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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 15 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1001) M. Troye procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Troye fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.

« Les sieurs Jadot, Simon et Dubois, entrepreneurs et exploitants des carrières de pierre de taille de Grancourt, demandent une augmentation des droits d'entrée sur les pierres de taille provenant des carrières françaises. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Plusieurs habitants d'Alost demandent que la garde civique soit divisée en deux bans, et que le premier ban, composé de célibataires et de veufs sans enfants, de 21 à 35 ans, soit seul astreint aux obligations imposées par la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Pérignon demande une loi qui permette l'établissement d'une société anonyme pour l'achat de produits du pays et de propriétés immobilières en Belgique, et leur partage entre les actionnaires, au moyen de tirages au sort. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jacques, propriétaire à St-Mard, prie la chambre de faire obtenir à son fils Jean-Baptiste, un congé définitif du service militaire. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Lessines présentent des observations contre la réduction de péages sur le canal de Charleroy. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur la réduction de ces péages.

Proposition de loi relative à la mise à disposition de valeurs au gouvernement

Rapport de la section centrale

M. Osy dépose le rapport de la section centrale qui a examiné la proposition de loi relative aux valeurs mises à la disposition du gouvernement.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics, pour travaux au canal de Zelzaete

Rapport de la section centrale

M. Bruneau, au nom de la section centrale du budget des travaux publics, dépose le rapport sur un projet de loi de crédit de 80,000 francs pour travaux d'amélioration aux eaux du sud de Bruges.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports, et met la discussion de ces projets de loi à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant les compétences des tribunaux en matière criminelle

Discussion des articles

Titre premier. Des tribunaux de simple police et de police correctionnelle

Article premier

La discussion est ouverte sur le paragraphe 2 de l'article premier relatif aux délits ruraux et sur l'amendement présenté par M. Lelièvre, tendant à ajouter aux expressions : délits ruraux, du n° 2°, les mots suivants : « prévus par les articles 9, 10, 12, 13, 18, 20, 22, 24, 25, 27, 28, 33, 34, 38, 40, 41, 42 et 44 du titre II de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai quelques observations à soumettre à l'honorable M. Lelièvre et à la chambre sur cet amendement.

J'ai examiné les différents articles dont l'honorable membre propose d'insérer la nomenclature dans le n°2° de l'article premier premier; j'y ai reconnu plusieurs erreurs. Il y a différents articles indiqués par l’honorable auteur de l'amendement, qui ne sont plus en vigueur. Plusieurs ont été innovés ou abrogés par des dispositions du Code pénal.

L'article 9 de la loi de 1791 est remplacé par l'article 471 ; l'article 12 ne constitue pas un délit proprement dit ; et aucune peine n'y est appliquée par la loi même. L'article 20 est relatif à un fait aussi prévu par l'article 415 du Code pénal; l'article 27 à d'autres faits auxquels s'appliquent les articles 471, n° 14, et 474 du Code pénal. Enfin l'article 42 est prévu par les articles 479, n°4, 480 et 482 du Code pénal.

Je crois, messieurs, qu'il y aurait des inconvénients à insérer dans l'article la nomenclature des différentes dispositions qui se trouvent comprises dans l'amendement de l'honorable M. Lelièvre. Je pense qu'il serait préférable du s'exprimer d'une manière générale et de qualifier les délits ruraux dont il s'agit dans ces articles, en disant : « Des délits ruraux prévus par les dispositions encore en vigueur de la loi du 6 octobre 1791.»

Cette rédaction, messieurs, aurait l'avantage de laisser intactes les questions qui se présentent souvent sur le point de savoir si telle ou telle disposition de la loi de 1791 est encore en vigueur ou se trouve abrogée.

Les tribunaux conserveraient à cet égard la faculté de juger ces questions comme ils le font lorsqu'elles se présentent aujourd'hui.

Je pense que l'amendement que je propose remplit le but que l'honorable M. Lelièvre a voulu atteindre.

Cependant, messieurs, en s'exprimant d'une manière générale, ainsi que je viens de le dire, il faudrait introduire quelques exceptions. Ces exceptions concernent trois articles seulement de la loi de 1791, ce sont les articles 26, 56 et 57.

L'article 26 concerne la garde à vue des bestiaux dans les récoltes d'autrui.

L'article 56 a pour objet le maraudage ou l'enlèvement de bois fait à dos d'hommes dans les bois taillis ou futaies et autres plantations d'arbres des particuliers et des communautés.

L’article 57 concerne le même délit lorsqu'il est opéré à l'aide de charrettes.

Ces délits présentent un caractère de gravité telle que je crois qu'il importe de les laisser sous la compétence des tribunaux correctionnels.

En conséquence l'amendement que je propose serait ainsi conçu :

« Des délits ruraux prévus par les dispositions encore en vigueur de la loi du 6 octobre 1791, à l'exception des articles 26, 56 et 57 ; » articles qui sont d'ailleurs exceptés par l'honorable auteur de l'amendement.

M. Lelièvre. - La disposition que présente M. le ministre remplit le but de mon amendement. Je m'y rallie.

M. Tesch. - Messieurs, je demanderai qu'au nombre des articles exceptés on veuille bien ajouter l'article 58 qui est ainsi conçu :

« Les dégâts faits dans les bois taillis des particuliers ou des communautés par des bestiaux ou troupeaux, seront punis de la manière suivante :

« Il sera payé d'amende, pour une bête à laine, 1 livre, etc. »

Vous voyez donc, messieurs, que lorsqu'il s'agit d'un nombre de têtes de bétail assez grand, on peut être condamné à des sommes assez élevées. Quand un troupeau sera pris dans un bois, l'amende additionnée pour chaque tête de bétail pourra dépasser de beaucoup 200 fr. Or, pour que le juge de paix puisse prononcer, il faudrait qu'in globo l'amende ne dépassât pas 200 fr.

Lui sera-t-il facultatif d'opérer la réduction par chaque tête de bétail ? Si on ne lui laisse pas ce droit, il lui sera impossible d'appliquer cet article, et cependant je ne pense pas qu'il soit dans les intentions de la chambre de lui conférer un droit aussi étendu et aussi en dehors des principes de notre législation.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'article 38 ne concerne que le délit de pâturage dans les bois taillis appartenant à des particuliers ou à des communautés, et ce délit n'est puni que d'une simple amende qui s'accroît, à la vérité, dans la proportion du nombre des bestiaux, et en cas de récidive; mais il me semble qu'une amende qui peut s'élever à 200 fr. est déjà fort considérable pour un délit de cette nature. Les dommages-intérêts, d'ailleurs, sont toujours en dehors de l'amende. Il ne s'agit ici que de la peine, et le juge de paix pourra toujours prononcer la réparation civile quelle que soit la somme à laquelle elle puisse s'élever.

M. Tesch - Je suis fâché de le dire, mais la question n'est pas comprise. Aujourd'hui, comment le délit de pâturage dans les bois est-il puni? Il est puni par tête de bétail et, dans certains cas, chaque tête de bétail encourt une amende de 12 francs. Eh bien, je suppose un troupeau de 50 têtes de bétail, ce qui arrive très souvent dans ma province ; il y a même fréquemment des troupeaux de 100 et de 200 têtes de bétail qui vont paître dans les bois; mais je prends seulement 50 têtes, et je suppose le cas où l'amende est de 12 francs, ce sera 600 francs. Or, je demande quelle est la peine que le juge de paix appliquera ? Sera-ce l'amende de 600 francs ?

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Non, ce sera 200 francs au plus.

M. Tesch. - Non, dit M. le ministre, ce sera 200 francs. Eh bien, une semblable législation n'est qu'une mauvaise bigarrure. Ainsi, 50 têtes de bétail payeront 200 francs, soit 4 francs par tête, et 16 têtes de bétail, par exemple, à raison de 12 francs par tête, payeront 192 francs. En d'autres termes, plus il y aura de têtes de bétail et, par conséquent de dommage, plus l'amende sera faible.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le juge de paix pourra modérer l'amende, quel que soit le nombre de têtes de bétail; mais je crois que l'amende de 200 fr., indépendamment des dommages-intérêts, sera toujours suffisante.

M. Tesch. - Le juge de paix ne peut pas modérer la peine. La loi fixe positivement le chiffre de l'amende, et la peine ne se trouvera réduite que lorsqu'elle dépassera 200 fr.

Dans tous les autres cas la peine reste fixée par tête de bétail ; de sorte que nous aurons dans notre législation cette singulière inconséquence que tantôt la peine se trouvera fixée par troupeau, et tantôt par chaque tête qui compose le troupeau.

(page 1002) M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je prie M. Tesch de voir l'article 2 de la loi, qui permet au juge de paix de réduire la peine, dans les cas prévus par l'article premier même au-dessous du maximum.

M. Lelièvre. - La question doit être placée sur le terrain de l'article 2. Cette disposition détermine un maximum qui ne peut être dépassé; or il me paraît essentiel de réserver aux juges de paix tous faits qui, atteints par l'article 38 de la loi de 1791, ne méritent pas une peine excédant le maximum établi par l'article 2 du projet.

M. Tesch. - Messieurs, c'est là une erreur. C'est faire dégénérer le système des circonstances atténuantes. Le juge de paix peut modérer les peines, quand il y a des circonstances atténuantes ; mais il ne peut pas, quand il trouve une anomalie dans la législation, corriger cette législation, en inventant des circonstances atténuantes qui n'existent pas.

M. Delfosse. - Messieurs, c'est à tort que M. le ministre de la justice invoque le paragraphe 2 de l'article 2. Ce paragraphe ne s'applique qu'aux cas qui sont prévus par les numéros 1° et 4° de l'article premier; or il ne s'agit ici que du numéro 2° du même article; ce numéro 2° ne tombe pas sous l'application du paragraphe 2 de l'article 2.

M. Toussaint. - Messieurs, je cherche vainement le grand inconvénient que présenterait la bigarrure que signale l'honorable M. Tesch. On n'éprouve pas généralement le besoin de porter une peine supérieure à 200 francs sur cette catégorie de délits. Ce n'est point parce que la condamnation possible s'arrête à 200 francs, qu'on rassemblera un troupeau plus nombreux pour ravager la propriété de son voisin. D'ailleurs, s'il y a eu préjudice, on réclamera des dommages-intérêts, et on les réclamera d'autant plus sûrement que le troupeau, instrument du délit, sera un gage pour le payement de ces dommages-intérêts.

M. Tesch. - Je demanderai à l'honorable M. Toussaint s'il trouve juste que lorsque 50 têtes de bétail sont prises dans un bois, l'amende soit moins forte par tête de bétail que lorsque seulement six têtes de bétail sont prises dans le même bois.

M. Toussaint. - Je n'y vois pas d'inconvénient.

M. Tesch. - Autant vaudrait dire alors que le juge pourra arbitrer les peines comme bon lui semblera.

M. Lelièvre. - Je pense que l'on pourrait éviter l'inconvénient signalé par l'honorable M. Tesch en énonçant que les faits repris à l'article 38 de la loi de 1791 sont exceptes des faits déférés aux juges de paix, dans le cas où la peine qui doit être appliquée en vertu de cette disposition excède deux cents francs.

Cet amendement me paraît compléter celui de M. Tesch. Le tribunal de simple police appliquera la peine lorsque celle-ci n'excédera pas 200 fr., ce qu'il est facile de reconnaître puisque, d'après l'article 38 de la loi de 1791, la pénalité a pour base le nombre des bestiaux trouvés en délit, et les autres circonstances décrites en cette disposition, circonstances qui souvent sont constatées par le procès-verbal même des agents qui ont reconnu la contravention.

M. Toussaint. - Je crois que la modification proposée est inutile; l'honorable M. Tesch avec la netteté, la rigueur, la précision habituelle de son esprit, veut une punition s'appliquant à chacun des éléments qui ont concouru à perpétrer le délit; il voit autant de délits que de paires de cornes dans le troupeau qui envahit le champ du voisin.

M. Moncheur. - C'est la loi !

M. Toussaint. - Evidemment ; envoyer un troupeau dans un champ ou un bois est un seul fait. Si la loi de 1791 a déterminé la peine par tête de bétail, c'est pour que les décisions de la justice fussent plus facilement acceptées par les habitants de la campagne qui voient en quelque sorte autant de délits que de têtes de bétail dans le troupeau qui a envahi un champ.

Je crois qu'il n'est pas nécessaire que la peine soit proportionnée au nombre des éléments qui ont concouru à la perpétration du délit.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Est-ce que dans tous les cas possibles de délits de pâturage auxquels l'article 38 de la loi de 1791 est applicable, l'amende de 200 fr. n'est pas suffisante comme répression, quel que soit le nombre de têtes de bétail introduit dans la propriété d'autrui, alors que des dommages-intérêts illimités et proportionnés au dommage causé peuvent toujours être alloués par le juge de paix? Quant à moi, je crois que l'amende est toujours suffisante. Je crois qu'il serait impossible de citer un cas où une amende supérieure à 200 fr. aurait été prononcée pour de semblables délits ou du moins s'il y en a, ils sont très rares.

M. Tesch. - Je suis désolé d'abuser des moments de la chambre, mais je dois un mot de réponse à M. le ministre de la justice. J'ai vu prononcer, pour le délit dont il s'agit, des peines supérieures à 200 fr. d'amende. Au reste, je crois aussi que cette peine est suffisante, mais là n'est pas la question. Que M. le ministre veuille bien y prendre garde, je veux la même peine, que le délit soit commis au moyen de peu ou de beaucoup de têtes de bétail, c'est-à-dire qu'elle repose sur la même base; mais quand il y aura peu de têtes de bétail, la peine sera comminée par tête; et quand il y en aura beaucoup, elle sera comminée en masse ; de sorte que quand il y aura peu de têtes elles payeront plus en proportion que quand il y en aura beaucoup. Vous voyez qu'il n'y a aucune pensée systématique dans cette législation.

