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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 novembre 1853

Séance du 24 novembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Maertens (page 45) procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Ansiau donne lecture du proeès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« La dame Duchêne, veuve du sieur Debatice, réclame l'intervention de la chambre pour que son fils soit libéré du service militaire et qu'en attendant, il obtienne un congé illimité. »

- Renvoi à la commission des pétitions,


« Quelques propriétaires à Zele prient la chambre de rapporter la loi sur les expulsions des locataires ou du moins de la modifier quant aux droits d'enregistrement, de timbre et de greffe. »

- Même renvoi.


« Il est fait hommage à la chambre, par M. L. Willems, de 100 exemplaires d'une nouvelle brochure qu'il vient de publier relativement à l'inoculation de la pleuro-pneumonie exsudative de l'espèce bovine, ainsi que d'un exemplaire de l'ouvrage de M. le docteur Didot, intitulé : Deux jours à Hasselt. »

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi approuvant le traité de commerce conclu avec la république orientale de l’Uruguay

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, dans la séance d'hier un honorable membre a proposé un amendement à la loi sur les denrées alimentaires, qui a pour objet de faire proroger le délai endéans lequel l'entrée des viandes salées sera libre. Je viens soumettre à la chambre un projet de loi qui, sous ce rapport, a un certain intérêt d'actualité. Ce projet a pour but de soumettre à votre approbation un traité de commerce qui vient d'être conclu avec la république orientale de l'Uruguay. C'est de cette contrée que nous avons à attendre les viandes salées dont il est question. Il est incontestable que ce traité de commerce augmentera considérablement nos relations avec cette partie de l'Amérique.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution du projet et le renvoie à l'examen des sections.

Rapport sur une pétition

M. Vander Donckt. - Messieurs, vous avez ordonné le renvoi à votre commission des pélitions, avec demande d'un prompt rapport, une requête émanant de l'administration locale et d'habitants notables d'Esschen, province d'Anvers, tendant à ce que les engrais en général et notamment les vidanges soient déclarés non imposables.

Votre commission était déjà saisie d'une demande semblable adressée à la chambre par l'administration locale et plusieurs propriétaires et fermiers de Merxem tendant aux mêmes fins.

Elle m'a chargé de vous présenter un rapport d'ensemble sur ces requêtes.

Déjà le 29 novembre 1851, plusieurs propriétaires et locataires habitants de la ville d'Anvers, vous avaient sollicité une loi interdisant aux administrations communales d'établir un impôt sur les engrais. Sur le rapport présenté par l'organe de M. Vanden Branden de Reeth, elle fut renvoyée à M. le ministre de l'intérieur, et est restée sans suite jusqu'aujourd'hui.

Les pétitionnaires disent que l'impôt de fr. 1-50 par hectolitre est exorbitant et plus que le quadruple de la valeur des matières imposées et ce au grand préjudice de l'agriculture, que des membres du conseil provincial d'Anvers ont également protesté et ont combattu cet odieux impôt, comme très nuisible à l'agriculture.

Ils ajoutent que tandis que le gouvernement accorde l'immunité du droit de barrière et le transport à prix réduit par le chemin de fer sur les engrais, ces avantages sont complètement détruits par l'impôt communal.

Que cet impôt ridicule est une des principales causes que les 60,000 hectares de bruyères et terrains vagues qui se trouvent encore dans la province ne peuvent être rendus à l'agriculture, surtout à une époque où les denrées alimentaires ont doublé de prix.

Ils terminent en disant que tous les objets de consommation étant déjà imposés, il est injuste que les vidanges qui en proviennent lesoient derechef et aussi lourdement.

Votre commission, considérant les motifs que les pétitionnaires font valoir dans l'intérêt général de l'agriculture, considérant que le renvoi d'une semblable pétition a déjà été ordonné à M. le ministre de l'intérieur dès l'année 1851, elle a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, j'ai entendu énoncer dans le rapport, je pense, que cette affaire a été renvoyée l'année dernière au ministre de l'intérieur et qu'elle n'a pas eu de suite jusqu’à présent, qu'elle n'a pas obtenu l'instruction qu'on avait demandée. Je dois dire, au contraire, que l'affaire est soumise à toutes les administrations qui ont pu être consultées et que le gouvernement attend très prochainement les avis qu'il a demandés. Aussitôt que ces, avis lui seront parvenus, l'instruction recevra son complément.

M. Lelièvre. - Je prie M. le ministre de bien vouloir s'occuper le plus tôt possible de l'objet dont il s'agit. L'année dernière, M. le ministre avait promis un rapport sur la question énoncée à la pétition, question intéressant l'agriculture au plus haut degré. En appuyant les motifs et les conclusions du rapport de la commission, je prie M. le ministre de bien vouloir se mettre en mesure, sans délai, de faire droit aux demandes des pétitionnaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Sans doute ; mais j'attends les avis demandés.

- Le renvoi à M. le minislrc de l'intérieur est mis aux voix et adopté.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

(page 54) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Dans la séance d'hier je crois avoir établi que, sous le régime de la liberté absolue du commerce des grains, le pays n'avait rien à craindre pour son approvisionnement.

Je poursuis cet examen.

J'ai dit que la Belgique devait se procurer 1,600,000 hectolitres de grains pour combler son déficit en 1853, et que ce n'était qu'au commerce que nous pouvions le demander.

Maintenant quel est le langage du commerce ?

Le commerce, pour arriver à vous, vous demande deux choses : de bons prix et de la liberté dans tous ses mouvements. Les partisans du système de la prohibition des grains à la sortie sont obligés eux-mêmes d'en convenir ; il faut laisser la liberté au commerce qui nous importe les grains étrangers. Aussi, ils ne contestent pas directement le principe de la liberté du commerce des grains avec l'étranger.

« Nous reconnaissons, disent-ils, que le commerce des grains étrangers doit être libre.

« Mais, tout en proposant de défendre la sortie des grains indigènes, nous offrons au commerce étranger des conditions de liberté telles que pour toutes les denrées qu'il nous importera, il conservera sa liberté d'action ; par suite, notre système de prohibition des grains indigènes à la sortie peut parfaitement se concilier avec le système de la libre entrée des grains étrangers. Nous offrons au commerce étranger la faveur de l'entrepôt. »

C'est ici, en effet, messieurs, le point capital de la difficulté que soulève cette question. Ce qui importe au gouvernement, ce qui importe à tous ceux qui soutiennent, dans l'intérêt de nos approvisionnements, ia liberté absolue dn commerce des grains, c'est de faire comprendre qu'en laissant l'exportation des grains parfaitement libre, on favorise, en réalité les arrivages des grains étrangers. Voilà ce que nous désirons établir.

Sans doute, le raisonnement de ceux qui disent : « utilisons nos propres grains ; puis, empruntons à l'étranger fout ce qui nous manquera » ;; ce raisonnement a quelque chose de séduisant, je dois le dire, ce raisonnement est de ceux que le monde accepte avec beaucoup de facilité, parce qu'en général on ne prend pas la peine d'approfondir les questions, et qu'une proposition qui s'énonce sous des formes telles que celles que je viens d'exprimer, a de la faveur dans la circulation.

Voyons donc en fait, messieurs, nous qui ne devons pas nous payer de vaines apparences, ce que vaut, pour le commerce, le système que préconisent les auteurs de l'amendement, le système de la liberté par voie d'entrepôt.

Chacun de vous sait ce que signifie l'entrepôt. Nous avons plus d'un genre d'entrepôt en Belgique : l'entrepôt réel, l'entrepôt public, l'entrepôt du gouvernement ; puis nous avons l'entrepôt fictif.

Le commerce peut donc importer des marchandises en Belgique et se ménager la faculté, conserver la liberté de les exporter quand il le trouvera bon, pourvu qu'il les déclare en entrepôt. Mais je suppose que l'on fasse usage de cette faculté de l'entrepôt. Cela ne s'obtient pas d'abord sans frais, ensuite sans remplir des formalités douanières ; enfin sans subir des lenteurs inséparables de ces opérations qui consistent à transporter dans l'entrepôt, puis plus tard, quand une occasion de placement se présentera, de faire sortir les grains de l'entrepôt et de les mettre de nouveau à bord d'un navire. Toutes ces choses sont des entraves dont le commerce a horreur. Personne ne peut le méconnaître ; tout ce qui gêne la liberté absolue des mouvements dans les relations commerciales, est non seulement une gêne, mais une entrave qui exige des frais et une perte de temps.

Comparez, messieurs, ce régime d'entrepôt qui est un régime d'entraves, avec les facilités dont jouit le commerce dans les pays où l'on ne rencontre aucune entrave, et dans la Belgique depuis deux mois ; et demandez-vous à quel système le commerce donnera toujours la préférence. Evidemment c'est au régime dans lequel il jouit d'une liberté absolue.

Messieurs, ce ne sont pas là des théories seulement, bien qu'elles soient sensibles pour tout homme qui raisonne les intérêts du commerce au point de vue de la liberté de ses opérations ; mais c'est un système qui repose sur des faits, et que les faits viennent tous les jours confirmer quant aux résultats.

