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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 11 avril 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1042) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de h dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Hausen demande que le sel brut soit expédié par le chemin de fer au tarif le plus bas. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des marchandises.


« Des habitants du hameau de Leval demandent que ce hameau soit séparé de Trahegnies et forme une commune distincte. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le bourgmestre et plusieurs habitants d'Evergem prient la chambre de voter les fonds nécessaires pour l'achèvement des canaux de Schipdonck et de Zelzaete. »

« Même demande de plusieurs habitants de Gand. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Pervyse demande que l'Etat reprenne l'administration de l'Yser et de la ligne de Plasschendaele à la frontière de France. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal d'Haringhe demande que l'Etat reprenne l'administration de l'Yser. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Ressegem demandent la révision de la loi sur l'entretien des indigents dans les hospices et dans les établissements de bienfaisance et présentent des observations contre le projet de loi sur le recrutement de l'armée. »

« Même demande des membres du conseil communal et du bureau de bienfaisance et d'autres habitants de Woubrechtegem. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée et à la commission des pétitions.


« Le sieur Serremhault demande que les artistes vétérinaires ne puissent tenir officine sans avoir justifié de connaissances pharmaceutiques suffisantes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le bourgmestre, des conseillers communaux et d'autres électeurs à Sombreffe demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

« Même demande d'électeurs à Alleur. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Wercken demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et qu'une partie de la contribution foncière payée par le fermier lui compte pour former le cens électoral. »

- Même renvoi.


« Des électeurs et d'autres habitants de Couckelaere demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, que chaque circonscription de 40,000 âmes nomme un représentant et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Wavre-Notre-Dame demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune, que chaque circonscription de 40,000 âmes nomme un représentant et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Même renvoi.


« Des électeurs de Ressegem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Grez-Doiceau demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune ou du moins au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Les habitants de Liège demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi sur la garde civique. »

« Même demande d'autres habitants de Liège. »

« Troisième demande semblable d'habitants de Liège. »

« Même demande d'habitants de Verviers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposion de loi modifiant la loi sur la garde civique.


« Quelques membres de la 4ème légion de la garde civique de Bruxelles demandent que la garde civique soit divisée en deux bans. »

- Même décision.


« Le bourgmestre, un échevin et des habitants d'Hansinelle demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande d'habitants de Lessines. »

« Même demande du conseil communal de Chièvres. »

- Renvoi à la commission des pétit'ons.


« M. Brixhe, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.


« Le sieur Hassert fait hommage à la chambre de 108 exemplaires d'une pièce de vers pour honorer le 18ème anniversaire de la naissance du duc de Brabant. »

- Distribution aux membres et dépota la bibliothèque.

Proposition de loi modifiant la loi sur la garde civique

Discussion générale

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je suis aux ordres de la chambre pour continuer mon discours, mais je me permettrai de lui soumettre une observation. La loi qui nous occupe est très importante ; un grand nombre de membres sont absents ; ne croyez-vous pas qu'il serait convenable, pour ne pas prolonger inutilement la discussion, de la remettre à demain ?

Vous savez ce qui se passe quand on parle en l'absence de membres dont on doit rencontrer les observations ; c'est à recommencer.

M. de Theux. - Nous n'avons pas eu de séance samedi ; si nous n'en avons pas aujourd'hui, nous n'en finirons pas ; les discours sont longs, beaucoup d'orateurs se feront entendre, tous les membres qui sont absents, sentant l'importance des observations que M. le ministre doit présenter, se feront un devoir de lire son discours dans le Moniteur.

- La chambre consultée ne renvoie pas la discussion à demain.

(page 1043) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot) - Messieurs, j'aurai peu d'explications à donner aujourd'hui à la chambre pour accomplir la tâche que j'ai dû m'imposer, et qui a dépassé les limites ordinaires d'une discussion. Mais, dans une matière aussi importante, il m'a fallu rencontrer beaucoup d'observations de détail et beaucoup de plaintes plus ou moins nettement formulées. La chambre excusera les développements dans lesquels je suis entré.

J'ai dû combattre les deux propositions qui vous sont soumises, l'une par M. Landeloos, l'autre par la section centrale. J'ai démontré par des chiffres que la première serait l'anéantissement réel et l'anéantissement moral de la garde civique ; et que la deuxième, celle de la section centrale, quoique laissant subsister un certain effectif, affaiblissait sérieusement le côté moral de cette institution.

Si j'ai, messieurs, apporté beaucoup d'insistance à repousser l'une et l'autre de ces deux propositions, il ne faut pas cependant en tirer cette conclusion que le gouvernement ne cherche pas à diminuer les charges dont il s'agit.

Le gouvernement ne demande qu'une chose : c'est que ces charges soient supportées dans la limite des devoirs qui incombent à tout, pour affermir l'ordre intérieur et pour maintenir intacte la loi organique.

Mais à côté de cette opinion, qu'il importe de ne pas affaiblir la loi sur la garde civique, se place la question de savoir s'il ne serait pas possible, par des moyens administratifs, d'apporter un soulagement aux charges dont je viens de parler. Est-il possible, oui ou non, de prendre des mesures qui fassent cesser, sinon toutes les plaintes, du moins la plus grande partie des plaintes qui se sont fait entendre dans cette enceinte ? C'est ce que nous allons examiner.

De quoi se plaint-on dans les pétitions ? Le grief que j'y ai rencontré, le seul qui soit saisissable, c'est celui qui résulte des exercices trop fréquents imposés aux gardes. On a dit que la garde civique ne pourrait jamais devenir une institution militaire, et que son rôle devait consister toujours à faire respecter l'ordre intérieur ; on a dit que, pour accomplir cette partie essentielle, à peu près la seule de sa tâche, il suffisait de donner aux gardes civiques une instruction ordinaire très limitée, n'exigeant pas, pour qu'on l'acquière, ces nombreux exercices qu'on est convenu d'appeler des corvées inutiles. Les exercices, dit-on, sont trop fréquents. La section propose d'en réduire le nombre à 12 maximum, et de dispenser de ces exercices les gardes qui ont atteint leur trente-cinquième année.

Pour ceux-ci, je conviens volontiers avec la section centrale qu'il est possible de leur accorder du soulagement. Je suis même plus large que la section centrale dans les concessions que l'on peut accorder. Non seulement je me contente, pour cette catégorie d'hommes qui font nécessairement partie de la garde, d'après la section centrale, du nombre maximum de 12 excercices ; mais, dans la plupart des cas, exécutant la loi, je n'atteins pas ce chiffre.

Je vais expliquer d'une manière bien nette la pensée qui préside à l'exécution de la loi sur ce point.

