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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 janvier 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 469) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Les membres de la société de commerce et de l'industrie de Namur demandent des modifications à la loi sur la vente à l'encan des marchandises neuves. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La députation permanente du conseil provincial du Hainaut prie la chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir une décision sur le différend existant entre le gouvernement et la province, au sujet du traitement des secrétaires des commissions administratives des prisons. »

- Même renvoi.

Projet de loi modifiant le code pénal maritime

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant modification au Code pénal maritime.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La discussion en est mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1851

Discussion générale

M. le ministre de la guerre (M. Brialmont). - L'honorable M. Thiéfry a lu, dans la séance d'avanl-hier, un long travail dans le but de prouver que notre organisation militaire, notre loi d'avancement et notre tarif des soldes doivent être modifiés.

La dernière partie de ce travail repose sur des données statistiques puisées probablement à des sources qui n'ont aucun caractère officiel et qui, par cela même, conduisent à de nombreuses erreurs. Je n'aurai point de peine à l'établir ; mais auparavant je dois relever quelques-unes des attaques qui ont été dirigées contre l'organisation existante.

L'honorable M. Thiéfry commence par déclarer que nous n'avons que des soldats sans instruction qui ne sauraient résister aux troupes aguerries de nos voisins.

Je dois protester de toute la force de mes convictions contre ce jugement que rien ne justifie. Si l'honorable M. Thiéfry, qui est venu l'été dernier au camp de Beverloo, m'avait fait l'honneur de me rendre une visite, si, au lieu de rester seulement une couple d'heures dans ce remarquable établissement militaire, il avait bien voulu m'accompagner, je lui aurais fait voir que nos troupes ne le cèdent à aucunes autres sous le rapport de l'instruction et de l'habileté dans les manœuvres. C'est d'ailleurs un fait dont les militaires étrangers eux-mêmes ont dû convenir. Je pourrais le démontrer par de nombreuses citations.

Telle est la supériorité de nos institutions militaires et de nos méthodes d'instruction, qu'en 50 jours nous pouvons former des hommes capables de manœuvrer en ligne. C'est encore un fait dont M. Thiéfry aurait pu se convaincre au camp de Beverloo.

Je dois donc protester contre des paroles dont le moindre inconvénient est de déprécier notre force militaire au-dehors et au-dedans du pays.

L'honorable M. Thiéfry semble croire avec quelques membres de cette chambre, que la loi d'organisation ne saurait être exécutée à moins de 30 millions, c'est une erreur. La loi d'organisation est restée intacte, par l'excellente raison qu'elle ne pouvait être modifiée sans le consentement de la chambre.

Le budget de 1851 comprend tous les emplois fixés par la loi : si quelques-uns ne sont pas remplis en ce moment, je n'ai pas renoncé et ne puis renoncer au droit de les faire occuper quand le besoin s'en fera sentir. Il résulterait de ce chef une augmentation d'environ 150 mille fr.

Notre organisation est surtout attaquée à cause de l'effectif réduit de l'infanterie ; mais je vous ferai observer, messieurs, que cet effectif est, en moyenne, de 1,100 hommes seulement en dessous de ce qu'il était en 1845, immédiatement après le vote de la loi organique. Cette différence n'est pas tellement sensible, qu'elle puisse altérer complètement un état de choses reconnu excellent en 1845. Au surplus, à l'aide de certaines mesures que nous avons prises, la plus grande partie de l'armée peut être appelée sous les drapeaux en 3 ou 4 jours.

M. Thiéfry, dans ses évaluations, n'a eu égard qu'à l'effectif d'hiver, et cet effectif peut être réduit sans inconvénient, puisque les manœuvres et les exercices d'hiver ont peu d'importance. Notre effectif d'été n'est pas trop faible et permet, quoi qu'on en dise, de donner à nos soldats une instruction remarquable. Pour ma part, je ne vois pas le moindre inconvénient à ce que le nombre des soldats présents sous les armes dans la mauvaise saison, soit réduit autant que le service de garnison permet de le faire. C'est à quoi l'on est arrivé en ce moment. Il est donc inexact de dire que « l'infanterie est en Belgique complètement annihilée ». M. Thiefry se fait aussi illusion, lorsqu'il vient dire :

« Une enquête, vous ne la ferez pas, vous n'oseriez pas l’entreprendre, parce que votre système s'écroulerait à l'instant. »

Non, ce système ne s'écroulera pas, car il existe et fonctionne depuis 20 ans.

La prédiction de M. Thiéfry ne suffit pas pour le faire tomber. Gardons-nous, messieurs, des exagérations dans l'un et l'autre sens. Ceux qui prétendent que nous n'avons qu'un semblant de force ne sont pas plus dans le vrai que ceux qui soutiennent que notre état militaire est comparativement le plus fort, le plus satisfaisant.

M. Thiéfry est particulièrement dans l'erreur, comme patriote et comme militaire, lorsqu'il vient dire :

« Persévérer dans la voie où nous sommes, c'est placer le pays dans l'impossibilité de résister à la première puissance qui viendra l'occuper, c'est nous mettre à la merci de la France. »

Je dois, en qualité de ministre de la guerre, de soldat et de citoyen, protester énergiquement contre ces paroles.

Nous ne sommes à la merci de personne : notre imprudence seule pourrait amener cette fâcheuse situation.

Je passe maintenant, messieurs, à la critique que M. Thiéfry a faite de notre tarif de solde ;

Dans la séance du 28 décembre 1847, le ministre de la guerre disait à la chambre des représentants :

« L’armée belge est organisée d’après la base la plus économique et la plus libérale ; en effet, le simple soldat belge est le mieux pays de l’Europe, à l’exception du soldat de l’armée anglaise, qu’on ne peut jamais faire entrer en ligne de compte, parce qu’en général, dans ce pays, les traitements sont tellement élevés, qu’ils ne supportent aucune comparaison.

« Mais si le soldat est mieux payé, mieux nourri, mieux vêtu, l'officier, au contraire, y est plus faiblement rétribué qu'il ne l'était autrefois (…) »

L'exactitude de ces assertions est pleinement démontrée par le travail que M. Thiéfry a communiqué à la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre, travail où se trouvent comparées les soldes des officiers et soldats dans 14 armées différentes.

Les pays auxquels appartiennent les armées que M. Thiéfry a prises pour termes de comparaison, sont : la Belgique, la France, l'Autriche, la Prusse, la Hollande, la Bavière, la Saxe, le Wurtemberg, le Hanovre, l'Etat de Bade, la Hesse Electorale, le Danemark, l'Etat de Nassau et la Sardaigne.

M. Thiéfry a omis l'armée anglaise, l'armée russe, l'armée espagnole, l'armée portugaise, l'armée napolitaine, etc., etc. Cette omission est d'autant plus regrettable que plusieurs de ces armées donnent lieu à des observations toutes différentes de celles qui ont été faites par l'honorable député de Bruxelles.

Je démontrerai tout à l'heure que M. Thiéfry a été induit en erreur par les documents qu'il a consultés et qu'il a groupé des chiffres inexacts ; mais sans tenir compte des rectifications que le travail de cet honorable membre comporte, rectifications qui sont de nature à modifier sensiblement les résultats obtenus par lui, il résulte des tableaux communiqués à la section centrale qu'en Belgique :

Le lieutenant-général est moins payé qu'en France et en Hollande ;

Que le général-major est moins payé qu'en Prusse, en France et en Hollande ;

Que les colonels de toutes armes sont moins payés qu'en France, en, Prusse, en Hollande et en Saxe ;

Qu'enfin, les lieutenants-colonels de toutes les armes n'occupent que le 4ème et le 5ème rang ;

Les majors, le 6ème et le 7ème rang ;

Les capitaines, les 3ème, 4ème et 6ème rangs ;

Les lieutenants, les 2ème et 3ème rangs ;

Les sous-lieutenants, les 1er et 2ème rangs ;

Enfin, les sous-officiers et soldats occupent le premier rang relativement à toutes les armées prises pour terme de comparaison.

Ces résultats sont la confirmation de la déclaration ministérielle que j'ai citée plus haut ; il est en effet évident :

1° Que les officiers sont moins bien payés en Belgique que dans les pays où l'on prend d'habitude des points de comparaison ;

2° Que les officiers supérieurs sont les moins bien rétribués ;

3° Que les sous-officiers et soldats sont le mieux traités. Ces résultats découlent des chiffres donnés par M. Thiéfry, mais ils seraient encore bien plus concluants, si cet honorable membre avait puisé ses renseignements à des sources officielles ; les auteurs qu'il a pris pour guides ne sont rien moins que des autorités ; leurs ouvrages pullulent d'erreurs. C'est ce que des officiers belges ont pu constater sur les lieux mêmes. Je pourrais à cet égard donner de curieux renseignements à la chambre. Il me suffira de faire ressortir un seul fait qui donnera la mesure des autres. Un officier français a publié récemment une notice sur l'armée belge ; l'auteur, ancien élève du lycée de Bruxelles et condisciple d'hommes distingués qui occupent les premiers rangs dans l'armée, dit avoir recueilli ses renseignements en Belgique même, où tout ce qui concerne l'armée est livré à la publicité. Eh bien, pour peu qu'on parcoure ce travail, il n'est pas difficile de reconnaître qu'il (page 470) faut accepter avec une extrême réserve les documents de cette espèce. Dès lors, quelle foi peut-on ajouter à ce que cet auteur ou des auteurs moins bien informés encore nous disent au sujet des armées étrangères qui cachent avec le plus grand soin les détails de leur organisation ?

