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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 mars 1851

Séance du 27 mars 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Ansiau (page 1018) procède à l'appel nominal à 1 1/2 heure

- La séance est ouverte.

M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en esl approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« La chambre de commerce de Liège présente des observations au sujet de la pétition de négociants et armateurs d'Anvers, tendante à obtenir au moins une modification provisoire à la loi des droits différentiels quant aux navires venant des régions transatlantiques, et demande que cette loi soit aussi modifiée au point de vue des transports par terre et de la navigation fluviale, notamment de celle de la Meuse. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Le sieur Lefebvre demande un subside pour l'aider à faire connaître le moyen de combattre la maladie qui attaque les pommes de terre. »

- Renvoi à la commision des pétitions.


« Les sieurs de Gruyter, Van Putte et le sieur Mols, administrateurs de la société d'irrigation de la Campine, prient la chambre de ne pas prendre en considération la proposition de loi qui établit une redevance annuelle sur les terres irriguées par le canal de la Campine. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion sur la prise en considération de la proposition de loi.

M. Coomans. - La proposition de l'honorable M. de Perceval a répandu l'alarme dans deux de nos provinces les moins favorisées de la nature et du budget. La menace d'un impôt écrasant à prélever sur toutes les terres irriguées, inquiète les défricheurs, entrave leurs opérations, ruine leurs espérances et menace du chômage des milliers d'ouvriers. Je puis certifier à la chambre que tous les travaux sont à la veille de s'arrêter, et qu'ils seraient entièrement suspendus le jour même où le projet de loi de M. de Perceval serait pris en considération.

J'ai donc l'honneur de vous demander, messieurs, non seulement que la commission des pétitions soit engagée à faire un prompt rapport sur celle dont on vient de vous indiquer la substance, mais que la proposition de M. de Perceval soit examinée sans retard et qu'une décision ne se fasse pas attendre. Plein de confiance dans la justice et les lumières de cette assemblée, je ne crains pas qu'elle vote une mesure qui serait l'arrêt de mort de l'agriculture campinoise, mais la simple menace d'une mesure semblable exerce déjà sur mon arrondissement une si mauvaise influence, que je supplie la chambre d'aborder le plus tôt possible l'examen ûe cette désastreuse proposition.

- - Un membre. - Il y a urgence. A samedi.

M. Coomans. - Il faut une prompte décision. Tout ajournement serait d'autant plus fâcheux, que la campagne de 1851 est ouverte, et qu'il y a nécessité d'exécuter, tout de suite, certains travaux de defoncement et d'irrigation.

M. le président. - M. Coomans, si je ne me trompe, fait deux propositions ; il propose d'abord de renvoyer la pétition à la commission avec prière de faire un très prompt rapport ; puis il demande qu'on s'occupe le plus tôt possible de la proposition de M. de Perceval.

M. de Perceval. - Je dois faire observer à l'honorable M. Coomans qu'il anticipe un peu sur les débats qui doivent s'ouvrir sur la prise en considération de ma proposition de loi. Ce n'est pas encore le moment de l'examiner ni de la discuter.

Quand s'ouvrira cette discussion, la chambre pourra se prononcer sur ma proposition en pleine connaissance de cause, et j'espère pouvoir lui démontrer que, bien loin de ruiner la Campine, elle favorisera les travaux qui s'y exécutent.

En déposant ma proposition de loi, je n'ai eu d'autre but que de mettre un terme à une sorte de privilège dont jouissent quelques grands propriétaires à l'exclusion et au détriment de petits propriétaires.

Du reste, je me joins bien volontiers à l'honorable M. Coomans pour demander que la requête dont il s agit soit renvoyée à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport. Quant à la discussion sur la prise en considération de mon projet de loi, je demanderai à la chambre de la mettre à l'ordre du jour immédiatement après le vote de la loi sur le crédit foncier.

M. Coomans. - Il est probable que la discussion du projet de loi sur le crédit foncier durera encore 10 ou 12 jours au moins. L'influence désastreuse dont je parlais tout à l'heure est telle qu'au moment où je parle, 800 ouvriers sont menacés de n'avoir plus de travail, de n'avoir plus de pain d'ici à trois ou quatre jours. Je ne produis pas cette affirmation sans m'être assuré de la réalité des faits.

Je ne veux pas anticiper sur la discussion, je le montre bien en ne faisant pas valoir des arguments décisifs que je possède contre la proposition de M. de Perceval. L'honorable membre peut être persuadé que je justifierai amplement mon opposition à son plan financier. Je le conjure de se joindre à moi pour hâter l'heure où nous pourrons nous expliquer contradictoirement.

M. le président. - A quel jour proposez-vous d'en fixer la discussion ?

M. Coomans. - Je consulte naturellement les convenances de l'honorable auteur de la proposition, mais je désire qu'on fixe le jour le plus rapproché possible.

M. de Perceval. - Si on n'y trouve pis d'inconvénient, je proposerai de mettre cette discussion à l'ordre du jour de lundi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne vois pas la nécessité d'interrompre la discussion actuelle.

M. Coomans. - Si ! si !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est votre opinion, ce n'est pas la mienne ; je vais en énoncer les motifs.

Je ne vois pas, dis-je, la nécessite d'interrompre la discussion qui est entamée sur le projet de loi relatif au crédit foncier.

On nous annonce que cette discussion doit se prolonger beaucoup. Raison de plus pour la terminer sans désempartr. Il serait contraire à toutes les habitudes de faire intervenir une discussion qui peut se prolonger longtemps, pour remettre indéfiniment la discussion sur le projet de loi sur le crédit foncier.

J'insiste donc pour que l'ordre du jour soit maintenu.

M. Loos. - L'honorable ministre des finances ne voit pas, dit-il, la nécessité d'interrompre la discussion du crédit foncier, pour s'occuper de la prise en considération de la proposition de M. de Perceval. Cette nécessité avait cependant été suffisamment indiquée par l'honorable M. Coomans. Les défricheurs de la Campine sont menaces d'une mesure qu'ils considèrent comme ruineuse. Nous sommes à une époque de l'année où une nouvelle direction est donnée aux travaux. Des ouvriers doivent être engagés. Néanmoins, tant que la chambre n'aura pas statué sur la proposition de M. de Perceval, on ne fera rien (j'en suis informé, comme l'honorable M. Coomans), personne ne s'engagera dans des dépenses dont on ne retirerait aucun résultat. Il y a péril en la demeure. Je demande donc que la prise en considération de la proposition de M. de Perceval soit mise en discussion le plus tôt possible.

Il n'y a pas le même motif d'urgence pour le projet de loi que nous discutons en ce moment. Ce peut être un objet de convenance pour l'honorable ministre ; mais il n'y a pas péril en la demeure.

M. de Perceval. - Puisque une espèce de terreur s'est emparée de la Campine, comme le dit l'honorable député de Turnhout, je tiens aujourd'hui même à calmer les appréhensions des habitants de cette contrée, car il n'entre nullement dans mes intenlions de répandre des alarmes parmi ces populations.

En ce qui concerne le principe de la redevance, je le maintiens parce que je le crois juste et équitable ; mais je consentirai volontiers à modifier le chiffre de la redevance, à en réduire le taux.

Que la Campine, ou, pour mieux dire, que les propriétaires privilégiés des prairies irriguées qui longent le canal de la Campine, n'aient donc plus d'aussi vives inquiétudes.

Le taux de la redevance sera abaissé, mais, je le répète, je maintiendrai le principe qui se trouve déposé dans ma proposition de loi.

M. Coomans. - Messieurs, il est clair qu'une simple et vague déclaration de l'honorable membre ne peut suffire pour calmer les défricheurs de la Campine, que sa proposition menace d'une ruine complète.

M. de Perceval. - Il n'en est rien.

M. Coomans. - Je le prouverai en temps et lieu.

En supposant que l'honorable membre réduisit des 3/4 le chiffre de sa proposition, le mal serait encore le même, car le défrichement resterait impossible. Je n'accepte pas plus 10, ou 5, ou 3 francs que 50. Je réclame pour les bruyères irrigables le droit commun, qui est l'impôt foncier. (Interruption.) Qu'importe la diminution promise par l'honorable député de Malines !

Si à une terre qui vaut 75 francs vous imposez une redevance annuelle de 15 à 20 francs au lieu de 50 exigés par le projet de loi, le résultat est absolument le même. C'est à-dire que le défrichement ne peut se faire.

Du reste, dans la proposition il y a un autre vice que l'exagération de l’impôt, il s'y trouve deux choses : il y a le principe, que nous considérons comme injuste, comme inique ; et le chiffre que nous regardons comme ruineux et comme inapplicable. La proposition étant maintenue, nos craintes sont légitimes et notre opposition fondée.

- La chambre consultée renvoi la pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, et fixe à lundi la discussion sur la prise en considération de la proposition de M. de Perceval.

Projet de loi sur le crédit foncier

Discussion générale

M. le président. - M. Lelièvre a déposé les amendements ci-après :

Amendements proposés par M. Lelièvre.

« Art. 6, § 5 (7, § 2, de la section centrale). Toute somme non acquittée à l'échéance est passible, de p…it(deux mots illisibles, à comparer avec le texte initial) d'un intérêt de 2 1/2 p. c. par an. Cet intérêt est dù pour chaque semestre commencé.

(page 1019) « Art. 11 (10 de la section centrale). Substituer le mot : « transcrite », à l'expression : « réalisée ». »

« Art. 14, § 2 (20, § 1, de la section centrale). A défaut par les créanciers de s'être présentés dans le délai fixé pour le payement, ils sont censés refuser les offres, et les sommes qui leur sont dues sont déposées à la caisse des dépôts et consignations. »

« Art. 18 (26 de la section centrale).

« § 10 nouveau. Dans le cas prévu par l'article 2169 du Coie civil, et après l'accomplissement des formalités qu'il prescrit, la vente des immeubles hypothéqués est poursuivie par la caisse contre le tiers détenteur, conformément aux paragraphes 4 et suivants du présent article.

« §11 nouveau. L'assignation énoncée au paragraphe 4 qui précède sera inscrite, par extrait, sur le registre dont il est fait mention en l'article 677 du Code de procédure civiie. A partir de cette inscription, le débiteur ne pourra plus, au préjudice des droits de la caisse, aliéner les immeubles grevés d'hypothèque, à peine de nullité, sans qu'il soit besoin de le faire prononcer. »

« Art. 19 (27 de la section centrale).

« § 2 nouveau. Si l'une des parties refuse de nommer des arbitres, ceux-ci sont nommés d'office par le tribunal civil de la situation des biens ou de la majeure partie des biens.

« §3 nouveau. Le jugement fixe le délai de l'arbitrage, qui sera suivi conformément au Code de procédure. »

« Art. 27 (36 de la section centrale).

« Ceux qui auront contrefait ou falsifié les lettres de gage autorisées par la présente loi, ou qui auront fait usage de ces lettres contrefaites ou falsifiées, ou les auront introduites dans l'enceinte du territoire belge, seront punis des travaux forcés à temps. »

Peut-être serait-il convenable d'en ordonner l'impression, d'en renvoyer l'examen à la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que j'allais demander.

- Les amendements de M. Lelièvre seront imprimés et distribués. Ils sont renvoyés à l'examen de la section centrale.

M. le président. - La parole est à M. Lebeau, inscrit pour le projet.

M. Lebeau. - Messieurs, je n'ai ni la prétention ni l'espoir de ramener au système du projet de loi ceux que l'exposé des motifs fourni par le gouvernement, et le travail non moins consciencieux et non moins remarquable de l'honorable rapporteur de la section centrale n'auront pas convertis.

Mais, messieurs, il est difficile de ne pas exprimer ouvertement son opinion et de ne pas chercher à la motiver, lorsqu'une question occupe aussi vivement, à ce qu'il paraît, ou, du moins, à ce que l'on dit, l'attention publique. Il est difficile surtout de se résigner à émettre un vote purement silencieux, lorsque déjà le projet de loi, à peine soumis aux débats de la chambre, a été présenté comme consacrant des principes qui conduisent directement au socialisme et même au communisme.

Nous verrons, messieurs, tout à l'heure ce qui en est de ce stigmate qu'on veut imprimer, dès le début de la discussion, au projet de loi que nous examinons en ce moment.

Un honorable dépnté de Bruxelles, qui a ouvert la discussion hier, a d'abord caractérisé de la manière suivante le projet que nous examinons.

« De toutes les questions qu'il a été donné au gouvernement de soumettre à la législature, pas une peut-être, à l'égal du crédit foncier, n'a eu le singulier privilège de soulever autant d'opinions divergentes.

« Pour les uns, tout émerveillés du magnifique avenir qu'elle prétend nous réserver, c'est parler le langage du temps, c'est mettre le pied sur la terre promise.

« Pour d'autres, au contraire, pleine de périls, pleine de dangers, elle ne peut aboutir qu'à des désastres, qu'à des ruines. »

De manière qu'à cet égard, par l'autorité de l'honorable député de Bruxelles, le projet de crédit foncier a ce singulier privilège de n'avoir que des enthousiastes, des optimistes d'une part, des détracteurs et des pessimistes de l'autre.

Je prends la liberté de demander la permission de me placer au milieu de ces deux extrêmes.

Je crois que le projet de crédit foncier a des côtés très utiles et qu'il peut, sous bien des rapports, opérer d'une manière favorable à la propriété foncière. Je crois, d'autre part, que si ce projet n'est entaché d'aucun des signes de réprobation qu'on lui a prématurément infligés, il n'est pas destiné à amener des prodiges, que personne ne songe à lui demander et n'a promis en son nom.

Je regrette de n'avoir pas sous les yeux le discours de l'honorable M. de Liedekerke. Les Annales parlementaires ne l'ont pas encore publié.

L'honorable membre cependant, si je consulte mes notes, semble avoir réservé, comme habituellement on le fait dans une lettre, pour le post-scriptum, le plus grand reproche qu'il ait à adresser au projet de loi.