- L'amendement proposé par M. Lelièvre est mis aux voix; il n’est pas adopté.

Le sous-amendement proposé par M. Tesch, tendant à comprendre l'article 38 dans l'exception, est mis aux voix et adopté.

L'amendement proposé par M. le ministre, sous-amendé par M. Tesch, ensuite mis aux voix et adopté.

L'ensemble de l'article premier est également adopté.

Article 5

« Art. 5. Les jugements rendus par les tribunaux de simple police pourront, dans tous les cas, être attaqués par la voie de l'appel.

« Le délai fixé par l'article 174 du Code d'instruction criminelle courra à dater de la prononciation du jugement, ou de la signification, si le jugement est par défaut. »

M. Tesch a proposé un paragraphe 2 nouveau, ainsi conçu :

« L'appel sera interjeté au greffe du tribunal de simple police. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je me rallie à l'amendement de l’honorable M. Tesch. Mais je demande qu'il soit rédigé comme suit :

« L'appel sera interjeté, suivi et jugé dans la même forme que l'appel des jugements de police correctionnelle. »

M. Tesch. - Je déclare me rallier à cette rédaction.

M. Toussaint. - Je ne m'oppose pas à l'amendement tel qu'il est maintenant rédigé. Mais il est bon que la chambre en connaisse la portée. Il en résultera nécessairement que la partie condamnée devra suivre ce qui se passera au greffe du tribunal de simple police et vérifier à chaque instant s'il n'y a pas d'appel. Enfin il faudra qu'il y ait un greffe de simple police régulièrement ouvert; ce qui n'existe pas aujourd'hui et ce qui peut donner lieu à des difficultés dans les cantons ruraux.

Au reste, puisque M. le ministre de la justice se rallie à l’amendement, je n'insiste pas.

- L'amendement est mis aux voix et adopté avec la rédaction proposée par M. le ministre de la justice.

L'ensemble de l'article 5 est adopté avec cet amendement.

Article 7

La chambre passe à la discussion sur l'article 7 et sur l’amendement de M. Lelièvre, ainsi conçus :

« Art. 7. La faculté d'appeler appartiendra :

« 1° Aux parties prévenues ou responsables ;

« 2° A la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement ;

« 3° Au ministère public près la cour ou le tribunal qui doit prononcer sur l'appel ;

» 4° En matière correctionnelle, au procureur du Roi. »

Paragraphe 5 nouveau présenté par M. Lelièvre :

« 5' A l'administration forestière et à celle des contributions, douanes et accises. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, j'ai dit hier que je ne croyais pas que cet amendement fût nécessaire, parce que l'administration forestière n'a d'autres droits que ceux de la partie civile, et qu'elle est comprise sous cette dénomination.

A la vérité, le Code d'instruction criminelle avait mentionné spécialement dans l'article 202 l'administration forestière, parce qu'alors elle n'était pas assimilée à la partie civile. Mais, cette assimilation a été prononcée par l'article 158 du décret du 18 juin 1811, conçu en ces termes :

« Sont assimilés aux parties civiles.

« 1° Toute régie ou administration publique, relativement aux procès suivis, soit à sa requête, soit même d'office et dans son intérêt.

« 2° Les communes et les établissements publics.»

Je crois qu'en vertu de cette disposition l'administration forestière, comme toutes les autres administrations publiques, doit être rangée parmi les parties civiles, lorsqu'elles agissent du chef de délits commis à leur préjudice.

La même disposition s'applique à l'administration des douanes et accises. Pour cette administration, la disposition se trouve consacrée par l'article 247 de la loi générale du 20 août 1822.

Cet article est ainsi conçu :

« Elle aura (l'administration) les mêmes droits, défenses et moyens de pourvoi que le Code d'instruction criminelle accorde aux parties civiles. »

Vous voyez donc que pour cette administration la loi générale du 26 août 1822 a décidé quelle serait sa position devant les tribunaux criminels ou correctionnels.

L'article 116 de la loi du 28 juin 1822 sur les contributions se réfère également aux dispositions du Code d'instruction criminelle. Cette disposition spéciale rendrait donc également inutile l'amendement de M. Lelièvre.

L'honorable M. Toussaint me fait observer qu'il y a la même disposition dans la loi des tarifs criminels. En effet l'article 4 porte :

« Les provinces, les communes, les administrations et établissements, publics sont assimilés aux parties civiles dans les poursuites en matière de police correctionnelle ou de simple police, faites à leur requête ou même d'office et principalement dans leur intérêt pécuniaire. »

Vous voyez donc que la loi a fait tout ce qu'elle devait faire en faveur des diverses administrations publiques. Il me paraît inutile d'aller plus loin.

L'honorable M. Lelièvre a fait observer que l'administration forestière provoquait également la condamnation aux amendes et aux confiscations qui peuvent lui être dues, qu'il en est de même dans l'administration des douanes et accises, et je crois, messieurs, que cela ne peut donner à ces administrations le caractère de partie publique, et que le ministère public seul a qualité pour poursuivre dans l'intérêt de la société.

Quand les condamnations sont intervenues sur les poursuites de ces administrations, qui les fait exécuter? Le ministère public. Ces administrations n'ont pas qualité pour en poursuivre l'exécution, en ce qui concerne l'application de lois répressives. Je crois donc l'amendement inutile.

Cependant, en ce qui concerne l’administration forestière ,je ne vois (page 1003) pas d'inconvénient à la mentionner, puisque déjà elle figure dans l'article 202 du Code d'instruction criminelle.

Mais je crois devoir m'opposer à ce qu'il soit fait mention, dans l'article, d'autres administrations, alors qu'il y a des lois spéciales qui déterminent leurs droits, et qui conservent tous leurs effets.

M. Lelièvre. - Une simple observation sur l'article 7. Aux termes de cet article « la faculté d’appeler appartiendra ... 2° à la partie civile, quant à ces intérêts civils seulement. » On, il me paraît impossible de confondre l'administration forestière avec la partie civile admise à interjeter appel quant à ses intérêts civils seulement, car il résulterait de là que la faculté d'appeler ne serait admise que pour la réparation du dommage causé, tandis qu'elle doit lui compéter également pour l'application de la peine.

En conséquence j'adhère à la proposition faite par M. le ministre d'énoncer l'administration forestière comme devant jouir du droit d'appel qui lui compète comme partie poursuivante.

Quant aux autres administrations, je crois, comme lui, qu'il n'est pas nécessaire d'en faire mention, puisqu'il y a à cet égard des dispositions spéciales.

M. Tesch. - Je demanderai à M. le ministre s'il est bien entendu que l'administration des douanes pourra aller en appel quant à l'application de la peine. Nous avons des délits de douane qui sont punis de 4, de 8 mois et même d'un an de prison. La loi déclare ici que la partie civile peut aller en appel pour ses intérêts civils. Je demande si pour les peines corporelles, comme pour les peines pécuniaires, l'administration des douanes pourra aller en appel. Si, comme l'a dit M. le ministre, on se borne à assimiler l'administration de la douane à une partie civile ordinaire, il s'ensuivra, si aucune explication n'est donnée, qu'elle n'aura le droit d'appel que pour ses intérêts civils seulement, et qu'on lui contestera Ce droit quand elle poursuivra la répression d'une fraude en demandant l'application d'une peine corporelle.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'administration des douanes pourra se pourvoir en appel pour les amendes et les confiscations auxquelles elle aura droit dans les mêmes circonstances qu'elle le fait aujourd'hui. Les droits de l'administration, qui sont déterminés par des lois spéciales, restent intacts. Nous n'y dérogeons sous aucun rapport. Je ne vois pas la nécessité de s'en occuper dans la loi actuelle.

- Le paragraphe 3° nouveau, ainsi conçu : « A l'administration forestière », est mis aux voix et adopté.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Pour rendre l'article 7 plus clair, je proposerai de le rédiger comme suit :

«. La faculté d'appeler des jugements rendus par les tribunaux de simple police et de police correctionnelle appartiendra :

« 1° Aux parties prévenues, etc. »

Je propose cette rédaction, afin de faire bien comprendre que l'article s'applique aux appels des jugements des tribunaux de police correctionnelle comme aux appels des jugements des tribunaux de simple police.

- L'article 7, ainsi rédigé, est adopté.

Articles 8 et 9

« Art. 8. Le ministère public près le tribunal ou la cour qui doit connaître de l'appel, devra, à peine de déchéance, notifier son recours soit au prévenu, soit à la partie civilement responsable du délit, dans les 5 jours à compter de la prononciation du jugement. L'exploit contiendra assignation dans le mois, à compter de la même époque. »

- Adopté.


« Art 9. La mise en liberté du prévenu acquitté ne pourra être suspendue lorsqu'aucun appel n'aura été notifié dans les 5 jours de la prononciation du jugement. »

- Adopté.

Article 10

« Art. 10. Les notes prescrites par l'article 155 du Code d'instruction criminelle seront tenues en forme de procès-verbal, et signées tant par le président que par le greffier. »

« En cas d'appel, elles seront jointes en original aux pièces de la procédure. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je demande que l'on ajoute à l'article 155 l'article 189.

L'article 135 ne concerne que les notes qui doivent être tenues dans les affaires de simple police. L'article 189 s'applique aux notes d'audience eu matière de police correctionnelle.

Je propose donc de dire :

« Les notes prescrites par les articles 135 et 189 du Code, etc. »

M. H. de Brouckere. - Je crois que cet article sera complètement inexécutable dans la pratique.

Les notes dont il parle se tiennent par le greffier d'une manière extrêmement sommaire et sans le contrôle du président. Si, après l'audience, ces notes doivent être soumises à ce magistrat, il pourra les trouver inexactes, incomplètes et se refuser à les signer, tandis que, d'un autre côté, le greffier soutiendra qu'elles sont complètes, exactes et ne voudra rien y changer.

Dans quelle position se trouverait-on alors? On s'exposera à n'avoir aucune note qui puisse inspirer confiance.

Pour que cet article pût être exécuté, il faudrait qu'après la déposition dé chaque témoin, les notes tenues par le greffier fussent soumises au président. Mais cette formalité allongerait tellement les audiences correctionnelles qu'il faudrait au moins en doubler le nombre.

Par ces motifs, je me prononce contre cet article.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne crois pas que cet article soit aussi inexécutable dans la pratique que le prétend l'honorable membre.

Ces notes d'audience sont tenues aujourd'hui assez exactement dans tous les tribunaux, et lorsqu'une affaire est portée en appel les notes figurent toujours au dossier de l'affaire. Seulement ce sont de simples notes qui ne portent la signature ni du greffier ni du président.

Or, il s'agit de leur donner un caractère de vérité plus prononcé, en exigeant que ces notes soient signées tant par le président que par le greffier.

Quant au greffier qui rédige ces notes, il n'y a aucune difficulté à ce qu'il la signe, puisqu'elles sont son ouvrage. Ces notes inspireront plus de confiance encore étant revêtues de la signature du président.

Mais, dit l'honorable membre, le président ne pourra pas toujours se souvenir de ce qui se sera passé à l'audience. Messieurs, lorsque le président croira que le greffier n'a pas exactement relaté ce qui s'est passé ou ce qui a été dit à l'audience, il pourra rectifier les notes. Dans tous les cas, s'il n'est pas d'accord avec le greffier sur le contenu de ces notes, il pourra exprimer son dissentiment par une observation au bas de ce plumitif.

Il ne s'agit pas ici de dresser un procès-verbal revêtu de toutes les formes, et parfaitement authentique. Mais il s'agit de donner à ces notes qui se tiennent régulièrement dans tous les tribunaux, un caractère de confiance et de crédibilité qu'elles n'ont pas dans l'état actuel.

Cette disposition qui avait déjà été proposée, je crois, par la commission qui avait examiné le projet de révision du Code d'instruction criminelle en 1834, aura pour effet, sinon de réduire le nombre des appels en police correctionnelle, au moins d'empêcher qu'on ne réassigne un aussi grand nombre de témoins qu'on le fait aujourd'hui; car si ces notes sont tenues avec plus d'exactitude, si elles sont plus complètes qu'elles ne l'ont été jusqu'ici, si beaucoup de personnes se contenteraient du contenu de ce plumitif et ne prendront pas la peine de faire réassigner des témoins. Il me semble donc que la disposition est utile et qu'elle doit être maintenue.

- L'article 10, avec l'addition proposée par M. le ministre, est mis aux voix et adopté.

Proposition de disjoindre le titre I et le titre II en deux lois distinctes

M. le président. - Nous arrivons au titre II. Il a été décidé qu'il y aurait une discussion générale spéciale sur chaque titre. Entend-on faire des deux titres deux projets de loi différents?

M. H. de Brouckere. - M. le président vient de soulever une question dont je comptais entretenir la chambre : celle de savoir si l'on fera des deux titres des projets de loi séparés.

Je commence par reconnaître que, si M. le ministre s'y oppose, la chambre doit s'abstenir de prononcer cette division. Mais il faut convenir que les membres qui approuvent le deuxième titre du projet et rejettent le premier titre tout entier, vont se trouver dans une position singulière, si la division ne le fait pas. Ainsi, messieurs, quant à moi, et je crois que plusieurs membres de la chambre partagent mon avis, quant à moi je repousse tout le premier titre, que je regarde comme mauvais, et je dois dire à la chambre que les réflexions que j'ai faites depuis hier n'ont servi qu'à me confirmer dans ma conviction. D'un autre côté, j'approuve le deuxième titre, qui est relatif aux cours d'assises, et ici je vais rencontrer des adversaires qui approuvent le premier titre que moi je condamne.

