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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 7 mars 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 823) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est appprouvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Messinckx, chasseur au deuxièmee régiment, demande la remise des peines qu'entraîne la privation de la cocarde. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. le ministre des affaires étrangères transmet les explications qui lui ont été demandées par la chambre sur les réclamations de Mme la comtesse de Hompesch et de M. le chevalier Vanden Berghe de Binckum.

M. de Renesse. - M. le ministre des affaires étrangères vient d'adresser les explications demandées sur la pétition de Mme la comtesse de Hompesch et de M. Vanden Berghe de Binckum. Je demande que ces explications soient adressées à la commission des pétitions qui a fait le premier rapport, afin qu'elle examine et fasse un rapport ultérieur sur cette demande.

- Le renvoi à la commission est ordonné.

Projet de loi diminuant les crédits portés au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Dumon, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant rectification d'une erreur au budget des travaux publics, fait rapport sur cet objet.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi fixant le prix de transport des voyageurs sur le chemin de fer de l'Etat

Discussion générale

M. Dumortier. - Messieurs, au point où en est arrivée la discussion sur la tarification du chemin de fer, je ne tiendrai pas longtemps la chambre sur ce point. Mais il me paraît qu'il n'est point possible de laisser sans réponse les divers discours prononcés, dans cette discussion, par M. le ministre des travaux publics.

En apparence, nous sommes tous d'accord, et pourtant nous arrivons aux résultats les plus opposés. Nous paraissons tous d'accord sur ce point, c'est que le chemin de fer voie ses produits s'augmenter ; mais quand il s'agit d'arriver à l'augmentation de produits, les opinions deviennent complètement divergentes.

Nous pensons, nous, que c'est dans une augmentation modérée, et très modérée, de péages que l'on doit chercher une augmentation de produits. M. le ministre des travaux publics, au contraire, prétend que c'est dans un abaissement immodéré de péages que l'on trouvera l'augmentation de recettes. Je dis un abaissement immodéré des péages... (Interruption.)

Vous soutenez que c'est dans un abaissement immodéré des péages que nous trouverons les plus grands revenus. Je vous prie d'être persuadés, messieurs, que personne plus que moi ne veut une discussion de bonne foi, et puisque l'on a parlé de bonne foi, j'aurai l'occasion d'y revenir. Pour mon compte, j'éprouve un excessif regret de ne point voir cette discussion marcher comme nous avons vu dernièrement marcher la discussion de la loi sur les hypothèques ; alors on avait des arguments de bonne foi, tandis qu'au contraire je ne vois pas de bonne foi dans toute la discussion relative au chemin de fer.

J'ai dit que M. le ministre veut l'augmentation des produits du chemin de fer, par un abaissement immodéré de tous les tarifs. Vous comprenez, messieurs, que je n'ai point dit que M. le ministre avait demandé des tarifs immodérés Mais moi j'ai qualifié le tarif du gouvernement. Je crois que ce tarif est un tarif complètement immodéré, parce que ce tarif constitue, pour le trésor public, une perte de quatre à cinq millions de francs par an.

Pourquoi ? Parce que le tarif est incomparablement en dessous de tous les tarifs de toutes les grandes lignes que nous connaissons. Il n'y a aucune espèce de comparaison à établir entre le système qu'on nous propose et les systèmes qui régissent les chemins de fer étrangers.

M. le ministre des travaux publics a adopté un système que, pour mon compte, je ne puis pas admettre ; c'est celui des exemples choisis, des chiffres choisis « propter causam », pour arriver à un résultat déterminé au lieu de prendie les reseaux de chemin de fer dans leur ensemble. Au lieu de prendre comme point de comparaison les réseaux d'une étendue analogue, au lieu de prendre comme point de comparaison les résultats intégraux des chemins de fer, on prend, pour arriver à un résultat, des chiffres choisis, des citations choisies. Eh bien ! messieurs, est-ce là de la bonne foi ? Si vous voulez arriver à des résultats certains, renoncez à prendre des arguments « propter causam », prenez des arguments et des faits généraux, et non point de petits faits choisis par-ci par là, en négligeant tous les autres faits, des chiffres choisis afin d'arriver à fixer les yeux de la chambre.

Comment ! on a en Belgique environ cent stations de chemin de fer ; les relations de station à station peuvent fournir dix mille combinaisons. Dans toutes ces combinaisons qui peuvent surgir dans les relations d'une station à l'autre, le ministre en prend deux pour point de comparaison, négligeant le résultat général, toutes les conséquences générales de l'exploitation. Je le demande, est-ce là de la logique ? Non, certainement.

Je démontrerai tout à l'heure que les résultats généraux sont diamétralement opposés à ceux des petites stations sur lesquels il s'appuie.

Pour lui, ce qu'il recherche, ce sont des chiffres choisis, des localités choisies « propter causam », et non pour arriver à la connaissance de la vérité. Si on avait pris les résultats généraux du chemin de fer, nous ne serions pas en divergence d'opinion. J'ajoute que si cette question, qu'on cherche à compliquer ainsi, était traitée par quatre négociants, avant une demi-heure elle serait résolue.

Je demanderai à mes adversaires : Si votre système est si bon, pourquoi des compagnies exploitant des chemins de fer ne l'adoptent-elles pas ? Pourquoi M. Rothschild qui est à la tête du chemin de fer du Nord ne l'adopte-t-il pas ? Pourquoi la société rhénane ne l'adopte-t-elle pas pour la ligne des bords du Rhin ? Si votre système est si bon, comment se fait-il, je le répète, que les autres n'en veuillent pas ?

J'en conclus qu'il ne vaut rien. En effet, le résultat des recettes du chemin de fer, constatées dans le budget, prouve que ce système est mauvais.

Ainsi on s'entête à maintenir un mauvais système et pour soutenir une mauvaise thèse, on apporte des cas extraordinaires, des chiffres isolés, et on ne tient aucun compte des résultats généraux.

On a parlé d'expériences. J'ai déjà dit et je dois répéter que toute la différence entre le gouvernement et la section centrale consiste en ce point : Le gouvernement veut une expérimentation nouvelle, la section centrale croit qu'il est temps d'en finir avec les expérimentations.

Je crois qu'il est d'autant plus nécessaire de mettre un terme aux expérimentations que nous avons la perspective d'une augmentation d'impôt de 6 à 8 millions. Dans ces circonstances, il faut faire rapporter le plus possible au chemin de fer, sans nuire cependant fortement à la circulation. (Interruption.)

Un de mes honorables voisins m'interrompt sur le mot « fortement ». Je parlerai avec la franchise que j'apporte toujours dans les débats, et je dis : Si vous voulez marier l'augmentation des recettes avec l'augmentation du nombre des voyageurs, vous voulez marier des choses inconciliables. Si vous voulez augmenter le nombre des voyageurs, baissez voire tarif, baissez toujours ; si vous voulez augmenter les recettes, vous devez augmenter les tarifs ; sans doute vous n'auriez pas tous les voyageurs que vous auriez si vous transportiez pour rien, ou si vous transportiez à vil prix ; plus vous transporterez à perte, plus vous aurez de voyageurs, car dans aucun pays il ne manquera jamais de personnes disposées à voyager pour rien ou presque rien.

La loi du 1er mai 1834 exige que, dans l'exploitation du chemin de fer, les dépenses soient couvertes par les revenus. Eh bien, nous avons à exécuter cette loi ; il est évident qu'en présence d'une loi aussi impérative, ce que nous devons vouloir, c'est de faire rapporter au chemin de fer autant que possible. La question est celle-ci : Le chemin de fer peut-il rapporter davantage, oui ou non ? Ainsi posée, elle sera bientôt résolue.

Il est certain que le chemin de fer peut rapporter plus qu'il ne rapporte aujourd'hui, et qu'il suffit de le vouloir pour arriver à ce résultat.

On veut se jeter dans un nouveau système d'expériences. Or, remarquez-le bien, nous avons assez d'expérience pour savoir quels sont les résultats du chemin de fer. En fait d'expérience, il faut, comme je l'ai dit, prendre les résultats généraux, l'ensemble des opérations pendant un temps déterminé et le comparer avec les autres exercices. C'est le seul moyen d'opérer : opérez sur l'ensemble et non sur des faits isolés.

M. le ministre veut tenir compte de tous petits accidents. En tenant compte de tous petits accidents, de toutes petites stations, vous n'arriverez jamais à aucune conclusion logique. Vous ne soulèverez que des question de chicane ; vous n'en résoudrez pas.

En fait d'expérience, il n'y a qu'une base : c'est un résultat général qui embrasse l'ensemble des opérations, et nous avons à cet égard une base parfaite : c'est l'expérience ordonnée par l'honorable M. Rogier, en 1841 ; et ici, qu'on ne prétende pas que cette expérience ait été faite sans soin, comme l'a donné à entendre M. le ministre des. travaux publics. L'expérience a été faite avec le plus grand soin.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Du tout !

M. Dumortier. - Elle a été faite avec le plus grand soin ; elle a été faite conformément aux prescriptions de l’honorable M. Rogier lui-même. Je vais démontrer que l’on n’a rien changé à ces prescriptions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous vous trompez.

M. Dumortier. - Je vais vous en fournir la preuve.

(page 824) Le 10 avril 1841, l'honorable M. Rogier prend un arrêté ainsi conçu :

« Considérant qu'il est possible de rendre le chemin de fer plus utile et plus productif en rendant de nouveau les waggons plus accessibles. »

Vous voyez qu'on voulait rendre le chemin de fer plus productif. La question du revenu entrait donc pour beaucoup dans les combinaisons de l'honorable ministre, elle était dans ses vues.

Je poursuis le dispositif de l'arrêté de M. Rogier :

« Art. 1er. A partir du 1er mai 1841, les prix des places pour le transport des voyageurs et ceux des bagages seront perçus d'après les tarifs provisoires annexés au présent arrêté. »

L'honorable M. Rogier n'avait donc pas prétendu faire un tarif définitif. C'était un tarif provisoire, un tarif d'expérience qu'il ordonnait.

« Art. 3. Les modifications apportées, par le présent arrêté, aux tarifs existants, ne deviendront définitives que lorsqu'après une expérience de trois mois, elles auront été sanctionnées par arrêté royal. »

L'honorable M. Rogier voulait donc premièrement augmenter le revenu du trésor public, rendre le chemin de fer plus productif ; pour arriver à cela, il créait un tarif provisoire.

Enfin, il faisait une expérience de trois mois, afin de voir si, au bout de trois mois, le chemin de fer pouvait donner plus de produits. Tout cela a été fait, rigoureusement exécuté, conformément à la direction que l'honorable M. Rogier avait donnée à l'opération.

Une commission a été nommée : comment a-t-elle été composée ? Car on a dit que nous avions voulu en faire une question de parti. Je veux que la vérité tout entière apparaisse dans cette discussion, pour qu'on en finisse avec cette question de parti.

La commission a été composée de 5 membres.

