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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 décembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 209) M. Maertens procède l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les secrétaires communaux de l'arrondissement de Virton demandent une loi qui assimile les secrétaires communaux aux fonctionnaires de l'Etat, qui leur assure des droits à la pension ainsi qu'à leurs enfants et à leurs veuves, qui établisse le minimum et le maximum de leur traitement et qui mette une partie de ce traitement à la charge de l'Etat. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition. Depuis longtemps l'attention du gouvernement est appelée sur la position des secrétaires communaux qui en justice doit être améliorée. Il est temps que le ministère prenne à cet égard une résolution qui est impatiemment attendue. Je prie donc monsieur le ministre de s'occuper de cet objet dans le plus bref délai.

- Le renvoi de la pétition a la commission des pétitions est ordonné.


« Les sieurs Van Lillo, distillateurs à Eessen, demandent une modification à la loi sur les entrepôts, afin qu'il leur soit possible d'obtenir un entrepôt fictif pour y déposer des grains étrangers destinés à la distillation. »

- Même renvoi.

M. de Breyne. - Je demande, en outre, un prompt rapport. La pétition est relative à un projet de loi qui sera sous peu présenté à la Chambre.

Je demande, en conséquence, que l'assemblée veuille ordonner un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Boucher demande que les avocats et les magistrats d'un tribunal qui sont membres de la société de Saint-François Régis soient considérés comme proches parents en matière de divorce. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Prévôt demande qu'on augmente la somme qui est allouée aux détenus pour dettes à titre d'entretien. »

- Même renvoi.


« Le sieur Wuine, commissaire de police de Spa, demande une indemnité du chef des fonctions d'officier du ministère public, qu'il remplit près le tribunal de simple police du canton. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Watou demande le rétablissement d’un bureau de douanes dans cette commune. »

- Même renvoi.

M. Vandenpeereboom. - Je demande en outre que la Chambre invite la commission des pétitions à faire un prompt rapport. Je m'expliquerai, quand le rapport sera présenté.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Lorge, ancien lieutenant de douanes, prie la Chambre de statuer sur sa demande relative à la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lassine réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension ou un secours en faveur de son beau-fils, le sieur Devrez, militaire congédié du service pour infirmités. »

- Même renvoi.


« Plusieurs cultivateurs et éleveurs de l'arrondissement de Tournai demandent l'établissement d'une station d'étalons à Antoing. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Derette demande que le gouvernement accorde à une société particulière un subside destiné à la construction des 24 bateaux pour la grande pêche et qu'en attendant ou décrète la libre entrée du cabillaud, de l'églefin, de l’elbot et de la flotte. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Le sieur Michel Nothomb, propriétaire à Arlon, né à Levelange, grand-duché de Luxembourg, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. Le Hon, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.


M. Delfosse (pour une motion d’ordre). - Messieurs, hier j’étais absent lorsqu'on a présente l'analyse d'une pétition adressée par un certain nombre d'habitants de la partie nord de la ville de Liège, relativement à la Vieille Montagne. Cette pétition a été renvoyée à l'examen de la commission des pétitions ; comme elle est très importante et qu'elle présente un caractère d'urgence, je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

M. Lelièvre. - J'appuie la demande de l'honorable M. Delfosse. Il y a véritablement urgence à s'occuper de l'établissement dont il s'agit. Depuis longtemps l'attention du gouvernement est appelée sur ce point et des plaintes nombreuses sont adressées aux diverses autorités. Il est important de prendre sans délai une décision à cet égard. J’engage le gouvernement à ne pas perdre de vue les réclamations vives et pressantes des citoyens lésés par l'état de choses actuel. On ne peut évidemment tarder à y faire droit.

- La proposition de M. Delfosse est mise aux voix et adoptée.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer des rapports de la commission des naturalisations sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués. La Chambre les met à la suite de l’ordre du jour.

M. Van Overloop. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer un rapport de la commission des naturalisations sur une demande de grande naturalisation.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

Pièces adressées à la chambre

M. le président. - Par lettre du 12 de ce mois, M. le ministre de l'intérieur m'informe que le Roi présidera à la distribution des récompenses accordées à la suite de l'exposition universelle de Paris, que la cérémonie aura lieu aux Augustins, lundi 17 décembre à midi.

M. le ministre a joint à sa lettre 125 billets d'entrée pour MM. les représentants.

- Pris pour notification et distribution des billets d'entrée aux membres de la Chambre.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

(page 214) M. Manilius. - Messieurs, je commence par déclarer que je suis parfaitement d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, quant à l'appréciation de l'article 2 de la loi que le gouvernement nous a présentée. Comme M. le ministre, je voterai pour l'article 2, non par principe, mais eu égard aux circonstances du temps.

Messieurs, l'article 2 ainsi écarté de la discussion, quant à moi, je reviens à l'article 3.

L'article 3 n'aura pas de ma part le même accueil. Cet article est un renchérissement sur les dispositions favorables que j'avais témoignées l'année dernière à la libre entrée des denrées de toute nature, libre entrée à laquelle non seulement je me suis associé, mais dans laquelle je suis parvenu à faire comprendre et les viandes de toute espèce et un autre aliment très important qui est le riz.

J'ai dû subir l'année dernière un grand choc de résistance de la part du gouvernement, et cependant, j'ai eu le bonheur de réussir.

Je vois avec plaisir que cette année on a maintenu, le gouvernement a maintenu dans sa nomenclature ces deux aliments et il a parfaitement raison. Car les faits ont prouvé de quelle importance était cette adjonction.

L'année dernière, il paraissait que par la libre entrée du riz le trésor public était menacé d'une ruine inévitable. L'entrée du riz était d'une importance telle, que le trésor aurait souffert de la libre entrée la plus vive atteinte ; il ne fallait donc pas permettre cette libre entrée. Cette année que fait le gouvernement ? Assisté sans doute du conservateur naturel du trésor, assisté sans doute du ministre des finances, il va plus loin que je ne suis allé l'année dernière.

Il ne s'agit plus des égards que le précédent ministre avait pour le trésor ; il va plus loin, et par l'article 3 il dit : « Le riz et les autres aliments n'arriveront pas seulement libres, mais l'immense quantité de navires qui doivent importer ces aliments seront libres de tous droits de tonnage. Je ne crains plus rien pour le trésor ; le trésor n'a rien à y voir, je veux que tout puisse entrer librement. Je veux que l'entrée du riz ne soit gênée en rien. » Or, la question du tonnage pour le riz n'est pas très importante, car les navires qui importent le riz ne doivent payer le droit de tonnage qu'une fois par an. Car ils doivent aller chercher cette denrée au loin, 40 millions de kil. de riz ont été importés en 1855, grâce à la libre entrée.

Ces 40 millions de kil. sont venus pour la plupart par navires étrangers. Ce matin, j'ai examiné la nomenclature des navires, plus de moitié des importations de riz ont eu lieu par navires anglais. Eh bien, ces navires, il est vrai, ne font qu'un voyage au plus dans l'année. Le droit de tonnage ne se paye non plus qu'une seule fois. Cependant le ministre ne veut même pas que ce droit soit payé, et il fait ainsi le sacrifice d'une somme assez ronde.

Je suis réellement satisfait de pareille disposition. Je suis loin pour ma part d'en faire un grief au gouvernement ; je les accueille avec plaisir et je voudrais pouvoir voter l'article 3. Mais qu'ai-je vu dans la section centrale dont j'avais l'honneur de faire partie ? C'est qu'à l'instant même on se disputait le bénéfice de cette suppression du droit de tonnage. Qui aura ce bénéfice ? Selon les uns ce seront les capitaines étrangers, ce seront les armateurs étrangers.

Mais un amendement est intervenu et on a dit : Ce ne sera ni l’un ni l'autre. Le bénéfice sera partagé par le commerce, par ceux qui font la déclaration, le commissionnaire, et il faut que celui qui introduit le riz jouisse de l'indemnité du droit de tonnage, quand il fera la déclaration. Il en résultera encore un léger dégrèvement en faveur de ces importations. Mais je le demande, ce droit de tonnage est-il assez important pour qu'on se le dispute ? Je ne le crois pas et je n'accepterai pas l'article 3.

Messieurs, après avoir été amené par la discussion générale à vous parler de ces deux articles, l'un que j'accueille avec empressement, l'autre que je ne puis adopter parce qu'il n'a pas d'importance, j'en viens à l'article premier, auquel je me suis permis de nouveau de faire une addition par mon amendement.

J'ai été surpris, messieurs, de voir que le gouvernement n'avait pas compris le poisson dans une nomenclature très longue et où il fait figurer des articles qui n'ont réellement aucune importance. Ainsi, on y trouve les haricots de toute espèce, les fèves, les lentilles, le macaroni, le vermicelle. Je ne crois pas que ces articles aient la même importance que le poisson.

Apres réflexion j'ai cru que le poisson devait être compris dans les articles dont l'entrée était libre. Mais j'ai agi avec tant de ménagement que je n'ai d'abord rien voulu spécifier, laissant au gouvernement le soin d'établir la nomenclature des poissons qui seraient libres à l'entrée, en conservant tous les ménagements possibles pour notre pêche nationale. Dans une première occasion, j'ai eu l’honneur de donner (page 215) connaissance à la Chambre de mes intentions. J'ai prévenu le gouvernement ; je lui ai dit que je désirais avoir les pièces statistiques pour mieux m'éclairer. Car je voulais aussi venir en aide de toutes les façons à cette pépinière de marins dont on nous parle si souvent.

Eh bien, le gouvernement nous a donné des documents, mais il est resté silencieux lui-même. Il ne nous a rien dit. Il a commencé par déclarer à l'ouverture de la discussion qu'il n'acceptait pas l'amendement de la section centrale, amendement qui décide que le poisson sera libre à l'entrée, sauf les exceptions qui résultent des conventions internationales avec la Hollande et avec l'Angleterre.

Qu'a fait ensuite M. le ministre de l'intérieur ? Il a déposé un amendement. Je l'ai invité à nous le faire connaître ; j'étais curieux de savoir la disposition qu'il nous proposait. Cet amendement a été déposé avant-hier. Hier, M. le ministre de l'intérieur prend la parole, il fait un très long discours pour faire connaître sa manière de voir en économie politique et il ne nous dit pas un mot de son amendement.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je le ferai aux articles.

