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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 février 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 777) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Mérode-Westerloo donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Beeringen demande que le concessionnaire d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain soit tenu d'exécuter la ligne de Louvain au camp de Beverloo par Winghe-Saint-Georges, Diest et Beeringen et subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à garantir un minimum d'intérêt de 4 p. c. pour l'établissement de cette ligne. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de diverses lignes de chemins de fer.


« Les sieurs Criquelion, Mahieu et autres membres du cercle pharmaceutique du Hainaut demandent que les éléments de zoologie et de minéralogie fassent partie du programme de l'examen pour la candidature en pharmacie et que la durée du stage exigé de ceux qui se destinent à la pharmacie soit de quatre années. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant les jurys d'examen pour la collation des grades académiques.


« Plusieurs habitants d'Enghien prient la Chambre d'accorder au sieur Tarte la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte sur Renaix pour aboutir à Courtrai et Deynze. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemin de fer.


« Le conseil communal d'Aerschot demande que le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, prolongé vers le camp de Beverloo, passe par Aerschot. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires de carrières de Feluy et d'Arquennes présentent des observations en faveur du chemin de fer projeté de Luttre à Denderleeuw. »

- Même renvoi.

« Le sieur H.-G. Schmitz, commissionnaire en marchandises, à Anvers, né à Randerath (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« L'administration communale de Couture-Saint-Germain demande la libre sortie du minerai de fer. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la sortie du minerai de fer.


« Des détenus pour dettes présentent des observations sur le projet de loi portant une dérogation à l'article 14 de la loi du 15 germinal an VI. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner ce projet de loi.


« Le sieur Simon, ancien officier, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Spinatsch, ancien sous-officier, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« M. le gouverneur de la Banque Nationale adresse à la Chambre 110 exemplaires du compte rendu des opérations de cette Banque pendant l'année 1855. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« MM. Delehaye et Wasseige demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi réprimant la falsification des denrées alimentaires

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l'article premier.

M. Van Overloop. - Messieurs, l'article premier, qui est en discussion, est ainsi conçu :

« Ceux qui auront falsifié ou fait falsifier, soit des comestibles ou des boissons, soit des denrées ou substances alimentaires quelconques, destinés à être vendus ou débités, seront punis d'un emprisonnement de huit jours a un an et d'une amende de 50 francs à 1,000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. »

J'ai, messieurs, des doutes sur la portée de cette disposition. Elle me paraît trop vague. Il me semble qu'elle pourrait donner lieu à des abus.

La falsification en elle-même ne constitue pas nécessairement un mal. Ainsi, par exemple, le fait d'avoir mélangé au froment de la fécule de pomme de terre ne constitue point par cela seul un mal ; la falsification, ce me semble, ne constitue un mal qu'autant qu'on mêle à des matières bonnes des matières nuisibles à la santé des citoyens.

Si donc on mélange avec des comestibles ou avec des boissons des matières qui soient nuisibles à la santé des citoyens, il est évident qu'il est du devoir du législateur de réprimer de semblables faits,et ce devoir, il l'a rempli dans la loi du 19 mai 1829. Mais lorsque la falsification ne peut pas avoir pour effet de nuire à la santé des citoyens, il me semble qu'elle ne doit pas, comme falsification simple, être punie de par la loi.

Remarquez, messieurs, que mes observations ne portent que sur l'acte de faire des falsifications non nuisibles à la santé.

S'agit-il de la vente ou du débit de semblables falsifications, la question change.

La vente ou le débit de falsifications non nuisibles à la santé constitue, à mes yeux, un acte punissable lorsqu'on vend ou lorsqu'on débite sciemment comme pur ce qui est falsifié.

Mais ce fait me paraît répréhensible, non pas parce que l'objet vendu ou débité est une falsification, mais parce que l'acheteur, daus ce cas, est trompé.

En résumé, je dis que la falsification en elle-même ne constitue pas un mal ; elle ne constitue un mal que lorsqu'on mêle à des comestibles, à des boissons salutaires des matières nuisibles à la santé.

Ce dernier cas se présentant, l'article premier de la loi devient inutile. Pourquoi devient-il inutile ? Parce que déjà la loi de 1829 pourvoit à ce cas.

D'un autre côté, je dis que l'exposition en vente, le débit de marchandises falsifiées, mais non nuisibles à la santé, ne constitue véritablement un délit que lorsque l'individu qui vend les marchandises les vend comme pures, alors qu'il les a falsifiées. Il est évident que celui qui vend, comme pures, des marchandises qui sont falsifiées, doit être puni.

D'après ces motifs, à moins qu'on ne me donne des explications plus satisfaisantes, je ne pourrai voter l'article premier du projet ; je devrai, d'un autre côté, rédiger l'article 2 comme suit :

« Celui qui vendra, débitera ou exposera en vente, comme purs, des comestibles, boissons, denrées ou substances alimentaires quelconques, sachant qu'ils sont falsifiés. »

Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit de faire une loi pénale. Je crains que celle dont nous nous occupons en ce moment ne soit l'effet de la pression exercée sur le gouvernement. Je reconnais, avec M. le ministre de la justice, que les falsifications prennent un développement extraordinaire. C'est précisément ce développement qui fait que l'opinion publique pèse sur le gouvernement. Il ne faut pas pour cela qu'on aille trop loin, qu'on aille jusqu'à frapper de peines des faits qui, en eux-mêmes, seraient licites. Si nous frappions de peines des faits licites, nous ferions une loi injuste. Je ne pense pas qu'il y ait dans cette Chambre un seul membre qui veuille faire une loi de cette nature.

M. Coomans. - L'honorable ministre de la justice a fait hier une déclaration qui m'a plu et qui me semble diminuer de beaucoup la gravité de la loi. Il est donc bien entendu que les fabricants ou négociants qui déclareront une marchandise falsifiée, ne seront pas recherchés de ce chef, pourvu que la falsification ne soit pas nuisible à la santé publique. Cette déclaration m'a satisfait, jusqu'à un certain point, mais je voudrais la voir inscrite dans le projet, où je n'en trouve pas la moindre trace.

Après avoir lu attentivement le projet de loi avant la discussion même, je croyais que le fait seul de la falsification et de la mise en vente des objets falsifiés tombait sous l'application de la loi.

Bien d'autres que moi en avaient jugé ainsi. Je le répète donc, la déclaration du gouvernement est de nature satisfaisante, mais il faut pour m'apaiser qu'elle soit inscrite dans la loi. Il faut au moins qu'il soit bien entendu que le marchand ou fabricant qui aura déclaré à l'acheteur que la marchandise n'est pas pure, reste en dehors de la loi. Si telle est la pensée du gouvernement, il ne doit pas trouver d'inconvénient à l'inscrire dans un article de la loi.

Cependant ce qui me fait douter que telle ait été la pensée primitive des auteurs de la loi, c'est qu'à l'article premier, paragraphe 2 on punit celui qui publie des instructions propres à faciliter ou propager les procédés de falsification.

Je ne comprends pas qu'on puisse punir le savant ou le journaliste pour le fait de publication de procédés de falsification, alors qu'on ne punirait pas ceux qui mettraient à exécution ces procédés. (Interruption.) Je ne sais si je me fais bien comprendre, mais le gouvernement nous déclare que celui qui falsifiera les denrées alimentaires en déclarant loyalement qu'elles sont falsifiées ne sera pas punissable, mais d'autre part le gouvernement frappe d'une peine celui qui publiquement aura fait connaître des procédés de falsification.

J'avoue que je ne trouve pas que ces deux dispositions soient logiques et équitables.

Une autre observation encore. Je pense qu'il est dans les intentions du gouvernement et dans celles de la Chambre de ne punir les falsifications que lorsqu'il s'agira des denrées alimentaires pour les hommes. Ainsi il ne s'agit pas, je pense, de punir de prétendues falsifications de denrées destinées au bétail.

