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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 5 avril 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Veydt, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1405) M. Maertens fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Houben, ancien militaire, demande une pension ou un emploi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des médecins, pharmaciens et vétérinaires dans l'arrondissement de Charleroi demandent que leurs professions soient convenablement représentées dans l’Académie de médecine, et que l'exercice de la médecine ne puisse être cumulé avec celui de la pharmacie que dans les localités où le médecin et le pharmacien ne pourraient l'un à côté de l'autre se procurer une honorable existence. »

- Même renvoi.


« Des pharmaciens à Warquignies et à Trazegnies déclarent adhérer à la pétition du cercle pharmaceutique du Hainaut, relative au cumul de l'exercice de la médecine avec celui de la pharmacie. »

- Même renvoi.


« Plusieurs ouvriers de Halrival, qui ont pris part aux travaux de la section du chemin de fer du Luxembourg, comprise entre les villages de Grupont et de Recogne, réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement des sommes qui leur sont dues. »

« Même demande d'ovriers de Bras. »

« Même demande d'ouvriers de Neuvillers. »

« Même demande d'ouvriers de Libin. »

« Même demande d'ouvriers d'Ochamps. »

« Même demande d'ouvriers de Vesqueville. »

« Même demande d'ouvriers de Saint-Hubert. »

« Même demande d'ouvriers de Tellin. »

« Même demande d'ouvriers d'Arville. »

M. Orban. - Messieurs, cette pétition est relative à l'affaire dont j'ai entretenu dernièrement la Chambre. Des ouvriers du Luxembourg, appartenant à plusieurs communes, s'adressent à la Chambre, au nombre de plus de 400, pour lui demander d'intervenir, afin de leur faire obtenir le payement de leur salaire. Ce n'est pas, comme je vous le disais dernièrement, un mois de travail dont ces ouvriers ont été privés, mais deux mois.

Vous comprenez combien une pareille réclamation est urgente dans les circonstances actuelles. Je demanderai, en conséquence, que la commission des pétitions soit priée de faire un prompt rapport, et je ferai un appel aux sentiments d’humanité des membres de cette commission pour que ce rapport nous soit présenté avant notre séparation. Une semblable affaire n'est pas susceptible d'une longue remise ; tous les moments sont précieux, et un ajournement à quinze jours serait réellement fatal.

M. Rodenbach. - Messieurs, c'est ici une question d'humanité. Ce sont de pauvres ouvriers qui ne sont pas payés par des entrepreneurs et qui s'adressent à vous. Il s'agit, pour une société puissante comme celle du Luxembourg, de quelques milliers de francs. Je demanderai qu'un rapport nous soit fait avant samedi ; car ces ouvriers doivent avoir de quoi vivre, et on ne peut les laisser dans l'embarras.

- Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un très prompt rapport est adopté.


« Par message du 4 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi contenant le budget du ministère de la guerre, pour l'exercice 1855. »

- Pris pour notification.

Rapports sur des pétitions

M. H. de Baillet, rapporteur. - « Les administrations communales de Mons, de Péruwelz, de Dour, d'Etichove, etc. ; de nombreux industriels, habitants de ces communes, de la ville de Bruxelles, et la chambre de commerce de Tournai, demandent que le projet de voie ferrée des sieurs Hertogs pour relier la ville de Gand au territoire charbonnier de Mons, soit préféré à celui des sieurs Moucheron et de Laveleye.

« D'un autre côté, les conseils communaux d'Oombergen, Hillegem, Herzele, etc., des particuliers habitants de ces communes, la chambre de commerce d'Alost, demandent au contraire la préférence en faveur du projet Moucheron et de Laveleye. »

Déjà, par décision du 22 février dernier, la Chambre a renvoyé à M. le ministre des travaux publics un certain nombre de pétitions tendant à appuyer, les unes le projet Hertogs, les autres le projet Moucheron et de Laveleye.

Votre commission propose, en ce qui concerne les nombreuses nouvelles pétitions que nous venons de mentionner, le renvoi au même ministre.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. H. de Baillet, rapporteur. - « Le sieur Castaigne, fermier et maître de la poste aux chevaux à Enghien, réclame l'intervenlion de la Chambre pour obtenir une indemnité du chef d'abattage de trois chevaux atteints d'une maladie contagieuse. »

Le pétitionnaire se plaint que les demandes qu'il a adressées à cet égard au département de l'intérieur soient restées sans effet malgré l'accomplissement par lui des formalités voulues.

La commission propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Vaast le 20 février 1854, les sieurs Waroqué, de Quanter et autres représentants des charbonnages du Centre demandent la suppression de la surtaxe dont sont frappés leurs produits. »

Les pétitionnaires se plaignent que les péages exigés de Seneffe à Bruxelles sont égaux à ceux de Charleroi à Bruxelles ; ils ajoutent plusieurs considérations à l'appui de leur demande.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous en proposer le renvoi à M. le ministre des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Chaudfontaine, le 6 mars 1854, le conseil communal de Chaudfontaine réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la reconstruction du pont sur la Vesdre qui a été emporté par les eaux en 1850. »

Les pétitionnaires font valoir plusieurs considérations sur la grande utilité et la nécessité de sa reconstruction. Votre commission n'a pas cru devoir examiner la question de savoir jusqu'où cette charge incomberait aux communes et à la province intéressées, et il ne manque pas d'exemples où l'Etat n'est tenu d'intervenir que par des subsides. Sans vouloir examiner cette question au fond, elle a cru pouvoir s'en référer avec confiance aux soins du gouvernement et, dans ces conditions, elle a l'honneur de vous en proposer le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. Deliége. - J'appuie le renvoi à M. le ministre.

Personne ne méconnaît l'importance de la commune de Chaudfontaine, soit à cause de ses eaux, soit comme commune industrielle ; car il y a à Chaudfonlaine et dans les environs beaucoup d'industrie.

Le pont sur la Vesdre qui conduit de la grand-route à la station du chemin de fer a été enlevé, il y a environ deux ans. Il n'en reste plus vestige. Il est remplacé par une misérable passerelle.

Nous espérons que M. le ministre des travaux publics, auquel la pétition du conseil communal de Chaudfontaine sera renvoyée, je n'en doute nullement, voudra s'en occuper le plus loi possible et prendre une prompte résolution.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé à votre commission des pétitions les requêtes des médecins, chirurgiens, pharmaciens et autres habitants des différentes localités du pays, au nombre de 45, les unes tendant à voir décréter une délimitation bien déterminée entre les différentes branches de l'art de guérir, d'autres à interdire aux médecins de délivrer les médicaments à leurs malades, d'autres à ce que l'article 6 du projet actuel soit modifié dans le sens de l'avis émis par l'Académie de médecine, et qu'en conséquence les médecins fussent autorisés, comme par le passé, à délivrer des médicaments à leurs malades à la campagne ; d'autres enfin, et c'est le plus grand nombre, qui demandent que l'exercice de la médecine et de la pharmacie ne puisse être cumulé que dans les localités où le médecin et le pharmacien ne pourraient trouver les moyens d'une honnête existence dans la même localité ; un grand nombre, enfin, demandent queles statuts de l'Académie soient modifiés en ce sens que les pharmaciens soient convenablement représentés dans cette docte assemblée et que le nombre des pharmaciens soit limité.

Votre commission, messieurs, n'a pas cru devoir entrer, pour le moment, dans les considérations plus ou moins logiques, plus ou moins rationnelles ou fondées, favorables ou contraires, pour ou contre les divers systèmes contradictoires, préconisés par les pétitionnaires, elle a considéré que la Chambre se trouvant à la veille d'être saisie d'un projet de loi sur l'art de guérir, qui probablement a donné lieu à ce pétitionnement, toute discussion à ce sujet serait, quant à présent, inopportune et prématurée ; par ces motifs, elle a cru devoir se borner à vous proposer le renvoi pur et simple de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur.

M. Rodenbach. - Messieurs, il nous est arrivé un grand nombre de pétitions de médecins de campagne, de médecins du plat pays et de petites villes, qui sont dans l'usage de débiter des médicaments à leurs malades.

Il paraît que dans le projet de loi sur l’art de guérir qui a été formulé (page 1406) il y a quelque temps, on voulait leur enlever cette faculté. Or, une pareille interdiction eût été la ruine de tous nos médecins et chirurgiens de campagne.

J'apprends par le rapport que l'Académie de médecine n'a pas partagé sur ce point l'opinion des auteurs du projet et qu'elle est maintenant d'avis que les médecins de campagne doivent, pour pouvoir subsister honorablement, vendre des médicaments à leurs malades.

Vous savez que ces hommes qui se consacrent à l'humanité souffrante sont très mal salariés à la campagne : ils doivent souvent faire plusieurs lieues moyennant un ou deux francs, et les trois quarts du temps leurs visites ne leur sont point payées ! Il n'en est pas de même dans les villes, où les visites sont largement rétribuées, et, en général, il y a infiniment plus de misère à la campagne que dans les cités. On doit donc avoir beaucoup d'égards pour les médecins et chirurgiens du plat pays. J'appuie de tout mon pouvoir le renvoi au ministre des diverses requêtes, et je me plais à croire que le gouvernement protégera efficacement, dans la nouvelle loi, les médecins et chirurgiens des campagnes.

M. de Muelenaere. - Messieurs, je regrette que M. le ministre de l'intérieur ne soit pas à son banc. Mais je pense que M. le ministre de la justice, qui doit aussi avoir été consulté sur ce projet, voudra bien nous donner quelques renseignements. Je désirerais savoir si la Chambre pourra bientôt être saisie du projet de loi sur l'exercice de la médecine. Il nous arrive à chaque instant de nouvelles pétitions, et il paraît que le pays attend avec impatience la discussion de ce projet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, le projet de loi sur l'exercice de l'art de guérir est formulé depuis plus de dix-huit mois ; il a été renvoyé à l'avis de l'Académie de médecine. Cette Académie l'examine avec le soin qu'il mérite ; mais l'examen fût-il même fini dans un très bref délai, il serait impossible que la Chambre s'occupât du projet avant la clôture de la présente session, car c'est un travail très considérable. Toutefois je m'engage très volontiers vis-à vis de l'honorable préopinant et vis-à-vis de la Chambre, à ce que le projet dont il s'agit soit déposé dans le cours de la session prochaine.