En terminant, c'est lui qui a présenté le projet de loi comme entaché de socialisme et de communisme.

L'honorable comte n'a pas vu que son anathème remontait bien au-delà des partisans du projet de loi. Il n'a pas vu que, de son autorité privée, il convertissait en socialistes le grand Frédéric d'abord, l'inventeur du système, l'empereur d'Autriche, le prince de Metternich, l'empereur Nicolas, si je ne me trompe, le roi de Bavière, le roi de Danemark, le roi de Suède.

Le roi de Bavière est le grand coupable ; et je désirerais que l'honorable députe de Bruxelles voulût bien expliquer l'exception qu'il a faite en faveur de l'organisation du crédit foncier en Bavière, lorsqu'on saura que le gouvernement bavarois intervient d'une manière tellement directe dans l'organisation dm crédit foncier, qu'il a introduit à cet égard quelque chose comme le cours forcé. (Interruption.) Je parle des obligations de banque émises à cette occasion.

Je dirai à nos honorables collègues qu'il faut craindre d'abuser de ces accusations de socialisme et de communisme. Si vous les prodiguez ainsi à tout propos et chaque fois qu'on essaye, après de longues et prudentes études, d'introduire dans notre législation une innovation, qui n'en est pas une pour d'autres peuples de l'Europe, vous émoussez d'avance l'arme dont vous vous servez avec tant de légèreté et dont vous prodiguez l'emploi à tout propos. Si véritablement vous aviez à sonner l'alarme à propos de projets entachés de ces vices, vous auriez à l'avance décrédité vos paroles, vous ne seriez plus écoutés ni ici ni au-dehors.

L'intervention de l'Etat, c'est ce que vous voyez à un haut degré dans le projet actuel. Mais pourquoi donc vous en effrayez-vous tant aujourd'hui, lorsque vous ne vous en êtes pas effrayés dans deux ou trois lois que vous avez votées tout récemment ? Est-ce que vous n'avez pas accordé dans l'organisation de la nouvelle Banque Nationale une assez large part à l'intervention de l'Etat ? Est-ce que le gouvernement ne nomme pas en grande partie son personnel ? Est-ce qu'il n'a pas le droit d'assister en quelque sorte par son délégué à toutes les opérations qui s'y font ? Est-ce qu'il ne l'a pas prise ainsi plus ou moins sous son patronage ?

Si l'intervention de l'Etat vous fait si peur, pourquoi donc ce patronage accordé par une immense majorité à la caisse de retraite ? Pourquoi donc avez-vous mis sous le patronage de l'Etat, sous sa responsabilité morale, les caisses de secours mutuels ?

La chambre a voté ces lois à une immense majorité... (interruption), et les honorables membres qui m'interrompent n'ont rien dit, surtout contre l'institution des caisses de secours mutuels.

Messieurs, non seulement l'intervention de l'Etat n'a pas alors été repoussée ; mais qu'a-t-on dit depuis longtemps relativement à la caisse d'épargne ? On a dit que dans l'état actuel de l'organisation des caisses d'épargne, le gouvernement en avait, par la force des choses, la responsabilité tant matérielle que morale.

On est allé plus loin : on a convié l'Etat à prendre la direction des caisses d'épargne, à l'instar de ce que faisait déjà avant la révolution de février le gouvernement français qui ne pensait pas sans doute qu'il fît en cela du socialisme !

Messieurs, puisque je suis amené incidemment à parler des caisses d'épargne, je dirai que l'attention de la chambre a déjà été appelée et doit être de nouveau sérieusement appelée sur la corrélation intime qu'il y a entre une caisse d'épargne bien organisée et l'établissement du crédit foncier.

Quelle est la plus grande difficulté qui se soit offerte à l'esprit des économistes, des financiers sur la bonne organisation d'une caisse d'épargne ? C'est celle de la sécurité des placements combinée avec la faculté d'avoir toujours des fonds disponibles pour faire face aux demandes de remboursement qui peuvent, dans de certains moments, devenir plus ou moins nombreuses.

Eh bien, cette solution qu'on cherche, autant que les choses humaines le permettent, on peut espérer qu'on la trouvera dans les rapports à établir entre la caisse d'épargne et la caisse du crédit foncier. Je crois même que, pour assurer le succès de la loi organisatrice du crédit foncier, il serait peut-être prudent que la caisse d'épargne fût établie dans les mains de l'Etat, sinon auparavant, tout au moins simultanément avec l'organisation de la caisse du crédit foncier ; telle est au moins mon opinion. (Interruption.)

Je sais que mon honorable voisin et ami, M. Pirmez, dont probablement j'offense en ce moment le puritanisme économique ; que l'honorable M. Pirmez aiguise ses armes pour me répondre tout à l'heure ; j'avoue que je ne le regarde pas comme un mince adversaire ; mais je dois dire cependant qu'il ne se bornera pas à tirer sur un soldat aussi obscur de l'armée économique que son voisin ; mais qu'il tirera sur quelques-uns de ses généraux ; parmi eux je range M. Wolowski, dont l'honorable M. Pirmez ne récusera sans doute pas le talent et l'autorité comme économiste. Eh bien, loin de se déclarer l'adversaire du projet de loi actuel, s'il avait un reproche à adresser à M. le ministre des finances, ce serait peut-être de ne pas avoir poussé assez loin l'intervention de l'Etat dans l'organisation du crédit foncier ; il est tellement peu adversaire de l'organisiaion du crédit foncier en elle-même, qu'il ne s'est prononcé à l'assemblée nationale de France contre le projet de loi mis en discussion, il y a deux ou trois ans, que parce qu'on y avait décrété le cours forcé.

L'honorable M. Pirmez n'a rien dit encore, mais je connais assez ses opinions pour prévoir les objections qu'il fera et pour en parler sans (page 1020) manquer à aucune convenance. J'espère que l'honorable membre me pardonnera cette digression.

Le projet qui nous est soumis a-t-il une origine révolutionnaire ? Est-il le produit des idées qui se sont fait jour depuis deux ou trois ans ? Je vous ai fait voir quels étaient au-delà du Rhin les grands révolutionnaires qui avaient imaginé d'introduire chez eux l'institution du crédit foncier.

En France, sous le ministère de M. Cuizot, qui ne passe pas pour avoir la manie des innovations, on a sérieusement étudié la question du crédit foncier. M. Martin (du Nord) a consulté les parquets de France sur les modifications qu'on pouvait apporter au régime hypothécaire, en vue d'arriver à l'institution du crédit foncier. M. Cunin-Gridaine, fort peu socialiste aussi, a envoyé en mission un homme de talent pour étudier, dans les divers Etats allemands, les différentes institutions de crédit foncier et les idées qui y avaient cours sur l'effet des institutions ainsi que leurs résultats.

Pourquoi les ministres de Louis-Philippe ont-ils été amenés à faire étudier les systèmes de crédit foncier fonctionnant en Allemagne et en Pologne ? Parce qu'ils étaient en face d'un fait énorme qui donnait sérieusement à réfléchir.

Ils étaient en face d'une dette hypothécaire de 12 milliards et demi et qui pesait sur la propriété foncière en France et qui menaçait de s'accroître encore. Voilà le fait qui avait frappé les hommes les moins enclins à avoir recours à des moyens révolutionnaires, et les a engagés à étudier sérieusement les principes du crédit foncier, vu qu'il fonctionnait ailleurs.

Je sais que quelques mois après la révolution de février un essai malheureux de l'organisation du crédit foncier a été fait en France. D'abord le premier vice du projet, vice très grave et qui me ferait repousser mille fois le projet actuel s'il en était entaché, c'est qu'il consacrait le cours forcé pour les lettres de gage ou plutôt les bons hypothécaires qui devenaient ainsi papier-monnaie ; c'est qu'il y avait là une parenté effrayante entre ce projet et les assignats, dont on ne peut évoquer le souvenir en France sans jeter l'effroi dans les esprits, sans exciter la plus grande défiance, les plus vives répulsions.

On ne manque pas de se rappeler alors qu'on a commencé par n'émettre des assignats que pour deux ou trois milliards ; mais qu'au bout de quelques années l'émission s'est élevée à 45 milliards : qu'ils ont subi l'énorme dépréciation de 99 1/2 pour cent ; que cela a été au point qu'on y a payé une paire de bottes 20,000 fr., 600 fr. une livre de beurre, 30 fr. un bâton de sucre d'orge !

Dans les institutions de crédit foncier, dans le projet actuel, rien ne rappelle ces temps néfastes. La liberté reste entière ; nul n'aura recours à la caisse du crédit foncier s'il ne le veut. Il sera libre, après comme avant la promulgation de la loi du crédit foncier. Chaque emprunteur restera parfaitement le maître de chercher, de choisir son préteur. Des actions nul ne sera tenu d'en prendre ; les lettres de gage ne seront pas moins librement acceptées que les fonds publics, et ne seront, pas plus que ceux-ci, des valeurs de circulation. Les coupons d'intérêt des lettres de gage ne seront pas moins librement reçus que les coupons d'intérêt des actions dans les fonds de l'Etat.

L'intervention de l'Etat, qui ne vous a pas effrayés dans les trois lois sur la Banque Nationale, sur la caisse de retraite, sur les caisses de secours mutuels, que vous avez votées à de fortes majorités, cette intervention examinée sainement, sans prévention, telle que la formule le projet actuel, se réduit à un simple patronage, au concours de la Banque Nationale et de quelques employés de l'Etat. C'est une caisse distincte de celle de l'Etat ; les employés de l'Etat qui interviennent ne sont que des auxiliaires, des intermédiaires.

L'Etat n'est pas intéressé dans les opérations, il ne donne que des garanties morales. L'institution du crédit foncier est aussi indépendante de l'Etat que la Banque Nationale.

Dira-t-on que le crédit de l'Etat est lié à celui de la Banque Nationale ? L'Etal n'est pas plus engagé dans la Banque Nationale que le gouvernement français dans la Banque de France, que le gouvernement anglais dans la Banque d'Angleterre, bien qu'ils interviennent dans l'administration de ces banques, dans le choix du personnel, dans la surveillance de leurs opérations, autant, au moins, que le ministre des finances de Belgique dans la Banque Nationale.

Un argument qui paraît avoir été mis en avant avec plus de bonheur, auquel on peut attacher, selon moi, une juste importance, c'est celui qu'on a puisé dans l'avènement des crises. On a parlé de la situation difficile où se trouverait la caisse du crédit foncier si une crise politique, une crise financière ou industrielle venait à éclater. Messieurs, je reconnais que c'est là une assez grave objection et qu'il faut l'examiner mûrement.

Il y a une première réponse, elle n'est pas puisée dans la théorie, dans le pur raisonnement, elle se présente avec un degré d'autorité plus fort ; elle est prise dans l'expérience, dans les faits et dans des faits qui ne remontent pas à de longues années, mais dans des faits tout récents. A la suite des événements qui furent le contre-coup de la révolution de février 1848, les fonds publics ont été très vivement affectés dans tous les Etats de l'Allemagne ; on y a vu les fonds publics baisser de 25 et 30 p. c.

Les lettres de gage ont très peu fléchi, et il y a dans les documents qoi nous ont été communiqués, un fait surtout qui prouve à quel point les crises politiques affectent les lettres de gage et les fonds publics. En Prusse, quand le cours des fonds publics était tombé à 63 ; les lettres de gage étaient à 83, puis remontaient bientôt jusqu'à 96, les fonds publics restant à peu près au même taux.

L'écart donc a été pendant un certain temps de 63 à 96 : 96*0 pour les lettres de gage, 63 pour les fonds publics, dans un pays où le fardeau de la dette n'est certes pas bien lourd. Je tiens ces renseignements pour officiels et parfaitement exacts.

On avait vu, bien antérieurement, en Allemagne, dans les temps de crise, presque dans l'état de guerre, alors que les opérations en fonds publics étaient à peu près nulles, les lettres de gage offrir une prime de 6 p. c, c'est-à dire arriver à un taux tel que le capital ne donnait un intérêt que de 3 1/2 à 4 p. c. C'est alors qu'on a converti, dans plusieurs Etats allemands, le 4 en 3 1/2 p. c.

Ce sont des faits ; ce ne sont pas des utopies ; ce sont des faits acquis à la discussion, des faits incontestables.

Il y a une autre réponse : quand une crise arrive, c'est un fait anormal, contre lequel la prévoyance du législateur, qui agit dans les temps ordinaires, ne peut rien.

Quand une crise arrive, il est impossible que le gouvernement le plus solidement assis se dispense de prendre des mesures exceptionnelles en raison de circonstances que le législateur ne peut pas prévoir.

Il y en a des exemples.

Qu'avons-nous fait, en 1848 ? Le gouvernement était-il obligé d'intervenir dans les affaires des banques ? Est-ce au nom d'un droit, d'une loi expresse, d'une intervention gouvernementale précédemment stipulée, qu'on est venu vous demander de venir au secours des banques ? Non. L'Etat n'était pas engagé ; le gouvernement ne l'a pas cru un seul instant.

La législature non plus ne l'a pas cru un seul instant. Mais il y avait un grand intérêt public en jeu ; il s'agissait peut-être du maintien de l'ordre et du salut du pays ; c'était un de ces faits qu'aucune loi ne peut prévoir, mais dont tout homme prévoyant sait qu'il faut tenir compte. Qu'avez-vous fait ? Vous avez sauvegardé le crédit des banques et de la caisse d'épargne ; vous êtes allés jusqu'à assurer le maintien des établissements industriels dont la clôture eût mis sur le pavé 2 ou 3 mille ouvriers.

Vous l'avez fait. Pourquoi ? Au nom d'un droit quelconque ? Non ; vous l'avez fait au nom d'un intérêt public de l'ordre le plus élevé, au milieu d'une de ces crises contre lesquelles ne peuvent rien ni toutes les règles de la prudence humaine, ni tout ce que vous pourriez insérer dans la loi.

Dans les autres pays, on n'a pas fait autrement que nous.

