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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 26 janvier 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 561) M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Tack, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 24 janvier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des horlogers à Anvers présentent des observations sur la nomination de l'agent chargé de la surveillance de l'observatoire maritime de ce port et de la régularisation des chronomètres, et demandent que la direction de cet établissement soit confiée à l'un des professeurs de l'école de navigation, ou bien que le gouvernement leur accorde une déclaration portant que le droit octroyé au sieur de Kemal, de régler les chronomètres, ne préjudicie en rien à celui qu'ils ont de faire le même travail. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Gingelom réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le redressement du chemin de Montenaeken à la halte de Gingelom, tel qu'il a été approuvé par arrêté royal du 2 avril 1852, ainsi que le passage à niveau de ce chemin sur la voie ferrée. »

« Même demande du conseil communal de Cras-Avernas. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Corthys réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir le passage à niveau du chemin vicinal empierré de Montenaeken à la halte de Gingelom. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Poncet demandent que les convois partant de Bruxelles à 7 heures du matin et de Liège à 5 heures 45 du soir s'arrêtent à la station de Gingelom. »

« Même demande des membres de l'administration communale de Trognée. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Corthys demandent que les convois partant de Bruxelles pour Liège, à 7 heures du matin, et de Liège pour Bruxelles à 6 heures 40 du soir, s'arrêtent aux haltes de Gingelom et de Rosonx. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Poucet demandent la continuité du chemin empierré de Montenaeken à la station de Gingelom et solidairement son prolongement vers Hannut, en passant par Cras-Avernas, Trognée et Poncet. »

« Même demande des membres de l’administration communale de Trognée. »

- Même renvoi.

M. de Lexhy. - Je demande le renvoi de ces cinq pétitions à la commission des pétitions. Les communes pétitionnaires forment plusieurs demandes qui ont un véritable caractère d'urgence et qui sont d'une grande importance pour leurs intérêts.

Cette affaire est déjà ancienne et il est temps qu'elle reçoive une solution.

Je demande donc que la commission des pétitions soit chargée de nous faire un prompt rapport sur cet objet, et je désire qu'il nous soit soumis, en tout cas, avant la discussion du budget des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.

Motion d'ordre

Transport maritime des dépêches

M. Van Iseghem. - Je désire interpeller l'honorable ministre des affaires étrangères sur deux sinistres maritimes que nous avons eu à déplorer dernièrement.

Je demanderai si M. le ministre trouverait quelque inconvénient à me répondre immédiatement.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - Je prie l'honorable membre de préciser les questions.

M. Van Iseghem. - Mon interpellation est relative à la perte totale du bateau à vapeur anglais le Violet et du bateau pilote belge n°5.

Je commencerai par le premier sinistre. La Chambre sait que le transport des dépêches se fait moitié par navire belge et moitié par navire anglais.

Le service belge est dans les mains de notre gouvernement et les bateaux naviguent très régulièrement et sans accident. Nos navires ne laissent rien à désirer ni sous le rapport de la construction, ni sous le rapport de la solidité.

Depuis trois ans que le gouvernement anglais a cédé sa part du service moyennant subside à une compagnie privée, il se fait très mal, et depuis on a déjà plusieurs accidents et sinistres à déplorer.

Déjà nous avons vu périr, il y a deux ans, tout près d'Ostende, le bateau à vapeur le Dover, leur appartenant ; ce navire était, par sa construction, peu propre à faire le service, et il était dans un mauvais état.

Au commencement de ce mois on a eu le malheur d'apprendre la perte du steamer Violet qui a péri corps et biens, sinistre qui a exercé une pénible impression sur les deux côtés de la Manche.

Il n'y a qu'une voix pour dire que les machines de ce bateau laissaient à désirer, et pour s'en convaincre on n'a qu'à lire des lettres insérées dans le Shipping and Mercantile Gazette de Londres, lettres écrites de Douvres.

On y prétend que le Violet avait ses machines usées, et dans ces lettres on fait des reproches très sévères aux entrepreneurs du service. Vous sentez que je ne veux pas me rendre responsable de ces accusations, je dis ce que les journaux anglais contiennent et, pour mon compte, je ne pense cependant pas que le terrible accident doive être attribué à ce que le capitaine Lyne, un excellent officier, aurait pris les feux du sud Foreland pour ceux du Gulf stream.

La presse anglaise demande une enquête sévère sur ce sinistre, et je puis ajouter qu'il n'y a aussi à Ostende qu'un cri pour dire que la Violet ne se trouvait pas en parfait état de navigabilité.

Un autre bateau appartenant à la même compagnie ou plutôt aux mêmes entrepreneurs, le Vivid, qui avait quitté Ostende vendredi de avec la correspondance pour Douvres, a été rencontré samedi matin en mer avec ses machines brisées et hors d'état de fonctionner, preuve du mauvais état de ce navire. Le Vivid a été pris à la remorque par le steamer belge Rubis, qui l'a conduit dans le port de Calais, il en est résulté donc un retard dans l'arrivée des dépêches samedi matin à Douvres, et le Rubis n'a pas pu arriver à temps à Ostende a causé du secours qu'il a dû porter au Vivid.

De plus, on vient de m'assurer qu'un nouvel accident est arrivé à un quatrième bateau.

Il résulte de tout ce que j'ai l'honneur de dire à la Chambre, que le service se fait très mal et est compromettant pour notre ligne.

Je demande donc à l'honorable ministre des affaires étrangères de faire des représentations très sérieuses au gouvernement britannique sur tout ce qui arrivé, de forcer la compagnie à employer pour la ligne d'Ostende des navires se trouvant en bon état et capables de tenir la mer, c'est-à-dire des steamers avec lesquels il n'y ait aucun danger à faire le trajet et qui arrivent aux heures indiquées.

Aussi, la compagnie anglaise n'a pas, je pense, un matériel suffisant pour desservir les deux lignes ; les bateaux sont presque toutes les nuits en mer et par conséquent les équipages sont exténues de fatigue.

J'arrive maintenant au second point de mon interpellation, la perte totale du bateau pilote n° 5, à bord duquel se trouvaient 9 courageux pilotes, qui tous ont péri laissant des veuves et un grand nombre d'orphelins. La ville que je représente plus spécialement dans cette enceinte a été péniblement affectée de cette perte. Divers bruits y circulent et comme le pont de ce bateau a été conduit sur notre plage, je pense que l'honorable ministre doit avoir reçu maintenant un rapport sur cet affreux événement et je le prierai de vouloir communiquer ce document à la Chambre.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - Personne ne regrette plus vivement que moi les malheurs qui ont atteint la ligne de paquebots anglais dans son service entre Douvres et Ostende. Mais je suis heureux de l'occasion qui m'est offerte par l'honorable député d'Ostende, pour dire que ces malheurs qui ont atteint la compagnie anglaise, ne peuvent en aucune façon affecter le service du transport des dépêches entre Ostende et Douvres. Il faut remarquer que la Belgique n'a pas fait une convention avec une compagnie anglaise ; mais le gouvernement belge a conclu un traité avec le gouvernement anglais. C'est le gouvernement anglais qui s'est engagé comme le gouvernement belge à effectuer le transport des dépêches entre Douvres et Ostende.

Le gouvernement anglais, lorsqu'il a été engagé dans la guerre de Crimée, a désiré avoir la libre disposition du plus grand nombre possible de ses navires et il a cédé, à certaines conditions, à une compagnie anglaise le transport qui lui incombait. Aujourd'hui les embarras de transports maritimes que l'Angleterre a eu à supporter momentanément, ont complètement cessé et l'amirauté anglaise a à sa disposition une forêt de bâtiments.

Par conséquent la compagnie anglaise verrait périr tous ses navires qui servent au transport des dépêches entre Douvres et Ostende, que l'amirauté serait immédiatement en mesure de les remplacer ; et c'est une obligation à laquelle le gouvernement anglais ne manquerait pas. Car non seulement il est engagé par la signature de son traité, mais le public anglais est encore beaucoup plus intéressé que le public belge a la plus grande régularité du service.

Nous avons, nous, à sauvegarder la bonne expédition des dépêches belges et le prompt transit des dépêches étrangères, intérêts majeurs pour nous ; mais l'industrie anglaise, le, commerce et tout le public (page 562) anglais a un plus grand intérêt encore à recevoir régulièrement l'immense correspondance européenne qui transite par la voie belge. Personne n'a de ce chef, aucun reproche à nous adresser, et soyez certains, messieurs, que le gouvernement anglais ne négligera rien pour que la part de ce service qui lui incombe ne laisse rien à désirer.

Il n'y a donc aucune espèce de crainte à concevoir de ce côté.

Je passe à la seconde question q te m'a adressée l'honorable député d'Ostende.

J'ai, en effet, reçu un rapport non pas sur la perte du bateau pilote n° 5, car malheureusement aucun détail à cet égard ne peut être obtenu, mais sur l'arrivée à Blankenberghe d'une partie du pont du bateau pilote n°5. J'avais déjà donné ce matin des ordres pour que ce rapport fût inséré au Moniteur de demain.

Je ne l'ai pas sous les yeux ; je ne puis en donner connaissance à la Chambre ; mais on le lira demain au Moniteur, et je crois qu'il tendra à prouver que le bateau a échoué sur un banc de sable et qu'il n'a pas sombré en mer.

M. de Muelenaere. - Messieurs, mon honorable collègue d'Ostende vient de soulever une question relativement à la catastrophe qui a eu lieu récemment. Je me permettrai de soumettre à cet égard, une observation à M. le ministre des affaires étrangères.

Vous savez, messieurs, que le bateau pilote n°5 (les journaux en ont beaucoup parlé) a été englouti par la mer avec tous les hommes qui composaient son équipage. On a prétendu que ce bateau était en mauvais état, on a même publié qu'une administration de pilotage, si je ne me trompe, avait déclaré que ce bateau rie pouvait plus tenir la mer. J'espère que le procès-verbal que M. le ministre des affaires étrangères nous communiquera, donnera un démenti formel à ces allégations.

Toutefois, je pense qu'il est de la plus haute importance, que c'est un devoir pour le gouvernement et pour la Chambre de veiller à ce que les bateaux pilotes appartenant à nos ports, soient constamment dans un état parfait.

Ordinairement, messieurs, on ne réclame le service des bateaux pilotes que dans des circonstances graves, dans des circonstances très critiques. Dès lors ces bateaux doivent toujours être en état de prendre la mer en tous temps et, en outre, ils doivent être d'une solidité telle qu'ils puissent résister à toute la fureur des vagues.

