questions de préférence, dont l'honorable M. Allard vient de vous entretenir. Or, ces questions sont régies par des principes que la loi définit de la manière la plus simple et la plus claire. Le peu d'obscurité qu'ils pouvaient présenter a été dissipé par une jurisprudence désormais constante; il est impossible qu'avec du bon sens on ne trouve pas le moyen de résoudre des questions de cette nature, sans qu'il soit besoin d'y être préparé par des études spéciales.

Je pense donc que sous le rapport des lumières, comme sous le rapport de la publicité, vous trouvez dans le projet de loi toutes les garanties qu'on est raisonnablement en droit de demander.

Il ne faut pas perdre de vue , comme je l'ai dit à la section centrale que ces questions tendent à devenir de jour en jour plus rares, et qu'il serait difficile d'employer le conseil des mines exclusivement à leur examen. On a fait observer que le conseil des mines devrait être conservé comme le noyau d'un conseil d'Etat, qu'on pouvait utiliser ses services pour l'examen de toutes les questions contentieuses des divers départements ministériels.

On a pensé que l'on réaliserait ainsi une économie de 100,000 fr., annuellement. C'est une grande erreur, messieurs; les recherches auxquelles je me suis livré m'ont permis de constater que les sommes payées par les divers départements ministériels, tant pour frais judiciaires que pour honoraires d'avocats, pendant une période de 5 ans, de 1842 à 1847, ne se sont pas élevées toutes ensemble en moyenne à une somme de 100,000 francs par année. Or ces frais, ces honoraires ont été faits et mérités pour tous les procès que le gouvernement a eu à soutenir dans toute l'étendue du pays.

Prétendrait-on par hasard convertir les conseillers des mines, en avocats ambulants qui iraient plaider pour le gouvernement) devant toutes les juridictions? Evidemment personne n'a une telle idée. Ce n'est que comme comité consultatif que le conseil des mines pourrait être utilisé ; et l'économie qui en résulterait ne serait ni de cent ni de dix mille francs. Ce qu'on paye pour honoraires de consultations, sur des questions litigieuses avant de les soumettre aux débats judiciaires, ne mérite pas même d'être porté en ligne de compte.

Il y a plus, il y aurait danger à consulter le conseil des mines sur les questions contentieuses. Car il arriverait de deux choses l'une, ou bien que l'avis émis par le conseil pourrait exercer une trop grande influence sur les décisions des tribunaux, ou bien, que les tribunaux s’écartant des décisions du conseil, celui-ci perdrait toute autorité dans l'estime publique.

En définitive, messieurs, la question que vous êtes appelés à résoudre est celle-ci : l'institution du conseil des mines est-elle indispensable, les garanties qu'il présente ne peuvent-elles s'obtenir d'une autre manière? Dans ce cas vous n'hésiterez pas à rejeter le projet qui vous est soumis ; car il faut avant toutes choses que les précieux intérêts dont on vous a entretenus soient sauvegardés. Mais s'il est vrai que vous trouviez dans le projet de loi des garanties suffisantes, en même temps que moins coûteuses, vous n'hésiterez pas davantage, pensons-nous, à l'accueillir.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. de Theux. - Lorsque la loi qui a institué le conseil des mines a été votée en 1837, elle avait été précédée de longues discussions : la chambre y avait consacré dix-neuf séances. Aujourd'hui, après une demi-heure de discussion, il s'agirait de renverser de fond en comble les dispositions fondamentales de cette loi. Je pense que ce n'est pas sérieusement qu'on demande la clôture, à moins qu'on ne veuille ouvrir la discussion sur l'article premier, qui renferme le principe de la loi.

M. Destriveaux. - Je m'oppose également à la clôture, parce que les intérêts extrêmement graves dont il s'agit ici méritent d'être discutés. Quand il est question de supprimer un établissement très utile auquel M. le ministre a rendu hommage, il ne faut pas procéder à la légère.

- La chambre, consultée, rejette la demande de clôture.

