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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29 avril 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1393) M. Tack fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Tack communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Hofstade demandent qu'il soit fait usage de la langue flamande dans les tribunaux et dans les affaires administratives ; qu'il ne soit nommé dans les provinces flamandes aucun fonctionnaire public ne connaissant point la langue flamande et que les habitants de ces provinces, qui veulent y occuper un emploi, ne soient plus obligés d'apprendre une autre langue que leur langue maternelle. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Vonêche prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lonhienne la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet par la vallée de l’Ourthe. »

- Même renvoi.

M. Lelièvre. - A l'occasion de cette pétition, je crois devoir appeler l'attention du gouvernement sur la nécessité de construire le plus tôt possible un chemin de fer de Namur à Dinant, oeuvre de haute utilité publique qui est réclamée depuis longtemps.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires aux budgets des ministères de la justice et des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le Roi m'a chargé de présenter deux projets de loi que je vais avoir l'honneur d'indiquer.

Le premier a pour objet d'ouvrir au déparlement de la justice un crédit supplémentaire de 805,000 fr.

Le second, d'ouvrir au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 72,234 fr.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation des projets de loi qu'il vient de déposer.

Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du département de la guerre

M. Thiéfry. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné la demande de crédit de 1,600 mille francs pour le département de la guerre.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

La parole est continuée à M. Malou.

(page 1402) M. Malou. - Messieurs, à la séance d'hier, je me suis attaché, en premier lieu, à bien poser le problème que nous agitons, à bien définir l'objet pratique de la loi. Passant à l'historique des faits, je me suis attaché à faire comprendre au pays ce que sont les deux systèmes en présence, l'un qui fut en vigueur depuis des siècles jusqu'en 1847, l'autre qui a prévalu depuis 1847 jusqu'à ce jour.

J'ai fait remarquer que le premier de ces systèmes, le système belge national, repose sur l'idée chrétienne, sur l'idée de l'association de la charité officielle avec la charité privée, l'association du secours matériel avec l'idée morale, avec l'élément religieux ; que l'autre, au contraire, est exclusif de l'idée chrétienne, de l'association de la charité officielle avec l'élément religieux. J'ai ajouté enfin que dans l'état actuel, ce système qui a vécu ce que vivent les roses (dix ans, en fait de législation, c'est, en effet, bien peu), venait d'être condamné, au point de vue de la législation positive, par la cour suprême.

Il reste pour traiter complètement cette grande question dans toutes ses parties, à faire ressortir quel est le système qu'une loi nouvelle doit consacrer.

Je laisse de côté encore une fois toutes les questions d'interprétation des lois passées. Rappelons-nous, messieurs, que nous sommes des législateurs, qu'il s'agit de savoir ce que la loi doit être. Vînt-on à prouver qu'on a raison dans l'interprétation qu'on a donnée à l'article 84 de la loi communale, on n'aurait rien prouvé du tout pour la Chambre.

Quel est donc, entre les deux systèmes discutés depuis dix ans, celui qui répond le mieux à nos traditions nationales, qui a pour lui le droit de possession immémoriale et la sanction de l'expérience, celui qui est le plus conforme à l'ensemble de nos institutions, quel est celui qui satisfait aux intérêts des pauvres, que dis-je leurs intérêts, qui maintient seul les droits des pauvres ; enfin quel est celui qui sauvegarde l'intérêt moral du clergé ?

Je reprends la discussion à chacun de ces points de vue différents.

Les traditions nationales, les antécédents, une prescription immémoriale.

Messieurs, nous sommes ici en Belgique sur une vieille terre de liberté. Quand nous parlons de liberté, nous n'innovons pas ; nous revenons à notre passé. Tout notre passé, tout le passé de nos pères est une lutte pour la liberté. Mais cette lutte pour la liberté, ils ne l'ont jamais eue sur le terrain où nous l'avons aujourd'hui, sur le terrain de la bienfaisance. En Belgique, à toutes les époques, la bienfaisance a été libre comme elle a été religieuse. En Belgique on a toujours aspiré à la liberté, mais à la liberté associée aux éléments moraux et religieux. Cette liberté de la charité ancienne, incontestée en Belgique, n'aura subi, j'aime à le croire, que deux éclipses, l'une pendant la conquête en 1793, l'autre en 1847.

Mais, dit-on, vous parlez sans cesse de liberté,c'est un abus de mots : du moment que la charité est contrôlée par l'autorité publique, ce n'est pas de la charité privée et libre. Eh bien,voilà ce que nous demandons ; nous voulons qu'on puisse faire, en dehors des institutions officielles, des fondations, des actes de bienfaisance, et nous appelons cela la charité privée ou libre ; si le mot ne vous convient pas, indiquez-en un autre, mais donnez-nous la chose.

Nous avons l'expérience de la chose elle-même, l'expérience pratique du système.

Et, en effet, messieurs, faut-il rencontrer les objections que l'on nous fait : les abus, la résurrection des couvents comme personnes civiles ? Je pourrais répondre par les faits. Pendant tout le temps antérieur à 1847, le régime a existé avec moins de garanties et de précautions contre les abus ; il a fonctionné, comme je le démontrais hier, même par la complitité, par le concours si vous voulez, pour être plus doux (car je m'attacherai toujours à l'être), par le concours d'administrations que l'on est convenu d'appeler libérales.

Et cependant, messieurs, avons-nous vu dans notre pays qu'il soit survenu des abus si monstrueux ? Avons-nous vu se multiplier les couvents avec la qualité de personnes civiles ? Je puis répondre par des faits à de pures hypothèses.

Nous avons une autre preuve, une autre expérience du système, et dernièrement la discussion, anticipant un peu sur celle-ci, s'est portée sur la fondation des bourses d'études.

Eh bien, les bourses d'études, ces petites personnes civiles, avec administrations spéciales, ne sont autre chose que des institutions de bienfaisance d'une nature spéciale, analogues, non pas identiques, mais analogues à celles qui pourront se créer si la loi actuelle est admise : je dis analogues parce que, en effet, ces institutions ont une personnalité distincte, tandis qu'ici on autorise la création d'institutions que l'on affilie aux établissements officiels en donnant à ceux-ci la saisine légale, la nue propriété des biens avec droit de dévolution. Avant la discussion qui a eu lieu il y a un mois à peine, avait-on entendu dans le pays des plaintes au sujet des fondations de bourses d'études ? Nous en avons près de 800 ; s'est-il révélé là des abus monstrueux, s'est-il révélé quelques faits qui aient ému l'opinion ?

Nous sommes dans le pays le plus libre de la terre ; pas un grief, pas une plainte, fondée ou non, qui ne trouve moyen de se faire jour dans la presse, à la tribune, partout, près de l'autorité, près de la justice ; où sont donc les difficultés, où sont les abus qu'a fait naître le régime des fondations de bourses d'études ? Je suis donc en droit de dire, messieurs, que tant qu'on ne produira pas de faits, je ne dis pas un fait par demi-siècle, mais tant qu'on ne produira pas des faits, je. suis en droit de dire que l'on combat des réalités au moyen de suppositions. Nous avons donc pour nous, en défendant ce projet, l'autorité de l'expérience, les faits accomplis dans notre pays.

Le projet a pour lui l'intérêt des pauvres ; j'examinerai tout à l'heure le droit des pauvres.

Messieurs, en étudiant cette question, j'ai été surtout frappé d'un fait auquel, je l'avoue, je n'ai pas trouvé de remède. L'organisation de la charité officielle repose sur ce principe qu'elle est essentiellement communale et que, lorsque les ressources des établissements officiels sont insuffisantes, c'est aux communes à suppléer à cette insuffisance. Il y a là, on ne peut le méconnaître, une cause de défiance, à l'égard des institutions officielles et voici pourquoi : Un bienfaiteur, je suppose, a l'intention de donner aux hospices de Bruxelles des immeubles ou des capitaux, ou des rentes dont le produit serait de 200,000 fr. par an. Il peut se dire naturellement qu'il ne fait rien pour les pauvres en donnant 200,000 francs de rente aux hospices de Bruxelles, si le jour où le budget des hospices de Bruxelles est nivelé, le jour où les hospices auront autant de ressources que de dépenses, la ville supprime le subside, de 200,000 fr. qu'elle leur donne. Ce fait n'est pas sans exemple dans notre pays. Je dois, à l'obligeance (page 1403) d'un de mes collègues la communication d'un fait qui rentre entièrement dans l'ordre d'idées que j'indique à la Chambre.

On voulait déterminer un donateur à affecter à un bureau de bienfaisance un capital donnant un revenu de 1,000 fr. ; il s'y est positivement refusé, parce qu'on s'était déjà dit dans la commune : C'est une excellente chose que cette donation ; nos contributions vont être diminuées et l'on pourra supprimer le subside qu'on donne au bureau de bienfaisance.

On m'a cité un autre fait qui est relatif à la France. Un particulier donne une rente de 20,000 fr. à un bureau de bienfaisance. Le conseil communal supprime le subside de 20,000 fr, et comme il avait des ressources suffisantes, il donne 20,000 fr. de plus au théâtre.

J'ai signalé la difficulté telle qu'elle est et je voudrais que dans la suite de ce débat, on trouvât un moyen, sans dénaturer le principe de notre législation en matière de bienfaisance, de lever cette difficulté, qui est à mes yeux très sérieuse et qui peut éloigner des bienfaits que l’on aurait l'intention de conférer aux administrations officielles.

En la signalant avec le désir de la voir résoudre, je prouve de nouveau que je ne pars pas d'une idée d'antagonisme et d'hostilité ; mais de l'idée d'association, que je voudrais voir la charité officielle laïque prospérer, croître, étendre partout sa salutaire influence.

Voyons, messieurs, les lois qui ont existé ; voyons la loi que nous faisons.

Lorsque vous créez des institutions par la loi, vous définissez et vous limitez leur mandat ; vous trouvez dans le projet même une délinition des obligations rigoureuses des institutions officielles et vous trouvez un article qui est purement facultatif.

Je suppose un instant que grâce au concours des communes, que grâce aux donations faites à la charité officielle, toutes les institutions du royaume (je fais une hypothèse bien large et nous en sommes bien loin) soient en mesure de remplir leur mandat obligatoire et de remplir aussi dans toute sa plénitude le mandat facultatif, ce que j'ai appelé dans le rapport les oeuvres surérogatoires de la bienfaisance publique.

Nous sommes évidemment à plusieurs siècles et à plusieurs centaines de millions de là. Je fais donc une très large concession. Eh bien, je 'dis qu'avec le système de charité officielle exclusive, l'on n'aurait pas encore satisfait à l'intérêt des pauvres.

Et en effet, voyez dans les faits, combien est multiple, combien est variée et variable cette intelligente action de la charité chrétienne. Voyez, non pas dans le passé, mais aujourd'hui même, combien elle varie ses institutions, combien, chaque fois que des besoins ntuveaux se révèlent, elle sait se multiplier, se transformer, combien, si je puis parler ainsi, elle s'attache à suivre pas à pas toutes les misères pour les guérir, à rechercher toutes les plaies pour les cicatriser.

Est-on en mesure, lorsqu'on demande un monopole, de remplir ces grands devoirs envers les pauvres ?

Je dis de plus, messieurs, que ce système est justifié par le droit des pauvres, et ici j'aborde la question de droit civil, non pas pour discuter sur l'application de tel ou tel article du Code, sur l'interprétation que l'on a donnée si illégitimement, selon moi, à l'article 900 du Code civil. Mais en parlant du droit civil, je parle de la raison sociale du droit civil, de ses principes essentiels et du droit qu'il confère à tous les citoyens, fussent-ils pauvres. Ce que je demande ici, c'est que vous n'établissiez pas un privilège contre les pauvres. (Interruption.)

J'ai entendu dire que le droit de tester est exceptionnel. Dans une autre circonstance, on nous a dit : Le droit de tester est une extension hardie de la propriété ; vous ne pouvez tester qu'en vous conformant à la loi.

Messieurs, ne discutons pas sur des mots ; la chose est assez sérieuse pour que nous la prenions comme elle est.

Le droit de tester, ou pour mieux dire le droit de disposer par donation ou testament, c'est le droit de propriété même.

Si vous séparez le droit de disposer du droit de propriété, vous détruisez toutes les raisons de l'activité humaine, vous détruisez le principe de la civilisation et du progrès, qui est le travail stimulé par la libre disposition des fruits du travail.

Le droit de tester a été reconnu partout, sanctionné partout. Je vous défie de comprendre une société civilisée, une société active, industrielle, progressive, qui n'ait pas consacré le droit de disposer par donation ou testament comme un principe social, non comme une exception, ou comme un extension hardie de la propriété.

Y a-t-il quelque chose de plus sacré dans les principes de notre droit civil que l'affection de famille ? Y a-t-il, d'après nos mœurs, quelque chose de plus sacré que ce que j'appellerai une idée de transmission à la famille ; la transmission du père au fils ? Eh bien, le droit de tester est reconnu, le droit de disposer est reconnu, mais pour une part. Lorsque le père veut dépouiller son fils, puisqu'il s'agit de dépouiller, lorsqu'on fait la charité, que c'est se dépouiller d'après le rapport de 1854...

M. Tesch. - Il ne faut pas jouer sur les mots. Vous disiez tout à l'heure que la question était assez sérieuse pour être discutée sérieusement.

M. Malou. - Je dis que, d'après nos lois, le père a le droit de disposer, pour une certaine quotité, au détriment de ses enfants. Je retire du reste, bien volontiers l'expression que j'employais tout à l'heure, si elle déplaît.

M. Tesch. - Nullement.

M. Malou. - Nous n'avons dans notre législation qu'une seule restriction, la légitime, la quotité réservée pour qu'il ne puisse être fait, au préjudice de l'esprit de famille, des dispositions excessives.

En dehors de cela, dans notre droit civil, l'étendue du droit de tester est immense. Un homme laisse des parents, qui ne sont pas des héritiers à réserve, c'est-à-dire à des degrés encore assez proches. Il laisse une grande fortune.

Les héritiers sont tous dans la misère.

