Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20 février 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 693) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est adoptée.

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Les membres du conseil communal et des industriels de Saint-Vaast, Houdeng-Goegnies, Houdeng-Aimeries présentent des objections contre le projet de chemin de fer de Luttre à Denderleeuw. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à ce chemin de fer.


« Les sieurs Parlongue et Gérard demandent que le projet de loi relatif à la pension d'officiers de volontaires soit étendu aux employés des administrations civiles qui ont pris part aux combats de la révolution et qui sont décorés de la croix de Fer. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur de Meulenaere, ancien préposé de douanes, demande une augmentation de pension ou un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent la suppression de la surtaxe à laquelle se trouve assujetti le charbon de terre qui emprunte le canal de Charleroi à partir de Seneffe. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Saint-Hubert demande la construction d'une route entre la barrière de Champion et Houffalize par Ortho et les deux Ourthes. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jules Bénard, commis à Anvers, né dans cette ville, demande la naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


M. le président. - L'honorable M. Delehaye m'a chargé d'informer l'assemblée qu'une indisposition l'empêche d'assister momentanément aux séances de la Chambre.

- Un congé de quelques jours est accordé à M. Delehaye.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Matthieu. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée de l'examin du projet de loi allouant un crédit extraordinaire de 2,359,760 fr. au département de la guerre.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La Chambre le met à la suite de l’ordre du jour.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Vandenpeereboom et M. Calmeyn déposent successivement des rapports sur diverses demandes de naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués. La Chambre les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la récusation des magistrats

Motion d'ordre

M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Je pense que M. le ministre de la justice est d'intention de proposer d'autres dispositions relatives au projet de loi concernant la récusation des magistrats ; s'il en est ainsi, je le prie de bien vouloir déposer le plus tôt possible son contre-projet sur cette matière, afin qu'il soit examiné par la section centrale avant l'ouverture de la discussion.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, il me manque encore le rapport d'une des cours du royaume relativement à cette question ; dès que je l'aurai reçu, je prendrai, en ce qui me concerne, une résolution définitive. Jusque-là je me réserve toute liberté d'appréciation.

Projet de loi modifiant la loi sur les extraditions

Discussion générale

M. le président. - La section centrale qui a été chargée d'examiner ce projet de loi propose l'adoption de l'article unique du projet, avec la suppression des mots : « ni fait connexe à un semblable délit », après ceux-ci : « ne sera pas réputé délit politique ».

M. le ministre de la justice se rallie-t-il à cet amendement ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Non, M. le président.

M. le président. - En conséquence, la discussion s'établit sur le projet du gouvernement.

La parole est à M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, la Chambre sait en quoi consiste le désaccord entre la section centrale et le gouvernement : c'est dans la suppression de cette partie de la disposition, retelive à la connexité avec certains délits politiques.

Voici comment est conçu le projet du gouvernement :

« Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »

La majorité de la section centrale accepte le principe de la disposition et propose de retrancher ce qui concerne la connexité et libelle ainsi son opinion :

« Ne sera pas réputé délit politique l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait, soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »

Ainsi que je viens d'avoir l'honneur de le déclarer, le gouvernemeat ne croit pas pouvoir se rallier à cette rédaction. Selon lui, la suppression des mots relatifs à la connexité aurait pour effet de détruire toute la portée de la loi.

Je me persuade cependant que la suite de la discussion montrera que le désaccord entre la majorité de la section centrale et le gouvernement est plus apparent que réel.,

En matière d'extradition tout est basé sur le principe de la réciprocité.

Nous accordons sous bénéfice de réciprocité et nous refusons sous peine de représailles.

Tels sont les deux grands traits qui caractérisent la matière de l'extradition. Le savant rapporteur de la section centrale me paraît avoir basé son opinion sur quatre arguments principaux.

1° La répugnance qu'aurait rencontrée, en 1833, la loi principale sur les extraditions ;

2° L'esprit qui aurait animé le législateur de cette époque ;

3° L'honorable membre paraît soutenir que, quand un attentat est connexe avec un fait politique, il revêt un caractère accessoire et jouir de l'immunité du délit principal, c'est-à-dire du délit politique.

Enfin, l'honorable membre paraît être contraire au projet du gouvernement, parce que, depuis vingt-deux ans que la loi existe, rien n'a démontré la nécessité de modifier l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833.

Je répondrai brièvement à ces quatre argumeuts principaux.

L'honorable rapporteur invoque la répugnance qu'aurait rencontrée la loi de 1833. A en juger par l'accueil qu'a reçu la loi en 1833, cette répugnance n'aurait pas existé.

En effet, si l'on consulte les Annales parlementaires, on voit que la loi présentée par l'honorable M. Lebeau a bien rencontré dans cette enceinte une opposition très vive, mais que cette opposition n'a été soutenue que par un très petit nombre de membres de la législature. L'immense majorité, encore sous l'ombre de la grande assemblée du Congrès qu'invoque l'honorable rapporteur, a adopté la loi : sur 72 membres, 9 seulement ont volé le rejet.

Loin donc qu'il y ail eu un symptôme de répugnance, il y a plutôt eu faveur presque unanime.

Au Sénat, il en fut de même. La loi fut votée, si je ne me trompe, à l'unanimité, et le seul regret qu'exprima le Sénat à cette époque, c'était que la loi ne fût pas plus complète et ne permît pas l'extradition pour un plus grand nombre de méfaits.

L'honorable rapporteur représente l'extradition d'un malfaiteur comme une mesure exceptionnelle, empreinte d'une rigueur extrême.

Je ne puis encore être ici de son avis. Sans doute, messieurs, l'extradition est une mesure rigoureuse ; mais elle est rigoureuse comme tout acte de justice. Qu'est-elle donc en réalité, sinon la remise à ses juges naturels d'un individu qui a violé la loi de son pays ? Elle est donc un acte rigoureux, mais juste.

L'honorable rapporteur s'est principalement appuyé sur l'esprit qui, selon lui, a animé en 1833 le législateur auteur de la loi principale sur les extraditions, esprit qui serait contraire à l'extension qu'aujourd'hui le gouvernement cherche à donner à cette disposition.

Ici, messieurs, je dois complètement m'éloigner de l'opinion de l'honorable rapporteur. Je crois au contraire que la loi, telle que le gouvernement la formule, rentre pleinement dans l'esprit de la législation de 1833 et qu'elle est entièrement conforme à l'esprit qui animait l'assemblée de cette époque.

Pour prouver ce que j'avance, je crois pouvoir me borner à citer quelques passages de la discussion de 1833, de celle de 1836 dont je parlerai bientôt.

Le projet de loi concernant les extraditions a été présenté par l'honorable M. Lebeau vers la fin du mois de juillet 1833. Il rendait la mesure de l'extradition applicable à un certain nombre de crimes que le projet déterminait ; mais il était muet quant aux crimes ou délits politiques.

On ne trouve la première mention de ces mots « délits politiques » que dans le rapport de la section centrale, rapport qui a été fait par feu M. Ernst. L'article 6 de ce rapport était ainsi conçu :

« Avant de livrer l'étranger, le gouvernement exigera l'engagement formel qu'il ne sera poursuivi pour aucun délit politique antérieur à (page 694) l’extradition, à moins que cet engagement ne soit expressément stipulé dans ce traité. »

La Chambre le voit, il n'est pas fait mention de la connexité, où gît en définitive le siège de la difficulté.

L'origine de la disposition concernant la connexité d'un fait ou d'un délit politique, se rencontre dans un amendement présenté par l'honorable M. Gendebien et qui est devenu l'article 6 de la loi actuelle. Ces mots : « fait connexe à un délit politique » ont été acceptés alors sans qu'on se soit expliqué ni sur leur valeur ni sur leur portée. Seulement ce qui ressort de la discussion de 1833, c'est que l'on a entendu rendre passible de l'extradition toute espèce de crime, tout fait portant en lui-même la violation de ce que l'on appelle une des lois naturelles de la conscience humaine.

Tout fait, dans l'opinion du législateur de 1833, qui violait une de ce slois éternelles, de ces lois immuables, tout fait qui portait en lui le carcatère indélébile d’un acte attentatoire, soit aux personnes, soit aux propriétés, devait rester soumis, dans la mesure de la qualification même de la loi, à l’extradition.

Ainsi l'honorable M. de Muelenaere disait :

« Dès lors pour être conséquent avec le principe que vous avez admis, vous devez adopter toutes les mesures qui semblent devoir offrir une garantie aux réfugiés politiques, à ceux qui ne seraient accusés d'aucun des crimes prévus par la loi présente. »

Or la loi de 1833 prévoit les crimes de meurtre, d'assassinat, d'empoisonnement. J'infère donc des paroles de l'honorable M. de Muelenaere que, dans sa pensée, ces crimes n'ont aucun des caractères d'un crime politique, et il s'agit précisément aujourd'hui d'un de ces meurtres, d'un de ces assassinats, d'un de ces empoisonnements, que, dès 1833. l'honorable M. de Muelenaere ne considérait pas comme pouvant constituer un crime politique.

On retrouve la même pensée dans un discours de l'honorable M. Ernst, rapporteur de la loi, et qui a pris une très grande part à sa rédaction.

« Certes, il y a des crimes de circonstance et de localité pour ainsi dire qui cessent d’être un crime ailleurs où ils ont été commis ; mais il n’en est pas ainsi des attentats contre les personnes et les propriétés, qui blessent « la loi naturelle ». La loi naturelle, comme l’a dit un grand orateur, est la même partout ; elle n’est pas autre qu’à Athènes, qu’à Rome ; ceux qui la violent en France, la violent aussi en Belgique. On a parlé des temps d’asile ; voudrait-on faire de la Belgique un vaste temple d’asile pour protéger les crimes ? Comme si l’on ignorait que ces lieux consacrés à l’impunité, n’ont existé que par une étrange erreur, pour l’oublis ingulier de ce principe rappelé par Montesquieu, que celui qui offense les hommes offense aussi Dieu ! »

Au Sénat l’honorable M. de Haussy, rapporteur de la loi, exprime cette même pensée, que l'on ne veut accorder l’immunité quant à l'extradition, qu'à ceux qui ont posé des faits proprement politiques, maïs non pas à ceux qui auraient violé une des grandes lois naturelles Voici comment s'exprime M. de llaussy :

« Mais si personne ne conteste aux gouvernements le droit de se livrer réciproquement ceux de leurs sujets qui ont commis l'un ou l'aune de ces crimes qui blessent la loi de toutes les nations, tout le monde est d'accord aussi qu'il doit être fait uue exception à ce principe pçur les crimes et les délits politiques.

