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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 24 mars 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1141) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces suivantes.

« Des maîtres de verreries demandent la libre entrée du sel de soude et de sulfate de soude. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Le sieur Le Blanc, capitaine pensionné, combattant de la révolution, demande une récompense nationale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants à Hensinne prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer, d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites et de permettre la sortie de tous les minerais, moyennant certains droits de douane. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Un grand nombre d'industriels du Centre présentent des observations sur le projet de loi concernant le tarif des douanes ; ils proposent un système de droits réciproques pour la houille et les minerais vis-à-vis de la France ; ils demandent de donuer une durée temporaire au tarif établi sur la fonte et le fer, et de conserver une protection modérée sur un grand nombre d'industries qu'ils représentent. »

M. Dechamps. - Messieurs, un grand nombre d'industriels du Centre adressent à la Chambre une pétition relative au projet de loi qui est maintenant soumis à nos délibérations. Comme cette pétition peut éclairer la Chambre, j'en demanderai l'insertion au Moniteur.

M. le président. - D'autres pétitions dans le même sens nous sont arrivées, La Chambre en a ordonné le dépôt sur le bureau pendant la discussion.

M. Dechamps. - En ce cas, je demande pour cette requête la même décision.

- Le dépôt sur le bureau est ordonné.


« Le conseil communal de Ham-sur-Heure réclame contre un arrêté du gouverneur de la province, créant d'office une école pour un des hameaux de cette commune et contre les suites données à cet arrêté. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner la question relative à l'affaire de Cappellen.


Il est fait hommage à la Chambre par la chambre de commerce et des fabriques de Verviers de 120 exemplaires de son rapport sur l'avant-projet de loi de révision du tarif des douanes.

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant création d’un comité consultatif de législation et d’administration

Transmission par le sénat

Par message, en date du 20 mars, le Sénat transmet à la Chambre le projet de loi portant création d'un comité consultatif de législation et d'administration, adopté par lui dans sa séance de ce jour.

- Ce projet de loi est renvoyé à l'examen des sections.

Projet de loi portant révision du tarif des douanes

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Mascart. - Messieurs, tous les orateurs qui ont parlé jusqu'ici en faveur de la protection ont fait retentir les grands mots de libre-échange. On semble croire que nous voulons appliquer immédiatement et sans transition, les principes les plus radicaux en matière de douanes et pour toutes les industries.

Je ne sais pas quelles sont les propositions qui nous seront faites dans l’avenir. Quant à moi, d'accord avec la société centrale d'agriculture, parmi les matières protégées, je n'en connais que deux, le charbon et les fontes, que je consentirais, sur le marché belge, à mettre en lutte directe avec les produits similaires étrangers. Je leur ferais ici la même position qu'en Hollande et ailleurs où ils soutiennent parfaitement la concurrence anglaise. J'accorderai à toute autre industrie la protection et le temps nécessaire. Je ne veux pas faire des ruines et susciter par là une réaction contre les idées de liberté commerciale qui se produisent partout, et finiront par triompher si l'on procède avec prudence et sagesse.

L'honorable M. Laubry nous disait que tous les charbonnages ne faisaient pas de bonnes affaires, qu'il y en avait qui étaient en perte. Assurément c'est là un fait regrettable, mais ce n'est pas un motif suffisant pour que nous ne consacrions pas d'une manière définitive la libre entrée des charbons. La.situation peu prospère de quelques établissements ne peut être que le résultat de causes particulières.

Je crois, messieurs, si les droits d'entrée sur le charbon avaient été en tout temps modéré, que nous aurions eu moins d'établissements, car les produits étrangers y auraient mis bon ordre. Aujourd'hui, s'il y eu a parmi eux qui ne peuvent se maintenir qu'à l'aide d'une protection considérable, protection qui doit se traduire par des prix plus élevés pour les consommateurs, c'est que la valeur des apports a été exagérée.

Faut-il, pour les maintenir, conserver la législation actuelle et faire réaliser de très gros profils aux établissements construits et administrés avec intelligence, en un mot, placés dans de bonnes conditions ? A ce compte, nous serions obligés, lorsque les céréales seront à bas prix, de rétablir la législation abolie en 1850, ou d'indemniser, pendant la durée du bail, les fermiers qui auraient loué leurs terres trop cher sur la foi de la législation de 1834.

La terre rapporte 2 p. c. en moyenne : devrait-on prendre en considération la réclamation d'un fermier qui payerait 2 p. c. pour un capital double de la valeur de la terre qu'il exploite ? Parce qu'un propriétaire a évalué sa terre à 400,000 fr. et qu'il l'a payée cette somme, tandis qu'elle ne vaut en réalité que 200,000 fr., faut-il, pour que ce locataire imprudent puisse payer sa rente de 8,000 fr. qu'on ferme nos frontières aux denrées alimentaires, qu'on fasse payer sa sottise ou son imprévoyance par les consommateurs ? Ceux qui ont acheté des fonds de terre, leur donnant 2 p. c. d'intérêt des capitaux dépensés, se trouveraient exactement dans le même cas.

Evidemment nous devons le même traitement à tout le monde, et pour les uns comme pour les autres, je ne vois que des capitaux aventurés, exposés à subir une perte plus ou moins grande, à moins que l’Etat ne continue à les sauver à ses dépens ou aux dépens des consommateurs, en maintenant des droits de douane exagérés. A cette condition le travail ne serait pas interrompu un instant, les capitaux continueraient à produire 15 ou 20 p. c. pour certains établissements.Mais il y a autre chose à considérer que le travail, c'est le résultat du travail, c'est le but.

On prétend que l'industrie agricole ne peut être traitée comme l'industrie du fer et de la houille, parce que si les droits d'entrée sur ces matières étaient modérés, l’Angleterre pourrait dans un temps de crise nous inonder de ses produits. Mais cet argument peut être rétorqué contre ceux qui s'en prévalent.

On ne peut pas nier que l'abondance des produits du sol dépend des influences atmosphériques. Quand ces influences sont défavorables rien ne peut faire qu'on obtienne des récoltes abondantes ; mais comme elles sont souvent locales, il se pourrait que la Belgique eût à souffrir deux ans de suite dans sa production agricole, sans que les prix s'en ressentissent suffisamment au point de vue de la rémunération, parce que dans d'autres pays les produits auraient été abondants, grâce à des influences bienfaisantes et que ces produits viendraient largement combler le déficit. Dans cette situation, nos agriculteurs auraient peu de produits qu'ils vendraient à bas pris tout en payant cher leurs instruments de travail et alors que leurs frais généraux seraient les mêmes.

L'honorable M. de Brouckere nous disait dans une séance précédente que la liberté commerciale n'existait nulle part, pas plus en Angleterre qu'ailleurs. Cela est exact, mais il y a une chose à ajouter.

Lorsque Robert Peel opéra sa grande réforme économique, il demanda à tous les intérêts leur part de sacrifices. En 1842 et jusqu'en 1846 on abolit successivement tous les droits sur les matières premières, et le maximum des droits protecteurs sur les produits manufacturés n'excédait pas 20 p. c ; en 1846 le droit fut réduit à 10 p. sur les petits articles et supprimé pour beaucoup d'autres.

Tout ce qui intéressait le bien-être du peuple, vêtement, combustible denrées alimentaires, put entrer en franchise de droits. C'était un système juste, complet, qui n'avait de faveur ni de partialité pour personne, tout le monde était placé sur la même ligne ; il devait nécessairement empêcher toute cause de jalousie et de discussion entre les différentes classes de producteurs.

En Belgique on a procédé autrement. Mais le moment n'est-il pas venu, pour l'industrie houillère comme pour l'industrie sidérurgique, de subir le traitement qu'elle ont contribué à imposer à l'agriculture, il y a sept ans ? Ce ne serait pas un acte de vengeance, mais un acte de justice que nous poserions.

L'agriculture, qui ne prend rien à personne, paye énormément aux autres industries, en se plaçant, bien entendu dans la supposition que (page 1142) les droits payés à l'entrée sont réellement protecteurs, que leur quotité augmente d'autant les prix à l'intérieur. C'est une thèse qui a été soutenue lorsqu'il s'est agi de céréales et qu'on pourrait appliquer avec plus de raison aux fontes et aux fers, quand on se rappelle les réunions des maîtres de forges, réunions dans lesquelles on fixe les prix de ces matières pour une période déterminée parce qu'on est les maîtres du marché intérieur.

Ces messieurs me paraissent être les successeurs des hauts barons d'autrefois qui, seuls et à leur façon, prélevaient un impôt sur les travailleurs de leurs domaines et sur les passants aux ponts et ailleurs.

Le privilège en passant en d'autres mains est exploité avec des formes moins brutales, je le reconnais bien volontiers, mais je doute que les charges soient moins lourdes.

La propriété foncière, paye à l'Etat 18 millions d'impôt directet ne rapporte que 2 p. c. à ceux qui la possèdent. L'industrie charbonnière ne paye qu'une légère redevance et enrichit ses actionnaires. Est-il juste de maintenir les privilèges dont elle jouit au détriment de la première ?

Messieurs, un abaissement de tarif ou mieux encore la suppression de tout droit d'entrée sur les produits de première nécessité, comme les charbons et les fontes, serait un véritable bienfait pour tout le monde, pour l'agriculture surtout, en ce sens que les producteurs du grain et du bétail, qu'on a mis en dehors du droit commun pourraient se procurer ce qui leur est indispensable à meilleur marché qu'aujourd'hui. La balance économique, qu'on a fait pencher en faveur d'une classe de producteurs et au détriment des autres, réprendrait ainsi son véritable niveau.

Je voterai la libre entrée des charbons et, si l'occasion m'est offerte, la libre entrée des fontes.

M. Dechamps. - Messieurs, presque tous les orateurs ont commencé par déclarer que leur intention n'était pas d'entrer dans une discussion générale, approfondie, sur notre régime douanier. On est à peu près tombé d'accord d'ajourner cette discussion approfondie jusqu'à la présentation, annoncée par le gouvernement, du projet de révision de notre tarif douanier.

Mais, messieurs, vous aurez remarqué, comme moi, que la plupart des orateurs ont un peu manqué à cette promesse de l'exorde de leur discours et que cette déclaration intentionnelle ressemblait fort à une précaution oratoire. Car presque tous ont mis le pied dans cette discussion générale ; presque tous ont senti le besoin de faire une petite profession de foi économique et de traiter accessoirement la question du libre échange et de la protection douanière.

Messieurs, d'où cela provient-il ? Cette discussion, semble-t-il, ne devait pas trouver place à l'occasion de ce projet de loi secondaire, sur l’introduction des matières premières en Belgique. Mais c'est que dans ce projet de loi d'intérêt secondaire il s'agit de régler définitivement le sort d'une de nos grandes industries, le sort de l'industrie des houilles.

Permettez-moi d'exprimer un regret de que le gouvernement a cru devoir comprendre une industrie de cette importance dans un projet de loi qui en a si peu ; de ce qu'il a cru devoir comprendre dans ce projet de loi l'industrie de la houille, dont la valeur créée est de 85 millions, qui distribue 40 millions de salaires à 250,000 ouvriers, qui figure pour 40 millions dans notre balance commerciale ; de ce qu'il a cru devoir placer cette industrie entre les ânes et les drogues. Je trouve qu'on aurait dû lui faire l’honneur de le discuter, de fixer son sort permanent, lorsque nous aurions eu à décider du sort des autres grandes industries du pays. Il eût fallu traiter la question de la houille concurremment avec le coton, avec la laine et avec le lin. Je trouve qu'on aurait dû traiter toutes ces questions à la fois, parce qu'alors nous aurions examiné, d'abord, quels devaient être les principes qui devaient nous guider dans la révision de notre tarif des douanes, nous aurions décidé quel était le système de protection ou modéré, ou libéral, ou radical que nous devions accepter, et nous aurions appliqué ce principe, ces idées générales à toutes nos industries, bien entendu en tenant compte des conditions spéciales de chacune d'elles.

Messieurs, je ne me laisserai pas entraîner sur le terrain de cette discussion générale. J'attendrai le projet de loi sur notre tarif de douane pour la traiter à fond.

Cependant, je ne veux pas abandonner ce terraih sans dire quelques mots en passant.

Messieurs, en 1852, nous avons eu une discussion solennelle sur notre régime économique, sur notre politique commerciale depuis 25 ans. En bien, dans cette discussion de 1852, à propos du traité avec la Hollande, j'ai opposé à des affirmations et à des théories des faits irrécusables contre lesquels toutes les objections devaient échouer. J'ai mis mes adversaires au défi de me répondre. Les faits sont la seule mesure des systèmes.

Messieurs, le principe sur lequel repose notre régime de douanes, qui aient le milieu, il faut bien le dire, entre une protection exagérée, la protection, par exemple, du tarif français, et la protection plus libérale du tarif anglais ; si ce principe est faux, évidemment le résultat depuis 25 ans a dû être mauvais.