Nous avons vu quelles étaient les importations sous le régime de l'entrepôt ; ces importations sont faibles. Consultez les tableaux officiels pendant les mois de l'année où le commerce a été obligé de recourir à la faculté de l'entrepôt. Il y a eu des importations sans doute, mais elles ont été peu considérables. Et pourquoi y eu a-t-il eu un peu ? Parce que par une circonstance qui a été particulière à la Belgique, pendant ces mois de l'année, les grains en Belgique se vendaient à des prix relativement plus élevés que dans d'autres contrées de l'Europe. Sans cela vous n'auriez pas reçu un hectolitre de grain, puisque l'intérêt du commerce l'aurait porté vers les pays, l'Angleterre notamment, où les exportations ne doivent pas passer par les liens de l'entrepôt.

Mais voyez ce qui s'est passé pendant les mois de liberté complète, en septembre, en octobre ! Vous avez vu augmenter, à l'instant même, les importations dans des limites très considérables : de 5 millions qu'elles étaient avant le mois de septembre, elles se sont élevées à 14 millions en septembre, et à 15 millions de kilogrammes en octobre. L'exportation a été insignifiante.

En novembre : Pour 15 jours on importe 6 millions, et on en exporte 2 ; excédant 4 millions.

L'entrepôt pour les grains est donc une faveur dont le commerce n'usera qu'avec répugnance.

Voudrait-on inventer pour les grains une espèce d'entrepôt fictif ; leur permettre de séjourner librement sous voiles ?

Mais d'abord ce serait la destruction de l'entrepôt du gouvernement ; une perte sèche pour le trésor.

En outre, l'entrepôt fictif pourrait donner lieu à des fraudes, à des substitutions de grains indigènes à des grains étrangers ; à des fraudes sur les quantités et la qualité des denrées.

Pour éviter ces fraudes, il faudrait créer des formalités, une surveillance spéciale. Il en résulterait des frais, des entraves multipliées. Tout cela au préjudice du commerce qui s'accommoderait fort mal d'une semblable liberté.

El lorsque le commerce étranger se trouverait grevé de ces dépenses extraordinaires, des formalités douanières et des lenteurs inséparables d'une vérification, croyez-vous qu'il viendrait bénévolement subir en Belgique toutes ces difficultés, alors qu'à côté de nous, en Angleterre, en Hollande et ailleurs, il peut librement entrer et librement sortir ?

Messieurs, on a beau faire, selon moi, dans ce régime de prohibition des grains à la sortie, on n'inventera jamais une situation telle, qu'en prohibant la sortie des grains indigènes, le commerce trouve dans les moyens qui lui seront fournis par voie d'entrepôt réel, ou par voie d'entrepôt fictif, si l'on veut, les garanties nécessaires pour que ses mouvements soient parfaitement libres.

Messieurs, quand on examine cette question de la liberté du commerce des céréales, on arrive toujours à cette proposition : point de liberté complète dans le commerce des céréales, point ou peu d'arrivages étrangers, point d'approvisionnements. (Interruption.)

Vous vous récriez en vain : dès l’instant que vous gênerez en quoi que ce soit la liberté du commerce des grains, vous n'aurez point ou vous n'aurez que très peu d'arrivages de grains étrangers ; par conséquent vous n'aurez pas d'approvisionnements suffisants pour combler le déficit sous lequel vous êtes obligé de vous courber ; et je le répète, si vous étiez en présence d'une situation qui, pour la Belgique, ne constaterait pas un déficit, vous pourriez avoir raison ; mais vous n'êtes pas dans cette situation ; vous devez dépendre de l’étranger.

Il suit de là, messieurs, que la pleine liberté du commerce des grains est dans une relation intime avec la libre sortie, et comme il est impossible de distinguer, sous le régime de la libre sortie, les grains indigènes des grains étrangers, sans recourir à des formalités gênantes, il s'ensuit encore que si vous favorisez par un régime complètement libre la sortie des grains, vous déterminez par là même les arrivages des grains étrangers.

Il y a donc une corrélation intime entre ces deux propositions ; laissez sortir et vous ferez entrer, parce que vous ne pouvez empêcher de sortir, sans grever le commerce qui veut pouvoir sortir, de formalités et de frais tels qu'il ne viendra plus.

Messieurs, que cela soil vrai comme système commercial, quand on se pénètre bien des véritables intérêts du commerce, il paraît difficile de le contester. Mais les faits viennent encore confirmer ces appréciations. Vous l'avez vu déjà par les importations comparées aux exportations. Vous avez vu que les arrivages dépassent de beaucoup les sorties de grains. On a fait très bon marché de ce qui s'est passé dans les mois (page 55) écoulés ; on a dit : Mais c'est à peine l'existence de quelques jours pour la Belgique, que cet excédant dont vous faites tant de bruit.

J'ai déjà fait connaître les arrivages de septembre, octobre et la première moitié de novembre.

Ce qui s'est vérifié pour les mois écoulés continuera probablement pour les mois suivants si le régime reste le même.

Mais on poursuit les objections contre le système de la liberté absolue et l'on dit : Les arrivages sur lesquels vous comptez diminuent et ils peuvent disparaître entièrement ; ils peuvent disparaître par beaucoup de causes, les unes existant depuis quelque temps et qui ont leur siège en Orient, la guerre ; d'autres causes, comme les glaces, peuvent empêcher les grains de la partie orientale de l'Europe de pénétrer en Occident, et quand ces arrivages auront disparu, que ferez-vous ? C'est la première objection que je dois rencontrer.

L'autre objection, et celle-là pourrait faire une certaine impression sur la chambre, a été empruntée à un document imprimé aux annexes officielles, et émanant d'un corps qui a l'habitude d'apprécier sainement la situation commerciale de la Belgique, la chambre de commerce d'Anvers. J'y reviendrai.

La troisième objection est empruntée au régime français.

Voyez, dit-on, ce qui se passe en France : en France les grains sont aussi abondants que cela est possible dans la crise actuelle, et en France on laisse entrer, mais on ne laisse pas sortir.

Je reprends, messieurs, les objections et je commence par répondre à celle qui est tirée de la rareté des arrivages et de la probabilité, suivant les partisans de l'amendement de M. Dumortier, que les arrivages pourraient disparaître.

Il est évident, messieurs, que si, depuis quelques jours, les arrivages ont diminué, cela tient à des circonstances qui n'ont qu'un caractère exceptionnel ; qui peuvent, j'en conviens, se prolonger pendant quelque temps, si les événements d'Orient continuent à se compliquer. Mais nous ne tirons pas simplement nos grains de la partie orientale de l'Europe, les grains étrangers nous arrivent en très grande partie, et pour le moment surtout, des Etats-Unis d'Amérique, et la chambre de commerce, dont on a invoqué hier l'autorité, nous rend attentifs précisément à la circonstance qu'en ce moment des expéditions considérables se préparent aux Etats-Unis d'Amérique.

Je ne pense pas que là on puisse rencontrer des entraves sérieuses à la libre exportation des grains ; et, sous ce rapport, nous pouvons attendre avec sécurité. Il n'y a donc pas à se préoccuper d'une manière excessive de la rareté accidentelle des moyens de transport, provenant des événements d'Orient, qui, d'ailleurs, peuvent se dénouer dans un délai plus ou moins rapproché. Mais il faut faire état d'un autre grand marché, celui des Etats-Unis d'Amérique. On dira que là aussi le fret est élevé, que les moyens de transport peuvent manquer, mais à toutes ces objections je répondrai qu'il n'est pas probable que toute la marine marchande disparaisse comme par enchantement.

Bien qu'on éprouve des difficultés à se procurer des moyens de transport, ils existent toujours ; le fret peut s'élever, mais évidemment vous ne manquerez pas complètement de moyens de transport. J'en appelle à l'expérience des personnes habituées à examiner le mouvement commercial ; et à la chambre de commerce d'Anvers elle-même qui exprime l'avis que selon toute probabilité, nous aurons bientôt des arrivages considérables des Etals-Unis d'Amérique.

Voyons maintenant, messieurs, l'opinion de cette chambre sur la question de la libre sortie.

Hier, on a cherché à vous effrayer sur les conséquences de la libre sortie des grains et on a invoqué avec beaucoup de fracas l'opinion exprimée dans la lettre du 20 octobre de la chambre de commerce d'Anvers.

Dans cette lettre on exprime le souhait que l'étranger ne vienne pas trop appauvrir notre marché intérieur. Voilà tout ce qui s'y trouve, et permettez-moi, messieurs, de faire l'historique des relations qui ont existé, sur la question des céréales, entre le gouvernement et la chambre de commerce d'Anvers.

Pour être parfaitement au courant de la situation, le gouvernement lui a demander de l'informer hebdomadairement de tout ce qu'il y aurait d'important à noter relativement au commerce des céréales.

Eh bien, messieurs, le bureau de la chambre, qui est chargé de répondre à toutes les demandes qui arrivent généralement, le bureau de la chambre de commerce a donné un avis dans lequel il exprimait le vœu que j'ai déjà fait connaître.

« On doit souàniter avant tout que des pays voisins ne viennent pas appauvrir nos marchés. » Voilà son langage.

Hier un honorable membre a dit : Ce n'est pas nous qui sonnons l'alarme, c'est le premier corps commercial de la Belgique habitué à apprécier sainement la situation, et composé d'hommes ayant la vue beaucoup plus longue que nous. C'est ce corps qui s'effraye et qui exprime l'opinion donl la signification est d'empêcher les grains indigènes de sortir.