M. de Muelenaere. - Messieurs, je comprends parfaitement qu'il serait impossible de discuter ce projet de loi dans la session actuelle ; cependant comme le projet est d'une haute importance et que a discussion, je le répète, en est vivement désirée, il serait peut-être possible que le projet de loi fût envoyé à domicile aux membres de la Chambre dans l'intervalle des deux sessions, afin qu'ils puissent l'examiner et s'entourer des renseignements dont ils auront besoin pour la discussion de ce projet.

- Personne ne demandant plus la parole, les conclusions de la commission des pétitions sont mises aux voix et adoptées.


M. Moxhon. - Vous avez, messieurs, ordonné un prompt rapport sur une pétition qui émane du conseil échevinal de Grapfontaine (Luxembourg), en date du 8 février.

Les pétitionnaires se plaignent de ce qu'un arrêté de la députation permanente a dispensé la section de Warnifontaine, dépendante de la commune susdite, de concourir aux dépenses du culte paroissial de Montplainchamps.

Le conseil échevinal s'est adressé à M. le ministre de la justice, pour obtenir l'annulation du susdit arrêté, mais jusqu'à présent n'ayant pas reçu satisfaction, il sollicite l'intervention de la Chambre.

Votre commission a pensé qu'il s'agissait ici d'une question purement administrative dans laquelle la Chambre ne pouvait s'immiscer, elle se trouve, du reste, dépourvue des documents contradictoires qui pourraient l'éclairer.

En conséquence elle vous propose le renvoi pur et simple de cette pétition à M. le ministre de la justice.

- Adopté.

Motion d'ordre

Réforme des dépôts de mendicité et à celle du notariat

M. Vander Donckt. - Je prie M. le ministre de la justice de vouloir bien nous dire si bientôt il sera en mesure de présenter le projet de loi sur la réforme des dépôts de mendicité ainsi que celui sur le notariat.

En général, les communes attendent avec une grande impatience la discussion de ce projet, non seulement parce que les dispositions actuelles de la loi leur causent des charges énormes, je dirai intolérables, mais encore parce qu'il leur manque des moyens de répression contre les mendiants de mauvais vouloir et les récalcitrants.

Pour ce qui regarde la loi sur le notariat, il est à votre connaissance qu'un grand nombre de pétitions nous ont été adressées pour demander que les fonctions de bourgmestre et celles de notaire fussent déclarées incompatibles dans les communes rurales. Pour le cas où cette modification serait apportée à la loi sur le notariat, il serait à désirer que cette loi pût être votée avant que les nouvelles nominations fussent faites parce que les bourgmestres devront être nommés peu de temps après les élections. Nous apprécions les motifs très légitimes et très justes que M. le ministre a donnés dans les séances précédentes sur les retards qu'a éprouvés la présentation de ces projets de loi. Notre session ne devant plus être fort longue, je demanderai pour le cas où il ne serait pas possible de présenter ces projets dans la session actuelle, si nous ne pourrions pas nourrir l'espoir qu'ils seront présentés à notre rentrée à la session prochaine.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, l'interpellation de l'honorable membre porte sur deux projets de loi : le premier est relatif aux dépôts de mendicité. La section centrale qui a été chargée de l'examen du budget de la justice m'a déjà demandé où en était le travail concernant ce projet de loi. Voici ce qui en est : la commission que le Roi a nommée pour préparer un projet de loi sur les dépôts de mendicité, m'a adressé ses propositions qui ont été envoyées à l'avis des députations permanentes ; les rapports des députations me sont rentrés ; j'aurai maintenant à examiner divers points importants qui se rattachent à la matière et à prendre une décision définitive, d'accord avec mes collègues, sur plusieurs principes essentiels qui font la base de ce projet.

Je ne me suis pas pressé de m'occuper de ce projet, parce qu'il tend à reporter à la charge du trésor public des obligations très onéreuses.

J'ai pensé qu'il était hors de propos de saisir la Chambre d'un projet qui, dans la situation actuelle des choses, devait avoir cette portée. Je me réserve pour la session prochaine, si l'occasion s'en présente, de soumettre à la Chambre les propositions du gouvernement sur cette matière.

Quant au projet de loi sur le notariat, il en sera de même ; c'est-à-dire que j'ai l'espoir qu'un projet de loi pourra être présenté à la session prochaine.

Voici là raison pour laquelle je n'ai pas présenté ce projet dans cette session. J'ai pensé qu'il fallait faire marcher de front et les travaux relatifs à l'organisation judiciaire et les travaux relatifs au notariat ; il y a des points de contact entre les deux organisations, sous le rapport des incompatibilités, de la discipline et des mesures à prendre pour maintenir le notariat dans la voie qu'il doit suivre et empêcher certains notaires d'en sortir.

Dans cette position, j'ai considéré qu'il y avait une certaine solidarité entre les deux projets. J'ai l'espoir de voir terminer bientôt le projet d'organisation judiciaire, la commission s'en occupant d'une manière suivie et avançant rapidement dans l'examen de cette importante matière.

Indépendamment de ces considérations, j'ai voulu réfléchir longtemps sur l'organisation du notariat.

Ici, on ne nous reprochera pas, sans doute, de réfléchir, car c'est la loi peut-être la plus importante et qui touche aux intérêts les plus vivaces, qui puisse se rencontrer dans une carrière ministérielle.

Je croyais, après ma longue pratique du parquet, connaître parfaitement le notariat, et j'avoue que depuis que je suis arrivé aux affaires et que je dirige le département de la justice, je me suis aperçu que je ne connaissais pas du tout le notariat. En me rappelant les diverses phases que les propositions relatives au notariat ont subies depuis 20 ans, je me dis qu'il est au moins nécessaire que celui qui doit présenter un projet de loi sur cette matière s'en soit occupé sérieusement et longtemps.

C'est ainsi que, dès 1834, un projet de loi sur le notariat a été formulé, qu'un nouveau projet a été présenté en 1843, qu'un autre projet a été présenté en 1846, qu'en 1848 une discussion très approfondie a eu lieu, notamment sur la question du ressort, et qu'après 3 ou 4 votes sur 3 ou 4 systèmes différents, le projet de loi a été retiré ; que plus tard une commission a été nommée pour élaborer un quatrième ou un cinquième projet, et que ce projet se trouve actuellement dans les archives du département et fait l'objet de l'examen des personnes compétentes auxquelles, nous l'avons confié. Il y a, messieurs, des questions de ressort, des questions d'incompatibilité, des questions de nombre, des questions de résidence, qui sont excessivement nombreuses, excessivement compliquées.

Il y a aussi la question des garanties qu'on pourra peut-être demander contre certains abus qui ont été signalés récemment et qui se sont multipliés malheureusement dans certaines localités ; de sorte que, indépendamment des questions qui ont déjà été examinées, qui ont fait le sujet des délibérations de la commission instituée en 1850, il y en a encore d'autres qui n'ont pas été abordées et qui doivent être résolues nécessairement, si l'on veut avoir une bonne loi sur le notariat.

Il y a même la question des candidats-notaires qui doit être également examinée avec soin ; car, d'après ce que j'ai pu vérifier, par la statistique que j'ai fait établir, et dont les éléments ont été complétés récemment, il y a, messieurs, dans le royaume un nombre de candidats-notaires effrayant, et je ne suis pas fâché d'avoir cette occasion de faire connaître publiquement l'état des choses sur ce point, afin que les pères de famille ne fassent pas faire fausse route à leurs enfants, ne les engagent pas dans une carrière qui deviendra sans issue si l'on continue à multiplier le nombre des candidats-notaires, sans s'arrêter à aucune limite.

Ainsi, à l'heure où je parle, il y a dans le royaume près de 600 candidats-notaires, et remarquez bien qu'en moyenne le nombre des places de notaires qu'on distribue chaque année, est de 45 à 48. Vous voyez, messieurs, quelle ressource abondante je trouve dans le personnel des candidats-notaires, mais aussi combien il y en a qui resteront en blanc pendant un grand nombre d'années.

Le terme moyen du stage est d'une vingtaine d'années, et les jeunes gens (je les appelle jeunes gens parce qu'ils sont ordinairement célibataires et hors d'état de se marier) qui arrivent à un petit ou à un gros notariat ont de 53 à 40 ans. Voilà, sauf de rares exceptions, la réalité des choses.

(page 1407) Depuis quatre années que le jury est institué, en vertu de la loi de 1849, pour prononcer des admissions à la candidature au notariat, je remarque que 292 jeunes gens se sont inscrits pour subir l'examen de candidat-notaire. Sur ces 292 inscrits, il y en a eu 169 admis ; et veuillez remarquer dans quelle progression ; il y a eu 18 admissions en 1850, il y en a eu 38 en 1851, 54 en 1852 et 57 en 1855 ; et à l'heure où je parle, messieurs, si vous tenez compte du nombre des non-admis, vous verrez que les derniers forment encore une arrière-garde formidable d'aspirants futurs.

En définitive, messieurs, si la progression continue, le chiffre déjà exorbitant de 572 à 580 que je vous ai signalé tantôt, augmentera tellement, que la carrière de la candidature au notariat deviendra de plus en plus une déception. Il y a donc à cet égard quelque chose à faire, et les éléments que j'ai réunis pour la première fois et qui m'ont frappé, je l'avoue, sont de nature à exciter la sollicitude du gouvernement, et expliquent suffisamment pourquoi j'ai eu raison de dire tantôt que certains points qui se rapportent à l'organisation du notariat n'ont pas été suffisamment étudiés jusqu'à présent.

