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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 9 mai 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1521) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Baulers prie la Chambre d'accorder aux sieurs Waring la concussion d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw par Nivelles. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Snoyers, ancien soldat de l'empire, réclame l'intervention de la Chambre pour être secouru par les hospices de Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Gheel demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher les inondations de la Grande-Nèthe. »

- Même renvoi.


M. Van Iseghem demande un congé pour la séance de ce jour.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre un projet de loi tendant à ouvrir au département des travaux publics un crédit extraordinaire pour l'exécution de travaux d'utilité publique décrétés en 1851, savoir :

Pour la continuation du canal de Deynze à la mer du Nord par Heyst : fr. 1,200,000

Pour l'amélioration des ports et côtes, fr. 500,000

Pour approfondissement du canal de Gand à Bruges, fr. 500,000

Total, fr. 2,500,000.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des actions.

Ordre des travaux de la chambre

M. Delfosse. - M. le ministre des finances a demandé, il y a quelques jours, que l'on mit à l'ordre du jour le projet de loi sur l'emprunt de 35 millions. La Chambre a accédé à cette proposition.

Je demanderai à M. le ministre des finances s'il trouverait des inconvénients à communiquer à la Chambre, avant cette discussion, le résultat de la conversion de l'emprunt 5 p. c, de 26 millions en 4 1/2. Je crois qu'il serait utile que la Chambre, avant d'aborder la discussion de la loi sur l'emprunt, connût quels ont été les résultats de cette opération.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - En général le gouvernement choisit son moment pour rendre compte de l'exécution des lois votées en matière financière. Je ne trouve pas d'inconvénient cependant à faire connaître à la Chambre, avant la discussion du projet de loi sur l'emprunt, quel a été le résultat de la conversion. Je pensais faire un rapport plus tard. Mais si la Chambre désire connaître le résultat de cette opération, je le lui communiquerai avant la discussion de la loi d'emprunt.

M. Coomans. - On a donné si rapidement lecture des pièces envoyées à la Chambre, que je suis excusable de ne pas en avoir recommandé une, comme j'en avais l'intention ; c'est la pétition relative aux inondations de la Nèthe qui se renouvellent chaque année, qui causent des dommages considérables, nuisent aux récoltes, tuent le bétail, et compromettent également la santé des populations.

Je prie la Chambre de demander un prompt rapport sur cette pièce à la commission des pétitions.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. de Naeyer. - La parole est continuée à M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre les amendements que j'ai annoncés hier.

M. Delfosse. - L'impression et la distribution !

M. de Naeyer. - Ces amendements sont ainsi conçus :

Art. 86. Ajouter à l'article ces mots : « Leurs fonctions sont gratuites. »

Art. 80. Ajouter un paragraphe 2 ainsi conçu : « Ne pourront être admis comme administrateurs, collateurs et distributeurs spéciaux ceux qui se trouveront dans l'un des cas d'incapacité prévus par l'article 909 du Code civil. »

Art. 84. Ajouter la disposition finale qui suit : « Chaque fois que la députation permanente donnera son approbation aux conventions à conclure avec des associations religieuses ou laïques, conformément à l'article 37 de la présente loi, elle limitera en même temps le personnel qui sera attaché au service de l'établissement fondé. La députation permanente pourra toujours, après avoir pris l'avis du conseil communal, et sauf recours au Roi, autoriser l'augmentation du personnel quand les besoins de l'établissement l'exigeront, ou ordonner la réduction du personnel, si celui-ci excédait les besoins de rétablissement, d'après sa destination charitable. »

Art. 92. Ajouter à l'article ces mots : « S'ils ne satisfont pas à cette condamnation, leur révocation sera prononcée par le tribunal, conformément aux dispositions des articles suivants. »

« Art. 104 bis. Chaque année un rapport sera présenté aux Chambres sur tous les établissements de bienfaisance du pays. Ce rapport indiquera :

« La situation de tous les établissements de bienfaisance, les fondations comprises ;

« Leurs ressources ;

« Leurs dépenses ;

« Leur personnel ;

« Le nombre de personnes secourues dans les établissements ;

« L'importance des secours distribués en dehors des établissements ;

« Les frais d'administration ;

« Les budgets et les comptes ;

« Les libéralités charitables dont l'acceptation a été acceptée ou refusée ;

« Les fondations qui ont été autorisées ou dont l'autorisation a été refusée ;

« Les rapports de l'inspecteur nommé par le gouvernement, ainsi que l'indication de tous les conflits et difficultés qui auront surgi pendant l'année, soit administrativement, soit judiciairement. »

- Ces amendements seront imprimés et distribués.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, dans la séance d'hier, je me suis efforcé d'établir, en premier lieu, que le projet de loi que le gouvernement avait eu l'honneur de vous soumettre, est sincère ; qu'il est conçu dans un esprit loyal et modéré ; que le contrôle établi est un contrôle efficace et qui assure, qui conserve la bonne administration et la bonne gestion du patrimoine des indigents.

J'ai établi, en second lieu, autant qu'il m'a été possible, que la loi ne s'est pas inspirée de l'esprit de parti, qu'elle n'est que la consécration sous forme de loi de toutes les règles, de toutes les solutions qui dans ce pays ont prévalu en matière de législation charitable.

J'avais annoncé à la Chambre qu'en troisième lieu je me proposais d'établir que la loi était devenue nécessaire. C'est cette partie de ma tâche que je vais essayer de remplir et pour cela il me faudra très peu de temps.

Faut-il, messieurs, une loi nouvelle ? On en a contesté l'utilité. Un membre de cette assemblée qui a fait partie de l'administration du 12 août, l'honorable M. Rogier, a positivement contesté l'utilité de cette loi. Cette loi, nous a-t-il dit, est inutile. La législation actuelle suffit. Non seulement elle est inutile ; mais elle est dangereuse ; car elle jette dans le pays un ferment de profonde irritation.

Je crois, messieurs, que cette appréciation n'est pas fondée et je demanderai volontiers à l'honorable M. Rogier s'il est vrai qu'il existe des controverses ardentes, qu'il existe des dissentiments profonds sur l'interprétation de la législation charitable. Poser la question, c'est la résoudre. Que se passe-t-il depuis dix ans ? Mais cette enceinte n'a retenti que de récriminations, n'a retenti que de discussions. Dans le pays, dans la presse et partout ces controverses ont pris un caractère extrême, qu'il est temps, qu'il est de l'intérêt du pays de faire cesser.

Une autre raison, messieurs, nous porte à faire une loi nouvelle, c'est l'intérêt même des indigents. Je vous le demande, messieurs, est-ce que ce grand intérêt de la charité peut ainsi rester en suspens ? Pouvons-nous rester dans cette espèce d'impasse où l'on s'est trouvé jusque maintenant ?

Est-ce que cette situation, qui est une halte dans l'inconnu, est tolérable ? Nous sommes en présence des oscillations de la jurisprudence, des vicissitudes de la doctrine administrative, et c'est un autre motif pour que l'on en sorte, afin que l'administration connaisse une bonne fois quels sont ses droits, quels sont ses devoirs.

Il importe aussi au plus haut degré que les bienfaiteurs des pauvres, ceux qui veulent constituer le patrimoine des pauvres, sachent sous l'empire de quelles conditions ils peuvent faire ce noble usage de leur fortune.

Cette situation, messieurs, qui l'a créée ? J'ai constaté hier, par des faits irrécusables, qu'avant 1847 cet état de choses n'existait pas ; j'ai constaté qu'avant 1847 la législation charitable avait toujours, sous (page 1522) toutes les administrations, reçu l'interprétation que nous voulons aujourd'hui lui donner d'une manière définitive par la loi nouvelle.

Et cependant, nous avons entendu dans cette enceinte un membre de l'administration de 1847 nous reprocher d'avoir créé ces difficultés. Nous aurions créé ces difficultés, nous à qui on les a léguées ! Est-ce que nous n'obéissons pas à une nécessité que le cabinet de 1847 a laissée à ses successeurs ?

C'est donc un reproche immérité, un reproche dépourvu de toute justice que de nous accuser d'avoir provoqué cette situation. Elle procède, il faut le répéter, de l'administration de 1847, qui a rompu brusquement avec les traditions du passé, et qui a jeté, elle, dans le pays cette déplorable irritation.

Est-il vrai, d'ailleurs, qu'avant 1847 on ait ignoré ces difficultés ?

Hier, messieurs, j'ai répondu à cette allégation. J'ai prouvé qu'on n'avait rien ignoré, qu'on avait tout su, qu'on avait agi non par inadvertance, mais en pleine connaissance de cause, après examen, examen réfléchi, examen contradictoire entre les ministres les plus considérables qui ont gouverné le pays pendant cette période.

Sur ce point, messieurs, il me semble qu'il ne peut plus y avoir de doute. Une chose reste certaine, c'est que jusqu'en 1847 on a constamment pratiqué le respect le plus entier, le respect le plus absolu, le respect le plus légitime de la volonté du testateur.

C'est à ce système, messieurs, qui se confond avec les mœurs du pays, qu'a succédé la jurisprudence qu'on appelle le système de M. de Haussy.

Eh bien, c'est avec ce système qu'aujourd'hui, à notre tour, nous voulons rompre entièrement, non pas brusquement, brutalement, comme on l'a dit, mais avec la coopération des Chambres, après une discussion approfondie.

Messieurs, on m'a fait à ce propos un reproche en quelque sorte personnel, on m'a adressé ce qu'en terme d'école on nomme un argument ad hominem, et on a dit : « Si cette jurisprudence est aussi défectueuse, si elle heurte à ce point les lois du pays, pourquoi le ministère actuel ne l'a-t-il pas répudiée ? » L'objection m'embarrasse très peu, et j'y réponds sans hésiter.

Pourquoi n'ai-je pas répudié brusquement la jurisprudence qui date de 1847 ? J'avais pour cela plusieurs raisons. La première, c'est que le pouvoir judiciaire était saisi de la question, quand nous sommes arrivés aux affaires. Le procès de Rare, de Louvain, dans lequel toute la difficulté s'incarne, si je puis parler ainsi, était jugé depuis 1851 en première instance ; il était déféré à la cour d'appel. C'était un procédé de haute convenance d'attendre la solution judiciaire.

C'était un devoir de convenance, non seulement à l'égard du pouvoir judicaire, mais je dirais même à l'égard du pouvoir royal. En effet, je ne pouvais pas m'exposer à voir la signature royale être désavouée par les tribunaux.

Une seconde raison m'imposait cette réserve : c'est que nous avions annoncé dans notre programme que nous voulions faire une loi sur la charité ; cet objet était et reste la partie essentielle de notre programme.

