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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 8 mars 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 836) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Dumon donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des électeurs à Masbourg demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

« Même demande des habitants de Westmeerbeek. »

- Renvoi à la commission dis pétitions pour le mois de mars.


« Des électeurs à Weris demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton.e

« Même demande des électeurs à Heyd. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Hautem-St-Liévin demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu de canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

« Même demande des électeurs à Munrkzwalm et à Paricke. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Le Val-Trahegnies demandent que les élections aux chambres se fassent su chef-lieu de canton, que chaque circonscription de 40 mille âmes nomme un représentant et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Hooghlede demandent la révision de la loi électorale. »

« Même demande des habitants de Beveren, Bollegem, Capelle, Staden, Gits. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Westerloo demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu ou dans la commune la plus centrale du canton, que les districts électoraux soient composés de 40,000 âmes, et que le cens différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bassilly demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale et prient la chambre, si elle décidait d'y faire un changement, d'élever le cens au maximum fixé par la Constitution pour tout individu ne sachant lire ni le flamand ni le français. »

- Même renvoi.


« Les habitants de Bonheyden demande que les élections aux chambres se fassent dans la commune, que les districts électoraux soient composés de 40,000 âmes et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Les habitants de Bas-Warneton demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que les contributions foncières payées par le locataire lui compétent pour former le cens électoral. »

- Même renvoi.


« Des électeurs de Paulaethem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, et que le cens électoral pour les villes soit augmenté, et prient la chambre de régler les frais d'entretien des indigents dans les établissements de bienfaisance. »

« Même demande des électeurs à Hundelghem, Laethem-Sainte-Marie et Beerlegem. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles prient la chambre de n'apporter aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande des habitants d'Uccle, Saint-Gilles, Jemmapes, Mons ; des bourgmestres, échevins et membres du conseil communal de Boussu et de Ghlin. »

- Même renvoi.


« Les habitants de Bouwel prient la chambre d'adopter le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turuhout. »

« Même demande des habitants de Grobbendonck, Bevel, Arendonck, Lichtaert, Westerloo, Houtvenne, Herenthout ; des membres du conseil communal d'Hersselt, du conseil communal de Desschel, des propriétaires et habitants de Thielen, qui réclament une station ou une halte dans cette commune, et de l'administration communale de Schelle. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le conseil communal d'Herzele prie la chambre de voter les fonds nécessaires à l'achèvement de la route d'Herzele à Aspelaere. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Le sieur Desforges, représentant de la compagnie du chemin de fer du Nord belge, demande la concession, pour cette compagnie, d'un chemin de fer de Bréda ou d'un autre point de la ligne hollandaise, sur Bruxelles par Lierre et Louvain. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal de Louvain demande que le chemin de fer de Turnhout, projeté par le sieur Dandelin, soit préféré au projet du sieur Leysen. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer de Lierre à Turnhout.


« Le conseil communal d'Aerschot prie la chambre d'accorder à M. l'ingénieur Dandelin la concession d'un chemin de fer de Louvain à Hasselt et au camp de Beverloo par Aerschot. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Meerle déclare protester contre toute assertion qui tendrait à faire croire que les habitants de cette commune ont eu l'intention de renoncer à l'exécution du canal de Turnhout à Saint-Job in 't Goor, et demande l'achèvement immédiat de ce canal. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout.


« Plusieurs habitants de Gheel prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au chemin de fer de Lierre à Turnhout si la compagnie Leysen, qui demande la concession de cette ligne, se refusait à reprendre le projet de la compagnie Desfossés. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

« Même demande d'autres habitants de Bruxelles. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Plusieurs propriétaires à Bruges prient la chambre d'adopter la proposition de loi qui exempte de droits de timbre et d'enregistrement certains actes relatifs à l'expulsion des locataires. »

M. Peers. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion de la proposition de l'honorable M. Lelièvre.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs officiers et gardes de la compagnie de chasseurs éclaireurs de la garde civique de Bruxelles présentent des observations contre la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bailleux, capitaine pensionné, demande une loi qui accorde aux officiers de volontaires le maximum de la pension avec augmentation d'un cinquième pour 10 ans de grade. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Cambron-Casteau, Cambron-Saint-Vincent, Montignies-lez-Lens et Lens, prient la chambre de rejeter le projet de loi qui fixe à dix années la durée du service militaire. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée.


« Le conseil communal de Campenhout présente des observations contre le recrutement de l'armée et demande l'abolition da la loi actuelle sur la milice et la mise en vigueur d'un mode de recrutement par volontaires. »

- Même renvoi.


« Les brasseurs de Bruxelles réclament l'intervention de la chambre pour obtenir la remise des droits d'octroi sur les bières qui s'exportent de cette ville. »

M. Verhaegen. - Messieurs, cette pétition soulève une question très importante ; les brasseurs de Bruxelles demandent la restitution à la sortie, du droit d'octroi sur la fabrication des bières dans l'intérieur de la ville et qui à l'instar des droits d'accise se perçoit sur les cuves-matières.

Ce droit, qui n'est au fond qu'un droit de consommation, ne peut pas, en bonne justice, être perçu sur des bières qui ne sont pas consommées dans l'enceinte, mais qui sont destinées à l'exportation. La ville, me semble-t-il, devrait encourager la fabrication à l'intérieur, loin de la contrarier en rendant impossible la concurrence avec la fabrication de l'extérieur ; car elle perçoit déjà des droits d'octroi assez considérables sur toutes les matières premières indispensables à la fabrication.

J'ai l'honneur de proposer le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


M. Vanden Branden de Reeth. - M. la secrétaire vient de faire l'analyse d'une pétition relative à la loi sur le recrutement et la chambre a renvoyé cette pétition à la section centrale qui sera chargée (page 837) d'examiner le projet de loi. Mais comme cette pétition renferme des observations qui sont applicables à la loi d'organisation de l'armée, notamment de vives réclamations contre l'extension donnée au service militaire que l'on propose de fixer à dix ans, je demande qu'elle soit également renvoyée à la section centrale qui s'occupera de l'examen du projet de loi d'organisation de l'armée. Il est d'ailleurs évident que la pétition se rapporte aux deux projets de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« M. le ministre de la justice adresse à la chambre les pièces relatives à des demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. de Perceval. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission sur la demande en naturalisation du sieur Franck, né à Eysden, partie cédée du Limbourg.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Rousselle. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiner la demande de crédit extraordinaire de 4,880,000 fr. pour dépense à faire au chemin de fer.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

M. Moxhon. - « Par pétition datée de Dampremy, le 29 novembre 1852, les sieurs Jennar, Sclauhas et Biron, demandent une loi qui donne les moyens de contraindre les communes à exécuter leurs engagements. »

Messieurs, les sieurs Jennar, Sclaubas et Biron, demandent une loi qui donne les moyens de contraindre les communes à exécuter leurs engagements. De cet exposé il résulte que le pouvoir judiciaire auquel les pétitionnaires ont eu recours a épuisé par des jugements et arrêts tous les moyens dont il peut disposer, le pouvoir judiciaire ne pouvant s'occuper de l'exécution des sentences des tribunaux.

D'un autre côté les mojens d'exécution d'une sentence judiciaire contre les communes font défaut aux pétitionnaires. En effet, le droit d'hypothèque sur les immeubles des communes ne leur est point accordé.

La saisie immobilière de ces immeubles n'est pja non plus praticable, Enfin la saisie mobilière n'est pas admise contre les communes.

Le seul moyen de vaincre la résistance des communes consiste donc dans le droit attribué aux députations permanentes de porter d'office le chiffre dû au budget des communes, mais cette mesure est aussi inefficace dans la pratique, ainsi que l'observent les pétitionnaires.

Pourtant, l'équité s’oppose à ce que de par la loi les communes soient en quelque sorte autorisées à résister indéfiniment à des condamnations régulièrement prononcées.

Or, il n'y a qu'une loi nouvelle qui puisse donner au pouvoir administratif supérieur les moyens de les contraindre.

Votre commision croit qu'il y a lieu de renvoyer cette pétition à MM. les ministres de la justice et de l'intérieur, afin que s'ils le jugent convenable, ils présentent au pouvoir législatif un projet de loi dans le but de combler une lacune préjudiciable aux créanciers des communes.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de Villeroux. le 14 décembre 1852, des habitants de Villeroux demandent que le hameau dépendant de la commune de Chastre-Villeroux-Blai-Blaumont soit érigé en commune. »

Messieurs, les habitants e Villeroux demandent que ce hameau dépendant de la commune de Cbastrc soit érigé en commune.

Les pétitionnaires apportent, à l'appui de leur demande, des considérations dont il n'appartient pas à la chambre d'apprécier la valeur.

Votre commission conclut au renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.

M. de Renesse. - Ce qui a rapport aux délimitations de communes rentre dans les attributions du ministre de l'intérieur. Je demande que cette pétition lui soit renvoyée.

M. Moxhon. - Je ne m'y oppose pas.

- Le renvoi au ministre de l'intérieur est ordonné.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de Liège, le 9 décembre 1852, le sieur Mueseler, aspirant des mines, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef des frais deroute et de séjour qu’il aurait dû faire de 1834 à 1336, et le payement des termes arriérés de son traitement. »

Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Moxhon, rapporteur. - « Par pétition de Roulers, le 30 novembre 1852, le sieur de Geest demande des modifications à la loi sur le régime hypothécaire. »

Messieurs, le sieur Médard de Geeste, propriétaire à Roulers, réclame contre l'article 43 de la loi du 16 décembre 1851 qui a supprimé l'hypothèque judiciaire. Il voudrait le rétablissement de l'ancienne législation dans l’intérêt du créancier le plus diligent.

