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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 24 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1087) M. T’Kint de Naeyer procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. T'Kint de Naeyer présente l'analyse des pièces adressées à la chambre:

« Le sieur Bonhomme présente des observations concernant le droit sur les successions en ligne directe. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les successions.


« Les sieurs Piéton, Nerinckx et autres délégués de la commission des maîtres de poste, demandent la suppression de l'article du projet de loi sur la contribution personnelle qui frappe les chevaux de poste tenus en vertu des règlements. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner ce projet de loi.

Projet de loi sur les droits de succession

Discussion générale

M. Mercier. - Messieurs, dans le discours qu'il a prononcé au début de cette discussion, l'honorable ministre des finances a présenté la situation financière sous un aspect qui ne serait guère de nature à inspirer une grande confiance dans notre crédit, à ceux qui n'auraient pas une connaissance exacte du véritable état des choses.

L'honorable ministre a de nouveau rappelé le découvert du trésor qu'il a trouvé à son entrée aux affaires, mais il n'a été ni assez équitable ni assez politique pour reconnaître que ce découvert résulte des dépenses extraordinaires faites pour les travaux publics, dépenses auxquelles le cabinet actuel semble vouloir donner une extension démesurée, et qui serait véritablement effrayante pour l'avenir de nos finances.

L'honorable ministre a parlé aussi des prévisions du budget des voies et moyens pour l'exercice de 1850. Il a dit que ces prévisions étaient établies avec la plus grande exactitude possible, et ensuite, il a ajouté qu'elles étaient évaluées au maximum de ce que les recettes pourraient atteindre.

Mais, messieurs, en fait de prévisions, il n'y a ni maximum ni minimum; elles doivent être établies d'après les plus grandes probabilités ; c'est alors seulement qu'elles peuvent être considérées comme bonnes, et je pense aussi que c'est de cette manière que M. le ministre les a réglées.

Ce que M. le ministre des finances omet de dire à la chambre, c'est le résultat exact de la balance entre les budgets des voies et moyens et des dépenses présentés pour 1850, il y a une quinzaine de jours, mais dont nous n'avons pas encore connaissance, parce qu'ils ne sont pas distribués. C'est là assurément le point de départ de toute discussion en matière d'impôts, et c'est un point qui est resté obscur dans le discours de l'honorable ministre; toutefois j'ai reçu de lui l'information personnelle que l'excédant des recettes sur les dépenses serait de 3,400,000 fr. dans ces budgets. Mais il est vrai que dans ces 3,400,000 fr. les produits que le gouvernement attend de la loi que nous discutons en ce moment figurent pour 3 millions.

Ainsi l'excédant ne resterait plus que de 400,000 fr. Quels sont, messieurs, les nouveaux faits survenus depuis la présentation des budgets, il y a environ 15 jours? Je n'en connais véritablement qu'un seul, c'est le vote de la chambre relatif à la réforme postale. Le gouvernement, dans le projet qu'il avait présenté, évaluait le déficit qui devait résulter de l'adoption de ce projet, pour la première année, à 250,000 fr. M. le ministre des travaux publics, après le vote de la taxe uniforme à 10 centimes, portait la perte qui devait en résulter à 700,000 ou 800,000 fr., soit 750,000 fr. Il y aurait donc entre le déficit prévu par le gouvernement et le déficit qui, d'après lui, résultera de l'adoption de la taxe à 10 centimes, une différence de 500,000 fr., et, comme nous avons fixé tout à l'heure l'excédant à 400,000 fr., nous aurions ainsi un découvert de 100,000 fr. Il est vrai qu'un projet de loi a été présenté pour la réduction des péages sur le canal de Charleroy, et que cette réduction devrait, aussi d'après les prévisions du gouvernement, occasionner un nouveau déficit de 500,000 fr. Cette appréciation, pour le dire en passant, n'est guère en harmonie avec l'opinion toujours manifestée par les membres du gouvernement, qu'une réduction de péages donne en général une augmentation de produits.

D'ailleurs, je ne puis pas croire que M. le ministre des finances, ayant présenté les budgets peu de jours avant le dépôt de la loi relative au péage du canal de Charleroy, n'ait pas eu égard à un projet déjà arrêté par le gouvernement, lorsqu'il a établi ses prévisions des voies et moyens.

Du reste, j'en ai déjà fait la remarque dans notre dernière séance, je ne comprends pas encore comment la réduction du péage sur le canal de Charleroy donnerait lieu à une diminution de produits, alors que le tarif du 1er septembre devait avoir pour conséquence de détruire peu à peu toute la navigation sur le canal de Charleroy, et par conséquent d'en annihiler les produits. Si ce fait ne s'est pas accompli immédiatement, c'est que les bateaux qui servent au transport des marchandises existent actuellement; ils ont été construits dans d'autres conditions, mais assurément ils ne seraient pas renouvelés. Le seul motif sur lequel le gouvernement puisse fonder sa proposition de réduction, c'est que la navigation n'était plus possible aux conditions du tarif en vigueur.

Quoi qu'il en soit, admettons, sauf plus ample examen, l'insuffisance de 500.000 fr., laquelle, réunie à celle de 100,000 fr., ferait un total de 600,000 fr. Mais pour cela il faut que ceux qui prétendent que la réforme postale n'amènera pas de réduction dans le produit, soient dans l'erreur ; que l'opinion du gouvernement lui-même relativement aux effets de la réduction des péages soit également erronée ; il faut, en outre, ne pas tenir compte de la progression constante du produit des péages tant sur le chemin de fer que sur les canaux, indépendamment de toute modification au tarif.

Quant aux dépenses extraordinaires qui ont été énumérées par M. le ministre des finances, avant de voter les ressources destinées à y faire face, il doit être permis à la chambre d'apprécier leur nécessité, leur degré d'urgence, et la mesure dans laquelle il est convenable de les faire.

Si un déficit de 600,000 fr. existe réellement, suffit-il de créer des voies et moyens jusqu'à concurrence de ce déficit? Non assurément; il faut davantage ; j'en conviens avec M. le ministre des finances. Comme il l'a fort bien dit, en fait de budget, rien n'est plus certain que l'imprévu.

Mais il y a des circonstances auxquelles il faut avoir égard pour établir la quotité de l'excédant de voies et moyens qu'il convient d'établir. Il est d'abord à remarquer que tous les crédits ouverts ne sont pas dépensés intégralement. L'expérience a prouvé que chaque année il reste un million et demi à deux millions de dépenses portées au budget et qui ne se font pas.

En 1844, par exemple, dont le compte vient de nous être distribué, les divers crédits ouverts au budget de la guerre s'élevaient à plus de 28 millions. Eh bien, par suite de l'économie qui a été mise dans son administration par mon honorable collègue de cette époque, M. le général Dupont, les dépenses n'ont été faites que jusqu'à concurrence de 27 millions ; c'est précisément le chiffre qu'après de longs débats la chambre a adopté pour l'année 1849.

J'admets cependant qu'à l'avenir une économie d'un million et demi à deux millions ne sera pas atteinte chaque année ; supposons même que cette économie se réduira désormais à un million. Il est une autre circonstance plus importante encore qu'il faut prendre en considération, lorsqu'il s'agit d'établir l'excédant des voies et moyens sur les dépenses. C'est l'amortissement de notre dette publique ; cet amortissement figure actuellement au budget des dépenses pour 4 millions, et s'accroît d'année en année. C'est là une véritable économie; car notre dette publique est représentée en grande partie par un accroissement du domaine de l'Etat, consistant en canaux, chemins de fer, bâtiments et matériel d'exploitation.

Quoi qu'il en soit, il faut un excédant convenable, et je pense que dans une bonne situation normale, toutes choses, recettes et dépenses, étant fondées sur des prévisions sagement établies, cet excédant pourrait être raisonnablement fixé à 2 millions. Avec l'économie d'un million au moins qu'on obtient, chaque année, sur les crédits ouverts, ce serait 3 millions pour parer aux diverses éventualités.

Je pense qu'aller au-delà serait dépasser la mesure qu'exigent une sage prévoyance et une saine appréciation de tous les intérêts qui sont en cause.

Un tel excédant n'existait pas, lors de la formation des budgets de 1844 et 1845; et cependant ces deux exercices réunis ont laissé un boni de 14 millions.

Il est bien entendu que j'écarte les dépenses extraordinaires pour travaux publics et quelques crédits assez peu importants qui concernent des exercices antérieurs. Assurément, il n'est jamais entré dans la pensée de personne de ranger dans les dépenses ordinaires les dépenses de travaux publics, et de les couvrir par les voies et moyens ordinaires ; il eût été souverainement absurde, par exemple, de vouloir payer les frais de construction et de matériel du chemin de fer par le produit des impôts.

En outre, je comprends dans ces 14 millions l'amortissement pour 7 millions.

Cet excédant s'élèverait encore à 12 millions, si l'on considérait comme dépenses ordinaires celles de 2 millions que les circonstances ont exigées (page 1088) à la fin de l'exercice 1845, par suite de la cherté des subsistances pour venir au secours des populations souffrantes,

Le boni n'en resterait pas moins très considérable sur ces deux exercices.

Différents membres du cabinet ont déjà fait pressentir que le budget de la guerre, dans l'état normal, serait susceptible de quelques réductions encore. Dans la séance d'avant-hier, l'honorable ministre des finances ne repoussait pas l'idée que la réduction pourrait être de 2 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'était une concession que je faisais.

M. Mercier. - Soit! Je fais même abstraction de cette éventualité qui peut être fort éloignée encore.

Pour trouver des ressources s'élevant à 2 ou 3 millions, faut-il avoir recours à l'impôt de succession en ligne directe qui nous est proposé? 'S'il m'était démontré qu'un droit modéré sur les successions en ligne directe fût indispensable pour prévenir un déficit qui est un si grand danger pour le pays, je conseillerais à la chambre de l'adopter.

Mais loin de considérer cette ressource comme la première à laquelle nous devions nous arrêter, je crois que nous ne devons y recourir qu'auprès avoir épuisé tous les autres moyens de parvenir au but que nous nous proposons, celui du parfait équilibre dans nos finances.

Messieurs, toutes les sections ont repoussé le projet de loi ; la section centrale, à l'unanimité des voix moins une, a pris la même décision.

Ce n'est pas dans notre pays seulement qu'il y a une vive réprobation contre l'impôt sur les successions en ligne directe. Il y a peu d'années, le gouvernement des Pays-Bas, obéissant à une nécessité impérieuse, avait présenté un projet de loi de succession qui n'est pas arrivé à la discussion tant avait été défavorable l'accueil qui y avait été fait.

Quant au serment, je dois convenir qu'il est malheureusement vrai que le trésor est lésé par les nombreuses fraudes qui se commettent. Mais si le serment est admis, je voudrais que ce fût dans des circonstances rares et dans le cas de suspicion légitime de fraude. En un mot, je voudrais que le serment fût exception et non la règle. Cette mesure suffirait pour inspirer une crainte salutaire à ceux qui auraient envie de faire de fausses déclarations et pour empêcher une lésion considérable au trésor.

Revenant au droit de succession en ligne directe, ce serait à tort, selon moi, qu'on le considérerait comme devant être supporté exclusivement par les personnes riches ; puisque toute succession de mille francs et au-dessus sera soumise au droit, on doit tenir pour certain que les trois quarts des personnes qui devront l'acquitter seront bien loin d'être dans l'avance.

Du reste, à moins de nier le principe que tout citoyen doit contribuer aux charges publiques dans la proportion de ses facultés, et de vouloir que les impôts soient supportés par un petit nombre de contribuables, qui en seraient écrasés, on ne peut reprocher à notre législation fiscale de ne pas ménager les classes peu aisées et surtout les classes ouvrières ; elles sont épargnées par les contributions directes et indirectes, dans notre pays.

Les droits de consommation, qui pèsent sur la généralité et par conséquent sur les classes pauvres, sont bien moins considérables chez nous que chez nos voisins.

Ainsi chacun sait que les droits sur les boissons sont beaucoup plus élevés en Angleterre, en France et dans les Pays-Bas qu'en Belgique.

Le droit sur le café est dans les Etats du Zollverein de fr. 48-75 les 100 kilog.; c'est-à-dire quatre fois plus élevé qu'en Belgique; en France il est de 95 fr. selon la moyenne des droits perçus; c'est-à-dire neuf fois plus élevé que chez nous ; en Angleterre, il est de 92 fr. ou de 158 selon les provenances ; en Belgique, je n'ai pas besoin de le rappeler, le droit est en moyenne de 10 à 11 francs, et il varie selon la provenance et le papillon.

On peut évaluer le droit sur le tabac à 3 ou 400 fr. en France, à 817 fr. en Angleterre. En Belgique il est de 12 fr. 50 c. ou de 10 fr. suivant les espèces.

Vous n'ignorez pas que, dans les Pays-Bas, il y a un droit sur la mouture et l'abattage, rapportant environ 10 millions de fr. Rien de semblable n'existe en Belgique.

