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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 25 janvier 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Rousselle, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 403) M. Ansiau procède à l'appel nominal à trois heures.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Heppen demande q«e les habitants de cette commune soient exemptés dorénavant de logements militaires ou du moins qu'ils le soient cette année. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bronckaert, ancien maître de pension à Gand, demande une place. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Plancenoit prient la Chambre d'accorder au sieur Lebeau la concession d'un chemin de fer de Charleroi à Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Des secrétaires communaux du canton de Peer déclarent adhérer à la pétition de plusieurs secrétaires communaux, en date du 21 décembre dernier. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la guerre adresse à la Chambre deux exemplaires de l'annuaire militaire officiel pour l'année 1856. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Rapports sur des pétitions

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du rapport sur la pétition des cultivateurs d'Hever et d'Hofstade tendant à ce qu'une loi permette aux établissements publics d'affermer leurs biens ruraux pour 18 années et au-dessus ou qui assure au moins aux fermiers sortants une indemnité du chef des engrais et amendements laissés par lui dans la terre qu'il est forcé d'abandonner.

La commission des pétitions conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice avec demande d'explication.

M. de La Coste. - Messieurs, j'ai déjà dit que j'adoptais les conclusions de la commission des pétitions. M. le ministre consultera les autorités qu'il jugera à propos de consulter, il examinera la question et il répondra comme le demande la commission. J'ai ajouté que lorsque j'aurais vu le rapport dans les Annales parlementaires, je fixerais pour moi personnellement davantage mon opinion sur les questions qui y sont traitées, parce que de la place où je suis assis, ce qui se dit a la tribune ne s'entend pas très bien. Je n'avais pas même demandé qu'il s'ouvrît une discussion à ce sujet : c'est M. le rapporteur qui l'a désiré, et je profite de cette circonstance pour soumettre à la Chambre quelques observations.

Messieurs, j'ai reconnu souvent par l'expérience que j'ai acquise en vivant à la campagne, l'inconvénient des locations par adjudication publique qui sont le mode prescrit aux hospices, à la bienfaisance et le mode aussi employé par les communes. En général les propriétaires qui administrent avec sagesse et avec douceur n'ont pas recours à ce mode ou y ont recours très rarement, pour des cas tout à fait exceptionnels.

Il en naît des résultats très différents. Dans certaines localités l'adjudication est illusoire. Je citerai un exemple. Un jeune fermier, propriétaire lui-même, possédait une pièce de terre trop éloignée de sa culture pour qu'il pût cultiver convenablement lui-même. Il l'a mise en adjudication publique. Il ne s'est présenté personne.

Ainsi, messieurs, dans quelques localités l'adjudication publique, loin d'atteindre son but, est tellement impopulaire qu'elle ne produit réellement aucun résultat et que les locations s'opèrent par des espècet de convention entre les habitants.

Dans d'autres localités, au contraire, surtout aux environs des grands centres de population, l'adjudication publique porte les terres à un taux exagéré, d'où il résulte que les locataires, surtout lorsqu'on divise les terres en petites parcelles, ce qui arrive souvent, n'ont réellement pas de quoi exister. D'un autre côté, il en résulte encore un double inconvénient plus général : c'est, d'une part, que ces adjudications réagissent sur les autres locations par la force de l'exemple et, d'autre part, servent aussi de base au gouvernement pour des évaluations exagérées à leur tour, et je vais en donner une preuve.

Dans une commune voisine de Bruxelles, un propriétaire a mis cet été en vente une maison de campagne et des prairies, qu'il a estimées au taux fixé par le gouvernement pour les droits de succession en ligne directe ; il ne s'est présenté personne.

Il a mis ces biens trois fois en adjudication sans que personne se présentât pour enchérir sur la mise a prix fixée au taux des évaluations du gouvernement pour les droits de succession en ligne directe ; il n'a pu les vendre qu'en abaissant considérablement le prix qu'il avait fixé d'abord.

Je prie M. le ministre des finances, qui est sans doute persuadé que tout est pour le mieux dans les évaluations, de prendre note de ce fait pour s’en servir à l’occasion.

Je crois, messieurs, qu'il serait avantageux, sous plusieurs rapports, que le fermier sortant pût réclamer une indemnité pour les améliorations, pour les engrais. Ceci cependant, messieurs, est sujet à quelques réserves, si l'on veut en faire une règle générale. En effet, ce principe est admis, je crois, dans une partie des Flandres et là il ne présente aucune difficulté, parce que le fermier sortant a payé lui-même l'indemnité en entrant ; il a payé les engrais qu'il a trouvés ; il est donc juste qu'il soit indemnisé à son tour, qu'il recouvre les avances qu'il a faites. C'est là, messieurs, bien plutôt une question entre le fermier sortant et le fermier entrant, qu'entre le premier et le propriétaire, car le propriétaire met nécessairement cette indemnité à la charge du fermier qui entre, parce que c'est lui qui profite des améliorations faites.

Dans quelques localités donc, messieurs, la chose est très facile, mais dans d'autres où il existe des stipulations toutes différentes, il est clair qu'il ne serait pas juste qu'un fermier, qui a eu les engrais pour rien, voulût réclamer des indemnités pour ces engrais. Et si la terre se trouvait mal fumée à son entrée, si le fermier précédent n'avait pas bien rempli les conditions qui lui étaient imposées, il sera bien difficile d'aller examiner au bout de 9 ans ce qui existait réellement dans la terre lors de l'entrée du fermier.

Cette disposition, dans tous les cas, ne pourrait jamais réagir sur le passé ; elle ne pourrait, comme il est dans la nature des choses, comme c'est le principe formel de notre législation, elle ne pourrait jamais avoir d'effet que pour l'avenir.

Un autre principe non moins formel, c'est que les contrats sont la loi des parties. Ainsi cette règle ne pourrait jamais venir dégager les uns des conditions auxquelles ils seraient légalement soumis et par là nuire aux droits des autres.

Il y a, à cet égard, messieurs, dans les diverses localités, des stipulations tout à fait différentes. Ainsi dans certaines localités on convient qu'à sa sortie le fermier pourra ensemencer un certain nombre d'hectares de grain dur, et il aura, soit la moitié de la récolte, soit la récolte entière, après sa sortie. Vous sentez, messieurs, qu'une stipulation semblable remplace avantageusement une indemnité pour engrais.

Il y a encore une considération à peser ; il existe pour les campagnards un grand danger : il y a un chancre qui ne les ronge que trop : ce sont les procès. Prenons donc garde, en voulant améliorer leur sort, d'ouvrir pour eux une source de ruine, c'est-à-dire de multiplier les procès qui dévoreraient la terre et le fumier.

Messieurs, je le répète, je ne m'oppose pas aux conclusions de la commission. M. le ministre consultera, soit les comices agricoles, soit les députatious permanentes qui doivent être au fait des usages et des intérêts locaux, et il répondra ce qu'il jugera utile. Mais pour le moment, et sauf les observations que j'entendrai, et l'examen ultérieur que nous ferons de la question, lorsque M. le ministre aura répondu, je pense qu'il ne faut pas en cette matière une règle inflexible.

M. Allard. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission des pétitions, surtout à la veille de la présentation du projet de loi sur les bureaux de bienfaisance et les administrations des hospices.

Il est incontestable, messieurs, qu'il faut nécessairement autoriser les administrations de bienfaisance et les hospices à louer leurs terres sans devoir recourir aux adjudications publiques, en prenant, du reste, toutes les précautions nécessaires pour garantir l'intérêt des pauvres.

Messieurs, il se passe dans l'arrondissement de Tournai quelque chose de vraiment déplorable. Les fermiers des hospices de Tournai, dont je suis un des administrateurs, sont traqués : lorsqu'on a une vengeance à exercer, c'est à l'adjudication publique qu'on la demande.