Messieurs, j'avais la conviction qu'on avait mal compris les intentions qui ont présidé à la rédaction de cette lettre. Pour vous faire partager ma conviction je mettrai sous vos yeux trois ou quatre passages de lettres du même corps commercial. Dans celle du 27 octobre, à 7 jours d'intervalle, la chambre de commerce dit, en terminant :

« Nous regrettons de devoir, de semaine en semaine, donner des avis défavorables sur la marche des céréales. Le seul moyen (écoutez bien ceci, messieurs !) le seul moyen, de la part du gouvernement, d'atténuer le mal, c'est, comme nous l'avons dit bien des fois, d'attirer, par des mesures libérales, le plus de navires possible dans nos ports, de favoriser la construction et la nationalisation de navires et de réduire les frais de différente nature qui pèsent sur notre navigation. »

Remarquez bien, messieurs, la signification de ce langage, et surtout des dernières expressions de la chambre de commerce : « De diminuer les frais de toute nature qui grèvent notre navigation. »

El maintenant que les honorables membres qui croient avoir répondu à tout en offrant la faveur de l'entrepôt au commerce, veuillent bien nous dire si ce ne sont pas là des frais qui grèveraient le commerce des céréales ; qu'ils demandent à la chambre de commerce d'Anvers si, en écrivant ces mots, elle n'a pas eu en vue les frais de toute nature qui pourraient venir gêner la liberté du commerce des grains.

La même opinion est encore exprimée dans une lettre subséquente du 3 novembre :

Voilà ce qu'on aurait bien fait, pour vous éclairer sur la portée de l'avis de cette chambre de commerce, d'ajouter aux craintes qu'on a exprimées hier en son nom sur l'état de nos approvisionnements. Les représentants du commerce d'Anvers espèrent que nous continuerons à abolir toutes les charges qui grèvent le commerce des céréales.

Maintenant, messieurs, vous devez être édifiés sur la portée du vœu exprimé, à savoir que les grains indigènes restent autant que possible dans le pays.

« Les Etats-Unis, dit-elle en terminant, resteront ainsi notre principale ressource, et il importe d'en faciliter les arrivages par tous les moyens possibles. »

Eh bien, serait-ce faciliter les arrivages des Etats-Unis, de quelque partie du monde que ce soit, que de dire au commerce : « Venez entreposer vos grains en Belgique. »

Messieurs, ou je me trompe fort, ou les honorables auteurs de cette correspondance d'Anvers, s'ils avaient pu entendre hier les conséquences qu'on tirait de l'avis qu'ils avaient émis, auraient été fort surpris des intentions qu'on leur prêtait.

Quoi qu'il en soit, il reste démontré que la chambre de commerce, loin de favoriser les mesures restrictives de la liberté des céréales, repousse, au contraire, l'idée qu'on pourrait, sous une forme quelconque, aggraver la situation de ce commerce, aggraver surtout les charges qui pèsent sur le commerce de libre exportation.

Messieurs, on a encore cité l'exemple de la France ; elle ne laisse pas sortir ses grains.

Il y a d'abord une réflexion générale qu'il faut faire pour bien apprécier la situation relative de la France et de la Belgique, quant aux céréales.

Je demanderai en premier lieu si les prix en France se trouvent dans une condition plus favorable qu'ils ne le sont en Belgique.

- Des membres. - Oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je dis non ; vous aurez la part des prix moins élevés, et je ferai la part des prix qui le sont davantage.

Les prix en France ont été pendant longtemps plus élevés qu'ils ne le sont en Belgique ; il y a peu de jours, ils l’étaient encore ; je sais que depuis trois jours, par une de ces fluctuations habituelles au commerce des grains, il s'est produit un mouvement de baisse ; maintenant, à l'heure où j'ai l'honneur de vous parler, le niveau s'est déjà rétabli à peu de chose près entre la Belgique et la France ; quelques centimes ne font pas l'affaire, quand il s'agit d'apprécier une mesure aussi importante que celle de la liberté du commerce et des charges qui devraient être la conséquence de l'amendement de l'honorable M. Dumortier. Mais je le répète, à une faible différence près, le niveau est déjà rétabli entre la France, la Belgique, l'Angleterre et les provinces dn Rhin dont on a aussi parlé.

Mais, messieurs, il y a une autre raison à vous donner pour vous expliquer la situation de la France relativement à la Belgique.

La France n'a en réalité qu'un grand port où arrivent tous les arrivages de la partie orientale : c'est Marseille... (Interruption.) Oui, le Havre pour les farines ; mais pour le commerce des grains proprement dit, c'est Marseille ; Marseille verse ses grains sur le midi de la France, sur l'Italie, l'Espagne, etc. Eh bien, à Marseille, on peut comprendre jusqu'à un certain point le système d'entrepôt.

Cela s'explique par une raison qui tient aux frais de transport : le fret des navires qui apportent les grains à Marseille est notablement inférieur à ce qui existe sous ce rapport pour l'Angleterre et la Belgique ; la différence est de 2 ou 3 francs par hectolitre.

Mais il y a un fait bien plus saisissant que celui-ci : je reproduis l'observation que je faisais tout à l'heure, à savoir qu'à l'heure qu'il est les prix en France sont les mêmes ou à peu près les mêmes qu'en Belgique. (Dénégations.) Vous avez beau faire des signes de dénégation, cela ne change pas la question.

Maintenant, permettez-moi de reproduire une observation que j'ai faite hier au sujet des prix qui sont la base essentielle de tout le commerce des céréales. Que veut-on obtenir par la défense de l'exportation des grains indigènes ? Un abaissement plus ou moins considérable dans les prix en Belgique, en supposant qu'il se réalise. Quelle sera la conséquence de cet abaissement ? Inévitablement d'éloigner de vous toute espèce d'arrivages de grains étrangers, par la raison toute simple que (page 56) le commerce ne viendra pas, parce que cela nous est agréable, vendre au-dessous des prix qu'il peut obtenir ailleurs.

Vous dites : « Nous mangerons nos grains indigènes, et quand nous n'en aurons plus, nous en prendrons ailleurs. » Mais quand vous aurez mangé votre grain, vous devrez bien compter avec le malencontreux déficit ; et quand vous aurez consommé tout votre blé indigène au mois de mai, il faudra bien se demander alors ce que nous ferons.

Eh bien, qu'arrivera-t-il ? Vous subirez ce que vous avez subi en 1847, à savoir que quand vos greniers seront épuisés vous serez obligés de subir une hausse considérable. En 1847 les prix qui étaient restés à 30 ou 32 francs se sont subitement élevés à 41 et 42 fr. en moyenne, car il y a eu beaucoup de points du pays où les prix ont dépassé ce chiffre et ont atteint celui de 50 fr. En 1847 par suite de l'épuisement de vos greniers, vous avez été obligés de compter avec l'étranger. Vos grains se sont vendus 42 fr. en moyenne, en mai et juin.

C'est ce que nous voulons éviter. Nous savons qu'il n'est pas possible d'empêcher la cherté du grain pendant plusieurs mois encore. Mais ce que nous voulons éviter, ce sont ces mouvements rapides qui d'un prix déjà élevé, mais relativement modéré, portent tout à coup le grain au prix de 40 et même 50 francs. Mieux vaut ménager la transition dans les prix, parce qu'il est plus facile de supporter l'augmentation successive avec les ressources que la philanthropie et la bienfaisance peuvent fournir que de faire face à une hausse aussi considérable que celle qui s'est produite tout à coup en 1847.

Vous aviez alors les bienfaits du régime prohibitif que l'on veut rétablir aujourd'hui.

Voilà les observations générales et particulières que j'avais à présenter a l'appui du système du gouvernement. Je crois avoir rencontré toutes les observations critiques qui ont été faites par les honorables membres qui ont appuyé l'amendement de M. Dumortier.

Il ne me reste plus qu'un mot à dire pour répondre à un autre amendement déposé par l'honorable M. Osy, relativement à une partie du projet concernant le lard et la viande. Voici ce qu'il propose :

« Retrancher du paragraphe 2 de l'article premier, les mots :

« Le lard et les viandes de toute espèce,

« et ajouter à cet article un paragraphe 3 ainsi conçu :

« Sont également libres à l'entrée, jusqu'au 31 décembre 1854, le lard et les viandes de toute espèce non dénommés au tarif. »

Messieurs, le gouvernement ne voit aucune difficulté à adhérer à cet amendement.

Je ne sais si la chambre entend que le gouvernement justifie par anticipation la partie du projet relative à la prohibition de la sortie des pommes de terre. Jusqu'ici aucune observation n'a été présentée ; je ne crois pas nécessaire d'en occuper la chambre. Si des observations critiques étaient faites, je me réserve de prendre la parole. Je pense que je n'aurai pas de peine à justifier complètement la mesure.

M. de Perceval. - (page 45) Messieurs, de toute la session législative, la chambre n'aura pas à traiter une question plus importante que celle dont elle s'occupe en ce moment.

La question des denrées alimentaires présente, en effet, un caractère de gravité que personne ne saurait méconnaître, car elle touche aux intérêts vitaux, aux besoins immédiats et permanents d'un peuple.

La cherté des subsistances constitue pour toute nation une calamité publique ; elle est susceptible d'engendrer des maux incalculables, parce que la faim et l'absence de ressources pour l'assouvir, ne raisonnent point.

