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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 7 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Gillard prie la chambre de faire obtenir, au sergent Stevens, l'autorisation de contracter mariage avec sa fille Marie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Sinave demande un congé pour affaires urgentes.

- Accordé.

Projet de loi portant suppression du conseil des mines

Rapport de la section centrale

(Ce rapport n’est pas repris dans la présente version numérisée)

M. le président. - Ce rapport devant être inséré au Moniteur, il est inutile d'en ordonner l'impression séparée.

M. Lesoinne. - Messieurs, il nous faudrait avoir le temps d'examiner les modifications proposées par la commission; le rapport est très long; je demanderai qu'il soit imprimé et distribué avant la discussion ; il faut que nous ayons le temps de l'examiner pour pouvoir discuter les articles en connaissance de cause.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je pense, messieurs, que rien n'empêche que le rapport soit imprimé et distribué dès aujourd'hui et que la discussion ail lieu demain, si l'ordre du jour le permet.

M. Lelièvre, rapporteur. - Je demanderai que cette discussion soit fixée en tête de l'ordre du jour de demain.

M. le président. - De sorte que si l'on commence aujourd'hui la discussion du projet de loi sur la réforme postale on l'interromprait pour commencer demain l'examen du projet de loi sur les mines.

- Les propositions de MM. Lesoinne et Lelièvre sont adoptées.

Rapports sur des pétitions

M. Bruneau dépose le rapport de la commission d'industrie sur une pétition présentée par le sieur Baudechon, tendant à ce que les sabots de pieds d'animaux soient soumis à un droit de sortie de 6 fr. par 100 kilog.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et en met la discussion à la suite de l'ordre du jour.


M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi sur la réforme postale.

M. Orts. - Je viens demander à la chambre qu'avant d'aborder un projet de loi dont la discussion aura probablement une certaine durée, elle veuille bien entendre un rapport de pétitions qui figure également à l'ordre du jour d'aujourd’hui. Ces pétitions me semblent porter sur un objet dont l'urgence ne sera certainement pas contredite par M. le ministre des travaux publics. Je veux parler de deux pétitions qui figurent en tête du feuilleton n°8. Elles ont pour rapporteur l'honorable M. Vermeire qui est prêt, et sont relatives à la demande des bateliers et autres personnes intéressées dans la navigation du canal de Charleroy. Je crois qu'il serait important que la chambre statuât sur cette affaire, afin de montrer qu'elle s'y intéresse, qu'elle porte une juste et légitime sollicitude aux personnes qui sont lésées par l'état actuel des choses. Je ne demande pas que la chambre préjuge aucune solution ; je désire seulement qu'elle montra qu'elle s'en occupe. Je le répète, il y a urgence réelle, si réelle même que je n'aimerais pas à devoir en dire plus clairement les motifs.

M. Delfosse. - Il est bien entendu qu'on n'abordera pas aujourd'hui la question importante des péages, et qu'il n'y aura qu'un renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Orts. - Je ne demande pas autre chose.

- La proposition de M. Orts est adoptée.


M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, la commission des pétitions, par mon organe, a l'honneur de vous présenter le rapport sur une pétition, adressée à la chambre des représentants, sous la date du 14 février dernier, par les délégués des négociants en charbon, et propriétaires de bateaux à Bruxelles et à Molenbeek-Saint-Jean, tendante à obtenir une réduction de 75 p. c. sur les péages du canal de Charleroy.

Messieurs, quelques pétitions analogues ont été adressées précédemment à la législature. La question de réduire les péages sur le canal de Charleroy fut controversée à diverses reprises au sein de la chambre. Aussi la pétition dont votre commission a l'honneur de vous présenter l'analyse sommaire, est en quelque sorte une réplique ou un résumé des divers débats qui ont surgi sur cette question.

D'abord, les pétitionnaires se plaignent de ce qu'on semble faire valoir contre eux la fâcheuse position financière de l'Etat, pour reculer la réduction de ces droits ou péages.

Ils disent que si l'état actuel de choses se prolonge plus longtemps, le trésor sera constitué en une forte perte sur le produit du canal, attendu que le chemin de fer transporte à 2 fr. 30 c. par tonneau meilleur marché, que n'est le prix de revient du fret au canal. Ils produisent à l'appui de cette allégation des chiffres et des comptes de revient, et pour faire cesser toute objection ultérieure, ils offrent de certifier le fait par la production de leur comptabilité établie dans leurs livres de commerce, qu'ils disent mettre à cet effet à la disposition des chambres et du gouvernement. Ils ajoutent cependant que si des sociétés charbonnières ont garanti un fret inférieur, elles ne l'ont fait qu'en vue de faciliter le placement de leurs produits, et que ce n'était que pour autant qu'on s'approvisionnât exclusivement chez elles qu'on pouvait jouir du fret réduit à 5 fr. par tonneau.

Les pétitionnaires sont au regret d'avoir encouru, de la part d'un honorable membre de la chambre des représentants, le reproche d'extrême avidité dans leurs spéculations ; en ce sens qu'ils vendraient du charbon gailleteux (soit celui dont on a extrait la grosse houille), à 13 fr. les 500 kilogrammes, tandis que celle même qualité ne coûte par le chemin de fer que 9 fr. 82 c. Ils disent que cette allégation est erronée, et qu'ils ne vendent cette qualité de charbon qu'à 10 fr. en gros, et à 10 fr. 50 c. en détail, ce qui réduit pour les deux cas respectifs leur bénéfice à 18 et à 68 c, par 500 kil. au lieu de 5 fr. 18 c.

Les pétitionnaires pensent que M. le ministre des travaux publics a mal interprété l'approbation donnée par les délégués de la chambre de commerce de Bruxelles aux nouveaux tarifs du transport des marchandises par le chemin de fer. Et à cet effet ils invoquent la requête que la chambre de commerce de Bruxelles a adressée à ce haut fonctionnaire, le 10 octobre 1848, soit 5 semaines après l'introduction du nouveau tarif et dans laquelle il est dit expressément que « pour rétablir l'égalité entre le transport par bateau et le transport par waggons, une réduction d'au moins 50 p. c. est d'une nécessité urgente. » Cette même requête, poursuivent les pétitionnaires, exprime en termes formels l'opinion, que si les péages sont maintenus au chiffre élevé où ils se trouvent, il est évident que le canal de Charleroy ne portera bientôt plus un seul bateau.

La chambre de commerce de Bruxelles, par cette même requête, apprécie à une haute valeur le bienfait que doit ressortir des bas tarifs de péages, en faveur de l'industrie et de la consommation de la classe peu aisée de la société.

Les pétitionnaires demandent s'il est juste que le gouvernement profite des sacrifices que leur impose le régime des anciens tarifs, ils établissent que les nouveaux tarifs introduits inopinément et sans aucun avis préalable, leur font une charge ruineuse de leurs engagements vis-à-vis des sociétés charbonnières et des bateliers. Ils pensent que l’équité ordonne de rétablir promptement cet équilibre si violemment rompu. Les pétitionnaires attribuent les recettes encore abondantes des derniers mois de 1848, sur le canal de Charleroy, aux engagements contractés d'une part avec les sociétés charbonnières et d'autre part avec les bateliers.

Huit ans se sont à peine passés, disent les pétitionnaires, que le gouvernement provoquait par de fortes primes d'encouragement la construction de nombreux bateaux. Et aujourd'hui, par une mesure contraire, il aiderait à perdre sans retour les capitaux enfouis dans ces bâtiments! Cette perte cruelle frapperait surtout de pauvres bateliers qui ont consacré des économies péniblement prélevées sur un mince salaire, pour acquérir leurs bateaux. Ils ne peuvent satisfaire aux engagements qu'ils avaient contractés de faire des versements successifs en acquit de leurs bateaux, et se trouvent donc dans la fâcheuse position de devoir résilier leurs bateaux et de perdre les sommes versées, parce que le bateau n'ayant plus sa valeur primitive, l'ancien propriétaire ne doit consentir à le reprendre que moyennant confiscation, à son profit, des à-compte payés.

Les pétitionnaires estiment qu'une réduction de péages de 75 p. c. peut seule rétablir l'équilibre entre le transport par le canal de Charleroy et celui par le chemin de fer de l'Etat.

Ils ajoutent encore, que s'il est vrai qu'un abaissement de péage favorise la consommation, active la circulation et rend plus importants et plus nombreux les transports de tout genre, ce principe ne peut être (page 922) exclusivement applicable au chemin de fer, mais doit l'être également aux transports qui s'opèrent par les voies navigables.

Les pétitionnaires terminent en basant la légitimité de leur supplique sur les intérêts généraux gravement lésés et fortement compromis. Ils espèrent une prompte et favorable solution de leur demande, laquelle, disent-ils, est fondée sur la justice et l'équité.

Votre commission des pétitions, messieurs, appréciant les motifs longuement déduits et développés dans cette pétition, conclut à son renvoi :

1° A M. le ministre des travaux publics.

2° A la commission de l'industrie et du commerce, avec prière d'en faire un prompt rapport.

3° Au dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

M. Delfosse. - Messieurs, j'appuierai le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics ; mais je ne puis appuyer le renvoi à la commission permanente d'industrie; nous avons un rapport; il n'est pas nécessaire d'en avoir un autre.

M. Dechamps. - Messieurs, le gouvernement a déjà annoncé l'intention de nous présenter un projet de loi ; nous examinerons le projet qui nous sera soumis; il est dès lors fort inutile de décider le renvoi de la pétition à la commission permanente d'industrie.

M. Vermeire, rapporteur. - La commission croit pouvoir se rallier au simple renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. Orts. - En ce cas, il faudrait au moins demander à M. le ministre des travaux publics des explications et des explications promptes.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je crois qu'un seul mot coupera court à cette discussion : le rapport de la commission d'industrie à laquelle on voudrait renvoyer la pétition ne pourra pas être plus prompt que ne le sera la décision du gouvernement, c'est-à-dire que notre décision ne se fera pas attendre pendant plus d'une semaine.

-La chambre, consultée, ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.


M. Vermeire, rapporteur. - « Par pétition datée de Molenbeek-Saint-Jean, le 31 janvier 1849, les bateliers qui naviguent sur le canal de Charleroy prient la chambre de prendre des mesures pour améliorer leur position. »

Les pétitionnaires disent que par suite de la stagnation sur le canal, ils seront tous bientôt sans emploi et sans pain, et prient la chambre des représentants de prendre des mesures pour prévenir un si grand malheur.

- La chambre, consultée, ordonne le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

Projet de loi sur la réforme postale

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre des travaux publics se rallie-1-il au projet de la section centrale?

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - La section centrale est d'accord sur presque tous les points avec le gouvernement; il y a quelques amendements auxquels je ne pourrai pas me rallier ; je les ferai connaître lorsque nous serons à la discussion des articles.

M. le président. - La discussion générale sur le projet du gouvernement est ouverte ; la parole est à M. Cans.

M. Cans. - Messieurs, tout a été dit sur les avantages tant moraux que matériels qui doivent dériver de la reforme postale : il serait donc superflu de revenir sur ce sujet; la question est, aujourd'hui, définitivement jugée. Tout au plus peut-il rester dans l'esprit de quelques personnes une certaine hésitation quant au moment opportun pour l'adopter, à cause ou dérangement que la réduction de la taxe peut faire prévoir, dans l'équilibre si difficile à établir entre les recettes et les dépenses de l'Etat. La même hésitation se fait voir quand il s'agit de fixer la quotité de la réduction à faire subir à la taxe, pour qu'elle soit utile en favorisant je développement des correspondances, sans cesser d'être productive afin de ménager les ressources du trésor.

Je ne puis m'empêcher de regretter que M. le ministre n'ait pas envisagé cette réforme d'un point de vue aussi élevé que celui où il s'est placé pour résoudre la question des tarifs du chemin de fer; je crains bien que, si le projet était adopté tel qu'il est présenté, nous n'ayons qu'un système bâtard, dont on ne pourrait recueillir de bons fruits.

La réforme postale d'après le système dû à Howland Hill forme un tout complet. Sans prétendre qu'avec le temps on ne puisse pas le perfectionner encore, son ensemble offre déjà maintenant un mécanisme si simple et si heureusement conçu, que lut emprunter certaines parties et en écarter quelques autres, c'est entraver sa marche régulière, c'est en compromettre le succès. Si l'on veut sérieusement la réforme postale, il faut adopter le système tout entier.

Quel est le problème à résoudre? Il s'agit d'amener, par la réduction de la taxe, une augmentation de la circulation des lettres telle, que le produit de cette augmentation vienne combler le déficit causé par la diminution des prix. Pour atteindre plus promptement ce résultat et rétablir l'équilibre momentanément dérangé il faut, tout en facilitant une augmentation considérable de la circulation, trouver le moyen de ne pas occasionner une augmentation correspondante des frais d'administration et de distribution. Ce moyen, Rowland Hill, abandonnant la vieille routine, l'avait indiqué comme la base fondamentale de son système et il est parvenu à le faire adopter.

Je ne rappellerai pas, messieurs, tous les obstacles qu'il eut à surmonter, les luttes qu'il eut à soutenir pour vaincre les difficultés sans nombre que lui suscitait une administration hostile, dont les membres pouvaient craindre pour leur position : c'est l'histoire de toutes les réformes. La reconnaissance de l'Angleterre l'a depuis amplement dédommagé des déboires qu'il avait éprouvés, et l'adoption de son système par les pays les plus civilisés vient encore grandir le succès de Rowland Hill.

Nous sommes heureux, messieurs, de ne pas rencontrer chez nous les mêmes entraves : il n'y a aucun rapport entre notre administration des postes et la précédente administration anglaise, où s'étaient glissés, avec le temps, beaucoup d'abus donnant abri à un grand nombre de sinécures ; cependant il semble que le mauvais vouloir de cette ancienne administration poursuive encore le système de Rowland Hill, au moment où il va recevoir chez nous la naturalisation.

Si l'on en juge par les sources où ont été puisés les renseignements, et quelquefois par l'interprétation qui leur est donnée, on ne peut se dissimuler que les préventions que nourrissait l'administration des postes en Angleterre à l'époque où un de nos fonctionnaires y a été envoyé ont jeté de profondes racines dans les bureaux du ministère des travaux publics. Il n'aurait pas été sans utilité de faire en 1848, après dix ans d'expérience, une nouvelle enquête, pour n'avoir pas à s'appuyer sur un rapport rédigé en 1840, un an seulement après la réforme et dont les éléments sont empruntés à des autorités au moins suspectes.

Je n'hésite pas à le dire, la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis démontre à la dernière évidence que la réforme postale n'a nullement été comprise, ou au moins qu'elle a été fort mal appréciée quant à l'application à en faire à la Belgique.

Le nouveau système se distingue du régime précédemment suivi, par deux mesures caractéristiques : l'une, la taxe uniforme pour un poids donné, quelle que soit la distance parcourue, n'était pas sans précédent : adoptée pour les journaux et les imprimés, l'innovation dont l'honneur revient à Rowland Hill, consistait à en étendre l'application aux correspondances.