Il eût donc encore été réellement inconvenant, en présence d'un pareil engagement, de faire table rase de la jurisprudence administrative de 1847.

C'eut été jeter dans le pays une cause d'irritation nouvelle, et c'est alors qu'on m'eût accablé du reproche d'avoir fait renaître l'irritation, si j'étais revenu par voie de réaction à la jurisprudence antérieure à 1847.

Nous ne sommes pas venus pour jeter l'irritation dans le pays, nous sommes venus pour la calmer.

Que serait-il arrivé, si j'avais répudié la jurisprudence datant de 1847 ? Nous aurions eu depuis lors vingt discussions dans cette enceinte ; nous aurions discuté vingt fois la question de l'applicabilité de l'article 84 de la loi communale ; nous aurions eu périodiquement le retour des débats véhéments de 1848 et de 1849. Eh bien, nous avons cru que de pareilles discussions étaient parfaitement inutiles et que l'intérêt du pays devait nous les interdire.

Voilà, messieurs, pour quel motif j'ai appliqué dans une certaine limite la jurisprudence intronisée en 1847. Je l'ai modifiée en quelques points, principalement en ce qui concerne l'instruction gratuite donnée par les associations hospitalières. Hier j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre pourquoi j'avais agi ainsi. Aujourd'hui la situation n'est plus la même, elle a complètement changé ; la question a franchi tous les degrés judiciaires, elle a abouti à la cour de cassation ; il y a eu de la part de cette haute juridiction une décision formelle, une décision sur l'interprétation de la loi, une décision sur la question de légalité.

La position n'est plus la même, car veuillez bien le remarquer, la cour de cassation a positivement tranché la question de droit ; il ne faut pas à cet égard qu'il y ait confusion ; je sais bien qu'une chose n'est pas tranchée, c'est le procès, le point de fait entre les parties qui plaident. Mais la question d'interprétation, la question d'application de la loi, la question de doctrine, celle-là est tranchée et tranchée d'une manière positive par la juridiction suprême du pays.

A entendre quelques-uns de nos adversaires sur ce point, on dirait que la cour de cassation n'a pas dit son dernier mot. Mais elle l'a fait ; je le répète, ce qui reste en suspens, c'est le procès.

Mais il n'y a que le procès qui resté en suspens.

Pour les jurisconsultes, ce qui est décidé, ce qui est tranché, c'est la question de droit quoi qu'il advienne du procès, la décision de la Cour de cassation est un monument de jurisprudence.

M. Frère-Orban. - Elle peut changer d'avis.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Il est libre sans doute à nos adversaires de croire que la cour de cassation, chambres réunies, modifiera son opinion ; libre à eux de croire cela, l'espérance est un droit toujours réservé, mais entre-temps l'arrêt est là.

Eh bien, messieurs, je le demande, lorsque le gouvernement se trouve ainsi placé entre l'opinion de la cour suprême, corps dégagé de tout esprit politique et l’opinion d'hommes quelque considérables qu'ils soient, mais qui sont des hommes politiques, je vous le demande, y a-t-il pour le gouvernement une hésitation possible ?

Le gouvernement doit à tout le monde l'exemple du respect dû aux décisions de l'autorité judiciaire ; l'arrêt de la cour de cassation doit sous ce rapport lier le gouvernement ; il le lie si bien que si le projet actuel, par impossible, était rejeté, dans quelle position nous trouverions-nous, nous, gouvernement ?

Nous ne pourrions plus appliquer, le voulussions-nous, la jurisprudence de 1847 ; elle est condamnée par la cour de cassation ; nous serions obligés d'autoriser les fondations avec administrateurs spéciaux, mais sans aucune espèce de contrôle, sans aucune espèce de garantie. Voilà quelle est la position que l'arrêt de la cour de cassation fait au gouvernement. Est-ce là ce qu'on veut ?

Il est libre encore, messieurs, à certains de nos adversaires d'espérer que la cour de Gand adoptera le système qui a été condamné par la cour de cassation.

Mais puisqu'on admet cette éventualité, puisqu'on invoque l'autorité de la cour de Gand, je crois, messieurs, qu'il n'est pas inopportun de jeter un coup d'œil rapide et rétrospectif sur quelques décisions de la cour de Gand en matière de législation charitable, et nous verrons quelles sont les tendances, les errements, les opinions de cette cour, si justement appréciée pour ses hautes lumières et le mérite de ses magistrats.

Je trouve un arrêt de la cour de Gand du 2 avril 1839, par lequel elle admet que le testateur a pu faire un legs aux pauvres honteux, sans que ce legs doive être autorisé par arrêté royal selon les dispositions du Code civil, ce legs n'étant pas nécessairement fait au profit d'un établissement légal représentant les pauvres, tel que les hospices.

Un autre arrêt de la cour de Gand du 3 août 1849 va beaucoup plus loin. Il considère comme légalement existant et capable de recevoir des libéralités, un hôpital dont la propriété est attribuée au bureau de bienfaisance, mais avec une administration spéciale et indépendante composée de deux membres laïques, de deux membres ecclésiastiques et d'un cinquième laïque à nommer sur la présentation de trois candidats faite par l'évêque.

Voilà bien, messieurs, une administration spéciale aussi formellement établie, aussi complète que l'on puisse en trouver une. Il y a des ecclésiastiques et il y a l'évêque qui a droit de présentation.

Cet arrêt intervint à la suite d'un jugement du tribunal de Termonde ; il le confirme et a été à son tour implicitement confirmé par un arrêt de la cour de cassation du 8 mars 1850.

Enfin messieurs, il y a un précédent de la cour de Gand beaucoup plus remarquable encore et bien moins connu, parce que l'arrêt est inédit.

Il s'agissait de libéralités faites à un consistoire : c'est l'affaire de Maria-Horebeke.

La cour de Gand a décidé que le consistoire pouvait, d'après notre législation, recevoir un legs, à titre universel ou à titre particulier, de meubles ou immeubles, fait au profit : 1° de pauvres protestants sans autre mention ; 2° de l'école protestante sans autre mention et 3° enfin de communautés religieuses protestantes ou de l'église protestante.

Cet arrêt est du 5 août 1839, rendu par la seconde chambre de la cour de Gand, précédée par M. Helias d'Huddeghem, ancien membre du congrès.

Cet arrêt me paraît si important que la Chambre voudra bien me permettre de lui donner connaissance du texte :

Sur le sixième moyen :

« Attendu que la défunte de cujus, après avoir institué à titre universel, pour un quart de protestantsche kerkgemeente te Maria-Hoorebeke, institue immédiatement après, pour un autre quart, de protestantsche armen van de zelve gemeente ; ce qui indique évidemment une seule et même communauté, qui n'est et ne peut être autre que celle dirigée et administrée par le consistoire.

« Qu'il suit d'ailleurs, tant de la loi de germinal an X, que du règlement général du 7 janvier 1816, ainsi que de la doctrine des anciens commentateurs sur la matière que les consistoires sont chargés spécialement de soigner les intérêts des pauvres de leur communauté.

« Que le legs particulier de maison aen de protestantsche gemeente (page 1523) s'applique également à la même communauté que celle de l'église, dont les intérêts sont évidemment confondus ici, dans la pensée de la testatrice, avec ceux de ladite communauté, puisque la destination prescrite au profit du ministre protestant concerne les intérêts de l'église, à charge de laquelle elle a mis en même temps l'entretien de la maison léguée ;

« Que quant au legs fait à la direction de l'école protestante (de sehool directie van de protestansche school), il doit être aussi censé fait au consistoire, puisqu'il conste au procès que l'école protestante à Maria-Hoorebeke a été fondée par le consistoire, que ce sont ses membres qui ont acquis primitivement le terrain pour bâtir l'école, et qu'ils en ont conservé la direction ;

« Qu'enfin, l'on voit d'après les pièces et documents produits par les intimés, que dans les différentes circonstances où il s'est agi, soit des affaires générales de la communauté, soit de celles de l'église des pauvres, ou de l'école, comme en dernier lieu lors de l'acceptation des legs dont s'agit, le consistoire s'est toujours conduit et a été constamment reconnu par le gouvernement, comme seul et unique corps moral, représentait, en qualité de chef de la communion protestante de Maria-Hoorebeke, les intérêts divers qui s'y rattachent.

« Sur la demande de séquestre :

« Attendu, en droit, que la disposition de l'article 1961 est facultative et que l'application en est abandonnée à la prudence des juges, tandis qu'en fait, les appelants, quoique ayant attaqué le testament dont question au procès, n'ont allégué jusqu'ores aucune circonstance dénature à rendre le séquestre nécessaire,

« La Cour,

« Ouï M. l'avocat général Donny en son avis, met l'appel au néant, rejette la demande à fin de séquestre et condamne les appelants à l'amende et aux dépens. »

Vous voyez, messieurs, combien la cour de Gand va loin Elle admet la capacité du consistoire, non seulement comme représentant l'Eglise, mais encore comme représentant des pauvres et comme représentant l'enseignement. Cet arrêt est diamétralement opposé à la décision rendue dans l’affaire Mettenius, affaire à peu près pareille, par l'honorable M. Tesch.

Telle est, en abrégé, la situation de la jurisprudence sur la question Je crois pouvoir me dispenser de continuer cette discussion de juriste qui est épuisée, puisque l'honorable M. Tesch n'a pu rien y ajouter de neuf, si ce n'est la gracieuse supposition que ceux qui ne partagent pas son opinion sur ce point, ont l'intelligence obstruée. Obstruée pourquoi ? L'honorable membre a oublié de le dire.

La nécessité d'une loi nouvelle n'est donc pas contestable. Mais il faut que cette loi nouvelle réponde réellement aux besoins des classes souffrantes. Telle a toujours été la conviction du gouvernement ; telle elle est encore aujourd'hui.

C'est au développement des ressources de la bienfaisance qu'il faut tendre, et il faut que la charité, qui ne fait pas assez et qui ne saurait faire assez, puisse élever ses ressources au niveau des misères sans nombre qui accablent les indigents.

Pour nous, tel est le but nécessaire de la loi que nous avons l'honneur de vous proposer.

J'ai dit que certains adversaires du projet de loi n'admettaient pas cette nécessité d'accroître les ressources de la charité et qu'au contraire ils s'effrayaient de cet accroissement. Ai-je eu tort en disant cela à ces honorables membres ? Leur ai-je fait tort ? Telle n'est certainement pas mon intention. Je ne suspecte les intentions de personne, mais je crois avoir le droit de tirer les conséquences des doctrines qui ont été professées par les honorables membres, tout comme on déduit les conséquences des opinions que j'exprime ici et des dispositions du projet de loi auquel on prête les conséquences les plus étranges, les plus fausses.