(page 778) L'observation est très importante et un éclaircissement est indispensable, car d'après la loi, le fait d'avoir détenu chez soi des objets falsifiés suffit déjà pour vous soumettre à une punition. Or, nous savons tous que maints cultivateurs falsifient, puisqu'il faut me servir de ce mot, les denrées qu'ils destinent au bétail.

Je suppose que les agents du gouvernement trouvent dans une étable de la farine falsifiée, même d'une manière dangereuse pour la consommation du maître, mais destinée au bétail seulement. Y aura-t-il lieu à punition envers ce cultivateur ? Oui, d'après la loi ; car elle ne distingue pas ; non, d'après le bon sens, non, d'après la justice. (Interruption.)

Un honorable membre me dit que ces denrées ne sont pas destinées à être vendues, Je suppose cependant qu'elles le soieut Défendrez-vous de falsifier des denrées alimentaires pour les chevaux, pour les bêtes à cornes ? Je vous en supplie, messieurs, ne poussez pas aussi loin que cela votre sollicitude pour la santé publique.

Je pourrais faire maintes observations encore. Mais celles que je viens de vous soumettre sont certainement graves et prouvent qu'il y a lieu de ne pas clore dès à présent la discussion. Je me réserve de prendre la parole aux autres articles, s'il y a lieu.

M. de Renesse. - Messieurs, un honorable collègue, à la séance d'hier, a semblé critiquer l'intervention trop minutieuse du gouvernement dans l'industrie et le commerce des denrées alimentaires ; si ce commerce se faisait toujours loyalement, si trop souvent certaines personnes, dans un pur intérêt de lucre, ne commettaient pas de graves abus réels par le mélange ou la falsification de ces denrées de première nécessité, au grand détriment des consommateurs, je concevrais que l'on préconisât le principe de certains économistes de laisser faire et de laisser passer.

Quant à moi, je ne puis admettre un principe aussi large, lorsqu'il s'agit d'une question se rapportant à l'hygiène publique : je trouve, au contraire, qu'il est du devoir du gouvernement et des Chambres de prendre des mesures législatives sévères envers ceux qui, sciemment, commettent des fraudes dans la vente des denrées alimentaires, soit par mélanges ou autrement, lorsque surtout il est prouvé que la législation sur cette matière est insuffisante pour réprimer la falsification des denrées et substances alimentaires, et il me semble que l'hygiène et la moralité publiques réclament impérieusement la punition de ces commerçants, fabricants et détaillants assez vils pour spéculer sur la misère du peuple.

C'est dans l'intérêt de la classe ouvrière et indigente qui vit au jour le jour, n'a pas le moyen de pouvoir faire des approvisionnements, doit par conséquent s'adresser à des intermédiaires et ne peut parfois constater les falsifications, qu'il est indispensable que le gouvernement soit armé d'une bonne loi de répression des fraudes de toute nature.

Ne voyons-nous pas presque chaque jour, par les journaux, depuis la cherté des vivres, des plaintes nombreuses contre tous les moyens employés pour faire renchérir, non seulement le prix des denrées alimentaires, mais aussi contre leur falsification, et l'on voudrait que le gouvernement restât les bras croisés, ne fît rien pour réprimer de pareils abus qui peuvent même dans certains cas avoir une influence fâcheuse sur la santé publique !

Si, daus nos grandes villes, oh cependant il s'exerce une surveillance active, de pareils faits frauduleux ont pu être constatés, à plus forte raison, il est à supposer que dans nos campagnes, où il n'y a guère de police à cet égard, des abus graves dans la vente et la falsification des denrées alimentaires doivent s'y commettre plus fréquemment, au grand détriment de la classe ouvrière et indigente qui déjà n'a pour vivre, trop souvent, que le plus strict nécessaire ; c'est donc, dans l’intérêt plus spécialement de cette partie de nos populations, que le projet de loi sur la falsification des denrées et substances alimentaires, a été élaboré, et sous ce rapport, il est de notre devoir d'y donner notre assentiment, sauf à admettre les amendements qui pourraient rendre la loi plus parfaite.

M. Visart. - Messieurs, la nécessité d'une loi plus complète pour réprimer les falsifications sera généralement louée, si les articles nouveaux ne menacent point de dépasser le but. Sa raison d'être est mise en évidence par la notoriété publique, l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale. Je ne doute donc point que cette force nouvelle qu'il convient de donner à la loi ne reçoive l'assentiment de la législature. Pour rendre efficace les dispositions que nous allons prendre, le gouvernement devra organiser une police spéciale, sinon activer, renforcer celle qui fonctionne.

Messieurs, je ne puis pas être d'accord avec l'honorable M. Coomans, concernant un intérêt d'un ordre inférieur à celui qui nous occupe, ne pouvant pas être confondu dans une même loi, mais qui mérite aussi notre sollicitude ; ce sont les sophistications des denrées à l'usage de l'agriculture et celles des engrais ; la falsification des tourteaux et du guano, par exemple, qui, jetant la défiance et le découragement chez les cultivateurs, font obstacle aux progrès de la plus utile des sciences, qui cependant devraient toujours accompagner la marche ascendante des autres industries et de la population, afin de subvenir à la consommation qui s'augmente proportionnellement.

Je viens donc engager M. le ministre de la justice à prendre des dispositions telles que la sophistication des denrées à l'usage des fermes soit recherchée par les mêmes moyens, les mêmes agents qu'il emploiera pour découvrir les fraudes qui se font au détriment de la sécurité et |de la santé publiques.

Quant aux pénalités, peut-être M. le ministre jugera-t-il que l'article 423 du Code arme le pouvoir d'une force suffisante ; sinon il devrait-en faire l'objet d'une révision.

Me confiant à la sollicitude du gouvernement, à l'à-propos et à l'importance de l'objet que je lui signale, je bornerai là mes observations, et j'espère que M. le ministre de la justice donnera, à cet égard, dans le cours de la discussion, quelques mots d'explication.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - L'honorable M. Van Overloop est d'accord avec le gouvernement et avec la section centrale que l'article premier du projet ne s'applique pas aux mélanges contenant des matières nuisibles à la santé. Ces sortes de mélanges sont réprimés parles dispositions existantes, par le Code pénal et par la loi du 19 mai 1829. Nous n'avons donc pas à nous en occuper.

La loi qui vous est soumise concerne un ordre d'idées tout différent. Il s'agit du mélange de matières qui par elles-mêmes ne seraient pas nuisibles à la santé.

L'honorable M. Van Overloop, se plaçant à ce point de vue, fait le raisonnement suivant : Le mélange de matières qui en elles-mêmes ne sont pas nuisibles à la santé, n'est pas nécessairement un fait immoral en soi. Dès lors, comment pouvez-vous, vous législateur, inculper comme vous le faites dans l'article premier, un mélange de ce genre ?

Je ne puis, messieurs, être d'accord avec l'honorable membre. Je crois que l'article premier a une portée très grande et qu'il est le pivot de toute la loi en discussion. En effet, veuillez le remarquer, l'article premier n'a pas, et ne peut pas avoir pour but de punir ces mélanges, faits de bonne foi, de denrées alimentaires. Il ne punit que lorsque ces mélanges se présentent avec un caractère frauduleux, avec une intention criminelle.

Il faut que le fabricant ait falsifié des denrées ou des substances alimentaires. Falsifier, veut dire : mélanger méchamment, malicieusement, frauduleusement, dans l'intention de porter préjudice à autrui. Tel est le premier caractère de la disposition. Le mot « falsification » emporte nécessairement l'idée de fraudé. On pourrait ajouter le mot « frauduleusement », mais ce serait un véritable pléonasme. En termes juridiques, le mot « falsifier » emporte avec lui l'idée de vouloir faire du tort à autrui.

Mais l'article exige une autre condition. Il ne suffit pas d'avoir falsifié des substances alimentaires ; il faut encore que le fabricant ait su qu'elles étaient destinées à être vendues.

Ce sont en définitive les tribunaux qui auront à vérifier l'existence de ce double caractère.