Si la protection, telle que nous l’avons comprise, a été exagérée, cette protection a dû arrêter l'essor de nos industries, en enrayer le progrès, elle a dû empêcher l’extension de la production, empêcher le développement de nos exportations et faire baisser les salaires. Mais si le contraire, est vrai, et le contraire est vrai, si notre mouvement commercial, notre commerce général, nos exportations, si toutes nos grandes industries ont au contraire suivi une marche progressive et rapide, plus rapide qu'en France et, sous certains rapports, plus rapide qu'en Angleterre, c'est que les principes qui nous ont régis ne sont pas faux. C'est que ces principes n'ont pas été mauvais, puisque les résultats ont été magnifiques.

Notre commerce général est monté du chiffre de 202 millions en 1831, jusqu'à celui de 1,400 millions en 1855. En 1850, en vingt ans, le mouvement de notre commerce général avait quintuplé ; et aujourd'hui, en 1855-1856, il est sept fois plus élevé qu'il n'était dans la période de 1831 à 1835.

L'Angleterre, que l'on cite avec tant de complaisance, a mis vingt années pour doubler ses exportations, de 1830 à 1850. Pendant cette période, la France a un peu plus que doublé ses exportations. Eh bien, la Belgique, pour doubler ses exportations, n'a mis que dix ans. Voilà le fait que je rappelai en 1852, et je priai mes honorables adversaires, du haut de leurs théories, d'expliquer comment des résultats pareils étaient conciliables avec les idées qu'ils se font de notre régime économique, qu'ils considèrent comme mauvais, comme fatal, comme devant arrêter tout progrès, comme devant empêcher la production et le développement des exportations.

Mais, messieurs, prenons l'époque qui s'est écoulée depuis 1850, prenons l'époque quinquennale de 1851 à 1855.

Je pourrais citer des chiffres nombreux, mais je ne veux pas abuser de la patience de la Chambre et je me résumerai. Pendant cette période quinquennale, les exportations, en Angleterre, se sont élevées du chiffre de 74,000,000 de liv. sterl., en 1851, au chiffre de 95,600,000 liv. sterl., en 1855 ; c'est-à-dire que la progression a été de 27 à 28 p. c. C'est beaucoup sans doute ; la France, pourtant a atteint à peu près le même résultat. Mais, messieurs, remarquez ceci : la Belgique, pendant cette même période, a vu ses exportations s'élever du chiffre de 253 millions en 1851, au chiffre de 375 millions en 1855, c'est-à-dire que la progression est de 50 p. c., tandis qu'en Angleterre elle n'était que de 27 à 28 p. c.

Pour le commerce général, pendant cette même période quinquennale de 1851 à 1855, la progression a été en Angleterre de 11 à 12 p. c. et en Belgique de plus de 10 p. c.

Encore une fois, messieurs, voilà un fait irrécusable, préremptoire, écrasant pour nos adversaires. Car enfin comment expliquent-ils, au point de vue de leur théorie, cette situation relative des deux pays ? On condamne notre système économique, on préconise celui de l'Angleterre. Eh bien, je démontre que depuis la réforme de sir Robert Peel le mouvement des exportations n'a pas été aussi rapide en Angleterre qu'en Belgique. Depuis 1852, ce mouvement tend à baisser en Angleterre ; il y a eu une décroissance assez considérable ; tandis que chez nous le mouvement ascendant s'est presque constamment maintenu.

Je me borne, messieurs, à cette simple observation qui, selon moi, est de nature à prouver à nos honorables adversaires qu'ils doivent dans cette question avoir le verbe plus modeste et ne pas considérer ceux qu'ils combattent comme des arriérés dépourvus d'arguments.

Messieurs, dans cette question, il n'y a pas place pour la théorie, il n'y a de place que pour les faits. Il y a deux systèmes économiques, l'économie théorique que l'on professe dans les chaires ; je la comprends, je puis y adhérer à certain point de vue ; mais il y a aussi l'économie politique telle que les gouvernements doivent la pratiquer, c'est-à-dire celle qui tient compte des faits, des circonstances et des temps.

Messieurs, comme le disait l'honorable M. de Brouckere avec beaucoup de raison dans le discours remaïquable qu'il a prononcé dans une séance précédente, est-ce que vous croyez que l'Angleterre, en réformant son tarif, la France en maintenant ses 52 prohibiiions.le Zollverein en conservant son tarif protecteur, les Etats-Unis et la Russie en restant dans cette voie protectionniste, que la Hollande, tout en se donnant l'apparence d'entrer dans un système commercial libéral, mais en maintenant avec soin son monopole colonial et son monopole maritime, croyez-vous que ces nations fassent de la théorie ?

Nullement, messieurs, l'honorable M. T'Kint de Naeyer vous a rappelé les paroles de sir Robert Peel ; cet homme d'Etat disait : A la houille, au fer, aux cotonnades, je réduis ou j'abolis le droit de douane, parce que vous n'en avez plus besoin ; vous n'avez à craindre aucune concurrence. Il avait raison, mais il maintenait la protection partout, où elle était encore nécessaire.

Lorsque je faisais partie en 1842, à Paris, d'une commission commerciale, avec l'honorable comte de Muelenaere et l'honorable M. Liedls,. nous discutions les bases d'un traité large avec la France, qu'on appelait alors union douanière, l'un des membres belges de la commission (nous étions là naturellement un peu libre-échangistes, nous prêchions à la France la liberté commerciale dans les limites des possibilités et de la prudence) l'un de mes collègues rappelait comme exemple à imiter les réformes de Huskisson, en Angleterre. Un membre du cabinet fiançais, M. Humann, ministre des finances, homme d'une grande expérience, répondait : « Mon Dieu, nous savons comment Huskisson a opéré ses réformes ; j'aurais agi comme lui ; mais nous faisons exactement ce qu'il a fait. L'Angleterre a abaissé ses tarifs de douanes pour choque industrie, précisément jusqu'à l'échelon, jusqu'au (page 1143) chiffre qui écarte toute concurrence dangereuse. Or, c'est ce que nous faisons en France. C'est une question, de fait. » C'est là une réponse de bon sens.

Je dis donc qu'il n'y a pas ici de place pour la théorie.

Je suis aussi d’avis, comme les honorables membres à qui je réponds, qu'un tarif exagéré qui, au lieu de protéger, c'est-à-dire de stimuler, d'encourager la production, d'élever par conséquent les salaires, empêche toute concurrence, arrête la production et les exportations et amène la baisse des salaires ; je suis d'avis qu'un tel tarif est dangereux ; lorsqu'il est inutile, il est nuisible ; mais les honorables membres doivent reconnaître aussi que si, au lieu de pousser à la production, vous la découragez par l'adoption de mesures imprudentes ; si vous éloignez d'elle les capitaux ; si vous la menacez de ruine par une concurrence écrasante de l'étranger, évidemment cette liberté commerciale devient aussi dangereuse qu'un tarif prohibitif ou exagéré.

Selon moi, on peut ranger les économistes en trois catégories. Les.partisans d'un statu quo absolu qui n'admettent aucune réforme ; ils ont pour eux à la vérité le fait de notre prospérité commerciale sous l'empire de ce statu quo, mais vouloir le conserver toujours et partout, sans tenir compte des progrès réalisés, c'est une exagération.

La seconde catégorie comprend ceux qui veulent révolutionner le tarif, passer tout à coup de la protection élevée dont ont joui quelques-unes de nos industries à la libre entrée. J'appelle ces économistes-là les radicaux.

Je crois que la majorité de la Chambre n'est ni dans l'un, ni dans l'autre de ces deux camps ; qu'elle est dans un juste milieu où se trouvent les partisans d'un tarif modéré, de réformes successives et prudentes ; je les appelle les réformistes.

Je déclare que j'appartiens à la troisième catégorie des économistes ; je suis partisan de réformes sages et progressives ; ce n'est pas pour moi une profession de foi nouvelle : quand j'étais ministre du commerce, en 1846, je déclarais déjà que nous étions arrivés au maximum de la protection et qu'il n'y avait plus qu'à descendre ; j'ai conclu plusieurs traités de commerce qui ne sont pas un vasselage, comme on l'a dit, mais qui sont la réalisation la plus rationnelle du véritable libre échange, de celui qui a pour conditions les concessions mutuelles et la réciprocité.

Or, messieurs, pour la question qui nous préoccupe, pour la question de la houille, je vous le demande, avec l'honorable M. de Brouckere, est-ce que passer d'un droit prohibitif de 14 fr. 40, régime en vigueur pendant 25 ans, passer d'un tel régime, immédiatement, sans transition à la libre entrée quand on n'a cité aucun chiffre, aucun fait pour justifier une pareille proposition, c'est faire du radicalisme commercial, c'est vouloir révolutionner le tarif, au lieu de le réformer.

Mon honorable ami M. Julliot a dit, dans une séance précédente, que le moment était très favorable pour modifier le tarif d'entrée de la houille, parce que la prospérité exceptionnelle dont jouit cette industrie depuis trois ans pouvait permettre de lui faire subir cette épreuve sans danger. C'est le contraire qui est vrai. Depuis vingt-cinq ans, les industries de la houille et du fer ont passé successivement par des périodes de souffrance et de prospérité successives.

Les périodes de prospérité ont été de 3 à 4 ans qui étaient invariablement suivis de 5 à 6 années d'avilissement de prix et de déclin.

Il y a quelques années l'honorable M. de Brouckere l'a rappelé, quand on s'occupait de l'industrie carbonifère on se plaçait à un point diamétralement opposé à celui auquel on se trouve maintenant. Personne ne songeait à toucher au tarif presque prohibitif, on décrétait une réduction de 75 p. c. sur les péages pour recouvrer le marché de la Hollande ; dans les négociations avec la France on dirigeait des efforts constants pour consacrer le maintien du système des zones, c'est à-dire d'une position privilégiée sur le marché français ; nous dépensions des sommes considérables pour le canal latéral à la Meuse afin d'ouvrir une voie plus facile vers la Hollande ; nous autorisions la création des chemins de fer de Sambre et Meuse et d'Erquelinnes, pour conquérir une place nouvelle sur le marché français.

Les préoccupations constantes du gouvernement ont eu pour objet de favoriser l'industrie de la houille, d'en faciliter les exportations. Si, à cette époque, on était venu demander de toucher à ce tarif, de le réduire de 14,40 à 1,40, on aurait considéré cette proposition comme un acte de folie.

Je me souviens qu'un de nos honorables collègues qui votera probablement la libre entrée, l'honorable M. Frère-Orban, en 1847, disait qu'on ne connaissait pas bien la situation vraie de nos houillères, que dans le Hainaut 48 exploitations se trouvaient en bénéfice et 58 en perte, que dans la province de Namur 15 étaient en bénéfice et 18 en perte, et que dans la province de Liège il y avait 40 charbonnages en bénéfice et 44 en perte.

Voilà ce que disait l'honorable M. Frère-Orban à ceux qui voulaient attaquer par une de ses bases l'industrie des houilles.

Cette situation est changée, j'en conviens, mais pas autant que beaucoup le pensent. Bien des charbonnages ne sont pas dans la situation privilégiée dont d'autres jouissent.

Je dis donc que remplacer sans transition la prohibition par la libre entrée c'est une proposition radicale, et je ne pense pas qu'il y ait jamais une majorité dans une Chambre belge qui se laisse aller à de pareils entraînements.

Je demanderai aux honorables membres sur quel chiffre ils s'appuient, pour défendre cette proposition de libre entrée. J'ai lu attentivement tous les discours qui ont été prononcés, mais je n'ai entendu citer aucun chiffre d'où il résulterait que la libre entrée ne créerait pas à l'industrie belge une concurrence menaçante et ruineuse lorsque les circonstances exceptionnelles que nous traversons seront passées.

On a cité un seul fait, c'est que depuis trois ans nous jouissons de la libre entrée des houilles, sans dommage pour l’industrie.

Mais on a suffisamment expliqué ce fait ; l'expérience de la libre entrée a été nulle jusqu'aujourd'hui ; cette expérience commence depuis quelques mois à peine. Pendant deux ans l'importation de la houille anglaise a été impossible ; depuis un an ces importations augmentent de mois en mois. Comme on l'a fait remarquer, pendant la guerre de. Crimée, les besoins excessifs de la marine anglaise avaient absorbé l'exportation des houilles ; ensuite le fret de mer pendant la guerre était tellement élevé (13 à 14 schellings) que toute exportation en France et en Belgique était interdite. On ne peut donc rien conclure de ces circonstances exceptionnelles. L'expérience de la libre entrée n'est donc pas faite, elle commence.

