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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 décembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 221) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Scipion Lorent, sergent au régiment des grenadiers, né à Remich (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


(page 222) « Les bourgmestre, conseillers communaux, propriétaires et cultivateurs de Zoersel demandent une loi qui interdise d'imposer les engrais et notamment les vidanges. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Gentinne, artiste vétérinaire patenté, demande que le gouvernement soit autorisé à l'admettre devant un jury spécial pour passer son examen de maréchal vétérinaire. »

- Même renvoi.


« Des fabricants de cirage à Lessines demandent que la dénaturation des mélasses incristallisables employées dans leurs établissements puisse se faire au moyen de 1 ou de 2 p. c. de noir animal. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Ortho prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à la suppression d'impositions communales. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Le sieur Pasquet, ingénieur civil, présente des observations relatives au projet de loi sur les brevets d'invention, et demande que le possesseur d'un brevet ait le droit de poursuivre devant les tribunaux ceux qui porteraient atteinte à son privilège en employant, pour leur usage les objets contrefaits. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Moock, supérieur du couvent de la Trappe, à Achel, demande une loi défendant les dérivations d'eau qui nuisent aux récoltes de propriété. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. de Liedekerke, forcé de s'absenter pour affaires, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi établissant une taxe sur le sel employé à la fabrication du sulfate de soude

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi établissant une taxe sur le sel employé à la fabrication du sulfate de soude.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances

Rapport de la section centrale

M. T'Kint de Naeyer. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné une demande de crédit supplémentaire au département des finances. Ce projet étant la conséquence de celui sur lequel l'honorable M. Moreau vient de faire rapport, je pense qu'il conviendrait de le mettre à l'ordre du jour à la suite de celui-ci.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant les limites entre les communes de Sprimont et de Louvegné

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'ai l'honneur de présenter :

1° Un projet de loi relatif à la réunion à la commune de Sprimont de quelques hameaux dépendant de la commune de Louvegné ;

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de l'intérieur

Dépôt

2° Un projet de loi tendant à ouvrir au département de l'intérieur un crédit provisoire en attendant la discussion du budget.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; ils sont renvoyés, le premier à une commission qui sera nommée par le bureau, le second aux sections.

Projet de loi prorogeant le tarif des correspondances télégraphiques

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke) dépose un projet de loi ayant pour objet de proroger la loi relative au tarif des correspondances télégraphiques.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. La chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoie à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.

Projet de loi sur les brevets d’invention

Discussion des articles

Article 11

M. le président. - La discussion continue sur le paragraphe « a » qui a été détaché de l'article 10. Beaucoup d'amendements et de sous-amendements ont été déposés ; ils ont été imprimés et distribués.

Pour simplifier et abréger autant que possible la discussion, je crois devoir indiquer les deux questions principales soulevées par ces amendements.

Première question. Y aura-t-il, sous peine de nullité du brevet, obligation d'exploiter l'invention dans un délai déterminé ?

Deuxième question. Cette obligation n'existera-t-elle pas au moins, lorsque l'invention sera exploitée en pays étranger ?

Je crois qu'il faut d'abord statuer sur ces deux questions. Si elles étaient résolues négativement, il n'y aurait pas lieu de mettre aux voix les amendements. Si elles étaient résolues affirmativement, il y aurait à poser d'autres questions que j'indiquerais ultérieurement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Puisqu'il s'agit de discuter sur des questions de principe et que l'une d'elles se rattache à la question de savoir s'il y aura, sous peine de nullité du brevet, obligation d'exploiter l'invention en Belgique dans un délai déterminé, permettez-moi de redresser quelques faits erronnés qui ont été avancés hier au sujet du délai accordé à l'inventeur pour exploiter son brevet dans plusieurs pays étrangers.

On a invoqué l'exemple des législations étrangères pour démontrer qu'il n'est pas nécessaire d'imposer à l'inventeur sous peine de déchéance un délai pour qu'il exploite son invention en Belgique.

On a cité notamment l'Angleterre. En Angleterre, dit-on, il n'y a pas de délai fatal pour l'exploitation d'un brevet. Cela est vrai, mais en Angleterre il y a d'autres garanties qui protègent l'industrie du pays contre l'abus des brevets pour des inventions purement illusoires, ou qu'on n'aurait pas l'intention d'exploiter sérieusement.

Ainsi en Angleterre tout le monde est admis à former opposition à la délivrance d'un brevet : l'instruction qui s'ensuit offre au gouvernement une première garantie qui lui permet d'apprécier s'il s'agit d'une véritable découverte industrielle et si l'inventeur a l'intention de l'exploiter. Une autre garantie, et peut-être la plus forte, c'est qu'en Angleterre les brevets coûtent une somme considérable à l'inventeur. Cette somme s'élève encore aujourd'hui, après la réduction dont on a parlé, à 4 ou 5 mille francs. Or, il n'est pas vraisemblable qu'on demande un brevet pour une invention qu'on n'ait pas l'intention d'exploiter, lorsque ce brevet doit donner lieu au payement d'une taxe semblable.

En Autriche, dit-on, il n'y a point de déchéance du chef de non-exécution. Messieurs, ceci est complètement inexact ; il résulte de la dernière loi introduite en Autriche qu'un délai est prescrit. Je crois que cette loi est de 1852.

M. Vermeire, rapporteur. - En Russie il n'y a pas de délai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est possible, mais l'industrie russe n'est pas assez développée jusqu'à présent, pour que ce pays puisse servir d'exemple à la législation qu'il convient d'adopter en Belgique pour les brevets d'invention.

Ainsi en Autriche le breveté doit exploiter dans le délai d'un an ; et s'il reste inactif pendant une deuxième année, il est déchu de tous ses droits. C'est l'autorité administrative qui, en Autriche, proclame la déchéance et la fait connaître au public.

On a cité les Etats-Unis d'Amérique. Aux Etats-Unis on est obligé d'exploiter dans le délai de dix-huit mois. A la vérité, cela s'applique seulement aux inventeurs étrangers, mais il faut bien remarquer qu'en Amérique ce sont les étrangers qui viennent surtout demander des brevets d'invention.

M. Lesoinne. - Ce sont les Américains.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Les Américains en prennent, sans doute, mais ce sont les étrangers qui demandent le plus grand nombre de brevets d'invention.

En France, le breveté doit exploiter dans le délai de deux ans, et les considérations que M. Renouard fait valoir à l'appui de ce principe sont tellement puissantes, qu'il n'est pas possible de se faire illusion sur la nécessité d'introduire ce délai dans notre législation.

En Saxe, messieurs, le délai est d'un an.

En Sardaigne le délai est d'un an, et de plus on est obligé de prouver chaque année que l'on continue d'exploiter. (Interruption.)

Oui, cela est très bien et c'est une garantie qu'on pourrait également introduire en Belgique.

Dans le Hanovre, le délai n'est que de six mois.

Ainsi, messieurs, dans tous les pays qui nous entourent et, en outre, aux Etats-Unis, il y a nécessité d'exploiter d'une manière réelle dans un délai plus ou moins rapproché, mais qui n'est jamais aussi long que celui qu'on voudrait faire adopter ici.

Maintenant qu'il en est ainsi à l'étranger, qu'arriverait-il si, en Belgique, l'inventeur n'était pas obligé d'exploiter dans un délai déterminé ? C'est que l'inventeur qu'on aurait breveté en Belgique sans lui imposer un délai pour exploiter, mettre partout à profit son invention excepté en Belgique, ira l'exploiter dans les pays étrangers où la nécessité d'un délai fatal est établie ; et vous, vous attendrez jusqu'à ce qu'il lui plaise de mettre son brevet en œuvre dans notre pays, et jusque-là qui souffrira de cette inaction calculée ? Ce ne sera pas l’inventeur, dont ou se préoccupe trop, à mon avis ; ce sera le travail national.

L'observation que je viens de faire sur le danger que nous courrions, si, à la différence de ce qui se fait dans les pays étrangers, on n'obligeait plus l'inventeur à exploiter en Belgique, sous peine de déchéance, cette observation répond à l'honorable M. Lesoinne qui ne veut plus de délai du tout, et aux honorables membres qui proposent de prolonger le délai. Le gouvernement croit être resté dans les limites de la modération en fixant le délai à deux ans.

Je bornerai là mes observations pour le moment.

M. de Haerne. - Messieurs, avant de présenter mes observations dans cette discussion qui vient de prendre une nouvelle phase, je désirerais adresser une interpellation à M. le ministre de l'intérieur, au sujet d'une question qui a été traitée, il y a quelques jours, par 1 honorable M. Roussel ; elle est relative à la propriété littéraire qui a une connexion étroite avec les matières dont nous nous occupons.

Messieurs, la propriété littéraire, qui constitue un droit aussi inviolable que les brevets d'invention, mérite toute la sollicitude du cabinet. Or, on interprète abusivement et au détriment des auteurs la loi de 1817. Le fait que je désire signaler à l'attention de M. le ministre de l'intérieur concerne les auteurs d'ouvrages classiques.

Je dis qu'on interprète à leur détriment la loi de 1817 : dans cette loi il est fait une exception pour ce qu'on appelle Schoolboeken (ouvrages classiques). Or, il est évident qu'il ne peut s'agir là que d'anciens livres classiques tombés dans le domaine, public et qu'on réimprime ; mais un (page 223) nouveau livre classique constitue une véritable propriété, un droit civil. Or, voici ce qui est arrivé à un de mes amis. M. l'abbé Duvivier, curé à Liège, qui doit avoir adressé une réclamation au gouvernement (signe affirmatif de M. le ministre de l'intérieur), qui a rendu des services à la littérature et à l'instruction primaire, a fait des dépenses considérables pour l'impression des livres classiques dont il est l'auteur, et voilà qu'on contrefait ses livres en Belgique, en France et en Angleterre.

Il se plaint de ce chef, et il désire qu'une loi explicative de la loi de 1817 soit soumise à la Chambre le plus tôt possible pour empêcher cet abus, au moins dans le pays.

Je me fais un devoir d'appuyer sa réclamation auprès de M. le ministre de l'intérieur.

Après cette digression, j'aborde l'objet qui est en discussion.

D'après ce que vient de dire M. le président, la discussion prendra un caractère plus simple ; mais peut-être les questions ne se trouveront pas résolues de cette manière, surtout après l'opposition que M. le ministre de l'intérieur vient de faire tout à l'heure aux principes posés sous forme de question.

Je vous avoue qu'en face du dédale d'amendements dans lequel nous nous trouvons engagés depuis quelques jours, j'ai beaucoup hésité sur le parti à prendre. Hier, notre honorable collègue, M. Orts, a présenté un amendement qui m'a beaucoup souri, et auquel je regrette que M. le ministre de l'intérieur ne puisse pas se rallier. Je crois que cet amendement obvie à tous les inconvénients, surtout si, comme je crois qu'on peut le faire, on le combine avec les principes déposés dans l'amendement de M. le ministre de l'intérieur.

Messieurs, permettez-moi d'entrer dans quelques explications àectégard. Je veux bien rencontrer dans la discussion les questions qui viennent d'être posées par M. le président ; mais vu l'opposition de M. le ministre de l'intérieur, je crois que nous devons encore nous traîner dans un peu l'ornière des jours précédents, sauf à en sortir le plus tôt possible. (Interruption.) Je veux bien en sortir immédiatement d'après le désir qu'on me manifeste, mais M. le ministre s'oppose à la proposition faite, et je crois dès lors que la question reste à peu près dans les mêmes termes qu'auparavant. (Interruption.)

Je me bornerais, dis-je, à traiter la question de principe si je pouvais espérer d'abréger par là la discussion, mais ce serait inutile.

Messieurs, il y a toujours, comme j'ai eu l'honneur de le dire dans une séance précédente, deux intérêts en présence, et deux intérêts sérieux, d'après moi. Nous avons d'abord le droit du breveté, qui est incontestable dans certaines limites et qui est reconnu par toute la chambre. J'approuve ce droit civil créé par la loi ; je le crois tout aussi inviolable que celui dont je parlais tout à l'heure, du moins dans les conditions posées par la loi.

On demande si le breveté qui n'exploite pas dans le temps prescrit, conserve un droit quelconque. Je crois que s'il n'exploite pas par le fait de sa volonté, il n'a plus de droit. Mais si la non-exploitation résulte de causes indépendantes de sa volonté, je crois qu'il peut avoir un droit, qu'il y a lieu de prolonger le délai.

Reste à savoir quelle est l'autorité qui doit prononcer ; le fait de non-exploitation qui résulte d'actes posés sans motifs suffisants par le breveté doit entraîner la déchéance du brevet.

Dans le cas contraire, il y a lieu à un nouveau délai. C'est ce qui arrive souvent dans les inventions qui se rapportent à la science et qu'on pourrait appeler scientifiques. C'est alors que le délai fatal de deux, trois et même quatre ans doit paraître insuffisant. C'est pourquoi j'accorderai à l'autorité appelée à statuer dans la matière une latitude assez grande pour prolonger les délais quand il s'agirait de grandes inventions sauf à stipuler les garanties nécessaires pour les tiers, comme j'aurai l'honneur de l'exposer tout à l'heure.

Messieurs, le cas de déchéance pour non-exploitation dans les inventions scientifiques est de la plus grande portée. Permettez-moi de citer un fait.

L'invention du calcul différentiel et intégral a donné lieu à des contestations telles, qu'il a fallu instituer un congrès international entre l'Angleterre et l'Allemagne pour savoir si l'invention du calcul des fluxions, comme l'appelait Newton, ou du calcul différentiel comme le nommait Leibnitz, était dû au premier de ces grands mathématiciens ou au second. Newton avait négligé de publier sa grande invention.

Leibnitz s'était rendu en Angleterre, y avait eu des conférences avec Newton ; quelque temps après, il publia un ouvrage sous le titre de calcul différentiel, en employant d'autres termes techniques, d'autres procédés d'analyse mathématique, que ceux qu'avait adoptés Newton.

L'Allemagne fil à Leibnitz l'honneur de cette magnifique découverte ; l'Angleterre l'attribua à Newton.

Telle fut la contestation soulevée entre les deux pays au sujet de l'invention du calcul infinitésimal. On convoqua, pour trancher la difficulté, des hommes compétents tant d'Allemagne que d'Angleterre ; ils se réunirent à Londres pour statuer sur la question, et l'on décida que Newton avait émis ses idées sur la matière avant Leibnitz, mais qu'il était possible que Leibnitz eût eu la même conception en même temps. Cette décision, dictée par un sentiment de délicatesse à l'égard d'un grand génie de l'Allemagne, froissa Leibnitz à tel point qu'il en descendit dans la tombe.

Le calcul infinitésimal était, d'après les présomptions les plus probables, l'œuvre de Newton ; celui-ci avait négligé de la publier, parce qu'une telle invention demandait un temps très long pour être mise à la portée du public, même du public savant.