Il peut donner tous ses biens à la personne la plus indigne ; il peut les donner de telle manière, qu'il enrichisse celle qui a concouru à des actes que la loi et l'esprit de famille reprouvent, que la société et l'opinion condamnent. Le droit de tester est admis dans votre législation civile. Et si, d'aventure, ce testament, arrivant de 1847 à 1857, disait : « Je donne cette grande fortune, non pas à ma maîtresse, mais aux pauvres ; mais, je veux qu'elle soit distribuée par les mains du curé du Finisterrae. » Oh ! alors, l'ordre public est là ; le droit de tester est limité ; l'ordre public ne permet pas que des dispositions testamentaires aussi monstrueuses sortent leurs effets. Voilà le droit civil, tel que vous l'interprétez ; voilà, le droit civil, tel que vous l'avez fait.

C'est donc, je le répète, une législation, si vous l'interprétez ainsi, une législation que l'on fait, non pas pour les pauvres, mais contre les pauvres ; c'est un privilège contre les pauvres ; la volonté du donateur ou testateur, quand il s'agit de faire du bien, est resserrée dans un cercle étroit ; ceux qui veulent laisser leur fortune aux pauvres doivent, s'il m'est permis de prendre cette expression, se mettre dans ce nouveau lit de Procuste ; mais tout est permis, quand il ne s'agit pas des pauvres. Une telle législation serait à rebours du bon sens, de l'équité et de la civilisation.

On ne peut disposer que selon les lois. Sans doute, mais le premier point de départ d'une loi est l'intérêt social, la raison, la justice.

Or, tout, en un mot, est méconnu par la loi, telle que vous l'entendez. Si elles étaient ainsi, il faudrait les changer.

Mais, il ne faut pas les changer, parce que ce prétendu droit civil que je combats, nos honorables adversaires l’ont inventé.

A nos yeux, la liberté de la charité a les mêmes racines que la liberté d'enseignement, son origine est religieuse, elle touche aux droits de la conscience, aux droits de la société. Ces libertés sont de la même famille, ce sont deux sœurs.

Ce que l'on nous dit est vrai quant à la charité, pourquoi cela ne serait-il pas vrai quant à l'enseignement ?

Si l'on peut, sans méconnaître l'esprit de nos institutions, décider que tout ce qui ne revient pas aux institutions officielles est illégal, mauvais, inadmissible, que ne le dit-on pas quant à l'enseignement ? Et si quelqu'un voulait le dire, quant à l'enseignement, évidemment il serait en dehors de la Constitution. Donc, lorsque nous demandons le libre droit de disposer pour les pauvres comme nous pouvons disposer pour les riches, nous demandons une chose complètement conforme à l'esprit de nos institutions ; quand on ne le veut pas, on est complètement en dehors des principes constitutionnels.

Et remarquez-le, nous ne demandons pas que l'élément religieux soit associé de droit à l'exercice de la charité laïque ; nous ne demandons pas ce qui se trouvait dans le projet de 1854 et ce que vous en avez éliminé quand vous étiez encore quelque peu majorité. Nous ne demandons pas que le prêtre soit associé forcément à l'action de la charité ; nous demandons, et je crois que c'est être assez modeste ; nous demandons qu'il n'en soit pas complètement exclu par la loi.

Mais que l'on puisse (de grâce au moins, laissez-nous cette liberté), qu'on puisse prendre un ecclésiastique pour le dispensateur des libéralités que l'on donne et que l’on ne donnerait pas si l'on n'avait pas ce droit-là. (Interruption.) C'est bien la question, je pense ?

Un mot sur l'intérêt moral du clergé.

Je crois que la loi doit être faite de manière à rendre très rares les fidéicommis tacites. Il vaudrait mieux dans une législation subir même quelques inconvénients que de donner lieu à la fraude de la loi. Ces fidéicommis tacites sont mauvais pour les pauvres dont ils exposent le patrimoine et mauvais pour le clergé ; si nous faisions une loi trop restrictive, beaucoup de donateurs s'y soustrairont par ces fidéicommis, si contraires à l'intérêt des pauvres.

Vous n'avez alors aucun contrôle ; les héritiers de bonne ou de mauvaise foi peuvent revendiquer les biens des pauvres, les détourner de leur destination. Plus vous ferez un régime restrictif, plus vous donnerez lieu à des fidéicommis.

Le régime des fidéicommis tacites, si nombreux depuis 1847, est mauvais pour le clergé. En effet, n'cst-il pas fâcheux de voir que dans la succession d'un curé que la mort frappe tout à coup, se trouvent des biens qui appartiennent notoirement aux pauvres et passent à ses héritiers ? Faites donc une loi qui puisse empêcher la liberté de se faire jour ; il sera toujours impossible dans notre pays de violenter les consciences ; sous ce rapport, je l'ai déjà fait remarquer, l'on se fatiguerait en vain, si l'on essayait de donner en fait une sanction efficace au système de 1847.

Se plaçant sur un autre terrain, nos adversaires disent : « La charité est libre, personne ne nie la liberté de la charité, vous discutez à côté de la question : nous ne contestons qu'une chose, le droit de fonder. » On dit dans les livres et dans les brochures : Il y a une énorme différence (page 1404) entre fonder et faire la charité. Je croyais que fonder des œuvres de bienfaisance, c'était faire la charité. Comment ! ce n'est pas faire la charité que d'affecter à perpétuité des biens à un service d'utilité publique ! Il n'y a de véritable charité que l'aumône qui passe, dontle pauvre peut abuser ; l'aumône au corps social, non seulement à tous les pauvres d'aujourd'hui, mais à ceux qui existeront dans cent ans, n'est pas de la charité !

Etrange définition de la charité et de la liberté. Non, messieurs, la fondation est essentiellement la charité ; c'est l'œuvre la plus méritoire, le seul caractère distinctif de la charité chrétienne. La seule différence quand on analyse les faits qu'on trouve entre le système païen et celui qui régit le monde depuis dix-huit siècles ; c'est le régime des fondations, généralisé, complété, substitué aux secours occasionnels et l'on dit encore aujourd'hui que les fondations ne sont pas la charité !

Bons maîtres ont de bons élèves ; voyons comment en pratique, d'après les théories on entend le système de la charité. Il se passe dans le faubourg que j'habite des faits très caractéristiques à cet égard.

Un artiste s'entend avec un membre de la société de Saint Vincent de Paul pour donner un concert au profit des indigents Le concert donné, le bureau de bienfaisance s'assemble et prend la résolution suivante :

« Considérant que M. Mattau......a donné le 14 du courant, à Ixelles, un concert annoncé par voie d'affiches et de programmes au bénéfice des pauvres de la commune d'Ixelles, que M. Tallois est détenteur de tout ou partie au moins des fonds qui en sont provenus ;

« Attendu que le bureau de bienfaisance est légalement le seul représentant des pauvres de la commune d'Ixelles, que par suite le produit dudit concert lui appartient exclusivement ;

(Cette phrase veuillez-le remarquer, messieurs, appartient en réalité à la circulaire célèbre de 1849.)

« Attendu que des démarches officieuses, qu'une opposition extra-judiciaire n'ont pu jusqu'à ce jour décider MM. Tallois et Mattau à reconnaître les droits du bureau de bienfaisance ;

« Vu leur refus réitéié de rendre compte et de faire au bureau de bienfaisance la remise du montant de la recette, déduction faite des frais.

« Décide ;

« De demander à l'autorité compétente toutes autorisations necessaires pour pouvoir ester en justice, aux fins ci-dessus et d'adresser, à cet effet, à l'administration communale expédition en double de la présente résolution. »

Sur quoi le conseil communal délibère et « considérant que chacun est convaincu qu'aucune partie du produit du concert n'a été détournée de la destination annoncée, » considérant en outre qu'une nouvelle loi va bientôt intervenir, le conseil communal refuse l'autorisation de plaider. On se pourvoit devant la députation permanente et cette fois on obtient l'autorisation d'attraire ces personnes en justice. Pour éviter un procès, (tout le monde cherche à éviter un procès), ces personnes font connaître comment elles se proposent de distribuer les fonds, sans vouloir rendre des comptes ; elles disent : Nous avons fait tant de cartes de pain, nous en avons mis tant a votre disposition.

Le bureau n'avait pas cru pouvoir les retirer par respect pour les principes, sinon par intérêt pour les pauvres Non content de ces explications, le bureau de bienfaisance persiste à demander :

1° La liste de souscription au concert du 14 décembre ;

2° L'état de la recette effectuée à l'entrée de la salle ;

3° Le compte détaillé des dépenses qu'a entraînées le concert ;

4° Les quittances à l'appui ;

5° La liste nominative des indigents à qui ont été données les cartes de pain avec indication du nombre de cartes reçues par chaque famille.

Lorsque cette affaire éclate, y a-t il quelqu'un qui proteste, qui dit : Nous voulons la liberté de la charité, nous ne contestons que le droit de fonder ? Non, on soutient dans la presse que c'est une application légitime, nécessaire du système introduit en 1849 ; non seulement plus de fondation, mais plus d'aumônes passagères, car bien que le conseil communal ait déclare que, connaissant l'honorabilité des personnes, il est convaincu du bon emploi des fonds, on persiste à vouloir un compte à rendre au bureau de bienfaisance. Un pas de plus, et on aura une loi qui défendra aux particuliers de faire l'aumône une seule fois.

Nous sommes en bon chemin, il n'y a plus beaucouup à faire pour être complètement dans l'absurde, complètement en hostilité avec la couscience de tous.

Et voilà comment on prouve par les faits qu'on entend respecter la liberté de la charité. Je cite ce fait sans attaquer les intentions de personne, je le cite pour qu'on nous dise si c'est là une conséquence légitime de la circulaire de 1849, et j'espère qu'on me répondra correctement.

Vous aurez remarqué, messieurs, que j'ai lu les pièces dont les copies m'ont été remises.

Il ne m'arrivera pas, par conséquent, ce qui est arrivé à l'honorable M. Thiéfry, qui avait cite un abus monstrueux et qui l'a vu démenti le lendemain par la personne qu'il avait citée.

M. Thiéfry. - Je maintiens l'exactitude du fait que j'ai cité.

M. Malou, rapporteur. - Bien ! ce n'est pas à moi à le contester ou à le constater.

Un grief énorme qu'on a fait au système des fondations, c'est que nous engageons l'avenir, et que nous avons la prétention extrêmement ridicule, selon quelques-uns, de vouloir faire une loi qui confère un droit privé, qui ne soit pas révocable comme une loi administrative, autorisant à nommer un bourgmestre ou un garde champêtre.

Examinons un instant ces deux points. Nous engageons l'avenir ! Je comprendrais cette observation, si quelqu'un dans cette Chambre proposait de supprimer les hospices et les bureaux de bienfaisance. Mais lorsqu'on exprime le vœu de voir la charité prospérer, recueillir des donations nouvelles, lorsqu'on s'est vanté (j'ai fait voir hier que c'était un peu à tort) de l'augmentation des donations faites à la charité officielle, on a mauvaise grâce à se plaindre de ce qu'on engage l'avenir.

Ou il faut proposer d'interdire les donations faites aux hospices, empêcher d'engager l'avenir par des donations faites à leur profit, ou il faut reconnaître qu'au point de vue de l'intérêt social, de l'intérêt des pauvres, de l'intérêt de tous, il est indifférent de savoir si les donations sont faites à tel ou tel établissement de bienfaisance.

Nous gênons beaucoup l'avenir. Je trouve cet argment extrêmement original ; nous est-il permis d'user de nos droits actuellement ? Nous disons aujourd'hui : Nous avons le droit de faire du bien aux générations futures, sauf à elles, si elles n'en veulent pas, à n'en point profiter.

Nous n'avons pas de prétentions plus étendues ; elles sont modestes. Mais il paraît qu'en cette matière l'on est résolu à ne nous accorder absolument rien.

Nous prétendons consacrer des droits privés ; nous voulons faire des lois supérieures aux lois, des lois qui gênent tous les citoyens. Je le demande, lorsqu'une loi dit : Vous pouvez faire telle chose, est-il moral, est-il loyal, est-il belge de dire le lendemain : Vous aviez le droit de faire telle donation, sous telle condition, il est vrai ; mais je la déferai quand et comme bon me semble.

Voilà le principe, c'est-à-dire qu'au lieu d'une législation loyale, on suppose que lorsque la loi confère un droit, elle n'y donne absolument aucune garantie.

Dans une précédente discussion, nous nous sommes longtemps occupés des fondations de bourses. J'ai soutenu non seulement au nom du droit, au nom de l'équité, mais au nom de la loyauté belge, que le droit d'administration ou de collation reconnu par l'autorité publique forme un droit privé, acquis aux institués.

Je le soutiens encore, autant dans l'intérêt des institutions officielles, que des futures fondations de la charité libre : car s'il est vrai qu'on ne peut faire de donations à des fondations particulières, de manière à lier le législateur comme par un contrat, on ne peut pas davantage faire aux établissements de charité officielle des donations ayant ce caractère et ces conséquences.

On ne pourrait indiquer un motif de différence ; c'est en vertu de la loi, au même titre, à la même origine que les unes et les autres remontent.

De deux choses l'une : ou les fondations faites en vertu de la loi conféreront un droit privé qu'on ne violera (si jamais on le viole, ce qui j'espère, n'arrivera pas), qu'en vertu d'un principe révolutionnaire et spoliateur ; ou bien, la loi permet de faire un chose, se réservant de la détruire après avoir accepté le bienfait et en le conseivant, c’est-à-dire, qu'il n'y aura plus de droit, mais la force et l'arbitraire.

Je voudrais bien aussi que nos honorables adversaires se missent d'accord avec eux-mêmes, sinon avec nous. Si les fondations ne confèrent pas un droit acquis, inviolable, en quoi enchaînons-nous l'avenir ?

Un dernier mot sur le droit de fonder. On objecte que ce droit intéresse la société. Il faut des garanties, des précautions, sans doute ; c'est l'objet de la loi. Quelles garanties, quelles précautions faut-il ? Mais parce que ce droit ne peut être exercé capricieusement au gré des individus, sans l'intervention de l'autorité publique, faut-il dire qu'il ne peut jamais être exercé ? Il faut une loi, pour régler, non pour interdire les fondations.