« Nous vivons dans un siècle d'effervescence et d'agitation politique ; nous avons vu tous les partis alternativement vainqueurs ou vaincus se combattre et se proscrire ; qu’arriveraut-il si les victimes de la tyrannie des gouvernements, des guerres civiles ou des commotions populaires, ne pouvaient, obligés de s’expatrier, trouver à l’étranger protection et asile ? et pourquoi, d’ailleurs, refuserions-nous de les accueillir, puisqu’en admettant même qu’elles aient violé le droit public ou criminel de leur pays, elles n’ont commis aucun de ces crimes ou délits contre les personnes et les propriétés, qui portent atteinte à la morale universelle et aux principes conservateurs de toutes les sociétés ? »

Vous le voyez donc, messieurs, dans l'opinion de M. de Muelenaere, dans celle de M. Ernst et de M. de Haussy, tous les deux rapporteurs, l'un à la Chambre, l'autre au Sénat, il fallait, pour pouvoir invoquer le bénéfice de la non-extradition, que le fait ne violât point une de ces lois que consacre la morale universelle et les principes conservateurs de toutes les. nations ; du moment, au contraire, qu'une de ces loti est violée, on peut certainement dire que, dans l'intention du législateur de 1833, il devait rester soumis à la mesure de l'extradition.

Cette pensée du législateur de 1833 est devenue bien plus claire encore en 1836 lorsqu'on a fait la loi qui porte la date du 30 décembre de cette année. D'après le Code d’instruction criminelle, la poursuite n'était permise contre un litige pour un crime commis à l'étranger que pour autant que la victime du crime fût elle-même Belge.

Si le Belge avait commis un crime vis-à-vis d’un étranger, il ne pouvait pas être poursuivi.

Telle était la disposition de l'article 7 du Code d'instruction criminelle.

La Belgique devait avoir hâte de modifier une pareille législation. Aussi s'est-elle empressée, dès 1836, de combler une lacune qui ne pouvait pas subsister sans porter atteinte à la dignité, à la moralité, à la probité politique de la nation belge.

On a donc, dès 1836, présenté cette loi que déjà en 1853 l'honorable M. de Haussy et l'honorable M. Lebeau considéraient comme nécessaire. C'est alors que les deux fractions de la législature ont eu l'occasion de s'expliquer bien clairement sur ce que signifient ces mots « fait connexe à un délit politique ».

Le projet du gouvernement, présenté en 1836, était destiné à abroger, à modifier l'article 7 du Code d'instruction criminelle, à autoriser les poursuites contre un Belge du chef de tout crime ou délit qu'il aurait commis à l'étranger.

Cette disposition, morale au fond, fut trouvée trop générale, et voici comment s'exprimait le rapporteur de la section centrale de cette époque :

« Votre section centrale a pensé que ce point de législation devait être mis en harmonie avec la loi sur les extraditions, et que les mêmes crimes et délits qui, d'après la loi du 1er octobre 1833, rendent un étranger, qui en est reconnu coupable dans son pays, indigne de jouir de l'hospitalité dans le nôtre, sont également ceux que l'intérêt de la société ne permet pas de laisser impunis, lorsque c'est un Belge qui s'en est souillé hors de notre territoire.

« Ces délits sont : (…)

« Cette nomenclature exclut par elle-même la poursuite de tout autre délit ; il nous a paru cependant utile, et c'est aussi le vœu de la sixième section, de faire mention expresse des délits politiques qui, n'étant pas dirigés contre la Belgique, ne sauraient violer les droits de la souveraineté nationale, ni donner lieu à une peine quelconque. »

La section centrale proposait, en conséquence, l'article 2 actuel, en ajoutant ce paragraphe :

« La présente disposition n'est pas applicable aux délits politiques, ni aux faits connexes à un semblable délit, à moins qu'il ne soit dirigé contre la Belgique. »

La section centrale voulait donc reproduire dans la loi de 1836 la disposition de l'article 6 de la loi sur les extraditions et déclarer que la poursuite n'aurait pas lieu pour des délits politiques ou pour des faits connexes à de semblables délits commis par des Belges à l'étranger.

Le gouvernement s'opposa à cette disposition, l'honorable M. Ernst. la combattit très vivement ; il la combattit comme inutile et comme dangereuse. M. Ernst disait alors :

« Les crimes prévus par la loi sur les extraditions n'ont rien de politique, ils sont indépendants de la forme des gouvernements, des circonstances du temps, des lieux et des personnes :

« Ce sont des infractions aux lois naturelles qui ont toujours été punies et dans tous les pays. Les délits politiques n'étant pas compris dans les dispositions de la loi, il est superflu de dire qu'elle ne porte pas sur ces délits.

« D'après la seconde partie du paragraphe, la loi ne s'appliquerait pas aux faits connexes a un délit politique. Je prierai l'honorable rapporteur de la section centiale de me faire connaître la portée de ces expressions. A-t-on voulu dire que l'assassinat commis par un Belge à l'étranger restera impuni en Belgique, si l'assassinat se rattache à des événements politiques, si l’assassin a eu un but politique ? Si Fieschi, si Alibaud avaient été Belges, ne pourrions-nous pas les punir ? Si l'assassin de Quesada était Belge, nous serait il défendu de le poursuivre ? L'impunité de ces forfaits, qui sont en horreur à toutes les nations, déshonorerait notre législation. »

Ainsi s'exprimait l'honorable M. Ernst ; et voici la réponse de l'honorable M. Liedts, rapporteur de la section centrale :

« Il me paraît, en effet, que du moment que la poursuite n'est autorisée que dans les cas énumérés par la loi, elle est par cela même exclue dans tous les autres.

« Quant aux faits dont a parlé M. le ministre, je déclare, sans hésiter, qu'il n'est nullement entré dans notre pensée de considérer comme crime politique l'action d'un scélérat qui, au coin d'une borne, attente à la vie d'un homme quelconque, que ce soit un roi on un simple citoyen ; un tel acte est toujours un assassinat, quels que soient les motifs qui l'aient inspiré.

« En m'exprimant ainsi, je crois être l'organe fidèle de la section centrale, elle n'a vu que de lâches assassins dans Alibaud et Fieschi.

« .le dis donc que, soit que vous mainteniez le paragraphe dont il s'agit, soit que vous le supprimiez, dans aucun cas la Belgique ne considérera comme un crime politique le fait qu'a posé M. le ministre de la justice.

« Et ce fait, quel était-il ? Un assassinat se rattachant à des événements politiques.

« Je regrette seulement que cet honorable ministre n'ait pas fait plus tôt l'observation qu'il vient de nous soumettre. Je regrette qu'il ne nous l'ait pas présenté lors de la discussion de la loi d'extradition, car alors comme aujourd'hui, s'il nous avait demandé si des criminels comme Alibaut ou Fieschi, s'étant réfugiés parmi nous, pourraient être livrés aux tribunaux français, je n'aurais pas hésité à donner une réponse affirmative, et je crois que tout le monde aurait été d'accord avec moi à cet égard. »

On ne saurait être plus explicite. M. le ministre de la justice avait posé l'hypothèse d'un régicide dans les conditions où l'avaient tenté Fieschi et Alibaud ; l'honorable M. Liedts, rapporteur de la section centrale, déclare que de pareils faits n'ont rien de politique, qu'ils sont punis par les lois de toutes les nations, qu'ils sont dignes de l'horreur universelle, et que si de pareils scélérats avaient pu se réfugier en (page 695) Belgique, la Belgique n'aurait vu aucune difficulté à livrer au gouvernement français des criminels tels que Fieschi et Alibaud.

M. le ministre de la justice répond alors à l'honorable M. Liedts ; il s'exprime ainsi :

« Je suis bien aise, messieurs, d'avoir provoqué les explications que vous venez d'entendre. Lors de la discussion de la loi sur l'extradition, les mêmes craintes n'ont pas été manifestées ; mais alors nous n'avions pas été témoins des attentats qui, depuis, ont épouvanté le monde entier.

« Je me félicite d'autant plus que ces explications aient été données qu'il est maintenant reconnu dans quel esprit nous avons fait la loi sur l'extradition, et qu'à aucune époque, nous n'avons confondu avec les crimes politiques, les crimes attentatoires aux personnes et aux propriétés énumérées dans cette loi. »

A la suite de ces explications, la disposition additionnelle, proposée par la section centrale, fut rejetée.

Au Sénat, lorsqu'on y apporta la loi de 1836, le même système se reproduisit ; on voulait également stipuler que la loi de 1836 ne serait pas applicable au délit politique ni aux faits connexes à un délit de ce genre. M. le ministre de la justice, qui était toujours l'honorable M. Ernst, combattit encore ce système, et voici comment s'exprimait alors l'honorable M. de Haussy, rapporteur de la loi :

« M. le ministre de la justice nous dit : Si vous n'étendez pas le cercle de la loi, si vous ne sortez pas des limites de la loi relative aux extraditions, vous n'aurez pas besoin du second amendement relatif aux délits politiques ; vous éviterez qu'on ne cherche à faire passer pour des crimes ou délits politiques, l'assassinat, l'incendie. Mats, messieurs, si on présentait devant votre jury un semblable système, pour assimiler les crimes de Fieschi et d'Alibaud à des crimes politiques, il n'y a pas un seul jury belge qui ne frémît d'indignation. Si Alibaud, si Fieschi s'étaient réfugiés en Belgique et que l'extradition en eût été demandée, auraient-ils pu prétendre qu'ils n'avaient commis qu'un crime politique ! Non, une semblable défense aurait été repoussée avec horreur. »

Il me paraît que de cette discussion résulte la preuve bien éclatante, bien manifeste que la pensée du législateur de 1833 n'a jamais été celle que lui prête aujourd'hui la section centrale, de considérer comme un crime politique ou comme un fait connexe à un délit politique, tout crime qui viole les lois naturelles, qui porte atteinte aux personnes et aux propriétés et qui, dans tous les temps et dans tous les pays, excite une juste indignation.

La section centrale admet du reste le principe déposé dans le projet du gouvernement ; elle reconnaît que du moment que l'attentat contre le souverain est isolé, qu'il n'est pas joint à un fait politique, dès lors ce fait est un crime de droit commun digne de toute la réprobation des nations civilisées. A cet égard, les expressions employées par l'honorable rapporteur sont aussi énergiques qu'elles sont justes.

« Le meurtre, l'assassinat, l'empoisonnement sont des crimes qui portent atteinte à la morale publique et à l'ordre social universel ; ils violent toutes les lois qui forment la base des sociétés civilisées. Ils sont odieux quel qu'en soit le but, quels que soient le rang et la qualité de la victime. Frappés d'une réprobation générale ils doivent être soumis aux règles du droit commun.

