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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 avril 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dumon (page 1013) procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Des habitants de Keyem demandent que l'Etat reprenne l'administration de l'Yser et des canaux de Plasschendaele à la frontière de France, et que l'on fasse exécuter des travaux pour empêcher les débordements de cette rivière. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les huissiers de l'arrondissement de Louvain demandent la réduction du nombre des huissiers de cet arrondissement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les cafetiers-restaurateurs et cabaretiers, à Liège, réclament l'intervention de la chambre pour qu'il soit interdit à l’éclusier de garde au canal latéral à Liège de tenir un café-restaurant ou cabaret dans le local que le gouvernement met à sa disposition, ou bien qu'une indemnité leur soit accordée. »

- Même renvoi.


« Des conseillers communaux, le juge de paix et d'autres électeurs à Lessines demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande d'échevins, conseillers communaux et d'autres habitants de Chenois et de Latour.

« Même demande d'habitants de Gevemont, de Belmont et d'Ethe.

« Même demande de conseillers communaux et d'habitants d'Habay-la-Vieille.

« Même demande d'habitants de Braine-le-Comte.

« Demande semblable d'autres habitants de Braine-le-Comte. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

« Même demande d'habitants de Mons. »

« Même demande d'habitants d'Elouges. »

« Même demande des bourgmestre, échevins et d'autres habitants d'Obourg. »

« Même demande d'habitants de Goegnies-Chaussée. »

« Même demande d'habitants de Pommerœul. »

« Même demande des échevins, de conseillers communaux et d'électeurs à Cul-de-Sart. »

« Même demande des bourgmestre et échevins, de conseillers communaux et d'électeurs à Petite-Chapelle. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants d'Ichtegem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, et que le nombre des électeurs soit en rapport avec celui de la population. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Becquaert, ancien maréchal des logis au régiment des chasseurs à cheval, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension ou du moins une place ou un secours. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Petegem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Seraing demandent l'abolition de la loi sur la milice. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l’armée.


« Des électeurs à Idegem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Dépêche de M. le ministre de la justice accompagnant l'envoi de la la demande de naturalisation du sieur A.-A. Clebsattel de Cernay, avec les pièces relatives à l'instruction de cette demande. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Messages du sénat faisant connaître l'adoption par cette chambre des projets de loi relatifs :

« 1° Au budget des non-valeurs et des remboursements pour l'exercice 1854 ;

« 2° Au budget des recettes et des dépenses pour ordre de l'exercice 1854 ;

« 3° Au budget du ministère des finances (exercise 1854) ;

« 4° Au règlement de la circonscription territoriale des cantons d'Ixelles et de Saint-Josse-ten-Noode. »

- Pris pour notification.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, votre commission a examiné la pétition des habitants des cantons de Nazareth. Oosterzeele, Deynze, Cruyshautem et Audenarde exerçant les professions de brasseurs, distillateurs, épiciers, huiliers, sauniers, tanneurs, etc., tendant à ce que les juges de paix soient investis des pouvoirs de connaître des affaires commerciales dont la valeur n'excède pas 200 francs.

Les pétitionnaires se plaignent de ce que les frais de déplacement et de correspondances absorbent souvent le montant de toute leur prétention, alors qu'ils sont forcés de recourir au tribunal de commerce, d'autant plus que les honoraires des avocats n'y entrent pas en taxe et que le mauvais vouloir des débiteurs empêche toute espèce de transaction ; enfin, ils demandent que ces affaires commerciales soient assimilées, sous ce rapport, aux autres affaires civiles

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette requête à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur : - « Par pétition en date du 9 mars 1853, l'administration communale de Marienbourg demande que les terrains des fortifications de la place soient concédés à la ville. »

Les pétitionnaires font valoir à l'appui de leur demande plusieurs considérations les unes plus fondées que les autres ; votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre.

- Ces conclusions sont adoptées.

Proposition de loi modifiant la loi sur la garde civique

Motion d'ordre

M. Van Overloop (pour une motion d’ordre) - Je demande, par motion d'ordre, l'ajournement de la discussion sur la proposition de loi tendant à modifier la loi sur la garde civique.

La force publique se compose, en Belgique, de deux éléments principaux : l'armée et la garde civique. Le plus important de ces deux éléments est incontestablement l'armée. La garde civique, comme l'armée, a une double mission : la première, la plus noble, c'est de défendre lè territoire national ; la seconde, c'est de maintenir l'ordre à l'intérieur.

Quant à la première mission, qui est, je le répète, la mission la plus noble, incontestablement c'est l'armée qui doit jouer le rôle le plus important. L'organisation de l'armée doit donc en bonne logique précéder l'organisation de la garde civique Cela me semble de toute évidence ; car de l'organisation que vous donnerez à votre armée dépendront en grande partie les obligations que vous imposerez à la garde civique.

Si, par exemple, vous donnez à l'armée une force de 100,000 hommes, nécessairement vous aurez moins à demander à la garde civique que si vous donnez à l'armée une force de 80,000 hommes. Pour moi, il me semble que les circonstances actuelles sont trop graves, infiniment trop graves pour que nous ne nous empressions pas de contribuer, avec toute l'énergie dont nous sommes susceptibles, à l'organisation immédiate de notre armée.

Aujourd'hui notre armée est encore dans un tel état numérique (je n'hésite pas à le dire) que si une crise de guerre venait à éclater, nos braves soldats n'auraient que l'alternative d'une mort honorable en défendant le territoire national.... (Interruption.)

M. le président. - Je dois faire remarquer à l'orateur que nous n'avons pas à discuter en ce moment l'organisation de l'armée. La section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif à cette organisation se réunit tous les jours.

M. Van Overloop. - Je n'ai plus qu'un mot à dire.

Demain, nous célébrerons le 18' anniversaire de la naissance de S. A. R. le duc de Urabant, l'enthousiasme que le pays manifeste a pour mobile le sentiment de la nationalité et du maintien de nos libertés constitutionnelles. Nous ne serons donc que les échos du sentiment du pays en donnant au gouvernement les moyens de maintenir notre nationalité et nos libertés constitutionnelles. Ces moyens se trouvent dan» une armée fortement organisée.

Hâtons-nous donc, avant de nous occuper de la garde civique, d'organiser notre armée ; hâtons-nous de la mettre sur un pied tel qu'elle puisse rester, avec honneur, le plus solide boulevard de cette nationalité et de ces libertés dont nous sommes si fiers.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Si la discussion immédiate du projet de loi sur la garde civique pouvait avoir pour résultat de différer d'un jour, d'une heure seulement, l'examen des graves questions qui sont pendantes devant la chambre et qui sont relatives à l'organisation de l'armée, le gouvernement ferait le premier a demander que l'on s'occupât, avant toutes choses, des intérêts de l'armée. Mais je n'aperçois pas en quoi la discussion immédiate des propositions à l’ordre du jour pourrait avoir le résultat que je viens d'indiquer.

Si je suis bien informé, la section centrale n'est pas encore prête à déposer le rapport qu'elle doit faire à la chambre sur l'organisation militaire. Par conséquent, nous pouvons très bien aborder l’ordre du jour relativement à la loi sur la garde civique.

(page 1014) D'autre part, messieurs, la loi sur l'organisation militaire fût-elle votée, dans mon opinion, dans l'opinion du gouvernement, elle ne pourrait avoir aucune espèce d'influence sur le régime actuel de la garde civique telle qu'elle est organisée par la loi de 1848.

Par toutes ces raisons, je pense que l'ajournement demandé serait sans aucune utilité.

Messieurs, en exprimant cette opinion sur la motion qui vient d'être faite, je ne puis m'empêcher de relever les observations dont cette motion a été accompagnée en ce qui concerne notre état actuel de défense.

Serait-il vrai, comme on vient de le faire entendre, que le pays peut être exposé à une surprise, que l'état de nos forces militaires est tellement déprécié que nous ne puissions résister à une attaque la plus imprévue possible ? Je me hâte de protester au nom du gouvernement et au nom du pays contre une opinion aussi erronée.

- Plusieurs membres. - Et au nom de l'armée !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Sans doute, aussi au nom de l'armée, je proteste contre les suppositions hasardées qui viennent de se produire.

Messieurs, notre armée n'a pas les proportions que le gouvernement croit nécessaire de lui donner, et que vous nous aiderez sans doute à lui assurer. Mais entre les forces que nous croyons nécessaires à la défense du pays, et la situation déplorable, mais heureusement inexacte, dont on vient de parler, il y a une immense distance. Notre armée est bien organisée ; elle est brave et animée d'un esprit de nationalité, et de sentiments tels qu'elle serait en état de faire face aux besoins qui pourraient inopinément se manifester.

Je n'ai pas besoin d'en dire davantage. Aucun danger ne nous menace ; mais je puis assurer au nom du gouvernement et de l'armée que le pays fût-il pris à l'improviste, et en attendant que vous ayez définitivement constitué notre état militaire, il n'aurait pas à redouter l'effet des sinistres prédictions qu'on vient de faire entendre. Faisons tous notre devoir. L'armée fera le sien.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Rogier. - Messieurs, je veux seulement parler sur la question d'ajournement. M. le ministre de l'intérieur a parfaitement répondu à une autre partie du discours que vous venez d'entendre.

J'ai peine à m'expliquer la demande d'ajournement qui vous est faite. D'après ce qui nous a été dit dans cette enceinte, d'après un certain nombre de pétitions qui ont été déposées sur le bureau, il paraîtrait que le service de la garde civique, telle qu'elle se trouve aujourd'hui organisée, est une charge insupportable, qu'il faut alléger le plus tôt possible, et que la garde civique est devenue une institution impopulaire.

Voilà de quels principes on est parti pour proposer dans cette enceinle une modification à la loi sur la garde civique, pour justifier les pétitions qui nous ont été envoyées de quelques villes.

A l'époque où la proposition de l'honorable M. Landeloos a été faite, au mois de novembre dernier, il était question de l'organisation de l'armée. On savait fort bien que le gouvernement avait en mains un projet d'organisation, que la chambre aurait à s'occuper de ce projet. Cependant on n'est pas venu opposer cette fin de non-recevoir qui vient tout à coup d'être soulevée. C'était le moment, lorsque l'honorable M. Landeloos est venu faire sa proposition, de lui dire : Attendons que l'organisation nouvelle de l'armée soit votée par la chambre, puis nous pourrons nous occuper, s'il y a lieu, de la garde civique. Mais pas du tout ; on n'a pas opposé à l'honorable M. Landeloos cette fin de non-recevoir. Les sections se sont occupées de sa proposition ; la section centrale a fait un long rapport ; le jour de la discussion est arrivé et il faudrait ajourner.

Je crois qu'une pareille proposition n'est pas acceptable. La question étant posée, il faut la résoudre dans un sens ou dans un autre.

Je désire beaucoup que la question ne soit pas ajournée, et j'espère qu'il résultera du débat que la proposition qui vous est faite ne vaut pas la peine d'occuper la chambre pendant une séance. Je me charge de le démontrer.

J'insiste pour que l'ordre du jour soit maintenu.

- De toutes parts. - L'ordre du jour !

- La clôture de la discussion sur la proposition d'ajournement, faite par M. Van Overloop, est mise aux voix et prononcée.

Cette proposition est ensuite mise aux voix et n'est pas adoptée.

Discussion générale

M. le président. - M. Landeloos se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. Landeloos. - Non, M. le président.

M. le président. - En conséquence, la discussion s'établit sur la proposition de loi, telle qu'elle a été déposée.

La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Landeloos.

M. Landeloos. - Messieurs, lorsque, dans la séance du 10 novembre dernier, j'eus l'honneur de développer la proposition de loi qui est soumise actuellement à vos délibérations, je fis valoir trois considérations principales qui, d'après moi, devaient vous engager à l'adopter.

Je disais, que la proposition, qui avait pour objet de dispenser dans les circonstances ordinaires une classe de citoyens de la charge onéreuse des manœuvres, ferait cesser, si la chambre l'adoptait, une des causes qui ont soulevé le plus de mécontentement contre une institution consacrée par notre pacte fondamental.

Je disais encore qu'elle aurait pour résultat de dégrever les contribuables d'une partie des charges que l'article 73 de la loi du 8 mai 1848 fait peser sur eux.

Enfin, messieurs, je disais, que l'institution de la garde civique elle-même, loin d'éprouver quelque atteinte, trouverait dans cette réforme une force plus grande.