Dans la séance d'avant-hier, M. le ministre des finances nous a rappelé quelle était la quotité que paye chaque individu, en France et dans les Pays-Bas, en contributions directes et en droits d'enregistrement.

Mais l'honorable ministre s'est abstenu de faire le même parallèle pour les droits de douane et de consommation. Je crois devoir suppléer à cette lacune'. On verra qu'il y a des différences bien plus fortes pour les droits de consommation (toujours en faveur de la Belgique) que sur les contributions directes et l'enregistrement.

Pour la Grande-Bretagne les droits de douane et d'accise s'élèvent à 803,550,000 soit 29 fr. 78 c. par individu sur une population de 27,000 d'habitants. Dans les Pays-Bas les droits de douane et d'accise, d'après un relevé que j'ai eu sous les yeux, s'élèvent à 49,000.000, ce qui sur une population de 3 millions d'habitants donne une moyenne de 16 fr. 60 c. par individu.

En Belgique, en 1849, d'après les prévisions, les droits de consommation et de douane s'élèvent à 32,550,000 fr., faisant une moyenne de 1 fr. 42 c par habitant.

Ainsi, c'est le quart au plus de ce qui se paye eu Angleterre et moins de la moitié de ce qui est paye en droits de douanes et accises dans le royaume des Pays-Bas. Et encore dans mon appréciation j'ai compris le droit sur les débitants de boissons distillées, que le gouvernement considère comme contribution directe, parmi les impôts de consommation.

Les classes peu aisées, ménagées par les droits de consommation relativement à ce qui existe dans d'autres pays, sont-elles frappées en Belgique par les contributions directes ? Avant 1823, il existait une contribution personnelle et mobilière. La contribution mobilière s'établissait sur le loyer d'habitation ; la contribution personnelle était égale au prix de trois journées de travail. Ces deux contributions étaient payées indistinctement par tous les habitants. Il en était de même de la contribution des portes et fenêtres; il n'y avait d'exception que pour les indigents qu'on portait en carence; même les personnes qui n'avaient pas d'habitation distincte, qui demeuraient chez leurs parents, mais qui avaient des moyens d'existence propre, acquittaient la taxe personnelle.

Quand le gouvernement des Pays-Bas établit les impôts moulure et d'abatage, il voulut accorder aux classes peu aisées, pour lesquelles cet impôt devait être très lourd, une sorte de dédommagement, mais un dédommagement insuffisant; il exempta une foule d'anciens contribuables de la contribution personnelle ; tous les loyers au-dessous de 20 florins furent exemptés de la contribution mobilière ; d'autre plus élevés le furent partiellement; on supprima l'impôt personnel égal au prix de trois journées de travail. L'impôt des portes et fenêtres ne fut plus perçu sur un grand nombre d’habitations. La moitié des contribuables du pays furent exemptés de la contribution mobilière. Le nombre des habitations était de 732,000, les exemptions furent de 340,000; il a aussi été établi des exemptions très nombreuses au droit de patente; nous venons de voter une loi qui ajoute 60,000 exemptions nouvelles à celles qui existaient déjà.

En 1830 nous avons supprimé définitivement les impôts mouture et d'abatage qui avaient eu pour dédommagement l'établissement de nombreuses exceptions et exemptions. On ne rétablit à cette époque ni la contribution personnelle ni la contribution mobilière pour les personnes qui en étaient exemptées, non plus que l'impôt des portes et fenêtres pour les mêmes personnes.

Ainsi, une foule de personnes, si la loi d'impôt mouture et d'abattage n'avait pas été temporairement appliquée en Belgique, qui auraient continué à payer ces différentes taxes, en sont restées exemptées.

On voit donc que les classes dont on a parlé, et qui méritent le plus vif intérêt, sont ou exemptées complètement ou fortement ménagées par notre système de finances. Dans un tel état de choses, au lieu d'établir un nouvel impôt qui rencontre tant de répulsion, ne serait-il pas préférable de demander aux impôts existants un accroissement de ressources?

Ne serait-il pas facile d'obtenir sur la contribution personnelle elle-même, sur la première base, en rétablissant l'égalité proportionnelle, un accroissement de 500,000 fr. ?C'est ce que pensait l'honorable prédécesseur du ministre actuel, qui inclinait fortement à rétablir cette égalité proportionnelle qui n'existe plus depuis longtemps.

Le projet présenté par M. le ministre dos finances et qui a d'autres bases que la loi actuelle, ne nous promet qu'une augmentation de 100,000 francs. Je crois cependant qu'en portant Les valeurs locatives. à leur taux actuel, il serait facile d'obtenir, au lieu d’une augmentation de 100,000 fr., une nouvelle ressource de 500,000 à 600,000 fr.

Certains droits de consommation pourraient aussi fournir au trésor un produit plus élevé, sans perdre le caractère de modération nécessaire pour conserver la triple condition, d'abord de peser très légèrement sur les consommateurs, en second lieu, de ne pas réduire la consommation, et en troisième lieu, de ne pas fournir un aliment suffisant à la fraude.

La consommation du café, pendant les sept dernières années, a été, en moyenne, de 18,000,000 de kilog. Le droit est maintenant, en moyenne, comme je l'ai dit, de 10 à 11 francs les 100 kilog. et varie selon les provenances et les pavillons. Depuis l'établissement de ce droit, la consommation dans le pays, bien loin de diminuer, comme l'avaient fait craindre ceux qui s'y sont opposés, n'a fait qu'accroître successivement ; la consommation qui n'avait été que de 16 millions, il y a un certain nombre d'années, est aujourd'hui de 18 millions; de sorte que l'augmentation de droit n'a nui en aucune manière à la progression de la consommation.

En 1840, le cabinet avait proposé un droit de 20 fr. sur le café, et je suis heureux de pouvoir citer un membre du cabinet actuel, l'honorable M. de Haussy, qui, il n'y a pas bien longtemps, déclarait dans une discussion au sénat que, dans son opinion, le café pouvait très bien supporter une augmentation de droit ; en l'élevant de 6 fr. seulement au principal, on obtiendrait un accroissement de produit de 1,252,000 fr.

Il va sans dire que, dans l'hypothèse de cette augmentation, on maintiendrait les droits différentiels qui sont consacrés, soit par la loi, soit par des traités de commerce.

Venant à l'accise sur le sucre, j'ai considéré la suppression des primes d'exportation comme pouvant fournir 2 millions de ressources de plus au trésor. M. le ministre des finances, dans une discussion incidente, a pensé que cette suppression ne fournirait qu'une nouvelle ressource de 1,500,000 fr.; supposons qu'il en soit ainsi; un produit plus élevé n'est pas nécessaire à ma démonstration.

Le droit sur le tabac pourrait, au besoin, concourir à augmenter nos ressources d'une manière assez notable.

Toutefois, je ne pense pas que, dans l'état actuel des choses, il soit indispensable d'augmenter les droits sur cette denrée. Réduisant à 1,500,000 fr. la ressource que donnera la seule suppression des primes d'exportation sans exercer une influence sensible sur le prix de (page 1089) consommation du sucre; tenant compte d'une, amélioration qui serait apportée à la première base de la contribution personnelle et d’un supplément de 6 fr., au principal du droit sur le café, nous obtenons un surcroît de produit de 3,250,000 fr.

Il y a, au surplus, dans le projet de loi sur les successions, certaines dispositions qui pourraient être adoptées, et qui contribueraient à augmenter encore les revenus de l'Etat. Ce ne sont pas les principales, il est vrai mais il est des accessoires qui ne sont pas sans importance du reste. Je ne tiens pas comme de ce chiffre, pas plus que des produits que l’on aurait d'une augmentation de droits sur le tabac. Ce sont des ressources que l'on peut tenir en réserve pour les besoins de l'avenir, s'ils viennent à surgir.

Si l'on déduit de ces 3,250,000 fr. que j'ai indiqués les 600,000 fr. dont j'ai parlé tout à l'heure et qui formeraient l'insuffisance actuelle, il résulterait encore un excédant disponible de 2.650,000 fr. pour faire face aux éventualités de l'avenir. Cet excédant joint à un million au minimum d'économies que l'on ferait annuellement sur les crédits ouverts aux différents budgets, laisserait une marge de 3,650,000 fr. pour les besoins qui n'auraient pas été prévus lors de la présentation du budget. Je ne crains pas de le dire, c'est plus qu'il n'en faut pour établir une bonne situation normale, lorsque les prévisions des recettes et des dépenses sont bien et sincèrement établies.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je crois devoir répondre sur-le-champ aux explications qui viennent d’être données par l'honorable M. Mercier. Selon lui, la situation que j'ai présentée ne serait point de nature à inspirer confiance aux capitalistes sur la solvabilité de la Belgique. (Interruption.) J'ai tenu compte des expressions de l'honorable membre et j'ai cru comprendre qu'il me reprochait d'avoir soumis une situation qui pouvait faire naître la défiance. Elle ne pouvait être inspirée, ce me semble, qu'a ceux qui ont traite avec la Belgique, à ceux à qui la Belgique doit, à ceux à qui elle pourrait devoir encore. Il est évident, messieurs, que personne ne peut se méprendre à ce point sur les conséquences de l’état de choses que j'ai signalé; il ne viendra à l'idée de personne de penser que la Belgique serait insolvable parce que, au moment où nous parlons, elle se trouverait dans la nécessite d'accroître ses ressources. L'on sait parfaitement que la Belgique peut, sans peine, accroître notablement ses ressources, dans une proportion telle qu'elle ait une situation financière de nature à défier, pour ainsi dire, les événements.

Signaler la situation, est-ce donc, messieurs, un acte d’imprudence de la part d'un ministre des finances? Mais qui ne la connaît pas? (Interruption.) J'y viendrai tout à l'heure, je répondrai à chacun de ces reproches. La rectification que fait l'honorable membre ne peut servir à expliquer sa première pensée, il affirmait que la situation présentée peut inspirer de la défiance ; s'il ajoutait ensuite que les craintes doivent résulter de ce que j'ai omis de signaler les causes du déficit, c'est, je pense, ne rien prouver du tout. Qu'importent les causes du déficit, puisque le déficit seul est un motif de défiance? Mais je nie l'inquiétude dont vous parlez; elle ne peut exister dans l'esprit de personne, parce que la situation financière est parfaitement connue. Elle est connue non pas d'aujourd’hui, mais depuis très longtemps, car elle a été exposée par le gouvernement à l'ouverture de chaque session, et je l'ai exposée moi-même dans les termes les plus positifs et les plus clairs, à l'ouverture de la session actuelle.

L’honorable, membre nous dit : Vous auriez dû être juste, équitable; tous auriez dû reconnaître que le déficit provenait notamment des grands travaux publics qui ont été entrepris. Mais encore une fois, messieurs, qu'importe? Je ne recherche point les causes, je n'accuse pas; je ne prétends pas que l'on a eu tort d'exécuter tels ou tels travaux publics: je constate seulement, sans examiner si l’on a bien ou mal agi, si l'on a posé à diverses époques, de bons ou de mauvais actes d'administration , je constate les faits, je dis : Voilà l’état de nos finances.

C'est la seule chose que je signale, c'est la seule chose qu'il soit intéressant de connaître. Et toutefois, si j'avais à m'expliquer sur le point de savoir d’où proviennent les causes du déficit, je ne ferais pas à l’honorable préopinant la concession qu'il sollicite; je ne reconnaîtrais pas que le déficit provient intégralement des travaux publics qui ont été exécutés ; que la dette publique successivement accumulée, que la dette flottante aient pour cause unique les travaux qui ont été entrepris. Je dirais au contraire, avec toute vente, que le déficit provient en partie de ce que vos budgets ont été équilibres à aucune époque, et j'en ai pour preuve le témoignage non suspect de l'honorable M. Malou lui-même ; il en a fait l'aveu. Le déficit, sur des dépensas normales a été constant. Je n’ai pas sous la main des documents propres à la déterminer; mais je crois pouvoir affirmer que ce déficit a été annuellement depuis 1830 de deux millions, année moyenne.

Et ce fait, messieurs, provoqua de sérieuses réflexions. Songez-y ! pendant ces dix-huit années, lors de la présentation des budgets, à en croire les exposés de motifs, les discours de bien des orateurs, la situation était satisfaisante; on qualifiait ces sortes de budgets de budgets présentant un équilibre rigoureux, on avait un excédant, non pas réel, mais apparent. ; parce que pour avoir un excédant sur lequel on puisse compter, il faut un excédant de plusieurs millions; et c'est ainsi que l'on se trompait volontairement.

L'honorable membre a regretté que les budgets de 1850 n'aient pas été distribués plus toi, peut-être même examinés, pour qu'on pût bien connaître quelle sera véritablement la balance de ces budgets ? Il a su toutefois, par suite d'un renseignement que j'ai fourni, que la balance des budgets de 1850 serait de 3,400,000 fr., en y comprenant le produit du droit de succession estimé à 3 millions.