En général, les hommes qui ont passé un, deux ou trois ans dans la garde savent leur exercice, de même que ceux qui, dans une vingtaine de séances d'exercice, ont donné la preuve qu'ils connaissent le maniement des armes. Or, d'après les tableaux officiels qui sont en notre possession, il est constaté que, pour ces gardes, on n'atteint pas même le chiffre de douze exercices que la section centrale propose de conserver comme un maximum, mais que, dès à présent, le gouvernement pourra réduire ces exercices à un nombre infiniment moins considérable ; et à tous ceux qui, je le répète, ont passé, par exemple, une couple d'années dans les compagnies et qui sont réputés suffisamment exercés, on se contentera de ne demander à l'avenir qu'uu seul exercice pendant l'année, exercice qui sera destiné à servir de contrôle, de vérification, à prouver si les gardes n'ont pas perdu le mémoire des exercices ; si enfin ils continuent à vivre dans les conditions où ils se sont trouvés lorsqu'ils étaient assujettis à faire le premier travail du maniement d'armes en faisant, chaque année, les douze exercices requis par la loi.

Vous voyez, messieurs, qu'il est très facile de s'entendre avec ceux qui, sans vouloir porter atteinte à la loi organique, se bornent à dire que cette loi est exécutée dans des proportions trop considérables ; et qu'on impose aux citoyens des charges inutiles, alors qu'il ne s'agit que de les habituer à un maniement d'armes tel, que pour le maintien de l'ordre intérieur, le degré d'instruction qu'ils obtiennent soit réputé suffisant.

Je ne vais donc pas, messieurs, par les mesures administratives qui seront prises, aussi loin que le demande, ou qu'autorise à le faire, la proposition de la section centrale. Car, remarquez-le bien, par cette proposition on peut douze fois par an, à tous les hommes qui n'ont pas accompli leur trente-cinquième année, faire faire l'exercice.

En fait, messieurs, non seulement on n'a pas dépassé, dans les cas les plus ordinaires, vos proportions, à vous qui désirez l'adoption de la proposition de la section centrale ; mais on ne les a pas atteintes dans la plupart des circonstances. Pour l'avenir, je déclare formellement que ces proportions ne seront pas atteintes, parce que, à partir de la deuxième ou de la troisième année, en général, on pourra se borner à ne demander qu'un seul exercice aux hommes qui, parce qu'ils auront passé deux ans sous les armes, auront retenu les exercices nécessairement obligatoires pour savoir un peu le maniement des armes.

On fera donc mieux que ce qu'on ferait si, rigoureusement, on exécutait la proposition de la section centrale ; et les moyens d'exécution pratique sont très faciles à indiquer. Pour y parvenir on fera ce qui a déjà été exécuté dans beaucoup de localités, la répartition de tous les gardes inscrits en trois classes, les instruits, ceux qui ont l'instruction moyenne et ceux qui n'en ont pas ; et d'après ce que je viens de vous dire il n'y aurait plus, par année, qu'un seul exercice dans la plupart des circonstances.

Ainsi, sur ce point, vous voyez que lorsqu'on ne veut absolument que des facilités dans la pratique, il est très aisé de s'entendre avec le gouvernement, et que, lorsque nous défendons un principe, c'est parce que nous le croyons intimement lié à l'existence de la loi. Mais à l'instant même nous faisons à ce principe telles concessions que les convenances des habitants, je le reconnais, peuvent raisonnablement réclamer.

Voilà pour le premier et le plus important des griefs qu'on a articulés contre la manière dont la loi sur la garde civique a été exécutée.

En second lieu, on s'est plaint d'une manière assez amère de la durée trop prolongée des exercices. On a dit que les exercices se prolongeaient, d'après le caprice des chefs et qu'on tenait les gardes sous les armes, non seulement deux heures, mais trois, mais quatre, on a même ajouté cinq heures.

Eh bien, c'est un grief qui, je crois, est, en grande partie, imaginaire.

Je ne puis raisonner que d'après les renseignements officiels qui parviennent au gouvernement.

Dans la plupart des cas, ce grief n'a pas de réalité, mais enfin, je le suppose réel, je fais cette concession... (Interruption.)

J'ai pris des renseignements dans des villes au nom desquelles on s'est plaint de la trop longue durée des exercices ; et de ces villes m'est arrivée la démonstration écrite qu'on n'a pas abusé des exercices en les prolongeant outre mesure. (Interruption.)

Eh bien, je suppose qu'on en ait abusé. Est-ce à dire qu'on doit continuer à en abuser, est-ce à dire que la loi est insuffisante pour ramener tout le monde à l'observance de ses prescriptions ?

Le régime légal, c'est que les exercices ne doivent durer que deux heures. Eh bien, messieurs, ce régime légal sera obtenu dans la pratique. Il ne sera plus permis à quelque chef que ce soit, de dépasser ces limites. Mais avez-vous besoin pour cela de changer la loi ? Ne vous suffit-il pas que le gouvernement prenne l'engagement de faire observer la loi ? En fait, messieurs, cet abus, s'il a existé, ne se reproduira plus.

On s'est plaint encore de ce qu'on a appelé des promenades hors la commune ; de cette disposition d'esprit où seraient quelques chefs, d'aimer à parader et à porter au loin les promenades militaires. A la connaissance du gouvernement, ce fait s'est produit une seule fois, et encore les gardes l'avaient-ils demandé. (Interruption.)

Cela n'est pas étonnant ; il peut très bien arriver que les uns parce qu'ils l'aiment, les autres par entraînement, demandent à faire une promenade militaire. Du reste, messieurs, cela ne peut pas se faire légalement, puisque la loi défend de faire sortir la garde civique des limites de la commune, et le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour que cela n'arrive plus.

On s'est plaint, en quatrième lieu, des exigences de certains chefs dans l'examen des gardes qui demandent à être dispensés des exercices en vertu de l'article 83 de la loi, et de la difficulté qu'ils apportent à accorder aux gardes l'autorisalion de s'absenter. Voilà deux griefs que j'ai entendu formuler et auxquels il est facile de remédier. Quant à l'exigence des chefs, en matière d'exemption pour suffisance d'instruction, le remède se trouve dans la loi, dont l'article 83 permet aux gardes de se faire exempter quand ils sont suffisamment instruits. Mais, dit-on, quand le seront-ils ? Quelle garantie avons-nous contre l'arbitraire des chefs qui considéreraient les gardes comme n'étant pas suffisamment instruits ?

Messieurs, il y a des choses qu'il faut abandonner plus ou moins à la prudence de ceux qui sont chargés d'exécuter la loi. Mais comme il est possible qu'on abuse cependant, le gouvernement avait déjà recommandé aux chefs de se tenir, pour l'examen, dans des limites telles qu'avec une instruction ordinaire, on pût être exempté de l'obligation légale relative aux douze exercices par an.

Ces instructions, il peut les renforcer, et prescrire aux chefs de ne pas se montrer rigoureux dans l'examen au--delà des simples notions qu'un garde doit posséder pour manier les armes.