(page 890) M. Dumortier. - Je regarde la loi maintenant en discussion, comme une des plus sérieuses et une des plus graves dont nous ayons à nous occuper. Je regarde la suppression de la garantie que forme le conseil des mines dans la concession de nos richesses minérales, comme une des choses les plus fâcheuses qui put arriver en Belgique.

Ici, qu'il me soit permis de le dire à la chambre, je parle en converti. Lorsque la question du conseil des mines fut présentée à cette assemblée, je n'étais pas favorable à cette institution. Mais c'est précisément l'expérience des faits qui se sont passés depuis qui m'a démontré jusqu'à l'évidence la nécessité de conserver cette institution, qui m'a prouvé que rien ne pourrait remplacer les garanties qu'elle offre ; qui m'a démontré que le système qu'on vous présente, et dont le résultat serait de substituer aux concessions par le conseil des mines, les concessions par le conseil des ministres, serait la destruction la plus complète de toute espèce de garanties en matière de concessions.

En effet, quelles sont les garanties qu'offre le conseil des mines ?

Ces garanties sont de deux ordres : la science et l’indépendance. A ces garanties il faut en ajouter un autre ; c'est qu'aucun membre du conseil des mines ne peut être intéressé dans des opérations de mines et qu'il doit se récuser dans les affaires qui concernent ses parents jusqu'au cinquième degré. Or, cette garantie, la trouverez-vous dans le gouvernement, la tournerez-vous dans le ministère? Je n'hésite pas à déclarer que vous ne pouvez pas espérer l'y rencontrer.

Les ministères passent ; et supposez même que vous trouviez cette garantie dans le ministère actuel, ce que je n'ai pas à examiner, car c'est ici une question de principe que je discute, je dis qu'il n'est pas impossible que, par suite d'un changement ministériel, nous ayons un ministère qui ne comprenne nullement les questions de mines. Je dis qu'il n'est pas impossible qu'il se forme un ministère complètement étranger aux concessions de mines, qui ne comprenne rien, absolument rien en cette matière. Et c'est à un conseil des ministres complètement ignorant en cette matière que vous livrerez la concession de toutes les richesses minérales de la Belgique !

Messieurs, qu'est-ce qu'une concession de mines? Vous le savez, c'est le don d'une valeur quelquefois immense. Car vous avez telle mine qui vaut 2, 4, 8,10 millions de francs. Eh bien, cela se donne, cela se concède pour rien, pour le plaisir de l'obtenir. Or, vous devez comprendre qu'il n'est rien de plus alléchant que d'obtenir de pareilles concessions et que dès lors il est juste que le pays, que la chambre désire voir toutes les garanties possibles entourer de pareilles donations.

J'ai vu tout à l'heure quelques membres sourire à l'audition de la valeur que j'ai assignée aux mines. Messieurs, je vous le demande, la plupart des mines de zinc qui se concèdent aujourd'hui et qui sont encore à concéder, ne valent-elles pas 8 à 10 millions? Il y en a même dont la valeur est plus considérable. Moi-même j'ai vu en ma présence offrir 12 millions d'une mine de houille. Il est évident que la concession de valeurs aussi considérables ne peut être donnée à un particulier, sans qu'il a fait au moins, en faveur de ses concurrents, toutes les garanties qui entourent ces concessions.

Toute concession de mine est même aux yeux de la loi une question de préférence. De droit, il n'en existe pas ; une préférence, voilà tout.

Eh bien, je ne veux pas que cette préférence, entre les mains du gouvernement, puisse devenir, un jour, un moyen de tripotage administratif, ou un moyen politique. Je veux, pour l'honneur de mon pays, que les choses restent comme elles ont été depuis la création du conseil des mines ; je veux qu'aucune plainte ne s'élève en Belgique sur la concession de ces immenses richesses.