M. Manilius. - M. le ministre nous dit qu'il le fera aux articles et il nous l'avait déjà dit hier. Je pourrais en faire de même et attendre les articles. Mais lorsque nous serons à l'article premier on voudra restreindre la discussion, et je veux examiner la loi dans son ensemble ; je ne veux pas être enfermé dans l'examen d'un seul article. Je veux dans la discussion générale faire connaître ma manière de voir, afin de ne surprendre personne, afin qu'on sache les modifications que je veux à la loi et que le gouvernement puisse les examiner et juger quelles sont celles qu'il peut accueillir, quelles sont celles qu'il croit devoir repousser.

C'est ce que j'aurais voulu voir faire à M. le ministre de l'intérieur. J'aurais voulu qu'il nous donnât l'exposé des motifs de la modification qu'il propose à la loi. Peut-être qu'en développant son amendement, il m'aurait empêché de présenter le mien. Mais j'ai lu au moins dix fois l'amendement de M. le ministre, et j'avoue que j'ai eu beaucoup de mal à le comprendre. Je crois qu'à cet égard beaucoup d'honorables membres partagent ma manière de voir. Il ne faut qu'ouvrir le tarif pour voir dans quelles inextricables difficultés nous met le gouvernement. Il nous dit que le stockfisch, les plies séchées et les poissons de mer salés, fumés et sèches non spécialement tarifés, seront libres.

Mais, messieurs, tout est compris, ce qui est spécialement tarifé comme ce qui est non spécialement tarifé. Or, la non-spécialité est traitée comme la spécialité. Je vous demande si, sans explication de M. le ministre, il m'est possible de comprendre un pareil amendement. Je crois que M. le ministre a eu une intention, c'est celle de restreindre la libre entrée au stockfisch, aux plies et aux autres poissons de mer salés, fumés et séchés.

Mais si telle est son intention, je ferai de mon mieux pour la formuler d'une manière plus claire, plus compréhensible, afin de la rendre exécutable pour la douane qui est très soigneuse de faire strictement exécuter la loi, qui a des circulaires nombreuses, des voitures pleines d'instructions, sans compter les arrêtés royaux à l'infini, qui font rentrer dans les espèces déterminées ce qui n'est pas spécifié, ou assimiler par nature ce qui est inconnu, de façon que pas un poisson n'est excepté du tarif. Ouvrez les instructions attachées par numéros aux articles de douanes, et vous verrez que tout est dénommé ou assimilé, et que pas le moindre petit poisson n'est oublié.

Le serpent de mer même est compris dans le non dénommé.

Vous comprenez que dans cette situation je reste encore court pour le développement de mon amendement. Je voudrais savoir de M. le ministre s'il est d'accord avec moi, s'il veut la libre entrée des poissons non dénommés, cela comprend presque tous les poissons ; car dans le tarif on ne dénomme ni la raie, ni le turbot, ni le cabillaud, tout cela rentre dans les poissons non dénommés, rien n'est tarifé pour les poissons les plus fins ni les plus communs. On n'a tarifé spécialement que le saumon, l'écrevisse, le homard et quelques autres espèces, ainsi que le hareng.

De cette manière, presque tout le poisson sec ou salé pourra entrer parce qu'il est non dénommé. S'il en est ainsi, il y a grâce assez étendue pour le poisson salé, fumé et séché.

La seconde partie de l'amendement qui concerne le hareng, a reçu les honneurs d'une petite loi particulière de droits différentiels. M. le ministre des affaires étrangères, qui a été consulté, a trouvé que rien n'était plus facile que de se mettre à l'aise avec les puissances avec lesquelles on a fait des traités.

Nous avons un traité de pêche avec l'Angleterre et un avec la Hollande, chacun de ces pays a eu un allégement sur le droit dont le hareng est frappé à l'entrée dans notre pays. Il s'agissait par l'amendement de la section centrale d'en laisser l'entrée libre.

Ainsi toute difficulté vient à cesser, plus de gradation à conserver n'était nécessaire, plus de prétention a être favorisé, aucune puissance ne peut demander à être traitée sur le pied de la nation la plus favorisée, toutes sont sur le même pied, l'entrée est libre.

C'est si bien compris que chaque fois qu'on a pris une disposition semblable, on n'a rencontré aucune difficulté, quoique l'on n'ait pas fait de droits différentiels. Ainsi quand vous avez pris une mesure relativement à l'entrée des charbons ; eh bien, la France avait un avantage pour le charbon d'Anzin, la Prusse avait un avantage pour son charbon, la Hollande avait un avantage pour le charbon. Qu'a-t-on fait ? Ont a décrété la libre entrée du charbon et on n'a fait aucune différence de pavillon ; c'est un avantage de plus que nous avons accordé, et il n'y a pas eu de réclamation.

Aujourd'hui il s'agit des denrées alimentaires à l'égard desquelles il existe aussi des faveurs. Ainsi pour les céréales on avait avantagé la Hollande, le Limbourg et le Luxembourg ; vous avez décrété la libre entrée des grains sans faire aucune différence.

Ce qui m'étonne le plus c'est cet égard particulier que l'on a pour la Hollande par une mesure qui serait une véritable aggravation pour l'Angleterre. La Hollande n'avait de faveur que sur une quantité donnée.

Pour qu'elle pût jouir de cet avantage, la convention voulait l'entrée d'une certaine quantité de poisson. Ensuite l'importation était entourée de toute espèce de formalités, ce qui contrariait singulièrement le commerce de la pêche. Il fallait un certificat du bourgmestre, il fallait la garantie que les pêcheurs étaient nationaux. C'était à l'infini. Maintenant l'entrée sera libre pour le hareng, maintiendra-t-on ces formalités ?

Je citerai encore un exemple. Pour le macaroni et le vermicelle, vous avez traité avec la Sardaigne, avez-vous jamais songé à frapper le macaroni qui vient d'autres pays, pour favoriser la Sardaigne ?

J'espère, messieurs, que vous ferez pour le poisson ce que vous aver fait pour toutes les denrées alimentaires, que vous ne ferez de différence au détriment de personne. La nécessité en sera comprise par l'esprit distingué de M. le ministre de l'intérieur qui comprend même que comme ministre il doit vouloir ce qu'il ne voudrait pas comme député. Il voudra que cet aliment si sain et si abondant, le poisson, soit mis à la portée des classes ouvrières et peu aisées.

On viendra peut-être nous dire que cela nuirait à notre pépinière de marins. Eh bien, messieurs, c'est le contraire qui aura lieu. Si mes renseignements sont exacts, à l'heure qu'il est, il est impossible de trouver sur le littoral un seul navire qui veuille charger des tans ou des écorces de chêne pour les conduire en Ecosse ; s'il y avait espoir de. trouver des retours, on trouverait des navires pour cette exportation. Vous auriez alors des marins, vous auriez de l'occupation à bord de ces navires. On nous dit que si les équipages manquent aujourd'hui c'est que notre pépinière est trop faible.

Mais quelle est donc cette pépinière7 Vos pécheurs restent perpétuellement sur la côte ; vous les retenez sur la côte ; vous les empêchez d'aller plus loin, par vos restrictions.

Cela est tellement vrai que ceux qui ne sont pas associés à la pêche et qui habitent Ostende, vous adressent des pétitions dans un sens tout opposé : ils demandent qu'on laisse la pêche beaucoup plus libre.

Je ne m'associe à ces pétitionnaires que dans une mesure raisonnable.

Je veux qu'on aide la pêche nationale par des moyens sages et qu’on n'entrave pas.

Je veux qu'on laisse le plus de liberté possible, en tenant compte des ménagements qu'on doit à la pêche nationale. Rien de plus.

Je dis donc que si vous acceptez l'amendement que je propose, et qui pourra se modifier suivant les développements que M. le ministre de l'intérieur donnera à son amendement, si vous sanctionnez la libre entrée du poisson, vous ferez un bien réel à la pêche nationale, car cette pêche ira prendre alors du poisson dans des parages convenables, et elle s'abstiendra d'aller le chercher là où il ne se trouve pas ; en second lieu vous procurerez au pays un aliment abondant et sain ; vous aurez en troisième lieu des faveurs marquantes pour le transport du poisson en transit.

Notez que vous empêchez de transiter par votre chemin de fer, une matière aussi facile à transiter et aussi généralement nécessaire dans les pays voisins, l'Allemagne.

Je le répète, ily a aujourd'hui plus de cent mille tonnes de poisson qui transitent par la Hollande vers l'Allemagne ; vous empêchez par la prohibition, notre chemin de fer d'avoir ce transit. J'appelle sur ce point toute l'attention de M. le ministre des travaux publics.

Ce que je dis aujourd'hui de la pêche nationale n'est fondé que sur la situation précaire où nous nous trouvons ; je ne raisonne qu'au point de vue de la nécessité d'avoir des denrées alimentaires.

Mais si nous étions dans d'autres circonstances, je pourrais raisonner, relativement aux entraves que rencontre la pêche nationale. C'est une question qui mérite d'être examinée en tout autre temps.

Il y a des règlements vicieux qui devraient disparaître ; il y a dans cette législation des dispositions qui doivent être abrogées ou profondement modifiées ; mais nous aurons à faire cela plus tard ; pour le quart d'heure, ce que nous devons chercher à avoir, ce sont des aliments abondants. Je pense qu'à cet égard la plus grande partie des membres de cette Chambre sont comme nous animés du vif désir de venir en aide à l'alimentation du peuple.

Je n'en dirai pas davantage pour le moment ; j'attends, pour reprendre la parole, s'il y a lieu, que M. le ministre de l'intérieur ait développé son amendement.

(page 209) M. Julliot (pour une motion d'ordre). - Messieurs, il y a un grand nombre d'amendements déposés sur le bureau. La question, au lieu de devenir plus claire, me semble devenir plus obscure.

Je propose à la Chambre de renvoyer les amendements à la section centrale qui pourrait nous faire un rapport demain.

- La proposition de M. Julliot est mise aux voix et n'est.pas adoptée.

La discussion générale du projet de loi sur les denrées alimentaires est reprise.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, un honorable député de Gand me fait un reproche de ne pas avoir expliqué jusqu'ici la portée de l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre. D'une part, j'avais cru que cet amendement était parfaitement clair et s'expliquait de lui-même ; d autre part, j'attendais la discussion de l'article premier pour faire valoir certains arguments en faveur de l'amendement.