M. le ministre de l'intérieur et la majorité de la section centrale, qui a été chargée de l'examen du projet, n'ont pas cru pouvoir s'y rallier et ont pensé qu'il était nécessaire d'y apporter des modifications.

En présence de cette divergence d'opinion, permettez, messieurs, que j'entre dans de nouveaux développements pour vous démontrer que la proposition primitive, dans laquelle je persiste, est seule de nature à faire cesser les griefs dont plusieurs milliers de pétitionnaires n'ont cessé de se plaindre, et qu'elle est aussi la seule qui puisse faire trouver dans la garde civique, au moment du danger, le concours d'une force capable de résister à une armée ennemie.

Qu'il me soit aussi permis, messieurs, de vous faire voir combien peu sont fondés les motifs qui ont guidé la section centrale dans l'adoption d'un autre système.

Quoiqu'il puisse y avoir dissentiment à l'égard de l'opinion émise par l'honorable rapporteur de la section centrale « qu'en vain on tâchera de former une garde civique capable de tenir la campagne avec des troupes régulières et que la réunion de deux forces ne saurait produire les résultats désirables ; » cependant je pense que tout le monde est d'accord que la garde civique, avec les éléments qui la composent actuellement, ne pourrait servir d'auxiliaire à l'armée pour s'opposer à une invasion d'une troupe aguerrie et que, malgré tout le courage dont ses membres seraient animés, elle ne pourrait lutter avec avantage en rase campagne contre une armée régulière.

Si, comme je le crois, le Congrès national en décrétant que la garde civique est chargée de veiller à la conservation de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, a entendu porter une disposition sérieuse, alors il est indispensable que ceux qui, en temps de guerre, pourraient être appelés à faire partie des forces destinées à la défense du pays aient acquis une instruction militaire suffisante pour que leur concours soit efficace à l'armée.

Mais, pour obtenir ce résultat, messieurs, il faut écarter de cette partie de la garde civique tout élément hétérogène, il faut que tous ceux à qui l'on impose l'obligation de s'exercer au maniement des armes et aux manœuvres, en sentent la nécessité ; il faut qu'ils comprennent que, pouvant être appelés un jour à défendre notre nationalité, il est du devoir de tous de se rendre aptes au service que la patrie attend d'eux.

Les célibataires et les veufs sans enfants, qui sont âgés de moins de 35 ans, sont les seuls auxquels la loi puisse imposer raisonnablement le devoir de défendre notre indépendance nationale contre une invasion étrangère. Ce sont donc aussi eux seuls qui doivent être astreints au service ordinaire de la garde civique. Aussi nous avons cru devoir présenter notre proposition dans ce sens.

Lorsqu'on prend lecture de la première partie du rapport de la section centrale, dans laquelle elle fait connaître les abus qui sont résultés de l'institution de la garde civique, on doit s'attendre qr'en bonne logique elle va conclure à l'adoption de notre projet.

Cependant il n'en est rien.

La section centrale vetl bien reconnaître que notre proposition est appuyée sur des centaines de pétitions, qu'elle tient, dit-elle, pour sérieuses ; elle veut bien admettre que notre proposition a formulé une opinion généralement répandue dans les rangs de la garde civique ; elle veut bien déclarer qu'elle est persuadée que la division de la garde civique en deux bans est dans les vœux de la plupart des pétitionnaires ; mais des motifs graves, dit son honorable rapporteur, ont empêche la section centrale de suivre les auteurs du projet de réforme aussi loin qu'elle l'eût désiré.

Ces motifs graves, messieurs, qui paraissent avoir engagé la section centrale à ne pas se rallier à notre proposition, peuvent se réduire aux. suivants :

« Il résulterait de l'adoption de notre projet une grande confusion dans les rangs de la milice bourgeoise. Le second ban ou la réserve s'habituerait bientôt à une inaction complète. Il manquerait d'officiers instruits et zélés, et l'absence des hommes mûrs et des chefs expérimentés dans les cadres du premier ban affaiblirait beaucoup l'autorité morale et la confiance publique dont la garde civique doit rester entourée. Ont diminuerait considérablement l'effectif de la garde civique, si l'on en écartait les hommes mariés, les veufs avec enfants et tous les citoyens âgés de plus de 35 ans. Enfin c'en serait fait de ces revues générales qui contribuent tant à l'éclat des solennités publiques et déploient ans yeux des Belges les ressources militaires dont ils pourraient disposer dans des circonstances critiques. »

Telles sont, messieurs, si je ne me trompe, les seules considérations qui ont empêché la section centrale d'adhérer à notre proposition.

Examinons chacun de ces motifs et voyons s'ils sont fondés.

D'abord est-il vrai, comme le prétend l'honorable rapporteur de la section centrale, « qu'il résulterait de l'adoption de notre projet une (page 1015) grande confusion dans les rangs de la milice citoyenne ; qu'il manquerait d'officiers instruits et zélés et que l'absence d'hommes mûrs et des chefs expérimentés dans les cadres du premier ban affaiblirait beaucoup l'autorité morale et la confiance publique ? »

Qu'il me soit permis de dire, messieurs, que je ne le crois nullement. En effet quelle confusion dans les rangs de la garde civique doit-il résulter de ce que le choix des titulaires des divers grades soit circonscrit parmi les gardes du premier ban et parmi ceux qui n'en font pas partie de droit, mais qui, avec l'agrément du chef de la garde, consentent à se faire inscre sur le contrôle de service ordinaire ? Car, remarquez bien, messieurs, que notre proposition ne les en exclut pas, elle leur laisse seulement la faculté de s'en affranchir ; mais ils pourront toujours suivre leur penchant et se faire porter sur le contrôle de service ordinaire conformément au paragraphe 3 de l'article 8 de la loi du 1er mai 1848.

Loin, messieurs, de pouvoir admettre avec l'honorable rapporteur de la section centrale, qu'il manquera d'officiers instruits et zélés, si ceux qui ont dépassé l'âge de 35 ans ne doivent plus faire partie du premier ban, je suis convaincu que cette mesure doit produire un effet tout à fait contraire. Ne sait-on pas que c'est principalement parmi ceux qui n'ont pas encore atteint cet âge qu'on rencontre ordinairement le plus de zèle à s'instruire dans l'art militaire et à acquérir les notions qui les rendent recommandables aux yeux de ceux qu'ils sont appelés à commander ?

Et qu'on ne vienne point dire que l'absence des hommes mûrs dans les cadres du premier ban affaiblirait beaucoup l'autorité morale et la confiance publique qui doivent entourer la garde cisique ; puisque l'expérience a prouvé que le plus grand nombre des titulaires actuels de la garde civique ne dépasse pas l'âge de 35 ans.

Messieurs, c'est faire injure aux officiers qui n'ont pas dépassé cet âge, que de prétendre que leur présence serait capable d'affaiblir cette autorité morale et cette confiance publique.

Quoi qu'il en soit, messieurs, la crainte que manifeste la section centrale de voir manquer des hommes mûrs et des chefs expérimentés dans les cadres du premier ban, ne peut se réaliser, si, comme j'aime à le croire, les vœux exprimés par certains pétitionnaires de grandes villes sont réels, puisque l'esprit militaire, qui paraît les animer, ne peut manquer de les engager à se faire porter sur le contrôle de service ordinaire et à briguer les suffrages des autres gardes.

« Mais, dit la section centrale, si vous adoptez la proposition des députés de Louvain, le second ban ou la réserve s'habituera bientôt à une inaction complète. »

Si par ces paroles, messieurs, la section centrale veut faire entendre que l'exemption de tout service que vous accorderiez, en temps ordinaire, aux hommes du second ban, pourrait avoir pour résultat d'énerver leurs sentiments patriotiques et faire en sorte que, dans des moments critiques, ils ne viendraient plus se ranger sous le drapeau de l'honneur, pour défendre l'ordre public qui serait menacé ; alors, je ne pourrais me dispenser de protester contre une telle pensée. Le passé serait là pour lui donner un démenti formel. Qui ne se rappelle encore l'élan patriotique que tous les Belges montrèrent en 1848, en présence des événements qui menaçaient de bouleverser la plupart des gouvernements ? Qui ne se rappelle avec quel empressement ils se mirent à la disposition du pouvoir pour s'opposer aux tentatives que des insensés auraient pu faire pour renverser nos institutions ?

Et cependant, messieurs, à cette époque la garde civique n'était pas organisée. A cette époque les masses n'avaient pas encore fait la triste expérience de ce que peuvent produire les utopies de ces soi-disant amis de l'humanité.

Mais alors, comme aujourd'hui on était fier d'appartenir à une nation qui a la Constitution la plus libérale de l'Europe ; alors, comme aujourd'hui on était fier d'avoir à sa tête un Roi qui a donné l'exemple qu'on peut faire le bonheur de son peuple en maintenant intacte la Constitution qu'on a jurée.

Eh bien, messieurs, ce que les Belges firent alors, les gardes civiques, qui appartiendraient à la réserve n'hésiteraient pas à le faire encore, si, ce qu'à Dieu ne plaise, la tranquillité publique était compromise.

Cette considération pas plus que l'autre n'est donc de nature à devoir engager la chambre à rejeter notre proposition, mais la section centrale fait valoir encore d'autres motifs.

Elle soutient « qu'en écartant de la garde civique les hommes mariés, les veufs avec enfants et tous les citoyens âgés de plus de 35 ans, on en diminuera considérablement l'effectif. »

Je reconnais volontiers, messieurs, et j'ajouterai même que j'ai prévu, en présentant notre projet, que son adoption devait avoir pour effet de diminuer, en temps ordinaire, l'effectif de la garde civique. Je pourrais cependant soutenir que le résultat de la mesure que nous proposons ne peut pas être aussi considérable qu'on veut bien le prétendre. Je pourrais peut-être contester l'exactitude des chiffres que M. le ministre a produits pour établir quelle serait la force numérique des gardes civiques, lorsqu'elle sera réduite aux célibataires et veufs sans enfants, âgés de moins de 35 ans.

Je pourrais, messieurs, faire remarquer qu'il doit paraître assez étrange qu'à Bruxelles, par exemple, sur un nombre de 5,072 gardes, qu'on dit être aujourd'hui en service, il n'y en aurait plus,en temps ordinaires, que 921, en ne comptant que les célibataires et les veufs sans enfants de 21 à 35 ans, tandis qu'à Gand ou il n'y a en service que 3,189 gardes, on en conserverait encore 949, en ne comptant également que les célibataires et les veufs sans enfants, âgés de moins de 35 ans. Je pourrais donc en déduire qu'il serait possible que la force numérique sera plus grande que celle qu'on indique.

Mais, messieurs, pour démontrer que le motif mis en avant par la section centrale ne doit exercer aucune influence sur votre vote, je n'ai aucun intérêt à rechercher si les chiffres qu'on indique sont exacts ou erronés.

Je veux admettre, avec la section centrale, que la diminution de l'effectif de la garde civique sera considérable en temps ordinaire, quoique je ne puisse manquer de vous faire observer, de nouveau, que le chiffre de cet effectif devra nécessairement être augmenté du nombre de tous ces gardes zélés de la réserve, qui, d'après les intentions qu'ils ont fait connaître dans les pétitions qu'ils ont adressées, tiendront à se faire inscrire sur le contrôle ordinaire de service.

Mais en concédant que l'effectif de la garde civique sera beaucoup diminué en temps ordinaire, en résultera-t-il, messieurs, comme le suppose la section centrale, que la garde civique n'apparaîtra pas, à l'heure du danger, avec sa double puissance morale et matérielle ?

J'ai déjà eu l'occasion, messieurs, de démontrer combien peu était fondée la crainte que la section centrale manifestait des suites que devait produire, sur l'esprit des hommes de la réserve, l'inaction dans laquelle on les laisserait en temps ordinaire ; j'ai déjà rappelé, messieurs, les nobles sentiments qui animaient tous les Belges en 1848 ; j'ai déjà fait voir que le même élan ne pourrait manquer de se reproduire, si des moments de crue se présentaient. La supposition de la section centrale ne peut donc se réaliser.

Je ne puis assez répéter, messieurs, que jamais nous n'avons voulu ni entendu par notre proposition affranchir les hommes du second ban de tout service. Nous voulons, au contraire, avec la section centrale et le gouvernement, que sur le premier appel de l'autorité compétente, tous apparaissent à l'heure du danger ; nous voulons avec eux que, dans ce moment suprême, on rencontre les pères de famille et les chefs d'industrie dans les rues de la cité, et que leur présence serve à faire rentrer dans le devoir ceux qui se sont laissé égarer.