Rien n'est plus respecté ; la volonté des bienfaiteurs des pauvres est méconnue ; elle est respectée, il est vrai, par les administrateurs des hospices et des bureaux de bienfaisance, mais elle ne peut l'être jusqu'au bout.

Une personne charitable qui donne du bien aux pauvres stipule souvent dans son testament quelques avantages pour ses fermiers : eh bien, à l'expiration du bail, on vient pousser le fermage souvent à un taux excessif.

Il y a quelques années qu'un bien avait été révélé à l'administration des hospices de Tournai ; l'administration s'est fait autoriser à le louer, à un taux assez minime, il est vrai ; mais le bail à peine expiré, à l'adjudication publique, il nous est arrivé de la commune où se trouve le bien, des administrateurs qui, parce que l'individu n'avait pas révélé le biçn à leur commune, sont venus doubler le prix de la location. J'ai vu un fermier dont le prix de la location a été presque doublé, parce qu'il avait fait connaître à l'administration que son voisin faisait une emprise sur les biens des hospices.

Il se passe des faits plus graves encore. On va trouver nos fermiers et on leur dit : « Si vous ne vous engagez pas à cultiver sur tant d'hectares des betteraves que vous vendrez 16 francs les 1,000 kil., nous prenons vos terres. » (Interruption de M. Vïsart.)

(page 404) Messieurs, le comte Visart doit être convaincu que je ne fais pas allusion aux fabriques de sucre dans lesquelles il est intéressé. Nous avons des fermes de 1,200 francs qu'on a poussées à 2,400 francs ; des fermiers ont été dépossédés. Certes, un bon propriétaire ne consentirait pas à doubler le prix de location de sa terre, à porter à 200 francs, par exemple, la location d'un hectare qui en vaut 100. On ne doit pas exiger des administrations de bienfaisance qu'elles agissent autrement ; on ne doit pas vouloir qu'elles exigent, de la location des terres, des prix supérieurs à ceux des autres terres de même nature, situées dans la même commune, il ne faut pas faire des pauvres pour enrichir les pauvres. J'appelle l'attention de M. le ministre de la justice sur ce point et surtout sur les contrats qu'on oblige les fermiers à signer sous peine d'être dépossédés.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Ce n'est pas la première fois que la question dont il s'agit est soumise à vos délibérations. Déjà antérieurement et à plusieurs reprises, les droits du fermier sortant ont été agités dans cette enceinte. On se place ordinairement au point de vue des intérêts du propriétaire et du locataire et on répond avec beaucoup de raison : Pourquoi la législature devrait-elle intervenir dans des contrats de bail à faire entre locataires et propriétaires ? Cela est vrai ; aussi ce n'est pas à ce point de vue que j'aurai l'honneur de vous soumettre quelques réflexions.

Je me place au point de vue de la production du sol, et par conséquent de la richesse nationale. C'est là la grande question qu'il s'agit d'examiner. Messieurs, d'ordinaire et dans presque toutes les provinces, le terme du bail est de 9 ans. Lorsque le fermier entrant qui a loué la terre commence à l'exploiter, il la trouve dans un fort triste état, épuisée d'engrais et remplie de mauvaises herbes et dans des conditions fort désagréables pour le cultivateur sous le rapport du labour.

A peine peut-on faire produire à la terre tout ce qu'elle peut produire endéans les trois premières années. Ce n'est donc que la troisième année que la terre est en plein rapport. Alors pendant trois années consécutives, le locataire ou le fermier récolte tout ce que la terre peut produire.

Mais après l'expiration des six premières années du bail, il commence à craindre et à prévoir qu'à la fin de son bail, il sera dans la nécessité de l'abandonner à un autre ; cela s'applique surtout aux biens des hospices, des administrations communales, à tout ce qui fait partie du domaine public ; il devient plus avare de ses engrais, il ne laboure plus avec le même soin et pendant les dernières années de son bail il n'ensemence plus ses terres que de récoltes épuisantes, c'est-à-dire de chicorées, de betteraves, d'avoine, de blé sarrasin, enfin ce que l'on ensemence dans les plus mauvaises terres. Vous comprenez l'immense perte qui en résulte pour le pays en fait de bonnes récoltes.

Un fermier qui est assuré de conserver sa terre continue à la bien nourrir, à la bien amender, à y mettre autant d'engrais qu'il peut le faire.

Dans nos Flandres, le fermier ayant l'assurance qu'au bout de son bail il lui sera, s'il n'occupe plus la terre, payé une indemnité pour le fumier, pour le labour et pour l'ensemencement de la dernière année de son bail, est au moins certain qu'il ne se ruinera pas en donnant à sa terre tous les soins possibles. Dans les autres localités, où les mêmes usages n'existent pas, il en résulte, je viens de le dire, une perte immense sous le rapport des produits du sol. C'est sur ce point que j'ai l'honneur d'appeler spécialement l'attention de la Chambre et du gouvernement.

S'il y a quelque chose à faire, ce n'est pas intervenir entre les propriétaires et les locataires ou les fermiers ; mais il faut examiner la question au point de vue de l'intérêt général, de l'intérêt de la production et de la richesse du sol.

Ce sont là les observations que je tenais à soumettre à la Chambre. Cette considération, si je ne me trompe, n'a pas encore été l'objet de la discussion. Dans nos Flandres, depuis des siècles, cette coutume existe, et existe avec un très grand avantage pour l'agriculture, et c'est peut-être une des causes pour lesquelles l'agriculture, dans les Flandres, a été longtemps la première de tout le pays et de plusieurs autres pays.

Je demande donc que les conclusions de la commission soient adoptées, et que l'honorable ministre veuille prendre les avis des comices agricoles, des conseils d'agricultute, etc. Comme les pétitionnaires le disent, il y a déjà eu à cet égard une enquête sous le ministère de l'honorable M. Tesch. Ce travail doit se trouver dans les cartons du Ministère. J'ose espérer que le gouvernement voudra bien s'occuper de cette affaire.

M. Visart. - Messieurs, je m'adonne depuis longtemps aux travaux des champs. Ces travaux sont assez variés et assez importants pour absorber une activité supérieure à la mienne et probablement bientôt ma main ne quittera plus la charrue.

J'ai exploité comme propriétaire et à titre de location et sans études spéciales, il est résulté pour moi la connaissance du fort et du faible de la question qui s’agite eb ce moment. Eh bien, messieurs, je suis persuadé que ce que peut faire de mieux le gouvernement, c'est d'influencer autant qu'il est possible, autant qu'il est légal, pour qu'il soit toujours accordé de longs baux. Alors les inconvénients que vient d'exposer l'honorable préopinant disparaîtraient.

Ces inconvénients sont réels. Lorsqu'un fermier entre dans une exploitation, il trouve souvent la terre en mauvais état ; il est trois ans sans récolter complètement ; les trois années qui suivent donnent des résultats convenahles et les trois dernières années, il est obligé de laisser effriter le sol. Il serait dupe, s'il ne le faisait pas ; il serait dupe d'autant plus que s'il tenait la terre dans un état d'engrais convenable, il aurait d'autant plus de mauvaises chances et ses rivaux rechercheraient beaucoup plus sa terre que s'il ne l'avait pas laissé amaigrir.

Je pense que la nécessité qu'il y a de faire produire à l'agriculture le plus possible, devrait porter l'attention publique sur ce point que les longs baux sont le meilleur remède à apporter au mal que l'on signale. Les indemnités pour engrais donneront lieu constamment à des démêlés, à des chicanes, à des procès aussi déplorables que le mal que l'on veyt éviter.

Je pense, d'autre part, que les établissements publics mineurs doivent continuer à subir la tutelle du gouvernement, qui ne pourra pas appliquer un autre mode que celui des adjudications publiques, mais à longs termes. Sans cela, d'autres vices, d'autres imperfections se substitueraient au mal qui existe et comme il n'est pas donné à l'homme d'atteindre toujours la perfection, il faut choisir les procédés qui produisent le plus de bien et le moins de mal possible.