Je pense que ce serait une chose extrêmement utile qu'à des époques périodiques M. le ministre des affaires étrangères voulût bien faire examiner l'état des bateaux, et se faire adresser régulièrement un procès-verbal à cet égard. Ce serait le moyen, ce me semble, de stimuler le zèle de l'administration chargée de ce service public, et prévenir toute négligence nuisible.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, le procès-verbal de visite que réclame l'honorable préopinant est fait tous les ans. Chaque année il arrive de Flessingue et d'Ostende au département des affaires étrangères un rapport qui consiste l'état des bateaux pilotes, ainsi que l'état des malles-postes.

Quant aux bruits publics qui ont été répandus sur l'état du bateau pilote n°5, qui a si malheureusement péri dans la nuit du 6 de ce mois, ils sont évidemment exagères.

Je n'ai pas les pièces devant moi, parce que je ne m'attendais pas à être interpellé aujourd'hui sur cette question, mais je crois être assez au courant de l'affaire pour pouvoir m'expliquer.

Il y avait à Ostende deux bateaux pilotes n°1 et 2. Le numéro 1 a été jugé hors d'état de servir. Il a été mis sur le chantier ; il a été radoubé et remis entièrement à neuf. Il se trouvait dans le bassin d'Ostende et faisait le service alternativement avec l'autre.

Le n°2 avait aussi besoin de réparations. Après le radoub du bateau n°1, le n° 2 a été dans les bassins pour être réparé et, comme il faut toujours un bateau de rechange, on avait fait venir de Flessingue le bateau n°5 dont le bon état avait été constaté et qui ne devait être mis en réparation qu'au mois de septembre de cette année-ci. Le bateau n°5 arrive à Ostende, personne n'a fait de réclamations contre l'état de ce bateau, ni le patron, ni le chef-pilote, ni l'inspecteur du pilotage, si on avait fait des réclamations, il eût été très facile de prendre le bateau n°1, qui était nouvellement réparé et qui était comme neuf.

Il eût été très facile de remplacer le bateau n°5 par le bateau n°1 ; personne ne l’a demandé, ni à Ostende ni à Bruxelles. Par conséquent, je pense que l'administration n'a absolument rien à se reprocher, quant à l’affreuse catastrophe qui a eu lieu. Vous lirez demain, messieurs, dans le Moniteur le rapport dont j'ai parlé.

Il tend à prouver que le bateau n°5 a échoué sur un banc de sable, et que par conséquent l’état de ce bateau n'est pour rien dans l'affreux événement auquel nous prenons tous une si vive part.

M. Sinave. - L'honorable comte de Muelenaere a observé en grande partie ce que je voulais dire, je ne pense pas que la réponse de M. le ministre ait complètement levé le doute qui existe sur l'état du bateau. Lorsqu’il se produit un bruit public fâcheux si répandu, ce n'est jamais entièrement sans motifs. Mais enfin à quoi sert de récriminer quand le mal est fait ?

Je crois, messieurs, qu'il faut examiner sérieusement si le moment n'est pas venu de changer de système, et, au lieu d'avoir des bateaux pilotes à voiles, de créer des bateaux à vapeur. Ces bâtiments rendraient de très grands services ; ils pourraient secourir efficacement les bâtiments qui se trouveraient en détresse.

Je crois, messieurs, que cela pourrait se faire sans grever le trésor. Le produit du pilotage est considérable ; il excède au moins de 40 p. c. la dépense. Je pense, messieurs, qu'il serait très utile d'étudier cette question.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - M. le président, je crois que la question est tout étudiée et qu'elle est même résolue. Mon honorable prédécesseur, M. de Brouckere, a fait construire,, ainsi que la Chambre le sait, un bateau pilote à hélice ; ce bateau a pris la mer ii y a quelques semaines, il marche parfaitement, il rend les meilleurs services. Je crois donc qu'il faut persévérer dans ce système et que, peu à peu, il faudra remplacer les bateaux pilotes actuels par des bateaux à hélice. Cela ne peut pas se faire en un jour ; il faut profiter du matériel que nous avons encore en bateaux pilotes ordinaires ; ce n'est que graduellement que pourrons remplacer les bateaux pilotes actuels par des bateaux à vapeur.

M. Loos. - J'ai écouté les explications que l'honorable ministre des affaires étrangères a bien voulu donner sur l'état défectueux du service de la malle entre Ostende et Douvres par la compagnie anglaise L'honorable ministre se repose sur les soins du gouvernement anglais pour remédier à l'état des choses, parce que, dit-il, ce gouvernement est trop intéressé à établir un bon service sur cette ligne, à raison de l'importance des correspondances entre l'Allemagne et l'Angleterre ; Il croit, en outre, que l'état défectueux du service anglais ne peut en rien affecter le service belge. Je ne partage pas cette opinion.

Je dois faite remarquer que le gouvernement belge est bien autrement intéressé que le gouvernement anglais à la bonne organisation du transport des dépêches entre Ostende et Douvres ; les dépêches d'Allemagne peinent prendre la route de Calais où le gouvernement anglais possède également un service.

Ce que je dis des dépêches s'applique encore, et surtout, aux voyageurs ; si le service est défectueux, les voyageurs ne s'aventureront pas sur la ligne d’Ostende pour se rendre en Angleterre ; et que deviennent dès lors les intérêts de notre chemin de fer, et ceux du service des bateaux à vapeur dont nous resterons chargés ?

Nous sommes donc bien autrement intéressés dans la question que le gouvernement anglais qui est en position de se tirer d'affaires par la ligue de Calais. Il importe, je crois, que le gouvernement anglais soit mis en demeure d'établir le service par des navires appartenant à sa marine, ou bien qu'il nous abandonne exclusivement le soin de l'organiser.

Je ne puis assez le répéter, nous sommes plus intéressés que le gouvernement anglais dans cette affaire, et si je pouvais donner un conseil au gouvernement, ce serait d'établir la ligne de correspondance entre Douvres et Ostende, complètement par paquebots belges.

M. Devaux. - Messieurs, j'ajouterai quelques observations à celles qui viennent d’être présentées par les honorables MM. Sinave et Loos. Ce n'est pas le service des dépêches seul qui est intéressé dans cette affaire, mais encore le transport et la vie des voyageurs. Si ce qu'on dit est vrai, la compagnie anglaise ferait des économies excessives sur le service des hommes, sur le service des machines et sur les bateaux. Si cela est et si c'est à ces causes qu’il faut attribuer les deux accidents qui viennent d'arriver, le gouvernement devrait intervenir auprès du gouvernement anglais, pour lui demander de faire faire le service d'une manière qui assure la sécurité des voyageurs, au moins autant que cela est possible.

Le gouvernement anglais est intéressé, comme nous le sommes, à ce que les voyageurs ne soient pas exposés à périr sur mer ; mais si une pareille chose se passait dans le service belge, il est inévitable que le gouvernement anglais adresserait une réclamation au gouvernement belge. Je crois donc que le gouvernement belge pourrait éveiller l'attention du gouvernement anglais sur ce point.

Quant au bateau pilote, il y a là neuf fonctionnaires de l'Etat qui viennent de périr dans l'exercice de leurs pénibles fonctions: ils laissent au moins une vingtaine d'orphelins. Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères si le gouvernement a le moyen de faire quelque chose pour les malheureux.

L'intervention du gouvernement me paraît réclamée par l'humanité et n'établirait pas un précédent onéreux, car il est rare qu'un bateau pilote périsse ; le moins qu'on puisse faire, c'est de venir au secours des orphelins de ceux qui périssent dans un service d'une utilité aussi incontestable.

Je prie, en conséquence, M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien nous dire si le gouvernement a l'intention de prendre quelque mesure dans ce sens.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, je suis entièrement pris à l'improviste sur toutes tes questions ; mais je me suis occupé déjà de réclamer auprès du gouvernement anglais, quant au bon service entre Ostende et Douvres. Je ne le perdrai pas de vue, je le promets à la Chambre. Je me suis aussi occupé du sort qui attend les veuves et les orphelins des sept employés mariés qui ont péri au commencement de ce mois ; deux des neuf victimes étaient célibataires ; je n’ai pas encore reçu l'état nominatif des veuves et des orphelins, par conséquent, on n'a pas pu me donner le chiffre exact des pensions qu'il y aura a payer. Mais ce que je puis dire dès à présent, c'est que la caisse du pilotage est très (page 563) riche et que les veuves recevront une pension environ équivalente à la moitié du traitement de leur mari.

Voilà ce dont je me suis assuré. Quant aux enfants je ne sais pas quelles pourraient être leurs pensions, n'en ayant pas reçu l’état nominatif. Je ne me suis occupé que de l'état en général de la question, il me serait impossible pour le moment de donner des explications de détail.

M. Sinave. - D'après ce qu'a dit M. le ministre, il n'y a pas le moindre doute que l'Angleterre ne restera pas en deçà de ce qu'elle doit faire, elle n'a pas besoin que son attention soit éveillée ; le gouvernement y est le premier intéressé. L'honorable M. Loos vient de dire que si le gouvernement anglais venait à ne pas satisfaire aux réclamations qu'il engageait notre gouvernement à lui adresser, il inviterait le gouvernement à faire tout le service des malles-postes au lieu de la moitié. Je m'y oppose formellement.

Si tout à l'heure j'ai dit qu'il convenait d'adopter un autre système pour les bateaux pilotes, c'était sans grever le trésor. Mais si on admettait la proposition de M. Loos de faire faire par le gouvernement belge tout le service des malles-postes d'Ostende à Douvres, il en coûterait 300,000 francs par an au trésor. Voilà ce que je voulais dire pour ne pas laisser passer sous silence les paroles de M. Loos.

M. Van Iseghem. - J'appuie l'opinion de mon honorable ami M. Loos, et par conséquent je combats les idées que l'honorable M. Sinave vient d'émettre relativement aux malles-postes.

Je pense qu'il sera très utile et même nécessaire pour le pays d'avoir le service en entier pour son compte, et je n'admets pas le chiffre de la perte que l'exploitation donnerait, et qui, d'après l'honorable député de Bruges, s'élèverait à 300,000 francs par an.

Le service de la compagnie est subsidié par le gouvernement anglais ; je crois que ce subside s'élève à 15,000 livres sterling ou 375,000 fr. par an, pour les deux lignes d'Ostende à Douvres et de Calais à Douvers.

Les Anglais d'un côté ont un service journalier sur Calais, et d'un autre côté la distance est le double sur Ostende, il y a donc compensation, et on peut ainsi calculer que la moitié du subside appartient à chaque ligne. Ajoutez à ce subside d'environ 190,000 francs que le gouvernement britannique payerait à nous, le produit des voyageurs, qui se monte à plus de 120,000 francs, et on trouverait ainsi une recette totale de plus de 300,000 francs, ce qui compenserait en très grande partie, sinon en totalité, les frais de l'exploitation, y compris l'intérêt du capital dont on aurait besoin pour construire trois nouveaux bateaux.