Car, messieurs, il est bon de le remarquer, sous le gouvernement hollandais, les concessions de mines ont donné lieu à des plaintes très nombreuses. Dans d'autres pays, des plaintes semblables se sont élevées. En Belgique, au contraire, jamais aucune plainte ne s'est élevée sur l'action du conseil des mines ; et c'est cette institution, qui n'a soulevé aucune espèce de plainte, qu'on veut renverser pour obtenir une économie de 15,000 francs.

Je prouverai tout à l'heure que la suppression d'un seul des employés attachés aux mines suffirait pour combler cette différence.

J'ajouterai que, puisque les mines sont une pareille richesse, je préférerais beaucoup qu'elles payassent le conseil des mines, plutôt que de voir supprimer une pareille institution.

La concession des mines est une question de préférence. Mais vous devez comprendre qu'en pareille matière il importe beaucoup que cette question de préférence soit traitée par des hommes en dehors de toute action politique, en dehors de toute espèce de suspicion.

J'ai beaucoup de confiance dans les députations permanentes. Mais, veuillez-le remarquer, les députations permanentes sont le résultat d'une double élection. Que peut-il donc arriver? C'est qu'en pareille matière un membre de la députation peut être doublement évincé, soit de ses fonctions de conseiller provincial dans les élections, soit de ses fonctions de membre de la députation dans le conseil provincial. Eh bien, je dis qu'il importe de mettre les membres de la députation permanente à l'abri des hautes influences qui pourraient les expulser de leur position pour se venger de ce qu'on n'aurait pas obtenu telle ou telle concession de mines. Car, dans de telles questions de préférence, tout le monde croit avoir des droits égaux.

Une mine est ouverte; quatre, six, huit personnes la demandent; tout le monde croit avoir des droits égaux. Il ne faut pas qu'en pareil cas ceux qui n'auront pu accorder une concession soient exposés à la vengeance de ceux qui ne l'auront pas obtenue; comme, d'un autre côté, il ne faut pas qu'on puisse jamais accuser le ministère dans des matières semblables. Or, quand le ministère sera investi du pouvoir de concéder les mines, quelque bien qu'il fasse, il sera accusé par ceux qu'il aura évincés; on l'accusera de favoritisme, de corruption, de pot-de-vin, peut-être.

Eh bien, je ne veux pas, pour mon pays, que le ministère puisse être accusé ; je veux qu'il reste pur aux yeux de l'étranger et du pays. Je dirai qu'en pareille matière il ne suffit pas que la femme de César soit vertueuse, mais qu'il faut qu'on ne puisse même la soupçonner de ne pas être vertueuse.

Messieurs, les membres du conseil des mines offrent d'abord une garantie que le projet écarte d'une manière absolue. Ils ne peuvent être intéressés dans aucune espèce d'entreprises de mines. Viendra-t-on demander la même chose des ministres? Est-ce que vous écrirez dans la loi, que les ministres ne peuvent être actionnaires, ni par eux-mêmes ni par leurs parents, dans aucune espèce de mine? On ne manquerait pas de vous objecter que ce serait entraver l'action de la prérogative royale dans le choix de ses ministres. On ne vous laisserait pas introduire une pareille garantie dans la loi ; et cependant, cette garantie est une des plus importantes de la législation qui nous régit. Cette garantie, vous la supprimez en donnant les concessions de mines au conseil des ministres.

Vous direz que les députations permanentes sont entendues. Mais vous ne pouvez exiger que les membres des députations ne soient de par eux-mêmes, de par leurs parents, actionnaires de mines. Ce serait ici entraver l'action du peuple dans le choix de ses élus.

Il a donc fallu prendre des personnes intermédiaires ; ce sont les conseillers des mines, qui, eux, ne peuvent avoir aucune espèce d'intérêt dans les questions qui sont débattues devant eux ; et là, vous avez une garantie immense, une garantie que je mets au-dessus de toutes les autres et qui disparaît complètement dans le projet qui nous occupe. Cette garantie n'est remplacée par rien ; il est impossible qu'elle soit remplacée par une autre.