L'honorable M. Allard vous a cité ce qui vient de se passer à l'occasion de certaines adjudications publiques pour des biens appartenant aux hospices de Tournai. Ces faits sont en effet regrettables. Il y a eu des adjudications exagérées qui, tôt ou tard, amèneront des perturbations. L'administration a fait ce qu'elle a pu pour s'y opposer,

Elle n'y a pas réussi complètement. Il est certain que quelques locataires ont pris des terres à un taux tellement élevé qu'ils ne pourront continuer à payer leurs fermages.

L'administration des hospices a toujours été paternelle envers les locataires, comme elle s'est montrée juste et prudente dans l'intérêt des pauvres qu'elle ne néglige pas de soutenir. Mais elle n'a pu empêcher les exagérations citées de se produire.

Du reste, comme ces actes sont isolés, ils ne peuvent avoir d'infiuence sur la question ; de tels faits, en face des généralités, ont, à mes yeux, très peu de portée.

Messieurs, en Belgique les propriétaires, les grands propriétaires surtout, ont une manière d'agir très convenable envers leurs locataires. Ils ont pour principe de laisser les fermes dans les familles qui les exploitent depuis longtemps, et c'est un grand bien. Ces familles pouvant compter qu'à la fin du bail leurs terres ne leur seront pas enlevées, les maintiennent en bon état ; connaissant la loyauté des propriétaires, ils ont la certitude qu'ils continueront à pouvoir exploiter ; et que si le père meurt, le fils continuera à labourer le même champ. Il y a de malheureuses exceptions ; quelques locataires ont des prétentions exagérées. Le gouvernement doit, autant qu'il est possible, et en restant dans la légalité, chercher à porter remède à ce mal.

Mais comme il faut rester dans la justice et la liberté et ne point porter atteinte à la propriété, il convient plutôt d'agir par conseils et insinuation que par violence, et c'est notamment en quoi les sociétés agricoles peuvent exercer une salutaire influence ; l'association centrale, jeune encore, a donné déjà de l'élan vers le progrès, faisant comprendre l’avantage des baux à longs termes (de 12 à 18 ans), elle méritera à ce nouveau titre la reconnaissance du pays.

Je me borne, en terminant, à appuyer les conclusions de l'honorable rapporteur.

M. Julliot. - Messieurs, je ne puis laisser passer inaperçu le discours que vient de prononcer l'honorable M. Vander Donckt. L'honorable député d'Audenarde est habitué à plaider en faveur de la liberté, mais cette fois il prend le contre-pied de son rôle et nous pousse à des aspirations contraires.

Cet honorable membre plaide la réglementation de la propriété par l'Etat ; il veut que l'Etat intervienne entre le propriétaire et l'usager. Or, je considérerais cette réglementation comme une des choses les plus funestes et les plus fâcheuses.

Messieurs, chaque partie du pays a, en fait de locations de biens, des usages enracinés depuis de longues années. Il se présente dans certaines provinces des circonstances qui ne se présentent pas dans d'autres. Les sols et les cultures ne sont pas les mêmes partout. Toutes les difficultés se résolvent entre les propriétaires et les fermiers sans dommage pour qui que ce soit.

L'honorable M. Vander Donckt a attiré l'attention de la Chambre sur deux points,

Le premier, c'est qu'il faut une le gouvernement intervienne pour amener la production la plus grande possible de denrées alimentaires. En poussant cette idée un peu plus loin, on arriverait à demander une loi pour obliger à défricher les pelouses, les jardins d'agrément, etc., et à leur faire produire des céréales.

Le second, c'est que le procédé actuel est très nuisible à la culture, en ce que le fermier, qui arrive à la fin de son bail, épuise, appauvrit sa terre et la laisse dans un état de grande infériorité. Messieurs, c'est l'affaire des propriétaires. Si le propriétaire fait de bonnes conditions dans son bail, ces faits n'arriveront pas. Chez nous il y a des coutumes par lesquelles on évite ces inconvénients. Lorsqu'on donne une ferme en location on dit : A la fin du bail, le locataire laissera tant d'hectares engraissés à tel degré, il laissera tant d'hectares ensemencés ; et l'on se trouve bien de ce système.

Je crois que le gouvernement n'a pas à intervenir dans ces sortes de questions, et j'engage vivement M. le ministre de la justice à ne pas (page 405) prêter l'oreille aux conseils besoigueux$ de l'honorable députe d'Audenarde.

M. de Theux. - Je désire aussi dire quelques mots à la Chambre pour ne pas laisser croire que les conclusions de l'honorable M. Van der Donckt sont accueillies sans contestation.

Certes, il n'entre en aucune manière dans ma pensée de demander l'abrogation d'un usage ancien consacré dans les deux Flandres, usage qui est fondé sur des circonstances locales. Ainsi, par exemple, il y a dans les Flandres, des cultures qui exigent beaucoup d'engrais ; telle est la culture du lin, telles sont d'autres cultures encore. On conçoit qu'une grande partie des engrais de la ferme est absorbée par ces cultures spéciales et que le fermier doit acheter d'autres engrais pour combler le déficit. Dans ces pays, l'usage dont il s'agit est partout consacré et il est rare qu'il y ait des procès entre le fermier et le propriétaire ou entre les locataires qui se succèdent, par suite de cet usage ; mais je n'hésite pas à dire que si l'on voulait étendre cet usage à d'autres provinces, on donnerait lieu à beaucoup de procès. Or, les cultivateurs n'ont pas de temps à perdre pour plaider, ils ont encore moins à perdre de l'argent pour cet objet. Les propriétaires ne sont pas non plus amateurs de procès.

Qu'on laisse donc les baux se régler entre les propriétaires et les fermiers et qu'on ne pense pas que les propriétaires cherchent à opprimer les locataires par les clauses de leurs baux ; loin de là, messieurs. On stipule ordinairement à charge du locataire, des clauses qui sont aussi consacrées par d'anciens usages, mais il est bien rare que les propriétaires en surveillent l'exécution. Ainsi, par exemple, on défend aux locataires de faire telle ou telle espèce de culture, dans une proportion plus grande que celle qui est stipulée par le bail ; on impose au fermier des obligations relativement aux engrais, à des achats de chaux, à certains travaux qu'il doit faire ; eh bien, si on allait, le bail en main, faire le contrôle de la ferme, on trouverait qu'une grande partie des conditions stipulées dans l'intérêt des propriétaires n'a jamais été remplie. Et cependant les propriétaires ne font pas de procès aux locataires.

Quand le fermier quitte la ferme le propriétaire doit exerce' une grande surveillance pour ne pas laisser appauvrir la terre soit par la négligence de la culture, soit par l'enlèveineut des engrais. Voilà ce dont le propriétaire est toujours menacé, et c'est pour cela qu'il y a un vieil adage portant que les changements fréquents des locataires sont la ruine d'une ferme. Ce n'est donc pas dans l’intérêt des locataires qu'il faut faire la loi.

Ce qui est une cause de ruine pour les locataires c'est la concurrence qu'ils se font pour la location, et qui a pour effet d'augmenter le prix des baux ; il y en a qui prennent des baux à des prix qu'ils sont dans l'impossibilité de payer ; mais beaucoup de propriétaires comprennent que c'est là un mal et préfèrent négliger une augmentation éventuelle de rendage, soit par ménagement pour une famille qui occupe la ferme depuis longtemps, soit pour ne pas avoir un fermier qui se ruine et qui appauvrisse la ferme.

Les propriétaires, ai-je dit, se relâchent généralement des prescriptions des baux, ils se relâchent même en ce qui concerne les assolements, et finalement on arrive à ceci : c'est qu'on impose au locataire des conditions, mais qu'on lui demande seulement de prospérer et de bien payer son fermage.

