Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 janvier 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 501) M. Vermeire procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur P. Limier, ouvrier menuisier et propriétaire à Arlon, prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur X. Sornasse, cordonnier à Namur, né à Romans (France), demande la naturalisation ordinaire, si la qualité de Belge ne lui est pas acquise. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur P.-F. de Kinder, patron canotier de l'administration du pilotage des bouches de l'Escaut, né à Flessingue (Pays-Bas), demande la naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Même renvoi.


« Plusieurs électeurs à Namur prient la Chambre de décider si les électeurs d'une section intra muros peuvent choisir pour conseiller communal un habitant extra muros ou même d'un faubourg déjà représenté, et demandent qu'il y ait un recours en cassation contre les arrêts des députations permanentes en matière d'élections communales. »

M. Lelièvre. - La demande des pétitionnaires mérite un examen particulier. Il est important de fixer la jurisprudence administrative sur les points énoncés à la pétition. Celle-ci ayant du reste un caractère d'urgence, j'en demande le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. J'ai du reste développé, dans la discussion générale du budget de l'intérieur, les motifs qui justifient que le recours contre les décisions des députations permanentes statuant sur la validité des élections doit être accordé à toute partie intéressée.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Le sieur Moriaux, ancien sergent de l'Empire, demande les arriérés de la pension dont il jouit en sa qualité de légionnaire ou une augmentation de secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les brigadiers, sous-brigadiers et préposés des douanes à Couvin, Bruiy, Cul-des-Sarls, Gonrieux et Dailly demandent une amélioration de position. »

M. Lelièvre. - La pétition dont il s'agit mérite un examen particulier ; elle est appuyée sur des motifs dignes d'être appréciés. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions qui sera priée de faire un prompt rapport à la Chambre.

M. de Baillet-Latour. - Je me joins avec d'autant plus d'empressement à la demande de mon honorable collègue, M. Lelièvre, que les employés de douanes, signataires de cette pétition, sont de poste dans mon arrondissement. Je demande donc aussi un prompt rapport de la commission des pétitions sur cette pièce, et j'espère que M. le ministre de l'intérieur n'oubliera pas les douaniers dans le projet qu'il se propose de présenter à la Chambre, au sujet des employés peu rémunérés : j'espère que la catégorie d'employés dont il s'agit en ce moment fera l'objet de son attention et de son bienveillant intérêt.

- La proposition de MM. Lelièvre et de Baillel-Lalour est adoptée.

« Les facteurs de la poste aux lettres à Ninove demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la commission des pétitions. »


« Le conseil communal d'Evergem demande que la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand, avec prolongement sur Terneuzen, soit accordée aux sieurs Moucheron et Delaveleye. »

M. Maertens. - Messieurs, plusieurs pétitions sont déjà arrivées sur cet objet ; mais cette affaire est entrée dans une phase toute nouvelle, c'est à-dire qu'on demande maintenant le prolongement du chemin de fer de Saint-Ghislain vers Gand jusqu'à Terneuzen. La commune qui nous a adressé la pétition est surtout intéressée à ce prolongement. Je propose le renvoi de cette pièce à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.

« Les bourgmestre, échevins et membres du conseil communal de Flobecq prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain vers Gand en passant par les cantons de Flobecq et de Nederbrakel. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Serinchamps réclame l'intervention de la Chambre pour que la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg commence ses travaux sur le territoire de cette commune ou dans ses environs. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions concernant l'exécution du chemin de fer du Luxembourg.


« Plusieurs habitants de Haesrode déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand, relative au projet de loi sur l'enseignement agricole. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le baron Mertens et le sieur Le Docte, président et secrétaire du conseil administratif de la Société centrale d'agriculture, demandent que le gouvernement soit autorisé à créer un institut unique d'enseignement agricole supérieur, auquel il pourrait dans la suite adjoindre l'enseignement vétérinaire et même une école d'apprentissage pour la fabrication des instruments aratoires. »

- Même disposition.


« Le conseil administratif de la Société centrale d'agriculture fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires du rapport sur l'enseignement agricole, publié par cette société. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

« M. Le Hon, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Vandenpeereboom, obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.


M. Moreau. - Messieurs, mon honorable collègue M. David, qui a dû s'absenter pour des affaires urgentes, m'a chargé de demander pour lui un congé de trois semaines à la Chambre.

- Le congé est accordé.

Projet de loi interprétatif de l’article 23 de la loi sur l’enseignement primaire

Rapport de la section centrale

M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à l'instruction primaire.

- Ce rapport sera imprimé et distribué ; il est mis à l'ordre du jour à la suite des objets qui y sont déjà.

Motion d’ordre

Poursuite à l'encontre d'un parlementaire pour les propos d'un discours prononcé en séance plénière

M. Verhaegen (pour une motion d’ordre). - Messieurs, avant les vacances, j'ai adressé au cabinet une demande de renseignements, quant à l'affaire de M. de Bavay ; le cabinet avait promis de me répondre : des circonstances indépendantes de sa volonté y ont fait obstacle. MM. les ministres étant à leur banc, je leur demanderai s'ils ne voient pas d'inconvénient à donner aujourd'hui ces renseignements.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je suis le premier à regretter les retards qu’on éprouvés les explications qui avaient été promises par le cabinet, car j’au été la première victime de ces retards ; maintenant que leur cause a cessé, je pense que les explications que je vais fournir à la Chambre, sont de nature à satisfaire toutes les susceptibilités.

Je commence par m'associer à la déclaration que mon honorable ami, M. le ministre des affaires étrangères, a faite dans une séance précédente, déclaration qui consiste à dire que nous serons toujours les premiers à prendre la défense de la prérogative parlementaire et de la dignité de la Chambre, lorsque des questions de cette nature se présentent. Je crois que la conduite du cabinet, en cette circonstance, répond entièrement à cette déclaration ; j'ai d'autant plus de confiance dans l'approbation de la Chambre, que les résolutions ont été prises par le cabinet où siège, vous le savez, un honorable collègue, qui a été pendant plusieurs années le dépositaire de la dignité de la Chambre, qu'il a présidée avec tant de distinction ; un autre en a été le vice-président ; enfin, l'honorable M. Van Hoorebeke, qui fait lui-même partie de la Chambre, comprend toutes les exigences de cette position.

Voici ce qui s'est passé :

Dans la séance du 21 novembre, vous avez entendu, lors de la discussion de l'adresse, un discours très sévère de l'honorable M. de Perceval. Dans ce discours, il a été fait allusion à la détention préventive subie par un prévenu dans une affaire qui a eu du retentissement. M. le procureur général de Bavay a été, dans la pensée et dans les paroles de l'honorable membre, rendu responsable de la prolongation, suivant lui exagérée, de cette détention préventive.

A cette séance, j'ai pris la parole pour donner des explications suc un autre fait qui avait été le sujet d'interpellations de la part de M. de Perceval et de M. Verhaegen ; je m'étais réservé, après avoir recueilli des renseignements sur la première affaire, de prendre la parole quand il aurait été question de la discussion de l'amendement déposé par l'honorable M. de Perceval ; c'est ce qui explique pourquoi je n'ai pas parlé immédiatement de ce grief et de plusieurs autres qui avaient été articulés dans des termes assez peu parlementaires, notamment celui qui consistait à qualifier les ministres de valets d'une puissance étrangère.

Mais j'ai été empêché, par une circonstance indépendante de ma volonté, d'assister aux derniers jours de la discussion de l'adresse. Malheureusement ces points sont restés sans discussion de ma part. On en a fait un grief contre le gouvernement et contre le ministre de la (page 502) justice, non seulement dans cette enceinte, mais dans certains journaux qui ont leur représentant dans cette Chambre. Cela m'a vraiment affligé, car on devait connaître la cause de mon silence.

M. le procureur général s'est senti vivement touché du reproche qu'on lui adressait injustement. Je démontrerai tout à l'heure que le reproche était injuste. Il a adressé au procureur du roi de Bruxelles une lettre en son nom personnel par laquelle il se plaignait d'avoir été calomnié par M. de Perceval, et demandait qu'il fût poursuivi en calomnie aux termes de l'article 367 du code pénal.

Le procureur du roi m'a transmis par un référé direct la plainte du procureur général en demandant des instructions ; en présence des dispositions de la Constitution que vous connaissez, il ne pouvait agir directement sans mon assentiment. C'était la marche régulière à suivre.

Le gouvernement n'a pas eu un instant la pensée de demander à la Chambre l'autorisation de poursuivre l'honorable M. de Perceval. Il comprend la franchise parlementaire quelque étendue qu'elle soit ; elle trouve son contrôle naturel dans la contradiction que les ministres peuvent opposer à certaines allégations ; c'est par hasard et par suite de circonstances malheureuses que cette contradiction n'a pas été énoncée.

Le gouvernement, messieurs, a trouvé que M. le procureur général avait agi avec trop de précipitation, c'est-à-dire qu'au lieu de céder à cette susceptibilité, que j'ai d'ailleurs qualifiée d'honorable, parce qu'elle répondait à un sentiment honorable, au sentiment de la défense de la vérité et de la dignité personnelle, nous avons pense qu'au lieu de céder à ce sentiment, il aurait dû en référer à son supérieur immédiat, au ministre de la justice, qui l'aurait éclairé sur ses intentions, qui lui aurait communiqué ses appréciations, et qui l'aurait probablement détourné d'une démarche qui n'était pas suffisamment réfléchie.

Cependant, à un certain point de vue, il pouvait y avoir doute sur l'appréciation de l'article 44 de la Constitution à la circonstance actuelle dans le sens que je viens d'indiquer.

Il s'agissait, dans la pensée du procureur général, de l'articulalion d'un fait, c'est-à-dire du crime de détention arbitraire qui pouvait donner lieu à charge du magistrat, auteur du fait, à des peines très sévères.

Parlant de cette idée, M. le procureur général a pu se dire que le fait dépassait la limite de la franchise parlementaire. Mais nous pensons que cette appréciation était exagérée et qu'elle aurait dû être au moins soumise au ministre de la justice, an chef immédiat de ce magistrat. A ce point de vue encore nous avons désapprouvé la conduite de M. le procureur généra1, et la correspondance officielle prouve que le gouvernement lui a fait comprendre cette désapprobation.

Quant à la plainte elle-même, elle a été mise au néant par la résolution que nous avons prise de donner des instructions au procureur du roi. Ces instructions consistent à dire qu'en vertu des articles 44 et 45 de la Constitution, il y avai lieu de laisser sans suite la plainte de M. le procureur général.

L'affaire, messieurs, n'a pas eu d'autre suite que celle que j'ai l'honneur d'indiquer à la Chambre.

La plainte est restée entre mes mains, telle qu'elle m'avait été transmise par le procureur du roi, et la lettre que j'ai écrite à ce magistrat, et dont j'ai communiqué la substance à M. le procureur général de Bavay, a mis au néant cette affaire, sans que la dignité de la Chambre ait reçu aucune atteinte.