L'honorable membre dit n'avoir pas compris cet amendement. J'en suis fâché, mais il me semble que les termes dans lesquels l'amendement est conçu ont été en général trouvés clairs par tout le monde. Quoi qu'il en soit, quand on examine bien la portée de l'amendement de l'honorable M. Manilius et celle de l'amendement qui a été présenté par le gouvernement, on trouve qu'il n'y a pas une bien grande difl'érence entre les deux amendements.

Le gouvernement se borne à énumérer quelques espèces de poissons qu'il propose de laisser entrer librement ; l'honorable M. Manilius fait une longue nomenclature des poissons qui ne seront pas libres à l'entrée. Il y a cependant deux différences entre la proposition de M. Manilius et celle du gouvernement. Une première différence, c'est que l'honorable M. Manilius n'établit aucun système différentiel quant à la libre entrée des harengs, tandis que le gouvernement établit un système différentiel eu égard aux provenances.

Une deuxième différence, c’est que l’honorable M. Manilius veut permettre l’entrée libre du poisson commun « frais », tandis que le gouvernement se borne à admettre la libre entrée des poissons salés, fumés ou séchés, destinés à la consommation populaire.

Messieurs, je ne sais s'il est bien nécessaire d'entrer dans de longues considérations pour fournir à la Chambre ce que l'honorable M. Manilius appelle l'exposé des motifs de l'amendement du gouvernement.

Le gouvernement vous propose la libre entrée du stockfish, des plies séchées et des poissons de mer salés, fumés et séchés, non spécialement tarifés ; puis viennent les harengs avec des droits différentiels.

L'honorable membre dit ne pas comprendre quels sont les poissons de mer salés, fumés et séchés, non spécialement tarifés. Il s'agit d'abord (page 210) de poissons salés, fumés et séchés ; donc, dans la pensée du gouvernement, il n'est pas question de permettre la libre entrée des poissons frais. Voilà le premier point expliqué.

Maintenant, quant aux mots « et non spécialement tarifés », j'avoue qu'au premier abord l'honorable membre est admis jusqu'à un certain point à les trouver peu clairs, en ce sens que la plupart des espèces de poissons de mer, consommées en Belgique, sont spécialement tarifés ; par conséquent, dit l'honorable M. Manilius, qu'entendez-vous par poissons de mer « non spécialement tarifés » ?

Messieurs, j'ai cru devoir ajouter ces mots par prudence. Aujourd'hui, avec le grand mouvement commercial qui s'opère dans toutes les parties du monde, il peut nous arriver des espèces de poisson que nous ne connaissons pas jusqu'à présent. Or, pourquoi exclure les espèces de poissons salés, fumés ou séchés que les pays lointains pourraient importer comme aliment utile à nos populations ?

Il suffira de citer un exemple pour démontrer la nécessité d'admettre les mots : « non spécialement tarifés ». Il se fait actuellement un commerce immense entre l'Amérique du Nord et le Mexique, les Antilles et même le Brésil, pour la vente d'un poisson salé et séché d'une espèce nouvelle appelée « bacaliau ». C'est un poisson qui se place entre la morue et le stockvisch.

D'après les renseignements qui me sont parvenus, la consommation en est grande, et il s'en expédie des quantités de plus en plus considérables des Etats-Unis qui le fournissent vers le Mexique, les Antilles et le Brésil qui le consomment.

Il y a quelques jours un armateur s'est adressé au gouvernement pour le prier d'admettre en franchise de droit ce poisson inconnu dans notre pays et non classé dans notre tarif douanier. C'est en partie dans l'intention de fournir des encouragements au commerce qui veut opérer sur cette nouvelle espèce de poisson, que le gouvernement a ajouté dans l'amendement les mots : « et les poissons de mer salés, fumés et séchés non spécialement tarifés.é

Vous voyez que ces mots ne sont pas inutiles. Tout porte à croire qu'il s'introduira des cargaisons de ce poisson non encore connu en Belgique, qui est plus nutritif que le stockfisch, qui ne peut nuire en aucune façon à notre pêche nationale et qui fournira un élément nouveau à l'alimentation publique.

Ces mots s'expliquent donc par un fait, et nous ne pourrions pas donner l'assurance que d'autres espèces encore ne seront pas introduites qui jusqu'ici ne sont pas connues chez nous et que le commerce peut nous amener. La prudence exige que la loi puisse s'appliquer aussi aux espèces de poissons salés, fumés ou séchés que les étrangers peuvent nous otfrir et dont les noms ne figurent pas au tarif.

Quant aux harengs, je me rangerais volontiers de l'avis de l'honorable membre, de permettre la libre entrée de toutes les espèces, sans différence d'arrivages, ni de pays de provenance. Mon honorable collègue des affaires étrangères a donné dans la section centrale quelques explications qu'il voudra bien reproduire ici sur les motifs qui ont dicté un acte de prudence et de courtoisie à l'égard d'une nation voisine.

Le gouvernement belge ne reconnaît pas à l'Angleterre et à la Hollande, dans la circonstance présente, un droit positif à réclamer un traitement différentiel en vertu de leurs traités faits avec la Belgique ; mais il a cru faire acte de courtoisie et de bon voisinage en maintenant une tarification différentielle à l'entrée du hareng, pour rester dans l'esprit de ces traités.

Au point de vue de l'alimentation, cette tarification différentielle est sans importance, car la plus grande partie des harengs que nous consommons nous vient de la Hollande, et continuera de nous venir de ce pays, probablement en plus grande quantité, puisque l'entrée en sera désormais complètement libre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, je dirai un mol pour expliquer l'amendement que le gouvernement a présenté relativement aux droits différentiels sur les harengs. La Belgique a évidemment, incontestablement le droit de déclarer les harengs de toute provenance libres à l'entrée.

C'est son droit strict ; le gouvernement des Pays-Bas n'aurait aucune espèce de plainte officielle à élever ; mais au moment où le traité va être dénoncé et où des négociations vont être entamées pour conclure une nouvelle convention, il m'a semblé qu'il fallait se replacer dans la position où nous étions en 1851, et interpréter le traité de 1851 comme la Hollande l'aurait certainement fait à cette époque.

En 1851, quand le traité avec la Hollande a été négocié, on sait tous les efforts qu'on a dû faire pour arriver à un droit différentiel sur le poisson. Tout le monde sait combien le gouvernement a eu de peine à l'établir et à le faire adopter par les Chambres.

Dans ce moment le gouvernement belge, pas plus que le gouvernement des Pays-Bas, ne prévoyait qu'il pourrait jamais arriver telles circonstances qui feraient surgir une proposition tendante à permettre la libre entrée des harengs. Si on l'avait prévu, le gouvernement des Pays-Bas aurait fait ses réserves et demandé une différence en faveur du hareng de provenance néerlandaise. C'est en se plaçant à ce point de vue, pour témoigner vis-à-vis de la Hollande des dispositions bienveillantes du gouvernement, que j'ai proposé de maintenir la différence qui existe actuellement en faveur des harengs de provenance hollandaise. Ainsi actuellement les harengs venant de Hollande payent un droit de 6 francs et les harengs venant d'Angleterre en payent 13, différence 7 francs en faveur de la provenance néerlandaise.

Nous n'aggravons en aucune façon le hareng anglais, au contraire nous proposons de déclarer libre à l'entrée le hareng venant de la Hollande et de réduire à 7 fr. le droit sur le hareng anglais ; c'est la différence établie par le trailé de 1851 en faveur des harengs venant de la Hollande. Nous proposons donc de maintenir intacte la faveur dont les Pays-Bas sont en possession.

Voilà la proposition du gouvernement. La Chambre n'est pas, en vertu de la foi des traités, tenue de se rallier à cet amendement.

En droit rigoureux, on peut déclarer la libre entrée des harengs de toute provenance sans qu'aucune plainte officielle puisse être articulée par le gouvernement des Pays-Bas. Mais je prie la Chambre d'adopter la proposition ministérielle afin de prouver au cabinet de la Haye le désir que nous nourrissons de conserver avec lui les relations les plus amicales.

M. Osy. - Je réclamerai encore un moment votre bienveillante attention pour répondre au discours de l'honorable M. Dumortier.

De tous les orateurs que vous avez entendus, l'honorable député de Roulers est le seul qui ait la conviction que le bien-être du pays réclame la prohibition de la sortie des grains ; tous les autres orateurs, le gouvernement lui-même, ne font que céder à la pression de l'opinion. Moi-même, comme je l'ai dit avant-hier, j'avais été ébranlé l'année dernière par l'opinion, mais ce qui s'est passé depuis 1854 m'a prouvé que.nous avions fait une très grande faute en y cédant, et j'espère qu'on reviendra un jour à une opinion plus saine.

L'honorable M. Dumortier taxe tous ceux qui demandent la libre sortie des grains de libre-échangistes. Sous ce rapport, je déclare que je ne veux pas me ranger du côté de ceux qui veulent quand même le libre échange, je suis de ceux qui pensent qu'on doit aller doucement, d'après la situation.

On a parlé souvent de l'intérêt de l'agriculture ; elle est arrivée à un point qui nous permet de suivre l'exemple des pays voisins. Eh bien, j'ai prouvé que dans les pays où la libre sortie a été maintenue, les prix des céréales ont été plus bas que chez nous.

Il est vrai, comme l'a dit hier M. le ministre de l'intérieur, que pendant les cinq premiers mois les prix ont été, en Belgique, de niveau avec les pays voisins. Cependant, vous pouvez voir, d'après la statistique que, dès le mois de janvier nous avons importé de 3 à 7 millions de kilogrammes par mois, et qu'au premier décembre nous avions importé 80 millions de kilogrammes, formant un million d'hectolitres de froment.

Je dis que si l'on n'avait pas eu la prohibition de sortie, le commerce eût été plus actif qu'il n'a été ; car, dans les premiers mois de l'année, ne pouvant recourir à l'étranger pour vendre les grains, les négociants ont dû calculer que, la récolte ayant été bonne, les besoins n'auraient pas été aussi considérables. Ce n'est qu'au mois de juiu que le commerce ayant vu que la récolte de 1855 présentait un déficit, que les prix ont considérablement haussé, a dit : Il est temps que nous fassions plus que dans les premiers mois de l'année.

Si vous n'aviez pas eu la prohibition de sortie, l'activité eût régné dès le commencement de l'année, tandis que par suite de la loi, elle n'a commencé qu'en juin ou juillet.