Il nous importe donc de prendre des mesures efficaces et énergiques dans le but d'éloigner, le plus possible, de notre pays, ce fléau qui n'apporte, dans les contrées qu'il visite, que misère, ruine et désolation.

Mais afin de juger sainement de la valeur du projet de loi que le gouvernement nous a soumis et que la section centrale a complété dans une certaine mesure, il me paraît nécessaire d'apprécier auparavant quelle est, dans les temps ordinaires, la situation vraie, réelle de l'immense majorité des 890,000 familles qui composent la nation belge et dont nous sommes ici les mandataires, les représentants.

De même que pour le médecin, une enquête sérieuse sur l'état ordinaire, la vie habituelle du malade est nécessaire avant qu'il puisse se livrer, avec l'espoir du succès, à la recherche et à la détermination du remède le plus salutaire, de même devons-nous agir, nous, qui avons la mission, la responsabilité de pourvoir d'une manière efficace à la guérison des maux dont souffre le corps social.

Lorsque, à l'aide de documents officiels, je vous aurai fait apercevoir dans toute leur triste vérité quel est, dans les temps ordinaires, le sort habituel et précaire des neuf dixièmes de nos concitoyens, de quatre millions de Belges sur quatre millions et demi, vous serez convaincus que le laisser faire et le laisser passer qu'on vous propose de consacrer comme une divinité sociale, ne constitue qu'une théorie égoïste, décevante dans la pratique, quand elle trouve son application dans les temps de crise alimentaire.

Voyons si je suis à même de prouver ce que je viens d'avancer.

Et d'abord j'ai voulu savoir combien sur les 890,000 familles qu'on compte en Belgique, il pourrait s'en trouver vivant dans une position qu'il est permis de qualifier de position aisée.

Les listes électorales des collèges qui nomment les membres de la représentation nationale m'ont servi de base dans cet examen.

Pour tous les arrondissements du royaume, le nombre des électeurs, c'est-à-dire des citoyens aisés payant 42 fr. 32 c. d'impôts directs à l'Etat, ce nombre, dis-je, s'élève à 79,000.

Et pour compenser les erreurs et les fraudes, ajoutons-y 1,000 personnes. Ne négligeons pas non plus d'y joindre ceux qui exercent des professions libérales, dont le chiffre s'élève à 2,000 environ. Et pour ne pas donner prise à la critique, élevons même le chiffre à 90,000 familles. Rangeons-les toutes parmi les familles vivant habituellement dans l'aisance ; il nous restera donc 800,000 familles dont l'avoir mobilier et immobilier, joint à l'impôt des patentes, ne forment pas des éléments imposables jusqu'à concurrence de 42 fr. 32 c.

800,000 familles dont la contribution foncière, jointe à la contribution sur le loyer, à la contribution sur le mobilier, à celles sur les foyers, les portes et les fenêtres, les domestiques et la patente ne parviennent pas toutes ensemble à constituer un total annuel de 42 fr. 32 c.

N'est-il pas évident que lorsqu'on considère avec quelque attention les éléments constitutifs des sept bases de l'impôt appelé direct, et qu'on se demande dans quelle catégorie il faut ranger les 800,000 familles qui, en raison de ces sept bases, ne parviennent pas à un total d'impôts, annuels s'élevant à 20 fl., n'est-il pas évident, dis-je, que ces familles ne pourraient, sans exagération, être rangées parmi les familles vivant dans l'aisance ?

Peut-être même trouverez-vous, messieurs, que parmi les 79,000 familles d'électeurs, on en rencontre encore bon nombre de peu aisées, appartenant à la petite bourgeoisie, et qui ont parfait leurs 20 florins d'impôts directs, au moyen de la patente qu'ils payent soit à titre de (page 46) petit maître ou de boutiquier, de cabaretier, de débitant de liqueurs, etc., toutes entreprises ordinairement exercées psr des familles dont la condition n'est que trop souvent peu aisée.

J'affirme donc que ces 800,000 familles seront habituellement non dans une position aisée, non dand une position de bien-être stable, constant, permanent, mais que leur existence est incertaine, plus ou moins précaire, pour les unes, et mal consolidée, quelquefois misérable pour les autres.

Ces 800,000 familles composent les rangs serrés de la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, ainsi que les ouvriers salariés de l’industrie, du commerce et de l'agriculture.

Or, messieurs, c'est dans les rangs de la petite bourgeoisie et dans les rangs des ouvriers salariés qu'on se ressent le plus douloureusement du prix élevé des denrées alimentaires.

Ne perdez pas de vue que le recensement officiel de 1846 nous a fait connaître que dans les 800,000 familles on trouve 434,000 familles formant ensemble une population de 2,170,000 âmes, appartenant à la classe des ouvriers salariés, parmi lesquels ce même recensement direct opéré à domicile, a constaté 140,000 familles inscrites sur la liste des pauvres.

Maintenant que nous connaissons la situation habituelle du malade, demandons-nous quel remède sa guérison réclame, et jugeons en même temps de l'efficacité pratique de celui que le gouvernement ainsi que la section centrale proposent à notre adoption.

S'il était possible de réunir dans cette enceinte les chefs des 890,000 familles du pays et qu'on leur posât les questions suivantes :

Quelles mesures, quelles lois, et au besoin quelles institutions réclamez-vous de la législature pour assurer l'alimentation de vos femmes et de vos enfants, de ceux de la vie et de la destinée de qui vous êtes responsables ?

Vous ne doutez pas de la réponse qui vous serait faite. Ils nous diraient : Prenez toutes les mesures capables d'assurer à nos familles non seulement une alimentation suffisante, mais encore une alimentation au meilleur marché possible.

Dès lors, messieurs, notre devoir à nous, représentants, est tout tracé ; notre tâche est facile à remplir, et nous avons un critérium certain pour apprécier la valeur des moyens qu'on nous propose afin de procurer au pays, à la nation, les denrées alimentaires que ses besoins réclament.

Le moyen que le gouvernement et la section centrale nous soumettent, satisfait-il à la double condition, savoir :

1° De procurer au pays des denrées alimentaires en quantité suffisante ;

2° De leur fournir ces denrées au meilleur marché possible.

Si la mesure qu'on nous soumet réunit ces deux conditions essentielles, nous devons l'adopter. Si, au contraire, elle n'est pas de nature à procurer au pays ces résultats, nous devons nous hâter de la modifier et de la compléter.

La libre entrée et la libre sortie des denrées alimentaires est-elle capable de pourvoir dans tous les cas à l'alimentation de la population du pays ?

La libre entrée et la libre sortie des céréales résout-elle le problème de l'alimentation au meilleur marché possible ?

Je n'hésite pas à répondre négativement à ces questions.

D'abord, quant à la première, l'expérience a prouvé que, malgré tous les efforts du commerce, il lui est impossible de combler, dans le délai voulu, le déficit d'un manquement de récolte un peu considérable.

Rarement une mauvaise récolle se borne à un seul territoire. Presque toujours elle embrasse plusieurs pays de la même région terrestre.

De là une insuffisance notable dans les moyens de transport ; cette insuffisance est de nouveau constatée aujourd'hui.

Les blés et les autres denrées alimentaires susceptibles de pourvoir à tous les besoins, existent ; mais quelle que soit l'activité du commerce et de la navigation, ils n'ont pas la puissance de multiplier leurs capitaux et les moyens de transport pour amener assez promptement les denrées des pays de production dans les pays qui les réclament.

Tout se passerait bien si l'on pouvait attendre, et pour les estomacs c'est précisément là l'impossible. La disette se produit bientôt, les populations souffrent, elles meurent de faim en présence des immenses provisions disponibles qui existent ailleurs, mais qu'on ne peut apporter assez à temps.

Pour résoudre avec succès le problème de l'alimentation suffisante en temps de disette, le commerce libre devrait agir préventivement, d'avance, en vue d'éventualités possibles, qui arrivent nécessairement à des époques plus ou moins éloignées, mais sans date déterminée.

Or, messieurs, le commerce ne se passionne pas, en général, pour les affaires dont les résultats sont à la fois éventuels et éloignés.

La mobilité est le caractère essentiel des capitaux commerçants ; et, l'approvisionnement d'un pays par avance, c'est l'immobilisation des capitaux.

L'individu, le spéculateur, le commerçant, ne se confient qu'au présent ; l'avenir incertain, problématique surtout, est exclu du domaine de l'activité mercantile. Le marchand veut du positif, et non de l'imaginaire ; de même que le crédit, pour fournir des capitaux, il lui faut des hypothèques et non des hypothèses. De là provient qu'en temps de crise alimentaire, les services que rend le commerce arrivent trop tard aux populations, car il ne se met sérieusement à l'œuvre que lorsque la disette s'est déjà manifestée.

Me résumant sur cette première question, je dis que l'expérience démontre que la liberté du commerce la plus illimitée ne peut, à raison de l'insuffisance des moyens de transport, combler, dans le délai voulu, le déficit d'une mauvaise année de récolte.

Abordant l'examen de la seconde question, je vais essaver de vous prouver que le libre-échange, reconnu hors d'état pour fournir en temps opportun à un pays les denrées qui lui manquent, est bien plus impuissant encore à résoudre le problème de l'alimentation au meilleur marché possible.

De cette vérité, nous avons en ce moment un Belgique un exemple frappant.

Que nous dit le gouvernement dans l'exposé des motifs du projet de loi en discussion.