L'honorable rapporteur admet donc notre principe ; l'attentat contre le chef d'un gouvernement étranger n'est pas, par lui-même, un délit politique, c’est un crime de droit commun, digne de la réprobation universelle.

D'accord sur ce point, nous cessons de l'être lorsque le fait d'attentat que vient de flétrir avec tant d'énergie l'honorable rapporteur se trouverait joint à un délit politique, se trouverait être connexe avec un délit de cette nature.

Je me demande comment un fait que l'on vient de signaler comme odieux, comme digne de toute la vindicte des lois, comme frappé de la réprobation générale, peut changer de caractère quand il se trouve joint à un délit politique ?

Du moment qu'on admet que c'est un crime qui viole toutes les lois divines et humaines, je demande si l'on peut, sans inconséquence (que l'honorable rapporteur me permette cette expression), dire que ce fait change de caractère quand il se trouve connexe avec un délit politique ? C'est comme si l'assassinat d'un particulier changeait de caractère quand il se trouve joint à un fait de vol.

Il est évident que la connexité d'un crime qu'on représente comme violant toutes les lois, ne peut pas changer de caractère parce qu'il se trouverait joint à un fait moindre. Ou le crime a ce caractère d'immoralité absolue qu'on vient de lui donner ou il ne l'a pas ; s'il l'a, ce caractère restera entier, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il sera commis.

Un crime ne change pas de caractère à raison des circonstances, quand il viole toutes les lois sociales. Je ne puis pas admettre cette conclusion de l'honorable rapporteur : je lui demanderai d'expliquer comment il a entendu cette partie de son rapport.

Je ne comprends pas comment le fait qu'il a qualifié aussi sévèrement que moi se trouvera changer de caractère parce qu'il sera joint à autre délit. Le fait d'être joint à un autre délit, n'est pas une circonstance atténuante, c'est une circonstance aggravante ; ce qui est de principe dans les faits ordinaires doit être applicable à la circonstance actuelle, puisque l'honorable rapporteur reconnaît que l'attentat contre la vie d'un souverain étranger est un crime de droit commun.

L'honorable rapporteur prétend que le projet du gouvernement introduit une exception contraire au droit commun et à l'esprit de la loi sur les extraditions.

Le projet n'introduit aucune disposition contraire à l'esprit de la loi sur les extradition. Dans la discuston des lois de 1833 et de 1836 on cite des exemples d'attentats contre la vie de souverains étrangers, on a été unanime pour reconnaître que de pareils attentats n'avaient pas le moindre caractère politique.

Comment le projet violerait-il le droit commun ? Du moment que l'honorable membre reconnaît lui-même que le meurtre d'un souverain est un crime ordinaire, le projet consacre le droit commun, il explique clairement la loi de 1833 ; il ne fait rien de plus, il n'introduit aucune espèce d'innovation. L'honorable membre arrive à cette considération : à savoir qu'un fait quelconque connexe à un fait politique en devient l'accessoire et jouit de l'immunité des délits politiques.

Ici encore, je suis d'une opinion opposée à celle de l'honorable membre.

Je ne m'explique pas comment l'assassinat d'un souverain peut être considéré comme l'accessoire d'un délit politique.

Supposez le plus mince délit politique, un délit de presse, quelques personnes appartenant à une société secrète, des cris séditieux proférés dans la rue, du moment qu'il viendrait se joindre à ces faits un attentat, l'honorable rapporteur ne voit plus dans ce crime qu'un fait accessoire. C'est ce que je ne puis admettre. Ce qui est en droit le fait principal, c'est celui qui entraîne la peine la plus grave, ce qui est en morale le fait principal, c'est celui qui entraîne les conséquences les plus graves, qui viole le plus profondément la loi morale.

Il est évident que l'attentat est de beaucoup le fait le plus grave ; il est puni de la peine la plus forte : c'est la plus haute que connaisse notre législation ; c'est la peine du parricide.

Que ce soit aussi en morale le fait le plus grave, il me semble que c'est incontestable.

Dans toutes les législations et spécialement dans celles du pays qui, comme le nôtre, ont adopté le pouvoir monarchique, la vie du souverain est punie d'une manière particulière. Un souverain est sous ce rapport plus qu'un homme ; il représente un principe politique.

On comprend donc que le législateur élève jusqu'au maximum la peine comminée contre l'homme qui attente au principe social, au principe fondamental de la nation. Comment est-il donc possible d'admettre que l'attentat contre la vie du souverain, du moment qu'il est connexe au moindre délit politique, devient un fait accessoire ?

L'honorable rapporteur dit encore que jusqu'ici rien n'est venu prouver la nécessité de modifier la législation existante, ni d'y donner de l'extension, que, depuis 1833, cette législation a suffi pour tous les cas ; que d'ailleurs, demander cette extension, c'est aller bien au-delà de ce qu'ont voulu les législateurs de 1833 et de 1836.

Mais en 1833, le monde, comme le disait l'honorable M. Ernst, n'avait pas été épouvanté de tant d'attentats successifs. En 1836, la Chambre était sous l'impression des attentats de Fieschi et d'Alibaud. Mais depuis lors, nous avons vu une série de crimes pareils, nous avons vu se succéder contre le roi Louis-Philippe une longue série d'assassinats. Il y avait Pieschi, Alibaud, Champion, Hubert, Darmès, Quenisset, Henry, Lecomte, Meunier. Il n'y en a pas eu seulement en France.

Ainsi il y a eu :

En 1840, un attentat contre le roi de Prusse.

En 1837, un attentat contre le prince Ferdinand de Portugal.

Un attentat contre le jeune et illustre empereur d'Autriche.

Et c'est un triste symptôme de notre temps, les régicides n'ont pas même respecté ce qu'on respecte chez les nations les plus barbares, les femmes. Nous avons vu à deux reprises des attentats contre la reine d'Angleterre et un attentat contre la reine d'Espagne.

Enfin le législateur n'avait pas vu les horreurs qui ont suivi 1843, ni l'assassinat du général Bréa, ni celui du comte de Baillet-Latour, ministre de la guerre en Autriche, ni ceux commis à Francfort sur le prince Lichnowsky et le général d'Auerswald, ni celui de l'illustre et à jamais regrettable comte Rossi.

Rien de pareil n'avait frappé le législateur de 1833, ni même celui de 1836.

Dès lors il n'est pas étonnant que les Chambres de cette époque se soient peu préoccupées de cette face de la question.

Mais, nous qui avons vu se dérouler devant nos yeux ce tableau, nous devons éviter de contribuer à assurer l'impunité de ces misérables qui, sous prétexte de but politique, se livrent au meurtre et à l'assassinat.

Telle est la portée du projet de loi ; elle n'est pas autre. Il s'agit d'assimiler à des délits communs le fait de meurtre, d'empoisonnement, d'assassinat d'un souverain étranger.

La Chambre, en votant cette disposition, restera, d'ailleurs, conséquente avec elle-même ; car déjà, en 1852, elle a, par une loi, puni l'outrage politique commis en Belgique contre les souverains étrangers.

(page 696) Ne devons-nous pas admettre les mêmes garanties contre celui qui, réfugié en Belgique, tente de tuer un souverain étranger ?

Allons au fond des choses. Si la disposition, telle que la propose la section centrale, était votée, qu'en résulterait-il ? C'est que l'attentat ne serait punissable que quand il serait isolé, dégagé de toute pensée politique. Or, il faut remonter à l'époque du Bas-Empire, ou tout au moins au moyen âge, pour trouver l'exemple d'un attentat dirigé contre un souverain, non pas comme souverain mais comme homme. De notre temps le régicide, l'attentat contre le souverain a toujours pour but ou pour mobile la pensée politique. Adopter la disposition nouvelle avec lesens qu’y attribue la section centrale, c'est faite chose illusoire ; c'est ne rien faire.

Il suffira qu'on se retranche derrière une pensée politique, que l'on ait fait partie d'une société secrète, qu'on puisse invoquer le moindre conciliabule politique, pour qu'on ait le droit de réclamer l'hospitalité belge. Voilà quelle serait la portée de la disposition. Je répète qu'elle serait illusoire, et qu'elle manquerait complètement le but que nous devons nous proposer.

Ce but, disons-le franchement, c'est une garantie de sécurité que la Belgique doit avoir à cœur de donner à tous les gouvernements amis, qu'ils aient à leur tête un chef héréditaire ou seulement électif.

C'est un gage de moralité politique, je dirai presque sociale, que donnera la Belgique ; et c'est, je ne saurais trop le redire, la consécration de ce que le pays a voulu dès 1833, et surtout depuis 1836.

Se contenter de la rédaction de la section centrale, ce serait adopter une disposition sans portée réelle, et j'avoue franchement que je préférerais voir rejeter le projet que de l'accepter limité comme on le propose. Mieux vaudrait rester sous l'empire de la loi de 1833 que sous le régime de l'amendement qui mutile la pensée du gouvernement.

De même que M. Ernst, en 1836, déclarait inutile ou dangereux la disposition présentée par la section centrale, de même le projet tel qu'on voudrait le mutiler serait ou inutile ou dangereux.

La suppression serait inutile, si elle ne devait pas empêcher l'extradition de ceux qui, sous prétexte politique, auraient attenté à la vie du chef d'un gouvernement étranger. Cette suppression serait dangereuse, dangereuse au plus haut degré, si, à l'aide de cette suppression, on pouvait, en Belgiquc, venir exiger l'hospitalité, sous prétexte que l'attentat qu'onaurait commis aurait eu un mobile politique.

A ce double titre, je repousse la suppression.

En terminant, je piie la Chambre de croire que le projet ne cache aucune arrière-pensée, le but en est clair et précis. Il assimile le fait de tuer un souverain au crime d'avoir tué un homme. Cette loi sera donc légitime en droit positif, elle sera conforme à la justice naturelle et immuable ; elle sera honorable pour la Belgique qui donnera ainsi un nouveau gage de probité politique ; et enfin disons-le, messieurs, elle sera utile au pays, puisqu'elle affermira nos bonnes relations avec les nations qui nous entourent.

J'insiste pour que la Chambre veuille bien adopter la loi telle qu'elle est proposée par le gouvernement.

M. le président. - La parole est à M. Wasseige.

M. Wasseige. - Je céderai mon tour de parole à l'honorable M. Lelièvre. Lorsqu'il aura répondu à M. le ministre de la justice, je verrai s'il y a lieu de redemander la parole.