Je crois donc qu'il n'y a aucune espèce de nécessité d'introduire une loi qui règle les rapports entre les fermiers et les propriétaires ou entre les locataires qui se succèdent. Le Code civil me paraît y avoir suffisamment pourvu et, quant à moi, à moins qu'on ne me prouve à la dernière évidence la nécessité d'apporter des changements au Code civil, je persisterai à demander le statu quo.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - La Chambre me permettra de dire quelques mots en réponse aux observations que nous venons d'entendre.

L'honorable M. de La Coste me paraît avoir critiqué le système de l'adjudication publique appliqué à la location des biens appartenant aux établissements de bienfaisance. Je ferai remarquer à l'honorable membre que ce système résulte de la législation. Il a été introduit par le décret du 12 août 1807, et il est de règle pour tous les établissements de bienfaisance que nul bail ne peut être fait qu'à la suite d'enchères publiques. Ce mode d'adjudication fonctionne depuis un demi-siècle, et je crois qu'il n'a pas donné lieu à de sérieux inconvénients.

Je pense, au contraire, qu'il a produit les plus grands avantages et je partage l'avis d'un honorable préopinant que les inconvénients de la location de gré à gré seraient bien plus considérables.

Du reste, le système de la location publique rentre parfaitement dans la loi commune à tous les établissements publics, qui ne peuvent louer aucun bien sans adjudication publique.

Il n'y a à cette règle qu'une seule exception, c'est celle qui concerne les baux emphythéotiques ; là une loi antérieure à celle de 1807 permet de traiter de gré à gré. Sauf ce cas, le décret de 1807 est généralement appliqué. Je crois, messieurs, qu'il faut persévérer dans cette voie.

D'honorables membres ont parlé de la question des indemnités à régler entre le fermier entrant et le fermier sortant ; de très utiles observations viennent d’être échangées à ce sujet et le gouvernement en tiendra certainement compte. D'ailleurs, comme on l'a dit, la question n'est pas neuve, elle a été agitée à plusieurs reprises ; c'est ainsi qu'un de mes prédécesseurs, en 1852, a fait une enquête sur cette question l'enquête a été continuée en 1853, on a posé aux comices agricoles et aux députations permanentes la question de savoir s'il y avait lieu de modifier les articles 1774 et 1777 du Code civil.

Les opinions ont été divergentes ; cependant la majorité s'est prononcée pour le statu quo. J'ai ici le résumé de l'enquête et j'y vois que les députations permanentes du Brabant, du Hainaut, de Liége,du Luxembourg et de Namur ont émis des avis dans ce sens.

La question a été également agitée au congrès agricole réuni dans la capitale en 1848 ; elle a été longuement débattue et voici la résolution qui a été prise : « que le meilleur mode d'assurer à chacun ce qui lui est dû, de répartir le plus équilablement possible les droits entre les fermiers et les propriétaires doit reposer sur le régime de la liberté. »

C'est l'opinion que viennent d'émettre également les honorables MM. de Theux et Julliot.

Le conseil supérieur d'agriculture a été également consulté sur la question et, par une résolution du 5 juin 1852, il a émis l'opinion suivante :

« Que l'autorité, veillant aux intérêts de l'agriculture, prît toutes les mesures d'instruction et de persuasion pour éclairer les populations dans l'exercice de leurs droits relatifs à l'exploitation de la propriété en matière de baux, d'usages et de coutumes nationaux. »

Le conseil supérieur d'agriculture conclut donc aussi au maintien de ce qui existe.

Je crois, messieurs, qu'il faut rester dans cette voie.

L'honorable comte de Theux a fait une observation très juste, c'est que la loi des parties se trouve dans le Code civil : l'article 1777 du Code civil règle la matière. Les droits et les obligations du fermier entrant et du fermier sortant sont réglés par cette disposition et à défaut d'application du Code civil ce sont les usages locaux qu'il faut consulter. Le Code civil a érigé en cette matière les usages locaux à la hauteur des lois. Ce sont ces usages qui me semblent devoir continuer à être suivis.

M. de La Coste. )- Messieurs, je me suis borné à exposer à la Chambre les inconvénients des adjudications publiques, et je ne suis pas préparé à proposer un autre système. Je n'insisterai donc pas sur ce point.

Quant à mes autres observations elles coïncident avec celles de l'honorable comte de Theux et de l'honorable M. Julliot ; je n'ai rien à y ajouter.

Mais je proposerai à la Chambre de se borner au dépôt au bureau des renseignements. Il est inutile de demander d'autres explications que que celles que M. le ministre vient de donner.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je ne m'oppose pas, si la Chambre le désire, au renvoi au gouvernement des pétitions dont il est question en ce moment. Cependant, je considère ce renvoi comme parfaitement inutile. La question a été examiné, il y a deux ans ; une enquête a eu lieu sur tous les détails de la question, pour la partie qui concerne le département de la justice, comme pour la partie qui concerne le département de l'intérieur, c'est-à-dire pour la partie agricole.

Toutes les autorités ont été consultées ; les gouverneurs des provinces, les comices agricoles, le conseil d'agriculture ; toutes ont émis leur avis, il y a environ un an et demi.

Or, messieurs, les avis ont été à peu près unanimes pour rejeter l'intervention du gouvernement dans une matière si délicate que les rapports entre les propriétaires et les locataires. Je ne pense pas, messieurs, que la question soit changée depuis un an et demi, et je ne sais pas quelles explications nouvelles pourrait donner le gouvernement.

Du reste, messieurs, voici le résumé d'une partie importante de l'enquête dont j'ai parlé tout à l'heure. (Ce résumé n’est pas repris dans la présente version numérisée).

M. Osy. - Messieurs, je pense que ce qu'il y a de mieux à faire c'est de déposer la pétition au bureau des renseignements ; j'en fais la proposition. Si des membres ne sont pas convaincus par l'enquête et par la discussion d'aujourd'hui, ils pourront provoquer une loi.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, pourquoi la commission a-t-elle proposé de demander des explications au ministre ? C'est parce qu'elle savait qu'il y avait eu une enquête et que jusqu'à présent rien n'en avait paru devant la Chambre.

Cependant l'enquête avait été ordonnée par la Chambre ; le ministre de la justice de l'époque y a fait procéder ; mais le résultat ne nous en a pas été communiqué. M. le ministre de l'intérieur propose de faire insérer le résumé de l'enquête au Moniteur ; eh bien, c'est là ce que la commission avait en vue.

- Personne ne demandant plus la parole, le dépôt de la pétition au bureau des renseignements est mis aux voix et ordonné.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition, datée d'Anvers, le 20 décembre 1855, le sieur Mertens demande l'endiguement d'un schorre, situé à l'extrême frontière du canton d'Eeckeren vis-à-vis de Santvliet.

Même demande des habitants de Capellen, Stabroeek, Lillo, Santvliet, Beirendrecht et Brasschaet.

A l'appui de leur demande, les pétitionnaires exposent que la Belgique possède, au nord d'Anvers, à l'extrême frontière du canton d'Eeckeren un schorre ou alluvion susceptible d'endiguemeni ; que dans ces parages les Hollandais ont arraché à l'Escaut des centaines d'hectares depuis quelques années, qu'ils n'entendent pas parler des contestations qui se sont élevées depuis quelque temps au sujet de la propriété d'une parlie de ce schorre entre le gouvernement et les particuliers ; que toutefois dans les circonstances actuelles, les ouvriers terrassiers de ces localités trouveraient, dans ce travail d'endiguement, un puissant soulagement à leur misère.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces peinions à M. le ministre des travaux publics.

