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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 5 décembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 161) M. Maertens procède l'appel nominal à trois heures et un quart.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Chrétien Dalinier, propriétaire à Liège, né à Cologne, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les commissaires de police de Gosselies, Chimay, Beaumont, Thuin et Charleroi prient la Chambre de statuer sur leur demande qui a pour objet un traitement du chef des fonctions du ministère public qu'ils remplissent près les tribunaux de simple police de leurs cantons. »

M. Lelièvre. - Messieurs, j'appuie la pétition dont l'objet doit être pris en considération. Il est certain qu'une juste rémunération doit être accordée aux officiers du ministère public près les tribunaux de simple police. Ces juridictions sont investies d'attributions nombreuses et il serait injuste de ne pas rétribuer convenablement les officiers dont il s'agit.

- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions.


« Le sieur Lefebure, officier pensionné, demande une gratification qui le mette à même de pourvoir à sa subsistance et à celle de sa famille. »

- Même renvoi.


« La dame Paul demande que son frère Constant, soldat au 7èmee régiment de ligne, atteint d'une myopie qui le rend impropre au service militaire, soit renvoyé dans ses foyers. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Pepinster demande que le gouvernement, lui accorde, à titre de bail gratuit ou onéreux, la jouissance des deux étages inférieurs du bâtiment de l'ancienne station du chemin de fer et qu'il lui fasse la cession du terrain du jardin d'agrément de cette station. »

- Même renvoi.


« Des détenus pour dettes demandent la révision de la loi sur la contrainte par corps, en matière civile et commerciale. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition. J'ai souvent signalé les vices de la législation en vigueur qui doit être réformée dans un sens libéral et mieux en rapport avec nos institutions. Je prie M. le ministre de la justice de faire étudier cette question qui intéresse la liberté individuelle ; entre-temps je demande le renvoi de la pétition à la commission, avec prière de faire un prompt rapport.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Les membres du conseil communal de Sutendael prient la Chambre d'accorder au sieur de Bruyne la concession d'un chemin de fer de Bois-le-Duc à Liège par Tongres, Bilsen et Peers. »

« Même demande des membres du conseil communal de Niel. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dollin du Fresnel, général-major honoraire en retraite, demande le remboursement de ses avances aux 2ème et 10ème régiments en 1830 et en 1831. »

M. Lelièvre. - Messieurs, la demande du pétitionnaire est fondée sur des motifs qui doivent être pris en considération. Il s'agit d'une dette légitime que le gouvernement doit acquitter. Il y a urgence évidente à statuer. C'est ce qui m'engage à demander le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants des cantons de Sottegem et de Marie-Hoorebeke demandent l’établissement d'une station d'étalons à Sottegem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur d'Hooghe, ancien facteur des postes, demande un secours. »

- Même renvoi.


« Plusieurs cultivateurs à Meylegem demandent que les vétérinaires non diplômés puissent continuer l'exercice de leur profession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal et plusieurs habitants de Nieuport prient la Chambre de ne pas abolir ni réduire les droits de douane sur le poisson étranger, ou du moins de tenter préalablement la prohibition à la sortie de tout ce qui est denrée alimentaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les denrées alimentaires.


« M. le ministre de l'intérieur informe la Chambre qu'à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi, un Te Deum sera célébré le dimanche 16 de ce mois, à 2 heures, dans l'église des SS. Michel et Gudule. »

- La Chambre décide qd'ellc se rendra en corps à cette cérémonie.


« M. Thibaut, rappelé chez lui pour affaires, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi prorogeant l’interdiction d’exporter les eaux-de-vie indigènes

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présente un projet de loi ayant pour objet de proroger la loi de 1854, qui interdit l'exportation des eaux-de-vie indigènes lorsqu'elles ne sont pas fabriquées avec du grain étranger. Le projet renferme une seule modification, c'est d'ajouter le maïs au seigle, en ce qui concerne la distillation.

- La Chambre ordonne l'impression et là distribution de ce projet et le renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Rapport de la section centrale

M. Van Overloop dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les denrées alimentaires.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et décide qu'elle s'occupera du projet lundi prochain.

Rapports sur des pétitions

Discussion du rapport sur la pétition des avoués de Liége, relative à la récusation des magistrats

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je prie la Chambre d'adopter les conclusions du rapport, tendant au renvoi de la pétition à mon département. Si j'avais à discuter le fond de la question, je prouverais facilement que je n'ai cessé de m'occuper de cet objet dans l'intervalle de la session. Je me suis entouré des lumières des magistrats les plus compétents et j'ai puisé dans les législations étrangères différents renseignements qui touchent à la difficulté. Mais je pense que ce n'est pas le moment de débattre le fond.

Ce n'est pas que je veuille méconnaître qu'il ne puisse rien y avoir de vrai dans les inconvénients signalés par les avoués de Liège. J'admettrais même qu'il puisse exister des abus réels ou apparents, non point que j'aie des actes précis à citer, mais parce que les faits sont formellement affirmés par des hommes honorables, à la parole desquels il est loin de ma pensée de refuser une sérieuse attention.

Partant, on est amené à se demander quelle est la solution qui doit intervenir. Elle n'est pas facile, car on est en présence de deux systèmes : l'un qui tend à interdire au magistrat de siéger dans toute affaire où son parent intervient comme avocat ou comme avoué ; l'autre qui consiste à interdire à l'avocat ou à l'avoué de plaider ou de postuler dans toute affaire où son parent siège comme magistrat. Ce sont deux systèmes extrêmes, et vous le voyez, messieurs, diamétralement opposés. Le premier, entre autres inconvénients, présenterait certainement celui, et il est énorme, de désorganiser le service judiciaire, en imposant d'office et dans tous les cas la récusation au magistrat.

Le second anéantirait des positions acquises en frappant d'incapacité légale l'avocat ou l'avoué dont le parent siégerait comme juge. Ce sont là deux remèdes radicaux dont l'emploi doit être bien scrupuleusement pesé. Je pense qu'entre ces deux systèmes il pourrait y avoir un milieu, et c'est ce milieu que je m'attache à trouver et que je m'efforcerai de soumettre le plus tôt possible à la Chambre.

Je ne crois pas qu'il y ait lieu de déférer immédiatement à la demande des avoués de Liège et qu'il faille distraire du projet de loi général ce qui a trait à cette matière. La législation actuelle nous régit depuis plus d'un demi-siècle sans qu'elle eût, jusqu'à ce jour, fait surgir de vives réclamations ; ses inconvénients ne doivent donc pas être extrêmement graves et je me demande s'il peut y avoir péril en la demeure.