Pendant les grandes guerres continentales, qu'a fait M. Pitt, qui n'était pas non plus apparemment un révolutionnaire ? Il a suspendu le remboursemenl en espèces des billets de la banque. La Banque d'Angleterre a été autorisée à suspendre le remboursement de ses billets en espèces et à porter néanmoins l'émission de ses billets jusqu'à 750 millions. Cela a duré jusqu'en 1818. Il y a eu des pertes énormes : en 1810, on perdait 15 p. c. ; en 1814, près de 40 p. c.

Croyez-vous que ce soit de gaîté de cœur que le gouvernement de la Grande-Bretagne a soumis ses nationaux à des pareils désastres ? Evidemment non. Mais il s'agissait du salut du pays.

Vous aurez beau chasser des institutions financières toute intervention du gouvernement, tout patronage, toute surveillance, vous ne l'empêcherez jamais d'intervenir dans des circonstances extraordinaires. Vous avez vu cette intervention de la part du gouvernement anglais, de la part du vôtre, et de la part du gouvernement français, dans des circonstances analogues, et où nul droit écrit ne pouvait être invoqué par ces établissements de crédit.

Vous voyez donc que l'objection puisée dans la situation difficile amenée par les moments de crise, vous pouvez la faire contre tout système quel qu'il soit. Il n'y en a pas contre lequel il ne puisse être invoqué. Par conséquent, elle ne doit pas vous arrêter.

Sans doute dès qu'il est possible de faire cesser ces mesures exceptionnelles, il faut se hâter de le faire et de revenir à l'état normal.

Aussi l'honorable ministre des finances n'a-t-il consenti à une émission de papier-monnaie que sous le coup de la plus impérieuse nécessité ; car je lui crois très peu de sympathie pour le papier-monnaie.

M. Coomans. - Nous sommes tous d'accord sur ce point.

M. Lebeau. - Sans doute !

J'ai même combattu assez vivement la seconde émission de papier-monnaie que M. le ministre des finances est venu demander à la chambre. Les faits lui ont donné raison contre moi. Je reconnais que les faits étaient tels qu'ils ont justifié la seconde mesure exceptionnelle, et n'ont pas justifié les craintes qui m'avaient déterminé à repousser le projet de loi.

Je crois que l'honorable ministre des finances éprouve une vive antipathie, j'ai presque dit une salutaire horreur (ce sentiment est également le mien) pour le papier-monnaie. Il sait qu'il y a entre le papier-monnaie et le numéraire toute la différence qu'il y a entre une valeur locale et une valeur cosmopolite qui est en même temps une marchandise, l'or et l'argent.

Il en sera en temps normal, des lettres de gage, de leurs coupons, comme des billets de banque et des fonds publics.

Un des reproches qu'on a faits hier, et qu'on fera encore probablement au projet de loi, c'est qu'il ne donne pas une affectation spéciale au produit des lettres de gage. On invoque sous ce rapport le caractère des (page 1021) institutions analogues en Allemagne, dont je traîne qu'on a singulièrement restreint le but.

La première de toutes, instituée par le grand Frédéric, après la guerre de 7 ans, avait évidemment pour objet principal l'allègemeny des charges qui pesaient sur la propriété. Sous ce rapport, cette situation est presque ambiguë avec ce qui est arrivé en France, aves ce qui arrive en Belgique, où les dettes qui grèvent la propriété s'élèvent à près d'un milliard. Il y avait certainement, dans la pensée du fondateur de cette institution, vers la fin du XVIIIème siècle, l'intention de favoriser la libération de la propriété foncière qui était grevée de charges considérables et d'intérêts usuraires.

Messieurs, la preuve de l'efficacité de l'institution, même restreinte à cette spécialité, c'est l'exemple qui vous est formulé en chiffres dans le projet de loi, qui vous prouve que, appliquée à toute la dette hypothécaire belge, la loi bien exécutée amènerait la libération, en quinze ans, de 160 millions.

Ce sont là des faits, messieurs ; ce sont des chiffres ; c'est irrécusable ; il n'y a rien de moins socialiste au monde que des chiffres, que l'arithmétique. Que deviendrait d'ailleurs la propriété bâtie dans le système de l'application spéciale ? Ce qui est excellent dans le projet de loi, c'est l'institution de l'amortissement forcé. Quoi qu'on puisse en dire, c'est là un excellent principe, c'est un appel, c'est un encouragement à la prévoyance, c'est, messieurs, le complément nécessaire de l'organisation du crédit foncier, complément sans lequel, quant à moi, je n'en voudrais à aucun prix.

D'ailleurs, messieurs, ceux qui voudront user du crédit foncier dans le but d'améliorer leurs propriétés, mais, mon Dieu, ils pourront le faire ; cette destination n'est aucunement exclue. Cependant je dirai très franchement que je n'attends pas de grands effets, sous ce rapport, de la loi sur le crédit foncier. Certainement le crédit foncier peut servir, dans les mains du propriétaire, à l'amélioration du sol, peut servir à des expériences agronomiques, à des opérations utiles pour l'accroissement de la production de nos terres, accroissement qui, selon moi, a beaucoup de progrès à faire encore.

Mais je crois qu'il faut quelque chose de plus, et malheureusement cette fois, je crois que l'intervention du gouvernement n'y peut pas grand'chose, si même elle y peut quelque chose. Ceci n'est pas l'organisation du crédit agricole.

Là, messieurs, l'intervention du gouvernement n'est, pour ainsi dire, pas possible. Il faut trouver le capital ; là est la grande difficulté.

Je crois, quant à moi, que le crédit agricole, c'est-à-dire, non plus le crédit réel, mais le crédit personnel, le crédit qui s'adresse non pas aux propriétaires, mais plus particulièrement aux fermiers, aux cultivateurs, je crois que ce crédit ne peut exister, comme il existe dans certaines parties de l'Angleterre et notamment en Ecosse, comme il existe en Amérique, que par le progrès général des idées et des habitudes du crédit.

Je crois que ce sera là, messieurs, le dernier chapitre de l'histoire du crédit en Belgique.

Certainement le crédit agricole, qu'il faut toujours distinguer du crédit foncier, serait une chose extrêmement utile, non seulement ici, mais en France. Car dans la dernière discussion française, il a été avancé et prouvé que l'industrie agricole était, dans ses rapports avec le crédit, dans une condition véritablement désastreuse. On n'a parlé de rien moins que d'intérêts de 25, 30 et jusqu'à 40 p. c. Aussi, messieurs, il serait désirable, bien désirable en Belgique que le crédit et l'instruction agricoles pussent marcher de pair, puisque à l'heure qu'il est, grâce probablement aux institutions de ce genre en Angleterre et aux idées plus avancées sur la culture, il y a encore cette proportion entre la production de l'hectare anglais et de l'hectare belge, que l'hectare belge ne produit guère que 17 à 18 hectolitres en moyenne, tandis que l'hectare anglais produit jusqu'à 25 hectolitres.

L'honorable M. de Steenhault et l'honorable M. de Liedekerke surtout, ont exprimé une crainte qui m'a paru, quant à moi, assez étrange. L'honorable M. de Steenhault a parlé de l'amour, d'un amour excessif de la propriété de la part des cultivateurs, amour de la propriété qu'il a qualifié de funeste. Il a déploré la manie de certains petits cultivateurs d'acquérir un lopin de terre. L'honorable M. de Liedekerke, faisant écho à l'honorable M. de Steenhault est venu nous parler des immenses dangers de la mobilisation de la propriété.

Messieurs, cette crainte on ne l'a pas en Allemagne. Car la lettre de gage en Allemagne s'adresse bien aussi à la petite propriété, puisqu'elle descend même au-dessous du taux fixé dans le projet actuel. Elle descend jusqu'à 75 fr. tandis qu'ici vous ne descendez qu'à 100 fr.

M. de Liedekerke. - On ne prête pas 75 fr. en Allemagne.

M. Lebeau. - Vous ne comprenez pas la loi, permettez-moi de vous le dire, ou vous ne l'avez pas lue. Je dis que la lettre de gage en Allemagne descend beaucoup au-dessous de la lettre de gage belge et je maintiens mon assertion. (Interruption.)

Ce que je veux prouver, c'est qu'on n'a pas peur en Allemagne de la mobilisation de la propriété et qu'on n'y a pas peur de fournir aux petits cultivateurs les moyens de devenir propriétaires. Voilà ce que je veux prouver, rien de plus.

Mais, messieurs, la loi nouvelle, elle ne fera rien de nouveau pour la propriété. Savez-vous ce qui a mobilisé la propriété, ce qui la mobilise encore tous les jours, ce qui la mobilisera encore, quoi que vous fassiez, à moins que vous n'abolisiez le principe même de celle mobilisation ? C'est le Code civil, c'est l'égalité des partages ; c'est ce code civil qui les Anglais appelle un Code de mendiants. Voilà, messieurs, le grand mobilisateur de la propriété, voilà le grand révolutionnaire en fait de proproiété foncière ; c'est le Code civil. Personne, que je sache, n'a proposé de l’abolir.

Messieurs, on vous a parlé hier de l'Angleterre. Mais on n'a pas fait attention que la constitution de la société anglais, sous le rapport de la propriété foncière, diffère complètement de la société française, de la société belge.

On a parlé des avantages de la grande culture : nous ne l'avons pas méconnu, la grande culture a des avantages, la grande propriété a des avantages. Je dirai même qu'il n'est pas bien certain que l'Angleterre n'ait pas un jour quelque chose à craindre de l'affaiblissement de son aristocratie, de l'affaiblissement de l'influence territorale, de la disparition des grandes existences qui ont fait si longtemps la gloire et la force de l'Angleterre.

Mais, messieurs, que faire contre l'irrésistible tendance qui se manifeste aussi en Angleterre, qui a déjà fait tomber une pierre da ce grand édifice par la dernière loi des céréales ?

La société anglaise, mais elle est encore entièrement différente de la nôtre. Il y a encore, à l'heure qu'il est, en Angleterre, seulement 33,000 à 36,000 propriétaires, tandis qu'il y en a en Belgique 740,000, dont 500,000 d'un revenu cadastral inférieur à 100 francs.

La propriété est morcelée en France à un degré non moins considérable.

On voit donc, messieurs, que le Code civil suffit pour mobiliser considérablement la propriété.

Mais n'y a-t-il que des inconvénients, n'y a-t-il que des dangers dans cette extrême mobilisation, dans cette division de la propriété en France et en Belgique ?

Ah ! messieurs, je crois que les conservateurs, s'ils y pensent sérieusement, trouveront que sous le rapport politique, il y a là de très grands avantages. Ce qui a fait peut-être la différence que nous voyons entre la révolution de 1848 et la révolution de 1793, ce qui a peut-être été, en 1848, ce qui sera peut-être le salut de la société en France, c'est précisément l'œuvre du Code civil, c'est que le Code civil a créé en France d'innombrables propriétaires, qui n'étaient en 1789 que d'innombrables prolétaires.

En Angleterre presque personne n'est propriétaire ; mais presque tout le monde y est rentier, presque tout le monde y est créancier de l'Etat. C'est là, à côté du fardeau d'une dette énorme, une compensation politique immense. La dispersion de cette gigantesque dette dans des millions de mains agira certainement en Angleterre, comme en France la division de la propriété, contre les dissolvants révolutionnaires qui se développent là comme ailleurs.

Ne craignons donc pas, messieurs, la mobilisation de la propriété : si elle a quelques inconvénients matériels, sous le rapport des garanties d’ordre, elle offre des avantages immenses.

Dans tous les pays, messieurs, à bien peu d'exceptions près, savez-vous quels sont les conservateurs ? Ce sont ceux qui ont quelque chose à conserver. Cet axiome a quelque chose de la simplicité, mais aussi toute l'évidence de ceux de M.de Lapalisse.

La mobilisation, mais qu'est-ce en définitive autre chose que la circulation ? Et la circulation, messieurs, c'est en quelque sorte la source même de la richesse. Le crédit ne crée pas les valeurs, mais il utilise les valeurs existantes et féconde le travail. C'est là tout ce qu'il opère ; il ne peut pas opérer autre chose. Ceux qui disent qu'il opère autre chose font de l'alchimie politique. La richesse d'un pays, ce n'est pas non plus, on le sait, la quantité de valeurs métalliques, la quantité de numéraire qui y existe.

Ce qui fait la richesse d'un pays, c'est surtout la circulation prompte et sûre du papier purement fiduciaire.

Autant que les statisticiens peuvent assurer des choses pareilles, il y a en Europe à peu près 6 milliards de numéraire. La France, privilégiée, en possède à elle seule, au dire de la plupart des économistes, deux milliards et demi. Savez-vous, messieurs, ce qu'elle fait d'affaires en un an ? Elle fait pour 21 milliards d'affaires. L'Angleterre, cette pauvre Angleterre, n'a que 600 millions de numéraire, le quart à peu près de ce qu'en possède la France, et l'Angleterre fait pour 55 milliards d'affaires.

On demande, messieurs, en quoi ceci concerne le crédit foncier. Ceci concerne le crédit foncier comme preuve que plus il y a de facilité et de promptitude dans la circulation des richesses, des valeurs, sous quelque forme que ce soit, marchandises, argent, denrées, la terre elle-même, plus il y a aussi de moyens, de facilité pour la production de richesses nouvelles. Cela est incontestable. Je crois en outre avoir démontré tout à l'heure que cette circulation facile, cette mobilisation de la propriété contribuent puissamment à la conservation de l'ordre, en créant des conservateurs là où il n'y avait autrefois que des prolétaires.

Je voterai donc pour le projet de loi. J'en vois les bons effets très probables si j'en juge par ce que je vois dans d'autres pays. Mais le gouvernement n'eût-il fait que déblayer le terrain, n'eût-il fait qu'ouvrir une issue à l'initiative des particuliers, enchainée aujourd'hui et par une mauvaise législation hypothécaire et par une organisation très défectueuse du crédit foncier, le gouvernement, selon moi, aurait encore rempli un devoir. Quand le gouvernement crée des routes ou des canaux, il ne contracte pas l'obligation d'y faire marcher des bateaux et des voitures ; mais il en permet, il en facilite la circulation, qui ne tarde pas à se produire.