Quels étaient ces 5 membres ?

1° Comme président, M. le général Evain qui avait été le collègue au ministère de l'honorable M. Rogier ;

2° Mon honorable collègue et ami M. Pirmez, qui certes n'était pas un ennemi de l'honorable M. Rogier, qui n'agissait pas par esprit de parti contre l'honorable M. Rogier, puisque dans la question de confiance, soulevée quelques jours auparavant, il avait voté pour le cabinet.

Le troisième membre était celui qui a l'honneur de vous parler, et l'on ne m'accusera pas d'avoir eu des intentions hostiles contre l'honorable M. Rogier, puisque je venais de me séparer de tous mes amis politiques pour ne pas voter la chute du cabinet.

D'ailleurs, remarquez-le bien, quatre ou cinq jours auparavant, l'honorable M. Rogier lui-même nous avait nommés, mon honorable ami, M. Pirmez et moi, pour examiner la question de la poste dans ses rapports avec le chemin de fer, et, certes, l'honorable M. Rogier n'aurait pas nommé ses adversaires pour faire partie de la commission. Jusqu'ici donc, rien d'hostile contre lui

Les deux autres membres appartenaient, j'en conviens, à l'autre côté de la chambre ; c'étaient l'honorable M. Mast de Vries et l'honorable M. Dumonceau, qui tous deux n'avaient pas voté pour la conservation du cabinet de 1840. Mais il n'en est pas moins vrai que la majorité de la commission n'était en aucune manière hostile à l’honorable M. Rogier, n'était dirigée par aucun esprit de parti contre lui.

Eh bien, nous avons examiné les résultats des opérations du chemin de fer, abstraction faite de l'esprit de parti, uniquement au point de vue du trésor public, et nous avons été unanimes pour déclarer que le tarif, sans accuser les intentions de son honorable auteur, n'avait pas répondu au but qu'il s'était proposé, que ce tarif avait amené 140,000 voyageurs de plus dans les trois mois prescrits par M. Rogicr pour l'expérience, mais que l'on avait, dans ces mêmes mois, reçu 104,000 fr. de moins.

Voilà les résultats. D'esprit de parti, il n'y en a pas eu. On voudrait le faire croire aujourd'hui pour faire de la question du chemin de fer une question de parti. Mais, je le répèle, ce n'est pas là l'esprit qui a guidé la commission. D'ailleurs, la commission a fait quatre rapports, et je défie qui que ce soit de trouver, dans ces quatre rapports, un mot, un seul mot, qui puisse justifier une pareille accusation.

Nous avons examiné la question des tarifs, en dehors de tout esprit prévenu, comme une question de recette pour le trésor public ; et nous avons été unanimes pour déclarer que le but que l'arrêté du 10 avril se proposait n'était pas rempli, puisque cet arrêté voulait rendre le chemin de fer plus productif, et que le tarif provisoire soumis à une expérience de trois mois par l'honorable M. Rogier, avait amené un déficit de plus de 100,000 fr., c'est-à-dire que si ce tarif avait été en vigueur pendant un an, il y aurait eu 400,000 fr. de perte.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà une jolie conséquence !

M. Dumortier. - C'est une conséquence inévitable.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lorsque l'on a fait la réforme postale, on a d'abord éprouvé une perte assez forte ; mais les recettes se sont successivement relevées. Voila comment on fait les réformes. On en attend pendant quelque temps les résultats avant de les juger.

M. Dumortier. - Je prierai mon honorable collègue, M. Rogier, de remarquer que c'est lui-même qui a prescrit, par son arrêté du 10 avril, une expérience de trois mois.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il a plu continuellement. Voilà douze ans que l'on a répondu à cela.

M. Dumortier. - Il fallait ordonner une expérience de six mois. Je sais qu'on a fait valoir cet argument dans certains journaux ; mais je ne m'attendais pas à ce qu'on le reproduisît dans cette chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà douze ans que nous vous avons dit cela. La question a alors été traitée à fond pendant trois jours.

M. Dumortier. - Je prie mon honorable collègue de ne pas faire, plus que moi, de ceci une question de récrimination.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dis seulement que voilà douze ans que j'ai combattu l'honorable M. Dumortier sur cette question.

M. Dumortier. - Ne faisons pas, je vous en prie, une question personnelle d'une question de recette, d'une question de trésor public, Vous allez demander de nouveaux impôts. Laissez-nous soutenir notre opinion. Nous pouvons justifier notre manière de voir. Ayez assez de tolérance pour nous entendre.

On dit : Il a plu ! Mais si la pluie avait empêché les voyageurs pendant la durée de l'expérience ordonnée, nous n'aurions pas eu les résultats que nous avons eus.

Or, le résultat, le voici : c’est qu’il y a eu 142,000 voyageurs de plus : ainsi, la pluie n’a pas empêché les voyageurs de venir, car c’est quand il pleut qu’on voyage en voiture. Si c’était à cause de la pluie que l’expérience a manque, que serait-il arrivé ? C'est qu'il n'y aurait pas eu augmentation de voyageurs dans les waggons ; il y aurait eu augmentation dans les diligences et dans les chars à bancs. Eh bien, c'est le contraire qui est arrivé ; les voyageurs ont quitté les diligences et les chars à bancs pour entrer dans les waggons. Ainsi, la pluie n'a été pour rien dans l'expérience.

Le résultat de l'expérience a prouvé que l'abaissement des prix a augmenté le nombre des voyageurs, mais que l'augmentation des voyageurs n'a pas compensé le sacrifice fait sur les prix et que les recettes ont diminué. Voilà ce que l'expérience a démontré, et la seule conséquence qu'on puisse en tirer, c'est que des tarifs immodérément bas mettent le trésor public en perte et qu'il faut les éviter.

D'ailleurs il me semble, messieurs, que le gouvernement n'est pas conséquent avec lui-même. Comment ! Un tarif a succédé à celui du 10 avril ; ce tarif, on l'accuse, ce tarif n'a rien valu ; le travail de la commission, on le lui impute à crime : eh bien, que vient faire le ministère lui-même ? Il vient demander le maintien du travail de la commission.

Mais, de deux choses l'une : ou la commission a eu tort ou elle a eu raison ; si elle a eu tort, pourquoi maintenez-vous son tarif ? Si elle a eu raison, pourquoi l'accusez-vous ? Ce que vous faites, c'est la chose la plus illogique qu'on puisse imaginer : vous accusez la commission et vous proposez de maintenir l'ensemble de son tarif.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Ce n'est pas le tarif de la commission.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le tarif de la commission n'a pas vécu 15 jours ; il a été immédiatement modifié.

M. Dumortier. - Vous confondez le tarif des voyageurs avec le tarif des marchandises. Nous sommes ici à discuter le tarif des voyageurs. (Interruption.) Je crois que les ministres surtout doivent savoir quelle est la loi en discussion : le tarif que nous discutons est le tarif des voyageurs ; or le tarif des voyageurs que le gouvernement propose de maintenir est celui de la commission de 1841. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères me dit que je dois soutenir ce tarif. Messieurs, je ne crois pas jouir du privilège de l'infaillibilité, comme certains membres en ont la prétention ; chaque fois qu'il me sera démontré que je suis en erreur, je me ferai gloire de revenir à la vérité.

Il est démontré pour moi que le tarif de la commission n'a pas produit un résultat suffisant pour le trésor, et dès lors je crois que nous devons en revenir. Je crois être beaucoup plus logique que ceux qui, tout en désapprouvant le tarif de la commission, tout en préférant le tarif de M. Rogier, n'ont pas le courage de demander le rétablissement de ce dernier tarif.

Si le tarif de M. Rogier est le seul bon, demandez-en le rétablissement. Quant à moi, je crois être beaucoup plus rationnel que nos honorables contradicteurs, parce que, pour moi, le tarif n'est qu'un moyen, et que le but c'est la prospérité du trésor public ; et je ne cherche qu'une chose : c'est d'arriver au meilleur résultat possible. S'il m'est démontré que je me suis trompé, je reviens de mon erreur ; eh bien, il m'est démontré que le tarif, formulé par la commission, a amené des résultats avantageux pour le trésor public ; mais il m'est démontré aussi que les résultats peuvent être plus avantageux encore en élevant modérément les prix, et ce sont ces résultats plus avantageux que je cherche.

Voyons maintenant quels ont été les résultats généraux de cette grande expérience. Pour connaître ces résultats, il suffit de comparer les trois mois d'expérience pendant trois années, l'année qui a précédé l'expérience faite, l'année même de l'expérience et l'année qui l'a suivie.

Eh bien, en 1840, dans l'année qui a précédé l'expérience, pendant les mois de mai, de juin et de juillet, le chemin de fer avait rapporté pour les voyageurs seulement, 1,184,727 fr.

En 1841, l'expérience se fait ; pendant les trois mêmes mois, le nombre des voyageurs augmente de 140,000, et le chemin de fer ne rapporte que 1,095,585 fr. ; différence d'environ 100,000 fr. en moins.

Immédiatement plus tard, un tarif nouveau et plus élevé, mais toujours modéré, est présenté par la commission, et admis par le ministre. (page 825) Y a-t-il eu, par suite de ce tarif, réduction dans le produit du chemin de fer ? Nullement ; en 1842, pendant ces trois mois, le chemin de fer qui n'avait rapporté qu'un million en 1841 pendant les mêmes mois, rapporte plus de 1,272,430 francs, différence d'environ 200,000 fr.

On me dit qu'en 1842 on a exploité 50 kilomètres de plus ; je n'ai pas vérifié le fait ; mais ce qui est certain, c'est que ces 50 kilomètres ne compensaient pas les 200,000 fr. d'excédant.

Voilà donc une augmentation obtenue par le nouveau tarif, par le tarif plus élevé. Ainsi l'abaissement du tarif a amené de la perte pour le trésor : son élévation, du bénéfice.

Mais, messieurs, l'honorable ministre des travaux publics, dans le discours qu'il a prononcé hier, nous a fourni les arguments les plus forts pour le combattre. Le système de M. le ministre, quel est-il ? C'est que les tarifs démesurément bas rapportent plus que les tarifs que j'appelle modérés, les tarifs raisonnables, les tarifs moins élevés que tous ceux qui existent ailleurs. Eh bien, messieurs, le ministre des travaux publics nous a dit hier que le chemin de fer de Jurbise avait fait, l'année passée, 27 p. c. de plus en recette.

Or, qu'est-ce que le chemin de Jurbise, au point de vue de la tarification ? C'est précisément le chemin de fer dont le tarif est le plus élevé de toute la Belgique ; et, bien que le tarif du chemin de fer de Jurbise ait le tarif le plus élevé, il a eu 27 p. c. de plus en recette : ce qui suppose un mouvement de 27 p. c. de plus ; d'où je conclus, d'après une expérience faite dans notre pays, et citée par M. le ministre lui-même, qu'une élévation de tarif ne nuirait pas aux recettes, qu'elle amènerait, au contraire, des recettes plus considérables.