A cette occasion l'honorable membre a témoigné sa surprise de ce que, dans mon premier discours, j'avais énoncé que les recettes, dans le budget des voies et moyens, étaient portées à leur maximum. « En fait de prévisions, dit l’honorable membre ; il n’y a ni maximum, ni minimum ; ces prévisions sont la probabilité la plus grande. » Eh bien, la probabilité la plus grande poussée à l’extrême, c’est le maximum de la prévision ; c’est ce que j’ai exprimé.

En d'autres termes, les recettes telles qu'elles figurent au budget des voies et moyens, c'est tout ce qu'on peut espérer; l'année 1850 étant favorable, toutes les prévisions venant à se réaliser, on n'obtiendra pas plus en recettes que ce qui figure au budget des voies et moyens. Voilà mon espérance.

Mais de cette balance de 3,400,000 francs, il faut déduire la perte éventuelle à résulter de la réforme postale, il faut déduire la recette en moins à opérer sur le canal de Charleroy?.

Ici, l'honorable préopinant nous dit : « Mais le gouvernement a dû déjà faire état de cette déduction du chef du canal de Charleroy, car les budgets ont été déposés quelques jours avant la présentation du projet de loi portant réduction du péage. » C'est une erreur; on n'en a pas tenu compte, par la 'raison bien simple que les budgets étaient déjà préparés depuis longtemps et qu'on ne les a pas modifiés de ce chef. Il faut donc déduire une somme de 300,000 fr.

L'honorable membre a ajouté : « Le gouvernement me paraît en contradiction avec les assertions qu'il a produites devant la chambre ; le gouvernement soutient qu'il faut opérer ces déductions, et pourtant, lorsqu'il propose des réductions, il annonce qu'elles donneront lieu à une augmentation de recettes. »

Elles donneront lieu à une augmentation de recettes; oui, mais tôt ou tard, et non pas immédiatement. Personne n’a prétendu que l’augmentation qui doit suivre la réduction se produirait en 1850; elle ne peut pas même se produire à cette époque. C'est à une époque plus éloignée que l'augmentation aura lieu ; je compte sur elle. Je dois dire toute ma pensée ; dans mes prévisions, certaines recettes qui doivent s'accroître, permettraient de ne pas créer de nouveaux impôts pour la totalité de la somme que j'ai signalée comme nécessaire pour faire face à la situation.

Quoiqu'il en soit, l'honorable membre admet une insuffisance pour le règlement du budget de 1850 ; mais, à ses yeux, elle ne doit être que de 600,000 fr. Il a oublié un point fort important. Est-il d'accord avec moi qu'il faut aviser à faire cesser la situation fâcheuse dans laquelle nous nous trouvons à raison du cours forcé des billets de banque? Je ne pense pas qu’il puisse la méconnaître. Cela est nécessaire, il faut s'en préoccuper. Je ne parle pas de l'heure à laquelle il sera possible de l'opérer, mais il faut y penser. (Interruption.)

Evidemment j'y ai pensé. Du moment que je parlais de la supposition, qu'en 1850, il serait possible de faire cesser le cours forcé des billets de banque, j'ai dû renoncer à faire état de la recette sur les billets de banque de la Société Générale ; il ne figure rien de ce chef au budget de 1850.

Messieurs, si le cours forcé des billets de banque vient à cesser, il faut que vous soyez en mesure de faire face au payement des 12 millions couvert actuellement par les billets de banque à cours forcé.

Si vous n'avez pas les 12 millions, si vous ne pouvez pas les tirer de vos caisses, il faut bien que vous cherchiez à vous les procurer par l'emprunt Si vous faites un emprunt, vous devez en payer l'intérêt et l'amortissement; si vous étendez cette opération à toute la dette flottante, aux 30 millions que nous avons derrière nous c'est pour l'intérêt et l'amortissement, déduction faite des intérêts qui figurent déjà au budget, une dépense d'un million au moins à porter à la dette publique. Vous aurez donc un accroissement du budget de la dette publique inévitable dont l'honorable membre ne fait aucunement état dans ses calculs.

Il a ajouté que chaque année les crédits ouverts ne sont pas épuisés ; il a évalué les excédants à 1.500 mille francs. C'est à cette somme que je les ai réduits dans les indications fourmes à la suite de l'exposé de la situation du trésor. Mais chaque année on comptait aussi avant nous sur un excédant de ce chef beaucoup plus considérable. C’était environ 3 millions, si je ne me trompe, sur lesquels on comptait comme devant compenser les dépenses extraordinaires qui pouvaient se présenter dans le cours de l'année. Ici encore on a été trompé, les excédants ont toujours été moindres qu'on ne le croyait! et ils vont toujours en diminuant. Je ne puis admettre que dans une mesure extrêmement restreinte des excédants de crédit provenant des dépenses non exécutées dans le cours de l'année.

L'honorable membre reconnaît, toutefois, qu'il faut un excédent convenable pour établir l'équilibre entre les recettes et les dépenses; mais cet excédant convenable, il le fixe à deux millions de francs au moins. Ce serait vous induire en erreur que d'acquiescer à la proposition de l'honorable membre, de fixer cet excédant à 2 millions.

Cet excédant se résoudrait en un déficit certain, inévitable. Vous avez- un excédant supérieur à 4 millions en 1849. Je puis en faire le compte sur-le-champ et vous démontrer qu'il sera bientôt absorbé. Il est vrai que vous aurez cette année un crédit extraordinaire applicable à la dette publique à raison des emprunts qui absorbent une somme de 1,200 mille francs. Mais environ trois millions de cet excédant seront immédiatement employés, et un crédit extraordinaire, qu'on a dû vous soumettre hier, ne peut déjà s'imputer sur le fonds disponible que pour une partie seulement.

On ne peut pas l'imputer entièrement sur l'excédant de 1849; on est obligé de vous demander l'autorisation pour le gouvernement de s'engager (page 1090) pour 1850 sauf à payer une partie de la dépense sur le budget de cette année. Ce n'est pas irrégulier, comme l'a supposé l'honorable membre; 500,000 fr. sont imputés sur 1849 et autant sur 1850. Mais il est nécessaire d'ouvrir un crédit d'un million pour que le gouvernement puisse prendre des engagements pour la totalité de la somme, et il est parfaitement régulier d'imputer une partie de la somme sur un exercice, une partie sur un autre.

Je convie la chambre à bien réfléchir à l'objet qui nous occupe en ce moment. Si l'on ne partage pas la conviction du gouvernement qu'il faut un excédant notable pour faire une bonne situation financière, je comprends qu'on se contente de demi-mesures, qu'on écarte le projet soumis à vos délibérations, qu'on se borne à prendre quelques centaines de mille francs sur quelques impôts existants pour se bercer ensuite de l'illusion que l'équilibre est assuré.. Mais pour tous les hommes qui s'occupent sérieusement de l'état des finances de la Belgique il faut plus, il faut beaucoup mieux.

D’ailleurs, où s'arrêtent les honorables membres qui, avec l’honorable M. Mercier, ne veulent que cette situation présentant 2 millions d'excédant, c'est-à-dire le déficit certain? Ils espèrent payer ainsi vos services publics, acquitter rigoureusement les dépenses telles qu'elles ont été fixées au budget de 1849; mais ils ne veulent rien faire, rien prévoir, ils ne comptent sur aucune dépense ; ils ne veulent s'occuper ni de l'instruction au premier degré, ni de l'instruction moyenne, ni de l'instruction professionnelle, rien ! Ils estiment qu'il n'y aura pas de dépense de ce chef ni même d'aucun autre !

Est-ce raisonnable, est-ce là ce que vous devez vouloir! S'il vous convient de ne satisfaire à aucun de ces besoins, pourquoi la chambre nous presse-t-elle de présenter un projet de loi sur l'instruction publique? Pourquoi nous fait-on un grief de ne l'avoir pas encore présenté, si d'autre part on refuse les moyens de faire face aux dépenses que l'on veut créer ?

L'honorable membre n'écarte pas toutefois d'une manière absolue, l'idée d'un impôt sur les successions. Je le comprends, car il a fait lui-même préparer les études du projet de loi qui est soumis à vos délibérations. Il avait pris à une autre époque l’engagement de le présenter.

M. Mercier. - Je ne dis pas qu’on n’a pas fait des études, mais jamais je n'ai pris l'engagement de présenter un projet de loi sur le droit de succession en ligne directe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dois rectifier vos souvenirs à cet égard; le projet de loi préparé portait sur deux points : l'impôt en ligne directe et le serment. Le produit du droit était estimé à 1,400 mille francs; le rétablissement du serment était formulé dans ce projet de loi ; l'évaluation de 1,400 mille francs était indiquée lors des discussions qui ont eu lieu dans la chambre et le sénat. Il reconnaît donc que si, à toute rigueur, il fallait, pour rétablir la situation financière, voter l'impôt de succession, il le voterait.

Mais il l'écarté provisoirement parce que le projet semble soulever quelque répulsion dans certaines classes de la société, parce que ce projet a été repoussé par la section centrale. Peu de membres ont pris part aux travaux des sections. D'un autre côté, chacun comprend, je dirai chacun sent le pays à sa manière. Je ne crois pas que le pays éprouve la moindre répugnance contre le projet de loi. Quant à moi, je ne le crois pas. Pourquoi s'élèverait-il des répugnances dignes d'être prises en considération contre l'impôt sur les successions en ligne directe? Est-ce que l'on montre une préférence particulière pour un autre impôt ?

Qu'importe pour les contribuables qu'ils acquittent cet impôt ou qu'ils acquittent l'impôt foncier? C’est tout un. Il n'y a pas de différence; s'il y en a, elles sont toutes à l'avantage de l'impôt sur les successions.

Je ne reviens pas, au surplus, sur les caractères favorables de cet impôt. L'honorable membre ne s'en est pas occupé, et je ne veux que le suivre dans son discours.

Selon l'honorable M. Mercier, il faut donc un autre impôt que celui-là. J'ai fourni, vous a-t-il dit, l'indication des impôts directs qu'on paye en France, dans les Pays-Bas et en Belgique, et j'ai omis de faire la même indication pour les impôts indirects.

Ce n'est pas, messieurs, de ma part une omission, mus je me bornais à répondre à une objection qui avait été présentée. On prétendait que les impôts directs chez nous étaient très lourds. J'ai fait remarquer qu'ils étaient bien moindres que dans d'autres pays qui ont une législation analogue à la nôtre. Mais je suis prêt à reconnaître que, même pour les impôts indirects, nous sommes encore dans une condition meilleure.

L'honorable membre a eu tort de supposer, comme on l'avait fait encore dans une séance précédente, que l'intention du gouvernement serait de reporter principalement les impôts sur les contributions directes pour opérer des dégrèvements sur les contributions indirectes. C'est là une grave erreur. Déjà j'ai eu occasion de m'expliquer à cet égard, et je l'ai fait très franchement. J'ai déclaré qu'après avoir scrupuleusement examiné notre système d'impôts, je le trouvais assez heureusement combiné, présentant d'une manière assez sage, plus sage que dans la plupart des autres pays la combinaison des impôts directs et des impôts indirects. J'ai ajouté à cette occasion, que les impôts directs devaient être remaniés bien moins pour leur faire donner un produit plus considérable que pour en assurer une meilleure répartition.

Je n'entends pas soutenir que certaines classes de la société ne doivent pas acquitter l'impôt. Je dis au contraire qu'elles le doivent et que ce serait une chimère que de vouloir les en affranchir entièrement. Tout consommateur paye une fraction de l'impôt ; mais il faut faire une grande différence entre les contribuables qui peuvent faire l'avance de l'impôt au trésor, ce qui est représenté par l'impôt direct, et ceux qui ne le peuvent pas.

J'ai dit aussi, qu’il ne faut pas surcharger les impôts de consommation. Quand ils sont excessifs, la valeur de l'impôt y est pour une somme trop considérable; la marchandise ne subit plus d'une manière satisfaisante les fluctuations résultant de la libre concurrence.

L'impôt est un élément trop fort dans le prix des choses, et alors les classes inférieures de la société acquittent une trop large part dans l'impôt.

L'honorable membre faisant la comparaison des droits dont sont grevés certains objets en Angleterre et dans les Pays-Bas, avec les droits dont ils sont grevés ici, et par exemple, le café et le tabac, en a tiré cette conséquence que ces objets pourraient aussi être plus imposés chez nous.

Messieurs, il y a en cette matière des différences dont il faut tenir compte. Par exemple, pour l'Angleterre, le café est bien plus un objet de luxe que pour la Belgique. Pour l'Angleterre. le thé est l'objet de consommation usuelle; c'est celui que consomment les classes ouvrières de la société. Chez nous, au contraire, c'est le café que consomment les classes ouvrières.

Ainsi, ce que l'on peut faire en Angleterre, il serait dangereux, il pourrait être impolitique de le faire chez nous. L'augmentation du droit aurait pour résultat l'accroissement du prix de la marchandise, et vous ne sauriez en accroître le prix sans nuire à la situation des classes malheureuses. Cela est de toute impossibilité. Vous n'empêcherez pas qu'en augmentant les droits sur le café, il n'y ait une augmentation dans les prix et que, par conséquent, immédiatement la population ouvrière ne soit avertie que vous l'avez grevée, que c'est elle que vous avez choisie pour lui faire acquitter l'impôt.