Il faut des précautions. Examinons lesquelles. Nous verrons si celles de la loi sont insuffisantes.

Je le répète, si l'on refuse le droit de fondation au profit des établissements de charité privée, il est impossible de l'admettre au profit des établissements de charité officielle, bien qu'on fasse le vœu, auquel je m'associe, de voir augmenter les donations faites à ces établissements.

Ceux qui distinguent me paraissent avoir une logique particulière à laquelle je suis encore peu habitué. Cela viendra peut-être.

Une objection très grave, selon quelques-uns, selon l'honorable M. Lelièvre, par exemple, c'est que nous soustrayons, par les fondations, des capitaux, des biens considérables à l'activité humaine. Nous allons, à ce qu'il paraît, rendre indigents nos enfants et nos descendants. Nous allons les priver des moyens de vivre.

J'ai entendu très souvent discuter la question de la mainmorte, de l'immobilisation du sol. Mais jusqu'à présent je ne sache pas qu'on ait produit dans un parlement cette objection qu'on allait soustraire des capitaux, des valeurs mobilières au commerce.

- Un membre. - C'est la même chose.

M. Malou, rapporteur. - Je vais vous prouver que ce n'est pas la même chose, que, pour me servir d'une expression qui a vieilli, vous commettez une énormissime erreur.

La mainmorte, l'immobilisation du sol, quels en sont les (page 1405) inconvénients ? Quand deviennent-ils un inconvénient ? En d'autres ternies,, quelle est la véritable richesse des nations, et quelles sont les circonstances dans lesquelles la mainmorte a été un mal ? Mon honorable ami M. le comte de Liedekerke citait l'autre jour l'Angleterre comme étant arrivée à l'apogée de la puissance industrielle et de la puissance politique, malgré la mainmorte, non pas, comme on le lui fait déjà dire avec tant de bienveillance et de justice, à cause de la mainmorte, mais malgré la mainmorte, l'ayant plus étendue, plus permanente, plus ancienne peut-être qu'aucun autre pays.

En examinant les faits dans leur généralité, on reconnaît que dans le monde la véritable source de la richesse est le travail. Les peuples primitifs, avant que le travail eût produit des capitaux, eurent pour unique richesse leur sol. Je comprends très bien qu'à de telles époques, le sol étant l'objet exclusif du commerce, la mainmorte, l'inaliénabilité normale des immeubles, si je puis parler ainsi, peut devenir un grand mal social.

Il n'en est plus ainsi quand le capital mobilier s'est développé, et plus ce capital se développera, moins les inconvénients de l'immobilisation d'une partie du sol se feront sentir, attendu qu'il n'est pas dans les fonctions économiques du sol d'être un objet de commerce.

C’est ce qu'on peut appeler dans la fortune d'un pays, son fonds de placement, et je comparerai son capital mobilier à son fonds de roulement.

Ainsi la fortune de l'Angleterre, la fortune de la Hollande qui ont, relativement à leurs richesses, un sol assez pauvre ou assez limité, est la fortune mobilière.

Le sol n'est plus que l'accessoire, et en Angleterre le travail, en Hollande surtout l'économie et le commerce ont développé le capital mobilier et à mesure que le capital mobilier se développait, les inconvénients de l'amortissement du sol ont diminué ou disparu.

On raisonne en nous reportant au moyen âge ; ou comme si l'on s'y trouvait.

On suppose qu'aujourd'hui notre Belgiquc n'a pas, elle aussi, par le travail, l'industrie et l'activité de ses habitants, acquis sa principale fortune dans le développement de son capital mobilier.

Je sais bien qu'en développant cette idée, je m'expose à me voir traiter comme étant un apologiste de la mainmorte.

Mais je dis dans cette discussion ce que je crois vrai. Je n'ai peur que d'une chose : c'est de ne pas parvenir à remplir complètement mon devoir. Nous avons encore comme correctif de la mainmorte, qui n'est elle-même un mal que par l'excès, le Code civil, le grand morceleur et mobilisateur.

Contre le droit de fonder, je ne trouve, messieurs, qu'un seul argument qui m'embarrasse, et cet argument est déduit par un savant jurisconsulte d'une loi romaine, d'un texte d'Ulpien que voici : Deos heredes instituere non possumus, praeter eos quos senatusconsulto, constitutionibus principum concessum est : sicuti Jovem Tarpeium Apollinem Didymaeum ; sicuti Martem in Gallia, Minervam Hiensem, Herculem Gaditanum, Dianani Ephesiam, Matrem Deorum Sipyleusem quae Smyrne colitur et coelestem Salinensem Carthaginis.

J'avoue qu'ayant longuement réfléchi au moyen de donner une réponse à ce texte, je n'en ai pas trouvé qui me satisfît complètement. Je dois dire seulement que Diane n'est plus adorée nulle part en Belgique et que nous ne possédons pas Jupiter Tarpéien. Sous ce rapport je suis un dissident ; je crois que le mot m'est permis dans cette circonstance.

Messieurs, la circulaire de 1849, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois, se compose de deux choses : 1° vous donnerez aux hospices et aux bureaux de bienfaisance ; 2° vous aurez confiance aux hospices et aux bureaux de bienfaisance.

Discutons un instant la question de confiance envers les hospices et les bureaux de bienfaisance.

Il faut avoir confiance. Messieurs, dans notre pays le meilleur moyen de ne pas avoir confiance, c'est de prétendre l'imposer, je n'en connais pas de plus énergique, de plus efficace que celui-là. Vous ne décréterez pas la confiance aux hospices, il faut que les hospices, comme tout le monde, méritent la confiance. Je dirai à mon tour : Ayez confiance en vous-même, ayez confiance dans la manière dont vous gérez le patrimoine des pauvres et vous l'aurez, elle viendra à vous.

Très souvent, messieurs, on nous a donné des conseils ; il m'est bien permis, non pas à titre de représailles, car je voudrais me rendre utile à tout le monde, il me sera bien permis d'en donnera mon tour sur les moyens pour les hospices et pour les bureaux de bienfaisance d'avoir la confiance, d'obtenir des donations sans décréter la confiance, sans qu'il y ait une confiance officiellement, légalement établie.

Le premier de ces moyens, et j'espère que la loi le produira en fait, ce serait que les hospices et les bureaux de bienfaisance exécutassent partout toutes les conditions et charges imposées aux biens dont ils sont en possession. Les hospices et les bureaux de bienfaisance ont hérité de dotations souvent grevées de charges, et aujourd'hui dans un grand nombre de localités, de nombreux faits ont été signalés. On se considère comme étant bien et dûment propriétaire des biens ; mais on oublie complètement, ou bien on ne trouve nulle part, dans la poussière des archives, les titres des charges qui grèvent les biens, et voilà une première faute pour laquelle, dans nombre de localités, les institutions officielles n'obtiennent pas la confiance à laquelle le caractère, le dévouement, l'honorabilité de leurs membres leur donneraient droit, si elles daignaient consulter les titres des donations et remplir les charges qn ?ils leur imposent.

Voila un premier moyen de commander la confiance dans l'administration officielle.

Un second moyen, ce serait que les administrateurs de la charité officielle voulussent bien se considérer comme étant les administrateurs du bien des pauvres, qui ne sont pas électeurs et qui ne sont d'aucun parti ; ou d'autres termes que l'on voulût bien dans toutes les localités, ne pas faire tourner l'influence politique que donnent les propriétés léguées le plus souvent, par des catholiques contre tout ce qui porte le nom de catholiques ou de clérical. Les hospices et les bureaux de bienfaisance obtiendraient infiniment plus de confiance de la part des donateurs, qui très souvent sont des catholiques, s'ils ne disaient pas, en donnant quelques hectares de terre aux hospices de telle localité : Je crée un électeur auquel, dans un cas donné, on donnera un billet marqué et sous peine de lui retirer la terre, s'il ne vote pas contre tout ce qui a une apparence quelque peu cléricale.

Je recommande très sérieusement cela à l'attention, non pas du gouvernement, parce qu'il n'a rien à y dire, mais de messieurs les administrateurs des hospices et des bureaux de bienfaisance.

M. Orts. - A charge de réciprocité pour les fabriques d'églises.

M. Malou. - A charge de réciprocité pour tous ceux qui détiennent des biens qui ne leur appartiennent pas personnellement. (Interruption.)

On me dit : Les pauvres n'en souffrent pas, parce qu'on ne distribue pas des droits politiques aux pauvres. Mais ce dont je me plains, ou plutôt je ne me plains pas, je vous donne des conseils ; s'ils ne vous plaisent pas, vous n’en ferez rien : ce que je vous signale comme un moyen d'obtenir la confiance, c'est de ne pas méconnaître les volontés des bienfaiteurs, qui sont en général des catholiques, en vous servant des biens donnés par les catholiques, dans un sens que certainement ils désavoueraient s'ils vivaient encore.

M. Frère-Orban. - Il y a beaucoup de catholiques qui ne le sont pas comme vous.

M. Malou. - Je ne crois pas qu'il s'agisse en ce moment de savoir de quelle manière je suis catholique. Du reste je pense qu’il n'y a qu'une bonne manière de l’être. Mais nous sortirions encore de la question si je suivais les honorables interrupteurs. Je le répète, j'énonce une opinion, une appréciation ; je dis que cette conduite d'un certain nombre d'administrations de bienfaisance est cause que certains catholiques, si vous ne voulez pas tous, pourraient bien hésiter à leur faire des libéralités. Vous ne le croyez pas ? Continuez !

Messieurs, je disais tout à l'heure qu'on menaçait de retirer les terres. Il semblerait en lisant la législation qui régit les propriétés des hospices que cela n'est pas possible, parce qu'il y adjudication publique. Eh bien, et j'appelle sur ce point l'attention du gouvernement, il est notoire que l'adjudication publique est très souvent éludée, qu'il y a partage, que l'adjudication publique est une véritable fiction, et qu'en réalité, quand les administrations disent : Vous voterez pour monsieur un tel, sous peine de vous voir retirer notre terre, elles disent une chose que le fermier sait fort bien être sérieuse et devoir être suivie d'effet. Réprimez, encore cet abus et cela vous fera grand bien.

Une autre chose, messieurs, sur laquelle j'appelle votre plus sérieuse attention, c'est l'abus qui se glisse, quelquefois dans les distributions de secours en nature par des membres de bureaux de bienfaisance, qui exercent dans certaines localités le commerce d’objets utiles aux pauvres.

Je n'insiste pas sur ce point, il serait difficile d'y insister, mais plusieurs faits regrettables m'ont été signalés.

Tâchez aussi, messieurs, tâchons aussi, car ici nous devons tous concourir, tâchons de diminuer les frais excessifs des instlitutions officielles.

C'est là ce qui éloigne beaucoup de donations On se dit : Je donnerai telle libéralité, combien les pauvres auront-ils ? On prend une moyenne et on trouve que les pauvres auront 40, 50 ou 60 p. c, que tout le reste y passe d'une autre manière.

Ici j'appelle l'attention de la Chambre sur un fait particulier. Je crois que les hospices doivent éviter de transiger sur la loi. Ainsi, à Bruxelles, par exemple, si j'ai bien compris, et je cite de mémoire, certaine transaction est faite ou sur le point de se faire : l'administration générale des hospices, pour réparer une erreur commise dans l'évaluation des propriétés du Béguinage, ferait avec la ville de Bruxelles un abonnement, de telle sorte qu'elle s'engagerait, à partir de telle date donnée, à ne pas demander à la ville une somme supérieure à 200,000 franc pour tous les besoins des pauvres. (Interruption.)

L'administration des hospices s'engagerait à se contenter, à•partir de 1859 ou de 1860 d'une somme fixe pour le subside communal.

M. Thiéfry. - Ce n'est pas exact.

M. Malou. - Eh bien, vous me rectifierez.

Je demande que de pareilles transactions ne puissent pas se faire, je demande que les hospices ne puissent pas s'engager à ne pas demander plus d'une somme de... et je le répète, je cite de mémoire, j'ai lu dans les journaux qu'une pareille transaction était sur le point de se faire à Bruxelles.

Messieurs, un autre point très essentiel pour que les hospices, les (page 1406) institutions officielles, aient des donations importantes, c'est qu'ils tàdhent de s'arranger de manière à rester partout d'accord avec les sœurs hospitalières. Je crois, messieurs, que si cet accord existait, les donations seraient beaucoup plus abondantes. Le bon accord existe dans un grand nombre de localités ; malheureusement à Bruxelles, il n'existe que d'une manière très imparfaite et je dois ici vous faire connaître dans quelles circonstances cet accord s'est rompu.

Messieurs ; je tiens ici un volume de documents relatifs aux contestations qui existent entre la congrégation des hospitalières augustines de Bruxelles et le conseil général d'administration des hospices et secours de la même ville ; je crois que c'est un volume unique dans son espèce car je ne pense pas qu'il y ait eu nécessité, jusqu'à présent, ailleurs qu'à Bruxelles, de publier un volume sur une contestation entre les sœurs hospitalières et l'administration des hospices.

Permettez-moi, messieurs, de faire quelques citations.

En voici une qui remonte un peu loin, le fait est antérieur même à l'entrée en fonctions de l'honorable membre qui m'interrompait tantôt.

Les sœurs hospitalières de Bruxelles s'étaient dévouées au service des cholériques en 1832. On demanda les noms des sœurs qui s'étaient le plus distinguées et voici ce que répondait la mère supérieure au bourgmestre de Bruxelles :

« On me demande, de la part de la régence, que j'envoie les noms des sœurs hospitalières qui ont servi les cholériques. Connaissant votre caractère généreux et bienfaisant, je crains, monsieur, que vous ne prépariez quelque récompense imméritée pour le peu de service que nous avons rendu à nos frères souffrants.