Je crois qu'il est très essentiel de maintenir la disposition. Car les plus grands coupables en cette matière sont ceux qui fabriquent ces sortes de mélanges. Ce sont eux les véritables agents de la fraude. Là est la source du mal et c'est à la source qu'il faut arrêter le mal. Ce sont ces fabricants qui portent un si grand préjudice à l'hygiène publique, qui font un si grand tort à la bourse des consommateurs, ce sont eux qu'il faut frapper. S'il n'y avait pas, ceci est presque naïf, de ces fabricants d'objets frelatés, il est évident que les petits détaillants ne pourraient s'en approvisionner. Il fuit donc remonter jusqu'à l'origine du mal et frapper les fabricants.

L'honorable M. Van Overloop, anticipant sur la discussion, a présenté je ne dirai pas un amendement, mais une modification de rédaction à l'article 2. Il désire qu'on dise « celui qui vendra, débitera ou exposera en vente comme purs des comestibles, etc. » Je crois que cette addition n'ajouterait rien à la force de la loi.

Par cela même que nous exigeons qu'il y ait falsification, c'est-à-dire action frauduleuse, il est inutile de faire allusion à l'intention de celui qui a vendu. C'est d'autant plus inutile, ce me semble, qu’à la fin de l'article on dit « sachant qu'ils sont falsifiés ». Cela emporte donc l'idée que le vendeur a présenté comme purs les objets qu'il expose en vente, mais qu'il savait fort bien qu'ils ne l'étaient pas.

L'honorable M. Coomans revient aujourd'hui de l'opposition qu'il faisait hier à la loi. Du moment, dit-il, qu'il est entendu que celui qui vend franchement des substances mélangées au consommateur se soustrait par sa bonne foi à des poursuites, l'honorable membre consent à accepter, en partie du moins, le principe de la loi.

J'ai fait, messieurs, cette déclaration parce qu'elle est au fond des choses, parce qu'elle domine tout le projet de loi. Elle est, d'ailleurs, inscrite en toutes lettres dans le rapport de ia section centrale. Je le répète encore, du moment que le vendeur, le débitant, ne cachera pas l'impureté de la marchandise, du moment qu'il annoncera au public qu'il vend des choses mélangées, il échappera nécessairement aux poursuites.

Cela résulte de l’idée même de la loi ei surtout de l'article 5 (6 de la section centrale) qui punit précisément, mais d'une peine de simple police seulement, celui qui, sans intention criminelle, a vendu, débité ou exposé en vente des objets falsifiés.

J'ai donc exposé la véritable portée des articles 1 et 2. Jamais la loi ne sera appliquée à l'individu qui aurait vendu des marchandises mélangées, en annonçant de bonne foi le mélange.

M. Coomans. - Alors l'article 5 tombe.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Nous nous expliquerons tantôt à cet égard. J'indique en ce moment la portée des articles 1 et 2.

(page 779) L'honorable M. Coomans craint que le n°2 de l'article 2 n'empêche la publicatio faite de bonne foi, d'écrits relatifs à certains mélanges. Déjà l’honorable M. Moreau, dans son rapport, a fait justice de cette appréhension. On n'entend pas empêcher la publication d'écrits utiles : on entend seulement réprimer le fait de celui qui, par des écrits ou par des placards affichés, provoquerait la falsification, agirait par conséquent dans une intention méchante.

M. Coomans. - Cela n'y est pas.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Cela résulte de tous les principes qui régissent le droit criminel ; il n'y a de culpabilité qu'autant qu'il y ait intention coupable. S'il est établi devant les tribunaux que celui qui a publié des écrits ou affiché des placards n'avait pas l'intention de pousser à la fraude, il est évident qu'il ne sera frappé d'aucune peine.

J'ajoute, messieurs, que daus une loi de police, il est évident qu'il faut s'en référer à l'appréciation des tribunaux. La question intentionnelle est essentiellement du domaine de la justice.

L'honorable M. Coomans, et après, lui l'honorable M. Visart, ont demandé si la loi serait applicable aux denrées servant à la nourriture des animaux. Je crois pouvoir répondre négativement. La loi est faite pour empêcher la falsification des denrées servant à la nourriture de l'homme. Cela résulte de l'ensemble de la loi, cela résulte des termes de l'article premier et de l'article 2, cela résulte du rapport de la section centrale et de la déclaration que je fais ici au nom du gouvernement.

L'honorable M. Visart a signalé l'utilité de prévenir les fraudes en ce qui concerne les substances non destinées à l'alimentation de l'homme. Je reconnais qu'il y a quelques cas où ces sortes de fraudes méritent la répression des lois. C'est peut-être une matière à étudier, mais dès à présent, je puis déclarer à l'honorable membre que les falsifications dont il se préoccupe ne resteraient pas sans répression. En effet, l'artîcle 423 du Code pénal prévoit la tromperie sur toute espèce de marchandises.

Si donc dans un aliment destiné à la nourriture des animaux, on trompe sur la nature même de la marchandise, on tombe sous l'application de l'article 423 du Code pénal.

D'ailleurs, c'est un fait de commerce qui, comme tel, tombe sous la responsabilité civile.

M. Maertens. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire une observatiou sur le système de pénalités que la loi tend à consacrer. La question a déjà été agitée dans les sections. Dans la cinquième section, on a fait observer que lorsqu'il s'agit de maiières nuisibles à la santé, le maximum de l'amende comminéc par l'article 318 du Code pénal ou l'article 4 de la loi du 19 mai 1829, est de moitié inférieure à celle qui est proposée par le projet de loi, qui prévoit seulement le cas où le mélange s'opère avec des substances inoffensives.

Il résulte de là qu'il y a une véritable anomalie dans le système de pénalités établi par les différentes lois qui se rattachent à la falsification des denrées alimentaires.

Il faut donc que le projet en discussion, qui complète la législation antérieure, puisse s'harmoniser avec elle, de telle sorte que l'ensemble des peines comminées soit en rapport avec la gravité des délits que l'on veut atteindre. Il faut évidemment qu'on établisse une peine moins forte pour celui qui falsifie avec des substances inoffensives, que pour celui qui ne craint pas de compromettre la santé et même la vie de ses semblables en employant des substances nuisibles.

Or, il n'en est pas ainsi, car d'après le système de pénalités établi par l'article premier du projet de loi, l'emprisonnement sera de huit jours à un an, et l'amende de 50 fr. à 1,000 fr., tandis que, d'après l'article 4 de la loi du 19 mai 1829, l'emprisonnement est de six jours à deux ans, et l'amende de 16 fr. à 500 fr. seulement, pour un cas beaucoup plus grave.

J'ai pensé qu'il importait de faire disparaître cette anomalie, et j'ai, en conséquence, l'honneur de présenter dans ce but une disposition additionnelle ainsi conçue :

« Par dérogation à l'article 318 du Code pénal et à l'article 4 de la loi du 19 mai 1829, la peine de l'emprisonnement sera de huit jours à deux ans, et l'amende de 50 fr. à 1,000 fr. dans tous les cas prévus par leurs dispositions. »

De cette manière, le minimum de l'amende sera mieux en harmonie avec le nouveau Code pénal, comme on l'a fait pour l'article premier du projet en discussion, et l'ensemble des peines sera fixé dans une juste proportion avec celle que tend à consacrer la loi soumise à nos délibérations. Cette modification me semble indispensable ; car il ne faut pas mettre (erratum, page 791) le juge dans la nécessité d'appliquer une peine moins forte dans un cas beaucoup plus grave.

Je comprends que ma proposition ne rend pas ce système de pénalités tout à fait parfait, puisque la gradation des peines n'est pas encore en harmonie avec la gravité des délits.

Mais comme il faudra tôt ou tard aborder la révision du code pénal, je crois que c'est alors qu'il faudra s'occuper d'équilibrer les peines appliquées par ces différentes lois. Je ne doute même pas que ces lois ne soient destinées plus tard à prendre place dans le Code pénal révisé. Toutefois, il importe dès à présent de faire disparaître une anomalie contraire aux règles de la justice, et c'est ce qui m'engage à faire cette proposition.