Certainement, messieurs, je crois sans peine, je suis même convaincu que l'honorable M. Rogier, est favorable à l'extension de a bienfaisance. Ses actes comme ministre, ses discours même nous l'ont appris. Mais tout le monde ne paraît pas être de cet avis. Ainsi, quand l'honorable M. Lelièvre, quand l'honorable M. Verhaegen combattent le projet sous prétexte qu'il enlèverait au commerce des capitaux considérables, quand ces honorables membres voient la une espèce de mainmorte nouvelle, la mainmorte mobilière, terme que je ne comprends pas trop, que signifie ce langage dans la bouche de ces messieurs ?

La loi enlèverait des capitaux au commerce ? Oui, dans une certaine mesure. Mais pourquoi les enlève-t-elle au commerce ? Pour les faire entrer dans le domaine de la charité, dans le domaine des pauvres. C'est le but de la loi, tout comme les donations faites aux bureaux de bienfaisance ont pour résultat d'enlever des valeurs à la circulation commerciale, et même des immeubles. Nous faisons donc bien moins puisque nous n'admettons en général que la fortune mobilière pour les fondations privées.

M. Frère-Orban. - On a dit que le projet enlevait des capitaux au commerce, au profit des corporations.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je crois avoir démontré que cela est radicalement impossible.

Quand j'entends un autre député de Bruxelles, l'honorable M. Anspach, craindre la restauration rapide, ce sont ses expressions, des richesses ecclésiastiques, c'est au fond la même pensée qui domine l'honorable membre sans qu'il le veuille, sans qu'il s'en rende compte.

Quand dans quelques publications, dont quelques-unes récentes, on fait un titre de préférence aux administrations officielles de la modération des libéralités dont elles sont l'objet, ne suppose-t-on pas que la loi nouvelle sera un stimulant pour la générosité, pour le développement de la charité individuelle ?

Lorsque enfin, messieurs, l'honorable M. Tesch, tout en protestant, et je ne doute pas un instant de la sincérité de cette protestation, qu'il est d'accord avec nous pour l'extension si désirable de la bienfaisance, semble se prononcer pour des restrictions en faveur du droit de tester en ce qui concerne les libéralités charitables, quel autre but en apparence puis-je assigner à ces restrictions que celui de réduire le nombre et l'importance des legs charitables ?

Ce sont là, messieurs, les conséquences que je tire des opinions émises par les honorables membres, tout en respectant leurs intentions que je n'incrimine pas le moins du monde. Loin de là, je suis au contraire convaincu que tout le monde est d'accord pour vouloir l'extension des ressources de la bienfaisance, On n'est en divergence que sur les moyens.

D'accord, messieurs, sur ce grand intérêt, le seul point qui rester à examiner, c'est celui-ci : lequel, du système de la loi que nous vous proposons ou du système de 1847, est le plus favorable à l'extension des ressources de la bienfaisance ? Eh bien, quoi qu'on en ait dit et quoi qu'on puisse en dire, je ne puis pas comprendre comment en Belgique un système qui froisserait le sentiment religieux, peut devenir la base d'une bonne loi en faveur des pauvres, Ce serait là un démenti donné à l'histoire du pays et à l'histoire de la charité depuis les premiers temps du christianisme d'où elle date.

Un point, messieurs, sur lequel tout le monde paraît également d'accord, c'est pour repousser la charité légale. Ce n'est pas à nous, comme quelques honorables membres l'ont supposé, c'est aux adversaires de la loi à expliquer comment le système de 1847 que l'on préconise aujourd'hui ; comment ce système qui investit la charité officielle d'un véritable monopole, ne mène pas nécessairement, fatalement et par la force des choses, à la charité légale que cependant tout le monde repousse ? Mais je conclus qu'à ce double point de vue, d'un côté du besoin constaté d'augmenter les ressources de la bienfaisance, et, de l'autre, de la nécessité de ne pas étendre les prérogatives et les devoirs de la charité officielle pour qu'elle ne dégénère pas en charité légale, je conclus qu'à ce double point de vue, il fallait que le projet fît appel et fît accueil aux fondations dues à la charité privée. Repousser les fondations dues à la charité privée, c'est forcément, c'est nécessairement pousser à la charité légale, fléau que tout le monde est unanime à condamner.

Ce but, messieurs, n’était possible et il n'était praticable qu'à une condition ; c'était de faire dans une certaine mesure des concessions au sentiment religieux dont la charité s'inspire principalement et de faire en quelque sorte, si je puis m'exprimer ainsi, une transaction loyale avec l'élément religieux.

Voilà, messieurs, ce que, selon nous, il fallait faire et je le prouverai par quelques considérations dont il me paraît difficile de méconnaître la force et je le prouverai par des faits que j'emprunte aux adversaires mêmes de la loi.

Une transaction dans le sens que je viens d'indiquer était commandée aussi bien par la situation que par la nature des intérêts engagés dans la question.

En effet, messieurs, considérez la position devant laquelle le gouvernement s'est trouvé. Il avait à faire une loi nouvelle ; cette loi nouvelle pouvait-elle être, je le demande, la reproduction servile du système de 1847 ? C'était impossible. C'eût été froisser profondément le sentiment religieux. C'eût été une solution antireligieuse de la question ; par conséquent, une solution qui eût froissé une opinion considérable dans le pays. Si une pareille solution pouvait convenir à quelques-uns de nos adversaires, elle ne pouvait certainement pas être adoptée par des hommes pratiques, appelés aux affaires dans une pensée modérée.

Je viens de démontrer que la loi nouvelle ne pouvait pas être en opposition avec le sentiment religieux. La loi nouvelle, d'un autre côté, pouvait-elle maintenir les administrations spéciales sans les entourer d'un cercle rigoureux, inexorable, de garanties et de contrôle ? C'était également impossible, car une pareille solution, vous le comprenez sans peine, messieurs, eût été une solution antilibérale, devant froisser à son tour une fraction considérable de l'opinion publique ; c'eût été refuser à cette opinion la satisfaction légitime de voir encore se développer, de voir encore grandir cette haute tutelle administrative dont il est salutaire que les établissements charitables soient toujours entourés. L'une ni l'autre de ces solutions extrêmes, ni la solution anti-religieuse, ni la solution anti-libérale n'était donc possible. Que restait-li possible ? La solution transactionnelle que nous vous apportons.

Nous ne sommes pas les seuls, je l'ai déjà rappelé, à avoir envisagé la question à ce point de vue. Le cabinet de l'honorable M. de Brouckere s'est chargé de prouver que telle devait être l'appréciation de tout homme pratique, de tout gouvernement modéré.

(page 1524) Les projets de mon honorable prédécesseur, projets qu'il importe de ne pas séparer, de ne pas mutiler, ces projets dont aujourd'hui tous les orateurs de la gauche font l'éloge posthume, attestent chez leur auteur la ferme volonté et de faire des concessions au sentiment religieux et, en même temps, de maintenir les droits du pouvoir civil.

Qu'était-ce, effectivement, que l'introduction du curé, comme membre de droit, dans le bureau de bienfaisance ? Etait-ce ou n'était-ce pas, - à côté du maintien du système de M. de Haussy, proscrivant les fondations privées, les administrations spéciales - était-ce ou n'était-ce pas une concession faite au sentiment religieux ? Il est impossible de le nier. C'était si bien cela que pour s'en convaincre il suffit de se rappeler le déluge de reproches dans l'article 18 du projet de mon honorable prédécesseur, à la science et à l'impartialité duquel tout le monde rend aujourd'hui un juste hommage, il suffit, dis-je, de lire les reproches adressés à l'article 18, qui était la base du projet, reproches bien durs.

On reprochait à l'honorable M. Faider de vouloir violer la Constitution, de méconnaître le grand principe de la séparation des pouvoirs (je copie dans le rapport de 1854) de créer des privilèges pour le clergé, de reconnaître le clergé comme un pouvoir dans l'Etat.

Voilà, messieurs, les griefs que l'on adressait à l'honorable M. Faider et à l'honorable M. de Brouckere dont aujourd'hui, cependant, la gauche paraît approuver tout le projet.

Je ne m'étendrai pas sur ces reproches, je renvoie simplement au rapport de la section centrale, qui avait rejeté l'article 18 et qui avait mutilé le projet par d'autres suppressions.

Aujourd'hui, messieurs, tout cela est passé sous silence et les louanges succèdent aux critiques.

Je répète donc, messieurs, que le cabinet de l'honorable M. de Brouckere avait reconnu, comme nous, la nécessité de la transaction et de la conciliation.

L'honorable M. de Brouckere n'eût pas plus cédé sur les concessions qu'il avait faites au sentiment religieux, qu'il n'aurait cédé sur les garanties qu'il avait maintenues aux droits du pouvoir civil, au sentiment libéral, si l'on veut. L'honorable M. de Brouckere eût maintenu l'article 18 contre l'honorable M. Frère, comme il a maintenu la convention d'Anvers contre l'honorable M. Frère.

L'honorable M. de Brouckere, n'avait nul besoin de nous rappeler la fermeté de ses opinions ; personne ne l'a accusé - et moi moins que personne - de changer d'avis ou de conviction du jour au lendemain ; mais n'était-ce pas une raison pour l'honorable membre de se demander si son élection n'était pas un hommage rendu au défenseur de la convention d'Anvers, à l'un des auteurs du premier projet transactionnel sur la charité, et au signataire du traité qui a rétabli nos relations commerciales sur un pied favorable avec une puissance voisine ?

Pour nous, messieurs, nous avons cru à la nécessité de concessions réciproques. Notre projet est l'expression de la conviction qui nous anime et il répond aux exigences de la situation, telle que nos adversaires eux-mêmes nous l'ont faite. En l'adoptant, soyez certains que vous aurez fait une loi d'avenir. Sans doute les forces des partis ont leurs vicissitudes. C'est un des bienfaits du régime constitutionnel que le déplacement à certains intervalles de la majorité qui tient les rênes du gouvernement.

Mais les lois de transaction subsistent, elles survivent aux luttes des partis ; elles s'imposent par leurs bous résultats ; elles désarment à l'aide du temps les préventions les plus vives ; tel a été le sort de la loi sur l’enseignement primaire, qu'on a appelée aussi une loi de parti, et qui a survécu, messieurs, au programme du congrès libéral qui l'avait condamnée, et qui a survécu à l'avènement d'une politique dont l'honorable M. Frère est un des chefs.