M. Osy. - Messieurs, la pétition sur laquelle on vient de faire un rapport présente un intérêt très considérable pour la province d'Anvers, elle intéresse aussi le pays tout entier, puisqu'il faut que nous fassions tout ce qui dépend de nous pour rendre fécondes des terres qui pourraient produire des céréales.

Il s'agit ici d'alluvions à l'Escaut qu'on appelle schorres et qu'on désire voir endiguer. Il paraît qu'il y a entre le gouvernement et un particulier un procès sur le point de savoir à qui appartiennent ces alluvions. Le procès, entamé à Anvers, a été plaidé, je pense, en 1852. Voilà donc près de quatre ans que cette affaire est en appel. Je demanderai au gouvernement si nous pouvons espérer que cette affaire sera bientôt mise au rôle.

Je crois qu'en général il y a un abus dans les affaires judiciaires de l'Etat. Le département des travaux publics a un avocat qui, dans le temps, avait considérablement à plaider pour ce département, non seulement à la cour d'appel, mais même devant les tribunaux de provinces. Vous vous souviendrez qu'il y a eu des années où cet avocat touchait 40,000 à 50,000 fr. d'honoraires par an ; sur les observations que nous avons faites, il paraît que M. le ministre des travaux publics a fait un arrangement en vertu duquel l'avocat reçoit une somme fixe par an. Mais tout en approuvant cet arrangement fait dans l'intérêt du trésor, il faut aussi que nous songions à d'autres intérêts, et je crois qu'à ce point de vue il serait très utile que le gouvernement eût des avocats en province, les procès durent une éternité.

Celui dont il est question ici a commencé il y a 4 ans ; une autre affaire, dans laquelle l'Etat était intéressé, a duré 6 ans avant qu'on arrivât à une solution.

(page 407) Je ne ne sais si, dans le procès dont il s'agit en ce moment, le gouvernement, ou le particulier obtiendra gain de cause ; mais je demanderai au gouvernement, s'il gagne le procès, de ne pas endiguer le schorre à ses frais, comme le demande la pétition, mais de le vendre comme domaine ; soyez persuadés, messieurs, qu'alors, à l'instar de ce qui se fait en Hollande, les particuliers l'endigueront, si effectivement le schorre est à une hauteur telle qu'il puisse être endigué, sans nuire à la navigation.

J'engage le gouvernement à ouvrir dès à présent une enquête sur ce point.

M. Orts. - Messieurs, je dois prémunir la Chambre contre une impression que pourraient faire naître en elle les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Osy. L'honorable membre, faisant allusion à la manière dont les intérêts de l'Etat sont défendus devant les tribunaux, et notamment devant la cour d'appel de Bruxelles, a paru craindre que ces intérêts ne fussent en souffrance, parce que le gouvernement en avait confié la défense à un seul avocat.

Je puis dire qu'il n'est pas de plaideur mieux servi devant les tribunaux et notamment devant les tribunaux et la cour d'appel de Bruxelles que l'Etat. L'Etat a confié ses intérêts à un des hommes les plus capables, les plus habiles, les plus probes et le plus justement considérés du barreau de Bruxelles ; cet homme a rendu à l’Etat, comme avocat, des services éminents que tous les ministres des finances et des travaux publics ont reconnus, depuis qu'il est chargé de la direction des causes des deux départements.

L'honorable M. Osy a fait allusion à une vieille affaire qui a été parfaitement expliquée, lorsqu'elle a fait l'objet d'un débat direct dans cette Chambre ; c'est l'honorable M. Van Hoorebeke, alors ministre des travaux publics, qui a fourni les explications dont la Chambre s'est montrée complètement satisfaite ; la somme dont on a parlé tout à l'heure ne s'appliquait pas à une seule année d'honoraires, mais elle comprenait les honoraires dus pour un grand nombre d'années et qu'on a payés en une fois.

Maintenant, l'affaire dont l'honorable M. Osy a entretenu la Chambre, peut être très importante, très urgente pour l'Etat ; mais elle n'a pas ce caractère d'importance et d'urgence pour tout le monde. Il y a des intérêts beaucoup plus sérieux que d'autres plaident et qui ont droit à la priorité. Parce que l'Etat plaide, ce n'est pas une raison pour qu'il plaide le premier ; il plaide à son tour ; et comme malheureusement le rôle des affaires à la cour d'appel de Bruxelles est très chargé, il est arrivé que ce procès qui n'a aucun caractère d'urgence en lui-même, n'est pas encore arrivé, après quatre années. Je suis persuadé que cela ne tient pas au gouvernement.

M. Osy. - Si l'avocat de l'administration doit plaider dans les provinces et à Bruxelles, je crains que le nombre des affaires dont il se trouvera chargé ne soit précisément la cause du retard des jugements. Je ferai une autre observation, c'est sur la mise au rôle ; il est certain que si le gouvernement voulait insister, les procès ne dureraient pas aussi longtemps.

D'un autre côté, le gouvernement ferait bien d'avoir des avocats différents dans les provinces et près de la cour. J'engage le gouvernement à prendre cette observation en considération dans l'intérêt du trésor et des particuliers.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, il y a quelques mois une députation de personues intéressées dans cette affaire est venue m'exposer tous les inconvénients qui résultaient de ce qu'une décision judiciaire n'était pas encore intervenue et me prier de faire toutes les diligences possibles afin d'obtenir un arrêt de la cour d'appel sur la question de propriété. Je me suis enquis des causes du retard considérable qu'avait éprouvé l'instance engagée, et j'ai donné des instructions pour qu'une prompte solution fût sollicitée.

J'ai pu me convaincre par les renseignements qui me furent donnés, que ce ne sont pas seulement les affaires de l'administration qui sont restées en retard, mais qu'il en est de même de celles qui concernent les particuliers.

Plusieurs affaires domaniales étant aussi en souffrance devant la cour de Liège, j'ai voulu en savoir la cause et j'ai appris qu'elle avait un caractère de généralité ; je suppose donc que le personnel des cours d'appel de Bruxelles et de Liège est insuffisant, c'est un objet sur lequel le gouvernement aura à aviser.

Il n'y a donc pas de reproche à adresser aux avocats de l'administration ; toutefois sur les instances qui sont faites par l'honorable M. Osy, je ferai de nouveaux efforts pour accélérer la décision qui doit intervenir à ce sujet ; jusque-là je doute que le gouvernement puisse sans inconvénient faire acte de propriétaire ; du reste il s'agit ici d'un intérêt considérable, la contenance du terrain anquel le gouvernement croit avoir droit étant de 947 hectares.

Je répète, en terminant, que rien ne sera négligé pour avoir une solution aussi prompte que possible.

M. Vervoort. - Les pétitionnaires demandent l'endiguement de schorres ou atterrissements situés à l'extrême frontière du cantongd'Eeckeren ; le rapport conclut au renvoi de la pétition au ministre des travaux publics ; on oppose à leur demande la nécessité de terminer d'abord un procès pendant devant la cour d'appel, j'adhère à cet égard aux observations présentées par l'honorable M. Orts, et je pense avec M. le ministre des finances que si l'issue de ce procès se fait attendre c'est à cause d'un encombrement d'affaires qui ralentit malgré elle la marche de la cour d'appel.

Je suis convaincu que tous les efforts seront faits pour arriver à une prompte solution ; mais il y a dès à présent de sérieuses mesures à prendre par le gouvernement.

Il importe d'examiner déjà si les alluvions seront endiguées au compte de l'Etat ou si elles seront mises en adjudication publique, à charge d'endiguement. Que l'endiguement se fasse par le gouvernement ou par des particuliers, une instance administrative est nécessaire. Il faut avant tout que la maturité des schorres soit reconnue sur un rapport des ingénieurs des ponts et chaussées et l'avis du gouverneur.