- L'amendement de M. Maertens est appuyé.

M. Delfosse. - Je propose le renvoi de cet amendement à la section centrale.

M. Lelièvre. - Messieurs, je pense que l'article proposé par l'honorable M. Maertens se réfère à l'article 2. En effet les articles du Code pénal énoncés à l'amendement se réfèrent à la vente et au débit de substances nuisibles. Du reste, j'appuie le renvoi de l’amendement à la section centrale qui nous fera rapport.

M. Maertens. - Messieurs, la proposition que j'ai en l'honneur de faire est en réalité une disposition additionnelle qu'il convient de placer, je pense, à la fin de la loi ; mais j'ai dû la présenter à l'occasion de l'article premier, puisqu'il s'agit de mettre les pénalités, cornminées par cet article, en harmonie avec les lois antérieures.

M. Moreau, rapporteur. - Les observations que vient de présenter l'honorable M. Martens ont déjà été faites en section centrale ; le rapport le constate ; en effet on y lit ce qui suit :

Il est certain en effet que si le maximum de la peine d'emprisonnement est plus élevé dans l'art.icle 318 du Code pénal que dans l'article premier du projet de loi, ce dernier article établit le maximum de l'amende au double de celui que permet de prononcer l'article 318 de Code pénal et la loi du 19 mai 1829 lorqu'il s'agit cependant de falsifications opérées à l'aide de substances nuisibles à la santé.

Quant à moi, je crois qu'on peut accepter l'amendement de l'honorable M. Maertens ; je ne m'oppose pas du reste à ce qu'il soit soumis à l'examen de la section centrale.

M. Lelièvre. - Messieurs, je proposerai quelques observations sur l'article en discussion.

A mon avis, la peine qu'il commine est trop sévère lorsqu'il s'agit de mixtions non nuisibles.

Aux termes de l’article 475, n°6, du Code pénal, la vente même de boissons falsifiées sans mixtions nuisibles, n'est punie que d'une peine de simple police. Il en est ainsi quoique le fait ait été commis volontairement. Aujourd'hui la simple falsification constituera un délit correctionnel qui pourra être puni d'un emprisonnement dont la durée peut s'élever à une année et d'une amende qui pourra s'élever à mille francs.

A mon avis, lorsqu'il y a absence de mixtions nuisibles, l'on ne devrait prononcer qu'une peine de simple police, soit qu'il s'agisse de boissons, soit qu'il s'agisse de substances solides. Rien ne justifie une aggravation des peines portées par le Code pénal.

Ce n'est pas tout, la simple falsification est punie, d'après notre article, de la même peine que la vente même de matières falsifiées. Or, bien certainement la vente d'objets falsifiés est un fait plus grave que la simple falsification.

Je ne puis donc souscrire au système énoncé à l'article dont nous nous occupons.

M. Rodenbach. - Messieurs, ce n'est pas seulement en France qu'on a reconnu la nécessité de décréter une nouvelle loi, destinée à réprimer la sophistication, le dol et les manœuvres friponnes qui ont fait d'immenses progrès dans l'art de frelater et de mélanger les denrées et les liquides.

En Angleterre, le parlement a voté aussi de nouvelles mesures pour protéger le consommateur contre ceux qui se permettent toutes ces coupables manœuvres, nuisibles à la santé et à la bourse.

Je persiste dans l'opinion que j'ai émise hier. Le pays réclame à grands cris une loi juste, mais sévère. Il n'est malheureusement que trop prouvé que la sophistication et la frelatation de toutes les denrées alimentaires et boissons sont parvenues à un haut degré.

Lorsqu'on a rédigé le Code pénal, la chimie n'avait pas fait ces progrès au moyen desquels on trompe le consommateur, je dirai même qu'on le vote.

Je répondrai quelques mots à l'honorable député de Turnhout. Il a critiqué l'article 2, il a dit que si on punissait les chimistes qui publient l'art de tromper, on empêcherait les savants d'écrire. Je ne vois pas que dans notre pays on empêche les savants de publier leurs travaux scientifiques, car nous sommes tous partisans de la science.

Mais il y a des colporteurs de recettes qui vont offrir aux fabricants des moyens peu coûteux, mais nuisibles à la santé publique, de fabriquer des bières ou des vinaigres, ils ont des recettes qu'ils vendent. Les premiers chimistes ambulants qui sont venus en Belgique ont enseigné à un grand nombre de boulangers l'art d'employer le sulfate de cuivre et l'alun dans la panification ; ils sortaient de la Germanie, ils donnaient cette recette par écrit, cela est à ma connaissance.

C'est depuis lors que beaucoup de boulangers emploient le sulfate de cuivre, l'alun et toutes sortes d'agents violents pour pouvoir employer du mauvais grain et pour augmenter la fermentation. Le pain ainsi préparé se cuit en une demi-heure de temps, tandis que la cuisson du pain, quand on n'y introduit aucun agent étranger, exige trois quarts d'heure et plus. Vous voyez que cette chimie-là est funeste pour la santé publique. Mais pour gagner sur le combustible et sur la qualité des céréales le boulanger ne recule point, c'est le démon de l'intérêt qui le fait agir.

On dit que notre loi est sévère et que la loi adoptée en France sur le même objet a donné lieu à quatorze mille procès. Je l'ai dit hier, cela prouve qu'on trompait beaucoup le consommateur dans cé pays. Mais je ferai observer que notre loi n'aura pas l'inconvénient qu'on reproche (page 780) à la loi française, car en vertu de l'article 8 les deux tiers des amendes prononcées sur les procès-verbaux, sont accordés aux agents qui verbalisent ; c'est une prime pour engager les agents du fisc à faire des procès-verbaux à tort et à travers.

Comme chez nous on ne donne pas une prime semblable aux agents, on peut espérer que les procès-verbaux ne seront pas aussi nombreux qu'en France. D'un autre côté, on laisse une grande latitude aux juges ; indépendamment de cette grande latitude laissée aux juges, pour les cas spéciaux il y a le droit de grâce et de commutation de peine, droit dont il est fait un fréquent usage en Belgique.

Le public est trompé d'une manière scandaleuse, il est urgent de mettre un terme à un pareil état de choses. La loi est donc indispensable. Quant à l'application, rapportons-nous-en aux juges qui sauront apprécier la culpabilité.

M. Van Overloop. - J’ai eu l’honeur de dire tantôt que l’article premier, tel qu’il est conçu, est beaucoup trop large ; il pourra être appliqué à un individu qui aura fait un mélange quelconque.

Que veut dire falsifier ? Faire une chose fausse. Non, dit-on, falsifier c'est frauduleusement, méchamment faire une chose fausse. En général, je le reconnais, la falsification a pour cause l'intention frauduleuse, mais elle peut aussi exister sans cette intention.

Or, je dis que l'intention du législateur doit résulter du texte même de la loi, non des explications données dans la discussion.

Donc il faut qu'on détermine d'une manière parfaitement exacte ce qu'il faut entendre par le mot « falsifier ». Quelle est la volonté du législateur ? D’empêcher la fabrication des matières falsifiées destinées à être vendues comme matières pures, parce qu'alors la fraude existe. Si je fais un mélange de matières utiles, la falsification ne sera pas par elle-même un mal ; pour qu'il y ait délit, il faut qu'il y ait quelque chose de falsifié, destiné à être vendu, non comme falsifié, mais comme objet pur.

Je demande à la Chambre si pour rendre sa pensée parfaitement claire, il n'y aurait pas lieu d'ajouter les mots : « comme purs ».

En matière pénale, il faut être précis. On doit chercher la pensée du législateur dans le texte de la loi, non dans les commentaires qui ont précédé l'adoption d'un article quelconque.