Votre commission des pétitions, considérant qu'il y a à peine une année que la nouvelle loi fonctionne, considérant que la révision d'une loi nouvellement en vigueur serait poser un acte aussi inusité que dangereux, conclut à ce que la pétition du sieur de Geest soit déposée au bureau des renseignements.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de Pin, le 1er décembre 1852, le sieur Sampaix-Coliin prie la chambre de lui accorder un secours, si on ne peut lui donner un emploi. »

Messieurs, le sieur Sampaix-Collin, du canton de Florenville, prie la chambre de lui accorder un secours, si on ne veut lui donner un emploi.

Cette pétition s'occupe particulièrement des affaires privées du sieur Sampaix Collin, dans lesquelles il voudrait que la chambre intervînt. En outre, le pétitionnaire incrimine la justice collectivement et déverse, à pleines mains, l’injure aux personnes avec qui il a eu à traiter d’affaires. Votre commission qui professe le plus grand respect pour le droit de pétition ne peut que vous proposer l’ordre du jour, sur un document indigne de vous être présenté.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de Verviers, le ler décembre 1852, le sieur Augenot réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des sommes qu'il a versées à la caisse de prévoyance des instituteurs et professeurs, pendant qu'il était professeur, à titre provisoire, au collège de Verviers. »

Messieurs, le sieur Augenot réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des sommes qu'il aurait versées à la caisse de prévoyance des instituteurs.

Le pétitionnaire dit qu'ayant professé à titre provisoire au collège de Verviers et n'ayant pas été maintenu à titre définitif, ce ne peut être qu'abusivement qu'il a été astreint à verser une retenue dans la susdite caisse ; en conséquence, il réclame le remboursement de cette retenue qu'il est injuste, dit-il, de lui imposer d'office.

Votre commission des pétitions attire particulièrement l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la réclamation du sieur Augenot, à qui elle renvoie la susdite pétition.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. -« Par pétition datée de Liège, le 30 novembre 1852, le sieur Raikem-Romain demande une loi qui interdise aux greffiers et aux huissiers de justices de paix de sa livrer à la défense des parties. »

Messieurs, par pétition datée de Liège, le sieur Raikem-Romain demande une loi qui interdise aux huissiers et greffiers attachés aux justices de paix de prendre la parole et de défendre les parties devant ces mêmes justices de paix.

Les abus que signale le pétitionnaire, ayant un certain degré de gravité, votre commission conclut au renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 1er décembre 1852, le sieur Jeslein se plaint des mesures dont il a été l'objet de la part de l'administration communale de Bruxelles. »

Messieurs, le sieur Justin, papetier à Bruxelles, prétend que, sous prétexte d'exécuter les règlements sur les constructions, les agents de la force publique de la ville de Bruxelles se sont livrés à son domicile à des actes arbitraires.

Votre commission ayant été instruite que cette affaire avait été renvoyée devant les tribunaux, conclut, sans rien préjuger sur la question, au renvoi de la pétition et des pièces qui y sont jointes, à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion générale

M. le président. - La section centrale propose de réduire le crédit à 40,000 fr. et de retrancher à l'article 2 le mot « présumé ».

Le gouvernement ne sa rallie pas aux propositions de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la demande de crédit qui vous est faite aujourd'hui n'est pas d'une importance considérable quant au chiffre, nuis d'une immense importance quant au bien qu'elle a permis de réaliser et promet de réaliser encore dans plusieurs provinces.

La loi par laquelle vous avez accordé un crédit de 75 mille francs pour favoriser le débit de la chaux à prix réduit est de 1851 ; elle a formé le complément des mesures par lesquelles vous avez encouragé le défrtichement des terres dans les Ardennes et dans le Limbourg. Chacune de ces provinces a eu sa part dans les encouragements votes par la législature. Le Limbourg et la Campine ont eu une part très large dans les crédits votés successivement par les chambres.

Quant au Luxembourg, la loi du défrichement y a opéré aussi des résultants considérables, tant par la transformation qu'un grand nombre de propriétés incultes ont subie depuis quelques années, que par la nouvelle voie d'encouragement dans laquelle vous avez voulu que la petite culture pût entrer dans cette province.

Sous ce rapport, la loi du 6 juin 1831 qui a ouvert au département de l'intérieur un crédit de 75,000 francs, a réalisé des avantages immenses, parce qu'elle a pour but et pour effet d'apprendre au petit cultivateur surtout, par quels moyens il est possible et même facile d'améliorer des terrains qui jusque-là avaient été condamnés à une stérilité éternelle.

Messieurs, ce n'est pas seulement par la vente des terrains incultes que la législature a opéré ces bons résultats dans la province de (page 838) Luxembourg ; c'est, comme je viens de le dire, en ouvrant une voie nouvelle à la petite culture, et j'ai besoin, à cet égard, d'expliquer en peu de mots à la chambre de quelle manière il a été fait usage des encouragements votés par la législature.

Les ventes de terrains incultes, messieurs, ont eu lieu d'après ce principe qu'il fallait, autant que possible, mettre les terres exposées en vente, à la portée des petites fortunes ; en d'autres termes, il ne fallait pas en faire des blocs trop considérables qui auraient donné lieu à des spéculations portées sur une échelle trop grande.

Cependant là, comme en toute chose, il n'était pas possible de créer des règles absolues, et il a fallu dans quelques cas, encourager aussi de grandes exploitations, afin qu'elles pussent à leur tour servir de modèle à la petite culture, à la petite propriété. Mais dans les cas les plus généraux, je le répète, le gouvernement a réglé le mode d'exécution de la loi sur le défrichement, de manière que la petite culture pût se procurer, sous une autre forme et d'une manière plus complète, les ressources qu'elle avait trouvées jusque-là dans la jouissance des terrains incultes.

Au nombre des mesures adoptées comme complément de la loi sur les défrichements, figure donc le mode d'encouragement accordé à la culture par le débit de la chaux à prix réduit. A deux reprises différentes, ces crédits ont été utilisés. Ils l'ont été, d'après les rapports qui sont parvenus au gouvernement, de la manière la plus utile. La conduite adoptée dans l'exécution par le gouvernement, consiste à ne permettre l'acquisition de la chaux à prix réduit que dans des proportions minimes ; c'est à-dire pour traduire en chiffres la pensée du gouvernement, qu'un cultivateur ne pouvait obtenir à prix réduit plus de 100 hectolitres de chaux ; et la quantité de 100 hectolitres de chaux a été considérée comme maximum nécessaire pour rendre à la culture un hectare de terre.

C'est donc, vous le comprenez, dans l'intérêt de la petite culture, que le gouvernement a résolu le mode d’exécution dont je viens de parler.

Par la manière dont les crédits ont été employés, presque toutes les localités du Luxembourg, une partie de la province de Namur et de la province de Liège, ont eu, par des fours établis suivant les localités, dans des positions favorables, la possibilité de se procurer la chaux, et pour vous démontrer avec quelle prudence, avec quelle réserve le gouvernement a agi dans la distribution de ces avantages, la réduction de prix a été réglée de telle manière que c'est tantôt 20, tantôt 30, tantôt 50 p. c. de réduction qui ont été offerts aux petits cultivateurs. Un hectolitre de chaux valant 50 centimes, vous comprenez à l'instant dans quelle proportion les avantages donnés par le gouvernement à la petite culture ont pu être utilisés par celle-ci.

J'ajoute que la prime a été successivement réduite par le gouvernement. C'est ainsi qu'aujourd'hui on ne dépasse plus la limite de 10 à 20 c. dans les réductions qu'il accorde. Le gouvernement a égard aux circonstances de localités, à l’éloignement des fours à chaux, et à beaucoup de considérations, qui exigent sur tel ou tel point une réduction plus ou moins considérable.

Quoi qu'il en soit, la preuve la meilleure du bon emploi que le gouvernement a fait du crédit, c'est l'assentiment unanime donné à la répartition. Je dis assentiment unanime, parce qu'il résulte de l'enquête faite par le gouvernement que tous les éléments administratifs et les organes des intérêts agricoles ont été entendus, et qu'il a été reconnu non seulement que la chaux est un excellent moyen de fertiliser la terre, mais encore que le gouvernement en a fait, dans les limites du crédit, l'emploi le plus équitable qu'il pût en faire.

Ne pouvant me rallier aux observations restrictives faites dans le rapport de la section centrale, il faut bien que je rencontre les observations présentées contre la nouvelle demande de crédit.

Je dis d'abord qu'il est impossible que la section centrale, en proposant une réduction du crédit demandé, ait été guidée par l'importance de la dépense, et qu'il est probable que c'est en se préoccupant d'une question de principe qu'elle est arrivée à proposer la réduction du crédit à 40,000 fr. ; car je ne pense pas que la chambre, plus que la section centrale, veuille convertir en une sorte d'aumône l'encouragement proposé pour trois provinces. Je dis aumône, parce que le crédit réduit à 40,000 fr. n'aurait plus un véritable caractère d'utilité publique. Ce ne peut être ce que la section centrale a voulu.

J'espère qu'après m'avoir entendu dans mes explications, ce n'est pas ce que la chambre voudra.

On a fait observer que le trésor public ne devait pas venir en aide à l'industrie privée. En principe absolu, c'est parfaitement vrai ; la théorie n'approuve pas que le gouvernement se mêle de l'industrie privée. Mais il n'y a rien d'absolu dans la marche du gouvernement, il y a des circonstances où il faut bien que le gouvernement intervienne pour guider les populations dans des mesures qui tournent au bien-être général, qui ont pour objet de répandre la prospérité, par la fertilisation de terres incultes.

Ainsi, sous le rappoit du principe, je n'ai rien à dire. Mais quant à l'exception qu'il s'agit d'y faire dans le cas particulier, je crois que vous n'êtes pas arrivés à la dernière limite. L’exemple des Flandres où, par l’application d’un système d’encouragements, vous avez ressuscité la prospérité de ces provinces, peut être invoqué avec bonheur en faveur d’une province où il y a de grandes souffrance sà soulager. La province du Luxembourg attendait une mesure pratique qui vient à son aide, par la fertilisation des terres restées sans culture. Vous le lui avez appris. Devez-vous encore donner quelques encouragements ? Voilà toute la question.