D'un autre côté, messieurs, d'après la loi sur les mines, le gouvernement est lié. Et comment est-il lié? Il peut accorder une concession à la personne que le conseil des mines a désignée comme devant obtenir la préférence. Il peut aussi ne pas l'accorder à cette personne ; mais jamais il ne peut l'accorder à une autre.

C'est encore là une immense garantie contre les abus du bon vouloir ministériel. Cette garantie disparaît encore dans le projet qui nous occupe. Les députations donneront leur avis ; le gouvernement s'écartera de leur avis et accordera la concession à un autre. C'est, messieurs, ce que je ne veux pas; je ne veux pas que le ministère devienne le généreux dispensateur des mines et minières qui se trouvent dans notre pays, et cela sans être lié par rien que par son caprice ou sa manière de voir.

Toutes les garanties, comme vous le voyez, disparaissent par le projet; les mines deviennent une richesse immense mise à la disposition du gouvernement, qui pourra en faire un moyen de corruption.

C'est, messieurs, ce que je repousse de toutes mes forces. Je ne veux pas que le favoritisme et la corruption puissent exercer la moindre influence sur les personnes qui doivent passer au timon des affaires dans mon pays.

Toutes les garanties disparaissent donc; c'est le régime du bon plaisir qu'on nous propose. Eh bien, je demande à la chambre si nous pouvons voter une pareille loi pour une futile économie de 15,000 fr. ? Je demande s'il est possible, pour une économie semblable, de supprimer le conseil des mines, qui garantit la Belgique de la possibilité des abus les plus graves et les plus scandaleux.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - L'économie sera de 17,600 francs.

M. Dumortier. - C'est à peu près la même chose; il ne vaut pas la peine, pour une semblable différence, de m'interrompre.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Il y a aussi des traitements d'attente qui disparaîtront.

M. Dumortier. - Au reste, je dirai à M. le ministre : Mais si vous trouvez tant de garanties dans le gouvernement, pourquoi n'établissez-vous pas le gouvernement juge de toutes les affaires qui se plaident en Belgique? Etablissez-vous grands juges et supprimez les cours et tribunaux. Le pays, lorsqu'il veut des garanties, n'en fait pas une affaire de quelques mille francs, et certes, il est peu de matières aussi délicates et où il faille plus de garanties, que les questions de mines.

On vous dit, et c'est l'honorable M. Lelièvre qui a fait cette objection : C'est le rapporteur qui a examiné l'affaire, c'est sur son rapport que le conseil des mines décide.

M. le ministre des travaux publics, enchérissant sur cette pensée, ajoute que ce rapporteur n'a aucune responsabilité. Cette accusation contre le travail du conseil est purement gratuite et je ne l'accepte pas; mais en fût-il ainsi, je voudrais bien savoir, messieurs, dans le conseil des ministres, quel sera celui qui compulsera ces volumineux dossiers, dont un seul souvent exige six semaines d'examen? Je demanderai qui prendra la responsabilité !

Mais je vous citerai le premier ministre venu, le ministre de la guerre, par exemple. A-.-il les connaissances spéciales nécessaires pour apprécier tous les détails d'une affaire de mines? Il en est de même du ministre des affaires étrangères et de tous les ministres, à l'exception du ministre des travaux publics. Ce sera donc, dans le conseil des ministres, le (page 891) ministre des travaux publics qui sera en quelque sorte le rapporteur et sur l'avis duquel on décidera.

Je me trompe, ce ne sera pas même le ministre des travaux publics, ce sera un chef de bureau de son département. Vous aurez donc remplacé le conseil des mines par un chef de bureau du ministère des travaux publics, par un homme qui n'a aucune responsabilité et qui ne signera pas même les pièces relatives à la concession.

Voilà, messieurs, comment les choses se passeront, car les ministres ont mieux à faire que de s'occuper de concessions de mines. Les ministres se plaignent souvent, et avec raison, d'être accablés de besogne. Le ministère des travaux publics, en particulier, est tellement surchargé de travail, que la chambre a seulement reçu ces derniers jours les pièces annexées au budget de ce département. Et vous voulez que le ministre des travaux publics aille porter son examen sur toutes les questions que soulève la matière si compliquée des concessions de mines !