M. Lelièvre. - La section centrale a admis le principe du projet du gouvernement. Elle a pensé que d'après l'esprit de la loi sur l'extradition et au point de vue des règles du droit criminel, il était juste de considérer comme un assassinat l'attentat contre la vie des chefs des gouvernements étrangers ou contre celle des membres de leurs familles ; mais elle a cru ne pouvoir franchir cette limite, et, par conséquent, elle a maintenu, pour le cas dont nous nous occupons, toutes les garanties énoncées à l'article 6 de la loi de 1833.

Remarquons d'abord que telle était la pensée primitive du ministère. Que disait, en effet, M. le ministre dess affaires étrangères dans la séance du 1er juin 1855 ? Il nous annonçait le dépôt d'un projet ayant pour but d'assimiler l'attentat contre la vie d'un souverain étranger à un assassinat ordinaire.

Telle était si bien la pensée du gouvernement que dans la lettre qu'il a adressée à la section centrale, M. le ministre de la justice nous dit encore en termes exprès :

« Que le projet de loi n'a d'autre objet que de faire disparaître le doute qui pourrait exister sur la question de savoir si l'extradition peut être accordée lorsqu'il s'agit d'attentat à la vie d'un souverain étranger de même qu'elle le serait si la victime de l'attentat était un simple particulier. »

Or, pour conserver au projet ce caractère que lui imprime le gouvernement lui-même, il est indispensable d'admettre l'amendement de la section centrale ; sans cela, nous considérerions sous un point de vue exceptionnel un crime que le ministère envisage cependant comme rentrant dans les principes du droit commun.

« La section centrale prétend que quand le fait est connexe, c'est-à-dire accessoire à un délit politique, l'extradition ne peut être autorisée, aux termes des dispositions de la loi de 1833.

Nous demandons d'abord quelle nécessité justifie une innovation sous ce rapport,

Il ne s'est pas produit un seul fait qui exige qu'on modifie à ce point de vue la loi sur l'extradition, loi exceptionnelle à laquelle il est impossible de donner une extension exorbitante.

Le projet, tel qu'il est formulé par la section ceniralc, rencontre le fait qui s'est produit dans l'affaire Jacquin. Nous ne voyons aucun motif sérieux qui doive nous déterminer à exagérer une mesure rigoureuse qui répugne essentiellement à nos mœurs.

Du reste, le législateur de 1833 n'aurait jamais décrété le principe de l'extradition sans la disposition libérale de l'article 6. Eh bien, pouvons-nous avec dignité abandonner des garanties qui sont dues à la sagesse des assemblées législatives qui nous ont précédés ?

L'honneur national ne nous impose-t-il pas le devoir de maintenir des libertés dont le dépôt nous est confié ?

Oui, messieurs, nous donnerons à nos successeurs un funeste exemple, si nous ne conservions intact un principe qui touche de si près à l'antique réputation de la Belgique hospitalière.

Examinons du reste la portée de l'amendement de la section centrale. L'attentat contre la vie d'un souverain étranger constitue un crime du droit commun.

En conséquence, quel que soit le but de l'agent, que celui-ci soit inspiré ou non d'une pensée politique, l'attentat dont il s'agit est assimilé à un assassinat ordinaire.

Il en est ainsi dans tous les cas où l'attentat constitue un fait principal, fût-il même le résultat d'une détermination ayant un but politique.

A ce point de vue, nous adoptons le projet du gouvernement. Mais. si un fait, ayant le caractère d'un crime véritablement politique, se produisait comme fait principal, et si l'attentat contre la vie du chef d'un gouvernement étranger n'était qu'accessoire à semblable délit, n'est-il pas évident qu'il serait impossible de séparer des actes ayant entre eux une relation intime ? Il serait contraire à tous les principes d'autoriser l'extradition à raison d'un fait accessoire, alors qu'elle ne pourrait être ordonnée pour le fait principal.

Prononcer en ce cas la disjonction d'actes ayant entre eux un caractère évident de connexité, c'est méconnaître toutes les notions du droit criminel.

En enlevant le caractère politique à l'attentat contre la vie d'un souverain étranger, quelle que soit la pensée qui inspire l'assassin, la section centrale propose, à mon avis, une disposition qui satisfait à toutes les nécessités légitimes.

Dans notre système, le fait politique de l'agent n'exclut pas l'extradition Mais s'il existé un crime politique constituant un fait principal, l'attentat, s'il en était un accessoire, doit, à notre avis, suivre le sort du délit principal. Ainsi le veulent les principes du droit.

Un autre système auiait pour conséquence de permettre qu'on livre aux gouvernements étrangers des individus accusés de crimes purement politiques.

Je suppose une insurrection ayant pour but de changer une forme déterminée de gouvernement. Le chef de l'Etat prenant le commandement des troupes, on considérerait comme attentat contre sa personne tous actes quelconques d'agression de la part des insurgés.

Or, c'est là un résultai que nous ne pouvons accepter.

Si le fait principal d'insurrection ne peut donner lieu à extradition, il est impossible que le fait accessoire motive cette mesure.

Là où le fait principal ne peut servir de base à l'extradition, il est impossible de considérer sous un autre point de vue le fait accessoire qui ne peut être séparé du fait principal.

La cour de cassation, dans son arrêt rendu le 12 mars 1855 dans l'affaire Jacquin, a déclaré qu'on entendait par « faits connexes aux délits politiques, ceux dont l'appréciation, au point de vue de la criminalité, peut dépendre du caractère politique du fait principal auquel ils se rattachent. » En conséquence, cette dénomination suppose un crime politique comme fait principal, et ce sont les actes dépendant de ce fait principal qui ne peuvent donner lieu à l'extradition.

La section centrale envisage la question sous le même rapport.

Elle pense que si l’attentat contre la vie des chefs des gouvernements étrangers n'est qu'une dépendance d'un fait principal politique, par exemple, dans le cas d'une insurrection générale, ayant pour but le renversement d'une forme déterminée de gouvernement, il est impossible qu'un fait accessoire motive l'extradition, alors que le fait principal lui-même ne peut donner lieu à semblable mesure. Ainsi expliqué, l'amendement de la section centrale peut être accepté par la Chambre entière.

Du reste, je dois faire, en mon nom personnel une observation qui a certainement frappé la Chambre.

M. le ministre de îa juitice, dans la lettre qu'il a adressée à la section centrale, estime que l'extradition peut être ordonnés du chef de faits de complicité commis sur le territoire de la Belgique, lorsqu'ils se rattachent à un crime commis en pays étranger. A mon avis, c'est là une erreur qui tendrait à consacrer une véritable abdication des droits de la souveraineté nationale.

(page 697) Quoi ! on livrerait un individu à des tribunaux étrangers qui pourraient ne pas présenter les garanties d'indépendance et d'impartialité indispensables pour la bonne administration de la justice ! L'extradition serait autorisée du chef de faits commis en Belgique, faits qu'il appartient à la justice nationale d'apprécier et de réprimer d'après nos lois ! Cela n'est pas possible.

Aussi l'article premier de la loi de 1833 n'autorise la mesure qu'il décrète que pour des faits qui auraient été commis en pays étranger.

Je ne puis donc partager l'opinion émise par M. le ministre de la justice dans la note énoncée au rapport de la section centrale.

Nous appelons l'attention de la Chambre sur une observation que nous lui soumettons.

En dépassant la limite tracée par la section centrale, le ministère introduit une disposition réactionnaire et il laisse supposer, à tort sans doute, qu'il cède à la pression et aux exigences des gouvernements étrangers. Or, c'est là une supposition que l'on ne doit pas laisser s'accréditer. Nous devons, au contraire, la repousser, en prouvant par des actes éclatants que si nous ne reculons pas devant les mesures légitimes réclamées par les relations internationales, nous ne consentons pas à sacrifier des libertés glorieusement conquises.

A cet égard, je ferai appel à l'honorable M. de Decker lui-même. En 1852, il ne voulait même pas qu'on réprimât les attaques commises méchamment par la voie de la presse contre l'autorité des souverains étrangers, et comme rapporteur de la section centrale, je combattais son opposition à un projet qui en définitive révisait dans un sens plus libéral les dispositions de la loi de 1817, alors en vigueur. Comment aujourd'hui pourrait-il consentir à ce qu'on fît disparaître de notre législation une disposition due aux idées généreuses qui de tout temps ont honoré la Belgique ?

Pour moi, j'en suis convaincu, les gouvernements étrangers n'exigent pas et ne peuvent, exiger que nous dérogions à des principes profondément enracinés dans nos mœurs. Ils ne demanderont jamais le sacrifice des libertés d'une nation qui a prouvé qu'elle en faisait un usage légitime et qu'à tous égards elle en était digne.

Il me reste à répondre à quelques observations présentées par M. le ministre de la justice.

M. le ministre parle constamment du rapport de la section centrale comme s'il était mon oeuvre exclusive. Certes j'assume la responsabilité de ce travail qui est rédigé par moi, mais il est essentiel de ne pas perdre de vue que l'amendement adopté par la section a été voté par MM. Matthieu, Lesoinne, Thiéfry, Vander Donckt, Lebeau et moi ; et savez-vous quel est le membre qui a proposé d'adopter cet amendement ? C'est l'honorable M. Matthieu dont nous connaissons tous les opinions éminemment conservatrices.

Certes, c'est là une preuve évidente de l'esprit de modération qui a présidé aux délibérations de la section centrale.

M. le ministre prétend que la loi de 1833 a été acceptée sans répugnance par la législature de cette époque, mais il suffit de consulter les discussions qui ont précédé le vote de la loi pour se convaincre combien l'opposition à ce projet fut vive dans cette enceinte.

On n'épargna pas même les injures à l'honorable M. Lebeau, alors ministre de la justice. Il y a plus, ces discussions attestent que le projet ne fut adopté, par la majorité qui l'a appuyée, qu'en présence de la disposition de l'article 6 qu'on prétend aujourd'hui abroger en partie.

L'on sait du reste combien les principes les plus larges de liberté avaient alors de l'écho dans le parlement. Ce qui le prouve, c'est la proposition de mise en accusation formulée vers la même époque contre M. Lebeau pour avoir, en exécution d'une loi de l'an V, ordonné l'expulsion d'un individu accusé de banqueroute frauduleuse.

Or, voulez-vous savoir quels étaient les membres qui entre autres ont voté la mise en accusation ? C'était l'honorable M. d'Huart, c'était notre collègue M. Dumortier.

Il n'est donc pas étonnant qu'on ait à la même époque adopté la disposition libérale énoncée à l'article 6 dont il s'agit.