Je le répèle, le chemin de fer de Jurbise a rapporté, l'année dernière, 27 p. c. de plus ; or, un fait que M. le ministre des travaux publics ne pourra pas contester, c'est que le tarif de ce chemin de fer est le plus élevé de toute la Belgique ; et cependant il y a eu une augmentation de recette de 27 p. c.

Je viens de démontrer par les paroles de M. le ministre lui-même, par les exemples cités par le ministre lui-même que l'élévation des péages ne nuit pas à l'augmentation de la recette, qu'au contraire elle la favorise.

Voulez-vous d'autres expériences ? Prenez celles qui vous ont été citées par l'honorable M. Cools et par M.Vermeire. Je vous cite toujours des expériences faites dans ce pays-ci. Prenez l'expérience du chemin de fer de Gand à Anvers. Eh bien l’on a augmenté le tarif de 25 p. c, et on a eu un résultat beaucoup plus considérable, une augmentation de produits de 33 p. c.

Vous voyez donc que c'est une grave erreur que de soutenir dans la chambre que si vous augmentez quelque peu les tarifs, nous arriverons à un résultat moindre que ce que nous avons eu. Tous les faits connus dans le pays viennent donner le démenti le plus éclatant à ces paroles.

Ainsi donc, augmentation de recettes sur le chemin de fer de Jurbise, dont le tarif est plus élevé qu'ailleurs ; augmentation de recettes sur le chemin de fer de Gand à Anvers, dont le tarif a été majoré de 25 p. c. Voilà des augmentations en présence de tarifs plus élevés, tandis qu'au contraire, en présence de tarifs abaissés, nous n'avons qu'abaissement de recettes.

Maintenant, messieurs, faut-il une augmentation dans les tarifs ? Voilà la question à trancher. Je prie la chambre de ne point se laisser prendre à toutes ces théories, tous ces exemples choisis « propter causam », mais de ne consulter que les résultats généraux pour nous faire notre conviction. Voyez ce qui se passe à nos portes. Avec son tarif, le chemin de fer du Nord a rapporté l'an dernier 25 millions, tandis que nous avons eu toutes les peines du monde d'arriver à 15 millions.

L'honorable M. Manilius disait, dans la séance d'hier, que l'on n'aurait pas dû toucher à ces tarifs, parce que avant la révolution de février le chemin de fer de Belgique avait rapporté 16 millions. Je crois que mon honorable collègue n'a pas examiné tous les documents fournis à la chambre au sujet des chemins de fer ; car il devrait savoir que jamais le chemin de fer belge n'a rapporté 16 millions.

M. Manilius. - Seize millions moins les frais.

M. Dumortier. - Ni avec ni sans les frais. Le chemin de fer n'a point rapporté 16 millions avant la révolution de février. Examiner les comptes rendus vous y verrez que l'année où la recette a été le plus considérable, elle n'a été que de 14 millions et demi. Vous avez confondu les prévisions avec les résultats.

En 1843 le chemin de fer avait rapporté 11,230,000 francs ; en 1845, 12,403,000 fr. ; en 1846, 13,600,000 fr. ; ainsi jamais le chemin de fer n'a atteint le chiffre qu'a signalé l'honorable M. Manilius.

Il ne faut point, messieurs, se laisser prendre par des paroles qui peuvent vous induire en erreur. Les résultats sont là. Vous avez perdu 53 millions de francs sur l'exploitation, la cour des comptes l'a prouvé dans le rapport adressé à cette chambre.

Voulez-vous, messieurs, arriver à un résultat plus heureux pour le chemin de fer ? Vous n'avez qu'un seul moyen, c'est d'opérer une modification au système actuel. Il ne faut pas vousy tromper, le système présenté par le gouvernement n'est que la continuation du système qui nous régit.

Mais, me dit-on, si vous augmentez le tarif, vous augmenterez les pertes. Je vais m'expliquer. Il est incontestable que toute élévation du chemin de fer a pour résultat immédiat d'écarter ou de déclasser quelques personnes. Mais il est inconteslable aussi qu'au bout de quelques mois la moyenne se rétablit, et les choses marchent comme par le passé ; vous avez alors une véritable augmentation de recette. Il ne faut donc point tenir au premier mot quand il s'agit d'augmentation de tarif. Quand on abaisse le tarif des chemins de fer, dès le premier moment on a une augmentation parce que vous faîtes payer moins. Vous n'avez pas le même résultat quand vous élevez vos chemins de fer.

Il faut laisser au temps le moyen d'établir l'équilibre. Cela s'opère très vite ; vous avez vu que sur le chemin de fer de St-Nicolas une augmentation de 25 p. c. dans les prix n'a pas porté atteinte à la circulation puisque cette augmentation de 25 p. c. a produit une recette de 33 p. c. plus forte. Mais les tarifs qu'ont présentés la section centrale et M. Vermeire, sont-ils des tarifs exagérés ? On les présente comme tels. Il n'y a de tarifs modérés dans la logique de M. Van Hoorebeke que ceux qui mettent l'Etat en déficit. Quand il s'agit d'impôts, le gouvernement ne se plaint pas de l'exagération ; mais lorsqu'on lui offre une ressource certaine au moyen du chemin de fer, il accuse d'exagération ceux qui viennent la lui offrir.

Il faut faire justice de cet argument ; pour cela, rien n'est plus facile ; il suffît de comparer les prix payés en Belgique avec ceux payés à l'étranger. Vous avez vu dans le rapport de la section centrale une comparaison de nos tarifs avec ceux du chemin de fer rhénan, permettez-moi de comparer notre tarif avec les tarifs des chemins de fer de France.

Messieurs, il est pour cela une opération excessivement facile dans les comparaisons : c'est de prendre, non quelques petites distances, mais les grandes lignes des deux pays et de comparer ce qu'on paye en Belgique entre les grandes villes et sur les grandes lignes des chemins de fer français qui nous avoisinent.

Prenons Paris et le Havre : il y a 229 kilomètres. Prenons en Belgique une ligne droite et sans détours ; Ostende et Pepinster dont la distance est de 237 kilomètres, c'est-à-dire qu'il y a huit kilomètres de plus sur la ligne de Belgique que sur celle de France.

Je prends pour point de départ Ostende, parce que le chemin de fer est en ligne droite, qu'il ne fait pas de détour. Or, en France, vous payez pour le Havre, en première classe, 26 fr. 50 c ; sur le chemin de fer belge, vous payez 15 fr. 50 c, différence au préjudice de la Belgique, 11 fr. Remarquez que nous avons en outre 8 kilomètres de plus ; en deuxième classe sur le chemin du Havre, on paye 20 fr. 50 c. et sur le chemin belge 12 fr. 25 c, différence 8 fr. 25 c ; en troisième classe on paye sur la route du Havre, à raison de 15 fr. 50 c, sur le chemin belge 7 fr. 75, c'est-à-dire que le prix de la diligence en Belgique est identiquement le même que le prix du waggon en France sur la ligne de Paris au Havre.

Prenons maintenant la ligne de Paris à Orléans qui a un développement de 122 kilomètres, et la ligne d'Ostende à Malines qui a 123 kilomètres. Que paye-t-on sur le chemin de fer français ? En première classe 12 50, et sur la ligne belge 7 francs ; en deuxième classe 9 50 en France, et 5 25 en Belgique ; en troisième classe, 6 55 sur le chemin de fer de France, et 3 25 sur le chemin belge. Ici encore vous arrivez à ce résultat, que vous payez en Belgique, pour la première classe, le même prix qu'en troisième classe sur la ligne de Paris à Orléans. Ce sont là des choses dont M. le ministre se gardera bien de parler.

Je passe à la ligne du Nord. De Paris à Douai, il y a 241 kilomètres ; d'Ostende à Verviers, il y a 243 kilomètres ; toujours, comme vous voyez, la différence est au préjudice du chemin de fer belge.

En première classe, on paye en France 24-90 ; en Belgique, 16-50 ; différence, 8-40. En deuxième classe, sur le chemin de fer français, 18-75 ; sur le chemin belge, 13 fr. ; différence, 5-75. En troisième classe, sur le chemin de fer de France, 13-90 ; sur le chemin belge, 8-25 ; différence, 5-65. Ici le prix de la diligence belge est l'intermédiaire entre le char à bancs et le waggon du chemin de fer de France. Dans aucune hypothèse, le prix de la diligence belge n'arrive jamais au prix du char à bancs en France.

Est-ce là, je vous le demande, un tarif raisonnable que de faire payer pour aller en diligence ce qu'on paye en France pour aller en waggons. Le ministre ne répondra pas à cette question. Quand je disais tout à l'heure que c'était un système immodéré, vous voyez que j'avais parfaitement raison. Il est immodéré de faire payer en Belgique pour 123 kilomètres, en diligence, 7 fr. tandis que pour aller en waggon en France on fait payer 6-55.

Notre tarif est donc démesurément bas, il est immodéré ; c'est ce qui fait que vous n'avez pas de recettes.

Je répète que si le tarif belge était discuté par trois ou quatre négociants, il ne faudrait pas huit jours de discussion pour l'arrêter ; trois quarts d'heure suffiraient ; un homme apte à diriger une opération commerciale sait comment il faut s'y prendre pour amener les résultats que nous voulons obtenir.

Deux systèmes vous sont présentés : celui de la section centrale et celui de M. Vermeire.

Pour moi, j'ai défendu et je continuerai à défendre le système de la section centrale ; bien que ce ne soit pas le mien, je l'ai accepté parce que je le trouve heureusement combiné ; celui pour qui le temps n'a pas une grande valeur continue à voyager au prix actuel, et ceux pour qui le temps à plus de valeur payera l'économie qu'on lui permettra de faire en voyage.

Je ne veux pas cependant combattre le système de M. Vermeire, qui est à peu de chose près celui que j'avais présenté à la section centrale.

Le système de M. Vermeire, dans sa simplicité, amènerait une très grande augmentation de recettes au trésor public. L'augmentation de la (page 826) circulation ne repose pas sur l'unique considération du tarif, comme le dit le ministre ; elle repose sur des conditions diverses, d'abord pour les longs transports sur une grande célérité, et pour les transports à petite distance sur la combinaison des heures de départ.

Il y a, dans une opération, comme celle du chemin de fer, bien des causes qui concourent aux résultats favorables de l'exploitation ; elles consistent, non pas dans une seule combinaison, mais dans plusieurs : ainsi qui est-ce qui empêche le gouvernement de faire, pour les paysans, des convois de marchés, de manière à transporter, au moyen des locomotives de secours, les voyageurs à petites distances, moyennant des prix très bas ? Pour mon compte, je suis convaincu que ce serait un moyen de faire rapporter au chemin de fer.

