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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 février 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 799) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

- La séance est ouverte.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Quelques officiers entrés dans l'armée en 1830 et placés depuis peu dans la position de retraite adressent des considérations à l'appui de leur pétition du 19 novembre dernier. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Hautecoeur demande à jouir de la pension accordée aux légionnaires nécessiteux. ».

- Même renvoi.


« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux d'Oignies demandent la création d'un tribunal de première instance à Philippeville. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux de Letter-Hautem prient la chambre de décréter la ligne de chemin de fer direct de Gand à Sainl-Ghislain avec embranchement sur Grammont. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux d'Hautem-Saint-Liévin prient la Chambre de décréter le chemin de fer direct de Gand à Saint-Ghislain par Ath, Villerot, etc. »

- Même renvoi.


« Le sieur Louis-Joseph Haussay, milicien de la classe de 1843, prie la Chambre de lui faire obtenir son congé.»

- Même renvoi.


« Des habitants du canton de Fauvillers demandent la nomination d'un second notaire dans ce canton. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires à Perwez réclament de nouveau l'intervention de la Chambre pour obtenir le rétablissement des communications qui se trouvent interrompues depuis la construction de la route de Thorembais-Saint-Trond à Grand-Rosières. »

- Sur la proposition de M. de Ruddere, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les sieurs Vandervoort, Delcroix et autres membres de la commission des sociétés flamandes à Bruxelles et communes environnantes, demandent que la Chambre veuille bien, à l'occasion du projet de loi sur l'annexion des faubourgs, décider qu'à Bruxelles les publications administratives se feront dans les deux langues et que dans les écoles communales il y aura des sections spéciales où le premier enseignement sera donné en flamand. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Emines demande que la houille soit libre à l'entrée et que les fontes et les fers soient soumis à un droit fiscal qui n'excède pas 10 p. c. de la valeur. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif au tarif des douanes.


« La chambre de commerce de Bruges demande le maintien du régime actuel pour tout ce qui concerne les soudes et les produits chimiques en général, à l'entrée du pays. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Eecloo demande que la langue flamande ait sa part dans les projets de lois sur les cours d'assises et sur l'enseignement agricole. »

« Même demande des bourgmestre, échevins et membres du conseil communal de Maldegem. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur l'enseignement agricole et à la commission des pétitions.


« Des habitants de Deftinge déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand du 25 décembre 1853. »

« Même déclaration d'autres habitants de Deftinge. »

« Même déclaration d'habitants de Louvain. »

« Même déclaration des professeurs et élèves de l'école de dessin et d'architecture à Eecloo. »

« Même déclaration des membres du conseil communal de Bule. »

— Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Maldegem demandent que la langue flamande jouisse des droits qui reviennent à la langue parlée par le plus grand nombre des Belges. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de l'intérieur fait hommage à la Chambre de 108 exemplaires d'un rapport de la commission permanente pou les sociétés de secours mutuels et de 108 exemplaires d'un travail sur les mêmes sociétés traduit eu flamand pour l'usage des populations flamandes. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Reninghe, le 31 janvier 1854, des habitants de Reninghe demandent que cette commune ne fasse plus partie du territoire réservé à l'administration douanière par l'arrêté royal du 4 mars 1851. »

Les pétitionnaires soutiennent que leur commune est illégalement comprise dans le rayon des douaues, que la loi du 7 juin 1832 et l'arrêté royal du 24 juin suivant déterminent la ligne à un myriamètre de l'extrémité de la frontière.

Que la commune de Reninghe est distante de douze cents mètres de cette ligne, et que le point le plus rapproché de l'extrême frontière est encore distant de plus de 200 mètres de cette ligne.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.

M. Clep. - Messieurs, comme vous venez de l'entendre, plusieurs habitants de Reninghe demandent que cette commune ne fasse plus partie du territoire réservé à l'administration douanière par suite de l'arrêté royal du 4 mars 1851.

Les plaignants citent plusieurs faits et comparaisons desquels, selon eux, il résulterait que c'est par erreur que Reninghe se trouve classé dans le rayon réservé.

Ce sont là, messieurs, des faits à vérifier, qui ressortissent au département des finances.

Je me joins donc à la commission des pétitions, pour prier la Chambre, de bien vouloir envoyer la requête dont s'agit à M. le ministre des finances.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Philippevilîe, le 4 février 1854, le sieur (page 800) Oudart, chef de bureau au commissariat de cet arrondissement, demande à être admis à participer à la caisse de retraite. »

Le pétitionnaire fait valoir plusieurs considérations en faveur de sa demande, et dit qu'il croyait que les employés de sa catégorie étaient assimilés à ceux de l'Etat, et que,comme eux, ils avaient droit au bénéfice de la loi sur les pensions de retraite.

Voire commission, messieurs, a cru qu'en présence de l'état actuel de notre législation il n'était pas possible d'accorder au pétitionnaire ce qu'il demande, et qu'en sa qualité de chef de bureau il est censé devoir connaître, et cette ignorance ne prouve pas en sa faveur ; cependant, sans rien préjuger, elle a cru pouvoir vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.

M. de Baillet-Latour. - Il me paraît, messieurs, que cette catégorie d'employés mériterait quelque attention de la part du gouvernement et même de la part de M. le rapporteur qui les traite fort légèrement. On a déjà proposé à la Chambre de faire quelque chose pour eux ; ils ne jouissent ni de la caisse de retraite ni d'aucun des bénéfices de la loi ; on les prend, on les renvoie du jour au lendemain et lorsqu'ils ont travaillé pendant 30 ans, que leurs forces sont épuisées, ils ne reçoivent aucune espèce de pension.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, je n'ai nullement traité le pétitionnaire d'une manière inconvenante.

M. de Baillet-Latour. - Je ne me suis pas servi du mot inconvenant.

M. Vander Donckt. - J'ai dit que la commission concluait au renvoi à M. le ministre de la justice ; je ne pense pas que la commission pût prendre une décision plus favorable. Ce chef de bureau du commissariat d'arrondissement de Philippeville avoue lui-même qu'il ignorait complètement notre législation sur cette matière et qu'il croyait que les employés des commissariats d'arrondissement étaient admis à faire valoir leurs droits à la pension ; la commission a dû se dire que les employés de cette catégorie devraient au moins connaître les lois sur les pensions de retraite, puisqu'ils se trouvent souvent dans le cas de faire des rapports sur cette matière ; je me suis borné à dire que cette ignorance du pétitionnaire ne prouvait pas en sa faveur.

Du reste, je le répète, la commission a pris la décision la plus favorable qu'elle pût prendre, puisqu'elle a proposé le renvoi à M. le ministre de la justice.

M. de Baillet-Latour. - Je demanderai le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, puisque c'est à ce département que ressortissent les employés dont il s'agit. J'espère que M. le ministre voudra bien, autant que possible, avoir égard à leur position, dont on a déjà plusieurs fois entretenu la Chambre.

M. de Muelenaere. - Je voulais demander pour quel motif on proposait le renvoi à M. le ministre de la justice. Les employés des commissariats d'arrondissement ne ressortissenl pas à ce département ; ils n'ont rien de commun avec d'autres départements ministériels, puisqu'ils sont uniquement les employés des commissaires d'arrondissement. Cependant je comprendrais jusqu'à un certain point le renvoi au département de l'intérieur pour qu'on examinât s'il n'y a pas quelque chose à faire pour procurer le bienfait éventuel d'une pension aux employés dont il s'agit. Dans tous les cas je n'hésite pas à le dire, cela me paraît extrêmement difficile.

- Le renvoi à M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.

M. H. de Baillet, rapporteur. - « Le sieur Moens, entrepreneur de la fourniture de la viande nécessaire aux troupes occupant le camp de Beverloo, pendant l’année 1853, demande une indemnité pour les pertes qu'il a essuyées. »

L'adjudication de la fourniture dont il s'agit a eu lieu le 20 novembre 1852, époque à laquelle on ne pouvait prévoir l'augmentation des prix des denrées, laquelle a eu lieu pendant l'été de 1853. Au moment de l'adjudication il lui a été impossible, surtout en cequi concerne la viande, de faire des approvisionnements suffisants pour toute la campagne. Il avait entrepris la livraison de cette denrée à 67 cent. le kil., taudis qu'en commerce elle lui a coûté de 87 a 90 cent. ; il a perdu ainsi sur ce dernier article au-delà de fr. 70,000.