Je crois que ces explications répondent suffisamment à l'interpellation de l'honorable M. Vander Donckt, et que la Chambre n'aura pas considéré comme un hors-d'œuvre les chiffres que j'ai indiqués et les avertissements que j'adresse aux pères de famille, pour qu'ils réfléchissent sérieusement à la question sur laquelle j'attire leur attention.

Projet de loi relatif à la saisie des rentes constituées sur particuliers

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, l'honorable rapporteur de la commission m'avait fait connaître sommairement les diverses modifications qui avaient été apportées au projet de loi voté par le Sénat. A la première vue, ces modifications m'ont paru offrir une certaine utilité.

En examinant le projet de loi d'une manière plus sérieuse, j'ai cru pouvoir arriver à cette conclusion, que les modifications qui ont été admises par la commission et indiquées par l'honorable rapporteur, n'ont en réalité aucune utilité, en ce sens qu'elles n'ajoutent rien d'essentiel au projet de loi. Indépendamment d'un certain nombre de modifications de style qui sont tout à fait secondaires, il y a des additions, des modifications, qui, je le répèle, n'ont pas de caractère essentiel, qui n'améliorent pas en principe ni d'une manière fondamentale, le projet tel qu'il a été adopté ; et comme il s'agit d'une matière tout à fait secondaire et que le seul but du gouvernement a été de mettre le titre relatif à la saisie des rentes en harmonie avec la nouvelle loi sur l'expropriation forcée, j'émets l'opinion que la Chambre pourrait sans aucun inconvénient voter le projet tel qu'il a été adopté par le Sénat et sans le renvoyer à cette assemblée pour statuer sur les modifications indiquées par la commission.

Voilà mon observation générale.

Voici les considérations sur lesquelles je la fonde.

La loi de l'expropriation forcée a été votée définitivement ; elle sera prochainement publiée. La loi de l'expropriation forcée forme le droit commun en matière de saisie de rentes ; c'est-à-dire que le but du projet de loi que nous avons actuellement à discuter est de mettre le titre de la Saisie des rentes en rapport avec le titre de l'Expropriation forcée ; de telle sorte que partout où il se présentera un incident ou une difficulté quelconque, qui ne recevrait pas sa solution directe dans le tilre de la Saisie des rentes, il trouvera sa solution dans le titre de l'Expropriation forcée.

Voilà le principe ; il n'est pas nécessaire de le créer dans la loi ; il résulte de la proposition même que le gouvernement a faite de modifier le titre du Code civil et par conséquent, le recours au droit commun étant toujours de droit, on recourrait à la loi de l'expropriation forcée pour tous les cas qui ne seraient pas formellement prévus dans la loi sur la saisie des rentes.

J'ajouterai que la loi, comme je le disais tantôt, est d'un intérêt tout à fait secondaire. Le seul intérêt que nous ayons, c'est qu'il n'y ait point disparate entre le titre de la Saisie des rentes et le titre de l'Expropriation forcée.

Le projet sur la saisie des rentes est tout à fait secondaire : pourquoi ? Parce que les cas d'une saisie de rentes sur particuliers se présentent tellement rarement, que je puis dire que, dans toute ma carrière de ministère public, je ne l'ai pas vu se présenter une seule fois, et que l'honorable rapporteur lui-même m'a dit que dans sa longue pratique, il ne l'a pas non plus rencontré une seule fois.

Vous voyez donc que l'intérêt de celle loi est minime.

Je dis que le projet tel qu'il a été voté par le Sénat est complet, est suffisamment clair et convenable, et j'exprime l'opinion qu'il n'y a pas lieu de le modifier. Je pense donc ne pas devoir me rallier au projet de la section centrale.

M. le président. - Ainsi, la discussion s'établit sur le projet tel qu'il nous a été envoyé par le Sénat.

La discussion générale est ouverte.

M. Lelièvre. - Il m'est impossible de partager l'opinion de M. le ministre de la justice. La loi que nous avons votée sur l'expropriation forcée n'est pas une loi générale sur les saisies. C'est une loi spéciale qui ne porte que sur certaine catégorie de biens. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire son article premier qui n'est relatif qu'aux biens immobiliers et leurs accessoires, aux droits d'usufruit, d'emphytéose et de superficie. Celle-ci a donc un objet restreint et limité qui n'a rien de commun avec la matière traitée dans le projet en discussion. Celui-ci est relatif à une autre catégorie de biens, c'est-à-dire aux rentes.

Il résulte de là que si dans le projet dont nous nous occupons, nous voulons appliquer les dispositions au titre de la Saisie immobilière, il faut énoncer l'intention du législateur à cet égard par une disposition formelle, sinon rien ne prouvera que nous voulons pour les rentes adopter les dispositions relatives à la saisie des immeubles. Il s'agit ici de biens incorporels qui n'ont rien de commun avec les immeubles qui seuls sont l'objet de la loi d'expropriation.

Ces observations démontrent que le projet en discussion contient les lacunes signalées dans le rapport de la commission.

D'un autre côté il est certain qu'il existe encore des rentes sur lesquelles des créanciers ont des inscriptions valables par suite d’hypothèques établies avant la loi du 11 brumaire an VII. Eh bien, le projet ne prend pas égard à cet état de choses, et tandis qu'à l'égard de ces créanciers les rentes sont considérées comme immeubles, on ne prend aucune mesure pour informer ces créanciers de la saisie qui frappe leur gage.

La discussion des articles révélera d'autres imperfections du projet.

Pour le moment, je pense que M. le ministre de la justice perd de vue que les dispositions du titre de la Saisie immobilière ne sont applicables aux rentes que pour autant que le projet l'énonce formellement ; que les rentes étant absolument étrangères à l'objet dont il s'agit au projet sur l'expropriation immobilière, toutes les dispositions de ce dernier projet, qui ne seront pas formellement déclarées s'appliquer à celui en discussion, ne pourront être étendues à ce dernier, parce que le titre de la Saisie immobilière n'est pas une loi générale ; il est formellement restreint et limité aux immeubles et par conséquent, sans une disposition formelle, il est inapplicable à la matière que nous traitons en ce moment.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je conviens avec l'honorable M. Lelièvre que la loi sur l'expropriation forcée est une loi spéciale à la saisie des immeubles ; mais elle est loi générale relativement à la petite loi de la saisie des rentes ; cela est certain, cela est incontestable. Cela résulte d'ailleurs de tous les documents législatifs qui existent déjà sur le projet en discussion.

(M. le ministre donue lecture des premières lignes de l'exposé des motifs.)

Cette connexion intime entre les deux projets résulte également du rapport de l'honorable M. Savart au Sénat et du rapport même de l'honorable M. Lelièvre lui-même. Vous avez pu voir d'ailleurs, en lisant le projet adopté parle Sénat, que, dans le cours des articles, les référés à la loi sur l'expropriation forcée sont fréquents et multiples.

Maintenant on nous dit qu'il faut nécessairement libeller dans la loi les divers référés auxquels donnent lieu les saisies de rentes et l'on a donné plusieurs exemples, notamment en ajoutant les articles 21 et 22 du projet de la commission au projet adopté par le Sénat. Ces articles sont relatifs à la subrogation et à la distraction.

Messieurs, il étaittlout à fait inutile d'ajouter ces deux articles, parce que les principes de la subrogation et de la distraction, quant aux rentes, étaient réglés suffisamment par la loi sur les saisies immobilières, et que les mêmes formes, les mêmes principes étaient applicables aux deux cas.

En France, on n'a pas fait autrement. La loi de 1843 sur la saisie des rentes n'a pas reproduit les diverses dispositions sur les saisies immobilières et on s'est borné à un référé général, à un référé implicite de la dernière loi vers la première. C'est ainsi, messieurs, que la loi française de 1843 ne parle ni de subrogation ni de distraction, et je suis d'opinion avec le Sénat qu'il est tout à fait inutile d'en parler, parce que les cas très rares où il en sera question sont réglés par le droit commun.

L'addition relative aux inscriptions existant sur des rentes anciennes avanl la mobilisation desdites rentes n'offre aucun intérêt réel ; et d'ailleurs la voie de la publicité qui existe pour la saisie des rentes suffit, dans les cas très rares où cela peut offrir un intérêt, pour avertir les créanciers inscrits de la saisie et pour leur donner le droit d'intervenir selon le droit commun.

Ces explications, je les ai données au Sénat. Elles ont été accueillies par lui, et elles ont été également accueillies en France. Car les dispositions de la loi française de 1843, sur la saisie des rentes, ne renferment aucune réserve pour les créanciers ayant des inscriptions antérieures à l'an VII ; je persiste à croire qu'à cet égard il n'était pas nécessaire d'introduire de modification dans la loi.

Ces considérations générales n'ont pas d'autre but que de répondre à celles que vient d'émettre l'honorable M. Lelièvre et de justifier l'appréciation que j'ai faite, lorsque j'ai déclaré que le gouvernement ne jugeait pas utile de se rallier à toutes les modifications qui ont été apportées et qui n'auraient qu'un résultat, celui peut-être d'empêcher l'adoption de cette loi pendant la présente session.

M. Orts. - Messieurs, je crois devoir attirer l'attention de M. le ministre de la justice et de l'honorable rapporteur de la section centrale sur une lacune assez importante, à mon avis, qui existe dans la législation actuelle et que le projet de loi ne comble pas.

(page 1408) La loi en discussion est destinée à compléter le système d'expropriation.

Vous avez voté une loi sur l'expropriation des immeubles. Maintenant vous avez un projet de loi sur la saisie des rentes constituées sur particuliers. Le Code de procédure règle l'expropriation des meubles proprement dits au titre de la Saisie-exécution.

La lacune que je veux signaler est celle-ci.

Il est un genre de propriété qui devient de jour en jour plus commun entre les mains de particuliers et qui est appelée, plus que toute autre, à offrir aux créanciers des particuliers un gage important, destiné à garantir certaines transactions et notamment les prêts. Je veux parler des concessions de péages sur les routes, canaux et autres voies de communication appartenant à la matière des travaux publics.