Messieurs, cette question se lie intimement à la loi sur l'organisation judiciaire ; en effet, selon les bases que vous adopteriez, vous seriez conduits, soit à augmenter le personnel judiciaire, soit à le maintenir, soit même (hypothèse impossible) à le diminuer. Or, la décision d» principe qui interviendrait quant à l'un ou à l'autre de ces points, peut évidemment être de nature telle qu'elle exercera une influence directe sur la solution de la question qui nous occupe.

Je crois donc que la question de principe, en ce qui touche le personnel judiciaire, doit d'abord être vidée, avant qu'oit puisse aborder la difficulté actuelle.

Je persiste à demander que la Chambre veuille bien adopter les conclusions de la commission sur la pétition des avoués de Liège.

M. Lelièvre. - Non seulement j'appuie le renvoi de la pétition au ministre de la justice, mais je prie le gouvernement de détacher du projet général d'organisation judiciaire les articles concernant la récusation des juges, et de déposer notamment un projet de loi concernant l'objet de la pétition.

Il est à remarquer que la dignité de la magistrature est réellement compromise dans l'état des choses. Les magistrats se trouvent dans une position fâcheuse dont il leur tarde de sortir. J'en connais qui ne désirent rien tant que de voir porter une loi en harmonie avec les sentiments de délicatesse dont ils sont pénétrés.

D'un autre côté, il importe que la magistrature reste toujours pure dans l'esprit des justiciables. Elle doit être comme la femme de César, à l'abri de la moindre suspicion. Je prie M. le ministre de la justice de faire droit immédiatement à une réclamation fondée sur les motifs les plus graves. Des retards prolongés ultérieurement nous forceraient à user de notre initiative pour faire cesser un état de choses incompatible avec la dignité de la justice.

La magistrature belge est l'une des plus honorables de l'Europe. Il (page 162) importe qu'elle conserve son prestige aux yeux de tous. Il y a véritablement urgence à s'occuper d'un projet qui doit protéger les plus grands intérêts sociaux. Je le répète, les magistrats sont les premiers à désirer une mesure qui est la sauvegarde de leur délicatesse.

Je suis convaincu que les causes énoncées à la pétition n'ont aucune influence sur l'esprit des hommes honorables chargés de l'administration de la justice ; mais il importe que personne ne puisse douter de l'impartialité de leurs décisions, et c'est ce motif qui rend nécessaire un projet de loi sur la matière.

M. Deliége. - Messieurs, j'appuie de toutes mes forces les observations que vient de présenter l'honorable M. Lelièvre. La question qui nous occupe n'est pas neuve, elle a été agitée et résolue dans plusieurs gouvernements constitutionnels de l'Europe ; elle a été résolue entre autres dans le grand-duché du Luxembourg,

M. le ministre de la justice se souviendra de la discussion mémorable qui a eu lieu à l'occasion de la loi qui a été votée par la chambre des députés du Luxembourg ; il se souviendra que la question de savoir si l'on aurait pu donner plus d'extension à la loi, a été agitée et résolue négativement, uniquement à cause du peu d'étendue du Luxembourg.

J'ai dit, messieurs, que la question qui est agitée devant vous n'est pas neuve ; en effet, elle a fait l'objet des préoccupations de la presse et de plusieurs auteurs qui ont écrit sur cette matière, et notamment de M. Dupin ; on trouve dans cet auteur les arguments pour et contre.

Maintenant il y a dans plusieurs grandes villes du royaume, et entre autres à Liège, une agitation qui finit à la considération qui est due à la magistrature.

Je suis bien loin de suspecter les honorables magistrats qui ont des parents qui plaident devant les tribunaux dont ils sont membres ; je les connais et, quant à moi, je crois qu'on a tort de les suspecter ; cependant on les suspecte, et cette position est vraiment intolérable pour les magistrats auxquels elle s'applique.

Je pense qu'on ne peut trop se hâter, dans l'intérêt de la magistrature belge, de faire disparaître ce à quoi on donne le nom d'abus. J'adjure M. le ministre de la justice de vouloir bien, lors de notre rentrée, détacher les quelques articles qui ont trait à la récusation et qui se trouvent dans le projet de loi générale, qu'on nous a annoncé contenir 500 à 600 articles ; ces quelques dispositions seraient immédiatement déférées à l'examen d'une commission spéciale, laquelle hâterait son travail.

Messieurs, je le répète, dans l'intérêt de la magistrature, comme dans l'intérêt de la société tout entière, il faut que la question soit tranchée immédiatement.

Dans l'intérêt de la société tout entière : car la société est évidemment intéressée à ce qu'aucun soupçon de corruption ne puisse jamais planer sur les membres d'un des grands pouvoirs de l'Etat, sur ceux qui administrent la justice.

Le pouvoir judiciaire, à cause de son importance, doit être à l'abri de toute défiance, de tout soupçon.

L'agitation qui s'est produite à Liège va croissant. Elle s'est traduite par des faits que vous connaissez tous.

La chambre des avoués s'est émue, elle a fait imprimer et vous a transmis une quantité de requêtes qui ont été analysées devant vous.

Le conseil de discipline des avocats s'est aussi assemblé, et à l'unanimité, il a décidé qu'il y avait urgence de s'occuper de la question, d'y donner une solution.

Deux membres étaient absents lors de cette réunion, ils sont venus adhérer à la décision du conseil de discipline de Liège. Je crois que M. le ministre fera bien, il peut en prendre l'engagement, dans l'intérêt de la magistrature, de détacher du projet de loi sur l'organisation judiciaire, les quelques articles relatifs à la récusation et d'en faire l'objet d'un projet séparé, qu'il pourrait présenter prochainement à la Chambre.

M. Frère-Orban. - M. le ministre de la justice ne me paraît pas avois conscience de l'état de choses actuel ; il est beaucoup plus grave qu'il ne pense et exige un remède plus prompt que celui qu'il fait espérer. L'honorable ministre nous annonce qu'il présentera un projet de loi sur l'organisation judiciaire, et que la question que soulève la pétition recevra une solution ; mais elle semble encore maintenant à M. le ministre difficile à trouver.

Depuis plus de 10 ans on s'occupe d'une loi sur l'organisation judiciaire ; le projet forme un code de plusieurs centaines d'articles et ne sera peut-être disculée que dans plusieurs années. (Interruption.)

S'il est même déposé dans la session actuelle, le projet sera renvoyé à une commission qui devra consacrer un temps fort long à l'examiner ; et sans supposer qu'elle consacre à son travail un temps aussi long que celui qu'on a mis à l'élaborer, il est facile de concevoir que d'après la marche indiquée par M. le ministre de la justice, l'on ne peut guère espérer un prompt changement dans une situation qui ne peut cependant se prolonger sans nuire à la bonne administration de la justice.