Aujourd'hui le fret est encore très élevé, il est de 11 à 12 schellings ; cependant les importations prennent déjà des développements qui inquiètent l'industrie.

La question des houilles c'est une question de fret et de péages.

Quand le fret de mer est de 13 à 14 schellings, nous n'avons rien à craindre ; la libre entrée elle-même sera prohibitive.

Quand le fret est à 10 ou 11 schellings, les houilles anglaises entreront, mais à des conditions de lutte possible.

Mais quand le fret de mer tombera à 7 ou 8 schellings, taux auquel il était en 1850, 1851 et 1852, je dis qu'alors le danger commence et la lutte deviendra écrasante et ruineuse pour l'industrie indigène.

Il est un fait que plusieurs honorables membres semblent ignorer. En Angleterre, le transport de la houille se fait par des navires spéciaux qu'on nomme coalers. Ces navires composent ce qu'on appelle en Angleterre la flotte charbonnière. Ce sont de vieilles carcasses de navires qu'on n'assure même plus, et qui sont montés par un équipage très peu nombreux, souvent le rebut de la marine régulière.

Le fret de ces navires est donc très bas, beaucoup plus bas que le fret ordinaire. Qu'est-il arrivé ? Je tiens ces renseignements d'une grande maison de Londres. Pendant la guerre de Crimée, le nombre de ces navires était à peine suffisant pour l'approvisionnement des îles Britanniques ; cette circonstance, jointe à celle du fret de mer très élevé, a rendu impossible les exportations vers le continent. Mais maintenant que la guerre a cessé, le commerce a fait de nombreux achats de bâtiments sans emploi pour augmenter la flottille charbonnière et pour exploiter spécialement les marchés de Rouen et de Paris et celui du littoral belge.

D'après la lettre que j'ai lue, on annonce qu'il y avait eu Angleterre, à la date où cette lettre était écrite, 17 navires de houille chargés pour Gand, et que les compagnies qui viennent de se former ont le projet, même au prix de certains sacrifices, de faire des exportations beaucoup plus nombreuses vers le littoral belge.

Il y a deux faits que je signalerai à l'attention de la Chambre, et qui prouvent qu'une différence de 1 fr. 50 c. à 2 fr., dans l'application des droits de douane peut avoir une grande influence sur le sort de notre industrie carbonifère.

Vous savez que lors du régime des zones, l'Angleterre était à peu près exclue du marché de Rouen. Depuis que le droit a été réduit de 5 fr. 50 c. à 3 fr. 50 c. soit de 2 fr., l'Angleterre a repris en grande partie possession du marché de Rouen et même elle commence à lutter contre nous sur le marche de Paris. Voila les résultats d'une diminution de droit de deux francs.

Il est un autre fait relatif à la Hollande : nous jouissons en Hollande d'une réduction de 75 p. c. sur les péages, c'est-à-dire d'une prime d'exportation de 1 fr. 50 c. On l'a fait cesser. Mais qu'en est-il résulté ? C'est que depuis, le marché de la Hollande a été presque entièrement fermé pour les charbons de Charleroi et de Mons, et que le charbon de la Ruhr nous en a chassés.

Cela vous prouve qu'un écart de 1-50 à 2 fr. peut changer fondamentalement les conditions de la concurrence, et qu'il ne faut pas jouer avec les réductions de tarif.

N'oublions pas qu'il y a en cause ici une question diplomatique que l'honorable M. de Brouckere vous a signalée et qui est des plus graves. Pendant 25 ans, dans toutes les négociations avec la France, le gouvernement belge s'est efforcé d'obtenir du gouvernement français le maintien du système des zones. Déjà nous avons subi un échec. La zone maritime a été abaissée de 5 fr. 50 c. à 3 fr. 50 c.

Il existe en France un parti puissant, le parti des ports de Dunkerque au Havre et à Rouen, qui demande le nivellement des zones du côté de l'Angleterre.

Ce parti devient très-influent en France. Déjà il a emporté un premier triomphe. Nous sommes donc sérieusement menacés de ce côté.

Nous le sommes encore d'un autre côté : Un autre fait se produit, non plus du côté de la zone maritime, mais dans le nord de la France. Mon honorable ami M. Wautelet vous a cité ce fait. Depuis quelques années on a créé deux bassins houillers nouveaux et considérables en France ; le bassin du Pas-de-Calais et le bassin de la Moselle. Déjà le bassin du (page 1144) Pas-de-Calais a pris des développements énormes. Je lisais tout à l'heure nne brochure publiée par la compagnie d'Anzin, au point de vue français, pour soutenir la protection douanière en France sur la houille. Dans cette brochure, on signale ce fait : c'est que les deux bassins du Pas-de-Calais et de la Moselle peuvent produire plus de charbon que n'en envoient en France la Belgique et la Prusse réunies. Voilà le fait.

Qu'en résulte-t-il, messieurs ? Veuillez bien faire attention à cette remarque ; c'est que du côté de la zone anglaise nous sommes menacé par le parti des ports et par Rouen qui demandent l’abaissement de la zone anglaise au niveau du droit de 1 fr. 65 c qui existe à la zone de terre ; et de l'autre côté, le jour où les bassins du Pas-de-Calais et de la Moselle auront pris tout leur développement, et ce jour est prochain, je dis qu'il y aura un autre parti dans le nord, qui demandera l'élévation du tarif sur la zone de terre, pour protéger le développement de ces nouveaux bassins houillers.

Eh bien, en présence de ce double danger, si la Belgique faisait la folie, c'est le mot, de déclarer d'une manière permanente la libre entrée des houilles, lorsque nous négocierions avec la France qui voudrait soit niveler les droits sur la zone maritime et sur la zone de terre, son élever les droits sur la frontière de terre, quelles réclamations pourrions-nous adresser à la France ? Elle nous répondrait : Nous faisons ce que vous nous avez conseillé de faire. Vous avez déclaré vous-mêmes que votre industrie n'a pas besoin de protection ; vous avez appelé la concurrence anglaise sur votre marché intérieur ; de quel droit venez-vous réclamer ? Evidemment, nous serions désarmés ; nous n'aurions plus aucune raison à donner.

Mais, il y a plus, avec la libre entrée, dans certaines circonstances données, les houilles anglaises ne pourraient-elles pas prendre notre littoral et nos voies de communication faciles et arriver en France sur les, marches de Lille et de Roubaix, à meilleur marché que par Dunkerque à la faveur de la zone différentielle ? En présence de ce fait, la France pourrait vous dire : Vous créez pour nous un grand danger ; vous demandez un privilège pour vous et vous facilitez l'introduction dans notre pays des houilles étrangères.

Messieurs, ce système ne résiste pas à l'examen. Veuillez remarquer que le marché fiançais est presque aussi important pour deux de nos bassins houillers que le marché intérieur.

Le droit de 1 fr. 40 c. est-il suffisant ? Je n'en sais rien et vous n'en savez rien. Ce droit, comme l'a dit l'honorable M. Wautelet, est arbitraire. Il a été établi d'après cette idée que nous devions admettre le droit qui existe à la frontière française, par mesure de réciprocité. Au point de vue du marché français, cela peut paraître juste ; mais au point de vue de la houille anglaise, cette raison n'en est pas une.

Messieurs, pour le droit de 1 franc 40 cent., quand j'entends les deux ministères qui viennent de se succéder, le ministère actuel et le ministère de l'honorable M. de Brouckere qui ont étudié la question d'une manière spéciale, qui ont interrogé les autorités, nous déclarer que c'est le minimum auquel ou puisse atteindre, qu'ils ne sont pas certains qu'on n'a pas été plus loin qu'on ne devait aller, je dis qu'aucun membre de la Chambre ne peut avoir la hardiesse de prendre sur lui de vouloir descendre plus bas et même d'assurer que le droit de 1 fr. 40 sera suffisant pour toutes les circonstances.

L’honorable M. Prévinaire vous a dit que le droit de 1 fr. 40 c. était un droit très élevé, que c’était un droit de 20 p. c. à la houillère. Mais, pour arriver à ce droit de 20 p. c, il a pris comme prix de vente sur les carreaux des fosses 7 francs ; c’est-à-dire qu’il a adopté le prix ruineux de 1848 à 1852.

Mais aujourd'hui, le prix du charbon, sur le carreau des fosses, est de 12, 13 ei 14 francs pour le tout-venant, de 16, 18 et 20 francs pour la gailleterie et de 22 à 23 francs pour le gros. Or, je dis que le droit de 1 fr. 40 c. ne représente pas 20 p. c, mais 5, 6 et au maximum 10 p. c.

Messieurs, proposer de réduire des neuf dixièmes le tarif qui existe depuis vingt-cinq ans, proposer de passer d'un droit prohibitif à un droit qui varie de 5, 6, 7 a 10 p. c, je le demande, n'est-ce pas de la modération, et sommes-nous des protectionnistes exagérés ?

Si l'on mesure toutes les autres industries, lorsque nous réviserons notre tarif général de douane, à l'aune à laquelle vous mesurez l’industrie de la houille, beaucoup de nos industries courront d'énormes dangers.

L’honorable M. David, on me le rappelle, a dit hier que le droit de 10 p. c. était un droit fiscal plutôt qu'un droit protecteur. Eh bien, nous ne réclamons que cela. Le droit de 1 fr. 40 c. n'équivaut pas même en moyenne à 10 p. c.

Je vous demandais tout à l'heure si le droit de 1 fr. 40 c. était suffisant. Je vous ai répondu que vous n'en saviez rien et que je n'en savais rien. C'est une expérience que l'on va faire. Personne ne peut en prédire le résultat.

J'ajoute que cette expérience est pleine de danger si, comme corollaire de cette mesure, le gouvernement ne se décide pas à proposer la réforme des péages sur les voies navigables et l'amélioration des transports intérieurs.

Messieurs, vous voulez appeler la concurrence de la houille étrangère sur nos marches du littoral, Gand, Bruges, Ostende, Anvers et peut-être Bruxelles.

Mais soyez bien attentifs à la position réciproque que vous allez faire à la houille étrangère et à la houille belge.

Je n'ai qu'à rappeler un argument que chaque orateur a reproduit, mais un argument tellement péremptoire qu'aucun de nos adversaires, n'a osé l'aborder en face.

Vous voulez réduire considérablement le droit de douanes, quelques-uns proposent même de le supprimer ; vous rembourserez le droit de péage de l'Escaut de 3 fr. 17 c. par tonne pour faciliter l'introduction de la houille anglaise ; et pour la houille indigène, vous conservez toutes les entraves intérieures, les péages exorbitants, les frais onéreux de halage, les octrois et les taxes locales qui fout doubler le prix du charbon sur les marchés consommateurs.

Pourquoi ces deux poids et ces deux mesures ? Pourquoi cette liberté pour l'Angleterre et ces entraves pour nous ? Avant tout, égalisez les conditions de concurrence.

Voulez-vous supprimer les péages à l'intérieur ? Et, si je n'étais que le député de Charleroi, je consentirais volontiers à la suppression de tout droit de douane. Ces deux questions sont connexes. Mais que faites-vous ? Non seulement vous proposez la libre entrée, non seulement vous rembourserez le péage de l'Escaut, de manière que chaque tonne de houille anglaise introduite coûterait au trésors 3 francs, selon M. de Brouckere, 5 fr. selon M. le ministre des finances, non seulement vous faites cela, mais vous permettrez que la houille anglaise, pour arriver sur les marchés de Bruges, de Gand, d'Anvers et de Bruxelles, n'aura qu'à parcourir que des canaux, pour ainsi dire exempts de péages, tandis que la houille de Charleroi et du Centre aura un péage de 2 fr. 30 c. à payer pour engager la lutte de concurrence que vous allez créer. Vous détruisez les barrières pour l'étranger, vous maintenez les barrières pour l'industrie belge, voilà ce que vous appelez faire du libre-échange ; c'est du libre-échange pour l'Angleterre et de la protection et du privilège contre nous.

Je l'ai dit cent fois, messieurs, les péages du canal de Charleroi sont des droits exorbitants, qui n'existent nulle part, et toujours on a opposé le trésor public ; mais quand il s'agit des houilles étrangères, il n'est plus question du trésor public, on n’en a aucun souci.

Les partisans du libre-échange ont toujours déclaré qu'ils consentaient à des droits fiscaux ; or, ici le droit même de 1 fr. 40 c. ne sera pas un droit fiscal, puisque le remboursement du péage de l'Escaut, constituera le trésor en perte ; c'est donc un droit antifiscal et, à ce point de vue, insuffisant.

Quand nous aurons amélioré nos voies navigables, abaissé nos droits de péages, donné à la Sambre canalisée sa profondeur légale, amélioré le système de halage sur l'Escaut, construit le chemin de fer de Saint-Ghislain destiné à faire baisser le fret de Mons à Gand, aboli les octrois des villes sur la houille, quand toutes ces réformes intérieures seront opérées, exécutez la réforme douanière. Mais il eût fallu que ces réformes intérieures eussent précédé la reforme extérieure et douanière ; ces deux questions sont connexes, on ne peut pas les diviser, résoudre l'une sans résoudre l'autre.