En effet, messieurs, veuillez remarquer qu'une plainte du genre de celle dont il est ici question, ne peut arriver à la Chambre que par l'intermédiaire du gouvernement. C'est le gouvernement qui doit être et qui doit rester responsable d'une atteinte donnée à la dignité parlementaire.

Le procureur général s'est adressé au procureur du roi ; il s'est adressé à lui comme fonctionnaire blessé ou compromis par une allégation très sévère et très positive d'un membre de cette assemblée, et le magistrat saisi en a référé au gouvernement.

Le gouvernement a pris la défense de la dignité parlementaire. Celle-ci est sauve dans ces circonstances. Le magistrat qui a négligé de consulter son supérieur immédiat a reçu la désapprobaiion du gouvernement. Je crois que, sous tous les rapporls, la dignité de la Chambre comme la dignité du gouvernement trouvent leur satisfaction dans les mesures qui ont été prises.

Voilà, messieurs, l'explication très simple de ce fait. J'ignore si l'on aura à cette occasion quelque grief à articuler.

J'ai dit tout à l'heure que les appréciations très sévères de ll’honorable M. de Perceval étaient injustes ; que le magistiat qu'il avait désigné, pas plus que le gouvernement, ne pouvait être rendu responsable de ce qui avait été fait à l'égard de la personne détenue et en faveur de laquelle l'honorable M. de Perceval parlait. En effet, aux termes de notre loi sur la détention préventive, et j'ai eu occasion de le rappeler dans les explications que j'ai adressées par écrit à la Chambre sur une pétition d'individus de Furnes, qui, prétendaient-ils, avaient été détenus illégalement ; aux termes de notre loi sur la détention préventive, nul citoyen ne peut être détenu plus ou moins longtemps sans l'intervention et sans l'assentiment des tribunaux.

En aucun cas donc, ni procureur général, ni procureur du roi, ni ministre quelconque n'a le pouvoir de détenir arbitrairement un prévenu, ni de prolonger arbitrairement sa détention.

Or, messieurs, j'ai ici les documents judiciaires qui prouvent que dans les circonstances actuelles il n'en a pas été ainsi, et l'honorable M. de Perceval qui était au courant de tous les détails de cette affaire, et qui a cité dans son discours les trois documents judiciaires qui avaient prononcé l'acquittement de ce prévenu, aurait pu et il aurait dû, suivant moi, ne pas négliger de mentionner les quatre documents judiciaires qui, sur les différents recours de ce détenu, avaient toujours écarté la demande de mise en liberté provisoire, et avaient toujours maintenu la détention comme fondée sur des motifs graves et exceptionneis.

Je vais citer :

Voici, messieurs, les considérants d'un arrêt de la chambre des mises en accusation en date du 9 septembre 1854, qui rejette la demande de mise en liberté provisoire du sieurs Vander Elst. C'est de lui qu'il s'agit, on le sait assez.

Considérant de l'arrêt de la chambre des mises en accusation en date du 9 septembre 1854 qui rejette la demande de mise en liberté provisoire du sieur Van der Elst :

« Attendu qu'en présence des circonstances graves et exceptionnelles que révèle la procédure, c'est à bon droit que le tribunal s'est abstenu d'ordonner la mise en liberté de ces trois prévenus ; que les mêmes considérations doivent déterminer la cour à rejeter les demandes que lui ont adressées à cette fin Sanders, Fourdrin, Brunet de l'Argentière et Van der Elst. »

Considérant de l'ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, en date du 21 septembre 1854 qui rejette la demande de mise en liberté provisoire du sieur Van der Elst :

« Attendu que la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles a, par arrêt du 9 septembre 1854, repoussé une demandé de mise en liberté provisoire formée par l'inculpé Van der Elst, lorsque l'instruction était entièrement terminée, et qu'elle a fondé sa décision sur l'existence de circonstances graves et exceptionnelles ;

« Attendu que, depuis lors, il ne s'est produit aucun fait nouveau qui ait modifié le caractère de ces circonstances, et que la requête n'en mentionne pas... »

Considérant d'une nouvelle ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, en date du 30 septembre 1854, qui rejette une nouvelle demande de mise en liberté provisoire du sieur Van der Elst :

« Attendu que le requérant n'invoque aucun fait qui n'ait été connu de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles, lorsqu'elle a constaté, dans son arrêt du 9 septembre courant, l'existence de circonstances graves et exceptionnelles et statué sur la demande de mise en liberté formée par le requérant, sous la date du 8 septembre 1854. »

Considérants de l'arrêt de la chambre des appels de police correctionnelle, en date du 20 octobre 1854, qui rejette également la demande de mise en liberté provisoire du sieur Van der Elst ;

« Attendu que le jugement d'acquittement est une appréciation dont le mérite est déféré à l'examen de la cour par l'appel ; que cette appréciation, mise ainsi elle-même en question, ne saurait être un motif d'accorder la liberté provisoire déjà deux fois demandée par le prévenu et deux fois refusée.

« Attendu que d'après la nature, les caractères et circonstances graves et exceptionnels de l'affaire, il est utile et de l'intérêt de la chose de retenir sous la main de la justice l'inculpé prénommé. »

Voilà, messieurs, les résultats de l'intervention de la justice dans cette affaire en ce qui concerne la mise en liberté du sieur Vander Elst. C'est-à-dire qu'il s'est adressé à quatre juridictions différentes : la chambre du conseil, le tribunal correctionnel, la chambre des mises en accusation de la Cour et la chambre des appels de police correctionnelle de la même cour. Ces quatre corps judiciaires sont composés de magistrats différents et partout l'arrestation préventive a été maintenue. Je demande après cela s'il était possible d'écouter de sang-froid, il faut bien le reconnaître, l'honorable M. de Perceval soutenir qu'on était soi-même auteur d'une détention préventive indéfiniment prolongée. Cela est-il possible alors que le prévenu a le droit de recourir aux tribunaux devant toutes les juridictions pour obtenir sa liberté provisoire et que quatre corps judiciaires auxquels on s'est adressé ont constamment refusé de l'accorder pour des motifs qui sont avoués par la loi et qui forment une chose jugée, contre laquelle il n'est ni permis ni possible de s'élever même dans cette enceinte ?

Il est vrai, messieurs, qu'en définitive M. Vander Elst a été acquitté par le tribunal correctionnel et par la cour d'appel, mais il est vrai aussi que les quatre documents judiciaires que je viens de citer existent et rendent tout à fait sans grief la conduite du procureur général vis à-vis de la justice répressive et vis-à-vis de la loi que l'on prétendait violée.

Au surplus, si le gouvernement a cru devoir désapprouver le procureur-général, c'est au point de vue hiérarchique relativement à la conduite qu'il a tenue vis-à-vis du chef du département de la justice, en s'abstenant d'en référer à lui avant de poser un acte qui pouvait avoir certaines conséquences. Mais, messieurs, pour ce qui concerne l'intention du procureur général vis à-vis du parlement et des franchises mêmes du parlement, je le répète, il n'y a pas, selon moi, l'ombre d’un grief.

(page 503) M. de Mérode. - La liberté ne saurait subsister sans moralité, et jamais l'injustice ne sera libérale ; c'est pourquoi, messieurs, toute question où je vois oppression d'un côté, résistance à l'injustice de l'autre, est bientôt résolue pour moi. Un citoyen belge, revêtu d'une fonction digne de respect, et qui a fait ses preuves par les services qu'il rend à la société depuis longtemps, est faussement accusé dans cette Chambre d'un acte qui appellerait sur lui, s'il était vrai, l'animadversion publique. Ce fonctionnaire, qui a certes bien le droit de tenir à sa réputation, cherche les moyens de se défendre contre une inculpation calomnieuse émanée d'un représentant. Il juge à propos de porter sa plainte au procureur du roi, en signalant et le préjudice subi et la personne qui s'en est rendue coupable.

A-t-il tort au point de vue de l'équité ? Evidemment non ! Au point de vue du droit légal, pas davantage ; car l'article 44 de la Constitution place les membres de l'une et de l'autre Chambre à l'abri des poursuites ou recherches qui pourraient avoir lieu à l'occasion des opinions ou votes émis dans l'exercice des fonctions de sénateurs ou de représentants.

Mais la plainte contre eux n'est pas interdite. Le législateur leur assure une inviolabilité d'un certain ordre, mais non pas une inviolabilité absolue contre toute réclamation de la part des personnes qu'ils auraient injustement lésées. Dans la récente narration d'un voyageur, on voit qu'il existe au Darfour, pays barbare situé vers les sources du Nil, un sultan dont l’autorité est absolu et sans bornes ; qu’il dégrade, qu’il destitue, qu’il mette à mort, nul ne demande pourquoi ? Jamais d’opposition à ses ordres, quelque odieux qu’ils puissent être. On n’a que la permission de demander grâce et non celle de résister, ne fût-ce que par une parole.

Tel est le régime qu'on prétend appliquer aux magistrats du ministère public, et probablement à tous les fonctionnaires, lorsqu'ils sont ouvertement blessés dans leur existence morale par les coups dont il plaît à tel ou tel représentant de les frapper. La Chambre, dit-on, est au-dessus des ministres, parce qu'elle peut les mettre en accusation ; mais on n'ajoute pas que les ministres, s'ils étaient méchamment accusés par la Chambre, auraient droit de se justifier devant la cour de cassation et de réduire au néant l'omnipotence accusatrice parlementaire. Grâce à Dieu ! notre Constitution belge n'admet l'omnipotence nulle part, et il importe de l'exclure constamment partout où elle voudrait se montrer.

M. de Bavay, disait M. Verhaegen, s'est livré à un audacieux oubli de la dignité de la Chambre et de ses prérogatives constitutionnelles ; il a commis un acte d'audacieuse insubordination. Quant à moi, messieurs, jusqu'à ce que les citoyens belges soient condamnés à supporter en silence les injures que se permettront envers eux les potentats parlementaires, je ne croirai pas qu'ils soient réduits à se courber devant ceux ci comme les très humbles sujets du sultan du Darfour devant leur suprême seigneur et maître, qui ne leur permet pas même la parole plaintive ; et j’admettrai, sans réserve, que les fonctionnaires de l’ordre civil, militaire, judiciaire, conserveront leur droit de plaignant, tel qu’en a usé M. de Bavay en s’adressant à M. le procureur du roi, par sa requête en date du 24 novembre, et dont voici le texte que je l’ai prié de me communiquer :

« Bruxelles, le 24 novembre 1854.

« Monsieur le procureur du roi,

« J'ai l'honneur de vous adresser le n°326 du Moniteur belge, portant la date du 22 novembre 1854. Ce numéro contient la séance de la Chambre des représentants du 21 décembre, et il renferme, à mon adresse, les paroles suivantes de M. de Perceval :

« Que se passe-t-il au département de la justice ? On y laisse méconnaître la loi sur la détention préventive ; lorsque des officiers du parquet le trouvent bon, cette loi est considérée, comme une lettre morte.