Voilà donc ce que j'ai à répondre, quant à ce premier point. Il n'y aura plus d'abus possibles, parce que le gouvernement les défendra.

On s'est plaint quelquefois aussi de ce qu'on ne permettait pas facilement à un citoyen, qui en avait le désir, de faire une absence le dimanche ; qu'on exigeait de lui la preuve que ses affaires l'appelaient au-dehors.

Eh bien, c'est encore là un de ces griefs qu'avec un peu de bonne volonté et d'intelligence de la part des chefs de la garde, on parvient aisément à faire disparaître.

Il n'est aucun de nous qui, ayant rempli des fonctions publiques, n'ait eu occasion d'apprécier les circonstances de fait à raison desquelles un citoyen demande à pouvoir s'absenler. Le capitaine refuse ; eh bien, le citoyen sait alors parfaitement trouver le domicile du bourgmestre ou du colonel ; il réclame, et généralement, à l'intervention de l'un ou de l'autre de ces deux fonctionnaires, la plupart de ces difficultés dont ont fait des monstres dans les pétitions et ailleurs, disparaissent. Pour mon (page 1044) compte, j'en ai fait disparaître fréquemment, à la satisfaction de tout le monde.

On s'est plaint encore du zèle exagéré des cadres ; on a supposé que les cadres s'occupaient à ordonner des exercices, afin d'acquérir eux-mêmes un plus haut degré d'instruction.

Je ne sais si cela est arrivé : le gouvernement n'a pas reçu à cet égard de plaintes officielles ; mais rien de plus simple que d'empécher que cet abus se présente jamais. Dans aucun cas, il ne sera permis à des cadres de réunir une compagnie, par exemple, sous prétexte de faire exercer les cadres ; les gardes ne seront jamais réunis que pour s'exercer eux-mêmes.

Messieurs, dès l'instant que vous avez la garantie donnée par le gouvernement qu'il peut pourvoir à tous les cas qui peuvent se présenter, et cela au moyen de simples instructions administratives, de quoi vous plaignez-vous encore ? Et puisque le gouvernement le peut, pourquoi supposeriez-vous que le gouvernement prit plaisir à exagérer les proportions d'une loi, à imposer des corvées inutiles aux citoyens ?

Quand on veut imposer des charges inutiles aux citoyens, qui donc pâtit ? Le gouvernement. Quand quelque chose blesse les citoyens, dans l'exécution d'une loi, à qui en attribue-t-on la faute ? Au gouvernement ; et cela est tout simple ; donc le gouvernement est le premier intéressé à voir disparaître, dans l'exécution, toutes ces petites aspérités qui n'ont d'autre résultat que de fatiguer les citoyens et finissent par dépopulariser une loi. Encore une fois, il n'est pas hesoin d'une loi pour cela.

Jusqu'à présent il n'est pas arrivé de plaintes sérieuses au gouvernement.

Je raisonne dans l'hypothèse où il y en aurait, et je dis que tous ces cas peuvent être prévus par des instructions que le gouvernement saura faire exécuter.

On se plaint du « zèle » que certaines personnes apportent dans l'exécution de la loi sur la garde civique. On a, dit-on, assez de ce zèle, il faut modérer, arrêter le zèle de ceux qui sont préposés à l'exécution de la loi. J'avoue que quand on présente une observation dans des termes aussi généraux, il n'est pas facile de répondre de manière à satisfaire ceux qui la font, car elle comprend toutes les parties de la loi et toute l'exécution.

Il est vrai que dans les exercices, les revues, les inspections d'armes, on peut apporter un zèle, je ne dirai pas indiscret, mais plus ou moins outré ; vous ne voulez pas de ce zèle ; vous ne voulez pas qu'il ait pour conséquence d'imposer une corvée, une charge inutile aux citoyens. Rien de plus simple, nous modérerons le zèle ! Quoique ce ne soit pas chose si commune que le zèle, nous l'empêcherons d'aller jusqu'à la vexation.

Je vous en prie, ne répondez pas à cette observation par un sentiment d'incrédulité. J'ai la certitude qu'il est possible au gouvernement de faire faire à ceux qui sont placés sous ses ordres, et préposés à l'exécution des lois, ce qu'il juge utile pour que ces lois ne soient pas une charge trop lourde pour les citoyens.

Voilà ce que j'avais à répondre pour tous les griefs qu'on a articulés ; c'est un cadre dans lequel viendront prendre place toutes les remarques, toutes les apparences de griefs ; par des mesures administratives, on fera disparaître tous les justes motifs de plaintes.

Voulez-vous savoir ce que pensait l'un de vous, en 1848, des exercices dont eo se plaignait alors aussi ? On objectait à l'honorable M. de Muelenaere, dans une discussion analogue à celle-ci, qu'on n'avait pas besoin d'exercices considérables pour maintenir l'ordre intérieur.

C'est un homme pratique que M. le comte de Muelenaere. Ecoutez ce qu'il répondait :

« Si les gardes se plaignent que le nombre de ces exercices est trop considérable, ils peuvent s'y soustraire, en se familiarisant avec le maniement des armes, et, dès lors, aux termes du deuxième paragraphe de l'article 83 ils peuvent se dispenser d'assister aux exercices...

« Ainsi le nombre de douze exercices n'est pas absolument limité. Si les besoins du service l'exigent, le commandant aura le droit de convoquer certains gardes plus souvent. Ce sera une sorte de punition, ce sera un moyen qu'on emploiera pour engager les gardes à se familiariser davantage avec le maniement des armes.

« Je crois donc que l'article, dont la rédaction est extrêmement simple, n'a rien d'effrayant pour personne, et qu'il pourvoit à tous les besoins du service. »

Après quelques paroles de l'honorable M. Manilius, la rédaction du gouvernement, légèrement modifiée par notre honorable président actuel, fut adoptée et devint l'article 83 de la loi.

De tous côtés on était d'accord sur ce point qu'il fallait douze exercices, et laisser au gouvernement le soin d'examiner s'il fallait ou non augmenter ce nombre.

Nous avons fait du chemin depuis lors ; nous savons ce qu'il faut à la garde civique pour vivre dans des conditions honorables et utiles.

C'est pour cela que je viens proposer de limiter davantage, et que j'offre beaucoup moins que ce qu'un demandait avant ; c'est-à-dire que quand les gardes auront acquis l'instruction nécessaire, ils seront dispensés des exercices, sauf un seul que nous demanderons par an, pour s'assurer qu'ils sont toujours dans de bonnes conditions d'instruction.

La conclusion de tout ceci me paraît être que deuxième principe de la loi doit être maintenu ; M. Landeloos ne veut d'autre garde que celle qui comprendra les hommes de moins de 35 ans, non mariés, ou veufs sans enfants.