Messieurs, la difficulté d'obtenir des renseignements exacts sur les armées étrangères est telle que le département de la guerre, malgré toutes les facilités qu'il possède, malgré le concours de nos agents diplomatiques, n'est pas encore parvenu à avoir des notices complètement satisfaisantes sur ces armées. Comment dès lors M. Thiéfry pourrait-il avoir fait, en quelques semaines, ce qu'il nous a été impossible de faire en plusieurs années ?

Voici maintenant les observations dont M. Thiéfry n'a pas tenu compte.

La comparaison faite entre les traitements des généraux n'a aucune valeur ; car en Belgique, le grade de lieutenant-général est le plus élevé de la hiérarchie militaire, tandis qu'il n'est que le troisième en Prusse, en Autriche, en Saxe, en Hanovre et en Bavière, et le deuxième dans tous les autres Etats pris pour termes de comparaison.

D'un autre côté, les chiffres donnés par M. Thiéfry ne sont pas exacts. En effet, en Belgique, un lieutenant-général, quel que soit son emploi, n'a que son traitement (sauf l'unique commandant du camp de Beverloo qui reçoit 2,000 fr. de frais de représentation pendant la période des manœuvres, et les inspecteurs généraux qui ont 300 fr. par régiment inspecté et ils n'inspectent pas tous les ans). En France, il n'y a que quelques positions exceptionnelles dans lesquelles les lieutenants-généraux n'ont pas de supplément de traitement : ainsi tous les commandants des divisions, les présidents et membres des comités, les inspecteurs généraux, c'est-à-dire tous les généraux employés (et en Belgique il n'y en a pas d'autres) jouissent d'un supplément qui varie de 5,000 à 9,000 fr. En outre, tous les commandants de division sont logés comme les gouverneurs civils en Belgique, tandis quechez nous, ils doivent se pourvoir de logements à leurs frais. Le gouverneur de la résidence royale est le seul qui soit logé aux frais de l'Etat. Enfin, tous les officiers reçoivent, en France, une indemnité chaque fois que les troupes sont en marche ; M. Thiéfry n'a pas tenu compte de cet accroissement de solde.

En Prusse, en Bavière, en Sardaigne, les lieutenants-généraux commandant les divisions ont également un supplément de solde, qui élève leur traitement bien au-delà de 16,900 fr. Cependant, M. Thiéfry les a classés après les lieutenants-généraux belges. Ces derniers ne devraient donc occuper que le sixième rang au lieu du troisième, en supposant que dans les autres pays, pour lesquels des renseignements complets nous manquent, les généraux ne jouissent pas également de certaines immunités dont M. Thiéfry n'a pas fait mention.

Ainsi, par exemple, en Autriche, les lieutenants-généraux jouissent d'un logement évalué à 2,418 fr., et, en outre, du produit des herbages et de la pêche des fossés des places fortes, tandis qu'en Belgique ces produits rentrent dans les caisses du trésor.

En Autriche, les lieutenants généraux ont 21 rations de fourrages, et comme ils ne tiennent pas habituellement un pareil nombre de chevaux, il est évident que c'est une nouvelle indemnité.

Il y aurait des observations analogues à faire concernant les généraux-majors : ainsi, par exemple, en Autriche, pays que M. Thiéfry a classé après la Belgique, le général-major jouit d'un logement évalué à 2,088 fr., ce qui porte son traitement à un taux plus élevé qu'en Belgique.

Il est une autre remarque à faire et qui a une assez grande importance en ce qui concerne les officiers généraux. Les ordres de chevalerie dans tous les Etats d'Allemagne sont richement dotés, les divers grades jouissent d'indemnités qui varient de 1,000 à 4,000 francs. Un grand nombre de généraux cumulent les pensions affectées à différentes décorations.

En ce qui concerne les officiers de troupe, les données de M. Thiéfry ne sont pas plus exactes.

Je prends pour exemple l'armée autrichienne qui semblerait être celle où les officiers et les soldats sont le moins bien rétribués.

Tous les officiers indistinctement reçoivent le logement. M. Thiéfry le dit, mais il n'en tient pas compte dans l'évaluation de la solde, et pourtant personne n'ignore qu'en Belgique cette dépense absorbe environ un cinquième du traitement ; en second lieu chaque officier a droit à un domestique complètement entretenu aux frais de l'Etat et exempt de tout service. 3° Chaque officier, à partir du grade de capitaine en second, reçoit annuellement du domaine de l'Etat le bois nécessaire à son chauffage.

4° Dans les localités où le prix des denrées est élevé, on accorde un supplément de traitement aux officiers et soldats.

Si l'on traduisait en chiffres ces divers avantages, on verrait que c'est bien à tort que M. Thiéfry a représenté l'armée autrichienne comme étant la moins bien soldée des 14 armées dont il s'est occupé.

Et puis, il est une observation dont l'importance doit être prise en sérieuse considération : la valeur relative de l'argent et le prix des denrées alimentaires en Belgique, ne sont pas dans les mêmes proportions que dans la plupart des pays cités et surtout qu'en Autriche ; M. Thiéfry s'est, du reste, chargé du soin d'en fournir la preuve a la page 28 de son travail : il y est dit qu'en Autriche, on retient sur la solde du soldat 12 6/10 centimes par jour, qui sont versés dans la caisse du ménage, et que, moyennant cette somme, on fournit à chaque soldat, entre autres articles de consommation, une demi-livre de viande ; or, en Belgique la demi-livre de viande coûte au moins 19 à 20 centimes. Si les prix des autres objets de consommation sont dans en même rapport il est évident que la comparaison faite par M. Thiéfry n'a aucune valeur.

Du reste, nous trouvons en Autriche la preuve incontestable que l'on tombe dans les erreurs les plus grossières, lorsqu'on établit des comparaisons entre les tarifs de solde des différentes armées, sans tenir compte de la valeur relative de l'argent, du degré de civilisation et des mœurs du pays. En Autriche, les emplois d'officiers dans la cavalerie sont en quelque sorte le patrimoine des fils de familles aristocratiques, et pour en rendre l'accès inabordable aux militaires sans fortune, on a fixé la solde de cette arme en dessous des soldes des officiers d'infanterie et de plus, on oblige les officiers à entretenir un nombre considérable de chevaux :

Un colonel doit avoir 12 chevaux, un lieutenant-colonel, 8, un major 6, un capitaine 5, les lieutenants, et sous-lieutenants 3.

Ce sont les soldes d'officiers de cavalerie, ainsi réduites, que M. Thiéfry a mises en regard des soldes des officiers de cavalerie belges ; ces dernières étant fixées de manière à ce que les emplois dans la cavalerie soient accessibles à tous les militaires, sans exception de rang ni de naissance.

Il ne serait pas difficile de faire des rectifications aussi concluantes que celles qui précèdent, au sujet des autres armées citées par M. Thiéfry. Par exemple, dans l'armée sarde, chaque officier reçoit, par jour, 4 livres de pain ; en marche les officiers inférieurs ont 5 francs par jour et les officiers supérieurs ont 5 francs ; les congés sont à solde entière, jusqu'à concurrence de 40 jours, pour les lieutenants et les sous-lieutenants de 60 jours, pour les officiers supérieurs, et de 100 jours pour les généraux, etc.

En Prusse, les officiers jouissent des mêmes avantages qu'en Autriche ; ils ont le chauffage, une indemnité de table, remise des droits d'octroi dans certaines villes ; les officiers montés reçoivent un cheval tous les cinq ans, etc., etc. Il en est de même dans presque tous les Etats Allemands.

En ce qui concerne la solde des sous-officiers et soldats, il est un point capital qu'il ne faut pas perdre de vue : en Belgique, la valeur de l'habillement est portée en compte aux militaires, tandis que chez presque toutes les autres puissances cette charge incombe à l'Etat. Il est vrai qu'une allocation est faite de ce chef en Belgique, mais il est notoire qu'elle est insuffisante et qu'il y est suppléé par des retenues qui s'opèrent sur la solde proprement dite ; ces retenues s'élèvent, en moyenne, à 20 centimes par jour pour les sous-officiers, et à 7 centimes pour les soldats ; il serait par conséquent juste de déduire ces sommes de la solde journalière, pour que la comparaison avec les soldes des armées étrangères eût quelque valeur.