Vous auriez un autre avantage : celui d'éviter aux convois ordinaires l'encombrement auquel donne toujours lieu cette classe de voyageurs : ainsi vous avez un convoi qui va de Gand à Courtray ; c'est un jour de marché ; ce convoi doit aller à Mons, faire 30 lieues de parcours ; il doit prendre 400 voyageurs qui montent et qui descendent à des stations particulières. Ne voyez-vous pas que la célérité du chemin de fer en souffrira nécessairement ? Car, lorsque vous devez ajouter des waggons au convoi pour prendre les paysans qui vont au marché, en détacher des waggons, lorsque ces voyageurs sont arrivés à leur destination, vous perdez cinq minutes à telle halte, dix minutes à telle autre, et la vitesse est perdue. lI faut donc faire des convois de marchés, distincts des convois qui transportent les voyageurs à grande distance. Ainsi vous pourrez conserver le grand nombre des voyageurs, et en même temps augmenter les recettes du trésor public, sans nuire à la circulation ; tandis que faire entrer les voyageurs de marchés dans les convois de parcours, c'est en entraver la marche.

Pour arriver à avoir de plus fortes recettes, sans diminuer le nombre des voyageurs, il faut, non pas une seule donnée, mais une combinaison ; mais je maintiens qu'avec une bonne combinaison, vous pouvez arriver à ce résultat.

D'ailleurs, il est un point qu'il ne faut pas perdre de vue : c'est que la circulation sur le chemin de fer, comme la consommation, a ses limites, ses bornes ; et il n'est pas en votre pouvoir de créer une circulation qui n'existe pas ; vous pouvez la faciliter, mais non la créer ; la circulation a ses bornes ; notre circulation est arrivée, depuis un grand nombre d'années, à un état normal dont on ne se départira pas ; vous aurez une augmentation graduelle comme en toutes choses, mais rien de plus.

Vous devez donc regarder votre chemin de fer comme arrivé, pour le nombre des voyageurs, à un état normal. Vous ne pouvez compter, sous ce rapport, sur une augmentation. Vous n'avez donc, pour augmenter le revenu du chemin de fer qu'un moyen : c'est de relever modérément le tarif. Or, remarquez que les tarifs proposés par la section centrale et par l'honorable M. Vermeire sont infiniment au-dessous des tarifs de nos voisins : ce sera le tarif le plus modéré qui existera sur les grandes lignes de chemins de fer. On aurait dès lors mauvaise grâce à le présenter comme entaché d'exagération.

J'ajoute une dernière observation, pour en finir : c'est que puisqu'on veut faire une expérience, il est temps d'en faire une qui consiste à relever un peu les prix : et l'on verra quel en sera le résultat pour le trésor public. Nous avons fait assez d'expériences à la baisse, faisons-en une à la hausse en imitant, dans une mesure modérée, l'exemple des chemins de fer qui nous entourent.

L'expérience à laquelle on vous convie amènera les mêmes résultats : une augmentation graduelle et rien de plus.

Quant à des expériences de détail, elles sont sans portée : ce sont les résultats généraux qu'il faut envisager, non les observations de détail.

Messieurs, nous voulons une augmentation des produits du chemin de fer, parce que nous ne voulons pas que le chemin de fer reste en perte de 4 ou 5 millions comme les années précédentes.

Nous avons un autre motif : c'est que, comme on nous menace d'une augmentation d'impôts de 6 à 8 millions, il est à désirer que le chemin de fer rapporte davantage pour éviter ces nouveaux impôts, que, pour mon compte, je désire ne pas voir peser sur le pays.

M. le président. - M. Julliot a déposé la proposition suivante :

« La chambre, passant à l'ordre du jour sur la tarification du chemin de fer, charge le gouvernement de lui présenter, à l'ouverture de la session prochaine, un projet définitif sur le mode d'exploitation du chemin de fer de l'Etat.

« Ce projet sera accompagné de l'exposé d'études complètes sur les différents systèmes d'exploitation en usage. »

M. Julliot. - Messieurs, depuis l'ouverture des débats sur le chemin de fer, la question de son exploitation par le gouvernement, commence à s'élucider.

Plusieurs points qui, dans les sessions précédentes, étaient restés dans le vague, se présentent assez nettement aujourd'hui ; différents nouveaux faits très importants sont, en termes de palais, définitivement acquis à la cause.

C'est ainsi qu'il est démontré que la construction du chemin de fer par l'Etat n'a été votée en 1834, qu'à la condition expresse qu'il se suffirait à lui-même, et qu'on ne puiserait pas dans l'impôt pour son exploitation ; que le gouvernement, à cette époque, n'a reçu l'autorisation d'exploiter par lui-même que pour une année, à titre d'essai, pour être fixé sur son produit éventuel ; que néanmoins le gouvernement a fait renouveler annuellement cet essai par le vote du budget, en s'associant successivement 5,000 ou 6,000 employés pour exploiter, par continuation, cette entreprise commerciale d'une manière illégale, sans y être autorisé par une loi spéciale. Cette situation, messieurs, est des plus fausses, et il faut en sortir pour sauvegarder d'une manière permanente les nombreux intérêts qui se rattachent au chemin de fer. C'est donc une loi permanente qu'il nous faut.

Car il est évident que les différents ministres des travaux publics, en continuant ce service sans y être autorisés d'une manière spéciale, ont méconnu les intentions des fondateurs au grand préjudice de l'intérêt public ; la continuation de cette exploitation irrationnelle, illégale et ruineuse a détruit, depuis l'époque de son origine, un impôt de 53 millions de francs, prélevés sur la fortune des contribuables, et à moins d'admettre que le gouvernement ne soit d'avis que l'épargne et l'accumulation sont nuisibles au bien-être du pays ; à moins d'admettre que le gouvernement professe le principe que trop d'aisance chez les contribuables conduit les nations aux révolutions, que, par contre, il est utile de leur prendre beaucoup pour les conserver dans le calme, on ne peut s'expliquer cette tendance à vouloir persévérer à produire un service à de si onéreuses conditions, alors que la première compagnie venue rendrait le même service à des conditions bien plus favorables, parce qu'elle dépenserait un quart en moins et recevrait un quart en plus.

Nous perdons en moyenne sur chacune des trois dernières années 4 1/2 millions qui pourraient être employés à de nouveaux services productifs, et on se propose de persévérer dans cette situation.

Messieurs, cette intervention de l'Etat dans le voiturage des personnes et des marchandises est le pendant de l'intervention de l'Etat et de la commune dans la boucherie, et si on avait adopté cette intervention qui était réclamée naguère, ceux qui mangent le plus de viande auraient été subsidiés par ceux qui en mangent le moins, et même par ceux qui n'en mangent pas du tout, comme les grands trafiquants sur le chemin de fer sont subsidiés par ceux qui s'en servent le moins et principalement par ceux qui ne s'en servent pas. Votre chemin de fer, dans l'état où il se trouve, comme la boucherie, dans l'état où on voulait la faire placer, sont des ateliers, je ne dirai pas nationaux, car le mot offusque les conservateurs les plus tièdes, mais je dirai, sont des ateliers gouvernementaux, mot qui ne soulèvera aucune réclamation, quoique, à mon point de vue, ces deux expressions ne soient pas mal de la même famille.

Notre chemin de fer forme la partie intermédiaire entre l'Angleterre et la France d'une part, et l'Allemagne d'autre part ; il traverse les contrées les plus peuplées de cette grande ligne, et cependant il produit le moins de bénéfice net.

Et quand on propose de rapprocher nos prix des tarifs des nations voisines, on dis qu'il n'y a pas de comparaison à faire. Sur ce point nous sommes d'accord, quoique guidés par des motifs différents. Non, il n'y pas de comparaison à faire, parce que le chemin de fer belge est exploité par l'Etat, dont les agents se préoccupent avanl tout, comme tout employé du gouvernement, d'abord de leur repos, ensuite de la date de l'échéance de leur traitement, tandis que l'entrepreneur particulier d'une industrie ne se repose qu'après avoir obtenu la plus grande recette possible en faisant le moins de dépenses.

On me croit hostile au chemin de fer, mais on se trompe, je suis l'adversaire déclaré, non pas du chemin de fer, mais du mode de son exploitation. Il ne m'est pas donné de comprendre comment on veut continuer à subir annuellement quelques millions de perte sèche pour un service que vous pouvez avoir sans qu'il vous en coûte cent francs d'impôt. Vous pourrez contester le fait, mais tant que vous n'aurez pas essayé une adjudication, je suis en droit de raisonner d'après les principes généraux sur la matière.

Vous aurez beau torturer vos tarifs de recettes, vous obtiendrez alternativement une légère augmentation ou un déficit plus considérable ; mais là n'est pas la question principale, elle réside dans une forte diminution de vos dépenses, et d'avance je vous déclare incapables d'y parvenir, cela n'est pas dans la nature d'un gouvernement et vous n'aboutirez jamais.

Et que fait le gouvernement pour répondre à toutes les plaintes qui se produisent sur le régime financier du chemin de fer ? Il abandonne ce terrain, c'est plus commode ; car hier l'honorable ministre des travaux publics a dit que le chemin de fer était prospère (sic), que son exploitaient est une entreprise nationale, que l'esprit commercial ne doit intervenir qu'en second ordre.

Le chemin de fer doit être populaire, mais au profit de qui cette popularité doit-elle tourner ? On ne le dit pas.

L'esprit des discours de tous les ministres, prononcés depuis trois ans en ce qui concerne le chemin de fer, est le même : ce n'est pas à une misérable question d'argent qu'il faut s'arrêter ; l'Etat exploite son chemin de fer comme un objet d'art, de luxe ; il porte haut le drapeau de ce voiturage, parce que cela le rend populaire ; d'ailleurs, en cessant l'exploitation du chemin de fer et une foule d'autres interventions, MM. les ministres n'auraient presque rien à faire, et qui ne connaît pas les dangers de l'oisiveté ? Donc il faut les occuper.

Eh bien, soit ; mais convenez en même temps que du moment qu'un gouvernement rend des services, qu'en qualité de gouvernement il ne doit pas, la question financière doit primer la popularisé ; car il n'y a rien de plus injuste que de faire de fausses spéculations avec des capitaux qui ne vous appartiennent pas. Mais aujourd'hui on n'y voit pas de si près. Autrefois il n'existait que trois modes à l'aide desquels les uns dépouillaient les autres, c'était la chicane, la ruse et la violence ; grâce au progrès, on en a inventé un quatrième, et en même temps qu’on a (page 827) trouvé les institutions politiques qui ont constitué l'ordre concilié avec la liberté, on a inventé les lois sur l'intervention exagérée de l'Etat pour concilier la spoliation avec le Code pénal, à la barbe des gendarmes désappointés.

Messieurs, voulez-vous savoir pourquoi on fait si bon marché de nos finances dans cette occasion-ci, comme dans beaucoup d'autres ? C'est que parfois les ministres sont des députés considérables, élus par des collèges électoraux considérables, qui ont des appétits plus considérables encore, et comment, messieurs, voulez-vous qu'un ministre, serait-il l'homme le plus énergique, résiste à cette pression continue de ses commettants, pression qui n'a d'autre but que de diminuer les recettes et d'augmenter les dépenses de l'Etat en sollicitant en même temps et des abaissements de péages et des subventions ?