« Ne l'a-t-on pas méconnue jusqu'au point de maintenir en arrestation préventive des citoyens poursuivis pour un délit dont le maximum de la peine s'élevait à six mois ? et ainsi l'une des personnes poursuivies a subi un emprisonnement de trois mois, bien qu'elle ait été mise hors de cause par la chambre du conseil, acquittée par le tribunal correctionnel ensuite, et enfin par la cour d'appel.

« Preuve irrécusable qu'il n'y avait absolument rien à sa charge et qu'on n'a pu avoir aucun motif grave pour l'emprisonner préventivement.

« Le même procureur général, auteur de cette détention préventive illégale n'a-t-il pas tout récemment, lors de la rentrée de la cour d'appel, attaqué nos libertés constitutionnelles, etc. »

« Quoique je n'aie jamais, depuis vingt-cinq ans, provoqué de poursuites au sujet des attaques nombreuses dont j'ai été l'objet, il m'est impossible de ne pas vous dénoncer, comme plaignant, l'accusation qu'un membre de la représentation nationale a formulée contre moi, en séance publique, en me représentant commet l'auteur d'une détention préventive illégale qui aurait duré plusieurs mois.

« Ce fait, s'il était vrai, m'exposerait bien certainement au mépris et à la haine de mes concitoyens. Il m'exposerait même, en vertu des articles 541 et 542 du Code pénal, à la peine des travaux forcés à perpétuité.

« S'il est faux, au contraire, son imputation, en séance publique de ia Chambre, constitue évidemment une calomnie aux termes de l'article 367 du même Code.

« M. de Perceval, qui a concouru d'une manière si active à la loi du 18 février 1852, et qui appartenait même, pour l'examen de cette loi, à la section centrale de la Chambre des représentants, doit pourtant savoir, mieux que personne, que le procureur général n'a aucune qualité pour mettre ou retenir des prévenus en état d'arrestation ; qu'il ne peut donc jamais, sans violer toutes nos lois, être personnellement « l'auteur d'une détention préventive illégale. » M. de Perceval, qui faisait évidemment allusion à l'affaire Vander Elst et consorts jugée récemment par la cour d'appel de Bruxelles, doit également savoir qu'en matière correctionnelle et aux termes de cette même loi du 18 février 1852 à laquelle il a concouru, les prévenus ont toujours la faculté de demander leur mise en liberté provisoire à la chambre du conseil, à la chambre des mises en accusation et même à la chambre correctionnelle, saisie de la connaissance du délit.

« J'ajouterai qu'en présence de tous les détails fournis par le député de Malines au sujet de la procédure suivie à l'égard de Vander Elst, il est assez difficile de croire que M. de Perceval aurait ignoré :

« 1° Que Vander Elst et ses coprévenus ont demandé leur mise en liberté provisoire à la chambre des mises en accusation, et que cette demande a été rejelée par un arrêt du 9 septembre ;

« 2° Que Vander Elst a reproduit la même demande devant le tribunal correctionnel qui était appelé à le juger et qu'elle a été repoussée une seconde fois par une ordonnance du 21 septembre.

« 3° Qu'une ordonnance du 30 septembre a rejeté une troisième demande formée par Vander Elst à l'effet d'être mis provisoirement en liberté.

« 4° Qu'après son acquittement devant le premier juge, il a demandé pour la quatrième fois sa mise en liberté provisoire à la chambre correctionnelle de la cour, et que la cour a rejeté cette quatrième demande par un arrêt du 20 octobre, en se fondant sur ce que « d'après la nature, les caractèns et les circonstances graves et exceptionnelles de l'affaire, il était utile et de l'intérêt de la cause de relenir sous la main de la justice l'inculpé prénommé ».

« 5° Que les autres prévenus, dont l'arrestation avait été maintenue par l'arrêt du 9 septembre, n'ont plus réclamé depuis cette époque leur mise en liberté provisoire.

« Ces faits notoires et authentiques justifient (c'est-à-dire la rendent juste) la plainte que j'ai l'honneur de vous adresser et à laquelle je vous prie de vouloir bien donner une suite immédiate. »

Dans la pièce que je viens de lire, que voit-on ? Non, certes, le besoin de rejeter une accusation fondée sur d'autres magistrats qui ont agi légalement et justement selon les nécessités de la cause, en maintenant la détention préventive de Vander Elst, comme le prouve l'arrêt définitif qui décharge celui-ci faute « de preuves de culpabilité assez complètes ». Mais la justification claire et précise de M. de Bavay. Ce ne sont pas des mots lancés au hasard et sans preuve, comme les paroles de M. de Perceval, c'est une démonstration sans réplique de la non-culpabilité du plaignant ; il demande qu'une suite immédiate soit donnée à sa requête, mais en quoi doit consister cette suite, il ne l'explique pas, il en laisse l'appréciation et le choix au chef du parquet dont il invoque l'intervention et en supposant que cette suite ne puisse jamais être d'ordre légal, - ce qui n'est pas démontré à tous les yeux en ce qui concerne les calomnies notoires qui ne sont ni des opinions, ni des votes, - elle devrait être au moins d'ordre moral, comme par exemple, communication de la plainte adressée au président de la Chambre qui lui-même la transmettrait verbalement aux membres réunis en séance publique, pour que le pays jugeât mieux l'inconvenance et la légèreté de l'inculpation. Ou parle de dignité de la Chambre ; mais notre dignité à nous n'est pas encore une fois celle du sultan du Darfour qui interdit toute réclamation, et qu'on voudrait ridiculement nous attribuer. Tout le monde en Belgique ne peut pas siéger dans cette enceinte et renverser une fausseté qu'on y introduit. Ceci n'est à la portée que des personnes qui siègent dans cette enceinte.

Quant aux autres Belges, ils ne sont cependant point des parias, et lorsque M. le procureur du roi a reçu la juste plainte de M. de Bavay, il en a fait part au pouvoir auquel incombait un autre devoir que de donner l'ordre de la mettre au néant, manière commode de jeter au panier les pièces qui gênent la quiétude. Ce devoir était de faire connaître à l'offensé, par la voie même dont il s'était servi, que pleine satisfaction morale et légilime lui serait donnée dans la Chambre des représentants par le ministre de la justice, muni du droit d'y parler aussi ; en effet, lorsque le ministre fut blâmé vivement dans le même débat parlementaire à propos de l'expulsion d'un réfugié politique, il ne demeura pas muet, il soutint énergiquemenl sa propre cause. Or, il lui était et il est bien plus facile de démontrer la parfaite innocence de M. le procureur général de Bavay.

Une autre allégation fausse figurait en outre contre celui-ci dans l'accusation de M. de Perceval, et si M. de Bavay ne s'en est point ému, c'est qu'elle n'affirmait point à sa charge un acte, punissable d'après l'article 541 du Code pénal, des travaux forcés à perpétuité ; mais qualifiait un discours qu'on est toujours libre de juger mal si l'on n'a pas pris la peine de le comprendre et de l'apprécier.

« Le même procureur général, disait M. de Perceval pour bien désigner M. de Bavay (auteur prétendu d'une détention préventive illégale qui aurait duré plus de trois mois), le même procureur général n’a-t-il pas tout récemment, lors de la rentrée de la cour d'appel, attaque nos libertés constitutionnelles ? »

Eh bien, je me charge ici, messieurs, pour l'honorable magistrat de (page 504) la réponse à la question, ainsi formulée d'une manière affirmative, et je déclare par une contre affirmation que M. le procureur général n'a point, lors de la rentrée de la cour d'appel, attaqué nos libertés constitutionnelles.

Il a parlé au contraire dans un sens très libéral et parfaitement constitutionnel en faveur des victimes de la presse à l'état barbare, à l'état de brigandage, à l'état de persécution et d'odieuse tyrannie. Il a montré que sans toucher le moins du monde à la liberté de la publicité telle qu'elle doit exister dans un pays libéralement gouverné, il y avait de très simples mesures législatives à prendre pour ôter à la presse sauvage une part notable de ses garanties exceptionnelles funestes à la civilisation.

L'autorité royale, messieurs, devint très populaire en Europe à l'époque où elle parvint à empêcher certains éperviers féodaux de plumer les passants.

En Belgique, l'autorité législative deviendra très populaire aussi, quoi qu'on dise, quand elle saisira toutes les occasions convenables d’empêcher d'autres vautours armés de griffes noircies d'encre, retranchés derrière d'absurdes privilèges, de se livrer presque sans gêne à leurs méfaits. Les vols des réputations ne sont pas plus dignes de ménagements que tous autres vols matériels que punissent les lois, et remettre cette classe de crimes ou délits dans le droit commun, ce serait, non pas amoindrir les libertés constitutionnelles, mais les consolider.

Quand on construisit primitivement les châteaux forts, c'était dans un but louable, pour se défendre contre les incursions des Sarrasins ou des Normands ; mais lorsqu'ils servirent à un autre usage, on se félicita de les voir mis hors d'état de nuire.

En 1830 se répandit une sorte de confiance illimitée à l'égard de la presse. Nous savons maintenant ce que valent les confiances aveugles, et que tout puissant moyen d'action, capable de nuire, a besoin d'être contenu.

M. de Bavay, par son discours à la cour d'appel, a donc bien mérité des honnêtes gens en signalant avec un zèle dévoué quelques remèdes légaux et d'application facile contre d'indignes abus.

Je me plais à lui rendre cet hommage, et je ne redoute qu'une chose, C'est que la crainte qu'inspirent aux gouvernants, Chambres comprises, les flibustiers de la presse, ne nous prive longtemps encore des mesures tutélaires très équitables, indiquées avec une excellente, libérale et constitutionnelle logique, en faveur des tourmentés contre les tortures, par M. le procureur général de Bavay.

Nous ne saurions trop encourager, messieurs, les magistrats du ministère public, dans l'exercice de leurs pénibles travaux. Leur tâche est ardue et difficile à remplir, car par leur intervention dans le jugement des causes, ils sont obligés non seulement de se faire une opinion juste par une sérieuse étude, mais encore de porter la parole pour éclairer les tribunaux et de lutter contre les membres les plus habiles du barreau du pays tout entier et quelquefois des pays voisins ; loin donc de les traiter légèrement et comme taillables à merci et miséricorde parce qu'ils sont amovibles, je les considère, en raison même de leur mission dépourvue du haut privilège dont jouissent les autres magistrats, comme d'autant plus dignes d'égards et de reconnaissance pour les services qu'ils rendent à la société, quand ils prennent vivement à cœur ses intérêts et se livrent à d'honorables recherches afin de préserver les citoyens paisibles des atteintes de la méchanceté.

M de Perceval, jeune encore, défaut que je ne possède plus, s'est trop légèrement abandonné à des impressions premières qu'il aura faussement regardées comme généreuses.