Messieurs, encore un mot. On fait retentir je ne sais quelles prédictions sinistres et on nous ajourne devant le pays. Nous ne craignons pat ces présages chimériques et nous acceptons l'ajournement.

La loi sera l'honneur de la majorité qui l'aura faite.

Conçue dans un esprit loyal et modéré, votée dans cet esprit, exécutée dans cet esprit, elle restera.

M. Delfosse (pour un fait personnel). - M. le ministre de la justice, en essayant de réfuter quelques-unes de mes objections, a implicitement reconnu qu'elles étaient fondées, puisqu'il a soumis à la Chambre plusieurs dispositions destinées précisément à y faire droit, par exemple, la disposition qui rend les fonctions d'administrateur gratuites et celle qui donne à la députation permanente le droit de limiter le nombre des religieux attachés aux fondations.

Je pourrais, à mon tour, adresser plus d'une erreur dans le discours que M. le ministre de la justice vient de prononcer ; mais je ne dois pas oublier qu'un honorable et éloquent collègue est inscrit pour lui répondre et que la parole ne m'est accordée que pour un fait personnel.

M. le ministre de la justice a dit hier que j'avais prétendu que l'administrateur spécial des fondations serait l'évêque toujours et partout. En m'attribuant ces paroles, cette opinion, M. le ministre de la justice se donnait la satisfaction de me mettre en opposition formelle avec les articles 15 et 80 de la loi dont je n'aurais tenu aucun compte. Il résulte, en effet, de la combinaison de ces articles qu'on ne pourra être administrateur spécial que dans la commune où l'on a son domicile réel, et (M. le ministre de la justice a oublié ce dernier point) dans la commune où l'on occupe une habitation comme propriétaire.

J'avais connaissance de ces articles de la loi, tout aussi bien que M. le ministre de la justice. Aussi, n'ai-je nullement prétendu que l'évêque serait administrateur spécial toujours et partout ; voici textuellement les paroles que j'ai prononcées :

« Je prévois que peu d'années après la publication de la loi, les ministres du culte et surtout les évêques seront administrateurs spéciaux d'une foule de fondations et qu'ils auront d'immenses revenus à distribuer. »

Il n'y a là ni toujours ni partout.

M. le ministre de la justice a donc eu le tort de m'attribuer des paroles que je n'ai pas prononcées, une opinion que je n'ai pas émise. Avec de tels procédés, il est facile d'avoir raison contre ses contradicteurs. Je laisse à la Chambre et au public le soin d'en apprécier la convenance.

Si, dans mon discours, je me suis occupé spécialement des évêques, ce n'est pas que je m'attende à les voir administrateurs spéciaux toujours et partout. Les paroles que je viens de citer prouvent le contraire, elles condamnent M. le ministre de la justice. Si, dis-je, je me suis spécialement occupé des évêques, c'est que je suis fermement convaincu que leur influence, déjà très grande, ne peut être augmentée par la loi sans danger pour nos institutions.

M. Lebeau. - Messieurs, je ne fais pas un reproche à M. le ministre de la justice d'avoir saisi la Chambre d'un projet de loi sur la charité, en retirant le projet apporté par le ministère précédent. Je ne lui reproche pas d'avoir voulu, comme celui-ci, faire cesser les difficultés qui s'étaient élevées depuis quelques années sur la portée et le sens des dispositions législatives relatives à l'exercice de la charité. Je n'en veux donc pas à M. le ministre de la justice d'avoir apporté un projet ; si je lui en veux, c'est d'avoir apporté son projet.

Peut-être, même, et ce n'est pas ici un artifice d'opposition, peut-être même après le dépôt du projet de loi, eût-il été convenable, de la part du gouvernement, de n'en pas solliciter la discussion immédiate, en présence des faits qui se passent au sein de la magistrature. Il est difficile, en effet, de quelques précautions qu'on veuille couvrir son langage, alors que ce langage émane d'un membre du gouvernement, que les paroles prononcées en cette occurrence par lui, ne ressemblent pas un peu à une sorte de réclame, à une espèce de recommandation. Tout cela évidemment passe au-dessus de la tête des magistrats, qui ne s'y arrêteront nullement ; cependant les paroles ministérielles peuvent paraître plus on moins leur être adressées. Je pense, dès lors, qu'il eût été plus convenable, alors que la partie la plus importante du débat actuel pouvait se résoudre devant l'autorité judiciaire d'abord et peut-être devant nous, de laisser épuiser cette première juridiction, sauf, encore une fois, à voir ce qu'il pourrait y avoir à statuer après par nous.

Remarquez, en effet, que le seul grief qu'on avait mis en avant jusqu'ici était l'interprétation donnée à la loi par les tribunaux et par le ministère du 12 août, quant aux fondations de charité avec administrateurs spéciaux.

Si, messieurs, l'on ne voulait que le redressement de ce grief, si on ne voulait pas autre chose, je ne comprends pas pourquoi l'on n'aurait pas laissé s'épuiser l'action judiciaire, alors, encore une fois, que par suite de nos institutions, la même Chambre qui délibère en ce moment d'une manière anticipée, chose bizarre peut être appelée à vider elle-même ce litige.

Toutefois, messieurs, il n'y a rien d'exorbitant dans la présentation du projet de loi, rien, dans ce fait, qui excède les pouvoirs du gouvernement. Je ne traite ici qu'une question de convenance.

M. le ministre de la justice nous a parlé de nos dispositions à repousser toute idée de transaction et de conciliation sur la grave question de la charité.

Mais la loi de M. de Brouckere et de ses collègues n'était-elle pas une loi de transaction et de conciliation ? Etait-ce une loi de perturbation, d'irritation ? Avez-vous déjà oublié que cette loi, tout à l’heure encore l'objet de vos éloges, représentée par vous comme ayant été pour son auteur un titre à la confiance des électeurs de Mons, vous n'en avez pas voulu que vous avez répudie cette loi que presque toute la gauche acceptait, tout au moins comme un essai de transaction et de conciliation ?

Si, selon vous, cette loi fut pour M. de Brouckere un titre à la confiance des électeurs de Mons, parce qu'elle rendait hommage au sentiment religieux qui doit présider à une loi sur la charité, que faut-il penser de ce qui s'est passé presque en même temps à l'égard d'un projet où l'on a la prétention de faire une part bien plus large encore au sentiment religieux ? Est-ce que les électeurs de Thuin seraient par hasard moins religieux que les électeurs de Mons ?

Cette loi, qualifiée par vous de mesure de conciliation, vous n'en avez pas voulu ; vous l'avez répudiée alors qu'elle n'avait pas encore subi l'épreuve de la discussion publique.

Oui, l'honorable M. de Brouckere et ses collègues avaient réellement proposé une loi de transaction pour toutes les opinions modérées. Il y avait dans cette loi des concessions pour tout le monde, pour l'élément religieux comme pour l'élément politique. Mais dans la loi que nous avons à discuter aujourd'hui, je crains bien qu'à son insu peut-être, M. le ministre ne mette en pratique certaine fable de la Fontaine et ne concilie les deux parties de la Chambre qu'en donnant à l'une l'huître et à l'autre les écailles.

M. le ministre affecte de dire que la loi est une concession au sentiment religieux du pays ; si cette loi n'avait pas d'autre caractère, (page 1525) croit-il qu'il y eût dans cette Chambre un membre qui la repoussât ? Il n'y a pas ici un seul membre qui lui ait donné le droit de penser que parce qu'un sentiment purement religieux eût dicté une loi, ce soit là un titre de répudiation pour une partie de cette Chambre.

Mais il y a sentiment religieux et sentiment religieux. Si vous le comprenez d'une certaine manière ; si vous croyez céder à un sentiment religieux chaque fois qu'il se produira sous cette forme dans nos débats politiques ou au-dehors, et qu'il vous saisira de ses réclamations, de ses exigences, il faut vous résoudre à lui sacrifier, tout d'abord les universités de l'Etat ; car, au nom de l'orthodoxie religieuse, du sentiment religieux, on les vouera à la haine des fidèles ; on lancera contre elles l'anathème ; il faut que vous supprimiez à leur tour les établissements d'enseignement moyen de l'Etat, qu'on met aussi à l'index et qu'on cherche à miner par des refus de concourront nous savons apprécier aujourd'hui les causes et le désintéressement, au moins pour quelques prélats.

Vous devriez aller bien plus loin si vous deviez obéir à toutes les exigences qui se produisent dans le pays sous la forme du sentiment religieux.

On vous le dit dans les journaux étrangers dont les feuilles de Belgique d'une certaine couleur se fout les échos, c'est notre système politique tout entier qu'il faut abandonner, c'est l'état social de la Belgique tout entier, c'est la sécularisation du pouvoir, c'est même l'état civil, qu'il faut livrer au clergé, si vous écoutez toutes les exigences du sentiment religieux. On vous le signifie dans une feuille célèbre qui se donne comme l'organe avoué de la cour de Rome, et dont nos feuilles catholiques, à l'exception peut-être d'une seule, sont, je le répète, les fidèles échos. Voilà ce que vous devrez faire si vous voulez céder au sentiment religieux ainsi présenté, ainsi compris, ainsi formulé. Oui, messieurs, je n'exagère rien, vous devez lui livrer une à une toutes les libertés du pays.

Messieurs, si la Chambre discutait une de ces lois dépouillées de tout caractère politique, une de ces lois purement administratives, que chacun de nous, sans distinction d'opinions, cherche à améliorer, croyez-vous, que le pays s'y tromperait ? Croyez-vous que le pays tout entier, je ne parle pas de ceux qui peuplent nos tribunes, assisterait à nos débats avec cette anxiété, avec cet émoi profond, avec cette vive inquiétude pour la paix publique ? (Interruption.)

Ne vous y trompez pas, depuis que nous avons traité des grandes questions de la royauté, de la délimitation de notre territoire, de nos rapports avec les puissances étrangères, en un mot, de la constitution de notre pays, à moins que je ne sois dans la plus complète erreur sur tout ce que je vois et entends, jamais ce pays n'a été agité au point où il l'est à présent. (Applaudissements.)

M. de Naeyer. - Si des applaudissements se renouvellent dans les tribunes, je les ferai évacuer. Le public qui assiste à nos débats doit le faire avec respect et c'est manquer de respect envers la Chambre que de se permettre des manifestations. J'espère que cet avertissement suffira et que je ne serai pas mis dans la nécessité d'user du droit que me confère le règlement.

M. Lebeau. - Quant à moi, si j'avais en ce moment le droit de parler à d'autres qu'à la Chambre, j'adjurerais nos auditeurs de ne pas compromettre notre cause par un manque de respect envers l'assemblée qui serait en même temps une atteinte portée à l'indépendance des députés, à qui il ne serait plus permis de parler avec dignité.

