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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 21 mars 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1113) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

M. Tack lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Quelques propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants à Roux prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer, d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites et de permettre la sortie de tous les minerais de fer, moyennant certains droits de douane. »

« Même demande de propriétaires et industriels à Fleurus, Mont-sur-Marchienne, Dampreray et des sieurs Smet et compagnie et Cambier et compagnie. »

M. de Paul. - Je me permets d'appuyer de toutes mes forces les diverses pétitions adressées aujourd'hui à la Chambre, par plusieurs chefs de grands établissements métallurgiques, et de prier la Chambre d'ordonner le renvoi de ces requêtes à la commission permanente de l'industrie avec demande d'un prompt rapport.

Les pétitionnaires signalent la position critique que font à la sidérurgie, et l'avenir peu rassurant que lui préparent les lois actuellement en vigueur, et indiquent en même temps les mesures législatives qu'ils jugent les plus propres à faire cesser le mal présent et à faire disparaître le danger futur.

Il s'agit donc d'intérêts excessivement importants qu'il faut rassurer uns retard. C'est le but de ma proposition.

- La proposition de M. de Paul est adoptée.


« Les membres du conseil communal de Bilsen prient la Chambre d'accorder à la compagnie de Bruyne-Houtain-Brédius la concession d'un chemin de fer de Bilsen à la frontière hollandaise. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Tulpinck réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir des pièces qui lui sont refusées. »

- Même renvoi.


« Le bureau du comice agricole du canton de Rochefort prie la Chambre d'accorder aux sieurs Lonhienne la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vérin propose de comprendre les additionnels dans les droits à établir dans le nouveau tarif des douanes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Plusieurs habitants de Cappellen réclament l'intervention de la Chambre pour faire lever la défense d'admettre des filles dans l'école de l'instituteur communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Par messages en date du 20 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

1° Le budget de la guerre pour l'exercice 1857 ;

2° Le projet de loi ouvrant au département des affaires étrangères un crédit extraordinaire de 3,696 fr. ;

3° Le projet de loi qui maintient, pour la session de Pâques 1857, le mode de formation des jurys d'examen établi par la loi du 15 juillet 1849.

- Pris pour notification.


Il est fait hommage à la Chambre,

1° Par M. Van Iseghem, de deux exemplaires d'un mémoire sur le péage de l'Escaut par un ancien représentant.

2° Par M. Auguste Cox, négociant, de 110 exemplaires d'une pétition des habitants de Diest, à propos du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain et de Louvain à Beverloo par Diest.

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Rapport sur des pétitions

M. le président - M. le ministre de la guerre a proposé un ordre du jour motivé ainsi conçu :

« La Chambre, admettant les explications de M. le ministre de la guerre, passe à l'ordre du jour. »

M. Delfosse. - Messieurs, il y a dissentiment entre le gouvernement et la Cour des comptes sur le sens de l'article premier de la loi (erratum, page 1129) du 26 mai 1856.

D'après le gouvernement, cette disposition accorde dix années de service, outre l'année déjà accordée par l'article 35 de la loi du 24 mai 1838.

D'après la cour des comptes, cette disposition n'accorde que dix années en tout, y compris l'année déjà accordée par l'article 35 de la loi du 24 mai 1838.

La rédaction de l'article peut se prêter également aux deux interprétations. Mais la cour des comptes invoque, à l'appui de la sienne, des paroles prononcés par M. le ministre de la guerre dans la séance du 9 avril 1856. Voici ces paroles : « L'idée qui a présidé à la présentation du projet de loi a été simplement celle d'étendre jusqu'à dix années le terme d'une année qui avait été fixé par l'article 35 de la loi de 1838,. relative aux pensions militaires. »

Vous voyez, messieurs, que ces paroles de M. le ministre de la guerre sont tout à fait dans le sens de l'interprétation défendue par la cour des comptes. Il ne peut pas y avoir le moindre doute à cet égard.

Les explications que M. le ministre de la guerre a données en réponse à la dépêche de la cour des comptes m'ont paru confuses. Pour me servir d'une expression vulgaire, M. le ministre de la guerre a quelque peu battu la campagne. Je ne lui en fais pas un reproche ; le cas était embarrassant et la contradiction évidente.

M. le ministre des finances, qui a eu aussi une correspondance sur cette question avec la cour des comptes, a donné quelques explications plus plausibles. M. le ministre des finances, n'avait pas à concilier des paroles en opposition formelle avec le système qu'il défendait.

Après avoir lu les explications de M. le ministre des finances, j'ai trouvé la question au moins douteuse, et dans le doute je me prononcerai pour l'interprétation la plus large, la plus favorable aux officiers pensionnés.

Je suis donc prêt à voter, si la Chambre jugé que cela soit nécessaire, l'ordre du jour motivé présenté hier par M. le ministre de la guerre. Mais je tiens à déclarer qu'en votant pour cet ordrè du jour, je n'entends pas adresser l'ombre d'un blâme à la cour des comptes. La cour des comptes a été arrêtée par des scrupules très honorables ; elle a rempli, comme toujours, avec convenance et modération le devoir qui lui incombe de veiller à l'emploi régulier et légal des deniers de l'Etat.

Je dois même dire que si M. le ministre de la guerre s'était montré un peu moins roide, un peu plus conciliant, on aurait pu arriver à un arrangement sans faire intervenir la Chambre ; car la cour des comptes avait prié M. le ministre de la guerre de consulter ses collègues, lui donnant à entendre que, si les autres membres du cabinet étaient de l'avis de leur collègue de la guerre, elle céderait.

La cour des comptes avait, en outre, déclaré qu'elle était prête, pour que personne ne souffrît du retard, à ouvrir un crédit, sauf régularisation ultérieure. Si donc il y a eu, comme M. le ministre de la guerre le disait hier, des souffrances causées par ce retard, si quelques officiers pensionnés ont contracté des engagements auxquels ils se sont trouvés dans l'impossibilité de satisfaire, la faute n'en est pas à la cour des comptes.

Je me félicite d'avoir demandé hier un délai de 24 heures ; j'ai pu en profiter pour lire les pièces et pour émettre un avis réfléchi sur l'ordre du jour motivé qui nous est présenté par le gouvernement.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, la manière dont l'honorable M. Delfosse vient de qualifier la correspondance du département de la guerre avec la cour des comptes, a droit à tous mes remerciements ; cependant, je me permettrai de lui faire observer que, dans le conflit qui s'est élevé entre la cour des comptes et le département de la guerre, il n'y avait lieu de prendre texte ni de ma correspondance, ni des paroles que j'ai pu prononcer dans la discussion avant la rédaction définitive de la loi.

Il n'a jamais été dans les intentions du cabinet, ni du ministère de la guerre en particulier, de demander l'ombre d'un blâme contre la cour des comptes ; au contraire, c'est précisément par suite de ma correspondance avec cette cour qui me semblait désirer une interprétation législative, que j'ai proposé un ordre du jour, motivé de manière à mettre un terme à la divergence d'opinion qui s'était manifestée.

Je disais tout à l'heure qu'il n'y avait pas lieu, en cette occurrence, de prendre texte des paroles du ministre de la guerre ; en effet, quel qu'ait été son principe, je ferai observer à la Chambre que la discussion a fait naître une foule d'amendements qui ont entièrement changé l'économie de la loi primitive. Il ne s'agit donc pas de l'opinion du ministre, mais il s'agit de connaître l'intention de la législature ; or, la chambre dans l'article premier de la loi dont nous nous occupons, a dit catégoriquement :

« Par extension de l'article 35 de la loi du 24 mai 1835, il sera compté dix années de service aux officiers qui, en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution dans les quatre derniers mois de 1830.

« § 2. Il sera également compté dix années de service aux fonctionnaires civils qui ont été décorés de la croix de Fer ou qui ont été blessés dans les mêmes combats. »

(page 1114) D'après ces termes, l'intention évidente de la Chambre a été d'accorder à tous ceux qui ont droit à l'application de la loi une récompense équivalente aux avantages résultant de dix années de service, et cela sans préjudice des droits déjà acquis.

D'ailleurs, en adoptant l'interprétation de la cour des comptes, il se trouverait que la législature se serait montrée moins généreuse envers les hommes en faveur desquels le projet de loi a été déposé qu'envers ceux qui participent aux avantages de cette loi par suite des amendements introduits pendant la discussion.

J'ai déjà eu l'honneur de vous faire connaître, messieurs, que 53 pensions ont été ordonnancées sur le pied de 10 années de service supplémentaires ; qu'arriverait-il maintenant si, après avoir liquidé ces pensions comme je viens de le dire, la cour des comptes en liquidait 80 d'après une base différente ? C'est alors que l'honorable M. Delfosse aurait le droit de parler de confusion et d'appliquer aux opérations de la cour des comptes les observations qu'il a cru devoir émettre sur la correspondance du département de la guerre.

Je conviens sans peine que mes honorables collègues ont expliqué beaucoup mieux que moi la difficulté qui existait entre la cour des comptes et le département de la guerre ; mais il résulte de cette explication, dont je vais avoir l'honneur de faire lecture à la Chambre, que nous ne nous sommes nullement engagés dans une voie mauvaise en donnant à la loi l'interprétation que vous connaissez.

En effet, dans la dépêche adressée par mon honorable collègue des finances à la cour des comptes, je trouve les considérations suivantes : « Cette disposition est claire et précise : elle admet comme un droit acquis le bénéfice de l'article 35 de la loi de 1838, puis par une extension à ce bénéfice, elle y ajoute dix années de service en faveur des officiers auxquels elle est applicable. Pour avoir le sens que la cour des complus lui attribue, la disposition aurait dû porter : « Par modification », au lieu de : « Par extension ». Et en effet, lorsque le projet de loi a été envoyé, pour la première fois, au Sénat, il ne comprenait pas les décorés de la croix de Fer. C'est par suite d'un amendement de l'honorable M. d'Anethan qu'ils y ont été portés, et cependant la commission du Sénat a inséré dans son rapport le passage suivant :

« Les dix années en plus que leur accorde le projet de loi ne peuvent en rien augmenter le chiffre de la pension à laquelle ils auront droit, quand ils se retireront après quarante années de service. »

« Il ne s'agissait alors que des officiers qui avaient pris part aux combats de la révolution, et malgré l'avantage que leur accordait déjà l'article 35 de la loi du 24 mai 1838, de leur permettre de compter une campagne pour les quatre derniers mois de 1830, la commission du Sénat pensait que le projet de loi leur allouerait, en plus, dix années de service. »

L'honorable M. Delfosse m'accuse d'être la cause des retards éprouvés par les pensionnaires. Il dit que la cour des comptes m'a offert de m'ouvrir un crédit provisoire pour liquider ces pensions. Mais ce crédit, on me l'offrait sous mu responsabilité personnelle. Vous comprendrez sans peine, messieurs, qu'en présence de l'opinion exprimée par un corps aussi important que la cour des comptes, je n'ai pas cru devoir accepter une semblable proposition.

Ainsi que je l'ai dit hier, messieurs, au point de vue du fait, l'objet de la discussion est d'une importance minime ; au point de vue du droit, je crois être dans le vrai. Quoi qu'il en soit, je m'en rapporte entièrement à la décision de la Chambre.

M. de Muelenaere. - Tout le monde semble d'accord sur le fond même de la question.

J'ai appris que cette affaire avait éveillé quelques susceptibilités extrêmement légitimes en dehors de cette enceinte. La cour des comptes, messieurs, a eu un scrupule de légalité. Ce scrupule prouve avec quel zèle, avec quelle conscience cette cour remplit ses devoirs et examine toutes les affaires qui lui sont soumises. Evidemment, ce scrupule est de nature à lui faire honneur.

Quoi qu'il en soit et quelle que soit la décision de la Chambre sur la question qui lui est actuellement soumise, il me semble qu'il est évident, qu'il est dans l'intention, dans la pensée de tous les membres de la législature qu'il ne peut résulter de cette décision aucune espèce de blâme pour la cour des comptes ; que cette décision même emporte implicitement l'approbation de la conduite de cette cour.