L'autre mesure tout à fait nouvelle est l'affranchissement préalable au moyen de timbres : cet affranchissement, sans cesser d'être facultatif, est devenu presque général, parce qu'il a pour effet de dispenser le destinataire de payer une taxe plus élevée que le coût du timbre.

Rien de plus logique que ces dispositions. Les frais de transport d'une localité à une autre constituent la moindre part des frais généraux d'exploitation. Il n'y avait donc pas lieu d'élever la taxe en raison des distances seulement. L'affranchissement devenant général, la comptabilité se simplifie, l'inscription des taxes sur les lettres disparaît, et le même nombre d'agents, dans un espace de temps égal, expédie, trie et délivre un bien plus grand nombre de lettres ; donc, plus de services et moins de frais.

N'est-il pas juste que ceux qui, par l'affranchissement préalable, concourent à réaliser ces économies, en retirent un avantage que chacun d'ailleurs est libre de se procurer ?

J'avoue que j'ai été surpris de voir le projet du gouvernement repousser les deux mesures qui doivent rendre féconde la réforme postale : sans la taxe uniforme et l'affranchissement préalable, cette réforme peut même difficilement être mise à exécution. N'est-il pas évident qu'en cas de succès, et c'est le succès qu'il faut prévoir, le nombre des lettres jetées à la poste doit dans un temps assez court doubler ou tripler. Si on ne simplifie pas le travail auquel donne lieu le mode actuellement suivi, il faudra doubler ou tripler le nombre des employés et facteurs. Ce n'est pas tout, au lieu d'exiger la remise des lettres trois quarts d'heure avant le départ des malles, il faudra lever les boîtes deux heures avant l'expédition, l'opération de taxer les lettres prenant les 4/5 du temps des employés.

L'affranchissement préalable, sans la taxe uniforme, économise le temps des facteurs ; mais il reste toujours la vérification nécessaire pour s'assurer si le timbre convenable a été appliqué, et quant au poids et quant à la distance. Avec la taxe uniforme cette dernière vérification, qui s'applique à toutes les lettres, devient inutile; il ne reste que celle qui porte sur les lettres pesantes. L'habitude rend cette dernière très rapide, et d'ailleurs d'après une expérience faite au bureau de Bruxelles, les lettres pesantes ne forment qu'un dixième de la totalité.

La majorité de la section centrale a rejeté la taxe uniforme réduite à 10 centimes et, adoptant le principe d'une taxe plus élevée à percevoir du destinataire pour les lettres non affranchies, elle a modifié le projet du gouvernement sur ce point.

Je pourrais donc ne pas m'étendre longuement sur cette question tt me borner à quelques considérations, persuadé que la chambre sanctionnera le système de la section centrale, d'autant plus que les motifs mis en avant par M. le ministre pour le repousser sont des plus futiles.

Nous lisons dans la note fournie par M. le ministre à la section centrale.

« On remarquera que le système proposé par la section centrale serait tans tous les cas impraticable, à l'égard des lettres originaires ou à destination de l'étranger qui forment le tiers environ des correspondances, etc. »

Je ferai d'abord remarquer qu'il y a contradiction entre ce passage de l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, où on lit, page, 3, (page 923) que les lettres de l'étranger, en y ajoutant celles de et pour la ville et celles de et pour le même canton, ne sont estimées qu'à un septième du nombre total des lettres transportées.

Mais, messieurs, le but que doivent avoir en vue tous les pays qui adoptent la réforme postale ne serait qu'en partie atteint, si elle n'était pas étendue aux relations internationales. Les conventions postales devront partout être modifiées dans ce sens, et déjà les pays qui nous ont précédés dans cette voie nous tendent la main. Voici l'extrait d'une instruction du directeur des postes de Paris, basée sur le discours prononcé .par M. le ministre des finances de la République française, dans la séance du 24 août 1848 (Moniteur) :

« Les correspondances étrangères restent donc pour le moment en dehors des dispositions du décret du 24 août 1848, et ne pourront, du reste, profiter ultérieurement du bénéfice de ces dispositions que dans les limites fixées par l'article 4 de la loi du 14 floréal an X, qui veut que « les lettres arrivant de l'étranger soient taxées en France proportionnellement aux prix perçus chez l'étranger sur les lettres de la République. »

Du côté de la France la réciprocité ne peut pas être mise en question ; le principe en est posé dans la loi même.

La convention signée à Londres, le 15 décembre dernier, par lord Palmerston et M.Georges Bancroft, envoyé des Etats-Unis, fait voir que ces deux pays, non seulement sont disposés à admettre la réciprocité, mais même qu'ils la provoquent. C'est ce que prouve la teneur de la convention et le rapport de M. G. Bancroft, sur lequel j'aurai à revenir. Je citerai seulement ici la dernière partie de l'article 12.

« Art. 12. Indépendamment de la taxe de mer et de celle à l'intérieur, les lettres traversant en transit le territoire de l'un ou l'autre pays, payeront la taxe ordinairement perçue sur les lettresà destination ou provenant des mêmes points.

« Sont acceptés de cette mesure les lettres et journaux traversant le Royaume-Uni à destination de la France, pour lesquels un traité spécial existe entre les deux pays.

« Mais les parties contractantes invitent la France à se mettre en rapport avec elles sans perte de temps, afin de conclure pour le transport des malles à travers les territoires des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, les arrangements les plus convenables pour les trois pays. »

L'impossibilité invoquée dans la note n'existe donc pas.

Je passe à une autre objection.

« L'augmentation de 50 p. c. proposée sur les lettres non affranchies, ferait, payer 30 centimes pour une multitude de lettres expédiées à petites distances qui ne coûtent que 20 centimes. »

Cet inconvénient n'existera plus que pour un petit nombre de lettres taxées à 10 centimes aujourd'hui, si l'amendement qui sera présenté pour établir la taxe uniforme à 10 centimes est adopté. S'il ne l'est pas, il y a un moyen bien simple de concilier la surtaxe avec le taux actuel, c'est d'abaisser à 10 c. toutes les lettres qui en payent 20 d'après le tarif existant. Il n'en résulterait guère de diminution de recette, car c'est sur ces lettres que la fraude s'exerce le plus activement, et en abaissant le prix dans ce rayon on diminue l'appât qu'offre encore le prix de 20 c.

Faut-il réfuter encore le passage suivant de l'exposé des motifs (page 15)?

« D'une part, l'obligation d'affranchir les lettres contrarierait les habitudes d'un grand nombre de négociants, qui préfèrent laisser le port à charge des destinataires. »

M. le ministre aurait pu, mieux que personne, nous dire aussi combien de destinataires préfèrent ne pas payer le port des lettres qui viennent à leur adresse, et les refusent quand elles ne sont pas affranchies.

Le compte rendu des recettes supplée au silence de l'exposé des motifs sur ce point; la moyenne des rebuts pendant les cinq années de 1842 à 1846 a été de 64,242 fr. ; en 1846 seulement, ce chiffre était de 72,594 fr. formant le port de 200,000 lettres, au taux moyen de 35 c. C'est un quarantième du produit des lettres taxées.

On a remarqué en France que le nombre des rebuts était diminué de moitié depuis le 1er janvier dernier.

Enfin le gouvernement craint de « froisser les habitudes du public, » alors surtout qu'un grand nombre de personnes « s'imaginent à tort ou à raison que la remise d'une lettre non affranchie est mieux assurée par l'obligation d'en percevoir la taxe à destination. »

Croit-on par hasard que l'affranchissement préalable n'ait pas dû contrarier les habitudes en Angleterre? Et les promoteurs de la réforme se sont-ils laissé arrêter par ces mesquines considérations?

L'affranchissement ayant été jugé utile à la généralité, comme une nécessité corrélative de l'augmentation de la circulation des lettres, on a offert une diminution égale à la moitié du porta ceux qui affranchiraient, puis ou a laissé au temps le soin d'instruire ceux qui ne comprendraient pas cet avant âge.

L'enseignement, au surplus, a été bien rapide en Angleterre, car en 1839, avant la réforme, la proportion des lettres affranchies à celles qui ne l'étaient pas, était de 20 à 100. Dès la première année de la réforme à la fin de 1840, la proportion était renversée et les lettres affranchies étaient aux lettres non affranchies dans le rapport de 100 à 8, en 1844 de 100 à 7, en 1848 de 100 à 5.

Chacun jouissant à cet égard de toute liberté, sur 8,536,452 lettres qui sont passées au « London general Post-office », pendant les quatre semaines finissant le 22 janvier 1848, il y avait encore 453,286 lettres non affranchies.

L'expérience a démontré en Angleterre d'une manière irrécusable que les lettres affranchies par le moyen des timbres sont remises aussi exactement et aussi fidèlement que les lettres non affranchies.

Veut-on une preuve convaincante de la nécessité d'adopter, en même temps que la réforme postale, l'affranchissement préalable et la taxe uniforme, car ces deux mesures se lient intimement? Je la trouve dans le rapport annuel du post-master gênerai, publié le 5 décembre dernier, à la suite du message du président des Etats-Unis.

D'après un principe consacré aux Etats-Unis, les dépenses de toute nature de l'administration des postes auraient dû être couvertes par les recettes; mais aussi l'excédant de ces dernières, sur les frais d'exploitation, le cas échéant, ne pouvait être appliqué à d'autre usage qu'à des améliorations du service. Pendant Longtemps les produits étant toujours insuffisants, on a cherché à élever les taxes, afin d'augmenter les recettes au niveau des dépenses; malgré ces augmentations successives des taxes, le déficit s'est constamment maintenu, et pendant les huit années écoulées de 1838 à 1845, il n'a pas été au-dessous de 125,000 dollars en moyenne.

La fraude était d'ailleurs considérable.

Les résultats obtenus en Angleterre par l'adoption de la réforme postale ayant ouvert les yeux au gouvernement des Etats-Unis, une loi passée en 1845 ne conserva que deux zones et réduisit de plus de moitié en moyenne les taxes existantes, c'est-à-dire de 14 1/2 à 6 1/4 cents, elle en établit la base d'après le poids fixé à une demi-once par lettre simple, tandis que précédemment cette base était une feuille de papier.

Le déficit, moins considérable qu'on n'eût pu le croire, fut à la fin de la première année d'environ 600,000 dollars sur 4 millions : dès la seconde il n'était plus que de 25,417 dollars, et à la troisième année finissant au 30 juin 1848, il y a eu un excédant de recettes de 172,232 dollars sur les dépenses, qui pendant cette période ont augmenté, par l'extension du service, de plus de 300,000 dollars.

Les Etats-Unis en introduisant la réforme dans leur régime postal ont conservé la taxe proportionnelle en raison des distances, ou des lieux de provenance. À l'intérieur il y a deux zones; le prix de la première est de 5 cents (environ 26 centimes), il est de 10 cents pour la seconds. Les taxes pour les pays environnants et pour l'Europe varient de 12 1/2 cents à 40. Cette division en deux zones semblait d'ailleurs justifiée par l'immense étendue du territoire, les distances qui séparent dans l'ouest les centres de population, et sur plusieurs points les difficultés des communications.

La loi de 1845 n'a pas fait une obligation de l'affranchissement préalable; il en est résulté qu'en une année, il y a eu 2 millions de lettres refusées sur 88 millions. Une masse incalculable de revues, brochures, journaux, reste au rebut. Dans une seule année, à New-York, il n'y a pas eu moins de 52.000 de ces derniers refusés.

Trois années d'expérience ont donné lieu de reconnaître que la loi de 1845 est défectueuse, et dans son rapport, le post-master général insiste vivement pour qu'avant la fin de l'année elle soit amendée et complétée 1° par l'affranchissement obligatoire; 2° par l'adoption de la taxe uniforme pour l'intérieur de l'Union, et 3° par une assimilation des taxes perçues sur diverses lettres de l'étranger, de manière à réduire le nombre des articles du tarif.

Le post-master général entre à ce sujet dans des développements très étendus; il démontre les avantages que doivent procurer ces mesures, il signale particulièrement la simplification de la comptabilité, il ne prévoit aucun inconvénient, car le public s'habituerait bientôt à ce système. Il est d'avis que si l'affranchissement obligatoire n'est pas admis, il faudra décréter que les lettres, journaux, brochures, etc., refusés, seront retournés aux envoyeurs qui seraient tenus de payer le port double.

Voici le tarif qu'il propose de mettre en vigueur pour la perception de la taxe dès la fin de l'année financière :

Par demi-once ou fraction de 1/2 once :

Lettres de l'intérieur 5 cents

Lettres pour ou venant des pays étrangers. 15 cents.

Par once ou fraction d’once :

Journaux des Etats-Unis 1 cent

Journaux étrangers, 2 cents

Tous autres imprimés, 2 cents

Par demi-once :

Objets de valeur contre récépissé : 15 cents

Le tout avec affranchissement obligatoire, au moyen de timbres qui pourraient être vendus avec un léger rabais sur l'achat d'un certain nombre en une fois.

La convention du 15 décembre n'a été signée par l'Angleterre que depuis que ce rapport a vu le jour, et dans la prévision de la suppression de la seconde zone, ainsi que de l'introduction de la taxe uniforme de 5 cents, conformément aux propositions du post-master général, lesquelles seront, sans aucun doute, adoptées par le congrès.

La division du territoire des Etats-Unis en deux zones avec deux taxes, tandis qu'en Angleterre elle est uniforme, a failli faire échouer la négociation. Le mauvais vouloir de l'administration des postes anglaises, dont M. G. Bancroft ne fait pas mystère, n'a cédé que devant l'influence du premier lord de la trésorerie et du chancelier de l'échiquier, qui, envisageant la question d'un point de vue plus élevé, ont accueilli le système le plus large.

Le rapport de M. G. Baucroft contient une observation fort importante et dont nous pouvons faire notre profit.

Après avoir indiqué qu'il a fait insérer dans la convention une réserve qui permette aux Etats-Unis d'appliquer aux correspondances échangées l'échelle américaine de progression pour le poids, il recommande (page 924) d'adopter pour les correspondances, en général, l'échelle anglaise, afin d'épargner beaucoup de temps. Il ajoute :

« Le succès d'un système postal économique dépend de la simplification des opérations manuelles et de la diminution du travail. Quand les taxes sont élevées, il est utile de peser chaque lettre et de progresser par demi-once. Quand les taxes sont uniformes et peu élevées, la base devrait être l'once, de manière que les employés des bureaux de poste puissent juger vite et facilement, sans devoir recourir aux balances, quelle taxe doit être appliquée. »

Toutes ces questions occupent beaucoup les esprits dans ce moment aux Etats-Unis. Il vient de se former à New-York une association pour la poste à bon marché (cheap postage association}.