Je n'ai pas besoin de répéter ce que j'ai dit à cet égard, de démontrer de nouveau que, réduite à ces proportions, ce n'est plus une force publique ; beaucoup d'entre vous penseront qu'il vaut mieux la supprimer que de la maintenu dans ces conditions. La section centrale, en accordant un peu plus d'hommes, arrive à cette conséquence fatale de détruire la force morale de la garde, de lui enlever cette garantie que l'on trouve, quoi que vous en disiez, dans la position sociale et même dans l'âge de ceux qui la composent. On a beau se récrier, ce sont des garanties dont vous ne pouvez pas vous passer.

Si vous adoptiez l'une ou l'autre de ces propositions, c'en serait fait des cadres.

J'ai exposé ces idées qui me paraissent justes ; il est impossible d'échapper aux conséquences que j'indique, car elles résultent de la pratique constante de la loi.

La proposition de M. Landeloos je la comprenais, elle allait au but qu'on veut atteindre, c'est-à-dire à l'anéantissement de la garde, c'est fort simple.

Je vais le prouver par une observation. Répondant à l'avance à une objection qu'il s'attendait à voir naître : Ma proposition, dit-il, ne réduit pas la garde uniquement aux hommes de moins de 35 ans, célibataires ou veufs sans enfants.

Indépendamment de ces hommes dont je reconnais l'état de faiblesse numérique, je n'abandonne pas les autres, je les conserve, je les place dans une sorte de réserve où j'irai les emprunter pour satisfaire à ce qu'exigent les circonstances extraordinaires. Voilà ce qu'a dit l'honorable M. Landeloos.

M. Landeloos. - Et je le maintiens.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Vous le maintenez, c'est parfaitement juste ; mais voyons où vous arrivez. J'ai établi qu'avec ce système le nombre des gardes actifs est réduit à un point tel, que, dans les plus grandes villes, il n'est plus possible de former qu'un très petit nombre de compagnies. Ainsi, à Bruxelles on ne pourrait plus en former que douze.

Apres cela il peut venir un moment où il faudra faire appel à cette réserve. L'honorable membre la forme ; mais qu'en fait-il ? Dans quels cadres la verse-t-il ? Où sont les cadres destinés à ce que vous appelez, la réserve, et qui forme les cinq sixièmes de la garde ? Raisonnons en fait : il faut des cadres pour former des compagnies de 75 hommes, vous aurez à Bruxelles 12 compagnies de ce genre. Mais pour recevoir la réserve, il faudrait, en outre, les cadres de 40 compagnies. Lors donc que vous appellerez la réserve, où seront les cadres, destinés à la recevoir ? Vous me répondrez : On les formera ; mais vous comprenez qu'il sera impossible d'improviser ces cadres pour lesquels vous n'aurez que des hommes n'ayant aucune habitude du maniement des armes. Si donc une émeute arrive (ce qui n'est pas impossible), la réserve que vous comptez appeler, dans ce cas, vous sera complètement inutile. D'autre part, la garde active ainsi que je l'ai expliqué vendredi, serait, même dans les grandes villes, réduite à un nombre insignifiant. A Bruxelles il n'y aurait plus que 12 compagnies. Il y en aurait moins encore à Gand, à Anvers, à Liège.

Ce ne serait plus que l'ombre de la garde civique. Vous auriez détruit la force numérique. De force morale, il ne s'en agirait plus ; il n'y en aurait plus du tout.

La proposition de la section centrale mérite, sous ce rapport, une attention toute particulière, parce qu'elle n'a pas ce même caractère de netteté ; je ne fais le procès à aucune intention, je respecte trop les personnes pour cela ; mais les résultats de la proposition de la section centrale sont beaucoup moins nets, moins faciles à saisir que les conséquences de la proposition de l'honorable M. Landeloos. La section centrale veut bien conserver la réserve avec les cadres, et voilà l'avantage apparent de la proposition. Mais les cadres échappent à la section centrale, comme à l'honorable M. Landeloos. L'un n'en a pas plus que l'autre, par le motif que j'ai indiqué, à savoir, que les hommes qui, étant astreints au service, consentent à accepter le fardeau des grades, se voyant dispensés de tout service, en raison d'une espèce d'incapacité fondée sur leur âge, donneront leur démission pour être affranchis.

Sous ce rapport la proposition de la section centrale n'a pas ce caractère saisissant qu'a la proposition de l'honorable M. Landeloos. Je trouve que si elle a, pour la garde civique, l'avautage de se présenter avec les ménagements flatteurs insérés au rapport, au fond elle n'en est pas moins meurtrière pour l'institution, qui en définitive est, sous une autre forme, appelée à mourir honorablement ; car en réalité le congé provisoire qu'il s'agit d'accorder, est un congé définitif, avec mention extrêmement honorable. Voilà ce qu'est la proposition de la section centrale.

Je pense donc, messieurs, que le gouvernement vient de faire preuve, non seulement de cet esprit de modération dont il compte ne se départir dans aucune circonstance, mais encore d'un esprit de conciliation sincère que je désire vous prouver par des faits, pour me rapprocher des intentions des honorables membres de la section centrale ; car la section centrale, comme le gouvernement, ne doit vouloir qu'une chose : exonérer les gardes en débarrassant le service de tout ce qui pourrait être incompatible avec les habitudes des citoyens. J'ai eu l'honneur d'être appelé dans la section centrale, et nous avons été d'accord pour simplifier le service ; j'ai eu l'honneur de communiquer à la section centrale une circulaire en ce sens que j'ai préparée et dont j'ai suspendu l'envoi jusqu'après la discussion qui nous occupe. Le but de (page 1045) cette circulaire est de préciser les cas où le gouvernement voudrait que toute espèce d'arbitraire disparût, par exemple le cas où, aux termes de l'article 83, les gardes, ayant fait preuve d'une instruction suffisante, sont dispensés des exercices.

Dans quel cas les gardes sont-ils réputés suffisamment instruits ? Cela dépend, dit-on, du caprice, de la volonté d'un chef. Voici comment j'ai répondu à cette objection.

La garde civique ne doit pas recevoir une instruction aussi complète que celle de l'armée : il suffit qu'elle présente un ensemble satisfaisant, et que, dans un cas extrême, elle sache se faire respecter, et se servir de ses armes dans l'intérêt de l'ordre public que les articles 1 et 79 de la loi la chargent de maintenir.

En conséquence, porte le projet de circulaire, j'ai décidé 1° que les chefs de la garde devront considérer comme suffisamment instruits, de plein droit, au point de vue des exercices de l'année, car la dispense ne peut être qu'annale, tous les gardes âgés de plus de trente-cinq ans, pourvu qu'ils remplissent l'une des conditions suivantes :

Avoir assisté à vingt exercices depuis la réorganisation de 1848, (c'est une moyenne de quatre exercices par an).

Avoir servi dans l'infanterie de l'armée, comme officier, sous-officier ou caporal.