C'est cette seule observation que j'ai voulu soumettre à la Chambre. Au fond, je suis d'avis qu'il est indispensable que l'on prenne une décision, et il me semble que, dans le doute même, cette décision doit être, autant que possible, conforme à l'intérêt des militaires pensionnés.

M. Delfosse. - C'est ce que j'ai dit.

M. de Brouckere. - Pour tous ceux qui se sont donné la peine d'examiner la disposition de la loi du 26 mai 1856 et de celle du 24 mai 1838, il est certain que la question soulevée par l'ordre du jour que propose M. le ministre de la guerre est douteuse. Elle a été résolue dans un sens par M. le ministre de la guerre, dans un sens contraire par la cour des comptes.

Eh bien, messieurs, je dois le dire, à mon avis, et le ministère et la cour des comptes étaient chacun dans le rôle qui lui appartenait. Le ministre a interprète la loi dans le sens le plus large, dans le sens le plus favorable aux fonctionnaires mis à la pension ; cela est assez naturel.

La cour des comptes, au contraire, qui est composée des mandataires de la Chambre et qui est chargée d'exercer un contrôle sévère sur toutes les demandes de crédit émanant des différents ministres, a examiné soigneusement les dispositions des deux lois que j'ai rappelées ; elle les a combinées et appliquées dans le sens qu'elle regardait comme le plus conforme aux textes. Messieurs, selon moi, la cour des comptes a rempli son devoir d'une manière qui mérite les éloges de la Chambre.

On a prétendu que, si la Chambre admettait la manière de voir de la cour des comptés, il y aurait une certaine confusion, en ce sens que quelques pensions, non pas en nombre aussi élevé qu'on l'a dit, car dans le chiffre qu'on a cité il se trouve beaucoup de pensions qui avaient atteint le maximum, mais que quelques pensions ont été accordées d'après les principes adoptés par M. le ministre de la guerre.

Messieurs, l'explication est très facile à donner. Lors des premières demandes de fonds, la cour des comptes n'avait pas encore examiné la question avec toute l'attention qu'elle méritait. Mais du moment qu'elle s'est livrée à cet examen, le doute a surgi dans son esprit et elle en est venue à l'interprétation qu'elle jugeait la plus conforme aux textes.

Quoi qu'il en soit, et bien que l'on puisse dire que ce n'est pas une manière tout à fait régulière d'interpréter la loi que de le faire par un ordre du jour motivé, je crois que la Chambre sera unanime pour admettre cet ordre du jour ; premièrement parce qu'il rentre dans les sentiments de la Chambre. La Chambre, dans toutes les circonstances, s'est montrée extrêmement favorable aux hommes qui ont rendu des services, en 1830. Par conséquent, nous adhérons, je pense, de grand cœur à l'interprétation que M. le ministre de la guerre a donnée aux deux lois que j'ai citées. Maïs eu même temps, cela n'est pas douteux après les paroles prononcées par les orateurs que nous venons d'entendre, en même temps et tout en admettant cet ordre du jour, nous reconnaissons tous que la cour des comptes a rempli ses fonctions de la manière la plus consciencieuse, d'une manière qui mérite les éloges unanimes de la Chambre.

M. de Theux. - Je ne veux pas retarder la décision, puisqu'il y a urgence ; les officiers pensionnés sont depuis longtemps en retard de recevoir ce qui leur revient. Mais je dois faire observer à la Chambre que la manière dont ou veut interpréter la loi n'est pas régulière. Il faut pour interpréter une loi (et si c'est la cour des comptes persistait dans son opinion, il faudrait en venir là), il faut le concours des trois branches du pouvoir législatif.

Il y aurait eu un moyen très simple d'y parvenir, ne fût-ce que la demande du crédit le plus minime, pour solder une créance de ce genre. Alors les deux Chambres auraient été à même de statuer et le pouvoir royal de sanctionner la loi et tout eût été régulier.

Je fais cette observation pour des cas qui peuvent se présenter encore à l'avenir. Car ce mode d'interpréter les lois serait très dangereux et très vicieux.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je veux seulement constater que le gouvernement et le ministre de la guerre se rallient complètement à l'hommage que l'honorable M. de Brouckere vient de rendre à la susceptibilité très naturelle de la cour des comptes. Il a toujours été loin de notre pensée de jeter le moindre blâme sur ce corps, et nous avons voulu rentrer dans ses idées en provoquant, de la part de la Chambre, un vote destiné à faire disparaître toute divergence d'opinion sur les principes d'après lesquels les pensions doivent être liquidées.

M. Delfosse. - M. le ministre de la guerre se plaint de ce que j'ai trouvé ses observations confuses et celles de M. le ministre des finances plus plausibles. Je ne crois pas avoir fait en cela une grande injure à M. le ministre de la guerre. Ce fait s'explique naturellement et ne peut étonner : on doit être plus habile au département de la guerre à manier l'épée que la plume.

M. le ministre de la guerre dit que s'il n'est pas entré dans la voie indiquée par la cour des comptes, c'est que le crédit ne lui était offert que sous sa responsabilité personnelle. Je ferai observer à M. le ministre de la guerre que sa responsabilité n'eût pas été sérieusement engagée, car le crédit n'était offert que jusqu'à concurrence des sommes non contestées.

On aurait tenu en réserve la partie sur laquelle il y avait dissentiment ; le moyen propose par la cour des comptes aurait permis aux officiers pensionnés d'attendre sans souffrance la solution de la question.

Du reste, nous sommes maintenant tous d'accord. Dans le doute, nous adoptons l'interprétation la plus favorable aux officiers pensionnés. Mais nous reconnaissons tous que la cour des comptes a dignement rempli son devoir.

- L'ordre du jour motivé, proposé par M. le ministre de la guerre, est adopté.

Projet de loi révisant le tarif des douanes

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. de Brouckere. - Messieurs, le projet que nous discutons en ce moment est un legs de l'administration dont j'ai fait partie. À ce titre, je crois ne faire autre chose que remplir un devoir en venant le (page 1115) soutenir. Je le soutiens du reste d'autant plus volontiers que ce projet consacre, en matière de douane, les principes que j'ai toujours professés et que j'ai défendus en plus d'une occasion ; c'est-à-dire un abaissement modéré, graduel des droits que consacre notre tarif, un acheminement vers la liberté du commerce, qui, probablement, messieurs, sera un jour la base de nos relations avec l'étranger.

L'article qui domine toute la discussion, les orateurs qui ont parlé avant moi, l'ont reconnu unanimement, c'est celui qui concerne les houilles. Cette question, messieurs, est une de celles dont j'ai eu le plus à m'occuper lorsque je dirigeais le département des affaires étrangères et surtout pendant les longues négociations que j'ai eu à suivre avec le gouvernement français pour arriver à la conclusion d'un traité de commerce.

Alors, messieurs, on me criait de toutes parts et d'une commune voix : Prenez garde surtout à une chose, tâchez d'obtenir le maintien de la taxe de faveur que la France nous a accordée pour l'introduction de nos houilles. Ne compromettez cet intérêt sous aucun rapport et pour quelque considération que ce soit ! Et c'est dans cette voie que j'ai constamment marché, je puis en appeler au souvenir de tous ceux de mes honorables collègues qui faisaient partie de la Chambre à cette époque ; je puis en appeler surtout au souvenir de tous mes collaborateurs.

Cependant il paraît s'être opéré un certain revirement d'opinion sur cette même question. Elle ne semble plus avoir un aussi grand nombre de défenseurs, ni surtout des défenseurs aussi ardents. Pourquoi ? Cela résulte d'un fait complètement accidentel et tout à fait exceptionnel.

Vous vous rappelez, messieurs, que passé trois ans environ, nous nous trouvions au milieu d'un crise qui sévissait d'une manière véritablement effrayante. Toutes les denrées, tous les objets nécessaires à la vie étaient arrivés à des prix exorbitants. C'est dans de pareilles circonstances que la Chambre a cru devoir décréter l'entrée libre, mais provisoirement, des houilles étrangères.

Maintenant, je le demande, serait-il sage, serait-il prudent, serait-il logique de venir décréter aujourd'hui, alors que nous sommes dans des circonstances normales, de venir décréter d'une manière définitive une mesure qui n'a été votée que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles et que pour un temps limité ? Non, messieurs, cela ne serait ni sage, ni prudent, ni logique.

Cependant, messieurs, huit de nos collègues ont présenté à la Chambre une disposition qui a pour but de faire décréter la libre entrée des houilles d'une manière définitive. Je crois que ces honorables collègues sont, au moins pour la plupart, des partisans zélés de la liberté commerciale la plus complète.

C'est une très belle chose, messieurs, que le libre-échange, puisque c'est la liberté en matière de commerce, c'est l'égalité pour tout le monde. Je suis très grand partisan de la liberté, très grand partisan de l'égalité, mais notre Constitution si libérale ne consacre pas une seule liberté que cette liberté ne soit entourée d'un certain nombre de restrictions. L'égalité. Nous avons l'égalité des droits, cela est vrai, mais a-t-on jamais obtenu, en quelque lieu que ce soit, l'égalité des fortunes, l'égalité des conditions ? Non, messieurs, ni la liberté, ni l'égalité n'existe, nulle part ni en rien, sans restriction.

La liberté commerciale, je le répète, est une fort belle chose, et je suis persuadé que beaucoup de mes collègues, qui aujourd'hui défendent la même opinion que moi, en sont partisans comme moi et la proclameront avec moi lorsque cette liberté commerciale pourra être pratiquée en Belgique sans que les intérêts du pays en soient trop lésés ; mais ceux qui dès aujourd'hui viennent nous dire : Bien que le libre-échange n'existe nulle part, établissez-le chez vous...

M. Lesoinne. - Personne ne dit cela.

M. de Brouckere. - L'honorable M. Lesoinne, qui, je dois le dire, est le plus consciencieux et le plus désintéressé de tous ceux qui défendent la liberté du commerce.... (Interruption,) Je mets l'honorable M. David et tous mes honorables collègues professant son opinion sur la même ligne que l'honorable M. Lesoinne.

L'honorable M. Lesoinne dit que personne ne demande l'établissement immédiat du libre-échange, et cependant j'entends proclamer partout la nécessité de décréter la liberté commerciale dès aujourd'hui comme la base du système que la Belgique doit admettre.

M. Lesoinne. - Je demande la parole.

M. de Brouckere. - Eh bien, messieurs, je dis que nous poserions un acte imprudent si nous nous lancions dès aujourd'hui dans la voie de la liberté commerciale, parce que cette liberté n'existe nulle part. Elle n'existe ni en France, ni en Allemagne ; elle n'existe pas dans le royaume des Pays-Bas, bien que la législation adoptée par le royaume des Pays-Bas soit très libérale. Elle n'existe pas en Angleterre non plus, dans ce pays qu'on nous cite toujours comme un pays modèle.

Déjà, l'honorable M. Osy nous a dit hier qu'il y avait en Angleterre plusieurs restrictions à la liberté en matière d'échanges.

Voici, messieurs, comment s'exprimait, il n'y a pas bien longtemps, un homme dont l'autorité est bien grande en pareille matière et dont les paroles n'ont été contestées par personne.

« Ainsi, elle protège ses soieries, ses papiers, les bois provenant de ses colonies ; elle a rétabli tout récemment la prime à l'exportation au profit de ses raffineries de sucres, et pour favoriser son agriculture elle a frappé d'un droit très élevé le houblon étranger.

« Elle maintient ou autorise la perception d'une surtaxe sur les produits de l'industrie étrangère importés dans ses colonies ; elle frappe ou laisse frapper d'un droit de sortie certains produits de ses possessions destinés à d'autres ports que ceux de la mère-patrie ; elle prohibe ou frappe de droits différentiels très élevés, notamment à la Jamaïque, à l'île Maurice, au cap de Bonne-Espérance et à Ceylan, les cafés et les sucres importés d'ailleurs que de ses possessions.