Le gouvernement est attaqué de ce chef par tout le monde et n'a aucun point d'appui pour se défendre, et à ce propos je soulèverai timidement une question nouvelle.

On a voté une loi sur les incompatibilités, le fonctionnaire se trouvait trop souvent pressé entre l'intérêt moral ou matériel de ses commettants et ses devoirs envers le gouvernement ; mais en exceptant de cette loi les ministres, n'a-t-on pas expulsé les petits, les impuissants, tout en y laissant les plus dangereux, par cela même qu'ils sont omnipotents, qu'ils ont l'initiative continuelle qui, par le temps qui court, n'a pas à se plaindre de ses succès ?

Pour ma part, je pense que sous le point de vue social, économique et financier, il serait utile d'avoir, dans l'avenir, je dis dans l'avenir alors que le gouvernement actuel sera fatigué de porter ce fardeau, des ministres non députés. La question politique s’en trouverait peut-être un peu amoindrie, mais les questions d'intérêt matériel auraient tout à y gagner et les citadins comme les paysans se nourrissent mieux de ces éléments solides que de la plus belle politique du monde.

Messieurs, on pourrait peut-être inférer de l'allusion que je viens de faire aux grands foyers de population, que je vois deux intérêts distincts dans le pays, celui des villes et celui des campagnes.

Eh bien, messieurs, je me hâte de protester d'avance contre une interprétation pareille, qui ne pourrait du reste naître que de la difficulté que j'éprouve à présenter mes idées sous une forme concise.

Car ce n'est pas moi qui dépèce la société dans toutes ces classes qu'on nous fait passer en revue. Je n'ai jamais su démêler où commence une classe et où elle finit ; je vois la société comme un tout qui ne peut que s'élever ou s'abaisser, et de là vient mon éloignement pour cette intervention de l'Etat, parce qu'elle ne peut agir sur un point du corps social sans qu'un autre s'en ressente en sens inverse.

Mais les villes ont autant mes sympathies que les campagnes, car s'il n'y avait pas de villes, nos campagnes seraient plongées dans la misère. D'ailleurs, je suis trop partisan de la concentration des valeurs, sous quelque forme légale qu'elle se présente, parce qu'elle seule enrichit un pays par l'épargne et l'accumulation, pour ne pas applaudir à leur prospérité, nos principales cités font le lustre et la richesse du pays, et si parfois elles sont importunes à l'endroit des subsides et des travaux publics, elles sont animées de bonnes intentions, elles ont en vue le bien-être général, et par conséquent, celui du campagnard. Mais comme l'impôt qu'on nous prend, agit directement sur nos ressources économiques, tandis que le bien qui nous vient en retour, fait tant de circuits qu'il est imperceptible à force d'être amoindri, il m'est permis de ne pas croire à l'efficacité de ces remèdes d'intervention continuelle.

Messieurs, la chambre est saisie de la discussion d'un tarif pour le chemin de fer. C'est-à-dire que le gouvernement, ne sachant pas arriver d'une manière profitable du connu à l'inconnu, abandonne à la chambre de résoudre à coups de majorité des problèmes algébriques des plus compliqués.

Et que se passe-t-il à cette occasion ? Il ne peut s'établir d'accord entre trois des nombreux collègues compétents dans la matière ; chacun a son chiffre, dont il ne se départit pas.

Ceci, messieurs, prouve une chose, à savoir qu'une assemblée délibérante est aussi inhabile à trouver les chiffres heureux d'un tarif que l'Etat est inhabile à exploiter une entreprise commerciale.

Mais, disent les avocats du privilège, le chemin de fer est un élément d'intérêt permanent et général, donc le sacrifice que l'Etat impose à tous tourne au profit de tous, puisque le chemin de fer transporte en moyenne 4 millions de personnes par an.

Eh bien, messieurs, je nie formellement la proposition en ce qui concerne cette permanence et cette généralité d'intérêt, et je me charge de le prouver.

Le chemin de fer transporte, dit on, 4 millions de personnes par an ; soit ! Mais alors il est démontré que cet intérêt permanent et général se réduit, en fait de voyageurs, à un jour de voyage par an pour chaque Belge, et quand on considère qu'une moitié de ces voyageurs n'est pas dans une position à devoir accepter une aumône de l'impôt pour se déplacer, est-il soutenable qu'il soit utile de dépenser 4 millions d'impôts pour faire voyager un seul jour par an la moitié de la population belge ? Cela paraît absurde, et si c'est là le fait qu'on nous débite comme populaire, je dis que c'est de la popularité au rebours, de la popularité de contrebande dont, pour ma part, je ne veux pas.

Car on ne doit pas perdre de vue que le déficit pèse indistinctement sur tout le monde, et que par la grande division de la fortune publique, ce que vous appelez les classes laborieuses payent largement leur part d'impôt en Belgique comme en France.

Voulez-vous un autre calcul ? Admettez que chaque voyageur, en prenant tout le monde comme Belge, fasse 20 voyages ; vous aurez un total de 200,000 individus, dont la moitié n'a que faire de vos subsides ; il vous restera donc 100,000 individus dignes de votre philanthropie, que vous exercerez au préjudice d'un million d'individus de la même catégorie. Mais encore une fois ce soutènement n'est pas possible.

Du reste, les choses ne se passent pas ainsi. Savez-vous qui reçoit la grosse part de cet impôt ? C'est le commerce un peu étendu, l'industrie et les gens d'affaires. Les voyages des Belges se font par individus dans la proportion de une à 300 fois, et nos honorables collègues de Malines et d'Anvers, par exemple, par la facilité qu'ils ont à se rendre chez eux, prennent très légalement sans doute leur petite part dans ces 4 millions d'impôt.

Il est donc avéré que ceux qui font le plus de courses sont subsidiés dans les plus fortes proportions par ceux qui en font le moins, et par ceux qui n'en font pas du tout ; votre système a un vernis démocratique ; mais en étudiant comment les faits se passent on reconnaît que l'exploitation du chemin de fer par l'Etat est, en réalité, l'entreprise la plus antidémocratique qu'un gouvernement puisse imaginer, et si la vue du vulgaire n'était oblitérée, sur ce qu'ils ne voient pas, par l'activité que vous avez soin de leur prôner parce qu'il leur est donné de la voir de près, votre système ne resterait pas trois jours debout.

Un mot, en passant, sur l'avenir du chemin de fer. La ligne de Namur à Liège établissant une communication plus directe entre la France et l'Allemagne fera-t-elle du bien à la vôtre ? La ligne de Jurbise administrée par des hommes capables, le petit trajet de Calais à Douvres, le chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost, dont je vous promets l'exécution dans un avenir rapproché, le canal destiné à relier la Seine au Rhin, tout cela va-t-il augmenter vos recettes, ou cela est-il destiné à ruiner complètement votre chemin de fer ? C'est ce que nous devons attendre ; mais j'y vois les plus grands dangers pour nos finances, si nous ne nous décidons à temps à une modification utile.

Et que fait-on en présence de tous ces dangers ? On propose la continuation de l'exploitation par l'Etat, on divague sur le tarif.

Savez-vous où vous aller aboutir ? A voir rejeter tous les amendements ainsi que le travail de la section centrale. On adoptera le plan du gouvernement, et vous aurez mis notre responsabilité à la place de celle du gouvernement, pour un fait que vous réprouvez. Le tour sera bon.

Je serais bien étonné que l'honorable M. Van Hoorebcke fût satisfait d'une situation pareille ; sa loyauté serait embarrassée en se trouvant en face d'une chambre qui se serait maladroitement chargée d'un fardeau qu'elle n'entendait pas porter sous la forme qu'il recevrait en fin de compte.

Ma proposition a donc un double but. Le premier, c'est d'abandonner les recherches mathématiques aux hommes spéciaux, en priant la chambre de se réserver pour des matières où elle pourra mieux s'accorder.

Le second but se résume dans la situation financière ; les partisans du budget de la guerre disaient à la tribune que le plus grand danger se trouvait à la frontière, et le ministre des finances répondait que le plus grand danger se trouvait à l'intérieur dans la question financière. On va nommer une commission pour le danger qui est le moindre aux yeux du ministre des finances, je voudrais au moins en voir faire autant pour le danger qu'il signale comme le plus grand.

Mes vues se bornent à charger M. le ministre des travaux publics de faire étudier à fond les deux systèmes d'exploitation des chemins de fer, et à nous présenter à la session prochaine le fruit de ses études en même temps qu'il assurera ce service important par un projet de loi définitif ; mais il est urgent de sortir de ce provisoire.

Les questions que je soumets à vos méditations, les voici :

Est-il indispensable que l'Ettl exploite le chemin de fer ? Je dis non.

L'Etat peut-il exploiter aussi économiquement qu'un entrepreneur particulier le ferait ? Je dis non.

L'Etat doit-il conserver un service qui détruit quelques millions d'impôt, alors qu'il peut avoir le même service, sans atteindre l'impôt ? Et je dis encore non.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si la chambre est incompétente aujourd'hui, elle le sera aussi bien dans un an.

M. le président. - Comment M. Julliot entend-il sa proposition d'ordre du jour ?

M. Julliot. - J'entends que la chambre ne s'occupe plus du projet de loi, qu'elle abandonne la fixation du tarif au gouvernement, et que celui-ci, à la session prochaine, présente un projet de loi définitif, soit pour l'exploitation par l'Etat, soit pour l'adjudication publique.

M. le président. Donc M. Julliot propose l'ajournement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, l'ordre du jour.

M. le président. - L'adoption de la proposition aurait pour résultat qu'on ne s'occuperait plus du projet de loi.

M. Julliot. - Et qu'on passerait à l'ordre du jour.

M. le président. - C'est donc une réclamation d'ordre du jour, dans le sens de l'article 24 du règlement.

M. Lebeau. - On ne peut passer à l'ordre du jour sur un projet du gouvernement.

M. le président. - Je ne puis empêcher M. Julliot de faire une proposition, que du reste je ne juge point.

M. Delehaye. - J'étais inscrit dans la discussion générale. Je crois (page 828) même que mon tour de parole était arrivé, lorsqu'à été faite la proposition d'ordre du jour dont l'adoption équivaudrait au rejet pur et simple de la loi. D'après le signe affirmatif que fait l'honorable membre, je vois que, dans sa pensée, sa proposition a cette portée.

Puisqu'il en est ainsi, je regrette qu'il ait fait sa proposition seulement aujourd'hui. Après dix ou douze séances, il serait fâcheux de renvoyer le débat à l'an prochain, alors surtout que la discussion a fait un grand pas, puisque à la fin de la séance d'hier il a été constaté que la section centrale et le gouvernement étaient d'accord sur la portée que devait avoir le tarif.

L'honorable M. Julliot vient de dire que, si sa proposition était rejetée, il s'abstiendrait.