Je sais qu'il s'agit ici de découvertes industrielles avant tout, mais ces inventions se rapportent très souvent à la science ; elles peuvent donner lieu à des études mathématiques, physiques, chimiques, tout aussi grandes, tout aussi compliquées que la grande invention à laquelle je faisais allusion.

C'est donc une question de la plus haute importance et où, je ne crains pas de le dire, l'honneur même du pays peut être intéressé. On ne peut entourer de trop grandes précautions tout ce qui regarde les droits des intéressés en cette matière. Le respect dû au génie en fait une loi.

On a parlé précédemment d'inventions de la plus grande importance. On a cité Fullon qui n'avait pas été compris. Je pourrais citer Gray qui, en 1821, avait par une lettre adressée au roi des Pays-Bas, en date d'Etterbee-lez-Bruxelles, demandé à être autorisé à construire le premier chemin de fer ; il resta lui ainsi incompris.

Remarquez combien les grandes inventions restent longtemps à l'état de germe ; elles ne parviennent à éclore que dans des circonstances particulières. Malheur au pays qui rebute ceux qui les ont conçues ! C'est une grande imprudence de ne pas donner aux inventeurs toutes les garanties nécessaires, non seulement dans leur intérêt, mais dans l'intérêt de la science et de l'industrie, et par conséquent du pays.

Il s'agirait donc de savoir quelles sont les garanties qu'on accordera aux inventeurs. Je crois qu'elles doivent être sérieuses. C'est par ce motif que j'appuie l'amendement de l'honorable M. Orts. Cet amendement n'exclut pas l'action du gouvernement ; seulement il stipule des garanties contre l'abus de cette action.

Il admet cette action, même pour tout ce qui regarde l'instruction préalable de l'affaire. Le gouvernement consulte les chambres de commerce ; il est chargé d'instruire l'affaire administrativement, en soumettant au tribunal les pièces du procès, s'il y a lieu.

Vous laissez ainsi au gouvernement le moyen de sauvegarder l'intérêt public dont il est le défenseur.

Mais comme l'abus est possible, comme le gouvernement n'offre pas des garanties suffisantes pour les droits civils établis par la loi ; comme il peut être arbitraire, influencé, partial ; comme il peut se décider par esprit de système, par opinion préconçue, je crois que l'intervention des tribunaux est nécessaire dans le sens qu'a indiqué l'honorable M. Orts.

Pourquoi donner la préférence à l'amendemeni de cet honorable membre sur les autres amendements qu'on a produits dans cette enceinte ? D'après l'étude que j'ai pu faire des amendements, la raison pour laquelle je m'arrête à celui de l'honorable M. Orts, c'est qu'il me semble plus propre à sauvegarder la dignité des pouvoirs constitutionnels, et à éviter les jugements contradictoires.

Voilà le motif pour lequel je crois que cet amendement est préférable. Mais je tiens surtout à l'idée d'introduire dans la loi l'action des tribunaux, afin que le gouvernement ne reste pas seul juge de questions aussi importantes, aussi délicates. Certaines industries, il est vrai, ne présentent souvent pas une grande importance quant aux délais à demander. Je citerai, par exemple, les industries dont le Moniteur d'avant-hier faisait mention, et pour lesquelles il donnait les arrêtés constituant des brevets ; ainsi une machine à préparer les bâches, un procédé pour casser les sucres, une machine pour recéper les pilots sous l'eau, ce sont là ce qu'on peut appeler de petites industries et je crois que dans des cas semblables, le délai de deux ans doit être en général suffisant.

Cependant comme il y a ici un intérêt particulier en jeu et que l'intérêt est toujours relatif à la condition de la personne brevetée, encore voudrais-je, au besoin, en appeler aux tribunaux pour prononcer la déchéance après le terme fixé. Car enfin il y a un intérêt civil qui est ici en jeu et qui doit dépendre, par sa nature même, de la compétence des tribunaux.

L'honorable M. Orts a la modestie d'appeler son amendement un expédient. Mais je trouve que c'est un expédient tel, que nous pouvons nous en féliciter. Car, selon moi, il est de nature à nous faire sortir du mauvais chemin dans lequel nous nous enfoncions de plus en plus.

Messieurs, je vous ai dit tout à l'heure que je trouvais l'intérêt social également sérieux et digne de la sollicitude du gouvernement et des chambres. On a un peu trop méconnu cet intérêt dans la discussion. On a perdu de vue que l'intérêt de tiers peut être grave ici ; on a aussi méconnu l'intérêt des consommateurs sur lequel s'appuie surtout le ministère.

Comme vous l'a très bien dit tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur, le breveté peut exploiter à l'étranger, et au moyen de son brevet paralyser l'action industrielle dans notre pays.

Une observation qui s'est présentée à mon esprit hier pendant la discussion m'a paru assez frappante. Je suppose, messieurs, comme il arrive assez souvent, que l'inventeur prenne des brevets partout à la fois, (c'est souvent le cas) et qu'il exploite dans un seul pays, par exemple, en Angleterre qui est un pays offrant de grandes ressources pour l'industrie, un pays à grands capitaux, un pays d'exportation et par conséquent très favorable à l'exploitation d'une industrie quelconque. Je suppose qu'il exploite dans la seule Angleterre, soit par défaut de capitaux, soit aussi parce que son invention serait de nature à exiger sa présence sur les lieux de l'exploitation. Cela peut arriver, surtout au commencement d'une exploitation.

Cet inventeur a pris des brevets partout ; il n'exploite que dans un seul pays. Mais par suite des lois qui existent ailleurs et dont M. le ministre de l'intérieur vient de vous donner la nomenclature, la (page 224) déchéance peut être prononcée dans tous les pays qui nous entourent et elle ne pourrait l'être chez nous.

Ainsi la déchéance était, par exemple, prononcée en Prusse, l'industrie privée s'emparerait de l'invention dans ce pays, l'exploiterait, introduirait chez vous les produits résultant de cette invention, tandis que la Belgique ne pourrait se livrer à cette industrie, ne pourrait pas l'exercer elle-même. Ne serait-ce pas là une véritable anomalie ? Ne serait-ce pas faire à l'industrie nationale une fâcheuse position ? Je dis que l'intérêt du consommateur serait lésé. Car ces produits rentreraient probablement dans la catégorie de ceux qui payent des droits à la frontière et qui, par conséquent, arriveraient à un prix supérieur pour le consommateur belge. Et pourquoi ? Parce que vous auriez une industrie similaire à protéger dans le pays ? En aucune manière, vous ne pourriez l'introduire chez vous. Ce serait donc protéger l'étranger sans résultat, sans aucun avantage pour le pays. Je répète que c'est faire là à l'industrie nationale une position qui n'est pas acceptable.

Je crois donc qu'il doit y avoir un terme prescrit pour prononcer la déchéance, dans le cas où l'inventeur chercherait à exploiter, d'une manière peu raisonnable, son brevet et surtout à l'exploiter au détriment du pays dans lequel il l'aurait obtenu.

Messieurs, à tout prendre, il s'agit ici d'une question de protection. Vous protégez par la loi des brevets l'inventeur et vous faites très bien ; je crois que c'est une protection d'autant plus raisonnable qu'elle rapporte quelque chose à l'Etat. Mais le mérite du système protecteur, selon moi, consiste à ne rien exagérer et à assurer, autant que possible, les droits des tiers, les droits de l'industrie des tiers et surtout les droits des consommateurs pour lesquels il faut, tout en sauvegardant le travail national, faire baisser les prix autant qu'on peut le faire.

Or, messieurs, vous protégez par le brevet l'inventeur non seulement contre l'industrie étrangère, mais même contre l'industrie du pays qui serait exploitée par d'autres que par lui. Il faut donc ne pas exagérer, et je crois que ce serait une véritable exagération que d'abandonner le brevet à la seule disposition du breveté sans aucune condition, sans condition à stipuler contre lui dans aucun cas en faveur du consommateur

Je crois que ce serait une erreur, que ce serait une injustice à l'égard de l'industrie belge et en même temps un mal au point de vue de l'intérêt général.

Ainsi donc, l'action du gouvernement est utile dans l'occurrence. Mais comme elle peut donner lieu à l'arbitraire, elle doit être soumise à la garantie de l'intervention du pouvoir judiciaire.

Admettant l'amendement de l'honorable M. Orts, je pourrais même aller plus loin en fait de concessions à faire au ministère ; je trouverais peu d'inconvénient à admettre le délai de deux ans. Car, d'après l'amendement cité, vous aurez toujours cette garantie de l'intervention du tribunal en cas d'abus commis par le ministère. Alors le délai n'est plus pour moi un fait capital.

J'ajouterai, messieurs, que, dans mon opinion, le gouvernement lui-même a intérêt à accepter ce que l'honorable M. Orts appelle un expédient. En effet, messieurs, il s'agit de sa responsabilité. Je crois qu'en matière de brevets, le gouvernement porte une très grave charge morale : lorsqu'il s'agit de trancher ces questions quelquefois très délicates, le gouvernement s'expose nécessairement à bien des critiques, à bien des soupçons et je crois que, pour sauvegarder sa responsabilité, son honneur, sa dignité, il ferait bien d'entrer dans le système qui admet l'intervention des tribunaux dans cette question.

Messieurs, si j'osais risquer un nouvel amendement... (Interruption.) N'ayez pas peur, messieurs, je n'en présenterai pas ; il n'y en a eu que trop, je n'y mets pas d'amour-propre. C'est seulement une manière de formuler mon opinion. Voici donc comment je croirais, sous forme d'amendement, devoir rédiger l'article.

Je prendrais l'article tel qu'il a été proposé hier par l'honorable ministre de l'intérieur et je dirais :

« Le breveté est tenu (j'effacerais « sous peine de déchéance » parce que cela vient plus loin, conformément au système de M. Orts). Le breveté est tenu de fournir dans le terme de deux années, à partir de la concession du brevet, la preuve qu'il a mis sa découverte ou son perfectionnement en exploitation ou bien qu'il en a été empêché par des circonstances indépendantes de sa volonté. Dans ce dernier cas le gouvernement pourra lui accorder un délai, dont il fixera et prolongera, s'il y a lieu, le terme. »

Après cela, messieurs, j'introduirais le système de l'honorable M. Orts et j'ajouterais :

« Dans le cas contraire, le gouvernement pourra faire prononcer la déchéance du brevet par les tribunaux, sur la poursuite du ministère public. »

J'ajouterais encore avec M. le ministre :

« Le gouvernement entendra au préalable la chambre de commerce, etc.

« Le breveté, dans le cas où il aurait déjà mis l'objet de son brevet en exploitation à l'étranger, ne sera point admis à se prévaloir, etc. »

Telles sont, messieurs, les observations que j'ai cru devoir vous soumettre et que je résume comme vous venez de l'entendre.

Je crois que de cette manière on pourrait concilier les deux grands intérêts qui se trouvent en présence. C'est le régime qui me sourit le plus ; mais j'attendrai volontiers, pour me prononcer, les observations qui seront présentées encore ; car la question est tellement compliquée, que je ne réponds pas de ne pas modifier mon opinion d'ici à un quart d'heure.

M. Julliot. - Messieurs, M. le ministre de l'intérieur demande à pouvoir prolonger, de par un arrêté du gouvernement, les délais fixés par la loi pour l'exploitation des brevets d'invention.

C'est une dispense arbitraire de la loi qu'on nous propose.

Je suis étonné de la persistance que met l'honorable ministre à vouloir conserver une action qui le gênera beaucoup.

Nous importunons souvent le ministre à lui présenter des solliciteurs, et il a droit de s'en plaindre. Néanmoins, pour une fois que nous voulons délivrer l'honorable ministre d'un groupe de solliciteurs, l'honorable ministre résiste, il veut les conserver, comme si encore il ne lui en restait pas assez.

Messieurs, ce que l'on nous propose, c'est l'extension du pouvoir de la bureaucratie ; on croit utile que sa puissance s'étende encore, et moi je crois le contraire.

Cette prolongation de délai donnée par le gouvernement se traduira encore en faveur ou en défaveur. L'honorable M. de Haerne vient de dire, il est vrai, qu'on doit pouvoir en appeler aux tribunaux, mais allons-nous confondre encore une fois de plus les pouvoirs judiciaires et administratifs qui tour à tour prononceront dans la même matière ?

Epargnons donc au gouvernement cette occasion de mécontenter ceux qui seront repoussés et nous aurons servi la cause du pouvoir. Quand le ministre accordera une prolongation, on dira que la faveur s'en est mêlée, et quand il en refusera une autre, on dira que ce sont les antipathies politiques qui auront agi. Il y a dans le système de l'honorable ministre tout à perdre et rien à gagner pour la considération du gouvernement, car plus il posera de ces petits actes, plus sa responsabilité s'étendra.

Je voterai donc le principe de l'abstention de l'Etat dans toute l'étendue que la matière le comporte et notamment l'absence de tout terme fatal à l'exploitation des brevets.

M. Lelièvre. - Je pense qu'en principe il faut laisser au gouvernement le droit de statuer sur la déchéance du brevet si toutefois la déchéance est admise. En effet, la concession d'un brevet étant un acte administratif, on conçoit que c'est au gouvernement qu'il appartient d'examiner si cette concession doit ou non venir à cesser.

J'admets que le gouvernement soit astreint à certaines formalités qui constituent une garantie réelle pour le breveté, mais je ne conçois pas comment on ne laisserait pas à l'autorité qui accorde la concession le droit d'examiner si les conditions de celle-ci ont été remplies et si, par suite, le breveté doit continuer à jouir de la faveur qui lui a été accordée.

Il en est ainsi en matière de concession de mines. Le gouvernement qui esr investi, par la loi de 1810, du pouvoir d'octroyer les concessions est aussi l'autorité chargée de décréter la déchéance de la concession.

Je ne vois pas ce que l'autorité judiciaire aurait à faire en cette matière, au moins en ce qui concerne le droit de déclarer d'une manière générale la déchéance du brevet. Il s'agit ici d'un droit résultant d'une concession administrative ; or déclarer qu'un acte administratif vient à cesser parce que les conditions n'en ont pas été remplies, c'est, à mon avis, l'une des attributions du pouvoir de qui l'acte même est émané.

L'amendement de M. le ministre de l'intérieur me semble contenir des dispositions équitables.

Avant de prononcer la déchéance pour défaut d'exploitation, le gouvernement doit entendre la chambre du commerce du ressort et l'administration communale du domicile du breveté. Voilà des garanties efficaces contre tout arbitraire ; on entend les autorités compétentes, et il est bien certain que si leur avis est favorable au breveté, aucun ministre n'oserait assumer sur lui la responsabilité de prononcer la déchéance.

D'un autre côté, comment permettre au breveté de se pourvoir devant les tribunaux contre l’arrêté déclarant la nullité du brevet ;?

C'est évidemment établir les tribunaux juges d'un acte administratif porté dans les limites des attributions de l’administration.