Eh bien ! messieurs, c'est là un point de fait. La limite des encouragements peut-elle être considérée comme atteinte ? Vous avez voulu deux choses : le défrichement, et sous ce rapport vous pouvez dire que les lois votées successivement ont en grande partie répondu à l'attente du pays. Ensuite nous avions à créé des habitudes nouvelles en agriculture, nous avions à montrer aux cultivateurs et surtout aux petits cultivateurs, ce qu’on peut obtenir avec un peu d’argent, quand cet argent est employé d’une manière intelligente. Eh bien ! messieurs, sous ce rapport l’expérience n’est pas complète.

Le petit cultivateur n'apprend pas en quelques jours toutes les améliorations dont le sol est susceptible. En ce qui concerne la chaux, notamment, vous avez voté quelques crédits ; mais nous devons continuer ce système pour démontrer aux populations que les bons résultats de la chaux sont permanents, et qu'en améliorant son champ par l'emploi de cet amendement, on se crée un patrimoine productif ; que l'on concourt ainsi à l'application d'un système qui fera successivement disparaître toutes les bruyères.

Le gouvernement, messieurs, a ouvert une enquête, il a demandé aux autorités provinciales, aux autorités locales, à tous ceux, en un mot, qui sont compétents pour apprécier des questions de cette nature, il leur a demandé s'il était temps de s'arrêter.

Eh bien, tout le monde lui a répondu que s'arrêter maintenant ce serait compromettre d'une manière fâcheuse tous les résultats déjà obtenus.

En présence de cette enquête devant laquelle nous devons tous un peu fléchir, quelle que soit notre opinion sur la question de principe, en présence de cette enquête, je dis, messieurs, que nous devons ajouter aux 40,000 fr. que tout le monde veut accorder, cette misère de 35,000 fr., qui aura pour résultat de satisfaire à des intérêts importants et de faire cesser beaucoup d'inquiétudes.

Vous ne voudrez pas, messieurs, vous rallier à l'avis restrictif de la section centrale, et, appréciant les bons résultats obtenus et les efforts faits par le gouvernement pour améliorer la culture dans le Luxembourg et les contrées voisines, vous vous prononcerez conformément à l'avis primitif de toutes les autorités compétentes.

(page 842) M. Orban. - J'attendais l'occasion que devait me fournir la discussion de ce projet de loi, pour prier M. le ministre de l'intérieur de donner quelques explications de nature à calmer les inquiétudes qu'a fait naître dans la province du Luxembourg l'exécution de la loi sur le défrichement.

M. le ministre, avec un empressement dont je le félicite, a déjà fait publier dans le journal officiel une note destinée à faire connaître la manière dont le gouvernement procédait à l'exécution de cette loi, et à calmer, s'il était possible, les inquiétudes que je viens de signaler.

Mais, soit que cette note n'ait pas été considérée comme suffisamment rassurante, ou bien qu'elle ne soit pas parvenue à la connaissance des intéressés avec la même régularité que d'autres publications qui paraissent avoir été faites dans l'intention de surexciter ces craintes, le but que se proposait le gouvernement n'a pas été atteint.

Depuis lors, les inquiétudes n'ont fait que s'accroître, les populations ardennaises, si paisibles d'ordinaire, si difficiles à distraire de leurs occupations agricoles, se sont émues ; des réunions des plus notables habitants ont eu lieu et elles ont chargé des mandataires de soumettre à l'autorité provinciale l'expression de leurs inquiétudes et de leurs vœux.

Il n'y a rien, messieurs, dans les faits que je vous signale, qui doive nous surprendre ; nous les avions prévus ; ces inquiétudes, ces conflits, qui peuvent dégénérer plus tard en résistance, sont la conséquence naturelle du principe de l'expropriation forcée des biens communaux, déposé dans la loi de 1847, principe que j'ai combattu avec toute l'énergie dont j'étais capable, d'accord en cela avec tous mes collègues du Luxembourg, avec la députation permanente de cette province ; principe qui n'a triomphé dans cette enceinte qu'après une discussion dont la durée fait époque dans nos annales parlementaires et qui n'a été adopté par le sénat qu'à la simple majorité de 2 voix.

Messieurs, le gouvernement a-t-il usé avec prudence et modération de la faculté d'expropriation que lui donnait la loi de 1847 ? A-t-il appliqué la loi dans l'esprit où elle a été conçue ? Voyons d'abord, à cet égard, la note publiée par le Moniteur. Il résulte de cette note : que depuis la mise en vigueur de la loi de 1847 jusqu'au mois de décembre dernier, le gouvernement a autorisé, sur la demande des autorités locales, le défrichement et le boisement par les communes, la vente, le partage et la location aux habitants, jusqu'à concurrence de 8,011 hectares de bruyères appartenant aux communes du Luxembourg.

Pendant le même espace de temps, il a été ordonné d'office par le gouvernement, contre le gré des autorités locales et par conséquent en vertu du principe de l'expropriation forcée, vingt-deux ventes comprenant une superficie totale de 604 hectares, par lots d'une contenance inféiieure à 50 hectares en général et dont deux seulement dépassent cent hectares. Ainsi, messieurs, 8,000 hectares de bruyères rendus volontairement à la culture par les communes, 8 ;00 hectares environ soustraits à leur domaine par expropiation forcée, tel est le résumé officiel de l'exécution donnée à la loi dans la province de Luxembourg.

Eh bien, messieurs, malgré la modération apparente qui résulte du rapprochement de ces chiffres et que le gouvernement a tenu à mettre en lumière, je n'hésite pas à répondre d'une manière négative à la question que j'ai posée tout à l'heure. A mon avis, le gouvernement n'a pas usé de la loi dans l'esprit où elle a été conçue ; il n'a pas tenu suffisamment compte des réserves si précises et si formelles que la loi avait apportées à l'introduction du principe de l'expropriation forcée des biens communaux dans la loi sur le défrichement.

Dans l'intention du législateur, le but que l'on voulait atteindre, c'était de soustraire à la main morte les biens appartenant aux communes, pour rendre à la culture ceux d'entre ces biens qui étaient susceptibles de la recevoir ; le moyen d'y parvenir, c'était le partage entre habitants, les aliénations volontairement consenties par les administrations, le défrichement ou le reboisement par les communes elles-mêmes.

Quant au principe de l'expropriation forcée, et j'en appelle à toutes les discussions qui eurent lieu alors, il ne fut déposé dans la loi que comme un remède extrême, qui ne devait être employé qu'en cas d'insuffisance et d'inefficacité des autres moyens indiqués par la loi. Or, messieurs, je vous le demande, cette nécessité s'est-elle produite ? Les populations sont-elles restées en retard de répondre à l'appel de la loi ? Les administrations ont-elles refusé de recourir à ces améliorations directes, à ces aliénations, à ces partages volontaires qui étaient le but naturel de la loi ? Le chiffre de 8,000 hectares, rendus de cette façon à la culture, répond éloquemment à cette queslion, et j'ose dire qu'en présence de ce résultat le gouvernement aurait dû s'abstenir de faire usage de l'arme dangereuse de l'expropriation forcée, ne fût-ce que pour récompenser les populations luxembourgeoises des efforts persévérants qu'elles avaient faits pour arriver au défrichement des bruyères.

Du reste, messieurs, je n'insiste pas davantage sur le passé. Il s'agit, en effet, moins ici du passé que de l'avenir ; ces inquiétudes auxquelles, j'ai fait allusion sont moins encore causées par les actes que je viens de vous signaler que par les demandes de concessions exorbitantes, comprenant des territoires entiers, absolument comme s'il s'agissait de quelques steppes désertes du nauveau monde, qui sont soumises en ce moment à l'administration.

Il est telle de ces demandes qui comprend une étendue de plus (page 843) de l,700 hectares sur le territoire de plusieurs communes continue ?. Eh bien, messieurs, je n'hésiste pas à dire qu'accueillir de semblables demandes serait de la part du gouvernement une conduite insensée ; mais je me hâte d'ajouter que je l'en crois complètement incapable, je suis convaincu qu'il repoussera de pareilles demandes, et la déclaration que je sollicite de lui dans ce sens ne sera qu'un corollaire de la note insérée par lui au journal officiel. Il est évident, en effet, que si le gouvernement n'a autorisé, dans l'espace de 5 années, d'aliénations forcées que jusqu'à concurrence de 600 hectares (chiffre que je n'approuve pas, du reste), que s'il n'a autorisé ces aliénations que par lots généralement inférieurs à 50 hectares et que si toutes ces aliénations, sauf une seule, ont été consenties au profit d'habitants de la province, il ne peut en aucun cas accueillir des demandes de concessions émanant de capitalistes étrangers et dont une seule dépasse en contenance toutes celles qui ont été consenties en cinq années.

Agir autrement, encourager, accueillir de pareilles demandes, serait, dis-je, injustifiable et insensé, ce serait sacrifier l'existence des habitants, la culture actuelle à un progrès imposable et imaginaire. Le gouvernement ne peut ignorer, en effet, que le défrichement, quelque désirable qu'il soit, ne peut avoir lieu que d'une manière successive, qu'il ne peut s'opérer qu'en gravitant à l'entour d'un centre préexistant d'exploitation, qu'il est économiquement impossible sur une aussi vaste échelle, et que ces vastes concessions de bruyères demandées en vue du défrichement ne les feront pas changer de nature.

Ce serait, d'un autre côté, faire preuve d'une ignorance bien grande que de croire que nos bruyères, dans leur état d'infertilité relative, ne sont point utiles, indispensables même à l'existence de la population ardennaise. Le nom de pâtures-sarts sous lequel elles sont connues indique suffisamment le rôle qu'elles jouent dans l'économie agricole de nos Ardennes.