Nous avons prouvé que partout chez nos voisins, les grains ont été de 4 ou 5 fr. meilleur marché que chez nous. L'honorable M. Dumortier dit : Vous n'avez des grains que de seconde main. Qu'entendez-vous par seconde main ? Si j'achète au fermier hollandais, anglais ou du Zollverein, il me semble que c'est de première main. Il en est de même des grains que nous avons fait venir en quantités considérables de la Zélande et des ports d'Angleterre où il n'y a pas d'entrepôt.

Les prix s'étant élevés on a acheté beaucoup de grains dans les provinces rhénanes. Ces grains se trouvent à Cologne, arrêtés par l'interruption de la navigation. Je profite de cette occasion pour engager l'honorable ministre des travaux publics à s'entendre avec la société rhénane pour faire arriver le plus tôt possible ces grains par le chemin de fer.

Je dis que ce n'est pas de seconde main que nous avons les grains qui sont importés dans le pays ; car depuis les mois de septembre et d'octobre, il est parti pour les Etats-Unis directement des ordres considérables, comme cela se fait en Angleterre. Avant la fin de l'année, nous aurons des importations de plus de cent mille hectolitres de froment.

Les 40 millions de kilogrammes de riz qui viennent de l'Inde, et qui sont versés dans la consommation, sont aussi sans doute importés de première main. Je parle de cette importation de riz parce que l'on ne consomme plus le riz de la même manière qu'autrefois. Mais tous nos moulins font de la farine qu'on mêle au pain, et ce mélange donne un pain excellent. Il s'en fabrique notamment à Tournai : c'est encore un avantage.

Il y a constamment des navires affrétés pour l'Inde. Je crois que, l'an prochain, nous ne nous arrêterons pas à 40 millions, et que nos importations iront jusqu'à 50 millions.

L'honorable M. Dumortier, le Moniteur français en main, nous a dit quel était le prix du pain chez les différentes nations. Il nous a dit qu'à Londres le prix du pain est beaucoup plus élevé qu'à Bruxelles. Mais la qualité du pain blanc variant à l’infini, les prix doivent subir les mêmes variations. Il est donc impossible de faire une comparaison entre le prix du pain des différentes localités, la véritable comparaison est entre les prix des marchés aux grains.

(page 211) A cette occasion, je suis charmé de vous annoncer que si vous aviez eu la liberté d'entrée et de sortie vous auriez eu des maisons puissantes qui seraient venues s'établir à Anvers. Je connais une maison grecque, établie à Londres qui a des maisons sur la mer Noire, dans la Méditerranée et en Angleterre, et qui avait l'intention de fonder une maison à Anvers ; mais avant elle a envoyé à Anvers, pendant trois mois, un de ses employés pour bien connaître nos lois, et elle a reconnu qu'avec nos lois elle ne pouvait s'établir à Anvers. C'est ainsi que nous perdons des maisons paissantes qui achèteraient certainement plus de grains que ne peuvent en acheter les marchands de grains d'Anvers.

Voyez où conduit le système de l'honorable M. Dumortier. Vous avez un amendement par lequel on demande la prohibition de sortie de l'orge. Vous avez un amendement de M. Dumortier qui propose un droit de 15 p. c. sur les œufs et le beurre. En section centrale,, on avait même proposé un droit de sortie sur le bétail.

Pour le bétail, la statistique prouve que nous importons plus que nous n'exportons. De quoi avons-nous besoin ? De bétail jeune que nous engraissons dans le pays, et que nous exportons en France. Le bénéfice reste dans le pays. Ce serait donc une grande faute d'établir un droit de sortie. Je suis charmé que la proposition faite en section centrale n'ait pas été renouvelée à la Chambre.

Pour les oeufs et le beurre ce serait également une faute, car ce serait la production de nos petits fermiers que vous frapperiez. Vous les empêcheriez de tirer tout le parti possible de leur exploitation.

Il me reste à dire quelques mots à l'honorable M. Dumortier au sujet des marchés d'Anvers. Nous avons trois marchés à Anvers ; le marché aux grains où doivent se vendre les grains que les fermiers portent en ville le jour du marché, ensuite la vente des grains sur échantillons, dans les estaminets pour être livrés après le contrat ; le troisième marché, c'est la bourse où se vendent non seulement les grains étrangers mais même les grains indigènes. C'est-là le véritable marché régulateur du prix des grains.

Eh bien, je vois au Moniteur du 7 de ce mois qu'on a vendu le vendredi auparavant au marché officiel 30 hectolitres de froment pour l'alimentation d'une ville de 100,000 âmes, tandis que le même jour, pour une ville de 25,000 âmes, pour Malines on en vendait 418 hectolitres. De manière que ce marché officiel n'est rien en réalité. Je crois que ces 30 hectolitres ont été vendus à 42 francs, tandis que le même jour, dans deux villes peu éloignées, à Malines et à Lierre, le blé se vendait à 40 francs. Vous comprenez bien que les boulangers qui voient une aussi petite quantité de grains au marché, n'hésitent pas à l'acheter à un prix assez élevé, pour pouvoir dire à leurs pratiques : Le grain est cher, et je dois vendre mon pain en conséquence.

Je le répète, le véritable marché régulateur, c'est la bourse. Or le même jour où l'on vendait à 42 francs sur le marché officiel, on vendait à la bourse du très beau froment américain et du très bon froment belge à 22 florins courant de Brabant, ce qui ne fait pas 40 fr. Pour avoir le véritable prix d'Anvers, il faut donc prendre celui qui se paye à la bourse et celui qui se paye pour les marchés qui se font sur échantillon dans les estaminets.

Je crains, messieurs, que d'après les dispositions que je remarque, on ne continue cette année encore à défendre la sortie.

Pour moi, je n'ai mis dans cette question aucune passion. L'année dernière j'ai été ébranlé comme beaucoup de monde. Mais en présence des faits qui se sont produits dans l'année 1855, il m'est impossible de voter la continuation de ce système, parce que je suis persuadé qu'il va à l’encontre du but que l'on veut atteindre. Le but auquel on vise, c'est d'avoir le plus de denrées alimentaires possible, au moindre prix possible ; mais, je le répète, je crois, par les raisons que j'ai énumérées, que nous allons à rencontre de ce but. En 1854, la récolte était bonne, nous avons pu traverser les premiers mois de 1855 avec des prix raisonnables. Mais la récolte de 1855 a été très inférieure à celle de 1854 ; vous ne verrez donc plus le même fait se reproduire dans les six premiers mois de 1856, vous aurez des prix beaucoup plus élevés.

Dans ces circonstances, je voudrais qu'on en revînt à la liberté du commerce. Mais, je le répète, je crains que par suite d'une pression du dehors on ne maintienne un système dont le gouvernement, l'année dernière, n'avait d'abord pas voulu. Car le gouvernement vous avait proposé la libre sortie, et ce n'est que sur les instances de quelques membres et par suite d'une pression extérieure, qu'il a consenti à la défense de sortie. Je regrette que M. le ministre de l'intérieur n'en soit pas revenu au système de la libre sortie ; car les opinions sont changées depuis l'année dernière ; plusieurs membres de cette Chambre et beaucoup de personnes dans le pays ont reconnu l'inutilité et les désavantages de la prohibition de sortie.

Dans la chambre de commerce d'Anvers, à la suite d'une discussion à laquelle j'ai assisté, quelques membres l'année dernière ont demandé la prohibition à la sortie. Mais je puis affirmer qu'eux aussi ne se sont prononcés dans ce sens que par suite d'une pression extérieure ; on s'est dit qu'il ne fallait pas donner occasion de provoquer des troubles dans le pays. Je crois, quant à moi, que le pays est assez sage pour se rendre à de bonnes raisons appuyées sur des faits et que nous ne devons pas trembler devant les criailleries de quelques personnes. Je suis persuadé que nous ferions beaucoup mieux, dans l'intérêt du pays, de lever la défense à la sortie.

J'ai entendu hier, et je m'y attendais, l'honorable M. de Haerne et l’honorable M. Dumortier nous prédire que lorsque les grains seraient à bon marché, on prendrait des mesures contraires, qu'on demanderai la prohibition à l'entrée ou l'établissement d'un droit. Voilà, messieurs, le système de ces honorables membres. Mais, comment voulez-vous que l'étrangtr établisse des relations sérieuses avec vous lorsqu'il voit que vous êtes un pays aussi versatile, que vous changez votre législation par suite d'une bonne ou d'une mauvaise récolte ? Soyez persuadés que ce n'est pas là le moyen de grandir votre commerce.

Si vous aviez des lois stables, sur la fixité desquelles on pourrait compter, le commerce ne vous ferait jamais défaut et ce qui a eu lieu en 1846, en 1847 et cette année vous en donne la preuve certaine.

Je regarde donc comme un fait très regrettable le maintien de la prohibition à la sortie, d'autant plus qu'on s'en prévaudra plus tard, pour vous amener à établir des droits à l'entrée, et, soyez persuadés qu'on ne se contentera plus d'un droit de 50 centimes ou d'un franc, mais qu'un ira beaucoup plus loin. En effet, depuis 1846 les fermiers ont fait de bonnes affaires, et par suite les propriétaires ont considérablement haussé leurs baux.

Depuis 1846, ces baux ont augmenté d'un tiers, sinon de moitié. Eh bien, si autrefois le prix rémunérateur du froment était 18 fr., il devra plus tard être de 24 fr. Lors donc que le froment sera au-dessous de 24 fr., les fermiers et les propriétaires crieront misère et on vous demandera l'établissement de droits considérables à l'entrée.

M. Coomans. - Messieurs, certaines attaques dirigées contre la classe la plus nombreuse, je suis tenté de dire la plus méritante, des travailleurs belges, me forcent à sortir du silence de la résignation que je me proposais de garder, sans le mauvais vent qui souffle sur nos têtes.

Je ne dirai qu'un mot de la prohibition : c'est que je la repousse, parce qu'elle est inefficace en fait et dangereuse en principe.