Et si, messieurs, nous voulons les exempter de tout service en temps ordinaire, c'est que nous croyons que leur présence n'est pas alors nécessaire et qu'elle ne peut devenir utile que lorsque l'ordre public pourrait être menacé. Aussi sommes-nous persuadés, messieurs, que c'est en exigeant d'eux le moins possible, en temps ordinaire, qu'on sera toujours certain de pouvoir compter plus sûrement sur eux dans des circostances difficiles.

Mais, messieurs, quelle est donc la mesure au moyen de laquelle la section centrale croit pouvoir éviter les inconvénients qu'elle signale ? C'est de soumettre annuellement tous ceux qui font partie de la réserve à une inspection d'armes et à deux revues.

Est-ce bien sérieusement, messieurs, que la section centrale indique ce moyen pour imprimer une force plus grande à la garde civique ?

Quoi ! elle prétend qu'il suffira que les gardes qui ont dépassé l'âge de 35 ans assistent à deux revues et à une inspection pour déployer aux yeux des Belges les « ressources militaires » dont ils pourraient disposer dans des circonstances critiques ! Pense-t-elle que c'est au moyen d'une parade qu'on parviendra jamais à imposer aux masses ?

Non, messieurs, si un pareil miilitaire pouvait produire cet effet sur le peuple, ce serait pour autant que les soldats qui prennent part aux revues démontrent qu'ils ne sont pas étrangers au maniement des armes et aux manœuvres.

Or, les gardes de 35 ans et au-delà, au moyen desquels la section centrale veut déployer aux yeux des masses nos immenses ressources militaires seront précisément ceux-là qui montreront le moins d'aptitude au service militaire, puisque la section centrale les dispense de tout exercice.

Mais, messieurs, le système de la section centrale ne doit pas seulement avoir pour résultat de produire un effet négatif ; il présente, en outre, un plus grand danger, c'est celui d'énerver le zèle des gardes qui appartiennent au premier ban.

Qui ne comprend, en effet, messieurs, que les gardes du premier ban devront se tenir ce langage : A quoi me servira l’instruction militaire que j'aurai si péniblement acquise, si, chaque fois que je serai obligé de me montrer en public, je devrai me trouver à côté de gardes qui n'ont aucune notion militaire ou qui auront oublié celle qu'ils ont apprise ? J'aurai beau exécuter les commandements avec précision, jamais il n'y aura de l'ensemble dans les mouvements, et je serai peut-être exposé comme eux à la risée du public. Voilà, messieurs, le danger que présente l'adoption de la demi-mesure de la section centrale.

Si au contraire, messieurs, cette précision dans les mouvements et dans les manœuvres n'est pas nécessaire, si, comme certains le prétendent, le concours de la garde civique ne peut être d'aucune utilité pour l'armée, à quoi bon astreindre aux exercices les gardes qui sont en dessous de l'âge de 35 ans ? Pourquoi ne pas les placer également sur la même ligne que ceux qui ont dépassé cet âge et n'exiger d'eux que leur présence aux deux revues et à une inspection d'armes ? Alors au moins le système de la section centrale serait rationnel.

Il reste encore, messieurs, une dernière objection que quelques membres de la section centrale ont faite à notre projet. Ils disent que c'en serait fait de ces grandes revues qui contribuent tant à l'éclat des solennités publiques. Eh bien ! messieurs, si le seul aspect d'une troupe armée est de nature à réhausser l'éclat des fêtes, je puis concéder à ces (page 1016) membres de la seciion centrale qu'une partie de leur charme en sera enlevé : mais j'espère aussi que ces mêmes membres voudront bien me concéder, avec l'honorable rapporteur de la section centrale, que le prestige de l'épaulette et du fusil ne peut plus suffire à lui seul pour intéresser la milice bourgeoise à des corvées stériles.

D'ailleurs, messieurs, je ne pense pas que nous ayons le droit de substituer des parades au devoir de veiller au maintien de l'ordre et à la conservation de l'indépendance nationale que la loi impose seule aux gardes civiques.

En n'exigeant la présence de la garde civique qu'aux revues, je crains bien, messieurs, que vous n'alliez à l'encontre du but qu'on s'est proposé lorsqu'on a institué la garde civique et que vous ne donniez que trop d'armes à ses adversaires pour lui appliquer une épithète que je me garderai bien de répéter dans cette enceinte.

Messieurs, je viens de vous démontrer les inconvénients que présente le système bâtard proposé par la section centrale. Permettez maintenant que j'ajoute encore quelques paroles à celles que j'ai déjà prononcées pour vous faire voir que notre proposition offre réellement les avantages que nous nous en sommes promis.

J'ai déjà démontré, si je ne me trompe, que, par la mesure que nous proposons, on enlevait à la partie de la garde civique qui pouvait être mobilisée, tout élément hétérogène qui était un obstale à ce qu'on la rendît apte au service que la patrie attend d’elle : la principale considération que nous faisons valoir en faveur de notre proposition est donc prouvée.

Nous avons encore dit que notre proposition ferait cesser une des causes qui ont soulevé le plus de mécontentement.

Pour l'établir, messieurs, nous n'avons qu'à invoquer le rapport de la section centraîe. Nous y lisons d'abord, à la page 5 : « La proposition de nos honorables collègues de Louvain, appuyée sur des centaines de pétitions, que nous tenons pour sérieuses, a formulé une opinion généralement répandue dans les rangs de la garde civique. »

Nous trouvons encore plus loin, dans le même rapport : « qu'il résulte du dépouillement des procès-verbaux des sections, que la plupart de nos collègues ont adopté notre projet et qu'il y en a même eu qui auraient voulu réduire l'âge de 35 à 31 ans. »

Ainsi nous pouvons dire sans crainte d'être démentis, que la modification que nous proposons au régime actuel est conforme aux vœux de la grande majorité des gardes civiques.

Je dis, messieurs, que notre proposition est conforme aux vœux de la grande majorité des gardes civiques. Cependant, je ne veux pas vous dissimuler qu'elle a rencontré une opposition de la part de certains gardes et principalement de la part des officiers.

J'aime à croire, messieurs, que ce n'est pas le vain plaisir de parader, mais l'unique sentiment national qui les a guidés, lorsqu'ils ont adressé leurs réclamations à la chambre. Je me garderai donc bien de les blâmer de cet excès de patriotisme. Cependant je ne puis m'empêcher, messieurs, de faire observer à ces pétitionnaires, que si les exercices militaires peuvent avoir pour eux de l'attrait, ils constituent pour la grande masse des gardes des corvées bien pénibles et qu'ils le sont principalement pour ceux qui n'ont qu'un seul jour par semaine pour consacrer au repos. Je ne puis non plus m'empêcher de leur faire remarquer, que ce n'est pas trop accorder à un citoyen que de l'exempter de tout service, après qu'il a été astreint à ce sacrifice onéreux pendant 14 ans.

D'ailleurs, messieurs, notre proposition est encore bien moins favorable aux gardes civiques que la disposition qui régissait les gardes communaux sous la loi du 11 avril 1827.

En effet, l'article 23 de cette loi portait : « Le service effectif est fixé à cinq ans, après lesquels les hommes resteront encore portés pendant cinq autres années sur les contrôles, et feront partie de la réserve ; ceux qui se trouvent ainsi indiqués pour la réserve pourront en temps de paix, s'ils le désirent, n'être obligés ni à porter les armes, ni à quelque autre service de la garde communale, et ils ne seront pas compris dans la force. »

Courue vous venez de le voir, messieurs, le service effectif des gardes communaux, en temps de paix, n'était fixé qu'à cinq ans, après lesquels ils n'étaient plus obligés à aucun service, tandis que par notre projet ils y sont soumis pendant 14 ans.

Nous avons enfin dit, messieurs, que notre proposition aurait pour résultat de dégrever les contribuables d'une partie des charges que l'article 73 de la loi du 8 mai 1848 fait peser sur eux.

En effet, s'il esl vrai, comme la section centrale l'a prétendu, et comme nous nous sommes empressés de le reconnaître, qu'en temps ordinaire une diminution notable dans le chiffre de l'effectif de la garde civique doit résulter de l'adoption de notre projet, il s'ensuivra nécessairement que les dépenses qu'entraîne sa force organique actuelle doivent diminuer en proportion.

Par l'article 2 de notre projet, un arrêté royal devra prononcer la dissolution de la garde civique dans les communes où le nombre des gardes portés sur le conttôle de service ordinaire n'atteindrait plus celui de 60 hommes par compagnie sédentaire, et par les articles 6 et 107 de la loi du 8 mai 1848 il devra être procédé dans les six mois à sa réorganisation.

Comme cette réorganisation, messieurs, devra se faire d'après les bases tracées par l'article 4 de l'arrêté royal du 18 juin 1848 qui a été pris en exécution de la loi sur la garde civique, la force d'une compagnie ne pourra être inférieure à 75 hommes. Dès lors il n'y aura plus un si grand nombre de bataillons, et par une conséquence ultérieure le nombre des titulaires qui ont droit à une indemnité ou à un salaire subira nécessairement une diminution. Ces dépenses ainsi que les autres relatives à la garde civique ne peuvent donc manquer de diminuer, et les ressources qui doivent y faire face ne devront plus élre aussi élevées qu'elles le sont aujourd'hui.

Ai-je besoin, messieurs, d'appeler particulièrement l'attention de la chambre sur cette dernière considération ?

Ai-je besoin d'insister sur l'impérieuse nécessité d'introduire, dans toutes les branches du service public, les économies dont elles sont susceptibles ?

Non, messieurs, chacun de nous comprend qu'il est d'autant plus de notre devoir de chercher à alléger le sort des contribuables, qu'en présence du budget de la guerre, dont le chiffre proposé s'élève à 32 millions 190,000 fr., nous serons peut-être obligés de créer de nouvelles ressources et de voter de nouveaux impôts.

Car, messieurs, ce temps des illusions est passé où l'on soutenait qu'on serait parvenu à réduire le budget de la guerre à 25 ou à 22 millions et où d'autres prétendaient même qu'on aurait pu remplacer l'armée par la garde civique.

Tout le monde reconnaît aujourd'hui que si la garde civique, lorsqu'elle est bien organisée et exercée, peut être un auxiliaire à l'armée, elle ne peut jamais remplacer cette institution, qui, quoi qu'on en dise, sera toujours envisagée comme devant constituer la principale sauvegarde de notre nationalité.

Je me résume, messieurs : la chambre est en présence de deux projets.

Par le premier, si on ne parvient pas à satisfaire ces quelques gardes par trop zélés, on satisfait au moins aux vœux de ces milliers de pétitionnaires qui n'ont cessé de faire entendre leurs voix pour réclamer la réforme des abus qu'ils signalent.

En exemptant en temps ordinaire une catégorie de citoyens de corvées inutiles et en dégrevant les contribuables d'une partie de l'impôt, on conserve la même force à la garde civique en général et ou en imprime une plus grande à cette partie de la milice citoyenne dont le concours pourrait être réclamé pour s'opposer à une armée régulière.

C'est le système que j'ai eu l'honneur de présenter conjointement avec mes honorables collègues de l'arrondissement de Louvain.

Par le second projet, au contraire, on crée un système bâtard.

S'il est vrai qu'il dégrève quelques gardes civiques d'une partie des charges que la loi leur impose actuellement, elle ne contente cependant aucune catégorie de pétitionnaires.

Ele continue à imposer, sans utilité aucune, des corvées inutiles ; elle énerve le zèle des gardes qui pourraient être un auxiliaire à l'armée lors d'une invasion ennemie, et elle n'allège d'aucune manière le sort des contribuables.

C'est le système de la section centrale.

Vous aurez, messieurs, à opter entre ces deux systèmes. Votre choix ne peut être douteux. Vous voterez psur le premier projet.

M. Vanden Branden de Reeth. - Je viens appuyer la proposition de loi portant modification à l'article 24 de la loi sur la garde civique, telle qu'elle a été formulée par ses honorables auteurs, car cette modification réduite à sa plus simple expression, c'est la division de la garde civique en deux bans.

Je me suis demandé quel avait pu être le motif qui avait engagé les honorables représentants de Louvain à déposer la proposition qui nous occupe, et je crois pouvoir dire que les nombreuses pétitions adressées à la chambre, pétitions qui sont l'expression d'un sentiment généralement senti, d'un désir exprimé partout, ont été pour beaucoup dans la détermination qu'ils ont prise. Réduire la modification aux termes de la proposition de la section centrale, c'est adopter une de ces demi-mesures qui ne peuvent satisfaire personne, et qui assurément ne répondra aucunement aux vœux des pétitionnaires. Il eût infiniment mieux valu ne rien faire ; car si vous séparez le projet de loi du motif qui l'a inspiré, je n'hésite pas à le dire, la proposition perd son actualité et sa raison d'être.

