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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 25 février 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 347) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal

M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures 1/4.

M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance du 23 février. La rédaction en est approuvée.

Compte-rendu des funérailles d’Auguste Delfosse

M. le président. - Messieurs, la députation que vous avez chargée d'assister aux funérailles de notre bien-aimé collègue, l'honorable M. Delfosse, a rempli hier sa mission.

Un grand nombre de représentants et de sénateurs s'était joint à nous ; plus des deux tiers des membres de cette assemblée se trouvaient réunis à Liège ; un convoi spécial avait été mis à leur disposition. Le gouvernement était représenté par M. le ministre de l'intérieur ; la maison de S. M. le Roi l'était par M. le général Lahure.

Le général commandant la division de la province et les troupes réunies sous ses ordres, la garde civique tout entière, les autorités civiles de tout rang, faisaient partie du cortège et rendaient à notre ami les honneurs dus à un citoyen d'élite.

MM. les membres de la députation permanente, ayant à leur tête MM. le président du conseil provincial et le gouverneur, le conseil communal en corps, présidé par M. le bourgmestre, ont reçu à la station les membres de la Chambre des représentants, et les ont conduits, escortés par la garde civique et par la troupe de ligne, d'abord à la maison mortuaire, où votre président et M. le ministre de l'intérieur ont renouvelé de vive voix à la veuve éplorée le compliment de condoléance ; ensuite à l'église Sainte-Véronique où a eu lieu l'absoute.

De là, le cortège s'est mis en route pour le lieu de repos ; la distance à parcourir était de plus d'une lieue. Elle l'a été à pied, au milieu d'une foule compacte et consternée qui s'empressait de venir rendre les derniers devoirs à l'homme de bien, au patriote éclairé, à l'enfant chéri de Liège. Je n'exagère pas en portant à plus de cent mille le nombre des assistants accourus des villes et des diverses communes rurales de la province de Liège ; la douleur était peinte sur tous les visages.

Il était près de sept heures lorsque nous arrivâmes au cimetière de la Chartreuse. Là plusieurs discours ont été prononcés sur la tombe de notre regretté collègue ; les orateurs ont dû nécessairement se répéter, car la vérité est une et l'éloge ne pouvait être que le même dans toutes les bouches comme dans tous les cœurs.

Si quelque chose peut aujourd'hui nous consoler de la perte immense que nous avons faite, c'est que Delfosse a été apprécié comme il méritait de l'être et qu'il a reçu, après sa mort, la plus belle récompense que puisse ambitionner l'homme politique.

Messieurs, la triste cérémonie que j'ai tâché de vous narrer en peu de mots s'est passée avec beaucoup d'ordre et de recueillement, et l’organisation en a été parfaite ; la ville de Liège a fait grandement et noblement les choses, je la remercie au nom du pays, elle qui, par l'organe de son bourgmestre, m'a chargé de remercier la Chambre de la marque de haute sympathie qu'elle a donnée à l'un de ses enfants. La ville de Liège a dignement interprété le deuil national.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

< Des habitants de Pondrome demandent la réforme de la loi sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires.

« Par vingt et une pétitions, des habitante de Marienbonrg, Noville les-bois, Hermalle-sous-Argenteau, Tintigny, Marchovelette, Farciennes, Vieusart, Graux, Heinsch, Cruyshautem, Baelen, Hooghlede, Wellen, Wannegem-Lede, Gheel, Bruges, Reninghe, les membres du conseil communal et des habitants de Villers-en-Fagne, Leers-Nord, Soumoy et le sieur Kinus font la même demande. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de la ville de Poperinghe prient la Chambre de donner cours légal à la monnaie d'or de France.

« Même demande de fabricants et commerçants à Jollain, de cultivateurs, fabricants et commerçants à Dottignies, de laboureurs et commerçants à Froyennes, de cultivateurs, fabricants et commerçants à Péronne-lez-Antoing, de négociants, fabricants, boutiquiers et cultivateurs à Waereghem et de l'administration communale et d'habitants de Leers-Nord et Estampuis.

M. Rodenbach. - Messieurs, demain on doit faire un prompt rapport sur différentes pétitions relatives à l'or et à l'argent ; je demande que celles dont on vient de présenter l'analyse soient comprises dans le rapport de demain.

M. Van Renynghe. - J'appuie la demande de M. Rodenbach ; je comptais la faire moi-même, quand il a demandé la parole.

- La proposition de M. Rodenbach est adoptée.


« Le sieur Canivet prie la Chambre de ne pas donner suite aux demandes relatives à la réforme de la loi sur la milice. »

- Même renvoi.


« Le sieur Michel demande une pension pour services militaires. »

- Même renvoi.


« Le sieur Blumenthal, militaire reformé, demande une pension ou un emploi. >

- Même renvoi.


< L'administration communale d'Aerschot demande que le chemin de fer projeté de Bruxelles au camp de Beverloo passe par Aerschot. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Sugny demandent que les sections de Pussemange et de Bagimont dépendantes de la commune de Sugny soient érigées en commune. »

M. de Moor. - Messieurs, cette question a déjà été examinée à différentes reprises ; un rapport a été fait ; je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien s'enquérir dans son département où en est cette affaire et nous présenter dans le plus bref délai possible un projet de séparation des communes dont il s'agit. Je proposerai de renvoyer la pétition à la commission avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres de la chambre des avoués près le tribunal de première instance, séant à Liège, prient la Chambre de remettre à son ordre du jour la discussion du projet de loi sur la récusation des magistrats. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dujardin Lammens, négociant, demande que les canevas de coton préparés pour la fabrication de la tapisserie à la main soient classés parmi les produits divers nécessaires à l’industrie, pour le payement des droits d'entrée en Belgique ou tarifés spécialement au poids. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« Des propriétaires de bois dans la province de Luxembourg demandent la suppression du droit de sortie sur les charbons de bois par ta frontière du grand-duché de Luxembourg. •

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, cette pétition signale une véritable anomalie qui existe dans notre tarif de douanes : il y a sur nos charbons de bois un droit de sortie assez élevé à la frontière du grand-duché. Les pétitionnaires réclament l'abolition de ce droit de sortie, et je crois cette réclamation parfaitement fondée ; je suis convaincu que la Chambre et le gouvernement y feront un accueil favorable. Je prie donc la Chambre de renvoyer cette requête à la commission d'industrie, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée. »


« M. le ministre de l'intérieur informe la Chambre qu'un Te Deum solennels»era chanté dimanche 28 février, à 2 heures, dans l'église des SS. Michel et Gudule, à l'occasion de la délivrance de S. A. I. et R. Mme la Duchesse de Brabant. »

- La Chambre décide qu'elle assistera en corps à cette cérémonie.