Les journaux du mois de décembre nous apportent aussi un rapport fort intéressant de M. Hobbie, premier assistant, adresse au post-master gênerai. Après avoir visité l'Angleterre, la France et l'Allemagne et avoir étudié la marche suivie dans ces pays pour le service des postes, il émet l'opinion que la taxe des lettres devrait être réduite au taux uniforme de 3 cents; pour les journaux pesant moins de 2 onces régulièrement expédiés par abonnement 1 cents, et que pour les journaux expédiés accidentellement pesant moins de 2 onces et les brochures pesant moins de trois onces, le prix du port d'une lettre, soit 3 cents, devrait être appliqué ; le tout avec affranchissement obligatoire.

Ainsi, messieurs, les autorités que je viens de citer, le post-master general, son premier assistant et l'association pour la poste à bon marché sont d'accord sur trois points: 1° que la taxe doit être réduite ; 2° qu'elle doit être uniforme; 3° que l'affranchissement doit devenir obligatoire: ils ne diffèrent entre eux que sur un seul point, la quotité de la réduction. Ils reconnaissent au bout de trois ans qu'il faut en revenir au système de Howland Hill, dont les Etats-Unis n'avaient pris qu'une partie.

Que l'exemple des erreurs des autres nous empêche de commettre les mêmes fautes.

Je demande pardon à la chambre d'entrer dans d'aussi grands détails, mais les documents auxquels ils sont empruntés sont tout récents et peut, être ne sont-ils pas généralement connus. Je désire que M. le ministre puisse y trouver des motifs, non pas de modifier son opinion, car je suis convaincu qu'il ne met pas en doute l'utilité de ces mesures, mais un encouragement à faire moins d'attention aux réclamations peu raisonnées qu'il semble redouter et à ne pas craindre de froisser quelques préjugés que le succès ne tardera pas à faire disparaître.

J'arrive maintenant, messieurs, à examiner une autre face de la question, celle du taux auquel il convient d'abaisser la taxe des lettres : cette partie du sujet nécessite la discussion de quelques tableaux fournis par l'exposé des motifs et par le rapport de la section centrale.

Je ne me dissimule pas les difficultés que je vais rencontrer.

Dans les débats de la chambre, lorsque les chiffres produits par MM. les ministres sont contestés, il se forme nécessairement, pour beaucoup de membres qui n'ont pas le loisir de les vérifier, une présomption de leur exactitude, parce que le gouvernement a plus qu'aucun de nous, à sa disposition, les moyens de s'entourer de données positives. Cela est vrai surtout quand il s'agit de documents recueillis avec maturité à l'appui d'un projet de loi.

L'exposé des motifs contient des erreurs matérielles et il présente des appréciations erronées de chiffres exacts d'ailleurs : je tâcherai, aussi brièvement que possible, de rendre saillantes les unes et les autres et de dissiper les craintes que dans l'intérêt du trésor, surtout après la lecture du rapport de la section centrale, l'on pourrait concevoir de l'adoption de la réforme.

En gonflant d'un côté la part attribuée à la réforme dans l'augmentation des frais d'exploitation, en atténuant de l'autre les effets de l'accroissement des correspondances, on parvient, après avoir écarté outre mesure les deux termes de la proportion, à un résultat complètement faux.

S'il peut être prouvé que l'augmentation des frais sera moindre et que le produit sera plus élevé, que ne l'indiquent l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, on pourra en conclure que la réduction de la taxe parlant de la moyenne actuelle de 31 c. ne doit pas s'arrêter à 20 centimes. Il s'agira de mesurer jusqu'où la réduction peut aller.

Je trouve, à la page 9 de l'expose des motifs, un tableau des frais d'exploitation du Post-office anglais, emprunté aux rapports présentés à la chambre des communes : on y signale l'augmentation graduelle de ces frais, qui, depuis 1391) ont suivi la progression suivante :

Pour l'année 1840, 13 p. c. d'augmentation, 1841 24 p. c., 1842, 1843 et 1844 30 p. c., 1845 49 p. c., 1846 50 p. c..

J'ajouterai pour 1847, 58 p. c. d'augmentation sur 1839.

A la simple inspection de ce relevé, la première chose qui doit frapper l'attention, c'est l'irrégularité des termes de la progression, qui conduit tout naturellement à examiner, en premier heu, si l'augmentation est due seulement à la réforme : ensuite, s'il y a quelque rapport entre cette augmentation et l'accroissement des correspondances dont le chiffre est indiqué à la page 5.

Quant au premier point, il est certain que l'augmentation n'est pas due seulement à la réforme; car les frais d'exploitation, qui n'avaient été en 1838 que de 686,768 liv., ont monté en 1839 à 756,999 liv., c'est-à-dire qu'ils ont augmenté de 10 p. c, d'une année à l'autre, antérieurement déjà à l'introduction de la réforme. Je regrette de n'avoir pas trouvé d’indications pour les années précédentes.

Quant au second point, comparant les degrés correspondants des deux échelles ascendantes, on arrive au résultat suivant :

Augmentation sur l'année précédente du nombre des lettres et des frais d'exploitation (tableau non repris dans la présente version numérisée).

Le fait le plus saillant qui ressort de cette comparaison, c'est qu'en Angleterre il n'y a eu aucun rapport entre l'accroissement des correspondances et l'augmentation des frais d'exploitation : pendant trois années, 1842,1843 et 1844, ces frais restent presque stationnaires, tandis que le nombre des lettres monte de 208 à 242 millions. De 1838 à 1839, les frais s'étaient élevés de 10 p. c. ; pendant les huit premières années de la réforme, ils sont en moyenne restés au-dessous de 10 p. c.

Il est donc évident que, quant à l'augmentation des frais d'exploitation, la réforme postale n'en est pas la seule, peut-être même pas la principale cause.

C'est cette cause qu'il aurait fallu chercher avant de tirer une conclusion trop hâtée de quelques chiffres mal groupés. Un peu plus d'attention donnée à l'étude des documents originaux et à l'examen des services que l'on exige en Angleterre du Post-office, l'aurait fait découvrir sans grands efforts.

Je me bornerai à choisir, parmi des renseignements empruntés à des pièces officielles, quelques différences très notables entre le service des postes en Angleterre et dans notre pays, afin de démontrer que l'augmentation des frais, que l'on signale chez nos voisins depuis la réforme postale, n'est pas à craindre avec l'organisation de notre administration.

Si l'on voulait faire servir cette augmentation de point de départ pour le calcul des dépenses probables en Belgique après la réforme du système postal, il aurait fallu en déduire différents articles et entre autres :

1° Une somme de 10,000 liv. st. environ par an pour pensions payées sur les produits du Post-office.

2° Diverses sommes payées de 1838 à 1847 pour le transport des dépêches par chemins de fer, formant un total de 881,600 liv. Le chiffre de ces frais, qui n'était en 1838 que de 12,380 liv., s'élève graduellement jusqu'à 119,983 liv., en 1847 : en dix ans il est décuplé. En 1845, par exception, le gouvernement a payé une somme de 179,257 liv., dans laquelle se trouve compris un arriéré de 108,768 liv. Ces frais ne peuvent qu'augmenter chaque année avec le nombre des lignes de chemin de fer qui seront ouvertes.

Pour donner une idée du chiffre auquel cet article de dépense peut s'élever en Angleterre, il me suffira de rappeler que, conformément à une clause des lois de concession , toutes les compagnies sont obligées d'effectuer le transport des malles aux heures fixées et avec le degré de vitesse indiqué par le post-master general, sauf le droit des compagnies à une indemnité qui doit être déterminée par des arbitres, quand elle ne peut être réglée à l'amiable. Le taux de ces indemnités varie entre un penny (10 1/2 centimes) et 2 schellings et 9 pence (fr. 3-48) par mille et par jour; c'est-à-dire dans la proportion de 1 à 33.

3° Une dépense qui a pris en Angleterre un grand développement et qui n'augmentera sans doute pas en Belgique aussi rapidement, c'est celle qui est occasionnée par le service des mandats sur la poste, de 5 l. et au-dessous, lesquels, dans la période de dix années, de 1839 à 1848, ont augmenté en nombre de 218,000 à 6,965,000, et en sommes de 371,000 l. à 14,190,000 l. pour l'Angleterre et le pays de Galles seulement, non compris l'Ecosse, l'Irlande et les autres possessions britanniques.

Comme je viens de le dire, il y a non seulement dans l'administration des postes anglaises, des dépenses dont l'équivalent ne tombe pas à charge de la nôtre, mais on exige encore de cette institution, en Angleterre, des services qui, en définitive, entraînent des augmentations de frais que nous n'avons pas à prévoir par suite de la réforme. Je me bornerai à en citer deux que je crois les plus importants :

1° Les journaux, pendant la huitaine de leur date, sont transportés par la poste, dans les trois royaumes en franchise de port. Un grand nombre de journaux, tant de Londres que des provinces, sont mis cinq ou six fois à la poste; grâce à ces facilités, ils font échelle dans des localités intermédiaires, pour arriver à la fin de la semaine aux extrémités du pays. Outre les frais de transport, ils ont contribué, dans leur parcours, à augmenter considérablement les frais de distribution.

2° Ainsi que le fait remarquer l'exposé des motifs (page 13) la poste est chargée en Angleterre du transport et de la distribution d'objets qui par leur nature n'ont rien de commun avec la correspondance. Cette amélioration, que M. le ministre n'adopte pas pour le moment, entre certes pour une plus forte part encore que la précédente dans les frais d'exploitation, et il aurait fallu ne pas négliger d'en tenir compte dans les éléments destinés à servir de point de comparaison de l'augmentation.

(page 925) J'aurais voulu pouvoir donner à la chambre un aperçu de cette partie du service et des frais qu'elle occasionne, mais je n'ai rien trouvé, dans les documents que j'ai pu consulter, si ce n'est l'indication des objets qui ne sont pas admis à être transportés par la poste. L'énumération des articles exclus donnera une idée de l'importance de cette branche du service en Angleterre. Tout objet en dessous d'un certain poids peut être expédié par la poste, excepté les bouteilles et objets en verre ; les rasoirs, ciseaux, couteaux, fourchettes ou tout autre instrument pointu ou tranchant ; les sangsues; tout gibier, viande, poisson, légumes, fruits et autres denrées fongibles ; les vessies et autres vaisseaux renfermant des liquides ou des matières qui pourraient causer des dommages au contenu des malles.

On comprend sans peine par ce petit nombre d'exclusions quelle masse d'objets doit faire partie des expéditions par la poste et l'on cesse de s'étonner de l'augmentation considérable des frais, quand on voit que les malles partant le matin et le soir du général post office de Londres seulement, n'emportent pas moins de 12,000 kilogr. pesant, par jour, en moyenne.

Avec un système d'exploitation aussi différent du nôtre et des conditions de transport qui n'admettent pas le moindre point de comparaison, comment est-il possible de présenter sérieusement l'augmentation des frais, croissant en Angleterre de 50 p. c. de 1839 à 1846, comme devant être prise pour base de l'augmentation probable des frais d'exploitation en Belgique?

L'augmentation des frais occasionnée par la réforme postale, en tenant compte de celle qui s'est fait sentir chaque année par suite de l'augmentation de la population et de la richesse publique, en tenant compte aussi des différences signalées plus haut, ne doit pas avoir excédé, en Angleterre, 10 p. c. pour les deux premières années. C'est pendant ces deux années que le grand effet de la réforme s'est produit : l'accroissement des correspondances depuis a repris sa progression normale légèrement grossie.

Aux Etats-Unis l'augmentation des frais d'exploitation au bout de trois ans était de 500,000 dollars sur quatre millions; c'est 7 1/2 p. c.

M. le ministre ne s'attend pas lui-même à une augmentation bien considérable; il n'a demandé que fr. 40,000, soit environ 2 1/2 p. c. d'augmentation sur les dépenses annuelles de ce chapitre de son budget.

Mais ce n'est pas seulement dans l'estimation des frais que les calculs de l'exposé des motifs sont erronés; ceux qui portent sur l'accroissement probable des correspondances le sont également. Les premiers sont fort exagérés, les autres atténués ; et cependant un honorable membre, auteur d'une note insérée dans le rapport de la section centrale, a trouvé moyen d'amoindrir encore les résultats de ces derniers calculs.

J'aurais pu à mon tour, messieurs, dresser des tableaux, présenter des hypothèses; mais une fois le débat commencera vérification devenant sinon impossible, au moins assez difficile pendant la discussion, ce serait sans utilité accabler la chambre de chiffres : j'indiquerai seulement les points qui me semblent manquer d'exactitude, tant dans l'exposé des motifs que dans le rapport.

D'après une expérience de sept jours du 25 au 31 janvier 1848, le nombre des lettres transportées pendant une année en Belgique, par la poste, serait de 9 millions : c'est sur ce chiffre que sont basés tous les calculs.

Il est à remarquer qu'afin d'obtenir une moyenne il aurait fallu répéter l'expérience à plusieurs reprises dans l'espace de quelques mois : tout au moins, n'aurait-il pas fallu la faire précisément à l'époque de l'année où les correspondances ont le moins d'activité. La fin de janvier se ressent de l'échange plus fréquent des lettres entre parents et amis qui a eu lieu vers le nouvel an ; pour les affaires commerciales c'est en général un moment de complète stagnation. En janvier 1848 particulièrement les suites de la crise financière se faisaient encore tellement sentir que ces diverses causes réunies ont dû faire subir aux correspondances de cette époque une réduction de plus d'un dixième sur le nombre à relever par sept jours dans d'autres circonstances. De ce chef seulement il faudrait déjà calculer 10 millions au lieu de 9.

L'appel des miliciens sous les armes, que le rapport signale comme une cause de l'augmentation des correspondances, est loin d'avoir contrebalancé la diminution due à la stagnation des affaires ; il en a été de même en 1839.

Mais ce n'est pas tout ; il faut tenir compte des lettres fraudées. Il est vrai que si la taxe des lettres est maintenue à 20 c, la fraude, qui se fait principalement sur les lettres de cette catégorie, continuera comme par le passé et alors leur nombre ne doit pas être compris dans les calculs présentés dans cette hypothèse; mais on ne devait pas les négliger dans celle de la réduction à 10 c. (page 8), et je dois les y faire entrer pour j démontrer que cette taxe, si elle était adoptée, loin d'amener les résultats que prévoient M. le ministre et l'honorable rapporteur de la section centrale, laisserait un déficit de peu d'importance à la fin de la première année et dès la seconde donnerait une augmentation de produits.

La difficulté est d'apprécier avec exactitude l'étendue de la fraude.

S'il fallait en croire l'auteur de la note insérée dans le rapport de la section centrale (page 7 et suiv. ), la fraude des lettres serait, en Belgique, peu considérable : à défaut de preuves, il invoque un rapport fait en 1847 dans lequel, en deux lignes, sans aucun document à l'appui, on met en avant, comme un fait avéré, que la fraude n'est pas d'un dixième. Cela a l'air d'une autorité, ce n'est qu'une assertion vague.