M. le ministre méconnaît le caractère exceptionnel de la loi de 1833, mais ce système ne nous paraît pas sérieux. En effet, en règle générale, l'étranger qui se trouve sur notre territoire jouit des garanties accordées aux personnes et aux biens. Voilà la règle. En conséquence c'est par exception seulement qu'il peut être livré aux tribunaux étrangers. Ce qui prouve sans réplique cette vérité, c'est que l'extradition ne peut avoir lieu qu'en vertu de traités, c'est qu'elle n'est autorisée que pour certains faits seulement, c'est qu'enfin, non seulement elle est limitée à certains crimes et délits, mais elle est entourée de garanties spéciales qui prouvent qu'elle forme une exception aux règles du droit commun. Il doit du reste en être ainsi. L'étranger qui, dans son pays a commis des crimes ou des délits n'a pas en cela violé nos lois. On conçoit donc qu'en principe nous n'ayons pas à intervenir dans un ordre de faits qui nous est étranger.

Du reste, de nombreuses décisions de la magistrature belge n’ont cessé d'adopter le principe que l'extradition constitue une mesure rigoureuse et exceptionnelle, qui doit être restreinte autant que possible ei à laquelle l'on ne peut donner aucune extension.

On peut voir les autorités citées dans le rapport, et notamment l'avis de la cour de Bruxelles du 3 janvier 1838. Quant au projet de loi en discussion, nous disons que le ministère n'a pas choisi un moment opportun pour le présenter à la sanction des Chambres.

La loi de 1833 fonctionne depuis vingt-deux ans :

On n'a jamais réconnu la nécessité de déroger à la disposition de l'article 6, et cependant à une époque où il existait des relations de famille entre la cour des Tuileries et celle de Bruxelles, on n'a pas même cru devoir s'occuper de dispositions spéciales de la nature de celle énoncée au projet, alors que le chef de l'Etat ne cessait d'être l'objet de tentatives criminelles.

Pourquoi donc proposer aujourd'hui un projet qui a pour but, non pas seulement d'interpréter dans un sens raisonnable la loi sur l'extradition, mais de supprimer les garanties qu'elle a établies en cas de connexité de certains faits avec des délits politiques ? Il existe beaucoup de personnes qui pensent que le ministère cède en cela à une pression étrangère et il importe de démentir cette supposition.

Du reste, M. le ministre de la justice me paraît avoir complètement méconnu le caractère de l'amendement. La section centrale admet que l'assassinat et le meurtre d'un souverain étranger ne constituent pa sdes crimes politiques. Mais on ne peut déduire de cette proposition la conclusion que les faits dont il s'agit ne peuvent être connexes à un délit politique. En effet, le meurtre d'un particulier peut être connexe à un délit politique. C'est ainsi que dans une insurrection armée le meurtre d'un particulier, victime dans la lutte, est connexe au fait principal qui a incontestablement un caractère politique, c'est-à-dire l'insurrection. Dans l'opinion de la section centrale, il peut en être de même de l'attentat contre la vie d'un souverain, lorsqu'il se trouve à la tête des troupes combattant pour l'ordre et les lois.

En un mot nous assimilons à tous égards le meurtre ou la tentative de meurtre commis contre la personne d'un souverain étranger au fait de même nature dirigé contre un particulier. Or, de même que le crime à l'égard d'un particulier peut être connexe à un délit politique, il en est de même du fait énoncé au projet.

Ne perdons pas de vue que c'est le projet du gouvernement qui tend à imprimer à l'attentat contre la personne du souverain un caractère exceptionnel.

C'est ce qui résulte de l'exposé des motifs qui porte :

« Le texte qui vous est présenté va même plus loin. Il statue que la connexité de l'attentat, tel qu'il vient d'être limité, avec un délit purement politique, ne sera point un motif suffisant pour faire écarter l'extradition.

« Sous ce rapport, le paragraphe nouveau complète l'article 6 de la loi.

« Dans tous les temps, dans tous les pays la vie du chef de l'Etat a été protégée par des dispositions exceptionnelles. »

C'est donc le gouvernement qui prétend qu'on s'écarte du droit commun, tandis que le système de la section centrale maintient purement et simplement les dispositions générales et place l'attentat contre les souverains sur la même ligne que celui commis contre les particuliers. J'ai donc maintenu avec fondement que le projet ministériel renfermait une prescription exceptionnelle, contraire au texte et à l'esprit de la loi sur l'extradition.

On n'a pas été heureux lorsqu'on a argumenté de la loi de 1852 qui réprime les outrages commis par la voie de la presse envers les chefs des gouvernements étrangers.

En effet, là il s'agit de délits véritables, commis sur notre territoire et que la loi belge devait réprimer comme elle l'a fait. Cette mesure, conforme aux principes, n'a rien de commun avec l'extradition qui concerne les faits commis à l'étranger.

Je prie la Chambre de ne pas se méprendre sur la portée de l'amendement de la section centrale. Nous ne considérons pas l'attentat contre la vie d'un souverain étranger comme un délit politique, quelle que soit la pensée qui inspire l'assassin.

Peu importe que ce dernier agisse dans un but politique ou non.

Nous considérons l'assassinat, le meurtre et l'empoisonnement comme des crimes du droit commun pouvant justifier l'extradition.

En cela nous sommes d'accord avec le gouvernement et nous sommes les premiers à réprouver les faits odieux dont il s'agit. Mais ce que nous soutenons, c'est que le meurtre ou la tentative de meurtre contre un chef d'un gouvernement étranger ou un membre de sa famille peuvent en certains cas être connexes à un fait principal dont le caractère politique ne peut être contesté. Nous avons notamment cité l'exemple d'une insurrection.

Or, c'est pour de pareilles circonstances que nous ne pouvons adopter la disposition telle qu'elle est proposée par le gouvernement.

M. Matthieu (pour un fait personnel). - La déclaration faite par l'honorable M. Lelièvrc est incomplète.

L'honorable M. Lelièvre avait proposé comme amendement d'introduire dans l'article premier de la loi de 1833 un nouveau paragraphe qui aurait compris les attentats contre la personne des souverains et des membres de leur famille. J'ai demandé à l'honorable M. Lelièvre si ce ne serait pas répondre mieux à son idée que d'effacer du projet les mots relatifs à la connexité d'un délit politique. Cette idée a été immédiatement saisie et l'honorable M.Lelièvre l'a faite sienne. Mais dès le jour même j'en ai reparlé à l'honorable M. Lelièvre, je lui ai dit que je reconnaissais que j'avais fait fausse route, parce que je n'avais pas eu sous les yeux la loi de 1833, loi, qui, dans son article 6, contient une réserve pour les faits connexes à un fait politique qui ne donnent pas lieu à extradition.

(page 719) M. Lelièvre. - Je dois faire observer que c'est seulement quelques jours après la délibération de la section centrale que M. Matthieu m'a dit officieusement qu'il croyait devoir changer d'opinion. Il n'est pas moins vrai que c'est sur sa proposition que la section centrale a voté l'amendement.

(page 698) M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - J'ai un mot à relever dans ce que vient de dire l'honorable rapporteur de la section centrale.

Le langage de M. le rapporteur tendrait à faire supposer que des gouvernements étrangers ont pesé sur le cabinet pour l'engager à présenter le projet qui est en discussion. Il n'en est absolument rien. Il n'y a pas un seul gouvernement étranger, pas un, qui ait pesé sur le cabinet ; ii n'y en a pas un seul qui ait même demandé au cabinet la présentation du projet de loi.

Le projet de loi qui est en discussion a pour seul instigateur ma personne, ma personne complètement étrangère à toute conversation avec un membre du corps diplomatique quelconque. Voici comment est née l'idée du projet de loi.

Vous savez, messieurs, qu'en arrivant aux affaires, nous avons trouvé l'affaire Jacquin qui n'était pas un embarras pour le gouvernement seulement, mais qui pouvait en devenir un pour le pays.

Après l'avis de la cour de Bruxelles, sans examiner cet avis au point de vue légal, je n'étais pas compétent pour le faire, j'ai été effrayé de voir qu'une loi fût assez obscure pourqu'une cour aussi élevée que celle de Bruxelles pût croire qu'il fût loisible à des étrangers de venir s'établir en Belgique, pour confectionner des objets destinés à assassiner un souverain étranger.

J'ai été effrayé de la responsabilité morale que ce fait pouvait faire rejaillir sur le pays.

Je suis venu dans le conseil des ministres et j'ai demandé à mes collègues de bien vouloir présenter un projet de loi dans la session courante, pour faire cesser l'obscurité qui permettait à des cours d'être d'avis différents sur un objet aussi grave.

Vous savez, messieurs, que la cour de Liège et la cour de cassation ont émis un avis différent de celui de la cour de Bruxelles. J'ai demandé à mes collègues que la question fût tranchée tellement catégoriquement qu'il ne pût plus y avoir de doute et que les cours ne pussent plus avoir deux avis différents.

Mes collègues ont partagé mon avis et la résolution formelle a été prise dans le conseil des ministres de présenter le projet de loi qui est en discussion.

Ce n'est qu'après que cette résolution a été prise que j'en ai fait part à M. le ministre de France à Bruxelles.

J'affirme donc de la manière la plus positive qu'aucun gouvernement étranger n'a pesé sur le cabinet pour l'engager à la présentation du projet de loi.

M. Wasseige. - Messieurs, le projet de loi qui nous a été soumis par le gouvernement n'est pas, comme on vous l'a déjà dit, un projet nouveau. C'est l'explication rationnelle de la loi de 1833, qui avait paru soulever un doute dans l'affaire des Jacquin. L'honorable ministre de la justice vous a prouvé parfaitement que ce projet n'était pas nouveau, en vous faisant voir qu'il avait été dans l'esprit du législateur de 1833 ainsi que dans l'esprit du législateur de 1836.

Il s'agit, messieurs de faire constater une fois de plus que l'attentat sur la personne d'un souverain, alors qu'il revêt le caractère de l'assassinat, du meurtre ou de l'empoisonnement, n'est pas un délit politique, et que par conséquent il tombe sous l'application de l'article 1er de la loi sur les extraditions.

Il s'agit ensuite de décréter que lors même que l'attentat serait connexe à un délit politique, cette raison ne serait pas suffisante pour que l'extradition soit refusée. Cette deuxième disposition n'est à mon avis qu'une conséquence forcée de la première, et dès lors ce n'est pas non plus une disposition nouvelle.

La section centrale paraît adopter le premier point, à savoir que l'attentat contre la personne du souverain, alors qu'il revêt le caractère de l'assassinat, du meurtre ou de l'empoisonnement, donne lieu à l'extradition. Je dis, messieurs, « paraît adopter », car avant les explications que vient de donner l'honorable M. Lelièvre, la résolution de la section centrale était tellement en opposition avec les considérants du rapport, qu'il m'était impossible de reconnaître positivement ce qu'elle voulait ; et je n'ai pas été le seul qui ait rencontré cette obscurité.