« C'est pourquoi je vous prie, bien vivement, monsieur, que si votre bonté veut reconnaître notre faible coopération à tout ce que vous avez fait pour les malheureux, de ne point nous en récompenser autrement que par le moyen que j'ai eu l'honneur de vous insinuer à diverses reprises, c'est-à-dire en employant vos bons offices pour terminer les vexations que l'on continue toujours contre notre aumônier. »

Ainsi, messieurs, les sœurs hospitalières de Bruxelles, dès 1833, demandent seulement, en récompense de leurs services, qu'on veuille bien cesser de vexer leur aumônier.

Plus loin, messieurs, nous voyons de quelle manière on traite les soeurs hospitalières.

Nous voyons dans une lettre du 7 décembre 1835 et dans d'autres qui suivent, quelle est la nature des vexations dont elles sont l'objet.

« M. le directeur de l'hôpital fait enlever les images de la Vierge, des salles des malades dudit hôpital.

« Cet acte a profondément affligé les sœurs par l'injure qu'il a faite à la religion et à leur état. Elles y voient de la part de M. le directeur une tendance de jour en jour plus prononcée à entraver le plus saint de leurs devoirs, à l'égard des malades, celui de soulager leurs maux par les consolations qu'offre la religion, les seules dont les pauvres jouissent ici-bas. Aussi, cet acte a fait une impression douloureuse sur la plupart des malades. Surveiller les personnes qui viennent voir les malades payants, tâcher d'empêcher par là que l'hôpital ne devienne un lieu de débauche, est traité de scrupule et empêché contrairement à la lettre du conseil général, en date du 8 juin 1821, portant le n°6889.

« Assister à une messe basse les jours ouvriers, après s'être levé une heure,plus tôt que les autres, se mettre à genoux quand l'administration passe est une raison suffisante pour renvoyer une servante qui remplit tous ses devoirs.

« Vexer les sœurs en détail, les maltraiter sans ménagement et même en présence des gens de peine, semble être un jeu pour M. le directeur. Il leur a trop souvent reproché qu'elles tiennent les meilleures portions pour leur table ; pendant l'été il leur reprochait qu'elles se réservaient les meilleurs fruits ; sûres du contraire, elles ont voulu lui abandonner le soin d'en faire le partage... Une tracasserie finie, en vient une autre. Messieurs, l'état religieux que lesdites sœurs ont embrassé, les obligations que la communauté de Saint-Jean a contractées envers elles à leur réception, l'honneur des familles auxquelles elles appartiennent et surtout les devoirs qu'elles sont strictement obligées d'observer, demandent impérieusement qu'un tel état de choses cesse : aussi j'espère que vous y remédierez, sinon je me trouverai obligé d'en informer mes supérieurs ecclésiastiques, et la continuation de séjour de nos sœurs y deviendra impossible. »

Ailleurs on lit :

« Les injures et les outrages se sont si souvent répétés qu'il nous seraitimpossible d'en faire l'énumération, qu'il en est même (des domestiques) qui ont osé porter l'insolence jusqu'à maltraiter quelques-unes de nos sœurs ; nous avons plus d'une fois adressé des plaintes à ce sujet, mais presque toujours sans succès et quelquefois même nous avons été traitées à cette occasion d'une manière vraiment outrageante (page 71 du même volume).

Au milieu de toutes ces tribulations, l'administration des hospices sent le besoin de punir une sœur et quelle est la punition qu'elle invente ? On suspend la sœur du droit de servir les malades. Quel hommage involontaire !

La mère supérieure répond qu'elle trouve cette punition assez singulière, attendu que, sous prétexte de punir quelques sœurs coupables on punit celles qui sont innocentes : « En bannissant ainsi des salles, dit-elle, tantôt une, tantôt plusieurs sœurs, les que vous regardez comme innocentes sont plutôt punies, puisque leur tour de service, leurs veilles nocturnes se multiplient. » (page 148 du même volume.)

Fatiguées de cette lutte continuelle, les sœurs cherchent à établir la congrégation dans un autre local.

Des âmes généreuses leur prêtent des fonds pour acheter une maison rue des Cendres. Aussitôt que cette résolution est prise, que-fait-on à leur égard ? On leur dit : « Nous avons besoin, à telle date, de la moitié de votre quartier actuel. » On les y entasse, on les invite à partir le plus tôt possible ; et à toutes les démarches qu'elles font pour avoir le temps d'entrer dans un autre local, on leur dit : « Vous n'avez pas le droit, d'après le décret de 1809, de faire autre chose que de desservir des hospices. Par conséquent, le jour où vous quitterez l'hôpital Saint-Jean, vous n'avez pas le droit d'acheter une autre maison. »

Que dirent les sœurs ? «Commençons par avoir une maison ; nous renonçons à être personne civile. »

L'administration de l'hospice dit aux sœurs : « Vous avez des objets mobiliers et religieux, vous ne pouvez en emporter un seul qu'après nous avoir prouvé par titres que l'objet vous appartient. »

C'est la première fois, je pense, qu'on viole la règle du droit, que possession vaut titre en fait de meubles. L'établissement remontait à plusieurs siècles, et l'honorable M. Thiéfry, qui n'était pas en ménage à une date aussi ancienne, serait fort embarrassé si on lui demandait de justifier par titres de tous les meubles qui sont dans sa maison. Pour ma part je ne le pourrais pas.

Ce n'est pas tout encore ; on reservait aux sœurs hospitalières de Bruxelles une dernière tribulation : c'était d'entendre dire du haut de la tribune nationale qu'elles étaient des voleuses.

M. Thiéfry. - Très positivement.

M. Malou. - Je me rappelle une circonstance où ce mot a été prononcé, et l'honorable M. Thiéfry ne l'a pas oubliée non plus du moment où il invoquait le témoignage de notre ancien et regretté collègue,, le comte F. de Mérode. Lorsque ces indignités se sont passées au sein de la capitale, que s'est-il passé ici à la Chambre, non pas publiquement, mais à la vue de tout le monde ? L'honorable comte F. de Mérode, mû par une légitime indignation, a dit : « Savez-vous bien ce que vous faites ? Vous commettez un vol : Un grand nombre de ces objets ont été donnés par ma mère aux sœurs hospitalières ; je le déclare, je le certifie, je suis prêt à l'affirrmer sous serment, et certes le voleur ici est l'administration qui détient les objets ! » Voilà la déclaration de celui dont on invoquait si imprudemment le témoignage.

L'injustice révoltait cet ancien collègue ; quand il était mû par une légitime indignation, il ne se tenait pas toujours dans les bornes du langage parlementaire ; pour moi j'y suis cette fois, car le premier qui a prononcé ce mot, c'est vous.

Fatiguées d'inutiles démarches, les sœurs attaquent l'administration de l'hospice. Vous croyez qu'on va aborder le fond, examiner les quittances ? Nullement ; on dit aux sœurs : Ces meubles ne vous appartiennent pas, ils appartiennent à la personne civile et vous n'êtes plus, personne civile.

On leur disait d'abord : « Prouvez par titres que ces meubles, dont la possession remonte à un temps immémorial, sont bien à vous, » et quand elle vient les revendiquer en justice, on leur répond : Ces meubles ne sont pas à vous ; ils sont à une congrégation, et vous n'êtes plus une congrégation. » Si cela ne s'appelle pas s'approprier le bien d'autrui, je n y comprends plus rien.

Je répète donc comme dernier conseil (celui-ci est un peu long) : tâchez, dans l'intérêt de l'abondance des donations, de vous entendre avec les hospitalières. C'est encore un vœu bien modeste. Puisse-t-il être exaucé !

Messieurs, il me reste, car j abuse des moments de la Chambre.......

- Des membres. - Non, non !

M. Frère-Orban. - Vous n'avez pas encore abordé la question.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je sais de très vieille date qu'il m'est impossible de satisfaire l'honorable M. Frère ; il trouve que je n'ai pas traité la question ; mais je crois qu'il y aura peu de monde de cet avis dans la Chambre et surtout dans le pays. Savez-vous quels sont ceux qui n'ont pas traité la question ? Ce sont ceux qui se sont placés en dehors de la loi pour combattre la loi ; et depuis qu'on attaque la loi, on n'a pas fait autre chose. Moi, je me suis attaché à démontrer d'abord que le système que vous avez introduit n'est ni belge, ni légal, ni moral.

Je crois que c'est bien là une partie et une grande partie de la question ; car vous étiez des puritains de légalité ; car tout ce que vous faisiez, c'était par respect pour la loi ; si vous preniez aux uns pour donner aux autres, c'était encore par respect pour la loi. Je me suis attaché à prouver que vous étiez dans l'erreur. Ai-je réussi à vous convaincre ? Je ne le prétends pas ; ma prétention est simplement de faire comprendre au pays quel était votre système et quelles en étaient les conséquences ; quel est le système du projet de loi actuel et quelles en seront les conséquences. Je n'espère pas vous convaincre ; je l'ai déjà dit.

A l'appui des observations que je viens de faire, nous allons voir comment on discute les garanties établies par le projet de loi ? Nous étions fiers d'avoir réuni toutes les garanties possibles pour sauvegarder des droits de l'ordre le plut élevé ; nous deviens espérer qu'on nous (page 1407) en tiendrait quelque peu compte ; mais non ; les uns écrivent que c'est une comédie, les autres disent que personne n'osera faire ce qui est dans la loi : « Comment ! si le procureur du roi osait bouger, à l'instant on l'appellerait Robespierre ! » Voilà comment la loi est discutée.

Ce mode de discussion est embarrassant à certains égards, De deux choses l'une, il faut qu'il y ait des garanties ou bien il faut qu'il n'y en ait pas. Trouvez un milieu. Quand nous proposons des garanties, vous dites qu'elles ne sont rien. Je suppose que nous proposions de les effacer, vous diriez : Vous voulez, non plus d'une manière détournée, mais directement, autoriser les abus les plus monstrueux, les doubles emplois, que sais-je ! et vous écririez encore une brochure de 500 pages pour les énumérer.

Optez entre les garanties que nous proposons ou l'absence de garanties. Voulez-vous que nous effacions le titre de la loi qui les établit ? Examinons, discutons si elles sont efficaces ; si elles ne le sont pas, proposez-en d'autres ; nous ne demandons pas mieux que de garantir la liberté contre ses excès.

En combattant la loi, vous ne faites que nier le droit, de peur qu'il en résulte des abus ; on va chercher dans l'histoire universelle tous les actes relatifs aux abus ; on n'a oublié qu'une chose, c'est que chez tous les peuples on a maintenu le droit et cherché à supprimer les abus ; jamais on n'a détruit le droit de peur des abus ; il faudrait renverser notre Constitution, et retourner à l'état sauvage ; il n'y a plus de droit, toute la législation est à refaire, si la loi doit supposer que personne d'aucune manière ne commettra plus le plus petit abus ; vous devez, je le répète, commencer par refaire toute la Constitution.

On ajoute à cela une autre observation, on dit : « Vous avez donc une bien grande défiance de ces administrateurs spéciaux ! On dirait que vous les considérez comme des escrocs en titre ; s'ils sont moraux, à quoi bon ces précautions ? Encore une fois, voulez-vous les effacer ? Lesquelles voulez-vous effacer, déclarez-le. L'objection est étrange. Elle s'applique à votre Code pénal qui prévoit le vol, car si quelqu'un disait, dans 200 ans : Voyez quels coquins étaient Ces Belges ! ils avaient un Code pénal qui prévoyait le vol ; ils se sont délivré un diplôme d'escroc en titre.

Si un compilateur examine notre loi en 2590, il dira : Voyez donc comme les abus des fondations étaient grands, on a mis telles précautions dans la loi. Voyez donc comme cela est grave !

Ceux qui font ces objections prétendent que nous ne discutons pas la loi. Si vous trouvez les précautions insuffisantes, indiquez-en d'autres ou supprimez-les.

Si du moins on se donnait la peine, en attaquant cette partie du projet, de lire quelles sont les garanties qu'il contient !

On parle du procureur de roi qui n'osera pas user du pouvoir que la loi lui donne. Mais est-ce le procureur du roi qui doit agir ? Non, c'est la députation permanente, voyez l'article 92 que je recommande à l'honorable M. Rogier, à qui doit intervenir, et les inspecteurs à nommer par le gouvernement.

Quand il s'agit de nommer des administrateurs, la confiance est universelle parce que ce sont des fonctionnaires électifs ; quand il s'agit de sanction à donner à la loi par une autorité élective, on dit qu'elle n'osera pas bouger.

Où sommes-nous donc ? Quoi ! en Belgique, en plein XIXème siècle, un petit administrateur de fondation sera tellement puissant que devant lui aucune autorité n'osera bouger ! Si un petit administrateur de fondation refuse de rendre des comptes, personne n'osera l'y contraindre ! Ce n'est plus de notre temps. Comprenez mieux votre siècle, votre pays, cela vous fera honneur et cela abrégera le débat.

Ainsi, nous crédules, enfants du XIXème siècle que nous sommes, nous faisons ce que tout le monde a toujours fait, nous faisons une loi qui reconnaît des droits naturels, inhérents à la conscience.

Si quelqu'un en abusait, il y a une sanction pour protéger le droit d'autrui ; ici le droit d'autrui, c'est le droit des pauvres et l'on ne veut pas donner des droits aux pauvres parce que les administrateurs pourraient en abuser ? Ce serait là une loi inédite ; si elle était votée, elle causerait une surprise plus grande que l'article inédit du programme de 1847.

On me conviait hier à discuter la question des couvents. Je n'avais nulle intention d'éluder cette objection et de ne pas répondre aux vives appréhensions de nos adversaires.

Messieurs, dans la distribution tardive des renseignements relatifs aux couvents, l'honorable M. Thiéfry a cru voir un calcul. Je dirai que, pour ma part, j'ai toujours désiré sur cette objection faite à la loi, une discussion complète sur des documents complets et complètement exacts. Il n'est pas de question dont on ait plus abusé en Belgique que la question des couvents ; il n'en est pas une sur laquelle on ait plus cherché à égarer l'opinion.