Si nous discutions une loi purement administrative, même une loi sur les successions, une loi sur les caisses de retraite, une loi sur le crédit foncier, croyez-vous qu'il y aurait autant d'émotion qu'il y en a ici et au-dehors ? Comment, en effet, serions-nous de sang-froid ? Comment discuterions-nous une telle loi avec le calme que nous désirons toujours apporter à nos délibérations, lorsque tous les signes de la réaction la plus imprudente, la plus dangereuse, je pourrais dire la plus audacieuse, se montrent de manière à frapper tous les yeux ?

Ce n'est pas assez d'avoir répudié le projet de loi présenté par un cabinet accepté comme un ministère de conciliation ; ce n'est pas assez d'avoir exigé du cabinet actuel un projet de loi qui est un retour imprudent vers le passé ! Pour qu'on ne se trompe pas sur l'esprit qui domine en ce moment dans certaine opinion, il faut encore qu'on vienne toucher à la loi la plus politique du pays ; il faut encore qu'on vienne remuer une question toujours brûlante dès qu'on y touche ; il faut encore qu'où vienne nous menacer de mettre la main sur la loi électorale, imitant encore en cela l'exemple de la Restauration française qui s'est brisée à pareille œuvre. Il faut que l'on vienne nous parler de ce vote à la commune, le plus détestable de tous les systèmes, car il est un appel incessant à la fraude et en assure l'impunité par l'absence de tout contrôle sérieux.

Et vous voulez que lorsque tous les signes d'une réaction violente dans l'ordre religieux et dans l’ordre politique sont tellement évidents qu'ils crèvent tous les yeux, vous voulez que nous discutions paisiblement le projet actuel comme une loi innocente et purement administrative ! Non, je le dirais vainement ; si j'accordais que cette loi-ci est purement administrative, j'exciterais des rires ironiques chez vous et partout ailleurs.

Je n'ai jamais été partisan bien chaleureux de l'usage de certains droits, parfaitement légitimes pourtant aux yeux de notre Constitution. Ainsi je n'ai jamais été partisan bien zélé d'un congrès libéral. Je n'ai assista à aucune de ces réunions, à la différence de plusieurs honorables collègues que vous décorez constamment du nom de conservateurs, entre autres M. le président actuel de la Chambre. Mais, messieurs, j'en suis encore moins partisan aujourd'hui. Outre qu'à mes yeux de pareilles réunions ont toujours un côté sérieux en surexcitant vivement les esprits et en alarmant les timides, elles vont devenir inutiles. La situation va devenir tellement claire, le programme du parti libéral va être si nettement formulé, que je regarderais, quant à moi, la réunion d'un congrès libéral comme une véritable superfétation.

Le programme de tout député libéral qui aspire à la conservation de son mandat, qui en sollicite le renouvellement, est extrêmement clair, extrêmement simple : la révocation, si elle passe, de la loi des couvents et de la mainmorte, comme elle est déjà baptisée dans le pays, voilà le programme obligé du parti libéral, sans qu'il y ait besoin pour cela ni de conciliabule, ni de congrès libéral, ni d'aucune entente préalable. Je le dis nettement, et sans aucune exagération : la révocation de la loi sur les couvents et la mainmorte, avec plus d'énergie encore que la révocation de l'ancienne loi sur le fractionnement électoral et de la loi de la nomination au scrutin secret, par la Chambre, des jurys d'examen, voilà pour l'avenir la base du programme de tout ce qui se qualifie de libéral.

Ah ! messieurs, que les temps sont changés ! comme le langage de certains hommes doit se modifier ! Que nous disait-on, il y a quelques années ? Ecoutez : « Moi aussi, je m'associe, je m'associerai toujours, qu'il s'agisse de l'instruction publique, de la bienfaisance ou du temporel du culte, aux grands principes de sécularisation du pouvoir, ces grands principes qui sont dans la Constitution de 1789 et dans la Constitution de 1830... »

Vous demanderez quel était l'ardent libéral, le révolutionnaire qui s'exprimait en ces termes ? C'était l'honorable M. Malou.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Et moi aussi.

M. Lebeau. - Je vous avais manqué en passant M. le ministre de l'intérieur : mais pas tout à fait ; vous allez voir, voici vos paroles :

« Il faut une loi, dit-on, pour accorder la personnification civile ; nous sommes tous parfaitement d'accord là-dessus. Personne n'a le droit de créer par sa seule volonté des institutions qui doivent durer après lui sous forme de personnes civiles, avec pouvoir de recevoir des donations directes.

« La Constitution de 1789 contient à cet égard des principes que pour ma part j'accepte. »

Or il y a une certaine presse avec laquelle M. le ministre de l'intérieur a déjà eu maille à partir, mais qui parait s'être considérablement radoucie à son égard depuis quelque temps ; il y a une certaine presse qui, d'accord avec des mandements bien connus, trop connus, couvre de ses anathèmes ce principe de la sécularisation de la charité, et surtout, si je ne me trompe, les principes de 89. 89 ! horresco referens, 89 est tous les jours l'objet des anathèmes de cette bonne presse.

Il parait que 89 a un peu le sort de la belle Angélique dans la comédie du Joueur, de Regnard. Les jours de détresse, les jours où l'on avait besoin d'aide, on était très fidèle à la belle Angélique. Mais le jour où l'on était complètement rassuré, on tournait le dos à la belle Angélique, un peu comme on le tourne à 89, suivant les circonstances ; ou bien si vous voulez une autre métaphore, on est un peu avec 1789 comme certains matelots avec la Madone ; ils la prient avec ferveur quand s'annonce l'orage à l'horizon, et ils lui manquent de respect et parfois même la jettent à l'eau quand ils revoient le soleil.

Messieurs, dans une séance précédente l’honorable M. de Theux s'est exprimé dans les termes suivants :

« Si le projet de loi qui nous occupe avait été soumis aux délibérations du Congrès, je suis intimement convaincu que cette assemblée l'eût voté à une immense majorité. Je ne crains pas même de dire que si je n'avais pas contribué à diminuer la force de l'opinion qui voulait accorder à priori la personnification civile à toutes les associations, cette opinion aurait prévalu dans le sein du Congrès. » (Annales parlementaires, page 1473.)

C’est alors que je me suis permis d'interrompre l'honorable M. de Theux en disant que mon opinion était entièrement contraire à la sienne.

Comme on accorde ici, avec raison, une grande importance à tout ce qu'a fait le Congrès national, je crois pouvoir, sans immodestie, revendiquer ma deux-centième part de l'honneur qui s'attache à ses actes et parler aussi avec quelque autorité de ses délibérations.

Eh bien, dans cette assemblée où le clergé était très nombreux et où il se distinguait par le libéralisme de ses opinions, si une pareille proposition avait été mise aux voix, je n'hésite pas à dire qu'elle eût été repoussée, non seulement par plus des deux tiers des laïques, mais par plus des deux tiers des ecclésiastiques qui y siégeaient.

Pour le prouver il suffit de meure sous les yeux de la Chambre quelques fragments de la discussion qui eut lieu sur ce même sujet.

Voici, messieurs, ce qui s'est passé dans la séance du Congrès national du 4 février 183. On était arrivé au droit d'association.

« Art. 16. Les Belges ont le droit de s'associer. Ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive.

« Les associations ne peuvent être considérées comme personne civiles, ni en exercer collectivement les droits, que lorsqu'elles auront été reconnues par une loi et en se conformant aux conditions que cette loi prescrit.

(page 1523) « Les associations constituées personnes civiles ne peuvent faire aucune acquisition à titre gratuit ou onéreux, qu'avec l’assentiment spécial du pouvoir législatif...

« Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables aux sociétés civiles ou commerciales ordinaires, qui sont régies par les Codes civil et de commerce. »

M. le baron de Pélichy Van Huerne présente l'amendement suivant :

« Les Belges ont le droit de s'associer. Ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive.

« Les associations se consacrant au soulagement de l'humanité souffrante, se feront reconnaître par la loi comme personnes civiles, et seront autorisées à acquérir leurs habitations et locaux qui pourront être nécessaires au but de l'association ; elles pourront de même posséder des biens immeubles ou rentes, qui leur seront dévolus, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux ; c'est à charge d'en donner connaissance au pouvoir législatif, qui statuera en cas qu'un tiers se trouvât lésé, etc., etc. »

M. Zoude (de Namur) présente un amendement ainsi conçu :

« Les associations ne pourront être considérées comme personnes civiles, ni en exercer collectivement les droits.

« Les établissements de bienfaisance et de charité sont exceptés de cette disposition. La loi réglera l'acquisition et l'aliénation de leurs biens. »

On sait que cet honorable député appartenait à l'opinion catholique. M. Legrelle avait fait une proposition analogue, de même que M. de Nève.

Une vive opposition se manifesta aussitôt contre la proposition.

Un député, M. Vansnick s'en expliqua d'abord ainsi :

« C'est ici, je pense, messieurs, le lieu d'appliquer le principe si souvent invoqué par ceux mêmes que je combats en ce moment : « Que les matières religieuses restent étrangères à la loi civile, et que celle-ci, à son tour, doit leur être tout à fait indifférente, les méconnaître même, comme embrassant un ordre de choses hors de l'existence légale. »

« La liberté individuelle du capucin sera garantie, non comme capucin, mais comme citoyen. La loi ne voit et ne doit voir que cette qualité.

« L'asile où plusieurs moines pourraient se trouver réunis, sera inviolable comme l'asile de tous autres individus, mais toujours comme citoyens. La loi ne connaît pas les moines, le moine est la personne religieuse. La loi civile ne la connait pas ; c'est pour cela que nous nous accordons tous à dire que les moines, quand ils le trouveront bon, pourront se marier civilement, soit qu'ils aient quitté, soit qu'ils aient conserve le froc.

« Ces principes posés et reconnus, comment prétendre qu'une congrégation religieuse dont l'existence, comme telle, doit rester ignorée de la loi, reçoive cependant une personnification qui la rende apte à acquérir ? C'est vouloir des contradictions, des impossibilités.

« Les capucins, les récollets, s'il nous en vient, pourront acquérir, soit individuellement, soit en commun, mais comme citoyens ; leurs acquisitions suivront le sort son de tous les immeubles acquis par des particuliers.

« Ah ! n'est-il pas étonnant qu'on ose aujourd'hui tenter le rétablissement des mainmortes, c'est-- dire l'immutabilité perpétuelle des propriétés dans leurs mains, cette cause universellement reconnue de l'appauvrissement des Etats !