Je livre ces réflexions à M. le ministre de la justice, et s'il consent à diviser le projet en deux lois, j'avoue qu'il me mettra fort à l'aise quant au vote que j'aurai à émettre; mais s'il s'y oppose, je ne ferai cependant aucune proposition à cet égard.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne vois aucune difficulté à accepter la proposition de l'honorable M. de Brouckere; je désire qu'il ait l'entière liberté de son vote. Seulement je proteste contre l’opinion, qu'il a exprimée, que le premier titre du projet est entièrement mauvais. Je crois au contraire qu'il est très bon, et je puis invoquer le témoignage des jurisconsultes distingués et des hommes pratiques auxquels le projet a été communiqué et qui ont trouvé qu'il renfermait de nombreuses améliorations dans l'intérêt des accusés.

M. H. de Brouckere. - Je remercie M. le ministre du consentement qu'il vient de donner à ce que le projet soit séparé en deux, et je déclare que maintenant je vais, au nom de la section centrale, me joindre à lui pour défendre le deuxième projet.

M. le président. - Ainsi le premier titre qui vient d’être voté constituera un projet de loi séparé.

Comme il y a eu des amendements, le vote définitif aura lieu après-demain.

Discussion des articles

Article 16

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ferai observer à la chambre que l'article 16 est une disposition transitoire qui devrait former le dernier article du premier projet.

M. le président. - L'article 16 est ainsi conçu :

« Les tribunaux correctionnels, saisis des affaires mentionnées en l'article premier, et dans lesquelles la clôture des débats ne serait point encore prononcée le jour où la présente loi sera obligatoire, les renverront devant le tribunal de simple police compétent. »

Il formerait l'article 11 du premier projet.

- L'article est adapté.

Projet de loi relatif aux cours d’assises

Discussion générale

M. le président. - Nous arrivons au titre II du projet primitif, qui devient un deuxième projet de loi et qui concerne les cours d’assises.

La discussion générale est ouverte.

M. Lelièvre. - La majorité de la section centrale a admis le titre II qui est en ce moment soumis à votre examen. A cet égard, je suis heureux (page 1004) de partager l'opinion du gouvernement, relativement à la possibilité de réduire à trois le nombre des juges siégeant à la cour d'assises.

Ordinairement les membres de cette cour n'ont à se prononcer que sur l'application de la peine, et sous ce rapport trois magistrats me paraissent suffire pour statuer à cet égard. En France, le personnel des cours d'assises a subi une réduction dans ce sens, et l'expérience n'a pas révélé des inconvénients sérieux de cet état de choses.

Toutefois, comme complément essentiel de cette mesure, il faudrait appeler le jury à s'expliquer sur l'existence des circonstances atténuantes. Il est naturel que ceux qui sont juges de la culpabilité statuent sur les circonstances qui la modifient. Cette appréciation rentre essentiellement dans les attributions du juge du fait. Comment d'ailleurs le jury, qui, d'après nos lois actuelles, doit se prononcer sur les faits d'excuse, ne serait-il pas chargé de reconnaître l'existence des circonstances atténuantes qui constituent en réalité une véritable excuse légale, modifiant profondément et radicalement le fait principal?

On se récriera contre les inconvénients auxquels ce système a donné lieu dans un pays voisin ; mais, d'abord, c'est faire le procès à l'institution fondamentale de nos libertés, celle du jury, et nous dirons à l'honneur de notre pays qu'il est bien rare que les jurés chez nous ne se montrent pas dignes de leur haute mission. En second lieu, l'excès de sévérité fait naître des dangers bien plus graves. Il arrive, en effet, fréquemment que des crimes échappent à la répression précisément parce que notre législation ne permet pas au jury de constater le fait avec les circonstances qui lui impriment son véritable caractère. En conséquence, laisser au jury la latitude de reconnaître l'existence des circonstances atténuantes, c'est véritablement assurer la répression de faits qui, dans l'état actuel des choses, restent impunis.

Combien d'infanticides ont été couverts par un verdict d'acquittement, par le seul motif que le jury a reculé devant une déclaration qui avait pour conséquence l'application d'une peine peu en harmonie avec le fait commis, tel qu'il était atténué par les circonstances qui l'entouraient.

N'oublions pas, du reste, que l'efficacité des lois pénales consiste, non dans la sévérité de la peine, mais dans la certitude de son application, et il est infiniment préférable de voir prononcer une peine moins rigoureuse que de donner, par des pénalités outrées, lieu à de scandaleux acquittements.

La faculté que je réclame pour le jury simplifiera d'ailleurs la mission des cours d'assises et justifiera la réduction de leur personnel.

Une considération qui m'engage à appuyer cette réduction, c'est d'abord que le nombre des affaires qui seront désormais déférées aux cours d'assises diminuera notablement par suite du projet.

Les tribunaux correctionnels seront saisis fréquemment des crimes qui entraînent aujourd'hui la peine des travaux forcés à temps, comme ils le sont déjà de ceux entraînant la peine de la réclusion. Ils le seront à l'avenir bien plus souvent encore lorsque leur compétence à cet égard ne dépendra plus de la quotité du préjudice causé. Ils connaîtront de toutes les causes dans lesquelles on aura, après l'information préparatoire, reconnu l'existence d'une excuse légale; ils appliqueront les peines encourues pour les faits les plus graves par les individus âgés de moins de seize ans. En cet état de choses, il n'y a certes aucune nécessité de maintenir un personnel de cinq juges qui ordinairement seront, comme ils le sont déjà souvent, dans l'état des choses, réduit à un rôle tout à fait passif. Désormais ne seront plus déférés aux cours d'assises que de grands crimes à l'égard desquels le législateur ne laisse pas un pouvoir très large concernant l'application de la peine.

Lorsque la culpabilité est reconnue par le jury à la simple majorité, le projet augmente en ce cas les garanties en faveur de l'accusé. En France, un verdict de culpabilité rendu à la majorité de sept contre cinq, a pour résultat la condamnation. Sous le Code d'instruction criminelle, l'accusé déclaré coupable à la même majorité, doit, pour être acquitté, réunir dans la cour quatre voix en sa faveur, tandis que, d'après le projet actuel, deux voix sur trois amèneront son acquittement ; et certes, lorsque sur douze jurés, sept ont opiné pour la condamnation, on peut considérer comme établie la culpabilité qui serait ensuite reconnue par deux des trois membres de la cour appelée à faire peser dans la balance le poids de son opinion.

En Angleterre, comme on le sait, un seul juge applique la loi, et ne contrôle jamais le verdict du jury.

Ainsi, messieurs, en envisageant la législation des pays voisins et même celle actuellement en vigueur dans notre patrie, le projet nous place encore en première ligne sous le rapport des institutions libérales.

Du reste, lorsqu'on remarque que l'ordre de choses qu'il établit aura pour résultat d'importantes économies, sans incompatibilité avec la bonne administration de la police, il n'y a pas lieu à hésiter à accueillir une amélioration notable dans notre législation pénale.

Quant au projet en détail, je me réserve de proposer les amendements qui me paraîtront nécessaires.

Je crois toutefois devoir dès maintenant exprimer l'opinion que l'article 15 doit subir des modifications importantes. Il s'occupe d'abord du cas prévu par l'article 67 du Code pénal concernant l'accusé âgé de moins de seize ans. En cette hypothèse, si celui-ci, déclaré coupable, a encouru la peine de mort, des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation, il doit être condamné à la peine de dix à vingt années d'emprisonnement dans une maison de correction, et le projet autorise les tribunaux correctionnels à prononcer cette pénalité.

Cette disposition me semble naturelle, et la peine comminée me paraît proportionnée au fait commis; il est rationnel, du reste, qu'en règle générale elle soit appliquée par les tribunaux correctionnels puisqu'en réalité elle participe de la nature des pénalités dont l'application rentre dans leurs attributions. Mais le même article prévoyant l'hypothèse où l'accusé âgé de moins de 16 ans a encouru la peine des travaux forcés à temps ou de la réclusion, prononce en ce cas la détention dans une maison de correction pour un temps égal au tiers au moins de celui auquel il aurait pu être condamné à l'une de ces peines, c'est-à-dire que le mineur âgé de moins de seize ans doit en ce cas, d'après l'article 15 du projet, être condamné au moins à un tiers de cinq années de détention, le minimum des peines de la réclusion et des travaux forcés à temps étant fixé à ce dernier terme.

Mais, messieurs, remarquez que, d'après l'article 13 du même projet, l'individu âgé de plus de seize ans qui a encouru la peine de la réclusion peut n'être condamné qu'à huit jours de prison. S'il a encouru la peine des travaux forcés à temps, celle-ci peut être réduite à six mois d'emprisonnement.

Si donc on maintenait l'article 15 tel qu'il est conçu, l'individu d'un âge inférieur à seize ans serait traité moins favorablement que le majeur lui-même, C'est là une anomalie qui doit disparaître.

Cette disposition fait encore naître une observation relativement à l'article 326 du Code pénal. Le projet attribue aux tribunaux correctionnels le droit d'appliquer la peine lorsque la chambre du conseil à l'unanimité, ou la chambre des mises en accusation à la majorité des voix, aura reconnu l'existence d'une excuse légale.

Nous n'avons rien à opposer à cette disposition. Mais veuillez bien remarquer qu'en ce cas lorsqu'il s'agit d'un crime important la peine de la réclusion, le minimum de la peine fixé par l'article 320 du Code pénal est de six mois d'emprisonnement, tandis que l'article 13 du projet permet de réduire la peine de la réclusion à 8 jours de prison, s'il existe des circonstances atténuantes. Il n'est donc pas possible de forcer le juge à condamner à 6 mois d'emprisonnement celui qui a en sa faveur, non pas seulement des circonstances atténuantes, mais une excuse légale fondée sur des considérations graves qui, aux yeux mêmes du législateur de 1810, atténuaient considérablement la culpabilité.

D'ailleurs lorsqu'il y a excuse légale, le Code pénal ne prononce qu'un simple emprisonnement; le fait dégénère en délit correctionnel. Il faut donc nécessairement et pour tous les cas quelconques accorder dans cette hypothèse au juge correctionnel le droit d'atténuer la peine, au moins dans les limites qui lui sont tracées lorsque le fait emporte la peine de la réclusion. Cela est rationnel, ce que les juges peuvent faire dans un cas plus grave, ils doivent certainement en conserver la latitude dans une hypothèse qui l'est moins. S'ils peuvent convertir en 8 jours d'emprisonnement la peine de la réclusion, il serait absurde de leur dénier ce pouvoir lorsque le fait, à raison d'une excuse constatée, n'est frappé que d'une simple peine correctionnelle.

Savez-vous ce qui résulte aussi du maintien de l'article 15 dans son texte actuel? L'époux qui, dans la plus légitime indignation, commet un meurtre sur son épouse et sur le complice, au moment où il les surprend en flagrant délit d'adultère dans la maison conjugale, encourra nécessairement la peine d'une année d'emprisonnement au moins.

D'ordinaire le jury acquitte en pareil cas, messieurs; eh bien, l'application de l'article 326 du Code pénal, comme le veut le projet, aurait pour conséquence d'infliger, dans cette hypothèse, une peine exorbitante que repoussent la conscience publique, et, il faut bien le dire, les sentiments de tout homme de cœur.

L'article 15 du projet paraît rendre nécessaire un autre changement dans notre législation. Conformément aux vrais principes du droit criminel, il ne fait pas dépendre l'atténuation de la peine de la quotité du préjudice causé. Mais si ce principe est admis relativement aux peines des travaux forcés à temps et de la réclusion, il est indispensable de l'appliquer aux peines correctionnelles et de modifier, sous ce rapport, l'article 463 du Code pénal, qui n'admet l'influence des circonstances atténuantes que dans le cas où le préjudice causé excède vingt-cinq francs. Sans cela il arriverait que celui qui, par exemple, aurait soustrait frauduleusement vingt-six francs avec des circonstances élevant le vol au rang d'un crime punissable de la réclusion, pourrait n'être condamné qu'à huit jours d'emprisonnement, tandis que s'il avait commis cette soustraction sans circonstance aggravante, il devrait nécessairement être condamné à une année d'emprisonnement, minimum de la peine établie par l'article 401 du Code pénal.

De même celui qui aurait soustrait vingt-six francs, à l'aide d'escalade ou d'effraction, pourrait n'encourir qu'un emprisonnement de six mois, tandis que l'auteur d'une simple soustraction, sans caractère de gravité, d'une valeur excédant 25 francs, ne pourrait voir réduire la peine d'une année d'emprisonnement qui est la moindre qui pût lui être appliquée.

L'article 463 du Code pénal doit donc nécessairement être modifié comme le propose la première section à laquelle j'appartenais.

Lorsqu'on touche à une partie de la législation, il faut prendre garde de ne pas déranger l'économie des dispositions qu'on laisse debout; c'est l'harmonie de l'ensemble qu'il est nécessaire de ne pas perdre de vue. Ce sont ces considérations qui me dirigent dans l'amendement que j'aurai l'honneur de vous soumettre. Du reste, l'expérience a démontré depuis longtemps que la faculté de modifier les peines ne pouvait dépendre de la quotité du préjudice causé, point souvent inappréciable. D'un autre côté, avec la restriction subordonnée à la hauteur du dommage, le juge est souvent placé dans l'alternative, lorsqu'il y a partie civile en cause, d'appliquer une pénalité qui n'est pas proportionnée au fait commis, ou de n'adjuger (page 1005)au plaignant qu'une indemnité inférieure à celle qu'il peut légitimement réclamer.