« Au Canada, elle dégrève d'un droit de 20 p. c. le bétail, le beurre, les céréales et une foule d'autres articles lorsqu'ils sont importés de la mère-patrie ou de ses possessions de l'Amérique du Nord ; elle maintient, dans les îles Ioniennes, une surtaxe sur les pavillons non assimilés ; enfin elle dépense annuellement au-delà de vingt millions de francs, en subsides accordés à des ligues de navigation à vapeur. »

Si c'est là, messieurs, de la liberté en matière de commerce, il faut avouer que le système que nous avons, que celui que nous défendons, ressemble beaucoup à celui de l'Angleterre, c'est-à-dire que tout en étant partisan de la liberté de commerce, nous y introduisons les restrictions que nous regardons comme étant conformes aux intérêts du pays.

Je sais très bien que ceux qui demandent des abaissements ou des suppressions de droit, excitent toujours dans le pays une très grande sympathie. Tantôt on veut supprimer des droits de douane, tantôt ou s'en prend aux droits sur les boissons ; tantôt c'est le droit sur le sel qu'on veut, si pas supprimer, au moins réduire considérablement. Enfin, ce sont les octrois des villes qui sont surtout attaqués ; mais tous en attaquant les octrois des villes on a toujours soin d'ajouter, qu'on n'en demande la suppression qu'autant qu'on trouve un impôt moins onéreux à substituer aux octrois. Mais, à ce prix, je suis partisan de la suppression de tous les impôts, bien entendu pour autant qu'on trouve de meilleurs impôts à leur substituer.

Je crois qu'on aura bien de la peine à trouver un système d'impôts plus convenable en général que celui qui a été introduit chez nous, il y a de longues années, qui a été amélioré depuis et que nous sommes appelés chaque jour à perfectionner encore. Au surplus, j'attends.

Si je ne crois pas pouvoir admettre dès aujourd'hui la liberté du commerce, j'avoue que ceux qui demandent que des mesures générales soient prises, sinon pour la suppression absolue, an moins pour la réduction de tous nos droits de douane, ceux-là sont conséquents avec eux-mêmes. Mais il ne manque pas de gens qui viennent soutenir un autre système ; ils veulent qu'on réduise, qu'on supprime même des droits sur certaines matières, pourvu que l'on conserve, si même on ne les augmente, ceux qui existent sur d'autres matières.

Et pour justifier cette contradiction, ils divisent les matières frappées à l'entrée, en deux grandes catégories : les matières premières et les matières fabriquées.

Je commencerai par répondre à ceux qui soutiennent cette opinion, que leur système est inconséquent, que de plus il est dangereux.

Il est inconséquent... je le prouverai tout à l'heure ; il est dangereux ; s'il venait à triompher, les partisans de ce système ne tarderaient pas à en avoir la preuve, car le jour où nous aurions supprimé définitivement les droits d'entrée sur ce qu'on appelle les matières premières, serait la veille du jour où l'on supprimerait les droits d'entrée sur les matières fabriquées. (Interruption.)

J'entends dire derrière moi « une petite coalition » ; non pas une coalition, mais une juste combinaison des intérêts ; toutes les industries se lient ; le jour où vous en frappez une, les autres sont menacées.

Mais qu'est-ce qu'on entend par matières premières ? « C'est, dit-on, particulièrement la houille ; la houille, c'est le pain de l'industrie. »

Qu'il me soit permis de rappeler, en passant, que la Chambre n'a pas reculé devant un certain droit dont elle a frappé le pain qui sert à la nourriture.

Quoi qu'il en soit, la houille est nécessaire, cela est très vrai, à la plus grande partie de nos industries. Mais les produits des autres industries ne sont-ils pas nécessaires également à ceux qui exploitent la houille ? Si la houille est une matière première pour la plupart de nos fabriques, il y a des matières premières pour l'exploitation de la houille. Ainsi, par exemple, le bois, le fer, l'huile, la graisse, sont des matières premières pour l'exploitation de la houille.

Ces matières entrent dans cette exploitation pour une somme de beaucoup plus forte qu'on ne se le figure probablement.

Il résulte d'un tableau que j'ai sous les yeux, que dans le prix de revient d'un hectolitre de houille, le fer entre en moyenne pour 1 cent. ; le bois, pour 6 centimes ; les huiles d'éclairage et les graisses, pour 2 c ; et les cordes, la poudre, etc., pour 2 c. ; ce qui a produit pendant l'année 1855, pour un seul arrondissement, une dépense de : fr. 335,587 en fer, fonte, etc., 2,013,524 en bois, en grume, perches, étais, etc., 671,174 en huiles et graisses. 671,174 en cordes, poudre, etc., soit fr. 3,691,459.

Ces calculs, je le répète, se rapportent à l'année 1853 ; or, tous les objets que je viens de rappeler ont tellement augmenté de prix depuis lors, que le chiffre de 3,691,459 francs peut être, sans exagération, porté à 5 millions de francs.

Eh bien, si l'on veut faire baisser le prix du la houille sans être (page 1116) injuste, il faut commencer par supprimer toute espèce de droit d'entrée sur les objets que consomment les exploitants de houille et qui sont pour eux des objets de première nécessité, des matières premières. Vous ne pourrez pas même vous arrêter-là ; il faudra vous montrer tout aussi larges quant à ce qui regardent les objets nécessaires à l'habillement des ouvriers et de leur famille, à leur couchage, à leur ameublement, à leur éclairage.

Il est bien évident que si les ouvriers houillers pouvaient se procurer à meilleur marché le coton, la toile, la laine, les huiles, les meubles, en un mot tous les objets qui leur sont nécessaires, on pourrait réduire la journée de l'ouvrier et par conséquent réduire également le prix de la houille.

Messieurs, on a beaucoup répété dans cette discussion que nous avions tort en Belgique de craindre l'introduction des houilles étrangères ; elles n'arriveraient jamais en assez grande quantité pour pouvoir faire tort à l'industrie du pays.

Jusqu'ici, je dois le dire, les quantités importées n'ont pas été considérables, mais il y a une chose digne de remarque ; c'est que ces quantités suivent une progression extrêmement rapide.

Ainsi, en 1854, on n'a importé que 337 tonnes, en 1855, on en a importé 1,051 tonnes, en 1856, l'importation a été de 34,577 tonnes, et d'après les chiffres que M. le ministre des finances nous a communiqués, l'importation des deux premiers mois de 1857 monte à plus de 28 mille tonnes, ce qui ferait pour l'année, en supposant que l'importation continue sur le même pied, 168 mille tonnes.

Vous le voyez, l'importation suit une progression extrêmement rapide.

Maintenant, pourquoi les quantités importées n'ont-elles pas été plus considérables ? La raison en est très simple : pendant tout le temps qu'a duré la guerre d'Orient, les Anglais ont pu envoyer l'excédant de la houille nécessaire à leur consommation dans les lieux où il fallait établir d'immenses magasins pour l'approvisionnement des flottes, sur les côtes de la Turquie et de la Grèce, aux îles Ioniennes, à Malte, dans les villes hanséatiques. Ces débouchés font défaut aujourd'hui ; il faut nécessairement que l'Angleterre cherche d'autres débouchés, car, vous le savez, la production de l'Angleterre est de 64 millions de tonnes, c'est-à-dire huit fois plus forte que celle de la Belgique. Les premiers débouchés qui se présentent à elle sont nécessairement la France et la Belgique. Si vous voulez examiner les chiffres produits récemment par le Moniteur français, vous verrez que l'importation des houilles anglaises en France suit une progression ascendante à mesure que les houilles venant de Belgique suivent une progression contraire.

C'est une chose facile à constater, j'ai les chiffres sous les yeux. Je crois inutile de les donner, nous en avons déjà eu assez dans cette discussion.

Il y a une autre raison pour laquelle les importations n'ont pas été plus considérables, c'est la hauteur du fret.

Le fret, dans les dernières années, a plus que doublé et à l'heure qu'il est, il est encore à un taux tellement élevé que tout le monde reconnaît que ce taux doit baisser dans un temps très rapproché. Il est encore dans la proportion de 10 à 16.

Messieurs, je crois qu'une grande majorité dans la Chambre se prononcera en faveur d'un droit ; toute la question à décider est de savoir quel doit être ce droit. L'administration dont j'ai eu l'honneur de faire partie, a proposé le chiffre de 1 fr. 40.

Permettez-moi de le répéter, ce chiffre représente la dixième partie du droit qui avait existé jusqu'alors. C'est certainement la réduction la plus forte qui ait jamais été introduite en matière de droit de douane ; mais aussi, le ministère qui a précédé le ministère actuel était d'avis que c'était le chiffre le plus bas auquel il était permis de descendre sans danger.

Cependant, quatre membres de la section centrale ont demandé que ce chiffre fût abaissé à 83 centimes.

Ce chiffre a été préconisé hier par l'honorable M. Osy. J'avoue très franchement qu'en ce qui me concerne, j'aime autant qu'on renonce à toute espèce de droit d'entrée. Si on trouve que réduire un droit de neuf dixièmes de ce droit ce n'est pas assez, qu'on vienne déclarer qu'on ne veut aucun droit. Si encore en autorisant l'entrée libre de houilles étrangères nous arrivions à ce résultat très désirable que les houilles se vendissent à un prix de beaucoup inférieur à celui qu'elles ont atteint, je concevrais qu'on combattît le chiffre proposé par le gouvernement.

Mais l'honorable M. Lesoinne a reconnu qu'en général les houilles ne diminueraient pas beaucoup de prix ; de manière que le résultat que vous obtenez en dégrevant les houilles étrangères est uniquement celui-ci : que les charbonnages belges vendront moins, que les charbonnages étrangers vendront plus et que le consommateur belge n'y gagnera rien. Il y a à cela une restriction à faire pour certaines localités ; ce sont les localités qui sont très éloignées des bassins houillers, et qui ont de très grands frais de transport à payer.

Eh bien, j'aimerais infiniment mieux favoriser ces localités exceptionnelles en abaissant certains droits de transport, que d'admettre une mesure générale qui doit froisser de grands intérêts.

Je termine par deux considérations.

La première a déjà été produite par M. le ministre des finances.

Lorsque vous encouragez par des mesures imprudentes l'entrée des houilles étrangères, c'est un préjudice positif, calculable par chiffres, que vous faites au trésor public. Chaque tonne de houille étrangère qui entre dans le pays cause au trésor un préjudice que M. le ministre des finances évalue à plus de cinq francs, pour Anvers par exemple, et que j'évalue taux moyen à trois francs. Soyez-en persuadés, je suis au-dessous de la vérité.

Je vous le demande, est-ce trop pour le trésor public, sur trois francs que lui coûte l'entrée de la houille étrangère, de faire rentrer 1 fr. 40 c, c'est-à-dire moins de la moitié de sa dépense ou de sa perte ? Evidemment, c'est un chiffre bien modéré, auquel il n'y aurait, à mon avis, qu'un reproche à faire : celui d'être trop modéré.

Ce n'est pas moi qui formulerai ce reproche, puisque je suis un des auteurs du projet. Mais le fait est que ce chiffre est extrêmement modéré.

Mais voici une autre considération qui personnellement a dû me frapper plus qu'aucun de vous.

Je vous ai rappelé que j'ai fait, dans le temps, de nombreuses et puissantes démarches pour obtenir de la France de maintien d'un droit de faveur pour nos houilles à l'entrée. Cette faveur quelle est-elle ? Les houilles anglaises payent à l'entrée en France, y compris le décime, 3 fr. 50 c. par mille kilog. Les houilles belges payent à l'entrée 1 fr. 65. Voilà l'état de choses actuel. Voilà l'état de choses que nous avons un très grand intérêt à maintenir, car si déjà nous perdons en ce moment et nous perdons beaucoup sur le marché français, il est bien évident qu'un nivellement des droits rendrait l'exportation des houilles belges presque impossible.