Comme l'ont dit mes honorables collègues, la considération et le respect que l'on doit à la magistrature sont engagés dans cette affaire.

M. le ministre objecte que la législation actuelle subsiste depuis plus d'un demi-siècle ; elle aurait pu subsister mille ans encore s'il ne s'était pas présenté des faits qui ont démontré qu'elle est insuffisante.

Quand le corps des avoués près le tribunal de Liège, quand l'ordre tout entier des avocats signale des faits, proteste contre ce qui existe et demande qu'on y porte remède, il faut essayer de faire cesser immédiatement l'abus dont on se plaint. Au lieu de la promesse stérile de présenter un code complet sur l'organisation judiciaire, M. le ministre devrait s'engager à présenter prochainement un projet de loi sur l'obligation pour les magistrats de se récuser dans certains cas déterminés. Au surplus, comme je m'attendais à la réponse que nous a faite M. le ministre, je m'étais entendu avec mon honorable collègue M. Lelièvre pour proposer un projet de loi sur l'objet qui nous occupe, et si l'abstention de M. le ministre persévère, nous userons de notre initiative parlementaire.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, si la voie préconisée par l'honorable membre était suivie, ce serait la récusation d'office ; il faudrait alors commencer par s'occuper de l'augmentation du personnel des tribunaux ; je connais plus d'un siège où les fonctions de certains magistrats ne seraient plus qu'une sinécure ; c'est ce qui me fait dire que la discussion de la loi sur le personnel des cours et tribunaux droit précéder celle de la loi sur les récusations.

L'honorable M. Deliége a parlé de législations étrangères, et il a cité celle du grand-duché de Luxembourg.

C'est à peu près l'unique exemple, je pense, que l'on puisse citer de la récusation d'office ; encore l'a-t-on circonscrite au premier degré de parenté entre le juge et l'avocat ; on n'a rien innové quant au ministère public dont il faudrait bien, pour être conséquent, se préoccuper aussi. Nulle part ailleurs, que je sache, la récusation d'office ne se pratique, on vit en général sous l'empire d'une législation pareille à celle qui nous régit. Et messieurs, voyez l'anomalie si l'on admettait le système proposé. D'après le Code de procédure civile, la parenté du juge avec une des parties n'est qu'une cause de récusation facultative, tandis que la parenté du même magistrat avec un des représentants de cette partie deviendrait, dans le système nouveau, une cause de récusation obligatoire, c'est-à-dire une véritable incompatibilité. Il y a là, ce me semble, une contradiction qui mérite d'être signalée.

Nous serons donc conduits également à modifier les dispositions du Code de procédure civile.

C'est donc là une affaire sérieuse qui demande du temps, et je ne puis m'engager à présenter, dans un aussi court espace de temps, un projet de loi sur une matière aussi difficile. Quand on examine les divers systèmes, on se heurte contre de très sérieux obstacles.

Je ne demande pas mieux que de voir une discussion s'engager sur ce point. Je serais très heureux de voir se développer un système praticable et je l'adopterais des deux mains.

Je ne puis dire qu'une chose, c'est que je m'occuperai très activement de la question, et je verrai si dans la loi d'organisation judiciaire, je puis présenter un système complet. La Chambre examinera en sections le système d'organisation, et elle pourra manifester sa volonté que l'on détache du projet général les articles qui concernent la récusation.

M. Delfosse. - Il y a au fond de cette affaire un intérêt très grave pour les pétitionnaires, et une question de dignité pour la magistrature.

La plupart des avoués de Liège, déjà anciens dans la partie et ne manquant certes pas de mérite, se voient enlever leur clientèle par de jeunes confrères, proches parents ou alliés de magistrats appartenant au tribunal.

Les plaideurs sont ainsi faits qu'ils s'imaginent, à tort sans doute, mais enfin ils s'imaginent qu'ils ont plus de chances de succès lorsqu'ils ont pour avocat ou avoué le fils ou le gendre de celui qui doit les juger.

De là, pour un grand nombre d'avoués, une situation intolérable ; de là, pour les magistrats les plus honorables, une position fausse, qu'il est urgent de faire cesser.

Comme l'a fort bien dit l'honorable M. Frère, nous ne pouvons pas attendre, pour mettre un terme aux abus signalés dans la pétition, que la loi sur l'organisation judiciaire soit votée ; nous renvoyer à cette loi, c'est nous renvoyer aux calendes grecques, il se passera peut-être bien des années avant qu'elle puisse être discutée et votée par les Chambres.

J'engage instamment M. le ministre de la justice à nous présenter sans délai un projet de loi spécial. Pourquoi forcer les membres de la Chambre à user du droit d'initiative ? Puisque les abus sont constatés et criants, qu'il ne laisse pas à d'autres l'honneur d'y mettre un terme.

M. le ministre de la justice craint que les mesures reclamées par les pétitionnaires ne nécessitent une augmentation du personnel des tribunaux ; je crois que cette crainte n'est point fondée, mais le fût-elle, mille fois mieux vaudrait une augmentation du personnel que le maintien d'un privilège injuste et d'un état de choses compromettant pour la dignité de la magistrature.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Il me faudra, dans tous les cas, examiner si je ne dois pas en même temps présenter des dispositions pour augmenter le personnel des tribunaux. Car je reste convaincu que par la récusation d'office, ce personnel deviendra insuffisant. Je me réserve d'examiner s'il ne faudrait pas détacher du projet d'organisation générale quelques articles concernant le personnel et en même temps s'occuper de la question que nous discutons. Mais, je le répète, je ne puis prendre l'engagement de présenter immédiatement et séparément des dispositions au sujet de la récusation des magistrats parce que je suis persuadé que dans plusieurs sièges le service judiciaire (page 163) serait entravé et c'est une responsabilité que je ne veux pas prendre sur moi.

M. Deliége. - Il me semble qu'on pourrait d'abord présenter des dispositions concernant la récusation ; lorsque ces dispositions seront mises en vigueur, on verra si le personnel de certains tribunaux est insuffisant ; et en fût-il même ainsi, ce que je ne crois pas, nous ne devrions pas reculer devant une légère dépense de plus. Car, l'intérêt qui doit nous préoccuper avant tout, c'est l'intérêt de la bonne justice, c'est l'intérêt d'un des grands corps de l'Etat, c'est l'intérêt du pouvoir judiciaire.

- Les conclusions de la commission tendant au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du département de la justice

Discussion générale

M. le président. - L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Article unique. Le budget du ministère de la justice pour 1855, fixé par la loi du 25 mai 1854, est augmenté d'une somme de quatre cent douze mille francs (fr. 412,000), qui sera ajoutée à l'allocation pour l'entretien des détenus (chapitre X, article 44 dudit budget).