Je crains que si on laisse la moitié du service dans les mains de la compagnie anglaise, il ne se fasse toujours mal ; il faut pour un service pareil des bateaux qui présentent la plus grande sécurité, et à bord desquels ne sont compromises ni la vie des voyageurs, ni la correspondance, et en outre qu'il se fasse par quelqu'un qui n'a pas intérêt à favoriser Calais.

L'Etat belge, propriétaire du chemin de fer, est grandement intéressé à conserver notre ligne.

Il est arrivé que la compagnie a envoyé à Ostende des bateaux de rivière, et on m'a assuré que le Jupiter, steamer que les entrepreneurs ont l'intention de mettre sur la ligne et qui a été il y a quelques jours à Ostende, est un bateau propre à la Tamise, mais nullement à la mer du Nord.

Sur une idée émise par mon honorable ami M. Sinave, l'honorable ministre des affaires étrangères a répondu que son intention était de remplacer au fur et à mesure les bateaux pilotes à voile par des bateaux à vapeur à hélice. Je crois que cette mesure sera très bonne et utile, même absolument nécessaire, et comme l'a fait observer mon honorable voisin, ces bateaux pourraient porter plus facilement secours à des navires qui peuvent se trouver eu détresse.

En ce moment le bateau n°2 de la station d'Ostende doit être réparé et au lieu de lui faire subir des réparations majeures, je demanderai à l'honorable ministre des affaires étrangères, s'il ne serait pas mieux et plus convenable de commencer immédiatement la construction d'un bateau pilote à hélice destiné pour la station d'Ostende. Je ne demande pas à l'honorable ministre une réponse immédiate, mais je le prie de vouloir examiner avec bienveillance mes idées à cet égard.

M. de Brouckere. - L'honorable M. Loos a dit incidemment quelques mots sur la meilleure manière, selon lui, d'assurer le service qui se fait entre Douvres et Ostende. Si on prend texte de ces paroles comme semble le vouloir M. Sinave, pour ouvrir une discussion sur le point de savoir si ce service doit être laissé au gouvernement ou abandonné à la concurrence, nous aurons incidemment une discussion qui vous entraînera fort loin.

Il me semble que les renseignements qui ont été donnés par l'honorable M. le ministre des affaires étrangères par suite de l'interpellation de l'honorable M. Van Iseghem sont complètement satisfaisants et aussi complets qu'ils peuvent l'être aujourd'hui.

Il n'y a plus qu'une chose à demander à l'honorable ministre, c'est qu'il fasse publier par le Moniteur non seulement le rapport dont il a annoncé la publication, mais tous les renseignements qui pourront être de quelque utilité pour le public, de quelque intérêt pour la Chambre.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - C'est à quoi je m'engage.


M. Vandenpeereboom, obligé de s'absenter, demande une congé.

- Le congé est accordé.

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaire

Discussion des articles

Titre premier. Des grades académiques et des jurys d'examen

Chapitre premier. Des grades
Article 2

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau toutes les pièces originales de l'enquête sur les effets de l'abolition du grade d'élève universitaire.

- Un grand nombre de membres. - Non ! non !

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - J'ai fait collationner les pièces originales avec les pièces imprimées. Aucune espèce de retranchement ou de suppression n'a en lieu.

- De toutes parts. - Personne n'en doute.

M. de Brouckere. - Si c'est par suite de quelques paroles peu obligeantes qui ont été adressées, dans la séance de samedi, à l'honorable M. Dedecker, qu'il veut faire le dépôt qu'il nous annonce, je proteste contre ce dépôt.

- Un grand nombre de membres. - Nous aussi.

M. de Brouckere. - De ce côté de la Chambre (l'orateur désigne les bancs du côté gauche de la Chambre) on peut quelquefois n'être pas d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, on peut le combattre. Mais je ne crains pas d'avancer qu'il n'y a pas sur nos bancs un seul membre qui mette sa loyauté en doute.

M. Van Overloop et >M. Vander Donckt. - Il en est de même sur tous les bancs de la Chambre.

M. de Brouckere. - On me dit qu'il en est de même de l'autre côté de la Chambre. Je n'ai pas le droit de parler en votre nom. Mais je suis sûr de n'être démenti par aucun des membres de la gauche, quand je dis que tous nous rendons justice à la loyauté de M. le ministre de l'intérieur et que nous le savons incapable de tronquer une pièce quelconque, qu'il juge à propos de produire.

M. Rodenbach. - Toute la Chambre partage cette opinion.

M. de Haerne. - Je suis le premier à m'opposer au dépôt proposé par M. le ministre de l'intérieur. Mais je crois devoir répondre en peu de mots à ce qui vient d'être avancé par l'honorable préopinant.

Avant de m'expliquer à cet égard, je me hâte de déclarer qu'avant-hier j'étais dans l'erreur ; mais j’étais de bonne foi.

M. de Theux, rapporteur. - Ce n'est pas mis en doute.

M. de Haerne. - Je tiens seulement à donner à la Chambre une très courte explication pour faire voir que j'étais de bonne foi.

Après la séance d'avant-hier, j'ai écrit au supérieur du collège de Courtrai ; car je me rappelais très bien avoir eu avec lui une conversation où il m'avait dit qu'il était décidé à citer le discours entier prononcé en 1855 par l'honorable ministre de l'intérieur. J'avais gardé le souvenir de cette conversation, et avant-hier, dans l'improvisation, jetant les yeux sur les pièces invoquées par mou honorable préopinant, et ne voyant pas cette citation, dans un moment d'entraînement, par suite de l'improvisation à laquelle je me livrais, il m'est échappé de dire que j'y trouvais une lacune.

Mais je fais appel non seulement aux souvenirs de la Chambre, mais au travail de MM. les sténographes, qui, à ma demande a été conservé au Moniteur, pour fournira la Chambre la preuve la plus forte que j'avais commencé par déclarer que je croyais M. le ministre de l'intérieur incapable de faire à dessein un retranchement quelconque. Mais à la première vue, ne retrouvant pas cité le discours prononce en 1855 par l'honorable M. Dedecker, j'ai cru que, pour abréger, sans en altérer le sens, on avait supprimé une partie de la citation. J'ai ajouté que les passages, que je croyais omis, se trouvaient dans d'autres avis ; mais l'omission, dans une de ces dépositions pouvait égarer celui qui n'aurait pas lu le tout.

Voici donc ce qui m'a été écrit en réponse à la lettre que j'ai écrite immédiatement pour avoir des explications à ce sujet :

« Les renseignements, que j’ai envoyés au ministère touchant l'examen d'élève universitaire, sont conformes au document imprimé par le gouvernement. J'avais cru répondre par le discours de M. le ministre, je vous en avais parlé dans ce sens ; mais après réflexion, j'ai jugé bon d'abréger et de me borner à reproduire l'opinion de M. Dedecker. Je regrette ce malentendu. Vous étiez dans le vrai ; car lorsque j'ai traité cette question avec vous, j'étais décidé à répondre par les paroles mêmes de M. le ministre.

« (Signé) : C. Clement, principal. »

(page 564) Telle a été la véritable cause de ce malentendu, comme rappelle très bien l'honorable auteur de la lettre.

Je n'ai eu aucunement l'intention de dire qu'il y ait eu un retranchement volontaire dans le but d'atténuer la citation ; car le passage que j'ai lu était tout aussi formel que les paroles que l'honorable ministre avait prononcées en 1855, seulement, je le répète, dans un entraînement qui s'explique par l'improvisation, j'ai énoncé une idée inexacte, que j'aurais mieux fait de ne pas émettre.

Si l'on pense que ces explications ne suffisent pas, je suis prêt à souscrire la formule de rétractation que l'on voudra m'imposer, pourvu qu'elle n'ait rien de contraire à l'honneur, c'est-à-dire qu'elle n'implique pas que j'aurais cru M. le ministre de l'intérieur capable d'une chose dont je ne puis croire capable aucun membre de la Chambre. Je connais trop bien et depuis trop longtemps l'honorable ministre de l'intérieur pour oser seulement supposer pareille chose.

Je crois, d'après ce qui se manifeste sur tous les bancs, que ces explications sont jugées suffisantes.

- De toutes parts. - Oui ! oui !

M. de Naeyer. - Je crois être l'interprète des sentiments de la Chambre en déclarant qu'elle est unanime pour considérer comme inutile le dépôt offert par M. le ministre de l'intérieur. (Adhésion générale.)

La discussion continue sur l'article 2.

M. de Haerne. - Dans la discussion d'avant-hier, je suis entré dans quelques développements au sujet de l'institution du grade universitaire. J'ai eu l'honneur d'exposer à la Chambre que j'avais été partisan de cette institution en 1849, mais que plus tard, après l'expérience qui a été faite, j'ai cru devoir me rallier à l'opinion contraire dans l'intérêt des bonnes études. Je n'ai pas eu, vu l'heure avancée de la séance d'avant-hier, le temps d'entrer dans l'examen des points spéciaux qui doivent fixer l'attention de la Chambre.

Je n'ai pu examiner ce qui regarde le projet de M. le ministre de l'intérieur, le projet de la section centrale, ni les amendements qui ont surgi à l'occasion de ces diverses propositions.

La Chambre me permettra de lui exposer quelques considérations à cet égard, pour faire connaître le plus brièvement possible mon opinion.

On veut aujourd'hui remplacer le grade d'élève universitaire par une épreuve préparatoire, que l'élève passerait suppose-t-on à l'université après une année d'étude. (Interruption.) Les élèves seraient libres quant à l'époque à laquelle ils subiraient cet examen, je le sais ; mais on suppose qu'en pratique il aurait lieu après une année d'étude académiques.

Messieurs, s'il était possible d'obtenir des élèves avant cet examen, une année d'études à l'université, je serais assez disposé à me rallier à ce système. Mais je crois que cela serait très difficile et que dans tous les cas on n'atteindrait pas le but que l'on s'est proposé en créant le grade d'élève universitaire, à savoir d'améliorer les études moyennes, qui en général sont trop faibles ; et voici pourquoi je crois qu'on n'atteindrait pas ce but.

D'abord un grand nombre d'élèves viendraient passer cet examen au sortir de leurs études humanitaires.