Avoir subi avec succès l'examen prescrit par l'article 54 de la loi ;

Avoir obtenu antérieurement la dispense consacrée par l'article 83 ;

Faire preuve de connaissances suffisantes dans les limites indiquées plus haut.

Examinez si cela remplit vos vues ; et si vous avez des indications nouvelles à donner, qui rendront plus palpables les preuves que l'instruction est suffisante, veuillez-le faire ; vos observations m'éclaireront.

Vous voyez que c'est atteindre presque tout le monde, excepté les gardes de l'année entrante.

Une seconde mesure qui devait être recommandée dans le projet de circulaire est celle-ci : En aucun cas, les gardes ne pourront être obligés d'assister à des exercices en vue de faciliter exclusivement l'instruction des cadres.

En troisième lieu, j'exigeais des chefs de la garde que les exercices et manœuvres ne pussent durer plus de deux heures ; il est vrai que, dans ces deux heures, n'est pas compris le temps nécessaire pour l'aller et le retour.

Mais c'est là une bagatelle, on ne doit pas marchander pour un quart d'heure. Il suffit qu'il n'y ait que deux heures d'exercice.

En quatrième lieu, je donnais pour instruction aux chefs de la garde d'établir des écoles facultatives d'instruction où les gardes pourraient venir puiser, en dehors des exercices légaux, les connaissances nécessaires pour obtenir la dispense consacrée par l'article 83.

Ceci est tout à fait dans l'intérêt des convenances personnelles. Il y a beaucoup de gardes qui préfèrent ce genre d'exercices aux exercices faits en commun.

De l'ensemble de ces dispositions, il résulterait que la grande majorité des gardes n'aurait au maximum que cinq réunions par an, dont un seul exercice. Ce nombre m'a paru suffisant pour maintenir l'homogénéité nécessaire à toute force militaire.

Les chefs de la garde étaient invités à prendre des mesures pour que les gardes reçoivent dans l'année de leur incorporation l'instruction graduelle, telle que l'indiquent les règlements. C'est le moyen d'arriver avec le temps à avoir toutes les classes convenablement instruites.

Je dis cinq réunions, parce que, d'après la section centrale au moins, les deux revues continuent d'être obligatoires, et une inspection d'armes aussi. Selon nous, il faut deux inspections d'armes. Ainsi en tout, il y aurait deux revues, deux inspections d'armes et un exercice obligatoire, en tout cinq réunions.

En vérité, si c'est encore trop, je répéterai ce que j'ai déjà dit : supprimons tout à fait la garde civique.

Ainsi on pratique, la première année, douze exercices au maximum ; voilà les obligations que l'on peut imposer à cette classe. Les autres années, dès que les gardes pourront justifier d'avoir fait vingt exercices, la charge se limite à un seul exercice, qui ne sera, en réalité, qu'un contrôle pour s'assurer que l'on n'a rien oublié.

Voilà les instructions qui ont été projetées pour qu'on ne puisse plus abuser des exercices dans la garde civique. Je vous le demande, ne devez-vous pas avoir la conviction que, ces instructions franchement exécutées, il ne sera plus possible qu'aucune plainte légitime se fasse entendre ? et dès lors vous ne croirez plus devoir modifier une loi qui, quoi qu'on en dise, produit d'excellents résultats et qu'on peut exécuter sans faire crier personne, permettez-moi l'expression. On le peut d'autant mieux que ce que je viens d'avoir l'honneur de vous offrir est infiniment moins large que ce que la section centrale offre elle-même au gouvernement. Mais vous me demanderez : Pourquoi n'acceptez-vous pas les propositions de la section centrale, puisque vous voulez rester en deçà ? Eh bien ! par la raison toute simple que si le système de la section centrale pouvait être homologué par vous, vous auriez préparé l'anéantissement des cadres, et cette considération est importante. La section centrale m'a fait l'honneur de me le déclarer ; elle le répète dans le rapport que vous avez sous les yeux. Mais elle dit : Les cadres ne seront pas affaiblis, vous les conserverez. C'est une erreur, et je n'ai plus besoin que d'un seul mot pour la faire apercevoir de nouveau, c'est que les cadres ne sont maintenus aujourd'hui, malgré la facilité de se faire exempter pour une année, que parce que l'année suivante on a le droit de les rappeler pour les faire exercer même plusieurs fois, si cela est nécessaire.

Je crois, messieurs, avoir fait tout ce qui, selon moi, est gouvernementalement possible pour vous amener à avoir quelque confiance dans les mesures que nous nous proposons de prendre. Dans toute cette affaire, je ne saurais trop le répéter, le gouvernement n'a qu'un seul but, n'a qu'une seule pensée, c'est de conserver une institution utile, mais de l'entourer de toutes les garanties propres à amoindrir les charges qu'elle impose aux citoyens. Aucune pensée étrangère à celle-là ne peut pénétrer dans l'esprit de qui que ce soit.

Le gouvernement a donc fait tout ce qu'il a pu pour se rapprocher des idées qui ont pénétré dans cette enceinte. Il offre par voie administrative des satisfactions aussi grandes que celles qu'offre la section centrale. J'espère que la chambre, confiante dans les mesures qui lui ont été indiquées, voudra bien comprendre la nécessité de conserver une loi qui n'est pas mauvaise, quoi qu'on en dise, et se pénétrer du danger d'exonérer les citoyens des charges qu'on doit leur imposer dans un intérêt d'ordre public et pour la conservation de nos institutions.

J'attendrai que les auteurs des amendements veuillent les développer, pour leur répondre.

(page 1039) M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Il paraît que samedi on a déposé quelques amendements. Je crois que, pour gagner du temps, il faudrait entendre d'abord les développements de ces amendements. C'est, d'ailleurs, le vœu que vient d'exprimer M. le ministre, Les orateurs pourraient alors rencontrer à la fois toutes les dispositions proposées.

M. le président. - Le dépôt d'un amendement n'intervertit pas l'ordre d'inscription. S'il en était autrement, il suffirait de présenter un amendement pour obtenir la parole lorsqu'on le voudrait.

M. Manilius. - On devrait régler les tours de parole d'après les inscriptions pour, contre et sur. On arriverait ainsi naturellement à entendre le développement des amendements.

M. le président. - On n'accorde la parole pour, contre et sur que lorsque cela s'est fait dès le commencement de la discussion. Cependant si la chambre le veut, je suivrai cet ordre.

Les amendements déposés sont au nombre de quatre. Il y en a un, composé de plusieurs articles, qui a été présenté par M. Lelièvre ; il y en a un de M. Van Groolven et un de M. de Perceval ; ces trois amendements ont été imprimés ; enfin le quatrième est de M. de Renesse qui propose d'ajouter à la fin du paragraphe 1 de l’article 83 du projet de la section centrale : « Les exercices ont lieu le dimanche et ne peuvent durer plus de deux heures. »."