Enfin cet état de la législation donne lieu à des anomalies déplorables. C'est ainsi que celui qui aura soustrait frauduleusement vingt-cinq francs pourra n'être condamné qu'à quelques jours d'emprisonnement, tandis que si le vol dépasse cette somme, ne fût-ce que de quelques centimes, il ne peut être condamné à une peine moindre d'une année de prison.

La même observation s'applique aux autres délits. Aussi, en France on n'a pas hésité à corriger en ce sens l'article 363 du Code pénal , modification qui, dans l'espèce, est la conséquence nécessaire des articles 13 et 14 du projet que la section centrale vous propose d'adopter.

Je me résumerai, messieurs, en disant que, sauf quelques dispositions qui me paraissent devoir subir certaines modifications, je considère le projet comme une amélioration réelle, et je crois en conséquence devoir l'appuyer de mon vote.

M. Destriveaux. - Messieurs, j'éprouve le regret de devoir m'opposer au projet de loi présenté par le gouvernement. Je prie, du reste, le ministère de ne pas voir dans cette opposition, qu'ont précédée quelques autres de ma part, de ne pas y voir une hostilité systématique. Je cède à l'empire de ma conviction, je cède à l'empire du devoir.

Depuis 1830 beaucoup de modifications ont été apportées au système pénal et d'instruction criminelle qui nous régissait alors. Une loi du 29 février 1832 a attribué à la juridiction correctionnelle des faits qui jusqu'alors avaient été renvoyés devant les cours d'assises. Trois lois, l'une de juillet 1831, l'autre de mars 1832, l'autre de mai 1834, ont successivement statué sur la formation du jury. Le 10 mars 1834, un projet de loi semblable, au moins pour le fond, à celui qui est aujourd'hui l'objet de nos délibérations, a été présenté à la chambre des représentants. Une commission fut nommée pour examiner ce projet; il tendait à réduire le personnel des cours d'assises à trois juges ; le rapport de la commission fut contraire au projet de loi.

Ce projet semblait être fondé sur l'exemple qu'avait donné la France quelques années auparavant.

En effet, une loi du 4 mars 1831 avait statué, en France, que désormais les cours d'assises ne se composeraient, outre le jury, que de trois juges. La France a-t-elle constamment applaudi à cette innovation? Non, messieurs, au contraire; lorsque, en 1838, un projet de loi ayant pour objet la diminution du personnel des tribunaux, fut présenté, la question de la composition des cours d'assises se représenta également, non pas d'une manière directe, mais indirecte. Les débats furent très animés. M. le garde des sceaux Persil exprima d'une manière extrêmement complète l'opinion contraire au système qui existait alors et d'après lequel les cours d'assises étaient composées de trois juges. Pendant la discussion, M. Barthe succéda dans ce que nous appelons le ministère de la justice, à M. Persil. La chambre des députés de France avait nommé une commission dont M. Persil devint rapporteur. Dans son rapport il s'élève de la manière la plus forte contre la composition des cours d'assises et contre la réduction du nombre des membres de ces cours à trois, et dans ce rapport il s'étayait, non pas de simples raisonnements particuliers et exclusifs à la commission, mais de l'avis de la plupart des cours d'appel de France, et de celui de la cour de cassation elle-même. Ainsi, à cette époque, une réprobation générale s'élevait, dans l'ordre judiciaire, contre les dispositions de la loi de 1831. On proposa même de supprimer l'article qui représentait, dans le nouveau projet de la loi, la disposition de l'article....

M. Barthe fit valoir des raisons qui ne sont pas décisives. Il dit qu'en matière de législation, il ne fallait pas se presser de changer. Il avait raison : cela pourrait servir de règle à plus d'un législateur. Il dit encore que la loi n'avait été en vigueur que pendant six ans, et que c'était trop peu de temps pour pouvoir juger de la bonté ou des défauts de la loi.

Cependant la partie de l'ordre judiciaire qui avait été amenée à appliquer la loi avait jugé par expérience que la disposition était mauvaise. La chambre des députés admit néanmoins le projet de loi, et comme le Moniteur le porte textuellement, une grande agitation s'éleva dans la chambre après ce vote. Mais ce qui avait été indirectement repoussé fut réservé pour l'avenir.

. Dans cet état de choses, on ne devait pas croire facilement qu'un projet analogue serait reproduit devant la législature belge. C'est cependant ce qui arrive aujourd'hui. On reproduit le système que la commission, nommée par la chambre des représentants, avait repoussé en 1834.

On se demande tout d'abord si les grands corps judiciaires du pays ont été consultés; je demande si l'on s'est environne de toutes les lumières propres à éclairer et la marche du gouvernement et celle de la chambre dans une matière aussi grave?

Messieurs, je le regrette, il n'y a pas même l'ombre d'un avis. Je me trompe : la section centrale, avertie qu'on avait consulté quatre procureurs généraux, a demandé la communication des réponses de ces magistrats; mais ces réponses qui, j'aime à le dire, ont été communiquées avec empressement, sont-elles favorables au projet? sont-elles de nature à nous faire accepter les propositions du gouvernement? Nullement : les procureurs généraux, se fondant sur les raisons les plus fortes, sont unanimes pour repousser le projet qui nous est soumis.

Mais ces magistrats ne sont pas les cours. Il n'y avait qu'un pas à faire des parquets, des procureurs généraux pour se rendre dans les salles du conseil de nos cours supérieures. Ce pas n'a point été fait, et cependant un très honorable ministre, celui devant lequel j'ai l'honneur de porter la parole, rendant hommage aux lumières, au caractère et à l'élévation des sentiments de la magistrature belge, lui écrivait que, dans les choses difficiles, il se ferait toujours un plaisir de demander son avis.

Avant la loi sur les incompatibilités, lorsque des magistrats pouvaient être assis sur ces bancs, lorsqu'on pouvait les consulter personnellement je conçois qu'on ait pu s'entourer de leurs lumières ; mais la loi sur les incompatibilités les a atteints, et le siège sur lequel ils figuraient a dû leur être retiré par des considérations d'un ordre supérieur.

Nous n'avons pas oublié que dans la discussion de la loi sur les incompatibilités on a présenté des raisons propres à empêcher les incompatibilités d'atteindre la magistrature. On a dit : « Les magistrats, membres de cette chambre, pourront éclairer le gouvernement et la chambre dans les questions graves qui peuvent être agités dans cette enceinte ; si vous étendez la loi des incompatibilités à ces hommes si recommandables, craignez qu'un jour vous n'éprouviez le regret de les avoir exclus, de vous être privés de leur lumières. »

Mais ces raisons ont dû fléchir devant les considérations d'un ordre supérieur, et la loi a atteint les magistrats.

Mais depuis que les magistrats ne siègent plus sur ces bancs, ils n'ont pas déserté le pays; la magistrature est encore debout. Que pouvait-on faire de mieux pour éclairer la législature? C'était de recourir an corps, depuis qu'on avait perdu quelques membres. Voilà ce qui était une garantie et une nécessité, et voilà ce qui n'a pas été fait.

Nous sommes donc réduits à juger, non par notre propre expérience, mais par des hypothèses plus ou moins réalisables.

On obéit aujourd'hui à une grande nécessité, cela est vrai; c'est la nécessité des économies; mais cette nécessité est-elle de telle nature qu'elle doive forcer toutes les résistances, même les résistances les plus morales, celles qui sont opposés au nom et pour le maintien des plus fortes garanties de l'Etat et des individus ?

On a porté la main sur bien des choses, bien des institutions, les unes pour les anéantir, les autres pour les morceler, et cela à raison d'économie.

Eh bien, aujourd'hui c'est au nom de l'économie que le projet est proposé. Il faut qu'on subisse une bien grande, une bien impérieuse nécessité, car on n'a rien à reprocher à la composition des cours d'assises telle qu'elle existe. Point là de contradiction ni de lacune; on veut des économies, et pour en avoir dans cette occasion on cherche à frapper l'ordre judiciaire ; il faut une réduction du personnel des cours d'appel, de quelques tribunaux et même de la cour de cassation; il en faut partout.

Mais il y a deux économies à faire : celle de l'argent, celle des difficultés dans l'administration de la justice, dans l'entente de l'ensemble de la législation, de l'interprétation et de l'application des lois, de celles sur lesquelles reposent les garanties de la société et des citoyens ; et en faisant quelques économies sur le traitement de quelques juges, si on compromet la liberté des citoyens, les garanties de l'intérêt général et de l'intérêt privé!... Ce n'est pas aujourd'hui une chose neuve que j'exprime; la garantie la plus forte dans un Etat repose dans la force, la dignité, j'ajouterai dans la puissance des corps judiciaires ; il ne faut pas que les hommes soient habitués à se jouer facilement dans la cité de l'importance de la magistrature; il ne faut pas les accoutumer à des changements imprévus; il faut, pour avoir des citoyens, les accoutumer à respecter les institutions sous lesquelles ils vivent.

On nous présente sans cesse l'imitation des nations étrangères. Il en est une que nous devons imiter, parce que nous n'avons pas à éviter en elle la facilité de ses changements ou la légèreté de ses jugements, mais dans ses mœurs ; ce qui fait la force de l'Angleterre, c'est que la liberté est plutôt dans les mœurs que dans les dissertations et les proclamations. Voilà ce qui forme les citoyens, tandis qu'en morcelant les institutions, on jette le doute, le trouble dans les esprits, au point de se demander ce qu'est la sagesse sociale.

Je ne veux pas qu'on prépare seulement la facilité du travail des jurisconsultes ; il faut protéger quelque chose de plus importants de plus précieux : la sécurité publique, cette sécurité qui naît de la certitude de rencontrer la permanence des institutions, de la garantie qu'on y trouve et que l'on a le droit d'y chercher.

On a été conduit à proposer des changements dans une foule d'institutions judiciaires à différents degrés sous prétexte d'économie. On a voulu entendre les compétences. {Interruption.)

Nous vivons dans un moment où cette passion d'économie, je pourrais presque dire vertige, entraîne à bouleverser toutes les compétences, tous les systèmes eux-mêmes. On vient de clore la discussion du premier titre de la loi qui nous est proposée. Là il est question de donner aux juges de paix, en matière criminelle, une augmentation de compétence. Un autre projet sur lequel la section centrale n'a pas encore fait son rapport, a pour objet détendre la compétence des juges de paix en matière commerciale ; d'autres projets encore sont présentés, mais par une coïncidence singulière, c'est qu'en même temps, par voie d'économie, on a conseillé de réduire le nombre et le traitement des juges de paix. On leur demande plus de lumières et plus de travail, et on diminue leur traitement.

Je crois qu'il serait infiniment préférable dans le sujet qui vous occupe, de ne faire qu'un travail général rationnel, mais éclairé surtout par les avis des corps judiciaires; celui qui pratique apprécie la mise en œuvre, peut juger mieux, parce qu'à côté des lumières les plus élevées, si l'expérience manque l'éclat des lumières est toujours terni.

Lorsque le projet a été présenté, on l'a motivé non seulement sur la raison d'économie, mais sur la considération que l'adoption, la mise en œuvre (page 1006) du projet augmentait les garanties des prévenus, des accusés. Certes si j’étais convaincu que le projet peut arriver à cet heureux résultat, je ne le traiterais pas avec autant de sévérité, je chercherais à m'y rallier ; mais je suis convaincu qu'il n'augmente pas les garanties des accusés et qu'il fait disparaître les garanties sociales.

Les accusés sont dans une position qui mérite considération; tout accusé est réputé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré coupable ; c'est une belle maxime qui heureusement est devenue triviale; mais il faut examiner si la cité, qui a des droits à faire respecter, à toutes ses garanties. Il ne faut pas en entourant l'accusé de garanties pour prévenir l'erreur, refuser à la société celles qui doivent lui promettre qu'on parviendra à connaître la vérité. Maintenant je suis conduit à examiner si le projet présente des garanties aux accusés, et surtout s'il maintient les garanties de la cité. Je ne le crois.

Je laisse à part l'examen des détails auquel nous pourrons nous livrer plus tard. Mais je m'occupe de considérations générales, puisque nous en sommes à la discussion générale.

Je crois qu’on amoindrit singulièrement la mission du juge proprement dit dans l'instruction orale et la dispensation de la justice criminelle qui la suit. On l'a présenté comme étant, d'après la loi, exclusivement juge du point de droit. Le juge du fait, a-t-on dit, c'est le jury. Le jury ayant jugé le fait, le juge est, pour ainsi dire, réduit à être le lecteur de la loi.

Ainsi donc que la cour d'assises se compose de 3 ou de 5 juges, il en sera de même. Il est fort rare que le juge ait à sortir de ce cerclé étroit dans lequel nous venons de le renfermer. Trois suffisent. Il est vrai que 5 est un nombre parfait. Mais il y a des occasions où, tout parfait qu'il est, il laisse encore quelque chose à désirer. Si le juge n'était là que pour lire la loi, il est certain qu'on pourrait faire comme en Angleterre. Un juge suffirait. Non pas que je veuille dire qu'il n'ait, en ce pays, que cette mission : il a une mission plus étendue. Nous parlons toujours de l'Angleterre. En bien, en Angleterre, on a attendu jusqu'en 1825 pour réviser la législation sur le jury. A cette époque, il y avait 65 lois qui pesaient cette institution. Je ne cite pas cela comme un modèle.

. S'il y a des occasions où les juges composant la cour d'assises ont une autre tâche que celle de lire la loi, si cet appel qui leur est fait pour l'application de leurs facultés judiciaires à des choses plus profondément, plus intimement liées à l'instruction orale, faite en dernier ressort devant la cour d'assises, alors il faut augmenter le nombre des juges, afin d'augmenter les garanties des accusés et de la cité.