Le gouvernement, dont la cherté des vivres a considérablement augmenté les dépenses, est à même d'apprécier les pertes qu'il a incontestablement subies.

Votre commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre.

M. de Renesse. - Messieurs, le sieur Moens, entrepreneur, se trouve dans une position tout exceptionnelle, qui mérite que la Chambre accueille sa demande avec faveur.

Au mois de novembre 1852, le sieur Moens fut déclaré adjudicataire de la fourniture de la viande, pour le camp de Beverloo ; lors de sa soumission, le prix du bétail était très bas ; il n'était pas à prévoir, alors, que ce prix subirait, pendant l'année 1853, une augmentation très considérable ; aussi, la fourniture de la viande fut fixée à 67 centimes le Kilogramme, c'était le prix d'une année normale.

Mais, par suite de circonstances tout extraordinaires, notamment, par la saison froide du printemps qui a retardé la végétation, par conséquent, l'usage des patûrages, le prix du bétail gras avait considérablement haussé, le réclamant a été forcé de payer des prix excessifs pour fournir régulièrement le nombre de bestiaux à l’alimentation des troupes du camps.

Il en est résulté, pour cet entreprciieur une perte très considérable, car la viande qu'il devait livrer à 67 cent, le kilogr. lui a coûté de 87 à 90 cent, soit 20 à 23 cent, de plus.

Il est certain que si le département de la guerre avait dû entreprendre la fourniture de la viande, au moyen de la régie, il aurait dû supporter cette augmentation du prix du bétail, et certes l'on peut supposer qu'aucun soumissionnaire ne se serait présenté au prix accepté par M. Moens, si l'on avait pu prévoir une si forte augmentation des prix de la viande ; mais, lorsque la soumission eut lieu, vers la fin de l'année 1852, le prix du bétail était tombé très bas, et à un tel point, que beaucoup de cultivateurs, d'engraisseurs, s'adressèrent aux Chambres, pour demander un droit protecteur plus élevé à l'entrée du bétail étranger.

Si, dans le strict droit, le sieur Moens ne peut réclamer une indemnité pour la perte très sensible qu'il a dû éprouver, il y a du moins ici une question d'équité qui mérite d'être prise en considération, puisqu'il a contracté de bonne foi, ne pouvant présumer une augmentation aussi notable du prix du bétail ; cette forte élévation de ce prix n'était pas à prévoir, l'Etalta donc profité d'une manière directe du marché contracté par cet entrepreneur ; il ne peut vouloir la ruine d'un père d'une nombreuse famille, qui a toujours consciencieusement rempli ses obligations vis-à-vis du gouvernement. Il est encore à observer que l'entrepreneur qui soumissionne la fourniture de la viande pour les soldats, se trouve dans une position tout exceptionnelle ; il ne peut, comme les autres entrepreneurs, faire ses approvisionnements au taux qui a servi de base approximative à leur entreprise. Il ne peut acheter son bétail qu'au fur et à mesure des besoins, puisqu'il ne pourrait supporter les frais de leur logement, de leur surveillance, de leur nourriture ; car leur entretien pourrait absorber parfois une forte partie du prix d'achat ; d'après ces considérations, je crois qu'il y a équité d'accueillir la juste réclamation du pétitionnaire et de renvoyer la pétition à M. le ministre de la guerre.

M. de Theux. - J'appuie aussi les conclusions de la commission des pétitions, et je recommande le pétitionnaire à la bienveillance du département de la guerre. C'est un fournisseur qui a rempli ses obligations avec beaucoup de loyauté. C'est par une circonstance fortuite que sa ruine serait consommée s'il ne pouvait pas obtenir un adoucissement.

M. Julliot. - Messieurs, vous venez d'entendre lecture du rapport présenté par l'honorable comte de Baillet, sur la réclamation de l’entrepreneur qui a fourni toute la viande nécessaire au camp de Beverloo, pour l'année 1853.

Je fais partie de la commission des pétitions et à une première lecture de cette pièce, peu philanthrope de ma nature, j'éprouvai le besoin instinctif de défendre l’intérét public contre l’intérêt privé ; mais un examen sérieux me démontra bientôt que cette fois le bon droit se trouvait du côté de l’intérêt individuel.

Cette protestation, et je me sers de ce mot, parce que, si la prétention de cet entrepreneur ne peut s'appuyer sur le droit positif, elle est empreinte d'un si haut degré d'équité, que le législateur l'aurait certainement consacré en droit, si tous les cas avaient pu être prévus.

Je dis qu'un examen rigoureux de la situation factice faite à cet entrepreneur par une modification douanière en dehors des prévisions des parties contractantes a désarmé mon rigorisme.

En général le gouvernement fournit à l'armée les vivres, soit par la régie, soit par des entreprises peu importantes et de courte durée, même de 15, 20 ou 30 jours.

Le sieur Moens est le seul qui, pour 1853, ait fait une entreprise considérable pour une année entière, et cette adjudication fut faite quand ? et à quel taux ? Elle le fut au commencement du mois de novembre 1852 et au prix de 67 centimes le kilogramme ; à cette époque, huit mois avant la grande livraison à faire au camp, aucune prévision humaine ne pouvait admettre la hausse démesurée de la viande qui a sévi principalement pendant la période des manœuvres et provoquée en grande partie par une modification douanière faite à notre frontière vers la France.

C'est alors que cet entrepreneur fut obligé de fournir, en 100 jours, 1,500 bêtes grasses, dit-il, du poids et de l'âge déterminés par le cahier des charges et que les marchés furent déserts parce que la France par la libre entrée nous enlevait des quantités considérables de bétail, sus lesquels Moens à bon droit avait dû compter lors de son contrat.

Messieurs, posons d'abord le principe.

Les adjudications faites par l'Etat pour livraisons sont des contrats aléatoires aux risques et périls des contractants ; si l'entrepreneur gagne, il ne restitue rien ; s'il perd, c'est à son dam ; l'Etat ne lui doit rien. Voilà la règle à laquelle il n'est pas permis de déroger légèrement.

Mais peut-il encore en être de même, alors qu'il se produit des faits tellement imprévus qu'ils tiennent de la force majeure, et que des chances défavorables sont créées, d'une manière factice, par les gouvernements dans les relations économiques des nations ? Telle est la question que nous avons à examiner, et dont la solution logique apparaît toute favorable à l'entrepreneur dont il s'agit.

Quelle fut pour les finances de l'Elat, en ce qui concerne sa régie et ses adjudications très limitées, la suite de la crise alimentaire de 1853 ?

Nous, le savons tous, un crédit supplémentaire de un million 800,000 francs, que nous avons voté, y répond exactement.

(page 801) Or, voici, en ce qui concerne l’armée, le bilan de cette crise alimentaire.

Le trésor de l'Etat perdant près de 2 millions en est la première victime, à côté de lui se trouve Moens qui perd en cent jours 80,000 fr., toute sa fortune ; et si cet entrepreneur, ne possédant que son portefeuille, avait suivi le conseil d'abandonner son cautionnement de 5,000 fr. et de cesser la fourniture avant la période du camp, il perdait sa probité, il est vrai, mais il conservait sa fortune et causait à l'Etat qui aurait dû prendre sa place, une perte directe et considérable ; il a préféré l'honneur à l'argent, et ce fait sera compris.

En peu de mots je vais vous exposer la position anomale qui a été faite à cet entrepreneur.

La Hollande vend du bétail à la Belgique, la Belgique expédie le sien en France.

Pour expédier de Hollande en Belgique on paye 2 p. c. à la valeur et pour entrer de Belgique en France ou paye 25 francs par tête de bétail.

Telle était la position en août 1852, époque à laquelle l'adjudication a été faite sous la foi de ces traités, et rien ne fit prévoir un changement radical dans le système protectionniste de la France.

Eh bien, peu de temps avant la période du camp, les droits qui empêchent la sortie vers la France disparaissent, ceux qui empêchent la Hollande de nous alimenter sont conservés ; la porte par où la viande doit nous arriver reste fermée alors que celle par où elle nous échappe est ouverte à deux battants ; les marchands français abondent sur nos marchés, il s'établit une concurrence effrénée et de nombreux troupeaux quittent journellement la Belgique pour se faire dépecer en France.