Une autre observation, dont M. Thiéfry n'a fait aucune mention, c'est qu'en Belgique non seulement les officiers ne jouissent d'aucune indemnité, d'aucun avantage en dehors de leur traitement, mais que ces traitements sont encore frappés de retenues qui ne sont pas faites dans la plupart des autres armées ; indépendamment de la retenue pour les médicaments, dont je ne tiens pas compte parce qu'elle est considérée comme le prix d'objets fournis, il y a une retenue de 2 p. c. sur les traitements des officiels généraux, de 1 1/2 p. c. sur les traitements des officiers supérieurs et de 1 p. c. sur les traitements des officiers subalternes en faveur de la caisse des veuves pour les officiers mariés ou célibataires ; les officiers mariés subissent une retenue plus forte ; en outre, les officiers des corps payent une demi-journée et quelquefois une journée de solde par mois pour la musique ; il y a donc une diminution réelle sur les appointements de 3 1/5 p. c, et quelquefois de 5 p. c.

Je signalerai encore d'autres erreurs.

Dans le tableau comparatif, on fait figurer la Belgique en première ligne, comme étant le pays où la solde du soldat est la plus élevée, tandis qu'en Hollande, cette solde est évidemment supérieure. Ainsi, un fusilier d'infanterie reçoil 25 cents par jour, ou 52 91/100 de centime, au lieu de 52 portés au susdit tableau.

Cet exemple, qui s'applique généralement à tous les grades, indique assez que la Hollande devrait être placée avant la Belgique.

A l'égard de la solde du régiment d'Elite, on doit faire remarquer qu'en Hollande le régiment de Grenadiers tient constamment garnison à la Haye et que les sous-officiers et soldats reçoivent de ce chef un supplément de solde de 10 1/2 centimes par jour, supplément dont on n'a pas tenu compte dans l'état comparatif.

Ceci peut servir de réponse à M. Dolez qui veut faire réviser le tarif des soldes d'officiers.

M. Thiéfry fixe l'effectif de l'armée qui doit tenir la campagne à 34 ou 35 mille hommes. Ce chiffre est évidemment au-dessous des besoins réels de notre défense ; je n'aurais point de peine à l'établir, mais ce n'est pas le moment d'entretenir la chambre de cet objet ; au surplus, lors de la discussion de la loi de 1845, la question du chiffre de l'armée en campagne a été examinée et jugée dans un sens tout différent de celui de l'honorable de M. Thiéfry.

On pense qu'en donnant un cheval de l'Etat aux officiers subalternes, l'Etat réaliserait une économie très importante. C'est une erreur.

La mesure en question serait sans doute accueillie avec faveur par nos officiels de cavalerie, mais il est incontestable qu'elle occasionnerait un surcroît de dépense. Nous avons fait des calculs à cet égard, et ces calculs sont sans réplique ; au surplus, ce n'est pas la première fois que (page 471) cette idée a été émise et combattue à la chambre. Je ne croyaîs pas qu'elle se serait reproduite cette année.

Pour terminer cette réfutation sommaire du long travail publié par M. Thiéfry, il me reste une observation essentielle à faire.

L'honorable représentant de Bruxelles a lu, dans la séance d'avant-hier, deux tableaux ; il résulte du premier, que la Belgique paye comparativement plus pour la défense de son territoire que tous les autres pays (la Sardaigne et la France exceptées) ; et du second, que pour un même effectif notre armée coûte plus que celle de dix Etats qu'il a cités.

Ces conclusions, messieurs, ne sont rien moins que fondées. Pour s'en convaincre, il suffit de faire observer que M. Thiéfry n'a pas fait entrer en ligne de compte, dans le calcul des sommes affectées à la défense des divers pays, le budget de la marine militaire. En corrigeant cette erreur, qui de la part de M. Thiéfry ne peut être involontaire, on arrive à conclure que, proportion gardée avec les revenus de l'Etat (cette base est bien plus exacte que le chiffre de la population pris par M. Thiéfry), la Belgique paye moins pour l'entretien de son état militaire, que la plupart des autres Etats européens.

Dans le second tableau, par lequel M. Thiéfry essaye de prouver que pour un même effectif notre armée est la plus coûteuse, cet honorable représentant tombe dans une erreur plus grande encore.

Il établit ses calculs en prenant les effectifs du pied de guerre et les budgets du pied de paix.

Il aurait fallu, pour faire un travail sérieux, acceptable par la chambre, prendre les effectifs du pied de paix et non ceux du pied de guerre.

Le mode de comparaison adopté par M. Thiéfry ne serait exact que si dans tous les pays le rapport de l'effectif du pied de guerre à l'effectif du pied de paix était le même ; ce qui évidemment n'existe pas.

En corrigeant les calculs de l'honorable membre d'après ces données, on arrive à une conclusion toute différente de la sienne, à savoir que l'armée belge, si l’on tient compte de la valeur de l'argent, est l'une des plus économiquement administrées.

Rien ne pourra détruire ce fait qui est acquis à notre organisation militaire depuis bien des années.

Je m'arrête, messieurs ; pour réfuter tous les points du discours de l'honorable représentant de Bruxelles, il faudrait un volume.

Je crois d'ailleurs en avoir dit assez pour vous faire comprendre que les chiffres produits dans la séance d'avant-hier ne sont pas de nature à changer le caractère du débat, ni à faire sentir la nécessité d'une réorganisation de l'armée. Au surplus, je constate que M. Thiéfry n'a formulé aucune proposition, comme s'il reculait devant la responsabilité de ses propres calculs, ou des mesures qui en découlent naturellement.

L'honorable député de Bruxelles a rappelé qu'en 1848, le ministre de la guerre remit à la section centrale un état de 48 officiers étrangers qui n'avaient pas réclamé ou obtenu la naturalisation, et dont quelques-uns persistaient, malgré les avertissemenls, à ne pas vouloir se faire naturaliser.

« Je crois même, a dit l'honorable M. Thiéfry, qu'il en est parmi eux qui, depuis lors, ont reçu de l'avancement. »

En effet, messieurs, il est encore un petit nombre d'officiers étrangers qui n'ont pas demandé ou obtenu la naturalisation. Mais ces officiers se trouvent dans une position spéciale ; ils ont été exemptés de la naturalisation par une loi. Le décret du congrès national du 11 avril 1831 porte :

« L'article 124 de la Constitution est applicable aux étrangers auxquels le gouvernement provisoire a conféré des grades dans l'armée ; ils sont maintenus et admissibles à des grades supérieurs de la même manière que les Belges. »

Il me paraît difficile de contraindre les officiers de cette catégorie à demander la naturalisation. On ne peut pas non plus leur refuser l'avancement auquel leur donnent des droits leur ancienneté ou le zèle et les capacités qu'ils déploient dans l'exercice de leurs fonctions.

M. Thiéfry a critiqué encore la loi sur l'avancement : Je ne répondrai pas, messieurs, à cette partie de son discours ; ce n'est pas le moment de nous en occuper.

Je termine en engageant les membres de cette assemblée qui croient avoir remarque des abus dans certaines parties de notre administration militaire, de vouloir bien formuler leurs projets.

Si c'est la solde du soldat qu'on trouve trop élevée qu'on fasse une proposition pour la réduire.

Si l'on veut donner un cheval de troupe aux officiers de cavalerie ; si l'on veut réduire la part d'avancement donnée au choix, qu'on en fasse également la proposition.

Ce qu'il faut éviter, ce sont des récriminations stériles, des attaques sans résultat.

Que chacun prenne la responsabilité de ses idées : c'est le plus sûr moyen de faire sortir ces débats du vague où ils se traînent depuis tant d'années.

M. le président. - La parole est à M. Jacques. (Interruption dans les tribunes.)

M. Moxhon. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Souvent on fait entendre, dans les tribunes des sténographes des (page 472) journalistes, des paroles inconvenantes. C'est ce qui vient encore d'arriver.

Je crois que ce bruit ne peut être toléré.

M. le président. - Je dois avertir les tribunes, quelles qu'elles soient, que le moindre signe d'approbation ou d'improbalion sera réprimé.

M. Jacques. - Parmi les observations que je compte soumettre à la chambre, il en est quelques-unes qui ne s'appliquent pas au budget de la guerre, mais qui s'y rattachent d'une manière indirecte, en ce qu'elles ont pour objet la situation financière, situation qui, vous le savez, exerce une grande influence sur la manière dont le budget de la guerre est apprécié.

J'espère donc que la chambre voudra bien me permettre de joindre, à ce que j'aurai à dire sur le budget de la guerre, quelques réflexions qui lui sont plus ou moins étrangères.

D'ailleurs, si ma mémoire est fidèle, je crois qu'il a été convenu, à l'ouverture de la session actuelle, que, pour éviter une discussion spéciale sur la politique intérieure, chacun de nous serait libre, dans la discussion de l'un ou l'autre budget, de s'exprimer librement, sans être tenu de se renfermer dans les matières que ce budget comporte.