Ce supplément sera couvert au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1855.

M. Allard. - Messieurs, l'augmentation du crédit pour les prisons m'amène à entretenir la Chambre de la position faite aux prisonniers. Je crois que cette position est trop belle, que ces gens sont trop bien logés, trop bien nourris et que c'est là une des causes des récidives.

J'ai eu occasion, il y a quelques années, de visiter la prison de Vilvorde, et, je dois le dire, dans la plupart de nos établissements de bienfaisance les pourvus ne sont pas aussi bien que les prisonniers qui y sont détenus.

J'ai visité également le pénitencier de St-Hubert ; j'ai été frappé du bien-être dont jouissent les enfants qui y sont détenus et des renseignements que j'ai puisés dans un rapport de M. le directeur, je dois conclure que des récidives sont occasionnées par ce bien-être.

Messieurs, la maison de St-Hubert est un véritable palais. Les enfants y sont parfaitement logés, nourris, habillés ; je leur ai vu jusqu'à des paletots. On les mène promener ; on les entretient parfaitement bien. Mais une fois retournés chez eux, ils ne peuvent plus s accommoder de la vie de famille.

Il résulte, messieurs, des pièces qui ont été déposées par M. le ministre de la justice et que nous avons réclamées en section centrale, que sur 139 enfants libérés du 1er octobre 1855 au 30 septembre 1854, d’après les rapports des commissions de patronage, il y en avait au 1er janvier de l'année suivante :

Bien notés, 78

Mal notés, 23

Conduite suspecte, 6

Conduite inconnue, 8

Sans renseignements, dont 19 des cantons d'Anvers et de Bruxelles, 24

Total, 139

En ajoutant ceux d'une conduite suspecte ou mal notés, on arrivera au chiffre de 29 ; mais, d'un autre côté, on peut admettre, dit le rapport, que parmi les libérés dont la conduite est inconnue, et parmi ceux sur le compte desquels les renseignements font défaut, la moitié, soit 16, se conduit bien ; il y aurait donc 94 sur 139, ou deux tiers, dont, pour le moment, il y a lieu d'être satisfait.

Extrait de la notice statistique de M. Ducpetiaux :

En 1849 et en 1850, sortis 322 enfants ; au 1er janvier 1851, 17 étaient déjà en état de récidive, soit un peu plus de 5 p. c.

Vous voyez, messieurs, que l'Etat, qui a fait une dépense énorme pour cet établissement, en retire bien peu de fruit. Je serais réellement curieux de connaître combien, avant la loi de 1840 qui institue cette maison de St-Hubert, il y avait d'enfants à St-Bernard, je suis persuadé qu'il y a beaucoup plus d'enfants détenus qu'alors.

On a déplacé ces enfants de St-Bernard, parce que l’établissement était malsain. Mais il n'est pas malsain pour les autres prisonniers ; on a créé à l'Etat une charge de plus, selon moi. On a fait à ces enfants un régime très doux ; on a institué pour eux une école ; on a voulu les moraliser. Je crains, au contraire, que cette maison ne devienne pour eux une école de démoralisation. J'ai trouvé, je dois le reconnaître, cette maison admirablement conduite et je ne dois que des éloges au directeur et aux administrateurs. Mais ces enfants étant continuellement en contact, depuis le matin jusqu'au soir, deviennent plutôt mauvais que bons.

Le gouvernement devrait songer à établir des pénitentiaires dans les centres charbonniers et à faire travailler les détenus sous terre. Quand ils en sortiraient, ils ne seraient plus tentés de recommencer.

M. le Bailly de Tilleghem. - Je ne puis me référer tout à fait à ce qui est dit dans le rapport de la section centrale, relativement aux écoles de réforme, et notamment pour ce qui concerne l'école de réforme établie dans la commune de Ruysselede.

Je ne puis mettre cette institution tout à fait sur la même ligne que les dépôts de mendicité, et je ne puis en contester les avantages et l'utilité pratique.

Messieurs, l'intérêt que l'école de réforme de Ruysselede a inspiré dè le début de son organisation va toujours croissant.

Cet état de choses est très favorablement constaté par les rapports qui sont soumis annuellement à la législature et notamment par celui qui a été présenté dans la séance de la Chambre des représentants du 20 mars 1855 qui est le cinquième rapport depuis la loi du 3 avril 1848 dont le but a été de soustraire à la contagion des dépôts de mendicité les enfants et les jeunes gens âgés de moins de 18 ans pour les soumettre à un régime de réhabilitation dont le succès est aujourd'hui incontestable.

A l'appui de ce que je viens de dire, je pense pouvoir me dispenser de citer des faits. Les rapports que je viens d'invoquer fournissent de très amples détails ; tous les membres de la Chambre sont à même de pouvoir les apprécier.

M. Lelièvre. - Le rapport de la section centrale nous révèle que plusieurs honorables membres ont contesté les avantages des institutions de réforme.

Un membre de la section a même pensé que des établissements du genre du pénitencier de Saint-Hubert ne peuvent donner de bons résultats qu'à condition de soumettre les reclus à un régime beaucoup plus dur que celui qui leur est appliqué aujourd'hui.

En ce qui me concerne, je dois protester contre semblables idées. Les institutions de réforme sont appréciées par tous les peuples qui ont modifié leurs lois pénales dans un sens libéral et humanitaire. La législature belge a consacré ce système dans le nouveau Code pénal que nous avons déjà voté en partie. Du reste l'expérience démontre que le nombre de crimes et délits, loin d'augmenter de nos jours, diminue au contraire notablement.

Quant à la pensée de traiter les reclus avec plus de rigueur, je ne saurais aucunement m'y rallier. La privation de la liberté est une répression assez sévère pour ne pas être aggravée, contre tous principes de justice et d'humanité. Je ne puis donc sous aucun rapport partager l'avis énoncé au rapport de la section centrale.

En ce qui me concerne, j'engage le gouvernement à suivre une voie opposée, et dans le projet de Code pénal qu'il nous soumettra, de frapper simplement de peines correctionnelles la plupart des faits contre lesquels le Code pénal de 1810 commine des peines criminelles. Ne perdons pas de vue que l'emprisonnement cellulaire aggrave notablement la peine des détenus, et que dès lors, si l'on ne réduit considérablement les peines, nous aurons un Code pénal vraiment draconien, qui, loin d'améliorer l'ordre de choses actuel, nous reportera à des temps heureusement loin de nous.

M. Rodenbach. - Si j'ai bien compris l'honorable député de Tournai, il veut des économies, il trouve que dans les prisons et dans les établissements pénitenciers les frais sont excessifs. Je pense aussi que, sans être dur envers les prisonniers, on pourrait bien introduire des économies dans le service des institutions dont il s'agit.