Or maintenant si la mission du juge est assez insignifiante pour que le nombre des membres composant la cour soit indifférent, faut-il adopter le nombre de trois juges par transaction pour ne pas le fixer à un seul? Voyons d'abord qu'elles sont les fonctions du président de la cour d'assises. Aux termes du Code d'instruction criminelle, le président a la direction des débats; il a une mission, une espèce de juridiction spéciale, celle d'ordonner l'arrestation des témoins qui lui paraissent faux. Le président a un pouvoir discrétionnaire, et ce pouvoir discrétionnaire que la loi lui donne, pensez-vous qu'il sera toujours exercée avec mesure et indépendance, lorsque le président n'aura à ses côtés que deux assesseurs peu habitués à diriger de tels débats? Le nombre souvent fait la force, on a eu raison de le dire; non pas le nombre matériel, mais le nombre des intelligences. Or il y aura plus d'intelligence et de fermeté en quatre assesseurs qu'en deux.

Il est dans la nature de l'homme de chercher à étendre ses pouvoirs. L'homme le plus pur ne peut se défendre de cette tendance qui peut devenir fatale à lui-même ou aux autres. A côté du président, investi d'un pouvoir discrétionnaire, vous placez deux hommes seulement ; tandis que dans la composition actuelle de la cour d'assises,, à côté du président de la cour, il y a quatre magistrats. Il y a là une garantie véritable pour l'accusé et pour la cité.

Mais la cour, dit-on, n'a pas à examiner le fait, puisqu'il ne lui appartient pas de statuer à cet égard. Ma réponse serait bien facile ; mais elle serait incomplète si je me bornais à dire que, dans plusieurs occasions, notamment dans le cas de majorité simple pour la condamnation, les juges doivent opiner, et de leur nombre plus ou moins grand dépend le sort de l'accusé.

Mais il faut aller plus loin : les jurés peuvent se tromper dans leur déclaration de culpabilité. La cour est investie alors d'un droit extraordinaire, exorbitant du droit commun, relativement à la déclaration du jury. La cour peut (et elle le doit à l'unanimité) annuler la déclaration du jury pour cause d'erreur, et ordonner le renvoi aux assises prochaines. Pouvez-vous confier le pouvoir de prendre une telle décision à trois hommes seulement? Ce n'est pas trop de cinq, lorsqu'il s'agit de placer le pouvoir judiciaire, organisé, en présence du jury qu'on a élevé si haut à si juste titre. Il y aurait une position fausse à mettre trois hommes en présence du jury, à leur donner le pouvoir de déclarer publiquement que le jury s'est trompé et d'ordonner le renvoi à une session qui s'ouvrira plus tard.

Les juges n'ont pas à s'occuper du fait! Mais n’ont-ils jamais à s'occuper de questions de droit qui peuvent surgir, en raison de la nature du fait même. La déclaration de culpabilité, ce n'est pas seulement la déclaration d'un fait prévu par la loi. Il faut qu'on applique la législation sous le rapport du fait et du droit. Or, il est des affaires qui se compliquent de la question de fait et de la question de droit de telle manière qu'il faut, pour les décider, des jurisconsultes, des magistrats d'habitude. Ceux qui ont quelque habitude de la défense ou de l'accusation devant la cour d'assises, ceux qui ont quelque habitude des jugements, ceux que le sort a envoyés plus de fois que les autres au banc des jurés, ne savent-ils pas que dans les affaires de faillites et de banqueroutes, dans les affaires de taux, par exemple, qui se commettent de tant de manières différentes, que, dans une foule d'occasions, la question de droit est intimement liée à la question de fait? Eh bien, dans de semblables occasions, le jury n'a-t-il pas besoin d'être instruit? N'a-t-il pas besoin d'être conduit? Ne faut-il pas qu'avec un tact qui naît de l'habitude, et de la solidité du jugement, on prépare la pensée des jurés? Et lorsque le jury a décidé, ne faut-il pas encore que le juge avant de prononcer l'application de la loi pénale, reconnaisse, dans son intime conviction et par l'application de ses lumières, si réellement le fait a été commis avec les caractères que la loi veut lui imprimer pour constituer un crime?

Les mêmes éventualités se présentent dans les affaires d'abus de confiance.

Et dans les débats, ne surgit-il jamais d'incidents? N'y a-t-il pas de ces incidents qui ne peuvent être encore décidés que par l'examen des faits?

Messieurs, tout le monde sait que les arrêts de la chambre des mises en accusation même définitifs, ne sont pas généralement attributifs de compétence, mais ils sont souvent déclaratifs.

Eh bien, je suppose qu'une chambre des mises en accusation, composée de cinq membres, ait admis une accusation ; je suppose qu'elle l'ait admise par des circonstances, par des faits qui ne peuvent pas être justifiés dans les débats. Je suppose maintenant que l'opinion des magistrats qui siègent à la cour d'assises soit différente de celle des magistrats qui siègent à la chambre des mises en accusation.

Qu'arrivera-t-il? Les trois juges qui composeront la cour d'assises et qui pourront être des juges de première instance viendront-ils anéantir par leur décision l'arrêt qui aura pu être rendu à l'unanimité de cinq juges membres de la cour d'appel ? Est-ce donc établir des règles bien normales en matière de justice que de subordonner à de pareilles éventualités les décisions de la chambre des mises en accusation.

Il y a autre chose encore : dans la loi, c'est une attribution que l'on veut donner dans quelques occasions, aux chambres des mises en accusation, d'admettre des excuses déterminées par la loi. Messieurs, il faut éviter l'équivoque; il faut éviter, en pareille matière, que l'on ne confonde.

Il y a des excuses qui sont déterminées par la loi ; de telle manière que le fait reconnu, il n'y ait plus lieu à variation dans l'appréciation. Ainsi il est bien certain que quand il est prouvé qu'un individu est âgé de moins de seize ans, c'est un fait que la chambre des mises en accusation peut déclarer. Il ne changera pas de nature devant le tribunal.

Mais il y a d'autres espèces d'excuses : celles qui dérivent de faits qui peuvent être différemment appréciés, qui peuvent être différemment examinés, et surtout qui peuvent être différemment déclarés. Il y a dans les excuses des allégations qui peuvent être détruites par une instruction postérieure. Eh bien, que ferez-vous? Voudra-t-on que la cour d'assises subisse le joug d'une déclaration qui aura été rendue par une chambre des mises en accusation? Si elle se trouve incompétente, voudra-t-on qu’elle s'humilie devant l'arrêt de la chambre des mises en accusation, et qu'elle soit obligée de conserver une compétence qui ne lui appartient pas ? Le faudra-t-il? On ne peut pas dire oui.

Autre inconvénient: Quelle est, par la loi qui nous dirige, la mission de la chambre des mises en accusation? Cette mission est de déclarer qu'il y a des indices, des présomptions suffisantes pour traduire quelqu'un devant la cour d'assises ou pour le renvoyer devant le tribunal correctionnel. Eh bien! en la forçant à se prononcer d'une manière, définitive sur des excuses qui dépendent de faits différemment appréciables, on rend la chambre de mises en accusation juge des faits, c'est-à-dire qu'on la fait sortir du cercle dans lequel la loi l'a placée.

C'est là, messieurs, renverser toute l'économie du Code d'instruction criminelle, tout le système de la loi qui nous gouverne.

Messieurs, consentirons-nous facilement à sanctionner par notre vote un pareil bouleversement? Où sont donc les garanties que l'on avait promises aux accusés et à la cité ? Il n'y a pas de garanties dans le désordre, il n'y a pas de garanties dans la confusion. Lorsque les lois se croisent, lorsque les dispositions s'entrechoquent, se détruisent quelquefois les unes les autres, il n'y a plus de garanties.

Messieurs, en matière criminelle, tout n'est pas déclaration de faits propres à conduire à une condamnation pénale, c'est-à-dire à l'application d'une peine.

Le Code d'instruction criminelle prévoit des cas où l'accusé a été, non pas acquitté, puisqu'il a été déclaré non coupable, mais absous, parce que le fait n'était pas prévu par la loi pénale. Mais le fait qui a motivé l'absolution ne peut-il pas donner lieu à une demande en dommages intérêts d'une haute importance ?

Eh bien! est-ce que trois juges seront compétents? Le seront-ils d'une manière assez certaine devant la loi, pour adjuger, sans aucune espèce de nouvelle épreuve, des dommages-intérêts qui peuvent s'élever à des sommes extrêmement considérables? Cinq juges ne sont pas de trop dans une pareille occasion ; et si l'on avait quelque chose à reprocher a notre système actuel de législation, ce serait ce caractère définitif que l'on donne à l'arrêt rendu par cinq personnes. On s'est, à cet égard, affranchi de toutes les règles qui gouvernent la procédure en matière civile. Lorsqu’il s'agit d'une servitude, d'une somme de 3,000 fr., vous avez divers degrés de juridiction, vous avez la cassation; et en matière bien autrement grave, vous aurez pour garantie la parole de trois personnes, où peut-être vous aurez l'opinion de deux juges. Voilà la majorité sur laquelle on aura établi la condamnation à des dommages-intérêts très considérables; voilà la déclaration sur laquelle on aura acquis un titre dont l’inexécution peut anéantir la fortune de celui qui a été déclaré, je ne dirai pas (page 1007) innocent d'une manière complète, mais absous. Ainsi à côté de son absolution, peut se trouver un abîme prêt à l'engloutir.

En toute matière il y a appel ; on a même voulu étendre l'appel aux matières de simple police. Eh bien, ces questions qui sont d'une haute gravité, où il y a des points de droit très difficiles à résoudre, ces questions sont confiées à un tribunal composé de trois juges dont la majorité est de deux. Et voilà les garanties, et voilà l'ordre de choses que l'on propose de substituer à celui qui existe aujourd'hui et qui est incomplet peut-être, mais qui alors devrait subir des modifications différentes de celles qu'on propose ! Innovons, si nous le pouvons, mais innovons dans le calme et avec réflexion, entourés des avis émanés des institutions les plus élevées de l'ordre judiciaire; innovons alors, mais en nous mettant encore en garde contre les dangers des innovations.

Messieurs, j'arrive à la fin des observations que je voulais présenter, heureusement peut-être pour l'assemblée, que je remercie d'avoir bien voulu m'écouter jusqu'à présent.

Il est une chose, de la conviction de laquelle on ne peut se défendre, parce qu'elle est dans la nature de l'homme. L'appareil est pour beaucoup dans les grands travaux, soit de la législature, soit de la dispensation de la justice. Réduisez la représentation des cours, la représentation des tribunaux même, à des expressions trop simples, et ceux qui viendront dans l'enceinte où les arrêts se rendent, n'y viendront pas avec le respect, avec la volonté de s'incliner, qui les accompagneront dans d'autres circonstances.

Je ne veux pas que l'on ait pour une institution un respect servile, mais il faut que l'imagination de l'homme soit frappée. L'homme, quel qu'il soit, est sensible à un noble et digne spectacle; il est sensible à un spectacle qui sort des impressions ordinaires de la vie.

Si vous voulez placer les arrêts de la justice aussi haut que possible, élevez les tribunaux dans une sphère d'honneur ; placez-les, au milieu de la cité, dans une position d'où ils puissent dominer tout ce qui les entoure.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans toutes les digressions où l'a entraîné la critique du projet; je me bornerai à donner quelques explications sur les motifs et l'origine du projet de loi qui est en discussion.

J'ai déjà eu l'honneur de dire à la chambre que le principal motif qui avait amené la présentation du projet actuel était un motif d'économie. Obligés, messieurs, par la nécessité de notre situation financière de rechercher les réductions de dépenses qu'il était possible d'introduire dans tous les services publics, nous avons dû porter aussi nos regards sur les institutions judiciaires, et nous avons pensé que, sans porter aucune atteinte, soit à la dignité, soit à la considération de la magistrature, sans entraver en rien la marche de l'administration de la justice, nous pouvions y opérer quelques réformes utiles et tout à la fois économiques.

Messieurs, le projet que nous avons présenté n'est pas nouveau ; il a déjà été soumis à cette chambre, il y a 15 ans, par l'honorable M. Lebeau, qui occupait alors le département de la justice. L'article premier du projet actuel n'est, à peu de chose près, que la reproduction de l'article premier du projet de 1834. Ainsi que l'a dit l'honorable M. Destriveaux, une commission, composée des jurisconsultes les plus éminents que la chambre possédait à cette époque, a été choisie pour l'examen de ce projet et elle ne l'a pas repoussé, comme le pense l'honorable membre; encore moins la chambre l'a-t-elle rejeté ; car elle n'a jamais été appelée à le discuter. Ce projet a été retiré, ou plutôt la chambre en a été dessaisie à la suite de la dissolution qui a été prononcée l'année dernière.

La commission dont je viens de parler, messieurs, a adopté le système de l'honorable M. Lebeau, en le modifiant toutefois, car la question doit être envisagée sous une double face. Les cours d'assises se composent, aux chefs-lieux de cours d'appel, de cinq magistrats de cette cour ; elles se composent, dans les autres chefs-lieux de province, d'un président nommé par le premier président de la cour d'appel, et de 4 juges pris dans le sein du tribunal de première instance. D’abord, il existe là une véritable anomalie, contre laquelle on a réclamé depuis longtemps et qu'il importait de faire disparaître.

La commission de 1834, dont l'honorable M. Liedts était le rapporteur, l'avait reconnu et avait proposé de composer les cours d'assises, même dans les chefs-lieux de cours d'appel, d'un conseiller délégué, d'un président et de quatre juges appartenant au tribunal de première instance. Ainsi, quant à la première question, celle de l'uniformité de la composition des cours d'assises, la commission était absolument d'accord avec ce que proposa le gouvernement. Sur le deuxième point, celui de savoir si les cours d'assises peuvent être convenablement réduites à trois membres, la commission a repoussé, par cinq voix contre 4, le système du gouvernement; mais comment ce vote était-il motivé? La commission se fondait sur ce que l'institution du jury était toute récente en Belgique ; sur ce que le jury, trop nouveau encore, avait besoin d'être conduit et dirigé par la cour; sur ce que, dans ces circonstances, il serait imprudent de réduire le personnel des cours d'assises et d'affaiblir ainsi l'influence salutaire qu'elles étaient appelées à exercer sur le jury.