Je ne serai d'ailleurs pas long.

Lorsque, à la fin de 1830, le Congrès national délibérait dans cette enceinte les bases d'organisation de la Belgique, nous étions loin de supposer que, vingt ans plus lard, le pays serait gouverné par des ministres qui viendraient soutenir qu'un budget de 116 millions ne suffît pas à la marche de l'administration.

Lorsqu'en 1848 la Belgique a su se préserver de la contagion révolutionnaire, en faisant un nouvel appel aux principes d'économie et de liberté, le pays ne devait pas prévoir, qu'après avoir tant parlé de réductions de dépenses le même cabinet viendrait, peu de temps après, réclamer des augmentations d'impôt.

Lorsque je vois combien on est déjà loin du système d'économie et de liberté qui avait été inauguré en 1830, quand je vois avec quelle rapidité les hommes qui s'installent successivement dans les ministères perdent la vue et l'intelligence de ce qui se passe au dehors de leurs hôtels, dans les classes moyennes et populaires, lorsque je vois enfin les chambres et les ministères se renouveler toujours, sous de brillants programmes et ne réaliser jamais qu'une très minime partie des espérances que leur avènement avait fait naître, je ne puis me défendre d'une certaine inquiétude sur l'avenir de nos institutions, et j'ai peur que la Belgique ne se fatigue un jour de l'espèce de comédie qui se joue trop souvent dans les ministères et dans les chambres. (Interruption.)

M. le président. - De telles expressions ne peuvent être tolérées. On ne joue pas la comédie dans les chambres.

M. Jacques. - Je consens à retirer ces paroles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'aurait pas joué la comédie à la cour des comptes.

M. Jacques. - La Belgique pourra, je l'espère, supporter les impôts actuels, tant que l'on ne cherchera pas à les augmenter. Mais en présence des éléments d'agitation qui planent non loin de nous dans l'atmosphère politique, il serait très imprudent de venir chercher à grever les contribuables de nouvelles charges, aussi longtemps qu'une nécessité impérieuse et incontestable ne nous y oblige pas.

Messieurs, je disais tout à l'heure que nous sommes loin du système de liberté et d'économie inauguré en 1830. Pour qu'on ne donne pas à ces paroles une portée qu'elles n'ont pas dans mon intention, je crois nécessaire de joindre quelques développements afin de mieux préciser le sens que j'y attache.

Lorsque je dis que nous sommes loin du système de liberté inauguré en 1830, ce n'est pas que je prétende que le gouvernement ni la chambre aient altéré en rien les garanties de liberté individuelle inscrites dans la Constitution. Je reconnais avec satisfaction que ces garanties sont restées intactes, que tous les cabinets, mixtes, libéraux ou catholiques, les ont constamment respectées. Mais je trouve que, depuis 1830, on a placé successivement sous l'action, sous la pression gouvernementale, un certain nombre d'objets qui, d'après les idées que nous avions en 1830, devaient rester entièrement abandonnés à l'initiative, à l'énergie des individus, des associations libres et des communes.

De même lorsque je dis que nous nous éloignons du système d'économie que nous avions en vue en 1830, ce n'est pas que je prétende que la situation financière du pays soit mauvaise ou dangereuse ; au contraire, je suis dans la conviction pleine et entière que nous pouvons très bien continuer à marcher avec les ressources existantes et sans augmenter la dette d'un centime. Mais nous pensions, en 1830, qu'avec un budget de 40 millions de florins, ce qui fait moins de 85 millions de francs, on pourrait subvenir à tous les besoins de l'Etat, tandis que maintenant le cabinet prétend ne pas pouvoir marcher avec 116 millions.

Ainsi, il y a une différence de plus de 31 millions entre les prévisions de 1830 et les exigences de 1851 ; et cette différence serait même plus grande, si l'on tenait compte de ce que l'on avait perdu la moitié des provinces de Limbourg et de Luxembourg. A la vérité, cette différence peut s'expliquer en très grande partie par les canaux et par les chemins de fer qui sont entrés, depuis 1830, dans le domaine de l'Etat ; mais, en déduisant de ce chef, 18 ou 19 millions, il n'en reste pas moins une augmentation de 12 à 13 millions dont la nécessité serait bien difficile à faire comprendre, non pas à ceux qui les reçoivent, mais à ceux qui les payent.

Quant à moi, je ne puis pas admettre qu'un budget de 116 millions soit insuffisant pour couvrir tous les vrais besoins de l'Etat ; je pense, au contraire, qu'un pareil budget met déjà trop de fonds à la disposition des minisires et qu'il n'y a pas un seul département ministériel où l'on ne pût faire de notables diminutions de dépenses sans la moindre perte pour la prospérité du pavs.

Ce n'est pas iei le moment d'entrer dans de longs détails sur ce point puisqu'il ne reste que le budget de la guerre à voter. Je me contenterai donc d'ajouter quelques observations générales.

Les diverses branches de l'activité humaine font des progrès incessants.

L'agriculture et l'industrie produisent mieux, en plus grande quantité et à moins de frais. Le commerce échange avec plus de rapidité et d'économie les produits de toutes les parties du monde. Les applications de la vapeur et de l'électricité ont rendu simples et faciles des résultats qui chez nos aïeux dépassaient les notions du possible. L'instruction se vulgarise, les mœurs deviennent plus douces, les lois moins rudes, les gouvernements plus humains. La civilisation poursuit sa marche à travers les siècles et les nations, et l'humanité, se dégageant peu à peu de son ignorance et de ses erreurs, s'élève insensiblement à des horizons plus purs et à de meilleures destinées.

Je suis donc loin de me laisser effrayer par les prédictions sinistres de quelques esprits moroses, qui annoncent la prochaine dissolution de la société ; je bénis, au contraire, la Providence de ce qu'elle permet à l'activité humaine d'arriver sans cesse à de nouveaux progrès. Mais je me demande comment il se fait qu'au milieu de ce progrès universel, au sein d'une civilisation qui présente tant de résultats consolants, nous ayons plusieurs institutions gouvernementales qui restent stationnaires ou même rétrogrades, qui conservent ou augmentent toutes leurs dépenses sans sortir des vieilles ornières, sans faire mieux qu'autrefois, sans rendre à la société des services plus importants.

Parmi ces institutions qui réclament des améliorations et des réformes, je dois comprendre les administrations publiques et l'armée. Les administrations publiques n'ont pas pu s'affranchir des écritures stériles, des emplois superflus, d'une centralisation poussée beaucoup trop loin, en un mot, de toutes les superfétations d'une bureaucratie absurde ; on continue à faire arriver jusque dans les ministères une foule de petits détails qui ne devraient pas sortir de la sphère d'action des fonctionnaires locaux, ou qui du moins ne devraient pas franchir les fonctionnaires d'arrondissement.

Pour qu'on ne puisse pas m'accuser d'exagération, je me permettrai de citer un exemple, un seul exemple, parmi les mille que je pourrais signaler. Je prends un fait qui se produit assez souvent dans la contrée que j'habite ; c'est celui d'une commune qui a besoin de faire abattre quelques arbres pour subvenir à une réparation quelconque.

Savez-vous, messieurs, quelle série de formalités on exige alors, d'après les instructions en vigueur ? Ces formalités sont au nombre de vingt-deux, sans compter les incidents qui peuvent survenir, et qui, dans la pratique, se présentent souvent. Ces formalités, les voici :

1° Délibération du conseil communal ;

2° Rapport des bourgmestre et échevins au commissaire d'arrondissement ;

3° Rapport du commissaire d'arrondissement au gouverneur ;

4° Lettre du gouverneur au directeur d'enregistrement pour consulter l'administration forestière ;

5° Lettre du directeur d'enregistrement à l'inspecteur forestier ;

6° Lettre de l'inspecteur forestier au garde général ;

7° Procès-verbal de reconnaissance du garde général ;

8° Avis de l'inspecteur forestier ;

9° Avis du directeur d'enregistrement ;

10° Avis du ministère des finances, qui renvoie le dossier au directeur ;

11° Lettre du directeur d'enregistrement au gouverneur ;

12° Avis de la députalion permanente du conseil provincial ;

13° Rapport du ministre de l'intérieur au Roi ;

14° Arrêté royal qui autorise l'abattage des arbres ;

15° Envoi de l'arrêté royal par le ministre de l'intérieur à la députation provinciale ;

16° Envoi de l'arrêté royal par le ministre de l'intérieur à celui des finances ;

17° Envoi de l'arrêté royal par la députation au commissaire d'arrondissement ;

18° Envoi de l'arrêté royal par le ministre des finances au directeur de l'enregistrement ;

19° Envoi de l'arrêté royal par le commissaire d'arrondissement à la commune ;

20° Envoi de l'arrêté royal par le directeur d'enregistrement à l'inspecteur forestier ;

21° Envoi de l'arrêté royal par l'inspecteur forestier au garde général ;

22° Permis d'exploiter, délivré par le garde général à la commune.