(page 1022) Messieurs, je terminerai mes trop longues observations en priant encore une fois mes honorables contradicteurs d'être plus sobres de ces accusations vraiment imprudentes et témérairement progiguées, selon moi, de socialisme et de communisme adressées à des projets de lois aussi inoffensifs, aussi irréprochables, sous ce rapport, que ceux que présente le cabinet actuel. Ces accusations sont tristes. Messieurs, on suit ici, sans dessein prémédité, j'en suis convaincu, on suit ici la même marche qu'on a suivie ailleurs et qu'on n'a pas suivie sans de graves mécomptes.

Chaque fois qu'un gouvernement proposait quelque chose qui ressemblait à une réforme politique ou financière, on était toujours prêt à crier à l'anarchie. Cependant, messieurs, ces concessions ou refusées ou accordées tardivement, on se les voyait bientôt arracher ; on voyait bientôt le but dépassé, au grand malheur non seulement du gouvernement, mais aussi de la nation tout entière. Les reformes financières, l'organisation et l'extension du crédit sont aussi des réformes qu'il faut se garder d'accueillir avec le même dédain qui accueillait souvent ailleurs les projets de réformes politiques.

Messieurs, au début de la révolution de 1789, si les classes supérieures n'étaient pas revenues sur les concessions qu'elles avaient votées dans un jour de généreuse exaltation ; si elles avaient sérieusement concouru à l'établissement des réformes modérées qu'on demandait alors, on n'aurait pas vu peut-être triompher d'autres pensées, on n'aurait pas vu substituer à la monarchie la république de 1793 et avec la république de 1793 le régime des confiscations, des assignais et la banqueroute.

M. le président. - Voici un amendement que M. Thibaut a présenté à l'artile premier :

« Il pourra être fondé, dans chaque province, un établissement de crédit foncier, par l'association des propriétaires de cette province.

« Ces établissements jouiront des avantages concédés par la présente loi, en se conformant aux conditions qui y sont énumérées. »

M. Thibaut, qui s'est fait inscrire « sur » le projet, s'est conformé au règlement, en présentant un amendement ; il a la parole.

M. Thibaut. - Messieurs, je n'ai pas, à l'égard du projet de loi, des opinions aussi absolues que celles de quelques-uns de nos honorables collègues.

Je reconnais l'utilité qu'il peut y avoir à fonder des institutions de crédit foncier, basées sur l'association des propriétaires. Je reconnais également que le but que doivent se proposer ces institutions mérite à tous égards les faveurs de la législature. Sur ces points je suis, je pense, d'accord avec le gouvernement qui a présenté le projet de loi ; mais ce que je ne puis admettre avec lui, c'est que l'usage des capitaux empruntés par l'intermédiaire de la caisse, soit abandonné d'une manière absolue à l'arbitraire des emprunteurs ; je ne puis admettre surtout qu'il soit convenable, encore moins nécessaire, de centraliser le crédit foncier et de donner la prédominance dans l'administration de la caisse à l'influence gouvernementale.

Dans l'état actuel des choses, messieurs, le propriétaire isolé, abandonné à lui-même, ne trouve dans ses immeubles qu'un instrument de crédit très imparfait. Et cela tient principalement à la modicité du revenu foncier comparé au capital que la terre représente, et à la lenteur avec laquelle il s'obtient.

Le propriétaire qui ne dépense que son revenu n'est pas un prodigue. Cependant il se met dans l'impossibilité, soit d'augmenter sa terre, soit de la libérer si elle est chargée, soit de faire des améliorations agricoles, parce que toute acquisition, comme toute libération, comme tout progrès, nécessite l'emploi de nouveaux capitaux. Il faut, s'il veut se livrer à l'une de ces trois opérations, qu'il ait préalablement recours à l'épargne ou à l'emprunt. Mais comme l'application la plus intelligente des capitaux à la production agricole ne rapporte pas un bénéfice égal à l'intérêt ordinaire des capitaux eux-mêmes, ceux-ci ne pourront être dégagés en définitive que par l'accumulation des épargnes. C'est donc à l'épargne qu'il faut toujours et infailliblement recourir.

L'industriel ou le commerçant au contraire, lorsqu'il a fait appel au crédit, peut reconstituer en peu d'années le capital emprunté. Les bénéfices réalisés sur les opérations nouvelles qu'il a entreprises sont d'ordinaire suffisants pour cela.

Epargner beaucoup est chose impossible pour la classe la plus nombreuse des propriétaires. Epargner peu, c'est reculer indéfiniment la formation des capitaux, ou le remboursement des emprunts. Mais l'association résout des difficultés qui sont insurmontables pour le propriétaire qui s'isole. L'association fait non seulement fructifier les moindres épargnes, mais elle réunit en même temps, dans une bourse commune, si je puis ainsi m'exprimer, les modestes économies d'un grand nombre d'associés, afin d'en former successivement des sommes assez considérables pour rembourser intégralement et à intervalles rapprochés, sous les capitaux empruntés par chacun d'eux.

L'association a pour effet de diviser, quant aux emprunteurs, les capitaux jusqu'aux sommes les plus petites ; de les diviser en sommes égales à celles que l'associé peut former chaque année, chaque semestre même à l'aide de l'épargne. Tel est, si je ne me trompe, le secret de la combinaison qui a eu des notables succès en Allemagne.

L'emprunteur doit, à la vérité, rembourser intégralement le capital prêté, mais il rembourse au fur et à mesure de ses épargnes. J'insiste sur celle obligation de l'emprunteur, parce qu'un passage de l'exposé des motifs pourrait induire en erreur à cet égard.

A la page 41, on peut lire, que moyennant un remboursement annuel de 1,000 fr. pendant 41 ans, l’emprunteur se trouve libéré de 100,000 fr. C’est une erreur : en 41 ans il rembourse 100,000 par 41 à-compte dont le premier est de 1,000 francs et le dernier de près de 5,000 francs, soit en moyenne 2,439 par an.

La puissance de l'association est immense, messieurs, mais elle doit être réglée par la sagesse et la prudence. Appliquée au crédit foncier, elle doit prendre le caractère d'une caisse de secours mutuels entre propriétaires, pour dégrever la propriété des charges qui pèsent actuellement sur elle, et pour dégager les capitaux qui seront employés en acquisitions ou en améliorations agricoles.

Je crois, messieurs, que la mission que j'assigne à l'institution dont nous nous occupons est assez vaste. Cette institution doit, selon moi, s'offrir à combattre la pernicieuse influence de tous les faits accomplis qui sont de nature à paralyser en quelque sorte la terre dans les mains de ceux qui la possèdent, et le génie des propriétaires ; mais pour l'avenir, elle ne doit pas faire double emploi avec des établissements qui offrent des ressources suffisantes à l'industrie et au commerce ; elle doit éviter de servir de stimulant à des dépenses improductives ou aléatoires, elle ne doit enfin provoquer que des faits utiles aux associés et au pays.

Je partage, sous ce rapport, l'opinion de la minorité de la section centrale développée hier avec beaucoup de talent par l'honorable M. de Steenhault.

Ainsi j'écarte des opérations de la caisse tout emprunt destiné à être converti en entreprises industrielles ou commerciales, tout emprunt contracté pour alimenter le luxe et le goût des spéculations de bourse et d'agiotage, tout emprunt même destiné à des acquisitions hors de proportion avec les facultés des acquéreurs. C'est là, messieurs, un point très important dans le débat. L'agriculture a besoin de capitaux, tout le monde le répète à l'envi. C'est pour lui en procurer que le gouvernement propose de fonder un nouvel établissement de crédit. L'industrie et le commerce (c'est l'honorable rapporteur de la section centrale qui le constate) sont amplement pourvus sous ce rapport. Ne voyez-vous pas, messieurs, qu'il y aurait une espèce de fraude de notre part, une inconséquence tout au moins, à céder le crédit foncier à l'industrie et au commerce, et à détourner ainsi les capitaux qui se dirigent vers l'agriculture, pour les pousser avec plus de force vers ceux qui ont des moyens suffisants de s'en procurer ?

En second lieu, les charges dont la terre est grevée, il faut bien en faire l'aveu, sont imputables, pour une partie, à la dissipation, à la passion du luxe et du jeu ; une association sage doit s'efforcer d'exonérer la propriété, mais elle doit faire disparaître ces charges avec celles qui ont une origine plus recommandable, elle doit pour l'avenir éviter soigneusement que par son fait, les propriétaires aient de nouvelles facilités pour courir à leur ruine et au déshonneur.

En troisième lieu, le morcellement exagéré des exploitations agricoles, les mutations fréquentes de la propriété produisent les plus funestes effets. Ils maintiennent l'agriculture dans la routine ; ils rendent impossible l'emploi des instruments perfectionnés, ils entraînent une perte de temps considérable. Une association de propriétaires animés d'intentions bienfaisantes ne doit pas pousser aux achats de biens-fonds. Sous ce rapport, je pense que le gouvernement est allé trop loin dans la fixation du minimum de valeur du gage. Car les emprunts faits par les petits propriétaires sont souvent pour eux une cause de désastre. Il n'est pas rare que leur ambition, leur désir de devenir plus grands propriétaires dépassent les bornes de la prudence. L'association doit agir paternellement avec cette classe de propriétaires ; elle doit les avertir et leur refuser des capitaux dont ils ne pourraient payer les intérêts, qu'ils ne pourraient amortir au moyen de l'épargne. Elle ne doit pas prêter quand le prêt aboutit nécessairement à l'expropriation.

Mais pour maintenir l'association dans cette ligne de conduite, les prescriptions d'un article de loi sont insuffisantes. Je pense que c'est surtout de la composition même du personnel administratif de l'association, de l'esprit qui animera chacun de ses membres, et des limites territoriales imposées à cette association, que cela dépend. Sous ce rapport, je ne puis admettre l'intervention des agents du gouvernement. Mais j'examinerai cette question dans un instant avec plus de détail, Permettez-moi, auparavant, de revendiquer pour l'association une faculté qui lui est refusée par le projet de loi, je veux parler du prêt en argent.

Je pense, messieurs, qu'il serait extrêmement utile d'autoriser l'association à prêter, dans une certaine mesure, aux propriétaires qui en feraient la demande, de l'argent plutôt que des lettres de gage. Evidemment le prêt en argent ne pourrait avoir lieu dès l'origine même de l’institution, puisqu'elle ne sera pas dotée. Mais lorsque, par suite de l'accumulation des annuités payées par les emprunteurs et des remboursements anticipaiifs faits par quelques-uns d'entre eux, la caisse sera à même de racheter ou d'amortir une certaine quantité de lettres de gage, je voudrais qu'elle pût disposer d'une quotité à fixer de ses fonds libres, d'un quart, par exemple, pour satisfaire aux nouvelles demandes qui indiqueraient une préférence pour l'argent. Cette mesure serait utile surtout pour les propriétaires éloignés de lieux où se trouvent des bourses de commerce. Elle serait un moyen efficace d'arrêter la coupable industrie de ces hommes qui spéculent sur les besoins pressants ou sur l'ignorance des habitants de la campagne. Dans les associations allemandes, il n'est pas rare de rencontrer des dispositions analogues à (page 1023) celle que je sollicite. Les statits de l’association de Gallicie autorisent la direction à se charger, au deébut de l’institution, de la négociation de lettres de gage. En Saxe et dans le Wurtemberg, les emprunteurs ont même le choix de demander, soit de l'argent, soit des lettres de gage.

Messieurs, j'ai défini, à mon point de vue, l'utilité et le but d'une association de propriétaires. J'ai indiqué diverses opérations dont elle doit s'abstenir, mais comme je l'ai fait observer, il est impossible de tracer des règles complètes et assez efficaces pour ces points délicats ; il faut au moins en abandonner l'application à la prudence et à l'intelligence de l'administration. Et pour que cette administration soit prudente et intelligente, je pense qu'elle doit être provinciale et confiée aux propriétaires eux-mêmes. Alors les administrateurs de la caisse de crédit foncier et les associés se connaîtont, ils seront unis entre eux par un esprit de corps, de telle façon qu'il y aura, pour l'emprunteur, une espèce de déshonneur à être l'objet, de la part de l'administration, de mesures sévères, et pour l'administration une solidarité morale dans l'emploi des capitaux prêtés.

Le propriétaire, désireux de participer aux avantages de l'assocalion, ne fera pas à ses pairs de demandes irréfléchies ; il saura que les personnes auxquelles il devra s'adresser consulteront, outre l'importance des garanties offertes, la moralité des emprunteurs et leur aptitude à user sagement des capitaux qui leur seront confiés.

Un autre motif, messieurs, me porte à insister pour que les administrateurs de l'association soient choisis parmi les propriétaires sociétaires et par eux. C'est afin de rendre l'association indépendante du gouvernement.

Dans presque tous les Etats allemands, le gouvernement se contente de faire surveiller les associations par un commissaire royal ; c'est ce que je voudrais voir appliqué en Belgique.

Souvent, dans cette enceinte, on a combattu les tendances du gouvernement à tout envahir, à tout absorber, à tout centraliser. Les dangers de l’intervention de l’Etat en toutes choses ont été signalés. Ils sont graves, messieurs, quand il s’agit d’une onstitution à laquelle peut venir aboutir une portion considérable de la dette hypothécaire de la Belgique ; l'Etat pourrait être entraîné fatalement à engager sa responsabilité pour le payement des intérêts de cette dette.

Je sais que, d'après l'exposé des motifs, la caisse prise in abstracto formera un établissement tout à fait distinct de l'Etat et isolé de l'action directe du gouvernement.

Mais examinez sous toutes ses faces le cadre administratif dans lequel on propose d'enfermer l'association : vous ne voyez partout que fonctionnaires de l'Etat ou fonctionnaires nommés par le gouvernement.