Maintenant il se montrerait libéral véritable en rendant avec moi justice au magistrat digne d'éloges pour un discours plein de sages observations pratiques des plus utiles et des meilleures qui puissent être aujourd'hui prononcés.

Messieurs, j'ajoute encore quelques mots à l'appui de ce que je viens de dire. Avant 1789, il existait dans l'ancien comté de Bourgogne, avec lequel nous avons été longtemps unis sous les ducs de ce nom, et sous la domination espagnole, certaines seigneuries où les prérogatives féodales étaient tellement larges... pour le seigneur, bien entendu, qu'un baron du pays disait : « ils sont si beaux, mes droits, que ces coquins-là (parlant de ses paysans) n'y peuvent pas tenir. » Peu de temps après, les beaux droits disparurent aux applaudissements de ceux qui devaient les subir. Prenons garde que les privilèges parlementaires ou ceux de la presse n'éprouvent le même sort par leur excès. La liberté, c'est l'honnêteté, c'est la moralité, c'est l'équité, et trop souvent on en fait une orgie ; comme je l'aime infiniment, et que je voudrais la voir durer toujours, je ne manquerai jamais de combattre les intempérances qui la dégradent. Et de ce devoir libéral, je m'acquitte aujourd'hui de nouveau sans crainte quelconque de tout ce qu'on voudra m'opposer.

M. de Perceval (pour un fait personnel). - Messieurs, la Chambre comprendra que je dois une réponse à l'honorable ministre de la justice, car il m'est impossible de rester sous le poids du reproche qu'il m'a adressé d'avoir calomnié un fonctionnaire.

En vertu du droit que me confère l'article 44 de la Coustitution, j'ai analysé, lors de la discussion de l'adresse, la conduite de l'honorable M. Faider, comme chef du département de la justice. J'ai dit (et j'ai cru que j'étais en droit de le dire, puisant ma conviction dans ma conscience) j'ai dit que la loi sur la détention préventive était considérée par la magistrature amovible comme une lettre morte. Le discours prononcé par l'honorable ministre, discours qui tend à justifier la conduite du procureur général, n'a nullement modifié mon opinion.

Je vais examiner les faits. Je laisserai de côté les phrases et les périphrases, je ne parlerai pas davantage, ainsi que l'honorable M. de Mérode vient de le faire, de ce pacha ou de ce sultan des bords du Nil. La question qui nous occupe a droit de provoquer toute l'attention de la législature ; je me garderai bien d'y mêler des boutades plus ou moins spirituelles, incompatibles avec la dignité du parlement.

Un citoyen honorable, un homme jouissant de l'estime publique, a subi un emprisonnement préventif de 85 jours, et pendant ces 85 jours de prison, il s'est vu acquitté trois fois. Premièrement la chambre du conseil le met hors de cause ; preuve qu'il n'y avait absolument rien à sa charge, car combien de prévenus, mis en cause par la chambre du conseil, sont ensuite acquittés par le tribunal correctionnel ?

Le parquet accepte-t-il cette première décision de la magistrature inamovible, en rendant tout au moins le prévenu à la liberté ? Nullement ; il va en appel, et malgré les réclamations du prévenu, il le maintient en état d'arrestation ? Qui va en appel ? Qui s'oppose à la mise en liberté de l'intéressé ? Qui ne se contente pas de la décision de la chambre du conseil ? N'est-ce pas le procureur général, le subordonné de M. le ministre de la justice, responsable de l'exécution des lois votées par la législature ?

Probablement que ce procureur général va produire ces charges graves, ces circonstances exceptionnelles qui réclament la détention préventive d'un citoyen, charges et circonstances qu'il avait omis de faire connaître au premier juge.

Mais non ; le tribunal correctionnel, saisi de l'affaire, acquitte le prévenu. Nouvel appel et nouvelle opposition à la mise en liberté, toujours sous prétexte de charges graves et de circonstances exceptionnelles. Enfin l'affaire arrive devant le dernier degré de juridictionnel, pour la troisième fois, le prévenu est mis hors de cause. Et ainsi, d'acquittements en acquittements, nous arrivons à ce résultat déplorable, qu'un citoyen belge, proclamé trois fois innocent, a subi néanmoins un emprisonnement de 85 jours !

Voilà les faits ; et, je vous le demande, auraient-ils pu se produire, si le procureur général dont il s'agit n'avait considéré comme une lettre morte la nouvelle loi sur la détention préventive que nous avons faite pour détruire les abus du pouvoir, et protéger efficacement la liberté de nos concitoyens ?

Dans la séance du 23 juin 1851, l'honorable M. Tesch, alors ministre de la justice, saisissant la Chambre d'un projet de loi modificatif de la loi sur la détention préventive, s'exprimait ainsi :

« Aujourd'hui, un pouvoir à peu près discrétionnaire est accordé au juge d'instruction en ce qui concerne la détention préventive...

« Le gouvernement pense qu'il est possible de mieux concilier les garanties de la liberté individuelle avec celles que réclament les nécessités de l'instruction judiciaire...

« Au point de vue purement philosophique, la détention préventive ne peut pas être justifiée. Si tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été reconnu coupable, il n'est pas permis de priver de sa liberté celui contre lequel il n'existe encore que de simples préventions et de lui appliquer une mesure qui, au fond, ne diffère pas de celle à laquelle il serait soumis si sa culpabilité était déclarée.

« Mais à côté du principe abstrait vient se placer un impérieux besoin social. Il est indispensable que la société ail à sa disposition les moyens d'arriver à la découverte des délits qui compromettent son existence ; il faut qu'elle puisse empêcher les individus signalés comme auteurs d'un méfait de se soustraire par la fuite à l'application éventuelle de la peine.

« Ces nécessités doivent donc être la juste mesure du sacrifice momentané de la liberté.

« On peut poser, pour premier principe, que l'arrestation provisoire doit être interdite lorsque le fait, objet de l'inculpation, ne sera punissable que d'une peine pécuniaire.

» On distinguera ensuite entre les délits proprement dits, entraînant la peine d'emprisonnement, et les crimes.

« En cas de poursuites correctionnelles, la liberté de l'inculpé doit être la règle ; l'état de détention préventive ne peut être que l'exception, exception que devront justifier des circonstances graves... »

Ainsi s'est expliqué tout d'abord M. le ministre de la justice en nous apportant le projet de loi.

Voulez-vous à présent connaître l'accueil fait par la Chambre aux pensées si libérales que je viens de vous rappeler ? Voulez-vous connaître l'esprit de la législature qui a transformé le projet en loi ?

Parcourez les Annales parlementaires ; voyez entre autres les discours prononcés par MM. de Decker, Orts, Delchaye, Lelièvre, et par M. le ministre, auteur du projet de loi. Vous acquerrez la preuve qu'on n'a voulu d'exception à la liberté que pour des cas excessivement graves, c'est-à-dire, où la culpabilité du prévenu ne pouvait donner lieu à aucun doute.

Non content de la pensée si nettement exprimée dans l'exposé des motifs, ainsi que des commentaires qui avaient été faits pendant la discussion des articles, le ministre de la justice crut devoir s'adresser (page 505) spécialement aux procureurs généraux chargés de l'exécution de la loi, à l'effet de leur dicter les principes qui devaient les guider dans l'exercice de leurs fonctions.

Cette circulaire porte la date du 21 février 1852 ; permettez-moi, messieurs, de vous en rappeler quelques passages :

« A MM. les procureurs généraux près les cours d'appel, les procureurs du roi près les tribunaux de première instance et les juges d'instruction.

« La loi du 18 février 1852 a introduit d'importantes modifications dans le système du code d'instruction criminelle sur la détention préventive.

« Le législateur a voulu concilier, autant que possible, les garanties de la liberté individuelle avec celles que réclament les nécessités de l'instruction judiciaire ; et le gouvernement désire que la loi nouvelle reçoive, dans la pratique, l'application la plus large et la plus sérieuse.

« A cet effet, les principes suivants guideront les magistrats instructeurs :

« A. Lorsqu'il s'agira d'un fait donnant lieu à un emprisonnement correctionnel, le juge d'instruction ne convertira le mandat de comparution ou d'amener, en mandat de dépôt (article premier), que dans les deux cas suivants :

« 1° Si l'inculpé n'est pas domicilié, c'est-à-dire lorsqu'il y aura lieu de craindre qu'en se soustrayant à l'action investigatrice de la justice, il n'enlève à la société les moyens de réprimer le délit.

« 2° Si des circonstances graves et exceptionnelles se présentent dans la cause. La liberté est désormais la règle pour tous les faits qui entrainent une peine correctionnelle...

« Le gouvernement tiendra la main à ce que la mention qu'il existe dans la cause des circonstances graves et exceptionnelles, ne devienne pas de style pour les mandats de dépôt décernés en cette matière. »

Eh bien, messieurs, lorsque je mets la manière dont la loi est exécutée par la magistrature en présence des commentaires que je viens de rappeler, il est clair pour moi que la loi sur la détention préventive est à peu près considérée comme non-advenue dans la pratique. Ce n'est pas l'esprit du législateur qui préside à l'application de cette loi, c'est plutôt le bon ou le mauvais vouloir des parquets. Je ne suis pas embarrassé pour vous en fournir la preuve. Presque chaque jour nous trouvons dans les journaux de province le récit de citoyens emprisonnés préventivement, puis relâchés comme innocents. Je vous rappellerai notamment des faits tout récents qui se sont passés à Mons, à Thuin, à Namur, etc. Vous en connaissez les circonstances ; aussi je me dispense d'entrer dans les détails.

C'est en voyant la loi sur la détention préventive si ouvertement méconnue, que j'ai cru devoir qualifier la conduite tenue par un procureur général dans l'affaire dont j'ai parlé en commençant.

Sans doute, il faut du respect pour la magistrature, et ce n'est pas moi qui y porterai atteinte ; mais il faut, tout d'abord, de la part des magistrats respect à la volonté du législateur.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Il m'est impossible de laisser sans réponse les hérésies judiciaires, je dirai même parlementaires que vient de commettre l'honorable M. de Perceval.

L'honorable membre doit défendre la prérogative parlementaire, mais il doit s'y renfermer ; il ne doit pas empiéter sur les pouvoirs constitutionnels, fonctionnant dana une autre sphère et chargés d'autres attributions. La magistrature a été envahie par l’honorable membre. Je dois le rappeler à l'exercice de ses fonctions et l'engager à ne pas exercer celles des tribunaux et des cours d'appel.

Voici en définitive ce qu'a dit l'honorable M. de Perceval : Vander Elst a été mis hors de cause par une ordonnance de la chambre du conseil ; le procureur général ou plutôt le procureur du roi a formé opposition, aux termes de la loi, à la décision de la chambre du conseil ; il a déféré à la chambre des mises en accusation l’ordonnance de non-lieu de cette chambre du conseil ; l'ordonnance a été mise au néant par un arrêt motivé.