L'honneur des idées d'économie les y engagerait souvent, et pour mieux passer cet examen, ils étudieraient de préférence, comme cela s'est fait précédemment, les branches qui s'y rapportent. Or, je crois que l'inconvénient serait toujours le même. Car si le programme peut plaire à quelques personnes, à quelques professeurs de l'enseignement moyen, certes, il ne rencontre pas l'assentiment général, il ne donne pas assez de garanties aux études littéraires, surtout anciennes, qui, dans l'opinion d'un grand nombre de professeurs, exigent des analyses oratoires et des discours.

Un pareil programme déplairait à d'autres professeurs. Il serait impossible de satisfaire ces deux grandes opinions.

Il est donc évident qu'on rencontrera les mêmes inconvénients qu'avec le grade d'élève universitaire.

L'élève agira comme par le passé, il étudiera des cahiers, des manuels, il en fera une affaire de mémoire, et les classes seront négligées. Ce sera, comme on l'a dit plusieurs fois, la suppression de la rhétorique, voire même de la seconde.

Je trouve dans le système proposé un autre inconvénient, qui a été signalé dans la discussion générale et qui est relatif à la composition du jury. On a dit que c'était un mal que l'élève ne se présentât pas devant ses professeurs. Cela me paraît incontestable. Cela est vrai d'abord au point de vue de l'élève qui se trouve plus à l'aise lorsqu'il est devant ses maîtres ; mais cela est vrai surtout en ce sens que lorsque l'élève sait qu'il sera obligé de répondre à ses professeurs, il s'attachera beaucoup plus aux cours qu'ils donnent. Le meilleur moyen de relever le niveau des études, c'est de renfermer les jeunes gens dans le cercle de leurs devoirs de classe. C'est là le véritable motif pour lequel on tient à ce que l'élève soit interrogé par ses professeurs, sauf à être contrôlé par d'autres, comme on l'a dit dans la discussion générale. C'est dans ce sens, je crois, qu'abondait l'honorable M. Devaux. Eh bien ! messieurs, vous perdez cet avantage avec le jury tel qu'on veut l'organiser pour l'épreuve préparatoire. Car ce jury sera pris parmi les membres des établissements académiques.

Il est évident aussi que pour adopter le programme qui, je le répète, ne plaira pas aux deux opinions dominantes dans l'enseignement, et il est impossible qu'il plaise à l'une et à l'autre à la fois, vous forcerez les établissements à modifier leur propre programme. Or, je vois là une certaine atteinte portée à la liberté de l'instruction. Je ne dis rien de trop ; car vous ne sauriez croire à quel point cela gênerait certains établissements. Chaque établissement a sa méthode.

L'un fait plus de cas de telles branches ; un autre attache plus d'importance à telle autre branche. La grande division qui existe sous ce rapport consiste en ce que d'un côté on fait prévaloir la littérature, que de l'autre côté on fait prévaloir les sciences.

Il est vrai qu'on se rapproche un peu depuis quelque temps sur ce terrain ; mais on est encore loin de s'entendre.

Or, si vous proposez un seul et même programme, comme on doit le faire pour tous les établissements, il est certain que vous allez gêner au moins une partie de ces établissements, peut-être même les gênerez-vous tous.

Car on finira par faire ce qu'on appelle du juste-milieu, qui ne contentera personne. Ce système appliqué aux études présentera plus de difficultés encore qu'il n'en présente en politique.

Je le répète, messieurs, il y a là quelque chose qui froisse la liberté d'enseignement, et, par conséquent, c'est un mal qu'on doit éviter autant que possible.

Si, dans l'épreuve préparatoire, on introduisait des branches de philosophie, je concevrais jusqu'à un certain point cet examen, parce qu'alors on forcerait l'élève à passer au moins un an à l'université avant de subir son examen. Ce serait là faire en réalité ce que proposait, dans une séance précédente, l'honorable M. Orts, ce serait dédoubler l'ancien examen de candidature en philosophie et lettres, comme cela se pratiquait pour la candidature en sciences.

On a déjà dit plusieurs fois que l'examen présentait en philosophie et lettres le grave inconvénient d'embrasser trop de matières ; il comprenait jusqu'à quinze branches.

C'était accablant pour les élèves. On a donc proposé plusieurs fois de dédoubler cet examen. Si on veut le dédoubler tout en lui conservant son caractère d'examen académique, il faudrait introduire, comme je viens de le dire, dans l'examen préparatoire certaines branches philosophiques. Car alors l'élève ne se présenterait plus pour subir cette épreuve préparatoire au sortir du collège, il ferait auparavant une année d'études universitaires.

Mais on tomberait toujours dans l'inconvénient signalé longtemps avant l'institution du grade d'élève universitaire, inconvénient pour lequel on a même créé cette institution, à savoir que les études des collèges seraient considérablement affaiblis par suite du désir qui porte les élevés vers les universités pour toutes sortes de motifs, entre autres, pour le motif de jouir plutôt de la liberté. L'abaissement des humanités serait toujours la suite de cette mesure à moins qu'elle n'eût pour corollaire la condition du certificat pour l'admission à l'université. Ce système d'épreuve préparatoire à la candidature en philosophie serait rationnel en ce sens que vous auriez un examen réellement académique et non une épreuve d'élève universitaire sous un autre nom.

Messieurs, après avoir longtemps réfléchi à cette matière compliquée et épineuse, je crois réellement qu'il y a un nouvel essai à faire. Je ne dis pas qu'il répondra à l'attente d'une manière certaine, qu'il sera tout à fait sans inconvénient ; mais je crois qu'il faut essayer du système des certificats.

Il est certain que les certificats relèveront considérablement les études classiques. Car ils donneront aux professeurs des collèges une très grande autorité sur leurs élèves. Cela me paraît une chose évidente et l'on atteindra, sauf les exceptions qui se présentent toujours, le but qu'on a voulu atteindre dès 1849, celui de fortifier les études humanitaires.

Maintenant il s'agit de savoir de quelle manière on exigera ces certificats. L'honorable ministre de l'intérieur, dans l'amendement qu'il a proposé, combine les certificats avec l'épreuve préparatoire ; il demande l’épreuve préparatoire et les certificats. On a fait à ce système des objections qui me paraissent assez fondées, jusqu'à présent, en ce sens qu'il sera parfois difficile d'obtenir les certificats et qu'alors l'élève sera nécessairement repoussé. Les certificats seuls, sans aucune autre garantie pour le jury, présenteraient le même inconvénient. Dans le cas où le certificat ne pourrait pas être produit, il y aurait la même difficulté pour l'admission de l'étudiant, que dans l'amendement de l'honorable ministre de l'intérieur. Mais, messieurs, le système de la section centrale me semble le plus fondé, le plus rationnel.

En quoi consiste-t-il ? Il consiste à poser comme règle le certificat, mais dans le cas où le certificat ne peut pas se produire, dans le cas où il est insuffisant, alors l'élève est soumis à une épreuve préparatoire. Ainsi l'examen préparatoire est, pour ainsi dire, la garantie de la valeur du certificat. Il est la sanction de la mesure.

Dans ce système l'élève pourra encore s'adonner à des branches inutiles dans ses cours d'humanités ; mais en général, il s'attachera à ses devoirs classiques, à partir des classes inférieures, car il aura toujours en vue son admission à l'université et il saura qu'il n'y a pour lui qu'un moyen d'y arriver, c'est d'obtenir le satisfecit, ou le certificat.

Messieurs, il y a un autre avantage que je trouve dans le système des certificats ; il résulte de la nature même des choses. Que rencontre-t-on parmi les jeunes gens qui s'adonnent aux études classiques ? Les uns ont de l'aptitude pour telle branche, les autres ont de l'aptitude (page 565) pour telle autre branche. Les uns excellent par le jugement et se portent naturellement vers l'étude des sciences ; les autres ont de l'imagination et préfèrent la littérature ; d'autres enfin sont favorisés d'une excellente mémoire, et s'attachent à l'histoire, à la connaissance des langues. Eh bien, lorsqu'on veut passer un seul et même niveau sur toutes les intelligences, lorsqu'on veut les jeter dans le même moule, il est évident qu'on les gêne toutes et c'est là un immense inconvénient. C'est contrarier la nature, c'est étouffer les germes du génie. Dans les collèges les bons professeurs tiennent compte des diverses dispositions de leurs élèves et en favorisent le développement.

L'histoire démontre que les plus grands hommes se sont presque toujours attachés à la spécialité à laquelle leur génie les appelait. En forçant la nature on ne fait rien de bon.

Le danger que je signale se rencontre dans le grade d'élève universitaire et dans l'épreuve préparatoire qu'on propose d'y substituer. Il faut laisser à l'intelligence la faculté de se développer, il faut laisser agir la nature et ne pas élever la jeunesse en serre chaude, ne pas la soumettre à une règle uniforme,

Pour éveiller et développer les dispositions naturelles de la jeunesse, il faut lui laisser la liberté de les produire et les seconder aussitôt qu'elles se montrent. C'est ainsi que le jeune homme acquiert la conscience de ses facultés, c'est ainsi que le génie se sent naître et se lance dans la carrière, qu'on doit lui ouvrir dès le principe, dès les classes inférieures. Du moment qu'on ne peut pas atteindre ce but, je crois que les humanités sont très exposées à une véritable décadence. C'est là selon moi, un des grands inconvénients que l'on rencontrait dans le système précédent et qui était pour ainsi dire inconnu à l'époque des fortes et brillantes études.

Pour me résumer, messieurs, je dirai que, si l'on admet les certificats, sauf à dédoubler l'examen de la candidature en philosophie d'une manière telle, que la première partie de cet examen soit un véritable examen académique, je crois que ce sera le meilleur système ; je pense que ce serait le meilleur moyen de répondre aux exigences de la situation des études et qu'on obvierait ainsi en grande partie aux inconvénients qui ont été signalés. Dans tous les cas, puisqu'il s'agit d'une loi temporaire, il n'y aurait pas de danger sérieux, il me semble, à faire l'essai du système, tel que je viens d'avoir l'honneur de l'exposer à la Chambre.

M. Moncheur. - Messieurs, je dirai en peu de mots les motifs de mon vote sur la question qui s'agite en ce moment.

Je pense que nous ne devons pas rétablir le grade d'élève universitaire sous le nom d'épreuve préparatoire, parce que, à mon sens, cette épreuve préparatoire serait ou nuisible aux bonnes études moyennes, ou inutile quant à l'enseignement supérieur.

En effet, si l'épreuve préparatoire est sérieuse et roule sur un nombre considérable de matières, comme était l'examen exigé pour le grade d'élève universitaire, elle comprimera l'essor des études humanitaires, au lieu de leur donner un nouvel élan ; si, au contraire, l'épreuve préparatoire n'est pas très sérieuse ; elle sera tout à fait inutile au point de vue de la preuve fournie par le récipiendaire de son aptitude à suivre les cours universitaires.