En ce qui concerne les cultivateurs, on a été inexact et injuste ; on s'est livré à leur égard à des insinuations regrettables, contre lesquelles je dois m'élever. On les a accusés de réaliser des bénéfices exagérés, des bénéfices, usuraires. On les a, en quelque sorte, rendus responsables de la crise alimentaire. On les a signalés, involontairement, je le veux bien, mais on les a signalés à la vindicte publique. Or, messieurs, il n'y a rien de vrai dans cette accusation. A part quelques fermiers qui exploitent des fermes de 50 à 200 hectares, la masse des fermiers souffre autant que les industriels proprement dits, de la crise alimentaire, autant que les populations urbaines. C'est ce qui saute aux yeux de quiconque sait à peu près ce qui se passe dans les campagnes. Tout fermier bien avisé aime mieux vendre 6 sacs de blé à 30 fr. que 2 à 60 fr. ; son bénéfice argent est plus élevé et il a en plus la paille, qui est indispensable aux progrès de l'agriculture ; il a en moins la masse de mendiants qui assiège sa ferme et à laquelle il doit fournr une bonne part de son excédant.

La vérité est que la plupart des fermiers (je dis la plupart parce que les petits fermiers sont les plus nombreux) sont très malheureux en ce moment attendu qu'ils n'ont presque rien à vendre. Le bénéfice du fermier ne résulte pas du prix des choses qu'il récolte, son bénéfice résulte de ce qu'il vend. Or, que lui importe le prix du blé s'il n'a rien à vendre, s'il doit tout consommer lui-même ? Et c'est le cas pour un très grand nombre de cultivateurs belges, qui n'ont absolument rien à vendre. Je ne parle même pas de ceux qui, loin d'avoir quelque chose à vendre, sont forcés d'acheter leur nourriture.

Je connais bien des fermiers qui sont forcés d'acheter, surtout les fermiers qui se livrent à la culture des plantes industrielles. Allez voir, du reste, les campagnes, où l'on dit qu'il se réalise des bénéfices usuraires : mais le nombre des mendiants n'a jamais été plus élevé qu'aujourd'hui ; ce qui s'explique par la cherté des vivres et par le dénuement où se trouvent tous les petits cultivateurs.

Le fermier est donc le premier intéressé à l'abondance, et c'est une vérité que nous ne saurions faire résonner assez haut. Il est très dangereux et très faux de présenter l'intérêt des fermiers comme incompatible avec l'intérêt des habitants des villes. Soyons vrais, soyons, perspicaces, soyons prudents et reconnaissons que l’intérêt des villes et l’intérêt des campagnes sont identiques, sont solidaires, que lorsqu'une classe de la population souffre, toutes souffrent.

Voilà la vérité, voilà ce que nous devons dire, et quand il sera démontré que nous souffrons tous également de la disette, nous aurons travaillé au maintien de la paix et nous supporterons plus facilement les malheurs dont nous sommes frappés.

Messieurs, un mot seulement de la proposition qui a été faite de fixer tous les marchés au même jour et à la même heure. Il en est de cette proposition comme d'une foule d'autres qui iraient droit à rencontre du but qu'on veut atteindre. Messieurs, je suppose un instant la proposition adoptée ; je suppose que tous les marchés se tiennent au même jour et à la même heure.

Quel résultat aurez-vous obtenu ? Ce résultat-ci, c'est que les marchés seront très mal fournis, c'est-à-dire que les prix s'élèveront parce qu il est vrai et qu'il restera vrai, malgré toutes les nouveautés que l'on invente à ce sujet, que les prix des choses se règle d'après l'offre et la demande. Lorsque les marchés sont peu fournis les prix s'élèvent ; or, les marchés seront peu fournis dans l'hypothèse où je me place.

En effet, les fermiers exploitent aujourd'hui différents marchés en une semaine, lorsque tous les marchés se tiendront au même jour et à la même heure, le fermier ne pourra plus se rendre qu'à un seul (page 212) marché au lieu de fréquenter les deux ou trois marchés qu'il exploite maintenant dans le rayon où il se trouve.

Cette proposition n'est pas seulement contraire aux principes, mais elle aurait des suites absurdes, elle serait dangereuse même au point de vue où l'on se place, l'intérêt isolé du consommateur.

En ce qui concerne le poisson et la viande, que nous voulons tous mettre à la portée de toutes les bouches, j'attache très peu d'importance à la diminution ou à la suppression de droits de douane que l'on demande ; je la voterai volontiers quels que soient les besoins du trésor. Mais nous devons dire, pour ne pas créer des illusions et tromper le peuple, que l'effet sera à peu près nul, car le droit de douane n'est que le sixième, le dixième, le douzième même des droits d'octroi.

La cherté du poisson est causée par l'octroi et je suis très surpris qu'on n'en dise rien dans cette enceinte. Là est le nœud de la question, le gouvernement va se dépouiller encore (je ne lui en fais pas un crime) de certaines recettes de la douane dont il pourrait, faire un si bon usage ; je trouve étrange qu'il se dépouille toujours sans profit pour le consommateur et en laissant tout le bénéfice aux 70 douanes urbaines qui nous avons en Belgique.

La cherté du poisson, je le répète, est occasionnée par l'octroi, non seulement parce que les droits locaux sont plus élevés de 6 à 12 fois que le droit de douane, mais parce que les villes ont su entourer le commerce du poisson de tant d'entraves fiscales que toutes ces difficultés font renchérir encore le prix déjà beaucoup trop élevé du poisson.

Je me propose, quand la discussion sera plus libre, d'insister sur ces considérations.

M. Thibaut. - Messieurs, je suis au nombre des partisans de la liberté du commerce des grains. Je crois que si des mesures législatives peuvent avoir quelque influence favorable sur le prix des denrées alimentaires-, aucune ne sera plus efficace que la liberté assurée à l'exportation comme à l'importation. Cette opinion, qui a été solidement établie par plusieurs orateurs, n'est point rejetée par l'organe du gouvernement, et la section centrale ne la combat que timidement. Dans cette enceinte, il est peu de membres qui réclament, par conviction, la prohihition à la sortie, mais plusieurs ne croyant à l'efficacité ni de la liberté ni des mesures restrictives, sont disposés, pour des motifs divers, à donner une satisfaction à des désirs loyalement et pacifiquement manifestés sur des points nombreux du pays. Nous restons donc sur l'article 2 du projet de loi divisés, comme l'an dernier, en deux parties presque égales.

Il est cependant à souhaiter, messieurs, que les dispositions principes de la loi qui sortira de nos délibérations soient votées à une forte majorité. Si le pays voyait ses représentants unanimes, il serait inévitablement convaincu que les mesures qu'ils ont approuvées sont les meilleures qui puissent être arrêtées dans les circonstances actuelles. La responsabilité des pouvoirs serait alors beaucoup allégée.

Il me semble, messieurs, que mus par la même pensée, animés par le même sentiment, sentiment vif et ardent de venir, autant qu'il dépend du pouvoir humain, apporter un adoucissement aux souffrances causées par la cherté des subsistances, nous devrions chercher à fondre nos opinions, en faisant de part et d'autre un sacrifice au bien public. Pourquoi vous, messieurs, vous artisans de la prohibition, ou disposés à la voter sans avoir confiance en elle, ne concéderiez-vous pas la liberté du commerce par voie maritime ; et nous, messieurs, partisans de la liberté, pourquoi ne concéderions-nous pas de notre côté la prohibition sur les frontières de terre ?

Je ne sais si je m'abuse, mais de bonne foi, je crois que cette transaction devrait satisfaire tout le monde.

Consultez les prix des grains sur les marchés qui avoisinent la Belgique et sur le marché belge, vous verrez, et l'honorable M. Dumortier l’a reconnu, que l’exportation ne pourrait avoir lieu avec bénéfice que par les frontières de terre, et surtout vers le département du Nord. Eh bien, prohibons l'exportation par ces frontières.

L'importation sur laquelle nous devons principalement compter, que nous devons appeler et favoriser, a lieu par la voie de mer. Mais le commerce s’effraye des entraves, il fait ses approvisionnements dans les ports qui lui offrent les conditions les plus avantageuses ; moins on lui promet de liberté, plus on l’éloigne. Si on lui enlève toute liberté, il n'offre sa marchandise que quand la demande est faite pour un prix qu’il est certain de ne pas obtenir ailleurs, et pour cette raison il n'en offre que la quantité proportionnée aux besoins du moment ; d'où il suit que les prix se maintiennent constamment au taux le plus élevé.

S'il en est ainsi, comme l'ont avancé d'honorables orateurs qui ont parlé avant moi, sans être contredits par personne, hâtons-nous, messieurs, de rendre la liberté au commerce maritime.

En un mot, prohibons où la prohibition peut empêcher la hausse, donnons la liberté où la liberté peut amener la baisse des denrées alimentaires ; faisons de part et d'autre une concession aux circonstances et conservons nos principes.

Je me borne, messieurs, à ce peu de mots. Si l'idée que je produis dans ce grave débat qui nous occupe et sur laquelle j'appelle l'examen, était recueillie, il suffirait d'introduire par amendement à la fin de l'article 2, les mots : « par terre, canaux ou rivières. »

- L'amendement de M. Thibaut est appuyé.

M. de Steenhault. - Messieurs, les honorables membres qui toujours dans cette enceinte ont défendu la prohibition à la sortie des céréales, en ont encore, cette année, préconisé tous les avantages.

Après toutes les réfutations, toutes les réponses qui leur ont été données, toutes les preuves qui leur ont été apportées, il y aurait plus que de la témérité, il y aurait folie d'espérer de les voir modifier leur opinion.

Ce n'est donc pas pour leur répondre de ce chef que j'ai demandé la parole et je me serais complètement tu dans cette discussion, qui n'est déjà que trop longue peut-être, si l'honorable M. Dumortier n'était venu nous apporter hier quelque chose de tout nouveau.

L'honorable membre, dans une série d'articles additionnels, demande entre autres choses la fixation des marchés dans tout le pays au même jour et à la même heure, et propose de frapper les facteurs ruraux d'une patente de cent francs. En d'autres termes, il demande la suppression de ces agents, car lui, qui veut avant tout le grain à bon marché, ne peut vouloir qu'ils s'indemnisent de ce surcroît d'impôt au détriment du producteur et du consommateur.

Quand je dis que c'est du nouveau, je me trompe, cela n'est pas complètement exact, et ce n'est nouveau que pour nous. Ces pauvres facteurs avaient déjà été en butte à l'animadversion d'un gouvernement de l'époque, et l'honorable membre était en droit d'invoquer des précédents.