« M. de Bast demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi approuvant le traité de commerce avec les Pays-Bas

Motion d’ordre

M. Coomans. - Messieurs, le Moniteur belge de ce matin annonce que le traité de commerce, signé entre la Belgique et la Hollande, l'an dernier, vient d'être rejeté par la deuxième chambre des états généraux, à l'unanimité des suffrages, moins un. Ce fait a surpris, pour ne pas dire ému, beaucoup de monde. Il a surtout été accueilli avec un vif intérêt dans nos principaux centres de commerce et d'industrie.

On ne comprend guère qu'un traité de commerce qui doit favoriser du moins une partie des intérêts qu'on tend à concilier, soit repoussé à l'unanimité par la représentation nationale du pays dont le gouvernement a jugé utile de le conclure.

Partisan d'un système libéral en matière de douanes, je n'ai garde de conseiller dès à présent au gouvernement l'emploi de mesures de représailles qui produisent rarement de bons résultats au point de vue commercial et politique. Il ne faut, je pense, y recourir que dans des circonstances graves, avec une grande réserve et seulement, pour ainsi dire, quand l'honneur national est en jeu.

Le gouvernement ne reculera pas, j'aime à le croire, devant la responsabilité des mesures que la situation peut exiger ; il ne nous refusera pas les explications que je viens demander sur les causes du vote de la chambre néerlandaise et sur le régime douanier qu'il s'agira désormais d'appliquer aux Pays-Bas.

Vous n'ignorez pas que nos voisins du nord sont traités par nous avec une faveur toute particulière, surtout depuis la suppression absolue de nos droits différentiels.

Si le gouvernement croyait que sa réponse à mon interpellation ne peut être convenablement donné qu’en séance secrète, j'accepterais naturellement le huis clos, bien que ce genre de discussion ne m'ait jamais plu.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, la Chambre comprendra qu'il ne m'est pas aisé de répondre à l'interpellation de l'honorable M. Coomans. Ainsi que l'honorable membre vient de (page 348) le dire, la deuxième chambre des états-généraux a rejeté le projet de traité à l’unanimité, moins une voix : mais ce rejet a en lieu en comité secret ; par conséquent, je ne suis pas plus à même que l’honorable membre de dire quels motifs ont guidé la chambre néerlandaise dans cette résolution.

Les convenances officielles ne me permettent pas d'en savoir plus sur le comité secret que ce qu'en sait l'honorable M. Coomans lui-même.

Je ne suis pas l'auteur du traité. Dès lors, ce n'est pas à moi d'expliquer les motifs qui ont engagé le gouvernement à ouvrir des négociations avec la Hollande et à souscrire au projet de traité qui vient d'être rejeté. Je crois que mon honorable prédécesseur ne peut qu'être loué pour avoir fait un traité qu'on a trouvé tellement utile aux intérêts belges qu'il a rencontré en Hollande une opposition aussi unanime.

Du reste, je crois pouvoir affirmer que le système de législation industrielle et commerciale des deux pays n'est pas tel, que l'existence ou la non-existence de ce traité puisse être d'une grande importance pour la Belgique.

Quant aux représailles, je ne crois pas qu'il entre dans les intentions de la Chambre d'imposer une ligne de conduite au gouvernement qui, sur ce point, agira sous sa responsabilité.

Je sais parfaitement bien que la loi de 1856, qui a aboli les droits différentiels, laisse une arme aux mains du gouvernement ; il examinera s'il est utile aux intérêts du pays de s'en servir. Je crois devoir me borner à ce peu d'explications.

M. Vilain XIIII. - Je voudrais rassurer mon honorable ami par quelques mots. Je lui dirai que le rejet du traité que nous avions conclu avec le gouvernement des Pays-Bas ne place pas la Belgique dans une situation périlleuse ou difficile. Quand j'ai dénoncé notre ancien traité de commerce, mon intention était de ne pas en négocier un nouveau ; c'est vaincu par les instances du cabinet de la Haye, que je m'y suis déterminé, de sorte que le droit commun, établi aujourd’hui non par le fait de la Belgique, mais par le fait de la Néerlande, ne me semble en aucune façon devoir nous contrarier ni altérer les bons rapports entre les deux pays ; nous perdons quelques légers avantages, mais nous reprenons toute la liberté de nos allures.

J'appellerai l'attention sérieuse de M. le ministre des affaires étrangères sur la nécessité de signer une convention spéciale pour fixer les péages à percevoir sur les canaux que nous possédons en commun avec Sa Hollande. Il serait à désirer que cette convention fût conclue avant le 1er avril pour maintenir ces péages au taux actuel.

M. Coomans. - Je suis bien sûr de n'avoir pas prononcé un seul mot d'où l'on pût induire que je regrettasse la décision prise par la législature hollandaise ; je n'ai pas cru qu'il fût important de faire connaître mon opinion personnelle sur le traité. Puisque M. le ministre des affaires étrangères insinue que je regrette ce résultat, puisque l'ancien ministre des affaires étrangères prend la parole pour me rassurer, je déclare que si le traité nous avait été soumis, je l'aurais repoussé par mon vote, en ce qui me concerne.

J'ai demandé deux choses sur lesquelles il importe à la Chambre d'avoir une réponse aujourd'hui ou plus tard. Le gouvernement est libre, je l'avoue, d'ajourner cette réponse, mais il sera bien forcé de la donner. S'il la refuse aujourd’hui, je n'ai qu'a apprécier son silence. Le public fera de même. (Interruption.)