Que répondrions-nous cependant, si l'on nous disait : Vous tenez au droit de faveur que vous avez réclamé dans le temps. Cependant vous favorisez de toute manière l'importation des houilles étrangères dans votre pays.

On peut tirer de là la conséquence que vous n'éprouvez aucune espèce d'embarras pour la vente de vos produits. On pourrait aller plus loin, et dire : En favorisant hors de mesure l'entrée des houilles étrangères, vous nous portez un préjudice à nous-mêmes, car si par suite on importe chez vous une trop grande quantité de houilles étrangères, on sera obligé d'exporter en plus grande quantité.

Nous recevrons donc une plus grande quantité de houilles ne payant que 1 fr. 65 c. et moins de houilles payant 3 fr. 30 c. C'est évidemment contraire aux intérêts du gouvernement français.

Je dis que si, par une mesure imprudente, vous décrétiez aujourd'hui d'une manière définitive la libre entrée des houilles, vous mettriez le gouvernement dans le plus grand embarras, lorsqu'il s'agirait de défendre un droit différentiel qui est un très grand avantage pour nous.

Je sais très bien que quelques personnes prétendent que ce droit de faveur qui nous est accordé, l'est bien plus dans un intérêt français que dans un intérêt belge. Je suis persuadé que l'intérêt français y est pour beaucoup.

Mais prenons-y garde. A l'heure où je vous parle, il se forme un grand parti dans les villes où nous exportons le plus, à Rouen, à Calais, à Abbeville, à Dieppe, au Havre, à Nantes, il s'est formé un grand parti composé de personnes qui, voulant maintenir à tout prix les droits qui protègent en général les fabricats français, et voulant être conséquentes avec elles-mêmes, se prononcent contre toute espèce de droits de faveur. En supprimant les droits, en rendant libre l'entrée des houilles, vous favorisez cette opinion, et je le répète, ce serait une thèse très difficile à soutenir pour le gouvernement que celle qu'il aurait à défendre, à tel jour donné, pour maintenir l'état de choses actuel.

En résumé, je déclare que j'admets entièrement les opinions si sages, si modérées développées hier par M. Vermeire. Cet honorable membre s'est déclaré le partisan d'une liberté portée aussi loin que la position actuelle de la Belgique le permet.

Je pense, avec l'honorable M. Vermeire, que nous ferions une chose très fâcheuse, non seulement en faisant un pas en arrière, mais même en ne marchant pas sagement, prudemment, progressivement dans la voie de l'abaissement de nos tarifs.

J'ai concouru à cet abaissement dans toutes les circonstances. Je l'ai toujours fait jusqu'ici, je continuerai à le faire. Mais qu'il me soit permis d'insister sur ce point, c'est un abaissement considérable que je viens défendre aujourd'hui, c’est un abaissement qui va jusqu'à plus d'un dixième du droit actuel. J'insiste une dernière fois sur ce point, qu'en rejetant la proposition soutenue par le gouvernement, vous ne rendriez pas un service réel aux consommateurs en général. Le prix du charbon restera à peu près ce qu'il est sur la plupart de nos grands marchés. Quelques petites localités, quelques localités éloignées seulement profiteraient de la mesure qui va être prise, et qui, en définitive, tournera au détriment d'un grand intérêt du pays.

M. Prévinaire. - Messieurs, ce n'est pas aujourd'hui pour la première fois que j'élève la voix en faveur du principe de la liberté commerciale.

Maio vous vous rappellerez également, messieurs, que ce n'est pas aujourd'hui pour la première fois que je déclare que je veux l'application de ce principe avec la prudence convenable.

Si ma voix ne s'adressait qu'a vous, cette déclaration serait inutile, puisque je l'ai faite, il y a huit ans, au début de nos luttes sur cette (page 1117) question. Mais, je la crois utile pour répondre à ceux qui travestissent nos intentions.

Je veux donc apporter à la réduction du tarif toute la prudence compatible avec un intérêt aussi grand ; je veux tenir compte des faits ; mais aussi je veux contribuer, autant qu'il dépendra de moi, à ce qu'on marche résolument dans cette voie.

Messieurs, lorsqu'on s'occupe d'une question aussi grave, il faut nécessairement embrasser l'ensemble des intérêts du pays. Il faut se rendre compte des modifications que la politique commerciale a subies à l'étranger et coordonner, en quelque sorte, sa marche à celle des autres peuples.

Eh bien, quels sont les faits qui se sont produits successivement depuis 1845 ? Nous avons vu la Hollande, l'Angleterre, l'Allemagne, quoi qu'en ait dit tout à l'heure l'honorable préopinant, faire des pas considérables, des pas immenses dans la voie de la liberté commerciale. La Hollande qui, depuis longtemps, marchait glorieusement dans cette voie, qui, grâce à l'application du système de la liberté commerciale, avait vu développer chez elle quelques branches d'industrie qui ne peuvent vivre que par la liberté, la Hollande recueille aujourd'hui les fruits de ce principe. Mais là, comme ici, les résistances ont été générales de la part des intérêts qui se croyaient compromis ; partout ces intérêts ont fait une opposition qui, comme vous l'a dit hier l'honorable M. Vermeire, est tombée d'elle-même lorsque des faits nouveaux ont prouvé qu'on s'était trompé et qu'on s'effrayait de fantômes. Il y a quelques années, la Hollande modifiait les lois de navigation. A entendre les intérêts engagés, la navigation nationale était perdue. Mais au lieu de ces sinistres prédictions, nous avons vu les chantiers se garnir, les constructions navales se développer dans une progression plus grande que jamais.

Il y a quelques années aussi, l'Angleterre est entrée résolument dans la voie où l'avait conviée la grande réforme des lois sur les céréales, et aujourd'hui on taxerait de fou en Angleterre celui qui penserait à rétablir cette prohibition de sortie des charbons qui existait il y a à peine quinze ans.

Voilà comment les peuples marchent et comment la Belgique me paraît aussi devoir marcher.

Si elle comprend bien sa position, elle doit chercher à se faire, dans ses relations étrangères, dans ses rapports avec les peuples étrangers, une position d'indépendance, qui est la seule qui puisse convenir à son indépendance politique. Elle doit tendre à se débarrasser de la position de vasselage où elle se trouve vis-à-vis de toute puissance chez laquelle elle a un débouché privilégié ou exclusif.

La dépendance matérielle finirait par compromettre la nationalité même.

Aussi avons-nous constamment, énergiquement, combattu ce système de 1845 qui, en définitive, nous conduisait à des traités de commerce prétendument avantageux, mais qui constituait la Belgique dans une position de vasselage matériel.

Le principe que la Belgique doit adopter est celui qui lui permet de ne redouter, de la part des puissances du continent, aucune de ces entraves, de ces difficultés dont elle a été menacée.

Rappelons-nous que nous avons eu un différend avec la Hollande et que nous avons dû baisser pavillon.

Rappelons-nous que nous avons eu un différend avec l'Angleterre, et que nous avons dû baisser pavillon.

Rappelons-nous que des difficultés sérieuses nous ont menacés du côté de l'Allemagne à l'occasion du renouvellement du dernier traité avec la France. La position était alors très-difficile, et nous avons été sérieusement menacés de représailles.

M. de Brouckere. - Pas du tout.

M. Prévinaire. - L'honorable M. de Brouckere, qui me contredit, pourra me répondre. Il était à la source ; il peut rectifier les faits, si je me trompe.

Je dis donc que ce qui doit être la base de la politique commerciale de la Belgique, c'est le principe du droit commun, principe adopté, en nature de douanes, à l'égard des puissances étrangères, par l'Angleterre, la Hollande et l'Allemagne. Ce principe a reçu une consécration formelle dans plusieurs traités de commerce que nous avons conclus récemment. Nous devons tendre à nous débarrasser de plus en plus des liens qui nous gênent aujourd'hui et qui sont de nature à compromettre l'indépendance matérielle de la Belgique, et par conséquent son indépendance politique.

Messieurs, il est presque puéril de faire remarquer que, dans cette Chambre, il n'y a pas un seul partisan de ce qu'on est convenu d'appeler la liberté absolue du commerce. Il n'y a pas un seul d'entre nous qui, fût-il la toute-puissance, voudrait abolir tous les droits. Mais,pour ma part, je pense que nous devons marcher résolument vers un but bien défini, celui d'une réduction progressive des droits d'entrée, jusqu'à ce qu'ils aient repris le caractère de droits fiscaux.

C'est là une œuvre difficile à cause des résistances auxquelles il faut s'attendre de la part d'intérêts privilégiés qui se croient menacés et se défendront par les arguments même les plus spécieux. Si je me laissais dominer par l'intérêt personnel, si je ne plaçais cet intérêt sur un autre terrain, je serais protectionniste. Comme filateur de coton, je puis aussi supposer que j'ai intérêt au maintien des prohibitions ou des restrictions. Cependant, comme filateur de coton, j'admets la liberté commerciale ; non pas l'abolition des droits, mais un système de réduction successive de droits pour s'arrêter à un droit qui ne soit pas exclusif de la concurrence.

Voilà, en ce qui me concerne, la position que je prends. Et, remarquez-le bien, je n'entends pas plus sacrifier mes intérêts que ceux de mes commettants. Je crois, au contraire, les servir.

Je crois en effet qu'un système de droits élevés engendre pour l'industrie un état de léthargie qui arrête le progrès auquel succède presque toujours un réveil douloureux. La véritable industrie doit se combiner avec l'intérêt des consommateurs.

A entendre l'honorable préopinant, on dirait qu'il s'agit d'aborder aujourd'hui pour la première fois la réforme de notre régime douanier. Mais c'est un travail commencé depuis bien des années ; l'honorable M. Osy vous a dit les pas immenses que nous avons déjà faits dans cette voie. Nous avons aboli les primes de toute nature ; nous avons réformé la législation des denrées alimentaires, et le plus grand nombre de ceux qui ont voté cette réforme avaient bien l'intention de l'appliquer plus tard dans une mesure raisonnable à tous les produits industriels. Nous avons modifié les conditions dans lesquelles se trouvaient les constructeurs de navires. Pour être conséquents, pour être justes, ne devons-nous pas, à l'exemple de ce qui s'est fait à l'étranger, donner à l'agriculture et aux constructions maritimes la possibilité de se procurer ce qui leur est nécessaire à des conditions meilleures ?

Une autre mesure que l'équité réclame immédiatement, c'est l'abolition des prohibitions ou restrictions de sortie, qui placent certains producteurs belges en état d'ilotisme. Puisque les mots d'exportation et de restriction d'exportations se trouvent sur mes lèvres, je ne puis m'empêcher de faire ressortir l'étrange anomalie qui résulte de la prohibition de sortie appliquée au minerai de fer, alors que la houille, qui intéresse au même degré la fabrication du fer, n'éprouve aucune entrave. Pourquoi cette inconséquence, pourquoi le régime de la liberté dans ce dernier cas et le régime de l'exportation des fruits du travail dans le premier ?

A entendre les défenseurs de l'industrie charbonnière, on dirait que la réduction des droits d'entrée doit compromettre leur existence ; mais il n'en est rien, messieurs, nos charbonnages fournissent à la France le tiers de sa consommation ; ce n'est pas pour les beaux yeux de nos houilleurs que la France prend nos charbons, et je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. de Brouckere, qu'un autre intérêt que l'intérêt français ait déterminé sa conduite.

Loin de voir un danger pour nos rapports avec la France dans une mesure qui tendrait à abaisser le prix du charbon, j'y vois au contraire une garantie, parce que toute l'industrie française s'opposerait à toute modification au régime de concurrence qui existe aujourd'hui.

L'honorable M. Wautelet nous parlait hier du développement que l'extraction charbonnière tend à prendre dans certaines parties de la France. Je doute que les travaux dont il s'agit aient acquis jusqu'ici une importance réelle ; je crois qu'ils méritent plutôt le nom de travaux de recherche, mais jusqu'à présent il n'est pas question de houillères de nature à créer une concurrence sérieuse à nos charbonnages.