Comme pâtures, elles offrent un parcours indispensable au nombreux bétail de nos cultivateurs, et par conséquent le moyen d'obtenir les engrais nécessaires à la culture des terres. Point de bétail sans pâture et pas de culture sans bétail. Par l'essartage périodique ces mêmes bruyères offrent une ressource non moins indispensable pour suppléer à l'insuffisance de la production agricole des céréales. Je sais bien que les agronomes prétendent qu'il faut abandonner la vaine pâture et nourrir le bétail à l'écurie, et qu'il faut remplacer l'essartage par la culture. Mais l'éternel bon sens de nos cultivateurs répond à cela qu'en attendant qu'il puisse nourrir son bétail à l'écurie et remplacer l'essartage par la culture, il est obligé, à peine de mourir de faim lui et son bétail, de continuer à essarter ses terrains vagues et à les faire pâturer.

Il est une considération que l'on fait valoir en faveur des aliénations de bruyères communales faites au profit de capitalistes étrangers, que je ne puis passer sous silence, parce qu'à côté du préjudice matériel, elle montre le préjudice moral dont sont menacées nos populations. C'est, dit-on, le seul moyen de pousser activement au défrichement par la création de grandes cultures qui donneront du travail et du salaire aux habitants de l'Ardenne.

Oui, messieurs, tel est en effet le dernier mot de ce système. Créer de grandes propriétés qui finiront par rendre impossible l'existence des petites, remplacer par le travail salarié le travail pénible mais en général libre et indépendant de l'habitant de l'Ardenne, transformer en ouvriers agricoles nos petits propriétaires indépendants, telle est la dernière conséquence de ce système.

Eh bien, messieurs, c'est parce que le bon sens de nos Ardennais l'a compris ainsi, c'est parce qu'il a compris que du moment où l'aliénation du fonds commun le priverait lui et ses enfants de la faculté de tenir quelques têtes de bétail, qui le mettent à même de cultiver quelques acres de terre, il n'aurait plus qu'à tendre la main au salaire que lui offriraient les nouveaux propriétaires du sol, qu'il proteste et se révolte contre le tort dont il est menacé. Il s'agit pour lui de son indépendance aussi bien que de son bien-être.

Le gouvernement a-t-il donc intérêt à détruire ces classes moyennes qui font l'ornement et la force des sociétés, pour les remplacer par de grands propriétaires, d'une part, et des ouvriers salariés, de l'autre. Non, messieurs, car l'expérience prouve que la misère est une conséquence inévitable de ces transformations.

Un dernier mot encore sur ce sujet. Pourquoi parle-t-on sans cesse des bruyères communales ? Ignore-t-on qu'il existe dans les Ardennes plus de 60,000 hectares de terrains de même nature appartenant à des particuliers ? Pourquoi les capitalistes ne s'adressent-ils pas à ces derniers ? S'ils en offrent réellement la valeur, nul doute qu'ils ne les obtiennent ; et, dans le cas contraire, n'est-ce point spolier les communes que de les contraindre à accepter des offres insuffisantes ?

Je passe maintenant, messieurs, à la loi en discussion. Je m'attacherai à défendre le crédit de 75,000 fr. demandé par le gouvernement pour distribution de chaux à prix réduit aux cultivateurs de l'Ardenne, et à combattre la réduction de 25,000 fr. proposée par les sections.

Je ne leur ferai pas l'injure de croire qu'une pareille réduction ait été proposée par principe d'économie. Je suis autant que personne partisan des économies, mais je ne connais, en administration, qu'une seule manière de les pratiquer : c'est de supprimer les dépenses inutiles ou infructueuses. Or, il s'agit ici d'une dépense qui, par une exception aussi heureuse que rare, doit produire au centuple. Moyennant un faible encouragement, vous amenez de petits propriétaires, dont les ressources sont insuffisantes, à faire usage d'un amendement dont l'efficacité est merveilleuse et qui transforme instantanément les bruyères séculaires de l'Ardenne en terres arables. Il n'y a donc pas d'économie à supprimer une pareille dépense, car c'est supprimer en même temps l'avantage infiniment plus considérable qui en résulte.

Vous avez voté dernièrement 60,000 francs pour l'acquisition de deux tableaux et je ne vous blâme pas ; mais ce serait vous faire injure de croire que vous puissiez mettre en comparaison l'utilité de cette dépense avec celle qui doit résulter de la somme de 75,000 francs destinée à encourager l'emploi de la chaux en agriculture. Encore une fois, je ne vous blâme pas. Que l'on donne, si l'on veut, aux peuples du pain et des spectacles, mais qu'au moins on donne le pain avant les spectacles.

Ce n'est donc point un sentiment d'économie qui a guidé les sections. Qu'est-ce donc ? M. le ministre vous l'a dit tout à l'heure, c'est une considération de principe. On a vu dans ce crédit une prime, une prime accordée exceptionnellement à trois provinces, une prime dont on craignait de voir perpétuer l'emploi.

Je répondrai brièvement à ces trois objections. Pas plus que personne, messieurs, je ne suis partisan des primes ; mais s'il en existe une qui mérite que l'on fasse une exception en sa faveur, c'est assurément celle qui nous occupe.

Il ne s'agit point ici, en effet, de donner la vie à une industrie factice qui sans cela ne pourrait pas exister ; non, il s'agit de l'agriculture, la plus vitale comme la plus nécessaire des industries. Il ne s'agit pas de primes destinées à être distribuées entre quelques riches capitalistes qui pourraient parfaitement s'en passer ; non, la somme demandée doit être partagée entre un nombre considérable de cultivateurs et en portions infiniment petites.

Il ne s'agit pas non plus de favoriser la création de produits destinés à l'exportation, de manière à pouvoir les fournir à l'étranger à meilleur compte qu'à nous-mêmes ; il s'agit d'une prime destinée à la production du pain, et du pain qui doit nourrir nos plus pauvres populations agricoles.

Enfin, messieurs, il ne s'agit pas de millions, comme c'est ordinairement le cas quand il est question de primes industrielles : il s'agit de quelques milliers de francs seulement.

S'il y a donc prime ici, messieurs, c'est avec des avantages particuliers et sans les inconvénients que les primes présentent ordinairement.

Le second grief, c'est que cette prime a un caractère local et ne se distribue que dans trois provinces. Est-il besoin de dire qu'il ne peut en être autrement, que les primes ne peuvent agir que là où existent les intérêts à encourager ? Je sais qu'ailleurs que dans les provinces de Luxembourg, de Namur et de Liége, il se trouve des terrains auxquels la chaux pourrait être utilement employée. Mais c'est dans ces trois provinces seulement que l'on trouve des terrains incultes d'une étendue assez vaste pour que le besoin de les mettre en culture justifie et réclame l'intervention du gouvernement. Ce n'est que là aussi que les terrains qui réclament la chaux sont à une distance telle des lieux qui la produisent, qu'un encouragement est nécessaire pour engager les petits propriétaires à en faire usage.

Enfin, messieurs, on a craint de voir cette prime devenir permanente, et l'on a voulu, par une réduction de l'allocation, ménager la transition et amener les habitants à s'en passer. Eh bien, messieurs, le but que l'on se propose sera atteint, la réduction que l'on a en vue s'opérerait naturellement et sans qu'il soit besoin de diminuer le chiffre de 75,000 francs. Cette réduction s'opère par l'augmentation du nombre d'intéressés qui participent à cette prime, et dans ce moment cette réduction est armée à son extrême limite. La première année, la prime fut distribuée tout entière dans la province de Luxembourg ; les années suivantes les provinces de Namur et de Liège furent appelée sà y participer ; une progression analogue s'est manifestée dans le nombre des individus participants.

Il en est résulté que la prime qui d'abord était de 50 p. c. a été réduite successivement à 30 et 20 p. c. c'est-à-dire à un taux tel qu'il deviendra bientôt sans intérêt pour le cultivateur de l'obtenir.

Il résulte de ce qui précède qu'il y aurait plutôt lieu d'augmenter que de réduire l'allocation demandée. Quant au terme assigné à son emploi, il me semble, messieurs, que ce n'est pas sans raison que l'on a désigné l'époque où la province de Luxembourg sera appelée à jouir de son chemin de fer.

Le gouvernement, pour lui assurer le bienfait de cette communication, a consenti à un sacrifice considérable en accordant un minimum d'intérêt. Le subside demandé pour la distribution de la chaux est un autre moyen d'obtenir cet amendement à prix réduit qui est loin d'égale, le sacrifice auquel l'Etat s'est engagé. Il est juste, au moins, qu'aussi longtemps que le Luxembourg sera privé de son chemin de fer, qu'aussi longtemps que l'Etat n'aura à supporter aucune charge de ce chef, on lui accorde au moins cette légère compensation.

(page 838) M. Osy. - Je viens appuyer la proposition de la section centrale. L'honorable M. Orban peut être persuadé que ce n'est pas par un besoin de mesquines économies que j'appuie cette proposition.

En 1851, au mois de mai, lorsqu'un projet de loi de même nature a été présenté, M. le ministre de l'intérieur nous disait que les sommes qu'on nous demandait suffiraient pour 5 ou 6 ans, et que lorsqu'on nous demanderait un nouveau crédit, nous aurions à examiner si nous voulions continuer à donner une prime pour la vente de la chaux à prix réduit. Messieurs, depuis lors, deux ans seulement se sont écoulés au lieu de cinq ou six pendant lesquels le premier crédit devait suffire. Vous voyez donc que la dépense est beaucoup plus considérable qu'on ne l'avait dit.

Messieurs, je ne suis pas de ceux qui, lorsqu'on a accordé des encouragements à une industrie, veulent les supprimer d'emblée. Je vous en ai donné la preuve il y a quelques années.