Si vous trouvez que les mots : « comme purs » sont trop étendus, mettez comme « non falsifiés » ; la pensée du projet de loi sera parfaitement rendue. Si au contraire on adopte l'article tel qu'il est proposé on pourra condamner à l'emprisonnement de 8 jours à un an une personne auteur d'un mélange qui loin d'être nuisible serait utile à la santé. Je sais ce qui en est de l'application des lois pénales, je désire que les citoyens belges sachent exactement, quand on publie une loi pénale, ce qui est défendu et ce qui ne l'est pas.

M. Deliége. - Pour le gouvernement comme pour la section centrale et la Chambre, le mot « falsifier » n'a qu'une signification, c'est celle qu'on trouve dans le Dictionnaire de l'Académie, c'est changer, altérer, dénaturer avec le dessein de tromper.

Il est impossible de se méprendre sur la valeur des mots dont se sont servis le gouvernement et la section centrale.

- L'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Sera puni des peines portées par l'article précédent :

« 1° Celui qui vendra, débitera ou exposera en vente des comestibles, boissons, denrées ou substances alimentaires quelconques, sachant qu'ils sont falsifiés ;

« 2° Celui qui, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non, publiés, vendus ou distribués, aura donné des instructions propres à faciliter ou à propager les procédés de falsification desdits comestibles ou boissons, denrées ou substances alimentaires.

M. le président. - M. Van Overloop a proposé d'ajouter les mots « comme purs » après les mots « exposera en vente ».

M. Lelièvre. - Je pense d'abord qu'il faudrait comprendre dans la disposition les substances corrompues.

En effet, lorsqu'un individu, connaissant l'existence de la corruption des substances alimentaires destinées au commerce, s'obstine à les débiter, il ne peut pas évidemment se soustraire aux peines que mérite ce fait qui peut compromettre la santé publique.

Je désire donc, qu'on étende la disposition de l'article 2 aux substances corrompues et qu'on livre au commerce avec connaissance de la corruption spontanée et accidentelle.

Je pense donc qu'il conviendrait d'ajouter à l'article 2 les mots : « sachant qu'ils sont falsifiés ou corrompus. »

Je propose en ce sens un amendement qui me paraît utile pour réprimer la fraude dont il s'agit et qu'il est essentiel de prévoir.

M. Coomans. -Je prends acte derechef de l'intention de gouvernement qu'il faut qu'il y ait intention criminelle pour qu'il y ait délit.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - C'est évident.

M. le président. - Si personne ne demande la parole, je vais mettre l’article aux voix.

M. Delfosse. - M. Lelièvre a présenté un amendement.

M. Lelièvre. - La portée de mon amendement est très facile à saisir, il est important de réprimer le fait de la vente de substances alimentaires corrompues, parce que dans ce cas aussi c'est là un fait qui non seulement compromet la santé publique, mais constitue une tromperie criminelle.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je ne serais pas disposé à accepter cet amendement qui paraît étranger au but de la loi qui se discute. Nous voulons atteindre l'individu qui méchamment, par des moyens frauduleux, trompe ou cherche à tromper le public. Mais il peut arriver qu'un aliment arrive à un état de corruption sans qu'il y ait fraude de la part du vendeur. Et s'il y a fraude, le fait devient une tromperie sur la qualité de la marchandise plutôt qu'une falsification proprement dite.

Il faut remarquer encore que l'acheteur a plus de facilités pour reconnaître si une denrée est corrompue que pour s'assurer si elle est falsifiée. La falsification peut échapper au plus habile, tandis que la corruption, arrivée à un certain degré, tombe sous le sens ordinaire.

Je crois donc que, sous ce rapport, il n'y a pas lieu d'étendre la loi, et qu'il y aurait plus d'un inconvénient à s'engager dans cette voie.

M. Lelièvre. - Je n'insisterai pas sur mon amendement ; puisque M. le ministre de la justice ne juge pas nécessaire de réprimer le fait dont il s'agit, je ne veux pas être plus sévère que lui.

M. Van Overloop. - Je retire également mon amendement.

M. Deliége. - Il me semble que la pénalité commincé par le deuxième paragraphe de cet article est trop sévère. On peut indiquer dans un livre, sans intention de nuire, le moyen d'opérer des falsifications. Cela se fait tous les jours dans des ouvrages de chimie et de pharmacie même afin que l'on puisse découvrir la fraude. Je crois que le paragraphe est inutile. Jamais aucun livre ne sera publié, pour indiquer des moyens de falsification pour les mettre en pratique, aucun imprimeur ne l'imprimerait.

M. Rodenbach. - Si fait. Il y a de mauvais livres en tous genres. Il y a poison physique et poison moral.

M. Visart. - A l'occasion de ce que vient de dire M. Deliége, je ferai observer que selon moi, le second paragraphe de l'article 2 peut conserver sa rédaction intacte, et cela conformément à la citation faite précédemment par ce même honorable collègue, c'est-à dire que le mot « falsification », selon la définition académique, est considéré comme décelant l'intention de nuire ou de frauder.

M. Moreau, rapporteur. - Les auteurs d'écrits qu'on a voulu punir par le n°1 de l'article 2 sont ces hommes qui font profession de vendre aux marchands des secrets qui leur indiquent le moyen de falsifier les denrées alimentaires.

Ce sont ceux qui faisant un abus, un usage pernicieux de la science, font servir ses découvertes à la fraude, en faisant trafic d'instructions propres à révéler aux vendeurs ou fabricants le parti qu'ils peuvent tirer des progrès scientifiques réservés à un meilleur usage. Ce sont ces hommes dont vient de parler l'honorable M. Rodenbach, qui parcourent le pays en y répandant des écrits contenant des procédés propres à falsifier les denrées alimentaires.

Ceux-là sont évidemment complices des falsifications et doivent nécessairement être punis comme eux.

Ils sont même plus que des complices, ils sont auteurs d'un délit « sui generis », et le Code pénal nouveau (article 78) les considère comme tels lorsqu'il dit que ceux qui, par des placards affichés, par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, ont provoqué directement à commettre un délit, sont punis comme auteurs de ce délit ; es cet article ajoute : « Sans préjudice des peines portées par la loi contre les auteurs de provocations à des délits, même dans le cas où ces provocations n'ont pas été suivies d'effet. »

Ainsi, cette disposition générale du nouveau Code pénal suppose évidemment que, dans certains cas donnés, le législateur comminera des peines pour réprimer des faits constituant la provocation à commettre un délit, quand bien même l'infraction n'aurait pas eu lieu.

Or, si l'article 60 du Code pénal actuel punit comme complices ceux qui ont donné des instructions pour commettre un délit, il est cependant insuffisant pour atteindre les coupables que nous voulons punir.

Car il suppose, dans tous les cas, que le délit a été perpétré, c'est-à-dire que dans l'espèce, pour que l'article 60 fût applicable à ceux qui ont donné des instructions pour commettre des falsifications, il faudrait que ces falsifications eussent été opérées, et notre loi veut les punir quand bien même celles-ci n'auraient pas eu lieu.

Il ne faut pas oublier qu'il faut encore ici, pour que l'auteur de ces écrits soit puni, qu'il ail agi avec une inleniion criminelle, à dessein de nuire et méchamment.

M. Deliége. - Je crois, messieurs, qu'on concilierait tout en disant « celui qui, soit par des placards, etc., aura méchamment donné. »

Si l'article, tel qu'il est rédigé, était appliqué dans sa lettre, comme on applique ordinairement les lois pénales, ou pourrait punir des personnes qui n'ont eu aucune intention de nuire. Ainsi on peut, dans un livre, dans une brochure, indiquer un procédé de falsification même, dans une bonne intention, avec l'intention de faire découvrir la fraude.

Je propose donc de dire : « aura méchamment donné ».

- L'amendement de M. Deliége est mis aux voix et adopté.