Il y a une multitude de malheureux qui, cette année, n'auront pas même des pommes de terre pour subsister, et qui sont infiniment plus à plaindre que les malfaiteurs.

Il y a en Belgique plus d'un demi-million d'hommes, de femmes et d'enfants qui, par suite de la cherté des subsistances, sont beaucoup plus malheureux que les prisonniers. On pourrait soutenir que les malhonnêtes gens sont mieux traités qu'une partie de la population laborieuse et honnête.

On a préconisé l'établissement de Ruysselede. En effet, cet établissement, dirigé par un homme intelligent, marche très bien ; mais je me demande si, avec nos institutions philanthropiques, qui coûtent si cher, la mendicité a diminué en Belgique.

Or, j'ai jeté un coup d'œil rapide sur les tableaux du paupérisme et j'ai trouvé qu'au lieu de diminuer, cette lèpre sociale a augmenté d'un tiers depuis 10 ans. Cela n'est pas très consolant.

Je pense, messieurs, que sans être sévère, il faut s'efforcer d'introduire des économies dans les établissements de répression.

Je me bornerai à ces quelques observations, qui m'ont été suggérées par l'interpellation de l'honorable M. Allard.

M. Vander Donckt. - J'ai demandé la parole pour une observation d'un autre genre. On dit que dans les établissements de répression les détenus sont beaucoup mieux traités que ne l'est la classe ouvrière dans les campagnes ; eh bien, mon observation concerne le sort des détenus après leur sortie de ces établissements. Lorsqu'ils ont été parfaitement traités et qu'on a fait tous les efforts possibles pour leur apprendre un état, pour leur procurer des moyens d'existence, ils arrivent dans leur village et n'y retrouvent que la misère à laquelle ils avaient été soustraits pendant leur détention.

Vous comprenez, messieurs, que ce passage d'une certaine aisance à un nouvel état de misère doit tenter ces individus à commettre de nouveau des délits pour être encore une fois aussi bien qu'ils l'étaient, lorsqu'ils se trouvaient incarcérés. Je demande donc ce que deviennent les jeunes gens au sortir de ces institutions ; car, dans les rapports qu'on nous fait, on a soin de ne pas nous faire connaître le sort de ceux qui sont libérés.

C'est cependant là le point essentiel pour ces jeunes gens, car lorsqu'ils sont de nouveau lancés dans la société, s'ils ne se conduisent pas bien, les avantages qu'ils ont pu recueillir dans les institutions dont il s'agit deviennent nuls, et l'objet même de ces institutions ne peut (page 164) être utile qu'autant que ceux qui en sortent deviennent des citoyens honnêtes et soient en état de pourvoir à leur subsistance ; s'ils retombent dans la misère, ils s'adonnent de nouveau au vagabondage. Or, il y a dans les campagnes une espèce de préjugé qui fais repousser ces jeunes gens.

On n'en veut ni comme domestiques ni comme ouvriers et ils sont de plus en plus engagés à mener de nouveau la vie qu'ils menaient avant d'être incarcérés.

Il faudrait connaître la manière dont ils se conduisent pendant plusieurs années après leur sortie de l'institution ; c'est là ce que la Chambre devrait savoir pour se déterminer, soit à appuyer l'institution, soit à en provoquer la suppression.

M. Sinave. - Je ne partage pas non plus l'opinion émise par la section centrale. Il peut être vrai que l'institution de Ruysselede laisse quelque chose à désirer, dans le sens des observerons de l'honorable M. Vander Donckt. Dpns le principe, tous les élèves de Ruysselede étaient destinés à l'agriculture ; mais à leur sortie ils ne trouvent pas à se placer comme garçons de ferme. Aujourd'hui on a donné une extension à l'établissement, on y a créé une école de mousses. Ensuite beaucoup de ces jeunes gens font entrés dans l'armée et il en est qui s'y distinguent.

Je pense donc qu'on ne peut pas émettre une opinion si sévère que celle qui a été énoncée par les honorables membres et je les conjure, dans leur temps de loisir, d'aller examiner les établissements de Ruysselede et de Beernem. Ils se convaincront sans peine de l'utilité de cette institution et de la nécessité de la maintenir.

Il n'entre aucunement dans mes intentions de critiquer ces établissements au point de vue de leur direction ; je dirai, au contraire, que j'ai eu l'avantage de voir notamment l'école de réforme de Ruysselede et que je serais injuste, si je ne rendais hautement hommage au zèle, à l'intelligence et au dévouement des hommes qui dirigent cet établissement ou qui participent à son administration.

Mais là n'est pas, suivant moi, le nœud de la question. Il s'agit avant tout de voir si ces institutions répondent au but qu'on a voulu atteindre en les fondant, à savoir la diminution sinun l'extirpation de la mendicité et du paupérisme.

Eh bien, si la question était tout à fait à l'ordre du jour, il me serait facile de prouver qu'elles produisent et qu'elles doivent nécessairement produire des résultats contraires.

Messieurs, malgré toutes les plus belles théories du monde, il restera toujours vrai de dire que la mendicité et le paupérisme sont alimentés surtout par l'imprévoyance, par la nonchalance, la paresse et fainéantise ; or, ces causes actives du mal, vous ne faites évidemment que les renforcer en fournissant à un nombre considérable d'individus le moyen de s'affranchir des devoirs de la paternité.

L'honorable baron de Steenhault vous le disait, il y a peu de jours, avec beaucoup de raison et de vérité : tout notre système en fait de dépôts de mendicité et d'institutions de réforme repose sur un principe essentiellement faux et dangereux ; c'est le droit à l'assistance qui est la base de tout cela, et ce droit n'est autre chose qu'une prime offerte à l'imprévoyance et à la fainéantise.

Messieurs, on a dit que le droit à l'asiistance est un acheminement vers le droit au travail qui a tant occupé les esprits dans les mauvais jours de la révolution française. Eh bien, dans ma manière de voir le droit à l'assistance est un principe même plus socialiste que le droit au travail ; car le droit au travail c'est le droit d’être nourri en travaillant en échange du travail qu’on veut fournir, et le droit à l’assistance, c’est le droit d’être nourri sans travailler, en réfusant même de travailler, et en croupissant dans tous les vices.

Messieurs, notre législation présente réellement sous ce rapport les anomalies les plus étranges.

La mendicité et le vagabondage sont considérés par la loi comme des délits, et l’individu qui est condamné de chef, après avoir subi sa condamnation, est envoyé dans un dépôt de mendicité.

Eh bien, dès ce moment la commune de son domicile de secours est tenue de l'entretenir, et elle ne peut obtenir sa mise en liberté qu'en s'engageant à lui procurer des moyens d'existence ; même elle doit donner des garanties formelles pour l’exécution de ses engagements.