En 1848, le gouvernement avait trouvé convenable d'instituer des primes de sortie pour les industries linière et cotonnière des Flandres. Je vous disais alors que je n'approuvais pas un pareil système ; mais j'ajoutais que lorsqu'on était entré dans cette voie, il ne fallait pas supprimer brusquement les faveurs que l'on avait accordées à l'industrie, qu'il fallait procéder graduellement à cette suppression. Qu'a fait au contraire le gouvernement ? Après avoir institué sans une loi, mais toutefois avec l'assentiment de la chambre, une prime de 10 p. c, il l'a réduite, l'année suivante, à 7 1/2 p. c. Nous avions demandé que le gouvernement l'abaissât un an après à 5 p. c, ensuite à 2 1/2 p. c. pour arriver à la suppression complète.

Mais le ministère d'alors a jugé convenable, après avoir encouragé pendant deux ans ces industries, de supprimer complètement la prime de sortie.

Je crois qu'en agissant ainsi le gouvernement a commis une faute. Aussi s'il venait aujourd'hui nous proposer de ne plus distribuer du tout de chaux à prix réduit, je combattrais son opinion ; j'appuierais le vote d'un crédit pour que les encouragements accordés jusqu'ici soient pendant quelque temps diminués graduellement avant d'arriver à leur suppression.

Ce n'est donc pas pour faire une économie de 35,000 fr. que je demande que la chambre vote le chiffre de 40,000 fr. ; c'est pour arriver graduellement à faire cesser l'intervention du gouvernement dans des affaires que les particuliers peuvent faire eux-mêmes. La réduction dn chiffre à 40,000 fr. sera un avertissement que d'ici à peu d'années ces encouragements cesseront.

Messieurs, je m'opposerai toujours à ce que le gouvernement se fasse marchand, se fasse exploitant ; parce que mon opinion est contraire à un pareil système. Mais j'ai toujours voté avec plaisir les crédits qui nous ont été demandés pour l'amélioration des chemins vicinaux. Eh. bien ! établissez de bons chemins dans le Luxembourg, et les fermiers pourront aller eux-mêmes chercher aux fours la chaux dont ils ont besoin. Vous leur accorderez ainsi un encouragement beaucoup plus (page 850) convenable que celui qu'ils obtiennent par des distributions de chaux à prix réduit.

Messieurs, ces distributions de chaux à prix réduit, c'est encore de l'argent que vous accordez à des fonctionnaires et dont bien peu de fermiers profitent. J'ai vu que sur la somme de 75,000 francs il y avait 3,000 francs de frais d'administration. Voilà donc près de 12 p. c. de frais d'administration.

Comme je viens d'avoir l'honneur de le dire, accordons au gouvernement les sommes nécessaires pour faire de bonnes routes, et que les fermiers aillent chercher eux-mêmes ce dont ils ont besoin ; mais n'encourageons pas le gouvernement à se mêler de tout.

Ainsi, messieurs, je demande qu'on supprime graduellement ces distributions de chaux à prix réduit. J'accorde encore cette fois 40,000 fr. ; maissi, l'année prochaine ou dans deux ans, on venait demander le renouvellement de ce crédit, je m'opposerais à ce qu'il fût alloué de nouveau, parce que, je le répète, je ne veux pas de l'intervention du gouvernement en toutes choses. Aujourd'hui il se mêle d'une quantité d'affaires, et si depuis quelques années, nous ne l'avions arrêté, je crois qu'il étendrait son intervention encore beaucoup plus loin.

Je crois que la réduction que nous proposons n'aura pas d'effet nuisible, et je vais vous dire pourquoi.

Je lis dans le rapport de M. le gouverneur du Luxembourg, que l'on n'accorde à chaque propriétaire, à chaque fermier, que 100 hectolitres de chaux, mais que les propriétaires en demandaient trois cents. Vous voyez que ce sont les grands propriétaires et non les petits cultivateurs qui vont chercher aujourd'hui la chaux à prix réduit.

Eh bien, en n'accordant que 40,000 fr., le gouvernement réduira cette quantité de 100 hectolitres à 50 ou 40 hectolitres, et ce ne sera alors que les petits propriétaires, ceux qui n'ont peut-être qu'une vache et qui n'ont pas cheval pour aller aux carrières chercher la chaux, qui profiteront du subside. Si, au contraire, vous allouez la somme entière, ce sera un subside que vous accorderez aux grands propriétaires. Or les grands propriétaires qui ont des chevaux peuvent aller eux-mêmes chercher la chaux aux carrières.

Je le répète, messieurs, lorsque vous avez voté le crédit de 060,000 fr. on vous faisait espérer que pendant 5 ou 6 ans, on pourrait faire ces distributions de chaux à prix réduit ; et c'est après deux ans qu'on nous demande le renouvellement du crédit.

Je vois dans le rapport les propres paroles de M. le ministre de l'intérieur d'alors.

M. Rogier. - Ayez la bonté de les lire.

M. Osy. - Les voici ;

« Le gouvernement ne viendra pas demander un nouveau crédit l'année prochaine ; il viendra rendre compte l'année prochaine de l'emploi qu'il aura fait d'une partie du crédit. Les six cent mille francs ne seron pas dépensés en un an : ils le seront dans un intervalle de 4 à 5 ans. Seulement le gouvernement viendra rendre compte chaque année des dépenses qu'il aura faites l'année antérieure. Je rendrai compte dans un an de la dépense faite sur le crédit de six cent mille francs. Si la chambre juge alors qu'il y a lieu de faire cesser la distribution de chaux que je me propose de continuer pendant l'exercice courant, elle le décidera. »

Vous voyez, messieurs, qu'on nous faisait espérer que ce ne serait que pendant un an ou deux qu'on continuerait ce système de primes. Aujourd'hui on nous demande un nouveau crédit de 75,000 fr.

Je le répète, je ne puis accorder que le chiffre de 40,000 fr.

M. David. - Je partage complètement la manière de voir de l'honorable M. Orban au point de vue de la loi qui nous est soumise. J'appuie les interpellations et les observations qu'il a adressées à M. le ministre de l'intérieur, et le long discours qu'il a prononcé me dispense d'entrer dans beaucoup de considérations.

A mon tour, messieurs, j'ai demandé la parole pour adresser une interpellation à M. le ministre de l'intérieur. Nous avons dans l'arrondissement de Verviers une partie ardennaise assez aride et où la vente ou la location de certains terrains a été décidée. Je connais une commune, celle de Francorchamps, à laquelle on voudrait imposer le système des locations à long terme, c'est-à-dire à 25 ou 30 ans ; il y en a d'autres probablement encore dans cette position, tandis que l’administration de cette commune et tous les habitants demandent qu'il soit fait un partage à titre onéreux, comme cela s'est fait dans un grand nombre de localités du Luxembourg, qui ont également demandé à pouvoir partager leurs terrains incultes entre les habitants.

Messieurs, la commune dont je parle a des dettes ; au moyen du prix qu'elle obtiendrait de ces terrains communaux ainsi partagés à titre onéreux, elle pourrait combler son déficit et consacrer une certaine somme à l'amélioration de ses écoles, à la réparation d'une église qui se trouve dans un des hameaux de son territoire et à l'amélioration de ses chemins vicinaux.

Je crois d'ailleurs que le système des locations à long terme, des locations pour 25 ou 30 ans n'est pas favorable au défrichement. Celui qui loue de cette façon n'a pas le même intérêt à améliorer et à bien cultiver un terrain qu'il sait devoir probablement lui échapper au bout d'un certain nombre d'années, que celui qui en devient le propriétaire.

Il me semble que lorsque en partageant à titre onéreux entre les habitants, on leur impose l'obligation de défricher et de cultiver, sous peine d'être dessaisis des terrains s'ils ne les améliorent pas, il me semble dis-je, que c'est, pour tous nos environs le meilleur système a suivre quand il est réclamé par les habitants des localités, et j'engage M. le ministre de l'intérieur à examiner attentivement et promptement la question. Il y a deux ou trois ans que cette question est pendante quant à la commune dont je parle et qui demande avec instance à pouvoir vendre ses terres de cette manière. Il y a quelques années, on a fait de ces ventes dans la même commune ; eh bien, tous les terrains qui en ont fait l'objet sont aujourd'hui en plein rapport.

Maintenant, messieurs, je m'étonne de l'opposition que le projet de loi rencontre de la part de certains représentants, appartenant, par exemple, à la province d'Anvers. La province d'Anvers contient une partie de la Campine ; pour la Campine, on nous demande des canaux, des irrigations ; on nous demande par conséquent 60 à 80 fr. par hectare et par an pour l'engrais que les eaux répandent sur les terrains, et on refuse un faible subside de 75,000 francs pour toute la province du Luxembourg, pour Namur et Liège. Je ne pense pas, messieurs, que nous puissions avoir ainsi deux poids et deux mesures.

La loi de 1847 a décidé les défrichements ; il faut leur donner l'élan par des facilités accordées à la culture, comme celles qui sont proposées par le gouvernement.

J'appuie le chiffre de 75,000 francs.

M. Mascart. - Le gouvernement réclame 75,000 fr. pour distribution de chaux à prix réduit. La section centrale propose de n'en accorder que 40,000. Décidé à voter contre l'un et l'autre chiffre, j'ai cru devoir justifier mon vote.

On est unanimement d'accord pour reconnaître que l'emploi de la chaux en agriculture est extrêmement utile : c'est un point sur lequel il n'y a pas divergence d'opinion, pas plus dans le Luxembourg que dans les autres parties du pays. Les commissions provinciales d'agriculture et les comices agricoles déclarent, dans le rapport qui nous a été fourni, que les produits du sol ardennais ont augmenté dans une énorme proportion depuis qu'on fait usage de cet amendement. C'est, disent-ils, une véritable baguette magique pour les produits. On peut donc dire que la démonstration est complète. Et comment ne le serait-elle pas, messieurs, quand nous voyons que la valeur des terres est arrivée de 50 francs à 500 fr. l'hectare, à une valeur décuple, dans certaines parties des Ardennes, sans que le gouvernement ait eu à dépenser autre chose que la modique somme de fr. 16-50 par hectare ? (page 38 du projet.)