Le paragraphe 2 de l'article 2, ainsi amendé, est adopté

Article 3 (nouveau)

« Art. 3 (nouveau). Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de 25 à 500 francs ou de l'une de ces deux peines seulement, celui qui aura dans son magasin, dans sa boutique ou en tout autre lieu (page 781) des comestibles, boissons, denrées ou substances alimentaires destinés à être vendus ou débités, sachant qu'ils sont falsifiés. »

M. Lelièvre. - Je pense qu'il faut énoncer une amende de vingt-six francs, au lieu de vingt-cinq, parce qu'il convient de mettre en harmonie notre disposition avec le nouveau Code pénal qui ne considère comme délit que le fait contre lequel la loi prononce une amende de vingt-six francs au moins. Je dois aussi faire une autre observation. Les mots « en tout autre lieu » signifient sans doute lieu où s'exerce le commerce. Je prie M. le ministre de la justice de bien vouloir me dire s'il partage mon opinion à cet égard et s'il est bien entendu que la loi sera exécutée en ce sens.

M. de Steenhault. - La recherche n'aura lieu que lorqu'il y aura délit ou présomption de délit grave. Je me demande s'il n'est pas juste de mettre l'homme sur qui on aura trouvé des substances alimentaires falsifiées et contre lequel s'élève une présomption grave, sur la même ligne que celui qui aura vendu ces substances.

Quel intérêt cet homme pourrait-il avoir à posséder des denrées falsifiées, si son intention n'était de les vendre ? Il n'en est pas ici comme pour les poids et mesures. On peut croire que d'anciens poids ont été conservés. Mais ici aucun motif de ce genre ne peut être allégué. Celui qui possèdent des denrées alimentaires falsifiées ne peut avoir que l'intention de les vendre et il faut le mettre sur la même ligne que celui qui les vend.

M. Moreau. - Ce qui a principalement déterminé la majorité de la section centrale à vous proposer de diminuer les peines applicables an détenteur de denrées falsifiées lorsqu'il a connaissance des falsifications, c'est de mettre la loi nouvelle en rapport avec les dispositions du code pénal que vous avez déjà votées.

En effet dans ce nouveau code on a eu soin de faire une distinction entre les actes qui se rattachent à l'exécution des infractions.

Ou a distingué la tentative de l'acte simplement préparatoire à un délit.

Pour qu'il y ail tentative, il faut que l'intention criminelle ait été révélée par des actes extérieurs qui ne soient arrêtés ni suspendus par des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur ; alors la perversité de l'agent étant manifestement connue doit être réprimée, et cependant même dans ce cas, aux termes des dispositions du nouveau code pénal, la peine est inférieure à celle qu'aurait encourue l'agent si le délit avait été consommé.

Mais la simple possession de substances falsifiées ne peut être considérée comme le commencement d'exécution d'une infraction ; c'est bien un moyen général pour y arriver, c'est un acte préparatoire qu'on peut envisager comme un délit « sui generis » et punir comme tel, mais qu'il y aurait injustice ce nous semble à ranger sur le même ligne que l'infraction consommée, car cet acte par lui-même n'est pas nuisible, il peut seulement le devenir ; la résolution criminelle qu'il manifeste peut changer ; la pensée criminelle que fait connaître cet acte peut très bien rester dans les termes simples de l'expression d'une volonté qui peut être remplacée par une volonté contraire et ne donner lieu à aucune action dommageable.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Dans les cas prévus par les articles 1 et 2, lorsque le coupable sera condamné à un emprisonnement de plus de six mois, la patente lui sera en même temps retirée, et il ne pourra en obtenir une autre pendant la durée de l'emprisonnement.

« Le tribunal pourra toujours ordonner que le jugement soit affiché dans les lieux qu'il désignera, et inséré en entier ou par extrait dans les journaux qu'il indiquera, le tout aux frais du condamné. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Les dispositions qui précèdent seront appliquées sans préjudice les peines plus fortes, s'il y échet, prévues par le Code pénal ou par des lois spéciales. »

M. Delfosse. - Il faut supprimer les mots : « s'il échet ».

- L'article est adopté avec cette modification.

Article 6

« Art. 6. Ceux qui auront, sans l'intention criminelle prévue, par l'article 2, vendu, débité ou exposé em vente des comestibles, boissons, denrées ou substances alimentaires falsifiées, seront punis conformément aux articles 475 et 476 du Code pénal. »

En cas de récidive, la peine d'emprisonnement, pendant cinq jours au plus, pourra être prononcée.

M. Lelièvre. - L'article 6 commine des peines de simple police contre ceux qui débitent ou exposent en vente des boissons ou des comestibles falsifiés, alors même que le débitant ignore l'existence de l'altération. »

C'est là un prineipe exorbitant. Comment veut-on que dans la plupart des cas le débitant puisse même soupçonner l'altération ? Evidemment cet article donnera lieu à des mesures vexaioires, je désire avoir des explications de M. le ministre de la justice sur ce point.

Ne perdons pas de vue que les articles 475 et 476 du Code pénal énoncés à l'article 6, ne s'appliquent qu'à ceux qui vendent des boissons non nuisibles, sachant qu'elles sont falsifiées. Il est donc évident que nous exagérons le Code pénal outre mesure, si nous voulons appliquer les articles 475 et 476 de ce Code à une vente faite de bonne foi. C'est étendre ces articles à une hypothèse à laquelle ils ont toujours été étrangers.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je crois que l'honorable M. Lelièvre se trompe dans l'interprétation qu'il donne de l'article 475 du Code pénal. Il s'agit dans cet article d'une simple négligence eh quelque sorte matérielle, et qui est exclusive de la mauvaise intention. Par l'article 6 le gouvernement étend cette disposition jusqu'à présent limitée aux boissons, aux denrées alimentaires de toute espèce.

L'honorable M. Coomans trouve cette disposition exorbitante. Je crois qu'il importe à l'hygiène publique, au bien-être des populations, que le marchand soit intéressé à s'assurer par lui-même de la pureté des marchandises qu'il offre en vente. On ne le punit pas ici comme vendeur de marchandises falsifiées, on le punit pour ne pas avoir vérifié les marchandises qu'il présente comme bonnes ; aussi ne lui applique-t-on que des peines de simple police. Je crois qu'il est essentiel de maintenir la disposition, car, je le répète, il faut que le marchand soit intéressé à ce que les denrées qu'il vend comme bonnes le soient réellement. Il s'agit, d'ailleurs, d'une vérification qu'il est mieux à même de faire que le consommateur.

(page 785) M. Coomans. - Je demande formellement la suppression de cet article. Elle nous a été promise, pour ainsi dire, par le gouvernement lorsqu'il nous a déclaré qu'il fallait qu'il y eût méchante intention pour que la peine pût être applicable.

L'article 6 commine une peine contre les gens qui ont agi sans intention méchante, c'est-à-dire contre des gens qui ignoraient que les marchandises dont ils étaient détenteurs fussent falsifiées. Je ne comprends pas du tout le sens de cet article et, à moins que le gouvernement n'en détermine un qui soit un peu raisonnable, j'insisterai pour le rejet.

(page 781) M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, j'ajouterai quelques mots à ce que vient de dire l'honorable M. le ministre de la justice. Veuillez bien remarquer que vous rendez l'action de la police complètement impuissante, si chaque fois que vous voudriez punir une contravention, vous exigiez qu'il fût prouvé que l'agent a agi sciemment. Aussi est-il de principe dans toutes les législations pénales que lorsqu'il s'agit de réprimer une simple contravention, il suffit que le fait matériel seul existe pour qu'il soit punissable, et naguère encore vous avez fait application de ce principe en punissant le simple détenteur de faux poids ou de faux instruments de pesage, quand bien même il ignorait que ces objets étaient inexacts.

C'est alors la négligence, l'incurie de fauteur de la contravention qu'on veut punir pour prévenir des tromperies même involontaires. Changer ce système, ce serait bouleverser toutes nos lois de simple police.

Dans le cas dont il s'agit, il est certain que si le marchand n'a pas soin de vérifier la pureté des denrées qu'il reçoit avant de les livrer au commerce, il s'expose à tromper les acheteurs ; or, sa profession l'oblige à faire cette vérification, à avoir cette attention pour préserver qui que ce soit de tout dommage.