A une époque où toutes les questions relatives à l'alimentation publique étaient si bien comprises qu'on y alla jusqu'à défendre l'ensemencement des terres, sous prétexte de ne rien enlever à la consommation, en 1692 de fâcheuse mémoire, un édit imposa aux marchands, absolument comme le veut aujourd'hui M. Dumortier, de vendre eux-mêmes leurs grains, et l'honorable auteur des amendements aurait trouvé, dans l'exposé des motifs de l'époque, un admirable développement à sa pensée.

Cet exposé est trop curieux pour que je ne vous en donne pas un échantillon.

Voici entre autres ce qu'il disait :

« Il leur est défendu sous de grosses peines d'y employer aucuns facteurs ou commissionnaires. Ainsi les marchands de la ville et les forains, se rencontrant ensemble sur les mêmes marchés, les forains toujours pressés de retourner à leur commerce ou à leurs affaires, lâchent la main, vendent à meilleur marché... cela sert encore à entretenir l'abondance, car plus tôt le marchand forain a débité ses grains, plus tôt il s'en retourne et en amène d'autres. » (Traité de la police, par Delamare).

Or, là est toute la pensée de l'honorable M. Dumortier, et qui résulte à l'évidence de la combinaison de ses articles 1 et 3 qu'il propose, car que veut-il au moyen de ces deux articles additionnels, si ce n'est obliger le fermier de vendre en quelque sorte au hasard, coûte que coûte, sans lui donner le choix du marché, sans lui donner la faculté de s'enquérir des prix et des conditions ; il veut le mettre dans l'alternative ou de vendre coûte que coûte, ou de rapporter sa marchandise chez lui, à moins de l'entreposer, ce qui ne se fait pas sans frais.

Il veut, en un mot, mettre l'industrie agricole au ban des autres industries, faire de l'agriculteur une machine à production, un ilote auquel vous refusez la plus simple et la plus importante des garanties, celle de faire ce qu'il veut de la marchandise qu'il a produite.

Voilà la traduclion littérale de ces deux articles.

En premier lieu, messieurs, cela serait-il juste ? Mais ensuite ces pauvres facteurs mériient-ils bien la réprobation dont les frappe M. Dumortier ? J'en doute, pour mon compte, beaucoup.

D'abord il n'est pas exact de dire que les facteurs tendent par leurs manœuvres à faire hausser les prix. Cela n'est pas exact, car ce serait diamétralement opposé à leurs intérêts.

Le facteur en grain ne reçoit un tantième fixé par l'usage que lorsqu'il y a transaction, quel que soit, d'ailleurs, le prix de vente, et dès ce moment pousser à la hausse serait évidemment s'exposer à ne voir aucune transaction se réaliser.

Je crois, moi, que le facteur tend plutôt à faire baisser les prétentions du vendeur, parce qu'alors il a plus de chance de recevoir son tantième.

Là se trouve, je crois, la vérité.

Le facteur est alors, en quelque sorte, nécessaire au fermier, qui n'a pas toujours du temps à perdre à courir les marchés.

La vente des colzas, par exemple, fort importante dans plus d'une de nos provinces, s'opère presque toujours par l'intermédiaire des facteurs. Cette vente se fait et doit se faire à une époque ou le fermier est précisément encombré de besogne, et surtout alors le facteur lui est utile, quand le temps lui manque pour aller lui-même à la découverte d'un acheteur.

Qusnt à la fixation des marches à la même heure et au même jour, je crois que l'honorable auteur de la proposition n'y a pas suffisamment réfléchi.

Si cette mesure était adoptée, vous verriez instantanément certains marchés complètement abandonnés, tandis que d'autres, mieux placés pour l’écoulement de la marchandise, seraient encombrés. La demande, plus puissante que l'offre, ferait évidemment hausser les prix outre mesure d'un côté, tandis que vous auriez une baisse équivalente de l'autre coté.

(page 213) Ajoutez à cela l'absence des facteurs dont le métier est de se tenir au courant des besoins de la demande et de l'offre, de répartir la marchandise là où elle manque.

Vous aurez infailliblement une rupture d'équilibre complète, et les disparates les plus saillantes dans les prix d'une localité à une autre.

Qu'en résulterait-il en fin de compte, si ce n'est une hausse progressive dans les prix ? Car les détenteurs ne se résigneraient que bien difficilement à lâcher leur marchandise à des prix inférieurs à ceux qui ont été obtenus dans une localité voisine, et ces prix seraient naturellement majorés des difficultés du transport et de la vente.

N'auriex-vous pas alors les réclamations immédiates de toutes les villes qui se croiraient lésées par cette nouvelle réglementation ?

Il ne suffit pas de décréter des marchés ; les coutumes, les habitudes sont autant de circonstances dont il faut tenir compte et qu'on ne peut froisser impunément.

Et puis, messieurs, en admettant un instant que ce système soit bon à une époque exceptionnelle, serait-il tolérable, alors que les grains se vendraient à des prix qui n'atteindraient, à peine, qu'une juste rémunération ?

Ce prix excessif des denrées alimentaires ne se perpétuera pas, je l'espère bien, et pourriez-vous alors bouleverser de nouveau tous nos marchés qui, vous le savez bien, ont déjà quelquefois tant de peine à s'achalander ?

Il ne faut pas se faire illusion, messieurs, cet âge d'or dont on parle tant ne se perpétuera pas pour l'agriculture ; la progression des baux, résultat de la baisse de la valeur de l'argent, la hausse de tout ce qui est nécessaire à l'agriculteur en dehors de ce qu'il produit, rétablira bientôt l'équilibre, et nous en arriverons infailliblement à une époque où tout en vendant ses produits plus cher il n'en obtiendra en définitive qu'un prix peut-être à peine rémunérateur.

Quant à la prohibition à la sortie des lapins, des œufs et du beurre, Jj n'en dirai rien, sinon que cette mesure odieuse, au point de vue des petits agriculteurs qui, quoi qu'en ait dit l'honorable M. Anspach, souffrent au moins aussi vivement que l'ouvrier des villes, si cette mesure, dis-je, venait à passer, nous nous croirions autorisés, quelques-uns de mes amis ei moi, à vous proposer de frapper les charbons à la sortie, ou de permettre la libre entrée des fontes, qui aurait, nous le pensons, le même résultat.

Nous croyons dans ce cas pouvoir compter sur les honorables membres qui auraient voté la prohibition à la sortie des denrées, dont je parle et qui logiquement ne pourraient s'opposer à la mesure que nous proposerions.

Le combustible atteint des prix relativement aussi élevés que les denrées alimentaires, presque autant qu'elles il est nécessaire à la vie, et il serait, je pense, assez difficile de justifier l'une des prohibitions et de trouver l’autre inadmissible.

(page 217) M. de La Coste - Messieurs, si je me présentais roi comme l'avocat de la prohibition, on pourrait m'opposer mon vote de 1853 ; mais je pense que dans des circonstances dont il ne faut pas s'exagérer la gravité, mais qui ont leurs difficultés, leurs embarras, dans une question où chacun veut être juge, parce que chacun y a l'intérêt le plus pressant, on peut reconnaître sans honte et accepter sans lâcheté la puissance de l'opinion publique, de l'opinion du moins la plus répandue dans le pays, soit dans les classes inférieures, soit même parmi les personnes qui ont reçu une éducation distinguée. Pour en être persuadé il suffit d'avoir assisté en diverses occasions à nos débats.

Si l'on avait néanmoins la conviction que cette opinion réclame une mesure, non seulement sujette à des objections et moins efficace qu'elle ne le suppose, mais directement contraire dans les effets qu'elle va produire à ce qu'on en attend ; si l'on partageait à cet égard les idées de l'honorable baron Osy, il faudrait avoir le courage de résister à cette opinion ; mais quoique peu favorable aux prohibitions, j'avoue que je n'ai pas une foi aussi robuste que l'honorable député d'Anvers, dans les mercuriales ; je crois d'ailleurs que, de la meilleure foi du monde, chacun y choisit les chiffres qui cadrent le mieux avec l'opinion qu'il professe. Je demanderai, par exemple, pourquoi l'on passe sous silence la différence qui existe entre le marché de Lille et le marché de Bergues. Je n'ai pas appris que cette ville se soit déclarée indépendante et ait seule de toute la France adopté la liberté du commerce des grains. Cependant il y a entre Lille et Bergues, qui ne sont qu'à une distance de 4 lieues l'une de l'autre, des différences de prix aussi grandes que celles qu'on peut remarquer entre l'Angleterre et la Belgique

Lorsque ensuite l'on compare la moyenne des marchés anglais avec celle des marchés belges, pourquoi ne dit-on pas que sous le régime de la liberté et sous le régime de la prohibition un même phénomène se fait remarquer : c'est-à-dire qu'en 1854 quand la prohibition n'était pas encore décrétée, nous voyons dans les premiers mois de l'année, jusqu'à la récolte, l'avantage du bon marché pour la Belgique et que nous voyons le même fait se produire sous le régime de la prohibition depuis le mois de novembre 1854 jusqu'au mois de juin 1855 ?

Là où le même phénomène se présente sous deux régimes opposés, on ne peut pas dire qu'il est l'effet de la législation ; la cause en est donc autre ; et quelle est cette cause ? C'est, je le suppose, que nous sommes encore un pays agricole, qu'il ne nous manque qu'une faible portion de ce qui est nécessaire à nos besoins, que nous avons ainsi sous la main l'agent le plus puissant de notre alimentation et la ressource la plus voisine et la plus directe. C'est un avantage que l'Angleterre et la Hollande ne possèdent pas au même degré. Je sais que ces nations ont à leur tour d'autres avantages que je ne conteste pas, mais c'en est un néanmorns pour un pays de trouver dans son propre sein de quoi fournir à ses habitants le pain à un bon marché relatif pendant une bonne partie de l'année.

Il est vrai qu'une portion du blé que nous consommons pourrait nous manquer et qu'il faut bien la payer au prix du commerce. Peut-être pourtant s'exagère-t-on un peu trop l'insuffisance de notre production.

On était habitué autrefois, dans notre pays, à le considérer comme pouvant même fournir aux autres peuples. Maintenant on apprend, avec une espèce d'inquiétude, qu'on a besoin de recourir tous les ans à l'étranger.