Voilà ce que critique M. de Perceval. Il me semble que pour critiquer la conduite soit du procureur du roi soit du procureur général, il aurait dû rencontrer au moins cette circonstance que le recours vers une juridiction supérieure n'a pas réussi.

Or, c'est le contraire qui existe ; il y a chose jugée, inattaquable en paroles comme en action, que le recours déféré à la chambre des mises en accusation était juste, puisque l'ordonnance dénoncée a été mise au néant. Critiquer une pareille décision dans le sein du parlement, c'est jeter la confusion dans les choses judiciaires et dans les choses politiques. Il faut que chacun se renferme dans ses attributions. Je déclare que M. de Perceval vient d'augmenter ses torts ; je déclare qu'il a eu tort le 21 novembre dernier, comme il a eu tort aujourd'hui, de dire que le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles avait arbitrairement prolongé une détention préventive, quand il s'appuie sur un acte judiciaire, sur un recours qui a été ratifié, approuvé par un arrêt de la cour d'appel.

La détention préventive, veuillez ne pas le perdre de vue, a été ratifiée par quatre décisions émanées de quatre juges différents. Cette circonstance est remarquable. L'honorable membre n'y a pas réfléchi suffisamment. Notez que pour le cas spécial dont il se plaint, Vander Elst a usé et joui de toutes les garanties spéciales, que, pour le cas de détention préventive, la loi nouvelle a organisées dans l'intérêt des citoyens, c'est-à-dire que le recours a eu lieu devant toutes les juridictions et que partout ce recours a échoué. Est-ce le procureur général qui est responsable de cette appréciation faite par quinze ou seize magistrats différents ?

L'honorable M. de Perceval vient de vous lire les motifs de la loi sur la détention préventive et la circulaire qui a suivi la publication de cette loi. Les principes de cette loi et de cette circulaire sont encore en vigueur, et une enquête toute récente sur l'exécution de la loi m'autorise à déclarer que les abus, s'il y en a, sont très rares, que l'exécution de cette loi se fait suivant son esprit comme suivant son texte. Mais y a des cas où des circonstances graves et exceptionnelles sont constatées. Il a fallu, dans l'affaire qui nous occupe, oublier les documents judiciaires que je viens de rappeler pour argumenter de la loi et dire qu'il ne peut y avoir de détention préventive que quand il y avait des circonstances graves et exceptionnelles. Je venais de démontrer que ces circonstances graves et exceptionnelles avaient été reconnues, constatées.

Il ne faut pas croire que si des abus peuvent se commettre à l'égard des citoyens par une détention plus ou moins injuste, il ne peut pas s'en commettre dans un sens inverse ; qu'on ne puisse pas, par exemple, abuser de la loi et relâchant les prévenus, en s'abstenant de décerner ou de confirmer les mandats de dépôt dans certaines circonstances. Vous en trouverez la preuve dans un passage d'un discours du bourgmestre de Bruxelles, où il se plaint des abus au droit de mettre des prévenus en liberté, et exprime le désir qu'on exerce le recours à une autorité supérieure pour faire cesser ces abus.

L'honorable bourgmestre de Bruxelles s'exprimait ainsi :

« Depuis le 1er mars jusqu'au 4 octobre 1852, 7 individus qui avaient été arrêtés pour vol et relâchés par le juge d'instruction après interrogatoire ont été arrêtés, soit le même jour, soit peu après pour de nouveaux vols. Un huitième, qui était prévenu de deux vols, a été repris pour deux autres vols le lendemain. Deux individus condamnés pour vol ont été prévenus de nouveaux vols avant de subir leur peine ; enfin, une femme, qui n'en était pas à ses débuts, fut condamnée le 12 août dernier pour vol, prévenue de récidive le surlendemain 14 et arrêtée une troisième fois le 24. »

Voilà des faits qui constituent véritablement des abus, au point de vue de la répression. Qu'a fait le procureur général ? Il a donné des instructions pour qu'on s'adresse, dans certains cas où le mandat de dépôt ne serait pas maintenu par la chambre du conseil, à la chambre des mises en accusation. Trois recours ont eu lieu de ce chef à la chambre des mises en accusation. Je tiens en main copie de trois arrêts de cette cour, qui confirment tous ces recours, en décidant que la détention sera maintenue.

Voilà comment, quand on n'est pas dans les affaires, quand on n'a pas confiance dans les hommes éclairés qui sont appelés à s'en occuper, on commet des erreurs, on fait des appréciations incomplètes ; voilà comment on cite des abus qui ont pu être commis dans un sens, abus que je conteste dans la circonstance, et l'on néglige de s'occuper d'autres abus dans des cas qui exigent une sévérité bien justifiée (je me sers des termes de la loi) par des circonstances graves et exceptionnelles.

Je crois en avoir dit assez pour répondre à l'honorable M. de Perceval, qui a commis une confusion de pouvoirs et n'a pas traité les magistrats avec le respect qu'ils méritent.

M. de Perceval. - J'ai protesté de mon respect pour la magistrature.

M. Verhaegen. - Je partage l'avis de M. le ministre de la justice quant à l'indépendance des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire est certes aussi indépendant que le pouvoir législatif, et jamais il ne peut nous appartenir d'y porter la moindre atteinte. C'a été mon opinion de tout temps, et j'ai toujours cherché, lorsque l'occasion s'en est présentée, à la faire prévaloir.

Je remercie le gouvernement des explications qu'il nous a données par l'organe de M. le ministre de la justice ; si je les ai bien comprises, elles me paraissent satisfaisantes ; car, d'une part, le gouvernement a ordonné que la plainte de M. de Bavay fût considérée comme non-advenue ; et, d'autre part, après en avoir délibéré en conseil, il a envoyé à M. de Bavay une lettre de désapprobation, ce qui veut dire que M. de Bavay, procureur-général à la cour de Bruxelles, a été averti d'être plus circonspect à l'avenir.

C'est là la mesure administrative à laquelle je faisais allusion dans mon premier discours. Pour moi, je ne puis demander davantage. C'est une satisfaction complète pour le parlement quant à la conduite qu'a tenue le procureur général à la cour de Bruxelles.

Mais un discours a été prononcé par l'honorable comte de Mérode et il ne peut rester sans réponse. L'honorable comte de Mérode a jugé à propos de parler des services éminents rendus à la société par le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles, et il a ajouté que ce magistrat en raison de ces services avait des droits à la reconnaissance publique. Et comme antithèse, sans s'inquiéter de la forme, il a accusé un de nos collègues qu'il a dit être jeune encore, de calomnie, lui, M. de Mérode, qui a vieilli dans la carrière. Ses paroles certainement ont passé inaperçues car elles ne sont pas parlementaires. Elles (page 506) sont contraires au règlement et pouvaient donner lieu à un rappel à l’ordre.

M. le président. - M. de Mérode a qualifié, comme il a cru devoir le faire, l'imputation de M. de Perceval, mais il n'a dit ni donné a entendre que M. de Perceval aurait eu l'intention de calomnier.

M. Verhaegen. - Je n'insiste pas, c'est une observation qu'il m'était sans doute permis de faire en réponse à l'honorable M. de Mérode.

Messieurs, je ne suis pas étonné que des fonctionnaires qui cherchent toutes les occasions favorables pour battre en brèche les libertés que nous assure notre Constitution et pour attaquer ce que le pays a de plus cher, trouvent de l'écho dans ceux qui saisissent aussi toutes les occasions pour discréditer le régime parlementaire et s'attaquer à ce qu'ils appellent des potentats parlementaires. Il n'y a pas ici de potentats, il y a des représentants qui exercent une partie de la souveraineté nationale et qui à ce titre méritent votre respect.

On a voulu placer bien haut dans l'opinion publique le fonctionnaire qu'on a défendu avec tant de chaleur. Je ne l'avais pas attaqué, moi, et je me serais contenté de la désapprobation dont il a été l'objet, si le discours de l'honorable M. de Mérode ne me forçait à rompre le silence.

Eh bien, il faut le dire, ce n'est pas un fait isolé que nous avons à reprocher à ce fonctionnaire, c'est un système qui consiste à attaquer, chaque fois que l'occasion s'en présente, nos libertés les plus précieuses. Je mets de côté le fait qui a donné lieu au débat. J'admets, je le déclare franchement, ouvertement, que M. le procureur général n'est pas responsable du fait auquel il a été fait allusion dans le discours de l'honorable M. de Perceval. Mais il ne résulte pas de là qu'il ait pu porter atteinte à la liberté de la tribune, à la dignité parlementaire

Deux mots suffisaient pour édifier le publie sur l'incident et tout était terminé ; mais non ! il fallait faire du bruit et saisir l'occasion de s'attaquer à l'une de vos libertés les plus précieuses. C'était le rôle qui convenait à M. de Bavay.

Messieurs, il ne s'agit pas d'un fait isolé, mais bien d'un système d'attaques organisé depuis plusieurs années, et que l'on voit se développer successivement.

L'honorable comte de Mérode vous a parlé d'un des derniers discours prononcés en audience solennelle de la cour d'appel par M. le procureur général, mais il y a plus d'un discours qui mérite de fixer notre attention ; je demanderai entre autres, à l'honorable membre et à ses amis, ce qu'ils pensent de ce discours où, il y a quelques années, M. de Bavay s'efforçait de soutenir la constitutionnaiité des appels comme d'abus, je lui demanderai surtout son opinion sur cet autre discours dans lequel le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles s'est permis d'attaquer la mémoire d'Agneessens, de ce citoyen si cher à la patrie et auquel la reconnaissance publique a naguères élevé un monument. M. de Mérode, si je ne me trompe, était un des plus forts souscripteurs.

Il est vrai ueu l'année suivante, M. le procureur général, comme s'il avait voulu faire oublier les torts qu’on lui avait reprochés à justetlitre, est venu défendre la mémoire du comte d’Egmont, mais on ne trouve dans son discours pas un mot de blâme pour les juges inquisiteurs qui l'ont condamné et pour les bourreaux qui l'ont traîné à l'echafaud. Ce qui a fait dire à quelques-uns que mort, il l'a défendu et que vivant, il aurait fait des efforts pour le faire condamner ; c'est ce qui ressort du discours.

Enfin tout récemment, M. le procureur généial n'est-il pas venu encore, dans un discours d'apparat, attaquer ou du moins chercher à entraver la liberté de la presse ? Oh ! je le sais bien, pour l'honorable comte de Mérode qui veut museler la presse, comme il l'avoue très naïvement, cette conduite de M. de Bavay, loin de mériter un blâme, mérite des éloges.