Voilà le fait principal qui a ruiné Moens ; il avait contracté sous l'empire des deux entraves respectives, il fut livré à la merci de la concurrence de 36 millions de bouches de plus sans aucune compensation ; il serait difficile de méconnaître en vue de l'équité la plus vulgaire que son contrat n'ait été affecté et que de ce chef on lui doit une indemnité.

Du reste, messieurs, dans cet ordre d'idées, la Chambre et le gouvernement ont posé des précédents bien plus contestables.

Par exemple : en droit, les propriétaires riverains des rivières doivent supporter la servitude de la défense de leurs propriétés ; cependant nous ayons voté plusieurs millions pour soulager ces riverains dans les Flandres, par suite d'un fait posé par un gouvernement voisin ; le seul motif qu'on ait donné à ce sacrifice, c'est que la France avait fait des travaux qui versaient plus d'eau dans nos rivières.

Ainsi quand un gouvernement étranger pose un acte nuisible à nos nationaux, l'Etat peut intervenir pécuniairement dans ce dommage ; or, cela doit être plus vrai encore, quand ce fait étranger se combine avec un contrat passé avec le gouvernement belge lui-même.

La France pose un acte qui affecte au détriment d'un entrepreneur belge un contrat passé avec le gouvernement, le contractant est ruiné et le gouvernement ne s'en attirerait rien ? Mais non, cela n'est pas possible ; le gouvernement peut traiter, mais il ne doit pas spéculer sur des ruines ; cela n'entre ni dans les sentiments de la Chambre, ni dans ceux du gouvernement.

Messieurs, nous votons journellement des sommes considérables qui ne s'appuient ni sur le droit ni sur l'équité, nous les donnons à titre d'encouragement à tel ou tel fait de l'ordre matériel.

Ici nous sommes devant une question de moralité, une question d'équité telle qu'elle touche au droit : en faisant justice vous encouragez en même temps la probité ; l'Etat n'y perdra pas, car cela provoquera la concurrence dans les adjudications.

Je demande donc le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre, et j'espère que le gouvernement, reconnaissant ce qu'il y a de fondé dans cette réclamation, trouvera le moyen de se décharger au moins d'une partie de cette dette d'équité à l'aide de l'un ou l'autre crédit supplémentaire.

S’il en était autrement, je croirais de mon devoir de vous occuper plus souvent de cette question, car je suis convaincu, et alors je ne lâche pas prise quand je le veux. Quand on examinera cette question sous toutes ses faces je ne serai pas seul de mon avis, les conclusions mêmes de la commission vous le démontrent déjà suffisamment. J'ai dit.

M. Thiéfry. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission des pétitions, mais sans attacher au renvoi à M. le ministre de la guerre la portée que les honorables préopinants veulent y donner. Je prie la Chambre de faire attention que si elle admettat lla proposition des honorables préopinants, ce serait inviter M. le ministre de la guerre à accorder une indemnité à un entrepreneur qui a livré de la viande avec perte. Or, voyez quelle en serait la conséquence : tout fournisseur quelconque, tout entrepreneur qui ne ferait aucun bénéfice viendrait réclamer un dédommagement, tandis que celui qui gagnerait 100 p. c. ne rendrait rien à l'Etat ; le gouvernement ferait donc continuellement de grandes pertes.

On se plaint quand le ministre s'écarte, pour les dépenses, des règles de la comptabilité ou des lois ; on exige des adjudications publiques, et on voudrait que l'entrepreneur qui est en perte obtînt une indemnité ! C'est annuler les bénéfices des adjudications publiques ; cela conduirait à des conséquences très onéreuses pour le trésor public. Je dois, en outre, faire encore remarquer que M. le ministre de la guerre ne peut pas accorder une indemnité sans une loi.

Je me borne donc à appuyer le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre de la guerre.

M. H. de Baillet, rapporteur. - C'est aussi dans ce sens que la conmission a proposé le renvoi à M. le ministre de la guerre.

- Les conclusions de la commission des pétitions sont mises aux voix et adoptées.


M. H. de Baillet, rapporteur. - « Le sieur Poncelet, curé à Mogimont, prie la chambre de porter au budget un crédit destiné à la distribution de la chaux, à prix réduit, aux habitants du Luxembourg, au moins jusqu'à l'entier achèvement du chemin de fer dans cette province. »

La commission propose le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi tendant à ouvrir au département de l'intérieur un crédit de 75,000 francs pour cet objet.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi sur les taxes consulaires

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l’honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur les taxes consulaires.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur les brevets d’invention

Second vote des articles

M. le président. - Il y a des articles qui n'ont pas été amendés au premier vote, et auxquels, d'accord avec M. le ministre de I intérieur, je propose quelques légers changements de rédaction.

Articles 1 à 3

M. le président. - L'article premier est ainsi conçu :

« Il sera accordé des droits exclusifs et temporaires, sous le nom de brevets d'invention, de perfectionnement ou d'importation, pour toute découverte ou perfectionnement susceptible d’être exploité comme objet d'industrie ou de commerce. »

Nous proposons d'ajouter le mot « tout » avant le mot « perfectionnement ».

- Ce changement est adopté.


L'article 2, amendé au premier vote, est mis aux voix et définitivement adopté.


L'article 3 est adopté dans les termes suivants :

« La durée des brevets est fixée à vingt ans, sauf le cas prévu à l'article 13 ; elle prendra cours à dater du jour de leur délivrance.

« Il sera payé, pour chaque brevet, une taxe annuelle et progressive ainsi qu'il suit :

« Première année, 10 francs.

« Deuxième année, 20 francs.

« Troisième année, 30 francs.

« Et ainsi de suite jusqu'à la vingtième année pour laquelle la taxe sera de 200 fr. La taxe sera payée par anticipation et, dans aucun cas, ne sera remboursée.

« Il ne sera point exigé de taxe pour les brevets de perfectionnement, lorsqu'ils auront été délivrés au titulaire du hrevel principal. »

Deux changements de rédaction ont été introduits dans cet article : l'un proposé par M. le président, et tendant à substituer dans le dernier paragraphe, les mots « auront été délivrés », à ceux-ci : « seront délivrés » ; l'autre, proposé par M. de Muelenaere, et tendant à ajouter dans le premier paragraphe, les mots « du jour », après ceux-ci : « à dater ».

Article 4

M. le président. Nous arrivons à l'article 4.

« Art. 4. Les brevets confèrent à leurs possesseurs ou ayants droit le droit exclusif :

« a. D'exploiter à leur profit l'objet breveté ou de le faire exploiter par ceux qu’ils y autoriseraient ;

« b. De poursuivre devant les tribunaux ceux qui porteraient atteinte au privilège qui leur est accordé, soit en fabriquant, soit en recelant, soit en vendant, en exposant en vente ou en introduisant sur le sol belge un ou plusieurs objets contrefaits, sachant qu'ils le sont ; et de procéder contre eux à l'effet d'obtenir :

« 1° La confiscation à leur profit des machines et appareils contrefaits et des objets confectionnés en contravention du brevet et non encore vendus, qui seront trouvés chez l'une des pcrsonnes mentionnées au littera b ;

« 2" Une somme égale au prix des objets qui seraient déjà vendus ;

« Et 3° des dommages-intérêts, s il y a lieu. »

M. Vermeire propose de remplacer le littera b par les dispositions suivantes, qu'il divise en trois articles, ainsi conçus :

« Art. 4. Rédiger le littera b de la manière suivante :

« De poursuivre devant les tribunaux ceux qui porteraient atteinte au privilège qui leur est accordé, soit par la fabrication de produits, soit par l'emploi de moyens faisant l'objet du brevet, et de procéder, contre eux, à l'effet d’obtenir :

« 1° La confiscation à leur profit des machines et appareils contrefaits et des produits confectionnés en contravention du brevet et non encore vendus.

« 2° et 3° comme au projet de loi.

« Article 4-2 (nouveau). Ceux qui auront sciemment recélé, vendu ou exposé en vente, ou introduit sur le territoire belge un ou plusieurs objets contrefaits, seront assimilés aux contrefacteurs.