Après ces formalités, viennent celles qui sont prescrites pour l'emploi ou pour la vente des arbres, formalités encore très nombreuses, mais dont je m'abstiens de donner la liste, pour ne pas abuser des moments de la chambre.

(page 473) N’est-il pas évident que, dans une affaire de ce genre, l’intervention du directeur de l’enregistrement, du ministre des finances, du gouverneur, de la députation permanente du conseil provincial, du ministre de l’intérieur et du Roi n’est qu’une intervention aveugle, qu’une série d’écritures stériles et de formalités surbondantes ? L’on aurait de meilleures garanties d’une bonne administration, si l’on s’en tenait à la résolution pour du conseil communal, à la reconnaissance du garde général et à la décision du commissaire d’arrondissement. L’on ne ferait ainsi intervenir pour régler l’affaire que ceux qui sont le mieux en situation dans la connaître, et l’on obtiendrait dès lors une responsabilité plus sérieuse pur la décision à prendre ; l’on réduirait par là les 22 formalités à 3, et ce serait une notable économie d’écritures et d’employés.

La plupart des objets qui occupent les administrations publiques, présentent la même superfétation d'écritures et de formalités sans portée. Dans presque tous les départements ministériels, il se fait, chaque année, à l'administration centrale et en province, un grand nombre de milliers de documents qui n'ont d'autre valeur que de suivre aveuglément la routine bureaucratique, ou de satisfaire à des formalités complètement inutiles.

Aussi, tous les hommes intelligents qui sont au courant des rouages administratifs, reconnaissent que partout il y a des réformes à opérer, des simplifications à introduire, des économies à réaliser.

J'arrive enfin à ce que j'ai à dire concernant l'armée.

Depuis longtemps deux problèmes d'une très grande importance ont été posés, sans que le gouvernement les ait abordés jusqu'ici d'une manière franche.

Le premier problème, c'est de supprimer l'odieuse loterie des tirages de milice, c'est d'y substituer un mode de recrutement qui respecte la liberté des vocations, et qui n'impose à chaque famille que des sacrifices proportionnés à l'intérêt qu'elle peut avoir au maintien d'une bonne force militaire. Comme la mission de l'armée est de protéger le pays contre l'invasion étrangère et contre l'anarchie intérieure, l'équité exige que le recrutement pèse sur les citoyens dans la proportion des charges qu'ils auraient à supporter en cas d'invasion ou d'anarchie. Mais il est évident, me paraît-il, que l'invasion ou l'anarchie menacerait et compromettrait toutes les ressources existantes, et qu'ainsi chacun doit contribuer à la charge du recrutement dans la proportion de ses moyens.

Il est injuste de faire subir au fils de l'ouvrier qui n'a que son travail pour vivre, la même chance de tirage au sort qu'au fils du riche capitaliste ou du grand propriétaire.

Il est plus injuste encore d'affranchir complètement le millionnaire de la charge du recrutement quand il n'a qu'un fils enfant unique, tandis qu'à l'ouvrier qui a quatre fils, l'on en prend deux pendant leurs huit plus belles années.

Le second problème à résoudre pour l'armée, c'est de lui donner une organisation assez élastique pour que l'on puisse réduire en temps de paix les dépenses du déparlement de la guerre à 25 millions, et pour que, malgré cette réduction, l'on soit toujours en mesure de réunir en quatre ou cinq jours, si les circonstances l'exigent, une force de quatre-vingt mille à cent mille hommes bien exercés, bien disciplinés, prêts à entrer en campagne.

Vous voyez par là, messieurs, que, pour le point capital, je suis parfaitement d'accord avec le gouvernement et avec ceux de nos honorables collègues qui ne veulent pas que l'on touche à notre organisation militaire ; je ne suis en desaccord avec eux que sur le chiffre de la dépense qui est indispensable pour que cette organisation puisse fonctionner convenablement ; mais, quand je réfléchis qu'avec l'organisation actuelle, si l’on devait tenir l'armée au complet pendant toute l'année, il faudrait porter le budget de la guerre à soixante millions au moins, il me semble que puisque l'on a reconnu la possibilité de réduire ce budget, sans rien compromettre, à 27 ou 28 millions pour les temps ordinaires, il ne faudrait pas de bien grands efforts pour pousser la réduction jusqu'à descendre à 25 millions.

Il y a sans doute un point d'arrêt que l'on ne peut pas franchir ; on ne peut pas toujours réduire ; mais si j'ajoute quelques mots pour indiquer quelles sont les sources où je voudrais puiser de nouvelles économies, on reconnaîtra que ces économies seraient sans le moindre danger.

Voici où je puiserais ces économies. C'est, d'une part, dans la suppression de quelques places de guerre que nous ne pourrions pas défendre, et dans la suppression d'un certain nombre de garnisons qui sont entièrement perdues pour la bonne défense du pays ; c'est, d'autre part, dans le changement du système de recrutement, ce qui, d'après ce que je disais l’année dernière, permettrait de réduire à dix mille à trois mille le nombre de recrues qu'il faut instruire chaque année. Il y a dans ces deux sources d'économies nouvelles de quoi faire face amplement à la nouvelle réduction de deux millions de francs qui serait nécessaire. Ce changement de mode de recrutement permettrait d'ailleurs de faire droit à l'observation de M. Thiéfry que les recrues ne restent pas assez longtemps dans les régiments avant d'être envoyés en congé.

Maïs je ne puis pas admettre avec M. Thiéfry qu'il soit nécessaire de maintenir constamment à 480 hommes l'effectif de chaque bataillon d'infanterie.

En supposant que cette force de 480 hommes soit indispensable pour que les exercices puissent se faire avec fruit, il sera toujours facile de satisfaire à cette nécessité ; il suffira de former en un seul bataillon d'exercice les trois bataillons du régiment, sauf à faire commander alternativement les manœuvres par les cadres de chacun des trois bataillons.

Avant de reprendre la suite de mes observations, je crois devoir ajouter quelques mots en réponse à ce qu’a dit hier M. le ministre de la guerre relativement aux pétitions adressées au gouvernement par un certain nombre de villes, pour avoir des garnisons nombreuses. Quel que soit le nombre de ces demandes, il est impossible d’y voir l’expression d’un vœu du pays entier pour obtenir un effetif d’hommes sous les armes plus nombteux qu’il n’est maintenant.

L'on ne doit voir dans ces demandes que ce qui s'y trouve réellement, c'est-à-dire le désir exprimé par quelques villes, d'augmenter les ressources de leurs octrois et de leurs spectacles, ainsi que les bénéfices de leurs marchands, bouchers, cabaretiers, hôteliers, maîtres de pension et propriétaires de quartiers à louer. On ne doit rien y voir d'autre. Ce sont de ces exigences auxquelles il est du devoir du gouvernement de résister, à moins que les besoins réels de l'armée ne permettent d'y satisfaire.

Les problèmes que j'indiquais tout à l'heure et qui sont à résoudre pour donner à l'armée la position stable que je voudrais lui voir acquise, présentent, je le sais, de bien graves difficultés. Supprimer le recrutement forcé, réduire le budget de la guerre à 25 millions, et tenir toujours disponible une armée de 100 mille hommes, ce sont là trois grandes exigences, auxquelles on ne peut pas satisfaire sans avoir à vaincre des difficultés sérieuses. Mais ces difficultés ne sont pas insurmontables ; elles sont bien loin d'être à la hauteur des difficultés qui ont été résolues dans l'industrie par les applications de la vapeur.

Ne craignez pas, du reste, que je veuille mettre l'armée à la vapeur ou la faire disparaître dans un nuage. Pour résoudre ces difficultés qui concernent l'armée, il ne faut que de l'intelligence, du patriotisme, des vues désintéressées et des études sérieuses. Avec ces simples moyens, on parvient à donner aux problèmes du recrutement, de la dépense et de la force numérique de l'armée, une solution très convenable, très avantageuse et qui satisfait à tout ce qu'on peut désirer dans la situation actuelle de la Belgique et des pays qui l'environnent.

J'ai déjà indiqué, dans la discussion du budget de la guerre pour 1850, quelques détails sur un nouveau mode de recrutement, que je voudrais voir introduire. Je ne reviendrai pas maintenant sur ces détails. Je ne me permettrai pas même d'entretenir la chambre des longues et minutieuses recherches auxquelles je me suis livré depuis lors sur l'organisation militaire.

Si je me décide à conserver mon siège dans cette enceinte, et si le gouvernement ne prend pas l'initiative des mesures que je crois nécessaires, j'examinerai ultérieurement s'il n'entre pas dans mes devoirs de représentant de saisir la chambre d'une proposition formelle.