Il faut l'intervention du commissaire maritime et du pilotage afin d'assurer la sécurité de la navigation. Il faut un plan, un cahier des charges, une série d'opérations enfin dont la mise en œuvre exige un certain temps. L'Etat est reconnu propriétaire des schorres par un jugement. Il s'est toujours attribué cette qualité et ne l'eût-il point, il n'en devrait pas moins, comme je viens de le prouver, faire acte de diligence, afin que, le procès terminé, on puisse procéder immédiatement à l'endiguement ou à l'adjudication.

On ne saurait trop se hâter de livrer à la culture un sol improductif et de donner par d'utiles travaux du pain à un grand nombre d'ouvriers.

J'appelle sur ce point l'attention de MM. les ministres des finances et des travaux publics ; les pétitionnaires obtiendront ainsi la satisfaction que le gouvernement est actuellement en état de leur donner.

M. Van Overloop. - Je viens appuyer l'opinion de l'honorable M. Vervoort ; que l'Etat gagne ou perde son procès, M. le ministre des travaux publics doit faire procéder à l'examen de la question de savoir si les schorres sont en état de maturité. Le ministre peut faire procéder à cet examen immédiatement aussi bien que plus tard. Le motif véritable pour lequel j'insiste, c'est que connaissant un peu l'état des choses, je me suis demandé : Au cas que le procès ne soit pas terminé d'ici à peu de temps, ne serait-il pas possible que l'Etat et son adversaire, qui est la famille Hagemans, s'entendissent ?

Un propriétaire voisin consentirait, paraît-il, à endiguer à condition que la partie gagnante lui restitue les fonds qu'il aurait avancés à sa décharge.

Si cette convention pouvait être adoptée par l'Etat, la famille Hagemans, de son côté, serait prête, dit-on, à y donner les mains ; de cette, façon on concilierait tous les intérêts.

Je demande donc que M. le ministre fasse examiner immédiatement la question de savoir s'il y a lieu d'opérer l'endiguement.

Dans l'hypothèse que l'endiguement puisse être opéré, je demanderais à M. le ministre des finances s'il est possible, dans le cas où la famille Hagemans y consentirait, qu'une convention fût faite dans le sens que je viens d'indiquer.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Une proposition dans le sens que vient d'indiquer le préopinant n'a pas été faite formellement au gouvernement.

Si elle se produit, elle sera l'objet de notre examen. Il sera peut-être possible d'arriver à un arrangement de cette nature, si une décision judiciaire n'intervient pas dans un bref délai.

Du reste, mon honorable collègue M. le ministre des travaux publics et moi nous nous concerterons sur ce qu'il y aurait à faire pour remplir le vœu exprimé par les honorables MM. Vervoort et Van Overloop.

- Les conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Barvaux, le 4 décembre 1855, les membres du conseil de fabrique de l'église de Barvaux-sur-Ourthe prient la Chambre d'annuler l'arrêté de la députation permanente du conseil provincial, qui a refusé à ce collège l'autorisation d'accepter les dispositions testamentaires de la dame Lapaille.

Par pétition datée de Barvaux, le 5 janvier 1856, des habitants de Barvaux exposent les faits qui se rattachent au legs de la dame Lapaille, que le conseil de fabrique de l'église de Barvaux n'a pas été admis à accepter.

La dame Lapaille a fait un testament ainsi conçu : « Je laisse à la fabrique de Barvaux 75 fr. que je dois pour fonder l'anniversaire d’Henri Poncin Grégoire ; je laisse aussi à la même fabrique 400 fr. pour faire célébrer 5 messes à perpétuité pour moi, mon mari et mes trois enfants et pour mes obsèques. »

Le conseil communal de Barvaux a refusé de donner un avis favorable à l'acceptation par le conseil de fabrique par le prétendu motif de pression morale, exercée sur l'esprit de la testatrice. La députation permanente a approuvé la délibération du conseil communal. En conséquence la fabrique n'a pas été autorisée à accepter le legs. Elle s'est pourvue auprès du gouvernement contre cette décision.

Sur ces entrefaites, il a été constaté que la dame Lapaille, dont la succession ne montait pas à 2,000 fr., était un enfant naturel. Les prétendus héritiers qui s'étaient d'abord opposés à l'exécution du testament furent déshérités. C'était donc l'Etat qui entrait en jouissance de la succession. Ils se sont adressés au gouvernement afin que la députation permanente voulût revenir sur sa première décision, pour qu'ils pussent recevoir la succession. Le ministre de la justice leur (page 408) répondit qu'ils devaient s'adresser à la députation permanente, alln de la faire revenir sur sa première décision. Mais celle-ci, persistant dans sa première résolution, a dit qu'il n'y avait plus lieu à y revenir, vu que le délai fixé par la loi pour le recours contre sa décision était expiré.

C'est dans cette position que le conseil de fabrique de Barvaux demande à la Chambre d'intervenir pour qu'il soit autorisé à accepter les legs de Mme Lapaille, d'autant plus que toute la succession doit revenir à l'Etat pour cause de déshérence.

Votre commission conclut au renvoi à M. le ministre de la justice, avec demande d'explications.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - La Chambre, me permettra de lui faire observer que la demande d'explications ne peut aboutir. En effet, l'honorable rapporteur vient d'expliquer quelle a été l'intervention du département de la justice dans cette affaire. Un legs est fait par la dame Lapaille au conseil de fabrique de Barvaux : il est de 400 a 500 francs, par conséquent dans les limites de la compétence de la députation permanente qui, statuant dans son droit, a refusé au conseil de fabrique l'autorisation d'accepter.

Cette décision a été prise le 21 décembre 1853. C'est contre cet arrêté de la députation permanente que le conseil de fabrique a voulu se pourvoir ; à cet effet il devait s'adresser, non aux Chambres, mais au pouvoir exécutif. Or cet appel a été formé tardivement ; il a été formé en juin 1855.

C'est dans cette situation que l'affaire a été soumise au ministre de la justice. Son rôle était tracé. Il n'avait qu'à répondre au conseil de fabrique qu'il était forclos, puisque le délai était expiré. Quant au fonds le ministre de la justice n'avait pas à l'examiner.

Voilà les explications que j'avais à donner à la Chambre. Je ne pourrais en donner d'autres, si la Chambre m'en demandait sur la réclamation du conseil de fabrique de Barvaux.

- Plusieurs membres. - L'ordre du jour.

La Chambre, consultée, prononce l'ordre du jour.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Saint-Josse-ten-Noode, le 28 décembre 1853, le sieur Bertrand Stevens demande une loi qui, au, moyen d'un reçu obligatoire pour l'administration des postes et d'une pénalité sévèrer, garantisse aux citoyens l'inviolabilité de leurs lettres, ou bien une loi qui abolisse le monopole de la posie aux lettres.

Le pétitionnaire entre dans de longs développements pour prouver que des lettres qu'il a mises à la poste ne sont pas parvenues à leur destination et il demande le vote des lois qui sont indiquées dans l'analyse.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Melden, le 21 février 1855, les membres du conseil communal de Melden demandent que les artistes vétérinaires non diplômés puissent continuer l'exercice de leur mission.

Même demande de fermiers et cultivateurs d'Oedelem, Nederswalm-Hermelghem, Iseghem, Eerneghem, Merckem, Bixschote, Noordschote, Thourout, Houthem, Burst, Bachte-Marie-Leerne, Zele, Courtrai, Deynze, Waereghem, Leysele, Wereken, Ootegem, Zwyndrecht, Bruges, Olsene, Metsele, Pollinchove, Swevezeele, Vlamertinghe, Oosterzeele, Zillebeke, Assenede, Belleghem, Zonnebeke, Seveneecken, Audeghem, Nieuwkerk, Knocke, Pitthem, Moorseele, Westcappelle, Wulveringhem, Eerneghem, Nieuwmunstcr, Sweveghem, Handzaeme, Zuyenkerke, Meulebeke, Staden, Haesdonck, Coolkerke, Herdersem, Moen, Berchem, Melden, Suisique, Quaremont, Elseghem, Peteghem, Welden, Nedereenaeme, Dickelvenne, Desselghem, Coolscamp, Eenaemc, Meylegem, Gaveree, des bourgmestres, échevins et conseillers communaux de Perck, Campenhout, Berg, Elewyt, Evere, Haeren, Peuthy, Nederoverheembeek, Eppeghem, Weerde, Sempst, Dieghem, Melsbroeck, Leke, et de cultivateurs dans les arrondissements d'Ypres et Furnes-Dixmude.