Vous nous faites une position qui n'est pas juste, et nous allons consentir à une concession sans compensation.

Pour moi, je n'accepte le droit de fr. 1,40 qu'à la condition que les mesures intérieures dont je viens de parler recevront leur réalisation.

Messieurs, je dis que la question des péages, c'est-à-dire, avant tout, la question du canal qui la résume, doit être examinée. La recette totale des canaux est de 2 millions, et le canal de Charleroi figure dans ce chiffre pour 1,335,000 fr., c'est-à-dire pour les deux tiers.

Pour les rivières, la recette de toutes les rivières du pays est de 990,000 fr., et la Sambre canalisée y figure pour 753,000 fr., c'est-à-dire pour les sept dixièmes.

Voilà la position qu'on a faite au bassin de Charleroi ; il fait les deux tiers de toutes les recettes des canaux et les sept dixièmes de toutes les recettes des rivières.

Messieurs, pour la Sambre canalisée on hésite à faire les dépenses nécessaires pour lui donner la profondeur légale ; et pour le canal de Charleroi, on refuse de faire les dépenses nécessaires pour rendre la navigation favorable à l'industrie et aux consommateurs. Pour la Meuse, on a fait le canal latéral. Je suis l'auteur de ce projet et je m'en réjouis, mais enfin on a créé là une dépense considérable. On a fait, en outre, la dérivation de la Meuse, dont la dépense est énorme.

Les dépenses faites depuis vingt ans pour l'amélioration de la Meuse s'élèvent à un chiffre effrayant ; or, sur la Meuse on perçoit 1/2 centime, je pense, de droit de péage, rien, tandis que sur le canal de Charleroi, on perçoit 16 et 20 centimes par tonne-lieue, et ici on refuse toute dépense. Je dis que cela n'est pas juste, je dis que nos réclamations que nous renouvelons sans cesse, sont des réclamations fondées. Je dis que, si vous voulez faire de la liberté pour les houilles étrangères, vous devez faire de la liberté pour les houilles indigènes.

Messieurs, vous voulez appeler la concurrence étrangère sur le marché du littoral ; nous y consentons jusqu'à un certain point ; mais pour une industrie comme celle des houilles, qui a besoin non seulement du marché intérieur, mais qui a besoin d'une exportation de deux à trois millions, pour une industrie qui se trouve dans ces conditions, ou a organisé un système de péages qui empêche la concurrence intérieure, de se produire sur les marches de consommation.

On a souvent parlé ici du système d'équilibre qui est bien le système moyen âge le plus incroyable qui ait jamais été imaginé ; mais en quoi (page 1145) ce système consistail-il ? On disait à Mons : Vous payerez tel péage pour que le marché de Gand vous soit réservé. On disait à Liège : Nous allons organiser les prix de transport de manière que vous conserviez le marché de Louvain. On disait à Charleroi et au Centre : Nous allons établir les péages de manière à vous interdire le marché des Flandres et vous conserver le marché du Brabant. Tout cela n'a pas eu lieu, mais enfin c'était là le système que l'on préconisait, c'est-à-dire qu'on voulait créer des marchés spéciaux et privilégiés pour chaque bassin et empêcher ainsi la concurrence de se produire sur le marché intérieur.

Eh bien, je dis qu'avant d'appeler la concurrence étrangère d'une manière aussi illimitée, il faut commencer par établir à l'intérieur un système de péages qui permette à la concurrence indigène de se produire et de s'étendre.

Mais l'honorable ministre des finances nous arrête, et oppose à la réforme des péages, l'éternelle objection du trésor public.

Je viens de dire qu'on ne raisonne pas ainsi pour les houilles anglaises, puisque l'on consent en leur faveur à des sacrifices, en remboursant le péage de l'Escaut et en exemptant de péages les canaux des Flandres que la houille anglaise doit emprunter.

Je réponds à M. le ministre des finances que c'est au nom du trésor public que je viens parler et que je me place pour demander la réforme des péages. Je vais prouver que c'est là une nécessité immédiate et urgente.

Si on n'admet pas une réforme dans les péages, le canal de Charleroi, qui est presque seul en cause, sera déserté prochainement et commence déjà à l'être pour les produits pondéreux. (Interruption.)

On me dit que ce n'est pas la question ; pour moi, la question douanière pour la houille n'est qu'une question de péages. Lonque vous aurez un système libéral de péages à l'intérieur, je consens à avoir un système très libéral à la frontière. Je suis donc pleinement dans la question, en traitant la question des péages.

Je dis que le gouvernement doit examiner sans retard la question des péages. On ne l'a pas fait jusqu'à présent ; c'est un tort. Je vais citer des faits qui le prouveront à toute évidence.

Le système des péages sur les canaux a été tellement bouleversé par tous les chemins de fer qu'on a construits depuis quelques années, que si on se refuse à réformer les péages, le canal de Charleroi sera déserté.

Sur le canal de Charleroi, le fret varie de 3 fr. 50 c. à 4, 5 fr. et quelquefois davantage ; la moyenne est de 4 fr. 25 c. Or voyons quels sont les concurrents du canal de Charleroi :

Le premier concurrent, c'est le chemin de fer de l'Etat. Le tarif du chemin de fer, pour le Centre, par exemple, est de 4 fr. 50 c. vers Bruxelles ; un peu plus que le fret moyen du canal.

Or, qu'est-il arrivé malgré cette différence en faveur du canal ?

C'est que du Centre seul, par le chemin de fer de l'Etat, on a transporté, en 1854, 214,000 tonnes de charbon vers Bruxelles, c'est-à-dire le tiers de tous les transports du canal de Charleroi, qui s'élèvent de 600,000 à 700,000 tonnes.

Quand l’embranchement sur les Ecaussinnes qui est concédé sera construit, la concurrence du chemin de fer de l'État deviendra plus grande encore.

Il y a deux chemins de 1er concédés, l'un de Charleroi à Louvain, se dirigeant vers Bruxelles par le chemin de fer du Luxembourg à Ottignies ; l'autre du Centre de Manage à Louvain, et se dirigeant aussi vers Bruxelles par Ottignies.

Voyons la situation de ces deux chemins de fer et du canal de Charleroi, par rapport aux marchés de Bruxelles, de Louvain, de Gand et d'Anvers.

De Charleroi et du Centre à Bruxelles par cette voie nouvelle, il y a 12 lieues. A 30 centimes par tonne-lieue, le prix de transport est de 3 fr. 60 c. ; à 25 centimes, il est de 3 francs. Or, puisque le chemin de fer du Nord a transporté la houille à 46 centimes, vous admettrez que le tarif de 30 et de 25 centimes est élevé et qu'on le fera descendre plus bas. Or, à ce prix de 3 francs, de Charleroi et du Centre vers Bruxelles, la différence au détriment du canal de Charleroi est de l fr. 25 c.

Déjà, malgré l'insuffisance du matériel, les transports par ces deux chemins de fer prennent de jour en jour un développement plus considérable.

Voilà pour Bruxelles.

Le chemin de fer de l'Etat fait concurrence au canal de Charleroi pour le bas de la ville ; et les chemins de fer de Charleroi et du Centre lui font une rude concurrence pour le haut de la ville ; le marché de Bruxelles est entamé des deux côtés à la fois. C'est une question de matériel. Tout ce que l'on pourra transporter par ces voies, on le transportera.

Les faits sonl bien plus significatifs, si j'envisage la question au point de vue des marchés de Louvain, d'Anvers et de Gand.

De Charleroi et du Centre (Manage) à Louvain, il y a 13 lieues. Aux prix de 50 ou de 25 c, les charbous arriveiont à Louvain chargés d'un transport de 3.40 à 3.80 ; ils y sont livrés aujourd'hui à ces prix.

Eh bien, à 4 fr. le marché de Louvain est enlevé au canal de Charleroi pour les produits du bassin du Centre et de Charleroi, puisque la fret est de 5 fr. 50 c.

Même à Louvain des débarcadères sont établis ; on y embarque de la houille pour Anvers et pour les Flandres. Le fret de Louvain à Anvers et à Gand est de 1 fr. 50.

J'ai calculé, sur des données exactes, à quels prix de transport le charbon de Charleroi et du Centre arrivera, par ces voies nouvelles, sur les marchés d'Anvers et de Gand, en partant du carreau des fosses.

Pour ces voies nouvelles le prix est de 4-75 à 5 fr., par le canal de Charleroi, en partant des fosses, le prix est de 6-25 à 6-75 fr. L'écart, en faveur des voies nouvelles est donc de 1-25 à fr. 1-75.

En ce qui concerne Liège, lorsque la jonction de la Meuse à l'Escaut sera achevée, le fret de Liège à Anvers, si j'en juge par les docaments publiés, ne s'élèvera guère au-delà de 3 francs, tandis que pour Charleroi et le Centre il est de fr. 5-50.

Je dis qu'en présence de ces chiffres et de ces faits incontestables, je dis que, si le gouvernement n'y prend garde, le canal de Charleroi est destiné à être déserté : déjà Charleroi n'a plus expédié par cette voie, en 1855, que 177,000 tonnes.

La seule cause qui ajourne le résultat que j'indique, c'est l'insuffisance du matériel sur les lignes de chemin de fer concédées.

Ainsi, lorsqu'on nous dit : « On ne veut pas toucher à la question des péages, parce que c'est une question de trésor public ; » je réponds : Mais c'est précisément parce que c'est une question de trésor public, c'est parce que le trésor public va souffrir tout le premier, si l'on n'y met bon ordre, que le gouvernement sera forcé d’examiner et de résoudre la question. Comment la résoudre ?

Il y a trois solutions. La première, c'est de faire ce qu'une compagnie ferait ; en présence d'une concurrence redoutable, une compagnie accepte la concurrence et réduit ses péages, dans l'espoir de voir les recettes remonter par de plus nombreux transports.

Le second système serait la réforme des péages dans le sens de la réforme qui a été réalisée en France en 1836, ce serait de diviser toutes nos voies navigables en trois catégories : les fleuves, les rivières canalisées et les canaux et d'avoir un système général de péages dans lequel on trouverait une compensation pour le trésor public : les voies qui ne payent rien payeraient quelque chose, et on réduirait les péages qui grèvent aujourd'hui les voies navigables surchargées.

C'est à tort qu'on pourrait dire qu'il y aurait lutte entre les fleuves et les canaux. L'Escaut ne payerait presque rien ; le canal de Charleroi payerait moins qu'il ne paye ; d'autres canaux qui ne payent rien et qui ne sont aucunement des artères commerciales, acquitteraient des péages toujours modérés.

La recette totale sur nos voies navigables ne subirait pas une diminution sensible, mais la répartition serait plus équitable ; c'esl le principe de la loi française de 1836.

Il y a un troisième système que je considère comme préférable à tous les autres, parce qu'il rencontrera moins d'opposition et de difficultés, c'est l'élargissement des écluses du canal de Charleroi. Déjà neuf écluses ont été élargies ; on a posé le principe, c'est évidemment pour lui donner une application générale sur tout le cours du canal. La dépense ne serait pas énorme ; elle serait de 8 à 10 millions, je pense.

M. de Renesseù. - Dites 15 millions.

M. Dechamps. - C'est une exagération. Je dis que quand on a dépensé trois fois autant pour la Meuse qui ne rapporte rien au trésor, on ne peut avoir aucune bonne raison pour se refuser à faire une dépense utile, fructueuse, relative au canal de Charleroi.

Le canal de Charleroi, si les écluses étaient élargies, produirait en peu d'années de quoi amortir la dépense effectuée.

Tous les bateaux du pays et ceux de la Hollande pourraient arriver jusqu'aux abords des houillères et le mouvement sur le canal prendrait une extension telle, que la dépense serait bientôt amortie ; on conserverait des péages rémunérateurs, l'industrie serait dans une excellente position et le trésor public y gagnerait.

La révision générale des péages, dont je parlais tout à l'heure, serait une réforme légitime, mais elle rencontrera toujours de grands obstacles et provoquera des conflits entre les bassins ; les provinces où l'on ne paye rien se coaliseraient contre l'arrondissement de Charleroi et contre le Centre qui seuls sont les victimes d'un système injustifiable. Je crains que la répartition de ce grief ne soit lente à obtenir.

Aussi je pense qu'il faut donner la préférence à l'élargissement des écluses de Charleroi.

Ma conclusion est celle-ci ; A M. le ministre des finances, qui depuis longtemps a porté son attention sur cette question, je demande, aujourd'hui que nous allons trancher définitivement la question douanière à l'égard des houilles, je demande, dis-je, que le gouvernement fasse examiner par une commission, où tous les intérêts seront représentés, cette importante question des transports intérieurs.