Ainsi le ministre des travaux publics, qui peut n'être pas jurisconsulte, viendra décider des questions du tien et du mien... (Interruption.) Vous avez dit tout à l'heure qu'il se présenterait souvent des questions de propriété... (Interruption.) Les questions de propriété sont renvoyées aux tribunaux, mais il est des questions qui ne sont pas des questions de propriété et qui cependant dérivent du droit. Eh bien, ce sera un homme qui pourra être très capable sous d'autres rapports, mais qui n'aura peut-être aucune connaissance du droit, qui viendra décider ces questions. Convenez que c'est absurde.

On dira que les ministres se réuniront et qu'ils discuteront la question entre eux. Mais, messieurs, est-il raisonnable de supposer que tous les ministres viendront s'attabler, pendant plusieurs séances, autour de volumineux dossiers pour se mettre à même de décider eu connaissance de cause une question de concession de mines? Non, ils ne peuvent le faire, ils ne le feront pas.

Ainsi, messieurs, en définitive, il y aura un seul ministre qui fera l'office de rapporteur et qui présentera au conseil une décision formulée dans les bureaux par un employé dont le nom ne figurera pas même dans l'arrêté de concession. Que deviennent donc les garanties, que devient la responsabilité?

Ah, messieurs, si nous étions certains d'avoir toujours à la tête du ministère des travaux publics un homme aussi éclairé et aussi probe que l'honorable M. Rolin, je vous déclare que, pour mon compte, je consentirais volontiers à lui abandonner la concession de toutes les mines de la Belgique. Mais, comme on l'a dit, les hommes passent et les institutions restent. Or, c'est une institution qu'il s'agit de renverser; il s'agit de supprimer une institution qui a parfaitement fonctionné, à laquelle le ministre lui-même rend hommage, et de se livrer aux hasards de l'inconnu. Je vous déclare, messieurs, que je ne puis admettre ce système. Il faut absolument que nous sachions comment et par qui des affaires aussi délicates, aussi majeures, seront décidées. Il nous faut des garanties de responsabilité que nous n'aurons jamais si le projet de loi est adopté.

D'autre part, il arrivera bien souvent, messieurs, qu'un ministère fera ce qu'on appelle son testament politique. La veille de sa mort, un ministère est toujours généreux ; il paye les dettes qu'il n'a pas acquittées de son vivant. Eh bien, le ministère qui sera sur le point d'abandonner le pouvoir, voudra se souvenir de ses amis ; il donnera, par codicille, à l'un une concession, à l'autre une maintenue, au troisième une extension. Eh bien, je ne veux pas que pareille chose puisse arriver dans mon pays, et c'est ce qui aura infailliblement lieu un jour ou l'autre, si la chambre admet la suppression du conseil des mines. Et puis quelle pression ne va pas exercer le ministère sur tous les districts minéraux ?

Messieurs, je bornerai ici mes observations. Je crois avoir justifié en tous points le maintien du conseil des mines, et je terminerai en vous répétant ce que disait, dans une séance précédente, mon honorable collègue M. de Liedekerke, lorsqu'il faisait ressortir le danger qu'il y a à mettre en question toutes les institutions que nous avons créées depuis dix-huit ans. Ce danger est grave, messieurs, et je crains qu'on n'aille très loin dans cette voie, si on ne se garde pas de s'y engager. M. le ministre de la guerre a fait beaucoup d'efforts pour que l'on ne touchât pas aux instituions militaires ; eh bien, je dirai à mon tour à MM. les ministres : Ecoutez les conseils de votre honorable collègue de la guerre, et de même qu'il ne voulait pas toucher aux institutions militaires, ne touchez pas non plus à une autre institution, qui est sortie d'une discussion très longue et très approfondie.