Messieurs, par plus de cent pétitions émanées de différentes communes, non seulement des Flandres, mais des provinces de Brabant, de Liège, de Hainaut, etc., on demande que les artistes vétérinaires non diplômés puissent continuer, pendant un nouveau délai, à pratiquer sans y être autorisés par un diplôme légal.

J'ai déjà eu l'honneur de vous présenter, dans la séance du 23 février 1855, un rapport très détaillé sur cet objet. Une assez longue discussion s'en est suivie. Plusieurs membres ont manifesté le désir que le gouvernement proposât un projet de loi pour permettre aux empiriques de continuer à pratiquer pendant quelque temps encore. Ils croyaient cette mesure rendue nécessaire par les difficultés que l'on éprouve dans les campagnes de faire soigner le bétail malade.

« A l'appui de leur demande, les pétitionnaires allèguent que, depuis l'expiration du délai accordé aux vétérinaires non diplômes, ils ont subi des pertes beaucoup plus considérables daas leur bétail, à cause de l'éloignement et de la pénurie de vétérinaires diplômés, l'état actuel des choses les oblige souvent d'attendre avec la plus grande anxiété pendant deux fois vingt-quatre heures, ies secours de l’art, bien heureux encore s'ils trouvent le vétérinaire chez lui et assoit complaisant et disposé à les suivre souvent deux à trois lieues au loin. Ils se plaignent, en outre, des exigences démesurées des vétérinaires diplômés et sans contester leurs connaissances théoriques, ils déclarent cependant qu'ils ne leur inspirent pas la même confiance que leurs vieux praticiens, riches d'expérience, et qui leur ont donné des preuves réitérées de leurs connaissances pratiques.

« Ils font remarquer l'espèce de contradiction qui existe dans la loi du 11 juin 1850, en ces termes : Tandis que le propriétaire a droit de vie et de mort sur son bétail, qu'il peut le faire assommer, le faire mutiler par qui et comme il l'entend, on lui interdit de le faire saigner par qui et comme il l'entend, car après tout, disent-ils, le bétail n'est qu'un objet de commerce.

« Ils terminent, en émettant le vœu que cette loi si désastreuse pour l'agriculture et qui menace le petit cultivateur de ruine, soit modifiée.

« Ensuite par plus de trente pétitions de différentes localités, des maréchaux vétérinaires non diplômés sollicitent un nouveau délai, endéans lequel ils pourraient continuer à exercer leurs fonctions et être admis à subir un nouvel examen exclusivement ; ils se plaignent amèrement de la manière arbitraire dont la loi a été exécutée au sujet de l'examen pratique, qui consistait, disent-ils, dans une série de questions théoriques inabordables pour d'anciens praticiens, et soutiennent que les intentions bienveillantes du législateur n'ont pas été remplies.

« Dans le nombre, il s'en trouve une, datée de Momal, province de Liège, le 9 décembre 1855, qui mérite une attention spéciale. Le sieur Gentinne, artiste vétérinaire, se trouvait gravement malade au moment où il devait se présenter devant le jury pour passer son examen. Il a vainement sollicité, depuis, la faveur d'être admis plus tard ; un certificat signé de deux médecins se trouve annexé à la pétition. Il demande l'intervention de la Chambre pour obtenir cette faveur.

« Par une dernière pétition datée de Nivelles, le 12 février 1855, le sieur Bary, médecin vétérinaire, établi dans cette ville, demande que le gouvernement régularise sa position. Le pétitionnaire a fait des études régulières et obtenu son diplôme, ; il se trouve établi depuis douze ans ; un autre confrère s'y trouve établi, qui seul est investi du titre de vétérinaire du gouvernement, seul il a la surveillance d'un marché hebdomadaire, seul il peut ordonner l'abattage pour cause de maladies contagieuses, seul il peut constater les contraventions à l'article 459 du Code pénal, seul il peut délivrer les certificats pour la monte des étalons de l'Etat, en station chez lui ; seul il peut tout, à l'exclusion de son confrère qui pétitionne et qui est membre de plusieurs sociétés savantes.

« II prend la liberté d'appeler votre attention sur la position exceptionnelle que lui fait le gouvernement en prodiguant toutes ses faveurs à son collègue, ce qui rend sa position insoutenable ; il ose espérer que par votre puissante intervention sa position sera modifiée selon son mérite. »

Il y a une foule d'autres considérations qui viennent à l'appui de leur demande et enlre autres il y a cette observation-ci : « Pour vous montrer la sévérité dont on a fait preuve dans la loi contre laquelle on réclame, je me permettrai de vous citer un fait. Lorsque, sous l'empire, Napoléon a voulu réorganiser tout ce que la révolution avait désorganisé, et lorsqu'il s'est occupé de la médecine et des hommes de l'art chargés de donner des soins à l'humanité, il a porté un décret en vertu duquel tous les empiriques qui exerçaient avec avantage depuis cinq ans et qui obtiendraient un certificat de l'administration locale, pourraient continuer l'exercice de leur art et que ce certificat leur tiendrait lieu de diplôme. »

Messieurs, voire commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

M. Magherman. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission. Le grand nombre de ces pétitions, la diversité des localités d'où elles émanent, la qualité même des personnes qui s'intéressent à la question (car parmi les pétitionnaires il y a un grand nombre de conseils communaux), tout vous prouve que ces pétitions sont l'expression d'un besoin réel.

Messieurs, le nombre des artistes vétérinaires diplômés n'est pas encore assez considérable pour pouvoir répondre à tous les besoins. D'un autre côté, beaucoup de ces artistes vétérinaires qui ont été formés à l'école de l'Etat, sont encore jeunes, ils n'ont pas le degré d'expérience nécessaire pour inspirer une confiance suffisante aux cultivateurs. Vous le savez, la confiance ne se commande pas ; elle doit être le résultat de la conviction. Quand des jeunes vétérinaires formés dans vos écoles auront acquis de l'expérience, il est probable que nos fermiers auront plus volontiers recours à eux. Mais en attendant, il est certain qu'il existe une lacune et que nos fermiers se trouvent souvent très gênés.

Il est vrai que la loi du 11 juin 1853 a prescrit un délai endéans lequel les anciens praticiens pouvaient se présenter pour subir un examen. Quelques-uns l'ont fait. D'autres croyant que le gouvernement n’aurait pas tenu sévèrement la main à l'exécution des règlements sur la matière, ont négligé de se soumettre à cet examen.

Je crois qu'il serait très utile à nos campagnes que M. le ministre de l’intérieur proposât à la léguislature un projet de loi tendant à accorder (page 409) aux anciens praticiens un nouveau délai pour se soumettre aux exigences de la loi. Il serait surtout utile que l'examen auquel ces praticiens seraient soumis fût principalement un examen pratique plutôt qu'un examen théorique. Car il est constant qu'à l'aide des connaissances que leur a données une longue pratique, les empiriques satisferaient leurs clients puisque autrefois on était généralement content d'eux.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je tiens à dire deux mots sur la question qui vient d'être soulevée.