Je dis que si l'honorable M. Julliot veut être conséquent avec sa proposition, il ne doit pas s'abstenir, il doit voter contre le projet. Car que résultera-t-il du rejet du projet ? Il en résultera ce que veut l'honorable M. Julliot, c'est que le gouvernement sera investi comme aujourd'hui du pouvoir de modifier les tarifs comme il l'entend. Car le gouvernement n'avait pas besoin de soumettre un projet à la chambre pour modifier les tarifs. Mais enfin puisque ce projet nous est soumis, je crois que l'honorable M. Julliot ferait bien de retirer sa proposition et de laisser son libre cours à une discussion qui est à la veille d'aboutir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le projet de loi dont la chambre est saisie a été déposé sur les instances d'une grande partie de l'assemblée. Que disait-on avant le dépôt du projet ? Que le gouvernement avait le pouvoir de régler les tarifs et qu'il les réglait mal, qu'il ne faisait pas produire au chemin de fer tout ce qu'il peut produire. Lorsque les pouvoirs qui ont été donnés au gouvernement seront expirés, il faut, ajoutait-on, que décidément la chambre elle-même s'occupe de cette question et statue définitivement. Voilà pourquoi le projet a été déposé.

Nous avons été heureux de voir à l'œuvre les honorables membres qui avaient dirigé tant et de si vives critiques contre l'administration.

La chambre et le pays seront enfin édifiés sur le mérite de leur tentative.

Maintenant, que demande l'honorable M. Julliot ? Si sa proposition tendait à un simple ordre du jour elle ne paraîtrait pas constitutionnelle ; on ne peut lui attribuer d'autre sens que celui-ci : Le rejet du projet de loi.

Or, l'honorable membre n'avait à faire aucune proposition pour demander le rejet du projet, il devait purement et simplement voter contre la loi. Peut-être n'a-t-il cherché que l'occasion de faire un discours. Maintenant le discours est fait ; la proposition devient sans objet ; il ne reste qu'à la retirer.

M. Julliot. - Mon intention n'a été autre que de laisser au gouvernement les coudées franches pour établir les tarifs et les changer une fois, deux fois, trois fois dans le courant de l'année, s'il le voulait, afin de faire une épreuve aussi complète que possible.

La chambre paraît témoigner le désir que je retire ma proposition. J'accède au vœu de la chambre.

M. le président. - La proposition est retirée. La discussion générale continue.

M. Delehaye. - Messieurs, au point où en est venue la discussion, et surtout, comme je l'ai dit tantôt, après les explications échangées, à la fin de la séance d'hier, entre M. le rapporteur de la section centrale et M. le ministre des finances, je pense que nous sommes tous d'accord qu'il faut travailler à rendre le chemin de fer le plus utile et le plus productif possible. Je dirai même que, dans ma pensée, le chemin de fer ne sera réellement productif que lorsqu'il sera tout à fait utile. Ainsi ce double but est inséparable : pas d'utilité réelle, si ce n'est lorsque vous aurez obtenu un produit considérable.

Messieurs, le gouvernement nous a présenté en 1849, comme l'a dit M. le ministre des finances, un projet de loi qui était destiné à faire subir au chemin de fer toutes les expérimentations qui avaient été jusque-là indiquées. On différait généralement sur la manière d'établir les tarifs. Quelques-uns voulaient des tarifs considérablement augmentés ; d'autres prétendaient au contraire, qu'en admettant des tarifs très modérés et en baissant même ceux que nous avions, on obtiendrait des résultats plus favorables.

Le gouvernement en vous présentant son projet a cru qu'il pourrait faire l'expérimentation de tous les systèmes mis en avant. En effet pour quelques stations le tarif était évidemment exagéré ; pour d'autres stations il était très modéré ; pour d'autres les prix étaient maintenus.

En adoptant donc le système du gouvernement, vous permettrez de reconnaître si ce sont en effet les tarifs les plus bas qui donnent les meilleurs produits au trésor.

On a combattu cette opinion, et l'honorable membre qui le premier a parlé dans cette séance, s'est appuyé pour cela sur des exemples qui ne me paraissent nullement applicables à la Belgique.

M. Dumortier. - Ils sont pris dans la Belgique même.

M. Delehaye. - Je fais un appel à la raison de mon honorable collègue et ami M. Dumortier.

Il existe un chemin de fer de 8 lieues entre Bruges et Charleroy, il en existe un de 8 lieues entre Bruxelles et Anvers. Me donnerait-il raison si je prétendais que ces deux chemins de fer, parce qu'ils ont la même longueur, doivent donner les mêmes résultats ? Incontestablement non. Or, comment voulez-vous qu'en comparant des chemins de fer étrangers aux nôtres exclusivement à raison de la dislance, on puisse en tirer une conclusion vraie ? Qui vous dit que tel chemin de fer français, par exemple, dont on vous parle, ne repond pas à des besoins beaucoup plus considérables que le chemin de fer belge ? que les raisons de différence que vous remarquez entre le chemin de fer de la Flandre orientale et celui de Bruxelles à Anvers, ne se présentent pas aussi entre les chemins de fer étrangers dont vous invoquez l'exemple,et les chemins de fer belges ?

Messieurs, au lieu d'aller prendre des exemples à l'étranger, je vais en prendre un dans la Belgique même.

Il existe entre Gand et Bruges (et je suis le premier qui ait appelé l'attention du gouvernement sur cette anomalie) une station, celle de Landeghem. Incontestablement la ville de Gand a une importance plus grande que celle de Bruges.

En effet Gand, le chef-lieu de province, est le siège de la cour d'appel, d'un tribunal de première instance ; elle a des relations commerciales et industrielles beaucoup plus importantes que Bruges. Comment se fait-il donc que la station de Landeghem donne beaucoup plus de voyageurs pour Bruges que pour Gand ? Cela est dù à une seule cause ; c'est que de la station de Landeghem on paye deux fois plus pour aller à Gand que pour aller à Bruges. Changez cet état de choses ; établissez les mêmes péages dans les deux directions, et immédiatement la différence sera tout à l'avantage de la ligne vers Gand.

Voilà un exemple pris dans notre propre pays, et qui, je pense, est plus frappant que tous ceux que l'on a cités. Je prendrai un autre exemple pour démontrer à la chambre la grande infiuence des prix réduits. Vous avez eu en été des trains de plaisir. Ces trains ont attiré tous ceux qui avaient du temps disponible. Ce n'est pas sans doute parce qu'ils portaient le nom de trains de plaisir. Pourquoi donc ont-ils attiré tant de monde ? C'est parce que la réduction des prix a permis à un grand nombre de personnes de profiter des avantages du chemin de fer.

Je vous citerai un autre exemple encore.

Tout le monde se rappelle qu'avant l'organisation des chemins de fer, il existait des relations extrêmement suivies entre Bruxelles et Gand, que ces relations étaient devenues tellement nombreuses, qu'un nombre considérable de voitures parcouraient journellement la distance entre les deux villes. On organisa un service anglais qui mettait deux heures de moins à faire le trajet, mais qui faisait payer deux tiers de plus que le prix des autres voitures. Quelle a été la conséquence de ce prix plus élevé ? Ce fut de faire tomber complètement le service anglais. Malgré l'avantage qu'il présentait par sa rapidité, il ne put se maintenir.

Faut-il, messieurs, aller plus loin ? Que chacun de vous se consulte. Le chemin de fer procure certains avantages. Mais n'est-il pas évident que plus il faudra faire de sacrifices pour obtenir ces avantages, moins il y aura de personnes qui chercheront à en profiter ? Il faut donc faire en sorte que tout le monde puisse profiter du chemin de fer, qu'il soit à la portée de toutes les fortunes.

Mais si cet avantage n'est plus à la portée d'un grand nombre d'individus, quelle en sera la conséquence ? C'est que le nombre de ceux qui payeront cet avantage sera diminué dans une proportion considérable.

On a parlé des chemins de fer français et allemands. Moi aussi j'ai voyagé, sur ces chemins de fer, et savez-vous, messieurs, ce qui s'y passe ? C'est que les voitures de première classe sont complètement désertes. Il y a à cela une seule exception : il y a un convoi où il n'en est pas ainsi, mais c'est que là il n'y a qu'une seule classe de voitures ! En Allemagne, où la plupart des convois sont composés de trois ou quatre classes de voitures, celles de la première classe sont entièrement désertes.(Interruption.) Mais les dénégations de l'honorable membre ne peuvent exercer la moindre infiuence ; ce que je dis, je l'ai vu.

Pour tous ceux qui font usage du chemin de fer, je le demande, messieurs, n'esl-il pas évident que beaucoup de personnes, qui appartiennent aux premières classes de la société, prennent des chars à bancs ou des waggons ? Je ne fais pas un voyage à Gand sans avoir sous les yeux de nombreux exemples de ce que j'avance.

Eh bien, messieurs, si vous augmentez les prix, une partie de ceux qui voyagent dans les diligences prendront des chars à bancs, une partie de ceux qui voyagent dans les chars à bancs prendront des waggons, et une partie de ceux qui voyagent en waggons ne voyageront plus du tout.

Voilà, messieurs, ce que l'expérience nous enseigne : elle prouve que le seul moyen d'augmenter les recettes, c'est d'abaisser les prix dans une juste mesure.

On vous a dit : Messieurs, mais que la question soit soumise à quatre négociants, et elle n'exigera pas huit jours de discussion. Je suis parfaitement de cet avis ; je suis convaincu que quatre négociants comprendraient très bien que pour obtenir de grands bénéfices sur un objet quelconque il faut mettre cet objet à la portée du plus grand nombre possible de personnes. Tous les négociants savent très bien qu'il est infiniment préférable de renouveler fréquemment un petit bénéfice que d'avoir de gros bénéfices qui ne se reproduisent qu'à de très rares intervalles.

On a parlé des économies à faire. Je pense aussi qu'il serait possible de réaliser des économies. Mais qu'on se garde bien de chercher l'amélioration de la situation financière dans une augmentation des tarifs du chemin de fer. Qu'on se garde bien surtout d'admettre comme principe que la loi de 1834 a voulu que le chemin de fer se suffit à lui-même.

M. Dumortier. - C'est positif.

M. Delehaye. - Si une pareille idée avait pu germer dans la tete d'un membre de la chambre, je dirais que c'est une hérésie. Comment ! (page 829) vous voulez qu’a priori le législateur ait dit que le chemin de fer devait se suffire à lui-même ? (Interruption.) Mais permettez moi de faire un appel à votre raison ; Comment voulez-vous que l'on ait dit a priori qu'une entreprise de 200 millions devrait se suffire à elle-même ? Mais je suppose qu'en augmentant les tarifs vous n'obteniez pas plus de recettes ; vous augmentez encore et les recettes diminuent ; comment ferez-vous pour arriver au résultat que vous dites avoir été voulu par la loi de 1834 ?