Je répète mes questions, j'ai demandé ces deux choses : quelles sont, suivant les appréciations du gouvernement, les causes du rejet du traité hollando-belge ? (Interruption.) On n'en sait rien, dit-on !

Mais, messieurs, le cabinet peut-il venir raisonnablement prétendre qu'il ne sait rien d'une discussion à laquelle toute une assemblée a pris part, dont beaucoup de journaux rendent compte, et qui a eu lieu dans une ville où nous entretenons des agents diplomatiques ? Si nos agents se bornent à lire les journaux qui se publient dans les villes où ils résident, je ne vois pas pourquoi on les rétribue aussi chèrement ; un abonnement aux journaux suffirait. Voilà ma réponse à l'interruption.

J'ai demandé en second lieu quelles étaient les intentions du gouvernement, s'il en avait déjà, quant au traitement douanier à appliquer à la Néerlande. Le gouvernement semble me répondre qu'il n'y a rien à faire ; c'est une réponse, j'en conviens, j'en prends acte, et je n'ajouterai rien pour aujourd'hui.

Projet de loi révisant le second livre du code pénal

M. le président. - La discussion générale est close. Nous passons à la délibération sur les articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er/ L’attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger est puni de la peine des travaux forcés à temps, sans préjudice des peines plus fortes, s'il y a lieu, d'après les dispositions du Code pénal.

« L'attentat existe dès que la résolution criminelle a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d'exécution, et qui n'ont été suspendus ou n'ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de 1'auteur. »

M. Van Overloop. - Dans la séance d'avant-hier, l'honorable ministre de la justice a déclaré que le projet de loi eu discussion n'est le résultat d'aucune pression extérieure, que ce n'est pas une loi politique, que ce n'est pas une loi de circonstance. Eu présence de cette déclaration, nous devons, comme le disait l'honorable M. Moncheur, « discuter le projet de loi avec une parfaite liberté d'esprit et sans préoccupation aucune, due à des circonstances qui, dans un autre pays, pèsent si fortement sur une discussion analogue. »

C'est parce que je partage cette manière de voir de l'honorable M. Moncheur, parce que je crois, comme lui, que nous devons discuter le projet de loi avec une entière liberté d'esprit, sans préoccupation aucune, que je demande à la Chambre la permission de lui soumettre quelques observations sur les articles 1, 2, 3 et 4 du projet de loi.

Mais avant tout, messieurs, j'aime à le déclarer, pour ma part, je suis convaincu que le cabinet n'a cédé à aucune pression étrangère en nous soumettant le projet de loi en discussion. La pression, en effet, était inutile. Ce projet de loi était préparé depuis longtemps par une commission composée de jurisconsultes éminents et il nous a été soumis, dans la session dernière, par l'honorable M. Nothomb.

Je considère plutôt le détachement de ce projet de loi du livre II du Code pénal comme un véritable acte de courtoisie spontanée du gouvernement belge envers les gouvernements étrangers. Je dis que je considère ce détachement comme un véritable acte de courtoisie spontanée de la part du gouvernement belge envers les gouvernements étrangers, parce que jusqu'ici il ne s'est pas présenté en Belgique des faits de nature à devoir provoquer une discussion immédiate du projet de loi qui nous est soumis.

Je n'en félicite pas moins le gouvernement d'avoir présenté ce projet de loi, d'avoir effectué ce détachement. Il est temps, d'après moi, que les gouvernements se donnent énergiquement la main, pour mettre un terme à ces crimes odieux qui semblent devoir finir par caractériser notre siècle.

Je dis que ces crimes semblent devoir caractériser notre siècle. En effet, nous avons eu successivement depuis 1830, contre le roi Louis-Philippe, les attentats Fieschi, Alibaud, Champion, Hubert, Darmès, Quenisset, Henri, Lecomte, Meunier.

Nous avons eu, en 1840, un attentat contre le roi de Prusse ; en 1837, un attentat contre le prince Ferdinand de Portugal Nous avons eu un attentat contre l'empereur d'Autriche ; deux attentats contre la reine d'Angleterre ; un attentat contre la reine d'Espagne, et en dernier lieu un attentat contre le roi de Naples. Enfin, récemment nous avons eu deux attentats contre l'empereur des Français.

Je tire de ces faits la conclusion que, si les gouvernements ne se donnent pas la main pour mettre un terme à ces crimes qui viennent si fréquemment épouvanter la société, toute sécurité finira par disparaître et l'ordre social se trouvera compromis partout, chez les nations faibles comme chez les nations puissantes.

Ne l’oublions pas, toutefois : ce n'est pas exclusivement avec des lois répressives, avec des lois pénales qu'on parviendra à prévenir la répétition de ces odieux attentats. Il faudra, pour parvenir à ce résultat, qu'on finisse par enseigner un peu plus aux peuples l'accomplissement de leurs devoirs et à leur parler un peu moins souvent de leurs droits.

J'aborde, messieurs, les observations que j'ai à présenter sur les articles l à 4 du projet de loi.

L'adoption de ces articles, messieurs, aura pour conséquence de rendre justiciables des tribunaux belges et passibles des peines comminées par les articles en discussion, les individus qui se seront rendus coupables en Belgique des faits prévus par ces articles ; mais qu'arrivera-t-il si ces mêmes faits viennent à être commis à l'étranger, et que le coupable se réfugie en Belgique ? Ou bien ces faits auront été perpétrés par un étranger qui sera parvenu à se réfugier en Belgique et alors la loi belge sera impuissante ; mais d'un autre côté, le gouvernement belge aura contre cet étranger la faculté de l'extradition ou tout au moins le droit d'expulsion.

Mais si ces faits venaient à être perpétrés à l'étranger par un Belge qui parviendrait à échapper à la justice répressive de France, par exemple, et, à se réfugier dans son pays, nous serions tout à fait désarmés.

Ce Belge ne pourrait ni être appelé devant nos tribunaux, ni être extradé, ni être expulsé. Je raisonne dans l’hypothèse qu'il ne soit pas question d'un attentat ou d'un complot contre la vie, mais d'un attentat ou d'un complot contre la personne ou contre l'autorité.

Cependant si ces faits étaient perpétrés par un Anglais, celui-ci serait passible de peines en Angleterre.