Vous concevez, en effet, messieurs, que l'élève qui sera parvenu, à l'aide d'un dictionnaire, ou même sans dictionnaire, à faire une traduction latine et un thème grec, pourrait fort bien ne pas être, pour cela, capable de fréquenter avec fruit les cours universitaires.

Il me semble, quant à moi, messieurs, que dans l'état actuel de notre civilisation, avec nos institutions si larges, si libérales, nous devrions laisser libre accès aux universités à tous ceux qui voudraient les fréquenter.

L'enseignement supérieur est payé par tous, donc tous ont le droit de le suivre et de chercher à obtenir les grades qu'il procure à ceux qui l'ont fréquenté avec fruit.

Pour limiter l'exercice de ce droit, il faudrait des motifs d'intérêt général, d'intérêt public, très graves, très patents et non contestés.

Eh bien, messieurs, quels sont les motifs d'intérêt public qu'on peut alléguer pour empêcher le libre accès aux universités à tous les jeunes gens qui veulent s'y présenter ?

J'ai entendu souvent mettre en avant ce premier motif : c'est d'éviter aux parents des dépenses inutiles, des dépenses qui résulteraient du séjour plus ou moins prolongé de leurs fils à l'université, alors qu'ils ne seraient pas capables de suivre les cours avec fruit ; mais, messieurs, est-ce bien là un motif d'intérêt général suffisant pour limiter le droit du père de famille lui-même ?

Est-ce que le gouvernement doit absolument se mettre au lieu et place des parents ?

Est-ce qu'il le doit dans cette circonstance plutôt que dans beaucoup d'autres analogues ?

C'est aux parents à consulter et les capacités de leur fils, le désir qu'ils ont que celui-ci tente la chance d'arriver jusqu'au bout des études universitaires, et les moyens pécuniaires qu'ils possèdent pour lui permettre de le faire ; mais pas plus dans ce cas que dans mille autres circonstances de la vie, l'Etat ne doit, selon moi, vouloir conduire les parents comme par la main et se meure, je le répète, à leur lieu et place.

On allègue, comme second motif, la nécessité de forcer les jeunes gens à faire des études moyennes telles qu'ils puissent aborder avec fruit l'enseignement supérieur. Mais, messieurs, il existe deux moyens très simples d'arriver à ce même but ; but que nous poursuivons tous d'ailleurs, c'est d'abord de maintenir le niveau de l'enseignement supérieur à une élévation telle, que tous les jeunes gens soient bien convaincus que, s'ils ne sont pas suffisamment préparés, ils ne pourront pas aborder cet enseignement supérieur.

C'est, en second lieu, la sévérité de l'examen de candidat en philosophie et lettres. Je dis donc que si tous les jeunes gens sont bien convaincus qu'il faut avoir déjà atteint un degré d'instruction assez élevé pour être capables de fréquenter avec fruit les cours de littérature et de philosophie qui se donnent à l'université, ils ne s'y présenteront en général que si leurs études humanitaires ont été suffisamment fortes, et en outre, s'ils savent que l'examen de candidat en philosophie et lettres sera assez sévère pour qu'ils ne puissent le subir et obtenir le grade qui en est la suite, sans connaître bien les matières qui en font l'objet, ils y regarderont à deux fois avant de cherchera franchir le seuil de l'université.

Ainsi cette certitude que les jeunes gens auraient, que l'enseignement supérieur sera tenu à un niveau élevé, qu'il ne sera pas abordable pour ceux qui ne seront pas suffisamment préparés ; cette certitude sera un frein puissant pour les empêcher d'aborder inconsidérément les études universitaires, et elle sera en même temps un stimulant pour l'enseignement moyen.

Le troisième motif d'empêcher le libre accès des universités, sera-t-il la nécessité de maintenir le niveau de l'enseignement supérieur à la hauteur qui lui convient ?

Mais il est évident que le niveau de cet enseignement doit en tout cas être maintenu à cette hauteur, qu'il doit rester en rapport avec la science et ne doit pas descendre en raison de la faiblesse des mauvais élèves.

Dans d'autres capitales, à Paris, par exemple, est-ce que les professeurs de l'enseignement supérieur, soit de la Sorbonne, soit du collège de France, proportionnent leurs leçons à la faiblesse des élèves les moins bien préparés qui peuvent se trouver au nombre de leurs auditeurs ? Non certainement. Les professeurs maintiennent leur enseignement au niveau qu'il doit avoir et n'ont pas égard aux élèves retardataires, à ceux qui, par cela même qu'ils sont retardataires, doivent se retirer lorsqu'ils sont convaincus qu'ils ne peuvent pas fréquenter fructueusement les cours.

Ce n'est pas toujours ce qu'on a fait dans nos universités.

J'ai sous les yeux un rapport sur les universités de l'Etat, présenté à la Chambre le 7 novembre 1848, et j'y lis qu'à Gand deux professeurs, MM. Moke et Rassmann y ont été respectivement chargés de cours de latin et de grec, qui n'étaient que des explications d'auteurs ; que la même chose eut lieu à Liège ; or, c'est en laissant descendre ainsi l'enseignement supérieur jusqu'à l'enseignement moyen, qu'on a nui à ce dernier, car dès l'instant que les jeunes gens ont connu que l'on pouvait impunément se rendre à l'université sans avoir fait des études humanitaires complètes, et que l'on retrouvait même, dans le sein des universités, un supplément à l'enseignement moyen, ils n'ont pas hésité à s'y rendre.

Mais, messieurs, on a fait plus, on est, pour certaines matières, descendu jusqu'au degré de l'enseignement primaire. En effet, voici ce que je lis encore dans le rapport susmentionné :

« A Gand, M. le professeur Manderlier donne un cours de mathématiques élémentaires, afin de suppléer à l'insuffisance de l'enseignement moyen. »

- Un membre. - Cela se passait avant la loi de 1849.

M. Moncheur. - Sans doute, mais mon but est de faire remarquer que si on laisse fléchir le niveau de l'enseignement supérieur, on fera également tomber celui de l'enseignement moyen, tandis que si on maintient d'une manière inflexible, l’enseignement supérieur, tant par les leçons que par les examens, à la hauteur qui lui convient, les études humanitaires devront nécessairement s'élever dans la même proportion afin de l'atteindre.

Alors il sera bien reconnu qu'il est inutile que tout élève trop faible se présente pour suivre les cours de l'université et s'il s'en présente quelques-uns et qu'après une épreuve de quelques mois, ils soient obligés de se retirer, ils devront imputer à eux-mêmes l'excès de confiance qu'ils auront eu dans leurs forces, et du reste, le mal ne sera pas grand, même pour eux, puisqu'ils auront toujours pu recueillir quelques fruits de leur séjour dans le temple de la science.

Messieurs, ce régime du libre accès des universités serait-il nouveau en Belgique ? Non ; il existait dans les anciennes universités des Pays-Bas.

Lorsqu’en 1825, je me suis présenté à l'université de Louvain pour suivre les cours de philosophie, on ne m'a rien demandé, si ce n'est mon acte de naissance et l’autorisation de mes parents. Cela se pratique encore aujourd'hui dans un très grand nombre d'universités, où ou ne demande à l'élève qui est en état de minorité, que la preuve du consentement de son père ou de son tuteur.

Ainsi, quand un jeune homme s'inscrit à Paris à une faculté quelconque, il doit produire son extrait de naissance et l'autorisation de ses parents, s'il est mineur. Ce sont là les deux seules pièces qu'on lui demande ; et en effet, quand on se présente à l'université, à l'âge de dix-sept ou dix-huit ans, muni du consentement de son père ou de son tuteur, il me semble que c'est là tout ce qu'on peut strictement exiger.

La section centrale propose cependant d'exiger des certificats (page 566) constatant qu'on a fait un cours complet d'humanités ? Je ne repousse pas d'une manière absolue cette proposition ; je déclare qu'à mon sens on exagère l'importance de ces certificats au point de vue de la garantie qu'ils peuvent fournir de l'aptitude et de l'instruction des jeunes gens qui en seront porteurs. Leur plus grande utilité sera, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Haerne, d'établir un certain lien d'autorité entre le professeur et l'élève.

Messieurs, lorsqu'on veut trop réglementer, on tombe souvent, dans les détails dont il est bien difficile de prévoir toutes les complications.

C'est ainsi que M. le ministre de l'intérieur a proposé, par amendement, de cumuler, dans tous les cas, les certificats avec l'épreuve préparatoire ; mais on lui a fait immédiatement remarquer qu'une semblable disposition serait contraire et à l'esprit de la Constitution, et à l'article 7 du projet de loi, aux termes duquel toute personne peut se présenter aux examens et obtenir des grades, sans distinction du lieu où elle a étudiée et de la manière dont elle fait ses études.

Il est évident, en effet, qu'il y a des cas où il serait impossible d'obtenir les certificats exigés ; par exemple, quand on a étudié à l'étranger ou sans maître. Il faudrait donc déjà, pour ces cas, faire des exceptions. Il y aurait, si j'ai bien compris le moyen suggéré immédiatement aussi par M. le ministre de l'intérieur, il y aurait une aggravation dans l'épreuve préparatoire de l'élève privé de certificats. Un article spécial de la loi spécifierait les matières sur lesquelles l'élève devrait être interrogé ! Ce serait une nouvelle complication !

Des règles plus simples et surtout une plus grande liberté me sembleraient désirables. Je n'exigerais, en principe, des élèves qu'une condition d'âge, et je placerais la plus grande garantie de la force des études universitaires dans les examens qui couronnent ces études et dans l'élévation de l'enseignement lui-même.

Il y a, messieurs, un autre motif pour lequel je repousserai cet examen de l'épreuve préparatoire ; c'est que déjà il existe trop d'examens, et qu'un temps déjà trop considérable est perdu à faire des examens ; faut-il, par une complication nouvelle, augmenter cette perte de temps et pour les professeurs et pour les élèves ? Non sans doute. Nous éprouvons déjà de très grandes difficultés à composer les jurys d'examen là où ils sont tout à fait nécessaires ; ces difficultés existent surtout au point de vue de l'impartialité que nous voulons tous obtenir de la manière la plus complète possible ; faut-il encore compliquer ces difficultés en créant un jury spécial pour l'épreuve préparatoire aux études universitaires ? Je ne le pense pas.

Je voterai donc contre la disposition de l'article 2 du projet du gouvernement et quant aux certificats, je les admettrai, mais à titre d'essai seulement et dans les limites du projet de la section centrale.