Mais, messieurs, on parle toujours du chemin de fer ; quelle est donc en Belgique la voie de communication de quelque importance qui se suffît à elle-même ? Voyez les routes, les canaux : est-ce que les routes, celles mêmes qui sont le plus fréquentées, couvrent les frais de leur entretien et l'intérêt du capital consacré à leur construction ? Nous avons à Gand, centre de population très considérable, différentes chaussées ; eh bien, avant même la construction du chemin de fer, pas une seule de ces chaussées ne se suffisait. L'honorable M. Dumortier a-t-il jamais entendu faire payer par les routes leurs frais d'entretien et l'intérêt de leur capital ?

Messieurs, dans la proposition de l'honorable M. Vermeire, il est une disposition que je trouve sage, c'est d'évaluer les distances à vol d'oiseau, sauf les modifications à faire subir à ce principe, d'après le système du gouvernement.

Quant au tarif, je suis partisan des prix les plus bas. L'honorable M. Dumortier a parlé de tarifs immodérés ; je ne comprends pas, je l'avoue, le sens qu'il a attaché à ce mot : je suis convaincu que ce n'est qu'au moyen d'un tarif peu élevé que vous pourrez remplir vos voitures. Lorsqu'un convoi part de Bruxelles, par exemple, il est rare que plus du tiers des voitures soient pleines : abaissez vos tarifs, vous remplirez vos voitures et vous arriverez à des recettes plus fortes.

Consultez les quatre négociants dont parlait l'honorable M. Dumortier et ils vous diront qu'il vaut mieux prélever 25 centimes sur 200 personnes que 50 centimes ou 1 franc sur 20 personnes. C'est dans la réduction des prix et non dans leur augmentation que vous devez chercher l'augmentation des produits. En abaissant les prix, vous obtiendrez des avantages pour le trésor et des avantages pour le pays, qui ne peut que gagner à ce qu'il y ait des communications faciles, régulières et surtout peu dispendieuses,

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, je ne veux certainement pas prolonger inutilement cette discussion ; mais je tiens à ne pas laisser sans réplique les erreurs, je dirai : les incroyables erreurs, commises par l'honorable M. Dumortier.

Il n'entre pas dans mes habitudes de suspecter la bonne foi de mes adversaires ; mais j'ai été réellement surpris, j'ai été péniblement surpris que l'honorable M. Dumortier, qui, au début de son discours, faisait appel à la bonne foi de ses adversaires, n'ait pas usé de son intelligence, lorsqu'il a déduit les conséquences des résultats erronés qu'il a produits devant la chambre.

L'honorable membre a commencé par reprocher au gouvernement de ne pas avoir opéré sur les résultats généraux, mais de n'avoir considéré que quelques relations isolées, et il a oublié qu'il y avait une raison excellente pour ne pas faire servir les résultats généraux à établir la mesure de l'influence des différents tarifs, c'est que dans les divers exercices, en 1838, en 1839, en 1840, en 1841 et en 1842, les réseaux n'étaient pas les mêmes. Ainsi, en janvier 1838, on exploitait 143 kilomètres. (Interruption.) En avril, 139 ; en août, 225 ; en septembre, 257 ; en septembre 1839, 280 ; en octobre, 310 ; en juin 1840, 330 ; en novembre 1841, 360 ; en janvier 1842, 375 ; en mai, 382 ; en août, 392 ; en septembre, 402 ; en novembre, 435.

L'honorable M. Dumortier a reproché au gouvernement de prendre pour point de comparaison des relations isolées....

M. Dumortier. Vous ne me répondez pas.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je réponds à ce reproche de l'honorable M. Dumortier.

L'honorable membre a dû reconnaître que lorsque j'ai comparé dans mon premier discours, le tarif de M. de Theux à celui de M. Nothomb, et celui de M. Nothomb à celui de M. Rogier, je ne pouvais pas comparer les résultats généraux de 1838 aux résultats généraux de 1839, pas plus que je ne pouvais comparer les résultats généraux de 1840 aux résultats généraux de 1841. Je ne le pouvais pas, à moins de manquer à la bonne foi. Je devais nécessairement tenir compte de la différence du réseau qui avait reçu une extension successive, à tel point qu'en 1847, il y avait 560 kilomètres en exploitation, tandis qu'en 1849 il y en avait 620 en exploitation. C'était là une excellente raison pour ne pas tenir compte des résultats généraux dans les comparaisons auxquelles je me suis livré. Celles-ci ne pouvaient s'établir que sur les relations de station à station sur lesquelles l'application de tous les tarifs avait porté.

L'honorable M. Dumortier a parlé de la seule expérience qui ait été faite en 1841, expérience incomplète, parce qu'elle n'a porté que sur trois mois, ou plutôt incomplète parce que le tarif de M. Rogier n'a pu fonctionner régulièrement que pendant un mois, incomplète encore, parce que le résultat de l'abaissement du tarif ne devait pas se faire sentir immédiatement ; parce que cet abaissement du tarif ne pouvait sortir ses effets qu'après un laps de temps plus long.

L'honorable membre a-t-il tenu compte de la différence du réseau, lorsqu'il a comparé les mois de mai, juin et juillet 1841, aux résultats des mois de mai, juin et juillet 1842 ? Non ; il a dit avoir trouvé une différence de 200,000 francs. J'ai interrompu l'honorable membre pour lui faire remarquer encore une fois qu'il ne tenait pas compte de la différence de 32 kilomètres qui représentent, en moyenne, une somme de 600,000 francs par an, laquelle, répartie sur trois mois d'été, fait bien la différence de 200,000 francs, dont a parlé l'honorable M. Dumortier.

Mais il y a d'autres raisons, d'autres faits qui auraient dû déterminer la conviction de l'honorable membre, c'est que le mois de mai 1841, pendant lequel on a fait l'expérience du tarif de M. Rogier, a donne, par rapport au mois de mai 1840, une augmentation de 30 p. c. sur la circulation des waggons ; il est avéré que le mois de juin est, sous le rapport de la circulation comme sous celui de la recette, un mois plus favorable que le mois de mai ; et cependant au mois de juin 1841 l'augmentation proportionnelle des voyageurs en waggons, par rapport au mois correspondant de l'année antérieure, n'a été que de 20 p. c, sur les waggons ; il est évident, dès lors, que si le mois de juin 1841 n'a pas donné une augmentation de circulation beaucoup plus forte que le mois de juin 1840, cela tient à des circonstances exceptionnelles, au temps constamment pluvieux.

M. Dumortier. - Il faut prendre les chiffres.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je prends les chiffres des recettes, puisque l'honorable membre m'y convie.

Le mois de mai 1841 avait donné une recette de 151,286 fr. pour les waggons ; le mois de mai 1840, pendant lequel on avait appliqué le tarif de M. Nothomb, avait donné 140,654 fr., c'est-à-dire une somme moindre que le mois de mai 1841. Les chars à bancs avaient produit, au mois de mai 1841, 124,972 fr., et au mois de mai 1840,126,662 fr., soit à peu près le même chiffre. Au mois de mai 1841, il y a eu perte sur les diligences ; mais en 1841, le prix des diligences a été plutôt élevé qu'abaissé, comparativement au tarif des diligences en 1840 ; la perte subie sur les diligences au mois de mai 1841 n'était donc pas due, ne pouvait pas être due au tarif. Elle était due à une cause de déclassement dont la commission de 1841 a signalé elle-même l'existence, et qui remontait au mois de janvier, par conséquent à une époque antérieure à l'application du tarif de M. Rogier. J'aurais voulu que l'honorable M. Dumortier, qui a fait, depuis plusieurs années, avec assez peu de succès, à ce qu'il paraît, une étude spéciale des questions qui se rattachent au chemin de fer, eût tenu compte des circonstances que je viens de signaler, et qui auraient donné au rapport de la commission une portée tout à la fois plus vraie et plus rationnelle.

Un second fait qui a servi de base à l'argumentation de l'honorable membre, c'est celui qu'il a tiré des résultats obtenus, en 1850, sur le chemin de fer du pays de Waes.

Il est encore une fois fort regrettable que quand on invoque des faits, on ne les présente pas dans leurs divers éléments. Je tiens en mains un rapport émané de la direction du chemin de fer d'Anvers à Gand par St-Nicolas. Eh bien, la recette pendant six mois de l'année 1850, quand on la compare aux six mois correspondants de l'exercice 1849, présente une augmentation notable ; mais cette augmentation est due en grande partie aux mesures de l'administration ; elle est due aussi à l'amélioration générale de l'année 1850, par rapport à l'année 1849, amélioration dont les recettes de notre chemin de fer se sont heureusement ressenties ; elle est due ensuite à l'organisation d'un service d'omnibus à Anvers, à l'établissement d'un passage facile sur l'Escaut ; elle est due enfin à cette circonstance si importante que, pendant les mois d'été de 1849, qui sont entrés dans la comparaison, le choléra a sévi avec une intensité très violente à Gand et à Anvers ; tout le monde sait que, pendant ces mois, les déplacements ont été considérablement restreints entre ces localités.

Un autre fait qui prouve à la dernière évidence que l'accroissement de recettes dont l'honorable M. Dumortier se prévaut pour attaquer le système des tarifs modérés n'est pas dû à l'augmentation des prix, c'est le fait que voici :

Pour onze relations, les prix n'ont pas varié, le mouvement a augmenté de 18 p. c. et la recette de 19 p. c.

Sur la cinquième série du tableau de cette administration, les mouvements n'ont augmenté que de 7 7/10 p.c. et les recettes de 11 1/2 p.c On y avait augmenté les prix.

L'accroissement principal a porté sur la relation unique des villes de Gand et d'Anvers. Là, avec une augmentation notable de prix, variant pour les différentes classes de 14 à 33 p. c.on a obtenu un accroissement de circulation de 19 1/2 p. c. et un accroissement de recettes de 46 p. c.

M. Dumortier. - Mais l'augmentation des prix n'a pas fait tort à la recette.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - L'augmentation de prix n'a pas fait tort à la recette, me dit l'honorable membre, qu'en sait-il ? Pour le savoir, il faudrait savoir en même temps si, cette augmentation de prix n'existant pas, l'amélioration n'aurait pas été beaucoup plus considérable. (Interruption.)

L'honorable M. Cools me dit que c'est l'ensemble qu'il faut prendre. Je suis d'autant plus surpris que l'honorable membre me fasse cette objection qu'il m'a reproché de baser mes opinions sur des expériences non concluantes. L'honorable membre m'a dit : Vous prenez des tarifs qui n'ont existé que pendant quelques mois, qui n'ont existé que pendant quelques années ; et l'honorable membre pour combattre le système du gouvernement, pour défendre le principe de tarifs plus élevés, se fonde sur une expérience qui a six mois de durée, et qui a été faite dans les circonstances que j'ai rappelées tout à l'heure.