Dans l'état actuel de la législation, il n'est pour ainsi dire pas un mode quelconque d'expropriation qui soit applicable à une concession de péages, et il serait à désirer qu'un article introduit dans la loi sur la saisie des rentes vînt combler la lacune que je signale.

Plusieurs cas se sont présentés, depuis quelques années, où des créanciers de concessionnaires de péages ont été obligés d'exproprier la concession pour avoir quelque chose en payement de ce qui leur était dû. Ils avaient, par exemple, prêté de l'argent à ces concessionnaires pour l'établissement de leur route, de leur canal, et ils n'avaient d'autre moyen de se récupérer de leurs avances que la saisie de la concession.

Je crois qu'il est de l'intérêt des concessions elles-mêmes, que cela puisse se faire ainsi et qu'un degré sérieux de certitude puisse être offert à ceux qui prêtent à des concessionnaires, pour les aider dans leur entreprise par les capitaux qu'ils leur avancent. La difficulté s'est présentée, je le répète, plusieurs fois dans la pratique depuis quelques années. Les uns ont cru qu'on pouvait exproprier les concessions comme un immeuble et ils se sont trouvés devant les incertitudes des jurisconsultes et devant une impossibilité matérielle de suivre les formalités de la loi ; d'autres (et c'est l'opinion qui a prévalu dans deux cas à ma connaissance, non sans résistance de la part de jurisconsultes distingués), d'autres ont cru qu'il fallait suivre les formalités de la saisie des rentes. Or, ces formalités sont très faciles à suivre quand il s'agit de rentes proprement dites, nmais quand il s'agit d'une concession de péages elles ne sont pas plus praticables que les formalités de l'expropriation forcée.

Ainsi, il y a dans la loi actuelle certains actes à accomplir pour avertir le débiteur que la rente est saisie. Or, cela est impossible quand il s'agit d'une concession de péages, car on ne sait pas à l'avance qui usera du canal ou du chemin de fer et acquittera le péage au concessionnaire.

Je désirerais donc que le gouvernement voulût bien s'entendre avec M. le rapporteur de la section centrale pour résoudre la question d'une manière quelconque par une disposition insérée dans la loi et qui tendrait à assimiler pour la saisie les concessions de péages, soit aux rentes, soit aux immeubles, peu iniporle.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, lorsqu'on s'est occupé en 1842, en France, de la révision du titre relatif à la saisie des rentes, plusieurs orateurs à la Chambre des Pairs et à la Chambre des députés, ont signalé la nécessité d'étendre à diverses catégories de valeurs les formes prescrites pour la saisie des rentes. C'est ainsi que l'honorable M. Persil, dont l'esprit pratique en ces matières est universellement connu, a soutenu qu'il fallait comprendre dans la loi les actions et les intérêts des compagnies financières et industrielles, qu'il fallait y comprendre également, comme le propose aujourd'hui l'honorable M. Orts, les concessions de péages. On a répondu alors ce que j'aurai l’honneur de répondre à l'honorable M. Orts, qu'on ne peut pas improviser dans une loi spéciale une extension aussi considérable, aussi difficile à régler que celle qu'il signale et qui doit être l'objet d'une loi particulière.

J'ai déclaré au Sénat, et je renouvelle cette déclaration devant la Chambre, que cette matière doit nécessairement faire l'objet d'un projet de loi qui sera mis à l'étude immédiatement et qui comprendra les diverses séries de valeurs négociables et de valeurs fixes qui échappent aujourd'hui à la législation. Cependant, messieurs, il y a à cet égard plusieurs départements à consulter, et vous comprenez facilement que pour ce qui concerne les actions industrielles, financières et commerciales, les valeurs sur l'Etat, les concessions de péages, il faut s'entourer des lumières que peut fournir le commerce et se mettre d'accord entre plusieurs départements sur les formes à suivre.

Je ferai remarquer, messieurs, que les créanciers ne sont pas, en définitive, désarmés vis-à-vis de leurs débiteurs, malgré l'absence de certaines formalités ; en effet, il a toujours été reconnu qu'en l'absence d'une loi qui fournisse d'une manière spéciale les moyens d'arriver à la réalisation du gage, on trouve dans la jurisprudence des garanties pour l'exercice de tous les droits. Ainsi, l'on citait dans cette discussion plusieurs arrêts de cours d'appel ou de cassation qui ont réglé les moyens d'arriver à la vente de l'objet saisi ; on se rapporte à la législation existante, on applique la loi qui a le plus de rapport à l'objet en débat et l'on arrive ainsi à offrir et au débiteur et au créancier les garanties sérieuses qui doivent toujours être offertes à ceux qui veulent exercer leurs droits et à ceux contre lesquels on les exerce.

En ce cas, messieurs, les tribunaux agissent ex arbitrio boni viri et consultent l'esprit de la loi plus que le texte ; mais il est nécessaire que la loi elle-même règle ces diverses matières ; cela m'a été signalé au Sénat, dans cette enceinte et depuis longtemps par les législations étrangères ; un projet de loi sera présenté à cet égard dans la prochaine session.

M. Verhaegen. - Je n'ai, messieurs, que peu de mots à répondre à ce qui a été dit par M. le ministre de la justice. M. le ministre pense qu'il faut adopter purement et simplement le projet du Sénat ; il croit qu'il est inutile de combler les lacunes qui ont été signalées par l'honorable rapporteur, M. Lelièvre, parce que, dit-il, il n'y a qu'à se référer à la loi sur l'expropriation forcée qui est considérée comme la loi générale ; mais j'ai l'honneur de faire remarquer à M. le ministre de la justice que la loi sur la saisie des rentes se réfère à certaines dispositions de la loi sur les expropriations forcées et que, quant aux lacunes signalées par M. Lelièvre, elle ne s'est pas référée à cette loi, d'où la conséquence nécessaire que puisqu'on se réfère, par exemple, à l'article 86 de la loi sur les expropriations forcées et qu'il y a aussi lieu de se référer à l'article 85, on ne peut pas venir dire : « Pour tout ce qui n'est pas prévu par la loi sur la saisie des rentes, il faut se référer à la loi sur les expropriations forcées. » Ce système ne pourrait avoir quelque apparence de fondement que si la loi sur la saisie des rentes ne se référait pas d'une manière explicite à certaines dispositions de la loi sur les expropriations. Pour atteindre le but que se propose M. le ministre de la justice, il faudrait dire d'une manière positive que pour tout ce qui n'est pas spécialement réglé par la loi sur la saisie des rentes on se référera à la loi sur les expropriations forcées.

C'est la question que nous avions examinée dans la commission, et nous avons pensé qu'il valait mieux rendre la loi sur la saisie des rentes aussi complète que possible. Il est certain que la loi, telle qu'elle est rédigée par le Sénat, peut donner lieu à des difficultés et à des procès ; c'est ce que la commission a voulu éviter. Je ne vois pas quel inconvénient M. le ministre peut trouver dans les propositions de la commission ; tout ce qu'il pourrait craindre, c'est que le projet ne fût pas adopté dans la session actuelle, mais je pense qu'il ne faut pas beaucoup de temps pour arriver au résultat qu'on se propose ; et d'ailleurs, j'aimerais mieux attendre la session prochaine que d'avoir une mauvaise loi, une loi qui donnât lieu à des procès.

J'insiste donc avec l'honorable rapporteur pour que la Chambre veuille bien combler les lacunes qui existent dans le projet de loi.

M. Lelièvre. - Ce que vient de dire l'honorable M. Verhaegen est d'une justesse évidente. J'ajoute qu'on soutiendra avec fondement que quand le projet en discussion a voulu se référer au titre Sur la saisie immobilière, il l'a fait en termes clairs, précis et par des dispositions formelles. Ici sera applicable le principe inclusio unius est exclusio alterius. Effectivement le projet en discussion se réfère à de nombreuses dispositions de la loi sur l'expropriation. On conclura avec fondement de cet état de choses que les autres dispositions ne sont pas applicables, parce que sans cela le législateur n'aurait pas manqué de s'y référer. Les déclarations de M. le ministre de la justice seront sans valeur, parce que ce qui se dit dans cette enceinte ne peut prévaloir contre le texte de la loi et ce qui résulte de l'ensemble des dispositions.

A mon avis, il faut s'expliquer clairement. Il convient même de faire cesser le doute qui peut se présenter, et par conséquent rien ne saurait justifier le silence de la loi sur les points importants à l'égard desquels le projet est muet.

La loi sur l'expropriation a un objet limité, et il n'est pas possible d'y voir une loi générale sur les saisies ; voilà ce qu'on soutiendra avec fondement, et il est impossible que le législateur, pouvant trancher pareille difficulté, hésite à le faire d'une manière expresse.

Quant aux lacunes du projet, il suffit, pour se convaincre de leur existence, de lire l'article 24. Cet article n'autorise la conversion de la poursuite de la saisie en vente volontaire que si le poursuivant et le saisi sont majeurs. Donc, si l'un ou l'autre est mineur, la conversion n'est pas possible. Eh bien, on ne se référé pas à l'article 83 du titre de la Saisie immobilière prévoyant le cas de minorité. Evidemment on soutiendra, avec fondement, que l'article 24 contient un système général et complet, qu'en cas de minorité la condition exigée par cet article 24 n'existe pas, et qu'en conséquence la conversion ne peut être formée.

Cela deviendra évident, lorsqu'on considérera que cet article 24 se référa à l'article 86. Or, s'il voulait se référer aussi à l'article 85, dira-t-on, il aurait fait mention de ce dernier article, non moins que de l'article 86.

Ne perdons pas de vue que les explications qu'on donnera au sein du parlement ne feront pas figurer dans la loi des dispositions qui n'y seront pas écrites en termes formels. Or, le juge, ne rencontrant pas semblables prescriptions, ne pourra pas étendre au projet en discussion des articles d'une loi concernant des biens spéciaux, ceux énoncés à la loi sur l'expropriation forcée.