C'est parce qu'il a négligé d'accomplir ce devoir qu'il devient punissable et qu'il est juste qu'il supporte toutes les conséquences de son défaut de soin ; c'est parce qu'il aurait pu ne pas tromper, même involontairement, qu'il est responsable envers la société de la faute qu'il a commise.

Nos lois civiles font elles-mêmes application de ces principes, car aux termes de l'article 1383 du Code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Je crois donc que vous devez maintenir l'article 6 pour le mettre en harmonie avec l'article 475 du Code pénal.

M. Lelièvre. - Il m'est impossible de partager l'opinion de M. le ministre de.la justice sur le sens des articles 475 et 476 du Code pénal, et M. le ministre lui-même en sera bientôt convaincu.

D'abord ces articles prévoient la vente de boissons falsifiées ; or lorsque les dispositions du Code pénal ne s'expliquent pas sur la nature du fait qu'elles prévoient, elles exigent toujours un fait volontaire.

En second lieu, il, est évident que les articles 475 et 476 supposent une vente faite sciemment de boissons falsifiées, mais non nuisibles. En effet, interpréter les articles comme s'ils prévoyaient un acte posé de bonne foi, c'est admettre que le Code pénal n'a pas puni l'acte dont il s'agit posé de mauvaise foi. En effet, dans ce système aucun autre article de ce Code ne réprimerait la vente de boissons falsifiées non nuisibles à la santé, faite sciemment. Il est donc bien évident que les articles 475 et 476 répriment le fait volontaire.

Or, s'il en est ainsi, il est impossible de réprimer, comme on le fait par l'article 6, un acte posé de bonne foi, dans l'ignorance de la falsification.

Une disposition contraire pourrait donner lieu à des mesures vexatoires et inquisitoriales. Comment veut-on qu'un marchand puisse vérifier s'il y a altération ? On comprend qu'il est impossible d'astreindre un négociant à des vérifications de ce genre. Du moment que l'on ignore la falsification, il est impossible de comminer aucune peine, et toute disposition contraire pourrait donner lieu à des abus sérieux. En ce qui me concerne je ne puis voter l'article en discussion.

Le système que je combats a d'ailleurs pour base une fausse interprétation du Code pénal.

(page 785) M. Coomans. - La Chambre fera bien de s'arrêter dans cette voie. Je ne puis protester assez haut contre le langage de l'honorable M. Moreau et les prétentions exorbitantes qu'il a élevées. Quoi ! messieurs, le gouvernement reconnaît, l'honorable rapporteur reconnaît également qu'il est permis de vendre des marchandises falsifiées pourvu que la santé du consommateur ne soit pas compromise et qu'on déclare qu'elles sont falsifiées. Ainsi donc, le gouvernement permet à un marchand d'inscrire sur sa boutique : « Ici l'on vend des boissons mélangées, falsifiées. » (Interruption.) Messieurs, entendons-nous. Ne jouons pas sur les mots: J'entends toujours parler de marchandises non-nuisibles à la santé publique. Je suis d'accord avec vous tous que les marchandises nuisibles ne doivent pas rester dans le commerce et que les vendeurs en doivent être poursuivis ; le désaccord existe que sur ce point-ci : peut-on fabriquer et vendre impunément des marchandises dénaturées, mais non insalubres ? Voilà la question.

Le gouvernement déclare que oui; dans certains cas, il permet d'opérer toutes sortes de mélanges pourvu que ces mélanges ne soient point insalubres et pourvu qu'on ne fraude point, c'est-à-dire pourvu qu'on avoue la vérité à l'acheteur.

Eh bien, messieurs, j'en reviens à ma proposition ; il est permis, vous l'avez voté, de débiter des marchandises mélangées, falsifiées, dans le sens que je viens d'indiquer... (interruption) mélangées si vous le voulez. Ainsi votre interdiction de falsifier ne s'appliquera pas aux vins, par exemple... (Interrupution.)

Beaucoup de membres de cette assemblée ont voyagé en Hollande, et ont dû remarquer dans un grand nombre de villes, au fronton de mainte boutique, ces mots inscrits en grandes lettres : « Ici on fabrique toutes sortes de vins et autres boissons. » Cette falsification n'est pas déloyale puisqu'elle est anodine et publique ; par conséquent elle n'est pas punissable.

Le mot « falsifier », dans le sens de la loi, est souvent synonyme du mot « dénaturer ». (Interruption.)

Mais, messieurs, entendons-nous sur les mots ; si nous étions d'accord sur le sens des mots, nous serions bien près d'une solution, car cette fois encore, comme dans bien d'autres circonstances, nous ne sommes séparés que par des différences d'interprétation.

Il est certain qu'au fond nous poursuivons le même but, mais entendons-nous bien : d'après les déclarations du gouvernement l'individu qui aura dénaturé une marchandise non nuisible à la santé publique, et sans induire en erreur l'acheteur, sera innocenté ! Mais, d'après l'honorable rapporteur de la section centrale, il ne sera plus permis à un marchand d'être simple détenteur d'une marchandise dénaturée, falsifiée... (interruption), « falsa facta ». Cette prétention de l'honorable rappor leur détruit toute la concession que le gouvernement nous a faite ; M. le rapporteur veut punir le détenteur, innocent, d'une marchandise dénaturée, mais il n'appliquera pas la loi à celui qui aura fabriqué ou vendu cette marchandise dénaturée ! C'est pas trop fort !

L'honorable M. Lelièvre a raison de demander avec moi la suppression de cet article et de qualifier ces dispositions de draconiennes. Vous ne pouvez jamais punir la bonne foi, surtout quand il n'y a pas nécessité absolue, car il ne s'agit pas ici de matières insalubres Nous sommes d'accord sur ce point: il s'agit de matières simplement dénaturées ; vous ne pouvez pas punir la simple détention de matières mélangées, dénaturées, alors que vous ne punissez pas la fabrication et la vente de ces mêmes matières. Je vous en prie, messieurs, mettez d'accord les articles de votre loi

(page 782) M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Coomans confond toujours le simple mélange avec la falsification.

M. Coomans. - C'est la même chose.

M. Moreau, rapporteur. - Lorsque quelqu'un vendra ou débitera des marchandises simplement mélangées et qu'il avouera ce mélange ; il ne sera jamais puni, mais il le sera lorsqu'il vendra des marchandises méchamment falsifiées.

On pourrait peut-être substituer aux mots « intentions criminelles » les mots « intentions coupables » ; car il n'y a pas de crime.

M. de Mérode. - Messieurs, je ne puis comprendre le mot de falsification autrement que dans un sens de tromperie à l'égard de l'acheteur ; car, comme on vient de le dire, le mélange n'est pas une falsification. Si, par exémple, je mêlais de la chicorée avec du café et si je déclarais à l'acheteur que j'ai mis moitié de l'un et moitié de l'autre, je ne ferais pas une falsification. Mais si je ne le lui dis pas, il y a falsification car si je vends le mélange pour du café pur, je trompe l'acheteur, je lui fais croire que tout ce qu'il achète est du café, tandis que je lui donne moitié café et moitié chicorée.

Quant à dénaturer la marchandise, c'est la même chose. Une marchandise dénaturée, c'est aussi une marchandise avec laquelle on trompe l'acheteur.

On dit qu'en Hollande, on fabrique du vin. Je ne comprends pas comment on peut fabriquer du vin. Je conçois qu'oi réunisse ensemble différentes espèces de vins qui se corrigent l'un l'autre. Ainsi, un vin qui est foncé en couleur, qui est très doux, se mêle avec du vin un peu acide ; il n'y a pas de tromperie dans ce mélange. Si en Hollande on fait du vin avec du bois de Campèche, et si cela y est permis, il me semble que cela ne peut pas être permis ici ; je ne désire pas qu'on suive à cet égard, en Belgique, la méthode qui est suivie en Hollande.