Nos lois stimulent donc en réalité l'improvoyance, la fainéantise, la paresse, et même la mendicité, en disant, implicitement à ceux qui sont souillés des vices que je viens d'indiquer : « Le travail ne vous convient pas ; vous aimez mieux être nourri sans travailler ; eh bien, vous avez un moyen bien simple pour cela : mendiez jusqu'à ce qu'on vous condamne comme mendiant, alors votre affaire sera faite ; dès ce moment naîtra pour la commune de votre domicile de secours l'obligation de vous nourrir, de vous donner du travail si vous voulez travailler ; mais si vous ne voulez pas travailler, elle devra vous entretenir tout de même, et si elle reste en défaut d'exécuter ses obligations, vous vivrez à ses dépens dans un établissement public.

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, deux conséquences, également exorbitantes ou plutôt également monstrueuses, 1° la consécration formelle d'un droit réel à l'assistance à charge des communes ; 2° le délit nommé « la mendicité », reconnu par la loi, comme le moyen d'acquérir ce droit.

Voilà la véritable base de ces institutions soi-disant philanthropiques à l'aide desquelles on veut extirper la mendicité et le paupérisme. Quant à moi, je n'y vois autre chose que l'application d'un principe éminemment dangereux, principe qui renferme évidemment la négation de la nécessité absolue du travail, comme seule source légitime des moyens d'existence ; or, ne le perdons pas de vue, le travail, c'est la grande loi de l'humanité, c'est la seule loi de salut pour légations comme pour les individus, et tout ce qui porte atteinte à cette vérité fondamentale de l'ordre social ne peut amener que des conséquences désastreuses.

Messieurs, on a fait remarquer avec raison, dans d'autres circonstances, qu'il existe une connexité intime entre la loi sur le domicile de secours et la législation sur les dépôts de mendicité et les institutions de réforme, et c'est dans cet ordre d'idées qu'on a réclamé également des modifications importantes à la loi sur le domicile de secours, loi qui a déjà été remaniée plusieurs fois. Eh bien, je pense que, malgré tous les changements qu'on pourra y introduire encore, nous verrons toujours surgir de nouvelles réclamations aussi longtemps qu'on n'aura pas eu soin de bien déterminer ce qu'il faut entendre par domicile de secours.

Domicile de secours, cela veut-il dire que tels ou tels individus ont le droit d'être nourris et entretenus par telle ou telle commune, qui en cas d’insuffisance de ses ressources est obligée d'en créer de nouvelles pour acquitter la charge qui pèse sur elle ? Mais alors vous décrétez réellement, d'une manière absolue et générale, le droit à l'assistance dont j'ai fait ressortir l'injustice et les dangers.

Quant à moi, je ne puis pas attacher cette signification aux mots « domicile de secours » ; je crois que cela veut dire le droit de participer aux secours qui existent dans une commune et qui résultent des fondations : des dons ou legs charitables, mais qu'il n'y a là aucune obligation pour la commune de créer des ressources nouvelles au moyen de l'impôt.

- Un membre. - Cela se fait tous les jours.

M. de Naeyer, rapporteur. - Oui, on fait tous les jours l'application de ce que j'appelle le droit à l'assistance, et voilà pourquoi, au lieu de remédier à la mendicité et au paupérisme, on ne fait que donner des proportions chaque jour plus effrayantes à ces deux fléaux et rendre la situation de nos communes intolérable.

Messieurs, les idées que je viens d'exprimer sommairement seraient sans doute susceptibles de grands développements. J'ai voulu seulement subir cette occasion pour faire connaître en peu de mots mes principes sur cette matière. Dans mon intime conviction, le travail et le travail seul donne des droits réels aux biens qui sont nécessaires à l'existence de l'homme.

La charité impose de grands devoirs, oui, des devoirs immenses à ceux qui sont favorisés des dons de la fortune ; mais elle ne confère pas des droits exigibles ici-bas.

Il semble que la charité est une vertu trop sublime pour avoir des juges sur la terre ; c'est devant le tribunal de Dieu qu'elle demandera compte des obligations qu'elle prescrit, et a compte, pour avoir été différé, ne sera que plus terrible. Voilà ce que le christianisme prêche aux riches et voilà comment il vîent au secours des malheureux sans établir aucun droit qui serait de nature à faire méconnaître la grande loi du travail.

Ce sont là les principes qui, suivant moi, devraient former la base de notre législation et qui seront ma règle de conduite dans l'examen des réformes qui nous ont été annoncées par l'honorable ministre de la justice.

Quant aux dangers qu'entraînerait, a-t-on dit, la suppression des dépôts de mendicité au point de vue de la sécurité publique, je dis que si ces dangers étaient réels, ils devraient frapper et effrayer avant tout les administrations communales qui réclament la suppression de ces dépôts, car ce sont elles qui auront à supporter les mendiants, quand ils ne seront plus renfermés et cependant elles sont complètement rassurées à cet égard.

Je pense, au contraire, que le moyen de rendre les mendiants dangereux, c'est de les renfermer dans un dépôt de mendicité, car il est certain que le contact de ces individus entre eux fait naître une foule d'idées et de plans qui sont loin d'être des garanties pour le maintien dû l'ordre public.

M. de Haerne. - Messieurs, je pense que le débat auquol plusieurs honorables préopinants viennent de se livrer est un peu prématuré. Dans une séance précédente, M. le ministre de la justice a déclaré qu'il présenterait un projet de loi sur la matière. Je n'entrerai donc pas dans de grands développements, au sujet des questions qui viennent d'être débattues.

Je tiens cependant à faire quelques observations. J'admets, avec les honorables préopinants, qu'il y a de très graves inconvénients, des abus réels dans la plupart de nos institutions légales de bienfaisance, telles qu'elles sont organisées aujourd'hui. Je reconnais tous les dangers de ce qu'on appelle le droit à l'assistance, quand ce droit est considéré comme conséquence de la charité légale. Le droit à l'assistance en lui-même, je le considère comme un droit naturel, imprescriptible (page 165) devant la conscience humaine, mais non devant la loi. Ce droit, entendu ainsi, a sa source dans l'amour et non dans la peur et dans l'intérêt. Il engendre la reconnaissance et les autres vertus chrétiennes, mais non cet antagonisme entre les classes pauvres et riches, triste fruit des idées socialistes qui se répandent de plus en plus de nos jours. Cependant, en pratique, on rencontre souvent de très graves difficultés ; car la charité chrétienne peut être en défaut dans certains endroits, sous certains rapports. C'est ce qu'on voit partout.