L'honorable membre a dit encore que l'on pourrait obtenir de la contribution personnelle une ressource plus considérable que celle qui a été indiquée par le gouvernement. Il a émis l'opinion que l'on pourrait retirer de la révision de cette loi une somme de 500,000 fr.

Messieurs, j'estime que la nouvelle loi sur la contribution personnelle donnera un produit plus élevé; je l'ai indiqué. Je tiens qu'il sera d'une centaine de mille francs. Mais je ne pourrais pas consentir à augmenter le taux à percevoir d'après les diverses bases de la loi, pour en obtenir immédiatement, sur-le-champ, un produit plus notable, celui de 4 ou 500,000 fr. par exemple, qui a été signalé par l'honorable M. Mercier. Et voici pourquoi.

C’est déjà beaucoup que de toucher à la loi de la contribution personnelle. Il ne faut pas se dissimuler que les mesures qui seront prises pour amener une meilleure répartition de l'impôt auront nécessairement pour résultat d'aggraver peut-être pour quelques-uns dans une proportion assez forte, la situation dans laquelle ils se trouvent maintenant. Si vous voulez assurer le succès de la loi en ce qu'elle tend à une meilleure répartition de l'impôt, il ne faut pas la faire repousser par une aggravation, en exigeant que cet impôt produise une somme plus considérable. Atteindre un de ces buts, c'est assez; les vouloir obtenir tous les deux à la fois, en même temps, c'est s'exposer à échouer.

Quant au sucre, je n'ai pas cru, la première fois que j'ai pris la parole devant vous, devoir entrer dans une discussion sur ce point. J'ai fait des réserves à cet égard. Vous jugerez s'il y a lieu de changer, s'il y a lieu d'aggraver les conditions qui ont été faites à cette industrie ; vous jugerez s'il y a plus d'avantages que d'inconvénients à maintenir l'état de choses actuel. Mais je répète aujourd'hui ce que je disais alors : Quelle que soit votre décision, quelle que soit votre opinion sur cette question, il est impossible que vous trouviez là un élément suffisant pour refaire la situation financière.

Si l'on se place au point de vue de l'honorable préopinant, si l'on croit que l'on établirait l'équilibre avec 2,500,000 fr., soit. Mais si l'on se place à mon point de vue, à celui que je crois qu'il faut choisir, qui indique avec vérité ce qu'il importe de faire dans l'intérêt du pays, il faut des ressources beaucoup plus considérables, et tous les éclaircissements qui vous sont donnés me semblent vous démontrer qu'il n'en existe pas qui, isolés, en dehors de la loi des successions, puissent satisfaire aux exigences de la situation. S'il faut, en effet, six ou sept millions pour avoir une situation, une simple situation qui donne de la sécurité, où sont les ressources en dehors de la loi des successions? L'honorable M. Mercier, dont la compétence en cette matière est bien connue, est impuissant à nous les indiquer. Il indique des recettes bien moindres que celles qui sont nécessaires. (Interruption.)

Vous en avez indiqué; mais en supposant que vous parveniez, pour tous ces impôts, à réunir la majorité dans la chambre, en admettant que vous fassiez voter certaines propositions qui seront nécessairement combattues par le gouvernement dans l'intérêt général, vous n'avez pas constitué une situation financière qui puisse être acceptée.

Vous aurez fait une situation présentant, je vous en fais la concession, un excédant de 2 millions de francs. Mais je vous ai démontré qu'une semblable situation serait une situation en déficit ; j'ai démontré que vous n'aurez pas assuré le trésor contre les besoins qui viendront l'assaillir. Ainsi le discours de l'honorable membre est la meilleure preuve, la preuve la plus convaincante de la nécessité d'adopter le projet en discussion.

Et qu'on ne vienne pas vous dire que le gouvernement, en insistant sur l'adoption de la loi sur les successions, en indiquant la nécessité de créer encore d'autres ressources, pense dès ce moment à entreprendre des travaux publics sur une vaste échelle. Qu'on ne vienne pas vous dire qu'il s'agit de faire des dépenses que quelques-uns d'entre vous pourraient considérer comme exagérées. Il serait impossible au gouvernement d'agir (page 1091) autrement que dans des limites très modérées. Ce qu'il demande, c'est pour assurer convenablement les services publics; pas autre chose; et je convie l'honorable M. Mercier, qui connaît si bien notre situation, à vous dire toute sa pensée ; à vous dire son dernier mot ; à vous dire si, en effet, des budgets qui ne présenteront qu'un excédant de 3 ou 4 millions de francs sont en tel état qu'on puisse affirmer qu'il n'y aura pas de déficit.

Quanta moi, messieurs, je ne le pense pas. Les faits sont là pour le prouver.

A toutes les époques il en a été ainsi. Le déficit, ne l'oubliez pas, a été constant, a été permanent, je pourrais dire que c'est systématiquement que l'on a voulu masquer la situation à l'aide d'une dette flottante dangereuse. Car vous en avez vu le péril, lorsque, le 24 février, vous avez été dans la nécessité de décréter des emprunts forcés. Si vous aviez eu alors une situation satisfaisante, si votre budget, à cette époque comme à toutes les époques, n'avait pas présenté de déficit, vous auriez été dispensés de recourir à ce moyen extrême d'un emprunt forcé, qui, ne l'oubliez pas, n'a servi qu'à acquitter une partie de la dette successivement accumulée. Or, messieurs, si vous n'apportez un remède énergique à un pareil état de choses, ce qui s'est fait dans le passé continuera à se faire dans l'avenir.

M. Mercier (pour un fait personnel). - M. le ministre des finances s'est trompé, messieurs, lorsqu'il a allégué que j'avais promis à la chambre de présenter un projet de loi sur les successions en ligne directe. J'avais été frappé, comme lui, des fraudes considérables qui se commettent dans les déclarations de successions. Cette question et même celle des droits en ligne directe, je les ai mises à l'étude dans les bureaux du ministère. Depuis quand un ministre des finances est-il rendu responsable des projets qu'il n'a pas présentés aux chambres? J'étais disposé cependant, j'en conviens, à adopter une mesure quelconque, pour mettre un terme aux fraudes. J'ai indiqué dans quel esprit je concevais cette mesure. Après un mûr examen et après avoir consulté le département de la justice, je voulais faire du serment l'exception et non pas la règle. Voilà où les choses en étaient lorsque j'ai quitté le ministère. Quant aux successions en ligne directe, jamais je n'ai manifesté dans cette chambre l'intention de proposer des dispositions à cet égard.

J'ai mis à l'étude pendant mon ministère beaucoup d'autres projets ; c'est le devoir d'un ministre pour ne pas être pris au dépourvu ; j'ai fait examiner la législation de l'accise sur les bières ; j'ai commencé l'étude de la question des assurances par l'Etat ; celle des caisses d'épargne et de prévoyance; celle qui concerne la contribution personnelle, et bien d'autres.

Un ministre ne peut avoir la responsabilité que des lois qu'il se décidé à présenter aux chambres législatives; jusque-là rien n'est définitivement arrêté dans sa pensée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit tantôt que l'honorable M. Mercier avait fait étudier un projet de loi qui portail à la fois sur l'impôt en ligne directe et sur le serment ; j'ai ajouté que l'honorable membre avait annoncé aux chambres que les études de ce projet étaient terminées et qu'il présenterait le projet... (Interruption) qu'il présenterait un projet de loi, et invité itérativement à tenir cette promesse, il a demandé de nouveau à pouvoir saisir le moment opportun. Que contenait ce projet de loi? Deux choses: le serment et le produit de l'impôt en ligne directe. Pourquoi ai-je attribué à l'honorable M. Mercier la pensée de présenter un projet de loi comprenant l'impôt sur les successions en ligne directe? C'est parce que, dans un discours devant la chambre, il a déclaré qu'à part les mesures qu'il proposerait pour assurer la rentrée de l'impôt, ce qui était le serment, obligatoire ou facultatif, dans certains cas, le projet contenait d'autres mesures destinées à élever l'impôt sur les successions de 1,400,000 francs en plus.

M. Mercier. - Non pas en plus. En tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici les paroles de M. Mercier:

« C'est pour empêcher ces fraudes que j'ai préparé le projet de loi sur les successions, que j'aurai prochainement l'honneur de soumettre à la chambre. Il renferme, en outre, quelques autres dispositions également destinées à augmenter nos ressources à concurrence d'un million quatre cent mille francs. »

M. Mercier. - « Egalement »; c'est donc l'ensemble des dispositions du projet qui devait fournir le chiffre de 1,400,000 francs.

Messieurs, j'affirme que je n'ai jamais fait allusion dans cette chambre à un droit sur les successions en ligne directe. D'ailleurs M. le ministre doit savoir qu'il existait au département des finances deux projets, l'un comprenant les deux objets, l'autre ne comprenant que la mesure du serment, qui, d'après une correspondance qu'il doit avoir eue sous les yeux, devait être imposée dans le sens que j’ai indiqué.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me suis borné à rapporter les paroles de l'honorable M. Mercier.

M. Mercier. - Vous y ajoutez un commentaire qui n'est pas conforme à mes intentions.

M. de Theux. - Messieurs, s'il est un axiome vrai, applicable surtout au gouvernement représentatif, c'est qu'il fait respecter l'opinion publique en matière d'établissement d'impôts nouveaux, c'est qu'une faible majorité serait insuffisante pour justifier l’établissement d'un impôt qualifié de contraire aux mœurs du pays, contraire à ses institutions libérales.

M. H. de Brouckere. - Je demande la parole pour le projet.

M. de Theux. - Un succès en cette matière, je n'hésite pas à le dire, serait dangereux pour le gouvernement lui-même ; il constituerait un grief permanent que l'on ne parviendrait à détruire qu'avec la suppression de cet impôt. Le royaume des Pays-Bas, messieurs, nous en a fourni l'exemple : rien n'a autant pesé sur la situation du gouvernement des Pays-Bas, que le système d'impôts, système onéreux, injuste dans répartition, dur dans le mode de perception. Aussi la révolution de 1830 l'a-t-elle mis au premier rang du redressement de ses griefs.

Le gouvernement provisoire, le congrès national y ont apporté un zèle actif. Le gouvernement du Roi a continué cette mission. C'est ainsi que successivement il a été opéré une réduction d’impôts de plus de 18 millions, et que les formes les plus onéreuses de la perception ont été supprimées.

Est-il d'une politique libérale d'obliger les enfants, à la mort de chacun de leurs parents, de subir une inquisition du fisc sur la situation des affaires de la famille? Est-il d'une politique libérale d'assujettir l'époux survivant à la même inquisition, quant à la communauté, au décès de son conjoint.

Est-il conforme à l'esprit de notre Constitution de rétablir le serment, si énergiquement condamné par le gouvernement provisoire, alors que notre Constitution n'admet point de contrainte en matière de culte? Si une pareille proposition avait été faite au congrès national, pense-t-on qu'une seule voix se fût élevée pour l'appuyer? Je ne le crois pas, messieurs ; on était alors trop près des griefs, et il paraît que nous en avons perdu quelque peu le souvenir. Et voyez, nous voulons ressusciter cette législation, alors qu'en France le serment vient d'être supprimé, même à l'égard de ceux qui demandent à occuper des emplois publics.

Du reste, qu'on ne dénature point mes intentions, si je m'élève contre le serment, c'est parce que l'obligation en a quelque chose de révoltant quant à la matière pour laquelle on le fait prêter, parce que je suis convaincu que le serment sera une occasion de parjure, malheureusement beaucoup trop fréquente; car au fond, je ne pourrais qu'approuver la pensée du gouvernement de chercher un moyen de faire acquitter religieusement par chacun sa dette envers l'Etat.

Messieurs, est-il d'une bonne politique de cumuler en Belgique, à l'égard des droits de succession, toutes les rigueurs de la législation des Pays-Bas, de la loi de 1817 ; d'aggraver même ces rigueurs, et d'y ajouter toutes les rigueurs de la loi française, quant aux successions en ligne directe, en aggravant également ces rigueurs, alors que la Belgique n’a jamais admis, à aucune époque, les rigueurs du système fiscal ni de la Néerlande ni de la France?

Je dis, messieurs, qu'il y a cumul et aggravation de chacune de ces législations. En ce qui concerne la loi de 1817, on rétablit le serment, on diminue le capital des dettes que l'héritier doit supporter, ce n'est plus le capital réel, c'est le capital réduit au vingtième denier. Entre frères le droit est élevé. On oublie le motif de la distinction faite en 1817 entre le frère et le neveu, motif qui est cependant facile à apercevoir, car il est bien facile de remarquer qu'un frère qui hérite est bien plus près de laisser sa succession ouverte et passible d'un nouveau droit, qu'un neveu. C’est là le véritable motif de cette distinction.