Voilà, messieurs, les motifs, qui avaient guidé la commission. Ces motifs sont-ils les mêmes encore aujourd'hui? Je ne le pense pas; depuis cette époque le jury a fonctionné pendant dix-huit ans ; il a été considérablement amélioré par la loi du 15 mai 1838, c'est aujourd'hui l'une de nos institutions les plus respectables. On peut donc dire, messieurs, que les motifs qui, à cette époque, ont empêché la commission de se rallier au projet que nous reproduisons n'existent plus aujourd'hui, et que l'influence de la cour sur le jury sera justement et convenablement exercée lorsque la cour ne se composera plus que de trois membres aussi bien que lorsqu'elle se composait de cinq.

L'honorable M. Destriveaux a parlé de la France. Par la loi du 4 mars 1831, la composition des cours d'assises en France a été en effet modifiée, le personnel a été réduit à trois membres, et quoi qu'on en ait dit, jusqu'à ce jour ces modifications n'ont produit aucune espèce d'inconvénient. La question s'est représentée depuis à la chambre des députés, à l'occasion de la discussion qu'a rappelée l'honorable M. Destriveaux, Mais la grande majorité de cette chambre a maintenu la loi de 1831, et il a été reconnu qu'il n'y avait aucun motif sérieux pour abroger cette loi.

Messieurs, je ne vois pas pourquoi il serait nécessaire que le personnel de nos cours d'assises fût composé de cinq membres au lieu de trois. Quelle est la mission des cours d'assises?

Ce n'est pas de juger le fait : Le jury est là qui apprécie le fait et dont le verdict est souverain. La cour, à la vérité, est appelée, dans de rares occasion, à connaître du fait; c'est lorsque la décision du jury n'est, prononcée qu'à la majorité de 7 voix contre 5.

Mais pourquoi le jugement de la cour, composée de 3 membres, ne serait-il pas suffisant, dans cette circonstance, pour déterminer la culpabilité ou l'innocence de l'accusé, alors surtout que nous proposons par l'article 12 une modification essentielle au Code d'instruction criminelle, une modification à laquelle tout le monde s'est rallié et qui consiste à décider que l'accusé ne pourra jamais être condamné qu'autant que la majorité de la cour se réunisse à la majorité du jury? Tandis qu'aujourd'hui, d'après l'article 351 et par une anomalie qui dépare le Code d'instruction criminelle, lorsque la majorité de la cour se rallie à la minorité du jury, l'accusé peut encore être condamné (ainsi qu'il est arrivé récemment encore devant la cour d'assises d'Anvers), c'est-à-dire qu'une condamnation qui n'a pu être prononcée par 7 voix contre 5, l'est ensuite par 9 voix contre 8, alors que les chances de culpabilité sont bien moindres qu'elles l'étaient lors de la première décision sortie du sein du jury.

L'honorable M. Destriveaux vous a dit que la cour avait une grande prérogative à exercer, celle qui lui est attribuée par l'article 352 du Code d'instruction criminelle, et en vertu de laquelle elle peut frapper en quelque sorte de nullité une décision du jury, quand elle croit qu'il s'est trompé, et renvoyer l'affaire à une autre session.

C'est en effet une immense prérogative qui est accordée à la cour. Mais d'abord il est sans exemple, je pense, que dans notre pays il ait jamais été fait usage de cette prérogative.

Ensuite dans quel intérêt est-elle accordée? Dans l'intérêt exclusif des accusés. C'est seulement en cas de condamnation de l'accusé que la cour, si elle juge que le jury s'est trompé, peut déclarer qu'il y a eu erreur, et renvoyer l'affaire à une autre session. Or, l'honorable M. Destriveaux lui plaide si chaudement, si éloquemment en faveur des garanties dues aux accusés, prétendra-t-il que ce n'est pas une importante garantie et qu'il ne faut pas maintenir un semblable pouvoir à la cour d'assises?

Maintenant l'accusé aura-t-il moins de chances, parce que ce pouvoir sera exercé par trois membres, au lieu de 5? Mais il en aura davantage; et la raison en est bien simple : il faut, dans ce cas, que la décision de la cour soit prise à l'unanimité, dit le Code d'instruction criminelle. Or, l'accusé n'a-t-il pas plus de chances de rencontrer cette unanimité avec trois juges qu'avec cinq?

La cour a souvent à prononcer, dit-on, sur des incidents, sur des questions de droit; cela est vrai.

Mais d'abord une décision émanée de trois magistrats n'est-elle pas suffisante, n'est-elle pas déjà entourée de cette présomption de vérité qui doit la faire considérer comme sérieuse et fondée.

Ensuite, dans toutes les questions de droit, l'autorité de la cour de cassation vient planer au-dessus de celle des cours d'assises, et les arrêts de ces cours peuvent être déférés à la cour suprême en ce qui concerne le point de droit. Il n'y a donc pas le moindre inconvénient à ce que ces points de droit soient jugés en premier degré par les cours d'assises composées de trois magistrats.

Il y a également, dit-on, des questions de réparation civile qui peuvent être d'une grande importance.

D'abord, messieurs, ces questions se présentent fort rarement devant les cours d'assises. Presque jamais les parties civiles ne viennent réclamer leurs dommages-intérêts de la cour qui est appelée à prononcer sur le sort de l'accusé; les parties civiles attendent le jugement pour se pourvoir devant les tribunaux civils, et profiter ainsi du bénéfice de l'arrêt qui, dans ce cas, est considéré comme ayant, sous ce rapport, l'autorité de la chose jugée.

Mais encore même que ces demandes de réparations civiles seraient plus fréquentes, est-ce qu'un tribunal, composé de trois juges, ne présente pas toutes les conditions de science et d'impartialité nécessaires, pour qu'on puisse avoir confiance dans les jugements qui émaneront de sa juridiction?

L'honorable M. Destriveaux m'a fait un reproche auquel je dois répondre en terminant. Il a dit que j'aurais dû consulter les corps judiciaires sur le projet de loi. La chambre se rappellera avec quelle rapidité tous ces (page 1008) projets de réforme ont dû être élaborés, pour pouvoir être soumis à la législature au début de la session.

Consulter les corps judiciaires, c'était s'exposer à beaucoup de lenteurs, c'était rendre impossible la présentation de projets que nous croyions utiles dans le but que j'ai eu l'honneur d'indiquer. Cependant j'ai consulté un peu à la hâte, messieurs, les procureurs généraux, et j'avoue que l'avis de ces magistrats n'a pas été favorable au projet de loi ; je crois même que si j'avais consulté les cours d'appel, je n'aurais pas obtenu un avis plus favorable.

Il faut bien le reconnaître ; il y a dans tous les corps judiciaires une tendance inévitable à repousser toute réforme qui doit avoir pour conséquence de réduire leurs attributions et surtout de les mutiler dans leur personnel. Mais ces motifs étaient-ils suffisants pour arrêter le gouvernement, alors que, dans sa conviction intime, la réforme qu'il veut opérer est possible, réalisable, qu'elle ne doit amener aucune perturbation dans le cours de la justice criminelle et alors surtout que nous avons pour nous l'exemple de la France, où la justice criminelle est rendue depuis 18 ans par des tribunaux réduits au nombre de membres auquel nous voulons réduire les cours d'assises en Belgique.

Je pense donc, messieurs, qu'il n'y avait pas lieu de s'arrêter devant l'opposition que nous avons rencontrée chez quelques honorables magistrats, au mérite et aux lumières desquels je me plais d'ailleurs à rendre un juste hommage.

M. Destriveaux. - Messieurs, quand j'ai dit que l'ordre judiciaire n'avait pas été consulté, je n'avais pas eu communication de l'exposé de motifs du projet de loi présenté le 10 mars 1834 par l'honorable M. Lebeau, qui a été imprimé et distribué alors. Je vois dans cet exposé de motifs qu'effectivement alors, on avait demandé l'avis des corps judiciaires. J'ai fait cette observation pour qu'on ne pût pas croire que j'avais usé volontairement de prétention à cet égard ; mais mon observation n'en subsiste pas moins quant au projet que nous discutons, et je suis convaincu que s'il eût été envoyé aux corps judiciaires, ils n'auraient plus donné l'avis qu'ils ont pu émettre il y a 15 ans. Moi personnellement, j'ai de grandes raisons de penser qu'une cour n'aurait plus donné le même avis qu'alors.

Ainsi donc la rectification faite, je persiste dans mon observation que les cours n'ont pas été consultées; elle est, du reste, confirmée par M. le ministre qui vient de dire qu'on n'avait pas pu consulter la magistrature d'une manière aussi précise qu'en 1834 à cause de l'urgence.

M. Orts. - Je prends la parole pour ajouter quelques observations à celles qu'a présentées l'honorable M. Destriveaux. Je réclame un instant l'attention de la chambre, parce que ma position m'a permis de vérifier comment les choses se passent maintenant et me permet de préjuger comment elles se passeront quand le projet qui nous est soumis aura été traduit en loi.

L'honorable M. Destriveaux a fait observer avec beaucoup de raison que dans la composition des cours d'assises les assesseurs formaient le contrepoids de l'autorité considérable attribuée par la loi au président; que ce contrepoids devait être d'autant plus fort que l'influence du président était plus prépondérante. On sait que le président de la cour d'assises dirige le débat depuis le début jusqu'à la plaidoirie; c'est le principal acteur, l'agent perpétuellement en contact avec l'intérêt social représenté par le ministère public, et avec l'intérêt privé que sauvegarde la défense de l'accusé; quand l'un de ces deux grands intérêts arrive à contrarier l'opinion personnelle du président, à qui faut-il recourir pour obtenir la solution du conflit?

Si maintenant vous amoindrissez l'influence de la cour comparativement à celle du président, il est évident que l'intérêt de l'accusé ou l'intérêt de la société pourront en souffrir, selon que le président contrarierait l'exercice du droit de la défense ou l'exercice du droit du ministère public; ces intérêts souffriront de la part trop grande d'influence du président, juge et partie dans le conflit. Maintenant, la part d'influence du président ne deviendra-t-elle pas d'autant plus grande que le nombre des assesseurs sera diminué? C'est là une simple question d'arithmétique à résoudre, celle de savoir si un tiers est une part plus grosse qu'un cinquième. Un homme en présence de quatre personnes dont il pourra éventuellement rencontrer l'opposition n'aura-t-il pas moins de facilité comme moins de disposition, à abuser de son autorité que s'il n'a que deux contradicteurs à craindre? Ces raisons ont été pour beaucoup en France dans ce mouvement des esprits qui, après huit années de pratique, ont condamné formellement l'innovation de 1831 qu'on veut traduire aujourd'hui en loi chez nous.

M. le ministre de la justice a mal apprécié les débats qui ont eu lieu en France, et que l'honorable M. Destriveaux avait pourtant très exactement analysés. En 1838, quand il s'est agi de la loi sur la compétence et le personnel des cours et tribunaux, la chambre française n'a pas le moins du monde donné raison à la loi de 1831 contre le système qui consiste à composer de cinq juges les cours d'assises. Il suffit de lire le Moniteur, comme j'ai eu le soin, moi, de le faire avant de parler, pour voir que si la réduction a été maintenue c'est parce que M. Barthe, l'auteur de !a loi, la voyant condamnée par les jurisconsultes les plus éminents du parlement, est venu se mettre aux genoux de la chambre et dire que la réduction du personnel ne préjugeait pas le maintien du système adopté en 1831 pour les cours d'assises. C'est sur cette promesse que la réduction du personnel a été admise.

Et lorsque la question s'est ainsi produite, parmi les hommes qui ont condamné la loi se trouvaient des magistrats éclairés par l'expérience, qui en avaient voté l'adoption en 1851. La condamnation de la loi était l’opinion non seulement de la commission spéciale de la chambre, composée de jurisconsultes éminents, mais celle encore de M. Gaillard de Kerberlin, de M. Poulie, de tous les chefs de corps judiciaires présents à la discussion.

Que M. le ministre prenne les débats à la chambre des pairs, quelques pages plus loin au Moniteur. Il y verra encore que la commission chargée d'examiner la loi de 1838, au sein de cette législature, a formellement reconnu le caractère que je viens d'attribuer à la discussion de la chambre des députés. La discussion ne s'est pas reproduite devant les pairs, parce que M. Merilhou, rapporteur, s'est empressé de déclarer que la question du maintien de la loi de 1831 n'était pas préjugée par le projet de 1838.

Après cette digression que la chambre me pardonnera, car j'ai dû m'y livrer pour répondre à M. le ministre de la justice, je reviens à la question, et je dis qu'amoindrir l'influence faisant contrepoids à l'autorité du président, c'est une chose dangereuse ; que cette influence sera amoindrie si le président n'a que deux assesseurs au lieu de quatre à ses côtés. Si cette opinion est vraie en théorie, si elle est vraie en France, elle est plus vraie encore chez nous. Je vais le prouver à l'instant. En Belgique, comment allez-vous composer la cour d'assises? Vous y mettez un conseiller de la cour d'appel président ; c'est bien : je regrette, non sa présence, mais qu'il y soit seul de son rang. A ses côtés, vous placez deux membres de la magistrature inférieure, comme on le fait en France, hors des chefs-lieux, sièges de cour d'appel.