Je pense, au contraire, messieurs, que cette fraude s'exerce sur des nombres qui atteignent peut être un quart, au moins un cinquième des lettres transportées par la poste.

Je n'ai, pas plus que les défenseurs de l'opinion que je combats, des preuves à fournir; mais j'appuie l'évaluation que je fais sur des points de comparaison et sur des raisonnements que la chambre appréciera.

Laissant en dehors l'Angleterre, que sa richesse et l'étendue de son commerce feraient récuser, je prendrai pour points de comparaison l'Irlande et la France.

En Irlande, en 1839, avant la réforme postale, le nombre des lettres transportées était de 9,340,000 par an. La population étant de 8 millions; environ, c'était 1 1/4 lettre par habitant. En France, en 1846,le nombre des lettres transportées a été de 120 millions : sur une population de 34 millions il donne 3 1 /2 lettres par habitant.

En Belgique, en 1839, le nombre des lettres transportées a été de 7,037,443, la population étant de 4 millions, c'était 1 3/4 lettre par habitant : c'est-à-dire, un peu plus que l'Irlande pendant la même année et la moitié de la France en 1846. Aujourd'hui la moyenne s'est élevée à 2 1/4 par habitant. Cette augmentation de la moyenne provient de ce que, depuis 1839, nos différentes lignes de chemins de fer ayant été complétées, les diligences et les messagers continuant à disparaître de plusieurs grandes routes, les facilités du transport en fraude diminuaient et les lettres revenaient forcément à la poste.

Peut-on croire, messieurs, qu'en Belgique où l'instruction, le commerce, l'industrie, la richesse, ces principaux éléments qui donnent naissance à l'échange des lettres, sont portés à un degré bien plus haut qu'en Irlande, nous soyons restés autant en dessous de ce pays, où la moyenne a atteint, en 1847, le chiffre de 4 1/2 lettres par habitant? Nom certes, le nombre des lettres échangées en Belgique n'est pas moindre, mais la fraude enlève la différence.

Dans la proportion du nombre de lettres transportées en France, les relevés faits en Belgique auraient dû donner le chiffre de 13 millions; ce qui est au-dessus de l'évaluation que je fais delà fraude et la porterait à un tiers, au lieu d'un quart ou d'un cinquième.

Le tableau imprimé à la page 6 de l'exposé des motifs fournil une autre présomption, pour ne pas dire une preuve de la fraude. Veuillez remarquer, messieurs, qu'on a appliqué la taxe de 5 décimes à 492,906 lettres, de 4 décimes à 1,075,915 lettres, de 3 décimes à 1,955,721 lettres et la taxe de 2 décimes à 1,884,912 seulement.

D'abord le nombre des lettres s'élève au double du chiffre qui le précède, par chaque diminution d'un décime de la taxe : de 3 à 2 décimes, cette progression qui devrait continuer et même dépasser 4 millions de lettres, rétrograde au contraire et descend à 1,884,912 lettres. Le reste est transporté en fraude.

Les lettres de et pour le même canton , ne coûtant que dix centimes, s'élèvent à 521,741 lettres, tandis que les lettres de et pour des cantons différents, dépendants toutefois du même bureau et par conséquent se mouvant dans un cercle également restreint, tombent au chiffre de 186,880, parce que, coûtant 20 centimes, elles offrent plus de marge à la fraude que les autres.

En 1839, sur le total général de 7,037,443 lettres transportées par la poste, il y a eu 478,568 lettres d'arrondissement à 20 c.

En 1848, le total général de 9,138,706 lettres (chiffre officiel) présente, sur celui de 1839, une augmentation de 30 p. c. Les lettres de cantons dépendants du même bureau entrent dans le chiffre de l'augmentation pour 50 p. c, soit 708,621 contre 478,568. Cette différence est due, sans aucun doute, à la réduction de la taxe à la moitié, pour une partie de ces lettres, qui sont ainsi revenues à la poste.

De ces diverses comparaisons de chiffres, il résulte que le transport, par des voies détournées enlève à la poste, en Belgique, un grand nombre de lettres taxées à 20 centimes.

Cela s'explique assez naturellement par le bas prix de la main-d'œuvre dans les campagnes où, pour 20 centimes, un journalier porte une lettre à trois lieues de distance ; par la nécessité de communications fréquentes entre quelques établissements industriels et les villes autour desquelles ils sont groupés. Le vrai moyen d'attirer ces lettres à la poste consiste à abaisser la taxe à 10 centimes et à multiplier les distributions dans les centres d'affaires.

J'ai déjà eu occasion de parler de la note comprise dans le rapport de la section centrale; si je ne craignais d'abuser des moments de la chambre j'en dirais encore quelques mots.

Je rends pleine justice aux intentions de son auteur, mais il me semble que la peur du déficit l'entraîne trop loin, et que, pour faire plus d'effet,, il grossit les choses. Je dois relever quelques inexactitudes.

Tout le monde sait que la fraude des lettres était poussée très loin en Angleterre, principalement par l'abus que quelques membres du parlement faisaient de la franchise de port qui leur était concédée ; mais personne ne croira que le nombre des lettres envoyées clandestinement pouvait être évalué à peu près au même chiffre que celui des lettres confiées à la poste, surtout lorsque l'on se rappelle que l'amende encourue était très forte et une part accordée au dénonciateur, par qui la fraude était découverte. Avec un service des postes aussi admirablement organisé qu'il l'était déjà avant la réforme, comprend-on que le transport clandestin s'élevât au même chiffre que celui de la poste, c'est-à-dire à 75 millions as-lettres ?

(page 926) Pour être extraite du rapport du fonctionnaire envoyé en 1840 en Angleterre, cette assertion n'en est pas plus exacte. Ce qu'il appelle un fait à l'appui n'a aucune portée, car en indiquant que le relevé du revenu net depuis 1815 jusqu'à 1835 est resté stationnaire, il ne prouve rien, si ce n'est que les dépenses ont augmenté en même temps que le produit brut. Pour l'Angleterre d'ailleurs, le service des postes au-delà des mers, n'a jamais été organisé en vue du produit que le trésor devait en retirer, mais il fait partie de ce vaste système de suprématie qu'elle cherche à exercer dans l'intérêt de son commerce ; à l'intérieur le service a reçu des améliorations constantes pour lesquelles aucune dépense n'était ménagée, avant comme après la réforme.

L'auteur de la note fait une distinction très subtile des lettres qui forment l'augmentation en Angleterre: il les divise en lettres qui ont été reprises sur la fraude, et en lettres positivement nouvelles dues à rabaissement des taxes ; il trouve aussi que le besoin de correspondre par écrit est plus impérieux en Angleterre qu'en Belgique, et que nous profiterons moins du bienfait que constitue la réduction. Tout cela le conduit à des calculs très ingénieux peut-être, mais dans lesquels je crois inutile de le suivre, parce que, comme ceux de l'exposé des motifs, ils partent d'une base fausse.

Les calculs présentés dans le mémoire de quelques négociants de Bruxelles, qui ont, depuis plusieurs années, travaillé à populariser la question de la réforme postale, reposent au contraire sur des éléments d'appréciation plus exacts. Vous les avez, messieurs, sous les yeux ; je n'y reviendrai donc pas; mais je tiens à constater que l'honorable rapporteur de la section centrale n'a pas même cherché à les réfuter : il s'est borné à rappeler une erreur aussitôt rectifiée que reconnue. Quant aux effets généraux de l'application à la Belgique de la taxe a 10 c. résumés dans ce mémoire, très remarquable cependant, il n'en est pas dit un mot.

Pour les partisans de la réduction à 40 c, il est heureux que la discussion du projet de réforme ait été retardée de quelques semaines. Les résultats de la mise en pratique du système en France, déjà connus pour le mois de janvier, viennent prouver à la dernière évidence combien les calculs des négociants de Bruxelles approchent de la vérité.

Vous avez sans doute lu, messieurs, un article du Journal des Débats, du 28 février, reproduit par plusieurs feuilles de ce pays. Je vais le résumer, en comparant les résultats dont il rend compte aux probabilités prévues pour la Belgique.

Le produit total de la taxe des lettres en janvier 1848 a été de 4,450,006 francs ; en janvier 1849 il n'a été que de 3,518,000 francs. Il y a donc un déficit de 938,000 francs. Mais pour que la comparaison entre les années 1848 et 1849 soit exacte, il faut tenir compte de l'influence de la révolution sur chacun des revenus publics. On trouve dans l'administration même des postes, la mesure de cette influence, par une des branches du service que la réforme a laissée intacte, les lettres de Paris pour Paris. En janvier 1848 la petite poste a rendu à Paris 115,000 fr.; en janvier 1849, elle n'a donné que 95,000 francs, la baisse est de 16 p. c. Il est étonnant que cette baisse n'ait pas été plus forte en raison de la stagnation des affaires dont on peut se faire une idée par ce seul rapprochement, que le portefeuille de la banque de France qui s'était élevé en 1846 à 151 millions, et en 1847 à 176 millions, était tombé au 28 décembre dernier à 42 millions.

Faisant l'application de cette baisse de 16 p. c. reconnue sur les lettres de Paris, au produit total de la taxe pour toute la France, on trouve que janvier 1849, comparé à 1848, n'aurait dû produire que fr. 3,750,000. Par suite de la réforme, il n'a donné que fr. 3,518,000. Le déficit que l'on peut attribuer à cette cause n'est donc que de fr. 232,000; soit 6 p. c. de la recette brute.

En Belgique, 6 p. c. de réduction sur le produit brut de la taxe des lettres qui, d'après l'exposé des motifs, est de fr. 2,859,824, donnerait un déficit de fr. 171,589. Les calculs contenus dans le mémoire des négociants de Bruxelles évaluent le déficit probable à fr. 198,015 pour la première année; ce qui fait 7 p. c. de réduction au lieu de 6 p. c.

Ces résultats obtenus en France avec la taxe réduite à 20 centimes, seraient réalisés en Belgique avec la taxe réduite à 10 centimes. En effet, la réduction de 52 centimes (moyenne delà taxe des lettres en France) à 20 c., correspond à la réduction de 31 centimes (moyenne de la taxe en Belgique; à 12 centimes. La mesure proposée par la section centrale, de soumettre les lettres non affranchies à une taxe plus élevée, aurait pour effet de contrebalancer largement cette différence de 12 c. à 10.

Que dira l'auteur de la note comprise dans le rapport de la section centrale, de l'éclatant démenti donné à ses calculs par les faits, dès le premier mois de l'introduction de la réforme en France ?

Les lettres de bureau à bureau, dont la taxe a été modifiée par le tarif, s'élevaient, en janvier 1848, au nombre de 6,151,000; en janvier 1849, elles ont été de 11,257.000; soit 82 p. c. d'augmentation sur cette catégorie de lettres, c'est-à-dire environ 40 p. c, dès le premier mois, sur la totalité des lettres transportées. En France, on peut dire que les bienfaits de la réforme sont encore à peine connus dans certaines régions.

L'auteur de la note n'accorde à la Belgique, pour la première année, que 25 p. c. d'augmentation, et au bout de deux ans, les 40 p. c. que la France a atteints dès le premier mois.

Dira-t-il que les transports détournés se pratiquant sur une plus grande échelle en France qu'en Belgique, cette augmentation n'est pas due à des lettres positivement nouvelles, mais à des lettres reprises sur la fraude. L'article que je viens de citer répond d'avance à cette objection en ces termes : « Les rapports des directeurs des départements signalent l'apparition d'une nouvelle catégorie de lettres étrangement pliées, mal cachetées et dont la suscription est moins correcte qu'on ne le remarque d'ordinaire. Los lettres de famille et d'amitié seraient, à ce qu'il semble, devenues beaucoup plus nombreuses et, sous ce rapport, la loi atteindrait le but démocratique que l'on s'était proposé. »

D'un autre côté, la même augmentation se fait remarquer sur des lignes où la fraude était impossible. Voici un autre extrait :

« Avant l'établissement de la nouvelle taxe postale, les lettres transportée s à Alger ne comportaient qu'un maximum de cinq valises. Sous l'influence du régime nouveau, le nombre de ces valises s'élevait déjà, au dernier départ, à onze, qu'il a fallu soumettre à une pression extraordinaire, l'administration n'ayant pas un plus grand matériel.

« Le port de Philippeville a comporté à lui seul huit valises, lorsque antérieurement le nombre ordinaire était de trois. »

On peut donc affirmer que l'auteur de la note s'est complètement trompé dans ses calculs.

En France, comme chez nous, on a avancé que la réforme postale occasionnerait un déficit considérable. Un représentant, M. Deslongrais, l'estimait à 10 millions; un autre, M. Randot, l'évaluait de 15 à 20 millions sur le produit brut de 48 millions, de même que l'honorable M. Cools prétend que le déficit sera d'un million et demi sur le produit brut de trois millions, M. de Saint-Priest, représentant du peuple et ancien député, le même qui a été sur le point de faire admettre la réforme par la chambre dès 1845, et certainement un des hommes qui ont le mieux étudié cette question en France, répondant à son collègue, exprimait l'espoir que le déficit n'irait pas à 3 millions, soit environ 6 p. c. de la recette brute. M. Etienne Arago, directeur général des postes, l'évaluait au même chiffre de 3 millions. Mais, ajoutait-il, à une condition, c'est que les agents de l'administration s'associeront franchement à la réforme votée par l'assemblée nationale. Les résultats obtenus pendant le premier mois, ainsi que je l'ai dit il y a un instant, confirment les prévisions de MM. de Saint-Priest et Arago.

Les partisans de la réforme à 10 centimes peuvent avec la même confiance exprimer leur conviction que le déficit ne dépasserait pas 200,000 fr. en Belgique.

Si M. le ministre veut obtenir tout l'effet utile de la réforme postale et combler promptement le déficit que l'on peut craindre, il ne suffira pas seulement de la décréter et d'attendre que, lentement, l'abaissement de la taxe et toutes les autres facilités que ce service peut recevoir, le rendent productif ; il faut, tout de suite que, par tous les moyens dont le gouvernement dispose, les habitants des localités même les plus reculées soient informés que la transmission des correspondances et des espèces par les mandats de poste est devenue accessible à tous ; que pendant plusieurs semaines les bourgmestres des communes rurales en fassent l'annonce à leurs administrés; que les curés soient invités à la répéter au prône le dimanche; que les maîtres d'école soient chargés du débit des timbres ; que dans tous les hameaux ou agglomérations de maisons on établisse des boîtes aux lettres dont les facteurs ruraux feraient journellement la levée, comme cela se pratique pour les boîtes secondaires dans les villes; que ces facteurs soient même autorisés à recueillir sur leur passage les lettres qui leur seront offertes sans toutefois que leur marche puisse en être retardée. Afin de stimuler leur zèle qu'on leur accorde une prime sur un certain nombre de lettres, recueillies.