Toutes les fois que des réclamations se font entendre, qu'un très grand nombre de pétitions ayant un même objet pour but, sont adressées à la chambre, il faut chercher à se rendre un compte exact du motif qui a déterminé un pareil état de choses.

Pourquoi aujourd'hui toutes ces pétitions demandant des modifications à la loi sur la garde civique ?

En voici, selon moi, le motif :

Le bon sens qui distingue la nation belge a fait de ce peuple l'adversaire-né de toute exagération ; voulez-vous provoquer chez lui une certaine réaction, poussez les choses à l'extrême, et il ne faut pas reculer bien loin dans notre histoire pour trouver des exemples de ce que j'avance.

L'article 122 de la Constitution décrète qu'il y aura une garde civique ; c'est là une institution qui a une existence constitutionnelle, et personne n'en demande la suppression ; mais ce qui excite les réclamations, c'est le développement exagéré que l'on a donné à cette institution.

La force d'une garde civique ne réside pas dans l’organisation (page 1017) militaire qui constitue aux yeux de beaucoup de citoyens une charge insupportable et qu'ils considèrent en temps ordinaire comme une charge inutile : cette force est toute morale et augmente à raison du danger.

L'histoire d'aucun peuple ne démontre aussi clairement que la nôtre quelle est cette véritable force civique d'une nation lorsqu'il s'agit de la défense de ses libertés ou de la conquête de son indépendance, et pas plus les patriotes de 1789 que les volontaires de 1830, ne sortaient des rangs d’une garde civique quelconque.

C'est une erreur de croire que cet élan généreux qui, au jour du danger, transforme toute une nation en combattants, puisse être préparé de longue main, sans but apparent et en enrégimentant tous les citoyens jusqu'à l'âge de 50 ans. C'est non seulement une erreur, c'est presque un danger, car en ôtant au patriotisme ce qui fait sa force réelle, c'est-à-dire la spontanéité, vous créez une situation forcée dont vous obtiendrez difficilement les résultats que vous en attendez.

Le patriotisme est un sentiment qui ne se commande pas ; n'attachons pas une importance trop grande à tout ce qui, en pareille matière, ressemblerait un peu à de l'ostentation.

Pourquoi demandons-nous aujourd'hui la division de la garde civique en deux bans ?

Est-ce par un sentiment d'hostilité envers cette institution, comme l'on ne s'est pas fait faute de l'insinuer ailleurs ? Est ce pour désorganiser la garde civique, l'affaiblir, la rendre impuissante au jour du danger ?

Non, messieurs, la proposition de M. Landeloos aura au contraire pour résultat de donner un but réellement utile à une institution dont il est très difficile de définir aujourd'hui le caractère.

Ne nous exagérons pas les services que la garde civique est appelée à rendre, mais n'en diminuons pas non plus l'importance, et pour tâcher de rester dans le vrai et d'éviter toute exagération, recherchons quelle a été l'origine de cette institution, quel est son but, quelles sont ses attributions, quels sont ses devoirs ?

Je ne sais, messieurs, si l'on est parfaitement d'accord, jusqu' à ce jour, sur les réponses à donner à ces diverses questions ; elles renferment cependant le point de départ de toute organisation d'une garde civique.

Quelques mots d'abord sur l'origine de cette institution.

Ici, messieurs, je ne suis pas complètement d'accord avec ceux qui prétendent que la garde civique est une institution qui a ses racines dans le passé ; je ne puis trouver aucun caractère d'analogie entre la garde civique et les anciennes milices bourgeoises.

La garde civique est une institution toute moderne ; elle est sœur de la garde communale hollandaise, dont nous avons conservé un souvenir peu national, et fille de la garde nationale, née en France à la fin du siècle dernier. La garde civique se trouve dans la Constitution, au même titre que l'armée ; l’une et l'autre ont été considérées comme des nécessités sociales, mais à cette différence près, que l'action sociale d'une armée est nettement définie et comprise par tous, et qu'il n'en est pas de même à l'égard de la gartie civique.

De là cette différence d'appréciation sur l'organisation à donner à cette dernière institution, sur le plus ou le moins de développement qu'elle comporte. Car remarquez-le bien, messieurs, si l'article 122 de la Constitution dit : « Il y a une garde civique, » il se termine par ces mots :« l'organisation en est réglée par la loi », d'où il résulte que s'il est contraire à la Constitution de combattre l'existence de toute garde civique, on peut fort bien, toul en restant parfaitement constitutionnel, combattre son organisation actuelle.

Messieurs, lorsque l’on demande quel est le but, et quels sont les devoirs de la garde civique, l'on répond assez généralement que c'est là une institution purement communale ; une garde bourgeoise organisée pour le maintien de l’ordre public et des institutions libres du pays.

Mais si la garde civique est une institution communale, pourquoi alors ce grand déploiement de forces, pourquoi ces uniformes, ces exercices, ces revues, j'allais presque dire ces corvées, auxquels vous astreignez les citoyens jusqu'à l’âge de 50 ans ? Car, quels services, au point de vue militaire, pouvez-vous rendre avec une organisation telle que celle qui existe aujourd'hui ?

Vous parlez du maintien de nos institutions libres ; la garde civique, dites-vous, est la sauvegarde de nos libertés !

Je demanderai alors par qui nos institutions peuvent-elles être menacées ? Est-ce de l'intérieur ou de l'extérieur que naîtront nos dangers ? Si c'est de l'intérieur... Mais la garde civique se composant de la partie active de la population de nos cités, ce sera donc contre elle-même qu'elle sera appelée à se défendre ! L'on conçoit qu'autrefois, lorsque nos villes jouissaient de franchises qui gênaient l'autorité es souverains, franchises qu'ils n'étaient que trop disposés à leur ravir à la première occasion, on conçoit alors toute l'importance d'une milice bourgeoise destinée à sauvegarder des droits précieux ; mais rien de semblable n'existe aujourd'hui. Les luttes de nos communes défendant leur liberté contre les empiétements du pouvoir occupent de belles pages dans nos annales, mais c'est là assurément de l'histoire ancienne, et vouloir attribuer à notre garde civique quelque chose qui ressemble à ce rôle, c'est un véritable anachronisme ; le temps des Artevelde, des Pierre de Koning et des Breydel est passé !!

Mais l’on me dira, d'autres dangers peuvent naître de l'intérieur ; l'ordre peut être troublé par des émeutes, par des troubles momentanés et alors la garde civique peut rendre de grands services.

Examinons.

Ou ces troubles auront une cause politique, ou ils seront le résultat de quelque circonstance momentanée, par exemple, une coalition d'ouvriers, la cherté du pain, le manque de travail, etc.

Si les troubles ont une cause politique, pourrez-vous empêcher les citoyens qui composent la garde civique de sa prononcer dans l'un et dans l'autre sens, en un mot, de se diviser sur la question politique ? Qu'aurez-vous fait autre chose, si ce n'est armer les partis ? Je défie que l’on me réfute sur ce point. Dans une seule hypothèse, la lutte pourra être évitée, c'est lorsque l'un des deux partis se trouvera en position de dominer l'autre, et alors il y aura oppression.

Si, au contraire, il s'agit de troubles occasionnés par les causes étrangères à la politique que je signalais tout à l'heure, je pense qu'il ne peut pas être question de transformer les gardes civiques en agents de police. Si, dans des circonstances pareilles, vous croyez que l'influence du garde civique agissant par la persuasion peut être efficace, il est inutile de déployer tout cet appareil militaire ; si, au contraire, vous croyez qu'il faut en imposer par un certain déploiement de forces, par la vue des uniformes et des baïonnettes, mais alors n'avons-nous pas notre armée ? est-ce que partout, en Europe, l’armée n'a pas été la sauvegarde de l’ordre, de la société et de la vraie liberté ?

Mais si, un jour, nos institutions pouvaient être menacées par une injuste agression, je vous le demande, messieurs, l'organisation actuelle répond-elle à une pareille éventualité ? N'est-ce pas alors surtout que la division en deux bancs deviendrait une nécessité ? Car ce ne serait pas avec des revues et des parades que nous pourrions repousser l'ennemi.

Dans l'organisation de la garde civique il faut tenir compte des dangers possibles ; c'est cette prévision qui doit nous guider, mais non pas le désir de rehausser l'éclat des fêtes publiques.

Vous le voyez donc, messieurs, il y a exagération dans le développement excessif que nous avons donné à l'institution de la garde civique, il y a inutilité, il y a danger parce que l'organisation est mauvaise et que les charges qu'elle impose ne sont pas en rapport avec le service qu'elle est appelée à rendre.

Quant au développement excessif donné à cette institution, je dirai avec l'honorable rapporteur de la section centrale que le législateur de 1848, se préoccupant avec raison du danger du moment, a dépassé le but pour les temps ordinaires, et j'ajouterai cette considération, qu'il ne faut pas que les lois qui ont un caractère de permanence reflètent les impressions passagères du moment qui disparaissent avec les circonstances qui les ont fait naître, et que c'est là un vice qui entache la loi sur la garde civique.

D'un autre côté, en demandant la division de la garde civique en deux bans, nous restons dans l'esprit autant que dans les termes de la Constitution.

L'article 123 prévoit la mobilisation de cette garde ; mais pour la mobiliser, il faudra nécessairement la diviser en deux bans ; pourquoi donc ne pas l'organiser dès à présent de telle manière que cette mobilisation puisse avoir lieu sans désorganiser entièrement ce qui existe aujourd'hui, car évidemment vous ne ferez pas marcher les hommes mariés, les pères, de famille ; vous mettrez certaines limites à l'âge et vous n'exigerez pas le service actif jusqu'à 50 ans.

Eh bien, nous venons vous demander de prendre toutes ces dispositions dès à présent, afin que la garde civique offre le caractère d'une institution vraiment utile. C'est la véritable portée de la proposition da l'honorable M. Landeloos.

Et par quels quels puissants motifs cette proposition ne se justifie-t elle pas ? Vous reconnaîtrez avec moi que si l’on veut retirer quelque utilité de la garde civique au point de vue militaire (et il est impossible de ne tenir aucune espèce de compte de son action sous ce rapport), il faut changer et modifier singulièrement son organisation actuelle.

Vous rangez parmi ses devoirs la défense des places fortes ; mais comme toutes nos villes en Belgique ne sont pas des places fortes, il faudra encore une fois mobiliser les gardes civiques destinées à ce service et par conséquent diviser en deux bans. Nous vous demandons donc de faire en temps utile ce que vous vous réservez de faire avec un résultat bien douteux au jour du danger.

Maintenant l'opinion que nous exprimons est-elle isolée ; ne s'agit-il ici que de la répugnance de quelques pétitionnaires pour le service de la garde civique ?

Des centaines de pétitions répondent à une pareille allégation et j'ajouterai que l'opinion que nous défendons a été partagée par l'unanimité des sections.

Voici le résumé des délibérations des sections :

« La première seciton demande que la garde civique soit divisée en deux bans, comprenant l’un, les hommes de 21 à 35 ans, astreints au service actif ; l'autre, ceux de 35 à 50 ans, appelés seulement dans des circonstances extraordinaires. »

C'est précisément la proposition de l'honorable M. Landeloos.

« La deuxième section a adopté aussi la division de la garde civique en deux bans.

« La troisième section admet, à l'unanimité, la proposition de loi.

« La quatrième approuve la proposition de loi, en réduisant l’âge de 35 à 31 ans. »

Cette section va donc plus loin que les auteurs du projet.

« La cinquième section admet le principe de la réforme proposée par l'honorable M. Landeloos.

(page 1018) « La sixième section, enfin, partage la garde civique en deux bans. »

Ainsi vous le voyez, toutes les sections ont partagé l'opinion émise par les pétitionnaires, mais la section centrale après avoir entendu M. le ministre de l'intérieur, vous propose une espèce de moyen terme, mezzo termine qui, je le reconnais, donne une assez grande satisfaction à ceux qui réclament contre l'exagération du service de la garde civique ; mais au point de vue de l'institution je trouve que c'est là une désorganisation complète. Vous voulez maintenir les cadres tels qu'ils existent aujourd'hui, et vous exemptez des exercices tous les gardes qui ont atteint leur trente-cinquième année ; que deviendront vos exercices ? Plusieurs villes, Malines, Namur, Louvain, Mons, par exemple, ont trois bataillons, représentant aujourd'hui une force qui varie de 600 à 1,000 hommes, non pas par bataillon, mais pour les trois bataillons. En ne comptant que les gardes âgés de moins de 35 ans, vous conservez, pour ces villes, une moyenne de 300 à 400 hommes. Voilà ce qui vous restera pour vos exercices. N'est-il pas ridicule de conserver, pour faire manœuvrer 300 à 400 hommes, les cadres de trois bataillons ?