M. de Perceval. - Je suis à la disposition de la chambre ; si elle désire entendre les développements de l'amendement que j'ai déposé, je voudrais pouvoir les présenter aujourd'hui, parce que je serai obligé de m'absenter demain.

M. le président. - Je continue à suivre l'ordre des inscriptions.

La parole est à M. Closset.

M. Closset.. - Je suis du nombre, messieurs, de ceux qui demandent le maintien pur et simple de la loi.

En exprimant l'opinion que l'institution de la garde civique doit être maintenue dans les conditions que le législateur de 1848 lui a faites, j’obéis à un sentiment auquel il n’est d’autant plus agréable de céder que je suis sûr d’être l’organe de la généralité, et je ne sais

Que l'on ne croie cependant pas que cet esprit de conservation qui se manifeste si énergiquement parmi mes concitoyens au sujet de cette loi soit dû à la bénigne exécution qu'elle y aurait reçue, à la douceur des ordres de service, à la bonne volonté qu'auraient manifestée ceux à qui le commandement est confié, de concilier les égards dus aux gardes avec les exigences du service.

Non, messieurs, il n'y a pas une localité du pays où les griefs contre l'exécution donnée à cette loi soient si nombreux et si fondés, et si nous les étalions devant vous, ceux qui demandent la révision de la loi pourraient négliger les leurs pour ne tenir compte que des nôtres.

Quoi qu'il en soit, la garde civique de Verviers a donné un éclatant témoignage de son patriotisme ; mon devoir, à mon tour, est de faire (page 1040) connaître, en exposant quelques-uns de ses griefs, ce que sa démarche renferme réellement d'abnégation.

Il a manqué jusqu'à présent, à l'appui des plaintes, des faits spéciaux. Je suis le premier à en fournir.

Je me garderai, messieurs, d'entrer dans des détails que ne comporte pas la gravité de vos délibérations, et quoique la chambre soit constituée en ce moment pour instruire le procès fait à la garde civique, je ne veux exercer de critique qu'autant qu'il puisse en résulter un effet utile dans l'avenir.

Messieurs, la plus belle prérogative du garde civique est de n'obéir qu'à celui qu'il a librement élu. C'est un droit dont il est fier et jaloux et qui doit être respecté. Il ne l'a pas été à Verviers.

Les compagnies avaient été formées par le président du conseil de recensement, sur le contrôle du service, et conformément à l'article 25 de la loi et à l'article premier de l'arrêté royal du 18 juin 1838 ; toutes les opérations préliminaires étaient achevées ; le jour des élections fixé, les convocations remises dans le délai utile, lorsqu'un arrêté royal intervint tout à coup pour postposer les élections à un mois, se fondant sur ce que le travail du conseil de recensement n'était pas achevé ! Grande fut la surprise des gardes convoqués depuis plusieurs jours, et non moins grande fut celle des membres du conseil de recensement eux-mêmes.

Le cause de cet ajournement est triste à dire, mais il est utile de la révéler, afin de prévenir le retour de semblables abus en cette matière, comme en d'autres. L'administration communale n'avait pas reculé devant l'idée d'impliquer le gouverneur, le ministre, le Roi, pour l'aider à dénouer, au profit de quelques-uns de ses amis personnels, une intrigue électorale dans une compagnie de garde civique.

J'ai dit que les compagnies étaient formées. L'une d'elles renfermait 96 gardes. Des choix préparatoires avaient été faits. Des compétiteurs étaient en présence, malheureusement inégalement appuyés. La défaite était certaine pour les uns. Il fallait rétablir l'équilibre ou plutôt retourner les chances, et c'est alors que l'on s'aperçut que les contrôles n'étaient pas complets.

Effectivement, quelques jours après, les 96 hommes furent portés à 125, et le jour de l'élection, on vit 29 employés inférieurs du chemin de fer, qui étaient exemptés par l'article 21, littera I de la loi, et les arrêtés ministériels antérieurs au jour de cette élection, on vit, dis-je, ces 29 employés conduits par le chef de station, venir déposer les bulletins que celui-ci leur remettait à mesure des besoins et à la vue de tous. La victoire fut acquise, quoique incomplète néanmoins, aux protégés de l'administration communale.

Les rôles étant joués, les comparses disparurent, la compagnie redescendit inimédiatemfent à ses 96 hommes primitifs, on ne vit jamais sous les armes ceux pour l'incorporation desquels ou avait surpris l'arrêté royal d'ajournement, nécessaire peut-être pour quelques villes, inutile, tout à fait, pour Verviers ; on ne les vitt jamais sous l'uniforme, on ne les vit plus et on ne les a plus appelés aux élections partielles qui eurent lieu postérieurement. Et pour démontrer jusqu'à quel point leur inscription sur le contrôle avait été sincère, la compagnie s'avisa, quelques mois après, d'en choisir deux d'entre eux pour remplir des places de sous-officiers vacantes ; l'élection fut annulée, par le motif que les élus ne faisaient pas partie du contrôle !

Et depuis cette époque, la compagnie a été commandée par un cadre d'officiers et de sous-officiers dont la majeure partie n'est pas le résultat du choix des membres qui composent cette division de la garde.

Je ne dois pourtant pas laisser ignorer que ce coup d'Etat au petit pied était justifié suffisamment aux yeux de quelques-uns. Nous étions revenus aux beaux jours des suspects, et le spectre rouge, dont d'habiles adversaires se plaisaient à affubler bon gré mal gré ceux qui les gênaient personnellement, ic spectre qui exerçait sa magie au profit de ceux qui savaient le mieux s'en effrayer à propos, était encore ce jour-là bien effrayant.

Messieurs, je n'ai ni la mission ni la pensée de justifier ceux qui ont cherché à modifier nos institutions ; mes sentiments aussi bien que les actes d'une vie publique déjà assez longue ne me permettraient ni de prendre, ni d'accepter ce rôle, il ne sera donc pas le mien ; mais je dois à la vérité de déclarer hautement que si les candidats-officiers qu'il fallait faire réussir, même par la violation d'un droit sacré, étaient d'un caractère honorable, ce que je ne conteste pas, d'une aptitude suffisante, ce que je ne veux pas discuter, et d'un dévouement, que je consens à qualifier d'inébranlable, à l'ordre et à nos institutions, il était aussi vrai que leurs compétiteur, au-dessus desquels on agitait le susdit fantôme, jouissaient d'autant de considération, étaient revêtus d'un caractère aussi honoré, possédaient des capacités aussi incontestables, et surtout avaient autant à cœur le maintien de l’ordre et de nos institutions constitutionnelles et aimaient leur patrie autant que les autres. La légion de Verviers, ainsi que son cadre, qui renferme tant de ces suspects d'autrefois, attestent la vérité de ces paroles par l'unanimité de leur pétitionnement actuel comme par leur conduite antérieure.