Parlant de l'état de l'approvisionnement du pays eu égard aux exigences de la consommation normale d'une année, il ajoute : « Qu'en supposant même que le commerce n'augmentât pas les quantités de denrées alimentaires introduites dans le pays, l'on peut, dès maintenant, être rassuré sur l'approvisionnement jusqu'à l'époque de la récolte de 1854. »

Ainsi, selon le gouvernement, il y a actuellement dans le pays assez de denrées alimentaires pour les besoins de la consommation de toute la période de 1853 à 1854.

Mais, dans une pareille situation presque normale, les prix des marchés ne devraient-ils pas être égaux, sinon approchant de beaucoup les prix des années exemptes d’insuffisance de denrées ? II n'en est rien cependant.

Le froment qui en 1848 s'est vendu, en moyenne, à 17 fr. 94, qui en 1849 se vendait à 17 fr. 40, en 1850 à 16 fr. 34, en 1851 à 16 fr. 89, enfin, qui en 1852 se vendait à 20 fr. 36, le froment, dis-je, se vend actuellement 33 fr. 64 c. l'hectolitre ! Et nous avons le libre échange pour les denrées alimentaires ! et les approvisionnements, selon les déclarations de M. le ministre de l'intérieur, ne manquent pas dans le pays jusqu'à la récolle prochaine !...

Un pareil résultat, dans de semblables circonstances, est pour moi une démonstration évidente des effets négatifs de la liberté du commerce en ce qui concerne la solution du problème qui a pour objet de procurer à nos populations l'alimentation au meilleur marché possible.

Je vais plus loin ; je dis qu'en ce qui touche les denrées alimentaires, les produits de première nécessité pour l'homme, il pourra se présenter tel cas où la liberté du commerce, le laisser faire et le laisser passer produira, chez une nation qui aura eu le bienfait d'une bonne récolte, précisément les mêmes effets que si la récolte y avait été mauvaise.

Supposons une bonne année de récolte en Belgique et une mauvaise en Angleterre ou en France, dans l'un ou l'autre des grands pays qui nous environnent.

Qu'arrivera-t-il avec le libre échange ? Par la faculté d'exportation, vous verrez les prix en Belgique suivre exactement la hausse des prix dans le pays dont la récolte a été atteinte. Et n'en avez-vous pas déjà la preuve sous les yeux, en voyant qu'en Belgique, où la récolte a été satisfaisante relativement à la récolte en France et en Angleterre, avec des approvisionnements déclarés suffisants par le gouvernement, nous avons atteint dès à présent le chiffre de 33 fr. 65 cent., tandis que la moyenne des sept mois les plus désastreux de l'année 1847 n'a été que de 36 fr.

Si, contre nos espérances, la hausse continue en France et en Angleterre, elle suivra exactement en Belgique ; et, je le répète, grâce à la liberté du commerce, nos populations payeront le pain à un prix exorbitant, en présence cependant d'un approvisionnement satisfaisant. Sans nécessité aucune, nous éprouverons tous les effets de la disette.

Car, messieurs, ne le perdez pas de vue, il importe peu aux 800,000 familles belges dont la position est moins qu'aisée, que les céréales et les autres denrées alimentaires existent dans le pays.

Ces denrées n'existent pour elles qu'à la condition de pouvoir les acheter à des prix accessibles à leur salaire, à leurs ressources pécuniaires excessivement restreintes. En ce moment que le prix du pain est doublé, est-ce que le salaire de l'ouvrier agricole et industriel est doublé ? Donc, la ration journalière de sa famille se trouve réduite d'autant.

C'est le cas, messieurs, c'est la position douloureuse de 434,000 familles, formant une population de 2,170,000 âmes. Telle est également la position dans laquelle sont forcées de vivre aujourd'hui les autres 366,000 familles qui composent les petits cultivateurs et la petite bourgeoisie industrielle et commerçante !

Et cependant les besoins impérieux, la santé, la vie de nos populations réclament non seulement que leur travail soit régulier, assuré, mais encore qu'ils puissent se nourrir d'une manière conveuable et à bon marché.

Tel est, messieurs, le jugement prononcé par l'expérience sur les effets tant préconisés de la liberté du commerce des denrées alimentaires, en temps de crise et aux époques de disette. A elle seule, celle liberté est impuissante à résoudre le problème de l'alimentation suffisante et à bon marché.

S'en suit-il qu'on doive l'abolir d'une manière absolue comme un danger, en revenant au système de la protection quand même ?

Non ; il faut ôter à la liberté du commerce son action, lorsque, à un moment donné, ses effets nous sont nuisibles ; il faut s'en servir quand son action est bienfaisante ; il faut pourvoir par d'autres moyens à la solution des difficultés qu'il n'est pas dans sa nature de vaincre.

A quel titre vous exalte-t-on la liberté du commerce des denrées (page 47) alimentaires ? A titre d'instrument capable d'approvisionner le pays d'aliments, de subsistances au meilleur marché possible.

C'est bien.

Servez-vous de l'instrument quand il vous fait atteindre ce but désiré. Mais écartez-le soigneusement lorsqu'il vous en éloigne. Complétez-le, s'il est possible, dans ce qu'il présente d'imparfait, lorsque, tout en vous rendant service, il ne vous le rend pas dans les conditions que vous imposent vos besoins.

Ce sont toutes ces considérations qui me déterminent aussi à demander la prohibition à la sortie des céréales et de leurs farines jusqu'au 31 juillet 1854, puisque, dans son exposé de motifs, le gouvernement déclare nos approvisionnements suffisants.

Une autre mesure, propre à venir en aide aux populations, est l'abolition des droits d'octroi sur les denrées alimentaires.

Il importe de faire disparaître cet impôt odieux qui atteint, comme a dit en 1848, M. Charles de Brouckère, dans son mémoire sur les impôts communaux qu'il qualifiait d'injustes, de vexatoires et d'onéreux, « qui atteint, disait-il, la consommation de l'ouvrier d'une manière trop sensible et qui impose de dures privations à l'artisan et au petit bourgeois. » (Voir pages 55, 57 et 40.)

L'impôt-mouture a disparu à Gand, mais il existe encore dans trois autres villes du royaume. Qu'il cesse là aussi son action inhumaine. J'engage vivement le gouvernement à provoquer l'abolition des impôts communaux établis sur la nourriture du peuple.

Je voterai le projet de loi tel qu'il a été modifié par la section centrale, c'est-à-dire avec l'abolition des droits d'entrée sur les viandes fumées et salées, sur les bestiaux et le riz, et j'adopterai la proposition de l'honorable M. Dumortier.

Je termine par une dernière considération.

L'expérience à laquelle nous assistons en ce moment, doit éclairer notre conduite pour l'avenir. Nous y trouvons la preuve que pour résoudre les difficultés du problème de l'alimentation à bon marché lorsqu'une crise a éclaté, par suite d'une mauvaise récolte, il ne faut pas attendre que la disette soit venue pour demauder ensuite au libre échange un remède qui dépasse ses forces.

Comme législateurs, préposés à la sécurité de la société, nous devons agir avec prévoyance dans lo but d'écarter les dangers, et non demeurer immobiles jusqu'à ce qu'ils nous aient surpris. Pour assurer la santé du corps social tout aussi bien que pour assurer la santé de l'homme, mieux vaut, suivant moi, se montrer observateur austère des commandements de l'hygiène qui prémunit contre les maladies, que d'avoir à subir, par suite d'imprévoyance volontaire, les épreuves chanceuses de la médecine. J'adjure le gouvernement d'entrer dans la voie que je lui indique. Je crois qu'en présence des effets constatés, il est nécessaire d'avoir recours à des moyens d'une vertu plus efficace. En temps de crise, ce n'est pas une application aveugle de certaines doctrines qu'il faut à la nation, c'est du pain.

(page 56) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je dois relever une observation de l'honorable M. de Perceval, de laquelle il résulterait que le gouvernement, dans l'exposé des motifs, se serait exprimé autrement que dans la discussion sur l’étendue du déficit. Selon l'honorable M. de Perceval, le gouvernement aurait, dans l'exposé des motifs, exprimé l'opinion qu'on ne devait avoir aucune espèce d'inquiétude sur l'approvisionnement du pays jusqu'à la fin de l'année 1854. Cela ne résulte pas de l'exposé des motifs. Je pense que si l'honorable membre avait lu la partie de l'exposé qui suit celle à laquelle il a fait allusion, il aurait été convaincu que le gouvernement ne trouvait pas les approvisionnements suffisamment assurés dès à présent.

En effet, dans l'exposé des motifs on évalue le déficit à 163 millions de kilogrammes, ce qui répond à 1,600,000 hectolitres. Le gouvernement a eu soin d'ajouter dès à présent que les importations, déduction faite des exportations, avaient donné 105 millions de kilogrammes ; et qu'en se montrant confiant dans les approvisionnements généraux du pays, c'était avec la supposition que les importations continueraient dans une proportion égale à celle des mois qui ont précédé.

(page 47) M. Malou. - Messieurs, le débat se circonscrit dans l'examen de la proposition de M. Dumortier. On est d'accord sur presque tous les autres points, du moins sur les questions les plus importantes. Je m'occuperai donc exclusivement de la prohibition de la sortie des grains.