Voilà pour les discours ; mais indépendamment des discours, nous avons à citer des actes, et spécialement des actes qui sont de la même catégorie de ceux qui font l'objet de l'incident actuel. En 1847, M. le procureur général attaqua la liberté communale comme il attaque aujourd'hui la liberté de la tribune, il traduisit devant la cour d'assises du Brabaut les membres du conseil communal de Couture-St-Germain, et pourquoi ? Parce que ces messieurs avaient eu le courage de défendre les intérêts de la commune, en d'autres termes les franchises communales ; le résultat de cette poursuite que M. de Bavay vint soutenir lui-même en personne fut un acquittement prononcé aux applaudissements d'un public nombreux, une véritable ovation pour les accusés ; mais en attendant les accusés avaient subi dix semaines de détention préventive !

Et, ce qui est digne de remarque, c'est que cette poursuite exorbitante avait été entamée par M. de Bavay, à l’insu du ministère d'alors, et que celui-ci ne parvint même pas à l'arrêter lorsqu'il en eut connaissance, car M. le procureur général s’est cru jusqu'à présent indépendant du pouvoir, dont il n'est cependant qu'un des agents.

Le ministère actuel vient de le détromper à cet égard et je l'en félicite. Le dépôt aux actes de la plainte de M. de Bavay et la lettre de désapprobation délibérée en conseil des ministres, se résument en un avertissement d'être plus circonspect à l'avenir, et, quant à moi, je me contente de cette mesure administralive, d'autant plus que, par suite de l'imputation évidemment erronée de l'honorable M. de Perceval, il se rencontrait en faveur de M. de Bavay des circonstances atténuantes quant au fait qui fait l'objet| de l'incident quelque blâmable qu'il soit en lui-même.

M. Dumortier. - Messieurs, l'objet primitif de cette discussion me paraît quelque peu perdu de vue par les discours que vous venez d'entendre.

En prenant la parole, le premier des membres qui siègent sur les bancs de la droite dans cette enceinte, je n'entends pas accepter la responsabilité des opinions émises par mon honorable ami, le comte de Mérode, quant à ce qu'il a appelé les potentats parlementaires ou l'omnipotence parlementaire, en un mot, quant à toutes les considérations qu'il a produites sur ce point. J'entends au contraire conserver intactes, autant que nous le pouvons, les prérogatives que nous a léguées le congrès national.

M. de Mérode. - Moi aussi.

M. Dumortier. - Car c'est dans ces prérogatives que le parlement anglais a toujours trouvé sa force et que le parlement belge trouvera toujours la sienne. Je ne reconnais ici ni potentats ni omnipotence ; mais je reconnais la prérogative parlementaire dans son entier, telle qu'elle existe, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher.

C'est vous dire assez que je n'approuve pas non plus l'interprétation que mon honorable ami donne à l'article 44 de la Constitution, lorsqu'il y voit la possibilité du dépôt d'une plainte contre un membre de cette Chambre, au sujet des opinions émises par lui dans cette enceinte, et que je n'admets pas non plus l'interprétation de M. le ministre de la justice, lorsqu'il vient nous dire qu'il pouvait y avoir des doutes sur l'article 44 de la Constitution.

Mais en posant ces principes sur lesquels je reviendrai tout à l'heure, je ne puis non plus approuver qu'une parole offensante pour l'honneur d'un citoyen ait été prononcée, lorsque le fait énoncé était inexact.

Je reconnais avec l'honorable préopinant qu'il est de toute évidence que le grief reproché à M. le procureur général de Bavay n'était point fondé ; je reconnais avec lui qu'une poursuite judiciaire ne pouvait point être intentée ; mais aussi, messieurs, vous conviendrez avec moi que lorsqu'un magistrat haut placé dans l'ordre judiciaire, et qui a rendu des services signalés à la chose publique dans les temps difficiles, est l'objet d'une attaque aussi vive et aussi peu méritée, qui à ses yeux revêt le caractère de la calomnie ; vous conviendrez avec moi que sa susceptibilité a été justement éveillée alors que son chef, le ministre de la justice, laissait passer tout cela sous silence et n'avait pas un mot, pas un seul mot pour redresser l'erreur qui venait d'être commise, et que ce silence du ministre est ici la justification de sa conduite.

Dans l'exercice de la prérogative parlementaire, tous, messieurs, nous pouvons nous tromper sur des faits, tomber dans une erreur pareille à celle qui a été commise ; c'est là l'inconvénient de la prérogative ; mais il y a ici un représentant de la magistrature, la magistrature a ici son chef et le devoir de ce chef était, à l'instant même, de dire à l'orateur qui se trompait : « Vous devez connaître la loi sur les détentions préventives, d'autant plus que vous avez participé à sa confection ; vous devez donc savoir que la magistrature assise peut seule ordonner l'emprisonnement préventif et qu'il n'y a aucun reproche à faire au procureur général. » Voilà quel était le devoir, le devoir sacré du ministre de la justice, et ce devoir n’ayant pas été rempli, le ministre ayant laissé les accusations sans réponse, ce n'était pas M. de Bavay, c'était le ministre de la justice qui devait être blâmé.

M. Manilius. - Il était malade.

M. Dumortier. - Il n'était point malade, car il a répondu à M. de Perceval. Maintenant, pour excuser cette inqualifiable conduite, il vous dit qu'il devait attendre un autre jour parce qu'il avait besoin de s'enquérir des faits. Mais je le demande, messieurs, qu'est-ce que les faits avaient de commun avec cette affaire ? Il vient lui-même de le dire, à l'occasion d'une pétition de Furnes, M. le ministre était venu nous parler des droits exclusifs des magistrats assis en matière de détention préventive et les paroles que vous aviez prononcées à cet égard, étaient encore chaudes dans votre bouche, et votre bouche s'est trouvée glacée quand il s'est agi de prendre sa défense.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - C'est une erreur de fait. L'affaire de Furnes est postérieure de quinze jours, et j'étais étendu dans mon lit lorsqu'il en a été question.

M. Dumortier. - Vous avez dit que le gouvernement s'est expliqué dans l'affaire de Furnes... (Interruption). Du reste, peu importe que l'affaire de Furnes soit antérieure ou postérieure, il y a une loi, vous êtes ministre de la justice et vous devez connaître la loi ; vous devez la connaître d'autant mieux que vous l'avez exécutée comme avocat général et que vous l'exécutez tous les jours comme ministre de la justice, Toutes les pièces, d'ailleurs, avaient été mises sous vos yeux ; en sorte que vous ne pouvez même prétexter l'ignorance des faits pour justifier votre injustifiable silence. Il était donc de votre devoir de dire à la Chambre que la détention préventive ne peut avoir lieu que sur un arrêt d'une cour ou d'un tribunal et que, par conséquent, il n'y avait aucun reproche à faire à M. le procureur général de Bavay.

Voilà la rectification que vous deviez faire, et si vous l'aviez faite, ce débat, si regrettable, n'aurait jamais eu lieu.

Eh bien, messieurs, je conçois qu'en présence du silence de son chef, la personne qui était ainsi attaquée et qui, dans son for intérieur, se sentait parfaitement innocente, je conçois que cette personne ait pu commettre l'erreur d'appréciation de l'article 44 de la Constitution qu'on (page 507) lui a si vivement reprochée et qu'elle ait cru devoir chercher chez M. le procureur du roi un défenseur qu'elle ne trouvait pas chez le ministre. Dans cet état de choses, ce n'est pas M. de Bavay qui est coupable, le vrai coupable, le seul coupable dans cette affaire c'est évidemment le ministre de la justice, qui, par sa conduite envers un magistrat dévoué et qui a fait ses preuves dans les temps difficiles, est l'auteur de ce déplorable débat.

En fait, messieurs, que vous dit M. le ministre ? Il vous dit : « Je demande s'il était possible d'écouter de sang-froid M. de Perceval, lorsque quatre corps judiciaires ont refusé la mise en liberté du prévenu ! » Vous demandez s'il était possible d'écouter de sang-froid M. de Perceval, et vous l'avez écouté de sang-froid, vous n'êtes pas venu rectifier l'erreur et vous avez, par votre silence, occasionné tous ces débats. Le pays et la magistrature entière ne peuvent que flétrir cette conduite.

Et à la suite de tout cela, messieurs, à quoi arrive le ministre ? Il arrive à une désapprobation du procureur général, et sur quoi porte cette désapprobation ? Que reproche-t-on au procureur général ? C'est de ne pas avoir consulté le ministre ! de ne pas avoir consulté celui qui avait eu la faiblesse de laisser commettre, sans les relever, de graves erreurs sur le compte de ce même procureur général. Mais, messieurs, que nous fait la question de savoir si on a ou si on n'a pas consulté le ministre ? Ce qui nous importe, c'est de maintenir intactes nos prérogatives, et c'est précisément là le point qui semble ne pas toucher le moins du monde M. le minis're.

Il vous a dit, en effet, que l'appréciation de l'article 44 de la Constitution pouvait être douteuse, qu'il pouvait y avoir du doute sur le sens et que la question devait au moins être soumise au ministre. Ainsi, messieurs, l'article 44 de la Constitution, cet article si clair, si positif, si explicite, peut, pour le ministre, être l'objet d'un doute et l'appréciation doit en être soumise au ministre de la justice. Mais quel est donc cet article ? Cet article, messieurs, le voici :

« Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions et votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions. »

Aucun membre ne peut être poursuivi ou recherché, cela n'admet aucune espèce d'exception, aucun doute.

Si un membre se trompe en accusant un fonctionnaire, le ministre est là pour rectifier l'erreur, et s'il s'agit d'une personne étrangère au gouvernement, la rectification peut avoir lieu par voie de réclamation ; c'est ce qui est déjà arrivé, et personne dans cette enceinte ne s'opposera jamais à la lecture d'une pétition ayant pour objet de rectifier des faits allégués contre le pétitionnaire. Mais la poursuite du député est interdite d'une manière formelle, et il n'est pas possible de délibérer sur le point de savoir s'il y a lieu de poursuivre. Il ne peut y avoir de poursuite qu'en vertu de l'article 45, et pour des cas tout à fait différents, pour des actes posés en dehors de cette enceinte.

Tout ce qui se dit dans cette enceinte est sacré, et nul n'a le droit d'en faire l'objet d'une plainte. C'est là notre prérogative et il faut la respecter.

Messieurs, j'ai voulu poser la question sur son véritable terrain. Je crois, pour mon compte, que nous aurions évité ces débats si regrettables ; que nous aurions évité toute cette affaire dont on a fait tant de bruit, si M. Faidcr avait rempli le devoir sacré que sa charge lui imposait. Tout le mal a été causé par le déplorable silence qu'il a gardé après le discours de M. de Perceval. Je désapprouve le blâme infligé par le ministre à M. de Bavay, et ce blâme, je le fais retomber sur l'auteur du conflit, sur le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je suis attaqué d’une manière assez violente par l’honorable M. Dumortier, mais je pense que c’est injustement. J’ai expliqué quelle était la situation des choses. J’avais remarqué dans le discours de l’honorable M. de Perceval plusieurs faits qui exigeaient de ma part, soit une rectification, soit des éclaircissements, et je m’étais réservé, je l’affirme sur l’honneur, je m’étais réservé, lors de la discussion de l’amendement à l’adresse déposé par l’honorable M. de Perceval, de revenir sur cette affaire. Le vendredi, je suis venu à la séance ; j’ai dû la quitter vers trois heures, pour ne plus sortir de chez moi pendant plusieurs semaines, et c’est le samedi que la Chambre a écarté, sans discussion, l’amendement de M. de Perceval.