Plus il sera donné de facilités, plus on écrira. Qui ne s'est trouvé à la campagne, désireux quelquefois d'écrire et dans l'impossibilité de faire partir une lettre à cause de l'éloignement du bureau de poste ?

Il en est de même dans les villes : pourquoi ne pas multiplier les boîtes qui ne devraient être qu'à 500 ou 600 mètres de distance l'une de l'autre? A Bruxelles il y a, sous ce rapport, une amélioration récente, mais elle est incomplète; la distribution se fait encore si lentement que les lettres, arrivant vers huit heures du matin par le courrier de France, ne sont pas distribuées avant midi, dans certaines parties de la ville.

Quant aux lettres de la ville pour la ville, à Bruxelles, au moins, le service mieux organisé suffirait presque seul à couvrir la dépense qu'occasionnerait l'augmentation du nombre des facteurs, suffisante pour faire une distribution de deux en deux heures. A Londres, il y a dix distributions par jour, les lettres sont délivrées environ deux heures après la levée des boîtes secondaires, qui a lieu toutes les heures vers le milieu du jour et de deux en deux heures le matin et le soir.

Le service des mandats de poste, pourvu que le tantième soit abaissé au taux proposé par la section centrale, est aussi de nature à augmenter considérablement les recettes. Mais pour cette partie encore il faut initier la population à l'emploi de ce moyen. Combien de cultivateurs tenant à loyer de petites parcelles de terre, sont obligés de faire plusieurs lieues à pied pour aller payer au propriétaire ou à son agent un fermage de quelques francs ! Non seulement ils perdent une journée, mais ils ne peuvent voyager sans faire de la dépense; un mandat sur la poste pris au bureau le plus voisin leur épargnerait un déplacement et les frais qu'il entraîne.

Les détaillants dans les villages et dans quelques bourgs, où les recouvrements par des traites s'effectuent difficilement, pourraient adopter le même moyen de solder leurs comptes.

Outre le tantième perçu il serait fait usage de deux timbres, l'un pour envoyer le mandat, l'autre pour transmettre l'avis de réception et la quittance.

Il y aurait encore beaucoup d'autres moyens de provoquer un plus grand développement du service postal.

Je termine ces développements peut-être beaucoup trop longs.

M. le ministre et la majorité de la section centrale repoussent la taxe réduite à 10 c. parce qu'ils croient que cet abaissement aura des résultats (page 927) désastreux pour le trésor. On accuse pour la première année un déficit d'une part de 1,096,054 fr. 20 c, de l'autre de 1,549,512 fr. 80 c.

Je crois avoir démontré que ces calculs sont basés sur des données inexactes et que l'épreuve tentée en France ne fait prévoir qu'un déficit de 200,000 francs pour notre pays, en adoptant même la taxe uniforme à dix centimes.

J'appuierai l'amendement qui sera présente pour l'adoption de la taxe à dix centimes.

M. Cumont. - Messieurs, j'ai à soumettre à la chambre des observations dans le sens de celles que vient de présenter l'honorable M. Cans. Si des orateurs ne partageaient pas notre opinion je désirerais qu'ils se fissent entendre, afin de pouvoir rencontrer leurs objections. Je croyais que d'autres orateurs étaient inscrits avant moi.

M. le président. - Ils ont renoncé à la parole; il n'y a plus que M. Cumont d'inscrit.

M. Cumont. - M. le ministre des travaux publics est peut-être disposé à répondre à l'honorable M. Cans?

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, le gouvernement se trouve en présence, d'une part, des adversaires de toute réforme postale, et d'une autre part, des partisans d'une réforme absolue, radicale. Les adversaires de toute réforme sont préoccupés avant tout de la nécessité de maintenir l'équilibre de nos finances. Ils pensent que le temps est mal choisi pour opérer une réforme, qui, de quelque manière qu'elle se fasse, doit nécessairement amener à sa suite une diminution momentanée de nos recettes. Les partisans d'une réforme radicale, au contraire, sont préoccupés avant tout de la crainte qu'une réduction telle que le gouvernement la propose n'ait pour résultat de discréditer la cause même de la réforme. Ils craignent qu'une telle réduction ne produise qu'un effet insignifiant sur l'accroissement de la correspondance, et que, par cela même, une réforme plus complète ne soit ajournée pour un temps très éloigné.

Le gouvernement, messieurs, ne partage point ces craintes; et, en conséquence, il croit devoir se maintenir dans la position qu'il a prise alors qu'il a proposé le projet de loi actuellement en discussion.

A coup sûr, nous devons chercher, autant que possible, à ne point troubler l'équilibre des dépenses et des recettes de l'Etat. Notre situation financière n'est pas tellement brillante que nous puissions ne pas nous soucier d'une diminution de recettes quelque peu considérable. Mais, fallait-il, sous l'empire de cette préoccupation exclusive, nous interdire tout progrès ? Fallait-il ne faire aucun effort pour réaliser un bienfait que le commerce et l'industrie belge attendent avec impatience ?

Le gouvernement ne l'a pas pensé, messieurs, et il l'a pensé d'autant moins, qu'il eût été difficile de résister à l'exemple qui nous avait été donné par l'Angleterre et par la France. Si la France, malgré les commotions politiques auxquelles elle a été livrée, a cru pouvoir opérer une réforme, qui est à la fois un progrès matériel et un progrès moral, la Belgique, qui a joui d'un calme parfait au milieu de ces orages, ne peut se dispenser d'entrer dans la même voie.

Le commerce et l'industrie sont en droit de compter sur la réalisation de la promesse qui leur a été faite dès le mois d'avril 1848; et, pour notre part, nous ne sommes nullement disposés à la fausser.

Les honorables membres qui sont opposés à la réforme que nous proposons d'introduire, s'exagèrent, selon nous, les mauvais résultats qui pourront en être la conséquence.

Nous pensons que nous avons le droit de compter sur une augmentation des relations épistolaires, telle que la diminution du produit postal sera, sinon insignifiante, du moins de beaucoup inférieure à celle qu'ils redoutent. Mais l'exemple même de l'Angleterre est fait pour nous convaincre qu'il serait imprudent d'introduire, d'un seul coup, une réforme plus complète.

L'exposé des motifs n'a point exagéré en appréciant à un million la diminution des recettes qui pourrait résulter momentanément de l'établissement d'une taxe uniforme à 10 c. ; et dès lors je demande à la chambre si nous sommes dans une situation qui nous permette de nous livrer aux hasards de cette expérience ; et où nous irions chercher les ressources nécessaires pour combler le déficit que nous aurions créé.

Telle est, messieurs, la raison pour laquelle nous n'avons pas pu nous rallier au désir de la minorité de la section centrale.

L'honorable M. Cans vous a dit tout à l'heure, que l'exposé des motifs et le rapport fait au nom de la section centrale, avaient exagéré les conséquences de la réduction de la taxe à 10 centimes. Il a pensé que quelques-uns des chiffres qu'accuse l'exposé des motifs sont inexacts, que d'autres ont été mal appréciés ; que l'augmentation de correspondance qui s'est produite dans d'autres pays a été atténuée, et que l'augmentation de la dépense a été au contraire exagérée.

Je ne le pense pas, messieurs. En supposant que par suite de la réduction de la taxe à 10 centimes, le développement des relations épistolaires recevrait en Belgique une augmentation égale à celle qui s'est produite en Angleterre, je crois qu'on a fait aux partisans de la réforme postale la concession la plus large, qu'on s'est placé dans l'hypothèse la plus favorable à une cause qui a d'ailleurs toutes mes sympathies.

Il ne faut pas perdre de vue, en effet, messieurs, qu'il y a entre l'Angleterre et la Belgique des différences nombreuses au désavantage de notre pays.

En premier lieu, la taxe des lettres en Angleterre était très considérable. Par conséquent en la réduisant au même taux auquel on voudrait la réduire en Belgique, on a dû produire un effet plus sensible que celui auquel on pourrait s'attendre dans notre pays.

En second lieu, j'admets avec l'honorable M. Cans, qu'un bon nombre de lettres nous échappe par la fraude. Cela est vrai, surtout à l'égard des lettres qui se transportent à petite distance.

Mais, à coup sûr, personne ne pourra admettre que la fraude soit aussi considérable en Belgique qu'elle l'était en Angleterre, où l'on calcule qu'elle atteignait un nombre égal à celui des lettres transportées par la poste; et les raisons en sont nombreuses : d'abord, en règle générale, la fraude est en proportion de l'appât qu'elle présente. Plus le droit auquel on désire échapper est élevé, plus aussi les fraudes se multiplient; par conséquent, par cela même que la fraude ne peut guère s'appliquer chez nous qu'aux lettres qui se transportent à de très petites distances, et dont la taxe est de 20 centimes seulement, il n'est pas permis d'en calculer l'activité et les effets sur la proportion qu'elle avait atteinte en Angleterre, où elle s'exerçait sur des lettres soumises à une taxe très élevée.

En troisième lieu, tout le monde sait que les membres du parlement anglais jouissaient, avant l'introduction de la réforme postale, du droit de franchise pour leur correspondance et qu'ils en faisaient un usage très large et très préjudiciable pour le trésor.

En quatrième lieu, messieurs, le transport des journaux, en Angleterre, s'effectue au prix d'une lettre ordinaire. C'est une circonstance qui a échappé à l'attention de l'honorable membre auquel je réponds en ce moment.

M. Cans. - Les journaux ne payent rien, en Angleterre.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je parle d'après les renseignements que j'ai eus sous les yeux, et il me paraît difficile de croire qu'ils soient inexacts.

M. Cans. - Les journaux, en Angleterre, payent le timbre; ils ne payent pas de port.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - C'est un point à éclaircir.

Il y a encore une considération, messieurs, qu'on ne doit pas négliger. Avant la réforme, les dépêches officielles n'étaient astreintes, en Angleterre, à aucune taxe ; maintenant elles payent la taxe des lettres ordinaires.

Il y a donc là, encore une fois, une cause d'augmentation de recettes qui n'existe pas en Belgique.

Ainsi, en résumé, il y a entre notre pays et l'Angleterre de grandes et de nombreuses différences dont il faut tenir compte, et cependant l'exposé des motifs n'a tenu compte que d'une seule, en supposant que la proportion de l'augmentation de la correspondance à la diminution de la taxe serait la même en Belgique qu'en Angleterre, c'est-à-dire que la diminution de la taxe ayant été de 84 p. c. en Angleterre, et étant supposée de 40 p. c. chez nous, l'augmentation de la correspondance en Belgique serait, à celle de l'Angleterre , comme 40 à 84.

Je n'éprouve plus que le besoin de protester contre les inductions que les adversaires d'une réforme plus complète pourraient être tentés de tirer des résultats qui seront obtenus sous l'empire de la réforme proposée. Il est certain que nous ne pouvons point nous attendre à un accroissement de correspondance comparable à celui qui serait le résultat d'une réforme radicale telle que je désirerais pouvoir l'opérer; mais si les circonstances deviennent meilleures, le gouvernement ne s'interdit pas de revenir sur la mesure qu'il vous propose, et de vous demander d'en étendre les effets dans un sens plus conforme au besoin du siècle; et c'est là une raison qui doit peser beaucoup dans votre balance, à savoir que si nous opérons aujourd'hui une réforme radicale, quelles qu'en soient les conséquences, il sera bien difficile d'en revenir, tandis que si nous la faisons modérée, rien ne nous empêchera d'en faire une application plus complète, lorsque la situation financière sera améliorée et que l'expérience aura donné raison à nos prévisions.

M. Rodenbach. - Si j'ai bien compris M. le ministre, il est partisan d'une réforme radicale, mais il craindrait que le trésor public n'en souffrît. Je crois, messieurs, que les assertions de M. le ministre à cet égard sont très conjecturales. Je crois qu'il est, pour ainsi dire, impossible de faire une statistique de ce que seront les produits de telle ou de telle taxe. Je citerai un seul exemple : avant les chemins de fer, il y avait entre Bruxelles et Anvers 5 ou 6 diligences, et vous savez combien de voyageurs une diligence pouvait transporter; eh bien, messieurs, depuis que le chemin de fer existe, il y a, je pense, 6 convois qui partent chaque jour. Comparez le nombre immense des voyageurs qui circulent aujourd'hui, au petit nombre de ceux qui circulaient avant l'établissement des chemins de fer, et dites si, en 1834, il eût été possible de prévoir le résultat qui a été obtenu, si tous les statisticiens n'auraient pas porté à cet égard le même jugement que M. le ministre porte aujourd'hui de la réforme postale? Je dis que nul employé des postes, nul ministre ne peut avoir une opinion fondée quant aux résultats de la taxe de 10 centimes.

Messieurs, notre pays a une faible étendue; la plus grande distance est de 50 lieues environ ; le transport des lettres est donc peu coûteux; je pense qu'il ne va pas à 5 centimes par lettre. On ne peut donc pas nous opposer l'exemple de la France où la taxe n'a été réduite qu'à 20 centimes, parce qu'on a craint, dans les circonstances actuelles, de diminuer les revenus du trésor : en France les frais du transport d'une (page 928) lettre sont infiniment plus considérables que chez nous ; ainsi de Lille à Marseille, par exemple, il y a 250 lieues; chez nous, les distances sont comparativement insignifiantes et nous avons, en outre, des chemins de fer qui vont presque partout.

Je dis, messieurs, que dans l'intérêt du trésor public, il serait peut-être aussi prudent de réduire la taxe à 10 centimes, que de la fixer à 20 centimes.

En adoptant le chiffre de 20 centimes, vous n'augmenterez pas considérablement la correspondance, tandis que vous l'augmenteriez dans une proportion énorme en admettant la réduction à 10 centimes. En Angleterre, on l'a dit, la moyenne des lettres expédiées était, avant la réforme, de 3 lettres et 1/4 par individu ; aujourd'hui elle est de 14 lettres; chaque Anglais, en moyenne, écrit 14 lettres par an. Chez nous, la moyenne n'est que de 2 lettres et 1/4 et il vous suffira de doubler ou de tripler ce nombre, c'est-à-dire de le porter à 4 1/2 ou 6 3/4 pour que la taxe de 10 centimes vous donne le revenu que vous touchez aujourd'hui et qui est, brut, de 3,800,000 fr. environ.

Je crois, messieurs, que si l'honorable ministre des travaux publics, qui a exprimé des opinions progressives sur la matière, croit que la taxe à 20 centimes produira un déficit, il vaudrait mieux ajourner la réforme et attendre une époque plus heureuse.

Alors vous pourrez prendre une mesure complète. Si vous adoptez une demi-mesure, une mesure mixte, une mesure bâtarde, vous n'obtiendrez aucun bon résultat. Lorsqu'on est progressif, lorsqu'on proclame le principe de la réforme, il faut avoir le courage d'être conséquent et de proposer une réforme radicale, c'est-à-dire la taxe à 10 centimes. De cette manière vous rendrez service au commerce et à l'industrie, vous favoriserez les relations de famille et d'amitié. Aussi bien pour les personnes aisées que pour les classes inférieures, vous augmenterez considérablement la correspondance, et vous pourriez fort bien n'avoir pas de déficit dans les recettes.