Au sommet apparaît un conseil d'administration choisi par le Roi, c'est-à-dire par le ministre de l'intérieur ; ensuite, et dans toutes les circonstances où les propriétaires traiteront avec l'institution, apparaît comme représentant de l'institution un fonctionnaire du département des finances, c'est à-dire l'un des fonctionnaires qui représentent aussi le gouvernement, mais sous son aspect le moins aimable et qui, à cause de leurs fonctions, ont quelquefois les rapports les plus pénibles avec l'associé considéré comme contribuable.

Cette forme administrative, si elle est adoptée, imprimera à l'institution un cachet que tous les raisonnements, toutes les distinctions ne pourront lui enlever.

Outre la responsabilité matérielle et pécuniaire qui, comme je l'ai dit, pourra incomber à l'Etat dans des moments de crise, toujours la responsabilité morale des actes de l'administration remontera jusqu'au gouvernement. Il y a là, messieurs, un danger sérieux, quand on songe qu'à l'époque où nous vivons, l'autorité, le principe de l'autorité est battu en brèche de toutes parts ; quand on songe que la désaffection pour le pouvoir dans les masses des progrès incessants, il ne faut pas lui fournir de nouveaux motifs ou de nouveaux prétextes. El, messieurs, une seule expropriation aura pour le gouvernement les plus mauvais effets. Que sera-ce si l'administration doit avoir souvent recours à ce moyen extraordinaire ?

Il y a, dans cette intervention de l'Etat, un autre danger. C'est que la direction de l'association, au lieu d'être purement civile, pourrait devenir politique.

Lorsqu'un gouvernement s'appuie sur l'esprit de parti, il emploie, par l'intermédiaire de ses fonctionnaires, tous les moyens propres à consolider ce parti. Eh bien, je le dis sans détour, je ne veux pas augmenter l’influence des fonctionnaires du gouvernement. Je ne le veux pas, dans l'intérêt de la liberté des opinions, et en même temps par justice, dans l'intérêt de ceux qui, quelles que soient leurs opinions, auront un droit égal à profiter des avantages de l'association.

Songez aussi, messieurs, et je m'adresse à ceux qui ne sont pas hostiles à la fondation d'une caisse de crédit foncier, songez que l'avenir, le succès de cette institution dépend de la confiance qu'elle saura inspirer aux propriétaires et aux capitalistes.

Quant aux propriétaires, le meilleur moyen de leur inspirer de la confiance, c'est de remettre entre leurs mains l'administration d'une association fondée dans leur intérêt ; c'est de leur permettre d'exercer un contrôle incessant sur ses agents ; c'est de rendre ceux-ci responsables vis-à-vis de l'association, non seulement pour infidélité, mais même pour négligence, pour une conduite contraire à l'esprit de l'association ; or, cette responsabilité est loin d'exister dans le projet, car les agents de l'association puiseront dans leur titre de fonctionnaires de l'Etat une espèce d'inamovibilité.

Pour les capitalistes, messieurs, l'hypothèque sur laquelle s'appuie indirectement la lettre de gage, l’action de l’amortissement, le service régulier des intérêts, sont sans doute autant de causes de sécurité. Mais ces causes existent au même degré pour appeler la confiance surles fonds publics. Cependant, les fonds sont souvent au-dessous du pair. Pourquoi ? Parce que c'est l'Etat qui est débiteur.

Mais la confusion, qui naît du projet de loi, entre l'Etat et l'association de crédit, fera participer les lettres de gage à toutes les fluctuations des fonds publics.

Ainsi grâce à l'intervention de l'Etat, le sort d'une institution que je désire voir prospérer, pour mon compte, est sérieusement compromise. Les propriétaires qui s'adresseront à la caisse s'apercevront qu'on leur a fait des promesses décevantes, et les capitalistes ne verront dans les lettres de gage qu'une nouvelle valeur sur laquelle ils pourront jouer à la hausse et à la baisse.

Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer me paraît réunir de nombreux avantages, qui peuvent être contestés au projet de loi. Il consacre l'un des principes adoptés par tous les pays d'outre-Rhin, à l'exception de la lHesse. On peut donc invoquer en sa faveur l'expérience acquise. Voici en effet, messieurs, ce qu'on peut lire dans l'ouvrage de M. Royer, qui a étudié tous les établissements de crédit de l'Allemagne.

« Les principes essentiels, communs à toutes les institutions de crédit foncier en Allemagne, dans leur état actuel, semblent pouvoir se réduire aux suivants :

« 16° La limitation de l'association aux propriétés d'une seule province, sans rapport ni solidarité d'aucune espèce avec les associations des provinces voisines ou éloignées d'un même royaume, bien que toutes ces provinces soient organisées de la même manière. Cet isolement rend plus faciles et plus certaines les évaluations, ainsi que les garanties et la surveillance réciproque nécessaire entre les emprunteurs. »

L'amendement écarte l'intervention de l'Etat. C'est encore un hommage rendu à l'expérience des associations allemandes, qui sont fondées et dirigées dans l'intérêt exclusif des propriétaires emprunteurs. En Allemagne, je parle toujours d'après l'autorité de M. Royer, ce sont les emprunteurs qui sont les véritables administrateurs, comme on peut le voir par les statuts.

Dans mon système, messieurs, les établissements de crédit ne seront pas fondés de par l'autorité de la loi. Ce sera aux propriétaires à apprécier si les avantages qu'ils procurent sont à leur convenance, et s'ils veulent s'associer entre eux.

De plus, la loi peut inscrire au nombre des conditions nécessaires pour la fondation d'une institution de crédit foncier provinciale, un minimum de demandes d'emprunt, comme cela existe dans les statuts de l'association de Gallicie. L'article 86 exige, pour constituer l'association, la réunion de 50 propriétaires, engagés pour au moins un million de florins.

Elle pourrait exiger aussi un minimum de demandes de lettres de gage. Cette condition me paraît essentielle, messieurs, pour remplacer les fonds de réserve, car il faut bien le remarquer, des difficultés sérieuses surgiraient infailliblement, si les lettres de gage ne trouvaient pas de placement dès l'origine de l'association.

Une seule objection me paraît pouvoir être produite, c'est que ces associations provinciales entraîneront à plus de dépense que celle qui est proposée par le gouvernement.

Mais, je ferai observer que, d'après les calculs de M. le minisire des finances, les frais d'administration de l'institution qui fait l'objet du projet de loi, ne s'élèveront pas au bout de peu d'années, à 1/8 p. c. Eh bien, je veux admettre que dans mon système, ils atteignent ce chiffre ; je ne verrais pas là un inconvénient assez grave pour compenser les avantages que je viens d'énumérer.

Messieurs, les observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre dicteront le vote que je me propose d'émettre sur le projet de loi. S'il subit des modifications dans le sens que j'ai indiqué, je voterai en faveur du projet ; s'il sort de la discussion tel qu'il a été présenté, je voterai le rejet dans l'epérance que plus tard on nous offrira un projet meilleur.

M. Mercier (pour une motion d'ordre). - L'honorable M. Lelièvre a tout à l'heure déposé sur le bureau des amendements dont la chambre a ordonné l'impression et le renvoi à la section centrale. Mais elle ne pourra s'en occuper que quand ils auront été développés. Sans quoi, il lui serait impossible d'en apprécier la portée.

Je demande donc, dans l'intérêt de la discussion, que l'honorable M. Lelièvre soit entendu, soit aujourd'hui, soit demain.

M. Lelièvre. - Je suis prêt à donner des explications qui ne seront pas longues et à satisfaire ainsi au désir de l'honorable M. Mercier.

M. le président. - Si l'on développe les amendements, nous allons confondre la discussion générale et la discussion sur les articles.

M. Malou. - La section centrale pourrait entendre M. Lelièvre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Précisément !

M. le président. - Les auteurs des amendements seront entendus au sein de la section centrale.

M. Mercier. - Je n'insiste pas pour que l'honorable M. Lelièvre développe en ce moment ses amendements. Mais je demande que la section centrale n'en soit pas saisie avant que nous n'ayons entendu ces développements.

(page 1024) M. Lelièvre. - J'ai remis à la sertion centrale une note explicative de mes amendements. Elle peut donc s'en occuper immédiatement.

M. le président. - Les amendements de M. ihibaut seront aussi renvoyés à la section centrale.

- La discussion générale continue.

M. Pirmez. - Messieurs, il n'est plus guère possible de nier aujourd'hui que nous ne soyons soumis à une force irrésistible, qui nous porte à livrer au gouvernement tous les intérêts de la société. Nous nous laissons fasciner et subjuguer sans la moindre résistance.

Comme toutes les mesures qui ont la prétention de nous débarrasser, au moyen de l'intervention de l'Etat, des maux et des difficultés qui incombent à notre nature, celle-ci s'est présentée sous un aspect séduisant. Les partisans des interventions de l'Etal l'ont justement saluée de leurs acclamations, car la puissance invincible qui nous entraîne n'aura pas encore fait une pareille conquête.

Vous sentez bien, messieurs, que je n'ai pas la prétention d'arrêter ces conquêtes, qui n'auront probablement de fin que par l'excès de leur étendue.

Mais en présence de l'acte immense de soumission que nous allons faire à la puissance qui doit détruire en nous toute énergie individuelle, je dois dire encore une fois, quelque inutiles que soient mes paroles, qu'il me paraît que nous sommes victimes des plus étranges illusions.

Ces illusions, j'en conviens, sont extrêmement séduisantes et sont d'autant plus difficiles, pour ne pas dire impossibles à détruire, que nous ne considérons d'ordinaire que l'effet immédiat des actes par lequel nous livrons chaque jour au gouvernement les intérêts de la société.

Il est de la nature de l'intervention de l'Etat, de frapper favorablement les esprits. Armé de toutes les forces de la société, il paraît, au premier abord, qu'il vaincra toutes les difficultés ; mais il arrive d'ordinaire, que les conséquences ultérieures sont funestes dans la proportion que les circonstances immédiates de l'intervention ont paru favorables.

Un écrivain français, dont l'immensément utile carrière vient de finir, un de ces hommes qui semblent avoir été envoyés tout exprès pour combattre en faveur de la vérité, assaillie par les sophismes, l'a démontré avec une admirable clarté.

« Une institution, une loi, dit-il, n'engendre pas seulement un effet, mais une série d'effets. De ces effets, le premier seul est immédiat, il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas, heureux si on les prévoit.

« Et, ajoute-t-il, entre l'effet qu'on voit et ceux qu'il faut prévoir, la différence est énorme ; car il arrive presque toujours que lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes. »

Or, messieurs, comme il faut une longue expérience, avoir examiné pendant longtemps le mécanisme et le jeu des institutions pour avoir le bonheur d'espérer de prévoir les conséquences ultérieures des actes qui sont posés, nous nous dirigeons d'ordinaire d'après celles qui frappent d'abord nos regards.

Ce que je viens de dire doit être particulièrement vrai pour les nations dont les institutions sont toutes nouvelles et qui n'ont qu'une expérience de vingt ans. Nous devons donc avec plus d'attention que tous autres tâcher de voir les conséquences ultérieures des mesures

Quoiqu'il soit toujours utile de connaitre comment les institutions qu'on nomme du crédit foncier fonctionnent à l'étranger, je pense que dans cette immense question, cet examen est d'une considération secondaire.

Dans la plupart des pays qu'on nous cite pour modèles, la constitution de la propriété foncière n'a aucune analogie avec la nôtre, et les mœurs, les usages et la nature des passions politiques n'en ont pas davantage. D'ailleurs je pense que presque partout, sinon partout, les institutions qu'on nomme de crédit foncier sont des associations et des syndicats agissant en vertu de la loi, mais sans l'entremise de l'Etat.

Mais quoi qu'il en puisse être à l'étranger de la nature de l'intervention de l'Etat, je la crois ici fort dangereuse. Et bien que nous n'ayons de nos institutions qu'une expérience de 20 ans, elle a déjà été assez longue pour nous faire apercevoir sans de grands efforts d'intelligence, combien les conséquences ultérieures de la loi peuvent devenir funestes et déplorables, quoique ces conséquences immédiates appellent sur elle beaucoup d'approbation.

Sans doute, la facilité d'emprunter sur hypothèque et de transmettre les créances hypothécaires est un avantage que l'on doit rechercher. On pourrait au moyen d'une loi d'expropriation, combinée avec la loi hypothécaire que nous venons de voter, faciliter ces opérations. Que la loi autorise encore la formation d'institutions de crédit au moyen d'associations volontaires, je n'y trouve rien à redire. Mais que l'Etat intervienne pour examiner la validité de l'hypothèque et en évaluer la valeur, qu'il devienne, au moyen du mécanisme de la loi, en même temps le créancier de l'emprunteur et le débiteur du porteur de la lettre de gage, qu'il se charge de faire payer la dette du premier au terme du contrat et, au besoin, d'exproprier ses immeubles, en même temps qu'il se charge d'assurer au second les payements à l'époque fixée, on doit être effrayé de la hardiesse d'une pareille combinaison, si l'on considère surtout à quelles immenses opérations elle peut ouvrir carrière.

Mais, dit-on, vos craintes sont chimériques, ces immenses opérations n'auront pas lieu. Les conditions sont si peu favorables, l'intérêt est si élevé, que très peu de monde voudra emprunter.

Je pense, messieurs, que lorsque vous aurez voté le principe du crédit par l'entremise de l'Etat, vous aurez tout voté, et que la puissance qui vous l'aura arraché saura bien en faire dérouler les conséquences. Après avoir décidé l'intervention de l'Etat, il faudrait avoir bien peu de connaissance de ce qu’est l’Etat, pour croire qu’il se laissera gêner par les conditions de détail. Après avoir emporté un pareil principe, après une pareille victoire, ne sentez-vous pas, messieurs, que si ces conditions embarrassent l’Etat, l’Etat, tôt ou tard, sera assez fort pour faire changer les conditions. Ainsi ces conditions doivent peu vous préoccuper, mais ce qui doit, au suprême degré, fixer votre attention, c’est le principe.