Maintenant, au moment où l'honorable membre a prononcé son discours et qu'il a articulé les faits dont il s'agit, je déclare que je ne me suis pas senti en état de répondre d'une façon convenable aux allusions qui avaient été faites à l'affaire de M. Vander Elst. Sans doute, je connais la loi sur la détention préventive, je l'ai appliquée et je l'applique tous les jours, et il m'eût été facile de citer un article.

Mais pour la justification, tant du procureur général que de tous les magistrats qui sont intervenus dans cette affaire, il fallait évidemment lier l'appréciation et l'application de la loi aux faits et aux appréciations qui avaient motivé et qui motivent encore l'approbation, par les corps judiciaires, des recours qui ont eu lieu de la part du ministère public. Voilà comment j'ai eu l’honneur de dire tout à l'heure à la Chambre pourquoi il m'avait paru convenable de prendre quelques renseignements et de m'assurer de la réalité des faits.

Toute la justification de M. le procureur général se trouve dans l'approbation que les corps judiciaires ont donnée à sa conduite, à ses démarches. Messieurs, si cette conduite, si ces recours avaient été désapprouvés par les corps judiciaires, peut-être alors y aurait-il eu lieu de blâmer ce magistrat d'un excès de zèle, de fausses démarches ; mais il n'en est rien ; tout ce que M. le procureur général a fait, a été ratifié, et il me semblait que la justification de ces faits était la meilleure réponse à donner à l'honorable M. de Perceval.

Je reconnais que le devoir des ministres est de contrôler tous les faits faux, les appréciations inexactes ; telle est la raison de leur présence dans cette enceinte, et c'est à cette condition que la prérogative parlementaire, la franchise du député peut s'exercer avec liberté et sans scrupules. Mais, messieurs, il se trouve telles circonstances où l'homme n'est pas en position de pouvoir remplir ses devoirs, et ce sont des circonstances de ce genre, des motifs de force majeure auxquels j'ai dû malheureusement obéir.

Pour ce qui concerne la conduite du gouvernement relativement à M. de Bavay, l'appréciation qu'en a faite l'honorable M. Dumorlier ne me paraît pas exacte. Nous avons parfaitement apprécié la chose en elle-même, nous avons tenu compte des circonstances dans lesquelles s'est trouvé M. le procureur général ; nous avons tenu compte de l'impression pénible qu'il a dû éprouver en présence des allégations qui avaient été articulées contre lui : d'une autre part nous avons donné satisfaction à la Chambre, en arrêtant et en mettant sa plainte au néant ; et en appréciant, tant pour le fond que pour la forme, la conduite de M. le procureur général vis à-vis de son chef hiérarchique, nous lui avons adressé une lettre de désapprobation, ainsi que j'ai en l'honneur de le dire tout à l'heure à la Chambre.

M. de Bavay a été attaqué d'une manière violente et avec beaucoup plus de développements par l'honorable M. Verhaegen ; l’honorable membre, en citant quelques faits et quelques opinions de ce magistrat, a déclaré qu'à ses yeux il y avait, dans M. de Bavay, un système, étudié et suivi, pour porter atteinte à toutes nos prérogatives constitutionnelles et pour ébranler nos institutions.

Il est impossible d'articuler contre un procureur général une accusation plus sérieuse, et il est impossible aussi au chef du département de la justice, qui a confiance dans ce magistrat, de laisser sans réponse les appréciations do l'honorable M. Verhaegen.

Certes, messieurs, je n'ai pas toujours partagé les doctrines de l'honorable procureur général près la cour d'appel de Bruxelles : il a souvent émis des opinions auxquelles je ne m'associais pas, il a posé des actes que je n'approuvais pas non plus ; il en est ainsi, je pense, de tous les magistrats qui ont une longue carrière derrière eux et qui se sont trouvés dans les circonstances graves que ce magistrat particulièrement a eu à traverser.

J'ai travaillé pendant huit années comme avocal-général au parquet de la cour d'appel de Bruxelles, avec M. le procureur général qui était alors mon chef, et je puis affirmer à l’honorable M. Verhaegen, que ce qu'il considère comme un système, tendant à ébranler et à renverser nos libertés et nos institutions, n'existe pas dans l'esprit et dans les intentions de ce magistrat ; il s'est trouvé dans des circonstances où il a défendu avec la plus grande énergie, et non sans quelque danger, nos institutions et la royauté belge, et tout le monde a rendu hommage au talent et au dévouement avec lesquels il s'est tiré de ces grandes épreuves.

Maintenant, messieurs, qu'il ait parlé des appels comme d'abus, dans un sens déterminé, qui est, du reste, l'opinion d'autres sommités du barreau ; qu'il ait apprécié, d'une manière qui n'est pas la mienne, l'histoire d'Agneessens ; qu'il ait parlé des réformes à introduire dans la procédure relative à la poursuite des délits de presse, il n'y a pas là des attaques contre la Constitution, il n'y a pas là ce que l'honorable M. Verhaegen considère comme un système tendant à ébranler nos institutions.

C'est là, messieurs, à la fois une injustice et une exagération ; c'est dénaturer la portée et augmenter démesurément la valeur de ces discours de rentrée, de ces appréciations. Cela est tellement vrai, que ces discours de rentrée qui ont été débattus par la presse, comme tout ce qui est public dans notre pays, n'ont donné lieu à aucune observation malveillante et n'ont inspiré à aucun des cabinets qui se sont succédé, le moindre soupçon sur le dévouement de l’honorable magistrat et sur la confiance qu'on lui a toujours témoignée, qu'on lui témoigne encore, et qu'il mérite d'obtenir par son dévouement à l'ordre public, à nos institutions et à la Belgique libre et régénérée.

M. Manilius. - Messieurs, je ne dirai que très peu de mots dans ce débat qui me paraît épuisé ; je n'eusse pas même demandé la parole, sans le discours que vient de prononcer l’honorable M. de Mérode, car je dois le dire, les explications données par M. le ministre de la justice trouvent en moi un approbateur absolu. Certainement si M. le ministre de la justice avait pu assister à la séance dans laquelle on a discuté l'amendement de l’honorable M. de Perceval, et fournir alors les explications dans lesquelles il est entré tout à l'heure, ce fâcheux incident n'aurait pas eu lieu ; quoi qu'il en soit, d'après les explications données par M. le ministre, l'affaire a reçu une solution tout à fait satisfaisante pour la Chambre. Seulement il est regrettable que l'honorable M. de Bavay n'ait pas eu l'idée d'aller chez son chef immédiat, au lieu d'aller chez son inférieur ; ce magistrat connaissait la porte de l'hôtel du ministre de la justice tout aussi bien que celle du cabinet du procureur du roi. Au reste, ce n'est pas pour faire un reproche à M. de Bavay que j'ai pris la parole ; je le répète, c'est pour répondre à son défenseur, à l'honorable M. de Mérode ; mais on lui a déjà répondu et très heureusement répondu ; je puis donc me borner à improuver de tout point son discours.

(page 508) M. de Mérode (our un fait personnel). - M. Verhaegen m'a demandé si je donnais mon assentiment à tous les discours de M. de Bavay, à tous les actes quelconques qu'il a posés. M. Verhaegen a signalé plusieurs de ses anciens réquisitoires. Or, je n'ai pas l'habitude d'éplucher ainsi le passé à perte de vue, je m'occupe spécialement des faits qui ne remontent pas trop haut, et comme j'ai vu attribuer dans cette enceinte à M. de Bavay des atteintes portées aux libertés constitutionnelles, parce qu'il a signalé des moyens très légaux de réprimer les persécutions odieuses de la presse dévergondée, j'ai senti le besoin de le défendre.

Quant au mot « calomnie », dont je me suis servi, sans parler d'intentions, il signifie imputations fausses, comme « médisance » signifie mal dit de quelqu'un et qui est vrai. Ainsi la calomnie, c'est le mal faux qu'on dit de quelqu'un ; si on l'a dit avec légèreté sans avoir mûrement pesé ses paroles, on n'en a pas moins calomnié, par conséquent on n'est pas sans reproche ; on devait avoir plus de réserve et plus de prudence.

M. le président. - Vous avez qualifié une imputation, vous n'avez pas entendu incriminer les intentions de M. de Perceval. C'est ainsi que j'avais compris vos paroles.

M. Orts. - J'ai demandé la parole, à l'exemple de plusieurs honorables collègues, au moment où parlait l'honorable M. de Mérode, et par ce motif unique que l'honorable préopinant me paraissait contester la seule chose sérieuse importante engagée dans ce débat, à savoir l'étendue de notre prérogative, l'inviolabilité de la tribune, qui est la condition essentielle de tout gouvernement parlementaire. L'honorable M. de Mérode avait, selon moi, le tort de révoquer en doute un principe qui se retrouve dans toutes les constitutions du monde.

Partout, en effet, où fleurit un régime parlementaire sérieux, l'irresponsabilité de la tribune vis-à-vis de tout autre contrôle que celui de la Chambre est admise comme une nécessité. Consultons, pour le prouver, l'exemple de nos voisins les plus proches. Depuis que le régime parlementaire a été introduit en France, depuis 1789, il n'est pas une seule constitution de ce pays qui n'ait consacré le principe de l'inviolabilité de la tribune dans le sens de l'article 44 de notre Constitution, et même d'une manière plus absolue, comme on le fait observer à mes côtés, puisqu'on l'a appliqué, non seulement aux discours, aux opinions, aux votes, mais aux actes.

Du jour où pour la première fois le régime parlementaire fut inauguré en France, le premier acte de la première assemblée délibérante n'a-t-il pas été de proclamer que l'irresponsabilité de ses membres ne pouvait pas être mise en question, comme si, à défaut de cette irresponsabilité, le régime parlementaire se sentait impuissant à fonctionner.

En Angleterre, l'honorable M. Dumortier vient de le rappeler, les choses se passent de même depuis qu'il y a un parlement.