Quelle est maintenant en Belgique la position du juge de première instance vis-à-vis du conseiller de cour d'appel ? Elle est bien moins indépendante que la position parallèle en France. Chez nous la cour d'appel se recrute parmi les membres des tribunaux de première instance ; le juge qui veut s'élever doit se concilier les suffrages des conseillers pour arriver à siéger à la cour d'appel. Voilà la position faite à la magistrature inférieure, et franchement cette position est-elle une garantie d'indépendance?

L'infériorité de cette position peut agir sur des esprits faibles ou complaisants. Le danger qu'elle offre ne peut être balancé que par l'influence du nombre. En effet, lorsqu'il y aura 4 personnes à côté du président des assises, vous trouverez moins d'esprits faciles à céder que vous n'en trouverez dans le nombre de deux. Il y a donc, comparant la Belgique à la France, un argument a fortiori en faveur du maintien de notre système de composition actuelle des cours d'assises et contre la proposition du ministère.

Messieurs, si en matière d'institutions, en matière de garanties sociales, vous ne recherchez, lorsque vous voulez des réformes, qu'un côté de la question, que le côté des économies, je ne sais pourquoi l'on s'arrêterait en si beau chemin. Il y a un complément très économique à donner à la réforme proposée par le gouvernement. Si le nombre ne fait rien à l'affaire, si l'argent fait tout, que ne diminuez-vous le nombre des jurés? Vous ferez une économie importante; car les indemnités allouées aux jurés s'élèvent à une somme considérable. Vous coupez la cour en deux, que ne coupez-vous en deux le jury ? Ce sera une économie notable et parfaitement logique, la réforme sera complète : la loi ne laissera rien à désirer.

Mais une économie de ce genre, on n'oserait la proposer et l'on aurait raison. Seulement, si l'on n'ose pas proposer la mutilation du jury, on ne doit pas proposer la mutilation de la cour; car la garantie de la société et de l'accusé est autant dans la bonne composition de la cour, que dans la bonne composition du jury.

M. Toussaint. - C'est ce qu'il faudrait prouver.

M. Orts. - Je vais le prouver, pour peu qu'on le désire.

Le jury a à se prononcer au sujet d'un fait. Cela est évident. Mais comment reconnaîtra-t-il si le fait est vrai ou faux? Par les débats. Or, il n'est pas douteux que le président qui, avec le contrôle de la cour, dirige les débats ne puisse exercer, par la direction qu'il leur imprime, une influence décisive sur l'appréciation du jury.

Si, par exemple, le président de la cour se refuse à poser une question d'où doit jaillir la lumière, et qui peut avoir pour résultat l'acquittement de l'accusé, le bénéfice de l'institution du jury n'est-il pas perdu? Si la défense est entravée dans ses développements par un mauvais arrêt, n'ai-je pas encore raison ?

Le même inconvénient peut se produire, quant aux moyens d'instruction que le président est libre de repousser ou d'admettre, sous le contrôle de la cour, au cas de conflit avec la défense ou l'accusation, contrôle que je veux sérieux.

Prenons un exemple : Que le président refuse de faire dresser un plan du théâtre du délit, alors que la défense argumente de l'état des localités, et que la cour lui donne raison contre des conclusions formelles de l'accusé, le jury ne connaissant pas les lieux, pourra juger du fait comme un aveugle juge des couleurs.

En appréciant la mission du jury, on a le tort de perdre de vue l'influence que les débats exercent sur la solution qu'il donne aux questions de fait. On ne voit dans l'action du jury que la délibération à laquelle il se livre seul dans la chambre du conseil. Mais le jury ne peut se prononcer en connaissance de cause, que s'il a été donné une direction convenable aux débats par le président et par la cour.

Vous le voyez donc, messieurs, j'ai eu raison de dire que l'accusé est aussi intéressé à la bonne composition de la cour qu'à la bonne composition du jury. La bonne composition de la cour garantit seule des débats impartiaux.

(page 1009) - Un membre. - Le ministère public est là pour contrôler la marche des débats.

M. Orts. - Fort bien ! Mais je doute fort qu'il y ait dans ce contrôle du ministère public une garantie toujours suffisante, alors qu'on portera atteinte aux droits de l'accusé. Ce n'est pas à ce point de vue que la loi a institué le ministère public. Sa mission est de sauvegarder les intérêts de la société. Pour les sauvegarder, il peut arriver qu'il méconnaisse les intérêts de l'accusé.

Si, comme en Angleterre, le président n'avait pas la direction souveraine des débats, si le débat était dirigé d'une part par le ministère public, d'autre part par le défenseur, qui font en ce pays tous deux ce qu'ils veulent de leurs témoins comme de leur propriété, j'admettrais la réduction des juges, voire même le système d'un juge unique. Mais les choses se passent autrement dans nos débats judiciaires. Chaque pays a des raisons d'être spéciales pour ses institutions. C'est pourquoi elles ne peuvent être transportées impunément d'un pays dans un autre.

On vous répète sans cesse que la mission de la cour est simplement d'appliquer le droit sans jamais apprécier les faits. L'honorable M. Destriveaux a cité, en réfutation de cette erreur grave, plusieurs cas où la cour a à juger autre chose que la qualification légale d'un fait; je ne veux pas redire ce qu'il a si bien dit. Mais il est d'autres cas négligés par cet orateur que je vais ajouter à ses citations pour compléter l'exposé de la situation.

La cour d'assises juge nécessairement et juge seule toutes les difficultés que présente la formation du jury, tous les motifs d'excuse ou de dispense que font valoir les jurés, motifs dont l'admission ou le rejet peut influer sur la bonne composition du corps. Ne convient-il pas que cette appréciation soit faite par un tribunal composé de manière à offrir toutes les garanties possibles d'indépendance et de bon jugement?

La cour d'assises statue encore sur les circonstances atténuantes et sur les demandes de dommages-intérêts. Permettez-moi de vous signaler ici à quelles bizarreries, sous ce dernier rapport, vous conduit le système qui réduit de 5 à 3 le nombre des membres de la cour ! Je suis, je suppose, plaignant devant les assises; je demande des dommages-intérêts après une condamnation. Ces dommages-intérêts peuvent être aussi considérables qu'il est possible de supposer considérable un préjudice causé. Nous avons vu des dommages-intérêts évalués, dans une circonstance éclatante, jusqu'à plusieurs centaines de mille francs et accordés à ce chiffre, en matière de banqueroute frauduleuse, dans un pays voisin.

Les créanciers s'étaient portés partie civile. Qui a dû allouer ces immenses réparations à la partie plaignante ? Ce fut la cour; elle eut à juger seule et sans l'intervention du jury sur une demande de dommages-intérêts de 5 à 6 cent mille fr.

Chez nous, d'après le projet ministériel, des dommages-intérêts comme ceux-là, devront être alloués par trois juges.

Voyons maintenant la bizarrerie de l'état de choses.

Si, au lieu de se constituer partie civile, les plaignants avaient porté leur action devant les tribunaux ordinaires, l'affaire aurait été jugée, en première instance, par trois juges qui auraient statué à charge de nouvel examen par des juges supérieurs, présumés avoir des lumières plus considérables et siégeant en nombre plus considérable à charge d'appel à vider en dernier ressort par cinq conseillers.

Lorsqu'un plaignant porte son action devant la cour d'assises, il est statué par trois juges en premier et dernier ressort dont deux juges inférieurs et un conseiller d'appel !

Pourquoi cinq juges de grade supérieur pour juger la même question dans un cas et plus dans l'autre? Pourquoi plus de garanties, plus de sollicitude ? Cette bizarrerie est-elle admissible ?

Autre bizarrerie : Aujourd'hui pour un simple délit correctionnel, vous avez l'avantage d'être jugé par 3 juges en première instance et en appel par 5 juges.

- Plusieurs membres. - Devant la cour d'assises, vous avez le jury !

M. Orts. - Oui, pour le fait! Mais pour le droit, il est incontestable qu'il y a infériorité, et l'importance du point de droit grandit certainement à mesure que la peine s'élève. Cependant, pour le droit, vous présentez moins de garanties au criminel qu'au correctionnel. Est-ce là de la justice? Est-ce de la raison? Y a-t-il un motif légitime quelconque qui milite en faveur de la différence? Pourquoi, par exemple, ne pourrait-on appliquer à un homme un emprisonnement de cinq ans qu'à la majorité de cinq conseillers de cour d'appel, et pourquoi pourra-t-on le condamner à mort à l'aide de trois juges, dont deux d'un rang inférieur?

M. le ministre de la justice prétend que son projet a l'approbation de tout le monde, et lorsqu'on contrôle cette approbation, on aboutit à quoi? A une absence d'examen de la part des corps judiciaires, absence que l'on excuse. Je veux bien admettre l'excuse; mais elle n'empêche pas que la garantie d'un examen ne soit absente. On aboutit ensuite à un examen par quatre personnes spéciales, parfaitement capables et désintéressées dans la question ; car on ne touche pas à la position des parquets ou l'on y touche très peu ; par quatre personnes parfaitement à même de donner un avis compétent ; et cet avis vient nous donner raison, en donnant tort au projet.

Messieurs, je crois qu'il y a même plus en ce genre d'approbation négative des projets ministériels. Je crois savoir d’assez bonne source, tout en avouant ne pas savoir le fait par moi-même, de sorte que je soumets l'observation à M. le ministre de la justice; s'il dit qu'il y a erreur, j'accepterai la rectification; je crois savoir, disais-je, qu'une commission spéciale que M. le ministre de la justice ou son prédécesseur a choisie parmi les magistrats les plus expérimentés de la Belgique pour étudier la révision de nos lois de procédure criminelle, a eu aussi à se prononcer sur la réduction du personnel des cours d'assises, et je crois que cette commission a donné un avis parfaitement semblable à celui des procureurs généraux : une nouvelle approbation dans le sens que M. le ministre semble attacher à ce mot.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'en ai pas connaissance. Ce rapport, s'il existe, ne m'a pas été mis sous les yeux.

M. Orts. - Je prierai M. le ministre de la justice de vérifier le fait; car j'ai de bien bonnes raisons de croire que je suis dans le vrai. M. le ministre dit qu'il n'a pas connaissance de ce fait ; mais cela n'implique pas sa non-existence.

Dans tous les cas, il était facile de consulter cette commission, qui présente toutes les garanties possibles de science et d'indépendance. On n'avait pas à redouter que cette commission donnât un avis motivé par un esprit de corps exagéré ; car elle est composée de membres choisis dans toutes les catégories de la magistrature. Les uns appartiennent aux cours, les autres aux tribunaux, d'autres enfin aux parquets.

M. le ministre peut-il au moins nous présenter, à titre d'approbation de son projet, les plaintes qui se seraient élevées contre l'état de choses actuel? Messieurs, des plaintes contre le système général de nos institutions pénitentiaires et judiciaires, existent et à bon droit. Il y a dans nos Codes des défectuosités dont le redressement procurerait, pour le dire en passant, de bien autres économies que celles que l'on veut réaliser par le projet en discussion. Mais quant à des plaintes contre la composition des cours d'assises, jamais je n'en ai entendu proférer.

J'ai entendu des plaintes légitimes contre l'emprisonnement préventif et sa durée. Il n'en est pas question dans le projet. J'ai entendu des plaintes contre l'intervention trop directe de la magistrature dans la décision de certaines questions que l'on voudrait réserver au seul jury. Il ne s'en agit pas davantage dans le projet. J'ai entendu dire que nos Codes étaient trop sévères, qu'on pourrait abaisser le niveau de la peine dans maintes circonstances et ramener beaucoup de crimes à l'état de simples délits, ce qui donnerait une immense économie ; ce qui permettrait de réduire considérablement, non plus le personnel qui prend part à la décision, mais le personnel intégral des tribunaux ; ce qui épargnerait l'argent sans diminuer les garanties. De tout cela il n'est pas sonné mot. Il est question au projet, en revanche, d'une chose que personne n'a demandé à détruire et qui sera regrettée quand elle aura disparu, comme on la regrette aujourd'hui en France.

Messieurs, il en est de la bonté des institutions sous lesquelles on est appelé à vivre, comme de la santé : ce sont là de ces biens dont on n'apprécie la juste valeur que quand on en a été sevré. Ce moyen d'appréciation me sourit peu pour moi comme pour mon pays.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, la section centrale vous a proposé l'adoption du projet de loi sur les cours d'assises, et, lorsqu'elle vous a fait cette proposition, elle a été mue bien moins par des idées d'économie que par des considérations d'un ordre plus relevé. Elle a vu dans l'ensemble du projet une amélioration sensible à la législation actuelle , et elle n'a pas hésité à l'approuver.

M. le ministre de la justice, répondant à un orateur qui l'avait précédé, vous a démontré combien cette amélioration était réelle. Je suis persuadé qu'il a convaincu la gradue majorité d'entre vous et que les quelques arguments qui viennent d'être produits n'ont pas affaibli votre conviction.

Le projet actuel améliore la législation existante sous plus d'un rapport.

N'est-ce pas d'abord une première, une grande amélioration que d'établir l'uniformité dans la composition des cours d'assises?

Aujourd'hui, un crime commis dans la province du Brabant, dans la province de la Flandre orientale ou dans la province de Liège, est un crime privilégié. Il est jugé autrement que dans les six autres provinces. Il a pour juges des magistrats d'un rang plus élevé que les crimes commis dans les six autres provinces. Vous le savez, à Bruxelles, à Gand, à Liège, la cour d'assises est composée de cinq membres de la cour d'appel. Dans les six autres provinces, elle est composée d'un seul membre de la cour d'appel qui la préside, et de quatre magistrats de première instance.