Je crois que ceci a besoin d'une explication. D'abord, ce déficit, très regrettable, il faut l'avouer, est peu considérable, proportionnellement à la consommation, à tous les besoins en céréales. Il a été de 2 à 3 p. c, puis de 5 p. c. En le comptant à 1,112,000 hectolitres, comme dans les documents ministériels, il n'est encore que de 7 à 8 p. c. Voilà donc la proportion : l'agriculture nous donne plus des neuf dixièmes ; le commerce ne nous donne pas un dixième.

Sans doute son intervention n'en est pas moins un bienfait immense, surtout dans les années de disette ; nous ne saurions trop nous appliquer à assurer au commerce tout le développement dont il est susceptible, mais il ne faut pas perdre de vue que plus des neuf dixièmes sont fournis par l'agriculture, et c'est encore dire beaucoup trop peu.

En effet, dans les documents ministériels, on a présenté comme des années normales les années 1850, 1851 et 1852. Je pense, pour moi que ce ne sont point là des années normales. Il y a un fait qui les domine : c'est la pénurie des pommes de terre. Il en est résulté deux faits subordonnés auxquels il faut faire bien attention. Une partie plus ou moins considérable de terres arables a été enlevée à la culture des céréales, parce que les pommes de terre lorsqu'elles réussissaient, ce qui était toujours l'espoir du cultivateur, lui procuraient un bénéfice considérable.

D'un autre côté, le déficit des pommes de terre a réagi sur la consommation des céréales. Il y a donc deux motifs pour ne pas regarder ces années comme normales et pour considérer le déficit de 1,112,000 hectolitres, comme dépassait la mesure. Mais, quoi qu'il en soit, si l'agriculteur n'a pas fourni cette quantité directement, elle l'a fournie indirectement. Et c'est ce que je crois pouvoir démontrer par quelques calculs.

J'ai pris pour base le tableau du commerce de 1854, quoique cette année ne soit pas non plus une année normale ; mais, comme la pluis rapprochée de nous. Voici ce que j'ai trouvé.

J'insérerai les détails en note dans le Moniteur, et je ne vous donnerai que les sommaires de mes chiffres.

Voici donc, en nombres ronds, les valeurs officielles de quelques-uns des principaux produits agricoles importés de l'étranger

(le tableau qui suit, reprendant l’excédant des importations sur les exportations pour les céréales, le bétail, le beurre, fromage, œufs, viandes, les fruits et légumes, le houblons et le lin, n’est pas repris dans la présente version numérisée. Il se conclut par un excédent global des importations de 19,000,000).

Avec cet excédant qui, plus exactement, s'élève à 19,125,528 fr. et auquel on peut joindre celui des huiles, nous avons pu payer d'autres (page 218) objets, comme les graines dont l'importation excède en valeur leur exportation, et le riz qui a pris tant de place dans la consommation.

(Suit le tableau des importations et exportations des graines, huiles et riz, qui se conclut sur un excédant des importations global de 19,606,173 fr. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée).

Vous voyez en résumé que cela se balance à peu de chose près et qu'en dernière analyse notre agriculture a pourvu à l'alimentation publique, soit directement soit en fournissant des valeurs égales propres à être offertes en échange.

Maintenant je me demande pourquoi le pays, au lieu de produire directement la quantité qui lui manque en froment et en seigle, ne cultive pas un peu moins de lin, de houblon, de graines oléagineuses.

La réponse me semble bien simple, c'est parce qu'il trouve plus d'avantage à se livrer à ces cultures, et que, au moyen de l'excédant qu'elles lui fournissent, il obtient le blé qui lui manque.

Tout ce dont on se pourvoit à l'étranger s'obtient en définitive par échange. C'est là un fait élémentaire ; l'argent, les lettres de change ne servent que d'intermédiaire. Ne vous semble-t-il donc pas que si nous allons entraver la sortie du bétail, la sortie du laitage, la sortie des œufs, nous allons aussi diminuer les moyens d'obtenir le blé qui nous manque ? Nous aurons moins de produits à donner à l'étranger ; par conséquent nous obtiendrons en retour moins de substances alimentaires.

Mais, dira-t-on peut-être, nous donnerons d'autres produits ; nous donnerons des draps, des toiles, de la houille et certainement la Belgique ne manque pas de produits. Il n'y a pas de pays, comparativement à son étendue et à sa population, qui ait une telle variété, qui ait une telle puissance de production dans tous les genres. Elle exploite son sol ; elle exploite les entrailles mêmes de son sol ; elle exerce toutes les branches d'industrie. Nous ne manquerons donc pas de produits pour livrer à l'importation. Oui, mais l'étranger les voudra-t-il ? Nous livrons à l'étranger tout ce que nous pouvons produire et tout ce qu'il veut accepter. Si nous gênions la sortie du bétail, du laitage ou de tous autres produits de l'agriculiure, nous n'augmenterions pas les besoins de l'étranger en objets fabriqués. Nous nous appauvririons ; nous diminuerions nos moyens d'échange sans aucun profit pour les autres branches d'industrie. En un mot pourquoi exportons-nous des œufs, du beurre, tandis que nous importons du blé ? C'est parce que nous avons moins besoin d'oeufs et de beurre que du pain.

Messieurs, c'est une triste vérité que les trois quarts de la population ne consomment ni œufs, ni beurre, ni viande, ou du moins en consomment fort rarement, et qu'ils trouvent dans la vente de ces denrées un moyen de se procurer les choses nécessaires à la vie. Pour ma part, je connais et je pourrais nommer de petits cultivateurs qui sont précisément dans ce cas, qui ne voient jamais ou qui voient tout au plus une ou deux fois par an sur leur table, ces denrées dont on voudrait, dans les meilleures intentions, entraver l'exportation ; à qui leur champ ne fournit pas même les moyens d'existence, et qui ne trouvent que dans la vente de ces objets et dans une journée bien moins rétribuée que dans les villes, les moyens de pourvoir à leurs besoins les plus pressants.

Sans doute il serait fort à désirer que la consommation de la viande et de toutes les substances dont j'ai parlé pût être plus générale. Mais la prohibition ne doit pas devenir une manière usuelle, une manière toute simple de se réserver les objets que l'on désirerait avoir en plus grande abondance. Il n'y a qu'un grand intérêt national qui puisse légitimer ces mesures exceptionnelles ; cet intérêt, je crois le reconnaître dans l'état de l'opinion et dans les circonstances présentes, pour les céréales et pour les pommes de terre.

Je crois que sortir brusquement de notre législation actuelle relativement à ces objets et cela dans les conditions les plus défavorables pourrait avoir un effet très fàcheux sur le prix des denrées de première nécessité ; mais on ne peut mettre sur le même rang les autres substances alimentaires dont j'ai parlé.

Je crois que les honorables membres qui ont fait une proposition à cet égard, ont et emploieront largement des moyens beaucoup plus efficaces d'adoucir les souffrances qu'ils ont en vue de soulager ; c'est là un terrain sur lequel nous nous rencontrerons tous de grand cœur, sans distinction d'opinion en économie politique, ni même un politique.

(page 213) M. Sinave. - J’ai écouté avec beaucoup d’attention tout ce qui a été dit dans la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.

Les premiers orateurs que nous avons entendus ont préconisé avec énergie le libre échange. Je crois qu'à cet égard nous sommes tous d'accord. Le libre échange n'est pas un système nouveau ; il est aussi vieux que le monde. Là n'est pas la question. Il me semble que la question est de savoir si le libre échange est immédiatement applicable à la Belgique. Quant à moi, je pense qu'il faut laisser l'initiative de cette application aux grandes nations et principalement à nos voisins.

Quant à la prohibition de l'exportation des denrées alimentaires, je crois qu'il n'y a pas grand danger à maintenir ce qui existe, comme il n'y aurait pas grand danger à lever cette prohibition. Je serais, comme je l'ai toujours été, partisan de l'exportation libre. Une seule considération m'arrête : c'est de voir le gouvernement d'une nation puissante se faire marchand de céréales. Nous avons vu, il y a un an et demi, ce gouvernement acheter des blés à l'étranger pour soulager son propre marché. C'est ainsi que la perturbation a été jetée dans nos marchés. Qu'est ce que nos marchés ? Ce ne sont pas des entrepôts ; ils se règlent à peu près d'après la consommation ei lorsqu'il survient la moindre demande extérieure, on voit les prix augmenter non pas de 50 centimes non pas d'un franc, mais de 4, de 5, de 6 fr.

Pourquoi le gouvernement français préfère-t-il faire acheter sur nos marchés ? C'est parce que les grains qu'il se procure au-dehors ont subi un trajet sur mer et y ont contracté un goût qui les fait repousser de la consommation.

Lors des premiers achats qu'a faits le gouvernement français, lorsqu'il a acheté en un seul jour, à Londres, 400,000 hectolitres de blé ; ces grains arrivés en France ont été en partie vendus sur les marchés pour être remplacés par d'autres grains, par des grains sains. Aussi préfère-t-on acheter sur nos marchés des grains 3 et 4 fr. plus cher qu'à l'étranger.

Il en est de même pour nous. Les grains étrangers sont à meilleur compte que les nôtres. Je sais bien qu'à Anvers on vend des grains fortement avariés, à tel point que j'ai cru que le gouvernement devait intervenir et empêcher la vente de ces grains.

On en fait des farines pour cacher l'avarie.

Le gouvernement a nommé des experts, les farines ont été reconnues saines et bonnes. Malheureusement le pain qu'on en fait est mauvais ?

J'opinerai donc, en ce qui me concerne, pour maintenir la défenser d'exportation des grains et je voterai l'article proposé par la section centrale.

On nous a donné beaucoup de chiffres pour nous prouver que par suite de la prohibition à la sortie nos prix ont été plus bas que les prix des marchés voisins. Tout cela est fort difficile à résoudre par des chiffres ; les uns soutiennent le pour, les autres soutiennent le contre ; mais un fait est certain, c'esl que nous avons reçu à peu près 1,200,000 hectolitres.

Or, l'étranger ne nous aurait pas apporté ces grains si les prix avaient été plus bas chez nous qu'ailleurs.

Quant à la pêche nationale, j'admettrais volontiers la proposition de la section centrale si on agissait avec justice à l'égard des autres produits qu'on peut placer au même rang des denrées alimentaires. On dit, pour les denrées alimentaires, qu'il faut rendre les prix accessibles aux classes ouvrières.