En second lieu, c'est laisser le sort du brevet incertain pendant plusieurs années, au détriment de l'intérêt général et de l'industrie nationale ; c'est enlever à d'autres le droit de solliciter un brevet pour le même objet. L'action lente et compliquée des tribunaux n'est pas compatible avec la célérité nécessaire en cette matière.

Ajoutez à cela qu'il n'est pas possible que pendant toute la durée du procès qu'il n'est pas donné aux tiers d'abréger, il reste incertain de savoir si la découverte peut être exploitée ou si l'on peut solliciter un brevet à cet égard.

Mais, messieurs, il suffirait au breveté de se pourvoir devant les tribunaux et de ne pas donner suite à son action pour empêcher l'exploitation par d'autres de l'industrie, objet du brevet. Il ne peut être ainsi ; l'intérêt général exige que les questions de ce genre soient décidées promptement et que le sort du brevet soit irrévocablement fixé sans aucun délai ; et sous ce rapport, le pouvoir qu'on veut déférer aux tribunaux ne me semble pas pouvoir être admis.

Si donc l'on croyait devoir forcer le breveté à exploiter dans un délai déterminé, il est impossible, selon moi, d'introduire, relativement à la déchéance, l'autorité des tribunaux.

Indépendamment que les principes relatifs à la séparation des pouvoirs administratifs et judiciaires résistent à semblable système, il est évident, à mon avis, que c'est faire naître des procès interminables dans lesquels il y aura lieu à des enquêtes et dont le résultat sera de faire dépendre le sort d'un brevet de procédures longues et dispendieuses qui auront les conséquences les plus désastreuses au point de vue de l’industrie, objet du brevet et de l'intérêt général. La chambre ne sanctionnera jamais un semblable ordre de choses.

M. Vermeire, rapporteur. - Je ne veux pas rentrer dans la discussion. Je me bornerai, messieurs, à répondre à l'honorable ministre de l'intérieur et je n'ajouterai rien à tous les arguments péremptoires qu'ont fait valoir hier les honorables MM. Lesoinne et Vandenpeereboom sur l'inutilité de la mise en œuvre obligatoire de l'objet breveté dans un délai déterminé.

Je n'examinerai pas non plus l'argument qui a été tantôt mis en avant par l'honorable M. de Haerne qui craint que l'étranger, ayant obtenu un brevet en Belgique, ne l'exploite exclusivement dans un pays étranger et ne nuise ainsi à l'industrie belge.

L'honorable M. Vandenpeereboom, encore une fois, vous a dit qu'on peut, dans tous les cas, éluder facilement cette disposition et il a cité de nombreux exemples à l'appui de son argumentation.

Dans une des dernières séances, M. le ministre nous a assuré que chaque fois qu'un breveté demandait une prolongation pour la mise en œuvre il l'obtenait.

Sous ce régime, donc, il n'est tombé dans le domaine public que les brevets de ceux qui n'y attachaient aucune importance, et cela est si vrai qu'on ne pourrait pas me citer un seul brevet, frappé de nullité ou de déchéance, qui a profité à qui ou à quoi que ce soit.

Par la mesure que vous prescrivez, vous ne voulez donc atteindre que les inventions auxquelles il faut, non pas un, deux, trois, quatre ou cinq ans pour opérer la mise en oeuvre, mais où dix, douze ou quinze ans ne suffisent pas encore pour se produire convenablement. Ces exemples, nous les avons cités, je ne m'y arrêterai donc pas plus longtemps. J'attirerai, messieurs, votre attention snr un autre point. Je demanderai avec l'honorable M. Vandenpeereboom ce qu'on comprend par les mots « mise en œuvre » ? Mais il est tel objet pour lequel vous accordez un brevet qui ne peut jamais être mis en œuvre. Ainsi comment s'y prendra-t-on pour la mise en œuvre d'un objet de commerce nouveau obtenu par des moyens connus de tout le monde ?

M. le ministre nous a dit qu'en France la mise en œuvre est obligatoire, mais le régime auquel le gouvernement veut soumettre le breveté en Belgique est out différent de celui qui existe en France : en France le brevet sort ses effets jusqu'au moment où il est attaqué par des tiers, et ce sont les tribunaux seuls qui apprécient la question de savoir si la non-exploitation du brevet provient de mauvais vouloir ou de suggestions antinalionalcs.

Dans l'affirmative, le brevet est déclaré déchu. Dans tous les autres cas, il reste valable. J'en conclus donc, messieurs, que le système français approche beaucoup de la liberté illimitée, puisqu'il n'y a que deux cas dans lesquels le breveté puisse être déclaré déchu.

Maintenant, messieurs, comme je le disais tantôt, vous craignez beaucoup que le breveté n'aille exploiter à l'étranger ; eh bien, depuis 1817, près de 7,500 brevets ont été accordés en Belgique, et je demande à M. le ministre si sur ces 7,500 brevets, il s'est présenté dix cas où l'on ait voulu vendre en Belgique et exploiter à l'extérieur.

Ainsi, messieurs, quand vous examinez, au point de vue pratique, la question de la mise en œuvre obligatoire, on voit d'abord qu'elle n'est pas nécessaire pour les petits brevets qui ont été énumérés tantôt par l'honorable M. de Haerne, puisqu'il est certain qu'on les exploitera immédiatement ; pour les grandes industries, il est évident qu'on devra leur accorder une prolongation ; eh bien, ne vaut-il pas infiniment mieux accorder cette prolongation par la loi que de l'accorder à la suite d'enquêtes, de formalités coûteuses et de beaucoup de perte de temps ? D'après la loi de 1817, vous êtes obligé de publier tous les brevets qui tombent dans le domaine public ; depuis 1848, je crois, cette prescription n'a pas été exécutée parce que les fonds manquent au budget ; et c'est dans une pareille situation que vous voulez soumettre à des enquêtes coûteuses des questions où vous n'avez absolument rien à voir !

L'honorable M. Lelièvre dit que le gouvernement doit examiner ces questions ; je ne suis nullement de cet avis : en France, sous le régime de 1791, c'était aussi l'administration qui devait connaître des cas de déchéance ; eh bien, lorsqu'on a discuté la loi de 1844, on a été unanimement d'accord, en France, que l'administration ne pouvait pas continuer à connaître de ces cas et que c'était aux tribunaux seuls qu'ils devaient être déférés.

Mais, dit encore l'honorable M. Lelièvre, les procès peuvent traîner en longueur. Cela est vrai : les procès pouvaient traîner en longueur d'après l'ancienne loi, mais non d'après la loi nouvelle, parce que, suivant le paragraphe final de l'article 4, les tribunaux devront connaître des contestations relatives aux brevets, comme d'affaires sommaires et urgentes.

Nous pouvons donc en toute sécurité supprimer le paragraphe de la déchéance.

M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, d'après la marche indiquée par M. le président, la chambre aura à se prononcer sur la question de principe : Y aura-t-il, oui ou non, déchéance ? Je m'occuperai uniquement de cette question.

J'admets que le propriétaire d'un brevet en ait la jouissance entière et l'exploitation exclusive, mais je ne lui reconnais pas le droit de rester dans l'inaction. Que la loi stipule un délai, que ce délai puisse être prorogé, je le veux bien, mais je n'irai pas plus loin.

On a dit, dans la discussion, qu'il n'y avait point de délai pour l'exécution d'un brevet en Autriche et aux Etats-Unis. Or, dans le premier de ces pays, d'après la loi du 15 août 1852, que j'ai sous les yeux, les brevets perdent leur validité, si le breveté n'a pas commencé à exploiter son invention dans le délai d'un an, à dater du jour de la signature du brevet, ou s'il a cessé de l'exploiter pendant deux années entières. (Article 29.)

En Amérique, pour tous les brevets accordés à des étrangers, il y a déchéance si le titulaire ne l'a pas mis en exploitation endéans les dix-huit mois. De plus, dans ce pays, toute concession est subordonnée à l'avis préalable d'un commissaire du gouvernement, qui peut opiner pour le refus ou pour l'octroi partiel.

L'exemple de l'Angleterre ne prouve rien ; M. le ministre de l'intérieur l'a fait observer avec raison.

Un brevet y coûte encore plus de 4,000 francs ; et il est clair qu'on ne se décidera à payer une somme aussi élevée qu'avec l'intention de faire usage d'un titre chèrement acheté. En outre, les oppositions préalables sont admises.

On raisonne toujours comme si le breveté avait intérêt à mettre son brevet en œuvre ; mais pour l'étranger qui vient s'assurer en Belgique contre la concurrence, son unique intérêt est d'empêcher ou d'entraver une fabrication rivale.

Ainsi, je suppose qu'un constructeur anglais invente un nouveau système de locomotive. Contre quel risque cherchera-t-il à se garantir eu prenant un brevet dans notre pays ? Son intérêt est que l'établissement de Seraing, celui du Phœnix et d'autres qui exportent en concurrence avec lui en Autriche, en Russie, etc., etc., ne puissent pas tirer parti de son perfectionnement. Ce n'est que par contrainte qu'il viendra fonder un établissement en Belgique ou qu'il traitera avec des constructeurs belges. Il préférera s'en tenir à son exploitation en Angleterre.

Si la Belgique accorde un délai illimité quand les autres pays n'en donnent pas, qu'en résultera-t-il ? C'est que l'inventeur se mettra en règle à l'étranger et ajournera sans danger sa dette envers l'industrie nationale. C'est que, même lorsque par suite d'inexécution le brevet sera annulé au-delà de nos frontières, il sera encore valable en Belgique.

La servitude temporaire que le brevet impose à l'industrie et aux consommateurs n'est juste que lorsque l'invention est réellement mise en exploitation. Elle doit tomber lorsque le breveté ne justifie pas des causes de son inaction. - Le système opposé offrirait les plus graves inconvénients. Je voterai pour la proposition du gouvernement.

M. Lesoinne. - Messieurs, il reste démontré qu'il est excessivement difficile de faire une loi de déchéance appliquée d'une manière générale à des objets d'une nature aussi diverse que les brevets d'invention, qui ont pour objet l'exploitation d'une multitude infinie de produits, dont il est impossible de calculer la possibilité de mise en œuvre dans un délai plus ou moins long.

On a cité des cas particuliers.

Les honorables MM. de Haerne et T'Kint de Naeyer viennent encore de citer le cas d'un industriel qui prendrait un brevet ici pour ne pas la mettre lui-même en œuvre et pour empêcher l'exploitation de son brevet dans le pays même.

L'honorable M. T'Kint a cité un exemple ; il a parlé d'un fabricant étranger qui obtiendrait un brevet en Belgique pour un métier mécanique, je crois, et qui n'en fabriquerait pas dans le pays et exploiterait uniquement son brevet en Angleterre. Je crois que ce cas serait tellement rare, qu'il est inutile de faire une loi spéciale pour annuler le brevet, s'il se présentait. Et dans ce moment même, il y a beaucoup de mécaniciens étrangers qui seraient charmés de pouvoir faire confectionner leurs produits en Belgique, afin d'être à même de remplir les commandes qui leur sont faites, et je répéterai encore ici que l'intérêt du breveté est d'exploiter son brevet dans le plus bref possible, par la simple raison qu'il n'est que temporaire et que tout délai est une perte pour lui, et j'ajouterai qu'il est également de son intérêt d'exploiter son brevet dans le plus de pays possible, et c'est ce qui se pratique généralement aujourd'hui, car un très grand nombre de brevets, du moins ceux qui présentent une certaine importance sont demandés simultanément dans plusieurs pays.

Même avec la loi, telle qu'elle est proposée par le gouvernement, on pourrait se mettre à l'abri de la déchéance, on pourrait faire accord avec un petit fabricant qui n'aurait à sa disposition qu'un outillage restreint et se mettre ainsi à l'abri de la déchéance, car on n'a pas encore expliqué ce que l'on entendait par la mise en exploitation.

On ne sait pas même ce que c'est que mettre en exploitation. Est-ce fabriquer en grand, ou est-ce fabriquer en petit ? Votre cas de déchéance peut être éludé. On a fait valoir que le brevet serait maintenu en Belgique, tandis qu'il serait tombé dans le domaine public à l'étranger. Mais si un inventeur prenait en même temps un brevet en Belgique et qu'il n'en prît pas en France et en Prusse, vous auriez une industrie brevetée ici et qui ne le serait pas dans les pays voisins ; et c'est ce qui a lieu assez souvent maintenant, car beaucoup de brevets ne sont pris qu'en Belgique, et cependant il n'en résulte pas un grand préjudice pour l'industrie du pays.

L'inventeur cherche son bénéfice, et en cherchant son bénéfice il doit mettre son procédé en exploitation le plus possible.

M. le ministre vient de dire que la société a intérêt à ce que le brevet soit mis en exploitation, et si l'inventeur n'exploite pas son brevet, d'autres l'exploiteront.

Si la société a intérêt à ce que les brevets tombent dans le domaine public, la Chambre peut être rassurée ; il en tombera assez pour cause de non-payement de la taxe ; si ce sont des brevets d'une importance (page 226) considérable, c'est-à-dire pouvant donner lieu à une grande exploitation, ce ne serait pas la taxe de 4,000 francs qu'on exige en Angleterre qui arrêterait l'inventeur qui voudrait demander un brevet pour ne pas l'exploiter. Mais pour nous qui voulons établir une taxe progressive, il est de l'intérêt du trésor de ne pas faire tomber les brevets dans le domaine public. Quand ils vont faire rapporter au trésor une somme supérieure à celle de la première ou de la deuxième année, le plus grand nombre des brevets ne rapporteraient au trésor que 10, 20, au plus 30 fr.

On a démontré la difficulté de mettre en exploitation une industrie même non brevetée ; pourquoi voulez-vous, si l'inventeur est assez malheureux pour ne pas trouvera exploiter son brevet, le faire tomber dans le domaine public ? Je crois qu'il vaut mieux s'en tenir à la suppression du paragraphe. On évitera beaucoup de difficultés.

- La discussion est close.

M. le président. - Voici la question sur laquelle la Chambre va être appelée à voter.

« Y aura-t-il, sous peine de nulilé du brevet, obligation d'exploiter l'invention dans un délai déterminé ? »

M. de Haerne. - Si cette question est résolue négativement, l'amendement de M. Orts subsistera-t-il ?

M. le président. - Si la Chambre décide qu'il n'y aura pas de nullité dans le cas où l'on n'exploiterait pas l'invention, l'amendement de M. Orts devient sans objet, à moins que M. Orts ne le reproduise pour l'article suivant.

M. Orts. - Si la Chambre décide qu'il n'y aura pas de déchéance, il est clair que mon amendement n'a plus aucune espèce d'utilité. Je voterai moi-même contre.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de principe que je viens d'énoncer.

Si la question est résolue négativement, elle sera posée pour le cas où l'invention serait exploitée en pays étranger.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal !

Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

71 membres répondent à l'appel nominal.

20 répondent oui.

41 répondent non.