L'intérêt des producteurs, celui des consommateurs, l'intérêt du trésor public se réunissent pour exiger une solution franche et urgente.

Proposition de loi relative aux péages sur le canal de Charleroi

Rapport de la section centrale

M. de Steenhault. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la question relative aux péages sur le canal de Charleroi.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la buile de l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le tarif des douanes

Discussion générale

(page 1146) M. Prévinaire. - Messieurs, c'est avec plaisir que j'ai entendu l'honorable préopinant développer les questions qui se rattachent au canal de Charleroi. Je ne m'occuperai pas aujourd'hui de ces questions que j'engage le gouvernement à examiner avec maturité ; je me bornerai à dire que la question des communications à l'intérieur est de la plus haute importance précisément pour les charbonnages. Il faut bien le reconnaître, la consommation intérieure doit être la première condition de la prospérité de cette industrie. Il est bon de jeter un regard sur la consommation mise en rapport avec la production et la population, de comparer ces données avec ce qui a lieu à l'étranger.

Les chiffres que je vais avoir l'honneur de citer sont extraits d'un document émanant d'un fonctionnaire de l'administration des mines ; ils ont une grande portée et je les produis autant pour éclairer la Chambre que le public sur la question qui nous occupe.

En 1855, la production charbonnière en Belgique a été de 8,300,000 tonnes et l'exportation de 3,800,000 tonnes, c'est-à-dire d'environ la moitié de la production.

De 1850 à 1855, nos exportations en France ont pris un développement très remarquable, puisque en 1850 elles s'élevaient à 1,756,508 tonnes, et qu'en 1855 elles ont atteint 2,800,000 tonnes. Est-il étonnant qu'après une augmentation aussi considérable, puisqu'elle excède deux cinquièmes de l'exportation en 1850, est-il étonnant qu'il se soil manifesté un certain ralentissement ? Vous comprendrez, messieurs, que les causes qui ont provoqué ce mouvement ont dû réagir sur la production charbonnière de la France, et qu'un temps d'arrêt a dû succéder à une progression aussi remarquable. L'honorable M. Dechamps a cherché à faire croire que le ralentissement qui s'est manifesté depuis 1855, était la conséquence de l'augmentation des importations de l'Angleterre en France. C'est là une erreur.

Chaque fois que s'agite devant vous la question de nos exportations de charbon en F'rance, on nous représente l'Angleterre prête à envahir ce marché ; il est bon dès lors d'examiner ce que peut avoir de redoutable la concurrence de l'Angleterre sur le marché français. La production charbonnière de l'Angleterre a été, en 1855, de 62,000,000 de tonnes ; celle de la France de 6,100,000 tonnes, et celle de la Belgique de 8,500,000 tonnes. Les exportations de la Belgique en France ont été de 2,800,000 tonnes. Les exportations de l'Angleterre, en 1855, se sont élevées à 4,600,000 tonnes, et les exportations générales de la Belgique, tant en Hollande qu'en France, ont été de 5,800,000 tonnes.

Je vous prie, messieurs, d'arrêter un instant votre attention sur le chiffre comparé de la production anglaise et de la production belge comparée aux exportations respectives des deux pays, et je ne doute pas que vous partagerez mon opinion qu'il y a peu de raison de s'alarmer d'une concurrence qui n'a d'aliment qu'un excédant de production de 4 1/2 millions de tonnes, soit de 7 p. c. de la production totale de l'Angleterre, alors que la Belgique peut disposer d'un excédant de 45 p. c.

Comparons maintenant la consommation de l'Angleterre, de la France et de la Belgique : les chiffres vont avoir une éloquence irrésistible, selon moi.

On évalue la consommation de la France (je le répète, nos chiffres sont extraits d'un document, émanant de fonctionnaires de l'administration des mines) à 10 millions de tonnes, l'importation a été de 3 millions 800 mille tonnes, il reste quelque chose comme 6 millions pour la production intérieure.

L'Angleterre a une consommation de 57 millions de tonnes ; la Belgique, de 5 millions de tonnes.

Si l'on compare la consommation mise en rapport avec la population, on trouve que la consommation par mille habitants a été, en 1855 :

En Angleterre, de 1,822 tonnes.

En Belgique, de 1,174 tonnes.

En France, de 276 tonnes.

A Londres, de 1,966 tonnes.

A Paris, de 566 tonnes.

Londres a consommé, à lui seul, 4,700,000 tonnes, plus de la moitié de toute notre production.

La production mise en rapport avec la population est par mille habitants :

En Angleterre, 2,126 tonnes.

En Belgique, 1,804 tonnes.

En France, 175 tonnes.

Il est évident que de ces chiffres-, il ressort :

1° Que les exportations de la Belgique atteignent, comparativement à celles de l'Angleterre, des proportions très élevées.

2° Que la consommation intérieure de la Belgique, comparée à celle de l'Angleterre, offre une marge très-considérable, et que toute mesure qui tendra à rendre cette consommation plus grande, tendra également à assurer le marché intérieur à la production intérieure.

3° Qu'en France la consommation est dans une proportion minime relativement à celle des deux autres pays, et que la production est hors de toute proportion avec les besoins de la consommation.

On arrive ainsi à cette conclusion que la Belgique est dans une position meilleure que l'Angleterre pour fournir à la France ce dont elle a besoin, et qu'en France, malgré tous les efforts que l’on fera pour suffire à la consommation, la production intérieure restera longtemps inférieure à la consommation. Et remarquez-le bien, messieurs, tout tend à augmenter cet écart, car la France doit tendre de jour en jour à favoriser la consommation du charbon.

Je tenais à vous montrer ces chiffres qui sont assez concluants.

J'admets volontiers que depuis la conclusion de la paix les conditions d'exportation de l'Angleterre se sont quelque peu modifiées ; mais je ne puis admettre que la Belgique ait vu se restreindre les avantages que lui offrait le marché français. Je ne puis partager sous ce rapport l'opinion qu'exprimait à l'instant l'honorable M. Dechamps.

L'honorable M. Dechamps a dit que le marché hollandais était perdu pour nous. C'est une erreur. Je puis en dire quelque chose. J'en ai la preuve personnellement. En effet, j'ai en Hollande des amis, qui sont grands consommateurs de charbon ; ils s'approvisionnent en Belgique et cependant nous savons calculer. Si nous achetons de préférence en Belgique, c'est que l'Angleterre ne peut nous fournira aussi bon marché.

Il y a certaines qualités de houilles que l'on fait venir de préférence d'Angleterre, parce qu'elles sont dans les habitudes, et vous savez combien les habitudes ont d'influence sur la consommation.

Je tenais, messieurs, à mettre sous vos yeux les chiffres que je viens d'avoir l'honneur de produire, pour prouver que, bien qu'appartenant à la catégorie des réformistes, je puis appartenir à l'opinion des radicaux, en ce qui concerne le charbon.

Effectivement ce sont des questions tout à fait distinctes. Il faut tenir compte de la quantité du travail ; rangez le charbon dans la catégorie des produits manufacturés,c'est faire une chose illogique. Vous ne pouvez comparer, par exemple, en ce qui concerne les droits dédouane, la dentelle à une tonne de houille.

L'honorable M. Dechamps, pour rectifier certaines indications que j'avais données sur le prix de revient, a indiqué les prix de vente. Ce sont deux choses différentes.

Si je consulte le livre que j'ai sous les yeux, je vois que le rapport de l'ingénieur Gonot fixe le prix moyen de vente du charbon dans la province de Hainaut en 1855 à 12 fr. 78 et qu'il évalue à 2.59 le bénéfice de l'exploitant.

Vous conviendrez, messieurs, que d'après l'honorable fonctionnaire, je n'étais pas si loin de compte en fixant le prix de revient à 7 francs, car remarquez-le bien, les charbons du Hainaut sont de toute première qualité pris dans leur ensemble.

Il ressort de ces chiffres que les bénéfices de l'exploitant s'élèveraient à quelque chose comme environ 20 p. c.

Quoi qu'il en soit, voici les différents prix de vente dans les diverse bassins charbonniers en 1855.

Bassins de Liège : En 1835. fr. 8 35, en 1845. fr. 8 80 et en 1855 fr. 11 44.

Remarquez qu'il y a une certaine progression de 1833 à 1845 et une plus forte de 1845 à 1855.

Dans la province de Namur, le prix de vente a été, en 1854, de 7 fr. 33 c. C'était une qualité de charbon différente. Il est évident que je ne comparerai pas ce charbon à celui du Levant du Flénu. En 1855, le prix s'esl élevé à 8 fr.

Dans la province de Hainaut, ainsi que je l'ai dit, le prix, en 1855, a été de 12 fr. 78 c, de sorte, messieurs, qu'en 1855 le prix moyen des trois bassins a été de 10 fr. 74 c. Donc quand on propose un droit de 1 fr. 40 c. c'est un droit de 14 p. c. environ sur le prix de vente, qui déjà comprend un bénéfice ; ce n'est pas trop mal. 14 p. c. sur une matière comme le charbon, cela nous promet une réforme très agréable sur les autres objets de première nécessité.

Je suis charmé d'apprendre que l’honorable M. Dechamps, qui jusqu'ici s'était rangé parmi les conservateurs du meilleur aloi, se range aujourd'hui au parti réformiste. C'est une conquête dont je me félicite. Mais quoique appartenant à ce parti, je crois que les chiffres que j'ai cités m'autorisent à me mettre, pour la question des houilles, dans le parti que l'honorable membre qualifie de radical.

L'honorable M. Dechamps, qui a une grande prédilection pour les traités de commerce, nous dit que par la libre entrée des houilles, nous perdons un de nos moyens de négociation avec la France. Je dis que c'est une erreur complète.

Ce que nous devons offrir à la France, ce sont de bons et loyaux rapports.

La France a un intérêt énorme, je J'ai prouvé tantôt par le chiffre de sa consommation comparée à sa production, à recevoir nos charbons. C'est une nécessité pour elle, et les charbons anglais qui s'y portent, très peu, comme je l'ai prouvé, ne pourraient changer cet état de choses.

Croyez-vous que si des conditions un peu meilleures étaient offertes à l'Angleterre pour l'introduction de ses charbons en France, que si le système des taxes était modifier la France serait inondée de charbons anglais ? Mais que deviendrait l'industrie anglaise ? Ne voyez-vous pas que ces importations devraient bientôt s'arrêter devant la demande de la consommation anglaise ? Messieurs, nous sommes dans des conditions naturelles spéciales pour fournir à la France ce qui lui manque et de longtemps la production française ne pourra compenser l’énorme différence qui sépare sa consommation de sa production.

(page 1147) On nous a parlé de navires chargés de houille qui devaient arriver à Gand. Il y aura peut-être quelques importations de charbons étrangers à Gand ; mais je crois qu'il faut attribuer ces importations à des circonstances particulières, notamment au besoin que l'on peut avoir de certaines catégories spéciales de charbon.

Messieurs, je ne sais s'il faut entreprendre la réfutation du discours de l'honorable M. Dumortier. Cet honorable membre, vous le savez, nous a habitués à des propositions quelque peu excentriques.

L'honorable M.Dumortier qui, dans la discussion de la loi sur les céréales, s'est posé devant nous le défenseur de l'intérêt des masses, fait aujourd'hui un volte-face complet et se constitue le défenseur des intérêts du monopole. Ceci ne me paraît pas du tout logique.

Ce que l'honorable M. Dumortier a dit des conséquences financières de l'élévation des droits, a été arrêté par un seul mot, par la seule réflexion que si le régime protectioniste pouvait être efficace, il donnerait lieu à une perception négative des droits de douane.

Il y a plus, le régime protectioniste a encore d'autres inconvénients au point de vue moral, et c'est là une considération qui est de nature à exercer une influence sur l'esprit de l'honorable M. Dumortier. Qu'est-ce qui excite à la fraude, qu'est-ce qui entretient ces générations en révolte perpétuelle contre la loi, si cé n'est le régime de la protection exagérée ?

Il y a donc des considérations morales et matérielles qui doivent faire abandonner ces droits prohibitifs, ces droits qui offrent un appât à la fraude.

L'honorable M. Dumortier faisait naguère retentir cette enceinte de chaleureuses invocations à notre esprit patriotique, à nos bons sentiments en faveur des masses. Aujourd'hui il défend le régime qui est le plus contraire, suivant moi, aux intérêts des masses. Il invoquait alors à son aide l'intérêt du peuple et sous ce rapport il y avait peut-être un danger. Aujourd'hui il se pose, comme je l'ai dit, le défenseur du petit nombre contre les intérêts du plus grand nombre. Il fut un temps où l'honorable M. Dumortier faisait bon marché des propriétaires et voulait les exproprier au profit des masses ; aujourd'hui il veut exproprier les masses dans l'intérêt exclusif de quelques-uns. Ce n'est pas tout à fait logique.