Nous devons savoir, une fois pour toutes, si nous voulons l'exécution des lois organiques votées par la Chambre. En 1850, la Chambre a voté une loi sur l'exercice de l'art vétérinaire. Celle loi avait formellement disposé que tous les praticiens qui, cinq ans avant la mise à exécution de la loi, avaient pratiqué la médecine vétérinaire, seraient admis, dans le délai de deux ans, à un examen pratique. C'est précisément ce que demande l'honorable M. Magherman. Cet examen, en effet, avait un caractère tout à fait pratique. On a, dans toutes les provinces, nommé des jurys. Ces jurys ont eu deux sessions, en 1851 et en 1852.

Une foule de praticiens se sont présentés devant ces jurys, qui étaient composés de manière à présenter toutes les garanties d'impartialité. Les médecins vétérinaires y étaient en minorité ; on ne pouvait donc pas supposer à ces jurys des intentions hostiles aux praticiens. Près de huit cents praticiens se sont présentés devant ces jurys.

Le tiers à peine a été admis ; au-delà de 400 ont été rejetés. Il paraît que ces derniers sont, en général, si complètement dépourvus de toute instruction, qu'il est impossible d'espérer qu'ils puissent jamais être admis à exercer la médecine vétérinaire. Tous ceux qui avaient quelques connaissances pratiques ont été admis, parce que les jurys ont été extrêmement indulgents, et que l'examen, d'après les ordres du gouvernement, a eu un caractère essentiellement pratique.

Maintenant, messieurs, on se plaint dans quelques localités de ne pas encore avoir assez de vétérinaires diplômés pour qu'on puisse se passer des praticiens ; mais, d'un antre côté, il faut bien dire aussi qu'à moins de vouloir anéantir une institution de l'Etat, l'école de médecine vétérinaire, on doit bien offrir une issue aux jeunes gens qui vont puiser une instruction spéciale dans cette institution.

Or, aujourd'hui, le nombre des vétérinaires est déjà très considérable ; il doit y avoir à peu près 600 médecins vétérinaires diplômés, éparpillés dans toutes nos provinces.

Un grand nombre d'entre eux gagnent à peine de quoi entretenir un peu convenablement leur famille, et si, à force d'indulgence, on va permettre l'exercice de la médecine vétérinaire à des personnes qui ne présentent pas les garanties nécessaires, on réduira à la misère ceux qui ont fait des sacrifices pour acquérir l'instruction spéciale que le gouvernement leur a imposée. Je pourrais presque dire qu'il y a là une question de bonne foi envers les familles de ceux que nous avons engagés à entrer dans la carrière de la médecine vétérinaire.

M. de Mérode. - L'honorable ministre de l'intérieur vient de dire que tous ceux qui étaient capables de traiter les animaux ont été admis par les jurys d'examen dont il a parlé. Eh bien, messieurs, je connais un praticien dont la pratique date du temps de l'Empire, qui la continua du temps du roi Guillaumeet pendant les quinze années qui précédèrent l'établissement de l'école vétérinaire, et ce praticien ne peut plus exercer parce qu'il n'est pas à même de passer un examen. Il sait soigner les animaux par tradition comme étant le fils d'un ancien maréchal, il n'agit que par expérience acquise et si vous lui faisiez subir des questions plus ou moins médicales il ne serait point à même d'y répondre, mais si vous avez un cheval boiteux il vous le guérira ; je l'ai personnellement employé souvent ; il l'a été par mon père, par mes frères, et par beaucoup de personnes que je connais, et à leur satisfaction.

Maintenant, il ne peut plus exercer, et que fait-il ? Il cherche à s'adjoindre, quand il peut, un vétérinaire diplômé qui l'accompagne dans ses visites. Cela augmente nécessairement la dépense, et je ne comprends pas ce système de persécution appliqué aux cultivateurs.

On prétend toujours que nous sommes très éclairés, que nous pouvons lire tous les écrits possibles sans nous exposer au moindre danger de perversion, que nous pouvons jouir de toutes les libertés périlleuses ; et la faculté de faire traiter un animal par qui l'on veut est si dangereuse que, pour avoir le droit de guérir une chèvre ou un veau il faut posséder un diplôme ! C'est là une obligation qui n'existe ni en Angleterre ni en France et ce n'est point là de la liberté qu'on nous à octroyée, c'est une véritable servitude qu'on nous impose. Croyez-vous, par exemple, que le paysan s'embarrasse de votre liberté de la presse ? Cela lui est bien indifférent ; mais l'obligation d'aller chercher pour les moindres accidents un vétérinaire à trois ou quatre lieues de distance et de le payer très cher, tandis que si on le laissait libre, il pourrait faire soigner son animal pour 40 ou 50 centimes, voilà ce qui le contrarie au plus haut degré. On finit ainsi par absorber la valeur de l'animal en frais de traitement.

Mais, messieurs, pourquoi n'établissez-vous pas aussi des examens pour ceux qui veulent pratiquer le métier de cordonnier, de maçon, de serrurier, etc. ? Si vous employez un mauvais cordonnier vous serez mal chaussé, vous risquez d'avoir des cors et de devenir boiteux ; vous risquez en employant un maçon maladroit que votre maison tombe sur lui ou sur vous, la manie de réglementer à toute fin n'est qu'un véritable despotisme. En France, avant 1848 et sous le roi Guillaume, on ne permettait pas d'instruire sans l'autorisation du gouvernement. Vous ne pouviez pas faire apprendre à lire ou à écrire, par qui vous convenait, vous ne pouviez pas enseigner le latin ou le grec à qui que ce fût sans posséder un diplôme.

C'était aussi une garantie qu'on voulait donner à ceu qui désiraient faire instruire leurs enfants, c'était un soin paternel de la part du gouvernement ; maintenant c'est une autre paternité qu'il assume ; elle s'exerce pour le propriétaire, sur ses chevaux, ses veaux, ses moutons, etc., mais, en réalité, toutes ces paternités sont illibérales et je n'en veux pas. Que les vétérinaires s'arrangent comme ils l'entendent, ceux qui ne se soucieront pas d'exercer la médecine librement, en concurrence avec les praticiens non savants, y renonceront s'ils n'y trouvent pas leur compte, mais il est indispensable qu'on permette à ceux qui exerçaient leur profession avant la création de l'école vétérinaire, de continuer l'exercice de cette profession.

Le leur interdire, c'est une véritable rétroactivité et c'est un acte de violence envers les cultivateurs. Si ces praticiens ne sont pas capables, ceux qui les employaient ne les prendront plus, car personne ne désire perdre son animal.

Je dis, messieurs, que les praticieus qui se trouvent dans la position de celui dont j'ai parlé, alors même qu'ils ne sauraient ni lire ni écrire, doivent avoir le droit de continuer la profession qu'ils exerçaient avant la création de l’école vétérinaire. La liberté existait alors pleine et entière sous ce rapport, et c'est sous la foi du droit existant qu'ils ont embrassé leurétat ; vous ne pouviez pas leur enlever leur gagne-pain.

Il est très facile à un savant qui est ministre de dire : Ces gens-là ne peuvent plus pratiquer ; ils mangeront du pain ou ils n'eu mangeront pas, mais MM. les ministres devraient comprendre que le droit acquis de chacun doit être respecté, surtout s'ils sont libéraux, car un système libéral ne permet pas qu'on dépouille un homme de la profession qu'il a embrassée dans la plénitude de ses droits, autrefois reconnus par la coutume en vigueur, puisqu'il n'existait aucune disposition légale quelconque qui fît obstacle au choix spontané de l'état dont il s'agit.

- La chambre remet la suite de cette discussion à sa prochaine séance publique qu'elle fixe à lundi, 28 janvier, à 2 heures.

Projet de loi relatif à la pension des officiers qui, comme volontaires, ont pris par aux combats de la révolution

Rapport de la section centrale

M. de Mérode. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant la pension des officiers qui, comme volontaires, ont pris part aux combats de la révolution.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, La chambre le met à l'ordre du jour à la suite des objets qui y sont déjà.

La séance est levée à 5 heures.