Voici, messieurs, le texte de la loi du 20 décembre 1836 sur les délits commis par un Belge à l’étranger. (Note du webmaster : la date correcte de la loi est le 30 décembre 1836).

« Art. 1er. L'article 7 du Code d'instruction criminelle est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :

« Tout Belge qui se sera rendu coupable, hors du territoire du royaume, d'un crime ou d'un délit contre un Belge, pourra, s'il est trouvé en Belgique, y être poursuivi, et il y sera jugé et puni conformément aux lois en vigueur dans le royaume. »

Il prévoit un délit commis, à l'étranger, par un Belge contre un Belge.

« Art. 2. Tout Belge qui se sera rendu coupable, hors du territoire du royaume, contre un étranger, d'un crime ou d'un délit prévu par l'article premier de la loi du 1er octobre 1833, pourra, s'il se trouve en Belgique, y être poursuivi, et il y sera jugé et puni conformément aux lois en vigueur dans le royaume, si l'étranger offensé ou sa famille rend plainte, ou s'il y a un avis officiel, donné aux autorités belges par les autorités du territoire où le crime ou délit aura été commis.

(page 349) « Art. 3. Les dispositions ci-dessus ne sont pas applicables, lorsque le Belge a été poursuivi et jugé en pays étranger, à moins qu'il ne soit intervenu une condamnation par contumace ou par défaut, auquel cas il pourra être poursuivi et jugé en Belgique. »

Voyons maintenant, messieurs quels sont les cas prévus par l'article premier de la loi du 1er octobre 1833 sur les extraditions.

Cet article prévoit les cas suivants ;

1° Assassinat, empoisonnement, parricide, infanticide, meurtre, viol ;

2° Incendie ;

3°° Faux en écriture, y compris la contrefaçon de billets de banque et effets publics ;

4° Fausse monnaie ;

5° Faux témoignage ;

6° Vol, escroquerie, concussion, soustraction comnvse par des dépo-sit ires publics ;

7° Banqueroute frauduleuse.

Qu'un Belge commette donc à l'étranger un délit autre que ceux prévus par cet article ; que ce Belge parvienne à se sauver en Belgique, et la loi belge sera impuissante pour le punir. Ainsi, si je me rends coupable à l'étranger d'un vol au détriment d'un étranger et que je parvienne à me sauver en Belgique, je serai justiciable de nos tribunaux ; mais si je me rend coupable à l'étranger d'un des faits prévus par les articles 1 à 4 de la loi que nous discutons (autres, bien entendu, que les attentats ou complots contre la vie), qu'arrivera-t-il ? C'est que, si je parviens à me sauver en Belgique, je ne pourrai pas être poursuivi par les tribunaux belges.

Maintenant, je le demande, les faits prévus par les articles 1 à 4 ne sont-ils pas, au point de vue de la criminalité, infiniment plus répréhensibles qu'un simple fait de vol, de soustraction ou de banqueroute frauduleuse ?

Je demande donc, et cette observation je la fais en dehors de tout esprit de parti et en ne me préoccupant nullement des circonstances dans lesquelles la loi nous a été soumise, je demande s'il n'y aurait pas lieu d'étendre les dispositions de la loi du 20 décembre 1836 aux articles 1 à 4 du projet de loi que nous discutons en ce moment.

Je ne veux nullement contrarier les vues du gouvernement sous ce rapport ; et je n'ai pas du tout l'intention de faire de mes observations l'objet d'un amendement. Grâce à Dieu, jusqu'ici, que je sache, aucun Belge n'a été compromis dans des complots ou des crimes de la nature de ceux qui depuis quelque temps jettent si fréquemment l'effroi dans l'Europe ; jusqu'ici, je le constate à l'honneur de mon pays, je ne sache pas qu'aucun Belge ait été compromis dans aucune affaire de ce genre. Mais comme il ne s'agit pas, ainsi que l'a fait remarquer M. le ministre de la justice, de faire une loi de circonstances, mais bien une loi permanente, il y aurait lieu, me semble-t-il, d'examiner mûrement s'il ne conviendrait pas d'étendre les dispositions de la loi du 20 décembre 1836 aux faits prévus par les articles 1 à 4 du projet de loi actuellement en discussion.

Du reste, vous le comprenez, messieurs, faire droit à mes observations, si cela convient au gouvernement, ce serait, en définitive, simplement appliquer les véritables principes du droit des gens, principes incontestablement consacrés par la loi du 20 décembre 1836.

Voilà, messieurs, les observations que j'avais à présenter. Je les soumets à la sérieuse attention de M. le ministre de la justice. Je suis convaincu qu'après les avoir examinées, il jugera convenable d'y faire droit, soit par la présentation d'un amendement, soit par tout autre moyen que je ne puis qu'abandonner à son appréciation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les observations que vient de présenter l’honorable M. Van Overloop ne m’avaient pas échappé, mais je ne pense pas que ce soit ici le lieu d’ouvrir une discussion à ce sujet.

Vous savez, messieurs, que sous l'empire du Code d'instruction criminelle, les faits commis par un Belge à l'étranger ne pourraient être ni poursuivis ni punis en Belgique, que dans un cas exceptionnel. On a dérogé à ce principe par la loi du 20 décembre 1836 ; un grand nombre de faits, mais qui n'ont aucun caractère politique, peuvent désormais être poursuivis en Belgique quand ils ont été commis à l'étranger par un Belge.

La disposition que l'honorable M. Van Overloop désirerait voir introduire dans la loi, me semblerait, si elle pouvait être admise, mieux trouver sa place dans le Code d’instruction criminelle que dans la loi actuelle, et c'est quand nous nous occuperons de la révision de ce Code que nous pourrons nous occuper plus mûrement de cette question.

M. Lelièvre. - Je me rallie complétement aux observations de l’honorable ministre de justice. La question de savoir si certains délits commis à étranger peuvent être poursuivis en Belgique, tient à la compétence, et, par conséquent, c'est dans le Code d'instruction criminelle qu’il s’agira de s’en occuper. C'est, du reste, la marche qui a été adoptée par nos lois criminelles.