« Art. 5-2 (nouveau). La confiscation des instruments ou ustensiles (page 802) destinés spécialement à la fabrication d'objets reconnus contrefaits, sera prononcée contre le contrefacteur, le receleur, l'introducteur ou le débitant.

« Les objets confisqués seront remis au propriétaire du brevet, sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, et de l'affiche du jugement, s'il y a lieu. »

MM. de Muelenaere et A. Roussel viennent de déposer des sous-amendements aux amendements de M. Vermeire ; ils sont ainsi conçus :

« Art 4, b. De poursuivre devant les tribunaux ceux qui par la fabrication d'objets en contravention au brevet porteraient atteinte au privilège du breveté et de procéder contre eux, etc. »

Le reste comme à l'amendement de M. Vermeire.

« Art. 4 (nouveau). Ceux qui auront sciemment recelé, vendu ou exposé eu vente ou introduit sur le territoire belge un ou plusieurs produits contrefaits, ou employé des moyens faisant l'objet du brevet seront assimilés aux contrefacteurs. »

« Art. 5. La confiscation, etc., sera même en cas de bonne foi prononcée, etc. »

Il y avait dans l'amendement de M. Vermeire « même en cas d'acquittement. » Il a depuis supprimé ces mots.

M. Vermeire. - Un amendement à l'article 4 a été adopté au premier vote, sur la proposition de MM. Tesch, Orban et de Muelenaere ; il avait pour objet d'interdire la saisie de produits contrefaits alors que le détenteur de ces objets pouvait justifier de sa bonne foi. Les honorables collègues qui ont présenté cet amendement font donc une distinction entre les objets contrefaisants et les objets contrefaits ; leur amendement s'applique uniquement aux objets contrefaits ; cela résulte des motifs allégués dans les développements de cet amendement.

Voici ce que disait l'honorable M. Orban :

« J'ai demandé à M. le ministre si on entendait par objets contrefaits les objets confectionnés au moyen des appareils, procédés ou des machines brevetés, et quoiqu'on ne m'ait pas répondu à cet égard, il ne pouvait cependant s'élever aucun doute sur ce point. Par objets contrefaits on devait nécessairement entendre tout produit fabriqué, comme il vient d'être dit. »

Et plus loin :

« Il est évident que les machines et appareils brevetés sont une chose toute différente des produits confectionnés au moyen de ces appareils et de ces machines, et dès lors il faut des expressions différentes pour ces deux objets. »

L'honorable comte de Muelenaeie ajoute :

« C'est pour remédier à ces inconvénients graves que, d'accord avec deux de mes honorables collègues, j'ai proposé un amendement dans lequel nous avons cherché à sauvegarder les droits de l'inventeur, tout en respectant convenablement les droits des détaillants, des marchands, des détenteurs des objets fabriqués, lorsque ceux-ci auront été de bonne foi, lorsqu'ils n'auront pas été complices, lorsqu'on ne pourra leur reprocher aucune faute. »

Connue il s'agit ici de deux objets tout à fait distincts et différents, j'ai cru qu'il était plus convenable d'en faire l'objet de deux articles séparés dans la loi.

Les amendements auxquels je viens de faire allusion sont également insérés dans la loi française. Le premier se rapporte à l'article 40, le second à l'article 41 de cette loi. Mais la législation française, assimilant la contrefaçon, lorsqu'elle a été faite en connaissance de cause, à un délit qui est puni d'une amende de 100 à 2,000 fr, admet la bonne foi en faveur de ceux qui pouvaient ignorer l'existence du brevet.

Cependant, l'article 49 de la loi française porte un correctif à la tolérance de l'article 41, puisque, en vertu de ce premier article, elle autorise la saisie des objets contrefaits, alors même que l'intimé aurait été déclaré de bonne foi. Elle ne peut l'affranchir que de la peine prononcée par l'article 40, c'est-à-dire, de l'amende de 100 à 2,000 fr.

Lors du premier vote nous n'avons pas été aussi loin que le législateur français, parce que nous avons admis une faveur pour les objets contrefaits alors que ces objets se trouveraient dans les mains de débitants agissant de bonne foi.

Renouard, que l'on a souvent cité dans la discussion de la loi sur les brevets d'invention, et que l'on ne peut cependant taxer de trop de bienveillance pour les brevetés, blâme, en des termes très sévères, l'admission de la soi-disant bonne foi dont peuvent arguer les possesseurs d'objets contrefaits.

« Si l'excuse de la bonne foi, dit-il, n'est pas bonne pour le fabricant, comment le devient-elle pour le débitant ou le dépositaire ? N'y a-t-il pas pour tous deux même notification officielle au public ? N'y a-t-il pas même préjudice pour le breveté, même perte de ses droits ? Pourquoi ces deux systèmes si disparates dans deux articles qui se suivent ? Ou l'excuse est bonne et il faut l'admettre pour tout le monde, ou elle ne vaut rien et il ne faut alors l'admettre pour personne. »

J'ai dit tantôt que nous n'avions pas voulu être aussi sévères que le législateur français et, pour ma part, je ne viens pas combattre le principe de l'amendement qui a été adopté au premier vote.

Cependant, messieurs, je crois devoir faire observer ici qu'il y a une distinction à faire, que tel objet contrefait peut devenir facilement objet contrefaisant, et si dans ce cas on ne pouvait faire saisir chez le possesseur, alors même qu'il aurait été de bonne foi, il est évident que les droits accordés aux brevetés seraient frustrés, puisque en ce cas il y aurait contrefaçon permanente.

Renouard envisage aussi cette question sous le même point de vue. Voici ce qu'il dit relativement à l'article 49 de la loi française qui est en partie reproduit dans l'article 5-2 :

« Le projet de loi dit-il, ne statue sur le sort, ni des objets argués de contrefaçon, ni des saisies pour les cas où le débitant serait acquitté, parce qu'il n'aurait pas débité sciemment. Il suit de là qu'en vertu de tous les principes de droit commun et dans le silence de la loi, les marchandises contrefaisantes resteraient la propriété du débitant et dépositaire ou de ses commettants ; en telle sorte que le breveté, non seulement perdrait son procès, mais ne pourrait pas mettre la main sur les objets qui ont été fabriqués en violation de ses droits, et dont la présence, à la face de la justice, raconterait, à tous les yeux, l'existence de la contrefaçon et son impunité. »

Messieurs, je crois pouvoir appeler ici l'attention de la Chambre sur la distinction faile par les commentateurs de la loi française entre le mot « vente » et le mot « débit ». Vente signifie le fait isolé ; débit celui de l’habitude ou du moins de la répétition du même fait.

Quant à l'administration de la bonne, foi, ce n'est pas l'intimé qui doit la faire, mais c'est le poursuivant qui doit prouver que le poursuivi avait connaissance de l'existence du brevet. Je pense que la loi que nous discutons devra être entendue dans ce sens.

Malgré la tolérance de l'article 41 de la loi française qui admet la bonne foi, elle n'en est pas moins exécutée avec beaucoup de sévérité.

L'on se trompe fort si on croit que la difficulté de fournir la preuve de la contrefaçon sera une cause fréquente d'impunité. Ainsi la cour de Paris, chambre correctionnelle, présidée par M. Dupuy, a rendu un arrêt en date du 3 juillet 1839, par lequel elle juge « que celui qui étai possesseur d'objets contrefaits destinés à être débités n'est pas fondé à invoquer sa bonne foi lorsque l'inventeur a rendu publique l'obtention de son brevet. » Donc si la seule publicité suffit pour faire écarter la bonne foi, il est évident que celui qui exposerait en vente des objets portant l'empreinte du nom du breveté, du mot brevet, et de l'année pendant laquelle le brevet a été concédé, ne pourrait pas invoquer la bonne foi en sa faveur.

Maintenant, messieurs, si le détenteur de bonne foi d'objets contrefaits ne peut pas être inquiété dans la possession de ces objets, il ne peut cependant pas en être ainsi lorsque les objets dont il s'agit sont des instruments de production. Autre chose est un objet servant à usage purement personnel et autre chose est une machine ou un appareil au moyen duquel on produit avec plus de perfection ou avec plus d'économie.

L'appareil de production doit toujours être saisi : sans cela, que devient le privilège de fabrication et de vente exclusive garanti au breveté !