Telle est, messieurs, la regrettable exécution qu'a reçue la disposition de la loi qui porte : les titulaires de tous les grades d'une compagnie sont élus par ceux qui la composent.

Quelle est celle, maintenant, donnée à l'article 83 qui dispense les gardes jugés suffisamment instruits, d'assister aux exercices ?

En rendant un hommage mérité à la garde civique de Verviers, M. le ministre de l'intérieur disait au commencement de cette discussion : « Il y a une ville dans laquelle on a demandé que les exercices fassent plus fréquents ; on a eu là jusqu'à 24 exercices par an. Pourquoi ? Afin de donner à la garde une organisation plus solide et une instruction suffisante pour qu'elle ne fût pas une occasion de risée quand elle se montre en public. Cette ville est une ville de travail, c'est la ville de Verviers, et de son sein n'est partie aucune de ces plaintes exagérées qui viennent occuper vos séances et dont j'espère que vous ferez justice. J'aime à rendre hommage au patriotisme de la ville de Verviers ; elle a compris, dans cette circonstance comme toujours, le véritable esprit du pays et elle ne recule pas devant l'accomplissement d'un devoir aussi léger que celui qui résulte du service de la garde civique. »

Je remercie M. le ministre, au nom de la ville de Verviers dont je suis un simple et modeste garde qui n'a jamais brigué l'honneur d'un commandement quelconque, sachant parfaitement au prix de quelles peines et de quelles pertes de temps se paye cette distinction, je remercie, dis-je, l'honorable ministre de ses bienveillantes paroles ; mais je tiens à faire remarquer qu'il n'y avait pas chez mes concitoyens le seul désir de donner à leur amour-propre une puérile satisfaction. Ce qu'ils voulaient avant tout, c'était de se mettre aussi vite que possible en état de faire face aux nécessités des circonstances au milieu desquelles on se trouvait alors ; c'était ensuite d'obtenir pour prix de leur zèle le bénéfice de l'article 83.

Ils n'ont jamais demandé que les exercices fussent plus fréquents, et ceux qui sont compris dans le relevé annexé au rapport de la section centrale, et qui se sont élevés non pas à 24, mais à 36, et à 40 même en y comprenant les deux revues et les deux inspections d'armes, ont tous été obligatoires et ont occasionné même une grande quantité de jugements de condamnation.

Ce qui est plus exact, et ce qui, du reste, corrobore davantage l'éloge que M. le ministre s'est plu à leur rendre, c'est que la plupart des gardes, volontairement et aux dépens de leur bourse, ont sacrifié, outre les exercices précités, toutes les soirées d'un hiver, à se rendre auprès d'instructeurs qu'ils payaient, et, consacrer, après une journée de travail déjà longue, plusieurs heures encore au maniement des armes et aux manœuvres.

On était en droit d'attendre que ce zèle recevrait sa récompense lé-gale. Mais point. Des gardes connaissant l'exercice et les manœuvres, soit pour avoir passé un temps plus ou moins long dans l'ancienne garde civique mobilisée ou dans l'armée, soit pour avoir appliqué leur temps comme je viens de le dire, demandèrent à être dispensés conformément à l'article 83.

Après un assez long délai, ils furent soumis à un examen très rigoureux, et reconnus capables : la commission d'examen leur fit connaître que le bénéfice de l'article 83 leur était accordé ; mais à peine un mois s'était écoulé qu'un ordre du jour décrétait que les examinés jugés capables n'éiaient dispensés d'assister aux exercice qu'une fois sur deux, c'est-à-dire que ces gardes étaient jugés suffisamment instruits pendant huit jours, pour ne plus l'être les huit jours suivants, pour recommencer a l'être la troisième semaine et ainsi de suite.

Voilà la première application de cet article ; ce fut aussi le premier déni de justice.

L'instruction des gardes en général continua à se développer, et beaucoup d'autres furent successivement dispensés, à la manière des premiers, mais cette fois on connaissait le prix réel attaché à la réussite de l'épreuve.

Mais quand l'article 83 devait-il recevoir son exécution pleine et entière ? Le temps s'écoula longuement, des réclamations énergiques se produisirent, et je crois même qu'elles parvinrent jusqu'au ministre de l'intérieur. Enfin presse, soit par l’opinion publique, soit par des ordres supérieurs, le chef de la garde se décida à faire subir un examen solennel depuis la première leçon de l'école du soldat, jusqu'à la dernière de l'école de peloton, feux à poudre compris.

Un jour de juillet, quatre-vingts hommes furent tenus sons les armes pendant plus de cinq heures, et fort de l'avis d'hommes compétents qui ont pu en juger, je déclare que la presque totalité de ces gardes avaient exercé d'une manière admirable et digne de la troupe de ligne, si comme celle-ci ils avaient été dirigés par des guides capables et un commandement bien ordonné.

Parmi ces quatre-vingts hommes, tous ceux qui approchaient la cinquantaine furent jugés suffisamment instruits pour être dispensés d'assister dorénavant aux exercices. Ils étaient nombre de treize. On pourrait peut-être trouver dans ces exemptions la preuve que les hommes mûrs ne sont pas en définitive aussi inaptes qu'on le dit, aux exercices militaires ; on sera plus vrai en disant que ceux qui par leur âge mettraient de la considération l'ont obtenu.

Tous les autres, et parmi ceux-ci on comptait, je crois, d'ancien militaires, furent déclarés incapables. Seulement en récompense des fatigues de la journée, la plupart reçurent le privilège de n'exercer qu'une fois par mois, leur capacité n'allait par au-delà ;

Depuis cette journée mémorable, où un grand nombre se sont crus mystifiés, ce mot a couru, on s'est résigné à considérer le deuxième paragraphe de l'article 83 comme une lettre morte. Aussi, quoiqu'un an après on ait voulu, en ouvrant de nouveau les examens, effacer le fâcheux effet qu'avait produit la décision portée l'année précédente, personne n'a voulu se présenter, sauf trois gardes qui sont sans doute parvenus à satisfaire aux exigences de l'école de peloton, car ils ont eu l'honneur et le profit de l'exemption.

Je me tais, messieursn sur d’autres exigences, telle les formalités (page 1041) difficiles et parfois impossibles à remplir pour justifier d'une absence quelquefois des plus légitimes. Mon intention n'est pas de faire supposer que le chef de la garde ait voulu autre chose que le bien de sa légion ; je reconnais volontiers que son but a été d'obtenir une garde forte et instruite, mais pour cela il n'était pas nécessaire de pousser les exigences si loin. Le zèle que les gardes ont montré pouvait et devait être soutenu et récompensé autrement qu'il ne l'a été. Mon but, en m'occupant de cette critique, n'est d'affaiblir l'autorité de qui que ce soit ; je veux tout le premier une garde forte et qui ait confiance dans son chef, et après avoir donné une légitime satisfaction aux griffes de celle de Verviers, je dis avec elle qu'il dépend uniquement de l'action intelligente des chefs de faire taire les critiques que l'on dirige aujourd'hui contre l'institution elle-même.