On a souvent mis en jeu les péages de l'Escaut, messieurs, on ne se rend pas bien compte de cette question.

Le péage de l'Escaut n'est pour rien dans cette affaire ; à moins que ma raison ne me fasse défaut, je ne vois pas comment, alors qu'aujourd'hui et par suite de traités existants, tous les navires étrangers peuvent remonter l'Escaut sans payer un centime de péage, il y a lieu d'invoquer la question des péages.

Quel est le résultat de ce péage sur l'Escaut ? C'est que si un navire anglais arrive en Belgique, on tient compte du péage et on le rembourse à la Hollande. Mais le navire anglais ne perçoit rien ; seulement il arrive franc de péages ; c'est donc à tort que l'on a cherché à établir que cela constituait une prime.

Au reste, je ne comprends pas que l'on veuille sérieusement invoquer un semblable moyen. Le péage sur l'Escaut eût-il la conséquence qu'on à voulu envisager, je dirais qu'il s'agit d'une dette nationale et que c'est une obligation nationale que de racheter ce péage qui a été une des conséquences de notre émancipation politique. Personne ne voudrait que l'on vînt, en exigeant ce péage, détruire les conditions qui peuvent assurer la prospérité du seul port important que nous possédions.

M. Verhaegen. - Messieurs, si je prends la parole, c'est que je crains que mon silence ne soit considéré comme une adhésion à certaines doctrines, comme un revirement d'opinion, alors que mes opinions sont restées les mêmes et je dois même ajouter, se sont renforcées depuis l'année dernière.

Messieurs, la question qui s'agite, l'est plutôt en théorie qu'en pratique. D'un côté on se prononce pour le libre-échange, de l'autre, on se prononce pour la protection. Je trouve que, de part et d'autre, il y a exagération, et rien n'est plus nuisible à une cause, quelque bonne qu'elle soit, que l'exagération.

Ainsi on pose en théorie, non pas le libre-échange, car c'est un mot dont nos adversaires se sont emparés et qui ne leur appartient pas, mais on prêche la liberté commerciale quand même avec toutes les conséquences de cette liberté. D'autre part, on prêche la protection outre-mesure.

Messieurs, je ne veux ni de l'une ni de l'autre de ces théories, que je considère comme dangereuses ; je ne veux pas de droits protecteurs exagérés, car je suis d'avis, avec d'honorables collègues, qu'il faut un stimulant pour toutes les industries, et qu'accorder une protection trop forte, ce serait enlever ce stimulant. Mais prêcher la liberté commerciale quand même (je ne me sers plus du mot libre-échange qui est impropre), prêcher la liberté commerciale quand même est aussi une absurdité, et cette théorie présente de graves dangers pour les intérêts du pays.

Aussi, messieurs, ceux qui défendent la théorie de la liberté commerciale quand même reculent devant son application, et à cette occasion, je voudrais bien demander aux plus chauds partisans de ce système, à l'honorable M. Prévinaire entre autres, s'il oserait, lui, prendre la responsabilité de mettre à exécution en Belgique la liberté commerciale comme il la prêche en principe ; je ferai la même demande à tous ceux qui soutiennent la même thèse. Ils diront non. (Interruption.)

Et derrière moi on dit non. Et cependant tous demandent dès aujourd'hui une diminution considérable sur les droits pour arriver, disent-ils, à la liberté illimitée plus tard ; ils le demandent surtout pour l'une de nos principales industries, pour l'industrie cotonnière. Eh bien, messieurs, ce langage esl effrayant, car il vient aboutir à la liberté commerciale quand même, dans un temps plus ou moins éloigné, quels que soient les besoins de l'industrie qu'il menace impitoyablement dès aujourd'hui.

Un honorable membre disait hier, c'était l'honorable M. David :

« Si l'industrie cotonnière avait été autant stimulée que l'industrie lainière, elle n'aurait pas besoin d'une protection de 50 p. c. »

Je déclare tout de isuite que je ne veux pas accorder à l'industrie cotonnière une protection de 50 p. c.

J'espère qu'on arrivera insensiblement et sans secousse à réduire cette protection à 15 et même à 10 p. c, mais je dis en même temps que je ne vois pas de terme à cette protection ainsi limitée, car je suis intimement convaincu que, quel que puisse être le stimulant qu'on ait en vue, la Belgique ne pourra jamais concourir avec l'Angleterre quant à l'industrie cotonnière ; la différence de position est trop grande pour que la lutte soit possible.

Messieurs, sur ce point ne nous contentons pas de paroles, citons des faits et pour bien les établir ayons recours aux statistiques.

La filature de coton en Angleterre consomme au-delà de 45,000 balles de coton brut par semaine ; en Belgique la consommation annuelle est de 63,000 balles seulement.

Ainsi, neuf journées de travail en Angleterre suffisent pour produire le coton filé nécessaire à la Belgique pour toute une année.

Par un travail aussi gigantesque, l'Angleterre est parvenue à se créer une armée d'ouvriers intelligents, commandée par des chefs et contremaîtres expérimentés, et ces ouvriers, à raison de l'importance des établissements, sont toujours employés à la même besogne, ce qui amène une économie de temps et un perfectionnement dans les résultats.

En moyenne, l'importance des établissements anglais est de 10 à 1, comparée à l'importance des établissements belges. Si en Belgique il y a des établissements d'un et de deux millions, il y en a en Angleterre de 20 à 25 millions.

Des capitaux immenses, gagnés giâce à la protection d'autrefois, sont, comme ou le voit, engages dans l'industrie anglaise.

Cette position acquise permet aux industriels.de se contenter de 1 p. c. de leurs capitaux si les circonstances l'exigent ; et même en temps de crises, qui sont assez fréquentes, ils savent se résigner à des pertes considérables pour se débarrasser du trop-plein.

Ensuite l'industrie anglaise a une autre position acquise, c'est celle du marché des cotons bruts d'Amérique. Ce marché pour le monde entier est à Liverpool et non pas en Amérique. Ainsi en Angleterre la matière première se trouve à côté des fabriques, tandis que les industriels belges sont obligés d'aller les chercher dans le pays qui leur fait une si terrible concurrence et de payer des droits de commission et de transport dont leurs concurrents sont exempts.

Messieurs, s'il est à désirer de voir réduire considérablement les droits à l'importation eu Belgique, sur les cotons filés, afin de stimuler le zèle des filateurs qui ne suivraient pas les améliorations pratiquées dans d'autres pays, il serait tout aussi dangereux de venir déclarer aujourd'hui que cet abaissement de droits aboutirait plus tard à la libre entrée des produits similaires anglais. On irait droit à rencontre du but qu'on se propose, car, je le répète, j'ai la conviction profonde que, quel que soit le degré de perfection que puisse atteindre l'industrie belge, elle ne pourra jamais soutenir la concurrence contre l'industrie anglaise dont la position présente des avantages énormes, avantages qui leur restent acquis à tout jamais.

Mais l'Angleterre, cette libre échangiste, selon nos honorables adversaires, est bien loin d'être ce qu'ils prétendent : J'ai ici sous les yeux un tableau comparatif entre le tarif anglais el le tarif belge, et il en résulte que pour certaines industries à regard desquelles l'Angleterre n'est pas encore arrivée à ce degré de perfection où elle est parvenue pour d'autres, elle reconnaît qu'elle a besoin de protection et d'une protection excessivement forte, car je trouve des articles qui sont frappés, dans ce tarif, de 85, de 100 et 150 p. c. et même au-delà.

Pour me borner à un seul exemple, je vous dirai que l’industrie sétifère est protégée en Angleterre par 15, 16, 17 et 18 p. c, selon les différentes qualités ; eh bien, je ne demande pour notre industrie cotonnière qu'une protection qui, abaissée successivement, viendra tôt ou tard aboutir à ces chiffres.

Si la liberté est une si bonne chose, je demande pourquoi l'Angleterre n'ouvre pas sans hésitation ses frontières aux produits de l'industrie sétifère étrangère.

Pour l'industrie cotonnière, aucun pays ne peut entrer en concurrence avec l'Angleterre ; les industriels anglais n'ont rien à craindre sous ce rapport des produits similaires étrangers. On vous a rappelé, dans une de vos dernières séances, ce que disait, à ce sujet, sir Robert Peel ; il disait aux Anglais : « Vous n'avez rien à craindre pour toutes les industries que je vous signale ; laissez entrer librement de l'étranger les produits de toutes ces industries ; donnez cet exemple aux autres nations étrangères ; elles se laisseront prendre à l'hameçon et elles finiront par se perdre dans le gouffre de la liberté illimitée. »

Messieurs, si nous avions le malheur de nous laisser entraîner dans ce piège, notre pays en ressentirait les conséquences les plus funestes.

(page 1148) Ce que nous voulons faire pour nos industries, c'est ce que l'Angleterre fait pour plusieurs des siennes. Aussi longtemps qu'une industrie a quelque chose à craindre de la concurrence étrangère, l'Angleterre maintient la protection en faveur de cette industrie, et elle a raison. C'est précisément ce que nous demandons qu'on fasse en Belgique.

Ainsi, si une des branches de notre industrie court des dangers, je veux qu'on lui accorde une protection ; je ne parle pas d'une protection exagérée ; car ce serait enlever ce stimulant qui l'invite au progrès. Mais si une protection exagérée présente des inconvénients, il y aurait certes aussi un grave danger à venir proclamer brusquement la liberté quand même pour toutes les industries sans exception.

Je résume la question sur ce point en deux mots : si une industrie a réellement besoin de protection pour vivre, je serai toujours disposé à lui accorder cette protection dans de justes et sages limites ; si elle n'en a plus besoin, je la lui retirerai ; et je dirai alors ce que disait sir Robert Peel aux industriels anglais ; « Vous n'avez plus besoin de cette protection ; vous n'avez rieu à craindre de la concurrence ; laissez donc entrer librement. »

Je ne voudrais pas assumer la responsabilité d'expériences à faire et qui seraient basées sur ce que je me permettrai d'appeler de vaines théories.

On a parlé très longuement de la houille ; eh bien, si la houille avait réellement besoin de protection, pour lutter contre les produits similaires étrangers, je ne refuserais pas à la lui accorder. Mais je me demande si, dans les circonstances où nous nous trouvons, l'industrie houillère a bien besoin d'être protégée ; et je dois résoudre la question négativement.

S'il y a concurrence, comment se fait-il que quelques exploitants déterminent entre eux le prix de la houille ? Il y a une véritable coalition entre certains exploitants quant à la fixation des prix. On parlait tout à l'heure d'une coalition entre les maîtres de forges, entre les maîtres des carrières, il faut donc dire aussi entre certains exploitants de houillères.

- Un membre. - La loi condamne les coalitions.

M. Verhaegen. - Oui, l'article 419 du Code pénal condamne les coalitions et les punit d'un mois à un an d'emprisonnement et d'une amende de 500 à 10,000 francs.

Si des boulangers se coalisent pour déterminer le prix du pain alors que le grain est devenu plus cher, oh ! tout de suite on les poursuit du chef de coalition, on les condamne.Dernièrement, si je ne me trompe, des brasseurs de Gand, en présence du renchérissement du prix des matières premières, s'étaient entendus pour augmenter un peu le prix de la bière ; on les a poursuivis comme coupables de coalition, et je crois même qu'ils ont été condamnés. Mais quant il s'agit de houillères, de hauts fourneaux, de carrières, quand il s'agit de cette aristocratie industrielle dont je parlais il y a quelques jours, on ne fait rien pour réprimer les abus que la loi répressive condamne.

Je le répète, messieurs, si une coalition existe, et j'ai lieu de le croire, c'est une preuve incontestable que l'industrie houillère n'a rien à craindre de la concurrence ; et aussi longtemps qu'elle sera dans cette situation florissante, je ne voterai pas la protection qu'on réclame pour elle. Si un jour au contraire on me démontre qu'une protection lui est nécessaire, je ne me refuserai certes pas à lui accorder une protection comme à toutes les autres industries qui ont besoin d'être protégées.

Je n'en dirai pas davantage ; je répète ce que je déclarais en commençant : j'ai pris la parole uniquement pour que mon silence ne fût pas considéré comme un acquiescement aux doctrines qui se sont produites dans cette enceinte.

M. Sinave. - Nous sommes tous d'accord que le libre-échange est l'état normal du commerce ; mais nous différons sur le moment opportun de l'appliquer.

La Belgique, petite nation, sans aucun moyen de protection sur son commerce à l'extérieur, pourra-t-elle s'y livrer avec succès ? Je n'hésite pas à déclarer que je suis convaincu du contraire.