« On veut nous faire remonter les siècles, et nous faire annuler l’édit de Louis XV, de 1749, qui était venu rendre impossible toute acquisition aux gens de mainmorte. »

M. le baron Beyts. « Je veux formellement la suppression de cet article ; je n'ai pas mon travail ici, je ne m'attendais pas à la discussion. Il est inutile de dire dans la Constitution qu'on peut s'associer ; personne ne conteste ce droit, mais on veut aller plus loin. On veut des associations privilégiées. Est-ce bien là se conformer aux idées du siècle ? En rétablissant les moines, nous rétrogradons de cinq cents ans. Voulons-nous rendre notre Constitution, si belle, si pure, la risée de l'Europe ?... Les couvents de femmes vont venir après cela. Vous en connaissez les inconvénients. »

Maintenant, messieurs, comment l'honorable député de Hasselt a-t-il pu dire si formellement que si la proposition avait été faite au Congrès, elle aurait été indubitablement acceptée ? Nous avons, en effet, sous les yeux la preuve du contraire. La proposition avait été faite sous le patronage d'un homme des plus respectables, des plus vénérés du pays, d'un homme qui avait si bien défendu nos libertés aux états généraux, de l’honorable M. de Sécus père. Eh bien, ce fut alors que je vins faire la proposition de ne pas décider cette grave question qui pouvait nous diviser et de la laisser aux Chambres futures ; proposition qui fut acceptée par le Congrès.

M. le baron de Sécus l'avait pourtant réduite à sa plus minime expression, comme vous allez en juger.

« Je n'ai, dit-il, nulle pensée de ressusciter des corporations riches et dotées au-delà de ce qui est nécessaire à l'accomplissement de leur but ; ce serait détruire au lieu d'édifier ; la richesse attiédirait le zèle et arrêterait le bien que ces associations peuvent produire. Il faut donc qu'on se borne à l’acquisition du local dans lequel elles veulent s'établir, et à la somme des revenus strictement nécessaire pour qu'elles ne dépendent point, pour continuera exister, du plus ou du moins de générosité des citoyens.

« J'ai ouï énoncer la crainte de revoir une masse de propriétés retomber en mainmorte et sortir ainsi et du commerce et de la circulation. Mais il est très facile de prévenir ses inconvénients dans la loi qui les reconnaît personnes civiles, en bornant leur droit d'acquérir aux biens meubles en tout ou en partie. »

Encore une fois, c'est devant une proposition aussi amoindrie que le Congrès recula et accepta mon amendement qui renvoyait cette question aux chances de l'avenir.

Pensez-vous, messieurs, que si l'adoption de cette proposition ou de toute autre du même genre eût eu des chances de succès, on n'eût pas réclamé une décision au fond ?

Eh bien, messieurs, vous le voyez, dans ces termes, qui sont à peu près ceux du projet soumis à nos délibérations, le Congrès a bien plus manifesté l'intention de repousser que d'accepter une telle proposition. C'est juste le contraire de ce que la mémoire de l'honorable M. de Theux lui rappelle. (Interruption.) Qui est-ce qui m'interrompt ?

M. Dumortier. - C'est moi, pour vous dire que vous vous trompez sur nos intentions.

M. Lebeau. - Je croyais que mon honorable interrupteur était un ancien membre du Congrès.

M. Dumortier. - Dans quels termes vous êtes-vous exprimé ?

M. Lebeau. - Je m'abstiens de ces détails pour ne pas abuser des moments de la Chambre. Je me borne à répéter que ma proposition fut adoptée à la presque unanimité et que le projet de Constitution fut modifié en conséquence. J'avais donc raison de répondre à l'honorable M. de Theux que sa mémoire (je ne l'ai point certes accusé d'autre chose) lui faisait défaut ; qu'il n'était pas exact de dire que la question n'avait pas été discutée au Congrès : elle y a été examinée et résolue dans le sens que je viens de rappeler. C'était pour moi un droit, un devoir même de rectifier l'erreur commise par l'honorable M. de Theux, puisqu'il avait fait appel à l'opinion du Congrès. J'ajoute que les honorables MM. de Pélichy, de Foere, Leclercq et de Nève ont suivi l'exemple de M. de Sécus, et qu'ils ont retiré leur proposition, selon moi, comme devant échouer, ce qui est un vote implicite de la part de l'assemblée.

Messieurs, cette sécularisation même, cette centralisation qui, avant 1848, n'effrayaient ni M. le ministre de l'intérieur, ni l'honorable M. Malou, ne sont pas choses nouvelles en ce pays. La sécularisation, la centralisation de la charité remontent chez nous presque au moyen âge ; et sans reculer aussi loin, sans aller au-delà de l'époque du gouvernement autrichien, je retrouve à chaque page de noire histoire la sécularisation et la centralisation des dons et secours imposées par la puissance temporelle sans, en quelque sorte, rencontrer la moindre résistance.

Alors, messieurs, le pouvoir n'y regardait pas de si près qu'aujourd’hui pour forcer même les collateurs de donations à en verser le produit dans les caisses de l'Etat ou des communes, en y allait alors un peu plus lestement qu'on ne pourrait le faire de nos jours. Je renvoie sur ce point aux conférences si pleines d'intérêt et de science données par notre collègue, l'honorable M. Orts, à l'université de Bruxelles. Vous y verrez que, dès les XIVème et XVème siècles, le principe de la sécularisation et de la centralisation des secours publics était l'objet de la sollicitude de l'Etat et des administrations locales. La cause que nous plaidons aujourd'hui, la sécularisation, la concentration de la charité n'est donc pas une cause révolutionnaire.

Qu'il me soit permis, messieurs, de dire de la charité ce qu'un ancien disait de la langue : Elle peut être la meilleure ou la pire des choses.

Si le sentiment qui engendre la charité est toujours respectable, les effets de la charité peuvent être parfois déplorables et l'on ne saurait faire présider une sollicitude trop éclairée à l'administration de la charité, aux fondations de charité, à tout ce qui s'y rattache. Il n'y a pas de question dont nos ancêtres se soient plus préoccupés que des inconvénients et des maux que produit une charité faite sans discernement. Je pourrais multiplier les autorités qui le prouvent, mais je n'en produirai qu'une seule, tant elle me paraît respectable et concluante, parce que celle-là, je crois, aura aux yeux de la Chambre et spécialement aux yeux d'un de nos ministres et de ses amis une bien haute autorité.

Voici ce que disait un des hommes les plus honorables de notre pays, un homme qui devrait avoir sa statue sur une de nos places publiques, je veux parler du Howard belge, de celui qui a peut-être précédé le Howard anglais comme l'inventeur du système pénitentiaire, du philanthrope le plus éclairé peut-être de son époque, j'ai nommé le vicomte J.-P. Vilain XIIII, l'illustre aïeul de M. le ministre des affaires étrangères. J'espère, messieurs, que sous un tel patronage, je pourrai encore obtenir pendant quelques instants votre bienveillante attention.

Dans un premier mémoire présenté aux états de Flandres en 1771, voici comme il s'exprime. Il prend d'abord pour épigraphe ces mots de saint Paul :

« Qui noluerit operari non manducet. »

« L'homme est condamné par Dieu à manger son pain à la sueur de son visage. » (Traduction de l'auteur.)

« La tolérance envers les mendiants valides et vagabonds n'a pris sa (page 1527) naissance que du temps de l'empereur Constantin qui fît bâtir des hôpitaux pour l'entretien des chrétiens sortis de l'esclavage, des prisons et des mines. Plusieurs d'entre ces chrétiens préférèrent de courir le pays en offrant aux yeux des nouveaux chrétiens les stigmates de leurs chaînes, ils trouvèrent par là le moyen de se faire une profession lucrative de la mendicité, punie auparavant par les lois ; les fainéants et les libertins embrassèrent successivement cette profession avec tant de licence que les empereurs des siècles suivants ne furent plus en état de déraciner le métier de mendiants.

« On a multiplié les hôpitaux par des dons, et en enrichissant les maisons des pauvres par des fondations. Loin d'éteindre la mendicité, on n'a fait que multiplier les mendiants et entretenir la paresse et l'indolence en diminuant le travail.

« Les fondations dans la ville de Gand sont portées à l'excès, et tout le monde convient que le nombre de mendiants augmente tous les jours de ce chef même. » (p. 63.)

« Quand on a interrogé à Alost en 1748-1749 cette quantité de scélérats, que la justice a été obligée de faire expier leurs crimes dans les supplices, ce ne furent point des artisans ou des laboureurs (les ouvriers pensent uniquement à leur travail qui les nourrit), c'étaient des fainéants élevés dans la mendicité, gens que l'oisiveté, mère de tous les vices et la facilité de gagner la subsistance en mendiant, avaient portés à toutes sortes de crimes. » (p. 64.)

« Nous avons une foule d'ordonnances et de placards sur le même sujet, qui ne sont pas exécutés, à la honte des officiers de police préposés pour l'exécution.

« On ruine les bois, on vole les épis, les légumes au plat pays. Le laboureur, l'artisan, le négociant et le magistrat même se plaignent des aumônes forcées qu'ils sont obligés de donner aux mendiants valides et gens sans aveu ; le mal va toujours en empirant visiblement, et les administrations se contentent à désirer qu'on porte un remède efficace à ce désordre. » (page 65.)

« De 64,681 pauvres qu'il y a maintenant au seul plat pays de la Flandre, selon le relevé des registres du droit de moulage, il y a au moins la moitié qui n'est pas véritablement réduite à l'indigence par la vieillesse ou l'infirmité ; mais qui sont des mendiants valides, imposteurs, vagabonds de village en village, des fraudeurs, des oisifs qui se procurent des aisances en ruinant les bois et prenant sur les campagnes ce qu'ils y trouvent de leur gré et commodité, en perpétuant ainsi, à l'exemple de leurs parents, le métier de mendiant de génération en génération.

« Voilà donc au moins quarante ou cinquante mille bras inutiles à l'Etat, abandonnés à l'oisiveté et réduits à la nécessité de vivre aux dépens des bons citoyens.

« Lorsqu'on jette un coup d'œil attentif sur la culture des bois, sur les plantations, nommément dans les endroits où les villages sont peuplés, ou ne voit que des bois à peine de trois ans à demi ruinés, les arbrisseaux coupés et les arbres dépouillés de leurs branches à la veille de périr. » (Ibid.)

« On entend le propriétaire, désolé par la perte di ses dépenses, se récrier sur l'inobservance des placards infructueusement multipliés et sur l'officier de police qui ne cherche point, en risquant encore de perdre les frais de procédure en justice, de s'exposer à la vengeance de ces sortes de gens qui n'ont rien à perdre. » (page 65.)