M. de Theux. - Messieurs, les économies sont certainement une bonne chose, mais à la condition qu'elles ne nuisent ni aux intérêts généraux ni aux intérêts privés. Or, messieurs, le projet de loi que nous discutons n'a point ce caractère; dans mon opinion il nuit aux intérêts généraux et aux intérêts privés.

Le projet nuit aux intérêts généraux. En effet, messieurs, si le gouvernement, comme je n'en doute pas, a l'intention de s'occuper consciencieusement de la mission qu'il veut s'attribuer, de concéder les mines, de substituer son examen à celui du conseil des mines, je dis qu'il doit perdre dans cet examen un temps précieux, qu'il peut consacrer beaucoup plus utilement à l'examen de questions d'un intérêt véritablement général et qui sont du ressort du conseil des ministres.

Les affaires des mines ne sont pas proprement du ressort du conseil des ministres. La loi du 21 avril 1810 les attribuait au conseil d'Etat, la loi du 2 mai 1837 les attribuait au conseil des mines, en l'absence d'un conseil d'Etat.

Ainsi, messieurs, à toutes les époques on a senti que les affaires devaient être examinées par des corps spéciaux et qu'il était impossible que le conseil des ministres remplaçât ces corps.

On dit, messieurs, c'est un seul membre du conseil des mines qui fait le rapport, qui examine les pièces et le conseil décide sur l'avis de ce membre. Je n'admets point cette assertion. Je suis persuadé que le conseil prend lui-même connaissance de toutes les pièces composant les dossiers de la demande en concession, en maintenue ou en extension de concession. Chacun de ses membres y engage sa responsabilité.

Lorsque le rapport a été approuvé en conseil, il est soumis à la publicité, à la contradiction des parties intéressées. Demandera-t-on que le rapport fait au conseil des ministres soit également soumis aux contradictions des parties intéressées? Eh bien, si ce rapport était fautif en fait, si les pièces n'avaient pas été bien analysées, il en résulterait une déconsidération pour le conseil des ministres, et ce serait un malheur.

Dira-t-on que cette formalité ne sera plus nécessaire, lorsque l'affaire sera examinée de si haut ? Eh bien, cela même créera pour chaque membre du cabinet une obligation d'autant plus grande de prendre connaissance de toute l'affaire; et dans ces questions quelquefois si compliquées, je n'hésite pas à déclarer qu'il y a impossibilité morale à ce que les choses se passent ainsi ; ou bien il faut que le conseil des ministre néglige des intérêts d'une importance bien autrement grande, et cela aux dépens du pays.

Messieurs, je ne m'arrêterai pas à ce qu'on a supposé de la partialité ou même de l'improbité possible d'un ou de plusieurs ministres. J'aime à croire qu'aucun ministre ne voudra jamais, pour des motifs politiques, déposséder qui que ce soit d'un droit légitime.

Aussi n'est-ce pas cette considération qui m'arrête. Mais ce qui, le jour même de la présentation du projet de loi, a formé mon opinion, c'est la conviction qu'il y a impossibilité pour chacun des membres du conseil des ministres de prendre une connaissance suffisante de toutes les affaires des mines, sans négliger les véritables affaires gouvernementales.

Messieurs, la question d'économie n'est pas nouvelle, elle a été constamment agitée dans cette enceinte. Lorsque la loi qu'il s'agit de modifier a été présentée, le gouvernement, mû par des considérations d'économie, n'avait proposé que trois membres pour le conseil des mines. Mais le sénat a cru que trois membres ne suffisaient pas ; il a exigé une nouvelle garantie, il a exigé cinq membres, et la chambre des représentants s'est ralliée à l'opinion du sénat.

La discussion de la loi du 2 mai 1837 a absorbé dix-neuf séances de la chambre et quatre séances du sénat. Ce n'était pas la première fois que les chambres s'occupaient de cette question.