Jamais cette matière n'a été traitée dans le Code pénal. Le Code de brumaire an IV et le Code d'instruction criminelle de 1810 s'en sont occupés. La loi du 20 décembre 1836 a modifié cette législation.

On pourra examiner la valeur des observations de M. Van Overloop, lorsqu’il s'agira de réviser le Code d'instruction criminelle ; mais, pour le moment, il ne peut être question de toucher à un ordre de faits qui n'a rien de commun avec la pénalité à décréter contre certains actes criminels.

M. Pirmez. - Messieurs, je suis surpris d'entendre M. le ministre de la justice et M. Lelièvre soutenir que la question soulevée par M. Van Overloop est une question de compétence, qui doit rentrer plutôt dans les dispositions du Code d'instruction criminelle que dans celles dont nous nous occupons actuellement. Il s'agit de savoir si un fait commis à l'étranger sera puni par notre loi ; en d'autres termes, si ce fait sera considéré comme un délit.

Il me semble que la question de savoir si un fait est punissable rentre tout à fait dans le domaine de la loi pénale. Je sais que ces questions ont été traités par le Code d'instruction criminelle, mais je pense que c'est à tort et que si l'observation de l'honorable M. Van Overloop doit être accueillie, c'est par la loi actuelle qu'il faut y faire droit.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, il s'agit moins de décider si le fait commis à l'étranger est et un délit, que de savoir si le fait commis par un Belge à l'étranger, commis sur un territoire sur lequel la Belgique n'exerce pas de souveraineté, doit être poursuivi et puni en Belgique. Si ce n'est pas là une question de compétence proprement dite, c'est une question de souveraineté qui me semble devoir être réglée dans le Code d'instruction.

On n'a jamais méconnu que certains faits commis à l'étranger fussent des crimes ou des délits ; ainsi on n'a jamais mis en doute que l'homicide, l'assassinat, le vol, commis à l'étranger par un Belge, fussent des crimes ; mais on s'est demandé si n'exerçant pas de souveraineté dans ces pays, n'y avait pas de juridiction, n'ayant pas à y garantir la sécurité des habitants, la justice belge devait connaître de ces faits.

Jamais il n'est venu à l'esprit de personne que le vol, le faux, l'assassinat commis à l'étranger par des Belges changeaient de nature au-delà de la frontière et devenaient des faits licites ; mais la pensée du législateur a été que le fait n'étant pas commis dans le pays, et celui-ci ne devant pas de protection à l'étranger, il n'y avait pas lieu de sévir.

Maintenant, messieurs, il serait inopportun de discuter en ce moment cette question, car quoique la loi n'ait pas un caractère politique, elle prévoit cependant des faits qui, presque toujours, seront des crimes ou des délits inspirés par la politique.

Faut-il donc, dans tous les cas, assimiler ces délits aux délits ordinaires ? C'est ce qui, jusqu'à présent, n’a été fait nulle part, et c'est là une question qui ne peut être traitée qu'avec la plus grande circonspection.

Ne perdons pas de vue que nous faisons une loi qui a pour but exclusif de garantir la sécurité des souverains étrangers sur notre territoire ; nous ne devons pas, sans y avoir très mûrement réfléchi, nous occuper de faits qui se passent à l'étranger.

M. Pirmez. - Je me permettrai, messieurs, d'insister sur l'observation que j'ai présentée. Il s'agit de savoir ce qu'est une loi de compétence, ce qu'est une loi pénale, quels sont les faits qui rentrent dans la loi de compétence, quels sont ceux qui rentrent dans la loi pénale ?

Or, une loi de compétence consiste seulement à déterminer quel est le tribunal qui doit connaître d'un fait, qui doit apprécier si un fait tombe ou non sous la loi pénale.

Mais ici nous n'avons pas à déterminer le tribunal qui connaîtra d'un fait ; il s'agit de savoir si la loi pénale s'applique à ce fait.

Or, dès l'instant que la question consiste à dire si à tel acte la loi pénale est applicable ou non, c'est évidemment l'étendue de la loi pénale qu'il faut apprécier, et, par conséquent, c'est une question de droit pénal et non de compétence qui est à résoudre.

M. Savart. - Messieurs, l'objection soulevée par l'honorable M. Van Overloop et par M. Pirmez ne me semble pas fondée. Il ne s'agit pas de savoir si l'attentat et le complot contre les souverains sont des délits. Ils sont qualifiés tels par nos lois.

Ils sont délits n’importe en quels lieux ils sont commis. La question de savoir si ces délits, lorsqu'ils sont commis à l'étranger par des Belges, doivent être punis en Belgique, doit être résolue dans le Code d'instruction criminelle. Lorsqu'on a voulu atteindre le Belge fautif en pays étranger, on a modifié le Code d'instruction criminelle. Tel a été l’objet de la loi de 1836. C'est lorsque nous réviserons le Code d'instruction criminelle que nous déciderons si les délits d'attentat et de complot contre des souverains étrangers, commis à l'étranger, doivent être punis en Belgique, ou si, pour ces faits, notre législation suivra le Belge hors du territoire.

Cette marche sera régulière, et les principes resteront saufs.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, je n'ajouterai que quelques mots aux observations qui ont été présentées par l'honorable M. Pirmez. Je pense que la question qui vient d'être soumise à la Chambre doit être résolue dans la discussion qui nous occupe.

Et en effet, comme il l'a dit, il ne s'agit pas seulement d'un point de compétence, il s'agit encore d'une question de pénalité, il s'agit de savoir si un fait qui s'est commis à l'étranger est puni par la loi belge.

II ne suffit pas d'atteindre des faits qui se sont commis sur notre territoire, il faut encore atteindre des faits qui se seraient commis à l'étranger ; par conséquent il faut appliquer la pénalité à ces faits commis en pays étranger.

11 ne s'agit donc pas seulement d'une question de compétence ;' mais (page 350) il s'agit d'une question de pénalité et de droit pénal. C'est à la fois le fond et la forme qu'il faut décider.

Je pense donc que la question, soutenue par l'honorable M. Van Overloop, doit être examinée et résolue dans le cours de cette discussion.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, il me semble qu'il tombe sous le sens que, par cela seul que nous proclamons dans notre loi que tel fait est coupable, contraire à la morale, contraire à l'ordre, nous reconnaissons que c'est un délit, abstraction faite des limites du territoire. Sur ce point, il me paraît qu'il n'y a pas de discussion sérieuse possible.