Dans la section dont nous faisions partie, M. Thiéfry et moi, quand on a demandé, il y a un an, la statistique des couvents, je me suis associé à cette demande ; nous voulons tous une discussion avec des documents complets ; nous n'avions, pour trouver ces documents, que la statistique provenant du recensement fait il y a dix ans, le recensement nouveau s'est fait à la fin de l'année dernière, nous ne pouvions pas avoir d'autre base que celle-là. Dans notre pays de liberté, le recensement décennal est la seule occasion où l'on puisse demander à un Belge s'il est catholique ou dissident, pardon, je veux dire non catholique, il fallait donc procéder au recensement. Comme il a eu lieu en décembre, comment vouliez-vous qu'on fît plus tôt le dépouillement des centaines de mille bulletins recueillis à cette date-là et en appliquant d'après la notoriété publique, d'après les déclarations d'une classification méthodique, tous les faits recueillis dans la statistique ?

Non seulement je désirais que cette statistique fût donnée ; mais je désirais qu'elle le fût d'une manière complète.

Malheureusement elle n'est pas très exacte. J'ai fait, pour, ma part, les plus actives démarches pour qu'aux honorables membres qui combattent les couvents on ne fît pas tort d'une seule communauté, d’un seul religieux, d'une seule religieuse.

J'ai réussi au-delà de mes vœux ; car on m'a signalé plusieurs doubles emplois. Ainsi, pour Bruges, on porte deux couvents de capucins, chacun avec 26 capucins.

Il est évident qu'il y a là un double emploi.....de capucins, il y a à Bruges une seule communauté composée de 26 membres C'est de notoriété. Nos honorables collègues de Bruges pourraient certifier le fait.

Les journaux signalent plusieurs faits analogues.

J'indique quelle est l'origine des renseignements, pour bien faire comprendre d'une part que de pareilles erreurs sont inévitables, lorsqu'on fait le dépouillement de tant de bulletins, et pour démontrer que ces chiffres sont évidemment des maximums. Je constate qu'en recueillant ces données il n'a pas été fait tort aux honorables opposants de la moindre religieuse, du moindre moine.

Nous avons donc en Belgique, en additionnant ces chiffres, 959 couvents dont 809 couvents de femmes et 150 couvents d'hommes.

Voyons de quelles catégories se compose ce chiffre. La statistique distingue en cinq catégories. En 1846, il n'y en avait que quatre. Par suite les comparaisons offrent quelques difficultés.

Mais enfin chacun admettra qu'au point de vue du sentiment social, du bon sens, il faut faire une distinction entre les diverses catégories de couvents ; car il y a une différence à faire, au point de vue de l'humanité,, entre les congrégations hospitalières et les couventsde capucins. Direz-vous qu'au point de vue légal, au point de vue social, il y ait une confusion possible ?

Lorsque, dans le rapport de la section centrale, j'ai fait cette distinction pour 1846, je ne m'attendais pas, je l'avoue, à la voir contester, Vous ne pouvez dire : Il y a 950 couvents, sans dire : Il y a tant de congrégations hospitalières, tant de congrégations composées de membres menant une vie contemplative. Eh bien, voyons les catégories.

Et d'abord, dans nos institutions religieuses il y en a une qui est particulière à notre pays, qui en est originaire. Ce sont les béguines. Nous avons dans des communautés religieuses 1,584 béguines. Etes-vous recevables à considérer les béguinages comme des couvents ? Tout le monde sait qu'il y a un béguinage à Gand où l'institution est la plus florissante, que les béguines peuvent se marier. Il y en a des exemples. Je ne dis pas que ce soit très fréquent ; mais cela arrive assez cependant pour qu'on ne compare pas les béguinages aux couvents dans le sens abominable du mot. (Interruption.)

Je disais hier et je maintiens qu'on ne peut réellement envisager comme des couvents les corporations qui se vouent exclusivement à l'enseignement des enfants pauvres. On ne peut dire que ce soient là des couvents dans le sens odieux du mot.

Les hospitaliers ce sont des couvents ! Il faut donc les comprendre dans la même réprobation où l'on comprend les jésuites, les capucins, et autres.

Au nom des faits, au nom du bon sens, permettez-moi de le répéter, admettez donc une distinction qui est dans la réalité des. choses.

J'ai complété le tableau. J'ai même classé par catégories le nombres des établissements existant en 1846 et en 1850. Je mettrai au Moniteur ce tableau dont la lecture n'apprendrait rien.

Il en résulte qu'un fait déjà signalé dans le rapport de la section centrale s'est produit depuis dix ans, c'est-à-dire que la tendance des associations religieuses de ce pays s'est complètement transformée depuis 1789. En 1789, elles étaient vouées principalement à la vie contemplative. Aujourd'hui, c'est vers la charité, vers les intérêts des classes pauvres que se porte cette séve toujours vivace de l'esprit catholique, de l'esprit d'association pour le bien.

On peut crier bien haut qu'on nous guérira par la force de cette lèpre, des couvents ; mais à ceux qui étudient les faits, ces couvents apparaissent sous d'autres couleurs. Ils apparaissent comme rendant aux classes pauvres des services que nul autre qu'eux ne pourrait leur rendre.

Nous avons 950 couvents. Mais à côté de ce chiffre il faut mettre d'abord les observations que le gouvernement a consignées dans les documents officiels (page 50 de l'annexe).

Ainsi je prends un exemple entre plusieurs.

Les sœurs de la Providence (pages 20 et suivantes) possèdent 97 couvents pour 428 sœurs, noviciat et maison mère comprises. En déduisant la maison mère et le noviciat, je trouve qu'il n'y a que 338 sœurs pour 97 couvents, soit, en moyenne, à peu près un couvent pour trois sœurs. La vérité des choses, messieurs, pour les sœurs de la Providence comme pour d'autres, c'est qu'elles sont détachées à deux ou trois dans les commuues pour tenir une école d'enfants pauvres, Il vous plaît (page 1408) d'appeler cela des couvents ; soit, mais c'est de la fantasmagorie, mais vous êtes en-dehors des faits. Il y a des couvents beaucoup plus.effrayants encore. Un de mes honorables collègues m'a signalé un couvent qui existe à Saint-Trond et qui se compose d'une seule béguine, laquelle est âgée de 95 ans. (Interruption ) De celui-là, selon les lois de la nature, vous serez bientôt débarrassés.

Messieurs, quelles sont ces associations, au point de vue de la légalité ? Ces associations, que vous demandent-elles ? Elles existent en vertu la liberté constitutionnelle, elles ne vous demandent rien autre chose que la liberté constitutionnelle.

Depuis 1804, depuis que la grande tempête de la révolution française a passé, le gouvernement de l'Empire, le gouvernement des Pays-Bas, le gouvernement belge même, jusqu'en 1847, ont reconnu les associations, et notamment les associations hospitalières. Les gouvernements ont été un peu plus loin, je l'avoue. Ils ont vu que ce n'était pas une violation de toutes les lois d’ordre public que d’autoriser les hospitalières à tenir même une école d’enfants pauvres ; ils n’avaient pas considéré cela comme une abomination. Cela l’est devenu depuis. Cela cessera bientôt, je l'espère.

Le gouvernement des Pays-Bas avait été beaucoup plus clérical que cela. Il avait même autorisé des trappistes. Je vous citais hier un gouvernement protestant, le gouvernement hollandais, je vous citais le gouvernement français qui ont été jusqu'à reconnaître les frères ignorantins, voire même les rédemptoristes.

Dans notre pays maintenant il s'agit de maintenir le décret de 1809, le décret proposé, défendu par Portalis au nom de l'intérêt social, de le mainteuir dans son acception vraie et de faire disparaître la fausse interprétation donnée depuis 1847, qui l'avait annulé en pratique, tout en ayant l'air de le laisser subsister.

Les associations hospitalières, les personnes civiles reconnues ont acquis des biens ; quelques-unes datent de 50 ans. Voyons quelles sont dans ce demi-siècle les richesses qu'elles ont acquises

Nous trouvons dans un tableau remis par M. le ministre de la justice à la section centrale que les congrégations hospitalières, que les personnes civiles de l'ordre religieux reconnues par la loi, qui vous ont demandé quelque chose, possèdent un chiffre de revenu cadastrât de 133,292 fr. et que dans cette somme se trouvent comprises les propriétés bâties pour 95,695 fr, c'est-à dire qu'outre les sièges des établissements, outre les maisons mêmes que ces institutions habitent, elles ont excessivement peu de chose ; elles se trouvent plus pauvres que leurs pauvres.

Mais depuis que ce tableau a été imprimé, j'ai reçu, en ce qui concerne la Flandre orientale, qui contribue à ce chiffre pour une somme de 56,000 francs, c'est-à-dire pour un peu moins de la moitié, une réclamation, par laquelle on m'a établi que ce chiffre était très exagéré ; et voici d'où provient l'erreur. On a compté comme appartenant aux sœurs elles-mêmes des bâtiments qui appartiennent aux hospices ou des biens qu'elles tiennent des hospices. D'après l'état que m'a donné M. l'évêque de Gand, au lieu de 56,000 francs pour la Flandre orientale, le chiffre n'est réellement que de 15,177 fr 99 c, propriétés bâties et propriétés non bâties comprises.

Je me suis assuré par des renseignements plus directement, j'ose le dire, que la même erreur existe en ce qui concerne la Flandre occidentale, qui contribue à ce chiffre pour la sommé de 32,887 francs. Je remets le tableau sur le bureau. Mais je ne décompte, pour bien établir les faits, que l'erreur commise quant à la Flandre orientale.

Les communautés, toutes les personnes civiles reconnues, toutes celles qui, je le répète, vous demandent quelque chose, ont donc acquis, en moyenne déduction faite de cette erreur, en 50 ans, un revenu annuel de 1,874 fr. 7 cent.

Voilà le progrès de l'amortissement du sol en Belgique, le progrès de l'acquisition des richesses par les couvents.

Nous avons en Belgique, d'après les mêmes bases, un capital immobilier et je crois avoir démontré tout à l'heure que c'était la petite partie de la fortune de la Belgique, comme nation, nous avons un capital immobilier de 6 milliards et demi. Supposez que les couvents se. développent comme ils l'ont fait depuis un demi-siècle, comme personnes civiles, acquérant des titres, accaparant des richesses. Combien faut-il pour que nous soyons arrivés à la situation si déplorable à laquelle on se trouvait lorsque des mesures ont été prises contre la mainmorte ?

J'ai calculé qu'il leur faudrait à peu près 27,000 ans pour arriver à posséder, non pas le sol belge, mais le tiers du sol belge. Voilà la plaie énorme contre laquelle nous avons besoin de nous garantir.

'M. Frère-Orban. - Ils n'y ont pas mis autant de temps autrefois.

M. Malou. - Je suis charmé de l'interruption. Je les accueille volontiers quand je les entends ; mais je ne les entends malheureusement pas toutes.

Ils n'y ont pas mis autant de temps autrefois ! Mais vous nous parlez sans cesse de la révolution qui s'est faite dans le monde, et vos interruptions me donnent à croire que vous ne la comprenez pas.

Qu'était donc l'état de la société avant 1789 et qu'est-il aujourd'hui ? Qu'est-il au point de vue de la propriété, au point de vue des institutions politiques, au point de vue des garanties du droit, au point de vue administratif ? S'il y a une conquête de ce siècle que je suis heureux de proclamer : c'est qu'aujourd'hui la loi ne commande pas en vain.

Voilà l'un des caractères distinctifs de notre siècle que vous méconnaissez toujours et partout. Je suis en droit de le dire, vous ne le connaissez pas, ou si vous le connaissez, vous le calomniez.

Lisez les lois de police, les lois administratives, les lois relatives aux associations, les lois relatives à la mainmorte ; voyez l'impuissance de tous les pouvoirs écrite à chaque page des annales de notre ancienne législation. Est-ce là le XIXXème siècle tel que vous le comprenez ? Eh bien non ! il est autrement : aujourd'hui quand la loi commande, la loi est obéie. L’impuissance de la loi ? Est-ce la votre argument ?

Déclarez-le. Mais si vous le déclarez, dites que ce siècle est pire que les précédents. Car il a alors l'hypocrisie de vouloir être le siècle de la légalité- et n'est qu'un siècle de mensonge.

Maintenant je vous prie de ne plus m'interrompre, car sans cela j'irais trop loin.

Messieurs, la première objection c'est celle-ci : vous avez 950 couvents, mais votre loi est faite pour les reconnaître tous. Il y en a fort peu de reconnus, mais la loi aura pour effet de les faire reconnaître tous, soit directement, soit par personnes interposées.

Je reproduis ici l'objection déjà faite plusieurs fois et j'espère qu'on ne m'accusera plus de ne pas discuter la loi ; je discute au moins les objections faites contre la loi.

Nous pouvons vous déclarer ce que nous avons déjà dit, que nous ne voulons pas rétablir les couvents comme personnes civiles en vertu de la loi, mais que nous ne voulons pas non plus entraver la charité, gêner les manifestations libres de la bienfaisance, sous prétexte de couvents.

Vous ne nous en croyez pas, que pouvons-nous faire ! Affirmer que nous ne le voulons pas, ajouter que le jour où on le voudrait, nous nous associerions à vous pour que ce ne soit pas ? Eh bien, je le fais encore. Je crois que les institutions ont assez de la liberté, qu'elles peuvent vivre en vertu de la liberté, en vertu du droit commun. Si je pensais le contraire quel motif aurais-je donc pour ne pas vous le dire ? Si je le voulais, je vous le dirais.

J'ai toujours vu dans ce pays qu'on gagnait beaucoup à penser tout haut ; je crois que c'est la meilleure de toutes les politiques pour les partis. Je dis : penser tout haut, un honorable collègue l'a dit en d'autres termes : savoir ce qu'on veut, vouloir ce qu'on sait. Eh bien, moi je sais ce que je veux : je veux qu'on puisse établir des fondations charitables, ; mais je ne veux pas qu'on rétablisse les couvents, mais je ne veux pas non plus que, par crainte des couvents, on m'empêche, quand il me plaira de le faire, de donner une aumône par l'intermédiaire du curé. Voilà ce que je ne veux pas, c'est ce que vous voulez et c'est bien la question.