Il s'agit, messieurs, de faire une loi complète qui ne donnera pas lieu à des contestations sérieuses. Ce sont ces considérations qui me portent à combattre le système de M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, un mot encore.

Lorsque le projet de loi sur les rentes se réfère en termes explicites à la loi sur les expropriations forcées, il le fait pour les cas qui s’offrent le plus fréquemment. C’est ce qui est arrivé pour les lois de 1841 et de 1842 qui ont modifié le code en France, et c’est ce que j’ai proposé de faire pour la loi actuelle, et lorsque dans des cas plus exceptionnels, tels que ceux de distriction et de subrogation, le projet de loi sur la saisie (page 1409) des rentes ne renferme aucune disposition, le juge doit se référer à la loi générale. C'est ce qui se pratique en France en vertu de la loi de 1842, car la loi de 1842 ne parle ni de distraction ni de subrogation quant à la saisie des rentes.

Eb bien, si le cas se présentait ici, que ferait-on ? On appliquerait pour analogie les dispositions relatives à ces cas, qui se trouvent dans la loi sur l'expropriation forcée.

Il n'est donc pas exact de dire qu'on peut appliquer ici la maxime inclusio unius est exclusio alterius. Evidemment les règles de l’interprétation résistent à l'application d'une pareille maxime, d'autant plus que les exposés des motifs et les rapports font suffisamment comprendre qu'il y a une connexion intime entre les deux lois.

Du reste, la Chambre, en abordant les articles, jugera s'il y a lieu d'adopter ou de ne pas adopter les changements proposés par la commission.

M. Verhaegen. - Messieurs, je ne puis pas admettre l'idée qui vient d'être émise par M. le ministre de la justice. Il prétend que pour les cas ordinaires le projet devait renvoyer d'une manière explicite à la loi sur l'expropriation forcée, mais qu'il ne devait pas en être ainsi pour les cas exceptionnels, car alors, dit M. le ministre de la justice, le juge appliquera par analogie les dispositions de la loi sur l'expropriation forcée. Mais pourquoi procéder ainsi lorsqu'il s'agit d'un cas exceptionnel plutôt que lorsqu'il s'agit d'un cas ordinaire ? Le terme « exceptionnel » est un terme impropre.

Pourquoi un cas quelconque serait-il une exception ? Du moment où une hypothèse peut se réaliser, elle rentre dans les cas ordinaires ; nous ne disposons pas exceptionnellement, mais en général. Si telle chose n'arrive pas aussi souvent que telle autre chose, il n'est pas moins vrai qu'à cette chose qui n'arrive pas aussi souvent on doit appliquer la loi, comme à la chose qui arrive plus souvent. Il suffit que sur mille fois une telle espèce puisse se présenter pour qu'il faille appliquer la loi.

Pourquoi voulez-vous rester dans ce terme vague de cas exceptionnel ? Le juge n'applique pas, ne doit pas appliquer par analogie. Quand nous faisons une loi, il ne faut pas laisser la porte ouverte à des discussions qui peuvent même amener de graves résultats.

La commission a donc pensé qu'il fallait désigner spécialement les articles auxquels la loi se référait ; sinon, il faudrait adopter une disposition générale dans le sens de celle que j'indiquais tout à l'heure.

C'est, du reste, ce que nous pourrons voir ultérieurement dans la discussion des articles.

- La discussion générale est close.

La Chambre passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. La saisie d'une rente constituée en perpétuel ou en viager moyennant un capital déterminé, ou pour prix de la vente d'un immeuble ou de la cession de fonds immobiliers, ou à tout autre titre onéreux ou gratuit, ne peut avoir lieu qu'en vertu d'un titre authentique et exécutoire.

« Elle sera précédée d'un commandement contenant élection de domicile dans le lieu où siège le tribunal qui devra connaître de la saisie, fait, soit à la personne obligée ou condamnée, soit à son domicile réel ou élu dans le titre de la créance, au moins un jour avant la saisie. Le commandement sera signifié d'après le mode prescrit par les exploits d'ajournement.

« En tête de ce commandement, il sera donné copie entière du titre, s'il n'a déjà été signifié. »

M. le président. - La commission propose de rédiger le deuxième paragraphe de la manière suivante :

« § 2. Elle sera précédée d'un commandement fait soit à la personne obligée ou condamnée, soit à son domicile réel ou élu dans le titre de la créance, au moins un jour avant la saisie. Le commandement sera signifié d'après le mode prescrit pour les exploits d'ajournement. Il contiendra élection de domicile dans le lieu où siège le tribunal qui devra connaître de la saisie. »

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, c'est un simple changement de rédaction ; je m'en réfère à la sagesse de la Chambre. Si elle admet ce changement, le projet devra nécessairement être renvoyé au Sénat, et le sort des autres amendements devient alors à peu près indifférent. La modification dont il s'agit en ce moment améliorerait peut-être le style, mais elle n'a rien d'essentiel.

M. Lelièvre. - Il est d'abord évident qu'une partie de l'amendement doit être admise. En effet, l'article porte : « Le commandement sera signifié d'après le mode prescrit par les exploits d'ajournement ». Il faut évidemment dire : « Pour les exploits d'ajournement ». La rédaction du paragraphe 2 telle qu'elle a été votée par le Sénat ne peut subsister. La phrase est complexe, démesurément longue, et les mots : « fait à la personne obligée, etc. » absolument trop éloignés de la phrase : « elle sera précédée d'un commandement ». La rédaction est améliorée, à mon avis, par l'amendement de la commission, et c'est ce motif qui m'engage à la maintenir.

Evidemment la rédaclion de la commission est préférable à celle du projet. Sans doute, si pour d'autres motifs, la loi en discussion ne devait pas être renvoyée au Sénat, je n'insisterais pas, mais comme j'estime que d'autres amendements seront aussi admis, je persiste à soutenir celui de la commission qui me paraît devoir être accueilli.

- L'article premier, tel qu'il a été amendé par la commission, est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. La rente sera saisie entre les mains de celui qui la doit, par exploit icontenant, outre les formalités ordinaires, renonciation du titre

constitutif de la rente, de sa quotité, de son capital, s'il y en a un, et du titre de la créance du saisissant, les noms, profession et demeure de la partie saisie, l'indication du tribunal où la saisie sera portée, constitution d'un avoué chez lequel le domicile du poursuivant sera élu de droit et assignation au tiers saisi en déclaration devant le même tribunal. »

M. le président. - La commission propose l'amendement suivant :

« Art. 2. La rente sera saisie entre les mains de celui qui la doit, par exploit contenant, outre les formalités ordinaires, renonciation du titre constitutif de la rente, de sa quotité, de son capital, s'il y en a un, sinon évalué par le saisissant, et du titre de la créance de ce dernier (le reste comme ci-dessus.)

M. le ministre de la justice (M. Faider). - L'honorable M. Lelièvre vient de critiquer la rédaclion de l'article premier proposé par le Sénat, il me permettra de critiquer la sienne.

La voici :

« La rente sera saisie entre les mains de celui qui la doit, par exploit contenant, outre les formalités ordinaires, renonciation du titre constitutif de la rente, de sa quotité, de son capital, s'il y en a un, sinon évalué par le saisissant, et du titre de la créance de ce dernier, etc. »

Evidemment celle phrase cloche et ne peut pas être maintenue, le « sinon évalué par le saisissant », ne tient à rien et semble tombé du ciel dans l'article.

Cette addition est complètement inutile ; elle peut être retranchée. En effet nous avons sur la matière de l'évaluation de l'action, la loi générale du 25 mars 1841 ; on peut s'en référer aux principes généraux de cette loi. L'article 2, sauf quelques modifications nécessitées par les modifications du système de saisie, n'est que la reproduction de l'article 637 du Code de procédure civile qui ne parle pas de l'évaluation laquelle n'a que faire ici. Je ferai remarquer que l'article correspondant de la loi française qui a servi de type au projet actuel, ne renferme en aucune façon la mention d'une pareille évaluation. C'est augmenter les formalités prescrites par la loi spéciale, tandis que ces formalités résultent de la loi générale.

Je pense que l'article peut être maintenu tel qu'il a été adopté par le Sénat, et qu'il n'y a pas lieu d'accueillir l'amendement proposé par la commission.

M. Lelièvre. - Je n'attache aucune importance à ma rédaction, et si M. le ministre peut lui substituer une rédaclion meilleure, je l'adopterai volontiers.

Toutefois il n'a pas cru devoir proposer quelque changement à l'amendement de la commission. Je n'ai donc pas à m'expliquer à cet égard.

Voici du reste sur quels motifs cet amendement est fondé. L'article 20 du projet énonce que dans le cas où la rente n'a pas de capital, la compétence en dernier ressort est fixée par l'évaluation du saisissant. La commission a en conséquence estimé qu'on pouvait exiger renonciation de cette évaluation dans la saisie même, d'autant plus que cette saisie devait, aux termes de l'article premier, contenir assignation au tiers saisi. Or il importe que la compétence en premier ou dernier ressort soit également fixée vis-à-vis du tiers saisi, puisqu'il peut être prononcé, contre ce dernier, jugement de condamnation au profit du saisissant, dans le cas prévu par l'article 2 du projet.

Il est en conséquence très naturel d'exiger pour tous les cas l'évaluation du capital dans la saisie même. Toutefois, s'il est bien entendu que la loi générale du 25 mars 1841 doit recevoir à l'espèce son application, je pourrais, en ce qui me concerne, ne pas insister sur l'amendement ; alors l'évaluation devra être faite par le saisissant, conformément à cette loi, c'est à-dire vis-à-vis du saisi, dans l'exploit en validité de la saisie ou dans les conclusions sur lesquelles est rendu le jugement. En ce qui concerne le tiers saisi, l'évaluation devra être faite dans l'assignation en déclaration, ou bien dans les conclusions d'audience qui précéderont toute condamnation à requérir contre le tiers saisi. S'il est entendu qu'il en sera ainsi, mon but est atteint et l'amendement devient sans objet.