Je dis, messieurs, que l'on aggrave beaucoup la législation française en matière de succession en ligne directe. J'établirai plus tard que le droit, tel qu'il est proposé, peut être évalué au double du droit français. J'établirai également que la loi de 1817, même sous le serment, même sous les nouvelles mesures fiscales que le projet établit, rapporte en Belgique autant que le droit de succession en ligne collatérale, tel qu'il existe en France en vertu de la loi de 1832 et le droit en ligne directe, et que si l'on rétablit ici le serment et que l'on parvienne, ainsi que l'espère M. le ministre des finances, à opérer une majoration de recettes de 1,500,000 francs, et que l'on obtienne, d'autre part, 1,500,000 fr. des successions en ligne directe, la Belgique payera, pour les droits de succession, 60 p. c. de. plus que la France. Voilà un calcul que j'ai fait et que j'espère justifier tantôt.

Mais, dit-on, l'impôt sur les successions est un impôt éminemment démocratique, nous devons nous hâter d'accepter cet impôt.

Messieurs, je fats un appel à vos souvenirs: en France où l'impôt réuni en ligne directe et en ligne collatérale, n'atteint pas l'impôt tel qu'il existe aujourd'hui, l’assemblée nationale, résultat de l'élection directe, résultat de la révolution républicaine de février, a rejeté toute aggravation en matière de succession. Voilà la seule réponse que j'ai à faire à ceux qui veulent adopter la loi, parce qu'elle serait démocratique.

M. H. de Brouckere. - La situation financière est belle aussi en France !

M. de Theux. - Messieurs, nous démontrerons que le salut du pays n'exige pas l'adoption de cette loi ; nous démontrerons ensuite que nous n'avons rien exagéré dans son appréciation.

L'on nous a dit que les diverses réformes financières en cours de discussion devant le sénat, devaient amener un déficit de 1,500,000 francs; que d'autre part, le budget des voies et moyens n'étant établi que sur un excédant de 500,000 francs, il y aurait une insuffisance de 1,000,000 fr., même sur le budget ordinaire; qu'en outre les dépenses extraordinaires, nécessitées chaque année, viendraient encore accroître ce chiffre.

L'on n'a pas évalué à moins de 5 à 6 millions les excédants nécessaires du budget des recettes sur le budget des dépenses, tel qu'il vous est annuellement soumis. Assurément, si les chambres étaient disposées à montrer une grande facilité pour les dépenses, je conçois que cet excédant de 5 à 6 millions serait nécessaire. Mais il nous est permis de croire (page 1092) qu’averties par la discussion de ce projet, averties que d'autres mesures viendraient plus tard encore aggraver les impôts, si l'on se montrait trop facile, les chambres s'arrêteront dans cette voie.

L'on a dit qu'il y aurait une diminution de revenu de 1,500,000 fr. par suite des réformes qui sont en cours de discussion. Si le fait est vrai, je dirais que le moment est intempestif pour les introduire, que le gouvernement ferait bien d'arrêter ou du moins de suspendre la promulgation des lois qui opéreraient une semblable réduction. Cette mesure serait, assurément, d'une meilleure politique qui celle qui consiste à exiger, en quelque sorte, à tout prix l'adoption de la loi que nous discutons.

Mais, messieurs, les opinions sont très divisées sur les conséquences des modifications financières que l'on a discutées récemment. Beaucoup de membres prétendent que ces modifications financières n'auront aucune conséquence préjudiciable pour le trésor, et que si un déficit quelconque devait en être le résultat, ce déficit ne serait que temporaire. Si cette dernière assertion était vraie, je dirais que ce n'est pas pour un déficit temporaire et qui, après tout, ne peut être d'une haute importance, qu'on pourrait justifier l'adoption du projet actuel.

Je dis donc que soit que les modifications ne produisent par un déficit dans les recettes, soit qu'elles ne soient que très temporaires, on doit s'attendre pour 1850 et au moins pour 1851 à un excédant de 500,000 fr. sur le budget ordinaire.

Mais il est établi dans un exposé de situation fait par l'honorable M. Malou, qu'année commune, il existe au budget des dépenses une économie de 1,500,000 fr. Je conviens que chique année il y a des crédits extraordinaires à demander pour des dépenses imprévues.

L’excédant, suivant M. le ministre des finances, serait de 3 à 4 millions encore. Pour moi, je ne voterai pas une limite aussi large, s'il fallait la créer au moyen d'un impôt tel que celui-ci.

Mais n'est-il pas possible d'améliorer quelques-uns de nos impôts? Est-il-nécessaire, pour la meilleure hypothèse foncière que dépeint M. le ministre des finances, de prendre ce surplus sur un seul article de nos impôts? N'y a-t-il pas là quelque chose qui froisse la justice distributive? Je n'hésite pas à dire que oui.

Des travaux publics, dit-on, sont encore réclamés, dans le but d'améliorer les moyens de fertilisation, de prospérité du pays.

Je veux admettre qu'il y a encore quelques travaux utiles à faire, mais on conviendra qu'après en avoir fait autant que la Belgique en a exécuté depuis 1830, il est permis dans les circonstances difficiles, et alors que les vivres sont à très bas prix, de suspendre momentanément ces entreprises.

Ce que nous demandons, ce n'est pas un abandon complet de toute espèce de travaux publics. Telle n'est pas notre pensée. Nous avons déjà eu depuis 1830, malgré les difficultés des circonstances, plusieurs époques où il a été possible d'opérer la conversion de la dette, et si dans un temps qui peut-être ne sera pas fort éloigné, la même situation se représente, j'espère qu'alors le gouvernement et les chambres entreront plus complètement dans la voie ouverte par l'honorable M. De Pouhon, et dont l'honorable M. Mercier a déjà tiré un grand parti au profit du trésor. La conversion de la dette, la réduction de l'intérêt, voilà une des mesures qui, tout en procurant une diminution de charges pour l'Etat, exerceraient le plus d'influence sur sa prospérité, et permettraient de faire les nouveaux travaux qui seraient reconnus véritablement utiles.

Et, messieurs, l'établissement financier dont le ministère nous a déjà entretenus lui sera un jour un puissant auxiliaire pour amener ce résultat. Mais défendons-nous, en matière de travaux publics, de toute espèce d'entraînement; rappelons-nous que si, en 1847, au commencement de février 1848, nous avions décrète de grands travaux qui étaient en projet, si nous eussions contracté l'emprunt considérable de 78 millions, non seulement pour éteindre la dette flottante, mais pour faire plusieurs de ces travaux d'utilité, ces 78 millions qui, probablement, d'après l'expérience acquise au pays, fussent devenus plus de 100 millions, seraient un fardeau pour le pays.

Il faut convenir que si aujourd’hui il y a insuffisance pour couvrir les dépenses accidentelles et éventuelles, la situation serait rendue bien plus difficile. Ne perdons jamais de vue que le chemin de fer, qui a été une entreprise éminemment nationale, a cependant amené un déficit annuel de plusieurs millions pour le trésor et que c'est à cette entreprise seule qu'est dû le déficit de nos ressources et bien au-delà.

S'il nous avait été possible d'adopter en Belgique le système de concession qui a été adopté dans tous les pays, assurément notre situation financière serait dans l'état florissant que désire M. le ministre des finances et nous n'aurions pas à craindre de ce chef une augmentation de déficit dans nos revenus dans les moments de crise.

Ou nous a parlé de différentes dépenses qu'il serait utile de faire. Mais jusqu'à présent, nous n'avons pas encore établi dans quelle proportion ces dépenses doivent peser sur le budget de l’État. En tout état de cause, les budgets des communes doivent y fournir une très grande part. Ensuite, quelle que soit la nature de la dépense, il faut toujours avoir égard aux difficultés qu'entraîne l'établissement des impôts nouveaux. L'Etat, comme le père de famille, doit toujours savoir combiner ses dépenses avec ses recettes.

On a parlé spécialement d'une dépense pour les Flandres, et l'honorable député de Termonde y a attiré toute l'attention de la chambre. Mais avant de décréter un impôt qui pèsera fortement sur cette partie de la Flandre qui est aujourd'hui en souffrance, et dont la principale ressource consiste dans le sol, voyons si ce qui doit être fait pour les Flandres compensera les charges qui résulteront pour elles de l'adoption de ce projet de loi.

Dans la première séance, M. le ministre des finanças a évalué à 7 ou 8 millions le chiffre des impôts nouveaux à établir; aujourd'hui, s'exprimant d'une manière plus catégorique, il me semble qu'il a restreint ce chiffre à 5 ou 6 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai parlé de la nécessité d'avoir un excédant de recettes de 7 millions pour que la situation fût bonne.

M. de Theux. - C'est toujours 5 à 6 millions d'impôts nouveaux à demander à l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Applicables à des dépenses extraordinaires.

M. de Theux. - J'aime à croire que le gouvernement a dans sa pensée ce principe de justice distributive et de pondération de tous les intérêts qui vous anime. Ainsi dans cette transformation d'un impôt, dans l’établissement de ces impôts nouveaux, les charges doivent atteindre dans une égale proportion les deux grands intérêts qui divisent le pays, l'intérêt industriel et l'intérêt agricole. S'il en était autrement, je dirais qu'enlever le capital à l'agriculture c'est diminuer le travail agricole, que c'est aller à l'encontre de ce qu'on a annoncé en faveur de l'agriculture, notamment l'établissement du crédit agricole, car il vaut mieux cent fois laisser à l'agriculture l'argent qu'elle possède que de le lui enlever et y substituer une institution de crédit dont les conséquences les plus ordinaires sont un agiotage qui tend à déplacer les conditions d'existence au sein des campagnes et à y provoquer des ruines. Il importe que, par l'assiette de nos impôts, on ne diminue pas les populations agricoles en poussant à l'augmentation de l'agglomération des populations industrielles.

Je pense que l'agglomération des populations industrielles est suffisante en Belgique, que la législation ne doit pas tendre à l'accroître et qu'elle doit se borner à maintenir les conditions de travail et d'existence de ces populations; qu'aller au-delà serait une faute politique, serait augmenter les embarras en cas de crise financière ou politique, serait condamner le législateur à recourir, à chaque crise, à des emprunts forcés, à des dépenses extraordinaires quand il y a réduction de recettes sur les impôts indirects.

L'honorable ministre des finances nous convie à méditer les révolutions qui éclatent sur le continent européen. Sans doute c'est là un objet sérieux de méditation pour les gouvernements et les parlements; mais est-il vrai de dire qu'en ce qui concerne la France c'est le défaut de souci du gouvernement de Louis-Philippe pour les intérêts matériels qui a amené la catastrophe de février? Je ne le crois cas. Je ne crains pas d'affirmer que jamais gouvernement n'avait fait en France, pour les intérêts matériels, autant que le gouvernement de Louis Philippe; notez bien que c'est dans la ville de Paris qu'a éclaté la révolution de février; n'est-ce pas sur cette ville qu'il avait versé surtout les bienfaits de son administration? N'y avait-il pas multiplié outre mesure, aux dépens des départements, les travaux publics? N'est-ce pas là que se dépensait sa liste civile ? N’est-ce pas là que les citoyens attirés par les splendeurs de la capitale, par les splendeurs de la cour, venaient déverser en abondance des millions ?

En Toscane, les intérêts du peuple étaient-ils négligés ? Le peuple était-il dans une mauvaise condition à Rome? Pie IX, à son avènement^ n'était-il pas l'idole du peuple ?

Ainsi, ne nous trompons pas sur les causes des révolutions. Portons, comme je l'ai dit, toute notre attention, toute notre sollicitude sur les moyens de procurer au peuple du travail, des moyens d'existence; mais n'établissons pas une situation financière intolérable, soit par la hauteur des impôts, soit par le mode de perception.

Un mot, messieurs, sur la centralisation. Jamais gouvernement n’a été plus faible que ceux qui ont existé depuis une cinquantaine d'années, soit en France, soit en Belgique.

Les gouvernements anciens, messieurs, étaient séculaires; les gouvernements modernes n'ont eu que de courtes périodes. Et cependant, tous les moyens de centralisation n'ont-ils pas été épuisés? Les gouvernements n'ont-ils pas mis partout les peuples à contribution pour créer de grands travaux publics, pour développer toutes les sources de la prospérité ? Assurément.

N'ont-ils pas eu à leur disposition une multitude infinie d'emplois qui donnaient des moyens d'existence aux familles? Assurément.

Mais, messieurs, à côté de ces bonnes choses, il a surgi de graves inconvénients? La concurrence pour les emplois a été beaucoup plus grande que la progression des emplois elle-même; et précisément parce que les gouvernements avaient tout centralisé dans leurs mains, parce qu’ils disposaient d'un immense budget, il y a eu aussi, messieurs, une immense tendance à manier les gouvernements, à déplacer les possesseurs d'emploi au moyen des tempêtes révolutionnaires.