Messieurs, ou peut poser beaucoup d'hypothèses, on peut dire : Mais ce résultat s'est déjà produit une fois et malgré vos déclarations, malgré le bon vouloir des ministres qui se succéderont (et probablement il y aura encore plus tard des ministres libéraux) les couvents peuvent se rétablir directement ou par personnes interposées.

Voyons. Il y a là une question d'application, une question de bonne foi : telle fondation a-t-elle ou n'a-t-elle pas pour objet essentiel la bienfaisance ? A-t-elle pour objet essentiel la bienfaisance, elle est permise d'après la loi ; a-t-elle pour objet essentiel ou principal un couvent, elle ne pourra pas être autorisée comme fondation en vertu de la loi., Cela est bien clair. Si on veut poser des hypothèses, on peut en poser à l'infini et chacune d'elles sera résolue en fait d'après ce principe. Vous avez quant à l'exécution de la loi la garantie de la responsabilité ministérielle : votre garantie, ce sont nos institutions. Cette garantie suffit en toutes choses ; il paraît que ce n'est qu'en matière de charité qu'elle est réellement, radicalement insuffisante.

Messieurs, vous comprendrez que je ne veux pas discuter le mérite des ordres religieux. Si je voulais imiter ou suivre l'honorable M. Rogier, si j'apportais ici ma bibliothèque, pour ou contre les jésuites, ou une partie seulement de ma bibliothèque, je pourrais vous entretenir pendant plusieurs séances ; je pourrais même indiquer à l'honorable M. Rogier des passages infiniment plus forts contre les jésuites que celui qu'il a cité.

Mais ce n'est pas là la question. J'ai beau y regarder de près, je ne vois pas un seul jésuite dans la loi, ni un seul jésuite qui puisse s'y fourrer et, si on le voulait un jour, je m'y opposerais avec les honorables membres. Ne nous en occupons donc pas.

Ce que vous appelez couvents, et ce que j'appelle moi en grande partie des institutions libres de bienfaisance, rend à la société belge de grands d'éminents services.

Le pays le sait, le pauvre le sait, et vous aurez beau écrire contre les couvents, contre le frère quêteur en dénaturant les faits, en grossissant les chiffres, ceux qui maudissent les couvents sont en grande partie ceux qui n'en ont pas besoin et ceux qui n'en pensent pas comme on en pense aux agapes de la Saint-Jean d'été, ce sont ceux qui en profitent.

Supposons un instant que les 959 couvents disparaissent en un seul jour, seriez-vous contents ?

Eh ! messieurs, ce jour-là vous porteriez plusieurs millions à vos budgets ; vous les y porteriez et vous ne réussiriez pas à faire ce que les couvents font à votre place pour le peuple, pour le pauvre, pour l'instruction, pour toutes les misères, pour toutes les plaies, j'allais presque dire pour toutes les hontes qui sont au fond de toute société ; vous ne parviendriez pas à faire à coups de millions la centième partie de ce que font les couvents pour le peuple.

(page 1409) A qui fait-on le procès ?

On fait le procès à ceux qui profitent des couvents, au peuple qui profite des couvents. Ainsi par exemple il y a un grand nombre d'établissements de jésuites. Les coupables de l'existence de ces établissements sont ceux qui y envoient leurs enfants. Les pères et les mères de famille et, fort heureusement, c'est le plus bel éloge que vous puissiez faire de ces établissements, tous les élèves qui les fréquentent ne sont pas des nôtres. On attaque bien les jésuites, on les comprend bien dans la réprobation de tous les couvents, mais on en profite.

Ils peuvent se consoler de beaucoup d'accusations par l'examen de la liste de leurs élèves. Faites le procès aux pères et mères de famille. Chaque fois qu'il s'agit d'une question d'enseignement, l'honorable M. Rogier parle du vœu des pères de famille ; si l'on veut dire que les établissements des jésuites sont d'odieux couvents, il faut que ceux qui se disent libéraux cessent d'y envoyer leurs enfants.

Messieurs, j'arrive à peu près à ma conclusion. Les couvents forment une génération de cagots. Voiià une expression nouvelle, ou plutôt renouvelée du dernier siècle, que l'honorable M. Thiéfry a produite l'autre jour.

Je vois encore ici de très grandes différences dans la pratique. Il y a beaucoup de nuances.

Il est des gens - c'est la première catégorie et en Belgique c'est la plus nombreuse - qui trouvent que la religion, comme elle est, et non pas la religion arrangée, est bonne pour tout le monde, pour toutes les positions où l'homme peut être placé. Il en est d'autres, et en Belgique ils sont encore très nombreux, qui trouvent qu'elle est bonne pour leurs enfants ; j'en ai parlé tout à l'heure.

Il y en a beaucoup qui la trouvent excellente pour leurs femmes et leurs filles ; mais il n'y a personne en Belgique qui ne la trouve bonne, excellente pour le peuple.

Eh ! d'où viennent les grandes commotions sociales ? quels sont les dangers auxquels s'est heurtée récemment une des plus brillantes civilisations du XIXème siècle ? Elle a eu à sé débattre contre les passions de la multitude que le sentiment religieux, que le cagotisme n'avait pas disciplinée et qui se ruait sur les riches, parce qu'elle n'avait pas été formée par la sœur de charité.

Ou cette civilisation a-t elle été exposée à périr ? d'où sont venus les barbares du XIXème siècle ? De ce qu'une grande nation n'avait pas suffisamment reconnu dans la pratique que la religion est excellente pour le peuple.

Et, en effet, la seule chose qui puisse donner à l'homme qui souffre, la résignation quand le millionnaire l'éclaboussé, c'est l'espérauce d'une autre vie, c'est l'idée religieuse. Cherchez une autre sanction en dehors de vos gendarmes qui sont bien insuffisants, cherchez-en une autre que la foi, la résignation, l'espérance, et si vous l'avez trouvée, dites-le-moi ! On ne l'a pas encore trouvée dans le monde.

Cessez donc de comprendre dans un anathème commun tout ce que vous appelez couvents.

Le couvent, c'est d'abord l'école. Voici une fille sortie de la condition aisée, qui abandonne sa famille, qui se condamne à d'austères devoirs, sous un austère habit, qui va élever les malheureux enfants dans l'école ; quel charme l'entraîne ?... est-elle à la poursuite des biens temporels ?

Allons plus loin, voyons à l'hôpital la sœur de charité au lit de nos malades, voyons-la dans des temps de contagion où tant de courages mollissent, où tant de riches abandonnent le séjour des grandes villes. Que font alors les sœurs de charité ? Où sont-elles ? Elles sont au chevet des malades et des mourants, elles y veillent, elles y deviennent martyres......A quoi rêvent-elles ? Elles rêvent à la résurrection du moyen âge !

Restons un moment dans la capitale. Cette religieuse, sortie de la bourgeoisie, qui pouvait se donner toutes les joies de l'aisance, cette petite sœur des pauvres qui va recueillir des restes du riche et qui vit des restes de ces pauvres, elle qui a recueilli les vieillards que la charité officielle n'était pas assez riche pour entretenir, à quoi songe-t-elle, que fait-elle ? Elle travaille à soustraire à l'activité humaine une grande quantité de capitaux !

Passons dans un autre lieu de misères ; entrons dans une de ces asiles où Jean-Jacques conduisait son Emile pour lui inspirer l'horreur du vice ; allons voir la vertu, la religion, la pudeur aux prises avec ces malheureuses que je puis à peine appeler des femmes ; allons voir la sœur de charité occupée à panser celles qui, à ses yeux, doivent lui répugner plus que la misère, si le contact de la misère ou du vice pouvait répugner à la charité chrétienne. Quelle passion l'absorbe cette sœur de charité ? A quoi songe-t-elle ? A accaparer d'immenses richesses.

Et quand les couvents rendent de pareils services à tout ce qui forme une plaie sur le corps social de cette Belgique qui a le droit d'être fière de ses splendeurs, mais qui n'a le droit d'en être fière qu'à la condition de soulager efficacement les malheureux qu'elle renferme dans son sein ; ces héroïnes vous remercient de vos médailles, de vos distinctions, parce que l'esprit de la charité chrétienne les anime, parce qu'elles ont la certitude d'immortelles récompenses. ! Je termine par un mot qui avait hier, je ne sais pourquoi, le privilège d'exciter votre hilarité : Faisons la loi, comme les pauvres la feraient, s'ils siégeaient ici à notre place.

(suit un tableau intitulé statistique des couvents, non repris dans la présente version numérisée)

(page 1393) M. Moreau. - Messieurs, l'honorable orateur qui vient de s'asseoir a discuté longuement différents actes posés, en matière de legs et de donations charitables, sous les divers ministères qui se sont succédé depuis 1833.

Mon intention, messieurs, n'est pas de m'en occuper, d'autres se livreront à cet examen beaucoup mieux que je ne pourrais le faire.

Une pensée cependant m'est venue à l'esprit, lorsque j'ai vu l'honorable orateur attaquer avec tant d'ardeur ce qu'il appelle le système du 12 août, et qu'il me permette de le dire, c'est qu'il m'a semblé heureux d'avoir trouvé, dans les actes de ce ministère, en en exagérant la portée et les conséquences, un prétexte pour donner naissance au nouveau régime qu'il veut inaugurer, pour faire adopter une loi dont il attend des merveilles, si pas des miracles, en faveur de certains intérêts.

Mais si je ne m'occupe pas de ces actes, je veux examiner, chose aussi intéressante pour le pays, ce que veulent les partisans, les défenseurs du projet de loi soumis à nos délibérations. Je veux examiner s'il est conforme aux vrais intérêts de la Belgique.

A entendre l'honorable orateur, le projet de loi serait quelque chose d'anodin, il ne contient presque rien, il est loin de renfermer ce que nous y trouvons, de faire naître les craintes, les dangers que nous signalons ; il n'y est nullement question, ni de la mainmorte, ni du rétablissement de couvents ; il serait même inutile, ce projet de loi, si le ministère du 12 août, de triste mémoire, n'avait jamais été au pouvoir, car tout était pour le mieux avant 1847, dans le meilleur des mondes.

Et cependant si nous refusons de voter comme l'honorable M. Malou, nous sommes des égoïstes qui voulons exclure l'élément religieux de l'exercice de la charité, qui voulons défendre aux prêtres de la faire, qui voulons ainsi tarir les sourcrs de la charité.

Et cela pourquoi, messieurs ? Parce que nous désirons conserver une législation qui fonctionne bien depuis 60 ans, parce que nous ne voulons pas ressusciter dans le pays une foule d'établissements ayant la personnification civile.

Car, qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas de savoir, comme on se plaît à le répéter à satiété, s'il sera permis ou non aux citoyens de faire librement la charité, de procurer d'abondantes aumônes à ceux qui sont dans le besoin, s'il sera permis aux cœurs généreux de venir en aide aux malheureux et de leur procurer les soulagements que leur position réclame.

Là, messieurs, n'est pas la question.

Nous savons tout aussi bien que nos adversaires que malheureusement il y aura toujours de nombreuses souffrances à soulager, bien des plaies à cicatriser, qu'il y aura toujours des pauvres dignes d'exciter notre pitié, notre compassion, et au triste sort desquels nous portons un intérêt aussi vif que qui que ce soit.

Qu'on cesse donc de nous redire que nous voulons compromettre les intérêts moraux et matériels des pauvres, que nous nous opposons a ce qu'on apporte des remèdes efficaces aux maux qui assiègent les classes nécessiteuses, si nous n'adoptons pas le projet de loi.

A la charité privée, qui est la satisfaction d’un sentiment, l'accomplissement d'un devoir religieux, nous laissons la plus grande latitude possible, personne ne songe à l'entraver, à ne pas lui permettre de prendre tout le développement dont elle est susceptible.

Personne ne songe à repousser de nos établissements de bienfaisance des religieuses hospitalières, à fermer à d'autres nos écoles, à ne pas laisser enfin dans la position que leur a faite la Constitution, les nombreuses associations qui donnent leurs soins aux malheureux ou se livrent à l'enseignement.

Personne ne songe, l'honorable M. Malou le sait bien, à contrarier en aucune manière l'érection d'institutions nouvelles de cette catégorie, pourvu toutefois qu'elles se contentent de la liberté sans réclamer des privilèges exorbitants.

Veuillez, messieurs, le remarquer, la loi ne concerne pas la charité privée, elle a au contraire pour objet la charité publique ; c'est-à-dire des établissements permanents d'utilité publique dont nous devons permettre ou non la formation suivant que nous avons la conviction qu'il est de l'intérêt ou non de la société d'en autoriser la création.

Une seule chose doit donc nous préoccuper dans l'examen de la question soumise en ce moment à nos délibérations, c'est celle de savoir si un grand intérêt social ne nous commande pas de maintenir le régime actuel sous lequel les pauvres ont reçu des legs et donations, en trois ans, pour environ sept millions et demi de francs, plutôt que de nous lancer inopportunément dans une voie que le passé nous indique comme pleine de mécomptes et de dangers.

Si nous avons, dit l'honorable M. Malou, la liberté de l’enseignement, la liberté des cultes, la liberté de conscience, il faut également que nous jouissions de la liberté de la charité.

Mais, messieurs, qui donc veut l'entraver ? Est-ce que par hasard tout citoyen n'a pas la faculté d'exercer la bienfaisance, ainsi que bon lui semble, comme il a celle d'enseigner ? Mais parce qu'il peut établir des écoles, des universités même, aurait-il le droit de les fonder à perpétuité, de les ériger en établissements d'utilité publique ?

Voudrait-on peut-être, en faisant cette comparaison, en induire que si la liberté de la charité doit avoir pour conséquence nécessaire de donner à chacun la faculté de fonder des établissements de bienfaisance, il faut également que la liberté de l’enseignement produise le même résultat ; c'est-à-dire qu'il faut qu'on permette à qui que ce soit de donner la personnification civile à tout établissement d'instruction d'un degré soit inférieur, soit moyen, soit supérieur ?