J'aurai, messieurs, quelques observations de détail à vous soumettre, suais je les présenterai dans la discussion des articles. Pour le moment je me borne à demander à M. le ministre sur quelles preuves il se fonde pour dire que la taxe à dix centimes produirait une diminution de recettes. Je le répète : on ne peut savoir la perte qui sera faite ; toutes les appréciations à cet égard sont très hasardeuses ; c'est l'expérience seule qui peut nous dire combien nous perdrons.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je dois rectifier l'erreur dans laquelle je suis tombé tout à l'heure en répondant à M. Cans. Comme cet honorable membre vous l'a dit, les journaux circulent en Angleterre en franchise de port ; ce sont tous les imprimés en général, à l'exception des journaux, qui sont soumis à la taxe des lettres ordinaires.

Maintenant un mot en réponse à l'honorable M. Rodenbach.

Cet honorable membre vous a dit que les calculs qu'on a établis de part et d'autre ne présentent, en général, aucune certitude ; que le gouvernement ne peut pas affirmer que l'augmentation de la correspondance se bornera au chiffre qu'il a indiqué, et que la diminution de la recette sîea aussi considérable que celle qu'il présume, et dès lors, ajoutait-il, puisque le ministère se déclare partisan de la réforme, qu'il ait le courage de la faire sérieuse et complète; l'établissement de la taxe à 20 centimes ne produira que des résultats partiels, sans importance.

Je répondrai que, s'il en était ainsi, ce serait précisément une raison pour que le gouvernement s'imposât une grande réserve ; et qu'il serait coupable d'exposer le pays aux hasards d'une expérience dont il ne pourrait calculer les conséquences.

Mais, pour n'être point certains, les calculs contenus dans l'exposé des motifs n'en présentent pas moins la plus grande probabilité; car ils sont fondés sur les données de l'expérience. Je le répète, si nous partons de la supposition que nous obtiendrions en Belgique le même résultat qu'on obtient en Angleterre, on peut dire hardiment que c'est la derrière limite des espérances qu'il est permis de concevoir. (Interruption.)

C'est un grand pays, dit l'honorable M. Rodenbach, mais c'est précisément parce que c'est un grand pays, d'une activité commerciale et industrielle incomparablement supérieure à la nôtre, que nous devons nous attendre à un accroissement de correspondance bien moins considérable et moins rapide que celui qu'on a vu se manifester dans ce pays.

Or, quels sont les résultats qui ont été obtenus en Angleterre? Le nombre des lettres y a quadruplé, il est vrai ; de 75 millions, il s'est élevé en peu d'années à plus de 300 millions. Mais quel a été le revenu net?

Aujourd'hui encore, malgré un accroissement de correspondance aussi considérable, il est bien loin d'égaler le chiffre qu'il avait atteint avant la réforme.

On doit regarder comme très probable que l'établissement de la taxe à 10 centimes aurait pour la Belgique des conséquences analogues ; et nous ne croyons pas, dès lors, qu'on puisse se jeter à l'aventure dans une expérience qui pourrait entraîner des résultats financiers qui, pour être momentanés, n'en seraient pas moins désastreux.

M. Rodenbach. - Messieurs, avec le système mixte, demi-libéral à 20 centimes, je crois que la perte sera plus considérable que ne le prévoit M. le ministre des travaux publics. Je désire être mauvais prophète, puisque c'est le trésor public qui est en cause; mais je crains fort que ma prédiction ne se réalise.

Avec la réforme à 20 centimes, vous n'empêcherez pas la fraude. Elle continuera comme par le passé. M. le ministre des travaux publics doit savoir comment on fraude ou plutôt comment on élude la loi, avec la taxe actuelle. On écrit quatre ou cinq lettres sur du papier très fin ; on les met dans une autre enveloppe ; ces lettres sont, je suppose, expédiées d'Anvers à Bruxelles ou vice versa. Elles ne payent que 30 centimes; le correspondant bruxellois de l'expéditeur anversois, ou vice versa, fait ensuite remettre à domicile ou par la petite poste ces lettres ainsi frauduleusement soustraites à la taxe. Cette fraude continuera avec la réforme à 20 centimes, tandis que vous l'éviterez avec la réforme libérale à 10 centimes. Vous avez partout, et notamment dans les Flandres, des messagers et des voituriers de ville à ville et même de village à village; eh bien, avec la réforme à 10 centimes, ces messagers n'auront plus rien à faire.

Je pense que si l'on n'adopte pas à présent une réforme radicale, on ferait infiniment mieux d'ajourner le projet de loi. Ce que l'on vous propose n'est qu'une demi-mesure ; je le répète, c'est un système bâtard qui ne convient pas.

M. Cumont. - Messieurs, je vois avec plaisir que le gouvernement est d'accord avec nous pour entrer dans une voie large, la seule qui puisse produire un résultat avantageux et pour le commerce et pour le gouvernement.

Certainement l'aggravation des ports de lettres tombe principalement sur le commerce ; eh bien, le gouvernement ne vient-il pas d'imposer au commerce une lourde charge par le timbre, dont il a frappé les effets de commerce? Cette aggravation s'élève à un demi-million par an. Si donc il y avait un déficit sur les ports de lettres, il serait largement compensé par ce que le gouvernement reçoit par une autre voie, qui pèse exclusivement sur le commerce.

Messieurs, je suis opposé à la réforme à 20 centimes, parce que je la considère comme une demi-mesure, et que toutes les demi-mesures ne produisent que de faux résultats ; vous n'empêcherez pas la fraude avec la taxe à 20 centimes ; or, c'est par l'extinction de la fraude que l'on peut procurer au gouvernement de quoi compenser la diminution de la recette.

Je me suis livré à un calcul, d'après les propositions que vous a faites j l'honorable M. Cans ; l'honorable membre demande comme moi que la taxe soit à 10 centimes, avec affranchissement obligatoire, qu'elle soit portée à 20 centimes pour les lettres non affranchies.

De cette manière, nous arriverons insensiblement au chiffre de 10 centimes, qui est la taxe radicale que tout le monde désire. Mais comme il n'est pas dans nos habitudes d'affranchir nos lettres, cette mesure n'opérerait que graduellement. Supposez pour la première année qu'un tiers des lettres ne soit pas affranchi, j'admets que 35 pour cent payent la taxe de 20 centime, ce qui vous donne 7 francs; pour les lettres lourdes payant un prix moyen de 40 centimes, j'estime le nombre à 13 p. c, les lettres pesantes sont celles sur lesquelles s'opère la plus grande fraude ; quand nous avons plusieurs effets, des factures, des papiers à envoyer qui donnent lieu à une taxe de 1 fr., 1 fr. 50, nous les remettons au chemin de fer ou aux messageries, avec un paquet quelconque ; admettons donc 15 p. c. de lettres lourdes, ou double port de 40 cent., ce qui produit 6 fr.; j'estime à 3 p. c. les lettres chargées, ce chiffre n'est pas exagéré, à 50 c. elles donnent 2 fr. 50.

Il reste 45 p. c. de lettres qui payeraient 10 centimes, soit 4-50. J'arrive ainsi pour cent lettres à un produit de 20 fr., ou à une taxe moyenne de 20 centimes par lettre. Aujourd'hui la moyenne est de 31 centimes. Il manque donc 11 centimes pour arriver au chiffre actuel. Du moment que nous obtenons la même moyenne qu'aujourd'hui, il n'y a pas de déficit pour le trésor. Pour atteindre ce chiffre de 31 centimes, il faudrait une majoration dans le nombre de lettres de 55 p. c. à 20 centimes, ce qui donne 11 fr. pour cent lettres, ou 11 centimes par lettre, ce qui fait 31. La majoration de 55 p. c. ne sera pas trouvée exagérée, quand on saura qu'en France il est constaté qu'elle a été de 82 p. c, et en Angleterre de 115, dès la première année de la réforme.

Nous sommes donc à un chiffre bien inférieur à celui constaté en France et en Angleterre. J'ai pris le chiffre le plus minime pour vous convaincre qu'il ne peut y avoir de déficit pour le pays. C'est la seule raison qui pourrait faire repousser la réforme radicale que nous proposons. Il vous paraîtra évident qu'il ne peut pas y avoir de déficit si nous atteignons la même moyenne qu'aujourd'hui. Le seul moyen d'arriver à ce résultat est de réduire la taxe à 10 centimes, car cette réduction préviendra la fraude, tandis que la réduction à 20 centimes laisserait subsister celle qui se fait aujourd'hui au détriment du trésor.

Ce fait est incontestable; il est donc évident que pour éviter le déficit que l'on craint de voir se produire, il faut, dans l'intérêt du gouvernement, adopter la taxe, avec affranchissement obligatoire, à 10 centimes, en faisant payer 20 centimes pour les lettres non affranchies.

M. Cools, rapporteur. - La réforme postale est un des derniers legs de la chambre ancienne. A notre entrée dans cette enceinte après les élections générales du mois de juin, nous avons tous compris que notre premier devoir était de travailler efficacement à l'amélioration de notre situation financière. Les décisions que nous avons prises successivement démontrent que chambre et gouvernement n'ont pas failli à ce devoir.

Nous sommes maintenant en présence d'un projet de loi qui va détruire une partie des effets que nous avions obtenus par les décisions précédentes; ce projet doit augmenter notre déficit.

Quand, au commencement de cette session, je me suis livré à l'inventaire de notre situation financière, comme vous tous probablement (page 929) l'avez fait à votre tour, j'ai reconnu que le projet de réforme postale devait être regardé de près, parce que quel que soit le système auquel s'arrêtera la chambre, il en résultera une perte de plusieurs centaines de mille francs. Dès le commencement, j'ai cependant accueilli avec faveur la réforme postale, mais je ne me suis pas mépris sur la portée de l'adhésion que je donnerais à ce projet ; je comprenais que je contractais l'obligation de voter d'autres moyens de parer au déficit.

J'aurais désiré, je l'avoue, qu'on se fût occupé, avant d'aborder cette réforme, de quelques-uns des projets qui doivent améliorer notre situation financière, comme j'en ai fait la demande dans notre dernière séance, parce que je ne sais si tous les membres favorables à la réforme, ceux surtout qui se prononcent pour la réforme la plus large, sont d'accord avec moi sur les conséquences qui se rattachent à leurs votes.

M. le ministre des finances a fait connaître les motifs de santé qui s'opposent à ce qu'il se charge, en ce moment, de la défense d'un autre projet financier.

Cette circonstance est fâcheuse; je n'en suis pas moins disposé à remplir la tâche que j'ai assumée de défendre le rapport de la section centrale, parce que j'aime à me rassurer sur le sort réservée d'autres projets qui me paraissent être en rapport intime avec celui dont nous nous occupons : j'aurais seulement désiré de pouvoir aborder ma tâche avec plus de confiance. Dans la situation actuelle, je défendrai la réforme dans les termes proposés par le gouvernement, parce que je la crois une chose bonne et utile.

Après le discours que je viens d'entendre, je dois dire que je me prends à douter si je puis encore me déclarer favorable à la réforme postale. On attache, à ce qu'il paraît, une signification particulière au mot réforme; selon certains membres, dès qu'on n'admet pas la taxe uniforme de 10 centimes, on n'admet plus une réforme véritable, on est un ennemi du progrès. Quand nous aurons voté le projet du gouvernement qui doit pourtant avoir des conséquences fâcheuses pour nos finances, on dira que nous n'avons rien accordé. Je crois que nous devons nous mettre au-dessus d'une opinion aussi absolue et examiner la question sous toutes ses faces.

Je crois que la réduction que propose le gouvernement est une chose sérieuse, très utile et qui suffit pour le moment. Ce n'est pas une réforme, dit-on. Voyons cependant quels sont les signes caractéristiques d'une réforme, d'après le premier orateur que vous avez entendu?

Les signes d'une réforme sont, d'après cet honorable membre, la taxe uniforme et l'affranchissement obligatoire, ou tout au moins préalable; mais, ne sont-ce pas là les principes admis par la section centrale ?

Nous voulons une taxe généralement uniforme de 20 c. Nous admettons, il est vrai, une exception pour une petite catégorie de lettres. Mais quel est le principe inséré dans nos lois qui n'admet pas d'exceptions, lorsqu'il y a des motifs suffisants?

Pour nous le principe, c'est la taxe uniforme. Nous demandons de plus l'affranchissement préalable. Nous ne proposons pas qu'il soit obligatoire, mais nos adversaires ne le demandent pas non plus. Comme eux, nous nous bornons à attacher des avantages à l'affranchissement préalable. Nous ne partageons pas l'avis des partisans de la réforme à 10 centimes sur l'importance qu'il faut donner à ces avantages. Mais nous sommes d'accord avec eux sur le principe d'un avantage à accorder à l'affranchissement préalable. Nous sommes donc tous d'accord sur les principes que devra consacrer la loi ; nous différons seulement sur l'extension qu'il faut y donner.

Je crois que les partisans de la taxe à 10 centimes s'exagèrent les avantages de cette taxe. Ainsi, l'on a dit que si nous admettions la taxe à 10 c, il n'y aurait presque plus de travail de vérification dans les bureaux de la poste. Mais il faudra. comme aujourd'hui, faire le triage, l'examen des lettres pesantes; le classement des lettres pour en faire l'envoi dans une direction plutôt que dans une autre.

Je crois aussi, quoi qu'on ait dit, que le travail auquel donne lieu la levée des boites ne sera pas plus diminué par la réforme à 10 centimes que par la réforme à 20 centimes.

On a fait en dernier lieu des calculs sur les résultats financiers de la réforme à 10 centimes.

Il est évident que je ne puis pas suivre tous les calculs. Mais j'ai saisi quelques chiffres qui me paraissent fortement erronés.

Ainsi, l'on a fait des calculs sur le nombre des lettres non affranchies qui continueront à se présenter après la réforme. On suppose que si l'on admet la taxe à 10 c. (c'est l'honorable M. Cumont qui a présenté cet argument), il y aura encore le tiers de lettres non affranchies qui continuera à se présenter.

C'est contraire à ce qui s'est présenté dans d'autres pays, et à ce qui se présentera bien certainement dans le nôtre. Du moment que les lettres non affranchies payeront un port double, il est évident que le nombre en deviendra extrêmement minime.

On a parlé des lettres pesantes. Je ne puis établir de calculs à cet égard. Mais ces lettres n'ont servi de base aux calculs ni du ministre, ni de la section centrale. Tous les calculs ont été faits sur le nombre des lettres simples.

On a fait observer qu'en Angleterre il s'est présenté des circonstances qui ne se présenteront pas ici. Mais on a fait, au sujet de ce qui se passe, en Angleterre, différents calculs qui manquent complètement d'exactitude. La section centrale a déjà relevé quelques-unes de ces erreurs.