(page 830) Du reste, il est à remarquer que par les facilités de coïncidences introduites dans le service en 1850, beaucoup de voyageurs entre Anvers et la ligne de l'Ouest, qui prenaient auparavant le chemin de l'Etat, se sont servis de la ligne plus courte d'Anvers sur Gand. D'autre part, l'administration elle-même de ce chemin a observé que le nombre d'étrangers qui ont parcouru sa ligne entre Gand et Anvers a été beaucoup plus considérable.

L'honorable M. Dumortier a invoqué le chemin de fer de Tournay à Jurbise. Je ferai remarquer à l'honorable membre que les tarifs qui régissent le chemin de fer de Tournay à Jurbise sont les mêmes que ceux qui régissent les autres lignes du chemin de fer, et que ces tarifs sont restés les mêmes pendant les années 1849 et 1850.

Le chemin de fer de l'Etat a donné, lui aussi, en 1850 des recettes beaucoup plus considérables qu'en 1840 ; de telle sorte que des trois exemples invoqués par l’honorable M. Dumortier, de l’exemple tiré de l’expérience incomplète faite en 1841, de l’exemple tiré du chemin de fer de Saint-Nicolas à Gand, de l’exemple tiré du chemin de fer de Tournay à Jurbise, aucun n’est réellement sérieux.

L'honorable M. Julliot, à l'occasion de la proposition qu'il a faite et sur laquelle je ne m'étendrai pas puisqu'il l'a retirée, a proclamé le principe de l'incompétence de l'Etat en matière de travaux publics. Je ne crois pas devoir rentrer dans les développements de cet objet auquel se rattache une question de dignité nationale et d'intérêt national.

Il est évident pour moi qu'il y aurait un mal véritable à abandonner à l'industrie privée la création de tous les grands travaux qui intéressent la prospérité du pays.

Je dois aussi faire remarquer à l'honorable M. Julliot qu'en déclarant l'Etat incapable et en lui opposant les résultats favorables obtenus par l'administration du chemin de Tournay à Jurbise, il s'est mis en contradiction avec lui-même. Cet honorable membre a rendu hommage à l'habileté, à l'intelligence des directeurs de ce chemin ; il aurait bien dû accorder une part de ses éloges au gouvernement qui est le seul directeur de l'exploitation de cette voie ferrée.

J’ai dit en commençant que je ne voudrais pas prolonger cette discussion, cependant je tien à répondre un mot à l’honorable M. Vermeire ; il m’a reproché d’avoir commis beaucoup d’inexactitudes. Je tiens à me justifier de ce reproche.

L'honorable membre a regretté vivement que j'eusse pris pour point de comparaison la ville de Termonde ; il m'a demandé si c'était intentionnement que j’avais choisi les relations entre Termonde et Gand. Je répond : Oui, c’est intentionnellement, aussi intentionnellement que lorsque, répondant à l’honorable M. Osy, j’ai parlé des mouvements de voyageurs en destination d'Anvers. J'ai choisi les relations de Termonde avec d'autres localités, parce que je croyais que ces exemples étaient de nature à frapper davantage l'esprit de l'honorable député de Termonde.

Aucune autre pensée qu'il pourrait me prêter à ce sujet n'est entrée dans mon esprit. Je suis convaincu du désintéressement et du patriotisme des habitants de l’arrondissement de Termonde, je suis convaincu qu’ils consentiraient, s’il le fallait, à payer une augmentation de prix de 30 p. c. pour accroître les ressources du trésor ; mais je suis convaincu aussi qu'ils seraient contrariés de payer une surtaxe de 30 p. c. si elle ne devait pas amener cette augmentation de recettes pour le trésor.

L'honorable membre attend de son tarif ce résultat favorable. Sur ce point nous ne sommes pas d'accord.

J'avais dit : 20 mille voyageurs vont de Termonde à Gand, par waggons ; ils payent un franc, ce qui fait une recette de 20 mille francs. L'honorable député de Termonde propose de fixer le prix du waggon à 4 c. 1/4 par kilom.

J'étais donc bien autorisé à dire qu'il proposait d'augmenter le prix par rapport au tarif existant de 30 p. c., puisqu'on adoptant cette base on payerait désormais en waggon, de Termonde à Gand, 1 fr. 30 c. La distance est en effet de 30 kilomètres et non pas de 37, comme l'a prétendu erronément l'honorable membre. Si cette distance était, comme le suppose M. Vermeire, de 37 kilomètres, le prix nouveau serait de 1 fr. 55, ce qui constituerait une aggravation de 35 p. c. sur le prix actuel.

J'avais dit aussi que, dans ma conviction, le prix de 1 fr. 30 représentant une augmentation de prix de 30 p. c. déterminerait une décroissance dans le mouvement qui s'élèverait probablement de 40 à 50 p. c ; mais je faisais remarquer en même temps que si on ne comptait seulement que sur une diminution de 25 p. c. dans la circulation, on n'aurait plus entre Termonde et Gand que 15,000 voyageurs, lesquels payant 1 fR. 30, ne produiraient qu’une somme de 19,500 fr., au lieu de 20,000 francs ; donc perte pour le trésor, perte pour le public.

- Un membre. - C'est une hypothèse !

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai déjà répondu à cela ; je ne veux pas revenir sur les faits que j'ai produits et sur lesquels se fondent mes prévisions.

Il y a une autre considération qu'on ne doit pas perdre de vue. L'honorable M. Vermeire attend d'une augmentation moyenne de 10 p. c. (c'est à ce chiffre qu'il évalue les effets de son tarif), des résultats satisfaisants pour le trésor ; il suppose que la circulation restera la même et qu'il y aura 10 p. c. de plus de recette.

Cette augmentation de taxe peut-être serait peu de chose si les prix étaient uniformes.

Mais l'honorable membre n'aurait pas dù perdre de vue que cette augmentation de 10 p. c. ne constituerait, dans l’état actuel de nos tarifs, irréguliers pour certaines relations, que 4, 5, 7 et 8 p. c, mais que pour certaines autres, et elles sont nombreuses, qui seront affectées sensiblement par la régularisation du tarif, l'augmentation serait de 20, 30 et 40 p. c.

Pour celles-là, la nouvelle surtaxe amènerait une décroissance notable dans la circulation et une diminution inévitable dans les recettes. C'est, sous ce rapport que je ne puis me rallier à la proposition de M. Vermeire.

Je vais citer un exemple :, L'honorable membre m'a fait un reproche d'avoir dit qu'il y aurait 50 p. c. deplus à payer de Bruxelles à Vilvorde ; je maintiens l'exactitude de ce dire.

M. Vermeire. - Comparativement à ce qui existe.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je crois m'étre expliqué clairement, j'ai dit que, comparativement au prix actuel, on payerait 50 p. c. de plus de Bruxelles à Vilvorde.

M. Vermeire. - Je n'ai pas nié cela.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Sans doute, mais alors ne me reprochez pas de vous avoir prêté une « énormité ». Je lis dans votre discours :

« M. le ministre, en citant son exemple de Vilvorde, me fait commettre une énormité, parce que, par mon tarif, j'augmente, dans la direction de Bruxelles à cette station, les places des waggons à raison de 50 p. c. Mais M. le ministre oublie de nous dire que lui-même, dans son nouveau tarif, les augmente de 33.33 p. c, etc. »

Mais c'est précisément parce que les effets inévitables de la régularisation du péage doivent grever certaines relations d'une surtaxe considérable, que le gouvernement insiste pour que, dès maintenant du moins, on ne rende pas cette situation plus fâcheuse encore par une surtaxe générale.

L'honorable membre établit encore que le tarif du gouvernement apporte au système actuel une diminution moyenne de 1.65 p. c.,qui serait répartie comme suit :

Sur la première classe 1 33 p. c.

Sur la deuxième classe 4 64 p. c.

Sur la troisième classe 10 16 p. c.

Je serais extrêmement curieux de connaître par quels calculs on établit que la modification que je propose sur les waggons, en les portant, au lieu de 3 c. 6 à 5 c. 75 par kilomètre, constituerait une diminution quelconque dans le prix de cette classe.

En appliquant les bases que j'ai proposées au nombre de voyageurs-kilomètres renseignés dans le tableau qui est annexé au dernier rapport de la section centrale, et en tenant compte, pour chaque voyageur, du kilomètre additionnel, on trouve, pour un mouvement égal, une recette de 38,377 fr. plus élevée que par l'application des bases primitivement proposées.

Et puisque je viens de parler du kilomètre additionnel, je dois dire que l'honorable M. Vermeire semble vraiment ne pas comprendre la portée de la disposition de l'article 3, dont il demande la suppression : c'est afin d'éviter des anomalies que le gouvernement propose de compter ce kilomètre additionnel.

En effet, le kilomètre étant l'unité de distance, les fractions de kilomètre, de 300, de 400 mètres sont négligées. Si maintenant, sur plusieurs parties successives d'un même trajet, entre deux stations données, on a dû négliger des fractions de kilomètre, il en résulte nécessairement que la distance totale sera plus grande que la somme des distances partielles. Comme on applique les prix par kilomètre, on payerait plus pour le parcours total en un seul trait que pour les parcours partiels. C'est là une de ces anomalies qui existent aujourd'hui et que le tarif régularisateur doit nécessairement faire disparaître.

Le membre qui a parlé avant moi, l’honorable M. Delehaye, tout en se ralliant aux principales dispositions du projet de loi et au principe d’une tarification modéée, a fait une observation à laquelle je dois répondre : il semble ne pas accepter le principe des distances légales auxquelles le gouvernement ne touchera pas : il conteste, si j'ai bien compris sa pensée, l'opportunité des réductions de parcours qui ont été introduites administrativement.

M. Vermeire. - D'après le tableau, il y aurait augmentation.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il y a quelques erreurs dans ce tableau ; mais les distances auxquelles on appliquera la taxe resteront les mêmes que celles que l'on compte actuellement, c'est-à-dire, qu'on maintiendra purement et simplement les réductions de longueur réelle accordées à certains parcours. Il est essentiel d'en agir ainsi, parce que notre tarif ne porte que sur la régularisation des prix seulement.

D'autre part, pourquoi renoncerions-nous au principe suivi jusqu'à présent ? Par le système de l'appréciation des distances à vol d'oiseau, on serait conduit à des anomalies bien plus choquantes : c'est ainsi que de Bruxelles à Courlray on payerait moins que de Malines à Courtray, bien que, pour faire ce trajet, on doive passer par Malines.

Je finis, en déclarant que le gouvernement apporte dans cette question une bonne foi entière. Il vous soumet les faits et ces faits défient toute contradiction ; il vous dit ce que l'expérience a constaté : c'est l'influence favorable des tarifs modérés sur les mouvements et les (page 831) recettes. Si la chambre croit que les éléments de conviction ne sont pas suffisants, si elle croit que, dans l'intérêt du trésor, dont le gouvernement est aussi ménager que la chambre elle-même, on peut relever le tarif, sans nuire notablement à la circulation, qu'elle le décide. Pour le gouvernement, eson devoir était d'éclairer la législature et le pays. Ce devoir, je crois l'avoir accompli.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures 3/4.