Permettez-moi d'ajouter encore quelques mots pour vous indiquer dès maintenant, d'une manière sommaire, les résultats auxquels mes recherches ont abouti.

Voici ces résultats : Réduction immédiate du budget de la guerre à 25 millions, sans affaiblir en rien l'organisation actuelle, sans toucher à aucune position acquise ; rapports plus intimes entre la garde civique et l'armée, afin que ces deux éléments de la force publique soient toujours habitués à agir de concert, sans se neutraliser en partie par des frottements, des jalousies ou des susceptibilités ; formation permanente de quatre corps d'armée, toujours prêts à entrer en campagne, avec un effectif de 100,000 hommes, tant de milice que de garde civique ; réunion de ces corps d'armée au complet, pendant 20 jours chaque année, afin de développer l'instruction, de fortifier la discipline, de maintenir l'esprit de corps et d'inspirer à tous les grades, à tous les échelons de la force militaire, depuis le simple soldat jusqu'au lieutenant général, cette confiance mutuelle qui fait la force de l'armée ; extension du service de la gendarmerie, pour y faire entrer les commissaires et agents de police, et pour donner à chaque canton un officier de police judiciaire, convenablement salarié ; suppression des tirages de milice, au moyen d'une cotisation de 100 à 1,200 francs à verser par les jeunes gens, qui arrivent à l'âge de vingt ans, suivant le degré d'aisance de leurs familles ; réduction de plus de moitié sur les charges que la garde civique impose aux habitants des communes de plus de 3,000 âmes ; enfin, pension de retraite de 300 fr., au moins, assurée à tout sous-officier et soldat.

Ces résultats sont tellement avantageux qu'on doit quasi les croire impossibles, tant qu'on ne les voit pas passer de la théorie à la pratique.

Mais comment les faire arriver à la pratique si le gouvernement et les chambres continuent à les juger impossibles, sans vouloir faire l'essai des moyens qui doivent les y conduire ?

Les études auxquelles je me suis livré m'ont donné la conviction qu'on peut, dès à présent, atteindre tous ces résultats : j'ai donc la conviction que l'avenir les réalisera ; mais je crains que cet avenir ne soit encore loin, et qu'il ne soit plutôt retardé qu'accéléré par la commission d'hommes spéciaux que le ministre annonce.

Lorsqu'il s'agit de tenir compte de la question d'argent, je n'ai pas plus confiance dans les hommes spéciaux de la guerre que dans les hommes spéciaux des travaux publics. Ces messieurs trouveront toujours d'excellentes raisons, non pas pour montrer que l'on peut dépenser moins, mais pour prouver qu'il faut dépenser davantage. Tracez-leur, si vous voulez, une limite de 25 millions ; cela ne les empêchera pas de conclure par un brillant rapport où ils prouveront par des arguments péremptoires et en invoquant leur vieille expérience, qu'il est impossible, à moins de 32 millions, d'arriver à une œuvre complète et durable.

Je ne me laisse donc pas persuader que la commission qui est annoncée puisse amener autre chose qu'un résultat négatif ou une véritable (page 474) mystification, et je suis surpris que notre honorable collègue M. Osy, malgré sa longue expérience, se soit laissé prendre à cette amorce.

Quant à moi, mes convictions ne me permettent pas de voter au-delà de 25 millions, tant que les circonstances n’exigeront pas que l'armée soit réunie au complet pendant plus de vingt jours par an.

Ces derniers mots doivent vous faire connaître que si les circonstances l'exigeaient, je ne reculerais pas plus que mes collègues, pas plus que le pays entier, devant les sacrifices qui seraient nécessaires pour sauvegarder l’honneur national.

Je termine par engager le gouvernement et les chambres à marcher d'un pas ferme dans les voies d'économie et de liberté. Ce sont les seules bases sur lesquelles l'Etat belge puisse asseoir une longue existence : c'est d'ailleurs beaucoup plus facile dans la pratique, qu'un régime de compression et de gros budgets.

Quelles que soient les forces matérielles et morales que l’on accumule dans les mains du gouvernement, ces forces ne suffiront jamais longtemps pour comprimer les aspirations du peuple belge vers la liberté ; tandis que si la liberté règne dans le pays, si l'Etat n'intervient que là où son action est indispensable, le gouvernement, secondé par le concours des bons citoyens, sera toujours assez fort pour maintenir partout l'ordre et la tranquillité, et pour réprimer sur-le-champ les folles tentatives d'anarchistes qui seraient impuissants, parce qu'ils ne trouveraient pas de racines dans le pays.

Quant aux gros budgets, n'est-il pas de la dernière évidence que, malgré toutes les augmentations d'impôts qu'on pourrait voter, on ne parviendra jamais à rendre les budgets assez dodus pour satisfaire tous les appétits qui voudraient y mordre. Il vaut donc beaucoup mieux de s'en tenir à la limite du plus strict nécessaire. C'est ainsi qu'on rendra la marche du gouvernement plus facile et moins périlleuse.

Ce ne sont pas des créatures dans tous les replis des budgets, ce ne sont pas des plumes vénales dans tous les journaux du pays, ce ne sont pas même de brillants discours prononcés chaque jour dans cette enceinte qui peuvent assurer à un cabinet une longue existante. La haine du clérical cessera d'ailleurs bientôt de servir de croque-mitaine. Les enfants du libéralisme grandissent et bientôt on ne pourra plus les conduire comme de petits garçons, en cherchant à les effrayer avec des contes de revenants.

Le pays ne tardera pas à mieux comprendre ses propres intérêts. Qu'a-t-il à gagner ou à perdre, si ceux qui dirigent ses affaires font plutôt parade, de libéralisme que de catholicisme ? S'ils puisent plutôt leurs inspirations dans une espèce de société que dans une autre ? Si enfin, ils ont plus de condescendance pour certaines sommités que pour certaines autres ? Le pays peut très bien laisser toutes ces choses pour ce qu'elles valent et ne pas y faire grande attention. Mais ce qu'importe au pays, c'est que les ministres soient honnêtes hommes, c'est qu'ils possèdent l'intelligence des affaires et des situations, c'est qu'ils aient de la conscience et du patriotisme pour y puiser leurs inspirations sans les chercher ailleurs, c'est qu'ils aient de la condescendance, non pas pour des sommités exigeantes qui se disputent la suprématie au sein de l'abondance, mais pour les classes modestes et courageuses qui cherchent péniblement, dans le travail, d'honnêtes moyens d'existence.

Le pays, je le répète, ne tardera pas à comprendre ses propres intérêts, et alors il se bornera à demander aux ministres des actes de bonne administration, des réformes sages et prudentes, de larges et profondes économies de temps et d'argent.

C'est ainsi, messieurs, que nous serons le mieux en situation de marcher sans crainte au-devant des situations diverses que l'avenir peut nous réserver.

J'ai foi dans les destinées de la Belgique. Elle a déjà traversé avec bonheur des temps plus critiques, des circonstances plus périlleuses que celles où nous nous trouvons maintenant.

Mes collègues dans cette enceinte et mes concitoyens dans toutes les communes du pays, ont trop de patriotisme et d'intelligence pour qu'en cas de danger grave, nous ne parvenions pas encore, avec l'aide de la Providence, à trouver et à appliquer les remèdes avant qu'il n'arrive une catastrophe. C'est dans cette persuasion que je termine par deux mots à l'adresse de tout le monde : Espoir et courage !

M. de Bocarmé. - Les débats de la séance d'hier, messieurs, ont débordé le thème que je m'étais imposé, je le restreindrai donc beaucoup.

Depuis plusieurs années les dissentiments sur la politique intérieure du pays se trouvaient suspendus à l'époque où nous sommes ; les opinions qui se heurtent trop souvent dans cette enceinte ne jouissaient de la paix qu'alors qu'il s'agissait de la guerre. Hier, messieurs, il n'en a plus été ainsi ; l'occasion, le symbole ont repris leur empire, la trêve annuelle a été rompue ; des discours véhéments (regrettables, selon moi) ont été prononcés de part et d'autre... Impartial en ce qui concerne le moteur politique de ces débals, j'y ai pris peu de part... Plus attentif en ce qui concernait positivement l'ordre du jour, j'ai vu ce qui ne se montre pas tous les jours dans cette assemblée, j'ai vu le gouvernement proposer une importante économie, et l'opposition la plus habituelle la combattre.

... C'est son droit, je fais une citation, je ne blâme pas... Mon opinion sur le budget qui nous occupe est la même que l'an dernier ; elle a été formulée par un amendement qui ne différait guère du système conditionnellement admis aujourd'hui par le gouvernement que par l’absence de ce doute même qui n’entre pas encore dans ma pensée, et j’ai la persuasion que l’on peut descendre au choffre de 25 millions, c’est-à-dire que l’on peut économiser plus d’un million et demi sur le budget de la guerre, sans désorganiser moralement ou matériellement l’armée ; et j’espère que l’honorable ministre de la guerre, par des investigations, à la fois actives et prudentes, se mettra à même de se rallier par conviction et sans réticence à la pensée, au désir de ses collègues, et, je crois pouvoir le dire, à la majorité de cette chambre ; confiant dans cet espoir qui s’offre à moi comme devant conduire à une prompte réalisation, je voterai le budget qui nous est présenté.