Mais, je lis, dans le rapport, que des membres de la section centrale désirent conserver l'organisation actuelle parce que « les revues générales contribuent tant à l'éclat des solennités publiques et déploient aux yeux des Belges les ressources militaires dont ils pourraient disposer dans des circonstances critiques. »

Il y a ici deux motifs allégués : le premier, je ne le considère pas comme sérieux. Quoi ! la garde civique serait destinée à relever l'éclat des fêtes publiques ! Ce serait pour amuser les étrangers qui se rendent dans la capitale que nous devrions supporter une charge pareille ; rester alignés des heures entières ; nous habiller en soldats, marcher le sac au dos ! Non, cela ne peut pas être sérieux.

Quant au second motif, je l'admets encore moins. Vous aurez beau échelonner au jour de la revue tel nombre de gardes que vous voudrez, ces bataillons composés d'hommes réunis presque fortuitement, qui'ne se connaissent pas, qui ne ee voient qu'une ou deux fois par an, ne constituent pas une ressource militaire ; c'est une erreur profonde de le croire, car ce n'est pas le nombre de soldats qui constitue la force d'une armée, et rien n'est plus dangereux que d'inspirer, sous ce rapport, une fausse sécurité.

Je sais, messieurs, que je parle ici dans de mauvaises conditions ; les capitales renferment des éléments nombreux propres à former une bonne garde civique, ce qui se rencontre assez difficilement dans les localités de moindre importance, c'est donc là que les vices de l'organisation actuelle se font le plus sentir. Mais la voix de la capitale et de quelques grands centres de population ne doit pas étouffer celle des autres populations, car après tout les 300 à 400 mille habitants de nos grandes villes ne représentent pas la Belgique entière.

Il est une dernière considération d'une toute autre nature que je ne puis pas cependant passer sous siience.

Nul ne peut contester que le service de la garde civique ne soit une charge ; la part contributive à payer par les familles aisées là où cette garde est en activité est également une charge. Or, il est un principe incontestable et de toute équité, c'est que les contributions comme les charges doivent atteindre également tons les citoyens en état de les payer et de les supporter. C'est ce qui n'existe pas ici, la charge de la garde de civique pèse sur un quart des habitants de la Belgique ; les trois autres quarts en sont exempts.

Si la garde civique est une institution nationale, si elle a pour but de sauvegarder nos libertés, comme tous les Belges tiennent également à la nationalité et à la liberté, tous devraient donc supporter leur part dans cette charge.

Si vous croyez un pareil résultat très difficile, sinon impossible, c'est une raison de plus pour ne pas aggraver une situation qui constitue une véritable injustice.

Je résume les considérations que j'ai fait valoir en ces termes : si vous voulez que la garde civique demeure une institution populaire en Belgique, il faut que le but de cette institution soit clairement défini et que son organisation réponde à ce but.

Pour que cette organisation soit forte, ne lui donnez pas un développement exagéré afin qu'au jour du danger elle offre une ressource réelle.

Vous ne pouvez obtenir un pareil résultat qu'en divisant la garde civique en deux bans, but de la proposition que je viens de défendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, en présence de la double proposition dont la chambre est saisie, propositions qui se combattent mutuellement, je pense qu'il est du devoir du gouvernement de dire immédiatement son avis, afin de bien dessiner les positions, et de donner à la discussion une allure régulière.

Il y a, messieurs, deux choses qui portent, selon moi, une atteinte également funeste aux institutions d'un pays : c'est, d'une part, l'indifférence des citoyens ; c'est, d'autre part, l'instabilité dans ces institutions mêmes, surtout quand l'exemple est donné en haut, ou quand il part du gouvernement, et ce n'est pas le cas ici, ou de la législature, ce qui est beaucoup plus grave.

Ces réflexions, messieurs, je les ai faites lorsque j'ai vu apparaître dans cette chambre les pétitions qui ont manifesté, par quelques signes d'impatience, le désir de s'affranchir de ce qu'on appelle aujourd'hui un joug, celui qu'impose la loi sur la garde civique, et de ce qu'on appelait en 1848 an sentiment patriotique devaut lejqel tout ie monde s'inclinait, au-dehors comme au-dedans de cette enceinte.

Messieurs, il faut se défendre surtout de l'esprit d'instabilité en matière d'institution nationales, quand celles-ci intéressent l'organisation de la force publique. Ici, il est permis de le dire, le gouvernement est le meilleur juge des mesures qui pourraient avoir pour objet ou d'amoindrir les charges des citoyens ou d'apporter des modifications aux éléments constitutifs de la force publique elle-même.

Cela ne veut pas dire, messieurs, que si le gouvernement ne demande pas de modifications à la loi sur la garde civique, cette institution est immuable ; cela ne veut pas dire que si des abus étaient signalés à l'attention publique, à celle de la législature, le gouvernement devrait rester impassible. Mais cela veut dire que l'on doit toujours procéder, dans des questions de cette nature, avec la plus grande circonspection. C'est ce que vous attendez de nous, messieurs.

Le gouvernement va s'efforcer de remplir la tâche qui lui est imposée dans cette circonstance.

Je commence par déclarer que s'il ne s'agissait que d'apporter quelque adoucissement à la charge qui grève certaines classes de citoyens, si, pour alléger le service public imposé à tous les citoyens en matière de garde civique, il était possible d'introduire quelques modifications qui rendissent cette charge moins lourde, si ces modifications pouvaient être introduites sans porter atteinte aux bases de l'institution, le gouvernement serait le premier à vous les proposer.

Au gouvernement comme à vous, messieurs, il est et il sera toujours agréable d'alléger les charges des citoyens, soit les charges personnelles, soit les charges réelles qui les affectent par la voie de l'impôt. Mais, je la répète, quand il s'agit d'uns institution nationale, quand il s'agit de se demander si les modifications proposées n'auront pas pour effet, sinon d'anéantir l'institution, au moins de la réduire à un état tel qu'elle devînt méconnaissable, alors, messieurs, je pense qu'il est du devoir de tous, de vous comme de nous, de ne pas céder trop facilement à l'entraînement de ces allégements de charges dont je parlais tout à l'heure, et de se demander sérieusement s'il y a des motifs suffisants pour adhérer aux projets de réforme sollicitée de la chambre.

Malheureusement, messieurs, dans cette circonstance, il ne nous est pas possible de nous rallier, soit à l'une soit à l'autre des propositions actuellement en discussion.

Celle de l'honorable M. Landeloos, vous le savez, messieurs, par les documents imprimés et par les développements que l'honorable membre y a donnés, est véritablement radicale en ce qui concerne la réforme demandée. Elle affranchit de l'obligation du service tous les hommes qui ont 35 ans, elle affranchit en outre de l'obligation du service tous ceux qui sont mariés ou qui sont veufs avec enfants.

L'autre proposition, celle à laquelle la section centrale a donné son assentiment, est moins radicale, mais je n'aurai pas de peine à démontrer qu'elle conduit a peu près aux mêmes résultats. Ainsi, ce n'est pas le licencieme nt immédiat et absolu de tous les hommes qui ont 35 ans, que l'on propose, c'est l'exemption de tout exercice obligatoire, dont on veut gratifier les gardes qui ont accompli leur 35ème année.

Je n'hésite pas à dire, messieurs, que la première de ces propositions, celle de l'honorable M. Landeloos, détruit à la fois, et la force morale à laquelle, cependant, l'honorable membre fait un appel si chaleureux, et la force matérielle surtout, car il n'en resterait plus que l'ombre.

La proposition de la section centrale, sans détruire d'une manière aussi complète le personnel de la garde, détruit aussi essentiellement son organisation constitutive, car elle doit amener l'affaiblissement, pour ne pas dire la destruction des cadres.

Donc, si l'une opère à la fois l'anéantissement moral et l'anéantissement matériel de la garde, l'autre, à coup sûr, détruit toute la force morale d'une bonne organisation ; c'est ce que je dois chercher à démontrer à la chambre.

J'ajouterai, messieurs, une troisième considération, et celle-ci surtout, je l'espère, ralliera la grande majorité de cette assemblée. Je démontrerai que l'une et l'autre propositions sont complètement inutiles, au point de vue de ceux-là mêmes qui viennent faire affluer dans cette enceinte leurs doléances sous forme de pétitions plus ou moins exagérées ; complètement inutiles, parce que, sous le régime actuel, la loi arme suffisamment le gouvernement des moyens propres à adoucir, dans des limites raisonnables, le service de la garde civique, à le rendre supportable aux citoyens.

Messieurs, permettez-moi, car il est bon quelquefois de faire appel aux souvenirs de l'époque à laquelle remontent les institutions qu'on attaque ; permettez-moi de faire quelques réflexions sur le caractère même de cette institution, sur les sentiments qui animaient les hommes qui nous ont dotés de cette loi, loi qu'on peut qualifier de bonne, parce qu'elle a produit d'heureux effets ; parce que l'expérience de tous les jours démontre encore que c'est là ce que vous avez fait de mieux en matière d'institutions qui organisent la force publique à l'intérieur da pays.

L'honorable rapporteur de la section centrale, dans son travail, remarquable à plus d'un titre, reconnaît franchement que la garde civique est une institution constitutionnelle, nationale par excellence, que son origine est communale et qu'elle est destinée surtout à protéger les intérêts communaux.

Messieurs, un mot sur chacun de ces caractères.

(page 1019) Si l’institution est constitutionnelle, et personne ne peut en douter, cela doit nous avertir au moins qu'il n'est pas permis de porter légèrement la main sur l'organisation que cette institution a reçue de vous-mêmes.

Si elle est nationale, c'est assez dire que, par son importance, elle est destinée à protéger toutes nos institutions, et qu'il faut, encore une fois, sous ce rapport, y regarder souvent avant d'y introduire des éléments de désorganisation.

Mais j'admets qu'elle est surtout communale, qu'elle est destinée à protéger tous les intérêts des communes, et sous ce rapport il n'est aucun de vous qui ne dise avec le gouvernement qu'il est de la plus haute importance de ne pas affaiblir le ressort d'une bonne organisation, parce qu'il touche aux plus chers intérêts des communes.

Pour n'en citer qu'un exemple, rappelez-vous ce qui est arrivé dans ces années néfastes où les communes ont eu à subir les conséquences d'événements déplorables dont elles payent encore aujourd'hui les charges ; rappelez-vous que ces événements sont arrivés à une époque où vous n'aviez pas une force publique bien organisée à l'intérieur du pays. Cela est incontestable.

Et c'est précisément parce que cela est incontestable qu'à plusieurs époque, depuis 1839$, et de tous les bancs de cette chambre, sont parties des réclamations, pour qu'enfin le gouvernement présentât une loi capable de satisfaire à toutes les exigences du service intérieur, capable d'empêcher le retour de ces événements déplorables qu'on aurait voulu effacer de l'histoire de la Belgique.

C'est alors que l'honorable comte de Theux disait avec l'accent du patriotisme que le gouvernement présenterait bientôt une loi ; que le gouvernement était le premier à désirer cette loi ; que le gouvernement n'avait pas peur de la garde civique ; qu'il voulait une garde civique forte, bien organisée ; qu'il voulait une loi qui atteignît autant que possible tous les citoyens.

C'est alors que l'honorable comte de Muelenaere faisait entendre un langage non moins patriotique ; c'était en 1840, en 1841 et en 1845 que les organes des deux opinions qui divisaient cette chambre s'exprimaient avec le même patriotisme et avec le même sentiment de légitime impatience, pour obtenir enfin que les bases d'une loi définitive fussent posées par le parlement.

Voulez-vous savoir comment, en 1848, alors que le danger était partout et qu'on ne délibérait pas sur quelques exercices de plus ou de moins, voulez-vous savoir, c'est de l'histoire, mais il est bon de la rappeler à ceux qui pourraient l'oublier, voulez-vous savoir comment sur tous les bancs on réclamait une loi d'organisation de la garde civique ; écoutez :

Voici comment s'exprimait la section centrale dans le rapport sur la loi de 1848 :

« La section centrale chargée de l'examen du projet de loi concernant la révision générale des lois sur la garde civique s'est vue dans la nécessité de hâter ses travaux : pressée par la force des choses, qui appelle d'urgence une institution érigée en principe par l'article 122 de la Constitution, elle a voulu satisfaire à l'opinion publique qui attend une prompte décision législative ; car déjà, dans plusieurs localités, et notamment à Liège, le retard mis à l'examen de la loi a déterminé la reconstitution de la garde civique d'après les anciennes bases.