Alors se présente la question de savoir si les malheureux qui sont sans secours, sans abri, sans pain, doivent être abandonnés par la société. A Dieu ne plaise qu'une telle barbarie se voie dans un pays chrétien comme le nôtre ! C'est pour répondre à une pareille situation que le législateur s'est préoccupé depuis longtemps de cette question d'humanité. C'est dans un but d'humanité qu'on a établi les dépôts de mendicité en France, en Belgique, et en Angleterre les work-houses. Les résultats, je le sais, n'ont pas répondu à l'attente de ceux qui avaient provoqué la création de ces institutions.

En France, en Angleterre, en Belgique il n'y a eu en général que des déceptions à cet égard.

Il y a une réforme radicale à introduire dans ces institutions. Nous aurons à nous occuper plus tard de cette matière ; mais pour ne pas abuser dans ce moment de l'attention de la Chambre, je m'arrêterai à la question telle qu'elle peut être traitée aujourd'hui.

Pour répondre à ce qui a été dit de la maison spéciale de réforme de Ruysselede, je rappellerai à quelle occasion cette école a été créée. Elle a été érigée à cause du danger qu'il y avait à agglomérer dans une même prison une foule d'individus de sexe et d'âge différents. Cette institution en établissant une séparation quant à l'âge et au sexe a produit un très grand bien. Ensuite on y a pris le travail agricole pour base de correction et de moralisation et l'on y a organisé le travail industriel sans nuire à l'industrie privée. C'est un point essentiel. Le « ménage des champs », dit Guy-Coquille, est la meilleure forme d'association des travaux. Cela est important même pour l'honneur de notre pays, où, de l'aveu des auteurs français, les libertés communales ont élevé par l'esprit de solidarité et par un travail séculaire, l'agriculture au-dessus de celle de la France.

L'école de réforme a donc amélioré le régime des dépôts de mendicité organisés précédemment. Sous ce rapport, nous ne pouvons qu'applaudir à cette nouvelle institution. C'est seulement dans ces limites qu'il faut l'envisager. Comme il faut rendre justice à tout le monde, je dirai que cette maison est parfaitement dirigée ; on ya attaché des écoles particulières, entre autres une école de mousses qui a déjà fourni de bons sujets à des armateurs, entre autres à M. Hip. Jonckheere, de Bruges. Cette maison marche parfaitement bien sous tous les rapports ; on n'a que des éloges à donner au directeur éclairé préposé à cette institution.

N'oublions pas, messieurs, qu'en voulant fermer brusquement, dans l’état actuel des choses, l'école de réforme et les dépôts de mendicité, on s'exposerait à encombrer les prisons ; et le travail obligé, comme dit M. de Villeneuve, est la seule punition que la morale chrétienne permette d'infliger à la mendicité valide. Ne supprimons pas ce travail expiatoire, basé sur l'agriculture, sans savoir le remplacer par une organisation plus parfaite.

N'oublions pas non plus qu'en France il y a 30,000 mendiants qui coûtent à l'Etat 60 centimes par jour et par tête. Savez-vous ce qu'on demande on France pour les dépôts de mendicité ? L'organisation agricole ; or c'est par là que nous avons commencé, en fondant notre école de réforme qui fait honneur au pays.

Cependant je dis qu'il faut décentraliser cette institution comme tous les établissements semblables autant que possible. Il faut recourir avant tout à l'association libre pour le travail agricole, pour les ateliers. Après cela viennent les efforts des bureaux de bienfaisance et des communes, en prenant encore autant que possible l'industrie privée pour auxiliaire. C'est ce qui se fut dans les Flandres, et c'est ce qu'il faut encourager et développer dans l'intérêt de la classe ouvrière, de la morale et de l'Etat.

Ainsi, en matière d'assistance la charité privée, la charité chrétienne se présente au premier rang. Quand elle fait défaut, la charité communale la supplée et en cas d'insuffisance de l'une et de l'autre vient la bienfaisance générale, telle qu'elle est organisée dans les grands établissements de l'Etat.

Voilà la question telle qu'elle doit être, selon moi, posée aujourd'hui dans les limites restreintes qui nous sont tracées, en attendant que le projet annoncé nous soit soumis.

Nous pourrons alors examiner cette importante matière dans toute son étendue et la traiter avec une parfaite connaissance de cause.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, je présenterai quelques courtes observations.

L'honorable M. Allard vient le critiquer, comme étant trop bon, le régime des déténus et a blâmé ce qu'il appelle leur trop grand bien-être. J'ai parfois entendu émettre une opinion toute contraire et prétendre que le régime des prisonniers n'est pas suffisant.

Remarquez, messieurs, que ce n'est pas une opinion de philanthropes que je cite ici, mais une opinion émise par des hommes positifs et pratiques. C'est ainsi que dans l'administration au département de ia justice, j'ai été saisi de réclamations de commissions administratives des prisons qui signalent comme insuffisantes les rations données aux détenus.

Je conclus de la divergence de ces deux appréciations opposées que nous sommes à peu près dans un milieu vrai, et que la nourriture des prisonniers, sans être abondante, est ce qu'elle doit être. La société doit se défendre par des peines, mais non par la faim. (Interruption.)

Je sais qu'il n'entre pas dans les intentions de l'honorable membre de punir les délinquants par la faim, aussi n'ai-je pas eu l'intention de lui prêter une pensée pareille. Je voulais répondre à une exagération qui s'est quelquefois produite dans le public et suivant laquelle le régime des prisons devrait être ramené à une espèce de « carcere duro », c'est cette excessive rigueur que je combats en disant que la société n'a pas le droit de se défendre par la famine.

L'honorable député de Tournai a touché quelques mots du pénitencier de Saint-Hubert. N'oublions pas l'origine de cette institution, elle a été fondée en 1840 comme dérivatif à la corruption qui flétrissait les jeunes délinquants dans les prisons centrales, au milieu de ces repaires impurs qui corrompaient sans retour ceux qu'ils recevaient. C'est d'ailleurs moins une prison qu'une maison de correction, je dirai presque d'éducation, comme son nom l'indique. On n'y place que des enfants ou des adolescents, et dès qu'un condamné dépasse 18 ans il n'y entre plus ; c'est une institution qui moralise par le travail et l'instruction et où l'on s'attache surtout à enseigner un métier. Ne croyez pas d'ailleurs que la nourriture y soit trop bonne et le régime trop doux, la nourriture y est frugale, l’habillement grossier et le travail sérieux et continu.

L'honorable M. Allard a parlé de la mise en apprentisage des jeunes détenus dans les charbonnages. Cette idée a déjà été émise dans un projet qui m'a été communiqué par un publiciste qui s'occupe de ces questions. Je l'ai soumise à l'avis des députatious permanentes. Cette étude se continue. Mais pour mon compte, je ne puis me dissimuler qu'à côté de certains avantages, le projet présenterait aussi plusieurs inconvénients.