Entre des travaux de recherche, alors même qu'ils constatent la présence de gisements houillers, entre ces travaux et une exploitation régulière, il y a une différence énorme.

Du reste, messieurs, je crois que certaines parties du débouché français actuel pourront échapper à notre production houillère, mais il faut tenir compte, d'un autre côté, du développement énorme des besoins. Songez donc que la France n'en est encore qu'au début en ce qui concerne les chemins de fer, que le gouvernement oblige toutes les compagnies à étendre leurs lignes et que toutes les houillères du Pas-de-Calais et des environs de Saint-Omer, fussent-elles en exploitation, ne pourraient pas fournir la quantité de combustible nécessaire à la France.

Ensuite, messieurs, quelle est la qualité du charbon qu'on tirera de ces houillères ? C'est encore une question sur laquelle vous n'avez aucune notion péremptoire.

Du reste, messieurs, les craintes qu'on manifeste déjà ne justifient-elles pas ce que je vous disais tout à l'heure des dangers que présentent les marchés étrangers privilégiés ? L'industrie linière nous en a déjà fourni un exemple. Sous le régime de la liberté commerciale, au contraire, vous avez la plus grande sécurité.

C'est pour éviter les crises, c'est pour éviter le développement artificiel de l'industrie que vous devez entrer dans la voie, non pas de la liberté commerciale complète, de l'abolition de tous droits ; mais dans cette voie progressive qui conduit à la liberté, parce que, alors, messieurs, vous avez le monde entier pour débouché, parce que, alors, quand le marché intérieur vient à changer ses conditions, vous pouvez porter ailleurs vos produits.

Messieurs, nous avons modifié notre régime commercial en ce qui concerne les outils. Nous avons pendant plusieurs années permis l'introduction des outils sans droits. Cette mesure a produit les meilleurs effets et vous l'avez enfin régularisée en votant une loi qui a réduit considérablement les droits. Grâce à cette mesure, les industriels pourront encore s'approvisionner de machines à l'étranger et je suis persuadé que cette facilité aura pour effet de développer, en la perfectionnant, la production de constructeurs belges.

Quel était le langage des filateurs de lin lorsque le gouvernement fit l'application de l'article 40 aux fils anglais ? Ils disaient : Les fils anglais vont envahir la Belgique.

(page 1118) Et qu'est-il arrivé ? On a donné au tissage un développement tel, que la consommation du fil s'est considérablement augmentée et que les filateurs du pays trouvent aujourd'hui le placement de leurs produits.

Je ne suis pas partisan en principe de la mesure dont il s'agit ; elle peut trouver sa justification dans l'état de choses qui résulte du traité avec la France, et qui rendrait impossible tout travail pour l'exportation ; mais je préférerais une réduction des droits d'entrée, dont le commerce intérieur profiterait comme le commerce d'exportation. Cette mesure ne peut donc être maintenue que jusqu'au jour où vous aurez réduit les droits qui frappant les fils étrangers.

Que feraient, en effet, les tisserands s'ils étaient obligés de payer les 30 ou 40 p. c. qui grèvent cette matière première lorsqu'elle est destinée à être employée pour la consommation intérieure ? S'ils devaient payer ces droits, ils seraient évidemment dans l'impossibilité de travailler pour l'exportation. S'ils travaillent pour l'exportation, c'est grâce au système de fabrication en entrepôt ; mais ce système est vicieux, il donne lieu à beaucoup de fraudes, il n'est pas équitable, parce que tout le monde ne peut pas en profiter, tout le monde ne pouvant pas donner au gouvernement les garanties qu'il exige eu pareil cas.

Quoi qu'il en soit, messieurs, c'est grâce à l’application de l'article 40, c'est grâce à une mesure radicalement libre-échangiste que le tissage a pu se relever, que notre commerce de toiles avec l'étranger a pu prendre du développement.

Messieurs, la question des charbons est très sérieuse, en ce sens qu'il s'agit d'un produit dont le consommateur a le plus urgent besoin. Cette question se complique encore parce qu'on la rattache à celle du régime des voies navigables.

Longtemps on vous a parlé de l'équilibre entre les divers charbonnages ; heureusement que les chemins de fer sont venus nous débarrasser de cette question, mais cela nous a conduits à maintenir sur le canal de Charleroi un péage qui se perçoit pour toute la longueur du canal, alors même que les produits n'en parcourent qu'une partie. Tous les habitants du bassin de la Senne, tous les consommateurs de la provin ce d'Anvers, tous les consommateurs d'une partie des Flandres, et notamment de la Flandre orientale, ont subi cette aggravation de droits ; et aujourd'hui, l'honorable ministre des finances vient argumenter de l'existence d'une injustice, d'une injustice flagrante qui existe depuis un grand nombre d'aunées ; il vient argumenter de cet état de choses, en conclure en faveur d’un droit d'entrée sur les charbons afin de repousser ceux-ci et de conserver au canal ses transports actuels, alors que tous les efforts du gouvernement devraient tendre à rétablir l'équilibre entre l'unité de parcours et l'unité de péage.

Quand le gouvernement a usé de la faculté de racheter le canal de Charleroi, qui appartenait à une compagnie, il n'a pas pu le faire au point de vue d'une spéculation ; ce rachat ne se justifiait que par des considérations d'intérêt général.

Il y a là un déni de justice.

S'il est juste que l'Etat exploite le canal de Charleroi au mieux de l'intérêt du trésor, que n'appliquez-vous le même principe à la Sambre, au canal d'Antoing, etc. ?

Messieurs, il existe une énorme différence entre des droits modérés et les droits tels qu'ils existent aujourd'hui. Dans certains cas donnés, l'industrie à prix égaux trouve un avantage marqué à pouvoir s'approvisionner à l'étranger. Il serait impossible, par exemple, de songer à monter en Belgique une importante fabrication de tissus de coton, dans des conditions semblables à celles qu'offrent les pays où une plus grande facilité existe pour les approvisionnements. Il importe à toute fabrication de ce genre de pouvoir faire à un moment donné des approvisionnements considérables, afin d'assurer un prix de revient déterminé. La Belgique, sous ce rapport, ne présente pas les mêmes conditions que l'Angleterre, où les filatures se spécialisent en quelque sorte, de manière à offrir à l'acheteur, avec l'avantage d'une meilleure qualité, celui de pouvoir traiter pour des parties importantes, immédiatement livrables.

La Belgique, sous ce rapport, est dans des conditions toutes différentes, et je suis sûr que nos collègues gantois, qui doivent connaître la question, ne me contrediront pas.

Voilà un inconvénient qui empêche notre industrie du tissage de se développer comme elle s'est développée ailleurs.

Je citais la Hollande ; eh bien, la Hollande fabrique aujourd'hui sur son sol, dans des proportions énormes, des tissus avec du lin anglais ; elle n'expédie pas ces tissus à Java, mais dans les colonies anglaises, dans ces marches qu'on nous représentait comme exclusivement réservés aux Anglais. Voilà les conséquences d'un principe libéral.

Messieurs, je ne terminerai pas sans remercier publiquement l'honorable M. Vermeire d'avoir relevé fièrement et honorablement le drapeau de l'industrie nationale. A entendre les honorables membres qui soutiennent la prohibition, on dirait que notre industrie n'est pas en état de lutter. Eh bien, je maintiens que notre pays est trop heureusement doué et par la nature et par l'art et par la qualité de ses ouvriers, pour avoir à redouter quoi que ce soit de qui que ce soit ; notre pays est admirablement constitué pour que notre production industrielle se trouve dans les meilleures conditions ; nous possédons le fer, la houille, des communications nombreuses et faciles, avec une population admirable d’ordre, d'activité et d'intelligence ; et, ainsi qu’on l'a fait remarquer, nous avons de plus des capitaux à plus bas prix qu'ailleurs.

Je remercie donc sincèrement l'honorable M. Vermeire d'avoir relevé ce drapeau et d'avoir reconnu que dans toutes les luttes auxquelles nous avons assisté, la Belgique avait su maintenir son rang et prouver qu'elle s'élevait de jour en jour dans la sphère de l'activité.

Une dernière observation sur la quotité du droit d'entrée sur la houille.

On nous a fait un grand étalage de l'énorme réduction qu'on fait subir au droit d'entrée sur le charbon ; que ce droit était de fr. 14-80 et que le gouvernement le réduit immédiatement à fr. 1-40.

Mais, messieurs, le droit de fr. 14-80, c'était la prohibition. Comment ! Le charbon coûte 7 fr. les 1,000 kilog. sur la houillère ; il coûte 14 fr. à quinze lieues de la houillère ; et le droit de fr. 14-80 n'était pas la prohibition !

M. le ministre des finances nous dit que le droit de 1 fr. 40 c. est extrêmement modéré. Mais ce droit équivaut à 20 p. c. du prix de mille kilog. de houille sur la houillère, et à 10 p. c. du prix de la même quantité, à 15 lieues de la houillère ; 10 p. c. sur une matière première qui s'exporte en qualités immenses !

Tout le monde reconnaît que la houille est la matière première de l'industrie, et l'on nous propose un droit d'entrée qui excède 10 p. c ; si ce sont là les réformes que nous promet le gouvernement, je l'en félicite peu.

La tendance qui se manifeste dans les régions gouvernementales à céder aux préjugés m'alarme sérieusement. Je qualifie de préjugé cette crainte de la concurrence étrangère que l'on manifeste.

Se basant sur les importations de cette année, on évalue les importations totales à 160,000 tonnes ; mais on oublie de dire qu'en 1856 nous avons exporté 3 millions de tonnes ; et comment voulez-vous qu'on prenne au sérieux la crainte manifestée de voir le littoral envahi par les charbons anglais, lorsqu'en Hollande vous luttez avec avantage ? En vérité personne ne croira à ce danger.

Je me prononce donc pour la libre entrée, avec la conscience de ne compromettre en rien la prospérité de l'industrie charbonnière ; mais dût-il en résulter une légère concurrence et une réduction de prix, je n'y verrais qu'une juste compensation de l'état de choses que plusieurs parties du pays subissent.

La section centrale a proposé un droit de 83 centimes ; M. le ministre des finances en propose un de 1 fr. 40 c ; hier, un honorable membre qui s'est toujours montré le défenseur des principes libéraux en matière de commerce, a combattu la libre entrée et le chiffre du gouvernement, en appuyant celui de la section centrale ; l'honorable M. Osy a dit qu'il voulait marcher avec prudence ; qu'il craindrait que l'arrivée d'un chargement de charbons anglais à Louvain ou à Bruxelles ne produisît une commotion terrible dans nos bassins houillers ; et l'honorable membre, se posant en conservateur bien prononcé, conclut à une réduction du droit à 83 centimes. Je m'attendais, en présence des alarmes de l'honorable membre, à le voir conclure à la prohibition d'entrée.

En effet, si vous voulez les bienfaits de la concurrence pour le littoral, si vous voulez pour vos commettants les bienfaits de prix réduits, de grâce, permettez que ce soleil bienfaisant luise pour tout le monde.

Vous aurez remarqué, messieurs, que notre honorable collègue M. de Brouckere s'est montré peu édifié des vues conservatrices de l'honorable M. Osy.

Messieurs, je crois avoir répondu à cette observation qu'il ne fallait pas se lancer dans la liberté commerciale, en faisant remarquer que nous étions entrés dans ce régime le jour où nous avons aboli les primes, démoli l'édifice des droits différentiels, proclamé la liberté du commerce des céréales.

J'espère que nous persévérerons résolument dans cette voie et que nous abolirons successivement ce régime de dépendance réciproque qui nous régit, ce régime qui énerve nos industries, leur enlève toute initiative et détruit l'esprit d'entreprise.