1 membre, M. Delehaye, s'abstient.

En conséquence la chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui : MM. de Steenhault, de Theux, Devaux, de Wouters, Laubry, de Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lejeune, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Pierre, Rodenbach, Rogier, Rousselle (Ch.), Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Vander Donckt, Visart, Ansiau, Boulez, Closset, David, de Haerne, de La Coste, Deliége, de Mérode (F.) et de Ruddere.

Ont répondu non : MM. de T'Serclaes, Dumon, Janssens, Julliot, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Orts, Osy, Pirmez, Roussel (A.), Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Iseghem, Van Overloop, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Brixhe, Clep, Coomans, Dautrebande, de Baillet (H.), de Bronckart, de Decker, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, Dequesne, de Renesse et Delfosse.

M. Delehaye motive son abstention sur ce qu'il n'a pas assisté à la discussion.

M. le président. - La chambre passe au vote sur la deuxième question ainsi conçue :

« Cette obligation existera-t-elle lorsque l'invention sera exploitée en pays étranger ? »

Cette question, mise aux voix par appel nominal est résolue affirmativement par 61 voix contre 3 (MM. Dumon, Lesoinne et Julliot) ; un membre (M. Delehaye) s'étant abstenu.

Ont répondu affirmativement : MM. de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Janssens, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Loos, Magherman, Mascart, Mathieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (C), Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cramphout, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Visart, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Clep, Closset, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (H.), de Bronckart, de Decker, de Haerne, de La Coste, Deliége, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren et Delfosse.

M. Delehaye. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que tout à l'heure.

M. le président. - Ainsi il est décidé qu'il y aura, sous peine de nullité du brevet, obligation d'exploiter l'invention en Belgique dans un délai déterminé, lorsque cette invention sera exploitée en pays étranger.

Il s'agit maintenant de fixer ce délai. M. David a proposé un an. Son ameudement est ainsi conçu :

« Et lorsque dans l'année de la mise en exploitation à l'étranger de l'objet du brevet, le titulaire ne l’a pas également mis en exploitation en Belgique. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je me rallie à la proposition de l'honorable M. David.

M. le président. - Je vais mettre cette proposition aux voix.

Je ferai remarquer qu'il n'y a pas d'autres propositions. Les propositions de deux et de trois ans s'appliquaient à un autre cas.

M. Orts. - J'avais compris, comme beaucoup de membres de la Chambre, que nous avions le choix entre un, deux et trois ans ; s'il y avait eu doute à cet égard, j'aurais fait une proposition.

Je propose le délai de deux ans.

M. Rousselle. - Je suppose que nous ne décidons pas en ce moment la question de savoir si le gouvernement aura le droit de proroger. Car en votant pour un an, je suis d'avis que le gouvernement ait ce droit.

M. le président. - Lorsqu'on aura fixé le délai, je poserai la question de savoir si le délai peut être prorogé et par qui.

La parole est à M. Orban sur la position de la question.

M. Orban. - Je demande la parole, non sur la position de la question, mais sur la question elle-même, attendu qu'il vient de surgir une proposition nouvelle qui n'a pas été discutée.

M. le président. - Je dois rappeler que trois délais avaient été proposés, mais le délai d'un an seul était proposé pour le cas où il y aurait exploitation à l'étranger.

M. Orts. - Je propose de maintenir, pour le cas dont il s'agit, le délai de trois ans proposé par la section centrale.

M. le président. - M. Orban a demandé que la discussion soit rouverte. Dans un débat aussi important, il ne faut pas qu'il y ait surprise. Je consulte donc la Chambre sur la question de savoir si elle veut rouvrir la discussion.

- La Chambre décide que la discussion sera rouverte.

M. David. - Messieurs, par les motifs que j'ai eu l'honneur de donner à la Chambre lors du dépôt de mon amendement, je crois avoir suffisamment prouvé que pour certaines inventions le délai d'un an était trop long. Lorsqu'il s'agira d'objets de modes, par exemple, au bout d'un an la mode sera passée et l'inventeur n'aura plus aucun intérêt à s'opposer à ce qu'on fabrique en Belgique des objets similaires à ceux pour lesquels il est breveté.

J'insiste donc pour que le délai soit aussi court que possible et ne dépasse en aucun cas une année.

M. Orban. - Messieurs, on paraît disposé à demander un délai de plus d'une année. On semble croire que le délai d'un an proposé par l'honorable M. David est un délai plus court que celui qui était proposé dans le projet primitif. Il n'en est rien. Dans le projet primitif, la déchéance du brevet n'était à la vérité prononcée qu'au bout de deux ans, lorsque l'industrie pour laquelle le brevet avait été demandé n'avait pas été mise en exploitation dans ce délai. Mais dans ce système, le délai commençait à dater du moment où le brevet avait été accordé, tandis que maintenant le délai ne courra qu'à dater du moment où le procédé nouveau aura été mis à exécution en pays étranger.

En réalité, donc, le délai d'un an sera quelquefois de trois, de quatre, de cinq, de six ans, c'est-à-dire que la déchéance ne sera encourue quelquefois que cinq ou six ans après l'obtention du brevet. C'est un délai extrêmement long et qui, selon moi, ne doit pas être étendu.

En conséquence j'appuie fortement la proposition de l'honorable M. David de fixer le délai endéans lequel la déchéance sera acquise, à une année à dater du moment où l'industrie brevetée aura été mise en exploitation en pays étranger.

M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, nous nous trouvons maintenant dans la position de la commission spéciale qui a formulé l'avant projet de loi. La majorité de cette commission avait également décidé qu'il était inutile d'obliger le breveté à exploiter son brevet dans un délai détermine ; mais, comme correctif à ce vote, elle avait admis que l'exploitation dans le pays devait avoir lieu dans les deux ans à dater de la notification qui serait faite au breveté, de la mise en œuvre à l'étranger de l'objet breveté.

Je proposerai donc comme amendement la première partie de l'article 75 du projet de la commission ainsi conçue :

« Toute personne brevetée pour un objet d'industrie est tenue de mettre en œuvre ou d'exécuter son brevet en Belgique dans les deux ans à partir de la notification qui lui aura été faite de l'exécution du même objet à l'étranger. »

M. Orts. - Messieurs, je viens donner en quelques mots à la Chambre les raisons de mon opposition au délai d'une année.

Je propose trois ans, parce que je crois que ce délai est toujours suffisant et qu'un délai moindre pourrait être quelquefois insuffisant. Mais dans tous les cas il me paraît que le délai d'un an est trop court.

L'honorable M. Orban a tout à l'heure donné des explications qui tendraient à faire croire que ce délai suffit et qu'il serait en réalité plus long qu'il ne le paraît, parce que, dit l'honorable membre, le délai ne court qu'à dater du moment de la mise en exploitation à l'étranger pour l'invention qu'on veut faire breveter en Belgique.

(page 227) Voici sa pensée : on obtient un brevet à l'étranger et en Belgique ; de là, le délai nécessaire d'abord pour exploiter à l'étranger l'industrie brevetée également en Belgique. Deux ans, trois ans par exemple, selon la législation du pays étranger.

Puis, à dater de cette mise en œuvre, on aura encore un an en Belgique, ce qui en fera trois ou quatre en réalité.

Messieurs, cela est parfaitement bien quand le brevet est pris simultanément en Belgique et à l'étranger avant la mise en exploitation. Mais cela n'est plus suffisant lorsque, après qu'une invention est déjà exploitée à l'aide d'un brevet dans un pays étranger, l'exploitant trouve bon de venir demander un brevet belge. Dans ce cas, il n'aura qu'un délai d'un an à dater du brevet belge pour mettre son industrie en exploitation sur notre territoire. Or, ce délai peut être trop court. Voici un exemple. Je le prends dans une de ces grandes industries et par rapport à une de ces inventions considérables qui sont celles qui doivent éveiller notre sollicitude toute particulière.

Je suppose une invention tellement importante que pour la réaliser il faille des capitaux considérables : si considérables qu'on ne les trouve pas dans les ressources d'un seul particulier, qu'on ne puisse se les procurer qu'à l'aide de la constitution d'une société anonyme. C'est ce qui arrive toujours pour les grandes inventions.

D'après l'organisation et les habitudes actuelles de l'industrie, c'est ainsi que les grandes choses aujourd'hui se réalisent. Or, pour former une société anonyme, il faut l'autorisation du gouvernement du pays dans le territoire duquel cette société doit fonctionner. La personne qui viendra demander un brevet pour exploiter en Belgique une industrie nouvelle qu'elle exploite à l’étranger avec le secours d'une société anonyme, devra, après avoir obtenu son brevet en Belgique, en présence de la jurisprudence qui refuse chez nous la personnification civile aux sociétés anonymes étrangères, chercher à former d'abord sa société, chercher à réunir en Belgique des capitalistes, des actionnaires. Une société anonyme, française par exemple, ne peut pas se transporter comme un industriel isolé.

Ensuite, quand les actionnaires sont trouvés, quand les capitaux sont réunis, il faut obtenir l'autorisation du gouvernement. Cette autorisation, comme toutes les faveurs gouvernementales, ne s'obtient jamais, vous le savez, qu'avec les lenteurs inséparables de l'action administrative et bureaucratique. Ces obstacles vaincus, alors seulement, messieurs, on peut commencer à monter un établissement, à réunir des matières premières, enfin à mettre réellement la main à l'œuvre. Eh bien, messieurs, en présence de pareilles circonstances, un délai d'un an serait complètement illusoire, et je propose trois ans parce qu'un terme plus court ne répondrait pas à toutes les exigences.

M. le président. - Le délai de trois ans doit-il partir de la mise en exploitation à l'étranger ou bien de la notification ?

M. Orts. - Je n'admets pas le système de l'honorable M. Vermeire qui fait courir le délai du moment d'une mise en demeure adressée au breveté ; mais deux cas peuvent se présenter : où l'exploitation existe dans un pays étranger au moment où l'on prend le brevet en Belgique, et alors le délai court du jour de l'obtention du brevet ; ou bien la mise en exploitation à l'étranger a lieu après la prise du brevet en Belgique, et dans ce cas le délai court à partir de la mise en exploitation à l'étranger.

M. Vilain XIIII. - Comment constater légalement la mise en exploitation à l'étranger ?

M. Orts. - Comme vous vouliez qu'on la constatât dans le pays.

M. de Theux. - Je pense, messieurs, que pour faire droit à ce qu'il y a de fondé dans les observations contraires qui ont été produites, le gouvernement devrait avoir la faculté de fixer un délai de 1 à 3 ans, suivant les circonstances.

Par exemple, un délai d'un an sera évidemment suffisant si quelqu'un, après avoir obtenu un brevet en Belgique, allait traiter à l'étranger moyennant une rétribution, peut-être moyennant la condition de ne pas exploiter en Belgique.

Il y aurait là quelque chose de réellement anormal et de préjudiciable au pays. D'autre part il peut y avoir des circonstances qui empêchent de mettre le brevet en exploitation, simultanément, dans un délai court ; je crois qu'il faut avoir égard à toutes les circonstances et autoriser le gouvernement à fixer un délai de 1 à 3 ans.

Pour le moment, je crois qu'il suffit de voter sur la proposition de M. David, puisqu'il y aura un second vote et que même la disposition sera de nouveau soumise à la section centrale. On pourrait donc adopter maintenant le délai d'un an, sauf à l'étendre au second vote ou à accorder au gouvernement la faculté de fixer un délai plus long.

M. Lesoinne. - Je suis obligé de répéter encore ce que j'ai déjà dit plusieurs fois, c'est-à-dire qu'il est très difficile de faire une loi d'application générale pour des objets de natures différentes.

M. le président. - C'est décidé.

M. Lesoinne. - C'est décidé ; cependant on reproduit toujours les mêmes faits : ainsi on demande qu'à partir d'une année après la mise en exploitation à l'étranger, le possesseur soit obligé d'exploiter en Belgique ; mais, messieurs, cela ne dépend pas de lui. (Interruption.) C'est selon le point de vue où l'on se place : dans beaucoup de cas cela ne dépendra pas de lui.

Je reviens toujours sur l'exemple d'un système de ponts ; l'inventeur trouvera à faire un pont à l'étranger il ne trouvera pas à en faire en Belgique ; cette circonstance fera tomber son brevet. Dans le cas cité tantôt par M. de Theux, la loi pourrait également être éludée : on n'a qu'à demander un brevet en Angleterre et vendre son brevet avant d'en demander un en Belgique.

Je crois, messieurs, qu'il vaudrait mieux renoncer à l'amendement de M. David.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je ne comprends véritablement pas le motif pour lequel on voudrait prolonger au-delà d'une année la faculté accordée à l'étranger qui exploite son brevet dans son pays, de ne pas exploiter en Belgique. J'ai compris un délai de 2 ou 3 ans lorsqu'il s'agissait d'une invention non encore mise en œuvre à l'étranger parce qu'il faut dans ce cas un certain temps pour réunir les capitaux, et s'établir en Belgique ; mais quand le brevet est exploité au-dehors, vouloir encore accorder trois ans à ce breveté, ce serait faire les affaires de l'industrie étrangère au préjudice du travail national ; or, je pense que nous devons, avant tout, faire nos lois de manière à protéger l'industrie belge contre certaines combinaisons qui ne sont pas du tout une chimère, et au moyen desquelles on pourrait, pendant un temps très long, approvisionner tous les pays voisins et ne rien faire en Belgique, tout en empêchant les autres de faire.

L'honorable M. Orts dit qu'il peut y avoir des cas où il faille beaucoup de capitaux, où il soit nécessaire de constituer une société anonyme pour exploiter le brevet.

Cela peut arriver, messieurs, mais ce sont des cas fort rares ; ce qui arrive le plus souvent, c'est que l'inventeur étranger se rend en Belgique et vient traiter avec une société existante, avec laquelle il s'entend pour vendre ou exploiter son brevet. On n'ira pas imaginer de former sur-le-champ une société anonyme dans l'ignorance où l'on est si l'objet de l'invention obtiendra un succès assez considérable.

Enfin pour les cas infiniment rares où les choses peuvent se passer d'une manière différente de celle que je viens d'indiquer, on peut, comme le propose l'honorable M. de Theux, laisser au gouvernement le droit d'accorder un délai de plus d'un an. En général, je crois que, dans l'intérêt de l'industrie, le délai doit être le plus court possible.

En ce qui concerne le recours aux tribunaux, je me borne à répéter que l'autorité administrative est partout, sauf en France, investie du droit de prononcer sur les cas de nullité ; qu'en France ou est loin d'avoir à s'applaudir de l'intervention des tribunaux en pareille matière ; enfin que l'industrie et le travail ont besoin surtout d'une grande promptitude dans leurs opérations, et que le progrès que les découvertes tendent à réaliser, est incompatible avec les lenteurs et les soucis desprocédures judiciaires.