M. de Brouckere. - Messieurs, la question qui s'agite en ce moment, importante, très importante pour chacun de vous, l'est pour moi au même titre ; elle a, en outre, à mes yeux un intérêt spécial. En effet, c'est la solution donnée par la Chambre en 1855 à cette même question qui a été sinon la cause déterminante, au moins l'occasion de la retraite de l'honorable M. Piercot qui était alors ministre de l'intérieur, retraite, vous le savez, à laquelle tous ses collègues se sont associés.

C'est une chose curieuse, très curieuse que de relire aujourd'hui comment et dans quelles circonstances le grade d'élève universitaire a été supprimé en 1855. On vous en a déjà dit quelques mots, permettez-moi d'y revenir très succinctement.

Le ministre de l'intérieur, obéissant à une prescription de la loi, avait présenté à la Chambre quelques dispositions destinées à introduire des modifications dans notre législation sur l'enseignement supérieur.

Après un examen très superficiel, je dois le dire, dans les sections, après un autre examen dans la section centrale, on était pour ainsi dire tombé d'accord pour ajourner la discussion du projet de loi qui avait été présenté à la Chambre et pour proroger la combinaison établie jusqu'alors en ce qui concertait la composition des jurys d'examen, lorsque poussé, je dois le dire, par un mouvement de mauvaise humeur que celui-là même auquel je fais allusion ne niera pas lui-même, un honorable membre se leva et proposa la suppression du grade d'élève universitaire.

Cette proposition fut regardée comme ayant si peu de chance d'être favorablement accueillie, que le ministre de l'intérieur ou plutôt aucun membre du gouvernement ne se donna pas la peine de le combattre. Je crois même ne pas aller trop loin en disant que l'auteur de l'amendement lui-même ne comptait pas avoir le succès qu'il a eu. On alla aux voix par assis et levé et l'amendement se trouva adopté.

M. Coomans. - Il y a eu un second vote.

M. de Brouckere. - Permettez-moi de continuer ; peut-être l'honorable membre a-t-il trouvé le moyen de dire plusieurs choses à la fois ; pour moi jusqu'à présent je n'ai pu en dire qu'une.

Je continue. Savez-vous comment un de nos collègues s'exprimait sur ce qui s'est passé dans cette séance ? Je vais vous le rappeler : « Depuis près d'un quart de siècle, disait l'honorable M. Devaux, que la Chambre des représentants existe, je ne me souviens pas qu'il se soit passé dans ses débats un fait analogue à l'adoption de l'amendement dont nous nous occupons. »

Et je crois, en effet, que jusqu'alors il ne s'était passé rien d'analogue dans aucune assemblée sérieuse.

Un deuxième vote eut lieu comme on vient de le rappeler, mais que s'est-il passé lors de ce deuxième vote ? L'honorable orateur de l'amendement le soutint ; c'était le mieux qu'il pouvait faire ; l'honorable M. de Haerne parla également en faveur de l'amendement ; il fut combattu par le ministre de l'intérieur et par l'honorable M. Devaux.

Après cela vint, un autre orateur, ce fut l'honorable M. Dedecker, qui appuya l'amendement d'une manière si explicite, si énergique et si éloquente, je le reconnais, que ce fut lui qui emporta le vote par lequel cet entendement fut définitivement maintenu.

Ici je tiens à constater deux choses : la première, c'est que le grade d'élève universitaire, ou pour m'exprimer d'une manière plus générale, l'épreuve préparatoire pour les jeunes gens qui se présentent à un examen universitaire a eu pour principaux adversaires M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Verhaegen, tandis qu'aujourd'hui c'est M. le ministre de l'intérieur qui demande le rétablissement de l'épreuve préparatoire et qu'il est énergiquement soutenu par l'honorable M. Verhaegen.

Je prie la Chambre d'être convaincue que dans ce petit examen rétrospectif, je ne me sens mû par aucune rancune, par aucune mauvaise humeur, par aucun sentiment fâcheux ; au contraire.

Je félicite très sincèrement et de très bon cœur M. le ministre de l'intérieur de la loyauté avec laquelle il est venu reconnaître devant la Chambre qu'il avait eu tort de nous combattre en 1855, et avec laquelle il est venu lui-même demander le rétablissement d'une institution qu'il avait si vivement attaquée, sans en avoir bien pesé tous les avantages.

Je félicite également l'honorable M. Verhaegen, qui, en 1855, avait obéi à un mouvement fort peu calculé, et qui aujourd'hui, mieux instruit, prête son concours à M. le ministre de l'intérieur.

L'honorable M. Verhaegen a d'ailleurs expliqué quelles sont les raisons pour lesquelles il est venu aujourd'hui demander le rétablissement du grade d'élève universitaire.

Je souhaite donc vivement que M. le ministre de l'intérieur sorte triomphant de la discussion actuelle. Ce sera pour lui un succès, et il me permettra de le dire, c'en sera un pour l'administration qui a précédé le ministère actuel, administration qui déjà a reçu dans une séance précédente une très grande satisfaction, puisque la Chambre, à une forte majorité, a maintenu la.législation en vigueur, quant à la composition des jurys d'examen, législation que le ministère dont je faisais partie avait également proposé de maintenir.

Nous sommes donc en présence de quatre opinions.

Je place en première ligne ceux qui veulent que l'élève qui se présente devant un jury universitaire ne soit astreint à aucune épreuve et à aucune preuve. Je crois que cette opinion n'a plus pour elle qu'une très petite minorité dans la Chambre. Elle vient d’être défendue fort timidement par un honorable orateur qui m'a précédé. Il a bien dit, en finissant, qu'il voterait pour les certificats, pourvu qu'ils fussent réduits à leur plus simple expression. Mais, dans le cours de son discours, il a cherché à démontrer que les certificats n'étaient pas une chose bien indispensable, cependant le but principal de l'honorable membre a été de combattre le rétablissement du grade d'élève universitaire.

Mais vous aurez tous été frappés comme moi des motifs qu'il a fait valoir contre le rétablissement de ce grade. En effet, voici ce qu'il y a de plus saillant dans le discours de l'honorable M. Moncheur. Il vous a dit qu'en 1848, remarquez la date, les études humanitaires étaient tombées tellement bas, que, dans certaines universités, on avait été obligé de créer des cours spéciaux pour suppléer à ce que laissaient à désirer les études humanitaires.

Je réponds à l'honorable membre qu'il est impossible de fournir une meilleure preuve pour venir en aide à l'opinion que nous défendons et qui est favorable au rétablissement du grade d'élève universitaire. Oui, en 1848, les études humanitaires laissaient beaucoup à désirer, c'est précisément pour cela qu'en 1849, on a décidé qu'à l'avenir on n'admettrait plus à l'enseignement supérieur, c'est-à-dire devant le jury universitaire, que les jeunes gens qui par une épreuve préparatoire auraient démontré qu'ils ont suivi des cours humanitaires complets et avec fruit.

Et à cette époque, il n'y avait qu'une voix pour reconnaître qu'il était temps de prendre une mesure qui arrêtât l'abaissement progressif des études humanitaires. L'opinion que l'honorable M. Moncheur soutien aujourd'hui ne trouva aucun défenseur, par même dans la personne de M. Moncheur. Je ne m'arrête pas à cette première opinion. Je suis persuadé qu'elle ne sera admise que par très peu de voix, si tant est qu'il s'en élevé pour essayer de la faire prévaloir.

La deuxième opinion est celle des membres de la Chambre qui, d'accord avec le premier projet du gouvernement, veulent que l'élève universitaire, c'est-à-dire l'élève qui se présente à l'examen universitaire soit soumis à une épreuve préparatoire, que cette épreuve ait ou non le grade d'élève universitaire pour but.

La troisième est celle des honorables membres qui, avec la section centrale, cherchent à faire substituer les certificats à l'épreuve préparatoire.

(page 567) Enfin vient l'amendement de l'honorable M. Dedecker, qui fait cumuler et les certificats et l'épreuve préparatoire. De ce dernier système je dirai fort peu de chose, parce que ma conviction est qu'il ne triomphera pas dans cette assemblée. Je suis même persuadé qu'avant la fin de la discussion, il sera sinon abandonné par M. le ministre de l'intérieur, au moins sérieusement modifié.

M. le ministre de l'intérieur a déjà senti toute la valeur du dilemme qui a été présenté samedi par l'honorable M. Malou. Il est évident que, pour tous ceux qui attachent quelque importance aux certificats, il y a réellement double emploi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Ce sont deux choses distinctes. Ces certificats sont la preuve matérielle de la fréquentation des cours d'humanités. L'épreuve préparatoire prouve que les cours ont été suivis avec fruit.

M. de Brouckere. - Mais si l'épreuve prouve que les cours ont été servis avec fruit, pourquoi demander que l'on prouve la fréquentation matérielle ?

J'en reviens donc à ce dilemme dont il est impossible de sortir. Je dis que pour ceux qui considèrent les certificats comme ayant une valeur quelconque, il y a double emploi.

L'épreuve suffit, les certificats sont inutiles. Pour ceux qui, comme moi, regardent les certificats comme n'étant d'aucune valeur, c'est une superfétation.

Ce système, je le répète, ne peut pas rencontrer dans la Chambre d

Nous restons donc en présence de deux opinions : Faut-il soumettre l'élève à une épreuve préparatoire ? Faut-il se contenter de la production de certificats ?

Messieurs, je m'étais donné une peine que beaucoup d'entre vous n'auront pas prise. J'ai parcouru depuis la dernière séance le cahier d'enquête dont on a parlé samedi, et savez-vous ce qui m'a paru résulter à toute évidence de l'ensemble de cette enquête ? Le voici : c'est qu'en général les établissements d'enseignement moyen complets, bien organisés, où les études sont fortes, qui jouissent d'une réputation méritée, sont favorables au rétablissement du grade d'élève universitaire, et qu'au contraire les établissements qui ne sont pas complets (nous en avons un assez bon nombre), ceux où, s'il faut en croire l'opinion générale, les études laissent beaucoup à désirer, où les études sont faibles, s'élèvent vivement contre toute épreuve préparatoire et donnent la préférence au système des certificats.

J'ai fait encore une autre remarque en lisant ce cahier : c'est qu'en général les établissements qui prennent part aux concours organisés pour l'enseignement moyen et qui ont des succès dans ces concours, désirent que leurs élèves soient soumis à une épreuve préparatoire, et que les établissements, au contraire, qui n'osent pas entrer en lice ou dont les élèves n'ont eu aucun succès, se prononcent pour les certificats.

Messieurs, ce simple résumé, s'il est exact, me semble décider le procès.

Vous parlez toujours de relever le niveau des études. Mais quel est le meilleur moyen de relever le niveau des études ? Croyez-vous que ce soit de mettre sur le même rang les bons et les mauvais établissements, les bons et les mauvais élèves ? Il est impossible qu'on me réponde sérieusement oui.