J'espère que vous jetterez un nouveau jalon pour la réforme ultérieure de nos tarifs, en maintenant d'une manière permanente cette libre entrée des houilles qui existe depuis trois ans et n'a produit aucun des inconvénients évoques par la peur. Vous songerez aux intérêts de ces nombreux consommateurs qui n'ont pas de représentant direct dans cette enceinte. En me constituant ici leur défenseur, je crois remplir un devoir sacré.

Nos grands producteurs ont l'accès du pouvoir et les ministres de tous les temps ont bien de la peine à résister à qui peut beaucoup dans la sphère politique ; je veux élever la voix en faveur des consommateurs, car leur situation réagit aussi sur la prospérité générale ; je crois agir ainsi en véritable représentant du pays.

J'ai dit que nous n'étions pas seuls à demander qu'on marchât dans la voie de la liberté commerciale, que l'Angleterre, la Hollande, l'Allemagne nous y avaient devancés et que des symptômes très significatifs se sont manifestés dans les régions gouvernementales de la France, de cette France archi-protectionniste.

Grâce au gouvernement actuel, on peut espérer que le régime du monopole pourra, sinon disparaître, du moins être atténué.

On nous a dit qu'il était agréable de se poser en partisan de la liberté commerciale. J'ai répondu que si ce principe était fatal à l'industrie, je devais, un des premiers, voir mes intérêts personnels compromis ; qu'ainsi personne ne pouvait suspecter ni ma bonne foi ni mon désintéressement.

(page 1119) On a parlé des octrois et on a cru produire un fait triomphant en disant que l'honorable M. Ch. de Brouckere reniait ses anciennes opinions sur cette question. Je crois que l'honorable bourgmestre de Bruxelles n'a renié aucun de ses principes et que ses idées économiques n'ont pas varié ; mais il a rencontré des difficultés d'application devant lesquelles il a dû s'arrêter.

La réforme des octrois ne pourra vraisemblablement se réaliser qu'en la combinant avec un remaniement des impôts de l'Etat. Une proposition a été faite. L'octroi est une chose injuste, c'est encore un vestige de l'ancien régime, où l'on s'était très peu occupé des consommateurs.

J'ai interrompu tout à l'heure l'honorable M. de Brouckere, en disant qu'il me paraissait faire un appel à la coalition de certains intérêts, je ne crois pas que cela entre dans ses vues, je crois même avoir compris plus tard qu'il entendait que toute mesure qui tendrait à atténuer la protection de certaines industries serait suivie de mesures analogues en faveur des autres pour leur donner une compensation.

Je termine, messieurs, par cette réflexion que le régime protecteur élève d'une manière factice la valeur des divers produits ; ceux-ci s'adressant à d'autres producteurs pour lesquels ils sont une matière première, il s'ensuit que le prix des choses se trouve relevé, sans qu'en réalité il en résulte un bénéfice, aussi longtemps que les échanges se font à l'intérieur.

S'agit-il d'un échange à l'étranger, et certes nous en avons de nombreux à effectuer, puisque le pays ne produit pas tout ce qui est nécessaire à sa consommation, aussitôt nous nous trouvons en perte de toute la valeur ajoutée d'une manière factice ; car une fois sur le sol étranger, nos produits y rencontrent la concurrence étrangère et leur prix se règle eu conséquence.

Le régime protectionniste est donc en réalité l'exploitation du consommateur étranger sous prétexte de favoriser le travail national.

Ce système eût-il pour conséquence une élévation des salaires, ce qui n'est pas, l'ouvrier n'y trouve qu'un avantage négatif, puisqu'il est obligé de payer plus cher toutes les choses nécessaires à sa consommation.

M. de Brouckere. - Je demande la parole pour un fait personnel.

L'honorable préopinant vient de me représenter avec un certain doute, je le reconnais, comme poussant à la coalition de certains intérêts. Je déclare que je n'ai pas eu une idée qui ressemble à celle qu'on me prête. Je crois avoir raisonné très juste sur les dangers qui menacent certaines industries, mais je n'ai en aucune manière provoqué de coalition de leur part.

Je ferai remarquer que l'honorable membre, en cherchant à me répondre, a donné des éloges à l'honorable M. Vermeire. Or M. Vermeire et moi nous sommes parfaitement d'accord quant à nos prémisses et quant à nos conclusions, car l'honorable membre a terminé en annonçant qu'il voterait pour le chiffre du gouvernement, qui est mon chiffre.

M. Julliot. - Messieurs, la proposition de la libre entrée sur le charbon de terre, m'oblige à dire quelques mots afin de faire comprendre pourquoi je ne voterai pas ce projet radical d'une manière définitive.

Nous ne devons pas nous faire illusion et nous promettre la disparition totale de la douane.

Nous conserverons la douane parce que nous conserverons les accises, et nous conserverons ces dernières, parce que pour gouverner il faut des ressources et que l'accise et la douane nous sont indispensables pour former notre budget des voies et moyens qui grossit constamment, parce que beaucoup de monde a la manie de vouloir développer l'action gouvernementale de plus en plus, ce qui ferait supposer que de jour en jour nous devenons plus incapables de nous conduire nous-mêmes.

Eh bien, nous n'avons que les apparences de ce recul contre nous, car nous progressons en richesses intellectuelles et matérielles, mais le désir immodéré de faire intervenir le pouvoir a un autre but que je vais définir en deux mois.

Les industriels et les négociants en général nous adressent des pétitions en grand nombre, le caractère de ces pétitions est le même pour toutes.

L'industrie et le commerce demandent à déposer sur l'autel de la patrie une partie de leur liberté en demandant en échange des lois sous toutes les formes qui leur permettent de prendre quelques fractions sur la propriété d'autrui ; telles sont les réclames en faveur des traités de commerce, des drawbacks, de la réduction des péages sur les canaux, des droits protecteurs à l'entrée et des prohibitions à la sortie.

Plus ces sortes de prétentions injustes sont voilées, plus il y a chance de réussite, et sous ce rapport la ville d'Anvers n'est pas la plus mal grimée ; aussi fait-elle ses affaires.

Or, aussi longtemps qu'on a une douane on doit se demander comment on la veut, on doit surtout y introduire autant d'uniformité que possible en ménageant néanmoins dans une certaine mesure les capitaux maladroitement engagés.

Messieurs, en ce qui me concerne, je m'arrête au système suivant.

Imposer par des droits fiscaux à l'entrée du pays tous les articles de grande consommation dont nous produisons les similaires, et nous sommes entrés dans cette voie par une loi récente sur les denrées alimentaires, puis prendre sur ces mêmes articles un droit de balance à la sortie. La statistique gouvernementale demande à la douane le même travail à la sortie qu'à l'entrée des marchandises et je ne sais pourquoi le gouvernement devrait fournir ce travail pour rien en ce qui concerne les exportations.

Ce système, du reste, fonctionne avec succès en Hollande, et ce pays est en mesure de faire un nouveau pas vers la liberté.

Je pense que, sans nuire à nos capacités financières en Belgique, on peut admettre que le financier hollandais peut se passer de puiser a notre école et, en ami, je le lui conseille.

Je n'obtiendrai pas le droit de balance à la sortie, je le sais et je me contente de l'indiquer.

Je voterai donc la proposition de la section centrale qui porte le droit d'entrée à 1 fr. par 1,000 kilog, y compris les additionnels, qui répond encore à 10 p. c. à la valeur, et pour les autres articles je saisirai toutes les occasions où mon vote pourra se rapprocher le plus du système que je crois le meilleur.

Messieurs, quelque habile que l'on soit, quand on défend une mauvaise cause, on est condamné à formuler des prétentions insoutenables et parfois encore à avancer des contradictions inexplicables.

C'est ainsi que l'honorable M. Laubry, dans son discours d'hier, a émis des idées que je ne me charge pas d'expliquer d'une manière satisfaisante.

D'abord l'honorable membre a déclaré qu'il désire vivement que le prix du charbon baisse, puis pour terminer l'honorable membre a proposé un droit de deux francs à l'entrée pour que ce prix s'élève en proportion. Quel est donc, des deux, le but que l'honorable membre veut atteindre ? Est-ce la hausse ou la baisse ? Pour ma part je suis embarrassé d'opter entre ces deux déclarations et je m'abstiens.

Puis le même orateur a cherché à nous prouver qu'attendu que le trésor belge doit rembourser les péages sur l'Escaut, il serait bon d'établir des droits élevés à l'entrée du charbon afin d'entraver cette navigation pour échapper à ces restitutions.

Mais si ce remède est bon appliqué à une spécialité, il serait bien plus efficace s'il était appliqué d'une manière générale à toute la navigation de l'Escaut qui peut prétendre à la restitution des péages, et à ce point de vue l'honorable député de Mons doit rencontrer l'honorable baron Osy avec qui il pourra discuter cette question.

L'honorable M. Wautelet, avec sa grande expérience des affaires, comprenant que le terrain où il se trouve devient quelque peu mouvant, s'est rabattu sur la gratuité de la navigation sur nos canaux ; autre idée de l'école sociétaire qui sourit depuis quelque temps aux plus habiles de la phalange industrielle, parce qu'elle est nouvelle. Or, cette idée est un nouveau masque qui, à son tour, sera reconnu plus tard.

Je dois dire à l'honorable M. Wautelet qu'il n'a pas la primeur de cette idée ; un honorable ami de la Chambre, déjà plus d'une fois, a cherché à me faire comprendre tout l'avenir qu'il y avait dans cette idée.....

J'y ajoute, moi : oui, pour quelques-uns, mais au détriment de beaucoup d'autres.

Messieurs, les voies navigables sont des instruments de travail et d'échange qui coûtent fort cher au trésor, et le moins qu'on puisse demander c'est que cet instrument d'échange rende, sous forme de péage à payer par ceux qui s'en servent, le montant de ce qu'il coûte, et ce n'est pas à ceux qui sont totalement étrangers à ces voies navigables de les entretenir à leurs frais, au bénéfice exclusif de ceux qui s'en servent.

Je pense, messieurs, qu'il est temps de remuer une bonne fois ces questions à fond, en prenant pour point de départ que le système le plus juste c'est celui où chaque consommateur d'un service public le paye autant que possible avant qu'on s'adresse de ce chef au contribuable en général. Il serait même utile de se demander si les canaux ne sont pas domaine de l’Etat et si l'on ne doit tirer de son domaine ce qu'il peut donner avant de mettre le percepteur des contributions en activité.

Une autre considération qui n'est pas à dédaigner, c'est que le moment le plus favorable pour établir des droits définitifs à l'entrée des produits est celui où ces produits sont très demandés et où par conséquent le nouveau régime ne donnera pas de secousse, et le charbon occupe cette position. Il est d'autant plus désirable de modérer les droits protecteurs, que le régime économique le plus favorable aux masses est celui qui, en évitant les secousses, produit le moins de perturbation dans les ressources du prolétaire. Or, l'industrie et le commerce qui fonctionnent le plus naturellement dans un pays évitent à l'ouvrier cette alternative d'un salaire très élevé et d'une réduction exagérée du salaire. Cette alternative en présence du peu de prévoyance du prolétaire lui est plus nuisible que favorable et lui fait passer des jours souvent cruels ; on peut attribuer ce malaise comme le produit principal des moyens factices qu'on applique à l'industrie sous forme de protection.

J'ai dit.

M. T’Kint de Naeyer. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots aux honorables préopinants qui se sont occupés du discours que j'ai prononcé au commencement de cette discussion.

Je dirai d'abord à l'honorable M. Lesoinne qu'aujourd'hui comme en 1855, je ne crois pas devoir m'opposer à certaines réductions de tarif, lorsqu'il est démontré que ces réductions ne peuvent porter aucun (page 1120) préjudice aux industries intéressées et surtout lorsque ces industries elles-mêmes consentent à les admettre.

Pourquoi imposerions-nous la protection à ceux qui proclament leur force ?