Mais reste la question de savoir si la Belgique doit le réprimer au-delà de ces limites. Et cette question me semble devoir être réglée par le Code d'instruction criminelle. D'après les principes généraux de ce Code, notre justice ne s'étend pas au-delà des limites du territoire, et nous ne punissons pas les faits qui se passent au-delà.

Mais il existe une loi du 20 décembre 1836, aux termes de laquelle certains faits peuvent être punis en Belgique, alors même qu'ils seraient commis en pays étranger. Si un étranger a été lésé dans son pays par un Belge, il faut la plainte de la personne lésée ou du gouvernement étranger.

Je crois qu'il n'y a pas lieu de modifier cette loi par la loi actuelle et d'y comprendre des faits qui n'y sont pas prévus ; il y a d'autant moins lieu de le faire, que nous nous occupons de faits qui touchent à la politique et à l'égard desquels l'on ne saurait improviser un système qui, pour des délits de cette nature, n'existe pas encore dans notre législation.

M. Lelièvre. - La question de savoir si certains faits commis à l'étranger peuvent être poursuivis en Belgique a toujours fait l'objet de dispositions spéciales. Ainsi ce principe étendant les limites de la souveraineté nationale n'a jamais été adopté qu'exceptionnellement et dans certains cas prévus par la loi.

On peut voir combien le Code de brumaire an IV et le Code d'instruction criminelle ont été réservés en cette matière. Cette question ne peut donc être traitée incidemment, elle doit faire l'objet d'un examen spécial. Le gouvernement pourra prendre une résolution sur ce point quand il s'occupera de la révision de la loi du 20 décembre 1836.

On conçoit que la décision à prendre puisse dépendre de négociations à entamer avec les gouvernements étrangers qui prendraient semblables dispositions à l'égard de délits commis en Belgique.

Cette matière mérite donc d'être examinée très attentivement. Ne perdons pas de vue qu'il s'agit d'étendre les limites de la souveraineté nationale, en ce qui concerne la punition des délits. Or, pareilles prescriptions ne peuvent être établies que pour des cas peu nombreux, .et avec certaines conditions.

En conséquence, il nous semble évident que la question soulevée n'a rien de commun avec la loi en discussion, qui se borne à imprimer le caractère de crime ou de délit à des faits qui troublent l'ordre et la paix publics. En tout cas, la question n'est pas suffisamment élucidée.

- Personne ne demandant plus la parole sur l'article, la discussion est close.

L'article premier est mis aux voix et adopté.

Articles 2 à 5

« Art. 2. Le complot contre la vie ou contre la personne du chef d'un gouvernement étranger sera puni de la réclusion, s'il a été suivi d'un acte commis pour en préparer l'exécution. »

- Adopté.


« Art. 3. Sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans, et d'une amende de deux cents francs à deux mille francs, le complot suivi d'un acte préparatoire, et ayant pour but soit de détruire ou de changer la forme d'un gouvernement étranger, soit d'exciter les habitants d'un pays étranger à s'armer contre l'autorité du chef du gouvernement de ce pays.

« Les coupables pourront, de plus, être placés sous la surveillance spéciale de la police pendant cinq à dix ans. »

- Adopté.


« Art. 4. Dans les cas prévus par les articles précédents, le complot existe dès que la résolution d'agir a été concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs personnes. »

- Adopté.


« Art. 5. Seront exemptés des peines prononcées par les articles 2 et 3 de la présente loi, ceux des coupables qui, avant toutes poursuites commencées, auront donné au gouvernement ou aux autorités administratives ou à la police judiciaire, connaissance des complots prévus par ces dépositions, et de leurs auteurs ou complices, ou qui même, depuis le commencement des poursuites, auront procuré l'arrestation des mêmes auteurs ou complices.

« Les coupables qui auront donné ces connaissances ou procuré ces arrestations, pourront néanmoins être placés sous la surveillance spéciale de la police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Sera puni d'un emprisonnement de deux mois à dix-huit mois, et d'une amende de cinquante francs à mille francs, celui qui, soit par voies de fait, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, aura outragé, à raison de leurs fonctions, des agents diplomatiques accrédités près du gouvernement belge.

« Si l'outrage a été par paroles, gestes ou menaces, aux agents désignés au paragraphe précédent, et en leur présence, les mêmes peines seront prononcées. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai un changement de rédaction à proposer au deuxième paragraphe de l'article 6 qui serait ainsi conçu :

« L'outrage adressé par paroles, gestes ou menaces aux agents désignés au paragraphe précédent sera puni des mêmes peines. »

Le mot adressé indique suffisamment que c'est en présence de l'agent que l'outrage par gestes, paroles ou menaces doit avoir lieu.

M. Lelièvre, rapporteur. - L'amendement proposé par M. le ministre de la justice ne changeant en rien le sens de l'article rédigé par la commission, je déclare me rallier à la proposition du gouvernement. Il est bien entendu que la présence de l'agent diplomatique est indispensable pour qu'il y ait outrage.

M. Orts. - Messieurs, dans le projet soumis aux délibérations de la Chambre, la disposition que nous examinons en ce moment concerne seule les délits commis par la voie de la presse. C'est pour cela que plus que toute autre elle a attiré mon attention. En toute occasion je me suis montré plus scrupuleux dans les précautions et les garanties à prendre lorsqu'il s'agit de poursuites de ce genre que quand il s'agit de punir des faits sur le caractère desquels il ne peut pas y avoir deux opinions.

Je demanderai donc une explication sur la portée de l'article qu'on nous propose de voter maintenant. Il dit : Les outrages commis par écrit à l'égard des agents diplomatiques seront punis, etc.

Je demanderai s'il est bien entendu qu'en cas d'outrage commis par la voie de la presse à l'égard des agents diplomatiques étrangers, quand l'outrage se rapportera à des faits posés par ces agents agissant dans l'exercice de leurs fonctions, le prévenu aura le droit de faire la preuve des faits articulés, comme si l'offense était adressée à un agent diplomatique belge.