En Belgique on se fait une grand illusion sur l’importance politique et commerciale du pays en rapport avec les grandes puissances. En prenant cette attitude on s'expose à des mécomptes ruineux, on compromet le présent pour courir les aventures dans un avenir inconnu qui dépend plus ou moins d'un simple revirement politique. Je m'arrête et je laisse la solution de cette grave question, qui domine toutes les autres, à l'appréciation de la Chambre et du pays.

Sans le moindre doute il y a en Betgique quelques industries qui peuvent rivaliser avec des industries similaires de certains autres pays, telles que les armes, les draps, les fers, la houille.

Depuis dix ans que les premières idées de libre-échange se sont fait jour dans cette Chambre, les mêmes discussions se reproduisent périodiquement. A en juger par l'opposition qui se manifeste dans le pays contre ce système, il est facile de prévoir qu'aujourd’hui pas plus que par le passé on n’aboutira à d'autre résultat que de sacrifier les faibles.

Au lieu de consulter le pays sur le système à introduire en Belgique, on préfère se borner à des changements partiels du tarif des douanes, on abaisse les droits des uns, on augmente les droits des autres. Ainsi on semble entrer dans la voie libérale, tandis qu'on perçoit une augmentation qu'on peut évaluer déjà à un million de francs. En procédant comme on le fait, on ne dotera pas le pays d’un régime commerciale complet ; il est facile à le prévoir, il n’y aura de sécurité pour aucune industrie.

Je ne fais aucun reproche à l'honorable ministre des finances actuel, il ne fait que suivre la voie tracée par ses prédécesseurs. A différentes reprises j'ai condamné pareil système fiscal, dont l'administration des douanes est évidemment seul auteur, puisque les commissions nommées pour réviser le tarif sont toutes restées muettes.

On a commenté par supprimer d'un trait toute protection au commerce maritime et à la marine marchande en s'engageant formellement d'adopter sans retard la libre entrée des fers, de la houille, du cuivre, du bois de construction, cordages, toiles à voiles et autres objets nécessaires à la construction maritime. Cependant on n'a rien fait, ou peu de chose ; à peine la libre entrée de la houille et une légère réduction des droits sur les fers, ont-elles été proclamées, que déjà on veut tout changer. Nous ne demandons pas le rétablissement des droits protecteurs qui nous ont été enlevés. Mais nous avons le droit d'exiger l'exécution de la promesse formelle qui nous a été faite de décréter par la loi en discussion la libre entrée permanente de la houille et des fers.

Dans la dernière session j'ai déclaré déjà, et je le répète de nouveau, que nous ne pouvons tolérer sans protester énergiquement contre la prime de vingt francs par tonneau que la loi que nous discutons accorde à l'entrée à tous les vieux navires qui viennent se réfugier en Belgique et former la marine marchande nationale. Je sais que cette industrie ne rencontre pas la sympathie du gouvernement ; naguère un ancien ministre s'écriait dans cette enceinte qu'on aurait mieux fait, en 1830, de chasser du pays toute la marine marchande nationale et d'employer seulement des navires sous pavillon étranger pour nos exportations et nos importations. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit pour réfuter de pareils principes, le bon sens en a fait justice.

Par la discussion ou peut constater déjà que la houille dont le prix est réellement exorbitant et qui intéresse si vivement tous les consommateurs et surtout la classe moyenne, mérite toute la sollicitude de la Chambre. Les riches producteurs réclament avec beaucoup d'énergie un droit de protection, ils fondent leurs craintes non sur les importations actuelles libres, mais sur l'avenir qui paraît les alarmer. Cependant en prévision de cette concurrence prétendue redoutable, loin d'indiquer aucun fait sérieux, au contraire les prix énormes de la houille n'ont pas même varié, on ne peut le nier, les consommateurs sont en droit d'exiger une diminution de 30 p. c. Si un jour cet abaissement venait à être surpassé par l'importation libre, on pourra pour cette industrie prendre des mesures convenables, mais que les intéressés dans les bassins houillers se rassurent, la consommation prendra une telle extension que leurs intérêts seront suffisamment sauvegardés par des prix rémunérateurs.

Le gouvernement a accueilli ces plaintes non fondées. Il propose le droit d'un franc quarante centimes à l’entrée ; à entendre les producteurs, ce droit serait insignifiant. En théorie ce droit peut ne pas paraître élevé, mais en pratique ce droit équivaut à une prohibition. J’ajouterai même, et je le prouverai à l'instant, que quelque minime que soit le droit sur la bouille, c'est la suppression de toute importation. Pour être convaincu de ccite vérité, il suffit d'indiquer ce qui se passe en pratique.

Vous connaissez les lois de douanes, elles prescrivent que tout bâtiment chargé de marchandises soumises aux droits ne peut en opérer le déchargement que soit au bassin, à défaut dans un autre lieu spécial, cette stipulation est de toute rigueur pour assurer les intérêts du trésor. Ensuite toute marchandise soumise aux droits, et dans l'espèce elle doit être constatée par la pesée, le cubage de la houille à bord d'un bâtiment de mer est impraticable ; la décharge d'une quantité seulement de deux cent mille kilogrammes entraînera six jours, le transport au magasin du négociant devra se faire par voiture ou par bateau. Ces procédés entraîneront, en outre, à une très grande détérioration de la houille qu'on peut évaluer à trois francs les mille kilogrammes.

Ajoutez les frais de la pesée et les diverses manipulations extraordinaires, on peut sans exagérer estimer ces frais réunis à deux francs soixante et quinze centimes. Sans ajouter aucun droit on arrive au chiffre de cinq francs soixante et quinze centimes et avec les droits et les accessoires à sept francs cinquante centimes. On doit reconnaître qu'un droit quelconque sur la houille équivaut à une prohibition à l'entrée ; il est donc nécessaire de voter la libre entrée de la houille.

A cette occasion, je demanderai à l'honotable ministre si le droit de transit de la houille qui est de sept francs de Bruges vers la Hollande a été levé.

Le gouvernement a sacrifié au libre-échange des industries importantes ; pour être juste et rester conséquent, il faut maintenant continuer l’œuvre commencée et placer toutes les industries sous le même régime. Je déclare que, quels que soient mes principes en cette matière, mon devoir comme représentant m'oblige d être juste envers tous, d'accepter le libre-échange, de voter toutes les réductions de tarif que le gouvernement proposera à l'avenir et de refuser toute demande d'augmentation de droits à l'entrée du pays.

M. Sinave. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour répondre quelques mots à l'honorable M. Dumortier. Dans la séance d’hier, l'honorable membre a fait entendre les pronostics les plus funestes pour le sort d'Anvers ; il a dit que le système qu'on suivait a Anvers, tournerait inévitablement à sa perte, et tout cela à l'occasion du remboursement du péage sur l'Escaut, qui a été impose à la Belgique par le traité fait, avec la (page 1149) Hollande et par la réduction de 25 p. c, qu'on accorde sur le transport des marchandises vers l'Allemagne. Le péage avait été établi à titre onéreux, car le gouvernement a proposé, par la loi même, d'augmenter de trois centimes additionnels les droits sur les marchandises qui arriveraient par le canal de Terneuzen ou par Anvers. Le gouvernement s'est chargé de ce péage ; mais pour le récupérer, il a augmenté le droit d'entrée sur les marchandises venant par ces voies.

Je conviens que la douane ne rapportant que de 10 à 11 millions les trois centimes ne produisent que 330,000 fr. et que cette somme est loin de suffire pour couvrir le remboursement du péage ; mais enfin le principe est posé, ce remboursement est très avantageux pour Anvers sans doute, mais il est très avantageux et surtout très honorable pour la Belgique ; tout le monde en profite ; je ne comprends pas qu'on revienne constamment sur ce remboursement du péage de l'Escaut ; si on revenait sur cette mesure, vous seriez les premiers à vous en plaindre. La Hollande aurait pu vous dire : Au lieu de 3 millions payez m'en six, et laisser l'Escaut libre ; mais la Hollande n'a pas voulu parce que de tout temps elle a prétendu être maîtresse de l'Escaut. Voilà la vérité.

Quand on vient dire à l'occasion de la houille, vous percevez 1,40 et vous payerez 5,17 pour le remboursement du péage, on crée des arguments tout exprès pour la cause. Quand il y a quelques années on vous a proposé la libre entrée des laines, des cotons, des lins, on aurait pu aussi vous dire : Pour ces navires qui vous apporteront des cotons, des laines, des lins, le gouvernement doit payer un florin 50 par tonneau ; personne n'y a songé et aujourd'hui parce que la houille se croit lésée par l'abaissement du droit à 83 centimes, que M. Laubry voudrait voir porter à 2 francs, on fait sonner bien haut le péage de l’Escaut remboursé par l'Etat.

Comme je l'ai toujours dit, comme je l'ai déclaré en 1850, nous devons considérer ce péage racheté comme une augmentation de la dette de la Belgique vis-à-vis de la Hollande.

La preuve que le remboursement a eu lieu à titre onéreux, c'est qu'on a frappé de 3 centimes additionnels les marchandises apportées par les navires arrivant à Anvers.

L'honorable M. Dumortier vous a dit : Cet Escaut vous coûte un million et demi, et de plus, le trésor perd 500 mille fr. par suite de la réduction de 25 p. c. sur les frais de transit vers l'Allemagne.

Pourquoi ai-je consenti à cette réduction ? Parce que si le tarif était trop élevé, nos voisins feraient ces transports vers l'Allemagne ; alors au lieu de perdre 500 mille fr., vous perdriez des millions, vous ne transporteriez plus rien. C'est dans l'intérêt du pays qu'on a fait cette réduction.

L’honorable M. Dechamps vous a parlé de l'énorme accroissement du commerce de la Belgique depuis quelques années. C'est Anvers qui exploite la plus grande partie de nos produits, à l'exception des houilles. N est-il donc pas avantageux pour la Belgique d'avoir un port situé sur uu des plus beaux fleuves du monde, qui possède d'immenses capitaux, une population active, un commerce plein d honneur ; est-ce que la Belgique ne profite pas de tout cela ? Est-ce que la prospérité de ce port ne rayonne pas sur la Belgique entière ?

Je ue pense pas qu'on puisse dire que notre système n'apportera pas honneur et profit à la Belgique, aussi, j’ai été très médiocrement ému par les pronostics de M. Dutuortier ; je crois que le système du gouvernement doit être celui-ci : juste envers tout le monde, privilège pour personne, protection modérée à toutes les industries, protection exagérée à aucune, parce que, indépendamment des autres raisons, elle arrête l'élan de l'industrie.

Je suis donc pour un abaissement graduel, successif et sage de la protection accordée à toutes nos industries ; et suppression à la longue quand il sera reconnu qu'on peut le faire sans danger.

Les honorables membres qui défendent l'industrie houillère vous disent que leurs principaux griefs sont les péages sur les canaux.

Je conviens que les péages font revenir leurs produits à des prix très élèves dans les ports de mer et les villes situées à peu de distance de la mer. Aussi longtemps que le gouvernement ne peut pas les abolir, il me paraît qu'il faut être jusle euvecs cette industrie et la protéger contre les arrivages de mer ; c'est pourquoi je ne me suis pas rallié aux collègues qui demandent la libre entrée des houilles ; et je me suis rallié a la proposition de la section centrale de 1854 parce que je trouve qu'un droit de 83 centimes est une protection suffisante pour cette industrie.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, la voix de l'honorable M. Osy a tant de poids dans la Chambre, toutes les fois qu'il s'agit de commerce, on l'écoute toujours avec une telle attention, on attache une si grande importance à ses paroles, qu'il m'est impossible de laisser passer sans un mot de protestation un principe qu'il vient d'émettre. L'honorable député d'Anvers nous a dit que le remboursement du péage de l’Escaut n'était qu'une augmentation de la dette de la Belgique envers les Pays-Bas.

Au nom du gouvernement, au nom de la politique commerciale du ministère des affaires étrangères, je proteste contre cette manière de considérer l'origine et la nature du péage de l'Escaut. Ce péage est un droit de passage, un impôt établi au profil des Pays-Bas sur tous les bâtiments venant de la mer pour se rendre à Anvers ou à Gand, ou allant de l'une de ces villes à la mer, quelle que soit leur nationalité, qu'ils soient belges ou néerlandais, ou qu’ils appartiennent à toute autre nation du monde. C'est comme...

M. Frère-Orban. - Le Sund !

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - C'est comme le péage du Sund, comme le péage de Stade sur l'Elbe ou celui du Danube, en un mot, comme tous les péages imposés sur différents fleuves et à différents détroits.

Peu après le traité conclu avec les Pays-Bas et les puissances étrangères en 1839, la Belgique a fait de son plein gré une loi qui n'a pas été convertie en traité, par laquelle elle s'est engagée à rembourser le péage à tous les pavillons.