Nous ne sommes pas encore bien loin, et déjà le seul orateur qui a parlé pour le projet, dans la séance d'hier, a bien fait voir, qu'une fois le principe admis, votre organisation du crédit par l'Etat devait beaucoup s'étendre. Les prétentions de cet orateur sont les déductions logiques et rigoureuses du système du projet, et il serait parfaitement dans le vrai, si l'idée que l'Etat peut donner le crédit n'était pas absolument fausse.

Je n'ai pas le droit de faire ici la critique de nos institutions ; mais c'est un devoir, dans une circonstance aussi importante, de montrer l'abus qu'on en peut faire. Ne voyez-vous pas, messieurs, que la nation, considérée en masse, se trouve désarmée en présence des intérêts individuels ; qu'il n'y a point d'équilibre entre la force de défense et la force d'agression ; que l'attaque se trouve partout et la résistance nulle part ? Ne voyez-vous pas, qu'au moyen de sollicitations et de déclamations qui ne présentent pas le moindre sens, pour qui veut prendre la peine de lier deux idées, et où les mots : industrie, travail national, exportation, commerce, agriculture, crédit reviennent sans cesse avec des significations différentes, les intérêts individuels, pour s'approprier certains avantages par l'entremise du pouvoir administratif, lui livrent chaque jour les plus précieux intérêts ele la société ?

Et qu'est-ce que le pouvoir administratif ? C'est un pouvoir arbitraire, c'est un pouvoir passionné même, puisqu'il s'élève et se soutient par les passions politiques, qui n'a point de règles ni de lois de conduite, par-devant qui l'on plaide sans forme ni procédure, par les sollicitations et les intrigues et qui par conséquent, le voulût-il, ne saurait jamais connaître la vérité.

Je ne déduirai pas aujourd'hui toutes les conséquences de l'absorption des intérêts de la société par le pouvoir administratif ; on sait qu'elles conduisent à la plus dégradante servitude. Je désirerais seulement, au moment où vous allez vous prononcer dans cette grave question, avoir le talent de bien faire comprendre quelle est la puissance des intérêts individuels lorsqu'ils sont en contact avec ceux de la nation considérée dans son ensemble.

Ne voyez-vous pas, messieurs, que tout ce qu'on prend à celle-ci est regardé comme de bonne prise et comme un bien légitime, et ne sera-t-il pas bientôt considéré comme le meilleur mandataire, celui-là qui sait arracher la plus forte part de la fortune générale pour la distribuer aux intérêts individuels ou locaux, par l'entremise du pouvoir administratif ? Oui, les idées sont ainsi, et si elles suivent leur cours, le pouvoir administratif deviendra un pouvoir monstrueux, arbitre souverain du sort de tous les citoyens et devant qui chacun devra être à genoux ou trembler.

Si nous comprenons bien la faiblesse de résistance de la nation considérée, dans son ensemble, ou, si vous l'aimez mieux, de l'ensemble des contribuables, lorsqu'ils sont placés en contact direct avec les intérêts individuels, nous commencerons à apercevoir ces conséquences ultérieures, ces conséquences funestes, ces conséquences toutes contraires aux conséquences immédiates de la loi et d'autant plus funestes et déplorables que celles-ci ont apparu sous un aspect plus séduisant.

Messieurs, qu'allez-vous faire ? Vous allez placer en contact direct avec l'Etat, avec la nation, avec l'ensemble des contribuables, si vous l'aimez mieux, dont vous connaissez la faiblesse de résistance, une multitude énorme d'intérêts vivaces, ardents, actifs, puissants et livrer le pays à toutes leurs entreprises. Vous allez le faire de gaieté de cœur, sans nécessité, sans y avoir été forcés par ces grandes agitations de l'opinion, qui forcent parfois le législateur à entrer, malgré lui, dans une voie dangereuse.

Mais la caisse du crédit foncier n'est pas l'Etat, répétera-t-on mille fois. Ses opérations ne regarderont que ceux qui traiteront avec elle, ce sera à leurs risques et périls. Le projet ne leur donne aucune garantie.

Messieurs, je vous prie de considérer que, dans cette question, vous ne voterez pas seulement ce qui est écrit littéralement dans la loi.

On dirait que, par le vague des termes et l'ordre dans lequel les idées sont produites dans le projet, on a voulu jeter la confusion dans les esprits. Qu'est-ce que vous entendez par la caisse du crédit foncier ? C'est une caisse sans argent, elle ne possède pas un denier. On va voir que ce n'est qu'une fiction, que ce n'est que le gouvernement lui-même

Je sais bien qu'en jouant avec les termes, on peut soutenir que ce n'est pas le gouvernement, l'Etat, qui prend inscription, paye, reçoit, exproprie, parce qu'on donne souvent à ces mots : « gouvernement », « Etat », des significations différentes. Je n'entrerai pas ici dans des définitions ; mais je vous le demande, messieurs, si ce n'est pas l'Etat, le gouvernement qui agit ici, dans quelle circonstance agit-il donc ?

(page 1025) En effet, si nous écartons la signification du mot « caisse », qui peut présenter l'idée de valeurs, de capital, d'actionnaires et que nous soyons bien convaincus que de valeurs et de capital et d'actionnaires il n'en existe pas la moindre atome, que voyez-vous, ou plutôt que croyez-vous voir dans le projet, si vous n'y voyez pas le gouvernement ? Vous y voyez d'abord cinq personnes nommées par le Roi. Puisque la caisse n'est pas un capital, une chose, ces cinq personnes seraient-elles elles-mêmes la caisse ? Non, puisque l'article 22 (article 30 de la section centrale) dit que la caisse sera dirigée et administrée par ces cinq personnes. La caisse jusqu'à présent n'est ni personne ni chose. Qu'est-ce donc que la caisse ? Mais, répond-on, l'article premier vous le dit tout au long, c'est un établissement de crédit, dont les attributions sont spécifiées dans tous les articles du projet.

Mais dire que la caisse, c'est un établissement de crédit et qu'un établissement de crédit, c'est la caisse, c'est prononcer des mots qui n'ont aucun sens. Nous concevons parfaitement les opérations que l'on veut faire, nous savons bien qu'il s'agit de prendre inscription, de délivrer des lettres de gage, de payer, de recevoir des annuités et d'exproprier, et que tout cela se fera au nom du mot caisse du crédit foncier. Mais c'est l'être agissant, l'être qui prête, paye, reçoit, exproprie, qu'il s'agit de se figurer en dehors du gouvernement et les mots « caisse » et « établissement de crédit », mille fois répétés, ne vous en donneraient pas une idée.

Figurons-nous bien qu'il n'existe ni capital, ni actionnaires, ni par conséquent aucun délégué de ceux ci. De qui l'action part-elle donc ? Mais du gouvernement, uniquement du gouvernement. Il n'existe pas une seule disposition de la loi qui n'indique cette action, et qui puisse même vous en faire concevoir une autre. Substituez au mot « caisse », qui est placé dans le projet comme pour nous éblouir, substituez-y le mot « gouvernement », alors tout s'éclaircit et nous rentrons dans la vérité.

Et cela a-t-il besoin d'être démontré par quelques observations de détail ? « La caisse est dirigée et administrée par un conseil d'administration, composé de cinq membres nommés par le Roi », dit l'article 22 (article 30 de la section centrale). Cela signifie-t-il autre chose dans notre langue constitutionnelle, que le gouvernement nomme ces membres et les révoque à volonté et qu'ils sont par conséquent ses agents ? Ces cinq membres ne tiennent ni de loin ni de près aux créanciers et aux débiteurs ; ils sont et ne sont plus par la volonté du pouvoir exécutif, et s'ils dirigent et administrent quelque chose, cela veut dire, sans doute, qu'ils font ou surveillent les opérations indiquées dans la loi, mais au nom du gouvernement par qui ils existent et qui les destitue quand il lui plaît.

Quelque nom que vous lui donniez, votre établissement de crédit ou votre caisse de crédit foncier est donc dans la réalité une sorte de division du ministère des finances, et quand vous lisez l'article 10 (article 14 section centrale), ainsi conçu, « la caisse instruit les demandes d'emprunt avec le concours du département des finances. » c'est la même chose que si vous disiez : « Le ministre des finances instruit les demandes d'emprunt avec le concours de son département. » Il s'agit dans ce court article de l'opération principale, ou plutôt des opérations principales, car elles ne sont point définies, des opérations sans lesquelles il serait naturellement impossible d'obtenir l'objet de la demande, à savoir le prêt, et malgré la rédaction de cet article qui, comme celle de toute la loi, tâche d'établir une différence entre la caisse et l'administration des finances, cette rédaction, telle qu'elle est, suffit encore pour montrer qu'on ne peut échapper à la vérité.

En effet, vous nommez ici les choses par leur nom. Nous comprenons ce que c'est. Le département des finances, c'est le ministre assisté des fonctionnaires de son administration, lequel en vertu de l'article 10 (section centrale 14), instruira les demandes d'emprunt, cela veut dire, examinera et décidera si on prêtera ou si on ne prêtera pas. Et cette décision, c'est le prêt lui-même ; tout le reste, dans la loi, en ce qui concerne l'emprunt, est de pure forme.

Voilà donc qu'il est écrit en toutes lettres que le gouvernement instruit les demandes d'emprunt ; il fait cette instruction concurremment avec la caisse, et je vous défie de vous figurer la caisse faisant une instruction, c'est-à-dire sous une forme humaine quelconque, sans vous figurer des personnes nommées et révocables par le gouvernement.

Vous voyez donc bien que le gouvernement se cache ici derrière le mot « caisse » ; et que c'est bien réellement au gouvernement que vous allez conférer de nouvelles attributions, attributions fort extraordinaires, inouïes sans doute, et c'est précisément parce qu'elles sont inouïes, fort extraordinaires, que vous ne pouvez vous imaginer que vous allez les lui attribuer et que c'est bien réellement que vous allez entrer dans la voie où l'on vous pousse.

Mais le gouvernement n'est pas responsable. C'est vrai qu'il n'est pas écrit que le gouvernement est responsable des pertes qu'éprouveront ceux qui traiteront avec lui en vertu de la loi que nous discutons. Mais de ce que le gouvernement ne serait pas responsable de ces pertes, il n'en est pas moins vrai que lui seul agit, que lui seul instruit les demandes, prend inscription, exproprie, paye et reçoit, et que pour lui dénier ces actes, il faut se jeter dans des fictions tout à fait inintelligibles.

Les mêmes institutions existent en Gallicie, c'est là que nous avons été les prendre. Eh bien alors c'est l'Etat, le gouvernement qui agit en Gallicie.

Quoi qu'il en soit de la Gallicie, et des autres pays qu'on nous donne pour modèle, tâchons de découvrir par la connaissance de nous-mêmes, les effets du principe de la loi et une partie de ses conséquences.

D'abord les conséquences immédiates, celles que chacun peut voir à l'instant, sont favorables. Grande facilité de se libérer des dettes hypothécaires à courte échéance, pour les reparler à un terme éloigné, grande facilite de se libérer partiellement aussi au moyen des annuités, méthode très commole de donner ses immeubles en garantie et méthode d'autant plus commode que l'emprunteur traite avec un prêteur de fort bonne composition. Celui-ci n'a point l'âpre avidité d'un prêteur ordinaire. Il est infiniment moins soucieux de ses intérêts et passera par conséquent sur beaucoup plus de difficultés.

Il est probable aussi que les lettres de gage se placeront facilement, tant que l'Etat aura du crédit. Les capitalistes, en général, savent bien que la puissance invincible qui nous fait établir le principe du crédit par l'Etat sur la proposition et par l'entremise de notre gouvernement, ne laissera pas défaillir une pareille œuvre, et que nous sommes là, pour lui prêter secours au besoin.

La loi, si l'on ne considère que les circonstances immédiates, la facilité d'emprunter, paraît favorable.

Mais les très remarquables discours qui ont été prononces dans la séance d'hier et qui me font terminer ici ma tâche, vous ont fait voir les conséquences ultérieures et funestes de la loi. Je ne me permettrai pas de répéter les arguments que vous aviez entendu produire avec tant de talent et de raison ; j'ajouterai seulement que je pense, à cause de la jouissance des intérêts individuels, que j'ai signalés, que vous verriez, le contribuable victime de l'erreur du législateur, que vous verrez au nom du crédit (ô dérision) payer sous le nom de prêt ou de tout autre nom, à l'incompréhensible fiction qu'on nomme la caisse, les dettes qu'il n'a pas contractées. Puis dans les temps de crise et de grande agitation politique ou sociale, je pense qu'il sera donné cours forcé aux titres des créanciers, mesure inique et d'autant plus cruelle qu'elle frappe au hasard et sans aucun choix dans ses victimes.

M. Moxhon. - Messieurs, notre époque se fait particulièremeni remarquer par cette espèce de combat que se livrent spécialement libre-échangistes et protectionistes, réformateurs et conservateurs ; combat dans lequel les questions politiques les plus palpitantes tendent heureusement à se transformer en systèmes économiques. Au milieu de cette levée de boucliers on distingue bon nombre d'écrivains dont les écrits, remarquables au point de vue de la richesse du style, roulent particulièrement sur les améliorations agronomiques, proclamant à l'envi, ainsi que vous avez déjà pu vous en convaincre dans cette enceinte, qu'au lieu de cultiver du blé, le cultivateur devrait s'appliquer à élever des plantes industrielles. La discussion présente portera ses fruits en ce qu'elle fera justice de tous les systèmes frappés au coin de l'originalité et de l'exagération. Dans ce conflit d'idées, il n'est pas étonnant que des hommes au courant des affaires contestent l'utilité du crédit foncier. Il suffit cependant de remarquer que la législation sur les prêts hypothécaires allant cesser, pour faire place, je l'espèce, à celle que nous venons de voter, le cultivateur sage et intelligent qui, sous cette législation, se gardait bien de recourir à l'emprunt, pourra le faire sans crainte. L'important pour lui, c'est de mettre le crédit en harmonie avec ses besoins ; l'important surtout, c'est de transformer dès ajourd'hui les dettes foncières exigibles en rentes non exigibles.