Je sais très bien que les défenseurs du statu quo soutiennent que ce n'est qu'une fiction, et que ces quatre juges de première instance sont censés être délégués par la cour d'appel, tiennent le rang et la place de conseillers de la cour d'appel. Ils me permettront de leur répondre que leur fiction n'est qu'un mensonge. On a beau dire qu'un juge de première instance représente un conseiller de cour d'appel ; il reste toujours un juge de première instance.

Or, je voudrais bien que les honorables membres qui s'opposent au projet en discussion m'expliquassent pourquoi un accusé du Brabant, de la Flandre orientale, de la province de Liège, doit être jugé autrement qu'un accusé des autres provinces.

Ainsi, messieurs, sous ce point de vue, le projet introduit dans la législation une amélioration incontestable.

Quelqu'un pourrait-il dire que l'article 12, qui devient l'article 2 du projet, n’est pas une disposition éminemment libérale, et qu'elle n'améliore pas la position des accusés ? Je crois, messieurs, que l'on n'a pas (page 1010) assez bien expliqué à la chambre quel est le changement que cet article introduira dans notre législation.

Aujourd'hui, quand un accusé est déclaré coupable par 7 jurés contre 5, les juges délibèrent. Mais pour qu'il y ait acquittement, il faut que quatre des juges se prononcent en faveur de l'accusé et qu'un seul se prononce pour la condamnation.

Tel est le sens de l'article 351; tandis que, d'après la législation que le gouvernement propose, lorsque sept jurés ont déclaré l'accusé coupable, il faut que deux membres de la cour sur trois se joignent à la majorité du jury pour faire prononcer la condamnation, c'est-à-dire qu'il faudra neuf voix contre six pour déterminer la condamnation.

Eh bien, je dis que c'est là une amélioration notable, car il y avait quelque chose de révoltant dans un système qui consistait à permettre qu'un accusé fût condamné alors qu'il n'avait eu dans le jury que 7 voix contre lui et que la majorité de la cour se prononçait encore en sa faveur.

Je ne crois pas, messieurs, que personne se lèvera dans cette enceinte pour combattre la disposition que je viens d'expliquer à la chambre ; elle mérite à tous égards son approbation.

Mais on a vivement attaqué la réduction des membres de la cour d'assises de 5 à 3; on a soutenu d'abord que les accusés trouvaient dans 5 juges plus de garanties que dans 3 et qu'il n'y avait pas de raison pour leur enlever les avantages dont ils jouissent aujourd'hui.

Messieurs, la question n'est pas de savoir s'il y a plus de garanties dans cinq juges que dans trois, car en poussant cette manière de raisonner plus loin, je pourrais soutenir qu'il y a plus de garanties dans sept juges que dans cinq, qu'il y en a plus dans neuf que dans sept, et je ne sais pas où nous nous arrêterions ; la question est de savoir si l'accusé trouve dans une cour composée de trois juges, des garanties suffisantes, et je n'hésite pas à dire que oui. D'abord le jury décide toutes les questions de fait; la cour n'a à décider que les questions de droit. Or, les questions de droit qui se présentent devant les cours d'assises sont, en général, faciles à résoudre; il en est très peu qui soient compliquées, et d'ailleurs la jurisprudence est tellement établie sur tous ces points que trois juges peuvent aujourd'hui les décider sans que la société ait à s'en effrayer.

Mais, dit-on, l'article 268 du Code d'instruction criminelle donne au président un pouvoir discrétionnaire qui est exorbitant ; il fallait donner à ce pouvoir une sorte de contrepoids et quatre juges n'étaient pas trop pour former ce contrepoids. C'est là décider la question par la question. Je réponds à l'honorable préopinant que s'il trouve que quatre juges n'étaient pas trop pour former ce contrepoids , je trouve moi que deux juges sont assez.

Je ne sais si je dois répondre à l'argument produit aujourd'hui par l'honorable M. Orts, que le contrepoids doit être d'autant plus grand chez nous que, par suite de notre organisation, les juges de première instance ont un certain intérêt à rester dans de bons termes avec les membres des cours d'appel. Est-ce que l'honorable membre a pu croire un seul instant qu'un juge de première instance se laisserait guider par une semblable considération, alors qu'il s'agirait de la liberté et de l'honneur d'un citoyen?

D'ailleurs, messieurs, si j'avais cette crainte, je l'aurais pour quatre juges comme pour deux; car si l’on suppose qu'un juge sur deux aura la faiblesse de faire, en quelque sorte, violence à son opinion pour adopter celle d'un magistrat plus élevé, il est tout aussi facile de supposer que deux juges sur quatre auront la même faiblesse.

Vous voulez des économies, dit-on, et c'est pour cela que vous réduisez le nombre des membres des cours d’assises de 5 à 3; pourquoi, généralisant votre système, ne réduisez-vous pas les membres du jury de 12 à 6 ?

Messieurs, si on ministre venait proposer à la chambre une semblable réduction, je n'hésite pas à dire qu'il ne s'élèverait pas une seule voix en faveur de cette proposition, parce que c'est dans le jury que se trouvent les principales garanties de l'accusé et de la société, parce que c'est le jury qui juge du fait. D'ailleurs, le jury n'est pas composé de jurisconsultes, d'hommes ayant dû donner des preuves de capacité ; c'est par leur bons sens que les jurés décident les questions qui leur sont présentées, et il est de toute évidence qu'en pareil cas, il faut un nombre plus élevé de personnes pour trouver des garanties de justice, des garanties d'équité, des garanties de bonne appréciation.

Enfin, messieurs, on a présenté un dernier argument. On a dit : 3 juges au correctionnel connaissent des délits, 5 juges condamnent à des peines correctionnelles, mais il y a là pour le prévenu la garantie de l'appel ; et pour la cour d'assises 3 juges condamneront à des peines afflictives et infamantes, et il n'y aura point d'appel.

Mais l'honorable membre qui a fait ce raisonnement a perdu de vue que les membres des cours d'assises ne jugent point le fait, qu'ils ne font qu'appliquer la loi, que le fait est juge et irrévocablement jugé par le jury.

Je ne sais pas si je dois répondre à ce que l'on a dit de l'opinion des jurisconsultes, de l'opinion des magistrats, du revirement que l'on prétend s'être manifesté en France il y a quelque temps. Tout ce qu'on a dit à cet égard peut être combattu par des allégations contraires. Ainsi on a dit que le système proposé par M. le ministre a été condamné en France. Eh bien, messieurs, je réponds, moi, qu'il n'a jamais été condamné en France. (Interruption).

Lisez le Moniteur.

Il n'a jamais été condamné es France. Vous auriez beau lire tous les numéros du Moniteur depuis 1822 jusqu'en 1839, vous ne trouveriez pas la condamnation du système dont il s'agit; vous trouveriez un certain nombre de jurisconsultes et d'autres orateurs qui ont combattu le système. J'ai certainement une très haute estime pour les connaissances de l'honorable M. Orts et de l'honorable M. Destriveaux, mais je n'en crois pas moins qu'ils sont dans l'erreur. Eh bien, je crois que les orateurs qui ont condamné, en 1838, le système en France, étaient également dans l'erreur. En réalité, le système qu'on vous propose existe en France depuis 17 ans, et personne depuis 17 ans n'a proposé à la chambre française de le réformer. (Interruption.) Ce que je dis est incontestable. Je sais très bien que vous vous appuierez de l'opinion de tel ou tel jurisconsulte; mais je m'appuierais, moi, de celle de tel ou tel autre jurisconsulte, et j'ajouterai que ceux dont j'invoquerais l'opinion valent bien les vôtres. (Interruption.)

Vous aurez beau m'interrompre-, vous ne détruirez pas ce fait, c'est que le système que le gouvernement nous propose aujourd'hui est un système qui existe en France depuis de longues années, qui n'y a pas été condamné, qui y est en pleine vigueur, et j'ajouterai qu’il restera longtemps en vigueur; voilà pour la France.

Maintenant l'honorable M. Destriveaux a dit que le système avait été également repoussé par la chambre en 1834. Il n'a pas été repoussé par la chambre, puisque la chambre n'a pas eu à en connaître. Le projet présenté par M. Lebeau a été, il est vrai, examiné par une commission ; mais une commission ne représente pas tellement la chambre qu'on puisse les confondre ; le projet n'a pas été discuté en séance publique ; donc le projet n'a pas été condamné.

Quant à l'avis des cours, il a été demandé en 1834, et voici, en très peu de mots, ce qui est arrivé : des trois cours, l'une s'est prononcée pour le système sans restriction, l'autre s'est prononcée contre le système sans restriction, la troisième a adopté une moitié du système et a rejeté l'autre.

Par ces diverses considérations, j'engage la chambre, comme l'a fait la section centrale, à adopter le projet du gouvernement, sauf quelques modifications dont nous aurons à nous occuper, quand nous en serons aux articles.

M. Lelièvre. - Je concevrais la résistance des adversaires du projet s'ils prétendaient que les dispositions qu'il renferme sont trop favorables à l'accusé; mais maintenir qu'elles ne donnent pas à celui-ci des garanties suffisantes, c'est, je vous l'avoue, ce que je ne puis comprendre.

Il ne me sera, pas difficile de démontrer que la législation actuelle est loin de faire à l'accusé une proposition aussi avantageuse que celle qui découle de la loi soumise à vos délibérations.

On vous l'a dit; lorsqu'un accusé est déclaré coupable par le jury à la majorité de sept contre cinq, il n'est acquitté que si quatre juges sur cinq, se réunissent à la majorité du jury. Aussi, messieurs, en pareil cas, la condamnation est presque toujours certaine. D’après le projet, au contraire, l'acquittement sera prononcé si deux des trois juges se réunissent à la majorité du jury. En définitive l'accusé n'est condamné qu'à la majorité de neuf voix contre six.

En second lieu, l’opinion unanime de trois juges en faveur de l'accusé suffira même pour annuler un verdict de culpabilité., aux termes de l'article 352 du Code d'instruction criminelle, surseoir à la condamnation et renvoyer l'affaire à une prochaine session devant un autre jury, tandis que dans l'état actuel des choses l'opinion unanime de cinq juges est nécessaire pour produire ce résultat. Ainsi trois juges favorables à l'accusé sont investis du droit de mettre à néant la décision du jury qui lui est contraire; peut-on révoquer en doute l'importance de telle garantie extraordinaire ? L'honorable M. Destriveaux a pensé que l'article 14 du projet qui autorise la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation à reconnaître les faits d'excuse et à renvoyer, en ce cas, l'affaire devant le tribunal correctionnel, renfermait une mesure peu favorable au prévenu ; mais on' perd de vue que celui-ci, en ce cas, jouit d'un double degré de juridiction. Traduit devant la cour d'assises et condamné, il ne lui resterait que le pourvoi en cassation,, tandis que d'après le nouvel ordre des choses, il pourra appeler du jugement du tribunal correctionnel; par conséquent un double débat s'engage sur la question de fait soumise en degré d'appel à cinq juges.

On prétend que l'autorité du président de la cour d'assises doit être contrôlée par quatre juges. Mais, messieurs, veuillez remarquer que le pouvoir discrétionnaire, conféré au président par les articles 269 et 270 du Code d'instruction criminelle, n'est pas soumis au contrôle de la cour d'assises, qui n'a pas à s'immiscer dans les attributions du président; par conséquent, sous ce rapport, la réduction du personnel ne saurait avoir l'inconvénient signalé.

Messieurs, ne perdons pas de vue ce à quoi se bornent aujourd'hui les fonctions des assesseurs qui assistent le président. Ordinairement ils sont réduits à un rôle tout à fait inactif et passif, et à l'avenir il en sera nécessairement ainsi. En effet, la plupart des faits que la loi punit de la peine de la réclusion ou de celle des travaux forcés à temps, seront déférés aux tribunaux correctionnels; il ne restera donc plus, en général, à statuer que sur de grands crimes, ceux contre lesquels la loi commine la peine de mort et celle des travaux forcés à perpétuité. Or, à cet égard, la loi ne laisse aucune latitude à la cour d'assises, qui doit se borner à appliquer la peine écrite dans le code, sans pouvoir la modifier.

D'ailleurs tous les arrêts que prononce la cour sur des questions de droit peuvent être déférés à la cour de cassation en même temps que l'arrêt définitif de condamnation; l'action de la cour régulatrice s'étend ainsi à toutes les décisions importantes qui peuvent émaner de la cour d'assises, et ce recours garantit suffisamment les intérêts de l'accusé.

(page 1011) On fait une dernière objection en disant qu'il est dangereux de laisser à trois juges le pouvoir d'adjuger des réparations civiles qui peuvent être considérables; mais d'abord il est très rare qu'une partie civile obtienne en cour d'assises des dommages-intérêts excédant deux mille francs ; taux jusqu'à concurrence duquel les tribunaux de première instance eux-mêmes peuvent statuer sans appel.

En second lieu qu'on n'oublie pas que la cour qui statue est présidée par un magistrat appartenant à une juridiction supérieure, et que, du reste, le pourvoi en cassation reste toujours ouvert contre la décision qui intervient.

D'un autre côté, la demande de dommages-intérêts ne donne lieu qui des questions d'une facile appréciation, qui me semblent pouvoir sans inconvénient être attribuées à la cour d'assises.

En résumé, le projet n'enlève aucune garantie à l'accusé; il me paraît au contraire sauvegarder convenablement ses intérêts et ceux de la société, c'est ce qui me détermine à lui donner mon assentiment.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Lelièvre a annoncé des amendements, j'en demanderai l'impression.

M. Destriveaux. - Je demanderai la parole pour répondre à quelques observations qui ont été présentées.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. le président. - Voici les amendements déposés : (M. le président donne lecture de ces amendements.)

Ils seront imprimés et distribués.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.