En France on a parfaitement compris cette distinction, aussi est-ce pour ce motif qu'on a adopté l'article 49 qui, comme je l'ai déjà dit, porte un correctif à l'article 41. Un arrêt de la cour de Paris du 3 décembre 1841 l'établit à la dernière évidence.

« Attendu, y est-il dit, que si le particulier qui achète pour son usage personnel un objet contrefait est à l'abri de toute poursuite, il n'en saurait être de même de celui qui achète une machine contrefaite pour faire commerce de ses produits, et établir par là une concurrence préjudiciable aux droits du breveté. »

Je me résume, messieurs.

Je crois qu'en tout état de cause, celui qui contrefait un objet breveté ne peut jamais arguer de sa bonne foi. Sur ce point, nous sommes d'accord avec les honorables auteurs de l'amendement.

Je crois, en second lieu, que si l'objet contrefait est un appareil servant à produire avec plus de perfection ou plus d'économie, il doit toujours être saisi, alors même que le contrefacteur serait de bonne foi. Sans cela, vous auriez une contrefaçon permanente, continue.

Quant aux objets contrefaits qui se trouveraient, par exemple, dans le magasin d'un détaillant de bonne foi, ils pourraient être laissés au détenteur.

Si, après les explications que je viens de donner, nous sommes d'accord, sur ces différents points, avec les auteurs des amendements, alors je me rallierai volontiers à toute rédaction qui paraîtrait rendre mieux les principes que je viens d'exposer.

M. Roussel. - Messieurs, les amendements proposés par l’honorable comte de Muelenaere et par moi consistent dans les modifications que je vais avoir l'honneur d'expliquer.

Le premier amendement à l'article 4 a pour but de transférer à l'article 4bis ce qui est relatif à l'emploi de moyens faisant l'objet du brevet, afin de faire tomber cet emploi sous l'application des mots « ceux qui auront sciemment ». Nous faisons, avec l'honorable M. Vermeire, une distinction, quant à la bonne foi, entre la fabrication d'un produit breveté et l'emploi de moyens de fabrication brevetés.

Pour la fabrication d'objets brevetés, la mauvaise foi est présumée ; au contraire, lorsqu'il s'agit de l'emploi de moyens brevetés il faut que la mauvaise foi soit prouvée. Il est donc indispensable d'opérer ce transfert de l'article 4 à l'article 4bis. Tel est le but du premier amendement.

Le deuxième amendement consiste à supprimer à l'article 4 bis les mots : « seront punis des mêmes peines. » Ces mots, empruntés à la législation française, ne sont pas applicables à notre législation. Nous proposons par conséquent de dire : « seront assimilés aux contrefacteurs. »

Enfin, messieurs, nous substituons les mots : « même en cas de bonne foi, » aux mots : « même en cas d'acquittement, » qui ont été retirés par (page 803) M. Vermeire et qui ne peuvent pas non plus trouver leur place dans notre législation.

Je pense, messieurs, qu'il est inutile d'insister sur la justification de ces propositions puis que l'honorable M. Vermeire a déclaré y adhérer.

M. le président. - Voici un amendement de M. Van Overloop :

« Art. 4. De poursuivre devant les tribunaux ceux qui : a. En fabriquant ; b. En recelant, vendant, exposant en vente ou introduisant sur le sol belge un ou plusieurs objets contrefaits, sachant qu'ils le sont, porteraient atteinte au privilège qui leur est accordé, et de procéder contre eux, à l'effet d'obtenir :

« 1° La confiscation à leur profit des objets confectionnés en contravention du brevet et non encore vendus ;

« 2° Une somme égale au prix des objets qui seraient déjà vendus.

« 3° La confiscation des instruments destinés spécialement à la fabrication des objets contrefaits ;

« 4° Des dommages-intérêts, avec ou sans affiche du jugement, s'il y a lieu. »

M. Van Overloop. - Messieurs, je partage entièrement l'opinion qui a été développée tout à l'heure par l'honorable rapporteur, Mon amendement a uniquement pour but de réunir en un seul article les trois articles qu'a proposés l'honorable M. Vermeire. Que veut l'honorable rapporteur ? Il veut, en premier lieu, qu'on puisse atteindre le fabricant sans devoir prouver qu'il est de mauvaise foi ; il veut, en second lieu, qu'on ne puisse atteindre « ceux qui auront recelé, etc. », que pour autant qu'on prouve qu'ils ont agi sciemment ; enfin il veut que les instruments de contrefaçon puissent être confisqués avec les produits. Cette triple volonté, l'honorable rapporteur l'exprime en trois dispositions. Or, il me semble qu'on peul réunir ces trois dispositions dans un seul article.

C'est dans ce but que j'ai rédigé l'article unique dont M. le président vient de donner lecture.

- L'article 4, avec les amendements y relatifs, est renvoyé à la section centrale.

Article 5

L'article 5 est ensuite définitivement adopté.

Article 6

« Art. 6. L'autorisation, s'il y a lieu, sera donnée sur simple requête et sur l'exhibition du brevet. Elle contiendra, au besoin, la nomination d'un expert pour la description des objets saisis. »

M. le président . - M. Lelièvre propose d'ajouter à l'article 6 les mots suivants :

« Le serment de l'expert sera reçu par le président qui aura permis la saisie. »

M. Van Overloop. - C'est une simple formalité que l'honorable M. Lelièvre demande, et cette formalité me paraît nécessaire. Celle observation suffit, me semble-t-il, au développement de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je me rallie à l'amendement de M. Lelièvre.

- L'article 6, ainsi amendé, est mis aux voix et définitivement adopté.

Articles 7 à 10

Les amendements introduits lors du premier vote dans les articles 7, 8, 9 et 10 sont confirmés.

Article 11

M. le président. - M. Lelièvre propose de rédiger l'article 11 de la manière suivante :

« La saisie ou la description sera nulle de plein droit, si elle n'est suivie, dans la huitaine, d'une assignation devant le tribunal dans le ressort duquel elle a été faite, sans préjudice de tous dommages et intérêts. »

M. Van Overloop. - Cet amendement consacre encore une formalité utile ; il y a lieu de l'adopter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je m'y rallie.

- L'article 11 ainsi amendé est adopté.

Articles 13 et 14

Les articles 13 et 14 n'ont pas été amendés ; ils sont ainsi conçus :

« Art. 13. L'auteur d'une découverte déjà brevetée à l'étranger peut obtenir, par lui-même ou par ses ayants droit, un brevet d'importation en Belgique ; la durée de ce brevet ne peut excéder celle du brevet antérieurement concédé à l'étranger pour la même découverte.

« Les brevets d'importation confèrent les mêmes droits que ceux d'invention. »


« Art. 14. Les brevets d'invention et d'importation pourront, en cas d'addition à l'objet de la découverte, donner lieu à des brevets de perfectionnement, qui prendront fin en même temps que ceux-ci.

« Ces brevets conféreront les droits énumérés à l'article 4. »

Le premier paragraphe de l'article 13 est adopté avec deux légers changements de rédaction proposés par M. le président, consistant l'un : à substituer dans la première ligue le mot « pourra » au mot « peut » ; l'autre à substituer dans l'avant-dernière ligne les mots : « n’excédera pas », à ceux-ci : « ne peut excéder ».

D'accord avec M. le ministre de l'intérieur, M. le président propose également de supprimer le deuxième paragraphe de chacun des deux articles 13 et 14 et de faire de ces deux paragraphes un article spécial qui serait ainsi conçu :

« Les brevets d'importation et de perfectionnement confèrent les mêmes droits que les brevets d'invention. »

- Cet article est adopté.

Article 15

« Art. 15. Quiconque voudra prendre un brevet sera tenu de déposer, sous cachet, en double, au greffe de l'une des provinces du royaume, ou au bureau d'un commissaire d'arrondissement, eu suivant les formalités qui seront déterminées par un arrêté royal, la description claire et complète dans l'une des langues usitées en Belgique, et le dessin exact et sur échelle métrique de l'objet de l'invention.

« Aucun dépôt ne sera reçu que sur la production d'un récépissé constatant le versement de la première annuité de la taxe du brevet.

« Un procès-verbal, dressé sans frais par le greffier provincial ou par le commissaire d'arrondissement, sur un registre à ce destiné, et signé par le demandeur, constatera chaque dépôt, en énonçant le jour et l'heure de la remise des pièces. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, il est sans doute bien entendu que la faculté de se servir des langues usitées en Belgique est accordée seulement aux Belges et non pas du tout aux étrangers qui devront se servir de la langue française.