La protection est une question de fait, elle peut donc varier d'après les faits auxquels elle est subordonnée. Expression des besoins de la production dans des circonstances données, elle peut cesser de l'être quand ces besoins changent.

Vous serez toujours amenés, messieurs, par la force des choses à protéger nos grandes industries contre les industries autrement colossales de l'étranger, chaque fois que ces dernières viendront se placer sur notre marché à des prix qui ne permettront plus la concurrence. C'est, comme je l'ai déjà dit dans une autre occasion, la loi de l'intérêt national, de la sûreté publique en dehors des théories.

On a reproché à la ville de Gand, si protectionniste, d'avoir la première réclamé la libre entrée du charbon. Il s'agissait, vous le savez, messieurs, d'une mesure temporaire tellement justifiée par des circonstances anomales, qu'elle a obtenu dans cette Chambre un vote unanime.

En 1855, nous nous sommes, comme aujourd'hui, ralliés au droit de 1 fr. 40 e. proposé par le gouvernement et accepté par les représentants des districts houillers.

Pour les fers, il s'agissait, d'après le projet primitif, d'en revenir au droit d'avant 1843. C'était une protection d'environ 30 p. c. La majorité de la Chambre a voulu, l'année dernière, un dégrèvement plus considérable. Tous les membres de la députation gantoise ont voté contre.

Nos honorables contradicteurs ont nié l'intensité des crises auxquelles des excès de production à l'étranger donnent si souvent lieu. J'ai cité à ce sujet les paroles de sir Robert Peel, qui déclare ouvertement qu'en temps de crise le commerce anglais doit chercher à se défaire partout et à tout prix de son encombrement.

Voulez-vous une autre autorité ?

« Suivant les crises industrielles, dit M. Thiers, les valeurs varient avec une rapidité effrayante. Vous avez vu ce qui s'est passé en 1848 ; nous étions surchargés de cotonnades, nous les avons rejetées sur l'Allemagne, sur la Suisse où elles pouvaient entrer, et nous avons été heureux de nous en débarrasser à 30 et 40 p. c. de perte. »

Mais j'en appelle, messieurs, à vos souvenirs, sont-ce là des hypothèses sans réalité ? Des faits de cette nature se produisent périodiquement. Ne voit-on pas, à Hambourg, à Leipzig, à New-York, ces soldes de marchandises anglaises, dont on nie l'existence, vendus à des prix ruineux.

Au premier mouvement du commerce, le bassin le plus vaste se déchargerait aux dépens du bassin le moins étendu. Le transport vers la Belgique n'exige que quelques heures, et vous croyez que la préférence ne nous serait pas donnée ?

Vous n'avez pas perdu le souvenir des sacrifices que nous avons été obligés de faire pour maintenir le travail à diverses époques, notamment en 1849.

Les avances que le trésor a été dans le cas de faire ne sont pas même toutes remboursées aujourd'hui. Nous ne parvenons pas à éviter les crises intérieures et vous voudriez que nous nous soumettions volontairement au contrecoup des crises que nos voisins subissent périodiquement. Ne serait-ce pas multiplier les causes de stagnation et par conséquent développer la misère publique !

Non, dit l'honorable M. Lesoinne, nous voulons augmenter la somme de la production dans le pays et augmenter les salaires.

Je rends hommage à l'opinion très consciencieuse de l'honorable M. Lesoinne. Nous voulons tous le même résultat ; mais nous différons sur le choix des moyens.

Avant d'ouvrir notre marché à la concurrence étrangère, nous nous préoccupons des moyens de nous rendre les marchés étrangers plus accessibles, et il me semble que ce système est au moins aussi rationnel et surtout plus national. Avant d'acheter, il faut vendre.

Au lieu d'abaisser notre tarif au profit exclusif d'un peuple qui est arrivé à l'apogée de la puissance industrielle, qui se trouve trop à l'étroit malgré ses immenses colonies, nous trouvons plus prudent d'augmenter nos exportations par des concessions réciproques.

L'honorable M. Prévinaire ne veut pas de ce système. Les traités, dit-il, c'est un vasselage matériel. Il y a un autre vasselage qui serait bien plus réel, ce serait celui qui résulterait de la ruine de nos principales industries et qui nous mettrait dans la dépendance de l'Angleterre.

Les traités, qu'est-ce, sinon la régularisation de convenances réciproques ?

Nous avons des traités avec des pays qui sont nos clients pour certains produits, comme nous sommes les leurs pour certains autres.

Il ne suffit pas de vouloir le libre-échange, il faut qu'il soit possible.

L'honorable M. Vermeire ne redoute pas l'absorption des intérêts continentaux par l'intérêt britannique. Jusqu'à présent les industriels français, allemands, russes, américains n'ont pas été de son avis. La Hollande ne craint pas la concurrence sur le continent, mais elle a conservé pour ses colonies un système restrictif au plus haut degré. L'honorable membre a parlé de la lutte que la Suisse soutient sur le terrain de la liberté.

Il n'est pas tout à fait exact de dire que la Suisse n'a pas de tarif ; les droits de canton à canton ont été supprimés et remplacés par des droits généraux plus élevés, il est vrai, mais qui constituent une protection réelle lorsqu'on les combine avec les frais de transport qui sont considérables, puisque les marchandises anglaises, pour arriver en Suisse, doivent traverser l'Allemagne ou la France. Il y a peu de protections plus efficaces que celles des distances.

La Suisse d'ailleurs a une économie de production très grande, grâce à la force motrice qu'elle trouve dans de nombreuses chutes d'eau, grâce aussi à la frugalité de ses habitants qui se contentent de salaires que nous trouverions dérisoires ici. Aussi est-ce surtout dans les industries où la main-d'œuvre domine que le Suisse excelle. La filature du coton est loin d'y être dans une situation prospère. Si un régime analogue devait être appliqué à la filature belge, c'est ce que d'honorables préopinants semblent désirer, je crois que d'autres industries auraient bientôt le sentiment des difficultés auxquelles elles seraient exposées. Frappez la racine d'un arbre, on en voit bientôt jaunir la tête. (Interruption.)

Je reconnais que le moment de traiter les questions spéciales n'est pas venu. L'enquête que M. le ministre des finances a annoncée et qu'il complétera en entendant personnellement les intéressés, établira le surplus des frais entre la filature belge et la filature anglaise.

En France, cette différence a été évaluée à 30 p. c. L'enquête fera sortir l'avantage qui résulte pour nos concurrents de la possibilité qu'il y a pour eux de ne produire qu'une seule qualité de fil dans des fabriques vingt fois plus considérables que les nôtres, tandis que nous sommes obligés, avec un marché restreint, de faire quatre ou cinq qualités à la fois. La division du travail et une meilleure répartition des frais généraux permettent de faire plus vite et à meilleur marché.

L'honorable M. Prévinaire prend texte de là pour soutenir, lui filateur, qu'il est impossible de produire le fil en Belgique dans d'aussi bonnes conditions qu'en Angleterre. Mais c'est un argument que l'honorable membre fournit en faveur de la protection et il devient évident que, sans elle, nos filature chômeraient.

L'honorable M. Vermeire, au contraire, a dit que le fil est aujourd'hui plus cher en Angleterre qu'en Belgique. Il me serait difficile en ce moment de vérifier l'exactitude de cette assertion. Mais s'il est vrai que, dans certaines circonstances, lorsque des demandes extraordinaires se produisent, le fil monte en Angleterre à des prix très élevés, je demande si nous avons intérêt à compromettre l'existence de nos filatures et à placer le tissage sous la dépendance des filateurs étrangers ?

L'honorable M. Prévinaire a encore prétendu que nous ne produisions pas assez de fil, que le fil manquait en ce moment. J'engage beaucoup l'honorable M. Prévinaire à prendre des renseignements à cet égard à Gand. Je suis persuadé que nos industriels s'empresseront de remplir parfaitement tous les ordres qu'il voudra leur confier.

Plusieurs honorables membres ont protesté de leur désintéressement dans la question qui nous divise.

Je ne suis, messieurs, ni filateur, ni tisserand, ni imprimeur. Je cherche à démêler le vrai entre tous les dires opposés, mais je suis bien décidé à repousser comme dangereuses les prétentions de telle ou telle industrie qui voudrait tout sacrifier à elle seule.

L'honorable M. Vermeire a réclamé l'entrée des fils dans l'intérêt du tissage.

Eh bien, laissez passer la tête et bientôt tout le corps y passera. Les tisserands demanderont la libre entrée du fil, les imprimeurs demanderont l'entrée des tissus et quand une industrie aura été ruinée par l'autre, je vous demande quel avantage il en résultera pour le pays en général.

L'honorable M. Prévinaire a terminé son discours en disant que les membres qui soutiennent la protection ravalent l'industrie nationale. Messieurs, je crois que nous n’avons ni à ravaler ni à glorifier l'industrie nationale. L'industrie nationale parle pour elle-même. Les palmes qu'elle a recueillies aux expositions universelles démontrent combien elle a marché résolument dans la voie du progrès.

Et je le demande à nos honorables contradicteurs, sous quel régime la Belgique s'est-elle placée aussi haut ? N'est-ce pas sous le régime de la protection ? Il y a un quart de siècle à peine que nous existons comme nation industrielle. L'Angleterre a eu la prohibition pendant plus d'un siècle, et aujourd'hui encore, nous l'avons démontré, elle est loin d'avoir entièrement renoncé à la protection.

La France, l'Allemagne, la Russie, les Etats-Unis maintiennent la protection. Ces nations s'endorment-elles à l'abri de leurs tarifs ?

Ma conviction profonde, messieurs, est que la plupart des industries en Belgique auront pendant fort longtemps encore besoin d'être défendues et qu'il y aurait plus que de la témérité à vouloir, pour ainsi dire, seuls en Europe, avec des armes inégales, entamer une lutte devant laquelle de plus puissants qui nous ont reculé.

M. de Haerne. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de parler a diminué en grande partie la tâche que je m'étais proposé de remplir, celle de répondre à plusieurs objections, à plusieurs considérations qui avaient été présentées dans les séances précédentes dans un sens contraire à l'opinion que, d'accord avec cet honorable membre, j'ai toujours soutenue dans cette enceinte.

Vous me permettrez cependant d'ajouter aux observations si lucides de l'honorable député de Gand quelques considérations qui tendent à renforcer la thèse qu'il a si bien défendue.

(page 1121) Je commencerai par dire d'une manière générale que j'adhère à l'opinion si sage exprimée à la séance d'hier par l'honorable ministre des finances. Il vous a dit que, d'une part, on ne peut rester dans l'immobilité ; mais que, de l'autre côté, il faut progresser avec beaucoup de prudence.

Messieurs, d'honorables membres de cette Chambre vous ont dit qu'il n'y avait ici ni libre-échangistes, ni protectionnistes absolus.

Lorsqu'il s'agit de la théorie, ceux qui ont une tendance au libre-échange viennent dire : Il ne faut pas jeter le trouble dans l'industrie ; ils ne sont donc pas libre-échangistes dans le sens absolu de l'expression.

De l'autre côté, lorsqu'il s'agit de défendre la protection, on soutient qu'on ne veut qu'une protection modérée.

Toute la différence consiste donc en ce qu'il y a chez les uns plus de prudence, chez les autres plus d'audace et, en définitive, il s'agit uniquement de savoir, dans les cas spéciaux, jusqu'où l'on peut aller.

En respectent toutes les convictions, je crois cependant, messieurs, pouvoir dire d'une manière générale, que le système du libre-échange vers lequel on tend avec une certaine témérité en dehors de cette Chambre et quelquefois aussi dans cette Chambre, que ce système offre de grands dangers et qu'il n'a été adopté nulle part jusqu'ici d'une manière complète. La sagesse de toutes les nations est plus forte que les théories les plus belles, les plus séduisantes.