Est-ce là le but que l'on veut atteindre ? C'est possible, mais du moins qu'on nous le dise ouvertement.

D'un autre côté, parce que la liberté des cultes est garantie par notre Constitution, s'ensuivra-t-il que tout testateur pourra faire des fondations avec des administrateurs spéciaux, soit pour des obits, soit pour tout autre office religieux ; lui permettrez-vous de créer des bénéfices, d'imposer à une fabrique d'église telle règle, telle condition qu'il jugera convenable pour l'administration et l’emploi de son legs, sans que cette dernière ait d'autre mission que celle de l'accepter ?

Cependant, messieurs, telle peut être aussi la dernière volonté d'un mourant, et si vous refusez d'acquiescer à ses caprices, diriez-vous qu'on viole scandaleusement l'intention de ce testateur et qu'ici à plus forte raison encore qu'en matière de charité, on porte atteinte à sa liberté de conscience ?

Vous voyez, messieurs, combien il importe de bien poser la question pour la résoudre sainement, car si tous nous sommes animés des mêmes sentiments de commisération envers les malheureux, nous pouvons cependant différer sur les mesures à prendre pour garantir le patrimoine des pauvres et eu assurer le bon emploi, lorsqu'il s'agit de la charité publique, qui nécessairement doit avoir ses formes et ses règles.

Quant à nous, nous croyons que les résultais du projet de loi seront, tout autres que ceux que l'on signale avec tant de complaisance.

De quoi s'agit-il, en effet ?

Il s'agit de savoir s'il est de l'intérêt de la société et des pauvres eux-memes de laisser gérer, sans contrôle sérieux, les biens de ceux-ci par des administratours spéciaux, en nombre indéfini, par des administrateurs (page 1394) désignés souvent par le caprice du hasard et pouvant ainsi ne présenter nulle garantie de moralité, de capacité et de solvabilité.

Il s'agit de savoir s'il est préférable de rétablir un système condamné depuis longtemps, plutôt que de continuer à confier la direction des institutions de bienfaisance aux administrations publiques telles qu'elles sont organisées depuis 60 ans, administrations qui, quoi qu'on en dise, ont fait naître bien peu de plaintes et donné lieu à de bien rares abus.

Il s'agit de savoir si on doit déléguer au gouvernement la faculté de donner la personnification civile à la plupart des 748 associations hospitalières et enseignantes qui sont maintenant non reconnues et à une foule d'autres établissements créés ou à créer.

Il s'agit en un mot de savoir si vous voulez ressusciter l'ancien régime, reconstruire l'édifice des temps passés qu'une grande révolution a abattu.

Et, messieurs, qu'on ne se fasse pas illusion, car que remarquons-nous dans la discussion à laquelle nous assistons, si ce n'est le renouvellement ou plutôt la continuation de cette lutte si ancienne, si tenace que nous retrace l'histoire de tous les temps, de tous les pays entre le pouvoir civil et l'autorité religieuse relativement à l'administration des biens des pauvres ?

Jadis comme maintenant on s'est demandé si l'on permettrait aux citoyens de créer des établissements perpétuels, de telle manière que, par la nature même de leur organisation, ils fussent placés en dehors de la loi commune et échappassent au contrôle du pouvoir civil.

Eh bien, alors comme aujourd'hui ceux qui avaient intérêt à pouvoir disposer à leur gré des fondations, à en manier, comme bon leur semblait, les deniers, s'écriaient aussi qu'il fallait laisser à chacun la faculté de disposer, comme bon lui semblait, de ses biens, de faire des oeuvres pies, car ainsi le voulait le respect que l'on doit à la volonté de tout donateur ou testateur, car ainsi le voulaient la liberté dé la charité et le bien-être moral et matériel des pauvres.

On eut foi, messieurs, dans leurs dires ; on essaya ce régime ; on avait pensé que des hommes qui paraissaient s'intéresser si vivement aux malheureux, seraient les dépositaires les plus fidèles des biens des pauvres ; mais l'on s'aperçut qu'ils n'étaient pas plus que tous les autres exempts de quelques-unes des faiblesses attachées a la condition humaine, et il en sera toujours ainsi, quelques précautions que vous preniez, lorsque vous aurez des administrateurs non responsables parce qu'ils seront inamovibles, parce qu'ils ne relèveront que de la volonté du testateur, parce que, quoi que vous fassiez, leur gestion ne pourra être contrôlée avec efficacité.

Aussi les abus furent tels, que des conciles mêmes s'en préoccupèrent.

Témoin ceux tenus en 816 à Aix-la-Chapelle, et en 1311 à Vienne en Dauphiné.

L'autorité civile s'émut aussi de cet état de choses et rechercha, comme on le fait aujourd'hui, les moyens de faire régner l'ordre dans la direction des établissements de bienfaisance gérés par des administrateurs spéciaux.

Chose assez remarquable, messieurs, elle eut la bonhomie de croire, comme l'honorable ministre de la justice, que l'intervention des procureurs du roi et des juges de ce temps-la serait une panacée propre à remédier aux maux signalés de toutes parts.

Tel fut l'objet de l'ordonnance de 1546 de François Ier qui introduisit les syndics des communautés dans l'administration des hôpitaux avec des représentants du clergé et de la noblesse et donna aux juges royaux la mission de visiter les hôpitaux et de prendre connaissance de leurs affaires.

Mais les ministres de François Ier furent trompés dans leur attente, comme lz seront ceux qui sont aujourd'hui au pouvoir, si le projet de loi est adopté.

Car, malgré la surveillance donnée aux juges royaux, les abus continuèrent et la réforme fut poursuivie, mais toujours en vain, les années suivantes.

Pour être sincère, je dois cependant reconnaître qu'on ne s'effraye pas trop maintenant de l'immixtion des gens de justice dans l'administration des établissements de bienfaisance. Quant à présent, on paraît l'accepter sans répugnance, parce qu'on est assuré, à certain point, de son innocuité.

Mais dans le temps dont je parle, on vit de mauvais œil la justice appelée à contrôler les actes et la gestion des administrateurs des fondations, on demanda aux Etats d'Orléans qu'on laissât comme auparavant l'administration purement et simplement à ceux auxquels le fondateur l'avait confiée et que les juges royaux se bornassent à s'assurer si les intentions des fondateurs étaient respectées.

Ces prétentions, messieurs, furent rejetées ; on admit seulement les ordinaires à visiter les établissements de bienfaisance soit en personne, soit par des délégués, concurremment avec les juges royaux.

L'ordonnance de Moulins de Charles IX et celle de Blois de 1579, dans le but de redresser des griefs dont on continuait à se plaindre, contiennent des mesures que l'honorable ministre de la justice n'a pas osé proposer, parce qu'il aurait été accusé d'entraver la liberté de la charité, que sais-je ! la volonté des testateurs. Ces ordonnances statuent que les administrateurs des hôpitaux ne seront ni ecclésiastiques, ni nobles, ni officiers, mais de simples bourgeois, bons économes, que leur nomination appartiendra aux fondateurs, mais qu'ils ne resteront pas plus de trois ans en charge et que les officiers de justice (toujours, messieurs, les procureurs du roi de ce temps-là) leur feront rendre compte.

Ces ordonnances, qui cependant renfermaient des dispositions sages qu'on aurait pu regarder comme propres à prévenir les abus, restèrent aussi sans effets ; elles furent impuissantes pour déraciner un mal si invétéré, car le projet de réformation des hôpitaux fut repris au XVIIème et au XVIIIème siècles et notamment par les ordonnances du mois d'août 1693, du 12 décembre 1698 et celle du mois d'août 1749.

Cette dernière exige, pour ériger un hôpital, la permission du souverain accordée par lettres patentes enregistrées dans les parlements ou les conseils supérieurs, c'est-à-dire un acte revêtu de toutes les formes qui constituent une véritable loi, un acte donné par le souverain dans la plénitude de ses pouvoirs comme législateur.

C'est ainsi qu'en 1749 on exigeait pour fonder un établissement de bienfaisance géré par des administrateurs spéciaux ce que réclamait avec raison l'honorable M. Rogier dans une de vos dernières séances.

Vous savez, messieurs, que dans notre pays, la lutte que l'on signale n'a pas été moins vive, vous connaissez les règlements qui ont été en vigueur dans nos différentes provinces et dont on vous a déjà fait connaître les dispositions les plus saillantes, vous connaissez l'édit de Marie-Thérèse du 15 septembre 1753 qui, comme celui de 1749, statue qu'une loi seule peut accorder la personnification civile à des établissements de bienfaisance avec des administrateurs spéciaux.

Malgré cependant tant de précautions, tant de mesures si diverses, il a fallu la révolution de 1789 pour mettre de l'ordre dans la gestion des biens des pauvres, pour obtenir les garanties que la législation actuelle a établies et dont on demande la suppression, quoique l'expérience des siècles passés ait dû nous donner des enseignements bien précieux.

Voulez-vous maintenant savoir à quoi ont abouti, sous l'ancien régime,toutes les prétentions de ceux qui demandaient que les fondations et les établissements de bienfaisance fussent gérées par des administrateurs spéciaux ?

Eh bien, messieurs, elles ont eu pour résultat la proclamation des principes que je trouve résumés dans un ouvrage de jurisprudence (Recueil et collection de décisions nouvelles, par Denisart, procureur an Chàtelct ; au mot Hôpitaux) ; voici ce que dit cet auteur bien connu :

« En général les confréries et les hôpitaux sont des corps purement laïques qui peuvent se former par la seule autorité du souverain et qu'il peut de même supprimer, unir et transférer, etc., suivantee qu'il juge le plus convenable pour la police de son royaume ; c'est sur ce fondement que nos rois par des ordonnances ou par des titres singuliers ont disposé en tout temps des hôpitaux, maladreries, léproseries et autres maisons de cette nature dont ils ont donné successivement l'administration à différentes sortes de personnes, selon que les circonstances du temps les ont déterminés. »

« Anciennement, dit Filleau (part. 1er, titre I, n° 18) les hôpitaux étaient régis et gouvernés par des ecclésiastiques... Toutefois, comme nos rois ont remarqué une trop grande avarice se glisser entre les ecclésiastiques et qu'ils appliquaient les biens des pauvres plutôt à leur profit particulier qu'à la nourriture des pauvres, pour quoi ils avaient été institués et dotés, ils (nos rois) leur en ont été l'administration et le gouvernement, et ont ordonné qu'ils seraient à l'avenir régis et gouvernés et les revenus d'iceux administrés par gens laiques, bien resseants et solvables, deux au moins, desquels seraient élus par les maires, échevins et conseils des villes et commis de 3 en 3 ans, à la charge d'en rendre compte d'an en an, délaissant seulement une pension aux titulaires pour leur vivre et vestiaire.

« Ce qui, ajoute Filleau, est conforme aux ordonnances de 1543 el de 1561, à l'article 65 de l'ordonnance de Blois et à l'édit de 1612. »

Ainsi, messieurs, les inconvénients, les désordres auxquels a donné lieu le maintien d'administrateurs spéciaux ont eu pour conséquence de donner au souverain la faculté de disposer comme bon lui semblait de toutes les fondations sans tenir aucun compte de l'intention des fondateurs, est-ce cela que l'on veut ? Les leçons du passé resteront-elles stériles ? Veut-on faire renaître un jour ce régime sous lequel le souverain pouvait à son gré transférer, réunir et même supprimer les établissements de bienfaisance ?

L'histoire ne nous démontrc-t-elle pas qu'il ne peut en être autrement, si vous livrez les biens donnés aux pauvres, au premier venu qu'il plaira à un fondateur de désigner, pour en régler l'administration et l'emploi ? que votre loi ne fera que préparcr une réaction qu'il serait, me semble-t-il, bien plus sage, bien plus prudent de prévenir, en conservant les règles qui servent de base à l'administration des biens des pauvres, depuis plus d'un demi-siècle ?

Vous voulez, dites-vous, en autorisant les fondateurs à nommer des administrateurs spéciaux leur donner des garanties propres à leur assurer que leur volonté sera perpétuellement exécutée, vous voulez, par ce moyen, les engager à faire plus d'oeuvres de charité ; mais ne comprenez-vous pas que, pour peu que ces fondateurs soient prévoyants, pour peu qu'ils profitent des enseignements du passé, ils ne seront rien moins que rassurés sur le sort de leurs fondations, qu'ils auront naturellement peu de confiance dans des mesures qui de tout temps sont restées inefficaces, pour garantir l’exécution de leur volonté, sous un régime qui souffre tant de critiques fondées et qui ne sera probablement qu'éphémère ?

(page 1395) Je sais que vous m'objecterez que votre projet de loi offre les garanties les plus fortes pour prévenir tous désordres, pour assurer la bonne gestion des biens des pauvres.

Mais depuis des siècles n'a-t-on pas pris les précautions les plus minutieuses pour s'opposer à la dilapidation des biens des fondations ?

Avez-vous autre chose dans votre loi que l'obligation de rendre compte, que l'intervention des tribunaux, mesures qui se retrouvent dans la plupart des ordonnances du roi de France et dans les placards publiés dans notre pays.

Oui, messieurs, il y a autre chose, mais c'est quelque chose de moins que les prescriptions de ces lois anciennes ; et cependant, messieurs, c'est que vous répudiez la surveillance de l'administration communale, celle qui est la plus propre à signaler les abus, la mieux placée pour les découvrir, tandis qu'anciennement on admettait l'intervention des syndics des communautés : c'est que vous ne limitez pas les choix des fondateurs, comme on le faisait jadis, en statuant qu'il ne pouvait tomber sur des ecclésiastiques, des nobles ou des otliciers ; c'est que vous rendez les administrateurs spéciaux inamovibles, tandis que les ordonnances de Moulins et de Blois fixaient la durée de leur mandat à trois ans.

Et vous voudriez que votre loi offrît des garanties sérieuses pour assurer la bonne gestion des biens des fondations et leur emploi utile !