C'est un privilège que la Chambre n'a entendu introduire qu'en faveur des indigènes ; les étrangers doivent s'adresser au gouvernement dans la langue ordinaire ; ils ne peuvent pas se prévaloir d'une disposition qui n'a été introduite que dans l'intérêt des habitants du Luxembourg.

M. Vermeire. - Je ne sais si l'exception que veut établir M. le ministre de l'intérieur doit être étendue à la langue flamande.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est la langue du pays aussi bien que le français.

M. Vermeire. - Que veut-on faire ? Veut-on qu'on défende aux Allemands de demander le brevet dans cette langue ?

Je demande ce que fera M. le ministre si des Hollandais viennent demander un brevet en langue flamande ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ils pourront faire leur demande en langue flamande.

M. Vermeire. - Pourquoi celle distinction entre le hollandais et l'allemand ? Quand vous permettez de demander un brevet dans une langue usitée dans le pays, vous devez permettre aux étrangers aussi bien qu'aux Belges de faire usage de cette langue. Ce n'est pas contre l'intérêt de la Belgique que les brevets sont demandés ; il est, au contraire, de son grand intérêt qu'on en demande le plus grand nombre possible. C'est pourquoi je veux donner toute facilité aux demandeurs de brevets ; je désire que l'usage de la langue allemande reste facultatif pour la demande des brevets, aussi bien pour les étrangers que pour les Belges.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il faudrait alors étendre la faculté aux Anglais ; il n'y a pas de raison pour les exclure du privilège que vous accordez aux Allemands. Quand on a autorisé pour les demandes de brevet l'emploi de la langue allemande, c'est dans l'intérêt des Belges et non des étrangers que la disposition a été introduite ; vous dites que les Hollandais ne pourront pas rédiger leur demande de brevet en hollandais. Soit... Ils la feront en français ou en flamand. Ce sont d'ailleurs des circonstances qui se présenteront rarement ; il est naturel de restreindre la mesure à ceux pour qui elle a été introduite ; sans cela, je le répète, vous excluriez du privilège ceux qui inventent le plus, les Anglais, par exemple.

M. de Haerne. - Au point de vue industriel, dans l'intérêt du pays, il conviendrait de permettre de faire les demandes de brevet en toute langue quelconque, fût-ce en chinois ou en iroquois, comme on a dit dans la première discussion. Mais pourquoi n'admet-on pas qu'on fasse la demande d'un brevet dans toutes les langues possibles ? C'est par une raison administrative ; on n'a pas dans les bureaux du ministère des personnes capables de comprendres les langues dans lesquelles seraient rédigées les demandes de brevet et de faire un rapport sur ces demandes. M. le ministre est fondé dans ses observations.

On dit qu'on exclut les langues étrangères ; mais la langue allemande est-elle une langue étrangère ? Non ; car elle est parlée par une fraction assez importante des Belges, pour que les pétitions adressées, en cette langue, soit aux ministres, aux Chambres, doivent être admises aussi bien que celles qui sont conçues en frauçais ou en flamand, il y a donc une grande différence entre l'allemand et l'anglais.

Au point de vue de l'intérêt du pays, de l’intérêt industriel, j'admettrais les demandes de brevet rédigées en anglais, parce que c'est dans les pays où l'on parle anglais que l'on voit surgir le plus d'inventions ; mais du moment que vous admettriez la langue anglaise, vous devriez admettre toutes les langues ; il est donc très naturel de ne pas l'admettre. La même raison n'existe pas pour l'allemand, l'allemand est une des langues usitées dans le pays.

Il y a ici un principe en jeu, c'est le principe constitutionnel que nous devons appliquer dans toute sa rigueur comme, dans d'autres circonstances, nous l'appliquerions à la langue française et à la langue flamande.

(page 804) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Pourquoi nous sommes-nous opposés à ce qu'on autorise l'emploi de la langue allemande dans les demandes de brevets formées par des étrangers ; c'est parce que cette faveur n'est due qu'aux Belges.

Et quant à ceux-ci, les cas seront extrêmement rares où des demandes de brevets seront faites en langue allemande ; car les habitants du Luxembourg parlent aussi bien français que ceux des provinces wallonnes, ils feront généralement usage de la langue française ; et ce n'est que dans des cas exceptionnels qu'ils auront recours à la langue allemande ; or il ne faudra pas pour des cas aussi rares instituer un bureau spécial chargé de traduire et les demandes de brevet et tout ce qui se rattache à ces demandes, car ce ne sont pas seulement les pétitions qu'il faut traduire, mais toutes les descriptions et documents à l'appui ; si lés Allemands en général pouvaient vous adresser des demandes de brevet dans la langue de leur pays, cela pourrait s'étendre au point de nécessiter la création d'un bureau de traducteurs.

Une pareille latitude donnée aux étrangers nous entraîne à des dépenses, sans utilité pour le pays. Au surplus, ce sont des difficultés qui se présenteront rarement dans la pratique ; il arrivera très rarement que des habitants du Luxembourg adresseront au gouvernement des demandes de brevet en allemand ; si, par respect pour le principe constitutionnel, on a voulu autoriser les habitants de cette province à faire usage de la langue allemande dans le cas dont il s'agit, il est inutile d'étendre ces dispositions à tous les Allemands, car c'est là un privilège qu'on n'a voulu introduire que dans l'intérêt des nationaux.

M. Roussel. - Messieurs, ce qui paraît avoir déterminé l'assemblée à admettre la disposition qui nous occupe, c'est l'article 23 de la Constitution qui porte : « L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif. »

Le véritable sens que la Chambre attachait à la disposition de l'article 15 est celui que vient de lui donner M. le ministre de l'intérieur. En effet, un honorable voisin me fait remarquer que l'article 23 de la Constitution est placé sous le titre II : « des Belges et de leurs droits ».

Il en résulte que l'emploi facultatif des langues usitées en Belgique est un droit particulier aux Belges et que tous les habitants qui se trouveraient sur le territoire de la Belgique, s'ils étaient étrangers, n'auraient pas le droit d'exiger que les actes de l'autorité publique fussent à leur égard écrits en allemand ; ainsi pour la langue allemande, il faudrait que l'emploi en fût fait par une personne Belge de naissance, sans distinguer si elle est née dans le Luxembourg ou ailleurs. Il en est de même pour la langue flamande.

Un Wallon qui voudrait faire la description d'un brevet en flamand le pourrait, parce qu'il a le droit de faire usage des langues usitées en Belgique, et que le flamand est usité en Belgique.

L'emploi des langues usitées en Belgique a été autorisé pour la demande des brevets dans l'intérêt des Belges plutôt que dans l'intérêt des étrangers ; puisque c'est l'article 23 de la Constitution qui nous a déterminés à admettre l'amendement proposé par l'honorable M. Van Overloop au premier vote du projet.

Il me semble que la disposition ainsi appliquée ferait disparaître toutes les difficultés signalées par M. le ministre de l'intérieur et qui se présenteraient en effet, si l'on autorisait d'une manière absolue l'emploi de langues qui, quoique usitées, en Belgique, ne sont cependant pas usitées au ministère de l'intérieur.

M. Vermeire, rapporteur. - Je n'entrerai pas du tout dans ce débat. Mais si les explications qui ont été fournies par M. le ministre de l'intérieur et par l'honorable M. A. Roussel étaient admises par la Chambre, elles pourraient quelquefois donner lieu à de singulières interprétations.

Ainsi, pour demander un brevet eu langue allemande, il faudrait être Belge. Si un étranger habitant le pays et y exerçant une industrie voulait demander un brevet, vous l'obligeriez à se servir du français ou du flamand pour faire sa demande, tandis que l'habitant des provinces où cette langue est usitée pourrait seul se servir de l'allemand ?