On a prétendu que le libre-échange est appliqué dans certains pays ; on a cité l'Angleterre, et tout à l'heure l'honorable M. Prévinaire a parlé de la Hollande. Mais, messieurs, nous avons dit cent fois que ces exemples ne sont pas applicables partout, que d'ailleurs ces pays, qui appliquent le libre-échange dans une certaine mesure, sont loin de l'appliquer d'une manière générale et absolue. Or, aussi longtemps qu'aucune nation n'aura appliqué le libre échange d'une manière complète, il serait imprudent pour nous de vouloir le faire.

En ce qui concerne la Hollande, ne sait-on pas, messieurs, que tout en consacrant la liberté chez elle, cette nation a dans ses colonies un système de restrictions en faveur de la mère-patrie. Or, ces colonies ont une importance au moins deux fois plus grande que celle du marché hollandais proprement dit.

L'Angleterre 1 Le tarif anglais, on vous l'a dit, messieurs, à plusieurs reprises, est loin d'être libre-échangiste ; il admet la liberté pour les produits qui n'ont pas besoin de protection ou que l'on a cru, au moins, pouvoir se passer de protection ; mais il établit des droits réellement protecteurs sur certains articles et des droits différentiels énormes. L'honorable M. de Brouckere parlait tout à l'heure des droits différentiels qui existent dans les colonies, mais je vais plus loin, et je dis qu'il existe dans la mère-patrie des droits différentiels sur les produits coloniaux.

Ainsi, sur certains denrées alimentaires, le beurre, le fromage, les œufs, il y a des droits différentiels de 100 p. c ; les droits sont doubles lorsque la denrée vient d'un pays qui n'est pas une colonie anglaise. C’est bien là de la protection.

Voulez-vous un autre exemple, messieurs ? En Angleterre les soieries payent 5 p. c. lorsqu'elles viennent d'une colonie et savez-vous ce qu'elles payent quand elles viennent d'un autre pays ? 15 p. c. C'est un droit différentiel de 200 p. c.

Le bois paye encore un droit différentiel de 100 p. c. C'est cependant là une matière première et une matière de chauffage.

Et ici je réponds à l'honorable M. Prévinaire, qui disait tout à l'heure, en parlant des houilles : Mais c'est une matière première et vous la frappez d'un droit de fr. 1-40 qui représente 10 p. c ; c'est exorbitant ! Eh bien, messieurs, en Angleterre on fait la même chose pour une autre matière première, pour le bois, et pour faire voir au monde entier qu'elle veut la protection, l'Angleterre frappe cette matière première d'un droit de 5 p. c. pour les provenances coloniales et de 10 p. c. pour les provenances étrangères. Il y a donc encore ici un droit différentiel de 100 p. c.

De plus, le tarif est très compliqué pour cet article ; il y a 13 catégories de bois toutes soumises à des droits protecteurs et différentiels de provenance. Il y a encore, outre le bois, une quinzaine d'autres articles frappés de droits différentiels semblables, droits dont les anglomanes veulent nous faire peur.

Ces exemples, messieurs, prouvent à la dernière évidence que l'Angleterre est loin d'être absolue dans ces questions, que l'Angleterre est loin de se laisser guider par la théorie lorsqu'il s'agit de la défense de ses intérêts.

Pour le prouver d'une manière plus claire encore, je pourrais, messieurs, invoquer un témoignage de la plus grande valeur. Vous vous rappelez le fameux discours qui fut prononcé dans la séance du 28 janvier 1846 par un des premiers hommes d’Etat dont l'Angleterre puisse se glorifier, par sir Robert Peel ; eh bien, dans ce discours si sage, au point de vue anglais, sir Robert Peel émet-il des idées générales, des idées absolues ? En aucune manière. Voici, par exemple, comment il raisonne à propos du bois, puisque je viens de toucher cette question. Il dit :

« Ce sujet (l'article bois) est des plus compliqués, et rien n'est plus difficile que d'obtenir des informations à cet égard, d'autant plus qu'il est indispensable, en cherchant à se les procurer, de garder le plus profond secret sur nos intentions, jusqu'à ce que nous soyons préparés à les faire connaître à tout le monde. »

Messieurs, s'il s'agissait d'un principe absolu, d'une théorie qui doit s'appliquer à toutes choses, dans tous les cas, pourquoi ce silence et ce secret ?

A propos de la viande, voici ce que dit encore le même orateur. Il abolit les droits sur le bétail, mais il a soin d'ajouter que l'Angleterre n'a rien à craindre sous ce rapport.

« La qualité supérieure, dit-il, de la viande dans ce pays, met les agriculteurs à l'abri de toute crainte de la concurrence. »

Voilà des paroles sages, des paroles inspirées par le sentiment des besoins du pays.

Je dois le dire, messieurs, l'Angleterre a fait un grand pas vers le système de la liberté ; elle a cru devoir le faire dans son intérêt, et je crois qu'en général elle a réussi ; mais ce n'est pas à dire qu'elle ait réussi sur tons les points ; car il faudrait pour le soutenir que ce système eût été appliqué d'une manière absolue et surtout qu'il eût produit des résultats supérieurs à ceux qu'on a obtenus dans les pays soumis à un autre régime, en France, par exemple.

Eh bien, messieurs, permettez-moi d'établir un parallèle entre les résultats obtenus pendant les deux dernières années pour lesquelles il m'a été possible de me procurer les statistiques comparatives.

Je me permettrai de faire une comparaison entre les exportations de France, d'Angleterre et de Belgique par rapport aux années 1854 et 1855.

Voyons d'abord l'Angleterre ; et je distingue entre les produits naturels et les produits fabriqués, parce qu'au point de vue de la production, cette distinction est essentielle ; elle est adoptée en France et dans d'autres pays. En 1854, les exportations anglaises ont été en général de 97,184,000 livres, et les exportations de produits naturels, de 7,020,000 livres ; en 1855, les exportations générales ont été de 97,364,000 livres el les exportations de produits naturels, de 7,882,000 fr., si je fais la déduction, j'arrive, pour 1854. à 99,163,000 d exportation de produits fabriqués, et pour 1855 à 89,471,000 seulement ; ainsi il y a une diminution de plus de 690,000 livres, c'est-à-dire de plus de 17 millions de francs pour l'année 1855 comparée à l'année 1854, en ce qui concerne les produits fabriqués.

En France, l'exportation des produits naturels a été, en 1854, de 280 millions, et en 1855, de 287 millions ; augmentation de 2 p. c. pour l'année 1855 ; en ce qui concerne l'exportation des produits fabriqués, il y a eu 981,000,000 en 1854 et 1,115,000,000 en 1855 ; c'est-à-dire une augmentation de 18 p. c.

Ainsi en Angleterre, les exportations totales sont pour ainsi dire stationnaires ; il y a une diminution sur l'exportation des produits fabriqués. En France, il y a une augmentation de 2 p. c. sur les produits naturels, et de 18 p. c. sur f-s produits fabriqués, et ce sous un régime extraordinairement protecteur.

En Belgique, pendant les mêmes années il y a eu une diminution de 10 p. c. sur les exportations en général ; de 13 p. c. sur les produits naturels, et une diminution de 7 p. c. sur les exportations des produits manufacturés.

Voilà des faits qui prouvent à l'évidence que le système de la protection n'est pas, comme on l'a souvent soutenu, contraire au développement de l'industrie et aux progrès du commerce, car, enfin, si cette théorie était absolue, elle devrait produire aussi des conséquences absolues et générales.

Messieurs, les faits qui se sont produits en Angleterre ont alarmé l'opinion, et nous arrivons aujourd'hui à une véritable crise. Vous savez qu'aujourd'hui 40,000 ouvriers sont répandus dans les rues de Londres, qu'ils y sont inoccupés et qu'ils menacent quelquefois la tranquillité publique.

Plusieurs auteurs anglais s'énoncent dans le même sens. Car on remarque depuis quelque temps que c'est plutôt hors de l'Angleterre qu'en Angleterre même qu'on prône d'une manière si absolue le système du libre-échange. Ainsi, M. Burn, dans un ouvrage publié cette année sous le titre : « The darkening cloud », c’est-à-dire le nuage assombrissant ou la décadence commerciale de l'Angleterre, fait voir que la balance du commerce entre l'Angleterre et les autres pays a été, en 1854, défavorable à l'Angleterre et dans une proportion très notable, savoir : de 27,979,612 liv. st. ; comparant 1845 à 1854, il montre que l'exportation des produits fabriqués (coton, lin et laine) a subi, dans cet intervalle, une diminution considérable, qu'il évalue à 1,327,000 liv st. ; il n’hésite pas à attribuer ce résultat au changement par trop radical, selon lui, qui a été introduit dans le régime anglais.

Il demande si l'Angleterre peut se dire plus éclairée que toutes les autres nations. Il conclut en disant qu'il est temps que la Grande-Bretagne se réveille de son sommeil, et que l'absurdité cesse d'usurper les droits de la vérité et de la justice.

Cette opinion n'est pas isolée en Angleterre. Un membre de la chambre des communes, M. Biggs, n'a pas craint de dire en plein parlement que l'Angleterre était dans l'impossibilité de soutenir la concurrence avec l'Allemagne, parce que, suivant lui, les salaires sont beaucoup trop élevés en Angleterre comparativement à la Saxe, par exemple ; ainsi des autorités imposantes en Angleterre font voir les dangers du système par trop absolu dans lequel on est entrée. MM. John Stuart Mill, Johnston, etc., parlent dans le même sens.

(page 1122) Parmi les marchandises qui s'introduisent en Angleterre, depuis qu'elles sont déclarées libres à l'entrée, j'en citerai une, parce qu'on y a fait allusion dans une séance précédente.

L'honorable M. Lesoinne, en vous parlant de l'industrie linière, a jeté un certain discrédit sur l'ancien filage ; eh bien, de tous les produits de l'industrie linière, c'est celui-là qui s'introduit le plus, depuis qu'on a fait disparaître les droits. Ce sont des toiles, dites de Cambrai, ou les batistes qui ont été introduites en quantités très notables ; pour 1855, l'importation a été de 5 millions de francs, tandis qu'auparavant on n'en importait pas du tout.

Eh bien, c'est là une des fabrications qui appartiennent à la Belgique c'est une manipulation que nous avons cherché à favoriser, tout en développant en même temps le fil mécanique.

Le fil à la main se fait en grande partie en Belgique pour compte de la France ; la France en fait des toiles dites batistes, qu'elle exporte à l'étranger, notamment en Angleterre, comme je viens de le faire voir.

Pourquoi donc ne pourrions-nous pas encourager cette industrie qui produit de si beaux résultats, l'encourager comme on l'a fait en Angleterre même et en Allemagne, en améliorant les instruments de travail, tels que le rouet à deux mains qui a été introduit dans les écoles de l'Etat en Allemagne et en Suède, et exposé par ces pays en 1851 au palais de cristal, comme nous l'ont appris les journaux de Londres à cette époque.

Le rouet simple fut inventé à Brunswick en 1535. Le rouet double, qui peut servir également à une main, est d'invention brabançonne.

Il fut introduit du Brabant en Allemagne, et c'est surtout à cet instrument que ce dernier pays est redevable de l'exportation considérable qu'il fait en fil de main, notamment en « molt garn » ou fil de trame, pour coutil et autres tissus. Vous savez que, sous le régime du traité avec le Zollverein, nous recevions 200,000 kil. de fil de main d'Allemagne, au droit de faveur pour les coutils de Turnhout. Faciliter cette spécialité d'industrie, est-ce être absurde ? C'est d'ailleurs une manutention qui s'allie aux occupations des champs, et qui sous ce rapport est précieuse, morale et productive. Beaucoup de consommateurs persistent à demander ce produit en Belgique et à l'étranger. Pourquoi donc ne pas laisser ce travail à ceux qui n'en ont pas d'autre, ou qui n'ont pas de confiance dans l'industrie autre chose ?

M. le président, on me fait observer que la Chambre n'est plus en nombre et on m'engage à remettre la suite de mon discours à lundi.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui ! A lundi !

- La séance est levée à quatre heures et un quart.