« L'institution de la garde civique, dont le pays a retiré une si grande utilité dans les moments les plus difficiles, contient tous les caractères d'un besoin social sur l'importance duquel il n'est plus permis de se méprendre, soit qu'on considère cette institution comme un moyen de conserver l'ordre, soit qu'on l'envisage comme propre à concourir au maintien des principes inscrits dans notre pacte fondamental, et à servir d'auxiliaire à l'armée pour la défense du territoire. »

Elle continue en es termes :

« Puisque la garde cirique présente le caractère d'une nécessité sociale et constitutionnelle, certes son existence ne peut plus être mise en question.

« Mais il faut régler les conditions de durée et de succès de cette institution, en écarter les abus, et y introduire les réformes, dont l'expérience et l'esprit du temps signalent l'indispensable besoin. Efforçons-nous d'empêcher qu'en temps ordinaire, elle ne s'impose comme une charge par trop lourde, de crainte qu'une partie des citoyens ne cherchent à se soustraire à un service réclamé du patriotisme de tous, pendant que d'autres mus par un sentiment de prévoyance ou par des goûts militaires ne cesseraient de montrer un zèle digne d'éloges.

« Pour éviter que le service de la garde civique ne soit une corvée par trop désagréable, il faut exiger d'elle le moins possible en temps ordinaire, afin de compter sur elle plus sûrement dans les circonstances difficiles : suivant ces principes, la loi d'organisation ne doit pas être tracassière, et l'instruction doit être donnée de manière à ne pas trop gêner les citoyens : cependant il faut les rendre aptet au service que le pays attend d'eux.

« Le citoyen incorporé dans la garde civique doit connaître passablement l'exercice.

« C'est dans cet esprit qu'à été rédigé l'article 83. »

Le rapport contient encore les passages suivants :

« Gardons-nous de nous trouver en présence d'événements difficiles, avec le regret d'avoir méconuu l'utilité d'une garde civique bien organisée.

« Combien ne doit-on pas applaudir à la sage prévoyance des villes où elle s'est maintenue de manière à se constituer le plus tôt et le mieux possible. Dans ces villes la présence de la garde civique a le plus souvent réussi à réprimer les troubles…

« Mettons les villes de Belgique en mesure de ne pas regretter dans des circonstances graves l'absence d'une garde civique bien organisée. Nous savons à quels maux peut conduire l'imprévoyance. »

Le rapport conclut en proposant l'adoption des mesures qui ont passé dans la loi du 8 mai 1848.

Alors, messieurs, vous le savez, tout le monde réclamait à grands cris une bonne loi sur la garde civique. Le gouvernement la proposa, les chambres l'adoptèrent, et l'opinion unanime du pays applaudit aux efforts que vous veniez de faire pour doter le pays d'une bonne loi d'organisation du la force publique intérieure. C'était le moment du danger ; la mémoire n'avait pas encore failli à quelques-uns de ceux qui réclament aujourd'hui des réformes. Enfin la loi fut votée à l'unanimité des 84 membres présents.

Je suis heureux qu'il se trouve encore dans cette enceinte un grand nombre des membres qui ont pris part à ce vote solennel et unanime.

La loi eut le même sort au sénat : même entraînement, même patriotisme, même unanimité. Cette loi que vous avez votée alors aux applaudissements du pays, consacre-t elle ces prétendues monstruosités contre lesquelles on veut exciter votre colère, contre lesquelles on réclame comme si c'était une charge intolérable pour les citoyens ?

En présence du danger on ne marchande jamais les sacrifices d'hommes et d'argent ; mais malheureusement l'homme est ainsi fait, le danger passé, il cherche à démolir l'œuvre de la veille.

Enfin nous sommes arrivés à 1853 ; le danger, dit-on, est passé ; nous n'avons plus à nous préoccuper de ces événements qni, en 1848, rendaient tout le monde attentif, et provoquaient le gouvernement et les chambres à adopter des mesures d'urgence.

Cependant, sans vouloir charger l'horizon de nuages, est-il possible de dire que nous soyons dans un état de quiétude tel qu'il ne faille plus prendre aucune précaution ? Je ne viens pas parler des dangers du dehors (ce sera l'affaire d'une autre discussion), mais pour maintenir au-dedans une situation calme et digne ? Les circonstances ne sont-elles plus impérieuses ?

Le seront-elles moins par la suite qu'en 1848 ? Nous voyons que partout, dans toutes les parties de l'Europe, on prend des précautions dans un but de paix, je le sais bien, non seulement contre tout danger extérieur, mais pour garantir le gouvernement et la tranquillité des communes de ces dangers qui n'ont été que trop réels, il y a quelques années. Et ce serait dans de telles circonstances que la Belgique, oublieuse du passé, viendrait sacrifier à l'instant même celle de ses institutions qui a agi le plus puissamment sur l'esprit public, et qui, sans entraîner de lourdes charges, a produit d'excellents résultats dans tout le pays ? Je ne le pense pas.

Cependant il faut examiner à fond les propositions qui vous sont soumises. Nous allons procéder à cet examen. Mais avant de les discuter permettez-moi un mot sur le régime établi par la loi de 1848. Cet aperçu vous permettra d'apprécier ce qu'il y a de vrai, de sérieux dans les plaintes qu'on a fait entendre.

Le principe fondamental de la loi c'est que tout citoyen belge, de 21 à 50 ans, c'est-à-dire tout citoyen en état de servir, fait partie de la garde civique. C'est là un des beaux caractères de la loi de 1848, c'est qu'il n'y a aucune exception. En d'autres termes, c'est l'exclusion du privilège. Sous ce rapport, il ne peut s'élever aucune voix pour la blâmer. Cette loi a donc établi une base unique, laissant à d'autres temps le soin d'organiser la partie mobile de la garde. La garde civique n'a qu'un ban qui comprend tous les citoyens de 21 à 50 ans.

La loi a divisé la garde en deux catégories : l'une active dans toutes les communes dont la population excède 3,000 habitants, l'autre inactive dans les communes où le chiffre de la population est inférieur à 3,000 habitants. La loi, dans son article 24, établit pour tous ceux qui sont inscrits, deux contrôles : l'un du service ordinaire, l'autre dit de réserve.

Voici quelles sont, quant à la force numérique, les conséquences de ce principe dans les principales localités. Je ne vous citerai que quelques faits qui vous feront apprécier la force actuelle de la garde et à quelles proportions on veut la réduire.

Ainsi l'effectif est à Bruxelles de 5,072 gardes, à Gand de 3.189, à Liège de 2,730, ainsi de suite.

Voyons quelles seraient sur l'effectif de la garde les conséquences de la proposition de l'honorable M. Landeloos. L'effectif serait réduit :

A Bruxelles à 921 hommes, à Anvers 713, à Louvain 232, à Verviers 158, et ainsi de suite.

N'est-il pas vrai qu'en présence de résultats de cette nature il vaudrait autant proposer la suppression de la garde civique ?

M. de Man d'Attenrode. - Mais ces chiffres sont-ils exacts ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ils sont officiels et ils ont été soumis au double contrôle des chefs de la garde et des autorités communales. Je ne connais pas, quant à moi, d'élément d'appréciation plus concluant.

Il y a, du reste, dans la proposition qui est soumise à la chambre et dans ses développements un caractère auquel je rends hommage : c'est la (page 1020) netteté du but, c'est la franchise que l'on a mise à l'exposer. Ce qu'on veut, c'est la destruction de la garde civique.

Cette proposition, je dois le dire, n'a pas reçu l'assentiment de la section centrale. C'est un hommage que je dois lui rendre à son tour.

Elle a reculé devant le résultat effrayant auquel nous arriverions si elle était adoptée. En définitive, que propose l'honorable M. Landeloos, indépendamment des résultats en chiffres que je viens de faire connaître ? La consécration d'un privilège inique qui aurait pour conséquence de faire peser une charge sur quelques citoyens, au profit du plus grand nombre. Ce n'est pas dans un pays comme le nôtre qu'on doit poursuivre de tels résultats. La section centrale a donc repoussé la proposition de M. Landeloos ; elle y a substitué une autre proposition à laquelle le gouvernement ne peut se rallier davantage.

La proposition de la section centrale tend à affranchir de l'obligation des exercices les hommes qui ont atteint (on a probablement voulu dire qui ont accompli) leur 35ème année.

Ainsi, tous les hommes qui auraient atteint leur 35ème année, suivant la section centrale, seraient affranchis de plein droit de l'obligation des exercices. C'est, en d'autres termes, messieurs, ramener la garde civique à Bruxelles, à un effectif de 1,994 hommes, à Anvers de 1,289, à Liège de 1,002, à Verviers de 256, à Louvain de 568 hommes.

Cette proposition est une transaction avec les pétitionnaires. On l'a dit franchement aussi ; on a voulu faire une concession. Obsédé comme on l'était, embarrassé de ces pétitions, qui en définitive ne sont pas si pesantes à porter, on s'est dit : Il faut faire quelque chose. Eh bien ! sacrifions une partie de la garde civique. Ramenons le service actif aux hommes qui n'ont pas atteint leur 35ème année, et quant à tous les autres, nous leur donnerons leur congé provisoire. Je pourrais ajouter, pour compléter le système de la section centrale, leur congé définitif. Car en introduisant ce système, il n'y aurait plus, pour tous les hommes qui sont dépassé 35 ans, de garde civique.

M. de Man d'Attenrode. - Il ne s'agit pas de cela du tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il s'agit bien de cela, et je vais le prouver, permettez que je complète mon exposé, et vous verrez que c'est en définitive le licenciement de tous les hommes âgés de 35 ans, et comme conséquence l'anéantissement moral de la garde civique pour tous ceux qui n'ont pas 35 ans.

M. de Man d'Attenrode. - C'est vous qui faites amener ce résultat.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est moi qui fais amener ce résultat : c'est une erreur ; je n'indique les résultats que d'après le travail qui a été fait sur la décomposition des chiffres. Ce résultat ne peut faillir, parce que les chiffres ne mentent pas, et que les documents officiels ne mentent pas davantage.

Ainsi, la base du système de la section centrale, c'est l'exemption légale accordée à tous les hommes âgés de plus de 35 ans, d'assister aux exercices ; c'est-à-dire qu'on enlève à la garde civique ses éléments de force les plus considérables ; on lui enlève à la fois et sa force personnelle et sa force morale. Sa force personnelle, parce qu'encore une fois ramenée à des proportions cemme celles qui sont constatées par les chiffres officiels, ce n'est plus qu'une garde déconsidérée ; sa force morale, parce que quand vous aurez enlevé à cette institution qui doit se recommander surtout, de la part de ceux qui en font partie, par la maturité de l'âge, par la raison, par tout ce que l'âge peut apporter de valeur à une institution nationale, vous aurez détruit sa force morale. Et je vous dirai tantôt comment vous détruirez les cadres. Car les cadres sont complètement sacrifiés dans le système de la section centrale ; ils ne figureront plus que pour mémoire ; et ceci nous ramène à ces temps de triste souvenir où la garde civique était une institution sur le papier et où on lui faisait de vains appels, lorsque le moment du danger était arrivé.

Ainsi, messieurs, il faut tenir pour certain que, dans le système de la section centrale, vous n'aurez plus, après l'âge de 35 ans, que des hommes qui ne connaîtront pas l'exercice, puisqu'ils ne devront plus en faire aucun.

Messieurs, je le demande, affranchir de plein droit de tout exercice les hommes qui ont atteint l'âge de 35 ans, n'est-ce pas en réalité licencier cette partie de la garde ? Que peut-on attendre de celui qui n'est pas habitué au maniement d'armes ? Car les gardes eux mêmes qui ont fait jusqu'à trente-cinq ans douze exercices par an, et jamais il n'y en a douze, sont-ils dans un état d'instruction tel qu'ils n'aient plus rien à conserver ni à apprendre ? Evidemment les exercices qu'on ne répète pas de temps en temps, sont des exercices perdus, des exercices sans fruit.