J'appuie cette proposition parce que je la trouve légitimée par les faits et conforme aux véritables intérêts du pays. Les objections qu'on y oppose ne me paraissent pas fondées ou n'ont pas la gravité qu'on leur attribue.

La base, ou si l'on veut le point de départ de cette discussion est malheureusement incertain. On peut se livrer à des conjectures nombreuses, faire des statistiques à vol d'oiseau pour apprécier les résultats d'une récolte, personne ne peut affirmer aujourd'hui ou dans des circonstances analogues quel est le déficit auquel il faut pourvoir.

Pour prendre un exemple dans l'histoire même du pays, je rappellerai qu'en 1846 la statistique faite lors du recensement accusait un déficit de 874 millions de kilogrammes. Le gouvernement ne publia pas ce résultat et il fit bien, car il fut constaté que le pays s'était nourri et n'avait pas été réduit au jeûne, moyennant l'importation du cinquième de cette quantité. Je rappelle ce fait pour montrer qu'il est impossible d'apprécier les résultats d'une récolte et de prédire quel sera à l'avenir le prix des grains.

Il faut donc se défendre de l'exagération qui tendrait à prophétiser une hausse constante, comme de l'opinion qui consiste à dire : C'est un mal passager ; la baisse se prononce ; elle va continuer. Vous n'aurez pas de crise. Je crois que la vérité est entre ces deux extrêmes. Je crois que nous avons à pourvoir à une insuffisance, et qu'il y a pour le gouvernement et les chambres des mesures et des mesures radicales à prendre.

Acceptons donc, non pas comme un fait, mais comme une hypothèse, une insuffisance de 1,600,000 à 1,800,000 hectolitres pour l'alimentation régulière du pays, et demandons-nous quelles sont les mesures qui doivent être prises.

Et d'abord tâchons de nous entendre sur le but même de la législation, en pareille matière, dans de telles circonstances. S'il faut en croire certains arguments qui ont été produits à la séance d'hier et sur lesquels l'honorable ministre de l'intérieur est revenu tout à l'heure assez longuement, il s'agit pour la législature d'empêcher la baisse des céréales.

En effet vous avez pu remarquer qu'il a dit : « En prohibant la sortie, vous allez faire baisser les grains. Est-ce là ce que vous vous proposez ? » (Interruption.)

Ainsi en réalité, à son insu, ou sans le vouloir et avec de bonnes intentions, l’honorable ministre de l'intérieur, comme d'honorables préopinants, a plaidé à la hausse. Est-ce là le but ? Est-ce le point de vue où le législateur doit se placer ? Nullement. En temps de crise la législation doit tendre à maintenir autant que possible les prix à un taux modéré, à amener autant que possible la baisse des prix. C'est le problème à résoudre aujourd'hui.

Je comprends, sans toutefois l'admettre, l'objection tirée de l'intérêt de l'agriculture. L'honorable M. T'Kint de Naeyer l'a indiquée hier, en disant : Vous allez exproprier l'agriculture sans indemnité. Si cela est vrai, quelle est la conséquence de la proposition de l’honorable M. Dumortier ? C'est qu'en réalité, selon l'appréciation de l'honorable membre, elle doit amener une baisse modérée des prix ; car sans cela il n'y a pas d'expropriation de l'agriculture.

M. T’Kint de Naeyer. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Malou. - Si la portée des paroles de l'honorable membre n'est pas telle que je l'ai indiquée, je demanderai qu'il veuille bien l'expliquer.

Quand on dit qu'on exproprie l'agriculture sans indemnité, c'est dire qu'on fait tort à l'agriculture, en l'empêchant, par l'interdiction de la sortie des grains de réaliser des prix plus élevés.

M. T’Kint de Naeyer. - Mais, grâce au commerce, l'agriculture peut remplacer à meilleur marché les grains qu'elle a exportés.

M. Malou. - Je vais venir à cette objection. Il m'est impossible de tout dire à la fois.

Lorsqu'on nous parle aujourd'hui du régime de la liberté commerciale, n'est-ce pas l'éloge funèbre de la dernière loi que l'on fait.

Quelles sont les promesses que l'on faisait à la législature et au pays, et qu'en reste-t-il ? On a dit et redit : L'agriculture aura un droit protecteur, minime, mais assuré en toutes circonstances. Jamais cette protection ne lui sera retirée. C'était là (rappelez-vous les débats) la condition du vote de la chambre. Sans cela, la loi n'aurait pas été votée. Qu'est devenue cette protection ? Dès que la crise est venue, l'effet de la promesse a disparu.

Ce n'est pas assurément un régime libéral que celui où l'on prohibe la sortie des pommes de terre. C'est également en dehors du régime de 1849 et de 1850.

On serait donc mal venu à faire l'éloge de la législation de 1850, puisque la protection qu'elle devait assurera l'agriculture a tout de suite complètement disparu.

Je rappelle ces faits pour démontrer à la chambre qu'en ce moment nous n'avons pas à discuter une loi de principe, que toutes les questions sont naturellement réservées à cet égard, qu'il s'agit de rechercher, non pas quelle sera la position de l'agriculture dans l'état normal, mais quel intérêt prédomine dans cette question, si c'est l'intérêt agricole, ou l'intérêt alimentaire. Aujourd'hui comme en 1845 et en 1846, sous un autre régime, je dis que, quand les grains sont au prix de 33 à 35 fr., c'est l'intérêt alimentaire qui doit prédominer, tandis que l'intérêt agricole s'efface. Mais de ce que l'intérêt agricole s'efface dans l'intérêt du pays, il ne s'ensuit pas qu'il abdique, et j'espère qu'il le montrera.

Voilà pourquoi nous qui avons toujours soutenu que l'agriculture avait droit à être traitée comme les autres industries, nous pensons qu'elle doit s'imposer dans l'intérêt du pays un sacrifice, et subir, pour les grains comme pour les pommes de terre, cetle sorte d'expropriation pour cause d'utililé publique dont parlait hier l’honorable M. T'Kint de Naeyer.

Demandons-nous quelles sont les causes de la hausse anomale des grains. Lorsque nous les connaîtrons, nous pourrons les combattre.

Par quoi le prix des grains est-il surtout réglé ? Presque exclusivement par la production intérieure et par la consommation existant à l'intérieur. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir par l'expérience quel a été le déficit à diverses époques, et quel a été alors le prix des grains. Le déficit n'est pas aussi considérable que l'écart des prix pourrait le faire supposer. Un déficit même faible produit un grand écart de prix, précisément parce que c'est d'après ce que le pays produit et possède, que les prix s'établissent, et non pas d'après les importations.

C'est un fait constant, démontré par l'expérience de toutes les circonstances analogues à celles où nous nous trouvons.

En autorisant l'exportation des grains indigènes, vous diminuez la quantité qui règle les prix. Ainsi vous agissez nécessairement à la hausse. Il est impossible que les existences venant à diminuer, le prix du blé ne s'élève pas, lors même que vous espéreriez alors des importations considérables.

Sous le régime de la libre sortie, il y a une deuxième cause de hausse immédiate ; le marché restreint pour la quantité est libre pour tous les acheteurs, en d'autres termes vous pouvez avoir en Belgique des acheteurs de toutes les nations. Il est évident que le jour où un marché limité est ou peut être assiégé par des acheteurs de tous les pays, la hausse est certaine.

Si, au contraire, le marché est limité aux acheteurs indigènes, vous aurez plus de chance de maintenir la limite des prix. Un fait récent vient à l'appui de cette observation. Quand la hausse s'est-elle produite ? la hausse subite, inattendue pour tout le monde ? Elle s'est produite, quand de l'étranger on est venu acheter sur nos marchés une quantité de grains qui en elle-même n'était pas très considérable. Mais comme notre système de mercuriales est assez vicieux, comme les transactions ne se font qu'en petites parties sur nos marchés, il en est résulté de très grnudes alarmes, et une hausse anormale non motivée.

(page 48) Telle est l'origine de la crise ; votre marché n'est pas resté ce qu'il était par la nature des choses, les achats de l'étranger sont intervenus ; une forte hausse a eu lieu.

Ce fait démontré, acquis au débat, vous voulez le laisser persister, vous voulez qu'il dure jusqu'à la récolte prochaine. Quelle en est la conséquence ? La voici presque immédiatement. Vous devez arriver au maximum de tous les marchés voisins ; cela est inévitable. La situation géographique de la Belgique étant ce qu'elle est, du moment où vous laissez libre la sortie des grains, vous arrivez, en peu de jours, en peu de semaines au moins, au prix maximum du plus élevé des marchés voisins.

Il y a, dans le libre commerce des grains indigènes, une autre cause de hausse, et la voici. L'honorable M. T'Kint de Naeyer disait hier qu'à des époques comme celle-ci, il y a des milliers ou des millions, je n'ai pas bien entendu, de petits consommateurs qui font leurs provisions. Je voudrais que cela fût vrai, que nous eussions un aussi grand nombre doepetits consommateurs qui, malgré la rupture de l'équilibre entre le prix des salaires et le prix des objets de consommation, fissent leurs provisions.

M. T'Kint de Naeyer. - Lorsque la cherté commence, ce fait se produit naturellement.

M. Malou. - Je voudrais qu'il y en eût beaucoup, même dans ces conditions, qui pussent faire des approvisionnements.

Cela ne se peut pas. Mais voici ce qui se passe : le marché demeurant libre à tous, la hausse est une espérance perpétuelle et chaque détenteur devient spéculateur. Il en a le droit ; vous ne pouvez le forcer à réaliser ses grains.