- M. Lelièvre n'insistant pas, l'article 2, tel qu'il a été proposé par le Sénat, est mis aux voix et adopté.

Article 2 (nouveau)

M. le président. - M. Moreau vient de déposer un amendement ainsi conçu :

« La saisie d'une rente privilégiée ou hypothécaire inscrite ne pourra être opposée aux tiers, s'il n'est fait, en marge de l'inscription, mention de la date de la saisie avec indication des noms, prénoms, profession et domicile du saisissant et du saisi. »

M. Moreau. - L'amendement que j'ai l'honneur de vous proposer et qui deviendrait un article 2 nouveau est ainsi conçu :

« La saisie d'une rente privilégiée ou hypothécaire inscrite ne pourra être opposée au tiers s'il n'est fait, en marge de l'inscription, mention de la date de la saisie avec indication des noms, prénoms, professions et domiciles du saisissant et du saisi. »

Cette disposition, messieurs, est analogue à celle qui forme l’article 5 de la loi hypothécaire. Vous avez décidé que pour que la cession d'une créance inscrite produise ses effets à l'égard du tiers, il faut que le cessionnaire l'ait rendue publique, en la faisant connaître au conservateur des hypothèques.

Le but de cet article est facile à saisir, vous avez voulu prémunir contre la fraude ceux qui veulent acheter des rentes et leur donner le moyen de s'assurer qu'un créancier ne pût, à de courts intervalles, les céder à deux personnes différentes.

(page 1410) Voici ce que porte à cet égard le rapport de la commission chargée de réviser la loi sur les hypothèques.

« Quant a la publicité des cessions des créances hypothécaires, son utilité ne peut être révoquée en doute, ainsi que l'a fait remarquer la cour royale d'Angers, de bonnes lois doivent offrir des armes contre la fraude.

« Pourvu que l'inscrivant ait encore en mains, pour une raison quelconque, le titre de créance, il rencontre encore facilement un cessionnaire tout disposé à lui compter la valeur et un droit qui cependant peut n'être plus le sien, il importe donc de prémunir ici le tiers trop facile à accepter de perfides propositions sur la foi des inscriptions constantes. »

Voilà comment s'exprime cette commission lorsqu'il s'agit de cession volontaire d'une créance inscrite.

Eh bien, je dis que ces considérations sont à fortiori vraies lorsqu'il s'agit de la saisie d'une rente.

Car, veuillez-le remarquer, lorsqu'il y a cession, presque toujours le cédant remet les titres et l'inscription au cessionnaire, puis en ce cas le dessaisissement du cédant est volontaire, il donne son consentement d'une manière explicite et en général on ne doit pas présumer qu'alors il ait l'intention d'offrir en vente à une autre personne la rente qu'il vient d'aliéner, et cependant vous avez cru qu'il convenait de prendre des précautions pour prévenir même une fraude peu probable.

Mais lorsqu'il est question de saisie, le saisi reste en possession et du titre et de l'inscription de la vente, et sa position de débiteur en retard de payement ou de satisfaire à ses obligations le pousse à user de moyens de fraude pour se tirer d'embarras.

Ainsi, l'emploi de moyens déloyaux pour tromper un acquéreur de bonne foi qui se présenterait pour acheter une rente saisie, est ici bien plus à craindre, pourquoi donc refuseriez-vous à ce dernier le même moyen de s'assurer s'il n'y a pas saisie préalable, en consultant les registres du conservateur des hypothèques ?

Je suppose que je veuille me rendre acquéreur d'une rente, pour connaître si celui qui offre de nie la céder en est propriétaire et peut en disposer, je demande au conservateur des hypothèques si dans ses registres il n'est fait mention d'aucune cession antérieure, j'en reçois une réponse négative et j'achète la rente, je crois être en parfaite sécurité, mais il arrive que la veille de l'acte de cession cette rente que je viens d'acquérir a été saisie par un créancier de mon cédant, et je suis ainsi victime de la fraude malgré les précautions que j'ai prises.

Eh bien, je veux empêcher que cela n'arrive, et je désire que dans les lois que nous faisons il y ait harmonie entre les différentes dispositions que nous adoptons ; que lorsque dans un cas nous avons pris de bonnes précautions pour empêcher la fraude, nous les maintenions également lorsque des motifs plus plausibles encore militent en faveur de leur adoption.

Dans la loi hypothécaire nous avons adopté un régime de publicité absolue, c'est le même régime dont je demande le maintien.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - La formalité indiquée par l'honorable M. Moreau est superflue ; elle aura pour effet de faire figurer sans sur les registres de la conservation des hypothèques, sans aucune utilité réelle suivant moi, une mention de plus après toutes celles qui sont déjà exigées, pour mettre l'acquéreur d'une rente à l'abri d'une tromperie quand la rente a été saisie. Lorsqu'un créancier saisit une rente, il opère la saisie sur le propriétaire de la rente et sur celui qui doit les arrérages. Pour qu'un acquéreur puisse être trompé, il faut supposer une collusion entre ces individus.

Le tiers intéressé qui veut acheter une rente demandera d'abord au propriétaire de la rente si cette rente est libre, si elle n'est pas saisie ; le vendeur dira non ; si cette affirmation ne suffit pas à l'acquéreur, il ira chez le débiteur, il lui demandera si on n'a pas opéré de saisie entre ses mains. Il déclara non ou oui. Sous ce rapport, toute précaution ultérieure me semble inutile, puisqu'il faudrait ici une collusion enlre le propriétaire et le débiteur ce qui ne peut pas se supposer.

Il y a plus, c'est qu'au bout de quelques jours, la publicité se manifeste ; quand une saisie a eu lieu, il y a, quelques jours après, exploit de saisie et un dépôt au greffe du cahier des charges ; si celui qui veut acquérir une rente se défie de son vendeur, il peut prendre une troisième information, et s'assurer au greffe s'il n'y a pas de dépôt du cahier des charges se rattachant à telle ou telle rente qui pourrait être saisie. Il y a donc toute garantie pour les intéressés.

En présence de ces diverses garanties que je viens de rappeler, l'amendement de M. Moreau, s'il constitue une précaution extrême, ne constitue qu'une précaution parasite et inutile.

M. Verhaegen. - Je dois appuyer l'amendement de l'honorable M. Moreau ; il présente plus d'un avantage et il ne peut avoir aucun inconvénient. Nous avons voulu d'un système de publicité. Ce système, nous devons le vouloir partout ; il n'y a pas plus de raison de l'exclure quand il s'agit de rentes que quand il s'agit d'un immeuble. Pourquoi faudrait-il, quand il y a un moyen très simple de publicité, recourir à d'autres formalités ?

Pourquoi veut-on que j'aille m'adresser à Pierre, Paul, Jacques et Jean, lorsqu'il me suffira, d'après l'amendement, s'il est adopté, d'aller à la conservation des hypothèques ? Pourquoi irais-je chercher le débiteur de la rente ou tel dépôt indiqué par M. le ministre de la justice, lorsqu'il me suffit d'aller à la conservation des hypothèques ?

Mais, dit l'honorable ministre de la justice, vous n'avez qu'à demander au propriétaire de la rente s'il n'a pas vendu sa rente ; s'il vous répond non, vous vous en rapporterez ou vous ne vous en rapporterez pas à sa parole. Si vous ne vous en rapportez pas à sa parole, vous irez chez le débiteur, vous lui demanderez s'il n'y a pas de saisie ; il vous dira oui ou non. Mais s'il vous dit non, comme le propriétaire de la rente aura dit non, vous aurez deux affirmations, mais vous n'aurez pas plus de garanties ; car de même que le propriétaire aura dit non, le débiteur pourra dire non, surtout s'il veut être favorable au créancier qui aura vendu sa rente 2 ou 3 jours auparavant. De sorte que l'on pourra être dupe.

Cela arrivera rarement ; mais cela peut arriver. Aussi, pour tous les cas, il faut que la loi dispose. D'ailleurs, du moment qu'un principe domine, il faut qu'il reçoive son application dans toutes les hypothèses. Il a été proclamé pour les ventes d'immeubles ; pourquoi ne serait-il pas proclamé pour les saisies de rentes ? Car les mêmes raisons existent. Il faut donner des garanties qui ne peuvent exister que par la publicité.

M. Moreau. - Messieurs, si l'article 5 de la loi hypothécaire n'existait pas, je n'aurais pas présenté d'amendement ; je l'ai fait pour conserver l'harmonie entre les différentes dispositions de nos lois.

M. le ministre de la justice prétend que celui qui voudra acquérir une rente pourra savoir si elle est ou non saisie, en s'adressant au débiteur de la rente.

Cela est exact, mais d'abord celui qui voudra acquérir la rente peut demeurer dans un endroit éloigné du domicile du débiteur de la rente inscrite ; celui-ci n'est pas tenu de répondre ,et s'il y a collusion entre le créancier et le débiteur, il ne le fera pas ou donnera une réponse négative.

Du reste, ce qui prouve que cette garantie est illusoire et que ce moyen de s'assurer si le créancier peut encore disposer de sa rente n'est pas certain, c'est que vous n'avez pas voulu vous en contenter lorsqu'il s'agit de la cession d'une rente.

En effet, la cession n'opère ses effets à l'égard des tiers que lorsqu'elle est signifiée au débiteur de la rente ; ainsi on pourrait objecter avec raison que l'article 5 de la loi hypothécaire est inutile ; car chacun avant d'acquérir une rente peut savoir si elle n'a pas été déjà cédée en demandant au débiteur de la rente si on ne lui a pas notilié d'acte de cession.

Or, pourquoi n'exigerez-vous pas la formalité prescrite par l'article 5 de la loi hypothécaire pour pouvoir opposer au tiers la saisie, alors que vous avez déclaré que cette même formalité était indispensable en cas de cession volontaire d'une rente, lorsque cependant l'acquéreur avait le même moyen de connaître si le débiteur pouvait la vendre ?