Je ne veux pas d'exceplions, je veux prévoir, autant que possible, les cas qui, dans la pratique, peuvent offrir des inconvénients. Voilà pourquoi je désire qu'il y ait des explications formelles, afin qu'on sache à quoi s'en tenir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je m'étonne que l'on se fasse un scrupule d'une semblable éventualité. Il est évident que si un Allemand vient s'établir dans le pays et s'il veut prendre un brevet, il devra faire rédiger sa demande de brevet en français, de même que lorsque nous allons en Angleterre ou en Allemagne nous devons faire rédiger en anglais ou en allemand les demandes que nous avons à faire au gouvernement. Tout individu qui va dans un pays doit chercher à se faire comprendre dans la langue du pays.

Je ne comprends donc pas la difficulté que l'on veut élever.

M. Van Overloop. - On ne doit pas donner à l'une des langues usitées en Belgique la prééminence sur les autres.

C'est dans cet ordre d'idées que j'ai déposé mon amendement. Il me semble que c'est une question de principe. Les questions de ce genre ont toujours quelque importance.

Nous sommes tous parfaitement égaux en théorie ; tâchons, autant que possible, de l'être également dans la pratique.

Ne rompons pas, dans la loi ou dans des commentaires donnés à la loi, l'égalité des trois langues consacrée par la Constitution.

M. Orban. - Messieurs, raisonner comme l'a fait l'honorable préopinant, et ceux qui partagent son opinion, c'est ne tenir aucun compte des faits. Cette prééminence d'une langue usitée dans le pays, contre laquelle ils se récrient, est un fait qui se traduit dans tous les actes publics et de l'administration ; et si l'on pouvait, au nom de la Constitution, protester contre ce fait, il faudrait réformer toutes nos administrations où l'emploi de la langue allemande, concurremment avec la langue jrançaise, n'existe nulle part.

En accordant, comme on l'a fait par voie d'amendement, le droit de demander les brevets en allemand, qui est une des langues usitées dans le pays, on a fait l'application rigoureuse d'une disposition de la Constitution.

Ainsi, la Constitution n'exige point que cette mesure soit étendue à ceux qui ne sont pas Belges. Ce n'est plus là qu'une question d'économie et de convenance administrative, et j'admets pleinement les motifs invoqués par M. le ministre pour repousser une faculté qui deviendrait très onéreuse pour l'administration ; et pour astreindre les étrangers, qui réclament une faveur, à se servir de la langue usitée dans l'administration et'indiquée par la loi.

M. Vermeire, rapporteur. - Je n'admets pas non plus que l'emploi obligatoire de la langue allemande coûtât beaucoup au trésor. Les dépenses dans les diverses administrations sont déjà assez fortes pour que par esprit d'amour-propre, nous venions encore les augmenter encore. Mais je crois que, dans l'espèce, il n'y a aucun inconvénient à laisser demander des brevets dans les trois langues ; car les savants qui doivent analyser les brevets au département de l'intérieur sont, d'après moi, censés les connaître aussi bien que les conducteurs du chemin de fer à qui on fait passer des examens en français, en allemand, en anglais et en flamand.

Peut-on admettre que les employés du ministère de l'intérieur chargés d'analyser les brevets soient moins polyglottes que les conducteurs du chemin de fer ? Evidemment non. Ce serait leur faire injure que d'oser le supposer.

- L'article 15 est mis aux voix ; il est définitivement adopté.

Articles 18 et 19

« Art. 18. Toute transmission de brevet par acte entre-vifs sera en-registrée au droit fixe de 10 fr. »

- Adopté.


« Art. 19. Le brevet sera nul de plein droit, en cas de non-acquittement, dans le mois de l'échéance, de la taxe fixée à l'article 3. »

- Adopté.

Article 20

« Art. 20. Le possesseur d'un brevet devra exploiter ou faire exploiter en Belgique l'objet breveté, dans l'année à dater de la mise en exploitation à l'étranger.

« Toutefois, le gouvernement pourra, par un arrêté motivé, inséré au Moniteur, avant l'expiration de l'année, accorder une prorogation d'une année au plus.

« A l'expiration de la première année, ou s'il y a eu prorogation du délai qui aura été accordé, le gouvernement annulera le brevet. »

M. le président. - M. Vermeire propose la suppression de cet article que l'on remplacerait à l'article 21 par un paragraphe nouveau qui serait ainsi conçu :

« § 2. Lorsque le possesseur d'un brevet n'aura pas exploité en Belgique, ou aura cessé, pendant une année, d'y exploiter l'objet breveté à l'étranger, à moins qu'il ne justifie de son inaction. »

M. Vermeire. - Messieurs, le cas de nullité prononcé par l'article 21 doit, dans ma manière de voir, être déféré aux tribunaux. En laissant, dans l'espèce, prononcer la déchéance par le département de l'intérieur, je crois qu'il y a, d'après moi, des inconvénients réels graves.

La constatation de la mise en œuvre d'un brevet à l'étranger est très difficile ; elle l'est surtout dans les pays lointains. Mais si le breveté à l'étranger conteste au gouvernement la mise en œuvre, et que le gouvernement de son côté soutienne que le brevet est exploité, le breveté pourra-t-il encore se pourvoir devant les tribunaux ?

Si la mise en œuvre est dénoncée au département de l'intérieur et que, d'autre part, elle soit contestée également par le breveté, comment le gouvernement s'y prendra-t-il pour juger le conflit ? Fera-t-il venir les intéressés devant une commission ? Instituera-t-il des commissions d'enquête ? Comment enfin s'y prendra-t-il ? Laisser la déclaration de déchéance au gouvernement me paraît donc devoir donner lieu à de grandes difficultés, léser de nombreux intérêts et causer au gouvernement de fortes dépenses.

L'article, tel qu'il est formulé ; présente encore l'inconvénient de pouvoir être éludé facilement. L'explication que je vais donner en fournit la preuve.

Je suppose un breveté d'invention dans un pays étranger, et d'importation en Belgique, pour une machine servant à filer ou à produire tout autre objet de fabrication. Le breveté délègue un fabricant du pays pour confectionner l'objet breveté ; il fait donc constater la mise en œuvre.

D'autre part, il expose en vente cette machine ; mais pour favoriser les produits qu'il fabrique dans le pays où il est breveté d'invention, il en (page 805) demande des prix exorbitants auxquels le manufacturier belge ne peut atteindre. Il est donc évident que la loi est exécutée selon la lettre puisque la mise en œuvre et même l'exposition en vente sont constatées ; mais je le demande, le but que vous vous proposez, celui de développer le travail national, est-il atteint ? Certes non.

Messieurs, selon moi, l'article dit trop, ou il dit trop peu. Il dit trop peu si par la mise en œuvre vous entendez une exploitation permanente ; il dit trop si vous ne comprenez par là qu'une action temporaire.

En France, où la mise en œuvre est obligatoire après deux années, on a voulu une exploitation permanente. L'article 52 dit : « Celui qui n'aura pas mis en exploitation dans le délai de deux années, et celui qui aura cessé, pendant deux années de travailler. »

Ainsi, si vous voulez atteindre un but réel, un but utile, vous devez, d'après moi, avoir un travail permanent, un travail continu. C'est encore sous ce rapport que mon amendement modifie, en l'améliorant, l'article 20.

Dans ces cas, la mise en œuvre du brevet d'importation offre aussi les mêmes inconvénients que la mise en œuvre des brevets d'invention.

L'honorable M. Lesoinne, dans la séance du 9 décembre, en parlant des brevets d'invention, disait :

« Je conçois que le gouvernement demande à rester juge de la nécessité de prolonger les délais pour la mise en pratique de l'invention. Il y a des inventions qu'il ne dépend pas de l'inventeur de mettre en pratique, même dans le délai de deux ans. » Et il cite un système nouveau de ponts, un système nouveau de chemins de fer et un système nouveau de hauts fourneaux.

Pour moi, je crois qu'il y aurait impossibilité de mettre en œuvre certains brevets d'importation dans le terme de deux ans. Ainsi, par exemple, un breveté en France pour un système de ponts, ne peut en Belgique exploiter son brevet d’importation, s'il n'y obtient pas de commande pour construire le pont, s'il ne peut réunir, dans le temps déterminé, les fonds nécessaires pour organiser une société qui exploitera son brevet. Et si cela est vrai pour l'exemple cité, à plus forte raison en est-il de même des brevets accordés pour de nouveaux systèmes de chemin de fer.

La Chambre, en admettant l'article 20, doit avoir voulu atteindre un but utile, c'est-à-dire que par le fait du privilège accordé à un étranger le travail national n'eût point à en souffrir.