Les gardes de Verviers ne vous ont pas adressé des plaintes exagérées, comme l'a dit M. le ministre, mais ils ne vous ont pas même adressé de plaintes du tout, pas même aucun de ces nombreux condamnés par le conseil de discipline qui ont eu le bon esprit de supporter philosophiquement, et en présence des plaintes si vives des autres, on pourrait peut-être dire héroïquement, de supporter, dis-je, la peine de leurs fautes sans se venger sur la loi elle-même. Et le motif de leur conduite, le voici : c'est que la loi, à leurs yeux, est bonne, c'est que ses détails sont en général bien conçus ; c'est que son exécution, si dure qu'elle ait été ou puisse être, a un correctif puissant, un remède souverain dans le renouvellement périodique des chefs ; c'est qu'après une période quinquennale, les gardes ayant pu apprécier l'aptitude et la bonne volonté des élus, ceux-ci après avoir eu le temps de modérer leur zèle s'il était allé trop loin ou si l'opinion publique leur démontre qu'ils se fourvoient, le compte définitif se règle par une réélection ou une substitution, sans l'intervention d'une chambre qui doit se consacrer à des soins plus généraux.

Si des citoyens sur qui pèsent tant de charges, et auxquels on a eu si peu d'égards dans l'exécution de la loi, si des citoyens chez qui les goûts militaires sont si peu prononcés et qui n'ont cédé qu'aux événements de 1848 pour se dépouiller de l'antipathie qu'ils avaient manifestée antérieurement contre l'organisation de la garde, entourent aujourd'hui de leur appui la loi de 1848, c’est qu'ils ont reconnu que les sacrifices sont moindres que les avantages éventuels que l'on peut en retirer et même que les avantages que l'on en retire actuellement.

Les réunions de la garde ont eu effectivement cet avantage de mettre en rapport des hommes qui ne se fussent pas connus sans elles, ou qui n'avaient que des préventions à l'égard les uns des autres ; la confiance s'est établie entre eux, les rapports sociaux y ont profité, et leur union apporterait lorsque les circonstances l'exigeraient, un concours efficace au maintien de l'ordre et de la paix publique. La garde civique n'eût-elle pour moi que cet utile résultat de réunir périodiquement dans une pensée commune, celle du pays et de nos lois, les citoyens d'une localité absorbés le reste du temps par les soins de leur industrie, de leur commerce, de leur état, c'en serait assez à mes yeux pour en demander le maintien, et plaise à Dieu qu'elle ne soit jamais obligée d'en fournir un plus important !

Ce qui est vrai pour cette localité l'est également pour les autres ; aussi ne puis-je m'arrêter aux doléances que certains pétitionnaires, se renfermant dans un égoïsme étroit, nous ont adressées.

Je repousse, messieurs, la proposition de l'honorable M. Landeloos. Mieux vaudrait décréter le retrait de la loi entière que de l'adopter. A quoi pourrait servir désormais une garde ainsi étriquée, car elle ne serait plus composée que de quelques hommes, trop peu nombreux pour faire face à une population égarée, ou pour la calmer. Et s'ils venaient du dehors de la commune ? Quelle influence pourrait exercer sur son esprit la présence de quelques jeunes gens, animés peut-être alors d'un esprit trop guerrier, qui voudraient vaincre ou mourir, ou bien ayant la conscience de leur faiblesse numérique ?

Je ne puis non plus admettre la dispense sans condition que la section centrale propose en faveur de ceux qui ont atteint leur trente-cinquième année. Si, comme je l'espère et comme l'a déclaré l'organe du gouvernement, dans la dernière séance et tantôt encore, les gardes instruits doivent, à l'avenir, plus facilement être affranchis des exercices, il n'y a pas de raison pour établir une exception qui de fait sera obtenue aisément et qu'un avenir plus ou moins rapproché créera lui-même sans qu'il soit besoin de l'inscrire dans la loi.

On comprend, en effet, que les gardes qui atteindront successivement l’âge de 35 ans, auront passé plusieurs années dans la garde et auront aquis facilement et de longtemps tout ce que l'on peut exiger pour les admettre à la dispense.

J'ai peine, du reste, à m'expliquer cette sollicitude que l'on témoigne à l'égard des hommes de 35 ans. La race belge serait-elle si affaiblie ou si dégénérée, qu'à cet âge le maniement d'un fusil pendant quelques heures durant le cours d'un été fût aujourd'hui un acte de nature à exiger de si grands ménagements ? Mes observations s'appliquent de même à l'amendement de M. de Perceval.

Que d'une législature à l'autre, d'une année à l'autre, on révise une loi d'impôt, je le comprends ; que l'on perfectionne une loi aussi promptement que possible dans les détails que sa mise en application aurait fait reconnaître défectueux, je le comprends encore ; mais qu'une loi qui a été attendue pendant un grand nombre d'années, qui a fait l'objet des études sérieuses des trois branches du pouvoir législatif, qui a été consacrée par l'unanimité des membres des deux chambres, qui, à l'époque de sa promulgation, a donné au pays une certaine confiance en lui-même pour conjurer les orages intérieurs, qui a supporté les premiers et les plus lourds sacrifices, d'argent pour tous et de service personnel pour les hommes de 45 à 50 ans de cette époque, que cette loi, après une aussi forte épreuve qui ne doit plus se renouveler, soit attaquée dans sa propre existence comme elle l'est aujourd'hui, je ne le comprends plus. Touchons moins à nos lois organiques, afin que les citoyens respectent eux-mêmes davantage les lois qui les gouvernent, nos mœurs politiques ne feront qu'y gagner.

Je repousse donc la proposition, d'autant plus vivement que, loin d'être justifiée par son opportunité ou son utilité, son adoption ne serait que l'effet d'une réaction contre une loi qui puise son origine dans la Constitution, et qui n'est ni catholique ni libérale, dont le seul tort, très grand, il est vrai, aux yeux de certains hommes, est d'avoir vu le jour sous un ministère que la sage prévoyance du Roi préposa un jour à la direction des affaires et que le pays tout entier y trouva avec satisfaction en 1848.

Les services qu'avaient rendus ces hommes, dont je n'ai eu malheureusement qu'à saluer le départ, ne peuvent être méconnus au point de détruire tout ce qu'ils ont fait avec l'assentiment des mandataires de la nation, et dans le cas qui nous occupe, avec leur concours unanime. Si le pays a donné un exemple admirable de vie et de force dans ces dernières années, continuons à le donner en faisant un peu plus de cas des travaux d'une législature qui, elle aussi, a concouru efficacement à élever la Belgiqne si haut dans l'estime des peuples.

- La séance est levée à 4 heures.