Parmi les moyens qui se sont offerts à mes réflexion., jmur ré liseï des économies sur le budget de la eau rre, en voiei un qui a de l'impoi tauce.

Dans un tableau comparatif qui nous a été distribué, nous voyons que les appointements et la solle on Belgique sont au maximum de ce qui est accordé dans les autres Etats du continent. Ce travail prouve combien est fondée l'opinion de plusieurs membres de la législature qui désirent que, dans une juste mesure, une réduction soit faite sur ce chapitre ; car, si l'on peut prouver que la vie est plus chère en Belgique qu'en France et dans d'autres Etats, il serait impossible de soutenir qu'elle soit aussi coûteuse qu'en Hollande.. On a donc fait une faute, en grande partie irréparable, de ne point ramener, dès 1830, les tarifs à une movenne, par exemple, entre la France et la Hollande.

Cela a été dit à la session dernière, et je crois, dans l'occurrence, devoir le répéter, messieurs ; nous pouvons être persuadés que l'on peut compter sur le patiiolisme de l'armée, comme on l'a fait sur celui des employés civils pour subir des réductions, sagement pondérées. Je me rallie d'ailleurs, pour l'application d'un autre tarif, aux ménagements indiqués par M. Thiéfry ; mais dans l'élaboration nouvelle, cet honorable collèguc voudrait que l'on fît une réduction plus forte à la cavalerie qu'à l'infanterie. Ici je ne partage plus son opinion ; les différences existantes sont le résultat d'une juste pondération, basée sur les dépenses et le travail incombant à chaque arme ; atteindre d'une façon disproportionnée la solde de la cavalerie, ce serait méconnaître à la fois, comme l'a dit, dans une autre session, le général Chazal, et les charges plus grandes et le travail plus incessant qui lui incombent : en effet, les officiers de cette arme doivent supporter, avec les chances d'accidents et de mortalité de leurs chevaux, les dépenses élevées de leur équipement ; quant aux soldats, ils ont le cheval et le harnachement à soigner et à entretenir, donc un service plus coûteux et plus pénible. Si en France et dans d'autres Etats les appointements sont proportionnellement moins élevés, c'est que les officiers de cavalerie y possèdent d'autres avantages, soit un cheval de troupe, soit des indemnités de logement, etc. Je regarde aussi comme possible qu'il soit accordé, hors des époques fixées pour les manœuvres, de plus fréquents congés aux officiers, avec réduction d'appointement aux deux tiers ; ces congés, dont on pourrait imposer l'obligation, seraient répartis à tour de rôle ; il pourrait y être apporté des adoucissements en faveur des olîiciers sans fortune.

M. le président. - La parole est à M. Dechamps.

(Depuis quelque temps, une vive agitation se manifeste dans l'assemblée.)

M. Malou (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Je demande s'il est vrai que l'émotion qui se produit dans la chambre provient de ce qu'une lettre offensante aurait été adressée à l'un de nos collègues à propos d'une opinion émise dans cette enceinte. S'il en est ainsi, je me réserve de faire telle proposition que de droit.

M. Loos. - La chambre ne peut pas évidemment rester sous l'influence de cette émotion. Je demande que la séance publique soit levée, et que le huis-clos soit déclaré pour entendre les explications qui peuvent nous être données.

M. le président. - Aux termes du règlement, le huis-clos doit être demandé par dix membres.

M. de Renesse. - Je pense que la chambre ne doit pas intervenir dans une question particulière.

M. le président. - Nous examinerons tantôt cette question. Aux termes du règlement, à défaut du huis-clos que peut ordonner le président si dix membres le demandent, la chambre se forme aussi en comité secret.

Dix membres réclament-ils le huis-clos ?

- Dix membres se lèvent.

M. le président. - La chambre se forme en comité secret. Il est deux heures 3/4.

- A trois heures et demie, la séance publique est reprise.

M. le président. - La discussion générale sur le budget de la guerre continue.

M. De Pouhon. - Messieurs, je ne prends la parole dans cette discussion que pour donner à la chambre la signification de mon vote. J'ai besoin de vous dire, messieurs, qu'il est déterminé par de tout autres raisons, par de tout autres convictions que les votes avec lesquels il se trouvera confondu.

Ceux-là qui depuis plusieurs années font de l'opposition au budget de (page 475) la guerre partent, je crois, d'une fausse base. Ils ont dit : « L'armée nous coûte 20 millions, c'est trop cher ; il doit y avoir là de quoi satisfaire nos commettants qui demandent des économies. Il nous faut une armée au prix de 25 millions. » Aucuns prétendaient même que l'on pouvait descendre à 20 millions.

Pendant quatre sessions une espèce de pugilat s'est engagé entre les membres de la chambre qui demandaient des réductions et le gouvernement qui prétendait qu'il n'y avait pas moyen de rien rabattre de son devis. Ces débats ont toujours fini par des concessions de la part du gouvernement. On en est arrivé pour 1851 à un budget de 26,800 mille francs et à une concession plus grande faite par le ministère, soit la déclaration de ses vues d'arriver à un budget normal de 25 millions et d'atteindre ce chiffre par des réductions successives réparties sur un espace de trois ans. Ce chiffre, dit M. le ministre de l'intérieur, est un chiffre extrême que l'on ne pourra jamais franchir.

Une pareille limite a déjà été posée. Dans la séance du 25 février 1849, le précédent ministre de la guerre disait :

« Mais cette loi, sur laquelle on revient tous les ans, rappelez-vous qu'elle a été votée il y a trois années seulement ; que c'est la chambre qui l'a exigée, car le gouvernement éprouvait une certaine répugnance à la présenter ; il y voyait, à tort ou à raison, une atteinte portée aux prérogatives constitutionnelles du Roi. Cependant le gouvernement céda au vœu de la chambre ; il présenta la loi d'organisation.

« Cette loi ne fut pas une improvisation, car elle était la conséquence naturelle, le corollaire, en quelque sorte, du système de défense générale du royaume. Les hommes les plus compétents y avaient travaillé ; elle avait été, ainsi que le système de défense, l'objet de dix années d'études. La chambre elle-même fit de cette loi l'examen le plus approfondi, car, si j'ai bonne mémoire, le projet est resté déposé au sein des sections pendant dix-huit mois, et la discussion publique en a duré à peu près trois semaines.

« Messieurs, pour vous démontrer quelle était l'opinion de la chambre et de la section centrale, je me permettrai de vous citer les conclusions de l'honorable rapporteur de la section centrale d'alors :

« De grands sacrifices ont encore été consentis par le gouvernement pour satisfaire aux vœux de la représentation nationale et aux exigences de notre état financier. La section centrale les rend plus grands encore, mais sa majorité n'hésite pas à déclarer que, dans sa pensée, on ne peut aller plus loin. »

« Voilà, messieurs, ce que disait la section centrale apiès avoir examiné la loi d'organisation : On ne pouvait pas aller plus loin.

« Le gouvernement fit les concessions demandées par la section centrale, parce qu'il comprit que, par la stabilité, l'armée gagnerait en force morale ce qu'elle perdait en force matérielle.

« Chacun avait senti tous les inconvénients qu'il y avait à remettre périodiquement en question l'organisation de l'armée ; on voulait faire cesser le découragement que cette situation précaire jetait dans les rangs. Ce découragement allait si loin que, comme on l'a souvent répété à la chambre, on ne pouvait plus conserver de bons sous-officiers dans l'armée et que les officiers même, dès qu'ils trouvaient une issue quelconque, s'empressaient de quitter la carrière militaire qui ne leur offrait aucune espèce de certitude et d'avenir. Tout le monde comprit alors que sans la stabilité dans les institutions militaires, il est impossible de créer l'esprit de corps, l'esprit militaire, qui constitue la force et la valeur d'une armée. »

Vous le voyez, messieurs, c'était, alors comme aujourd'hui, le désir d'imprimer le cachet de la stabilité à l'état de l'armée qui déterminait le gouvernement à faire des concessions. Il y a, toutefois, cette différence qu'alors le chiffre du budget était proposé par la section centrale avec la déclaration que l'on n'irait pas plus loin, ce qui engageait la chambre en quelque sorte.

Aujourd'hui, c'est le gouvernement qui, après avoir présenté un budget de près de 27 millions, manifeste l'intention et fait concevoir la possibilité d'arriver en trois ans à un budget de 25 millions.

Voilà un nouveau point de mire établi, vous pouvez compter que l'on y visera sans cesse.