Vous jugerez comme moi que de pareils résultats ont dû populariser l'usage de la chaux et que l'intervention pécuniaire de l'Etat doit nécessairement cesser. Les propriétaires et les cullivateurs n'en continueront pas moins à en faire usage, si la prime leur est retirée.

L'intervention du gouvernement devrait cesser pour d'autres motifs.

Si l'Etat intervient directement dans la production par des subsides, est-il juste qu'il y ait des parties du pays privilégiées, et l'équité ne commande-t-elle pas qu'on généralise la mesure ou qu'on la supprime ?

Nous avons fait d'énormes sacrifices pour l'amélioration des communications dans le Luxembourg, au point que toutes les communes sont reliées entre elles par des voies pavées, et on accorde des subsides aux cultivateurs qui ne sont pas éloignés de plus de deux lieues des fours à chaux, tandis que dans les autres parties du pays, où l'usage de la chaux n'est pas moins utile que dans le Luxembourg, on n'accorde rien, alors même que les cultivateurs sont éloignés de 6 et de 8 lieues des fours et qu'il leur faut deux jours entiers pour l'aller et le retour. Ce n'est pas là de la justice distributive.

On s'est plaint de l'élévation des frais de surveillance qui montent à 12 p. c. des sommes dépensées par l'Etat. Moi, je dis que les agents ne sont ni assez nombreux ni assez payés, et que si on veut continuer le système dans lequel on est entré, il faut au moins en doubler le nombre et augmenter leur traitement dans une notable proportion.

On n'a maintenant aucun contrôle pour s'assurer que la quantité de chaux déclarée a été réellement chargée, ni qu'elle a été employée à l'amélioration du sol.

Il est vrai que les adminiitrations communales sont chargées de surveiller cette destination, mais ceux qui habitent la campagne et qui savent comment la police y est faite dans la plupart des localités, diront que la surveillance y est insuffisante et que, chaque fois que les intérêts de l'Etat et ceux des administrés seront en présence, les premiers auront toujours tort.

Pour croire le contraire, il faudrait supposer aux administrations communales des vertus civiques qu'elles n'ont généralement pas lorsqu'il s'agit de défendre la caisse de l'Etat.

Mais on ignore assez généralement le mode suivi pour obtenir de la chaux à prix réduit, et le peu de soins qu'où a pris pour empêcher la, fraude.

On a accordé au surveillant un pouvoir en quelque sorte discrétionnaire et mis le trésor public à sa discrétion. C'est lui qui indique le prix courant, la somme à paver par le déclarant, et le tantième dont le gouvernement devra tenir compte au fournisseur. Ces opérations ne sont contrôlées par personne. Un seul employé, au traitement de 400 francs, c'est le traitement moyen, est charge de la surveillance de plusieurs fours et de plusieurs chargements en même temps : comment ce malheureux employé, s'il n'a pas le don d'ubiquité, se tirera-t-il d'affatires pour protéger les intérêts de l'Etat qu'on lui a confiés ?

(page 840) Si l'Etat n'est pas lésé, il faut que chaufournier et cultivateur considèrent ses intérêts comme les leurs propres, qu'ils les placent exactement sur la même ligne.

Mais, me dira-t-on : Il y a un surveillant. J'ai déjà dit que cette surveillance ne peut être efficace et, pour le prouver, je citerai l'opinion du président du 13èmee comice agricole, M. Bergh.

« Le mode adopté par le gouvernement, cette année, pour la distribution à prix réduit... laisse encore de notables améliorations à introduire tant dans l'intérêt du gouvernement que des cultivateurs. D'abord la suppression des surveillances très coùteuses sans aucun bon résultat, etc. »

Ainsi, M. Bergh, homme compétent, vient demander, dans l'intérêt même de l'Etat, que la surveillance soit supprimée. N'est-ce pas là une preuve de la vérité de ce que disait l'honorable M. Osy. que la distribution de la chaux à prix réduit ne profitait qu'aux entrepreneurs ?

Cela se comprend. Lorsqu'un cultivateur ne jouit d'aucune faveur, il débat le prix de la chaux avec le vendeur et l'obtient au plus bas prix possible ; il y a un intérêt plus direct. Si le prix est trop élevé ou si la qualité de la marchandise ne lui convient pas, il s'adresse ailleurs. Il en résulte nécessairement que la marchandise est obtenue à un prix moins élevé.

Mais lorsque le gouvernement intervient et dit : « Vous prendrez la chaux à tel four et à tel prix, sans distinction de qualité », la transaction n'est plus libre. Le vendeur gagne davantage, sans que l'acheteur paye beaucoup moins. C'est donc moins le cultivateur que le chaufournier qui profite des sacrifices que fait l'Etat.

Quand l'honorable M. Vandenpeereboom a proposé à la chambre d'augmenter de 100,000 fr. l'allocation à la voirie vicinale, c'est la situation du trésor quon a invoquée pour combattre cette proposition si utile, je dirai la seule vraiment utile à l'agriculture. Aujourd'hui on vient vous demander une somme, à peu près égale, pour favoriser un petit nombre d'intérêts, comme si la situation du trésor était changée en si peu de temps.

J'ai contribué, messieurs, à améliorer la situation financière en votant les impôts qui nous ont été proposés par le gouvernement, et je ne le regrette pas ; mais je ne l'ai fait qu'avec l'intention bien arrêtée de ne voter que les dépenses réellement utiles. Celle qu'on nous propose n'ayant pas ce caractère à mes yeux, je voterai contre.

M. Pierre. - Messieurs, l'emploi de la chaux pour la culture des Ardennes a produit le résultat le plus fructueux. Cela est tellement incontestable que je croirais abuser des moments de la chambre si j'entreprenais de vous le démontrer.

L’effet fertilisant, vivifiant de la chaux, appliquée au sol ardennais, résulte à la dernière évidence de l'enquête administrative, qui a été tenue à cet égard et qui se trouve jointe à l'exposé des motifs du projet du gouvernement.

Toutes les autorités ont été unanimes pour reconnaître ce moyen puissant de fertilisation comme essentiellement indispensable. Les progrès importants de l'agriculture dans le Luxembourg, depuis quelques années, lui sont dus à peu près exclusivement. Il a imprimé au défrichement une très grande impulsion. Plusieurs milliers d'hectares jusqu'alors incultes et arides se couvrent actuellement de belles moissons.

C'est pour ce pays une véritable conquête. De vastes terrains qui échappaient à la culture y sont aujourd'hui livrés. Quant aux terres qui étaient antérieurement cultivées, elles ont retiré de la chaux un avantage non moins remarquable. Leur production est doublée, souvent même triplée tant en qualité qu'en quantité. Chaque jour constate un nouveau défrichement, une nouvelle amélioration. C'est un bienfait qui profite à la Belgique en général, aussi bien qu'aux trois provinces, que concerne le crédit en discussion, en particulier. Et c'est dans ce moment que l'on voudrait porter des restrictions à d'aussi heureux progrès, c'est dans ce moment qu'on voudrait les paralyser !

Je ne crains pas de dire qu'allouer le crédit demandé, c'est faire plus que poser un acte utile, convenable, juste. Je dirai, messieurs, que c'est pour vous autre chose, c'est accomplir un devoir, c'est payer une dette légitime.

N’est-ce point l'intérêt social du pays qui a dicté la loi du 25 mars 1847 sur le défrichement ? Malgré les plus vives, les plus profondes répugnances du Luxembourg pour cette loi, il s'y est resigné quoique à regret.

On ne peut se dissimuler que l'exécution d'une telle loi a constitué un sacrifice très désagréable et très pénible pour la province ; cependant, elle l'a souffert sans trop se plaindre.

Mais, messieurs, n'oubliez pas qu'en créant une foule de petits propriétaires et surtout de locataires pour arriver à votre but : le défrichement, vous avez contracté une sorte d'engagement moral, formel quoique tacite, de leur venir en aide, dans une certaine mesure, pour atteindre ce même but.

La législature de 1847 l'a entendu ainsi et elle n'a voulu laisser aucun doute à ce sujet. Elle a inscrit dans la loi la distribution de la chaux à prix réduit comme corollaire du défrichement. Et l'on voudrait aujourd'hui renier cet engagement ou tout au moins se soustraire à ses conséquences !

Non, messieurs, cela ne sera pas, cela n;e peut pas être, vous avez trop de loyauté pour le vouloir. Les considérations déterminantes, j'imagine, ont peu préoccupé la majorité de la section centrale ; elle n'en a tenu aucun compte. Il en est d'autres qui l'eussent peut-être touchée davantage, si elles ne lui eussent également échappé complètement.

A-t-on perdu de vue que le Luxembourg est condamné à une espèce d'ilotisme commercial, industriel et agricole, aussi longtemps que le chemin de fer ne l'aura pas relié à la Belgique ? N'est-il pas aujourd'hui en dehors du mouvement de toutes les affaires, et la cultivateur peut-il amener ses produits sur vos marchés ? Il est, au contraire, réduit à les vendre sur place, à vil prix.

Pour se procurer les engrais, il doit supporter des frais de transport les plus onéreux.

Cette province sera réellement malheureuse, elle ne fera que végéter jusqu'au moment où une voie ferrée y amènera la vie et lui procurera de vrais éléments de prospérité. Attendez donc que le Luxembourg soit doté de cette artère vitale, dont il est seul déshérité et qui déverse dans les autres provinces richesse et bien-être. Alors seulement sera venu le moment d'aviser à une réduction.

Messieurs, amoindrir maintenant le chiffre demandé par le gouvernement, ce serait, à mon avis, réaliser une économie bien peu judicieuse et fort regrettable, ce serait froisser les règles les plus vulgaires de l'équité distribntive, ce serait refuser au pauvre tandis que l'on donne si souvent au riche.

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, j'aurai peu de chose à dire après les discours qui ont déjà été prononcés pour défendre le projet du gouvernement ; je répondrai seulement à quelques unes des objections qui ont été présentées par les deux membres qui ont combattu ce projet.