« Centralisation des secours.

« L'auteur poursuit ainsi :

« Dans le mémoire ou projet sur la mendicité, présenté aux Etats dans le mois de février 1771, nous avons indiqué, depuis l'article 4 jusqu'à l'article 12, le but que doit avoir l'établissement du premier quartier de la maison de correction.

« A l'article 13 nous avons considéré que l'objet de la mendicité, et les moyens pour l'extirper en partie ou en totalité, exigeaient toute l'attention de l'Etat et de la législature suprême.

« Nous sommes réduit à convenir que la source de la mendicité tarira difficilement : le pauvre ouvrier sans protection, trop souvent ignoré des administrateurs et distributeurs des aumônes, est dans l'impossibilité de faire connaître ses bénins. Quel parti peut-il prendre, s'il est surchargé d'une nombreuse famille ? Il n'a d'autre ressource que d'obliger ses enfants à grossir le nombre des mendiants.

« Ceux qui ont embrassé ce genre de vie y renoncent rarement ; leur exemple en corrompt d'autres, et de là, la source de la mendicité se renouvelle. » (page 366.)

« Celles-ci (fondations, donations et distributions pieuses), cependant sont, pour la plupart, la proie du mendiant robuste, c'est un abus évidemment contraire aux vues des fondateurs qui, sans doute, n'ont pas voulu fomenter la paresse et la fainéantise. (page 367.)

« Cependant si on ne réunit les arrangements pour la distribution des aumônes et secours des indigents à notre projet, s'ils ne marchent ensemble avec l’établissement de la maison de correction et l'hôpital ou école pour l'éducation des enfants des indigents, nous ferons de vains efforts pour bannir la mendicité, nous ne pourrons employer contre elle que des remèdes palliatifs. » (Ibid.)

« Cependant l'Etat est trop intéressé dans l'extirpation de la mendicité pour ne pas faire encore un dernier effort sur l'esprit des vrais citoyens. » (Ibid.)

« Sécularisation. Il (un citoyen) propose un projet de règlement d'une aumône générale capable de nourrir les pauvres dans chaque ville, village ou communauté sans qu'ils soient obligés de mendier. » (Ibid.)

« Pour fonder cette aumône, il attribue les revenus de la tablé de charité, ceux de toutes les fondations ou donations faites et à faire pour les pauvres, soit en grain, pain ou autres denrées ; il veut ensuite qu'on réduise en argent les revenus des fondations quelconques, dont la destination n'existe plus ou n'est plus bonne aujourd'hui, ainsi que le produit des quêtes. » (p. 368.)

« Dans la formation de la liste mensuelle des pauvres et de leurs enfants, l'on fera aussi attention d'enregistrer tout ce que ces indigents profitent par mois ou par année des métiers respectifs, des fondations ou des autres revenus particuliers que les administrateurs refuseraient de mettre dans la bourse commune ; cette observation est nécessaire pour que ceux-là, ne profitent pas au-delà de leurs besoins, le tout étant arrangé, la législation doit défendre sévèrement l'abus des distributions des aumônes et la mendicité !

« L'abolition entière de la mendicité, je l'avoue, rencontrera des obstacles, mais il sera aisé de les écarter ; il suffit souvent de connaître l'origine et la cause du mal pour le guérir. Après avoir distingué la véritable indigence, toujours digne de pitié, de la mendicité robuste et vagabonde qui doit faire l'objet de l'indignation, nous pouvons nous borner à rapporter l'opinion commune, qui attribue généralement la cause de la multitude des mendiants en Flandre au grand nombre et à l'abus des fondations et distributions des aumônes accordées sans discernement, par négligence, prédilection, sollicitation, recommandation, ostentation ou importunité...

« Il n'est guère possible, dans ce mémoire, de prescrire les différents moyens qu'on pourrait employer pour parvenir à ce but, et il s'en faut bien que le projet soumis aux lumières des corps et administrations, soit aussi étendu que l'objet semble l'exiger : on n'a point voulu faire usage des sages raisonnements dont on aurait pu l'appuyer, et que l'on retrouve dans plusieurs excellents ouvrages et ordonnances qui traitent de la source de la mendicité, de l'abus des fondations et distributions, et du peu de fruit qu'on en tire dans ce siècle pour le secours des véritables indigents.

« Le mal et la source sont généralement reconnus, et toutes les nations s'élèvent contre l'abus de la mendicité. Les ministres de France s'occupent aujourd'hui de l'empêcher et d'appliquer aux vrais nécessiteux, par une administration mieux entendue, les sommes innombrables de charité qui se font dans le royaume ; et sans sortir de la Flandre, la ville de Courtrai, qui n'a certainement pas la vingtième partie des ressources qu'on trouve dans les grandes villes de Flandre, a déjà résolu de procéder à l'exécution d’un projet qui tend aux mêmes fins par des moyens que quelques zélés proposent au magistrat ; ces moyens peuvent servir d'exemple. » (p. 574 et 575.)

Je pourrais multiplier les citations ; mais malgré l'intérêt que doit concilier a l'ouvrage le nom de son auteur, je craindrais d'abuser des moments de la Chambre ; le livre est probablement à la bibliothèque de la Chambre, et sans doute plusieurs de mes collègues le possèdent. On pourra y vérifier jusqu'à quel point les principes de sécularisation et de centralisation que nous voulons conserver dans une raisonnable mesure, étaient dès cette époque recommandés par des hommes qui n'étaient certes pas des révolutionnaires ! En effet, singulier révolutionnaire que M. Vilain XIIII, créé vicomte par Marie-Thérèse pour les services rendus par lui en matière de charité et dans le régime des prisons ! C'est là un beau blason pour la famille Vilain XIIII, pour notre ministre des affaires étrangères. Je ne crois pas en avoir affaibli l'éclat en remettant sous les yeux de la Chambre et du pays les nobles titres que sa famille possède par lui et par elle-même à la considération publique.

Voilà, messieurs, un aperçu du système ancien, du sans-façon avec lequel le pouvoir public s'emparait des fondations, forçait les collateurs à les apporter à la bourse commune pour une distribution plus efficace, pour une répartition plus convenable des produits de la charité ; certes celui qui proposerait aujourd’hui la dixième partie de ce sans-gêne à l'égard des administrations spéciales de charité, passerait pour un ultra-révolutionnaire ; on crierait, avec M. Malou, à la spoliation, on ne trouverait pas d'expression assez vive pour flétrir une pareille conduite.

Le temps m'a manqué pour faire des recherches plus étendues ; mais d'après ce que j'ai pu voir à la Bibliothèque royale, la même chose à peu près s'est passée dans la plupart des villes des Flandres et du pays wallon.

Nous vivons, messieurs, sous un régime tout différent ; la liberté de la charité a été proclamée implicitement chez nous en 1831 comme toutes les autres ; c'est une conséquence du régime politique sous lequel nous vivons, mais il faut savoir ce qu'on entend par la liberté de la charité.

La liberté de la charité et la liberté de fonder sont deux choses différentes. La liberté de la charité, c'est une liberté individuelle, privée, si l'on peut parler ainsi. La liberté de fonder est une liberté politique, une liberté qui tient au droit public.

Qu'on ne dise pas que le droit de tester dérivant de la propriété, toute (page 1528) restriction apportée au droit de lester est une violation de la propriété. Ce serait tout au moins une grosse erreur. Le droit de propriété lui-même, comme on l'a vu, n'étant pas absolu, il est sensible que la charité, qui en est une émanation, ne peut pas être plus absolue que son principe. Il serait puéril de dire que la propriété telle qu'elle est définie par la loi n'a rien d'absolu ; elle ne pourrait pas être définie si elle était absolue ; on ne définit pas l'absolu, on ne définit pas Dieu.

Nulle entrave donc n'est apportée à la charité ; on peut disposer comme on veut de sa fortune de son vivant sans que personne puisse y trouver à redire ; mais après notre mort, que de restrictions la loi n'apporte-elle pas au droit même de propriété dont la charité n'est que la conséquence ! Inutile de les rappeler, il n'est pas d'élève en droit qui ne sache combien de restrictions la loi apporte, en ce sens, au droit de propriété : la réserve, non seulement pour le descendant, mais pour l'ascendant, l'interdiction des substitutions des fideicommis. De son vivant même on ne peut pas disposer de sa propriété comme on veut, on ne peut pas aller vendre son blé ou son minerai au-delà de la frontière. La loi l'interdit. Nous y voyons, nous, une atteinte à la propriété. La plupart d'entre nous pensent le contraire.

Voilà comment la propriété est limitée.

Evidemment le droit de tester, le droit de succession est un droit public, plus, certes, qu'un droit privé, pour quiconque s'est quelque peu occupé de ces questions. La société a bien le droit de fixer ces limites ; sans elle il n'y aurait pas réellement de droit de propriété ; c'est par la protection de la justice et de la force publiques qu'il y a une propriété ; sans cela il n'y aurait qu'une détention purement matérielle, qui s'évanouirait devant le plus fort.

C'est ici pour elle une question d'ordre public ; la société a donc pleinement le droit de dire à quelles conditions elle accorde cette protection, sa justice et sa force. Vous pouvez donc ne pas accorder aux particuliers le droit de régler leur succession d'une manière absolue. Cela même est impossible, comme on le verra.

Mais de même que le droit de tester est entouré de restrictions pour la transmission des biens, de même ces restrictions existent pour l'administration même de ces biens. Ici encore le droit public intervient. C'est ainsi qu'il intervient pour la femme, pour les mineurs, pour la tutelle, pour la puissance maritale, en vertu de l'ordre public. Cela est à tel point vrai que vous ne pouvez pas y déroger en vertu de votre droit de tester.

Ainsi il est constant qu'on ne peut pas léguer à un mineur en déclarant que son père ne sera pas tuteur.

De même si on voulait porter atteinte à la puissance maritale en faisant un legs à une femme mariée, pour en jouir ou en disposer sans l'autorisation de son époux, la disposition serait nulle. Vous ne pouvez pas enlever la tutelle à la famille pas plus que la puissance maritale au mari, en vertu de votre droit de tester.

Ainsi quand vous établissez la personnification civile, que vous constituez une mainmorte, il est évident que vous établissez un ordre de succession qui a de l'analogie avec la substitution et les fideicommis ; c'est une sorte de substitution perpétuelle.