M. le ministre de la justice a ajouté que la saisie était rendue publique et que cette publicité fera connaître à tous la saisie. Mais je vous prie de remarquer que le saisi de mauvaise foi, lui qui reste porteur de tous les titres de la créance, pourra, dans l’intervalle, tromper les tiers, sa position de débiteur souvent en déconfiture, le poussera à tromper un acquéreur de bonne foi qui se présenterait, il ne faut pas d'ailleurs longtemps pour faire des dupes.

M. Lelièvre. - Je pense que la disposition proposée par l'honorable M. Moreau doit être admise, parce qu'elle est la conséquence dut système décrété par l'article 5 de la loi du 16 décembre 1851 sur le régime hypothécaire. Par cette disposition, nous avons établi un système nouveau de publicité. Nous avons voulu qu'aux yeux des tiers l'inscription hypothécaire indiquât le véritable propriétaire de la créance, celui qui avait la libre disposition de celle-ci. Il résulte de là que si nous voulons modifier, par la saisie, la capacité du propriétaire d'une rente hypothécaire inscrite, il faut que cette modification soit énoncée en marge de l'inscription ; sinon le propriétaire désigné à l'inscription doit être réputé, aux yeux des tiers, être absolument capable de disposer de la créance.

L'amendement aurait pu se contenter de la seule mention de la saisie sans plus, mais il est clair que si nous voulons rendre le propriétaire de la rente inscrite incapable de disposer, il est essentiel que cette incapacité soit révélée aux tiers par la mention dont parle l'article 5 de la loi de réforme hypothécaire. Sans cela il y aurait anomalie entre cet article et le projet en discussion. A mon avis, l'amendement de M. Moreau est justifié par le système de publicité qui est la base de notre régime hypothécaire.

Il importe que les tiers voient, par l'inspection de l'inscription, qui doit être considéré comme propriétaire de la créance hypothécaire ou quels obstacles entravent l'action du crédirentier.

- L'amendement de M. Moreau est mis aux voix et adopté.

M. Lelièvre. - Messieurs, je pense que l'amendement de M. Moreau qui vient d'être admis ne doit pas figurer dans le projet après l'article 2, sa place naturelle se trouve à l'article 5.

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, l'amendement sera placé après l'article 5. (Adhésion.)

Article 3

« Art. 3. Les dispositions contenues aux articles 570, 571, 572, 573, 574, 575 et 576 du Code de procédure, relatives aux formalités que doit remplir le tiers saisi, seront observées par le débiteur de la rente.

« Si ce débiteur ne fait pas sa déclaration, s'il la fait tardivement, on s'il ne fait pas les justifications ordinaires, il pourra, selon les cas, être condamné à servir la rente faute d'avoir justifié de sa libération ou à des dommages et intérêts résultant, soit de son silence, soit du retard apporté à faire sa déclaration, soit de la procédure à laquelle il aura, donné lieu. »

(page 1411) - Cet article est adopté avec la substitution du mot « ordonnées » au mot « ordinaires » proposée par la commission et à laquelle M. le ministre de la justice se rallie.

Article 4

« Art. 4. La saisie entre les mains de personnes non demeurant dans le royaume sera signifiée à personne ou domicile ; et seront observés, pour la citation, les délais prescrits par l'article 73 du Code de procédure. »

« Art. 4 (projet de la commission). La saisie entre les mains de personnes, non demeurant dans le royaume, sera signifiée à personne ou domicile ; et sera observé, pour la citation ; le délai prescrit par l'article 72 du Code de procédure, augmenté d'un jour par cinq myriamètres de distance entre le domicile du tiers saisi elle lieu où siège le tribunal. »

M. le ministre de la justice (M. Faider). - J'aurai l'honneur de demander à l'honorable rapporteur une explication sur la possibilité d'appliquer l'article, tel qu'il est amendé par la commission.

L'article 4 du projet du Sénat se réfère aux délais prescrits par l'article 73 du Code de procédure ; pas de difficulté.

Mais la commission vous propose de modifier le système, de renoncer aux délais spéciaux indiqués dans l'article 73 et d'appliquer le principe général du calcul de cinq myriamètres de distance entre le domicile du tiers saisi et le. lieu où siège le tribunal, lorsque la saisie se fait entre les mains de personnes, non demeurant dans le royaume, etc.

Messieurs, lorsqu'on fait un calcul de dislance par myriamètres, on se tient dans les bornes du royaume de Belgique, il existe des échelles de distances officielles qui déterminent les distances d'une localité à l'autre et qui permettent d'élablir les calculs.

Mais cela n'existe pas peur les pays étrangers, pour les pays transatlantiques, par exemple, pour le cap de Bonne-Espérance, dont il est parlé dans l'article 73 du Code de procédure civile. Je demande donc comment le calcul sera établi, comment le tribunal, lorsqu'il aura à juger si les délais ont été observés, établira le nombre de myriamètres qu'il y a d'ici aux Etats-Unis ou au cap de Bonne-Espérance et les jours de délai que l'on a dû observer.

Je crois donc que cet article n'offre rien de praticable, qu'il n'existe au moins rien de légal qui puisse offrir une garantie quelconque et servir de règle au tribunal.

Je crois qu'il vaut mieux laisser les choses dans le droit commun. Les cas où l'article 4 sera appliqué seront excessivement rares, et il est inutile de soulever cette difficulté.

M. Lelièvre. - J'exposerai en peu de mots les motifs sérieux qui ne permettent pas d’adopter les délais énoncés à l'article 73 du Code de procédure. Le but du projet est d'abréger les délais de la poursuite. Or se référer à une disposition qui va jusqu'à admettre en certains cas le délai d'un an, c'est, à mon avis, manquer complètement le but que nous poursuivons.

Ainsi, messieurs, si le débiteur de la rente habile Lille, Aix-la-Chapelle, etc., on devra observer le délai de deux mois. Vraiment cela est-il compatible avec la rapidité des voies de communication actuellement existantes, et comment pourrons-nous nous référer à l’article 73 du Code de procédure fait pour une époque qui n'a plus rien de commun avec la nôtre ? L'article73 est réellement une anomalie dans l'état de choses actuel.

Mais, dit M. le ministre, on ne pourra pas connaître légalement la distance. Cette distance, messieurs, pourra être constatée par tous moyens légaux, par tous documents quelconques, de nature à mériter la confiance de la justice.

Dans l'article 62 de la loi de saisie immobilière, nous avons adopté le système de la commission. On a admis le calcul à raison d'un jour par cinq myriamètres de distance entre le lieu où siège le tribunal et le domicile du saisi, celui-ci fût-il même domicilié hors du royaume ; pourquoi n'adopterions-nous pas le même système aujourd'hui ? L'objection de M. le ministre vient à tomber en présence de cet article 62.

Mais sous le Code de procédure, un système analogue à celui de la commission est même admis en divers cas. S'agit-il d'enquête, l'individu domicilié en pays étranger est assigné pour comparaître à l'enquête trois jours au moins avant l'audition des témoins, et la jurisprudence décide qu'il doit jouir de l'augmentation de délai prévue par l'article 1033 du Code de procédure.

Or, ce qui est admis en matière d'enquête, pourquoi ne pourrions-nous pas l'établir lorsqu'il s'agit d'une procédure rapide telle que celle organisée par le projet de loi ?

Il est impossible d'admettre dans la matière qui nous occupe les délais si longs établis par l'article 73 du Code de procédure qui depuis la construction des chemins de fer présente une anomalie ridicule dans notre législation. Le cours de la justice est entravé au détriment des plus graves intérêts, à plus forte raison est il impossible d'admettre semblable ordre de choses, lorsqu'il s'agit d'une matière requérant célérité et où tout est traité d'urgence.

M. Verhaegen. - Je comprends fort bien que l'on veuille abréger les délais ; mais il faut qu'il soit possible d'arriver à ce résultat. Or, il serait assez difficile de déterminer quelles sont entre les diverses localités les distances calculées à raison de tant de myriamètres.

Je crois que ce qu'il y aurait de mieux à faire serait d'abréger les délais tels qu'ils ont été déterminés par l'article 73. Aujourd'hui l'on voyage beaucoup plus vite que lorsqu'on a fait le Code de procédure ; il y aurait donc lieu de voir s'il ne faut pas abréger les délais ; car je crois que ces délais de 3 mois, de 6 mois et même d'un an, sont beaucoup trop longs.

Mais je dois reconnaître avec M. le ministre de la justice que l'article 4, tel qu'il a été rédigé par la commission serait d'une exécution impossible ; j'engage le gouvernement à réfléchir si aujourd'hui que les moyens de locomotion sont beaucoup plus faciles, il n'y aurait pas lieu de modifier l'article 73 du Code de procédure et d'abréger les délais d'une manière générale.

M. Lelièvre. - Je puis ne pas insister sur l'amendement, si M. le ministre me donne l'assurance qu'il songera à proposer un projet de loi ayant pour objet de remplacer l'article 73 du Code de procédure par une autre disposition qui sera mieux en harmonie avec les besoins réels et les intérêts des justiciables. Je le répète. L’article 73 doit immédiatement être révisé ; il est en contradiction avec la rapidité des communications, établies de toutes parts.

M. le président. - L'amendement de la commission est retiré.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 5

« Art. 5. L'exploit de saisie vaudra toujours saisie-arrêt des arrérages échus et à échoir jusqu'à la distribution. »

M. le président. - La commission propose la rédaction suivante :

« Art. 5. L'exploit de saisie vaudra toujours saisie arrêt des arrérages échus et à échoir jusqu'à la distribution. A partir de cet exploit, le débiteur ne pourra plus aliéner la rente saisie, à peine de nullité, sans qu'il soit besoin de la faire prononcer. »

M. Moreau. - Je crois que ce dernier paragraphe doit être supprimé par suite de l'amendement qui a été adopté.

- L'article 5 du projet primitif, avec l'amendement de M. Moreau, est adopté.