Et puis, une considération bien simple que l'observation fait naître pour quiconque est attentif aux événements, c'est que tous les bienfaits que les divers gouvernements ont procurés au moyen des travaux publics, au moyen de toutes les bonnes institutions d'utilité publique, tous ces bienfaits sont vite oubliés.

On les possède; cela suffit. On ne se demande plus de qui ils sont provenus. Mais ce qu'on n'oublie pas, messieurs, ce sont les charges qu'il faut supporter pour acquitter les intérêts des capitaux empruntés. A cet égard la mémoire est toujours présente, et malheureusement l'oubli des (page 1093) bienfaits est suivi de l’opposition au gouvernement, opposition qui se fait sentir fréquemment dans les collèges électoraux. C'est ce qu'on remarque partout dans les gouvernements représentatifs; et plus la représentation sera large dans la commune, dans la province, dans le parlement, plus la situation du gouvernement sera difficile si les charges sont trop élevées, quels que soient d'ailleurs les bienfaits qu'il ait pu procurer au pays.

Ce qu'il faut, messieurs, avant tout pour le peuple, c'est le travail; et ce qu'il faut pour le travail, c'est la confiance, ce qu'il faut pour la confiance, c'est l'absence des agitations politiques; et pour qu'il n'y ait pas d'agitations politiques, il faut aussi que le système des impôts soit vraiment tolérable, il faut qu'il soit réellement, sincèrement accepté par le pays.

L'honorable ministre des finances prétend que le projet de loi que nous discutons n'a pas ému le pays, qu’il n'a pas donné lieu à des pétitions; qu'il est éminemment populaire. Mais, messieurs, le public pouvait se reposer en toute confiance sur la représentation nationale. Il savait qu'en 1848, un pareil projet de loi, examiné dans les sections, n'y avait reçu aucun accueil. L'opinion de la chambre actuelle s'est profondément manifestée.

. Les représentants ont été en rapport avec leurs commettants, ils ne leur ont pas laissé ignorer leur opinion. Cette opinion, ils l'ont manifestée dans les délibérations des sections, et c'est ainsi que la section centrale a été amenée à nous faire un rapport tout à fait contraire au projet D'ailleurs l'impopularité du droit de succession en ligne directe a été suffisamment proclamée en 1813 par le gouvernement lui-même. L'impopularité du serment a été suffisamment proclamée par le gouvernement provisoire en 1830.

Nous disons au contraire que, loin d'être populaire, cet impôt est odieux quant à l'époque de sa perception et quant au mode de perception.

Quant à l'époque de sa perception, il atteint la famille au milieu des afflictions les plus justes et les plus généralement senties; souvent à la suite de maladies graves qui ont amené la négligence d'intérêts importants, soit chez le cultivateur, soit chez le commerçant, soit chez l'industriel; au moment même où il y a à solder les frais de la dernière maladie, les frais funéraires et ordinairement d'autres frais qui suivent le décès, tels que ceux de partage ; au moment, messieurs, où la famille perd souvent un établissement, soit un établissement agricole, soit un établissement de commerce, soit une position lucrative. Voilà dans quelles circonstances la famille est atteinte.

Nous disons, messieurs, que l'impôt est odieux dans sa forme. Car chacun de nous éprouve un sentiment de répulsion à l’idée de l’obligation d'aller constater devant le fisc notre actif et notre passif. Et en ligne collatérale, les personnes les plus consciencieuses, qui acquittent littéralement l'impôt qu'ils doivent au trésor, éprouvent encore une répugnance véritable à venir attester devant l'autorité, sous serment, que l'évaluation de leur mobilier est complète, est exacte. Oh, messieurs, les personnes les plus sincères, les plus consciencieuses, qui, en aucune circonstance ne veulent frauder le fisc, éprouvent un sentiment pénible à l’accomplissement de ce devoir.

On a dit aussi que c'était l'impôt le plus équitable, et ici je rends complètement justice aux intentions de M. le ministre des finances. Il a voulu que les fortunes mobilières supportassent l'égalité des charges avec les fortunes immobilières, et c'est bien sincèrement que je déclare que je voudrais pouvoir le seconder dans l'accomplissement de ce dessein. Mais quelque louables, quelque justes que soient ses intentions, il échouera dans son entreprise. Voilà ma conviction ; et de là je ne puis considérer cet impôt comme étant établi au point de vue de la justice distributive.

D'abord inégalité de charges entre les immeubles et les meubles par le fait de déclarations fausses, ensuite inégalité de charges entre les fortunes mobilières elles-mêmes, parce que les mineurs ne peuvent pas échapper à l'impôt; parce que le cultivateur, qui a son attirail au grand jour, dont l'établissement agricole est facilement appréciable, ne pourra jamais éluder l'impôt ; alors que les détenteurs de rentes, les détenteurs de diverses autres espèces de meubles pourront, en toute facilite, l'éluder, surtout en présence d'un serment décisoire contre lequel il n'y a plus de recours.

L'honorable député de Termonde voudrait exempter les meubles de tout droit de succession. Il trouve que l'impôt exigé, restreint aux immeubles, ne serait qu'une juste indemnité payée par les propriétaires au fisc pour la conservation de la possession de son droit. Mais je demanderai à l'honorable membre si la propriété mobilière n'a pas besoin de la protection de l'autorité publique. Je lui demanderai si cette propriété n'existe pas surtout dans les grands centres de populations ; si ce n'est pas là que l'Etat doit faire de grandes dépenses pour le maintien de la tranquillité publique et pour la conservation de la fortune mobilière.

Je dis donc, messieurs, que si c'était le seul intérêt de conservation qui dût nous guider, qui dût faire payer chacun en raison de l'intérêt qu'il a à cette conservation, ce serait bien plutôt à cette propriété mobilière si exposée aux attentats, si difficile à défendre, et qui peut être détruite en son entier, que devrait incomber la plus grosse part de la dépense de conservation. Car, après tout, la propriété immobilière peut être de temps à autre atteinte, mais le sol n'est pas détruit, toute la propriété ne se perd pas.

Un honorable député de Bruxelles justifie l'impôt, surtout en ce qui concerne les immeubles, par cette considération que depuis cinquante les immeubles ont doublé et triplé de valeur.

Mais, messieurs, si nous prenons attention à un calcul qui mérite toute notre confiance, celui que le roi Guillaume 1er avait établi pour faire supporter par les établissements de mainmorte les droits de mutation entre-vifs et le droit de succession, si nous faisons attention qu'il avait supputé qu'à raison d'une contribution annuelle de 1 p. c du revenu, il atteignait ces établissements dans la proportion que supportait la propriété en moins du simple particulier, nous arrivons à ce résultat qu'en 25 années le capital entier a été atteint, c'est-à-dire, dans l'opinion de ce monarque, qu'en 25 années la propriété immobilière passe tout entière dans les mains du gouvernement. Il en résulterait que si depuis 50 ans la valeur de la propriété a doublé ou triplé, le gouvernement l'a deux fois encaissée. Je demanderai, messieurs, s’il ne suffît pas d'avoir établi depuis peu des droits de transcription avec obligation de transcrire les mutations, et s'il faut y ajouter encore un droit sur les successions en ligne directe. Qu'il me soit permis de rendre la chambre attentive à cet argument, sur lequel on n'a pas assez insisté, qu'il faut prendre garde d'asseoir l'impôt sur le capital. Si vous allez encore successivement augmenter les droits, dans peu le ternes il ne restera plus rien de la propriété. Si l'on entre dans ce système, en considérant de semblables impôts comme populaires, rien n'empêchera que le capital ne soit réellement menacé.

Je sais, messieurs, que certaines propriétés restent dans la même famille pendant plusieurs siècles, mats cela est extrêmement rare ; la règle générale c'est une division de la propriété, par suite de l'égalité des partages et de la suppression des mainmortes. Les grands propriétaires eux-mêmes conservent-ils leur propriété ? Il s'en faut de beaucoup. Combien d'entre eux ne se sont pas trouvés dans une situation qu'ils ont considérée comme gênée, parce que de grands capitaux ne donnaient que de petits revenus ! Combien d'entre eux, se trouvant dans cette situation, n'ont pas essayé des entreprises industrielles, prenant des actions ou dirigeant eux-mêmes une exploitation, et ont fini par y perdre leur fortune entière ou la plus grande partie de leur fortune! Beaucoup d'autres, messieurs, ne savent point modérer leurs dépenses et, après avoir brillé quelque temps, s'éclipsent entièrement. D'autres sont chargés d'une nombreuse famille et leur fortune se réduit, en définitive, à peu de chose. Voilà, messieurs, des faits que l'observateur le plus ordinaire doit remarquer. Ensuite, des propriétaires sont aussi animés d’un sentiment d’inconstance; ils vendent leurs propriétés, en achètent d'autres pour aller s'établir ailleurs. Les grandes propriétés finissent donc par payer les droits de mutation comme la plupart des autres propriétés.

Mais, messieurs, si le capital de la propriété est réellement augmenté, comme le dit l'honorable membre, il m'accordera au moins que le revenu n'est pas augmenté dans la même proportion. Je pourrais dire, messieurs, qu'il est bien peu de revenus fonciers qui aient doublé, et que si, terme moyen, on disait que le revenu de la propriété, foncière a augmenté de moitié depuis 50 ans, on ferait une concession très large.

Mais la fortune mobilière ne s'est-elle point accrue depuis 50 ans ? Je maintiens que la fortune mobilière s'est accrue non seulement dans la même proportion que la fortune territoriale, mais dans une proportion plus forte, et à l'appui de cette opinion, j'invoque un document émané du ministère des finances lui-même. Nous voyons, en effet, dans l'exposé des motifs du projet de loi actuellement en discussion, qu'en 1829, les droits de succession ont été reçus, quant aux immeubles, sur un capital de 21,528,000 fr., et quant aux meubles, sur un capital de 20,800,000 fr., ce qui prouve que la fortune mobilière est égale aujourd'hui a la fortune immobilière, et si cela était vrai en 1829, c'est bien plus vrai aujourd'hui .

L'argent manque dans les campagnes, c'est un fait généralement reconnu; c'est dans le but de l'y restituer, qu'on veut établir le crédit agricole; mais recherchons les causes pour lesquelles l'argent manque dans les campagnes, malgré les progrès de l'agriculture. Ces causes sont faciles à énumérer : d'abord les impôts perçus à la campagne sont dépensés presque en entier dans les villes ; en second lieu, le séjour des villes, rendu de plus en plus agréable, attire tous les propriétaires fonciers qui jouissent de quelque aisance. Les ressources que l'on voit dans l'industrie, le commerce et les professions libérales déterminent beaucoup de familles de propriétaires ruraux, dès qu'ils ont accumulé un capital modique, à venir s'établir dans les villes pour essayer d’y accroître leur fortune. Les richesses des villes et la facilité des communications ont amené l'acquisition d'une grande quantité de propriétés rurales par les habitants des villes. C’est ainsi que les impôts et les revenus du sol finissent par se dépenser en très grande partie dans les villes, et voilà la véritable cause du manque d'argent dans les campagnes, malgré toute la prospérité que l'agriculture a acquise depuis 50 années.

Du reste, messieurs, si je fais ici mention des campagnes, ce n'est point pour m'arrêter exclusivement aux intérêts des habitants de la campagne, car la loi intéresse également à un très haut degré les habitants des villes, d'abord pour les propriétés qu'ils possèdent à la campagne, ensuite pour les propriétés bâties et pour la fortune mobilière, qui, à l'avenir si la loi est adaptée, ne pourra plus échapper à l'impôt, à moins d'un faux serment ; et après tout, les villes ont un égal intérêt à ce qu'il y ait justice distributive dans les impôts; c'est le fondement le plus assuré de la force des Etats, et d'autre part la prospérité des campagnes serait le meilleur débouché pour les industries exercées dans les villes. Je ne pense donc pas que le projet pourrait être adopté par cette considération qu'il frapperait davantage les habitants de la campagne.

(page 1094) Je parlais de justice distributive. Déjà, messieurs, la propriété foncière fait un sacrifice au pays par la suppression de toute protection sur les produits agricoles, et maintenant est-ce là un motif d'aggraver encore ses charges au moyen de l'impôt sur les successions, sur le capital même des immeubles? Assurément non. Messieurs, puisque le gouvernement veut maintenir la législation actuelle sur les céréales, puisque telle paraît être l'intention de la majorité de la chambre, il faut au moins que, déterminé par des considérations de justice distributive irrécusables, on n'atteigne point davantage le capital foncier, le capital agricole.

Un honorable membre, l’honorable député de Termonde, disait que, bien que la propriété foncière paye l'impôt foncier pour la protection qu'elle reçoit, elle n'a point de ce chef à se plaindre, que l'impôt foncier ne fait que remplacer la dîme qui a existé de tout temps; mais je demanderai à l'honorable membre si la propriété mobilière, qui a un égal intérêt à être protégée, ne payait point aussi autrefois la dîme. On ne doit pas oublier qu'il y avait deux catégories de dîmes, la dîme réelle et la dîme personnelle, et que la dîme personnelle était payée par toute espèce de travail, même par les professions libérales. Rien n'était exempt, ni le travail des villes, ni le travail des champs. Plus tard, les villes ayant acquis une plus grande prépondérance, ayant des moyens d'opposition qu'on ne possède point dans les campagnes, à cause de l'isolement des habitants, elles surent faire abolir à leur profit la dîme personnelle, mais la dîme réelle fut conservée et se perpétua par l'impôt foncier.