M. Rousselle. - Je crois, messieurs, que la première décision à prendre pour que nous puissions avoir la pleine liberté de notre vote, doit porter sur le point de savoir si l'on accordera au gouvernement le droit de prolonger le délai. Quant à moi, je suis d'avis d'accorder ce droit au gouvernement, et si la Chambre se prononce dans ce sens, je voterai pour le terme le plus bref, puisque le gouvernement pourra alors apprécier les circonstances qui justifieraient une prolongation.

Je demande donc que l'on vote d'abord sur cette question de prolongation.

- La Chambre, consultée, décide qu'elle volera d'abord sur la question, de savoir si le gouvernement pourra prolonger le délai qui sera fixé.

Cette question est mise aux voix et résolue affirmativement.

Le délai de 3 ans est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Il en est de même du délai de 2 ans.

Le délai d'un an est adopté.

M. le président. - Maintenant, il reste à décider dans quelles limites et à quelle époque le gouvernement pourra accorder le délai.

M. Van Overloop propose la disposition suivante :

« Toutefois, le gouvernement pourra, par un arrêté motivé inséré dans le Moniteur trois mois avant l'expiration de la troisième année, accorder un nouveau délai, qui ne pourra excéder un terme de... ».

Cet amendement doit être modifié dans le sens de la décision que la chambre vient de prendre ; il faut dire : « trois mois avant l'expiration de l'année. »

M. de Theux. - Comme la Chambre n'a accordé qu'un an et qu'il faut quelque temps pour prendre des informations à l'étranger et pour se mettre en rapport avec l'industriel, il serait peut-être difficile d'obtenir l'arrêté de prolongation dans les trois mois après l'expiration de l'année. Les trois mois me paraissent donc ici inutiles.

M. Rogier. - Je prendrai peut-être la parole lors du second vote. Pour le moment je me borne à cette observation : il s'agit de savoir combien de fois le gouvernement pourra prolonger le délai. Il ne peut pas le prolonger à perpétuité, car vous n'auriez absolument rien fait, en limitant à une année le délai de déchéance ; vous auriez maintenu à perpétuité dans les mains du monopole étranger un privilège qui peut devenir très préjudiciable aux industriels du pays. Je proposerai le même terme pour la prorogation, un an et pour une fois seulement.

Le cas le plus fréquent, ce sera la prolongation que le gouvernement ne refusera pas, quand on fera valoir auprès de lui de bonnes raisons en faveur de cette prolongation.

M. Roussel. - Il me semble qu'avant de décider combien de fois le gouvernement pourra prolonger le délai, il faudrait décider à dater de quel moment courra le délai.

- Un membre. - C'est décidé. Ce délai est d'un an à partir de la mise en exploitation du brevet à l'étranger.

M. le président. - L'amendement de M. Van Overloop, modifié par M. Rogier, serait ainsi conçu :

« Toutefois le gouvernement pourra, par un arrêté motivé, inséré dans (page 228) le Moniteur, avant l'expiration de l'année, accorder un nouveau délai qui ne pourra excéder le terme d'un an.

M. Rogier. - Un nouveau et dernier délai !

M. le président. - Le mot « dernier » est inutile.

M. Coomans. - On pourrait dire « un délai d'un an au plus ». (C'est cela ;!)

- L'amendement ainsi modifié est adopté.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruges

M. Orban, rapporteur. - Messieurs, la commission chargée d'examiner les pouvoirs du député nouvellement élu à Bruges, m'a chargé de vous présenter son rapport.

C'est le 6 décembre qu'a eu lieu l'élection pour pourvoir au remplacement de M. Peers, démissionnaire.

Le nombre d'électeurs qui ont pris part au vote était de 1,894.

La majorité absolue était donc de 947.

M. Coppieters T’Wallant a obtenu 984 suffrages.

M. Florimond Roels en a obtenu 901.

En conséquence M. Coppieters ayant obtenu un nombre de suffrages supérieur à celui fixé pour la majorité absolue a été proclamé représentant.

Le nouvel élu ayant justifié des conditions d'âge et d'indigénat exigées par la Constitution, les opérations ayant été régulières et n'ayant soulevé aucune réclamation, nous avons l'honneur de vous proposer l'admission du nouvel élu.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

En conséquence, M. Coppieters est proclamé membre de la chambre des représentants.

Projet de loi sur les brevets d’invention

Discussion des articles

Article 11

M. le président. - Voici les points sur lesquels les divers amendements appellent encore l'attention de la chambre.

Les délais expirés, comment et par qui la nullité sera-t-elle déclarée ?

Sera-ce par le gouvernement avec ou sans recours aux tribunaux de la part des intéressés. Sera-ce par les tribunaux ?

Si c'est par les tribunaux, comment seront-ils saisis ?

La demande en nullité pourra-t-elle faire l'objet d'une action directe ?

De la part du gouvernement ?

De la part des particuliers ?

Ou bien ne sera-t-elle prononcée qu'à la suite d’une action intentée par le breveté contre un tiers qui lui opposerait la cause de nullité ?

Lorsque la nullité du brevet sera prononcée par un jugement en forme de chose jugée, le breveté sera-t-il déchu à l'égard de tous ?

Il faut d'abord mettre aux voix la question de savoir si la nullité sera prononcée par le gouvernement.

- La chambre, après une épreuve douteuse, décide que la nullité sera prononcée par le gouvernement et ensuite qu'il n'y aura pas de recours contre cette décision.

M. le président. - Le vote qui vient d'être émis rend inutile l'examen des autres questions de principe que j'ai indiquées tantôt ; il convient, je pense, de renvoyer le projet à la section centrale pour qu'elle formule les résolutions prises en articles du projet de loi.

L'article suivant a une certaine connexité avec les questions qui viennent d'être résolues. La Chambre entend-elle le discuter immédiatement ou attendre, pour s'en occuper, que la section centrale ait fait son rapport ?

M. Roussel. - Je pense qu'il convient de laisser la section centrale mûrir la partie du projet que nous venons de terminer avant de continuer la discussion, parce qu'il y a un rapport intime entre les décisions que nous avons prises et celles que nous aurions à prendre.

- La chambre prononce le renvoi à la section centrale et ajourne la suite de la discussion jusqu'à ce qu'elle ait fait son rapport.

Projet de loi, amendé par le sénat, de code forestier

Discussion des articles

Titre XII. Des peines et condamnations pour tous les bois et forêts en général

Article 166

M. le président. - Je dois signaler une faute d'impression dans le rapport de M. Orts : à l'article 166 que la section centrale propose, on a omis les mots : « sans motifs légitimes ».

Il faut lire :

« Quiconque, sans motifs légitimes, sera trouvé dans les bois et forêts, hors des routes et chemins ordinaires, de nuit, ou porteur de serpe, cognée, hache, scie ou autres instruments de même nature, sera condamné à une amende de 5 francs. »

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de la section centrale.

Messieurs, j'ai eu l'honneur d'exposer à une précédente séance les motifs qui m'avaient déterminé à proposer à la chambre une rédaction nouvelle de l'article 166. J'ai été amené par le désir d'entrer dans les vues exprimées à deux reprises différentes par le sénat, quand il a modifié ce texte adopté par la Chambre des représentants et de ne pas contrarier d'une manière directe les intentions exprimées par votre commission.

La proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre a été renvoyée à la commission qui a fait un rapport dont vous connaissez actuellement les conclusions.

Dans le système de votre commission, tel qu'il résulte du premier rapport, il n'y avait de puni d'une amende de 5 francs, que le fait d'avoir circulé dans les bois, la nuit, hors des routes, avec des instruments. Aujourd’hui la proposition de votre commission ne se borne pas à ce seul cas, elle en comprend trois :

D'abord, le fait de circuler hors des routes de nuit, avec des instruments ;

2° Le fait de circuler de jour hors des routes avec instruments ;

3° La circulation dans les forêts la nuit hors des routes, sans instruments.

Dans ces trois cas, suivant le système de votre commission, il y a une amende de cinq francs, que les tribunaux doivent obligatoirement prononcer. A coté de cette disposition, je crois devoir maintenir celle que je vous avais soumise ; je n'y mets pas d'entêtement. Je crois la chose utile. Elle a été réclamée par un grand nombre de propriétaires de forêts dont les intérêts méritent quelque sollicitude.

Elle ne fait pas autre chose que d'accorder aux tribunaux la faculté de prononcer une amende de deux francs selon les circonstances contre celui qui circulera dans les forêts hors des chemins et sera censé y avoir causé un préjudice.

Maintenant diverses objections très sérieuses ont été formulées dans le rapport de votre commission. Je crois devoir entrer dans quelques explications pour faire comprendre à la Chambre que les raisons qui ont été données par la commission ne sont pas exactes, qu'elles sont exagérées, que je n'ai pas, par la formule que je vous ai soumise, porte atteinte aux grands principes auxquels l'honorable M. Orts fait allusion dans son rapport.

A ce point de vue, la question prend une grande importance ; j'aurais commis, comme organe du gouvernement, une très grande faute si par ma proposition, qui était le résultat de plusieurs rédactions essayées, j'avais porté atteinte au grand principe conservateur dont l'honorable M. Orts a parlé.

Voici les principales objections formulées par l'honorable rapporteur :

D'abord, toute circulation dommageable est punie par le Code forestier et par la loi générale. Voici les exemples qu'en donne l'honorable M. Orts : L'article 164 punit celui qui froisse, brise ou arrache des taillis. Lisons cet article, nous verrons qu'il prévoit un certain fait qui se rapporte à un ordre de faits différentiels de celui dont nous nous occupons.

Voici comment cet article est conçu :

« Art. 164. Quiconque aura arraché, brisé, froissé, ou endommagé des souches de taillis, soit par l'essartage, soit de toute autre manière, sera puni d'une amende de cinquante centimes par souche atteinte.

« Le délinquant pourra, en outre, être condamné à un emprisonnement de un à sept jours. »

Vous voyez donc que le cas dont il est question ici ne peut être étendu à celui dont nous nous occupons actuellement. Il s'agit de faire l'inventaire de toutes les souches atteintes par l'essartage ou de toute autre manière, c'est-à-dire par un travail qui a lieu dans la forêt, mais dont il est résulté un dommage aux souches. On fait le décompte des souches et l'on condamne à une amende de 50 centimes par souche arrachée.

Je crois que l'article 164 est parfaitement étranger au cas qui nous occupe. Il en est de même de l'article 163 ainsi conçu :

« Art. 163. Quiconque arrachera ou enlèvera des plants dans les bois et forêts sera puni d'une amende quadruple de celle réglée par l'article précédent.

« Si ce délit a été commis dans un semis ou plantation exécutée de main d'homme, il sera prononcé, en outre, un emprisonnement de quinze jours à deux mois. »

Voilà un fait tout à fait spécial ; c'est celui de l'arrachement ou de l'enlèvement des plants.

Ce fait spécial est puni par l'article 163. Je pense donc en toute sincérité que les article 165 et 164 ne concernent pas plus la disposition de l'article 166, que tous les autres délits prévus par le Code, tel qu'il a été voté.

Ya-t-il donc dans l'invocation de l'article 471, paragraphe 13 du Code pénal un expédient suffisant pour parer aux inconvénients que j'ai signalés ? Je vais avoir l'honneur de vous le lire. Il s'agit de contraventions de simple police qui, vous le savez, sont placées sous trois catégories différentes. Il s'agit d'un fait de la première catégorie puni de un à cinq francs d'amende.

« § 13. Ceux qui n'étant ni propriétaires, ni usufruitiers, ni locataires, ni fermiers, ni jouissant d'un terrain ou d'un droit de passage, ou qui n'étant agents ni préposés d'aucune de ces personnes, seront entrés et auront passé sur ce terrain, ou sur partie de ce terrain, s'il est préparé ou ensemencé. »

Il s'agit là évidemment des campagnes, des champs cultivés. Les bois sont entièrement étrangers à cette disposition. Or, en matière pénale, vous n'obtiendrez pas d'un tribunal répressif l'extension aux bois et forêts du paragraphe 13 de l'article 471, qui prévoit un fait relatif aux champs cultivés.

(page 229) Les principes s'y opposent, ainsi que le texte de l'article. Or, cette extension n'est pas inscrite dans la loi actuelle ; elle résulte d'une appréciation de la commission, qui n'a pas l'autorité de la loi, et qui ne pourra déterminer les tribunaux à étendre à un fait non prévu une disposition qui concerne un fait d'une autre nature. En effet, votre commission se borne à dire que « chaque fois qu'un bois pourrait, par la nature de son exploitation et en dehors des cas cités plus haut, être réputé terrain préparé ou ensemencé, le parcours est interdit par la disposition générale de l'article 471, paragraphe 13, du Code pénal. »

Je ne crois nullement cette argumentation fondée. Je crois, au contraire, que si vous combinez les paragraphes 14 de l'article 471, 9 et 10 de l'article 475, vous aurez la conviction que le législateur, dans ces diverses dispositions, a expressément distingué les champs cultivés des bois et forêts, puisque aux termes de l'article 475 paragraphe 10, il y a une amende de 6 à 10 fr. contre ceux qui auraient fait ou laisse passer des bestiaux, animaux de trait, de charge ou de monture, sur le terrain d'aulrui, ensemencé ou chargé d'une récolte, en quelque saison que ce soit ou dans un bois taillis appartenant à autrui, bien qu'à côté de cette disposition se trouve celle qui punit le parcours de champs ensemencés.

Je crois donc que cette première série d'arguments de l'honorable rapporteur tombe à faux et ne peut être accueillie par la chambre.

Pour ma part, il m'est impossible d'accepter la confusion qui résulte de la doctrine énoncée par l'honorable rapporteur.

L'honorable M. Otls ajoute : « Franchement, ce que l'amendement permet de punir, c'est donc le fait de circuler innocemment dans un bois sans le consentement du propriétaire. Une pareille exigence est inadmissible. »

J'ai déjà eu l'honneur d'expliquer que, lorsqu'on circule dans un bois où la circulation ne peut entraîner aucun préjudice, il serait absurde de supposer de la part du ministère public et des agents forestiers une poursuite, et de la part des tribunaux une condamnation. Il s'agit donc d'autoriser les tribunaux à poursuivre lorsque le parcours obstinément perpétré par certaines catégories de gens constitue un véritable préjudice ; il ne s'agit pas là de personnes qui une fois par hasard désirent se promener dans un bois. C'est donc une peine facultative, et une condamnation arbitraire (j'emploie ce mot à dessein) pourra être prononcée en temps opportun.

On dit que mon système constitue une atteinte à la distinction des pouvoirs, donne une puissance arbitraire aux tribunaux, et transforme en délit un fait inoffensif, ce que tous les criminalistes réprouvent, et ce que la raison réprouve également. Mais telles ne sont pas les conséquences de l'amendement, au contraire très innocent, que j'ai l'honneur de proposer.