Ensuite des relevés officiels, la dette hypothécaire inscrite s'élève à environ 800 millions.

Outre cette dette énorme, frappant la propriété foncière, il y a un grand nombre de créances personnelles qui sont contractées par des propriétaires notoirement solvables, ces créances n'en grèvent pas moins le sol. La plupart sont consenties à 5 p. c.

De quelque source que proviennent ces créances inscrites ou non, aux yeux du prêteur la propriété foncière en est toujours le véritable gage. Les intérêts qu'elles ont à servir finissent tôt ou tard par écraser les débiteurs.

Des économistes en renom prétendent que le propriétaire qui exploite lui-même, peut, en dehors de la rente de la terre, retirer un bénéfice de 8 à 10 p. c. C'est là une grave erreur ; il n'est possible de retirer un semblable bénéfice que pendant un an ou deux en effritant le sol, en lui enlevant toutes les forces reproductives, qua les amendements les plus énergiques ne pourraient lui rendre que difficilement. Le cultivateur qui comprend ses véritables intérêts ne peut retirer que 2 à 3 p. c. en dehors de la rente. 5 p. c. sera toujours l'exception.

Dans cet état de choses, l'agriculteur qui emprunte sous la législation actuelle, ne se voit-il pas chaque jour à la veille de sa ruine ? En payant 4 à 5 p. c. d'intérêt du capital qu'il doit, il ne lui reste que quelque pour cent annuellement, ce qui le met dans l'impossibilité de reconstituer son capital.

S'il était plus prévoyant, il devrait, il est vrai, accumuler cet excédant pour le consacrer à l'amortissement ; fort peu agissent ainsi, la pratique le démontre.

Une fois le capital dépensé, le cultivateur qui n'est pas, lui, homme d'argent, oublie qu'arrivera le jour du remboursement, il se crée des besoins nouveaux. C'est ainsi que l'on voit des dettes immobilières passer de génération en génération.

Jusqu'aujourd'hui l'accroissement des dettes foncières a trouvé certaine compensation dans l'augmentation successive de la valeur du sol ; c'est la conséquence naturelle d'améliorations agronomiques dont une grande partie a profité exclusivement au propriétaire non cultivateur. Il n'est plus permis de nier que la valeur des terres s'est accrue considérablement depuis 1834. Est-il surprenant alors que les dettes foncières, se soient accrues à leur tour ? N'en devait-il pas être ainsi ?

La loi que nous discutons doit avoir pour résultat de diriger les (page 1026) capitaux vers les perfectionnements agricoles. Ceux qui sont opposés au princiope de cette loi ont soin d’objecter que la plupart des capitaux empruntés par les cultivateurs n’ont pas reçu cette destination. Cette objection n’est pas solide. Si, sous le régime de la loi actuelle, il s’est trouvé des agronomes entendant assez mal leurs intérêts pour emprunter dans des conditions ruineuses, est-ce là une raison pour que le cultivateur prudent soit empêché d’emprunter à bon marché, et surtout d’y trouver des capitaux qu’il puisse amortir d’année en année ? Pour lui, il faut que la somme empruntée s’éteigne de telle sorte qu’elle ne laisse au cultivateur d’autres préoccupations que de servir une rente annuelle, majorée d’une minime fraction destinée à l’amortissement.

J'admets que des capitaux nombreux, prétendument empruntés pour des améliorations, ne soient pas réellement affectés à cet emploi. Je n'y vois pas encore un grand mal. On n'empêchera pas l'imprévoyance ni les spéculations aventureuses, ceux qui possèdent des propriétés immobilières sauront bien trouver des capitaux pour ces sortes d'opérations ; je préfère qu'ils en reçoivent sur des lettres de gage que par l'entremise des notaires ou des banquiers, qui, à la moindre crise financière, poursuivent leurs débiteurs à toute outrance, dans le but seul de donner un emploi meilleur à leurs capitaux.

De ces considérations on peut conclure que si les capitaux ne se sont pas portés jusqu'ici vers l’amélioration agricole, c’est qu’outre un intérêt élevé, les frais accessoires à l'emprunt ajoutaient à cette charge onéreuse. Le cultivateur intelligent n'empruntait pas, parce qu'il reconnaissait que le bénéfice minime qu'il trouvait annuellement en dehors de la rente ne lui laissait pas entrevoir la possibilité de reconstituer un capital important, bien qu'il reconnût que ce fonds n'était pas à la vérité anéanti par lui, mais s'était identifié avec le sol lui-même, dont il était devenu la plus-value.

Je termine en faisant remarquer que pour l'agriculture, comme pour toutes les industries, il faut la combinaison indispensable de deux éléments, le travail et le capital. Toute augmentation de l'un de ces éléments amène immédiatement un surcroît de production. Donner à l'agriculture à bon marché des capitaux, c'est lui donner les moyens de produire davantage.

M. Osy. - Après la guerre de sept ans, l'état de la propriété était déplorable en Allemagne et surtout en Silésie

Les grands propriétaires étaient ruinés et on devait venir à leur secours.

On créa le crédit foncier.

Il n'y avait que des grands propriétaires ; la propriété n'était pas divisée ; et l'argent était à un taux usuraire, on n'en trouvait qu'à 10 p. c. sans comprendre les frais de commission qui pouvaient aller à 15 p. c.

En 1770, on créa de premier établissement de crédit foncier, mais il fut doté par le roi de Prusse de 300,000 thalers à l'intérêt de 2 p. c. et on plaçait de 5 à 6 p. c.

Depuis il s'est formé, en Allemagne, beaucoup d'établissements de crédit, mais presque tous sont hors de l'action du gouvernement et ne peuvent pas devenir une charge pour l'Etat.

Par contre, que voyons-nous en Belgique ? Au lieu de grands propriétaires, nous trouvons qu'il y a 758,000 propriétaires en Belgique dont

1/7 du revenu cadastral de 10 fr. et au-dessous, 1/6 de 10 à 25 fr., 1/7 de 50 à 100 fr., 1/60 seumement de 600 à 800, 1/80 seulement de 1,000 à 1,500 fr.

Seulement 2,000 propriétaire de 3,000 à 4,000 fr., 580 de 10,000 à 15,000 fr., 131 de 25,000 à 35,000 fr., 20 de 70,000 à 100,000 fr., et seulement 11 ayant au-delà de 100,000 fr. de revenu.

Il est donc impossible d'avoir une plus grande division de la propriété, et ainsi la Belgique n'est pas à comparer avec l'Allemagne où l'argent a toujours été plus cher qu'en Belgique et, en outre, la valeur de la propriété n'est pas à beaucoup près aussi élevée qu'en Belgique.

En Belgique, les propriétés se vendent en temps ordinaire (il ne faut pas prendre 1848) de 1 1/2 à 2 p. c„ aussi les baux ont dû hausser continuellement pour que les propriétaires puissent avoir quelque intérêt de l'argent. Et comme nous devons tous désirer des prix bas des produits agricoles, le malaise de l'agriculture provient des prix élevés des baux, et certainement nous sommes venus à des termes extrêmes pour la valeur de la propriété et pour les prix des fermages.

Si c'est d'après de telles données qu'on recherche les moyens de trouver facilement de l'argent, ce qui doit encore amener le renchérissement des propriétés, la conséquence en sera de grandes pertes et des ruines et de nombreuses ventes par expropriation, dans un temps plus ou moins éloigné.

Je crois pouvoir dire que depuis 30 ans la valeur territoriale a augmenté de près du triple et le prix de location a seulement augmenté d'un grand tiers, et encore les fermiers peuvent payer plus qu'il y a 50 ans, parce qu'on a fait de grandes améliorations dans la culture.

Cette amélioration s'est laite par la pratique, et jamais vous ne ferez de pareilles améliorations par la théorie, même si vous augmentez encore vos écoles agricoles, contre lesquelles je me suis élevé et contre lesquelles je me lèverai à toute occasion.

Je connais des propriétés vendues en vente publique, l'année dernière, qui ont donné le résultat suivant (je partie de la plus belle partie du Brabant) :

100 hectares au prix de 330,000 fr., ce qui fait avec les 360,000 francs, et qu’on peut louer à 100 fr., ainsi 2 1/4 à 2 1/2 p. c. ; et cette même propriété a été achetée il y a 27 ans en vente publique à 130,000 francs, et était alors louée à 50 fr. et successivement jusqu’à 65 fr.

Avec des données pareielles faut-il chercher à faire hausser la propriété ?

Si maintenant je fais mes recherches pour de petites propriétés, la hausse est encore bien plus forte, et l’on achète dans la proportion de 1 1/2 à 2 p. c. et souvent bien plus bas.

Et quand on vend en détail on se fait ordinairement payer la moitié et on laisse l'autre moitié en hypothèque sur toute la propriété à 4 p. c. avec faculté de rembourser quand on veut. J'ai vu ainsi beaucoup de ventes en Flandres et dans la province d'Anvers, et on n'a pas besoin de votre caisse de crédit foncier.

Maintenant voyons si l'on a de la peine à se procurer de l'argent en hypothèque.

Je vois que le revenu cadastral de la Belgique est de 158,000,000 et qu'il existe en Belgique pour 800 millions d'hypothèque, et qu'en moyenne, par année, il y a 54,000,000 d'hypothèques nouvelles.

On -e récrie aussi beaucoup du taux élevé de l'argent levé, et je trouve dans la province d'Anvers que pour des sommes au-dessous de 1,000 fr. il y a 27,000 fr. qui payent 3 p. c., mais 16,000 » seulement 4 p. c. ; que pour le total général des prêts il y a 515,000 fr. qui payent 5 p. c, mais 1,414,0000 ne payant que 4 p. c.

A Gand la proportion est en faveur du bas intérêt, pour des prêts au-dessous de 1,0000 fr., il y en a 41,700 à 5 p. c, tandis que 60,000 payent 4 p. c.

Et si je vois le total général des prêts il y en a 281,000 à 5 p. c. mais 2,291,000 à 4 p. c.

A Bruxelles l'argent est un peu plus cher : 3,507,000 payent 5 p. c., 3,855,000 payent 4 1/2 p. c. et seulement 911,000 4 p. c.

Je ne trouve pas de renseignements pour Bruges, mais je crois pouvoir dire que la moyenne du taux de l'intérêt sur hypothèque du pays entier est 4 1/2 p. c, tandis qu'à Anvers et à Gand la grande masse est en faveur de 4 p. c.

Après m'êlre rendu compte de l'état des choses, je me suis demandé s'il fallait créer un établissement exceptionnel, ayant toutes les faveurs, pour tâcher d'augmenter encore la valeur dos propriétés, et je crois que ce serait un grand mal.

La population est tellement nombreuse que quand vous avez des fermes ou des terres à louer, vous trouvez toujours cent preneurs pour un, et, par le désir de devenir locataire et de s'établir, on passe par toutes les conditions du propriétaire, et les baux vont en augmentant, et comme la perfection de la culture n'est pas en proportion de l'élévation du taux des baux, vous voyez et vous verrez souvent des ruines ; c'est de là que vient si souvent le changement de locataires, tandis qu'anciennement plusieurs générations restaient sur la même ferme. J'ai toujours été d'avis que c'est seulement par de bonnes lois que le gouvernement doit faire sentir son influence, et qu'il doit se mêler le moins possible d'exploiter par lui-même.

Si nous avons fait une bonne loi d'hypothèque et que nous en fassions une bonne sur les expropriations, vous verrez qu'il se formera de bonnes sociétés hypothécaires, et le rentier, sûr de pouvoir facilement rentrer dans ses fonds en cas de non-payement des intérêts annuels et des remboursements, diminueront le taux du prêt, et avant peu d'années, le taux moyen, qui est aujourd'hui 4 1/2, descendra à 4 p. c. et peut-être au-dessous. Je connais des levées à 3 p. c. qui ont été remboursées au pair.

Laissez donc le public profiter des bonnes lois que nous tâchons de faire, et vous atteindrez le même but, sans augmenter les attributions de l'administration. Autrement peut-être dans un temps donné, on constituera le trésor en grandes pertes et on inondera le pays de papier, que vous pouvez peut-être vendre aujourd'hui 4 p. c. (quoique j'en doute) ; mais dans des temps difficiles comme en 1848, vos lettres de gage suivront le cours des fonds publics, et quand vos 5 p. c. perdront 30 p. c., vous croyez que vos bons fonciers ne suivront pas le même taux.

Ce sera dans des moments difficiles que l'on recourra à votre caisse foncière pour avoir de l'argent, et on ne tardera pas à perdre de suite sur le capital 30 p c. que vous ne pourrez plus jamais récupérer, il faudra de l'argent à tout prix.

Aujourd'hui l'argent est dans le commerce par la grande stagnation des affaires et par les précautions qu'on prend en regard des événements de 1852, 2 1/2 p. c ; tout le monde évite de prendre des engagements et souscrit le moins possible des lettres de change.

L'argent est abondant à 4 p. c. sur de bonnes propriélés et de bons débiteurs, car on regarde beaucoup à la personnalité, tandis que votre caisse devra aider tout le monde.

Mais les 5 p. c. belles ne sont qu'au pair, et il y a encore peu de jours, le gouvernement faisait un emprunt de 4 p. c. à 50 et à 2 1/2 à 50 p. c. Ainsi, quand vous pouvez avoir 5 p. c. pour du papier émis par le gouuvernement, vous croyez qu’on pourra placer du 4 p. c. également émis par le gouvernement au pair ; vous me direz que ce papier a une hypothèque spéciale, mais c’est toujours du papier du gouvernement.

(page 1027) Aussi, ce que je redoute le plus, c'est que dans des temps de crise et quand on ne pourra pas négocier les 4 p. c, vous serez obligé d'en décréter le cours forcé et qu'on en fera une sorte de bons de l'échiquier pour le décompte des intérêts, mais à cours forcé.