Je demande s'il est bien entendu que le fonctionnaire étranger sera mis sur la même ligne que le fonctionnaire belge. Je crois qu'aller au-delà de cette assimilation ce serait aller au-delà de ce qui est juste et légitime. Donner aux agents étrangers la même protection qu'aux autorités publiques belges, c'est faire tout ce qu'on peut légitimement attendre de nous au dehors.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne pense pas qu'on puisse placer les agents diplomatiques belges dans la même position que les fonctionnaires du pays. Les agents diplomatiques jouissent d'immunités, ils représentent leur souverain ; ils ne sont responsables de leurs actes que vis-à-vis de leur gouvernement ; ils ne sont pas justiciables de nos tribunaux, ils n'ont aucun compte à rendre de leurs actes, ni à notre pays. Je ne comprendrais pas que, dans cette position, la presse pût, en raison de leurs fonctions, leur faire un procès et les forcer à se défendre devant nos tribunaux. Ce serait évidemment méconnaître leur caractère et les traiter comme s'ils étaient justiciables du pays, de l'opinion publique et de la presse. Ce système ne saurait être consacré par la Chambre.

M. Orts. - La réponse de M. le ministre de la justice ne peut pas me satisfaire. Interpréter la loi comme il le fait, c'est aller plus loin qu'on ne va dans les autres pays. Si ma mémoire est fidèle, devant les tribunaux français, ce n'est pas ainsi que la loi française est entendue. Sous le gouvernement de Louis-Philippe, l'ambassadeur de Turquie, Reschid-Pacha, a porté plainte contre une offense commise à son égard par un journal ; les faits qu'on lui reprochait avaient eu lieu dans l'exercice de ses fonctions. On a demandé à faire la preuve des faits, et, si je ne me trompe, la preuve a été admise ; on a placé l'agent diplomatique sur la même ligne que les fonctionnaires du pays.

Peut-on dire qu'on manquerait aux devoirs internationaux, aux convenances internationales, en plaçant les agents diplomatiques étrangers sur la même ligne que les fonctionnaires du pays ? L'interprétation du gouvernement ne saurait me satisfaire. Je proposerai un amendement ; s'il n'est pas adopté, je voterai contre l'article. Je voterai sans doute les autres dispositions de la loi, mais je ne puis admettre qu'on fasse aux agents diplomatiques étrangers une position privilégiée qu'on ne donnerait pas à nos propres fonctionnaires.

M. Lelièvre, rapporteur. - Les auteurs qui ont commenté la loi française de 1819 sont d'avis que la preuve des faits diffamatoires n'est jamais autorisée à l'égard des agents diplomatiques. Cela est d'abord certain en ce qui concerne les simples injures sans faits précis.

M. Orts. - Evidemment.

M. Lelièvre. - Mais il doit en être de même lorsqu'il s'agit de l'imputation de faits diffamatoires. Les motifs sont évidents, les agents diplomatiques ne sont pas responsables vis-à-vis de la nation belge. Ils représentent le souverain de qui ils tiennent leur mission.

En conséquence, ils participent de l'inviolabilité qu'on ne peut dénier aux chefs des gouvernements dont ils sont les représentants.

On conçoit donc qu'il ne puisse être permis de porter, par une preuve quelconque, atteinte au caractère des ambassadeurs.

()page 351) Ce serait réellement violer les premiers principes du droit international. <Legait sancti habentur, dit la loi 17D de legationibus.

Donc pour notre pays ces agents jouissent de la même inviolabilité que leurs souverains. Eh bien, autoriser une preuve de faits qui leur seraient imputés, ce serait créer contre eux une responsabilité, incompatible avec la nature de leurs fonctions.

Sous ce rapport, il m'est impossible de partager l'opinion de l'honorable M. Orts.

M. Malou. - Je voudrais attirer l'attention du gouvernement et de la Chambre sur deux points. J'ai lu plusieurs fois l'article 6 attentivement ; je ne vois pas pourquoi on le divise en deux paragraphes quand on applique la même peine ; les outrages par les gestes ou menaces pourraient être compris dans le même paragraphe. Dans le premier paragraphe on dit : « sera puni d'un emprisonnement de deux mois à dix-huit mois et d'une amende de cinquante francs à mille francs celui qui, soit par voies de fait, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, aura outragé à raison de leurs fonctions des agents diplomatiques accrédités par le gouvernement belge. »

On dit, dans le paragraphe 2, d'après la proposition de M. le ministre de la justice :

« L'outrage adressé par paroles, gestes ou menaces aux agents désignés au paragraphe précédent sera puni des mêmes peines. »

L'honorable rapporteur vient de dire que les mots en présence, quoique supprimés en fait, sont considérés comme existants.

Je demande qu'on mette au paragraphe premier, après les mots : « par des écrits » ceux-ci : « par paroles, gestes ou menaces. »

Voyez quelle serait la conséquence de votre rédaction si elle était maintenue : dans la ville où réside l'agent, une foule se rassemble devant son hôtel, profère des cris, des outrages, des menaces, mais l'agent n'est pas présent ; ce fait, ce me semble, ne serait pas puni. Au point de vue de la loi, un pareil outrage doit être puni. Si je me trompe, je demande qu'on dissipe mon doute.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous avons voulu, sous ce rapport, assimiler les agents étrangers aux fonctionnaires et aux magistrats. Or, d'après la jurisprudence de la cour de cassation, pour qu'il y ait outrage à l'égard de ceux-ci, il faut que les paroles, gestes ou menaces outrageants soient adressés au fonctionnaire présent. C'est pour rendre cette idée que la rédaction primitive a été modifiée et que l'article a été divisé en deux paragraphes.

Maintenant faut-il aller plus loin ? Je ne la pense pas, parce que, sans cela, on atteindrait des faits répréhensibles, sans doute, mais qui n'ont pas la gravité voulue pour être punis aussi sévèrement. L'on ne saurait contester que les propos changent un peu de gravité selon qu'ils sont tenus en présence ou en l'absence d'une personne. Telle parole qui dite en l'absence d'une personne n'est qu'une grossièreté, prend la proportion de l'outrage quand elle est dite en face. Or nous ne pouvons aller jusqu'à punir comme un outrage les propos grossiers tenus sur le compte d'un agent diplomatique en dehors de sa présence.