J'ai déjà cité des dispositions de lois pénales qui accordent aux tribunaux le pouvoir arbitraire auquel on fait allusion. Permettez-moi de vous citer une loi toute récente que vous avez votée il y a peu d'années, la nouvelle loi sur les faillites. Il y a dans cette loi l'article 574 qui pré-voitle cas de banqueroute simple, et qui dit : « Pourra être déclaré banqueroutier, etc., etc. »

Nous trouvons dans l'article 576 de la même loi la disposition suivante : « Pourront être condamnés, etc. »

Quelles étaient, messieurs, les raisons qu'on donnait à l'appui de ces dispositions facultatives qui consacrent l'arbitraire ou l'arbitrage des tribunaux ? Voici, messieurs, ce que l'exposé des motifs renfermait sur ce point :

« La poursuite est toujours facultative pour le ministère public, en ce sens qu'elle est toujours subordonnée à l'opinion que le poursuivi est coupable ; elle est toujours obligatoire, en ce sens qu'elle doit toujours être intentée, si le ministère public pense que le prévenu est coupable : toujours poursuivre le coupable, ne jamais poursuivre l'innocent, tel est le rôle du ministère public. Mais ce que la loi pénale a le droit de faire, c'est de dire au juge : « Parmi plusieurs faits constants à vos yeux, les uns devront nécessairement entraîner la condamnation ; les autres, quoique constants, n'entraîneront condamnation que si, d'après les circonstances, ils vous paraissent offrir des caractères suffisants de gravité. » La loi déclare elle-même la gravité des premiers faits ; elle délègue au juge le pouvoir d'apprécier la gravité des seconds. (Renouard, sur l'article 585 de la loi française de 1838.) C'est dans cette pensée que le projet dit que tout commerçant failli qui se trouvera dans un des cas prévus par l'article 585 sera déclaré banqueroutier simple, et que tout commerçant failli qui se trouvera dans un des cas prévus par l'article 586 pourra être déclaré banqueroutier simple. »

L'honorable M. Tesch, dans son remarquable rapport sur la loi des faillites, appuie cette disposition en disant :

« Les cas prévus par l'article 586 peuvent, d'après les circonstances, constituer le délit de banqueroute simple, mais ne le constituent pas nécessairement. La loi, pour l'appréciation des faits, de leur gravité, s'en rapporte à l'arbitrage des tribunaux. Ces faits, tout en supposant de l'imprudence ou de la négligence, peuvent cependant parfois être innocentés par les circonstances. Sauf la modification dont nous avons parlé à l'article précédent, la commission propose l'adoption de cet article. »

Et plus loin, à propos d'une disposition additionnelle que la commission proposait et qui forme l'article 576, l'honorable rapporteur disait :

« Du moment où une société anonyme est mise en faillite, il faut que les curateurs puissent s'entourer de tous les renseignements qui peuvent leur être utiles. L'arlicle proposé a pour but de leur assurer le concours des administrateurs de la société faillie. Il laisse à l'arbitraire du juge le soin d'apprécier la conduite des administrateurs qui ne se soumettraient pas aux prescriptions de la loi. »

Messieurs, je vous avoue franchement que c'est dans cette disposition et dans ces motifs que j'ai puisé la pensée de vous soumettre mon amendement. Je n'ai pas pensé qu'après les paroles de la commission dont l’honorable M. Tesch était le rapporteur, qu'après les votes de la Chambre et du Sénat favorables à ces dispositions qui maintenaient celles de l'ancien Code de commerce, je portais atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, je confondais pouvoir du magistral et la mission du législateur, j'ouvrais la porte à l'arbitraire des tribunaux sous prétexte d'arbitrage : je n'érigeais pas en délit un fait inoffensif, en disant que lorsqu'il y aurait mauvaise intention ou préjudice constaté, les tribunaux pourraient, suivant les circonstances, appliquer une peine, prononcer une légère amende qui était, je le répèle, plutôt comminatoire, que répressive, parce qu'il suffisait que le principe de l'interdiction fût écrit dans la loi, pour qu'on n'en abusât plus.

Voilà, messieurs, les motifs qui m'ont fait adopter la formule que j'ai eu l'honneur de vous soumettre.

On m'a demandé si le ministère public devrait poursuivre dans tous les cas. Evidemment, le ministère public ou les agents forestiers poursuivront lorsqu'ils trouveront que les circonstances ou la nécessité d'une bonne police dans telle ou telle localité l'exigeront. J'ajoute ce que j'ai déjà eu l'honneur de dire, que cette faculté laissée aux tribunaux était nécessitée par les mœurs différentes de nos différents centres forestiers.

Au sein de la commission, où il y avait des représentants du Hainaut, des représentants du Luxembourg et des hommes qui ont l'expérience de l'administration forestière, on a dit, par exemple, que les mœurs, les coutumes, les habitudes des forêts étaient différentes dans le Hainaut et dans le Luxembourg ; que, dans cette dernière province, on était autorisé par les coutumes forestières aussi bien que par les habitudes à une tolérance beaucoup plus grande que dans le Hainaut où les taillis sont d'une nature différente, où la population est beaucoup plus nombreuse où par conséquent les préjudices que l'on veut éviter se manifestent d'une manière beaucoup plus intense que partout ailleurs. Je disais donc que les agents forestiers agiraient suivant les circonstances et suivant les nécessités des localités, que le ministère public conserverait, sous ce rapport, sa liberté d'appréciation, même lorsqu'il y aurait plainte des propriétaires des forêts, que la plainte ne liait pas d'une manière indissoluble le ministère public à la nécessité d'intenter une action. Si le ministère public ne trouve pas opportun de poursuivre, il reste pour le propriétaire plaignant le droit de se constituer partie civile et de poursuivre ceux qui lui auraient porté préjudice.

Ces raisons, messieurs, qui en principe et en fait justifient la disposition que j'ai eu l’honneur de vous soumettre me déterminent à vous prier d'adopter le paragraphe tel qu'il vous est proposé.

M. le président. - On est d'accord sur l'article proposé par la commission ; mais M. le ministre de la justice propose d'y ajouter un paragraphe que la commission repousse ; MM. de Chimay et Matthieu, qui avaient présenté un amendement, se sont ralliés à la proposition de M. le ministre de la justice.

M. Moncheur. - Messieurs, la question de savoir si le fait de se trouver hors des chemins et des routes dans les bois et forêts, doit ou peut être punissable, a déjà donné lieu à quelques débats dans cette Chambre. L’honorable ministre de la justice et deux honorables collègues ont déposé des amendements à l'article 166 relatif à cet objet, et ces amendements ont fait l'objet d'un rapport de la commission spéciale, rapport que vous avez sous les yeux.

Messieurs, quoique membre de cette commission spéciale, il m'a été impossible d'assister à ses délibérations sur cette question. Mais je tiens à dire les motifs pour lesquels il m'aurait été impossible de me rallier à la conclusion adoptée par la majorité.

L'honorable ministre de la justice vient de vous expliquer pourquoi, n'adoptant pas le principe trop absolu introduit par le Sénat dans la loi, il avait proposé un système qui pouvait donner satisfaction à toutes les opinions, prévenir les scrupules même les plus exagérées, et atteindre on même temps le but répressif qu'on se propose. Je donne mon adhésion à cet amendement, qui déclare, en principe, illicite le fait de se trouver hors des chemins dans les bois et forêts, et attribue au juge le pouvoir d'apprécier d'après les circonstances si ce fait doit être réprimé par une légère amende de 2 francs.

On a opposé des objections à cet amendement. On a dit que c'était là confondre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif ; j'avais préparé une réponse à cette objection, mais l’honorabl, ministre de la justice m'a prévenu en citant précisément les articles de loi que j'avais mis en note. Il a cité, par exemple, l'article 574 de la loi sur les faillites, loi que vous avez élaborée récemment après le rapport lumineux de l'honorable M. Tesch.

Vous avez placé, messieurs, dans les six numéros de cet article une longue série de faits qui sont pour la plupart très inoffensifs en eux-mêmes, mais qui peuvent être érigés, à volonté, par le juge en délits, et même en délits assez graves, puisqu'ils sont passibles de deux années d'emprisonnement ; le juge possède à cet égard un arbitraire complet.

Parmi ces faits, messieurs, se trouvent notamment ceux-ci :

« 1° Si le failli a contracté, pour compte d'autrui, sans recevoir de (page 230) valeurs en contre-échange des obligations trop considérables, eu égard à sa situation.

« 2° S'il est de nouveau déclaré en faillite sans avoir satisfait aux obligations d'un précédent concordat.

« 3° Si, étant marié sous le régime dotal ou séparé de biens, il ne s'est pas conformé à l'article 69. »

Voilà, messieurs, déjà trois faits qui peuvent constituer le failli en état de banqueroute simple, c'est-à-dire le rendre passible de deux années d'emprisonnement, ou le laisser parfaitement innocent, selon que le juge le trouvera convenable, d'après l'appréciation qu'il fera desdits faits. Ainsi, messieurs, dans tel arrondissement judiciaire il sera de jurisprudence que celui, par exemple, qui, étant marié sous le régime dotal ou sous le régime de la séparation de biens, n'aura pas transmis au greffe son contrat de mariage, doit être considéré comme banqueroutier, dans un autre arrondissement, le failli qui se trouvera dans ce même cas sera, au contraire, considéré comme parfaitement innocent.

J'ai dit : « Il sera de jurisprudence, » et je me suis servi à dessein d'un terme impropre, mais c'est pour répondre à une autre objection faite par l'honorable M. Tesch dans une séance précédente ; il disait : « Que devient l'unité de jurisprudence et de législation avec votre article 166 ? Dans une localité on punira d'une amende celui qui sera trouvé dans une forêt hors des chemins, et dans une autre localité on ne le punira pas ; ici le fait sera innocent, là il sera un délit. Que devient, a-t-on ajouté, cette action régulatrice de la cour de cassation, qui ne pourra jamais ramener l'unité puisque le juge sera autorisé par la loi, à créer ou à ne pas créer un délit selon son libre arbitre ?» Eh bien, je demande quelle est, au point de vue de l'unité de jurisprudence ou de l'unité de législation, l'action de la cour de cassation dans les cas de l'article 574, que je viens de citer ?

Poursuivons un peu l'examen de cet article.

D'après le n°4, le failli pourra être déclaré banqueroutier simple, « s'il n'a pas fait l'aveu de la cessation de ses payements dans le délai prescrit par l'article 440 ; si cet aveu ne contient pas les noms de tous ses associés solidaires...»

Si donc le failli a omis le nom d'un seul associé solidaire, il peut être déclaré banqueroutier et puni de deux années d'emprisonnement ; mais d'un autre côté, il peut être considéré comme ayant agi sans aucune espèce de mauvaise intention, et son fait alors est parfaitement innocent.

Et cependant, on n'a pas trouvé que ce fût là ouvrir la porte à l'arbitraire des tribunaux ; on n'a pas dit que ce fût là confondre le pouvoir judiciaire avec le pouvoir législatif.

Poursuivons encore : 5° Le failli peut être condamné comme coupable du délit de banqueroute, « s'il s'est absenté sans l'autorisation du juge-commissaire. »

Ainsi, messieurs, il suffit que le failli s'absente, qu'il aille se promener à deux ou troislicues de la ville et que pendant cette courte absence le juge-commissaire, ayant besoin de lui, le fasse appeler, et ne le trouve pas ; il suffit de ce fait, très inoffensif sans doute en lui-même, pour qu'il puisse être déclaré banqueroutier et puni de deux années d'emprisonnement.

Ce malheureux failli, vous le gardez attaché non pas à la glèbe, mais au guichet de votre greffe du tribunal de commerce ; vous faites bon marché de sa liberté individuelle, et vous le placez sous l'arbitraire le plus complet du juge, qui peut voir ou ne pas voir un délit dans un simple fait d'absence.

Je crois, messieurs, que ces exemples répondent suffisamment au reproche de perturbation des principes et de confusion du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif qui a été adressé à la proposition de M. le ministre de la justice.

On peut donc, sans aucune espèce de crainte, laisser à l'arbitrage du juge le soin d'apprécier si le fait de s'être trouvé dans une forêt hors des routes et chemins est punissable, d'après les circonstances, ou ne l'est pas.

Et remarquez, messieurs, qu'il s'agit ici, non pas d'un emprisonnement de deux années, mais d'une simple amende de deux francs.

On demande grâce, dit-on, pour les promeneurs, pour ceux qui vont herboriser dans les bois, qui vont y chercher le frais ; mais, messieurs, ne craignez donc rien, cette grâce est déjà accordée d'avance aux innocents promeneurs, aux botanistes et autres personnes inoffensives.

Quel sera, en effet, le juge qui condamnera à l'amende des gens qui se seront écartés des chemins, alors que ni leurs précédents ni aucune autre circonstance ne dénoteront chez eux une intention perverse ? Aucun.

Mais ce n'est pas tout, messieurs, vous avez une autre garantie encore en faveur des innocents promeneurs, c'est la nécessité de la plainte de la part du propriétaire du bois ou de la forêt ; or quel est le propriétaire, quel est le ministre des finances pour les bois de l’Etat, quel est le collège des bourgmestre et échevins pour les bois communaux, qui s'amusera à porter plainte contre un individu, parce que cet individu se sera promené paisiblement dans un bois ? Certes, aucun encore.

Vous demandez grâce, dites-vous, pour les promeneurs inoffensifs ; mais demandez-vous grâce aussi pour les hommes malintentionnés, pour les malfaiteurs qui se cachent dans les bois pour perpétrer peut-être les crimes les plus atroces ?

Il n'est pas inopportun, messieurs, de citer ici des faits de ce genre, des faits qui ont épouvanté le pays tout entier et qui se sont passés dans la province que j'habite. Vous vous rappelez peut-être qu'il y a peu d'années, trois crimes épouvantables ont été commis dans la province de Namur, par des individus cachés dans les bois ; trois jeunes filles ont été trouvées assassinées à proximité du chemin dans les bois.

Dans la commune de Florennes une jeune fille a été assassinée après avoir été indignement violée ; à Pessoux, à Leignon, les mêmes crimes ont été commis.

Eh bien, messieurs, les auteurs de ces crimes sont restés inconnus, grâce à la facilité que l'on a dans les bois, non seulement d'épier sa victime, mais encore de se soustraire à toutes les recherches de l'autorité.

Ainsi, messieurs, c'est dans un intérêt supérieur de sécurité publique que le fait de se trouver dans un bois, hors des chemins, doit être considéré comme illicite, et passible d'une peine, selon les circonstances.

Il y a, dit-on, deux cents ans qu'une législation forestière existe et que ce fait n'est point puni ; mais, messieurs, il y a aussi deux cents ans et plus, sans doute, que les malfaiteurs ont, pour ainsi dire, établi leur domicile dans les bois ; qu'il les ont recherché, pour commettre leurs méfaits ou les cacher.

N'a-t-on pas toujours craint de passer dans les bois un peu écartés ? Pourquoi ? Parce que c'est dans les bois que se tiennent tous les malintentionnés.