Dès lors, ces hommes qui, plus tard, après l'âge de 35 ans, pourraient, suivant la section centrale, être appelés, soit pour les revues, soit pour les inspections d'armes, soit dans des circonstances extraordinaires, à faire un service général, quelle garantie offriraient-ils, privés de toute instruction comme ils le seraient, s'ils n'étaient plus rappelés à faire de temps en temps l'exercice ? Que veut-on faire, je le demande, avec de semblables éléments ?

Les conséquences du projet de la section centrale sur la force de la garde civique sont donc faciles à saisir ; ia statistique nous les révèle. Vous avez vu que son effectif serait amoindri dans des proportions telles qu'elle deviendrait réellement incapable d'accomplir les obligations qui lui sont imposées.

Sous le rapport de l'effectif, je viens de dire, messieurs, qu'il y aurait un amoindrissement immense de la force numérique. Dans telle localité de plus de moitié, dans d'autres localités des deux tiers.

L'affaiblissement moral, je vous l'ai fait apercevoir, résultera principalement de ce qu'on enlève à la garde ceux qui doivent y porter la valeur la plus considérable par la maturité de l'âge, par les positions sociales qui rarement sont faites dans notre pays avant l'âge de 35 ans ; enfin, c'est dire qu'on enlèverait à la garde civique la plus grande partie de ses éléments d'ordre et de sécurité.

On a essayé de répondre à cette observation qui est capitale, selon moi, en disant que, dans le système de la section centrale, la garde civique n'est pas licenciée pour une grande partie de son effectif, comme dans la proposition de l'honorable M. Landeloos. En effet, la section centrale ne donne qu'un congé provisoire, dit-on, aux hommes qui ont atteint l'âge de 35 ans. Ces hommes ne sont pas entièrement perdus pour l'effectif général, quand, par exemple, on voudra ordonner une revue, quand il y aura une prise d'armes pour l'inspection des armes, ou enfin dans les circonstances extraordinaires.

Messieurs, cela est vrai, ils ne sont pas perdus nominalement ; ils restent sur les contrôles ; mais où sont leurs éléments d'organisation, où sont leurs cadres qui, comme je vais le démontrer, auront disparu entièrement ? Où sont les éléments d'instruction de cette fraction considérable de la garde civique qui dépasse 35 ans ? L'instruction, elle, se sera évanouie avec la dispense de toute espèce d'exercice.

Quant aux cadres il est temps d'en dire un mot.

Les cadres sont aujourd'hui recrutés, pour les deux tiers, dans cette catégorie de gardes qui ont dépassé l'âge de 35 ans. C'est encore ici de la statistique ; et ceci est le résultat de l'élection libre des gardes. Les cadres sont choisis librement par les gardes dans la catégorie des hommes qui ont dépassé 35 ans, et la raison en est fort simple ; il ne faut pas la chercher bien loin pour la trouver.

On aime à montrer quelque déférenee à ceux que l'âge recommande à l'attention, et les hommes qui ont atteint trente et quarante ans préfèrent recevoir le commandement par la bouche d'un homme d'un âge semblable au leur. C'est ce qui explique que les jeunes gens n'entrent dans la composition des cadres que dans la proportion d'un tiers.

Voilà pour la force morale qui résulte de l'âge.

Si vous exemptez, de plein droit, des exercices les hommes qui ont atteint leur trente-cinquième année, qu'en résultera-t-il ? J'ai eu l'honneur de le dire à la section centrale, les cadres seront désertés. Et pourquoi ?

Par une raison bien simple, c'est que quand on aura aperçu la possibilité de se faire exempter de toute espèce d'exercice obligatoire à l'âge de 35 ans, eh bien, les cadres qui ont un service à faire, et qui ne le font pas, quoi que vous en pensiez, avec plus de joie que les simples gardes, ces cadres, apercevant dans la loi des motifs suffisants de se retirer, ces cadres donneront leur démission. Rien n'est plus simple que cela, la démission des officiers et sous-officiers qui ont atteint leur 35ème année sera la conséquence nécessaire de l'exemption accordée aux gardes de cette catégorie.

On a répondu à cela que l'on choisira des hommes jeunes. D'abord, messieurs, les gardes devront être convaincus qu'en choisissant des hommes plus jeunes, ils font une chose utile, c'est leur affaire ; mais l'expérience prouve que ce n'est pas là qu'on cherche les garanties morales et que, par conséquent, vous n'obtiendrez pas le résultat que vous espérez de la formation de cadres jeunes.

On a cru, messieurs, répondre encore à l'objection tirée de la possibilité que les cadres soient désertés, en disant que, dans le système actuel, nous sommes en présence des mêmes difficultés et que cependant les cadres ne sont pas abandonnés.

Voici comment on raisonne et comment, sans doute, l'honorable rapporteur de la section centrale raisonnera quand il défendra sa proposition : dans le système actuel, les exercices sont obligatoires au nombre de douze, au minimum, mais l'art. 83 permet à tout garde, suffisamment instruit, de se faire exempter des exercices. Or, ajoute-t-on, si aujourd'hui, avec la faculté de se faire exempter quand ils savent l'exercice, les cadres n'abandonnent pas leur position, si les officiers restent dans les cadres, attachés au grade qui leur a été conféré, pourquoi voulez-vous que lorsque la loi aura décrété d'une manière générale ce qui n'est aujourd'hui qu'une pure facullé, pourquoi voulez-vous que les cadres abandonnent davantage leur grade ?

Au premier abord, cette objection paraît sérieuse, car il ne s'agit, en définitive, dit-on, que de faire décréter par la loi ce qui existe aujourd'hui d'une manière facultative ; mais remarquez bien, messieurs, que la faculté de se faire exempter des exercices est une faculté annuelle ; on n'est jamais exempté que pour un an. La loi sur la garde civique permet aux chefs de la garde, de s'assurer tous les ans si les gardes qui ont été exemptés possèdent encore les qualités nécessaires pour bien manier les armes ; et ceci ce n'est pas le cas de vexations, comme on pourrait le supposer, c'est tout simplement le cas d'une vérification, c'est le cas d'un seul exercice pendant lequel on s'assure immédiatement si les gardes qui ont été exemptés ont conservé l’habitude du maniement des armes. Eh bien, aussitôt cette vérification faite, l'exemption est renouvelée pour un an.

Dans ce système on conserve la possibililé de rappeler tous les ans, au moins une fois, les gardes à l'exercice ; et quand les chefs trouvent que des exercices plus fréquents sont nécessaires, ils peuvent les (page 1021) prescrire pourvu qu'ils ne dépassent pas les limites de la loi. Voilà, messieurs, en quoi le système actuel diffère de celui que veut introduire la section centrale. Dans le système de la section centrale, on ne pourrait plus jamais appeler aux exercices les hommes qui ont atteint 35 ans. Or, messieurs, je le demande, est-ce que de 35 ans jusqu'à 50 ans, âge légal pour être rayé des contrôles, on n'est pas exposé à oublier le maniement des armes ? Evidemment, il n'y a pas deux réponses à faire à cette question.

Dans le système de la section centrale, toutes les garanties d'instruction disparaissent, tandis que dans le système actuel on conserve ces garanties.

Messieurs, dans le système de la section centrale comme dans le système de l'honorable M. Landeloos, la garde civique est donc amoindrie dans une proportion telle que, je le répète,il vaudrait mieux prononcer sa dissolution que de conserver un pareil simulacre de garde civique.

Comment arrive-t-on cependant à colorer les résultats devant lesquels on ne s’est pas arrêté ? Lisez le rapport, messieurs, et dans ses aperçus historiques, vous verrez que le rôle de la garde civique y est représenté comme ayant perdu aujourd’hui un grande partie de son importance, et pourquoi ? pour une raison toute simple, dit-on : la commune elle-même a perdu de son importance ; ce ne sont plus, comme autrefois, ces communes puissantes qui avaient à entretenir des milices et à les envoyer même sur le champ de bataille.

Nous avons d'ailleurs, ajoute-t-on, une armée et elle nous coûte fort cher ; c'est bien le moins qu'on fasse une séparation complète entre les devoirs de l'armée et les devoirs de la garde civique. L'esprit militaire, dit-on encore, est du reste diminué.

Messieurs, le rôle des communes n'est pas, selon moi, diminué en Belgique : les communes ont maintenant d'autres soins, d'autres intérêts à protéger, mais elles veillent comme les citoyens, d'abord au maintien de nos institutions constitutionnelles, et l'expérience a prouvé assez, en Belgique, que, sous ce rapport, les communes savent remplir leurs devoirs, quand il y a quelque avertissement salutaire à donner soit au gouvernement, soit aux chambres.

Nous avons une armée, dit-on, elle nous coûte assez cher. Je rends dommage, comme la seciion centrale, aux sentiments patriotiques qui animent notre brave armée, et j'espère que la chambre, à son tour, ne tardera pas à prouver à la Belgique que quand il s'agit des grands intérêts de l'Etat on ne marchande chez nous ni sur les hommes ni sur l'argent.

Mais enfin l'armée n'a rien à voir dans les devoirs de la garde civique. La garde civique a une autre mission à remplir, elle doit protéger non seulement les institutions mais l'ordre intérieur ; et sous ce rapport, il est impossible qu'on ne soit pas pénétré parmi nous de la haute importance de la mission qui est confiée à la garde civique. Qu'on songe aux grands intérêts qu'elle a à protéger dans nos communes ! C'est tantôt le foyer domestique, ce sont tantôt nos libertés, ce sont les intérêts financiers de la commune, et il est impossible de songer sérieusement à contester que l'importance de nos communes et par suite l'importance de la garde civique ne soient aussi considérables qu'elle l’a jamais été en Belgique.

Mais, dit-on, l’industrie, le travail réclament tous les bras ; il n'est pas possible de généraliser parmi nous le régime militaire ; il faut laisser à l'armée le soin de défendre le pavs, et laisser aux citoyens en général le soin de vaquer à leurs affaires.

Messieurs, il est malheureux pour ceux qui parlent du travail, de l'industrie et des nécessités qu'elle amène, des soins qu’elle exige de tous les citoyens, qu'ils se trouvent précisément dans cette discussion en présence d'une catégorie de pétitions qui sont venues des villes où le travail est le plus abondant et où il est peut-être le plus honoré.

Puisqu'on parle du travail industriel, voyez ce qui se passe à Verviers, à Liège ; c'est dans ces villes qu'on vous supplie de conserver la loi.

M. Rogier. - Et Gand aussi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je n'ai cité que ces deux villes, mais il y en a d'autres qui ont demandé avec instance le maintien de l'organisation actuelle de la garde civique ; eh bien, c'est de ces villes qu'est parti le cri de conserver à la Belgique le maintien de cette organisation : ; et à coup sûr dans ces villes où l’on se connaît en patriotisme, on connaît l'importance du travail. Tout à l'heure j'aurai occasion de démontrer que l'exécution donnée à la loi sur la garde civique ne peut gêner, sous aucun rapport, ni le travail individuel, ni aucune des facultés que l'homme aime à exercer librement.

Messieurs, toutes les pétitions que vous avez reçues contre l'institution de la garde civique émanent de quelques esprits chagrins, sont l'œuvre de ces hommes que ne savent s'imposer aucun sacrifice ; d'autres ont été abusés, entraînés par un mauvais exemple ; d'autres peut-être encore ont cherché à saisir cette occasion de jeter une sorte de défaveur sur les institutions du pays ; en un mot, toutes ces réclamations sont une véritable exagération, comme la chambre en sera convaincue quand je lui ferai connaître ce que la loi exige des gardes et ce que le gouvernement leur demande.

Messieurs, on a dit que la garde civique devait être séparée de l'armée. Je suis le premier à le reconnaître : à chacun sa mission. Mais cela veut-il dire que jamais la garde civique ne pourra être appelée à appuyer les opérations de l'armée, à faire, par exemple, le service dans quelques forteresses ? Evidemment non.

Eh bien, c'est ce double but que la loi de 1848 a eu en vue, lorsqu'elle a voulu que tous les hommes, de 21 à 50 ans, fussent entretenus dans l'habitude des exercices militaires...

M. de Man d'Attenrode. - Alors nos 100.000 hommes sont inutiles.

- M. Vilain XIIII remplace M. Delfosse au fauteuil.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ils ne sont pas inutiles ; il y a plus ; les 100,000 hommes ne suffiraient pas dans certaines circonstances données, pour que l'armée pût seule accomplir toutes les obligations qui lui sont imposées.