Quand je vois au moyen de quel grappillage M. le minisfre de la guerre est parvenu, en épuisant sans doute toutes les possibilités, à vous offrir 302,000 fr. d'économies sur son budget, je me demande si les officiers de l'armée se sentiront bien à l'aise en présence d'une réduction de près de 2 millions à opérer en trois ans, et si pendant les travaux de la commission qui sera formée, ils auront la liberté et la tranquillité d'esprit nécessaires pour se livrer à leurs études.

Je reste inquiet sous ce rapport ; mais vous, messieurs, qui demandez des réductions quand même, vous devez être rassurés après avoir entendu hier le discours de l'honorable M. Dolez. Vous pouvez vous persuader que vos réductions successives seront autant d'encouragements à l'armée, et je crois que vous élèverez très haut son enthousiasme. Suivant l'honorable député de Mons, les ennemis de l'armée sont ceux qui veulent le maintien des existences légitimes qui y sont engagées et la sécurité de leur avenir ; les ennemis de l'armée sont ceux qui voudraient aussi des cadres garnis de soldats.

Je compare la manière de voir des honorables membres qui veulent l'armée et des économies, à celle d'un propriétaire de terres menacées d'inondations et qui peut les garantir par une digue. Il le décide à ce moyen de préservation. L'homme de l'art auquel il recourt, estime que pour une digue bien conditionnée, bien efficace, il faut une dépense de vingt mille francs. Le propriétaire ne peut ou ne veut y mettre que quinze mille francs, il fait un ouvrage imparfait. Aux premières inondations son terrain est submergé.

A ce propriétaire qui ne voulait ou ne pouvait dépenser 20,000 francs, j'aurais donné le conseil de vendre sa propriété, afin de ne pas faire uue dépense superflue de 15,000 fr.

La question que nous discutons est la même, mais avec de plus grandes proportions. Le terrain qu'il s'agit de sauvegarder, c'est notre nationalité. Vienne l'inondation, et elle sera submergée parce que vous aurez montré une partimonie à jamais regrettable.

Vous deviendrez généreux, messieurs, quand le danger approchera ; les sacrifices ne coûteront plus à votre patriotisme, ils vous seraient d'ailleurs commandés par la volonté énergique de la nation. Vous ferez alors ce que vous avez fait après la révolution de février. Vous jetterez des millions à pleines mains au ministre de la guerre, mais ces millions ne vous sauveront point, car on n'improvise pas une armée.

Je ne m'associerai pas à ceux qui, sans le vouloir, peuvent laisser conduire le pays sur la pente d'un abîme. Le pays jouit de biens précieux, je demande qu'ils lui soient garantis. Non seulement je veux son indépendance, mais non une indépendance de tolérance qu'il doive aux convenances seules ou à la générosité des puissances étrangères. Je veux qu'il soit à même de peser de son propre poids dans les stipulations qui le concernent. Un nouveau partage du continent d'Europe peut s'opérer après une guerre, ou un remaniement sans guerre par le concert des grandes puissances. Si l'une de ces hypothèses venait à se réaliser, on aurait égard, pour le sort qui nous serait fait, au contingent de force que nous pouvons offrir ; on prendrait surtout en considération la résolution plus ou moins ferme que nous aurions montrée de soutenir nos droits.

Messieurs, le budget en discussion sera probablement voté. Il présentera un peu plus d'un million d'économie annuelle sur la moyenne des budgets des quatre dernières années. Veuillez-vous recueillir un instant, messieurs, pour vous demander si c'est là une compensation du mauvais effet que produisent nos débats sur l'esprit des étrangers, bien étonnés sans doute de l'état de faiblesse de notre armée et de nous voir marchander jusqu'au dernier sou la garde de notre indépendance et des institutions que l'on nous envie.

Les partisans de la réduction de l'armée s'appuient principalement sur deux arguments.

Suivant eux, la guerre est devenue à peu près impossible. Combien, depuis février 1848, n'y a-t-il pas eu de causes de guerre qui se sont dissipées pacifiquement ?

Il y a eu, messieurs, depuis cette date néfaste, une raison déterminante pour que les gouvernements aient évité la guerre. C'est que la révolution de février a déchaîné le génie infernal de la démagogie qui voulait la guerre comme moyen de bouleverser la société de fond en comble. Les gouvernements ont senti le besoin de s'entendre contre l'ennemi commun, de transiger ou d'ajourner leurs différends.

Nous voyons au nord de l'Europe, dominée par cette considération, deux grandes puissances prêtes à en venir aux mains et faisant les plus grands efforts pour concilier les prétentions qui semblaient les plus inconciliables.

L'autre argument, c'est la situation du trésor.

Mais, messieurs, les budgets des neuf premières années qui ont suivi notre révolution, les budgets de 1831 à 1839, présentent un chiffre global de 455 millions 720 mille francs, soit 50 millions 600 mille francs par année, non compris les crédits supplémentaires.

Est-ce que la Belgique était plus riche qu'a présent lorsqu'elle s'imposait cette lourde charge ? S'est-elle ruinée en la supportant ? L'Etat possédait-il plus de ressources ? Vous ne le prétendiez pas, messieurs.

Cependant l'Etat en même temps qu'il portait le fardeau d'une dépense double pour l'armée, entreprenait notre grand réseau des chemins de fer. Aussi, quand je compare les deux époques, je me surprends à imaginer que la première remonte aux temps héroïques. La présence dans cette enceinte d'un grand nombre de membres de nos premières législatures me rappelle seule que cette époque est encore bien rapprochée, et je me dis que l'esprit a changé. Je vois ceux-là resister presque unanimement à votre manière d'envisager les intérêts nationaux. L'un des plus illustres d'entre eux qui siège au banc ministériel résistait encore l'année dernière avec eux ; pourquoi céde-t-il aujouid'hui ?

Non, messieurs, la Belgique ne s'est pas appauvrie depuis les glorieuses années que je viens de rappeler. Elle s'est au contraire enrichie considérablement, Elle s'est enrichie des trésors qui, depuis son émancipation, ont cessé d'alimenter les trésors de ses anciens dominateurs. Elle s'est enrichie par les progrès que son agriculture, son industrie et son commerce ont faits à l'ombre de son indépendance et de ses libertés.

Si la nation s'est enrichie et si elle s'enrichit encore de jour en jour, il y a lieu pour elle de concourir plus généreusement à l'alimentation du trésor public. Quand la nation est riche et prospire, l'Etat ne doit pas être pauvre, il ne doit surtout jamais l'être jusqu'à l'impossibilité de garantir au pays le maintien des sources de son existence et de son bien-être.

Quanl à la situation du trésor, messieurs, je regrette de devoir dissiper une de vos illusions. Vous êtes des hommzs d'ordre et vous voulez que l’Etat parvienne à éviter les découverts du trésor. Je le désire aussi, mais vous ne voyez qu'un moyen d'atteindre à ce but ; c'est par des économies que vous poursuivez jusqu'à compromettre les (page 476) services publics. Je veux aussi des économies, mais seulement de celles qui ne soient point acquises aux dépens de l'équité, d'une juste rémunération des services et des moyens de sécurité et de prospérité de la nation. Il est telles dépenses que vous considéreriez comme des prodigalités que je croirais, moi, être parfaitement bien entendues.

Pour en revenir à la situation du trésor public, vous devez vous résigner, messieurs, à n'y voir jamais l'abondance que très temporairement.

Le régime représentatif, dans un pays restreint comme le nôtre, ne se concilie pas avec l'abondance dans le trésor de l'Etat. C'est un côté faible de la nature de notre gouvernement. Les meilleures institutions ne sont pas dégagées de quelques inconvénients. Celui que je signale vient de ce que, dans un pays comme le nôtre, les intérêts des localités exercent une pression trop active sur le gouvernement.

L'aisance reparaîtra à peine dans le trésor que nous tous, tant que nous sommes, viendrons, au nom de nos commettants, réclamer des subsides, des travaux publics ; et l'expérience nous a appris que, par un compromis entre les représentants de quelques provinces, on finit par obtenir beaucoup des ministères.

Et ainsi, le trésor un moment à l'aise retombe bientôt dans la gêne.

Je terminerai, messieurs, en vous déclarant que si, au prix de 27 à 25 millions, on ne peut avoir qu'une armée dans l'état déplorable sous lequel l'honorable M. Thiéfry a dépeint la nôtre, tandis qu'en payant 30 millions vous pourriez en avoir une qui répondît aux besoins du pays, qui lui donnerait la sécurité dans son avenir, lui assurerait une position digne vis-à-vis des puissances étrangères, il n'y a que deux partis à prendre : ou payer 30 millions, dans quel cas la dépense sera éminemment utile, ou supprimer l'armée de 27 à 25 millions, dont la dépense sera une prodigalité révoltante.

Quant à moi, je n'hésite pas : je voterai contre le budget de la guerre, parce que je suis convaincu de son insuffisance.

- La séance est levée à 4 heures et un quart.