En effet, M. le ministre de la justice lui-même vient de nous dire que d'après ses impressions et après examen du rapport, la section centrale ne consentait à l'extradition que lorsque le crime était complètement isolé, indépendant de toute pensée politique.

Selon les explications de l'honorable M. Lelièvre, la conclusion de la section centrale avait une autre portée que celle qu'elle paraissait avoir : cette conclusion veut que l'attentat contre la personne d'un souverain, lorsqu'il revêt le caractère de l'assassinat, du meurtre ou de l'empoisonnement, soit toujours soumis à l'extradition, quelle que soit la pensée qui l'ait inspiré, cette pensée fût-elle même exclusivement politique ; mais la section centrale ne veut pas que l'extradition ait lieu alors que le fait est connexe à un délit politique.

C'est là, à mon avis, une grave inconséquence et j'espère le prouver en peu de mots.

La connexité, messieurs, n'est pas une chose vague, une chose qu'on puisse définir à sa guise pour l'approprier aux besoins de la cause ; elle est définie en termes exprès par l'article 227 du Code d'instruction criminelle. Cet article porte :

« Les délits sont connexes, soit lorsqu'ils ont été commis en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'ils ont été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis, les uns pour se procurer les moyens de commettre, les autres pour en faciliter, pour en consommer l'exécution, ou pour en assumer l'impunité. »

Vous voyez, messieurs, comme j'avais l'honneur de le dire, que la connexité ne«st pas une chose vague. Pour qu'un délit soit connexe il faut qu'il rentre dans les termes exprès de l'article 227 du Code d'iustruction criminelle.

Merlin définit également la connexité à peu près dans les mêmes termes que ceux employés par le législateur.

La connexité ne constitue donc ni circonstance aggravante ni circonstance atténuante. Les délits connexes sont ou des délits différents ayant chacun son caractère propre, mais ayant une corrélation reélle, qu'ils doivent être jugés simultanément, ou c'est un même délit commis par des personnes qui, par leur position, dépendent de juridictions différentes ; et alors cette connexité fait que le délit doit être déféré à une seule et même juridiction.

Chaque délit conserve son caractère propre ; il n'y a pas de fait principal et de fait accessoire.

Nous venons de voir, messieurs, que la section centrale admet l'extradition pour le fait d'attentat commis par une seule personne, quel que soit le mobile qui ait conduit la main de l'assassin ; mais tout en admettant l'extradition pour ce cas, la section centrale la refuse lorsqu'il y a connexité avec un délit politique.

Voilà où se trouve, à mon avis, une inconséquence injustifiable ; en effet, alors que la politique est la cause principale, unique de l’assassinat, vous consentez à l’extradition, dans que la passion politique, et je vous en félicite, vous paraisse une excuse suffisante ; et lorsque cette passion politique n’agit plus qu’indirectement, par connexité, lorsque l’assassin peut n’être mû que par le mobile le plus vil, complètement étranger même à la politique, mais connexe à un délit politique, d’après la définition rigoureuse de l’article 227 du Code d’instruction criminelle, vous repoussez l’extradiion, alors qu’elle est bien plus justifiée que dans le premier cas ; mais, j’ai eu raison de le dire, ce serait inconséquent, ce serait absurde.

Cherchons à rendre ceci plus clair encore par des exemples. Supposons qu'un individu empoisonne son souverain ; il n'est mû par aucune passion personnelle, il n'a qu'un but unique, c'est de « porter atteinte à une forme politique et déterminée de gouvernement ». (Ce sont les mots textuels du rapport.)

Y a-t-il lieu à extradition ? Oui, d'après ce que vient de nous dire l'honorable M. Lelièvre ; mais j'en aurais douté, je le répète, avant les explications qu'il vient de donner, parce que les raisonnements sur lesquels il s'appuie dans son rapport tendent directement à une solution contraire.

Quoi qu'il en soit, messieurs, le rapporteur de la section centrale vient de reconnaître que dans ce cas il y a lieu à extradition, nonobstant les raisonnements de la section centrale qui tendent à prouver que lorsqu'il y a des délits connexes à un fait politique l'extradition ne doit pas avoir lieu ; mais ces raisonnements s'appliquent à plus forte raison au cas dont nous nous occupons.

En effet, que dit l'honorable M. Lelièvre ? Après avoir fait ressortir très éloquemment l'odieux de l'assassinat, du meurtre et de l'empoisonnement, il dit : « Il est impossible de les confondre avec des faits dont le caractère exclusif est de porter atteinte à un ordre politique déterminé et variable. » Or, dans l'exemple que je viens de poser, l'assassin n'est mû par aucune espèce d'animosilé contre le chef de l'Etat ; le fait qu'il posé a bien pour caractère exclusif de porter atteinte à un ordre politique déterminé et variable.

Or, si les faits connexes ne doivent pas donner lieu à extradition, à plus forte raison, dans le cas supposé, il ne devrait pas y avoir extradition.

L'honorable M. Lelièvre dit encore :

« Lorsqu'un fait quelconque (et ce quelconque est quelque peu naïf alors qu'on voit dans le projet de loi qu'il s'agit d'un meurtre, d'un assassinat ou d'un empoisonnement), lorsqu'un fait quelconque est connexe à un délit véritablement politique, l'appréciation qui doit en être faite, sous le rapport de la criminalité, dépend du caractère purement politique du fait principal.

Or, je le répète, messieurs, toutes ces raisons que l'honorable M. Lelièvre présente pour ne pas permettre l'extradition d'un individu coupable d'un attentat connexe à un fait politique, toutes ces raisons s'appliquent de la même manière et à plus forte raison à l'assassin qui, dans un but exclusivement politique, porte seul la main sur son souverain. et cependant on vient de vous le dire, dans ce cas-là l'opinion de la section centrale est qu'il y a lien à extradition.

Je dis donc, messieurs, que du moment qu'il est constant que dans l'opinion de la section centrale le fait d'un individu qui veut assassiner son souverain pour changer la forme du gouvernement, donne lieu à l'extradition, il est illogique de dire que le même fait connexe à un délit politique n'aura pas les mêmes conséquences ; il faut tout l'un ou tout l'autre.

Je vais poser un second exemple, pour rendre plus évidente encore l'inconséquence que je signale. Une conjuration s'ourdit. Les conjurés, qui ont horreur du sang, font (page 699) le serment entre eux de ne pas répandre celai du prince et de chercher à changer la forme du gouvernement, sans en venir à une semblable extrémité.

Un seul des conjurés viole son serment ; et, pour faciliter la réussite de la conjuration, il assassine le prince.

Ici l'assassinat serait connexe à un fait politique, d'après les termes exprès de l'article 227 du Code d'instruction criminelle. Vous déclareriez donc que le meurtrier ne devrait pas être extradé ; or, je vous le demande, n'est-il pas aussi coupable et même plus coupable que celui qui isolément aurait assassiné le prince, puisque à l'assassinat il joint, en quelque sorte, un acte de trahison envers les conjurés ?

Un second exemple : Des conjurés envahissent le palais du prince pour le séquestrer, et à l'aide de cette séquestration, parvenir à un changement dans l'Etat. Un voleur, profitant de l'émotion qui règne dans le palais, envahi par les conjurés, entre dans le cabinet du prince et l'assassine pour le voler. En présence de l'article 227 du Code d'instruction criminelle, il est impossible de ne pas reconnaître ici toutes les conditions d'un fait connexe à un délit politique.

Vous voudriez donc donner dans ce cas asile au voleur et à l'assassin, tandis que vous ne donneriez pas asile à celui qui aurait seul assassiné le prince ! Cela est absurde, cela serait révoltant !

Messieurs, l'on vous dira sans doute que la Belgique doit continuer à exercer cette hospitalité qui a fait jusqu'à présent sa gloire et sa réputation. Quant à moi, je crois que cette réputation est bien plutôt due à l'honnêteté, à la loyauté et à la sécurité de ses rapports avec tous ses voisins, qu'à une hospitalité exercée sans limites et sans discernement et qui ne ferait de la Belgique que le repaire des bandits des autres pays.

La section centrale ajoute à la fin de son rapport : « Il y a d'ailleurs, un moyen suffisant dans l'expulsion pour le cas qui nous occupe. »

Mais, messieurs, l'expulsion est un moyen qui est bien plus dans notre intérêt que dans celui des pays voisins. Non, messieurs, l'expulsion n'est pas un moyen suffisant et efficace ; Il ne suffit pas d'éloigner de grands criminels. Nous devons prêter franchement notre concours international pour empêcher qu'il n'y ait de grands criminels. Or, soyez convaincus que la certitude d'être livré aux tribunaux étrangers est, sans contredit, l'un des moyens les plus certains d'empêcher les grands crimes.

L'expulsion ne suffit donc pas dans ce cas.

Messieurs, protégeons autant qu'il est en notre pouvoir la vie des souverains étrangers qui nous entourent. Nous le devons à la justice absolue ; nous le devons à notre attachement pour nos princes, car, comme l'a dit l'honorable ministre de la justice, si l'extradition est accordée, c'est à condition qu'il y ait réciprocité de la part des pays voisins ; nous le devons à l'amour que nous portons à nos institutions et à notre indépendance.

C'est vous dire assez, messieurs, que je repousse le projet de la section centrale et que je voterai pour le projet du gouvernement.

M. Dumortier. - Messieurs, j'ai toujours montré une grande sympathie pour les réfugiés politiques et pour les gens paisibles qui viennent s'asseoir chez nous à l'ombre de l'arbre de liberté. Comment en serait-il autrement ? J'ai été un de ceux qui, en 1830, auraient peut-être dû s'expatrier, si la cause de notre indépendance n'avait pas triomphé à cette époque. Vous comprenez que, dans un pareil état de choces, toutes mes sympathies sont nécessairement acquises à ceux qui pourraient se trouver dans un cas semblable.

Mais autant j'aime à voir cette terre hospitalière permettre toujours aux étrangers de venir se reposer paisiblement chez nous, lorsque les événements politiques les y forcent, autant il m'est impossible d'admettre que notre pays devienne un lieu de refuge pour ces crimes odieux devant lesquels nos cœurs se soulèvent, dont les châtiments sont trop minimes. Comment est-il possible d'admettre que celui qui se permet un assassinat contre qui que ce soit puisse venir en Belgique se reposer à l'abri de nos lois dans une position telle que s'il avait commis un pareil crime dans le pays il serait puni par nos propres lois ?