Articles 6 à 8

« Art. 6. Dans les trois jours de la saisie, outre un jour par cinq myriamètres de distance entre le domicile du débiteur de la rente et celui du saisissant, et pareil délai en raison de la distance entre le domicile de ce dernier et celui de la partie saisie, le saisissant sera tenu de la dénoncer à la partie saisie et de lui notifier le jour du dépôt du cahier des charges. »

M. le président. - La commission propose de supprimer les mots : « et de lui notifier le jour du dépôt du cahier des charges ».

- Cet amendement est adopté.

L'article, ainsi modifié, est adopté.


« Art. 7. Lorsque le débiteur de la rente sera domicilié hors du royaume, le délai pour la dénonciation ne courra que du jour de l'échéance de la citation au tiers saisi. »

- Adopté.


« Art. 8. Dans les dix jours au plus tard après la dénonciation à la partie saisie, le saisissant déposera au greffe du tribunal, devant lequel la saisie sera portée, le cahier des charges contenant les noms, profession et demeure du saisissant, de la partie saisie et du débiteur de la rente ; la nature de cette rente, sa quotité, celle du capital, s'il y en a un, la date et renonciation du titre en vertu duquel elle est constituée ; renonciation de l'inscription si le titre contient hypothèque et si cette hypothèque a été inscrite pour sûreté de la rente ; les noms et demeure de l'avoué du poursuivant, les conditions de l'adjudication et la mise à prix. »

- Adopté.

Article 9

« Art. 9. Dans les cinq jours du dépôt au greffe, outre un jour par cinq myriamètres de distance entre le domicile du saisi et le lieu où siège le tribunal, assignation sera donnée au saisi à personne ou domicile, à l'effet de comparaître devant le tribunal dans les délais déterminés par les articles 72 et 1033 du Code de procédure pour entendre statuer sur la validité de la saisie et sur le mérite des dires et observations concernant le cahier des charges, voir nommer le notaire qui procédera à la vente publique de la rente saisie, à l'intervention du juge de paix. Cette vente sera fixée par le tribunal dans les dix jours au plus tôt et dans les vingt jours au plus tard à dater du jugement.

« Pour le surplus il sera procédé conformément aux dispositions des deuxième, troisième et quatrième paragraphes de l'article 32 du titre de la Saisie immobilière. »

M. le président. - La commission propose de rédiger l'article comme suit :

« Art. 9. Dans les cinq jours du dépôt au greffe, outre un jour par cinq myriamètres de distance entre le domicile du saisi et le lieu où siège le tribunal, assignation sera donnée au saisi à personne ou domicile, à l'effet de comparaître devant le tribunal du domicile de ce dernier, dans les délais déterminés par les articles 72 et 1033 du Code de procédure, pour entendre statuer sur la validité de la saisie ainsi que sur le mérite des dires et observations concernant le cahier des charges et voir nommer le notaire qui procédera à la vente publique de la rente saisie, à l'intervention du juge de paix. Cette vente sera fixée par le tribunal dans les dix jours au plus tôt et dans les vingt jours au plus tard à dater du jugement.

« Pour le surplus, il sera procédé conformément aux dispositions des deuxième, troisièùe et quatrième paragraphes de l'article 32 du litre de la Saisie immobilière.

« Dans le même délai de cinq jours, sommation sera faite, conformément à l'arlicle 53 du même titre de la saisie immobilière, aux creanciers inscrits en vertu d'hypothèques établies antérieurement à la loi du 11 brumaire an VII. »

(page 1412) M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, l'article 665 du Code de procédure civile faisait allusion aux hypothèques établies sur les rentes antérieurement à la loi du 11 frimaire an VII, c'est-à-dire à une époque où certaines catégories de rentes avaient la nature d'immeubles. La loi française de 1842 sur la saisie des rentes, reproduit cet article sans modificalion et nous l'avons reproduit de même, nous n'avons pas cru devoir indiquer des précautions spéciales au profit des créanciers inscrits sur ces rentes, d'abord parce qu'ils reçoivent un avertissement suffisant par la publicité de la saisie elle-même et de toutes les formalités qui l'accompagnent, ensuite parce que les cas où les intérêts du créancier inscrit se trouvent en jeu, sont extrêmement rares, enfin parce que les créanciers inscrits ont les moyens ordinaires d'intervention pour faire valoir leurs droits.

Dans ces termes, messieurs, on n'a pas cru (et les explications que j'ai données à cet égard au Sénat sont consignées au Moniteur), on n'a pas cru devoir s'arrêter à des précautions qui, à la rigueur peuvent avoir leur utilité, mais dont l'absence ne peut préjudicier à aucun intérêt.

Je pense donc, messieurs, qu'on pourrait, sans inconvénient, ne pas introduire dans la loi le paragraphe additionnel dont il est question, non plus qu'un paragraphe additionnel correspondant à celui-ci et que la commission propose d'introduire dans l'article 26.

M. Verhaegen. - L'honorable ministre de,la justice vient de dire qu'à la rigueur la précaution que nous indiquons peut avoir son utilité ; eh bien, cela suffit pour que nous insérions cette précaution dans la loi. Il dit que les cas où cela pourrait être utile sont extrêmement rares : mais alors même que ces cas ne se présenteraient qu'une fois sur mille, ce ne serait pas une raison pour ne pas adopter une disposition qui mette tous les droits à couvert. Nous amendons le projet et il faut, dans tous les cas, qu'il retourne au Sénat ; il n'y a donc pas d'inconvénient à admettre la proposition.

Il y a, messieurs, d'anciennes rentes qui ont aujourd'hui la nature d'immeubles et qui, par conséquent, sont mises sur la même ligne que les biens immobiliers proprement dits ; ces rentes peuvent elles-mêmes être grevées d'hypothèque, et c'est le cas que nous avons prévu. Le créancier hypothécaire inscrit sur ces rentes a tout autant d'intérêt à être averti que le créancier hypothécaire inscrit sur un immeuble ordinaire, pourquoi ne pas donner autant de garanties à l'un qu'à l'autre ? Il ne s'agit en définitive que d'insérer quelques mots de plus dans la loi pour éviter toute espèce de difficultés.

M. Lelièvre. - Les amendements énoncés aux deux premiers paragraphes ne sont pas contestés par M. le ministre. Quant au paragraphe additionnel proposé par la commission, il doit être admis à tous égards. Quand on rédige une loi importante, il faut évidemment la faire complète. Or, puisque de l'aveu de M. le ministre de la justice, il existe des rentes qui sont légalement frappées d'hypothèque, pourquoi ne nous occuperions-nous pas de ces créanciers légalement inscrits ? Les cas sont rares, mais enfin ils existent et la loi doit s'occuper d'une hypothèse dont l'article 26 du projet prévoit expressément l'existence. Je ne vois pas à quel titre les créanciers inscrits seraient complétements laissés à l'écart. Nous devons chercher à améliorer la loi de toute manière, et dès lors tandis que rien n'est plus facile que d'obvier à tout inconvénient, il me paraît impossible de laisser dans le projet une lacune regrettable.

La disposition contestée est du reste conforme au système admis par le projet concernant la saisie immobilière, et à tous égards elle figurera convenablement dans la loi dont nous nous occupons. Ne perdons pas de vue que l'article 26 suppose l'existence des créanciers dont il s'agit. Par conséquent, rien de plus naturel que de régler leur position dans la poursuite et les formalités à observer vis-à-vis d'eux.

- Les divers amendements proposés par la commission sont successivement mis aux voix et adoptés.

L'article, ainsi amendé, est ensuite adopté.

Article 10

« Art. 10. Le jugement qui statue sur la validité de la saisie sera rendu dans les dix jours à compter de l'expiration du délai de comparution.

« Seront de plus observées les dispositions des deux derniers paragraphes de l'article 36 du titre de la Saisie immobilière. »

M. le président. - La commission propose de substituer le délai de quinze jours à celui de dix jours.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, une différence de cinq jours n'est pas grand'chose, j'en conviens, mais pourquoi prolonger le délai sans nécessité réelle ? Il est évident que le jugement qui statue sur la validité de la saisie est une chose excessivement simple et qu'en dix jours tout tribunal, quelque surchargé qu'il soit, peut vérifier si, effectivement, la saisie est valable et si les formalités prescrites ont été observées ; je crois donc qu'on peut maintenir le délai de dix jours.

M. Lelièvre. - Il me sera facile de justifier l'amendement de la commission. Le projet porte que le jugement qui statue sur la validité de la saisie sera rendu dans les dix jours à compter de l'échéance du délai de comparution. Ce délai est prescrit à peine de péremption. La commission le trouve trop court et propose de le porter à quinze jours.

Messieurs, il y a des tribunaux surchargés d'affaires devant lesquels seront peut être entamés des débats de causes urgentes, telles que celles d'expropriation pour cause d'utilité publique, etc. Il sera souvent impossible à ces tribunaux de statuer dans un aussi bref délai, surtout s'il s'élève des débats sérieux.

La loi en matière d'expropriation forcée (article 56) fixait un délai de vingt jours. Je pense que l'on ne peut le réduire de moitié dans l'espèce qui nous occupe.

Il faut voir les choses en pratique ; eh bien, je dis que bien souvent les tribunaux surchargés d'affaires, comme les tribunaux de Bruxelles, Liège, etc., ne pourront prononcer jugement dans le court intervalle de temps fixé par votre disposition, surtout qu'il existe d'autres affaires très urgentes qui peuvent occuper les audiences. Telles sont les considérations pratiques qui m'engagent à maintenir le système de la commission. Jamais on n'a enjoint à la justice de prononcer dans un délai aussi bref que celui énoncé au projet. En ce qui me concerne, je ne puis me rallier à pareil système.

- Le délai de quinze jours est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article est adopté tel qu'il a été voté par le Sénat.

La séance est levée à 4 heures et demie.