Et puis, messieurs, je prétende qu'au point de vue de l'intérêt agricole, en général, il y avait une large compensation à l'établissement de la dîme foncière, c'est que les décimateurs dépensaient, en général, leurs revenus au sein même des campagnes dans lesquelles l'impôt était perçu ; c'est que les décimateurs construisaient de grands édifices; c'est à eux que l’on doit l'établissement de la plupart des villages ; ce sont eux qui ont construit les églises, les presbytères, les grandes fermes d'exploitation. Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi ; l'impôt foncier se centralise dans les villes et s'y dépense pour la plus grande partie. Ainsi, bien que la dîme fût plus onéreuse quant au mode de perception, là où il s'exerçait rigoureusement, il y avait, d'autre part, cette large compensation, qu'elle se dépensait sur les lieux mêmes où elle était perçue.

Messieurs, l’honorable ministre des finances a fait valoir comme point capital de la discussion, comme motif déterminant d'accepter son projet, cette considération que le décès du père ou de la mère est un accroissement de fortune pour les enfants. Permettez-moi de rencontrer directement cet argument. Je demanderai à M. le ministre des finances si, à la mort de ses parents, un enfant de famille n'a pas un devoir à remplir en quelque sorte envers la mémoire de ses parents et envers ses égaux, celui de soutenir son rang? Oui, messieurs, ce devoir est généralement senti, dans toutes les conditions de la société, chez le noble comme chez le paysan, chez le grand industriel comme chez le petit, je dirai même parmi les ouvriers, où il existe aussi des inégalités de conditions. Maintenir la position de ses parents, c'est l'effort suprême de tous. C'est là le stimulant le plus actif du travail. Mais à la mort des parents, est-il donc si facile aux enfants de soutenir leur rang? Assurément non. Je sais parfaitement bien que des jeunes gens qui ont une grande facilité de travail, qui possèdent des qualités exceptionnelles, peuvent réussir et embrasser une carrière lucrative; mais pour la masse il n'en est point ainsi.

N'est-il pas vrai que si, par exemple, dans un établissement d'agriculture ou de commerce, l'épouse vient à mourir, la position de l'époux survivant et des enfants est singulièrement détériorée? Les soins du ménage ne sont plus les mêmes; la fortune va en diminuant. Si l'époux vient à décéder, le mal est souvent plus grand encore, surtout dans certaines professions qui ne peuvent être exercées que par des hommes ; dans ce cas, la décadence de la fortune est grande pour les familles.

Les circonstances où la mort de l'un des époux n'influe pas sur la position sociale de l'époux survivant et des enfants ne constituent que des exceptions fort rares.

Et puis, n'est-ce pas une dislocation pour les familles, surtout si c'est le dernier des deux époux qui vient à mourir? Alors ceux qui vivaient en commun dans un seul ménage avec une seule fortune, venant à se disperser, sont dans l'obligation d'avoir chacun un établissement séparé; ce qui rend leur position bien plus difficile, bien plus onéreuse.

Et puis les familles vont toujours s'accroissant. Par l'effet seul des partages, les positions sociales diminuent. Un fait encore constaté dans les campagnes, c'est que là où autrefois il y avait des familles aisées, vivant de leurs revenus, ces familles ont disparu en général, sauf quelques-unes qui cherchent, par un moyen de commerce ou d'industrie, à venir en aide à l'insuffisance de leurs revenus agricoles.

Messieurs, le droit sur les successions en ligne directe a encore pour les familles cette autre conséquence fâcheuse qui a été signalée par l'honorable M. Lelièvre; c'est qu'elle amène nécessairement la liquidation de la communauté entre l'époux survivant et les enfants. Par l'obligation de déclarer quelle est la situation de la communauté, quelle est la part revenant à chaque enfant, on amène ce résultat, que la liquidation de la communauté s'opère là où souvent elle était ajournée de l'assentiment des enfants, au moins tant que l'époux survivant ne convolait pas en secondes noces.

L'honorable M. Dedecker disait que si l'impôt sur les successions en ligne collatérale est juste, il est également juste en ligne directe, parce que la propriété transmise soit en ligne directe, soit en ligne collatérale, a également besoin de protection. Je reproduis l'argument dans toute sa force et je vais y répondre.

Messieurs, de tout temps, on a reconnu la différence entre les successions en ligne collatérale et les successions en ligne directe. C'est ainsi que l'empereur Auguste établissant un droit de succession, et l'élevant au 20ème denier, il en exemptait les héritiers siens. C'est ainsi que l'empereur Trajan exemptait du même droit le père succédant à son enfant émancipé. Les Romains, qui étaient réputés si sages en législation, si justes appréciateurs des besoins de la société, avaient donc reconnu cette distinction.

Maintenant, messieurs, je répondrai à l'honorable membre par un argument de chiffre. Je lui dirai : Vous êtes défenseur de la succession en ligne collatérale, vous ne voulez pas qu'elle soit trop pressurée. Par contre, vous voulez l'établissement d'un droit en ligne directe. Eh bien alors, au lieu d'appuyer le projet du gouvernement, demandez au ministère de le retirer, et de nous présenter la législation française; dans ce cas, vous aurez tout à la fois un droit de succession en ligne directe et un droit de succession en ligne collatérale; mais le droit en ligne collatérale sera modéré, et les familles trouveront une large compensation dans ce changement de législation.

Messieurs, c'est surtout de la législation française qu'on se préoccupe dans cette discussion, et c'est avec raison, parce que la situation de la France est celle qui a le plus d'analogie avec la situation de la Belgique. Voyons donc ce qu'on fait en France pour la ligne collatérale, et ce qu'on fait en Belgique; puis, voyons ce que dit Troplong sur les successions en ligne collatérale.

En France, on perçoit les mêmes droits pour les successions du 2ème et du 3ème degré. Le droit sur les immeubles et de fr. 6 50 c. et de 3 fr. sur les meubles ; ensemble fr. 9 50 c. moyenne fr. 4 50 c., décime compris, fr. 4 95 c. En Belgique, moyenne 5 et 30 p. c. additionnels ou fr. 6 50 c.

Mais notez qu'en France les immeubles ne sont estimés qu'à 20 fois le revenu cadastral, tandis qu'en Belgique ils sont évalués, terme moyen, à 40 fois le revenu cadastral, c'est-à-dire à 2 1/2 p. c. Il faut donc augmenter le droit de fr. 6 50 c. de la somme de fr. 3 25 c, pour avoir le chiffre payé en Belgique, savoir fr. 9 75 c. pour les successions au 2ème et 3ème degré pour lesquelles on ne paye en France que 4 fr. 95 c.

En Belgique, après le 3ème degré, après celui de neveux, le droit est de 10 p. c. ; plus 50 c. additionnels; soit 13 p. c.

En France, au contraire, il y a plusieurs degrés exceptionnels. Ainsi, le 4ème degré paye seulement sur les immeubles 7 fr., sur les meubles 4 fr. ou en moyenne fr. 6 05 c, décime compris.

Ainsi, en ajoutant à l'évaluation de 15 p. c. les immeubles évalués chez nous au double de ce qu'ils sont évalués en France, vous arrivez à 19 fr. 50, comparativement à la France, où l'on ne paye que 6 fr. 5 c. La même proportion se rencontre pour le degré au-delà du quatrième, qui ne paye en moyenne que 7 fr. 15 c, et pour les étrangers pour lesquels le droit est de 9 et 6 soit en moyenne 8,23, décime compris.

Messieurs, encore une grande considération, c'est qu'en France, les hors-part ne payent pas plus que la succession légale pour un neveu ou tout autre parent. Ici on les taxe au plus haut droit, ce qui revient à 19-50. Entre époux, vous trouvez une disproportion à peu près égale. Il est vrai qu'en France il n'y a pas de distraction de dettes ; mais aussi en France, vous n'avez aucune espèce d'embarras, vous prenez le revenu cadastral, votre affaire est faite; ici vous devez subir les frais d'expertise, qui sont des dépenses considérables qui occasionnent de grands embarras. Notez de plus que, par suite des dispositions du projet, un grand nombre de dettes vont être rejetées. Déjà, sous l'empire de la législation telle qu'elle existe et qu'elle est pratiquée, beaucoup de dettes sont rejetées ; dans des successions où l'on n'avait pas omis un centime de l'actif, beaucoup de dettes ont été rejetées parce qu'elles n'avaient pas de date certaine; dans les familles on a confiance, on ne fait pas enregistrer, on ne prend pas d'hypothèque, on se contente de la signature de l'emprunteur.

Savez-vous ce que disait M. Troplong du droit de succession tel qu'il existe en France? En ligne directe il est toléré, c'est-à-dire qu'on le laisse subsister, mais en même temps qu'il n'est pas susceptible d'aggravation. En ce qui concerne la succession collatérale, voici les termes dont se sert M. Troplong: « Jamais le despotisme impérial de Rome et les âpretés fiscales de la fédoalité n'avaient osé élever à ce point le fardeau de l'impôt sur les successions! »

Voilà une autorité qui n'est pas suspecte; qu'aurait-il dit s'il avait écrit sur la loi de 1817, que dirait-il du projet que nous discutons aujourd'hui? Ici le fisc perçoit la huitième part du capital laissé aux pauvres et des legs rémunératoires; sur les successions aux 2ème et 3ème degrés une moyenne de 6 fr. 50 cent., avec les additionnels, ou trois années du revenu, et au-delà il perçoit le droit énorme de 13 p. c. avec les additionnels, 5 années de revenu. N'arrivera-t-il pas souvent que, soit pour acquitter les droits de succession, les dettes et les autres charges qui viennent à l'occasion d'un décès, il y a lieu à vendre un immeuble? C'est alors un nouveau droit de mutation à payer.

En ligne directe, faisons une comparaison du droit qui existe en France avec celui qu'on propose d'établir ! En France, ce droit est de 1 p. c. sur les immeubles, 25 centimes sur les meubles, ensemble 1-25, ce qui donne une moyenne de 75, centimes additionnels, 10, soit 82 centimes. D'après la loi proposée, la moyenne serait un franc pour les meubles et pour les immeubles. Les immeubles sont évalués au double de l'évaluation française, 50 centimes, ce qui fait 1-50, 30 centimes additionnels, 45, ensemble 1-95, là ou en France il n'est perçu que 82 centimes. Les hors-part donneront lieu ici à 5 francs, soit avec l'augmentation (page 1095) d'évaluation, 7,75 plus 30 centimes additionnels ; en France il reste à 82 centimes.

Messieurs, l'on a argumenté de notre propre législation et l'on a dit que le droit de succession en ligne directe était consacré par la loi de 1817 pour les biens situés hors du royaume. Ne se rappelle-t-on pas qu'elle était due à la haine de l'ancien roi des Pays-Bas contre la France, et qu'elle avait pour but d'empêcher les alliances de famille entre les deux pays, d'empêcher les Belges d'acquérir des biens fonds en France? Voilà le véritable motif politique de cette loi. Je m'étonne que le gouvernement français n'ait pas réclamé auprès du gouvernement des Pays-Bas contre cette usurpation de domination sur le sol français. Ici, non seulement ce droit est maintenu mais aggravé. On pose une base d’évaluation fixe qui est arbitraire. Si elle est vraie pour la France, l’Allemagne, la Hollande, est-elle vraie pour les pays situés en Amérique? Chacun sait que là les revenus sont considérables et le capital faible; on a 10,15, 20 p.c. de revenu ; par conséquent l'évaluation qu'on propose ne peut pas convenir ici où l'on nous convie souvent de faire des établissements à l'étranger.

Messieurs, je suis convaincu que M. le ministre des finances n'accepterait pas l'offre de la législation française avec ses dernières rigueurs, au lieu de la simple législation de 1817, même dépourvue de la garantie du serment et des droits additionnels que le nouveau projet contient. Je suis convaincu que la loi de 1817 est plus productive pour la Belgique que la législation française en cumulant le droit sur la ligne collatérale et le droit sur la ligne directe. En 1842, l'impôt sur les successions a produit en France 42 millions, en Belgique il produit 5,300,000 fr. La population belge n'est pas exactement le huitième de la population française, établissez les calculs et vous verrez que l'impôt de succession produit déjà maintenant plus en Belgique par tête d'habitant qu'il ne produit en France.