Je n'ai jamais compris qu'il fût possible d'entendre de la sorte la loi sur les extraditions. Je suis un des membres qui siégeaient à l'époque où la loi fut votée, bien que je n'aie pas pris part à la discussion, j'étais absent ; je me rappelle que personne au monde n'aurait voulu entendre la loi dans le sens indiqué par l'honorable M. Lelièvre. Si à cette époque on eût demandé à cette Chambre s'il était possible d'admettre la connexité de la tentative d'assassinat d'un souverain étranger avec ce qu'on appelle un délit politique, il n'y eût eu qu'un cri dans l'assemblée, pour déclarer que l'assassinat d'un souverain était pire que celui d'un citoyen, puisqu'il doit amener un bouleversement dont on ne peut souvent apprécier l'étendue. (Interruption.)

Nous ne sommes pas d'accord, puisque M. Lelièvre prétend que la loi de 1833 aurait établi cette connexité.

La loi sur les extraditions a été votée par 65 voix contre 9 ; vous jugez par là combien cette Chambre si patriotique de 1833 qui soutint si fortement le droit des étrangers qui voudraient s'établir sur votre sol quand les événements auxquels ils avaient pris part n'avaient pas réussi ; vous jugez combien cette Chambre si patriotique était peu disposée à admettre des interprétations comme celles qu'on est venu présenter depuis.

L'honorable membre a dit : S’il fallait interpréter pourquoi ne l'a-t-on pas fait sous le gouvernement de juillet, alors que Louis-Philippe était le beau-père de notre roi bien-aimé, que sa fille régnait sur la Belgique ? Pourquoi ? C'est très simple : il ne s'est jamais trouvé personne qui entendît la loi comme l'honorable membre. C'est que pour chacun de nous un assassinat ou un meurtre comme ceux commis par Alibaud et Fieschi, ne sont pas des crimes politiques ; si quelqu'un de ces grands coupables avait pu s'échapper de France pour venir s'asseoir à l'ombre de nos lois, le gouvernement aurait cru de son devoir de le saisir pour le restituer au pays où il aurait commis son crime.

Voilà comment il se fait que jamais, pendant le gouvernement de juillet, aucune contestation ne s'est élevée sur ce point.

Mais, dit-on, il n'y avait pas connexité. Qu'est-ce donc que la connexité avec un délit politique ? Qu'est-ce qu'un délit politique ? Si c'est au sujet de la presse, il est inutile d'en donner la définition ; si c'est un fait qui se passe dans un mouvement populaire, il se commet dans le flagrant de l'insurrection, de l'émeute ; on a tiré des coups de fusils, il y a des hommes tués, des hommes qui ont tiré, c'est un délit politique, il y a eu une action dans le flagrant de l'émeute.

En est-il de même dans les tentatives d'assassinat contre un souverain ? Le mot « assassinat » dit le contraire.

Du moment que vous parlez d'assassinat, vous admettez cette tentative lâche, de tuer un souverain pour amener un événement politique. On présente des arguments subtils pour changer le caractère d'un fait qui s'explique de lui-même. Pour moi, je serai toujours prêt à donner mon concours à toute loi qui aura pour objet d'empêcher que des brigands viennent s'asseoir tranquillement à notre foyer.

Ce n'est pas quand on prêche la maxime de la guerre au couteau, quand on fait appel à l'assassinat que nous devons nous montrer faciles pour que les grands coupables et leurs séides, après avoir essayé de mettre leurs maximes en pratique, puissent venir s'asseoir à l'ombre de nos libertés. C'est, dit-on, une abdication de la liberté et de la dignité nationale.

Je ne trouve pas que la dignité nationale et la liberté soient intéressées à ce que nous fassions de notre pays le repaire de tous les brigands du monde. Les repousser est un des actes de souveraineté nationale les plus dignes qu'on puisse poser.

On invoque la Belgique hospitalière et l'honneur national. Pour moi je ne mettrai jamais mon honneur à faire servir mon pays de repaire aux hommes pervers qui voudraient bouleverser tous les pays voisins, je ne veux pas que notre beau pays serve d'asile à ceux qui se livrent à de pareils actes de brigandage.

M. Van Overloop. - Il me semble, messieurs, que l'honorable M. Lelièvre, dans le discours qu'il vient de prononcer, s'est complètement trompé et sur la nature de l'extradition et sur l'esprit de la loi de 1833.

Toutes les nations civilisées distinguent deux espèces de méfaits : les méfaits de lèse-humanité tels que le meurtre, l'assassinat, l'empoisonnement, et les méfaits que j'appellerai de lèse-nation, tels qu'un complot ayant pour but de changer la forme du gouvernement. Toutes les nations, nulle exceptée, ont intérêt à ce que les méfaits de lèse humanité, qu'ils soient commis sur leur territoire ou sur un territoire étranger, soient punis.

C'est que ces méfaits portent atteinte à l'ordre universel, ordre à la conservation duquel toutes les nations doivent veiller, et dont par conséquent, elles doivent prévenir et réprimer les perturbations. Aussi, dans tous les pays civilisés, les méfaits de lèse-humanité sont-ils frappés de réprobation et par les lois, et par la conscience publique.

Mais si, d'un côté, toutes les nations ont intérêt à ce que les méfaits de lèse-humanité soient réprimés ; d'un autre côté, en vertu des principes de l'indépendance réciproque des Etats, en général, le pouvoir judiciaire d'un Etat ne s'occupe pas de la poursuite, ni de la répression des méfaits commis sur le territoire d'un autre Etat.

Pour concilier le devoir de ne pas laisser impunis les méfaits de lèse-humanité, avec le principe qui limite l'action du pouvoir judiciaire d'un Etat au territoire de cet Etat, qu'ont fait les nations ? Elles ont admis l'extradition.

Qu'est-ce que l'extradition ? C'est l'acte par lequel un gouvernement livre le prévenu d'un crime ou d'un délit à un autre gouvernement qui le réclame, pour le punir à raison de cette infraction.

C'est bien là, je pense, une définition exacte du mot « extradition ».

Ainsi entendue, l'extradition est-elle, comme on l'a dit, une exception au droit commun ? Evidemment non, lorsqu'elle a lieu pour des crimes ou des délits de lèse-humanité ; car le droit commun, c'est-à-dire le droit naturel, exige que semblables infractions ne restent pas impunies.

Aussi la question de savoir s'il n'est pas conforme au droit naturel et au droit des gens de livrer, même sans traité, les délinquants à la justice de leur pays, est-elle une question controversée. Grotius la résout affirmativement et je pourrais vous citer plusieurs autres publicistes qui partagent son opinion.

Il est vrai, toutefois, qu'aujourd'hui, on est généralement d'accord que l'extradition n'est un devoir que lorsqu'elle est stipulée dans un traité international.

On admet même généralement certaines règles dans la conclusion de ces traités.

Ainsi il est de règle :

(page 700) Qu'un Etat ne doit jamais accorder l'extradition de ses nationaux ; ni celle de personnes poursuivies ou condamnées pour délits politiques ; ni celle de personnes poursuivies ou condamnées pour des délits légers : mais seulement l'extradition des réfugiés qui sont sous le coup de condamnation ou de poursuites pour crimes graves et de droit commun.

Or, qu'a fait la loi de 1833 ? Elle n'a fait que consacrer ces règles. Elle permet l'extradition dans les cas où, d'après ces règles, l'extradition est un devoir ; elle l'interdit dans les autres cas.

Aux termes donc de la loi de 1833, l'extradition est permise lorsque le réfugié est poursuivi ou condamné pour un crime grave et de droit commun, pour un de ces méfaits qui blessent la morale universelle des peuples.

Or, est-il de plus grands crimes, d'après le droit commun, que le meurtre, l'assassinat ou l'empoisonnement ?

Ces crimes perdent-ils leur caractère lorsque la victime est le chef d'un gouvernement ? L'auteur de ces crimes n'est-il pas soumis à extradition lorsque le meurtre, l'assassinat, l'empoisonnement du chef d'un gouvernement sont connexes à un délit politique ?

Faut-il, dans ce cas, appliquer cette règle : L'accessoire suit le principal ; considérer l'assassinat du souverain comme l'accessoire, et, par suite, dire que l'assassin ne peut être extradé, parce que le délit politique, auquel l'assassinat est connexe, ne peut donner lieu à extradition ? Certes non. Dans ce cas, le crime principal est l'assassinat, car l'assassinat porte atteinte à l'essence même des sociétés, tandis que le délit politique ne porte atteinte qu'à la forme des sociétés.

C'est donc à tort qu'on invoque, dans le cas d'un assassinat connexe à un délit politique, la règle que l'accessoire suit le principal, pour mettre l'assassin à l'abri de l'extradition.

Toute la difficulté gît dans l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833. Nous croyons qu'il a été donné à cet article une portée qu'il n'a pas. Quel est le but de cet article ? Ce but a été parfaitement caractérisé par M. Delebecque, premier avocat général à la cour de cassation, dans l'affaire même des Jaequin.

Voici comment s'exprime l'honorable M. Delebecque :

« Dans l'article 6, on prend des précautions dans le but d'éviter qu'après l'extradition accordée à raison d'un délit de droit commun, le gouvernement étranger, ayant l'accusé ou le prévenu sous la main de la justice, ne le mette aussi en jugement pour des délits politiques. »

Voilà le seul but de l'article 6 et ce but est rationnel, conforme aux règles qui président aux traités d'extradition. Qu'on ne dise donc pas que l'article 6 défend l'extradition de l'assassinat d'un souverain étranger, lorsque l'assassinat est connexe à uu délit politique !

Mais qu'est-ce qu'un délit politique ? C'est un délit purement local, qui n'est pas condamné par la morale universelle, qui n'est pas puni par la législation de toutes les nations civilisées. « C'est, dit la cour de cassation de Belgique, un délit dont le caractère exclusif est de porter atteinte à la forme et à l'ordre politique d'une nation déterminée. » C'est, en un mot, disons-nous, un délit qui n'est délit qu'au point de vue de la nation sur le territoire de laquelle il a été commis.

Voilà ce qu'on appelle un délit politique.

Or, je le demande, est-ce que le meurtre, l'assassinat, l'empoisonnement peuvent être assimiles au délit politique, défini comme le définit la cour de cassation ? Evidemment, non. Aussi, pour ma part, je félicite hautement le gouvernement d'avoir présenté le projet de loi dont nous sommes saisis ; je l'en félicite hautement, car il a fait acte de moralité en le présentant. Il ne faut pas que la Belgique puisse servir de refuge aux meurtriers, aux assassins, aux empoisonneurs. On a invoqué le sol hospitalier de notre Belgique ! Oui, la Belgique est un sol hospitalier pour les infortunés, pour les hommes qui ont commis des délits purement politiques, mais pas pour les assassins, pour les meurtriers, pour les empoisonneurs.