Les jeunes délinquants livrés à eux-mêmes auraient une liberté absolue, et ne rencontreraient plus les conditions de surveillance qu'il est essentiel de maintenir vis-à-vis d'eux. Je craindrais que le remède n'aggravât le mal. On a critiqué aussi les écoles de réforme ; déjà elles ont trouvé de zélés défenseurs dans quelques-uns de vos honorables membres.

Je ne puis que me rallier aux observations des honorables MM. Lelièvrc, Sinave et de Haerne. Et, en effet, messieurs, je n'hésite pas à le dire, l'établissement des écoles de réforme est pour la Belgique une institution qui l'honore aux yeux du monde entier, et qui partout trouve des imitateurs, notamment en Angleterre.

En admettant même que l'on supprime complètement les dépôts de mendicité, que l'on abolisse les lois répressives de la mendicité et du vagabondage, je crois encore qu'il faudrait, d'alors surtout, maintenir les écoles de réforme.

Ces véritables établissements de prévention sont destinés à moraliser de tout jeunes enfants et à leur donner les premières notions d'éducation.

La mendicité serait pour ces malheureux l'école funeste du vice et bientôt du crime. Il serait dangereux de laisser l'enfance s'habituer à ce triste métier qu'on appelle la mendicité. Ce que les enfants n'obtiendraient pas de la charité, craignons de les voir le demander à d'autres moyens.

Craignons que les jeunes mendiants repoussés, rebutés, n'arrivent de chute en chute jusqu'à devenir criminels, fléaux d'une société dont ils auront commencé par être la honte.

Messieurs, c'est une pensée grande et haute, une pensée féconde que la législature a consacrée en 1848, en décrétant ces écoles de réforme qui, je me plais à le répéter, sont un honneur pour notre patrie, et d'où il sort des individus qui, loin d'être un danger permanent pour la société, en seront souvent des membres utiles.

L'honorable M. Vander Donckt, parlant de la sortie des jeunes délinquants et des mendiants, a demandé ce qu'ils deviennent.

Messieurs, à cet égard l'administration n'a pas une grande action, elle ne fait pas ce qu'elle veut ; elle ne peut que donner des conseils, indiquer à des industriels, à des exploitants agricoles, à des maisons de commerce, tel ou tel jeune homme qui a mérité, par sa bonne conduite, qu'on le signale. Il y a là, je le reconnais, une lacune dans l'organisation sociale, mais lacune qu'il est impossible de combler. Tout ce que nous pouvons faire, c'est donner des indications et nous fier aux soins éclairés des comités de patronage.

Ceux-ci déploient un zèle extrêmement louable : de jour en jour leur sphère s'étend davantage et on ne peut recueillir que de bons fruits des services que rendent les citoyens désintéressés qui se chargent de cette ingrate mission.

Au surplus, messieurs, je n'ai rien à ajouter aux observations bienveillantes que vous ont présentées quelques honorables membres au sujet des écoles de réforme qu'il est si désirable de voir prospérer et s'étendre.

M. Allard. - Messieurs, je n'ai pas voulu, et M. le ministre l'a bien compris, qu'on donnât une nourriture insuffisante aux prisonniers et notamment aux enfants détenus au pénitencier de Saint-Hubert dont je me suis particulièrement occupé. Mais j'ai dil qu'il y avait trop de bien-être dans cette maison et que la plupart des récidivistes deviennent récidivistes parce qu'ils désirent y retourner.

(page 166) On parle de nourriture. Mais, je dirai que j'ai vu au pénitencier de Saint-Hubert une chose qui m'a paru bien extraordinaire : c'est qu'on donne aux détenus une espèce de bière, et lorsque j'ai demandé pourquoi on leur donnait cette boisson, de quoi se composait cette bière qui est faite avec de la réglisse et du houblon, on m'a dit que l'eau de Saint-Hubert était mauvaise. Mais il me semble qu'elle n'est pas mauvaise pour les pauvres de Saint-Hubert et que des détenus peuvent bien également la boire.

Lorsque ces enfants ont joui ainsi du bien-être pendant trois, quatre ou cinq ans dans cette prison, ils éprouvent beaucoup de répugnance à retourner chez eux.

M. le ministre de la justice a fait allusion à ce que j'ai dit qu'on devrait envoyer ces enfants travailler aux mines. Dans ma pensée, il y aurait des pénitenciers établis au milieu des groupes charbonniers.

Aujourd'hui le séjour du pénitencier est agréable pour les jeunes détenus. Pendant deux ou trois heures on leur donne de leçons de lecture, d'écriture, de calcul ; on leur met ensuite une aiguille ou un rabot en main, ils sont tailleurs ; d'autres sont menuisiers. Ils ne souffrent pas beaucoup, vous le voyez, d'être dans un pareil établissement. Mais s'ils étaient obligés pendant quatre ou cinq mois de descendre dans les mines, ils ne trouveraient plus le séjour du pénitencier aussi agréable et ils ne recommenceraient pas de sitôt.

M. Vander Donckt. - Je n'ai que deux mots à répondre à l'honorable ministre de la justice. Il ne peut adopter l'opinion de l'honorable M. Allard, au sujet de l'emploi des jeunes délinquants dans les mines, il dit qu'il craindrait que ces enfants ainsi employés ne fussent pas l'objet d'une surveillance suffisante, de soins suffisants. Mais je crois que l'idée de l'honorable M. Allard peut parfaitement se concilier avec les nécessités que signale l'honorable ministre de la justice.

Il ne s'agirait pas d'envoyer les jeunes délinquants aux mines au lieu de les envoyer à St-Hubert ; mais ce serait au sortir du pénitencier, alors qu'ils sont abandonnés à eux-mêmes, qu'ils rentrent dans la société, qu'il serait utile de les employer aux mines, ce qui serait pour beaucoup d'entre eux un secours et un secours efficace. Lorsqu'ils auraient été à l'école de St-Hubert, qu'ils y auraient puisé les principes d'une bonne conduite, on les enverrait aux mines ou l'on trouverait moyen de les employer utilement pour la société. Par ce moyen aussi on débarrasserait les communes de la charge qu'elles ont souvent à supporter pour l'entretien de ces enfants au sortir du péùitencier.

Vote de l’article unique

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'article unique du projet. Il est adopté à l'unanimité des 68 membres présents.

Ces membres sont : MM. Veydt, Visart, Wasseige, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Calmeyn, Coomans, Coppielers 't Wallant, David, de Breyne, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Portemont, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Janssens, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, T'Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vervoort et Delehaye.

- La séance est levée à 4 heures et demie.