L'honorable M. Osy et ensuite l'honorable M. Mascart ont prétendu que c'étaient les entrepreneurs seuls qui profitaient de l'allocation donnée par le gouvernement.

Comment, messieurs, est-il possible d'admettre une semblable opinion, lorsqu'on a lu l'enquête que vous avez sous les yeux ? Or, non seulement les populations, mais toutes les personnes consultées, les comices agricoles, tous les fonctionnaires du gouvernement fort désintéressés dans cette question, le gouvernement lui-même viennent constater l'immense utilité d'une mesure qui a produit d'inappréciables bienfaits, dit l'honorable ministre de l'intérieur ; en présence d'une semblable unanimité, est-il possible de venir soutenir encore que les entrepreneurs pour la fabrication de la chaux sont seuls intéressés dans la question ?

La mesure qui a été adoptée il y a quelques années et que je vois, avec une vive satisfaction, continuer par M. le ministre de l'intérieur, est une des plus utiles que la législature ait jamais adoptée.

La somme qu'on demande est. en définitive, très modique, si l'on considère qu'elle vient en aide à la plus grande industrie du pays, à l'agriculture, dans trois provinces. Lorsque en 1847 vous avez discuté pendant de longues séances la loi sur le défrichement, vous avez prouvé par là même l'importance que vous attachiez à la mise en culture des bruyères ; vous avez même adopte un principe, qui nous a paru a nous bien dangereux, qui a soulevé bien des objections et qui a failli faire rejeter la loi par le sénat qui ne l'a adoptée qu'à deux voix de majorité ; ce principe, pourquoi l'avez-vous adopté ? Parce que vous vouliez remplacer des terres incultes par des terres bien cultivées.

Eh bien, une mesure qui a produit bien plus de résultats dans les Ardennes que la loi sur le défrichement, vous venez la marchander aujourd'hui ; on vous demande la continuation de cette mesure peut-être pour quelques années encore, et vous voulez la rendre illusoire, l'annihiler.

Une autre raison, avancée par l'honorable député d'Anvers et répétée par l'honorable M. Mascart, c’est qu’il importe d’obtenir un abaissement successif du crédit, afin que les cultivateurs s’habituent à s’en passer.

Messieurs, je comprendrais que, si la somme était énorme, il pût y avoir un abaissemeni successif ; mais lorsque la somme est si faible pour venir en aide à l'agriculture, dans trois provinces, il n'y a pas d'abaissement successif possible.

L'abaissement successif équivaut à peu près au rejet de la proposition.

Enfin, comme on l'a très bien fait observer, il y a abaissement dans le fait, par la réduction du concours du gouvernement. Le gouvernement, qui accordait 40 on 50 p. c. d'intervention, a déjà réduit son concours à 25 ou 20 p. c, si je ne me trompe.

Ainsi le gouvernement est entre lui-même pratiquement dans les idées préconisées par l'honorable M. Osy, et ce système d'abaissement est le seul sage.

L'honorable M. Mascart présente une troisième objection : il voudrait que d'autres provinces jouissent des mêmes avantages.

Je comprends qua nous ne pourrions pas réclamer pour trois provinces ou factions de provinces les avantages dont ne jouissent pas les autres parties du pays, si ces trois provinces ne se trouvaient pas dans une position tout à fait exceptionnelle.

Ainsi, la province de Luxembourg est complètement privée maintenant de ces voies de communication économiques et rapides qui permettent d'avoir les produits à bon marché. Nous n'avons dans le Luxembourg jusqu’à présent par un seul mètre de canal ou de chemin de fer ; tandis que dans les autres provinces les personnes et les choses sont transportées à des prix très faibles, en faisant 8 lieues à l’heure ; dans le Luxembourg, on paye encore des prix très élevés pour faire une lieue et demie ou tout au plus deux lieues à l’heure.

(page 841) En effet, tandis que, dans les autres provinces, les produits sont transportés avec la même rapidité, moyennant 30 ou 40 centimes par lieue et par tonne, dans le Luxembourg on paye 1 franc ou un 1 franc 20 cent. Voilà la différence.

Quand cette différence aura disparu, les populations luxembourgeoises consentiront volontiers à ne plus demander le crédit dont il s'agit aujourd'hui ; mais cette différence est essentielle ; elle justifie pleinement la proposition du gouvernement.

Le Luxembourg se borne à demander, par ses organes, la continuation de ce subside jusqu'au moment où l'on pourra s'y procurer la chaux par des moyens de transport aussi faciles que dans d'autres provinces.

On dirait aussi, à entendre certains opposants, que c'est une chose tout à fait nouvelle que l'intervention du gouvernement dans ces matières. On oublie que, de tout temps, on est intervenu en faveur de l'agriculture, chaque fois que la chose a été jugée nécessaire. Ainsi on est intervenu antérieurement, pendant de longues années, en faveur de la culture de la garance et du mûrier, de l'éducation des vers à soie ; il ne s'agissait là que de quelques individualités ; il s'agit ici de toute une grande province ; il s'agit de venir en aide aux cultivateurs qui n'ont pas les moyens nécessaires pour défricher par eux-mêmes ; il y a là une immense différence.

On est intervenu encore très largement en faveur de l'industrie. Nous votons encore aunuellemenl un subside au profit de l'industrie linière. Chaque fois qu'il s'est agi de ce subside dans cette enceinte, les députés du Luxembourg, de la province de Namur et de la province de Liège, l'ont voté sans opposition.

Naguère encore nous avons voté sur la proposition du gouvernement un crédit pour remettre en mer le brick le « Duc de Brabant » ; est-ce qu'on a pris cette mesure comme moyen de défense de nos côtes, pour avoir une marine militaire ? Pas le moins du monde. Je crois que personne n'a songé à créer une marine militaire. Mais on a voté le crédit pour venir en aide au commerce, parce que certains voyages sur les côtes lointaines doivent favoriser jusqu'à un certain point le développement de notre commerce d'exportation. L'honorable M. Osy a combattu le crédit, à la vérité ; mais d'autres honorables députés d'Anvers l'ont soutenu, et la chambre l'a adopté à une très grande majorité.

Eh bien, messieurs, il s'agira là d'une somme d'une centaine de mille francs par année, et quand on vient vous proposer, à titre temporaire, un subside de 75,000 francs en faveur de l'intérêt immense de l'agriculture, vous irrez adopter la proposition de la section centrale qui annihile ou a peu près le projet du gouvernement !

Enfin, messieurs, le gouvernement l'a dit, dans l'exposé des motifs, la situation de la province de Luxembourg n'est guère meilleure aujourd'hui que l'année dernière, et ce n'est pas le moment de supprimer le subside dont il s'agit.

L'année dernière vous avez généreusement voté une somme considérable pour venir en aide aux populations du Luxembourg qui souffraient par suite de la disette des pommes de terre ; eh bien, cette situation dure encore ; vous tomberiez donc dans une véritable contradiction si vous alliez aujourd'hui rejeter la proposition du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, j'aurai peu d'efforts à faire pour accomplir entièrement ma tâche. Je me bornerai à donner quelques explications qui m'ont été demandées, et à rectifier des erreurs qui sont échappées à deux honorables membres.

L'honorable M. Orban a demandé des explications au gouvernement sur le système qu'il veut suivre en ce qui concerne la vente des terres en friche. Le système que l'honorable membre a indiqué est précisément celui auquel le gouvernement, dès le principe, a donné la préférence.

C'est ainsi qu'il a cru devoir limiter, autant que possible à de petites portions les terres à mettre en vente ; et puisqu'on a fait allusion tout à l'heure à des demandes de concessions dont le chiffre est presque fabuleux, je me hâte de tranquilliser à cet égard l'honorable préopinant en lui apprenant que le gouvernement n'a pris aucune espèce de mesure quant à ces demandes, et que le système dont j'ai eu l'honneur de parler sera, au contraire, autant que possible, invariablement suivi.

Ces demandes sont, du reste, soumises à une instruction ; nous verrons, plus tard, dans quelles limites le gouvernement doit se renfermer ; mais, dans tous les cas, c'est au système de la vente par petites portions que le gouvernement donne la préférence parce que c'est aux petits cultivateurs que doivent s'adresser les bienfaits de la loi.

L'honorable M. Osy a critiqué la demande du gouvernement sous plusieurs rapports.

Il a pensé que le gouvernement est peu d'accord avec les précédents posés par lui, lorsqu'il vient demander un nouveau crédit de 75,000 fr. L'honorable membre a mal apprécié les paroles prononcées dans une autre session, et s'il veut bien lire en entier le paragraphe qui est rapporté dans l'exposé des motifs, il verra que le gouvernement n'a pris en aucune manière l'engagement de ne pas demander un nouveau crédit ; tout ce qui est imprimé à cet égard, c'est que le gouvernement se proposait de rendre compte à la chambre du crédit voté et que, si la chambre trouvait convenable dans la suite, de faire cesser le régime de protection dont il s'agit, le gouvernement s'abstiendrait naturellement de solliciter de nouveaux subsides ; mais il ne s'est pas du tout interdit la faculté de faire apprécier par la chambre, après un premier compte rendu, la question de savoir s'il y a lieu de s'arrêter brusquement, ou bien de continuer encore pendant quelques années le système d'encouragement dont il s'agit.

Le texte des paroles prononcées à cet égard est imprimé ; il est inutile que je m'étende sur ce point.

Mais, puisqu'il s'agit de l'emploi du crédit voté en 1851, qu'il me soit permis de faire observer à la chambre que le gouvernement a tenu fidèlement ses promesses, et que dans le compte rendu il fait connaître de la manière la plus claire l'emploi qu'il a fait de toutes les sommes mises à sa disposition. Il n'est pas sans intérêt, messieurs, de jeter un coup d'œil rapide sur ce compte-rendu. Que voyons-nous dans ce compte, qui est imprimé comme annexe à la suite de l'exposé des motifs ?