Le malheureux exemple de 1848 qui nous a forcés de donner le cours forcé aux billets de banque ne sera pas oublié et on suivra la même marche pour venir à l'aide de l'agriculture et de la propriété et, dans des moments d'embarras, on aura recours à ce même moyen.

On dit dans le rapport, et le gouvernement le confirme, que la caisse qu'on veut instituer n'aura pas la garantie du gouvernement et sera entièrement en dehors de l'action du gouvernement.

Comment ! vous vous réservez la nomination de l'administration (article 30 de la section centrale) !

A l'article 25, vous autorisez la caisse de faire ses recouvrements par les agens du département des finances et par l'article 37 vous autorisez les provinces, communes, établissements publics et même la caisse de dépôts et de consignations, de placer ces capitaux en lettres de gage.

Par l'article 29 toutes les opérations de la caisse sont soumises au contrôle de la cour des comptes par l'intermédiaire du gouvernement.

Jusqu'à présent les administrations ne pouvaient prendre pour emploi de fonds, que des fonds publics de l'Etat, de la province et de la commune. Et voilà que vous les autorisez de prendre à 4 p. c. des lettres de gage, tandis que les fonds publics rapportent encore près de 5 p. c.

Comment ! après toutes ces prescriptions vous pouvez dire et soutenir que le gouvernement n'est responsable de rien et qu'il n'aura pas de pertes à supporter !

Nous voyons à l'article 6, que le débiteur est tenu de payer 42 annuités et pourra être appelé, en cas d'insuffisance de la caisse (même lorsqu'il aura toujours payé régulièrement), à suppléer 3 annuités, ces 4 annuités valant 21 1/4 p. c, puisque pour se libérer il ne faudrait payer que 41 annuités et que même ce terme donne un excédant de 1 1/2 p. c.

Ainsi dans tous les cas, outre l'intérêt de 4 p.c, amortissement 1 p.c. et 1/4 pour les frais, vous avez un supplément de 6 3/4 p. c. à payer et en cas d'insuffisance ce supplément peut aller à 21 1/4 p. c, ce qui réparti sur 42 ans fait 1/2 p. c. par an. Ainsi vous faites croire que l'on n'aura à payer pour l'argent levé que 4 p. c, tandis qu'il est très probable que le taux de son prêt ira à 4 1/2 p.c, taux qui se rapproche de celui que font payer aujourd'hui les rentiers.

Donc, outre tous les autres inconvénients, il est tout à fait inutile de créer une caisse de crédit foncier.

Quand on prend des précautions contre des pertes, c'est qu'on les prévoit et si la perte va au-delà des 4 annuités supplémentaires, qui devra la payer ? Pas de doute que ce sera le gouvernement ou en diminuant annuellement l'amortissement de vos lettres de gage, et alors les pertes n'iront qu'en augmentant. Le public sera donc aussi asuré que nous, que la caisse du crédit foncier, est un établissement du gouvernement et ainsi lorsqu'il y aura des expropriations, tout l'odieux de ces expropriations tombera sur le gouvernement, et si elles deviennent nombreuses surtout dans la classe moyenne et pour des prêts de petites sommes, je vous demande, messieurs, quel tort cela fera au gouvernement, et si vous vous faites des amis aujourd'hui en venant en aide à ces classes, combien d'ennemis ne vous ferez-vous pas lorsqu'il faudra demander le payement des intérêts et le remboursement ?

Voyons ce qui s'est passé depuis quatre ou cinq ans ?

Vous avez mis à la disposition du gouvernement de fortes sommes d'argent pour venir à l'aide des communes et de l'industrie, à charge de remboursement.

Quand les communes et les industriels ont reçu ces nombreux subsides, on vous bénissait, et vous étiez un gouvernement modèle.

Aujourd'hui que vous devriez demander les remboursements à ces communes et à ces industriels, on vous dit tout bonnement : Nous ne pouvons pas rembourser.

Vous n'avez pas poursuivi parce que vous savez que vos amis de 1847 et 1848 deviendraient vos ennemis ; et le trésor devient la dupe de toutes ces avances.

Les communes vous répondent : Notre situation financière ne nous permet pas de rembourser avec nos ressources ordinaires et nous ne pouvons pas angmenter les impôts.

Les industriels vous disent tout bonnement : Nous rembourserons dans dix ans ! Et le gouvernement doit passer par toutes ces réclamations.

Ainsi, quand vous aurez des expropriations à faire, vous serez obligés de passer par les mêmes ménagements, et la perte et l'odieux tomberont sur le gouvernement et le trésor de l'Etat. Et une fois que la rentrée régulière n'existera plus, tous vos calculs tombent à faux.

Aussi, de tout temps j'ai été d'avis que le gouvernement doit se mêler le moins possible d'affaires commerciales, industriels et financières qui peuvent se faire par le public. Bornez-vous à faire de bonnes lois et vous stimulerez la nation qui ne restera pas en arrière.

Si votre loi d'hypothèque est bonne et que vous fassiez une loi d'expropriation dans le sens de l'article 26 de la loi (rapport de la section centrale), il se formera dans le pays, comme nous en avons déjà, des sociétés et des caisses hypothécaires ; et les rentiers, sûrs d'être payés exactement, offriront largement de l'argent sur hypothèque et abaisseront le taux des prêts, et au moins vous éviterez d'inonder le pays de papier et de valeurs qui, dans des moments difficiles, deviendront un grand embarras pour le pays.

Car quand vos lettres de gage perdront seulement 10 p. c. par la seule circonstance que d'autres emplois (comme fonds publics) sont plus avantageux, le discrédit se mettra dans vos lettres de gage et personne n'en voudra plus, et si vous donnez de l'argent à 4 p. c. au lieu de 4 1/2 à 5 p. c. qu’on doit payer aux particuliers, cette différence sera promptement compensée par la perte qu'il faudra faire en réalisant le capital, car les caisses hypothécaires et les particuliers donnent des écus et vous ne donnez que du papier ; et les fermiers et petits propriétaires que vous aurez voulu aider seront obligés d'aller à la bourse et de se soumettre à toutes les variations de l'agiotage ; on passera dans les campagnes par les mains d'hommes d'affaires qui feront perdre plus que ce qu'on a à payer pour lever de l'argent chez des particuliers. Nous avons vu ce qui s'est passé dans les campagnes avec l'emprunt forcé.

Le grand argument du gouvernement et de la section centrale, c'est qu'en levant aujourd'hui de l'argent et en payant pendant 42 ans 5 1/4 p c, le propriétaire se trouvera libéré et la propriété dégrevée. C'est vraiment une très belle combinaison sur papier et qui doit faire effet sur ceux qui ne vont pas au fond de cette opération.

Nous serons bien d'accord que terme moyen en Belgique, la propriété au cours du jour, ne rapporte que 2 1/2 p. c. Le propriétaire, pour payer les intérêts et le remboursement, devra tous les ans suppléer près de 3 p. c. Ainsi, avant qu'il n'arrive au terme de sa libération, il sera ruiné et tous les sacrifices qu'il aura faits n'éviteront pas qu'on sera obligé de l'exproprier.

Aujourd'hui en règle générale quelles sont les personnes qui lèvent de l'argent ? Ce sont ceux qui font des acquisitions étant certain d'autres rentrées dans quelques années, ou ceux qui voulant réaliser des propriétés (ayant besoin d'argent) veulent attendre un moment favorable. Ainsi, nous voyons que les hypothèques inscrites varient de 2 à 20 ans, et tous les sacrifices qu’il aura faits n’éviteront pas qu’on sera obligé de l’exproprier.

Presque toujours vous voyez que ceux qui ne remboursent pas exactement finissent par être expropriés.

Aujourd'hui que vous voulez encore faciliter les moyens de mobiliser la propriété, le résultat inévitable sera de faire renchérir la propriété et d'augmenter les ruines, car il ne sera presque plus possible d'augmenter les revenus, le système du gouvernement étant d'avoir tout ce que la terre produit à des prix bas, le plus grand bien de la nation étant de se nourrir de se vêtir au plus bas taux passible.

Vous voyez donc que les deux buts que vous poursuivez se heurtent, d'un côté vous forcez les propriétaires de tâcher d'augmenter les baux pour avoir quelque intérêt, et de l'autre côté, les baux doivent baisser par les bas prix des produits de la terre.

Je vous ai dit beaucoup de raisons pourquoi vous ne devez pas instituer une caisse de crédit foncier ; elle finira par devenir une ruine et un embarras pour le trésor ; et dans un temps donné, lorsqu'il y aura des embarras politiques, vous avez sous la main le papier nécessaire pour faire des assignats à cours forcé.

On commencera à en émettre qui seront hypothéqués sur la propriété, on finira par abandonner cette régularité, et quand les embarras augmenteront, on augmentera l'émission du papier à cours forcé et on décrétera qu'il est hypothéqué sur les propriétés de l'Etat, canaux, forêts, chemin de fer, etc., et si cela ne suffit pas encore, on décrétera l'hypothèque sur la fortune publique.

Vous direz que je vais trop loin et que je suis très noir ; mais nous savons ce qui s'est fait à la première révolution française, et il est à craindre que quand vous aurez sous la main la presse qui imprime vos lettres de gage, vous vous en servirez pour sortir des embarras politiques et financiers qui peuvent surgir, et cela à la veille de 1852 et quand même les plus grands politiques ne savent pas où marche la France et peut-être toute l'Europe.

Voyez, messieurs, ce qui s'est passé chez nous depuis 1848, et si le petit échantillon que nous avons eu ne doit pas nous faire réfléchir.

Un grand établissement financier se trouve dans l'embarras en mars 1848, et demande de décréter le cours forcé de ses billets de banque. Je me rappelle alors les nombreuses réunions que nous avons eues avec le ministère actuel, et tous repoussaient la mesure contre-révolutionnaire. Cependant le moment de la suspension approchait, le gouvernement nomme une commission d'enquête, et dans les 24 heures nous décrétons le cours forcé de 30 millions de billets de banque. Uu mois après, nouvel embarras de l'établissement financier pour les caisses d'épargne ; et une fois le premier pas fait, nous décrétons séance tenante une nouvelle émission de 20 millions à cours forcé.

Peu de temps après, le gouvernement, se trouvant aussi dans l'embarras, lui qui avait trouvé révolutionnaire le cours forcé des billets de banque, nous demande l'autorisation d'émettre, pour son propre service, 12 millions de billets de banque à cours forcé.

Tout cela s'est fait en 1848, et seulement trois ans après, c'est-à dire le 1er janvier de cette année, on prend des mesures pour faire cesser le cours forcé des billets.

C'est de l'histoire contemporaine, et maintenant le gouvernement nous demande d'émettre régulièrement des lettres de gage ; mais si nous ne le voyons pas, nous laisserons à nos successeurs, avec nos décrets analogues de 1848, une presse pour faire des lettres de gage qu'on pourra décréter pour le service de l'Etat a cours forcé.

Vous voyez donc, messieurs, qu'on nous demande aujourd'hui une mesure très anodine, mais qui pourra avoir les conséquences les plus (page 1028) funestes, et cela parce que le gouvernement veut se mêler de tout, tandis qu'il devrait se borner à faire de bonnes lois et à engager les sociétés et les particuliers de faciliter les emprunts hvputhécaires.

Avec la facilité de trouver de l'argent à votre caisse, on fera des folies, lorsqu'il y aura des propriétés à vendre, par l'appât de se libérer en 42 ans en payant 5 1/4 p. c ; mais, comme je vous l'ai démontré, on se ruine avant d'arriver au terme fixé.

D'autres personnes, par la facilité de trouver de l'argent, continueront à grever leurs propriétés pour faire face à leurs dépenses, et, dans ce siècle de luxe et de besoins, on se dérangera de plus en plus. On se dira : Je ne dois pas rembourser le capital, seulement j'aurai à payer une certaine somme annuellement ; mais, comme 42 ans est environ deux générations, comme père de famille, on se dira : Je puis jouir, et mes enfants pourront se débrouiller.

Vous aurez l'air d'avoir de grandes propriétés, mais, comme on dit vulgairement, vous facilitez les populations à manger leur bien en herbe.

Maintenant, on dit que la caisse du crédit foncier n'est pas un établissement du gouvernement ; dans ce cas, tout votre projet n'est qu'inconstitutionnel, car il est rempli de privilèges.

Les sociétés, pour leurs levées d'argent, doivent payer le timbre, l'enregistrement et la patente. Et vous en dispenserez la caisse par l'art. 54 de la section centrale.

Comment voulez-vous donc que le public puisse lutter avec la caisse de l'Etat. Vous tuez d'un coup toutes les entreprises parties lières,

Pour les expropriations, les particuliers et les sociétés sont soumis aux lois existantes, maïs pour la caisse du crédit foncier, que vous prétendez ne pas être un établissement du gouvernement, vous faites par l'article 20 une législation à part pour les expropriations.

Où reste donc l'article 112 de la Constitution : « Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts. »

D'après toutes ces considérations, je voterai contre le projet de loi qui nous est soumis :

1° Parce qu'il est inconstitutionnel,

2° Parce qu'il est dangereux d'augmenter les attributions de l'Etat et parce que je veux que le gouvernement se borne à faire des lois, dont tous les Belges, sans privilège, pourront jouir et tirer parti.

3° Je repousse la loi parce que je prévois qu'elle sera la source de la ruine de la nation et du trésor public.

Au lieu de nous présenter ce projet de loi, vous auriez dû vous occuper d'une loi d'expropriation qui nous a été promise, et alors par le public vous auriez trouvé tous les avantages que vous recherchez, de venir en aide à l'agriculture et de voir baisser le taux de l'argent pour les campagnards ; et pour y parvenir vous n'avez pas besoin d'un établissement du gouvernement, qui pour tout capital n'aura que du papier à offrir aux prêteurs.

- La séance est levée à 4 heures et demie.