Il est arrivé, en 1847, que le grain a atteint le maximum de 42 fr. et quelques centimes. Beaucoup de détenteurs ont dit : Nous aurons encore un meilleur prix, et ils n'ont pas vendu.

Lorsque vous aurez vos marchés ouverts à tous, le même fait se produira. Cette spéculation se fait partout.

Il est certain que la prohibition à la sortie des grains est un moyen des plus efficaces d'appeler sur le marché la quantité de grains nécessaire à l'alimentation du pays, et qu'au contraire, la libre exportation des grains est un moyen certain d'amener immédiatement une hausse très grande et de la maintenir jusqu'à ce que le résultat de la récolte prochaine soit à peu près acquis, parce que, et cette spéculation est très naturelle, je dirai même qu'elle est légitime en ce que personne n'est tenu de se défaire de ses denrées, parce que cela pèse sur les marchés et en réalité produit et maintient une hausse factice.

Voilà, messieurs, selon moi, les effets les plus incontestables du libre commerce des grains indigènes, lorsque le prix en est très élevé.

On nous parle sans cesse de la liberté commerciale ; on veut la liberté commerciale la plus étendue ; mais il semble, en vérité, que le régime protecteur, que le régime restrictif soit incompatible avec la liberté commerciale. Or, cela n'est pas plus vrai dans l'ordre des faits que nous discutons que dans tout autre.

Le libre commerce des grains, je le désire, je le veux comme vous. Mais je dis qu'il est parfaitement conciliable avec la prohibition à la sortie des grains. (Interruption.) Il y a en effet, messieurs, deux espèces de commerce de grains ; le commerce des grains indigènes et le commerce des grains exotiques, le commerce d'importation et le commerce de spéculation ou d'exportation des produits du pays. Je vous demanderai lequel de ces deux commerces vous voulez encourager.

- Plusieurs membres. - Tous les deux.

M. Malou. - Je vous remercie de l'aveu. Voici ce qui en résulte : Vous demandez la libre sortie des grains, non point par un amour platonique pour les principes, mais avec l'espoir qu'il en sortira, et beaucoup... (nouvelle interruption) et plus il en sortira, plus vous serez satisfaits.

Messieurs, quelle est donc la conséquence de ce système ? Vous avez un déficit de 1,600,000 à 1,800,000 hect. Je suppose que le vœu de l'honorable M. Prévinaire, par exemple, se réalise et que l'on en exporte autant. Vous devez nécessairement espérer qu'on vous importera 3,200,000 hectolitres au lieu de 1,600,000, dont vous avez besoin aujourd'hui.

Et, messieurs, c'est en présence de cette hypothèse que vous abandonnez ce que vous avez, sans être certain si et comment on le remplacera.

On me dit toujours : Mais c'est un avantage pour l'agriculteur de réaliser ses grains et de les remplacer immédiatement à meilleur marché à Anvers. A meilleur marché ! j'entends ; c'est probablement une marchandise qui vaut moins, et, au point de vue de l'économie générale, il n'y a pas là d'avantage, il n'y a pas de bénéfice. Mais les choses se passent tout autrement. Les détenteurs de grains indigènes peuvent bien réaliser une très grande quantité de blé à l'étranger, lors même que les importations se ralentissent ou que pour d'autres causes, on ne puisse remplacer ce blé.

Revenons encore aux faits. Il y a un déficit de 1,600,000 à 1,800,000 hectolitres. Que faut-il pour que ce déficit soit couvert ? Il faut que d'ici à la récolte prochaine les opérations du commerce ne soient pas interrompues, ne se ralentissent pas, que l'on vous importe 14 à 15 millions de kilogrammes par mois. Et c'est dans cette situation reconnue que vous voulez que la nécessité d'importations aussi constantes et aussi fortes soit encore augmentée !

Messieurs, qu'csl-il arrivé en 1847, par exemple ? Les importations, par suite de la mauvaise récolte, ont précisément été de 1,800,000 hectolitres.

Il a fallu une activité constante ; il a fallu, comme tous les mois ne peuvent se ressembler pour les importations, que certains mois donnassent jusqu'à 20 millions de kilog. d'importation.

Et lorsque vous reconnaissez être dans une situation analogue, vous voulez augmenter le déficit existant dans le pays !

On nous dit : Voyez les conséquences ; vous allez d'abord manger tout le blé indigène ; ensuite vous subirez toutes les conséquences de la hausse, vous n'en trouverez plus à l'étranger. Il me semble que plus vous en aurez exporté, plus vous devrez ensuite en trouver. Il me paraît que l'honorable ministre de l'intérieur n'a pas prévu que puisque le pays doit ou vendre ses grains ou les manger, il vaut mieux qu'il les mange, En effet, plus il exporte, plus on se trouve dans cette nécessité de racheter, et plus cette nécessité de racheter est grande, plus elle doit agir sur les prix.

La liberté commerciale pour les grains indigènes n'est donc pas nécessaire dans les circonstances actuelles. Mais je dis que la liberté du commerce des grains étrangers est et doit rester parfaitement sauve d'après le régime qui existe dans notre pays. Et ici, permettez-moi de rappeler en quelques mots les faits relatifs à la crise de 1816 et à celle de 1845 à 1847.

Il y a d'abord une observation que j'écarte du débat, parce qu'il m'est impossible de lui trouver un caractère sérieux ; M. le ministre de l'intérieur s'y est cependant arrêté avec une certaine complaisance.

Voyez, dit-il, les beaux résultats du régime protecteur ; vous êtes arrivés à 42 francs. Je pourrais répondre : Avec votre régime libéral, vous êtes arrivés, au bout de deux mois, à 33 francs et demi, et, une seule fois, après dix-huit mois de crise, après avoir maintenu pendant deux ans les prix dans la limite de 20 à 25 francs, nous sommes arrivés à 42 francs, sous le régime protecteur.

Je dis, messieurs, que ces arguments ne sont pas sérieux : pour voir quelles ont été les causes qui ont amené le prix de 42 fr. il faut étudier l'ensemble des faits et des circonstances dans le pays et au-dehors ; ce n'est pas la législation en matière de céréales, nous en avons encore la preuve aujourd'hui, qui règle d'une manière absolue les prix ; elle peut remédier à quelques excès, restreindre la hausse ou la baisse dans certaines limites, mais elle ne peut pas régler les prix en dépit de tous les événements.

Ce n'est donc pas le régime protecteur qui a amené la hausse de 1847, comme ce n'est pas le régime libéral, je me hâte de le dire, qui a produit en deux mois le prix de 33 fr. 1/2. (Interruption.) Je croyais avoir dit, et je répète, que la hausse s'est produite dans d'autres pays, qu'elle s'est produite en France et en Angleterre à la même époque.

Mais voyons (c'est là un objet auquel je m'arrête un instant), voyons si la liberté du commerce est réellement gênée par la prohibition à la sortie. Il suffit de consulter les faits qui se sont passés à cette époque, pour répondre à la question.

La prohibition à la sortie avait été proposée au mois de septembre 1845, par le gouvernement.

J'ai relu les discussions de cette époque ; la prohibition à la sortie n'a pas rencontré de contradicteur dans la chambre. On a discuté sur le terme de la prohibition ; l'honorable M. Osy a voulu le prolonger, mais le principe de la prohibition à la sortie a été voté par la chambre à l'unanimité. Quelle lumière subite a jailli tout à coup pour qu'aujourd'hui en Belgique, on s'éloigne des précédents posés par tous les gouvernements, dans des circonstances analogues, non seulement par les gouvernements qui ont régi la Belgique, mais par tous les gouvernements étrangers, deux seuls pays exceptés : l'Angleterre et la Hollande ?

- Des membres. - Et le Zollverein.

- Un autre membre. - Et la Toscane.

M. Malou. - En général, dans tous les pays, quand une crise se manifeste, non seulement, comme le disait l'honorable M. T'Kint de Naeyer, on ouvre la porte aux importations, mais aussi on ferme la fenêtre aux exportations. Les exceptions qui concernent l'Angleterre et la Hollande confirment la règle, parce que ces deux nations se trouvent dans une position tout à fait spéciale sous le rapport maritime, sous le rapport commercial et sous le rapport géographique. Le Zoliverein a pris des mesures prohibitives en 1845 et en 1846.

Avant d'arriver à la crise de 1845, rappelons ce qni s'est passé dans notre pays en 1816 et 1817. Le gouvernement, à cette époque, avait pris des mesures analogues à celles que le gouvernement a prises en 1853 : il avait prohibé la sortie des pommes de terre et du sarrasin ; c'était au mois de novembre ; le gouvernement, à cette époque, et les députés des provinces du Nord, à l'unanimité pour ainsi dire, soutenaient la thèse de la liberté illimitée du commerce des grains, indigènes et exotiques sans distinction ; un mois plus tard on fut obligé de revenir sur cette mesure, et l'initiative prise parles députés des provinces méridionales fut suivie de succès : on décréta la prohibition à la sortie des grains, par toutes les frontières de terre.

En 1845, la prohibition à la sortie est votée à l’unanimité.