En d'autres termes, elle n'a point voulu accorder le monopole de la vente d'objets fabriqués à l'étranger à celui qui ne fait pas travailler dans le pays. Mais si, d'une part, la vente faite au détriment de l'industrie nationale doit être réprimée, d'autre part, on doit aussi admettre des circonstances atténuantes en faveur de grandes industries qui ne peuvent commencer leur travail dans le délai relativement trop court de deux ans.

Je m'aperçois qu'ici la question devient plus ou moins complexe et que des intérêts majeurs peuvent être mis en jeu. Il devient dès lors dangereux, d’après moi, d’en laisser la solution au gouvernement ; c’est pour ce motif que je préfère laisser aux tribunaux l’appréciation des faits d’inaction.

Sous la législation de 1791, la connaissance des actions en nullité et en déchéance était laissée aussi aux tribunaux, et la loi faisait entrer dans les attributions des justices de paix les actions en contravention. L'administration éleva, plus tard, la prétention de connaître des causes de non-exploitation ; il y a eu des instructions ministérielles en ce sens en 1815 et en 1817.

En France on a reconnu généralement les graves inconvénients qui sont attachés à ce système. C'est ainsi que M. Cunin-Gridaine, dans son exposé des motifs du projet de loi de 1844, sur les brevets d'invention, disait :

« La connaissance de ces causes de nullité et de déchéance doit être maintenue aux tribunaux civils ordinaires, parce que les affaires relatives aux brevets d'invention ont, par suite des progrès de l'industrie, une importance toujours croissante, dans lesquelles des intérêts souvent considérables et des questions de propriété d'une solution difficile, sont souvent engagés. »

Ainsi, messieurs, pour ma part, je désire que pour les cas ordinaires, l'exploitation permanente et continue dans le pays se fasse sérieusement et que l'obligation d'en agir ainsi ne puisse jamais être éludée. D'autre part, je demande que des exceptions, très rares et dans le sens de celles que je viens d'indiquer, puissent être faites en faveur de grandes industries ; et dans tous les cas, je désire que l'appréciation des causes d'inaction appartienne aux tribunaux.

Je crois que c'est là le système le plus juste, le plus rationnel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, il n'y a pas d'article qui ait été discuté d'une manière plus approfondie que celui dont nous nous occupons en ce moment.

La Chambre a voulu deux choses : protéger le travail national contre ceux qui se feraient un plaisir de prendre en Belgique un brevet pour l'exploiter exclusivement à l'étranger ; à cet effet, elle a décidé que dans le délai de 2 ans le brevet pourrait être annulé s'il n'était pas exploité en Belgique d'une manière réelle ; elle a voulu, en second lieu, faire juger d'une manière certaine et avec le plus de célérité possible, le cas de non-exploitation. On veut aujourdhui transporter aux tribunaux la faculté que la Chambre a accordée, sous ce rapport, au gouvernement ; la Chambre s'est déterminée en cela par d'excellentes raisons : elle a pensé que faire de ces contestations l'objet d'une procédure régulière, ce serait exposer à des frais considérables ceux qui auraient à se plaindre de la non-exploitation en Belgique, et par conséquent les forcer, dans la plupart des cas, à s'abstenir.

La Chambre a voulu encore qu'il y eût des moyens certains d'apprécier si le brevet a été ou n'a pas été exploité à l'étranger. Or, messieurs, qui possède ces moyens ? C'est évidemment le gouvernement. Car comment voulez-vous que l'autorité judiciaire aille s'informer à l'étranger, si un brevet est exploité ? Le gouvernement, par ses agents, est bien mieux placé pour vérifier un fait de cette nature.

Je pense donc, messieurs, qu'il faut maintenir l'article 20 tel qu'il a été adopté au premier vote. S'il y avait des doutes à cet égard, je demanderais que l'amendement fût renvoyé à la section centrale.

M. Vermeire. - Nous voulons précisément atteindre le but que se propose le gouvernement, mais je crois que l'article tel qu'il est rédigé, pourrait être éludé facilement, ce qui serait contraire au travail national.

Je demande le renvoi à la section centrale.

- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix et adopté.

Articles 21 à 23

Les amendements introduits dans les articles 21, 22 et 23 sont définitivement adoptés.

Article 24

L'article 24 est adopté avec la nouvelle rédaction suivante, proposée par M. le président, d'accord avec M. le ministre de l'intérieur.

« Les brevets qui ne seront ni expirés ni annulés à l'époque de la publication de la présente loi, continueront d'être régis par la loi en vigueur au moment de leur délivrance.

« Néanmoins, il sera libre aux titulaires de faire, dans l'année qui suivra cette publication, une nouvelle demande de brevet dans la forme qui sera déterminée par arrêté royal.

« Dans ce cas, le brevet pourra continuer à avoir cours pendant tout le temps nécessaire pour parfaire la durée de vingt ans, sauf ce qui est dit à l'article 13.

« Les brevets pour lesquels on aura réclamé le bénéfice de cette disposition seront régis par la présente loi ; toutefois, les procédures commencées avant sa publication seront mises à fin, conformément à la loi antérieure.

« Les titulaires de ces brevets qui auront acquitté la totalité de la taxe primitive payeront, après l'expiration du terme qui avait d'abord été assigné à leur privilège, les taxes afférentes aux années suivantes, d'après ce qui est déterminé à l'article 3.

« Quant aux titulaires des brevets qui n'auraient poiut soldé la taxe fixée comme prix d'acquisition du brevet primitif, il leur sera tenu compte des versements qu'ils auront déjà opérés, et les annuités seront réglées d'après les versements faits, conformément à l'article 3. »

M. Vermeire. - Messieurs, je désire adresser une interpellation à M. le ministre de l'intérieur.

Ceux qui ont actuellement des brevets d'invention peuvent se mettre sous le régime de la loi nouvelle en déclarant dans le délai d'une année que telle est leur intention. D'après la loi actuelle les brevetés ne peuvent point prendre de brevet d'importation à l'étranger. Ils pourront le faire d'après la loi nouvelle. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si celui qui a obtenu un brevet d'invention en Belgique sous la législation existante, et qui se sera mis sous le régime de la loi nouvelle pourra prendre ultérieurement un brevet d'importation dans un pays étranger ?

Il me semble que oui, mais pour lever toute espèce de doute, je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien faire connaître sa pensée à cet égard, soit maintenant, soit dans une prochaine séance, si son opinion n'est pas encore bien arrêtée à cet égard.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'examinerai la question et je répondrai ultérieurement.

M. Pierre. - J'ai soumis à la Chambre une disposition additionnelle à introduire dans la loi sur les brevets d'invention. J'ai cru convenable ensuite de me dispenser de vous présenter les développements de ma proposition. J'ai reconnu qu'elle trouverait mieux sa place dans une loi sur les marques de fabrique. J'aime à croire que nous ne tarderons pas à être saisis d'un projet de loi sur la matière. Cette loi sera le corollaire obligé, naturel, logique de la loi que nous sommes appelés à voter en ce moment. Je recommande dès maintenant, pour lors, l'objet de ma proposition à l'attention sérieuse du gouvernement.

La faculté d'imiter la signature des fabricants étrangers, dont chacun peut user impunément et quand bon lui semble, est surtout exorbitante. Ce genre d’imitation constitue évidemment un faux matériel. N'est-il pas contraire à la plus simple moralité publique de tolérer une semblable contrefaçon ? Le résultat de plusieurs procès intentés devant nos tribunaux a cependant démontré que la législation actuelle était impuissante à réprimer ce moyen déloyal, scandaleux de fraude commerciale. Les fabricants étrangers, réclamant de ce chef pour qu’il soit au moins interdit aux contrefacteurs belges d’imiter leurs signatures, ont constamment été repoussés.

Ou a donné pour motif que la loi du 22 germinal an XI, relative aux manufactures, ne prohibe pas ce fait. Il n'est pas possible de méconnaître combien est regrettable une telle lacune dans notre législation. La gravité du fait que je signale est hors de toute contestation ; elle ne peut être révoquée en doute par personne, et elie est tellement flagrante que la répression la plus prochaine est réellement désirable. J'engage de la manière la plus instante le gouvernement à y aviser.

- La séance est levée à quatre heures et un quart.