Le double but que la loi de 1848 s'est proposé a-t-il été atteint ? Les gardes ont-ils concouru d'une manière efficace au maintien de l'ordre ? Personne ne peut en douter ; la loi a produit les résultats qu'on s'en était promis. Le temps fera le reste. Permettez à cette loi de vivre un peu. Est-il raisonnable de venir après quatre ans demander une réforme aussi radicale ?

J'arrive aux prétendus abus ; si je parviens à démontrer que ces abus sont le fruit d'une imagination tracassière ou maladive, que la loi sur la garde civique a été, au contraire, exécutée de la manière la plus douce, la plupart d'entre vous, messieurs, diront sans doute avec moi : « Que les choses marchent comme elles ont marché ; faisons justice une bonne fois de cet esprit de révision qui s'acharne tantôt sur une institution, tantôt sur une autre ; maintenons à la garde civique son caractère, pour ne pas désorganiser les diverses parties dont se compose la force publique. »

Voyons donc les obligations que la loi impose aux gardes. Ces obligations sont renfermées dans trois articles : 12 exercices par an, deux revues annuelles (on a fait grâce de ces revues), et enfin deux inspections d'armes. Voilà le régime de fer que la loi fait peser sur nos populations !

Voyons comment le gouvernement procède dans l'exécution d'une loi qui impose des obligations si légères. Car enfin, soyons de bonne foi, n'exagérons rien ; je suppose qu'il y ait douze exercices par an ; eh bien quel est celui d'entre vous qui, pour accomplir un devoir civique, ne peut douze fois par an consacrer deux heures de son temps à s'exercer au maniement d'armes ? Cette observation seule prouve que l'une des considérations que l'honorable rapporteur de la section centrale a fait valoir, à savoir que le travail national était gêné par ces exercices trop fréquents, n'a aucune valeur.

Est-ce que, par exemple, l'ouvrier fréquente son atelier le dimanche ? (Interruption.)

D'ailleurs, l'ouvrier, comme on me le fait remarquer, est presque exempt partout ; mais enfin les chefs d'atelier, les marchands, ceux qui sont à la tête d'un établissement, quelque modeste qu'il soit, ne peuvent-ils pas, douze fois par an, consacrer deux heures le dimanche, aux exercices qui sont demandés ?

- Un membre. - Ces exercices durent quatre ou cinq heures.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est un abus ; deux heures, voilà le régime ordinaire.

Voyons maintenant comment le gouvernement a fait procéder à l'exécution de l'article 83 qui prescrit au moins douze exercices par an, de cet article qui est la cause de tant d'orages.

D'après les instructions émanées du département de l'intérieur et qui reçoivent leur exécution, on doit s’assurer si les hommes qui composent la garde civique sont suffisamment exercés ; et pour ne pas les fatiguer inutilement, on les divise en trois classes, la première comprenant les gardes complétement étrangers au maniement d'armes ; la seconde, ceux qui ont une instruction moyenne ; la troisième ceux qui sont suffisamment instruits.

Quant à ceux qui sont réputés suffisamment insctruits, on ne leur demande rien ; on ne leur demande plus d’exercice ; on les appelle une fois par an pour s’assurer qu’ils n’ont pas oublié, c’est ce qu’on demande à tout le monde.

Quant aux deux autres classes, vous pouvez voir avec quelle sobriété les chefs des gardes ont fait usage du droit qu’ils tiennent de la loi. Dans aucune circonstance les chefs de la garde ne dépassent le nombre d’exercices fixé par l’article 83, le nombre de douze exercices.

Je me trompe, il y a une ville dans laquelle on a demandé que les exercices fussent plus fréquents ; on a eu là jusqu'à 24 exercices par an. Pourquoi ? Afin de donner à la garde une organisation plus solide, et une instruction suffisante pour qu'elle ne fût pas une occasion de risée quand elle se montre en public. Cette ville est une ville de travail, c’est la ville de Verviers et de son sein n’est partie aucune de ces plaintes exagérées qui viennent occuper vos séances et dont j’espère que vous ferez justice.

J'aime à rendre hommage au patriotisme de la ville de Verviers ; elle a compris dans cette circonstance, comme toujours, les véritables intérêts du pays, et elle ne recule pas devant l'accomplissement d'un devoir aussi léger que celui qui résulte du service de la garde civique.

Dans une autre localité, il y a eu jusqu'à 30 exercices dans un an, les gardes ont demandé à leurs chefs de les exercer d'une manière plus complète, afin qu'ils pussent... (Interruption), (c'est un genre de patrotisme qui ne va pas à tous les tempéraments) pour arriver promptement à un état d'instruction tel, qu'ils puissent se montrer convenablement et faire au besoin leur devoir. Voilà ce qui s'est passé.

(page 1022) Voilà donc pour les exercices. Je ne crois pas devoir insister davantage sur ce point, les tableaux officiels sont là qui confirmant mes assertions.

Quant aux revues, le gouvernement a-t-il abusé des pouvoirs que lui donne la loi ? Deux revues sont autorisées ; à Bruxelles, où le zèle ne manque jamais dans la garde, où les revues sont dans le goût de la population, elles n'ont pas eu lieu tous les ans deux fois : quand les circonstances l'exigent, on fait appel au patriotisme des gardes, et jamais ils n'ont articulé une plainte.

Quant aux inspections d'armes, ceci est plus sérieux ; j'ai lieu de m'étonner que la section centrale n'ait pas maintenu les principes de la loi. Il s'agit ici d'argent, de conservation d'un matériel appartenant à l'Etat.

La section centrale qui veille avec tant de soin à tout ce qui intéresse le trésor a dû comprendre que les inspections d'armes étaient commandées par la nécessité de s’assurer si les gardes ne compromettaient pas le sort des armes qui leur étaient confiées, de s'assurer si les intérêts de l'Etat étaient sauvegardés ; cependant elle n'a pas cru devoir maintenir les deux inspections qui, dars l'opinion de ceux qui connaissent ces matières, sont la garantie nécessaire que toutes les armes sont maintenues en bon état.

Deux inspections par an, sont-ce là des vexations, des mesures intolérables, des mesures auxquelles la Belgique ne saurait s'accoutumer ? Il faut pousser l’hyperbole à ses dernières limites pour présenter des considérations de cette nature, et ne pas s'arrêter devant les conséquences infaillibles qui doivent résulter de réformes telles que celle que nous combattons aujourd'hui.

Il vous est arrivé, dit-on, des pétitions nombreuses ; c'est le sentiment général du pays, l’on veut à tout prix des réformes dans la loi sur la garde civique.

J'entends dire : C'est vrai, je me permets d'en douter, et pour cela j'ai deux motifs, l'un c'est que je n'ai qu'une confiance limitée dans les plaintes qu'on fait entendre. L'autre c'est qu’il n'est pas raisonable de supposer qu'un pays recule devant des obligations aussi faibles que celles qui résultent de l'institution de la garde civique. On me dit qu'elle n'est pas nécessaire ! Je vous en demande pardon, elle est nécessaire ! Vous ne disiez pas cela en 1848 ; vous ne disiez pas cela quand l'agitation était dans nos communes. Alors cette loi n'a pas trouvé un seul contradicteur, 1848 n'est pas si loin de 1853, pour qu'on puisse se passer de veiller avec une sollicitude égale aux intérêts du pays...

- Un membre. - On avait promis une réduction de l'armée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - On n'a rien promis, vous n'avez rien imposé ; le devoir est de faire ce que l'intérêt de l'Etat exige. Le gouvernement propose. Il est heureux quand il obtient l'adhésion des chambres.

Que feriez-vous, certaines circonstances se produisant, si vous n'aviez pes cette garde civique que vous trouvez inutile ?

M. de Decker. - J'ai dit que les exercices étaient inutiles.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je viens de réduire ces plaintes à leur véritable valeur. En moyenne cinq à six exercices par an, voilà à quoi cela se réduit. (Interruption.) Ce n'est pas avec des dénégations qu'on répond, c'est en prouvant que les assertions du gouvernement sont erronées. J'ai la statistique en main, je puis prouver qu'il n'y en a eu que six à huit au maximum.

Est-ce là une charge devant laquelle vous deviez reculer, devant laquelle le patriotisme des Belges et de cette assemblée doive faiblir, au point de faire procéder au licenciement de la garde civique ? Je ne puis croire qu'on appelle cela sérieusement des vexations.

On invoque les pétitions : qu'est-ce que cette prétendue opinion publique dont on fait tant d'étalage ?

Il y a un certain nombre de pétitions que j'ai fait dépouiller : elles contiennent, pour toute la Belgique, 6,000 signatures. Et quelles signatures, s'il vous plaît ? Et comment les a-t-on obtenues ? Tantôt c'est une femme, un enfant qui signe, l'une pour son mari, l'autre pour son père, et quand, dans certaines villes, on s'est présenté auprès des pétitionnaires pour savoir pourquoi ils avaient réclamé, ils ont été fort étonnés d'apprendre qu'ils avaient réclamé, et ont dit qu'ils n'avaient pas signé.

Enfin, il y a des communes qui n'ont pas de garde civique active, et qui se plaignent de la fréquence des exercices.

Quand on sait comment les pétitions se font et se colportent, on doit, non pas compter les signatures, mais les peser ; et l'on se demande si elles se fondent sur des raisons quelque peu solides, ou si elles ne sont pas plutôt le résultat de cette agitation factice que la législature ne saurait trop condamner ; car en définitive vous représentez mieux le pays que les pétitionnaires plus ou moins riches qui s'adressent à vous.

Tout en parlant de la manière dont quelques signatures ont été obtenues, je n'entends pas, vous le comprenez bien, contester le droit sacré de pétition que je respecte autant que qui que ce soit ; mais si je respecte le droit, j'ai toujours blâmé l'abus, je le blâmerai toujours, parce qu'il ne peut obtenir de vous un assentiment raisonné.

Il y a d'ailleurs des pétitions dans tous les sens : il y en a de Namur, de Gand, de Bruxelles, de Veiriers pour le maintien de la loi sur la garde civique, et hier encore on en a analysé une en ce sens.

Si vous voulez être édifiés sur la valeur (car comme je le disais, il faut peser les pétitions et non les compter), lisez une de ces pétitions : celle de Liège ; lisez les considérations qu'elle fait valoir : alors peut-être arriverez-vous à comprendre que tout n'est pas mal dans l'organisation de la garde civique.

M. Malou. - Ce sent les officiers de la garde civique qui font ces pétitions-là.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je veux l'admettre : il me semble que les officiers qui ont la mission pénible de diriger les cadres, qui payent tous les jours de leur personne, ont le droit de donner un avis, et un avis très bien motivé sur les avantages de la loi actuelle, tout aussi bien au moins que les simples gardes qui sont de service douze fois par an.

La section centrale a proposé une mesure à laquelle le gouvernement peut se rallier, bien qu'elle soit parfaitement inutile. Aux termes de l'article 83 de la loi, il y a par an douze exercices obligatoires. En fait, c'est un maximum qui est bien rarement atteint. Mais la section centrale propose de dire expressément que ce nombre de douze exercices sera un maximum qui ne pourra ête dépassé que par une décision du collège des bourgmestre et échevins, prise de commun accord avec les chefs de la garde, lorsque, dans des circonstances extraordinaires, on jugera nécessaire que l'instruction de la garde soit portée à un plus haut degré. Quoique aucun abus n'ait justifié cette proposition, et qu'elle soit parfaitement inoffensive, je n'hésite pas à m'y rallier. J'irai plus loin : des instructions seront données pour mettre les gardes à l'abri de tout excès de zèle.

Le gouvernement, je le répète, est prêt à vous offrir son concours pour introduire dans les exercices, par des mesures administratives complètes, toutes les modifications, tous les adoucissements, tous les tempéraments imaginables ; de telle manière que sur aucun point du pays on ne fasse plus entendre une seule plainte qui ait une apparence de fondement quelconque.

Et si je prouve que les abus ne sauraient réellement se produire ; si je vous fais cette démonstration, ne devez-vous pas vous demander alors : A quoi bon ces deux propositions ? A quoi bon agiter le pays ?

Messieurs, je suis aux ordres de la chambre, si elle veut m'écouter aujourd'hui. J'en ai encore pour une demi-heure.

- Plusieurs membres. - A lundi.

M. le président. - Un amendement vient d'être déposé sur le bureau par M. de Perccval ; il tend à substituera l'âge de 21 à 50 ans, celui de 21 à 40 ans.

Cet amendement sera développé lundi.

Projet de loi érigeant la commune de Torgny

Rapport de la commission

M. Pierre. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi relatif à l'érection de la commune de Torgny.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

La séance est levée à 5 heures.