Le projet de loi sur les mines a été examiné, je dois le dire, par une commission de tout ce que la Belgique renfermait d'hommes les plus distingués dans la magistrature et dans le parlement ; il a été délibéré pendant un temps extrêmement long ; le ministre de l'intérieur de cette époque a constamment assisté aux réunions de cette commission, et il a pu se convaincre de l'importance des intérêts qui sont en jeu, de la gravité des dispositions qu'il s'agit de prendre sur l'avis du conseil des mines.

Pour moi, ma conviction est parfaite à cet égard. Je désire, dans l'intérêt de tous ceux qui exploitent ou qui veulent exploiter des mines; je désire dans l'intérêt du gouvernement lui-même, que ce projet de loi ne passe pas. Je trouve qu'il y a trop de dévouement de la part du gouvernement à vouloir se charger d'une telle besogne, d'une telle responsabilité, en vue d'une économie qui est, en définitive, peu considérable.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, à coup sûr, si le ministre ne consultait que son intérêt, il s'estimerait plus heureux de vivre sous le régime de la loi de 1837 que sous la loi nouvelle.

En effet, aujourd'hui la responsabilité du ministre n'est, en quelque sorte, qu'un jeu. Lorsque le conseil des mines (ce tuteur que la loi de 1853 a donné au gouvernement) a émis son avis, le ministre, s'il n'a souci que de sa tranquillité, peut pour ainsi dire le signer en aveugle.

Mais, messieurs, ce n'est pas ainsi que j'entends la pratique du gouvernement. Je pense qu'un ministre doit savoir accepter franchement la responsabilité de ses fonctions, quelque pénible et quelque périlleuse qu'elle puisse être.

Mais, dit-on, le conseil des ministres pourra-t-il prendre sérieusement connaissance de ces affaires? N'arrivera-t-il pas presque toujours que la plupart des chefs des départements ministériels ne possédant pas les connaissances spéciales nécessaires pour prononcer, en connaissance de cause, sur une demande en concession, l'intervention du conseil ne sera qu'illusoire, et le ministre des travaux publics sera en réalité l'arbitre de la décision?

Je réponds, messieurs, que ces sortes d'affaires arrivent au gouvernement central à un état de maturité tel qu'il ne faut plus, en quelque sorte, pour les décider, que la connaissance d'un certain nombre de principes généraux et les lumières du bon sens. Il n'arrive presque jamais qu'il se présente dans de telles affaires une question d'une difficulté sérieuse, à moins que ce ne soit une question d'art, de la compétence des officiers des mines, ou bien une question de propriété, de la compétence des tribunaux.

Chaque fois que l'ingénieur du district, l'ingénieur de la division des mines et la députation permanente auront émis un avis conforme, chaque fois qu'il y aura absence de contradiction, la décision sera facile, et le conseil des ministres ne fera en quelque sorte que prêter son nom à l'avis (page 892) du ministre des travaux publics. Mais lorsque ce dernier, déterminé par des motifs graves, croira devoir s'écarter de l'avis de la députation permanente, ou bien lorsque la députation permanente et les ingénieurs des mines seront en conflit, ou lorsqu'il se présentera des oppositions sérieuses, alors, soyez-en bien assurés, l'intervention du conseil des ministres cessera d'être nominale; le ministre des travaux publics, ne fût-ce que pour mettre sa responsabilité à couvert, aura soin de signaler à ses collègues les difficultés qui l'arrêteront, et le conseil des ministres, avant d'assumer sa part de responsabilité, voudra s'éclairer par un examen attentif.

S'il est arrivé quelquefois, comme l'a dit tout à l'heure l’honorable M. Dumortier, qu'à la veille de sa mort politique, un ministre ait fait des dispositions testamentaires en faveur de ses amis, ne croyez pas qu'un ministre aille jamais jusqu'à payer des dettes politiques au moyen du sacrifice du bien d'autrui ; qu'il soit jamais assez coupable, assez oublieux des règles de la probité la plus stricte, pour dicter un pareil testament. Je ne sache pas que, jusqu'à ce jour, un ministre en Belgique se soit conduit de cette manière, et ce danger je ne le crains pas plus dans l'avenir qu'il ne s'est révélé dans le passé.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.