Mais, dit-on, ce n'est pas une amende de deux francs qui empêchera des crimes semblables ; cela est possible, messieurs, mais au moins la loi aura fait ce qu'elle aura dû faire. Elle aura déclaré illicite et punissable un fait qui doit l'être, et elle aura donné aux propriétaires et aux agents de la force publique un moyen assez faible, il est vrai, de purger les bois des malfaiteurs qui s'y réfugient.

On a dit que l'on avait ce moyen par l'action civile. J'ai réfléchi, messieurs, à ce moyen, mais je le trouve tout à fait insuffisant.

En effet, ni l'Etat, ni les communes, ni les propriétaires n'intenteront jamais une action civileen dommages-intérêts contre un individu trouvé dans les bois, alors surtout que presque toujours cet individu ne possédera rien sous le soleil. Comprenez-vous, messieurs, qu'un propriétaire cite d'abord en conciliation, devant le juge de paix, un pauvre diable qui a été trouvé dans un bois et qu'il suive ensuite toute une longue procédure pour n'arriver à aucun résultat ? Citation devant le juge de paix ; procès-verbal de non-conciliation, assignation devant le tribunal, constitution d'avoué, conclusions à des dommages-intérêts fondés sur des faits qu'on poserait avec offre de preuve ; enquête sur les lieux, avec juge-commissaire et tout l'accompagnement obligé. Evidemment, messieurs, c'est là une chose complètement impossible, et le moyen de l'action civile est illusoire.

On dit encore : Les gardes peuvent entraîner les contrevenants hors du bois et s'ils résistent, il y aura de leur part rébellion. Ils seront punis de ce chef. Mais c'est là encore, messieurs, quand on y réfléchit bien, un moyen très mauvais et fort dangereux ; le remède est pire que le mal.

En effet, pour qu'il y ait délit de rébellion, il faut qu'il y ait violence. Il faut donc que le garde ou le propriétaire ait pris au collet l'individu qui se trouve dans le bois et ait tenté de l'expulser par la force, mais qui ne sait qu'une rixe dans un bois, à l'écart, hors de la vue de tout le monde, est souvent une rixe à mort ? Ainsi, ce moyen, s'il a une certaine valeur, est accompagné aussi de grands dangers.

On a objecté dans une autre séance que, puisque la loi ne punit pas l'individu qui traverse un champ non ensemencé et non préparé, elle ne doit pas punir non plus celui qui circule dans un bois.

Evidemment, il n'y a pas d'analogie entre le fait de celui qui traverse un champ non ensemencé et non préparé, et le fait de celui qui circule dans un bois. Celui qui se trouve dans un champ non ensemencé, outre qu'il ne peut faire aucun tort aux produits de la terre, puisqu'il n'y en a pas, est encore dans l'impossibilité de donner suite à de mauvaises intentions, s'il en avait.

Il est, comme on dit trivialement, entre le ciel et la terre ; il n'y a rien autour de lui qui puisse exciter sa convoitise ; il ne peut donc rien voler ; il est exposé à la vue de tout le monde ; il ne peut faire là aucun mal ; s'il peut en faire, ce sera ailleurs. On peut donc, du moins, le laisser passer là en paix. En est-il de même dans un bois ? Tout le monde sent que non. C'est même tout le contraire.

On a cité encore la violation du domicile qui n'est pas punie. On peut, dit-on, entrer dans votre maison malgré vous, et il n'y a pas délit. Pourquoi punirait-on plutôt celui qui enrre dans un bois ? Mais, messieurs, la loi protège, en raison de la difficulté qu'on a de se protéger soi-même.

Or, vous pouvez dans votre maison vous protéger avec facilité contre l'invasion des importuns ; vous n'aurez pour cela qu'à fermer votre porte. Au contraire, on ne peut pas empêcher les importuns ni les malintentionnés d'entrer dans les bois, car on ne peut construire des murailles autour de tous les bois et de toutes les forêts du pays. Par conséquent, plus il y a de facilité à violer ce genre de propriété, et plus cette propriété doit être protégée par la loi.

Au surplus, est-il bien vrai que le fait d'avoir envahi le domicile d'un citoyen ne doive pas être considéré comme une contravention et donner lieu à une peine ?

Un honorable député de Namur a fait observer que tout n'est pas dit en droit pénal sur ce point. Pour moi, je trouve souverainement ridicule que le fait d'avoir déposé des ordures contre une maison soit (page 231) considéré comme un délit, et que le fait d'avoir fait irruption dans cette même maison, d'y avoir causé le désordre et peut-être jeté l'effroi ne le soit nullement. Ainsi, il est fort possible qu'en droit pénal, il y ait là quelque chose à faire, qu'il y ait une lacune à combler, et vous ne pouvez pas argumenter de cette lacune, pour en ajouter encore une autre.

Messieurs, j'avais annoté des observations identiques à celle que M. le ministre de la justice vient de faire relativement à l'inapplicabilité, au fait dont il s'agit dans l'articke 166, des articles 164 et 163 du Code forestier.

L'article 164 est relatif aux souches seulement. Or, celui qui froisse un brin ou un jeune jet, ne froisse pas une souche. En droit pénal, on ne peut pas étendre un fait prévu à un autre fait non prévu.

L'article 471, paragraphe 13, n'est pas non plus applicable au cas dont il s'agit dans l'article 166 comme M. le ministre de la justice l'a très bien prouvé.

Je me résume, messieurs, et je dis que lorsque nous étions en présence de l'article un peu trop absolu du sénat, je n'ai pas cru devoir l'appuyer parce que cet article aurait pu donner lieu à quelques abus ; mais maintenant que nous sommes en présence de la disposition dont M. le ministre de la justice a saisi la chambre, je trouve qu'on ne peut raisonnablement s'opposer à son adoption ; qu'elle ne peut donner lieu à aucune objection sérieuse, et que non seulement l'intérêt forestier, mais encore un intérêt supérieur de sécurité publique plaident pour qu'elle trouve place dans la loi. Je prie la chambre de lui donner un vote favorable.

M. Lelièvre. - Il est incontestable que l'article proposé par la commission de la Chambre satisfait déjà à de légitimes exigences. Celui qui est trouvé de nuit dans les forêts hors des routes et chemins ordinaires ou même pendant le jour, dans le cas où il est porteur de serpe, cognée, hache, etc., est frappé d'une amende de cinq francs.

Il ne reste plus à décider que la seule question de savoir s'il y aura faculté de condamner à une amende de deux francs celui qui se trouvera dans une forêt hors des routes et chemins, même pendant le jour et sans qu'il soit porteur d'aucun instrument annonçant l'intention de nuire.

Je vous avoue que la faculté réservée aux tribunaux ne me paraît pas devoir donner lieu à des inconvénients. Un bois par sa nature est plus exposé qu'une autre propriété à des dégradations.

Or, le législateur n'a-t-il pas le droit de prohiber, sous des peines publiques, tout fait illicite d'où puissent résulter des dommages pour autrui ?

Celui qui se trouve hors des routes et chemins, pose un acte illicite, et s'il résulte des circonstances que cet acte a été commis avec intention perverse, dans le dessein avoué ou constaté d'arriver à un délit caractérisé, quelle injustice y aurait-il à réprimer semblable fait ? Je suppose un maraudeur de profession, parcourant les bois pour saisir la première occasion qui se présente de commettre un véritable délit, est-il peu équitable d'atteindre semblable individu ?

Sans doute le parcours d'un bois peut être inoffensif, mais d'un autre côté il peut présenter un caractère délictueux, et c'est pour ce motif que je pense qu'on peut sans inconvénient accorder au juge la faculté de le réprimer au moyen d'une peine légère dont l'application est abandonnée à la conscience des magistrats qui apprécieront ce fait comme tous ceux qui leur sont journellement soumis, d'après les circonstances diverses qui peuvent l'accompagner et qui en révéleront l'innocuité ou la criminalité.

Le fait de se trouver dans les bois et chemins est par lui-même illicite, il renferme une atteinte à la propriété d'autrui.

Je ne vois donc pas comment ii serait interdit de le réprimer, quand il a été commis avec mauvaise intention et comme acte préparatoire d'un autre délit.

Cela est d'autant plus vrai qu'à l'égard des propriétés non boisées ce même fait ne présente pas les mêmes inconvénients, parce qu'il est plus facile de commettre un délit dans un bois que dans toute autre propriété.

La justice répressive doit atteindre non seulement le fait dommageable, mais aussi celui d'où peut résulter une lésion au préjudice des tiers.

Or, nul doute que dans nombre de cas la présence d'un individu hors des routes et chemins ne soit un acheminement vers un délit et n'ait d'autre objet que la consommation d'un fait délictueux ; sous ce rapport laisser aux tribunaux la faculté de réprimer un acte de cette nature, c'est à mon avis décréter une disposition approuvée par la justice et conforme aux principes du droit criminel. C'est par ces motifs que je voterai l'amendement du gouvernement.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, au point où en est venue la discussion et après les divers rapports que la commission vous a présentés successivement, la tâche du rapporteur ne peut pas être bien longue. Ce serait, d'ailleurs, abuser des moments de la chambre que d'insister davantage sur une question qui a déjà été examinée sous ses différentes faces.

Je rencontrerai donc brièvement les objections faites au système de la commission.

En somme, le débat est parfaitement éclairé par les observations que vous venez d'entendre. Le gouvernement vous propose de donner au juge la faculté de punir certains actes qui peuvent, il l'avoue, être entièrement inoffensifs en eux-mêmes.

Le gouvernement nous dit pour justifier sa proposition : Peu importe la faculté d'être injuste laissée au juge ; le législateur n'a pas de précautions à prendre dans ce cas ; je suis convaincu que ma loi est bonne parce que les tribunaux ne l'appliqueront pas.

Si le gouvernement eût été convaincu qu'on appliquera toujours la disposition comme il permet cependant de le faire, il ne l'eût pas proposée ! Je demande si une loi qui se présente sous de pareils auspices, n'est pas une loi condamnée d'avance. Entre-t-il bien dans la mission du législateur de ne prendre aucune précaution contre l'abus que le juge peut faire de sa loi ?

Loin de là. La première mission du législateur est de faire tout ce qui dépend de lui pour qu'on ne puisse abuser de la loi qu'il porte, pour que les citoyens soient protégés contre les abus qu'on voudrait se permettre en son nom. En vertu de la disposition proposée par M. le ministre, le juge pourra donc punir selon son caprice ou son humeur les gens qui se seront promenés d'une manière inoffensive : ceci est bien acquis au débat.

Mais, dit-on, il ne punira pas. Je le concède ; soit. Et le danger de la poursuite n'est-il pas suffisant à lui seul pour faire reculer devant les inconvénients de l'article proposé ? Il semble vraiment que tout soit dit ; quand on donne aux innocents l'espérance, la probabilité d'échapper à une condamnation ! Mais la seule faculté de poursuivre un innocent n'est-elle pas un mal ? La poursuite injuste n'est-elle pas une atteinte aur droits du citoyen, à sa liberté, à toutes les garanties qui lui sont accordées et qu'on doit respecter à moins de contravention formelle aux lois. Faire d'une simple promenade dans un bois, hors des chemins, un délit correctionnel avec perspective d'acquittement, mais c'est obliger les promeneur mis en contravention à abandonner son domicile pour aller peut-être à sept ou huit lieues de distance, expliquer au tribunal du chef-lieu de son arrondissement, comme quoi il s'est trouvé très innocemment dans un bois hors des chemins.

Et quand, par amour-propre ou par un sentiment plus coupable encore, ;le garde rédacteur du procès-verbal, ou le propriétaire qui l'a fait rédiger, insistera à l'audience, il forcera ce promeneur innocent à amener avec lui des témoins, et ces témoins qui les payera ? La loi le dit ;: évidemment celui qui les aura amenés pour prouver son innocence.

Voilà la position que vous faites à ceux que les tribunaux auront, il est vrai, la faculté de ne pas condamner s'ils le veulent, après toutes ces pertes de temps et d'argent.

Mais, ajoute-t-on, qui sera jamais assez absurde pour exercer des poursuites contre un individu ayant traversé un bois d'une manière inoffensive ?

L'argument pourrait avoir peut-être de la valeur, et c'est une large concession que je fais encore, si l'exécution de la disposition était exclusivement confiée aux agents de l'administration forestière. Mais ne l'oubliez pas, vous n'aurez pas seulement à compter avec le gouvernement ; le délit que vous créez peut être commis dans des bois particuliers et déféré aux tribunaux sur la poursuite du propriétaire.

Tout en reconnaissant que le gouvernement use de mansuétude quand il s'agit de ses propriétés et plus encore quand il s'agit des propriétés dont il n'est que le gardien, chacun sait que les propriétaires autres que le gouvernement sont extrêmement jaloux de leur droit ; ce sentiment est dans la nature de l'homme, c'est un sentiment que je ne blâme pas, mais il faut se prémunir contre son exagération quand on est législateur.

Or, tout propriétaire aura intérêt et propension à mettre hors de son bois à coup de procès-verbaux les gens qu'il y verra. Il aura intérêt à requérir des poursuites contre quiconque se promènera, tout simplement comme procédé d'intimidation, car l'intimidation sera un moyen excellent de réaliser des économies de gardes forestiers.

Quand le propriétaire aura réussi à chasser ainsi toutes les populations de ses bois, il lui faudra évidemment beaucoup moins de gardes pour réprimer les délits qu'on pourrait y commettre. Dites-le donc, est-ce pour arriver à ce résultat, est-ce pour procurer aux propriétaires de bois que la loi oblige à faire surveiller leurs propriétés à leurs frais, une économie de gardes que vous votez un Code forestier ?

Evidemment non.

Il y a pour les populations qui se trouvent dans le voisinage des forêts des droits, des intérêts permanents que vous devez respecter. Les intérêts de ces populations sont constamment en présence de l'intérêt rival des propriétaires.

Elles ont par exemple des droits d'usage à exercer et l'on sait que l'usager est tenu pour un ennemi-né par la propriété boisée. Ne fera-t-on pas tout ce que l’on pourra pour le chasser indirectement de la forêt ?

MM. Tesch et David, toutes les personnes expérimentées qui ont passé une grande partie de leur existence au milieu des populations qui entourent les nois, vous disent que la disposition proposée par le gouvernement donnerait ouverture à de graves abus. Pourquoi ne pas les croire et n'ouvrir l'oreille qu'aux doléances de la propriété ?

Si encore les autres propriétés étaient protégées par des mesures préventives, comme on veut le faire pour les bois ! Mais il n'en est pas ainsi, et vous reculeriez les premiers devant les vexations sans nombre qui résulteraient de la généralisation de votre système. Voyez plutôt.