Ah ! je le sais, on viendra nous dire que cette lutte, cette résistance de l'autorité civile que j'ai signalée et qu'on ne peut nier, provient de ce que jadis on voulait arrêter l'accumulation des richesses entre les mains du clergé qui formait alors un corps politique puissant ; de ce qu'on voulait restreindre l'influence que pouvait lui donner l'administration et la distribution des biens du pauvre.

On viendra nous dire que ces préoccupations doivent aujourd'hui s'évanouir, que toutes les craintes sont devenues chimériques, que nous vivons dans des temps où les abus qui ont jadis existé sont devenus impossibles.

Dieu veuille, messieurs, qu'il en soit ainsi pour notre chère patrie, pour les belles institutions politiques dont nous avons le bonheur de jouir !

Je ne veux pas examiner quelle est aujourd'hui la puissance du clergé comme propriétaire, quelle est son influence.sur les affaires du pays. Toutefois je désire, dans son intérêt et dans celui de la religion, qu'on ne lui donne pas le moyen d'accumuler des richesses directement ni indirectement.

Cependant il faut bien reconnaître que les faits qui se passent autour de nous ne sont pas des plus rassurants. Souvent nous voyons le clergé s'occuper beaucoup des affaires politiques du pays, y intervenir activement, et malheureusement aujourd'hui plus que jamais il s'agit de ses actes dans nos discussions.

Je dis malheureusement, messieurs, car si je vois avec bonheur son intervention dans toute œuvre de moralisation, sa présence dans les administrations des établissements de bienfaisance, lorsqu'il y est librement appelé ; si je reconnais les immenses bienfaits que sa mission sainte peut répandre sur toutes les classes de la société, lorsqu'elle reste dans de justes limites, autant, je le dis avec une intime conviction, je regarde comme propre à diminuer les sentiments religieux des populations, son immixtion dans les affaires politiques ou mondaines auxquelles son caractère sacré devrait lui commander de rester étranger, autant je verrai avec peine son intervention dans la gestion des biens des fondations comme administrateurs spéciaux, car il n'arrivera que trop souvent que ses meilleures intentions seront méconnues, et il est à craindre que la considération, l'estime, le respect dont il doit être entouré, ne soient amoindris, lorsqu'il sera en contact avec des fondateurs et leur famille, lorsqu'on il verra s'occuper de l'administration de biens terrestres et mêlé à toutes les contestations, à tous les conflits auxquels celle-ci donnera nécessairement naissance.

La puissance temporelle du clergé pourra augmenter par là, mais jo doute fort que son autorité.spirituelle sur les populations, celle qu'il doit avoir le plus à cœur de maintenir, s'accroisse.

Mais ce qu'il importe d'examiner à un autre point de vue, messieurs, c'est la question de savoir si, sous le régime constitutionnel sous lequel nous vivons, les motifs les plus puissants ne doivent pas nous déterminer à nous préoccuper plus que jadis de l'indépendance du pouvoir civil.

Anciennement la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'existait pas, le souverain avait le droit de s'ingérer dans l'administration de l'Eglise, de voir ce qui s'y passait, de surveiller ses actes, de les blâmer et même de les annuler ; les membres du clergé étaient considérés comme des fonctionnaires publics responsables vis-à-vis de l'autorité civile ; on conçoit donc que, dans ce temps, en donnant certain pouvoir au clergé, certain privilège, l'Etat n'abdiquait pas entièrement ses prérogatives, ne se dépouillait pas tout à fait de l'autorité qu'il doit conserver intacte, dans l'intérêt de la société ?

Aussi je vous ai fait voir tantôt de quelle manière les souverains traitaient les administrateurs spéciaux des biens des fondations, combien peu ils se gênaient pour les destituer, pour lui enlever la gestion des biens dont l'administration leur était confiée, pour supprimer même ces fondations suivant que le commandait la police du royaume.

Mais aujourd'hui, messieurs, en présence de notre Constitution qui a proclamé le principe de la séparation de l'Eglise et l'Etat, qui a rendu celle-ci entièrement indépendante du pouvoir civil, peut-on, sans avoir des préoccupations bien légitimes, sans voir l'indépendance du pouvoir civil méconnue, sacrifiée, adopter une loi telle que celle qui nous est., proposée, et qui aura, si ce n'est pas directement, du moins implicitement, ces conséquences si déplorables ? Et qu'on ne vienne pas nous dire que les fondations ne seront pas dirigées soit par le clergé, soit par les associations religieuses ; il suffit d'ouvrir les documents qui nous ont été distribués, pour s'assurer que les 9/10 des dons et legs qu'ils renferment ont cette destination.

Le gouvernement lui-même a tellement senti que là était la danger, les administrateurs spéciaux lui inspirent une telle défiance, qu'il a cru devoir prendre vis-à-vis de ceux-ci des mesures extraordinaires, pour maintenir contre eux son autorité qu'il s'attend probablement à voir scandaleusement méconnue.

Cependant, messieurs, le gouvernement se trompe étrangement s'il croit que les précautions qu'il préconise seront efficaces ; ce n'est pas lorsqu'on délègue, en quelque sorte, la puissance législative à tout testateur, que, pour ainsi dire, on la prodigue en la donnant au premier venu, que.l'on peut espérer devoir respecter l'autorité civile ainsi vilipendée.

Ce n'est pas lorsqu'on entend proclamer comme axiome, que le clergé seul a mission de faire bien la charité, qu'on peut s'attendre à le voir se soumettre aux prescriptions de la loi ; et en effet, si c'est en sa qualité de ministre du culte que vous donnez à quelqu'un et à ses successeurs ce privilège qui consiste à gérer à perpétuité une fondation, celui-ci ne pourra-t-il pas vous demander de quel droit vous voulez soumettre ses actes au contrôle de l'autorité civile, lorsqu'il tient sa mission d esa qualité, lui dont le caractère est indivisible, lui qui doit jouir de. l'indépendance la plus absolue pour tous les actes qu'il pose en sa qualité de ministre des autels.

Messieurs, des faits même établissent déjà que nos craintes, nos appréhensions sont loin d'être chimériques, car M. le ministre de la justice ne nous a pas encore dit si les comptes des congrégations hospitalières ont toujours été remis régulièrement au département de la justice ni quels étaient leur forme et leur contenu.

Icii je rencontrerai un argument que vient de nous présenter l'honorable M. Malou.

Mais, dit l'honorable membre, du droit de propriété dérive celui de tester et par conséquent celui de faire des fondations. Je vous avoue, franchement, messieurs, que je ne m'attendais pas à trouver ce singulier axiome dans la bouche de l'honorable orateur.

Du droit de propriété dérive, si vous le voulez, celui de tester, celui de disposer de ses biens, mais à une condition, à la condition de se conformer à la loi civile qui, certes, a le droit, dans l'intérêt de l'ordre social, de tracer des limites à la volonté des propriétaires, soit qu'ils disposent de leurs biens pendant leur vie, soit qu'ils n'en disposent que pour le temps où ils auront cessé de vivre.

Sans cette restriction, admise dans tous les temps et chez tous les peuples, voyez où nous conduirait le principe qu'on met en avant.

Il serait donc permis à chacun, par cela seul qu'il serait propriétaire, de dépouiller ses enfants pour ériger des fondations ; si telle était la volonté d'un mourant, il lui serait permis de créer des bénéfices, des majorats, des fidéicommis, de rétablir la mainmorte dans sa famille ; il serait permis de doter quelque couvent que ce fût.

Car telles sont les conséquences logiques qu'on peut faire dériver du droit de propriété interprété comme le fait l'honorable M. Malou.

Est-ce cela que vous voulez ? Ayez la franchise de le dire.

La loi proposée, messieurs, produira encore, sous d'autres rapports, des effets détestables, je veux parler de l'anarchie, du chaos qu'elle va faire régner dans la distribution des secours, du tort qu'elle causera à la société en général et aux communes spécialement ; car loin de penser, comme l'honorable M. T'Kint de Kaeyer, qu'elle sera avantageuse aux finances communales, j'établirai tantôt, par des faits, qu'elle sera des plus préjudiciables à leurs intérêts.

Lorsque, messieurs, il y aura autant d'administrateurs des biens des pauvres qu'il plaira aux testateurs d'en désigner ; que, dans une même commune, il en existera un grand nombre, vous comprenez facilement que des conflits vont surgir, et pour le dire en passant, je conseille à l'honorable ministre de la justice de créer dans ses bureaux une division de plus si la loi est mise en vigueur. Vous comprenez également qu'il sera quasi impossible que tous les administrateurs, désignés souvent par le caprice du hasard, distribuent les secours avec srgacité, avec intelligence.

Pour peu donc que certains habitants n'aiment pas à travailler et connaissent ces sources abondantes d'aumônes, ils sauront bien trouver le moyen d'y puiser le plus possible, tantôt chez les uns, tantôt chez les autres, et c'est ainsi, messieurs, que vous paralyserez chez eux l'énergie qui leur resterait encore, que vous les dégoûteiez de tout travail et que vous en ferez des fainéants et des mendiants, peut-être de génération en génération.

Admettre des administrateurs spécraux. disait un jurisconsulte très profond et très éclairé, « ce serait créer dans une même localité plusieurs institutions de même nature, agissant isolément sans accord et sans unité, ce serait donner lieu à des doubles emplois dans la distribution des secours, ce serait semer le désordre, la confusion dans la gestion des biens des pauvres et faire manquer complètement le (page 1396) but que la législation des institutions de bienfaisance s'efforce d'atteindre. »

Ce profond jurisconsulte, messieurs, était feu M. Ernst, qui tenait ce langage lorsqu'il était ministre de la justice ; vous voyez que la manière de voir de cet homme éminent n'était pas entièrement conforme à celle de l'honorable ministre de la justice actuellement en fonction, quoi qu'en ait dit l'honorable comte de Liedekerke.

J'ai ajouté, messieurs, que le projet de loi serait préjudiciable aux finances communales, il suffit de voir ce qui se passe déjà dans certaines localités pour en être convaincu.

Il résulte de renseignements que je tiens de bonne source, et que je puis considérer quasi comme officiels, que maintenant l'existence à Verviers de la société de Saint-Vincent de Paul et de la société de Philanthropie en concurrence avec le bureau de bienfaisance nuit à la caisse communale de cette ville.

A Dieu ne plaise, messieurs, que je veuille imputer en aucune manière aux honorables membres de ces sociétés ce résultat fâcheux qui se produit malgré leurs bonnes intentions ; au contraire, je rends un hommage bien sincère au zèle, au dévouement qu'ils apportent dans leur mission charitable.

Mais voici comment de choses, bonnes en elles-mêmes, peuvent cependant faire naître de graves inconvénients.

La loi, comme vous le savez, exige 8 années de résidence dans une commune pour y acquérir le domicile de secours.

Eh bien, la société de St Vincent de Paul accorde des secours aux pauvres aussitôt qu'ils sont arrivés à Vcrviers, sans exiger qu'ils y aient séjourné quelque temps ; c'est en quelque sorte un traitement d'attente qu'on donne au malheureux qui peut encore gagner quelque chose par son travail.

Après quatre années de résidence, terme fixé par la société de Philanthropie pour qu'un ménage pauvre soit porté sur ses listes, ce même ménage est secouru et par la société de St-Vincent de Paul et par la société de Philanthropie de sorte que ces aumônes cumulés lui permettent d'attendre les huit années de séjour exigées par la loi, pour qu'il ait acquis son domicile de secours à Verviers.

Et qu'arrive-t-il alors ? C'est que ces sociétés suppriment complétement les secours qu'elles ont accordés jusque-là à ce ménage nécessiteux et que celui-ci reste à jamais et exclusivement à la charge du bureau de bienfaisance.

Supposer maintenant que l'on établisse à Verviers (et ce que je dis de Verviers s'applique à toutes les villes), supposez, dis-je, qu'on y érige encore quelques fondations avec administrateurs spéciaux accordant d'abondantes aumônes qui y attireront nécessairement les pauvres des communes voisines, ce seront là de véritables fabriques de pauvres que la ville de Verviers renfermera dans son sein et qui deviendront une charge bien lourde pour ses établissements de bienfaisance et pour elle-même, car à quel chiffre ne devra pas s'élever le subside qu'elle devra leur payer pour subvenir à tant de besoins !

Voilà, messieurs, comment fonctionne une loi qu'on nous dit destinée à alléger le fardeau qui pèse sur la commune ! Voilà quels avantages elle leur procure !

Je terminerai, messieurs, par une dernière considération, c'est qu'il n'est conforme ni aux principes, ni à l'esprit de nos institutions constitutionnelles de laisser au pouvoir exécutif la faculté de créer des personnes civiles.

S'il appartient à la nation souveraine, représentée par ses mandataires, d'admettre dans son sein de nouveaux membres, elle seule doit avoir également le droit de donner la vie civile à des établissements, à des associations, à ces personnes morales.

Vous ne pourriez pas déléguer au pouvoir exécutif la faculté de naturaliser telle catégorie d'étrangers déterminée, comment alors auriez-vous le droit de lui donner le pouvoir d'accorder la personnification civile à toutes les fondations de charité ?

« Toutes les associations, disait l'honorable ministre de l'intérieur, (dans son rapport sur la'proposition Brabant-Dubus), n'ont certainement pas de titres suffisants à faire valoir pour l'obtention de leur reconnaissance comme personnes civiles, pour y avoir droit (et quels meilleurs juges que les mandataires de la nation ?) il faut que ces associations présentent un caractère incontestable d'utilité publique dans le cercle d'influence pour lequel elles ont été créées. »

Eh bien, messieurs, ce que disait M. le ministre de l'intérieur s'applique parfaitement aux fondations charitables ; je pense comme lui que ce sont les mandataires de la nation qui sont les seuls juges compétents pour examiner et décider si telle ou telle fondation réunit à un assez haut degré ce caractère incontestable d'utilité publique, pour qu'elle soit reconnue comme personne civile et qu'ainsi nous ne pouvons laisser ce soin au pouvoir exécutif.

Je voterai, messieurs, contre le projet de loi que je regarde comme une loi de réaction et pleine de périls pour l'avenir du pays.

- La séance est levée à 4 heures et demie.