On a fait remarquer, dans la séance d'aujourd'hui, que l'augmentation des dépenses ne concorde pas avec l'augmentation des recettes. Il est évident que la nécessité de nouveaux employés ne se fait sentir que successivement, quand on s'est soumis à un état de gêne avant d'en augmenter le nombre. Ainsi l'augmentation de la dépense n'est pas immédiate. Il faut fixer son attention sur une certaine période, et lorsqu'on agit ainsi pour l'Angleterre, on reconnaît que la progression des dépenses a été très forte au bout de quelques années.

On a dit qu'on faisait figurer dans les dépenses certains articles de dépenses que nous n'aurons pas ici. On a parlé notamment des subsides aux sociétés concessionnaires de chemins de fer, que nous n'aurons pas à payer comme en Angleterre. A cet égard, des explications sont données dans le rapport de la section centrale. Je pense qu'elles sont satisfaisantes. Je n'ai donc rien à y ajouter.

On a parlé également d'arriérés qui figurent parmi les dépenses. Mais ces arriérés sont relatifs aux dépenses faites pour les postes. Il faut donc les faire figurer dans le bilan de la situation. Je suppose que ces arriérés s'appliquent à deux ou trois années. Toujours est-il qu'ils doivent figurer dans les augmentations de recettes résultant des réformes.

On a parlé des journaux. On a dit qu'en Angleterre il y avait une augmentation résultant du transport gratuit des journaux. J'avoue que les faits ne me sont pas très bien connus. Mais si j'en juge d'après les renseignements recueillis par M. l'inspecteur Bronne, je dois croire qu'à toutes les époques les journaux se sont transportés gratuitement en Angleterre ; car je lis dans son rapport le passage suivant :

« M. Rowland-Hill argumentait d'une autre manière encore pour faire mieux ressortir l'injustice du système de taxation selon la distance.

« La quotité du poids des objets transportés par la poste se divisait ainsi qu'il suit (poids)

« Lettres assujetties à la taxe, 16 p. c.

« Lettres de franchise et documents parlementaires, 9 p. c.

« Journaux circulant en franchise, 75 p. c.

« Total, 100 p. c. »

Ainsi, antérieurement à la réforme, je dois le supposer, les journaux circulaient gratuitement. Dès lors cela n'a influé en rien sur l'accroissement de la dépense qui a été produit par l'adoption de la réforme.

M. le ministre a fait parfaitement ressortir la différence que présente la Belgique comparativement à l'Angleterre, en ce qui concerne la fraude. Il a fait remarquer les nombreux motifs qu'il y avait, en Angleterre, de frauder sur une grande échelle, motifs qui ne se présentent pas en Belgique. Sous ce rapport, les adversaires que je combats sont bien près d'être d'accord avec nous ; car l'honorable M. Cans, confondant deux documents distincts, a commencé par faire ressortir qu'il y avait une grande exagération dans le rapport de la section centrale qui évalue la fraude, à ce qu'il suppose, à 10 p. c.

Il a prétendu qu'on ne pouvait l'évaluer à un chiffre aussi peu élevé. Il a évalué la fraude à un quart, ou à 20 p. c. Mais c'est précisément la base que nous avons adoptée dans cette partie du rapport de la section centrale à laquelle il s'est attaqué. Nous avons dit que la fraude, en Belgique, n'est que de 20 p. c; c'est ce que l’honorable M. Cans reconnaît avec nous. Mais nous admettons que par la taxe à 20 c. cette fraude diminuera très peu. Mes honorables adversaires pensent (et je suis d'accord avec eux) que la fraude diminuerait davantage par l'adoption de la taxe à 10 centimes. Mais cet avantage est secondaire et ne peut contrebalancer les inconvénients de ce système, ni prévaloir contre les considérations qui doivent déterminer l'adoption de la taxe à 20 centimes.

Prévoyant les conséquences qu'on chercherait à déduire de la différence de position des deux pays, en ce qui concerne la fraude, on a prétendu que les renseignements qu'on a donnés sur la fraude qui se pratique en Angleterre ne sont pas exacts et on a voulu contester la force de cet argument, présenté dans le rapport de la section centrale, que le produit net de la poste est resté stationnaire de 1815 à 1830. Evidemment si, malgré l'augmentation inhérente au progrès de la civilisation et à l'accroissement de la population, la recette est restée stationnaire, comparativement à la Belgique où elle a augmenté, c'est la fraude qui doit avoir causé la différence.

L'argument conserve toute sa force.

On parle de la France : on fait valoir les résultats obtenus pour le mois de janvier. D'abord, vous ne connaissez que l'expérience d'un mois ; et de quelques jours, et une expérience de si courte durée ne peut, dans aucun cas, être présentée comme concluante.

Admettons que cette expérience prouve en faveur de la réforme admise en France. C'est un motif de plus pour admettre la proposition du gouvernement ; car la France a adopté la taxe à 20 c, qui est maintenant en usage dans toute la France, comme nous la proposons pour la Belgique.

Si maintenant la progression continue, si l'on obtient des recettes plus élevées, on fera probablement en France, comme M. le ministre a annoncé l'intention de le faire chez nous, on admettra plus tard la taxe à 10 centimes.

Ainsi, messieurs, Je crois que nous devons nous contenter de la réforme qui vous est présentée, et réellement elle constituera un avantage considérable pour le commerce, puisqu'elle réduira le port des lettres de 40 p. c. Ce n'est pas là un avantage insignifiant.

M. Mercier. — Messieurs, je ne puis m'empêcher d'exprimer le (page 930) regret que le gouvernement n'ait pas retardé la présentation du projet de loi sur la réduction de la taxe des lettres, alors qu'il proclame qu'il n'y a pas, entre les recettes et les dépenses de l'Etat, un équilibre convenable, alors qu'il doit imposer de nouvelles charges au pays, alors surtout qu'une branche importante du revenu public (les chemins de fer) laisse un large déficit.

Je ne pense pas, messieurs, que l'exemple de nos voisins doive nous encourager à opérer de semblables réductions, du moins au point de vue financier. On cite sans cesse les grands résultats que l'Angleterre a obtenus de la réforme postale. Mais le fait est qu'aujourd'hui même le produit net ne dépasse pas la moitié de celui qu'on obtenait avant le changement de législation.

De semblables mesures sont toujours accueillies avec avidité, comme toute réduction d'impôt, par ceux qui doivent en profiter. Mais c'est à nous de prévoir que leur effet probable est d'amener la nécessité de nouvelles charges qui pèseront sur la généralité.

J'ajouterai que ce qui s'est passé chez nous depuis les modifications qui ont été apportées à la loi qui réduit le tarif de la poste, ne doit pas nous engager à entrer trop avant dans cette voie. Jusqu'au moment où ces modifications ont été apportées, il y a eu une progression très sensible dans le produit de la taxe, à tel point que ce produit, n'étant en 1831 que de 1,695,000 fr., s'est trouvé doublé en 1844.

En 1847, ce produit a atteint le chiffre de 3,773,000 fr. C'est là le produit de la taxe générale.

La taxe des lettres et l'affranchissement figurent dans ce chiffre pour 3,482,000 fr.

De 1831 à 1844 il y avait eu en moyenne une progression annuelle de 130,000 fr. Depuis 1844 jusqu'en 1847 elle a été de 180,000 fr. Eh bien, en suivant la même progression nous aurions pour cette année un produit total de 4,091,000 fr. dans lequel la taxe des lettres et les affranchissements entreraient pour 3,768,000 fr.; au lieu de ce produit de fr. 3,768,000 le gouvernement ne nous promet pour cette année que 2,620,000; c'est donc une perte de plus d'un million, qui résultera des différentes mesures qui auront été prises; c'est seulement en 1854 que M. le ministre des travaux publics espère obtenir un revenu de 3,770,000 francs et encore est-ce là une éventualité assez problématique et dont la réalisation est contestée.

D'ici là voyez quel vide notre budget des recettes va éprouver.

Messieurs, je n'envisage ici la question qu'au point de vue des finances, que l'on est trop disposé à négliger. Je ne conteste nullement que, dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, une réduction soit désirable. Mais je suis d'avis que, dans les circonstances où nous nous trouvons, il eût été plus sage d'ajourner des dispositions qui doivent, au moins momentanément, réduire nos ressources.

J'ai désiré, messieurs, soumettre à la chambre les considérations et les faits que je viens d'exposer, surtout pour la prémunir contre ce que peut avoir de séduisant un projet plus radical encore que celui qui nous est proposé.

On ne peut établir que des conjectures sur l'effet des mesures que nous discutons. Il me semble que notre situation n'est pas telle que nous puissions nous écarter de ce que prescrit la prudence et nous livrer à toutes les chances de l'inconnu. Il ne faut pas oublier que nos réformes qui sont déjà étendues, puisque nous possédons la taxe de 10 centimes et celle de 20 centimes dans des cas déterminés, ont eu pour résultat une réduction considérable de produits. C'est pour nous un utile avertissement pour nous diriger dans le parti que nous allons prendre.

De ce qu'il y a eu en Angleterre une énorme augmentation du nombre des lettres par suite d'une réduction moyenne de 63 à 10 centimes, il n'en résulterait pas logiquement qu'en réduisant en Belgique de 31 à 10 c, on obtiendrait des résultats analogues; on l'a déjà expliqué, les circonstances sont bien différentes dans les deux pays.

Par ces motifs, je ne pourrais bien certainement adopter un projet qui tendrait à dépasser les propositions du gouvernement et de la section centrale; et encore, quant à ces propositions elles-mêmes, je réserve mon vote à cause de leur inopportunité.

(page 933) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, d'après la manière dont l'honorable M. Mercier s'était exprimé, je m'attendais à des conclusions plus sévères que celles qu'il vient d'énoncer. Cas conclusions me permettent de conserver l'espoir que la proposition du gouvernement recevra, de sa part, le même accueil qu'elle a reçu de la part de la section centrale, tandis que son discours semblait impliquer une opposition décidée à toute réduction, à toute réforme.

L'exemple de l'Angleterre, nous a-t-il dit, n'est pas fait pour nous séduire. Je répondrai que, si l'exemple de l'Angleterre est fait pour nous prémunir contre une réduction trop brusque et trop forte, il est fait aussi pour nous engager à persévérer dans la voie d'un progrès sage et raisonné.

Il y a, messieurs, dans la réforme postale un double intérêt : un intérêt matériel, celui du développement des relations commerciales et industrielles; un intérêt moral, celui du développement des relations de famille et de l'éducation des classes populaires. Le gouvernement ne doit pas le perdre de vue.

Aussi je n'hésite pas à dire que j'éprouve le plus vif regret à ne pouvoir contribuer, pour ma part, à en étendre le bienfait d'une manière plus généreuse et plus libérale. Mais si je résiste à l'entraînement de mes convictions, c'est que notre situation financière nous impose la plus grande réserve.

Une réduction modérée, telle que le gouvernement et la section centrale la proposent, entraine-t-elle des dangers? Je ne le pense pas, messieurs; les réductions qui ont été opérées récemment doivent nous rassurer à cet égard.

En effet, voyons les conséquences qu'elles ont produites.

En 1847, le port des journaux a produit 112,622 francs; en 1848, il n'est descendu qu'à 87,834 francs, et cependant la taxe a été réduite de moitié.

La taxe des lettres cantonales a subi la même réduction ; et cependant le produit n'est descendu, en 1848, que de 84,953 francs à 53,372 ; la diminution de la recette a donc été hors de proportion avec l'importance du dégrèvement.

La suppression du décime rural a eu des effets analogues.

La réduction de moitié de la taxe des imprimés affranchis n'a fait descendre le produit, en 1848, que de 10,152 fr. sur 36,448, par conséquent d'un peu plus du quart.

Les articles d'argent, dont la taxe a été réduite de 5 p. c. , n'ont donné qu'un déficit 1,867 francs sur 23,117, et par conséquent de 8 p. c. environ du produit antérieur.

Il est donc permis de croire que la nouvelle réduction que nous proposons aujourd'hui sera aussi compensée en grande partie par un accroissement de correspondance considérable ; et ce qui doit surtout rassurer les esprits les plus inquiets, les plus préoccupés de notre situation financière, ce sont les premiers résultats de cette année. Le produit du mois de janvier dernier a dépassé de 18,780 fr. celui du mois correspondant de 1848. Nous ne connaissons jusqu'à présent le montant des recettes de février que pour les provinces d'Anvers, de Brabant, du Limbourg et de Namur; et dans ces quatre provinces le produit a excédé de 2,753 francs celui du mois de février de l'année dernière, bien que le mois de février 1848 ait éte bissextile.

La réforme que nous proposons, messieurs, est loin d'être insignifiante ; car elle aura pour effet de réduire, en moyenne, le port des lettres, de 31 centimes à 18 centimes et demi.

Pour vous déterminer à une réduction plus forte, on a établi un calcul qui, au premier abord, pourrait vous séduire. L'honorable M. Cumont a dit qu'on pouvait évaluer à 30 p. c. le nombre des lettres qui seront surtaxées de moitié comme n'ayant pas été soumises à l'affranchissement préalable, et qui, par conséquent, payeront autant sous l'empire de la réforme que si aucune réforme n'était opérée. Il évalue le nombre des lettres pesantes à 15 p. c, celui des lettres chargées ou recommandées ensemble à 10 p. c. Je pense, messieurs, que ce sont autant d'erreurs. Et d'abord, quant au premier chiffre, de deux choses l'une : ou bien 30 lettres sur 100 continueront en effet à circuler non affranchies, et, par conséquent à payer la taxe actuelle; et, dans ce cas, il faut dire que le bienfait de la réforme se restreindra pendant un temps plus ou moins long, dans la même proportion : ou bien, les prévisions de l'honorable membre seront en défaut, et, dans ce cas, il faudra un accroissement de correspondance beaucoup plus considérable pour compenser la diminution de la taxe. Or, qu'est-ce que l'expérience nous apprend à cet égard? En Angleterre, où la prime d'affranchissement est aussi de 50 p. c, la proportion des lettres non affranchies, bien qu'elle ait été assez considérable dans le principe, est descendue très rapidement, et n'est plus aujourd'hui que de sept. L'expérience ne justifie donc nullement les prévisions de l'honorable M. Cumont.

L'honorable membre a supposé qu'il y a 15 lettres pesantes sur 100. Or la proportion réelle est tout au plus de 5. Il a évalué la proportion des lettres chargées ou recommandées ensemble à 10 p. c.

M. Cumont. - Cinq pour cent.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'ai compris 5 p. c. pour les lettres chargées et cinq pour les lettres recommandées.