L'honorable M. Moucheur et après lui l'honorable M. Lelièvre ont insisté sur cette considération que la plupart du temps les promeneurs n'étaient que des maraudeurs, des malfaiteurs qui, voulant commettre des délits forestiers, vont en se promenant pendant le jour combiner (page 232) les moyens de mener à bien leurs coupables projets. Pour prévenir la perpétration de ces délits, il faut chasser des bois jusqu'aux citoyens qui vont s'y promener innocemment. Car on ne peut distinguer à première vue ou la distinction est trop difficile pour les gardes. Appliquez ce système aux autres propriétés ; il faut punir, comme malintentionné, l'individu qui se promènera autour d'une maison, sous prétexte qu'il calcule peut-être la hauteur des murs pourvoir si on peut les escalader, qu'il examine si les clôtures sont bien assurées, si les serrures des portes sont bonnes, si les volets ferment bien.

Voilà où vous allez avec ce système de prévention poussé à l'extrême limite, appliqué aux maisons comme aux bois. Cette même idée a conduit M. Moncheur à dire : Parce qu'on peut se promener librement dans les bois, des malfaiteurs s'y blottissent pour commettre des crimes atroces : l'assassinat, le viol. Il a cité des exemples.

Si l'observation de l'honorable membre, à cet égard, était vraie, c'est dans le Code pénal et non dans le Code forestier qu'il devrait proposer d'insérer la disposition qu'il défend, car c'est là qu'on doit trouver les peines répressives des crimes atroces qu'il a énumérés. Mais, sérieusement, croyez-vous que l'amende facultative de deux francs éloignera des forêts les malfaiteurs qui se rendent dans les bois avec la pensée d'assassiner ?

Un malfaiteur décidé à jouer sa tête ne sera pas arrêté par la perspective d'un enjeu supplémentaire de 2 fr.

Evidemment la disposition dit trop peu ou dit trop.

J'ai démontré qu'on faisait, par l'amendement de M. le ministre, beaucoup plus pour les propriétés boisées que pour les autres propriétés ;; cela n'a point été réfuté. Pour les maisons, par exemple, vous ne faites pas ce que vous faites pour les bois ; mais, dit-on, dans les maisons on peut se garer des malfaiteurs, dans les bois c'est plus difficile.

Je réponds : Quand quelqu'un entre dans la maison d'autrui et y circule, une violation de domicile s'ajoute à la méconnaissance du droit de propriété, raison de plus d'être sévère ; et pourtant la loi ne punit pas.

De plus, quand un malfaiteur a réussi à pénétrer dans une maison, sa présence est pour le propriétaire un danger bien plus considérable que la présence d'un individu se promenant dans son bois, pour un autre promeneur, car le propriétaire est obligé de coucher chez lui et tout le monde peut s'abstenir d'aller au bois.

M. Moncheur. - Punissez-le.

M. Orts, rapporteur. - Proposez-le. Je voudrais voir si dans la Chambre il se lèvera trois membres pour appuyer la proposition de l'honorable M. Moncheur qui demande une peine contre tout individu trouvé dans la propriété d'autrui, sans consentement du propriétaire. Je supplie l'honorable M. Moncheur d'user de son initiative pour faire cette proposition lors de la révision du Code pénal.

Nous verrons alors qui de lui ou de moi a le mieux présumé du sentiment de la Chambre.

Vous trouvez, je le répèle, la nuit, chez vous un individu entré sans votre consentement ; il n'est passible d'aucune peine d'après le Code pénal.

- Un membre. - C'est qu'on n'y a pas songé.

M. Orts, rapporteur. - On y a parfaitement songé. On y a songé notamment lors de la révision du Code en France, en 1832. On a remarqué que la violation de domicile n'était punie par le Code de 1810 qu'alors elle était commise par un fonctionnaire abusant de son titre ou de son autorité. On a voulu étendre la disposition aux simples particuliers et l'on a reculé. On a reconnu ne pouvoir punir la violation de domicile, accomplie par un simple particulier sans violence, ni menaces et l'on s'est borné à la punir dans ces circonstances.

Enfin ne perdons pas de vue que ce qu'on vous demande de faire n'existe nulle part.

M. Julliot. - Cela existe en Hollande.

M. Orts, rapporteur. - Cela n'existe point en Hollande. La Hollande n'a d'autre loi forestière que l'ordonnance de 1669, que la loi belge actuellement en vigueur chez nous et cette loi va moins loin même que l'amendement proposé par la commission. Je ne cesse de le redire. Elle se borne à punir la circulation de nuit avec instruments. La circulation de jour, sans instruments, n'est pas non plus punie par le Code forestier français de 1828.

On parle encore de plaintes, de lacunes signalées. Ou donc ces plaintes se sont-elles fait jour ? Avant que M. le ministre de la justice, M. le ministre d'aujourd'hui bien entendu, fût venu déclarer après le vote du Sénat, et seulement dans cette chambre, que des réclamations lui étaient parvenues, jamais une voix ne s'était élevée pour demander un changement. Le fait est positif : nous n'avions entendu aucune réclamation avant la controverse qui s'est élevée au Sénat.

En votant le projet du gouvernement, vous allez donc punir ce que personne ne punit dans le monde civilisé. La Chambre est avertie ; elle fera ce qu'elle jugera convenable.

M. Pirmez. - Je crois que la résolution que vous allez prendre doit avoir une grande influence sur l'existence des propriétés boisées dans une grande partie de la Belgique.

La question qui a été longuement débattue devant vous a fait connaître à chacun les limites dans lesquelles il peut agir et vous allez bien réellement décider si l'on parcourra ou si l'on ne parcourra pas hors chemin les propriétés boisées.

J'ai fort bien compris qu'en ne punissant pas l'acte de parcourir hors chemin, vous ne donniez pas le droit de commettre cet acte. Mais pour le résultat de la décision, c'est à peu près la même chose. Par cette décision les propriétés boisées sont non dans le droit, à la vérité, mais dans le fait, en quelque sorte, des propriétés vaines.

Nous faisons des lois pour les temps et les pays où nous vivons. Veuillez jeler un coup d'œil sur le territoire de la Belgique, et voyez, d'après les lois existantes, telles qu'elles ont été ici expliquées, dans quelles circonstances il est facultatif à chacun de parcourir ce territoire hors chemin sans encourir de peine.

La Belgique est un des pays les plus avancés en agriculture qui soient au monde. A part les très courts instants qui suivent les récoltes, la terre en général y est presque toujours ou préparée, ou ensemencée, ou couverte de récoltes et par conséquent, les moments sont très courts où l'on peut vaguer par les champs et les espaces très restreints.

En voyant les choses telles qu'elles sont, on reconnaît que lorsqu'on peut parcourir le sol hors chemin sans encourir de peine on se trouve en Belgique dans un cas d'exception, parce que nous vivons dans un pays civilisé, que nous ne sommes pas un peuple chasseur ni un peuple pasteur, et que la plus grande partie de notre sol porte toujours des choses ayant de la valeur ou est préparée pour en porter.

Quel a été le but du législateur dans son article 471 du Code pénal ? Evidemment de protéger, d'empêcher la destruction des valeurs qui couvrent le sol, ou qu'on ne porte obstacle à ce que ces valeurs ne se produisent. Il n'a pas exigé qu'on prouvât que les produits du sol avaient été détruits ou même qu'on leur avait nui. Par le parcours hors chemin sur les terres préparées ou ensemencées le législateur suppose toujours un acte nuisible et le punit comme tel.

Les discussions du Code forestier ont appris au pays que les valeurs qui couvrent les propriétés boisées ne jouissent pas de cette protection et que le parcours d'un bois hors chemin n'est pas considéré comme un acte nuisible et par conséquent méritant répression. Si cet acte a été nuisible, c'est au propriétaire, dit-on, à en faire la démonstration et à se pourvoir devant le juge pour être indemnisé. Entre-temps, libre à chacun de parcourir les bois en tous sens hors chemin, sans avoir à redouter la moindre répression.

Voilà le sort que la législation, ainsi qu'on nous l'a expliquée, fait sur ce point à la propriété boisée. Ces dispositions sont d'ailleurs assez en harmonie avec l'ensemble des lois forestières qui, je le soupçonne, nous viennent des temps fort reculés où les arts et l'industrie ayant à peu près disparu, les produits de ceux-ci étaient d'une valeur excessive, relativement aux produits dincts de la nature, qui n'en avaient presque aucune.

Nous sommes bien loin des temps de l'origine des lois forestières, bases de notre code actuel. La situation économique est tellement changée qu'elle est absolument retournée. Les arts et l'industrie ont acquis une perfection merveilleuse, ce sont maintenant leurs produits qui ont très peu de valeur relativement aux produits directs de la nature que l'homme peut s'approprier, lesquels acquerront toujours une valeur relative plus grande au fur et à mesure que les arts et l'industrie se perfectionneront, c'est-à-dire que la civilisation avancera.

Malgré des situations si différentes, ou plutôt si contraires, appuyées sans doute sur des corps de fonctionnaires toujours imbus des mêmes principes, les lois forestières ont traversé les âges et nous ont apporté, à travers les siècles, des idées que nous proclamons hautement, mais qui certes ne nous seraient jamais entrées spontanément dans l'esprit à l'époque actuelle.

Ces idées consistent à faire admettre, à proclamer même que c'est une action infiniment moins mauvaise, infiniment moins perverse de prendre à autrui une quantité de bois qui vaut 20 francs, que de lui prendre une quantité de drap ou de toute autre marchandise ou denrée qui vaut aussi 20 francs.

Et par là on a fait établir dans nos lois que celui qui prend à autrui pour 20 francs de drap est un voleur, tandis que celui qui prend à autrui pour 20 francs de bois n'est pas un voleur.

Et cependant, pour qui veut prendre la peine de lier deux idées, il est évident que le bois qui vaut 20 francs peut à l'instant, au moyen de la vente et de l'achat, être converti en drap ou en d'autres marchandises ou denrées qui valent aussi 20 francs et que, par conséquent, celui qui a pris le drap et celui qui a pris le bois ont fait un égal butin, et que celui a qui on a enlevé le bois et celui à qui on a dérobé le drap ont éprouvé une perte absolument pareille.

Et veuillez remarquer qu'en une matière aussi délicate que le tien et le mien, les règles ne sauraient être trop clairement et trop nettement établies. Dire qu'il n'y a pas autant de mal d'enlever à autrui une valeur de 20 francs sous la forme de bois que sous la forme de drap, n'est-ce pas à peu près dire qu'il n'y a aucun mal de la lui enlever sous la forme de bois ? Réfléchissez, entre ces deux assertions la distance n'est pas grande.

Avec de pareilles idées qui nous viennent de la situation économique de l'Europe dans les siècles antérieurs sur l'action d'enlever du bois à autrui, il n'est pas étonnant qu'elles existent aussi sur l'action de détruire ou de nuire au bois d'autrui, et que les propriétés boisées aient été privées de la protection dont jouissent les terres qui sont préparées ou ensemencées pour porter des fruits.

Est-il besoin de dire que les propriétés boisées ou sont chargées de (page 233) ce que vous nommez fruits, c'est-à-dire de choses ayant de la valeur, ou bien sont dans une situation à produire ces fruits ?

Que cette situation soit le résultat du travail de l'homme ou non, qu'est-ce que cela fait ? Ecraser le produit direct du gland ou de la faine ou le jeune plant de chêne ou de hêtre, n'est-ce pas à peu près la même chose ?

Or, je le demande, les cas ne sont-ils pas infiniment plus nombreux où on causera du dommage en parcourant les propriétés boisées, les jeunes taillis, par exemple, qu'en parcourant les terres préparées ou ensemencées. Vous ne demandez pas, dans ce dernier cas, la preuve que le dommage a eu lieu. Pourquoi la demandez-vous pour le parcours hors chemin de la propriété boisée ? Pensez-y bien, vous ne trouverez pas d'autre raison que celle-ci. C'est qu'il n'y a pas autant de mal de détruire à autrui pour 20 francs de bois que de lui détruire pour 20 francs d'une autre denrée. A l'époque où nous sommes arrivés, c'est une fort mauvaise raison.

Ne dites donc pas que l'amendement de M. le ministre constitue un privilège. Non il ne constitue pas un privilège. Il abolit une exclusion. Il met sur la même ligne deux propriétés qui sont dans la situation de produire des fruits ou qui sont chargées de fruits auxquels on peut nuire en les parcourant hors chemin.

Il est d'autres considérations, messieurs, qui doivent vous porter à réprimer le parcours hors chemin des propriétés boisées, et celles-là sont les principales. C'est pour empêcher surtout le dommage volontaire qu'on y cause en enlevant le produit des forêts. J'ai dit tout à l'heure quelles idées sont répandues sur la moralité de cet acte et quelle valeur les produits directs de la nature ont acquis et doivent progressivement acquérir avec la civilisation. Si vous pesez bien ces deux considérations, vous verrez que si vous n'accordez pas aux forêts la même protection qu'aux autres propriétés, il n'y a que celles qu'il sera absolument impossible de défricher qui resteront en nature de bois.

Si vous ne réprimez pas le parcours hors chemin, la répression du port des haches. serpe, etc., me paraît peu importante. C'est une erreur de croire que des instruments donnent seuls la possibilité de nuire et qu'il n'est pas possible de nuire sans instruments. Et puis lorsque l'on peut hanter, sans crainte de répression, tous les lieux les plus écartés de la forêt, n'est-il pas facile de cacher les instruments dont on a besoin ? D'ailleurs les délits les plus dommageables aux forêts peuvent être perpétrés au moyen d'une serpette, d'un simple couteau qu'on porte dans la poche. Ainsi pour donner un exemple, je citerai les tiges des taillis qui servent à cintrer les bures des mines de fer dont on fait actuellement une grande destruction.

Messieurs, une quantité de propriétés boisées ont disparu pour l'unique raison qu'il était trop difficile d'en conserver les produits. Cette difficulté croîtra naturellement au fur et à mesure que l'industrie et les arts se développeront et que la situation économique du pays fera contraste avec des temps où le pacage, le panage et la glandée constituaient une des principales richesses sociales.

Les défrichements auraient été pour cette cause bien plus considérables encore, si les communes et les établissements publics pouvaient agir selon leur gré ; car les bois qui n'ont point de propriétaire particulier sont naturellement par préférence fourrages.

On s'est beaucoup préoccupé des promeneurs, mais c'est précisément dans l'intérêt des promeneurs que vous devez aux produits des forêts la même protection qu'aux autres produits. Le promeneur doit, dans son intérêt, se préoccuper un peu des causes et des effets, de ce qui s'est passé hier et de ce qui se passera demain ; et s'il voit que la disparition de la propriété boisée vient d'un défaut de protection légale, il fera un petit sacrifice ; il renoncera aujourd'hui au droit absolu d'aller s'enfoncer dans les plus épais fourrés pour ne pas être privé demain de l'ombrage, suffisant d'ailleurs, des chemins et des sentiers

M. le président. - M. Orban propose d'ajouter le mot « armes » après le mot (erratum, page 252) « scies ».

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.