Je dis qu'adopter un pareil système, c'est ravaler les études.

Mais, messieurs, en adoptant le système des certificats de préférence à celui de l'épreuve préparatoire ; vous ne mettez pas seulement sur le même rang les bons et les mauvais établissements, les bons et les mauvais élèves. Vous faites plus : vous donnez une protection spéciale aux mauvais établissements et aux mauvais élèves.

En effet, l'intérêt des jeunes gens qui ne veulent pas étudier pour la science, qui ne font d'études que pour arriver à un grade ou à un titre, leur intérêt sera d'aller à de mauvais établissements, de fréquenter des écoles incomplètes, parce que les études, qui s'y font très mal, il est vrai, s'y font aussi très vite. Ainsi, par exemple, un jeune homme qui aspire peu à tirer un grand profit des leçons qu'il va fréquenter, mais qui veut tout simplement avoir le titre d'avocat ou de médecin, et par conséquent arriver le plus tôt possible à l'université, fera mieux d'aller à ce qu'on nomme une école latine, qu'à un collège organisé comme le collège de Bruxelles, de Gand ou de Liège. A ces écoles latines il y a quatre ou cinq professeurs ; on fait faire à l'élève un cours en aussi peu d'années qu'il le désire.

En quatre ou cinq ans, il aura terminé un cours qu'on dira parfaitement complet, et il pourra se présenter à l'université, tandis que ceux qui vont à un établissement bien organisé où les études sont fortes, il faut qu'ils passent toutes les classes, qu'ils commencent par la dernière et ils n'arrivent à la rhétorique qu'après avoir passé par toutes les classes intermédiaires.

C'est donc, je le répète, une véritable protection que le système des certificats accordera aux mauvais établissements et aux mauvais élèves.

Mais les élèves qui ne veulent pas étudier sérieusement pourront même se dispenser de se rendre à un établissement quelconque. Sans se déplacer, ils prendront un répétiteur, un soi-disant répétiteur ; ce répétiteur leur donnera quelques manuels, quelques livres qu'il est facile de se mettre dans la mémoire ; au bout de fort peu de temps, au bout de leçons fort peu nombreuses, mais qui auront été bien payées, l'élève obtiendra le plus beau certificat possible, et muni de ce certificat constatant qu'il a fait un cours d'études complet, qu'il est parfaitement, à même de suivre le cours des universités, il se présentera devant le jury académique, et il sera au même niveau que les meilleurs des élèves sortant des meilleurs des athénées et y ayant fait les études les plus complètes et les plus sérieuses.

Voilà, messieurs, les deux systèmes mis en présence, et à moins que ce que j'ai dit ne soit pas exact, je ne comprends pas que l'on puisse hésiter entre l'épreuve préparatoire et les certificats.

L'honorable M. de Haerne, qui a achevé dans cette séance un discours qu'il avait commencé samedi, a combattu l'opinion que je préconise, comme il l'avait, du reste, combattue en 1855. Mais il m'a paru cependant qu'il n'était pas un adversaire bien prononcé du système de l'épreuve préparatoire.

L'honorable M. de Haerne ne me paraît pas avoir combattu le système de l'examen préparatoire, d'une manière absolue. Il vous a dit, en effet, que si cette épreuve avait pour but de dédoubler le premier examen que les élèves subissent devant le jury universitaire, elle aurait un bon côté. Eh bien, que l'honorable membre veuille relire ce qui s'est dit en 1849, qu'il veuille relire ce qui s'est dit en 1855 et il verra que toujours on a été d'accord pour assigner deux buts à l'épreuve préparatoire ; premièrement améliorer, renforcer les études humanitaires, secondement dédoubler les premiers examens que les élèves avaient à passer devant le jury universitaire. Cela a été dit dans tous le temps et en termes on ne peut plus explicites.

Ainsi donc, d'après l'honorable M. de Haerne lui-même, l'épreuve préparatoire aura un bon résultat que nous n'aurions pas avec les certificats.

M. de Haerne. - J'ai dit qu'il faudrait deux examens philosophiques.

M. de Brouckere. - L'honorable membre a dit qu'il faudrait deux examens philosophiques ; mais je demande à l'honorable membre où est la différence entre dire qu'il y aura deux examens philosophiques et dire qu'il y aura un examen philosophique et un premier examen dans lequel on fera entrer une partie des matières de l'examen philosophique tel qu'il existe aujourd'hui.

Vous voyez bien que les explications que vous donnez ne font que me confirmer dans cette idée qu'en réalité vous n'êtes point l'adversaire de l'épreuve préparatoire. Si on la modifie un peu, vous l’accepterez peut-être aussi ; vous ne l'avez combattue que timidement et vous nous avez déjà accordé gain de cause sur l'une des deux questions qui sont pendantes. J'admets qu'il faut dédoubler le premier examen universitaire ; nous sommes d'accord, vous et moi ; je vais un peu plus loin et je dis que tout en dédoublant le premier examen universitaire nous atteindrons encore un autre but, c'est d'améliorer les études humanitaires et, à coup sûr, ce n'est pas l'honorable M. de Haerne, ce n'est pas un esprit aussi éclairé que lui qui s'opposera à ce qu'on cherche le moyen d'améliorer des études dont il apprécie toute l’importance.

J'ai entendu, messieurs, un honorable orateur donner comme raison déterminante en faveur des certificats, qu'il y avait aujourd'hui trop d'examens et qu'il ne fallait pas en augmenter le nombre, si tant est qu'il ne faille pas même le réduire. Je reconnais, messieurs, que dans notre système d'enseignement universitaire les examens sont assez nombreux ; je reconnais même qu'ils sont trop compliqués, puisque je suis d'accord avec M. le ministre de l'intérieur pour réduire le nombre des matières sur lesquelles roulent les examens.

Nous avons des examens nombreux, cela est donc vrai ; mais, messieurs, si vous avez beaucoup d'examens pour les études universitaires vous n'en avez plus un seul pour les études humanitaires, et quand vous en avez un grand nombre pour les universités vous ne songez pas à diminuer ce nombre, mais que faites-vous ? Vous maintenez la suppression du seul examen qui existait en faveur des études humanitaires.

Proposez par un amendement, si vous le voulez, de réduire le nombre des examens qui se passent devant les jurys de l'enseignement supérieur, j'examinerai la proposition et je ne serai peut-être pas un des derniers à l'accepter ; mais, par contre, accordez-moi, je vous en conjure, accordez-moi le rétablissement du seul examen qui existait et qui puisse exister pour assurer de bonnes études humanitaires, études sans lesquelles on ne passe pas, devant le jury universitaire, de bons examens, car les études humanitaires sont la base indispensable d'une instruction solide.

Messieurs, je m'arrêterai là et je conclus en disant qu'il y a, selon moi, deux systèmes en présence, l'un, celui des certificats, qui aura pour résultat inévitable de faire baisser le niveau des études, l'autre qui aura pour résultat tout aussi inévitable de les relever, c'est celui de l’épreuve préparatoire. Messieurs, si nous succombons, nous, (page 568) partisans de l'épreuve préparatoire, si nous succombons aujourd'hui le temps ne sera pas très éloigné où vous verrez sur cette matière un revirement d'opinions que ce qui se passe aujourd'hui nous permet déjà de prévoir.

D'ici à peu de temps le nombre de ceux qui voudront rétablir l'examen préparatoire grossira considérablement ; mais ne croyez pas qu'alors vous puissiez réparer le mal que vous aurez fait aujourd'hui.

Non, on se sera habitué à regarder les études humanitaires comme peu importantes, ces études seront devenues beaucoup plus faibles, les professeurs n'auront plus la même énergie, les étudiants ne fréquenteront les cours qu'avec mollesse.

Pourquoi se donneraient-ils beaucoup de peine ? Ils n'auraient, aucune preuve à fournir qu'ils ont suivi les cours avec fruit ; il leur suffira, pour me servir d'une expression qu'on a employée tout à l'heure, de démontrer que, matériellement, ils ont fait de certaines études. Eh bien, je le répète, d'ici à peu de temps les études humanitaires seront tombées tellement bas, que vous aurez beau rétablir ce que vous avez imprudemment démoli il y a deux ans et ce que vous refusez de rétablir aujourd'hui, les études humanitaires seront perdues pour longtemps.

M. Anspach. - Messieurs, on s'est généralement plaint de l'abaissement des études dans l’enseignement moyen ; je dis l'enseignement moyen, car je n'admets pas les plaintes qui se sont produites dans cette enceinte sur l'affaiblissement des études en général, je les regarde comme souverainement injustes, c'est nier les progrès évidents que nous avons sous les yeux ; peut-être avons-nous de moins quelques savants en us, mais le mal n'est pas grand, et nous voyons par contre une instruction solide répandre ses lumières sur la jeunesse qui se montre avide de les acquérir, et cela, je dois le dire, plus qu'à aucune autre époque.

Puisqu'on se plaint de l'abaissement des études dans l’enseignement moyen, il faut chercher à les relever. Il me semble que l'opinion de la section centrale qui propose d'admettre des certificats en remplacement de l'examen des élèves universitaires, va précisément à rencontre de cette amélioration des études moyennes. En effet, messieurs, qu'arrivera-t-il avec ces certificats donnés par un grand nombre de personnes ?

Quelle assurance aurez-vous qu'ils seront délivrés avec impartialité, qu'ils ne seront pas arrachés par l'importunité, par le désir de plaire aux parents, par une infinité d'influences, qu'il est inutile d'indiquer, mais qui sautent aux yeux. Ce qui fera qu'au lieu d'avoir une preuve de la capacité de l'élève, une preuve que ses études le mènent en état d'entrer à l'université, vous n'aurez qu'un chiffon de papier qui n'aura aucune signification. Croyez-vous que cela contribuera à relever l'enseignement moyen ? Je pense que ce sera tout le contraire qui arrivera, puisqu'on aura la faculté de se passer de suivre les classes de l'athénée qui verra ainsi diminuer son importance.

On a beaucoup parlé contre l'examen pour le grade d'élève universitaire, mais ce n'était pas du tout contre l'examen en lui-même, mais bien contre la manière dont il était organisé ; car cet examen est la sauvegarde de la réputation de l'université en ce sens qu’il en défend l'entrée à l'ignorance et à l'incapacité ; il est le lieu nécessaire, la transition entre l'enseignement moyen et l'enseignement supérieur ; s'il est rétabli, il aura l'avantage d'ouvrir les yeux aux jeunes gens qui n'ayant pas travaillé dans les classes croient qu'avec un peu d'audace et de bonheur, ils pourrront arriver à l'université, et en effet, ou a vu des élèves de troisième incapables de passer en seconde et encore bien moins en rhétorique qui se sont présentés d'emblée à l'université et qui ont été reçus.