Toutes les Constitutions représentatives des Etats allemands, sous ce rapport, nous ressemblent, et quand ce principe n'y est pas écrit en toutes lettres, on le considère comme étant de droit public, sans qu'il soit besoin, pour l'admettre, d'un texte de droit positif. En veut-on un exemple ? Dans le grand-duché de Bade, en 1833, un particulier, se croyant calomnié a fait ce que M. le procureur général a fait aujourd'hui. Il s'est plaint d'avoir été calomnié par un discours et a saisi l'autoriiè judiciaire. Bien que la Constitution n'eût pas d'article 44, bien qu'elle fût muette, la Chambre enjoignit au ministère de faire cesser la poursuite. Elle décida, par cette raison, que du moment que le régime parlementaire existe, l'irresponsabilité est de droit, est de l'essence de ce gouvernement. Comme le principe n'est pas contesté, pas même par M. de Mérode, je n'insiste pas davantage ; le gouvernement paraissant accepter l'interprétation donnée par M. Dumortier à l'article 44.

L'honorable M. de Mérode a profité de l'occasion pour diriger ensuite, non plus contre les potentats du parlement, contre le despotisme parlementaire, mais contre la presse, ses récriminations habituelles. Il a parlé une fois de plus de ce qu'il appelle la sauvagerie, la barbarie de la presse, il s'est plaint du régime anarchique qu'elle engendre et dont nous sommes tous, selon lui, les victimes.

M. de Mérode. - Je n'ai pas dit tout cela... Vous enjolivez.

M. Orts. - Vous avez parlé de barbarie et de sauvagerie, je crois que j'atténue plutôt les termes dont vous vous êtes servi. Vous avez parlé de flibustiers, j'ai omis de le rappeler.

Dans plusieurs autres occasions, l'honorable membre a exprimé la même pensée avec les mêmes aménités de forme et de langage.

J'ai regretté cette édition nouvelle qu'il nous en a donnée aujourd'hui, comme j'ai regretté un fait dont j'ai été également témoin, je veux parler du discours de rentrée de M. le procureur général, cité tout à l'heure par l'honorable M. Verhaegen. Non que j'aie vu dans ce discours que ce magistrat ait voulu placer la liberté de la presse en dehors des garanties de la Constitution, je suis convaincu que telle n'est pas la pensée de l'auteur ; j'ai attentivement écouté, attentivement relu ce discours, et c'est ma conviction raisonnée que j'exprime. Mais M. le procureur général eût mieux fait, selon moi, alors de s'abstenir que de s'associer à des récriminations contre le régime de la presse, récriminations dont M. de Mérode avait eu jusqu'ici le triste monopole en Belgique.

Voici pourquoi : la Chambre avait naguère pose un acte qui aurait dû imposer silence à M. le procureur général alors, comme il devrait fermer la bouche aujourd'hui à M. de Mérode. Sur une proposition que j'ai eu l'honneur de faire, la Chambre venait de déclarer à une majorité considérable, immense, qu'il n'y avait pas lieu de modifier le régime législatif de la presse, que la législation existante suffisait, qu'il n'y avait pas lieu de prononcer contre elle de nouvelles rigueurs, ni de lui enlever la moindre garantie. Cette décision prise à une grande majorité dans des circonstances solennelles me paraissait devoir mettre un terme à toutes les récriminations. M. de Mérode surtout devrait comprendre le premier après cela que ses récriminations ne sont justifiées ni par les faits, ni par le bon sens.

M. Tesch. - La Chambre paraît désirer voir terminer cette discussion ; je la prolongerai le moins possible.

Je regrette que le discours de M. de Mérode ait donné à cette affaire des proportions qu'elle n'avait pas et amené des accusations auxquelles je dois quelques mots de réponse.

M. le ministre de la justice a parfaitement expliqué comment le procureur général a été amené à déposer une plainte. Il avait été accusé non seulement de faits inexacts qui l'exposaient à la haine et au mépris de ses concitoyens, mais de faits qui, s'ils existaient, entraînaient pour lui la peine des travaux forcés à perpétuité, et, dans le discours prononcé aujourd'hui par M. de Perceval, cet honorable membre n'a en aucune façon justifié ses allégations. Au mois de novembre, M. de Perceval ne s'est pas borné à critiquer d'une manière générale l'exécution donnée par la magistrature à la loi sur la détention préventive, mais il lui a imputé, par erreur sans doute, mais imputé positivement, personnellement, des faits qui étaient complètement faux et qui, je le dis encore une fois, n'exposaient pas seulement le procureur général à la haine de ses concitoyens, mais à la peine des travaux forcés à perpétuité. Le procureur général n'avait pas été défendu. J'admets qu'il ne l'avait pas été, par les raisons que vient d'expliquer M. le ministre, mais en réalité, il ne l'avait pas été.

C'est dans ces circonstances que le procureur général a déposé une plainte. Dans mon opinion, ce magistrat s'est mépris sur le sens de l'article 44 de la Constitution. A mon sens même, en raison de l'imputation du fait précisé quoiqu'il soit, aucune poursuite ne peut être dirigée contre un membre de la Chambre.

M. le procureur général s'est donc trompé mais cette erreur est bien loin d'avoir la gravité qu'on veut lui donner ; elle en a d'autant moins que les faits qui en ont été la conséquence n'ont porté aucune atteinte à l'inviolabilité des membres de cette Chambre.

M. le procureur général a déposé une plainte ; mais je suppose qu'au lieu de recourir à ce moyen, il ait demandé directement à la Chambre l'autorisation de poursuivre. Où était l'atteinte à notre inviolabilité ? La Chambre était là pour garantir cette inviolabilité ; et la Chambre, en refusant le droit de faire des poursuites, garantissait de la manière la plus complète, la plus absolue, les immunités du parlement. Eh bien, la plainte de M. le procureur général eût dans tous les cas dû être soumise à la Chambre. Comment donc peut-on voir dans cet acte une atteinte à nos privilèges ?

Il y aurait une atteinte portée à l'inviolabilité des membres de la Chambre, si le procureur général avait donné l'ordre au procureur du roi de poursuivre, ou si, prenant le rôle de partie civile, il avait attrait directement l'honorable M. de Perceval devant le tribunal correctionnel. Dans ce cas il sautait par-dessus votre intervention et il y avait atteinte à vos prérogatives ; c'est ce qui n'a pas eu lieu.

Je le répète, si M. de Bavay avait demandé à la Chambre l'autorisation de poursuivre M. de Perceval, sans doute il y aurait encore eu là de sa part erreur complète sur le sens de l'article 44 de la Constitution, (et sur ce point je ne puis le moins du monde admettre les théories de l'honorable M. de Mérode), mais il n'y aurait pas eu d'atteinte portée à l'inviolabilité des membres de fa Chambre.

Comment donc trouver dans la voie indirecte suivie par M. le procureur gcnéral ce qui ne se trouverait pas dans une accusation directe dont il vous eût saisis ?

Après cela, je ne puis admettre les reproches si graves adressés par M. Verhaegen à M. de Bavay. J'ai été pendant deux ans le chef de M. de Bavay, je n'ai jamais trouvé en lui un homme hostile à nos institutions, et dans aucune circonstance je n'ai eu l'ombre d'un reproche à lui adresser.

M. de Perceval. - Et l'affaire de Louvain ?

M. Tesch. - Cette aifaire est antérieure, si je ne me trompe, à mon entrée aux affaires, et je ne sache pas qu'il ait eu, à ce sujet, de reproches à adresser à M. de Bavay.

On conçoit, au reste, que tous les faits auxquels on a fait allusion ne soient pas parfaitement présents à ma mémoire ou ne me soient pas connus. S'ils m'avaient été communiqués à l'avance, je pourrais me constituer le défenseur de M. de Bavay, et je crois le justifier complètement. Et remarquez-le, c'est là le grand inconvénient, le danger de ces accusations, lancées dans cette enceinte, contre des hommes qui ne sont pas ici pour se défendre et qui n'ont pas ici d'avocats pour les soutenir et les justifier.

Mais je puis affirmer que pendant deux ans que j'ai été le chef de M. de Bavay, j'ai toujours trouvé en lui un magistrat courageux, dévoué, impartial, ayant au plus haut degré le sentiment de ses devoirs ; je n'hésite pas à dire que des fonctionnaires comme M. de Bavay ne se rencontrent pas toujours ni partout, et je regrette qu'il n'ait pas été apprécié dans cette Chambre comme il doit l'être et qu'on ait eu pour lui aussi peu d'égard.

(page 509) Quant à ces accusations qui portent sur des discours relatifs à l'affaire d'Agneessens et à la condamnation du comte d'Egmont, peut-être, si je les avais lus, en ferais-je une autre appréciation que l'honorable M. Verhaegen. Peut-être en arriverait-il comme du dernier qu'il a prononcé sur la procédure quant aux délits de presse où l'on trouve des inconstitutionnalités que je n'y vois pas. Je ne m'associe pas.aux récriminations de M. de Mérode, mais je dis avec mon honorable ami, M. Orts, qu'il n'y a pas dans ce discours d'atteinte portée à une liberté constitutionnelle. Il y a des choses fort sensées et fort vraies : M. de Bavay signale une véritable anomalie, en ce sens qu'un individu accusé d'un délit de presse peut, en faisant défaut et en se constituant ensuite, faire tomber l'arrêt de la cour d'assises et user plusieurs fois du même moyen, de manière à éviter un jugement définitif ; c'est là une anomalie tellement choquante que la Chambre, quand elle a fait une loi pour protéger le Roi et la famille royale, y a inséré une disposition qui ne se trouve pas dans le décret de 1831 ; elle a, d'avance, donné raison à M. de Bavay sur le point capital de son discours.

Je n'en dirai pas davantage. Mais j'ai cru de mon devoir de protester contre des accusations lancées, à mon avis, beaucoup trop légèrement contre un magistrat qui ne mérite pas d'être ainsi traité.

M. Verhaegen. - Je n'ai qu'un mot à dire. C'est pour répondre à une observation de M. Dumortier qui se rattache à une erreur de lait.

Sans l’honorable comte de Mérode, le débat n'aurait pas eu les proportions qu'il a prises. J'ai déclaré tout d'abord que les explications données par le gouvernement sont satisfaisantes, et j'en ai même remercié le gouvernement. Mais je n'aurais pas tenu ce langage si ce qu'a dit M. Dumortier avait été conforme aux faits.

Cet honorable membre a cru que le ministère n'avait blâmé le procureur général qu'en raison d'un manquement à son égard.

M. Dumortier. - Il l'a dit.

M. Verhaegen. - Soit ; mais c'est une erreur.

On vient de me communiquer la lettre adressée au procureur général. Dans cette lettre, le premier blâme porte sur l'oubli qu'il a fait de l’article 44 de la Constitution.

C'est parce que j'ai vu dans cette lettre un avertissement au procureur général d'être plus circonspect à l'avenir, que j'ai été satisfait des explications. Je n'en aurais pas été satisfait, si cela n'y avait pas été.

M. Dumortier. - Je n'ai fait que citer les paroles du ministre qui a déclaré qu'il avait adressé un reproche à M. de Bavay, parce qu'il ne s'était pas adressé à lui et qu'il y avait doute sur la portée de l'article 44de la Constitution. Il l'a dit, et je l'en blâme doublement,

M. le président. - L'incident est clos.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.