M. Cumont. - Pardon, M. le ministre, je n'ai évalué ces deux catégories de lettres qu'à 5 p. c, mais j'ai compté les lettres non-affranchies pour 35 p. c, tandis que vous avez parlé de 30 p. c.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Dans ce cas, l'exagération n'existe pas, il est vrai, pour les lettres chargées ou recommandées; mais elle est beaucoup plus grande pour les lettres non-affranchies que celle que j'avais indiquée tout à l'heure.

Messieurs, au début de la discussion, j'ai entendu parler d'un document émané du Post-office des Etats-Unis; je n'ai pas eu ce document sous les yeux, mais il me paraît que nous n'avons là aucun terme de comparaison. Le principe introduit en Amérique n'est pas celui qu'on voudrait introduire dans notre pays; il y a en effet, là, une distinction de zones, et la zone la plus favorisée paye encore une taxe de 26 centimes.

En second lieu, on ne peut pas nous opposer l'exemple d'un pays où la civilisation se développe avec une rapidité inouïe, où l'immigration s'accroît tous les ans dans des proportions extraordinaires, où la population se double dans l'espace d'une seule génération.

Je le répète, la comparaison la plus favorable que nouis puissions établir pour notre pays, est celle de l'Angleterre. Or, en Angleterre, le nombre des lettres a quadruplé dans l'espace de quelques années ; et, cependant, voyez, messieurs, quel était le produit des postes avant la réforme et quel il est encore à l'heure où nous parlons.

Au 5 janvier 1839, le revenu net était de 1,659,509 liv. sterl ; au 5 janvier 1840, il a été de 1,633,764 liv. sterl.; la réforme postale l'a fait descendre, la première année, à 500,789 liv., et au 5 janvier 1847, il n'était encore remonté qu'à 839,548 liv.

L'honorable M. Rodenbach pense qu'autant vaudrait ajourner toute mesure que de proposer aujourd'hui une réforme bâtarde. Je repousse la qualification qu'il donne à la mesure proposée. Une réforme qui se résume en une réduction de la taxe moyenne des lettres de 31 centime à une taxe uniforme de 20 centimes, ne peut point s'appeler bâtarde. Je comprendrais que les partisans d'une réforme plus complète fussent opposés à la mesure, s'ils avaient lieu de craindre qu'elle n'eût pour effet d'empêcher tout progrès ultérieur. Mais le gouvernement a prouvé qu'il ne s'arrête point dans la voie des réformes ; les réductions précédentes ne datent guère de plus d'une année; et déjà, vous le voyez, il vous en propose une nouvelle. Sa conduite dans le passé vous sert donc de garantie de sa conduite pour l'avenir.

(page 930) M. Manilius. - Messieurs, j'ai demandé la parole pendant le discours de l'honorable M. Mercier ; l'honorable membre semble craindre, dans la mesure proposée, bien plus une réforme fiscale qu'une réforme postale ; il a voulu faire comprendre que la loi postale doit être pour ainsi dire une loi fiscale, au lieu d'être une loi de civilisation et de progrès.

Le fisc n'a rien à voir dans la question de la réforme postale. La poste rend un service au commerce qui le paye. S'il en est résulté un avantage pour le trésor public, c'a été un accident. Mais jamais on n'a eu l'intention de faire de la poste un moyen fiscal. (Interruption.) Un instant, messieurs! Je vais vous donner une autre raison qui vous calmera.

On dit : Vous allez perdre une somme immense; qui va profiter de cette diminution? C'est le commerce.

Mais, messieurs, il n'y a pas longtemps que vous avez frappé le commerce d'un timbre pour tous ses effets, et vous ne connaissez pas encore le résultat de cet impôt ; le droit de timbre sur les effets de commerce compensera peut-être au double et au triple la perte que vous allez faire sur la taxe uniforme. Cette raison est déterminante.

Mais il y a d'autres raisons encore pour aller plus loin que ne le propose le gouvernement, pour descendre au chiffre de 10 centimes. Il est certain que par le progrès que vous accompliriez, l'usage épistolaire, l’emploi de la poste par le commerce et en général prendra un accroissement considérable. Voici pourquoi :

Aujourd'hui une fraude quasi obligée se fait par les commerçants; aucune expédition n'a lieu avec lettres d'avertissements; ceux qui demandent les expéditions ne veulent pas de lettres d'avis, parce que les frais de poste sont trop grands. Une simple lettre d'avis coûte 50 ou 60 centimes suivant les distances. On vous adresse une lettre exprès pour que vous n'écriviez pas de lettre d'avis. Vous pouvez faire cesser cette fraude à laquelle aujourd'hui on pousse volontairement. Prescrivez dans la loi un mode de s'assurer que les colis ne contiennent pas de lettres, et vous aurez une augmentation énorme de ce seul chef.

Je pense, messieurs, que la réforme dont il s'agit ne doit pas nous effrayer ; que ceux qui partagent l'effroi de l'honorable M. Mercier, votent au moins la loi, telle qu'elle est proposée par le gouvernement; mais pour ceux qui comprennent les véritables nécessités du moment, ceux-là accepteront avec nous une réforme radicale, qui sera un bienfait réel et un acheminement de plus vers la civilisation et le progrès.

M. de Mérode. - Messieurs, ce qu'on appelle la réforme postale et qu'on pourrait nommer plutôt réduction des recettes de l'Etat, fut ajourné, il y a quelque temps, après un rapport de M. de Corswarem, fait en conformité de l'opinion de la section centrale, parce qu'après plusieurs jours de délibération elle jugea que dans ce moment la conservation de l'équilibre financier devait primer toute autre question.

Cependant alors on n'avait pas encore subi les charges et les déficits qui devaient affecter le trésor public après les événements de février 1848.

Lorsqu'en 1839 l'Angleterre adopta la réforme postale, elle se résigna, parce qu'elle pouvait le faire à cette époque sans inconvénient, à un sacrifice pécuniaire que nous ne pourrions faire sans nous exposer à une perturbation assez grave.

Ensuite la taxe sur les lettres étant anciennement beaucoup plus élevée dans le Royaume-Uni qu'en Belgique, y avait incontestablement plus entravé que chez nous le développement des relations par écrit.

Cependant malgré l'augmentation considérable du nombre des lettres qui résultait de cette différence, il résulte du relevé fait par le chef de la comptabilité de l'office général des postes de la Grande-Bretagne, que le revenu net de cette administration qui, avant la réforme, pendant l'exercice clos le 5 janvier 1859, avait monté à la somme de 1,614,333 liv. st., n'a plus monté : (tableau non inséré dans la présente version numérisée.)

Perte pour le trésor, pendant 6 années, près de 160 millions de fr., et plus avec les intérêts composés.

On vous cite la France qui a fait l'essai de la taxe réduite ; mais on y a réduit aussi l'impôt du sel malgré le ministre des finances, et le résultat de ce système c'est un effrayant déficit dont l'assemblée nationale me paraît n'avoir nul souci ; elle pense probablement que les finances dureront toujours autant qu'elle-même. M. Cumont vient de vous rappeler que le commerce était surchargé de 500 mille fr. sur les effets de commerce; que par conséquent le gouvernement pouvait perdre les 500,000 fr. sur les lettres; mais à l'époque où l'on établit cette recette de 500,000 francs c'était pour compenser la perte de l'Etat sur le timbre des journaux; maintenant celle-ci est passée sous silence.

On vous dit qu'en Angleterre on écrit maintenant 14 lettres par tête d'Anglais. Mais les pauvres de ce pays ne paraissent pas moins misérables depuis lors, et comme on ne se nourrit pas de lettres, l'Irlande est dévorée par la famine comme lorsqu'on écrivait un peu moins.

Je serai peut-être accusé de craindre l'activité des correspondances, comme la multiplicité des courses en chemin de fer. J'ignore les moyens d'échapper à ces espèces de suppositions qui sont la ressource des causes faibles et auxquelles celles-ci s'accrochent nécessairement faute de bonnes raisons, puisque les suppositions ne coûtent rien.

Néanmoins je n'accepterai pas ce qu'on appelle la réforme postale ; puisque chaque année le produit des postes augmente et comme j'ai voté le budget de la guerre, le croyant nécessaire à la sécurité du pays, je ne puis réduire les ressources du budget des voies et moyens, intimement lié, quoi qu'en pense le gouvernement, avec les dépenses. Le commerce et l'industrie ont un certain intérêt sans doute à la réduction de la taxe des lettres; mais ils ont encore bien plus besoin de sécurité intérieure et extérieure qui ne peuvent point exister avec la désorganisation des finances dans laquelle on ne trouvera jamais le progrès.

- La clôture est demandée.

M. Cumont (contre la clôture). - Je demanderai seulement à répondre un mot à l'assertion de M. le ministre des travaux publics, relativement au chiffre de 35 centimes que j'avais établi.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

La chambre passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er (projet du gouvernement). La taxe des lettres simples expédiées d'un bureau de poste pour un cuire bureau de poste, soit de perception, soit de distribution, est fixée à 2 décimes, quelle que soit la distance à parcourir dans le royaume. »

(page 931) « Art. 1er (projet de la section centrale). La taxe des lettres simples, affranchies au moyen des timbres créés par l'art. 4 de la loi du 24 décembre 1847, et expédiées d'un bureau de poste par un autre bureau de poste, soit de perception, soit de distribution, est fixée à 2 décimes, quelle que soit la distance à parcourir dans le royaume.

« La taxe de toutes les lettres de et pour l'intérieur du pays sera augmentée de 50 p. c. pour toutes les lettres non affranchies par le moyen de ces timbres. «

Un amendement a été déposé par MM. Orts, Prévinaire, Toussaint, Jacques et Vermeire. Cet amendement est ainsi conçu :

Substituer : « 1° Dans le paragraphe premier, les mots : « à 10 centimes » aux mots : « à deux décimes. »

« 2° Dans le paragraphe 2, les mots: « un décime » aux mots : « cinquante pour cent. »

Voici l'amendement de MM. Cans, Cumont, Lesoinne et Loos :

« La taxe des lettres simples affranchies est fixée à 10 centimes, quelle que soit la distance à parcourir dans le royaume. »

M. Cans se rallie à l'amendement de MM. Orts et consorts.

M. Orts. - Messieurs, j'ai extrêmement peu de chose à dire en présence de la discussion générale qui vient d'avoir lieu. L'amendement que nous avons déposé a pour but d'établir une taxe uniforme de 10 centimes avec affranchissement préalable, et, dans le cas où l'affranchissement n'aurait pas lieu, de porter la taxe à 20 centimes uniformément. Nous pensons qu'il est bon de fixer la taxe en règle générale à 10 centimes; nous le croyons par les raisons exposées, avec beaucoup d'étendue et beaucoup de documents statistiques à l'appui, par l'honorable M. Cans. En fait de réforme, nous pensons qu'on doit les faire complètes ou n'en pas faire du tout. Une réforme est une tentative hardie. Quand on manque de hardiesse en voulant faire une réforme, la mesure qu'on prend n'aboutit jamais à un bon résultat.

J'attendrai, pour défendre mon amendement, qu'on l'ait combattu; quant à présent ; je m'en réfère à ce qui a été dit dans la discussion générale.

M. Cools. - L'article premier de la section centrale et les amendements qui s'y rattachent contiennent une question qui n'a pas été éclaircie, celle de l'affranchissement préalable ; mais il y a une autre partie sur laquelle tout le monde a une opinion formée c'est celle de savoir si on doit réduire la taxe à 10 ou à 20 centimes ; quelle que soit la taxe qu'on adopte, on peut encore admettre ou rejeter l'affranchissement obligatoire. Je proposerai de passer immédiatement au vote sur le principe de la différence des taxes et de réserver le reste.

(page 933) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je me proposais de demander qu'on divisât le vote sur l'article Cet article soulève deux questions tout à fait distinctes : la première est de savoir si la taxe uniforme sera de 10 ou de 20 centimes; la seconde si l'affranchissement sera obligatoire ou s'il sera accordé une prime à l'affranchissement préalable.

Je demande que la chambre se prononce aujourd'hui sur la première question qui est suffisamment élucidée.

(page 931) M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si la taxe sera réduite à 10 ou à 20 centimes.

M. Prévinaire. - La question est mal posée, l'amendement de M. Orts réduit la taxe à 20 centimes avec prime de 10 centimes pour l'affranchissement préalable.

Ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics me semble de nature à jeter de la confusion dans la question à voter.

- Plusieurs voix. - Non ! non!

M. Mercier. - C'est l'amendement de M. Orts qu'on va mettre aux voix. Il fixe la taxe à 10 centimes et la porte à 20 en cas de non affranchissement.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Veydt. - Je demande aussi la parole pour une motion d'ordre. Avant de prendre une résolution sur la taxe à dix ou à vingt centimes, le point le plus important de la loi, il y a un renseignement qui peut être utilement communiqué à la chambre.

Un honorable membre vient de rappeler la loi sur le timbre des effets de commerce, que les chambres votèrent peu de jours avant la dissolution. Il a commis une erreur en disant qu'elle avait aggravé le droit; elle l'a, au contraire, réduit ; mais en même temps, elle a ajouté aux mesures prescrites par la loi de 1839 et reconnues insuffisantes pour assurer la perception du droit et empêcher la fraude si générale. Dans l'opinion du gouvernement, l'augmentation de recette, qui devait en résulter, offrirait une compensation suffisante au déficit qu'allait occasionner l'abolition du timbre des journaux et la réduction de la taxe des lettres, déjà arrêtée en principe. Ce but sera-t-il atteint?

Je me rappelle que, lors de la discussion du budget des voies et moyens, l'honorable M. Osy demanda à M. le ministre des finances ce qu'avaient produit jusqu'alors les modifications apportées à la fois sur le timbre des effets de commerce. M. le ministre indiqua un chiffre pour les trois ou quatre mois. Il serait intéressant de connaître le résultat obtenu pour un temps plus long. A en juger par ce que nous voyons tous les jours, il doit être important pour le trésor. En effet, il est exact de dire qu'il n'y a plus dans la circulation aucun effet ni mandat de commerce qui ne soit revêtu du timbre. Ce qui était l'exception, il y a un an, est devenu la règle. Or, si le résultat financier est satisfaisant, il y a un fort bon argument à en tirer pour faire un pas plus décisif dans la réforme postale.

Suivant moi, il a été entendu que le commerce aurait cette compensation.

Je demande donc, par motion d'ordre, que le gouvernement communique à la chambre le montant de la recette du timbre sur les effets de commerce, depuis la mise en vigueur de la loi de 1848 et, comme conséquence, l'ajournement à demain du vote sur le taux de la taxe des lettres.

M. Cans. - Je crois que la discussion doit être remise à demain. J'ai tâché de rendre le plus claires possible les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter. Je n'ai pas la prétention de croire que j'ai pu rendre saisissable à une simple audition un discours tout hérissé de chiffres; je pense qu'il serait convenable de laisser à chacun des membres le loisir d'examiner ces chiffres; ils seront demain dans le Moniteur; après avoir vérifié les calculs, on pourra se prononcer en connaissance de cause.

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.