Sans doute, mais le peuple n'a-t-il pas besoin aussi de se vêtir à bon marché ? Pourquoi ne pas admettre également les tissus de laine, les toiles de coton ? Supprimez les droits qui frappent ces objets et je voterai l'amendement de la section centrale. Mais si vous ne le faites pas, vous ne pouvez pas rendre les populations du littoral responsables de la cherté des denrées alimentaires tout en leur faisant subir la cherté des produits industriels.

Depuis plusieurs années déjà le gouvernement a résolu de marcher dans la bonne voie sous ce rapport, mais qu'a-t-on fait jusqu'ici ? Ou a supprimé les primes à la sortie, on a supprimé les primes pour la construction de navires. Les constructeurs ont adhéré à la suppression des primes dont ils jouissaient, mais ils ont dit : Mettez-nous en état de construire des navires à aussi bon compte que d'autres nations : laissez entrer sans droits les matériaux nécessaires à cette construction. Y a-t-il rien de plus juste ? Eh bien, messieurs, je dirai : Si aujourd'hui vous décrétez la libre entrée du poisson, quand décréterez-vous la libre entrée des tissus ?

Je demande à l'honorable M. Manilius, qu'il présente un amendement en ce sens et alors nous accepterons ce qu'il propose.

Messieurs, j'ai à faire des observations sur l'article 3. Le pays, les Chambres, le gouvernement, tout le monde est d'accord pour supprimer les primes directes ou indirectes. Eh bien, par l'article 3 on offre une prime à l'importateur des denrées alimentaires.

J'admettrais encore le principe posé par le gouvernement : le gouvernement dit : Le navire qui importe sera exempt des droits de tonnage ; mais que fait le commerce d'Anvers, par l'organe de l'honorable M. Osy, toujours si insinuant, toujours prêt à profiter de ce qui est à son avantage ? Il vous tourne la carte et on dit : Ce ne sera pas l'importateur, ce sera celui qui déclare les céréales qui jouira de la prime.

Ainsi la prime sera reçue par le commissionnaire d'Anvers et le consommateur n'aura rien. Je demanderai à M. le ministre s'il ne serait pas convenable de supprimer totalement l'article 3.

Un honorable membre a dit tout à l'heure : Ne serait-il pas possible de s'entendre et de permettre l'exportation des denrées alimentaires par mer ?

Messieurs, les communications par mer sont aujourd'hui si faciles, si promptes, qu'on pourrait fort bien, en très peu de jours, exporter des quantités considérables. J'espère que l'honorable membre n'insistera pas en faveur de cet amendement. Il vaut mieux admettre la proposition du gouvernement.

J'attendrai la suite de la discussion pour prendre de nouveau la parole s'il y a lieu.

M. de Mérode. - Messieurs, la question qui se présente ramène et ramènera toujours les mêmes arguments ; il est donc impossible de rien dire de très neuf sur le sujet qui nous occupe.

Je me bornerai donc à rappeler quelques faits qui ont été signalés déjà dans la discussion actuelle.

Si la libre sortie n'agit aucunement sur la hauteur du prix des grains, pourquoi le prix du blé en France, qui prohibe la sortie, a-t il été moindre de 3 ou 4 fr. par hectolitre dans ce pays qu'en Angleterre ? Car il est difficile de contester que le niveau se fût presque établi entre les deux territoires, si le commerce des céréales n'avait éprouvé nulle entrave. Le blé français transporté au-delà de la Manche, en Angleterre, y eût gagné certaine diminution de prix ; la France, au contraire, aurait subi une hausse correspondante et payé son pain plus cher.

Les faits prouvent donc que le principe de l'excellence normale de la libre sortie n'est pas un axiome absolu, puisque si cette sortie libre convient au peuple de l'empire britannique, il nuirait aux habitants de l'empire français.

Que la Belgique ne soit pas dans les mêmes conditions que la France, je l'admets volontiers, mais il est certain qu'en tout cas sa situation ressemble toujours infiniment plus à celle de la France qu'à celle de l'Angleterre où un commerce énorme, des colonies immenses, plus populeuses que la mère patrie, changent toutes les règles de l'existence ordinaire des nations.

On vous a parlé constamment de stabilité dans le régime des céréales et on suppose ainsi qu'il est possible de procurer aux consommateurs de la stabilité dans les prix ; mais aucune prétention n'est moins admissible, car je vous le demande, en raison des faits mêmes dont nous sommes témoins, l'Angleterre malgré son commerce libre, ne subit-elle pas comme nous, pour les grains, les différences inévitables de prix qui (page 214) résultent des bonnes ou des mauvaises récollés ? Et plusieurs millions d'Irlandais n'ont-ils pas été forcés d'émigrer du royaume qui jouit de cette merveilleuse combinaison ?

Arrangez-vous comme vous voudrez, vous ne maintiendrez point de stabilité dans le prix des denrées alimentaires dont l'abondance dépend des phénomènes plus ou moins favorables de l'atmosphère.

On nous dit, messieurs : Si vous interdisez maintenant la libre sortie on vous demandera, par compensation, quelque protection pour l'agriculture lorsque les denrées alimentaires seront en grande abondance, lorsque les prix seront complètement avilis. On aura le droit de vous faire cette demande si vous consentez aujourd'hui à prohiber l'exportation. Eh bien, messieurs, si vous voulez encourager votre agriculture, si vous voulez que le seigle, par exemple, ne soit pas vendu au prix le plus intime lorsque l'abondance régnera, vous établirez alors un droit d’entrée, et cette abondance reviendra, messieurs. Si nous avons subi la maladie des pommes des terre, si la récolte a été d'un tiers plus faible que dans les années ordinaires, cette situation ne durera pas toujours.

De même qu'en Egypte, du temps de Joseph on passa par des années d'abondance et des années de disette, de même nous jouirons de bonnes années après les mauvaises que nous traversons maintenant. Certainement, il ne faut pas décourager les agriculteurs dans ces parties du pays où l'on ne peut récolter que du seigle, il faut faire en sorte qu'ils puissent continuer leur culture parce que vous aurez besoin de leurs produits lorsque la rareté viendra de nouveau succéder à l'abondance.

Ainsi, messieurs, bien loin de partager l'opinion de l'honorable M. Osy, qui redoute comme un fléau la mince protection qui serait accordée à l'agriculture dans les années productives, je désire, autant qu'il est en moi, qu'elle obtienne cettle protection.

Celle protection lui est nécessaire aux époques où les prix seront très faibles, et l'Angleterre ne peut servir de point de comparaison, parce que l'agriculture anglaise est sous une tout autre influence que la nôtre.

Avant-hier, messieurs, j'entendais l'honorable M. Julliot dire que si les pommes de terre pouvaient sortir librement elles se vendraient à Tongrcs 11 francs au lieu de 7 ou 8 francs, prix actuel. Ainsi, messieurs, si nous permettions la libre sortie des pommes de terre, nous ferions hausser le prix de cette denrée de 3 ou 4 francs. Nous ne devons pas, nous, admettre une pareille pralique pour nous conformer à la théorie de l'honorable M. Julliot qui soutient et conclut comme l'honorable membre, que c'est une confiscation de 3 ou 4 francs par hectolitre qui frappe les producteurs de pommes de terre.

Car, messieurs, jamais des mesures de ce genre n'ont été considérées de la sorte.

M. Prévinaire. - Et le maximum ?

M. de Mérode. - En établissant le maximum, on ne crée pas un maximum de denrées alimentaires, on n'obtient pas un morceau de pain de plus à manger. C'est pourquoi le maximum n'est qu'une sottise, une absurdité. Maintenant l'Autriche prohibe l'exportation des chevaux, si les journaux nous renseignent bien, l'Autriche trouve qu'il est déjà sorti assez de chevaux de son territoire, et que, si elle a besoin de ses chevaux pour se défendre elle-même plus tard, elle doit les conserver ; c'est donc aussi une confiscation qu'elle ferait subir aux propriétaires de chevaux de ce pays.

Messieurs, dans aucun Etat on n'a considéré ces mesures de prudence comme des confiscations ; chez nous, sous l'impératrice Marie-Thérèse et antérieurement, quand il y avait cherté, on empêchait la sortie des substances alimentaires. On a agi de même en France et partout, sans y attacher la moindre idée de violence. Ne rendons pas la propriété ridicule ; n'établissons pas des droits de propriété exagérés ; pour mon compte, je déclare que, loin d'être des spoliations, ces précautions ne sont, à mes yeux, que des actes de justice et des moyens de sécurité. Nous devons nous regarder tous comme une sorte de grande famille et nous sommes obligés de nous aider les uns les autres.

Quant aux producteurs, s'ils n'ont pas besoin d'être soutenus aujourd’hui, ils peuvent avoir besoin de l'être plus tard, et alors je réclamerai pour eux la même protection que j'approuve aujourd'hui pour les consommateurs.

On a fait hier la proposition d'établir un droit de sortie sur le beurre, les œufs et la viande. Un droit de sortie sur ces denrées ne serait pas plus extraordinaire en Belgique que le droit d'entrée que l'Angleterre a établi sur les mêmes objets et qui lui procure une recette de 3 millions. Dirait-on que ces droits d'entrée constituent une confiscation que l'Angleterre fait subir à ses consommateurs ? A ce compte-là, toute intervention douanière se traduirait en confiscation.

Messieurs, comme le beurre et les œufs sont très chers, et qu'il s'en exporte une quantité considérable pour l'Angleterre, il me semble qu’on pourrait protéger un peu le consommateur belge, à l’égard des œufs et du beurre et aussi de la viande. Il me semble qu'un droit desortie de 10 p. c. serait loin d'être exagéré.

Puisque nous supprimons les droits d'enirée sur les denrées alimentaires, le droit de sortie servirait, quoique faiblement, il est vrai, de compensation pour ce que nous renonçons à percevoir, perte d'où résulte l'accroissement des déficits. Ci-devant, on nous a promis des années de félicité ; cependant cette félicité n'arrive jamais. Nous sommes atteints, tantôt par un fléau, tantôt par un autre ; il en sera de même dans l’avenir. Or, on met trop facilement à charge de l'avenir les dépenses du présent. Faisons mieux : tâchons d'équilibrer autant que possible nos recettes et nos dépenses, et nous agirons sagement. A ce point de vue, j'adhère à l'établissement d'un droit de sortie modéré sur les œufs, le beurre et la viande. Pour le moment, je me bornerai à ces observations.

- La suite de la discussion est remise à demain à deux heures.

La séance est levée à quatre heures et demie.