M. Visart. - Messieurs, il s'agit de bien s'entendre sur la signification et la valeur des mots « falsification » et « mélange ». Je suppose un meunier ou un farinier qui introduit de la craie dans le blé ; c'est là une falsification, un mauvais acte ; le meunier ne pourra jamais l'avouer ; mais s'il mêle au blé de la farine de fèves, cela n'est plus qu'un mélange qui diminue la valeur de la marchandise, ce que le meunier peut avouer, et il doit même en prévenir l'acheteur, sinon il est exposé à une pénalité. Il est admis que chaque fois qu'on emploie le mot « falsification », ce terme doit être pris en mauvais part ; on a intérêt à déguiser une fraude de cette nature. Or, ces falsifications ne sont que trop fréquents ; elles ne font pas seulement des dupes, elles alltrent la santé, et nous faisons bien de sévir contre elles par des dispositions nouvelles à insérer dans la loi.

(page 785) M. Coomans. - Messieurs, un mot encore. Il s'agit de s'entendre, toute la difficulté de la loi gît là, il s'agit de s'entendre sur la signification du mot « falsification ».

D'après d'honorables orateurs, il n'y aurait plus falsification que lorsque les nouveaux ingrédients mélangés à la marchandise primitive seraient nuisibles à la santé. Ainsi, l'honnorable M. Visart dit qu'il y aura falsification lorsqu'on mélangera de la craie à la farine ; cela est parfaitement vrai, il n'y aura pas falsification, dit le même houorable membre, et je crois qu'il a raison, lorsqu'on mêlera de la farine de féveroles à de la farine de froment.

Eh bien, s'il en est ainsi, vous n'avez rien fait.

Remarquez que le gouvernement et la section centrale étendent ou restreignent, singulièrement, d'après les besoins de la cause, le sens du mot « falsification ».

Il n'y a, dit le gouvernement, falsification de farine de froment mélangée avec de la farine de fèves, que lorsqu'on n'en a rien di t; mais lorsqu'on l'avoue, il n'y a pas falsification. Toutes ces distinctions me semblent arbitraires.

Tout ce que j'ai demandé, dès le commencement de la discussion, c'est qu'on déclarât hautement que les mélanges anodins, par exemple, celui de la farine de froment et de la farine de fèves, ne seront pas punissables, lorsqu'ils seront avoués.

- Plusieurs membres. - Nous sommes d'accord.

M. Coomans. - On n'est pas d'accord, puisqu'on étend la signification du mot « falsificatio »n tantôt à des matières nuisibles, tantôt à des matières anodines.

Si l'intention seule fait la falsification, le mot « falsification » n'est donc pas synonyme d'une sorte d'attentat à la santé publique.

Mais, toute réflexion faite, le mieux sera de supprimer l'article 6. Je ne serais certainement pas fâché d'établir une certaine harmonie entre le Code pénal et la loi que nous faisons ; mais je préfère infiniment que les lois que nous faisons soient en harmonie avec le bon sens ; or, j'affirme qu'il n'y a ni équité ni bon sens à punir le détenteur de bonne foi, le détenteur complètement innocent d'une marchandise falsifiée, alors que le fabricant et le marchand ne sont pas inquiétés de ce chef, pourvu qu'ils déclarent la mixtion. Cela n'est pas logique. Il me semble qu'en y réfléchissant, la Chambre ne peut se dispenser de se rallier à la proposition de l'honorable député de Namur, que j'appuie de toutes mes forces.

(page 782) - La discussion est close.

L'article 6 est mis aux voix et adopté.

Article 7

« Art. 7. En condamnant à l'amende, les cours et tribunaux ordonneront qu'à défaut de payement, elle soit remplacée par un emprisonnement correctionnel, qui ne pourra excéder le terme d'un an, dans les cas prévus par les articles 1, 2 et 3, ou par un emprisonnement de simple police qui ne pourra excéder le terme de sept jouts, dans les cas mentionnés dans l'article précédent.

« Le condamné peut toujours se libérer de cet emprisonnement en payant l'amende. »

M. Lelièvre. - Je demande qu'on rédige l'article de la manière suivante :

« En condamnant à l'amende, les cours et tribunaux ordonneront qu'à défaut de payement dans le délai de deux mois à dater du jugement s'il est contradictoire et de sa signification, s'il est par défaut, cette amende soit remplacé ?, etc., (le surplus comme au projet). »

Nous avons adopté semblable disposition lors de la discussion de la loi sur la police des irrigations. L'addition dont il s'agit a une utilité incontestable. Si l'on n'énonce pas un délai, le ministère public ne peut ordonner l'emprisonnement qu'après avoir constitué le condamné en demeure de payer l’amende, ce qui occasionne des frais et des difficultés.

Il est donc préférable de prescrire un délai pour le payement de l'amende, à l'exemple de ce qui a été statué par la loi de 1846 sur la chasse. Le délai légal expiré, il peut être donné suite à l'emprisonnement sans autre formalité. Je pense donc que mon amendement doit être accueilli comme présentant une disposition simplifiant la procédure pour l'exécution des jugements qui interviendront.

- L'amendement proposé par M. Lelievre est mis aux voix et adopté.

L'article 7, ainsi amende, est également adopté.

Article 8

« Art. 8. En ce qui concerne la condamnation aux frais prononcée au profit de l'Etat, la durée de la contrainte par corps sera déterminée par le jugement ou l'arrêt, sans qu'elle puisse être au-dessous de huit jours, ni excéder un an ou un mois, suivant que l'infraction est un délit ou une contravention.

« La contrainte par corps n'est inexercée ni maintenue contre les condamnés qui ont atteint leur soixante et dixième année. »

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je proposerai à cel article, après le paragraphe premier, une disposition additionnelle empruntée au code pénal déjà voté et que la Chambre a introduite dans toutes les lois spéciales qu'elle a adoptées depuis lors. Cette disposition serait ainsi conçue :

« Néanmoins les condamnés qui justifieront de leur insolvabilitê suivant le mode prescrit par le Code d'instruction criminelle, seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte quand la somme des frais n'excédera pas 25 francs. »

- Cet amendement est mis aux voix et adopté.

L'article 8 ainsi amendé est également adopté.

Article 9

« Art. 9. Les comestibles, boissons, durées ou substances alimentaires falsifiés, qui seront trouvés en la possession du coupable, seront saisis et confisqués.

« S'ils peuvent servir à un usage alimentaire., ils seront mis à la disposition du bureau de bienfaisance de la commune où le délit a été commis ; sinon il en sera ordonné la destruction ou la diffusion. »

- Adopté.

Article 10

« Art. 10. Lorsqu'il existe des circonstances .atténuantes en faveur du prévenu, les peines d'emprisonnement et d'amende, prononcées par les articles 1 et 2 de la présente loi, pourront être réduites respectivement au-dessous de huit jours et au-dessous de 80 francs, sans qu'elles puissent en aucun cas être inférieures à celles de simple police. »

M. Lelièvre. - Il est essentiel de mettre en harmonie l'article dont nous nous occupons avec l'article 3 nouveau. Au lieu de dire « prononcées par les articles 1 et 2 de la présente loi, il faut énoncer prononcées par les articles 1, 2 et 3 de la présente loi. En outre au lieu de « au-dessous de 50 fr. », il faut dire : « au-dessous de 26 fr. »

Le projet du gouvernement était complet, mais la section centrale a négligé de combiner notre article avec la disposition nouvelle qu'elle a adoptée.

M. Moreau, rapporteur. - Il y a en effet, une omission.

- L'article 10 est adopté avec cette modification.

Article additionnel

M. le président. - Il reste à statuer sur la disposition additionnelle, proposée par M. Maertens qui a été renvoyée à la section centrale.

M. Malou. - L'ordre du jour de la séance publique est peu chargé. La commission que vous avez nommée pourrait terminer demain si vous fixiez la séance à 3 heures. J'en fais la proposition.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures et demie.