Nous y voyons que sur une somme de 600,000 fr., votée en 1851, à peu près 500,000 fr. ont été dépensés dans l'intérêt des landes de la Campine et du défrichement, pour l'application des mesures recommandées par toutes les personnes qui s'occupent le plus utilement de l'agriculture, telles qu'irrigations, drainages, exécution de canaux, etc. Je suis loin de critiquer ces dépenses ; je reconnais, au contraire, que c'est de l'argent admirablement bien employé, puisque, d'après l'enquête administrative, les mesures prises par le gouvernement dans la Campine ont produit et produiront encore d'excellents résultats.

Mais, messieurs, dans cette somme déjà dépensée les provinces de Liège, de Namur et du Limbourg ont reçu 75,000 fr. Soyons justes, laissons encore au Luxembourg la perspective de quelque adoucissement à retirer du vote du crédit de 75,000 fr.

L'honorable M. Osy a cru qu'on faisait abus du système de protection de l'agriculture adopté pour le Luxembourg, qu'on favorisait à l'aide du crédit voté les grands propriétaires, et il a recommandé au gouvernement de porter la sollicitude de l'administration sur les petits propriétaires, sur les petits cultivateurs.

Qu'il me permette de le lui dire ; ce n'est que par une erreur involontaire qu'il a pu être entraîné à faire cette observation, car c'est dans l’intérêt des petits cultivateurs et même exclusivement dans l'intérêt des petits cultivateurs, que les mesures ont été prises.

Je l'ai déjà indiqué dans l'exposé des motifs, une observation en chiffres le démontrera mieux. On s'est demandé combien il fallait d'hectolitres de chaux pour un hectare de bruyères ? La réponse a été qu'on pouvait fixer à cent la quantité maximum. (Interruption.) Je puis répondre que l'opinion de ceux qui s'occupent de la culture dans le pays même est qu'il faut dans certains cas jusqu'à cent hectolitres de chaux pour rendre à la culture d'une manière avantageuse un hectare de ces malheureuses terres.

C'est trop, me disent les uns ; c'est trop peu, me disent les autres. Le gouvernement a ses renseignements administratifs. Il faut bien croire à quelqu'un, à quelque chose. Le gouvernement a cru aux renseignements que lui ont donnés des agronomes et des agriculteurs. Eh bien, est-ce un grand propriétaire que celui qui possède un ou plusieurs hectares de bruyère ?

M. Delehaye. - Pour cultiver un hectare de bruyère, il faut posséder 7 hectares de terre, pour faire les assolements.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Cela fût-il exact, celui qui possède 7 hectares de terre appartient à la catégorie des petits cultivateurs.

En fait, les choses ne ne passent pas autrement. D'après les instructions, on n'accorde pas de chaux au-delà de cent hectolitres au même individu. C'est donc aux petits cultivateurs et non aux grands que s'adressent les faveurs des chambres et du gouvernement. Voilà ce que j'avais à dire sur ce point.

On a fait encore un grief à la mesure, de ce qu'elle emportait dans l'exécution des frais considérables pour l'administration. Ce sont, dit-on, les gardiens, les surveillants qui emportent une grande partie de la somme votée, cela va jusqu'à 12 p. c.

C'est une erreur. Il a été démontré, et on n'a pas répondu aux observations consignées à cet égard dans l'exposé des motifs, que les frais étaient, non de 12 mais de 6 p. c, si on tenait compte de la valeur de la chaux, non de l'avantage fait en l'accordant à prix réduit. Ce n'est pas une règle absolue, il faut bien que la chaux qu'on met à la disposition des particuliers soit surveillée.

Les gardiens ne sont pas rétribués dans une proportion qui puisse provoquer une critique ; ils reçoivent 400 fr. en moyenne. Ou dit que ce n'est pas assez ; mais il faut se rendre compte d'une chose, c'est que leur surveillance ne s'exerce qu'une partie de l'année, c'est ce qui fait que les gardiens peuvent se contenter de 400 fr. en moyenne.

On a fait une observation d'un caractère plus général dont vous avez déjà fait justice : c'est qu'il ne faut pas accorder de privilège à une province. Il faut se féliciter, messieurs, que toutes les provinces n'aient pas des territoires stériles, mais quand dans une prorince il s'en trouve, ce n'est pas constituer un privilège que d'y porter des germes de fertilité.

Une autre observation à laquelle je dois une réponse, c'est celle faite par M. Osy qui voudrait qu'on substituât un système de transition par voie de réduction successive du crédit, à celui qui a été imaginé par le gouvernement. En quoi peut consister la transition dans une somme aussi peu importante ? Est-ce par l'abaissement du crédit ? il vaudrait mieux biffer l'allocation que de la borner à 40,000 fr.

Mais la transition consiste dans l'abaissement de la prime. C'est le moyen d'amener le cultivateur à la conviction qu'il pourra se passer de l'encouragemeat qu'on lui a donné. Or, la prime a été abaissée. Voilà la véritable transition, vous ne pouvez pas en adopter d'autre. Je le (page 842) répète, mieux vaudrait renoncer immédiatement à la mesure, que de réduire le crédit. J'espère qu'il ne restera plus de doutes sur la nécessité de faire une chose aussi utile pour le Luxembourg.

- Un grand nombre de voix. - La clôture 1 la clôture !

M. Rousselle. - Je demande la parole contre la clôture !

Je n'ai entendu jusqu'à présent que des orateurs qui sont partisans du projet de loi et d'autres qui y sont contraires ; les conclusions de la section centrale n'ont encore trouvé aucun défenseur, je demande à pouvoir les défendre.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Il est ouvert au département ds l'intérieur un crédit de 75,000 francs pour mesures relatives au défrichement dans les provinces de Luxembourg, de Namur et de Liège. »

- La section centrale propose de réduire le chiffre à 40 mille francs ?

M. Rousselle. - L'honorable ministre de l'intérieur et après lui beaucoup de membres de la chambre ont prétendu qu'avec la somme de 40 mille francs, on ne pourrait rien faire, que cette somme serait inutile, qu'il serait préférable de la biffer que de ne pas accorder les 75 mille francs. Je présenterai un petit calcul en réponse aux observations de M. le ministre.

Avec la somme de 74,274 francs, 64 cealimes. déjà dépensée sur le crédit alloué par la loi du 6 juin 1851, on a délivré à prix réduit 328,576 hectolitres de chaux, ce qui fait revenir la somme pavée par hectolitre à 22 cent, et 6 dixièmes.

Or, les arrêtés ministériels pour la délivrance de la chaux établissaient trois classes de participants :

A 20 p. c. de réduction maximum, 11 cent. par hectolitre.

A 30 p. c., 16 cent. par hectolitre.

A 40 p. c., 22 cent. par hectolitre.

Tous les participants ont donc reçu le maximum et une fraction. Pourquoi ? M. le ministre jugera sans doute nécessaire de s'édifier sur ce point, afin de régler les distributions futures.

Si la délivrance avait eu lieu en faisant des distinctions relatives aux ressources de chacun et à son éloignement des chaufours, il est assez probable que l'on fût resté dans les bornes de la moyenne de 30 p. c. soit 16 centimes en maximum, et dès lors la quantité d'hectolitres de chaux délivrée eut été loin d'absorber tout le premier crédit.

D'un autre côté, l'administration suit-elle des règles, quant à la quantité d'hectolitres da chaux à accorder par hectare de terrain ? Il n'y a dans les pièces sur ce point aucun renseignement qui puisse nous éclairer. Mais je pense que 50 hectolitres par hectare feraient un maximum déjà exagéré : or, en calculant au prix moyen de 16 centimes, nous aurions par heclare une dépense de 8 francs ; la somme de 40,000 francs permettrait donc de distribuer 250,000 hectolitres de chaux et d'y faire participer 5,000 hectares.

Beaucoup d'honorables membres qui sont à mes côtés, et qui s'occupent avec succès d'agriculture, prétendent que 25 hectolitres suffisent par hectare. Or à 25 hectolitres, avec 40,000 fr., on distribuerait de la chaux pour 10,000 hectares, c'est-à-dire pour une plus grande étendue qu'avec la somme de 75,000 francs.

J'ajoute, au surplus, qu'un président de comice agricole (voir page 33 de l'enquête) s'exprime ainsi :

« Il ne suffit pas de demander 50 ou 100 hectolitres de chaux par hectare, tandis que 20 hectolitres suffiraient peut-être ». Je pense donc qu'il est important que la chambre décide qu'elle entend sortir de la voie irrégulière où l'on est entré. Il faut une transition ; elle ne doit pas être très brusque. Celle que la section centrale a l'honneur de proposer est fort douce.

- Le chiffre de 75,000 francs, proposé par le gouvernement, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le chiffre de 40,000 francs est mis aux voix et adopté.

L'article premier est adopté avec le chiffre de 40,000 fr.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Il sera couvert au moyen des ressources présumées de l'exercice 1853, et formera un fonds spécial. »

- Cet article est adopté avec la suppression du mot « présumées » proposée par la section centrale, suppression à laquelle le gouvernement se rallie.


« Art. 3. Il sera rendu compte aux chambres de l'emploi du crédit alloué par la présente loi. »

- Adopté.

M. le président. - Un amendement a été introduit dans l'article premier. A quel jour la chambre veut-elle fixer le second vote ?

M. Rogier. - Je crois, M. 1« président, qu'il conviendrait de le fixer a après-demain. M. le ministre de l'intérieur doit avoir le temps de réfléchir aux conséquences du vote qui vient d'être émis ; car il a dit que le chiffre de 40,000 fr. était illusoire, qu'autant vaudrait ne rien voter.

- La chambre renvoie le second vote à après-demain.

Projet de loi autorisant la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout

Rapport de la section centrale

M. Coomans, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Lierre à Turnhout dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport.

La séance est levée à quatre heures et demie.