Cette loi a été faite dans un intérêt belge, pour engager le commerce à se diriger vers Anvers. Je crois que la Belgique a parfaitement fait d'en agir ainsi. Mais elle est libre, quand elle le voudra, de rapporter cette loi et de retirer les avantages qu'elle accorde aux pavillons étrangers aussi bien qu'à son propre pavillon.

Elle est parfaitement libre, à tous moments, de faire ce qu'elle a fait et comme elle le voudra, sauf, bien entendu, les traités de commerce qu'elle a conclus avec les nations étrangères. Déjà, la Belgique dans deux ou trois circonstances, a fait usage de ce droit.

Ainsi donc le péage établi sur l'Escaut n'est pas une dette à charge de la Belgique.

Le remboursement de ce péage par la Belgique est un acte de politique intérieure.

A l'expiration des traités de commerce, nous ne serons engagés qu'envers le Danemark.

Voila tout ce que j'ai à dire pour aujourd'hui.

M. Dumortier. - e crois devoir adresser quelques mots de réponse aux paroles peu bienveillantes qu'a prononcées à mon adresse l’honorable M. Prévinaire. S'il n'y avait rien de personnel pour moi dans son discours, je ne crois pas que je me fusse donné la peine d'y répondre.

M. Rogier. - Pourquoi ?

M. Dumortier. - C'est mon appréciation.

M. Prévinaire. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Dumortier - Mais il m'est impossible de laisser sans réponse la manière dont l'honorable membre a voulu me draper, au moment où j'étais sorti de la salle, en disant que j'avais habitué la Chambre à des propositions si excentriques qu'il pouvait se dispenser de me répondre. C'est déverser le blâme sur la carrière d'un membre de la Chambre, et c'est ce que je ne puis accepter. L'excentricité de ma conduite, depuis 1830, consiste dans la ligue droite. Je voudrais bien que tout le monde pût en dire autant.

Puisque l'honorable membre parle d'excentricité, je lui dirai qu'il lui appartient moins qu'a personne d'adresser ce reproche à l'un de ses collègues, à lui qui, après avoir votè la convention d'Anvers, est venu en demander pardon à l'association libérale de Bruxelles.

M. le président. - M. Dumorlier, vous devez rester dans la discussion du tarif.

M. Dumortier. - Oui, M. le président mais l'honorable M. Prévinaire aurait dù lui-même y rester.

Si, dans ce débat, il y a quelque chose d'excentrique, c'est de voir convier notre pays à un régime que l'Angleterre n'a inventé que pour dominer les autres pays et pour les absorber, comme sir Robert Peel l'a déclaré lui-même à la dernière séance du parlement.

Ce qu'il y a d'excentrique, c'est de ne tenir aucun compte ni de la richesse nationale, ni du travail de l'ouvrier, ni de la différence entre la situation actuelle et la situation telle qu'elle existait avant les lois protectrices de noire industrie.

S'il y a quelque chose d'excentrique, c'est de venir déelarer ici que personne ne veut immédiatement le libre-échange, et de proposer en même temps l'application immédiate du système du libre échange au commerce des houilles.

Voilà ce que l'appelle de l'excentricité.

L'honorable membre a voulu me mettre en opposition avec moi-même, en rappelant que je m'étais posé comme le défenseur des masses dans la question des céréales, et en ajoutant que je me constituais maintenant le défenseur du monopole, que je parlais dans l'intérêt de quelques-uns. Il n'y a à mes yeux aucune différence entre les intérêts que j'ai défendus dans ces deux circonstances. Tout ce qui tient au travail, aux besoins du pays est à mes yeux le plus sacre des intérêts.

En combattant les doctrines du libre-échange, dans la discussion sur les céréales, en me prononçant pour la prohibition de sortie des grains, j'ai défendu l'intérêl du peuple. Et l'agriculture a-t-elle eu à se plaindre de cette mesure ? Non ; personne ne s'est plaint, aucune plainte ne s'est élevée.

Ici encore, je défends l'intérêt de l'ouvrier, car tout ce que vous aurez fait entrer de produits dans le pays par le libre-échange est ce que vous aurez soustrait au travail de l'ouvrier.

Ah ! je le sais, vous avez à cet égard votre éternel argument de l'expropriation forcée que la force dé l'association pour la protection du travail national vous a contraints à abandonner. Vous dites que celui qui a besoin d'un habit pourra, avec votre système, le trouvera meilleur marché en Angleterre. Pour moi, je croîs que lu suppression des droits modérés n'aura aucun résultat pour le consommateur, que cette mesura ne fera que déplacer le travail et les bénéfices. En effet, le consommateur n'achètera pas directement. Un négociant fera venir la marchandise d'Angleterre. Il y aura l'intervention d'un banquier. Tous deux (page 1150) devront faire des bénéfices. Le prix sera donc le même. Mais vous aurez déplacé le travail. Vous aurez donné à l'étranger lè travail de l'ouvrier belge, et vous qui prétendez que vous voulez donner à l'ouvrier le pain à bon marché,vous ne lui donnerez plus de pain du tout.

Ces doctrines, appliquées à notre pays, sont, je l'ai déjà dit souvent, des doctrines insensées, des doctrines mortelles pour un pays comme le nôtre, pour un pays où la classe ouvrière est si nombreuse et a des salaires si peu élevés.

Ainsi que je vous le disais à la séance d'hier, ceux qui préconisent le système anglais devraient comprendre que nous aurions à en subir les conséquences. En même temps qu'ils prêchent le libre-échange, ils devraient prêcher la taxe des pauvres. Voilà la conséquence de votre système.

Voyez comme l'ouvrier est animé en Belgique de sentiments patriotiques, avec quel enthousiasme il prend part aux cérémonies publiques. C'est qu'il n'est pas dans le besoin. Mais rappelez-vous ce qui se passait en Belgique, quand nous vivions sur le régime du libre-échange. C'était tout différent. Il se présentait dans les cérémonies publiques la menace à la bouche. Et c'est là le régime que vous voulez faire renaître !

Si c'est être excentrique que vouloir le bonheur de l'ouvrier, c'est un reproche que j'accepte, car avant tout le bonheur de l'ouvrier.

Pourquoi donc l'honorable membre, qui s'est toujours déclaré l'adversaire des primes, préconise-t-il un système qui n'est en réalité qu'une prime à l'industrie étrangère ? Car avec la libre entrée les houilles anglaises se trouveraient dans les grands centres de consommation, à Anvers, à Gand, à Bruxelles, dans des conditions infiniment plus favorables que les houilles du pays, aux dépens du trésor public.

Eh bien, une faveur d'argent accordée aux dépens du trésor public est une véritable prime. Il n'y a pas d'autre nom à lui donner. Ainsi ce que l'honorable membre, si conséquent avec lui-même, veut introduire aujourd'hui, c'est le système qu'il a combattu, c'est le système des primes, des primes déguisées, je le veux bien, mais des primes sérieuses, puisqu'elles coûteraient au trésor public plusieurs millions de francs.

Et maintenant parlerai-je des dangers que peut présenter la question politique dans de pareilles circonstances ? Parlerai-je de l'effet que produirait, dans certaines localités, l'arrivée à Bruxelles de navires chargés de charbons ? Est-ce que par hasard l'honorable membre envisagerait de sang-froid ce danger. Est-ce que de sang-froid il voudrait exposer le pays à des perturbations que je désire ne voir jamais, mais que la prudence nous ordonne de prévenir ? Ah ! je le sais, il y a des personnes qui disent : Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! des personnes qui disent : Avec une compagnie de cavalerie nous mettions tout le monde à la raison. Vous mettrez tout le monde à la raison ! Mais votre loi sera écrite avec du sang ; elle portera l'empreinte du sang sur toutes ses pages. Voilà ce que vous aurez fait pour le pays. Eh bien, de pareilles lois, je n'en veux pas. Ce sont des lois provocatrices ; ce sont des lois perturbatrices. Laissez le pays aller. Il marche sans vous, il continuera à marcher malgré vous.

M. Prévinaire (pour un fait personnel). - L'honorable M. Dumortier vient, en débutant, de se poser en redresseur de torts ; j'ai qualifié de quelque peu excentriques certaines propositions de l'honorable membre ; ces mots constituent une énormité pour l'honorable membre et lui-même nous jette à la face les imputations que voici : Vos doctrines sont des doctrines insensées ; vous voulez faire répandre le sang ; vous voulez amener la perturbation du pays ? Je laisse à la Chambre à juger la gravité comparative des expressions dont je me suis servi et de celles que vient de trouver si éloquemment un honorable membre qui a la prétention de se poser en redresseur de torts. Quant à mes expressions, je les maintiens comme très parlementaires et comme parfaitement justifiées par le discours de l’honorable membre.

Vous aurez remarqué comme moi, messieurs, ce qu'il y avait d'étrange de voir l'honorable M. Dumortier qui, dans la question des denrées alimentaires, s'était posé comme le défenseur des intérêts des masses, se faire aujourd'hui le promoteur du système du monopole, incompatible évidemment, de quelque manière qu'on l'explique, avec l'intérêt des masses.

C’est parce que nous défendons l'intérêt des masses que nous voulons les dégrever de cet impôt qu'on paye sous forme de droits de douane.

L'on ne saurait contester, en effet, me les droits de douane, s'ils sont efficaces, s'adressent à une denrée que l'on doit absolument acheter, ne constitue un impôt prélevé sur le consommateur au profit du producteur indigène.

Messieurs, je tiens à montrer encore combien les propositions de l'honorable M. Dumortier sont excentriques.

M. le président. - Vous n'avez la parole que pour un fait personnel.

M. Prévinaire. - Je crois être dans le fait personnel. Il me semble que je suis d'une modération excessive en répondant à des injures, et je compte sur l'impartialité de M. le président pour me permettre de répondre complètement.

M. le président. - Vous pouvez répondre ; mais je vous rappelle que vous avez demandé la parole pour un fait personnel.

M. Prévinaire. - C'est parce que je réponds à un fait personnel avec une excessive modération que je demande à M. le président de me maintenir la parole.

Je dis donc que j'ai pu justement qualifier d'excentriques des propositions de la nature de celle qui tendait à faire considérer, au point de vue financier, le système protectionniste comme excellent pour le trésor. Je le répète, c'est une idée excentrique que de croire que le système proteclioniste puisse produire au trésor, car si ce système est efficace, il ne doit pas produire un centime au trésor.

Quant aux primes, j'en ai toujours demandé la suppression, ainsi que le disait il y a un instant l'honorable M. Dumortier, et lui, qui jadis en était le défenseur le plus acharné, il veut aujourd'hui supprimer la prime imaginaire dont jouit la ville d'Anvers. Je dis que c'est une excentricité qu'une conduite pareille.

L'opinion de l'honorable membre, quant au transit, est encore, me semble-t-il, une opinion qui ne se justifie pas. Ainsi, comment peut-on dire que c'est accorder une faveur au commerce que d'accorder au transit une modération de droit sans laquelle il n'aurait pas lieu ?

Je ne conçois pas comment on peut s'imaginer qu'on forcerait le commerce à passer par la Belgique, si on ne lui accordait pas des conditions assez favorable pour cela.

La Chambre comprendra que je ne descendrai pas aux allusions, étrangères à l’objet en discussion, qui ont été faites par l'honorable membre.

Messieurs, on dirait vraiment que si nous avions le système de la liberté commerciale, l'Angleterre nous donnerait pour rien tous ses produits. Mais si l'Angleterre voulait faire cette ionise, nous serions doublement sots de ne pas accepter. Vous seriez exactement dans la position d'un homme à qui l’on offrirait un bienfait et qui le refuserait.

Les partisans de la prohibition, pressés par l'irrésistible logique, nous opposent des arguments fort peu raisonnables ; mais la question est jugée, tout le monde aujourd'hui est d'accord, et l'on pourrait dire que nos débats sont inutiles, en présence du progrès des idées libérales en matière de commerce.

La réforme de notre tarif se fera lentement, progressivement, le gouvernement marche dans cette voie ; il pourrait y marcher avec plus de résolution, mais il cède aux considérations auxquelles tout gouvernement doit céder plus ou moins, il veut ménager la transition ; il veut être appuyé par l’opinion publique.

Messieurs, j’ai voulu répondre d'une manière parfaitement explicite mais avec modération à l'honorable M. Dumortier dont les paroles sont ressenties d'une irritation qui n'avait pas de cause réelle, ce qui est très éloigné en général de son caractère.

- La clôture est demandée.

M. Lesoinne. - Je désire répondre aux observations de quelques orateurs.

M. le président. - Il n'y a plus que M. Lesoinne inscrit.

- Plusieurs membres. - Parlez ! Parlez !

M. Lesoinne. - L'heure est avancée ; je ne pourrais terminer aujourd'hui, je demande la remise à demain.

- La séance est levée à quatre heures et demie.