De pareilles choses n'arriveront plus, les élèves verront qu'il faut travailler ou renoncer aux études supérieures. Cela diminuera peut-être le nombre des élèves, mais le mal ne sera pas grand, parce qu'avec eux, disparaîtront ces médiocrités qui ne font pas honneur aux universités dont ils suivent les cours.

Cet examen comprenait beaucoup trop de matières dont l'étude écrasait la mémoire de l'élève, sans beaucoup développer son intelligence, en sorte qu'un élève consciencieux, travailleur, qui voulait se mettre à même de passer brillamment sou examen, était obligé à un travail excessif, qui, prolongé pendant plusieurs mois, compromettait sa santé et quelquefois, à son grand désespoir, le forçait à retarder ce même examen pour lequel il avait fait de si violents efforts. Mais ces reproches qu'on pouvait faire avec justice à cet examen, étaient-ils de nature à le faire complètement rejeter ? En aucune manière. Il fallait seulement.adoucir ce qu'il avait de trop sévère, retrancher les matières qui étaient superflues, transporter aux cours donnés à l'université celles qui naturellement se trouvent dans ces cours et qui, par conséquent, ne doivent pas se trouver dans un examen préparatoire.

Cet examen comprenait :

« Le latin et le grec, l'allemand ou l'anglais, l'histoire universelle, la géographie ancienne et moderne, l'histoire de la Belgique, l'algèbre jusqu'aux équations du deuxième degré, la géométrie élémentaire, et la trigonométrie rectiligne, les éléments de la physique, plus une composition latine et française. »

Toutes ces matières, il est vrai, ont été traitées dans les classes que l'élève a suivies pendant cinq ou six ans, mais au moment de son examen, il doit les avoir toutes présentes à son esprit et à sa mémoire: vous conviendrez que le fardeau est lourd, mais il est possible de le diminuer.

Est-il nécessaire de mettre dans un examen préparatoire la géographie ancienne, l'histoire universelle qui reviendra dans ses cours suivants, l'histoire de Belgique qui sera traitée d'une manière approfondie plus tard, de même que la physique et une partie des mathématiques ? On pourrait donc se borner à examiner les élèves, sur le grec et le latin, sur une des langues allemande ou anglaise, sur l'histoire ancienne, grecque et romaine, sur la géographie moderne, sur les mathématiques. L’élève qui répondrait bien à un pareil examen serait certes très capable d'entrer à l'université.

Je voterai donc contre les certificats proposées par la section centrale et pour le rétablissement du grade d'élève universitaire, avec l'adoucissement que je propose dans l'examen qui devra avoir lieu pour l'obtention de ce grade.

M. de Muelenaere. - Messieurs, presque tous les hommes qui s'occupent d'une manière particulière de l'instruction publique semblent pénétrés de la nécessité de relever le niveau des études universitaire. Selon moi, le plus sûr moyen d'arriver à ce résultat, c'est de fortifier l'enseignement moyen. Cet enseignement est la base et le fondement de tout progrès ultérieur.

Je crois que nous sommes donc tous d'accord sur la nécessité d'exiger d'une manière sérieuse que l'élève qui se présente à l'université justifie préalablement d'avoir fait un cours complet d'humanités. Mais comment, messieurs, parvenir à obtenir cette justification ? C'est là où commence le dissentiment.

La section centrale vous propose d'assujettir l'élève à l'obligation de produire un certificat constatant qu'il a achevé ses études moyennes. Ce certificat serait délivré par les chefs des établissements dont l'élève a fréquenté les cours, ou bien par les professeurs particuliers dont il a suivi les leçons.

D'autres demandent le rétablissement du grade d'élève universitaire. Quant à moi, je n'éprouve aucune espèce de répulsion contre le rétablissement de ce grade.

Il a été établi comme un moyen de stimuler les éludes. L'intention était donc fort louable.

Mais si le grade d'élevé universitaire n'a pas répondu à l'attente publique ni aux espérances que cette institution avait fait concevoir, c'est peut-être parce que le programme des matières était mal établi.

S'il y avait moyen de me présenter un programme acceptable, je n'aurais aucune répugnance à voter le rétablissement de quelque chose d'analogue au grade d'élève universitaire.

Mais je crois que c'est là que gît la grande difficulté. Cette institution a échoué une première fois contre le vice du programme, et elle viendra échouer encore contre le même obstacle. Cela tient à la nature même des choses.

Permettez-moi de vous en dire en deux mots les raisons.

Quel doit être le but de l’enseignement moyen ?

Evidemment le but de l'enseignement moyen n'est pas de former immédiatement un savant ni un érudit, mais bien de développer d'une manière générale toutes les facultés intellectuelles et morales de l'élève.

C'est pour cela qu'à mon avis, ce ne sont pas les sciences exactes qui doivent avoir la préférence dans l'enseignement moyen, mais que c'est surtout la littérature qui doit prédominer dans cet enseignement.

Pour tous ceux qui sont de cet avis, vous sentez, messieurs, qu'il devient d'une difficulté réellement insurmontable de trouver un programme rationnel ; car vous ne pourrez jamais, d'après un semblable examen et surtout après un examen isolé, juger de l'aptitude générale de l'élève qui se présente ; il faudrait du moins soumettre cet élève à plusieurs examens successifs, pour avoir une idée exacte de sa capacité réelle.

Dès lors, aussi longtemps qu'on ne m'aura pas présenté un programme ni indiqué le jury devant lequel l'élève sera appelé pour subir un examen, il me serait impossible de voter le rétablissement du grade d'élève universitaire.

M. le ministre de l'intérieur propose de combiner le certificat avec une épreuve préparatoire. Quant à moi, je pense que la production du certificat est un essai à faire et je crois qu'on peut espérer de cet essai quelques bons résultats.

D'abord, le certificat doit être une chose sérieuse ; on pourrait même, au besoin, l'entourer de quelques formalités, afin qu'il acquière toute la valeur qu'il doit avoir.

Je dis que le certificat est une bonne chose, parce que, dans toutes les hypothèses, il fournil la preuve que l'élève a réellement achevé ses études et qu'il a parfait un cours entier ; ce qui, à nos yeux, est très important. Or, vous n'aviez pas cet avantage, même sous l'institution du grade d'élève universitaire ; car les documents qui nous ont été distribués constatent que, sous l'empire de cette institution, plusieurs élèves de troisième et de seconde ont quitté les collèges pour se présenter aux examens, et ont parfaitement réussi. Ils ont été admis comme élèves universitaires, bien qu'ils n'eussent pas terminé leurs humanités ; de manière que sous l'institution même de ce grade, vous n'aviez pas de certitude à cet égard. Or, pour ma part, je tiens beaucoup à ce que l'élève soit obligé de prouver d'une manière sérieuse que dans un établissement quelconque ou sous un maître capable de donner l'enseignement, il a parcouru tout le cercle des études moyennes.

A ce point de vue, je dis que le certificat est un essai à tenter, et dont j'espère que nous aurons à nous louer.

(page 569) M. le ministre de l'intérieur nous propose de combiner la certificat avec l'épreuve préparatoire. Cette épreuve préparatoire aurait lieu, si je ne me trompe, devant un jury universitaire, et pourrait être passée par l'élève soit au moment où il entre à l'université, soit à une époque ultérieure, pourvu qu'elle précédât d'une année l'examen de candidat en philosophie ou en lettres.

Sur toute cette matière, nous ne faisons que des essais ; nous ne marchons que par tâtonnements et je ne vois pas pourquoi la tentative de M. le ministre de l'intérieur aurait moins de chances de succès que toute autre.

Je dois néanmoins prévenir M. le ministre que le moyen qu'il propose est déjà condamné d'avance par des professeurs de l'enseignement officiel, par des professeurs de l'enseignement donné par le gouvernement ; notamment dans le document qui vous a été distribué, j'ai vu qu'un préfet des études prévoit précisément le cas de l'épreuve prépaparatoire proposée par M. le ministre de l’intérieur ; voici de quelle manière s’explique le préfet des études de l’athénée de Bruges :

« Si l’examen n’avait pas lieu devant un jury composé de membres de l'enseignement moyen... »

Or, cela fait défaut dans la proposition de M. le ministre de l'intérieur.

« Et avant l'admission de l'élève à l'université... »

Ici l'élève pourra passer son examen avant d'entrer, mais il n'y sera pas obligé, et aura la faculté de le passer un an après.

« Si l'examen n'avait pas lieu devant un jury composé de membres de l'enseignement moyen et avant l'admission de l'élève à l'université, il vaudrait mieux, je pense, maintenir l'abolition. »

Vous voyez que dans le système de M. le ministre de l'intérieur les préfets des études appartenant à l'enseignement officiel sont déjà d'avis que, dans cette hypothèse, il vaudrait mieux maintenir l'abolition

Messieurs, une autre raison, me semble-t-il, pour laquelle il est excessivement difficile, sinon impossible, de formuler un programme d'examen pour les élèves sortant des établissements de l'instruction moyenne, c'est que tous ces établissements ne sont pas exactement organisés de la même manière ; il y en a quelques-uns où l'on donne plus ou moins la préférence aux sciences exactes et aux sciences naturelles.

M. Devaux. - Pas un !

M. de Muelenaere. - Je parle d'établissements particuliers.

Il y a des établissements où l'enseignement littéraire n'est pas le même, où l'on ne se sert pas des mêmes auteurs, où l'on enseigne d'après des méthodes différentes. Il y en a où l'on fait des études plus ou moins avancées dans la langue grecque, d'autres où l'on s'attache davantage à l'étude de la langue latine et où cette dernière langue est considérée comme plus importante. Comment établir l'égalité entre ces établissements, et ne pas froisser un des principes essentiels de notre Constitution, la liberté de l'enseignement ?

Toutefois, je le répète, je n'éprouve aucune répugnance à approuver tel mode plutôt que tel autre pour exciter l'émulation et fortifier les études.

Tous ces modes peuvent être bons, mais dans l'application il faut se montrer équitable, impartial et constitutionnel. Il faut que les mesures qu'on adopte ne favorisent pas un établissement au détriment d'un autre et que le corps professoral conserve toute sa liberté d'action, toute sa spontanéité.

Moyennant ces conditions nous finirons par nous mettre d'accord. Car au fond il n'y a ici qu'une question de science, de liberté constitutionnelle et nullement une question politique.

J'attendrai, au surplus, les observations qui seront ultérieurement faites avant de me prononcer sur les divers amendements qui sont proposés.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 3/4 heures.