On invoque la liberté dont on jouit en Belgique ! Oui, la terre de Belgique est une terre libre, mais c'est avant tout une terre morale. C'est la moralité de nos populations qui nous rend capables d'être libres comme nous le sommes. Si nous n'étions pas si moraux, nous ne resterions pas, croyez-le bien, maîtres de nos belles libertés. La moralité est la compagne inséparable de la liberté vraie. Or, la moralité exige que notre pays ne devienne pas l'asile des meurtriers, des assassins et des empoisonneurs des souverains étrangers.

Maintenant, faut-il ajouter des arguments à ceux qu'ont si judicieusement exposés, et l'honorable ministre de la justice et l'honorable M. Wasseige, pour prouver que l'adoption de la proposition de la section centrale aurait pour résultat de faire une loi parfaitement inutile ? Je ne le crois pas. Il me paraît évident que si vous adoptiez la proposition de la section centrale, telle qu'elle a été formulée par l’honorable M. Lelièvre, des meurtriers, des assassins, des empoisonneurs pourraient toujours s'opposer à l'extradition, en soutenant que leur crime est un fait connexe à un délit politique, et partant la loi qui nous est soumise n'aurait aucun effet utile. Mais, je me hâte de le reconnaître, la pensée de l’hononorable M. Lelièvre est autre que celle qu'indique la formule employée par la section centrale.

L'honorable M. Lelièvre, comme la section centrale, comme la Chambre ne veulent pas accorder, même indirectement, l'impunité à l'assassin d'un souverain étranger.

JH. Auspacii. — (Nous donnerons son discours.)

(page 700) M. Lebeau. - Je pourrais peut-être demander la parole pour un fait personnel.

Je dois d'abord exprimer mon profond regret de ce que la convocation pour la dernière séance de la section centrale, où il a été donné lecture du rapport de l'honorable M. Lelièvre, ne m'est pas parvenue. M. Lelièvre en a reçu par erreur deux, tandis que je n'en ai reçu aucune.

J'aurais certainement repoussé, comme l'honorable M. Lelièvre, les termes de la proposition ministérielle et les conclusions auxquelles on est arrivé. Je n'ai pas besoin cependant de me défendre de mon peu de goût pour l'assassinat politique.

Voici ce qui a motivé les scrupules que j'ai exprimés en section centrale et ce qui, vous l'avez vu tout à l'heure, a excité aussi les scrupules de l'honorable M. Matthieu.

C'est le mot « attentat », qui me paraît présenter peut-être quelque danger, s'il était maintenu dans les termes de la loi.

Afin qu'à l'instant même on comprenne bien ma pensée, si l'amendement que je vais présenter, au moins comme un canevas à examiner, pouvait être accepté par M. le ministre de la justice et par mes honorables collègues, je le substituerais immédiatement à la rédaction ministérielle.

Ces sept mots : « ni fait connexe à un semblable délit, » qui se trouvent dans le projet du gouvernement, et dont la section centrale propose la suppression, sont, en réalité, l'objet unique de la discussion.

Je voudrais qu'il fût possible de remplacer le paragraphe proposé par la disposition suivante : « Ne sera pas réputé délit politique l'assassinat, tenté ou consommé sur la personne du chef d'un gouvernement étranger, ou sur celle d'un membre de sa famille. »

Le reste, si l'on veut, mais qui paraît inutile.

Voici pourquoi je substitue le mot « assassinat » au mot « attentat » ; c'est que l'attentat est un crime tout spécial, qui n'est pas gouverné par les mêmes principes de criminalité et de répression que l'assassinat auquel on veut l'assimiler.

L'attentat diffère essentiellement de l’assassinat proprement dit, et voilà ce qui, dans la séance à laquelle j'assistais, a soulevé de vives objections de la part de plusieurs membres de la section centrale.

En vertu de nos lois, le fait d'attentat existe, dès qu'un acte est commis ou commencé, d'après les termes de l'article 88 du Code pénal, pour parvenir à l'exécution du crime, quoique le crime n'ait pas été consommé.

Eh bien, il y a là un vague effrayant, contre lequel on s'est souvent récrié, et que, dès 1851, j'ai, comme ministre de la justice, cherché à restreindre.

Je suppose qu'il éclate à côté de la Belgique, comme on l'a vu il n'y a pas bien longtemps, une de ces catastrophes politiques qui renversent un gouvernement et en font surgir un autre. La conséquence la plus immédiate d'un pareil événement, c'est une émigration considérable.

A la tête de cette émigration seraient bien certainement presque tous les hommes qui appartenaient au gouvernement qui viendrait d'être renversé. Ces hommes se trouvant dans un pays voisin de celui où la catastrophe aurait eu lieu, seraient bientôt suivis de ces personnages faméliques, de ces agents de bas étage qui sont toujours prêts à se mettre à la solde ceux qui les payent.

Il pourrait arriver dans le pays ainsi révolutionné des complications, des tentatives d'insurrection contre le pouvoir nouveau. Les chefs du gouvernement improvisé, sachant que des hommes du gouvernement déchu sont au-delà de la frontière, et éprouvant un vif désir de s'en emparer, pourraient supposer des complots, des attentats à l'intérieur et étendant leurs ramifications au-delà de la frontière ; ils viendraient réclamer ces hommes comme complices d'un attentat politique, en les accusant d'avoir commis des actes, commencé des actes pour parvenir à l'exécution de leurs crimes quoiqu'ils n'eussent pas été consommés, comme dit l'article. 88 du Code pénal.

Voilà une des nombreuses éventualités qui se sont offertes à notre esprit, si nous maintenons le mot « attentat » au lieu de le remplacer comme je l'aurais proposé en section centrale, et comme je le propose en ce moment, au moins pour être examiné.

Nous nous sommes dit que si en ce cas l'imputation d'attentat résidait uniquement dans des faits purement matériels, comme ceux qui ont été imputés à des personnages dont nous avons eu à nous occuper antérieurement à propos de l'événement auquel M. le ministre des affaires étrangères a fait allusion, l'extension que le Code pénal donne à l'attentat rendrait difficile son insertion dans une loi d'extradition.

Le réfugié le plus inoffensif pourrait à chaque instant craindre une dénonciation.

Dans la loi proposée en 1834, je voulais, pour qu'il y eût attentat, exécution ou commencement d'exécution du crime.

Si, messieurs, cette disposition existait dans notre législation, j'aurais beaucoup moins de répugnance à laisser insérer dans la loi le mot « attentat » ; mais avec la rédaction que je propose, je crois qu'on arriverait au même résultat, au résultat que tous nous voulons obtenir ; car je ne m'abaisserai pas, quant à moi, à me défendre d'avoir quelque goût pour l'assassinat politique ; personne ici ne peut êlte accusé d'avoir de pareils goûts et je crois que tous ceux qui connaissent l'honorable M. Lelièvre savent qu'assurément ils sont étrangers à son caractère.

(page 701) Messieurs, je désire que cette discussion ne se termine pas aujourd'hui. Je livre à mes honorables amis, plus capables que moi de connaître la portée d'une disposition législative, cet amendement : « Ne sera pas réputé délit politique l'assassinat tenté ou consommé sur la personne du chef d'un gouvernement étranger ou sur celle des membres de sa famille. » Si l'on croit, messieurs, qu'il ne serait pas superflu d'ajouter : « quand même il serait connexe à d'autres faits, » je pourrais y consentir, pourvu qu'on ne pût tirer de cette addition des conséquences que je ne voudrais pas voir ressortir de la loi J'attendrai, pour avoir une opinion définitive sur cette addition à la rédaction que je propose, les lumières de la discussion.

M. Vervoort. - Je demande que, sans préjudice à la continuation de la discussion, l'amendement de M. Lebeau soit renvoyé à l'examen de la section centrale.

M. de Theux. - Laissez continuer la discussion, on décidera ensuite du renvoi à la section centrale.

M. Lelièvre, rapporteur. - Si la Chambre renvoie l'amendement à la section centrale, je m'engage à faire rapport demain à l'ouverture de la séance.

M. Dumortier. - Nous comprenons l'amendement ; un rapport est inutile.

M. Malou. - Je demande qu'on continue la discussion ; on verra ensuite s'il y a lieu de renvoyer l'amendement à la section centrale.

M. Verhaegen. - Je ne sais pas pourquoi on continuerait la discussion. Puisque la séance va être levée, on peut renvoyer l'amendement à la section centrale qui, demain, nous fera un rapport à l'ouverture de la séance. Si nous continuons demain la discussion, sans que l'amendement ait été examiné par la section centrale, que va-t-il arriver ? C'est qu'après une longue discussion, le renvoi à la section centrale sera probablement prononcé et l'on aura perdu une séance.

Je propose formellement le renvoi de l'amendement à la section centrale.

M. Malou. - Je suis inscrit après M. Lebeau. Je demande à la Chambre de vouloir bien m'accorder dix minutes avant de statuer.

M. Dumortier. - Je ne conçois pas la demande de renvoi à la section centrale. L'amendement de l'honorable M. Lebeau est tellement clair, qu'il n'a pas besoin d'interprétation. Je conçois qu'on renvoie à une section centrale l'examen d'une question sur laquelle on a besoin d'éclaircissements. Mais si vous vous mettez sur le pied de renvoyer à la section centrale des amendements aussi clairs que celui-là, je dis que vous n'êtes plus une assemblée délibérante.

M. le président. - Je mets aux voix le renvoi de l'amendement à la section centrale,

- Plusiers membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal sur le renvoi de l'amendement à la section centrale.

69 membres prennent part au vote.

34 votent pour le renvoi.

35 votent contre.

En conséquence le renvoi à la section centrale n'est pas prononcé.

Ont voté pour le renvoi à la section centrale : MM. Delfosse, Deliége, de Moor, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Steenhault, Devaux, Frère-Orban, Goblet, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Maertens, Manilius, Mascart, Moreau, Sinave, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Verhaegen, Vervoort, Allard, Ansiau, Anspach, Closset, Coppieters't Wallant, Dautrebande, de Bronckart, Rogier et de Naeyer.

Ont voté contre : MM. de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, F. de Merode, de Mérode-Westerloo, de Portemont, de Ruddere de te Lokeren, de Sécus, de Theux, de T'Serclaes, Dumon, Dumortier, Jacques, Janssens, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Magherman, Malou, Matthieu, Moncheur, Pirmez, Tack, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vilain XIIII, Visart, Wasselge, Brixhe, Coomans, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay et de Decker.

- La séance est levée à 5 heures.