M. Rogier. - Avec la libre entrée.

M. Malou. - Comme aujourd'hui.

En 1845, la prohibition à la sortie fut votée sans contradiction et on a eu raison, les faits l'ont prouvé, Il semble que le régime d'entrepôt soit tellement restrictif, tellement gênant que l'on n'ose pas aborder (page 49) l'entrepôt ; le régime d'entrepôt est, au contraire, le droit commun pour presque toutes les marchandises qui arrivent en Belgique. Pour faciliter le commerce on a fait les entrepôts et ils répondent parfaitement à leur destination. Je n'ai jamais entendu qu'on s'en soit plaint. En 1846 on a voulu l'étendre encore et donner au commerce ses libres allures.

En 1845, 1846 et 1847, le commerce en a largement profité ; il ne s'est pas trouvé gêné, il demandait seulement qu'on lui assurât une époque fixe avant laquelle la loi ne viendrait pas modifier le résultat de ses opérations. Il est en droit de le demander encore aujourd'hui, mais rien de plus.

Ainsi, messieurs, pendant la première année, sous ce régime qui devait, s'il faut en croire certains membres, paralyser les opérations du commerce, on a mis en consommation en Belgique 333 millions de denrées étrangères (je néglige les fractions), et on en a fait transiter 34 millions. Il me semble que voilà des opérations commerciales passablement étendues et qui prouvent que pendant cette période le commerce n'a pas dû se trouver considérablement gêné.

Les mises en consommation, seules, d'après les prix de cette époque, beaucoup inférieurs aux prix actuels, représentaient une valeur de plus de 100 millions.

Encore une fois, cela n’accuse pas du commerce, des entraves bien redoutables, ni une gêne bien grande.

Voyons la deuxième période de la crise. Du 1er octobre 1846 au 31 juillet, on a mis en consommation 132 millions de kil. de denrées étrangères (1,800,000 hectolitres à peu près), le seigle et le froment seuls entrent dans cette quantité pour plus de 100 millions de kilog.

Le transit, pendant la même période de dix mois, s'est appliqué à 107 millions de kilog., le froment et le seigle entrent dans cette quantité pour plus de 87 millions.

Ainsi, sous le régime odieux de la prohibition à la sortie le mouvement total du commerce, en 10 mois, s'est élevé, à 239 millions de kil. Si le commerce est gêné par la prohibition à la sortie, je désire qu'il puisse faire aujourd'hui la moitié seulement de ce qu'il a fait sous ce régime en 1846 et 1847, je suis persuadé qu'il serait pourvu à tous les besoins du pays.

Ceci prouve encore, pour le dire en passant, que ce n'est pas seulement depuis la loi de 1850, qu'on peut faire appel au commerce pour pourvoir à l’insuffisance des récoltes, mais que sous le régime de la législation antérieure, suspendu, comme le régime actuel, par des circonstances exceptionnelles, on a eu largement recours au commerce et que le commerce a répondu à l'appel qui lui était fait.

Je constate encore par le rapport officiel relatif aux mesures prises à cette époque que sous le régime de la prohibition de sortie, les prix sont restés notablement plus bas en Belgique pendant fort longtemps qu'ils ne l'étaient en France, et que les prix français n'ont été atteints en Belgique qu'au mois de mai, c'est-à-dire deux ou trois mois avant la fin de la crise.

J'insiste sur ce fait, parce qu'il démontre que sous le régime de la prohibition à la sortie, vous avez la chance de n'arriver que fort tard au prix maximum.

On dira peut-être. Comment se fait-il que des importations aient eu lieu en Belgique, lorsque les prix y ont été plus bas qu'en France ?

Je pourrais me dispenser de dire pourquoi elles se sont faites, puisqu'elles se sont faites. Il est constant que les prix différaient, et cependant des importations très considérables ont eu lieu en Belgique ; et je n'hésite pas à dire que le même fait se reproduirait dans des circonstances analogues.

Comment le commerce des grains se faisait-il à cette époque ? Non pas en cherchant à réaliser les prix les plus élevés au loin, mais en réalisant immédiatement un bénéfice moindre, qui, se reproduisant souvent, devenait par cela même plus considérable. C'est ainsi qu'on s'explique ce mouvement de 239 à 240 millions, sans que les entrepôts aient pu être encombrés.

Les négociants aimaient mieux réaliser un bénéfice moindre en important dans le pays que d'aller chercher au loin des bénéfices plus élevés, mais plus incertains. Et en effet, quand le négociant opère où il se trouve, il n'est pas grevé de frels, il n'a pas de chance à courir, il ne perd pas de temps, il réalise souvent : ce qui vaut mieux pour lui que de courir la carrière des aventures. Voilà ce que le négociant a fait lors de la crise de 1845 et de 1846, et ce qu'il ferait encore aujourd'hui.

Et cela explique le fait constant, qu'on a beaucoup importé en Belgique, lorsque les prix y étaient plus bas qu'ils ne l'étaient en France.

Je voudrais que MM. les ministres se missent d'accord sur le prix des mercuriales en France. M. le ministre des finances citait hier et il faisait imprimer au Moniteur de ce matin des chiffres d'où il résulte que la mercuriale de Lille, par exemple, du marché le plus voisin est de 3 fr. moins quelques centimes plus élevée qu'en Belgique.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je ne connais les chiffres que pour la deuxième semaine de novembre.

M. Malou. - Soit ; si cela était, et cela peut être, car les faits varient d'un jour à l'autre, nons aurions un argument très fort pour la prohibition à la sortie.

Quelle est en effet la situation de la Belgique ? On l'a dit souvent, la Belgique est un pays presque entièrement frontière. Cela est surtout vrai, lorsqu'il s'agit des différences de prix pour les denrées.

Veuillez étudier ces détails dans nos mercuriales, quelque imparfaites qu'elles soient, et vous remarquerez qu'il y a une anomalie singulière entre les prix de beaucoup de marchés-frontières et les prix de l'intérieur.

On vous dit, en prenant la statistique officielle : « Les exportations sont très peu considérables. » C'est là une partie de la statistique à laquelle on me permettra de ne pas croire.

Lorsque la statistique s'applique à des faits que l'administration a intérêt à constater, lorsqu'il y a un droit à percevoir et que la perception de ce droit doit laisser des traces dans les livres de la douane, alors on constate parfaitement le fait de l'exportation ; mais lorsque l'exportation d'un article est libre, quel intérêt la douane a-t-elle à exercer la surveillance ? quel intérêt a-t-elle à constater les faits ? L'exportation se fait alors comme se fait le commerce interlope, à l’insu de la douane, sous ses yeux, sans qu'elle y fasse attention ; et si les choses ne se passaient pas ainsi, vous ne verriez pas l'anomalie de mercuriales-frontières souvent plus élevées que les mercuriales de l'intérieur, alors que ce sont des pays qui produisent des surabondances de grains et qui ont des voies de communication très faciles et très rapides. (Interruption.)

- Un membre. - Et la Bretagne !

M. Malou. - J'ai fait allusion aux Flandres et non pas à la Bretagne. Je reste en Belgique, par la raison très simple que je discute un intérêt belge et des plus élevés.

Dans l’état actuel de la législation, on n'a donc pas intérêt à constater les exportations ; des exportations se font ; j'en trouve la preuve dans les mercuriales de plusieurs villes-frontières, et sous ce régime vous atteignez rapidement et pour longtemps les hauts prix. Donc, si les prix indiqués hier par M. le ministre des finances, existent actuellement ou sont atteints plus tard, vous serez inévitablement entraînés par les marchés étrangers à avoir chez vous les mêmes prix, si vous maintenez la libre sortie.

On parle encore de libre échange ; j'admets le libre échange, pourvu, par exemple, qu'on laisse aller librement le grain de Lille à Ypres, comme il va librement d'Ypres à Lille. Pour que l’échange soit libre, il faut que les conditions soient égales de part et d'autre.

Hier encore on vous disait ;: « Vous voulez vous isoler, c'est un égoïsme national incroyable. » Mais le premier principe de toute législation en cette matière, c'est que chaque nation se considère comme un individu, que nous devons agir comme un père de famille intelligent et prudent au lieu de faire seuls du sentimentalisme humanitaire.

Lorsque des crises pareilles se reproduisent, le plus souvent, je ne dis pas que cela arrivera cette fois, mais le plus souvent, comme l'a déjà fait remarquer mon honorable ami M. Dumortier, ce n'est pas au mois de novembre ou de décembre que les prix sont les plus élevés ; ces prix plus élevés, vous les subirez plus tard, et vous les subirez pour des quantités d'autant plus considérables que votre magnifique système d'exportation des grains indigènes aura le plus réussi.

Ainsi, vous aurez réalisé aujourd'hui, je suppose, un million d'hectolitres à 33 francs ; qui vous répond qu'au mois d'avril ou de mai vous ne rachèterez pas ce million d hectolitres à 40 fr. ? Je ne dis pas que cela sera ; mais du moment que cela est possible, probable même, vous commettriez une imprudence, vous poseriez un acte de mauvaise administration en vous exposant à cette éventualité.

Messieurs, j'ai exposé à la chambre les considérations qui me détermineront à voter pour l'amendement de l'honorable M. Dumortier. Je désire, si cet amendement n'est pas admis, qu'on n'ait pas aujourd'hui, comme en 1816, la douleur de revenir sur cette question, et d'y revenir pour apporter un remède qui serait d'une efficacité douteuse parce qu'il serait trop tardif.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.