Mais, messieurs, si l'on y ajoute les deux modifications essentielles que le gouvernement a proposées, c'est-à-dire le droit en ligne directe évalué à 1,500,000 francs, le surplus de recette à résulter de la prestation du serment et des autres modifications apportées en ce qui concerne l'exécution de la loi de 1817, encore une fois évalué à 1,500,000 francs, vous avez 3,000,000, tandis que le principal ne produit que 5,300,000 fr. Vous arrivez donc à avoir, si vous adoptez la loi telle qu'elle vous a été présentée, un excédant, comparativement à la France, de 3 millions c'est-à-dire de 60 p. c. ; de sorte que le Belge payera pour droit de succession 1 fr. 60 c. alors que le Français ne payera que 1 fr. Et en France, on n'est pas assujetti à l'obligation du serment, à l'obligation des expertises, enfin à tout ce qu'il y a de fâcheux dans la mise à exécution d'une semblable législation.

Messieurs, je conclus.

Je crois avoir démontré longuement à la chambre la justesse des motifs pour lesquels je m'oppose à la loi.

Si je suis entré dans quelques répétitions des arguments présentés par des orateurs qui m'ont précédé ou de mes propres observations, c'est que, messieurs, l'importance du sujet le commandait pour présenter un ensemble d'observations. Ma conclusion est courte.

Je voterai contre l'impôt parce qu'il est exagéré quant aux besoins reconnus; parce qu'il est plus juste d'avoir recours à d'autres ressources; parce que des insuffisances temporaires ne peuvent en aucun cas donner lieu à une loi permanente aussi exorbitante.

Je voterai contre la loi, messieurs, parce que, dans mon opinion, elle est impolitique, antipathique à nos mœurs, et aussi parce qu'elle est contraire à l'intérêt agricole que tous les gouvernements sages protègent. Ainsi, l'assemblée nationale, sortie de l'élection directe, la protège. Les deux hommes les plus éminents de France, M. Thiers et M. Guizot, ont pris chaleureusement sa défense, et je crois qu'en présence de la situation sociale des divers pays, il est urgent de prendre attention aux considérations émises, consignées dans les écrits de ces grands hommes d'Etat.

Messieurs, nous nous rappelons avec plaisir ces paroles heureuses de notre honorable vice-président, M. Delfosse, lorsque au mois de février, il nous disait : « La liberté, pour faire le tour du monde, n'a pas besoin de passer par la Belgique. » Eh bien ! messieurs, puissions-nous dire d'un autre côté et encore pendant longtemps : « La Belgique a un système d'impôt le moins lourd, le moins vexatoire. Les griefs de 1815 et de 1830 ne sont pas ressuscités. » Alors, messieurs, nous aurons bien mérité du pays ; nous aurons rendu service au gouvernement lui-même ; nous aurons contribué par nos actes à la stabilité du pays autant qu'il est en notre pouvoir de le faire, et chacun pourra toujours dire : «. La Belgique est un pays exceptionnel et quant à la pratique réelle de ses libertés et quant à son système d'impôt. »

J'ai dit.

M. Cools. - Messieurs, je me proposais de voter pour le projet; non seulement je me proposais de voter pour le projet, mais j'avais même l'intention, l'appel de mon nom l'indique assez, de me joindre à ses défenseurs.

Je dois dire cependant qu'aujourd'hui j'hésite sur le parti que j'ai à prendre. Je déclare en toute franchise que, depuis deux jours, ma résolution se trouve ébranlée par la présentation successive et malencontreuse, d'après moi, inopportune du moins, de cette suite de projets qui nous invitent à décréter dépense sur dépense.

Messieurs, il doit donc être bien entendu que si, depuis quelques jours, ma résolution est ébranlée, cela ne provient nullement de mon opinion sur la loi elle-même. Je déclare que j'éprouve peu de répugnance à accepter cette loi ; je ne partage au moins pas les préventions qu'elle excite chez d'autres membres.

Sans doute tous les impôts sont mauvais, sans exception ; et bien certainement l'impôt sur les successions ne fait pas exception. Mais, à tout prendre, je crois qu'il présente moins d'inconvénients que beaucoup d'autres qu'on pourrait y substituer. Je suis donc enclin, même encore en ce moment, à l'accepter plutôt qu'à le rejeter, puisque de toute manière il faudra de nouveaux impôts.

Si, messieurs, j'hésite à me prononcer sur le vote que j'émettrai, c'est que je commence à me demander si les projets du gouvernement ne sont pas de telle nature que nous devons désespérer de voir l'ordre rétabli dans nos finances d'ici à bien des années ; si je n'éprouvais la crainte de m'engager sur une pente qui pourrait nous conduire, je ne dirai pas à la ruine, je n'aime pas l'hyperbole, mais au moins au désordre financier, et ce résultat serait inévitablement atteint si le gouvernement avait conçu un plan qui fût inexécutable à cause des dispositions évidentes de la chambre.

Depuis longtemps je me suis demandé quel pouvait être le plan du gouvernement. Je voyais le ministère proposer ou accepter réductions de recettes sur réductions de recettes, et ne faire aucun effort pour amener la discussion d'un projet devant nous procurer de nouvelles ressources. Vous vous rappellerez que j'en ai fait la remarque dans plus d'une circonstance.

Quelques jours avant le commencement de la discussion actuelle, la scène a plus ou moins changé; mais c'était en pis; ce n'étaient plus des réductions de recettes qu'on venait proposer; c'étaient des dépenses nouvelles venant se greffer sur les réductions des recettes.

Ainsi, en ce qui concerne les réductions, nous avons eu l'abolition du timbre des journaux et la réduction du timbre des effets de commerce, deux réformes qui ont produit, l'une portant l'autre, une diminution de recettes d'environ 200,000 fr.; nous avons, sur ce point, les aveux de M. le ministre des travaux publics.

Puis est venue la première réforme postale, amenant un nouveau déficit de 160,000 fr.

Hier, nous votions la réduction des péages du canal de Charleroy, qui, encore une fois, doit diminuer nos produits de 500,000 fr.

Quelques jours auparavant, c'était la seconde réforme postale, laquelle d'après toutes les probabilités (je prends les chiffres du gouvernement) nous menace d'une réduction de produits d'environ un million de francs.

En ce qui concerne les dépenses nouvelles, nous avons d'abord eu le projet d'achèvement du canal de Bruges, dépense de 80,000 fr.

Nous avons eu le projet relatif à l'organisation de l'école de Ruysselede, environ 200,000 fr. ; la dépense pour la garde civique, 3,000,000 à répartir sur six exercices, soit pour l'année prochaine 500,000 fr.; enfin le grand projet dont nous avons entendu la lecture à la fin de la séance d'hier, et qui nous menace encore une fois d'une dépense de 500,000 fr. pendant deux années consécutives.

Messieurs, nous ne pouvons pas dire encore si nous connaissons le plan du gouvernement dans son ensemble. Je ne sais pas si la liste de ses projets est épuisée. Mais ce qui ne peut plus faire de doute pour personne, c'est la manière dont on se propose de mettre ce plan quel qu'il soit à exécution. Il doit être évident pour tout le monde qu'on laisse l'abîme se creuser sous nos pas, pour nous mettre en quelque sorte dans l'obligation de le combler, et comme première pierre, on nous convie à y jeter l'impôt sur les successions.

Comme on ne nous fait pas connaître quels seront les autres sacrifices que nous devrons encore nous imposer, il en résulte que nous sommes poussés, les yeux fermés, dans un dédale dont on se réserve de nous indiquer l'issue plus tard.

Messieurs, je regarde cette manière d'agir comme une véritable contrainte morale qu'on veut nous imposer, et, pour ma part, je regrette beaucoup que le gouvernement se lance dans cette voie, parce que, si j'en juge des sentiments de mes collègues par ceux qui m'agitent moi-même, je crois pouvoir répondre que l'effet sera diamétralement opposé à celui que le gouvernement attend.

On exerce non seulement sur nous une sorte de contrainte morale à l'intérieur de cette enceinte, mais nous sommes encore menacés d'une pression au dehors. Rappelez-vous la lecture du projet d'hier; il contient des promesses pour tout le monde : Subsides à l'industrie, faveurs à l'agriculture, récompenses au commerce et même aux arts. Tout le monde aura sa part; tous les appétits sont excités. Il en résulte que réellement on veut nous enlever notre liberté d'action; que de toutes parts on nous priera de voter les ressources que l'on nous demande et celles que l'on nous demandera.

Messieurs, je ne me prononcerai pas aujourd'hui sur ces projets ; le moment n'en est pas venu ; d'ailleurs, je ne puis m'en occuper que dans leur relation avec la discussion qui s'agite en ce moment. Je dirai seulement, pour ne parler que de celui dont la mémoire est la plus fraîche, de celui qui nous a été présenté à la fin de la séance d'hier, que j'ai cru y voir percer par-ci, par là cette pensée, qu'on ne cesse de combattre dans cette enceinte depuis le commencement de cette session, que le gouvernement devrait intervenir dans une foule d'entreprises où il n'a que faire, que cet être moral qu’on appelle l'Etat aurait la mission de guérir tous les maux de l'humanité au moyen de l'argent.... qui pourrait se trouver dans ses coffres, et qui ne s'y trouve pas.

Quant aux autres projets, je ne m'en expliquerai pas aujourd'hui. Il y en qui peuvent être bons; la plupart peuvent même être excellents ; nous le vérifierons en temps opportun, et je me réserve à cet égard toute ma (page 1096) liberté d'appréciation. Cependant je leur reconnais dès à présent à tous un défaut capital, c'est qu'ils exigent de l'argent et beaucoup d'argent, et je me demande où nous le trouverons. Car enfin, en ce qui concerne les voies et moyens, nous ne connaissons jusqu'à présent qu'une seule proposition, celle du projet sur les successions.

Je ne ferai jamais à un ministère le reproche d'avoir conçu un ensemble de projets, quelque étendu qu'il soit ; la seule chose que je demande, c'est qu'on nous le présente en temps opportun d'une manière franche; que le gouvernement ne nous fasse pas des confidences successives et timides, en nous abandonnant son travail lambeau par lambeau, de manière à nous faire poser continuellement cette question : Quand en verrons-nous la fin ?

Comme je l’ai dit, messieurs, ces projets demandent beaucoup d'argent. Il en résulte ceci : c'est que le produit de la loi sur les successions, que je croyais destiné à combler un déficit passé, n'aura plus cette destination unique. Ce produit aura encore une autre destination, il servira à couvrir la dépense résultant des projets qu'on vous a présentés au dernier moment.

Je dois ici une justice à l'honorable M. Frère. Aucun ministre des finances, avant lui, n'a présenté la situation financière du pays d'une manière plus nette, plus franche et plus complète. Sous ce rapport, on ne saurait lui décerner trop d'éloges. Mais tout n'est pas là. Il ne suffit pas de sonder des plaies, il faut encore les guérir.

L’explication que M. le ministre déduira de l'état de situation qu'il vous a présenté est facile à prévoir. Je crois deviner sa réponse : Nous vous l'avons dit : il faut 7 à 8 millions pour combler le déficit existant et clôturer les budgets par un excédant raisonnable. L'impôt sur les successions ne suffira pas, nous vous le disons d'avance. Mais nous y ajouterons d'autres ressources que nous vous ferons connaître plus tard. C'est par ces différents moyens que nous comptons arriver à l'augmentation de produits que nous fixons à 7 ou 8 millions et quand nous aurons cet accroissement de ressources, nous n'aurons plus rien à demander pour les dépenses nouvelles, car alors les budgets présenteront un excédant, et c'est sur cet excédant (les projets présentés hier et avant-hier l'indiquent assez) que nous prélèverons les dépenses extraordinaires, pour lesquelles vous désirez connaître les voies et moyens.

Messieurs, je croyais que tout excédant sur les budgets devait servir, en premier lieu, à avoir une réserve pour les éventualités qu'on ne connaît jamais d'avance, qu'on ne peut pas prévoir, mais qui ne sont pas moins certaines ; en deuxième lieu, à diminuer la dette flottante. Nous ne pouvons oublier que nous avons devant nous 30 millions d'arriéré. Comment diminuer cet arriéré, si ce n'est en tenant en réserve l'excédant de nos budgets? Si donc nous destinons ces excédants à payer des dépenses nouvelles, nous les détournons de leur véritable destination.

Je vous l'avoue, messieurs, tout pour moi, jusqu'ici, est confusion, et je voudrais sortir de l'incertitude où je me trouve avant de me prononcer sur le projet en discussion.

Pour me résumer donc, je me réserve mon vote sur le projet de loi relatif au droit sur les successions.

J'ai l'intime conviction qu'il faut des impôts nouveaux, et que celui-là même ne suffira pas. Tout en me montrant favorable à cet impôt, j'aimerais cependant à savoir si nous ne travaillons pas à l'œuvre de Pénélope. Je voudrais savoir quelle est la nature des besoins que l'on prévoit, quelle est la nature des ressources qu'on se propose d'ajouter à celles que doit produire la loi sur les successions.

Les explications qui seront sans doute fournies dans le cours de la discussion détruiront la mauvaise impression que la marche suivie dans cette circonstance, par le gouvernement, a faite sur mon esprit, si ces explications me rassurent sur l'ensemble de son plan financier. Provisoirement je me réserve mon vote.

- La séance est levée à 4 heures et demie.