Quand vous distribuez votre bien aux pauvres par testament, vous le distribuez à des mineurs, car les pauvres sont des mineurs ; c'est à ce titre qu'ils ont des tuteurs ; c'est la loi qui les leur donne et par vous elle détermine ou sanctionne leur nomination, leurs droits et leurs devoirs. C’est assez dire qu'il faut une loi pour chaque institution de ce genre, car c'est là du droit public. Que sont d'ailleurs des pauvres ? L'honorable M. Malou dit quelque part : Je puis laisser mon bien à Pierre ou Paul et je ne puis pas le laisser aux pauvres sans qu'on intervienne. On sait qui est Pierre, qui est Paul. Mais qui vous apprendra quels sont en langage officiel les pauvres, si ce n'est l'administration ?

Cela est évident. Faites un testament au profit des pauvres de Bruxelles et faites-le exécuter vous-même ; comment vous y prendrez-vous ? Quels sont ceux que l'on considère comme pauvres, sinon ceux que l'administration aura signales comme tels ? Qui aura qualité pour agir en leur nom, répudier ou accepter le legs, plaider, etc., etc. Je ne vous parle pas des choses qui se font de la main à la main ; je vous parle de ce que vous voulez rendre perpétuel, de ce que vous voulez mettre dans le droit public. Je dis donc que sans administration officielle, vous ne pouvez pas savoir de qui se composent les pauvres. Et comment pourraient-ils contracter si les bureaux de bienfaisance ne disaient pas officiellement ce que c'est qu'un pauvre et n'agissaient pas pour eux ? Comment donc voulez-vous qu'on puisse tester en faveur d'un inconnu ? C'est impossible ; c'est absurde.

Dans celle situation, messieurs, je crois que le projet de loi serait inexécutable.

Il n'y a rien, soyez-en sûrs, il n'y a rien qui ait tant occupé les meilleurs esprits que les questions relatives à la charité. Ces questions semblent faciles si on les résout par le sentiment, par les instincts du cœur ; mais qu'on l'envisage au point de vue administratif et à l'instant elles apparaissent hérissées de difficultés, à tel point que les améliorations à introduire dans le régime des pauvres, ont été en quelque sorte, à l'ordre du jour chez nos ancêtres pendant plus de trois siècles sans qu'on soit parvenu à trouver une solution satisfaisante.

Je ne m'y arrêterai pas, messieurs, de peur d'abuser de vos moments et j'aborde, maintenant, ce que je considère comme le défaut capital du projet de loi.

Telle qu'on veut la faire, la loi est une prime offerte à la captation, c'est une excitation puissante à la captation.

Dans les dispositions où sont les esprits, il y a là de quoi ruiner moralement le clergé en très peu d'années.

Il n'est point de cousin, de neveu ou de petit-neveu qui, ayant l'expectative d'une succession, ne voie un spoliateur dans le prêtre qui approchera des parents dont il compte recueillir l'héritage, si la loi passe.

Le Belge, messieurs, possède par excellence l'esprit d'ordre ; c'est une de ses qualités dominantes ; mais, vous le savez, il est rare qu'on ne pêche pas un peu par l'excès de ses qualités.

Eh bien, vous figurez-vous les ravages que peuvent faire dans l'esprit d'hommes élevés dans les principes catholiques, les abus que la loi nouvelle couvrirait de son égide ?

Vous figurez-vous les ravages que peuvent occasionner dans les familles quelques actes nouveaux de la nature de ceux qu'on a signalés à cette tribune ? Est-il possible de mesurer dans toute leur étendue les atteintes que de tels faits porteraient à l'esprit religieux des populations ? Vous croyez faire une œuvre utile, eh bien, il ne faudrait pas dix ans pour que cette loi produisît les fruits les plus déplorables sous le rapport religieux, sous le rapport de la popularité du clergé, dans l'esprit de nos populations même les plus orthodoxes.

Le prêtre, messieurs, ne doit jamais être aux prises avec des questions d'intérêt matériel ; le soupçon seul qu'il peut avoir des préoccupations de ce genre souille la dignité de l'habit qu'il porte. C'est donc un funeste présent que vous faites au clergé, car, je le répète, quelque précaution que vous preniez, votre loi sera une énergique prime d'encouragement à la captation.

Il n'en a pas fallu autant à une autre époque, époque de foi, si jamais il en fut et dont nous sommes bien éloignés, il faut le reconnaître, pour décatholiciser l'Angleterre et l'Allemagne. C'est aussi pour des questions d'argent, pour ces ventes d'indulgences, qui peut-être n'avaient pas la gravité qu'on leur a donnée depuis.

C'est en présence de pareilles manœuvres qui souillaient la robe du prêtre que Luther a levé l'étendard de la révolte contre l'autorité papale ; c'est en montrant à tout le monde l'avidité du clergé,, que Luther est parvenu à faire triompher la réforme contre les obstacles que lui opposèrent d'abord presque tous les souverains de l'Europe.

Messieurs, ou a parlé du sentiment religieux, à propos de cette question. Je fais grand cas de toute conviction sincère et n'ai de mépris que pour les renégats (interruption à gauche) ; j'ai déjà dit cela. (Nouvelle interruption).

Eh bien, malgré les assurances contraires qu'ont données quelques honorables contradicteurs, je dis que vous allez porter à ce sentiment une atteinte qui est certes bien loin de votre pensée.

Et à ce propos qu'il me soit permis de citer un exemple. La commission des hospices civils de l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte est composée presque complètement de ce qu'on appelle des libéraux. Eh bien, sans aucune excitation du dehors, ces farouches libéraux se sont empressés de requérir l'intervention de sœurs, de dignes sœurs, qui sont l'objet de leur respect et de leur reconnaissance pour les soins assidus, touchants et parfois repoussants qu'elles donnent aux malades, avec une douceur, une charité et une bonté au-dessus de tout éloge.

Qu'une loi soit votée el que ces sœurs soient désormais appelées, en quelque sorte, en vertu d'un droit pour arriver à mettre les administrations laïques en suspicion. Tout est changé à l'instant même, les égards sont remplacés par la défiance et par l’hostilité, et si l'on n'intervient pas entre elles et les administrations, bientôt il y aura un désordre complet. Voilà où vous allez ; voilà encore une des conséquences inaperçues de votre projet. Il y en a beaucoup d'autres qui vous seront signalées ; je ne me flatte pas de les avoir toutes aperçues.

L'honorable comte de Liedekerke, que je me permets d'appeler un de mes amis, a parlé, à propos des administrations laïques, des administrations non catholiques, du paupérisme anglais ; et cependant l'association est très répandue en Angleterre ; elle est en quelque sorte de droit commun, mais aussi avec des précautions.

Le paupérisme existe sans nul doute en Angleterre. Il existe partout. Mais l'honorable comte de Liedekerke a sans doute voyagé en Angleterre, certainement il a voyagé en Italie et peut-être il a visité l'Espagne. S'il ne l'a pas visitée, je puis lui en dire quelque chose ; j'ai eu cet avantage. Eh bien, je lui déclare que j'ai fait 200 et 300 milles en Angleterre sans rencontrer un mendiant, et que je n'ai pas fait un pas en Espagne, que je n'ai pas fait dix pas en Italie sans me heurter contre un pauvre.

J'aime mieux le paupérisme anglais que je ne vois pas, que le paupérisme italien ou le paupérisme espagnol qui me forcent à avoir constamment la main à la poche, si je parcours la campagne, sous peine d'y voir arriver peut-être celle du sollicitant.

Messieurs, je ne voudrais blesser personne, même l'amour-propre de personne, quoiqu'il soit difficile de discuter un peu sans se heurter à cet écueil. Mais je ne crains pas de dire que si je repousse la loi, c'est parce qu'à mon sens c'est l'acte le plus imprudent, le plus téméraire que le législateur belge aurait jamais posé. Ce jour-là, la législature belge serait sortie de la voie de prudence dont elle s'est rarement écartée.

(page 1529) Peut-être que je m'en exagère les conséquences, mais ce projet de loi m'apparaît comme portant dans ses flancs une contre-révolution, comme capable de donner le vertige au pays ; et dussé-je paraître bien naïf à des hommes qui ont le don heureux de voir toujours les choses par le côté plaisant, je dirai que j'ai peur de voir donner le vertige au pays 0 i ne sait alors où l'on peut aller. On ne sait à qui profitent les révolutions. Celle de 1830, que je n'ai pas appelée, que j'ai déplorée, ne s'est pour ainsi dire sauvée que par un miracle, du partage ou d'une restauration ; c'est grâce à la Providence et un peu aussi à notre modération ; car nous étions alors en majorité modérés et forts.

Nous avons, pardonnez-moi, la trivialité de l'expression, passé par le trou de l'aiguille pour arriver à l'état d'indépendance. Non, je n'aime pas les révolutions. J'ai déploré comme vous celles qui ont bouleversé l'Europe en 1848 : elles n'ont profité, messieurs, qu'aux adversaires de la liberté réglée.

Les révolutions sont un problème pour, tout le monde. On peut rire ; on peut accabler nos craintes d'épigrammes, ne pas les croire sincères.

Messieurs, il y a des hommes qui ne savent trouver que le côté plaisant des choses. On assure que pendant que M. de Peyronnet était soucieux à la veille des ordonnances de juillet, M. de Polignac et Charles X échangeaient des jeux de mots et des calembours sur la mystification que les ordonnances préparaient aux Parisiens, sur la stupéfaction de ces bons bourgeois à la vue de ces ordonnances qui les mettaient à la raison. On sait comment leurs rires ont fini.

M. de Naeyer. - La parole est à M. de Moor.

M. Orts. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Après les discours que nous avons entendus, il me semble qu'il n'y a plus qu'un point de la discussion qui puisse apporter de la lumière dans nos débats, c'est l'examen des amendements annoncés par M. le ministre de la justice.

Pour ma part, si je me mêle au débat, ce sera uniquement pour examiner les modifications apportées par le cabinet au projet primitif. Ces modifications nous ont été annoncées dans la séance d'hier, mais personne de nous n'a pu en connaître le texte précis. Car M. le ministre de la justice ne le connaissait pas lui-même. Il a avoué qu'il n'avait pas encore rédigé ses propositions.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Que je n'avais pas encore arrêté la rédaction.

M. Orts. - C'est ce que je dis. Le sens précis de ces dispositions n'était pas encore déterminé dans l’esprit même de leur autour.

Je demanderai donc que, dans l'intérêt de la discussion, on nous autorise à ne la reprendre que lorsque les amendements de M. le ministre auront été imprimés et distribués. Ils viennent d'être déposés. Mais personne ne les a lus. Je propose donc, vu l'heure avancée, qu'on remette la suite de la discussion à lundi. (Assentiment.)

- La séance est levée à 4 heures.