M. Lelièvre, rapporteur. - Je dois faire observer à l'honorable M. Malou que dans les cas dont il parle, les faits répréhensibles seront réprimés conformément au droit commun. Notre article n'est applicable que quand les circonstances qu'il prévoit seront reconnues exister. Dans les autres cas, les faits ne resteront pas impunis, mais ils seront punis d’après les dispositions générales de nos lois.

M. Malou. - L'honorable rapporteur me paraît se placera côté de la question que j'ai faite. Je sais bien que les agents diplomatiques sont protégés par le droit commun contre les injures et les calomnies. Ce n'est pas de cela que je parle. Il s’agit de savoir dans quels cas il faut punir les outrages adressés aux agents diplomatiques, et je fais remarquer que certains outrages ne seront pas punis.

M. le président. - Voici l'amendement déposé par l'honorable M. Orts :

« La preuve des faits offensants sera autorisée de la part du prévenu dans les cas et de la manière où cette preuve est autorisée à l'égard des fonctionnaires belges. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai une dernière observation à faire sur cet amendement, c'est que des faits peuvent souvent avoir été posés par les agents diplomatiques, en vertu d'instructions qu'ils auraient reçues de leurs gouvernements, que ce serait en quelque sorte rendre ces gouvernements justiciables de nos tribunaux et exposer leurs agents à venir débattre devant ces tribunaux les instructions qu'ils auraient reçues ; or, c'est ce qu'on ne saurait admettre,

M. Orts. - Je ne veux pas prolonger la discussion ; mais je ferai observer que pour les pays qui ont chez eux le contrôle de la presse à l'égard de la conduite de leurs propres fonctionnaires, le contrôle de la presse étrangère peut remplacer utilement, à l'égard de leurs agents diplomatiques, celui de la presse nationale qui devrait s'exercer à une trop grande distance pour que le gouvernement auquel l'agent appartient puisse arriver à connaître et à réprimer en temps utile les écarts que cet agent pourrait commettre dans l'exercice de ses fonctions.

Si un journal, par exemple, dit que le représentant d'une cour étrangère qui se trouve à une grande distance de Bruxelles, a par sa conduite et contrairement au vœu de son gouvernement fait tout ce qui lui possible pour exciter l'irritation dans les esprits, pour compliquer les bonnes relations entre le gouvernement belge et le gouvernement dont il est l'agent, je dis que le journal berge qui aura articulé des faits précis aura rempli un devoir non seulement vis-à-vis du gouvernement belge, mais vis-à-vis du gouvernement étranger en contrôlant les actes d'un agent infidèle qui ne le représente pas convenablement. Il aura fait' une chose parfaitement utile, et s'il est amené devant la justice pour avoir posé cet acte, je crois que ne pas lui remettre la preuve des faits, c'est le traiter d'une manière peu logique et peu équitable.

Il reste entendu que la preuve ne pourrait jamais être autorisée lorsqu'un journaliste emploierait des formules d'outrage, des injures, des qualifications offensantes, pas plus qu'en cas pareil la preuve n'est admise pour les faits attribués à des fonctionnaires belges.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois faire une observation à l'honorable M. Orts : c'est que si un agent diplomatique étranger tenait une conduite semblable, le gouvernement belge serait le premier à en informer le gouvernement étranger, et qu’il ne laisserait pas ce soin à la presse.

M. H. de Brouckere. - II me semble que l'honorable M. Orts confond avec l'outrage le contrôle que la presse peut exercer sur les actes des représentants des gouvernements étrangers, la critique même qui peut atteindre ces actes.

Il est bien évident que la loi actuelle ne tend en aucune manière à empêcher la presse de contrôler, de critiquer les actes des représentants des gouvernements étrangers. Il s'agit de réprimer l'outrage.

Or, il est incontestable que l'outrage s'adressant au représentant d'un gouvernement étranger, a un caractère bien plus grave que l'outrage s'adressant à un fonctionnaire belge. L'outrage s'adressant au représentant d'un gouvernement étranger peut occasionner les embarras les plus graves pour le gouvernement belge et même léser les intérêts du pays.

Nous ne pouvons donc prendre pour règle ce qui s'applique au fonctionnaire belge. Il faut, en cette matière, admettre des principes entièrement différents et quant à moi, je ne saurais pas voter pour l'amendement de l'honorable M. Orts.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Orts est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 6, modifié comme le propose M. le ministre, est adopté.

Articles 7 à 13

« Art. 7. Quiconque aura frappé ces agents à raison de leurs fonctions, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans.

« Si les coups ont été la cause d'effusion de sang, blessures ou maladie, la peine sera la réclusion.

« Dans l'un ou l'autre cas, le coupable pourra être placé, pendant cinq à dix ans, sous la surveillance spéciale de la police. »

- Adopté.


« Art. 8. Les dispositions des articles 6 et 7 ne s'appliquent qu'aux outrages ou violences dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d'après les dispositions du Code pénal. »

- Adopté.


« Art. 9. Toutes les fois que les tribunaux prononceront, conformément aux dispositions de la présente loi, une condamnation à un emprisonnement de plus de six mois, ils pourront interdire le condamné, pendant cinq à dix ans, de l'exercice de tout ou partie des droits énumérés à l'article 32 du Code pénal. »

- Adopté.


« Art. 10. S'il existe des circonstances atténuantes, les peines comminées par les différents articles qui précèdent pourront être modifiées conformément aux articles 3, 5, paragraphes 2, 3 et 4, et 6 de la loi du 15 mai 1849. »

- Adopté.


« Art. 11. Les poursuites des délits prévus par la présente loi, commis par la voie de la presse, seront prescrites par le laps de trois mois, à partir du jour où le délit aura été commis ou de celui du dernier acte judiciaire.

« La procédure tracée par les articles 4, 5 et 7 de la loi du 6 avril 1847 et l'article 4 de la loi du 20 décembre 1852, est applicable aux mêmes délits. »

- Adopté.


« Art. 12. Les dispositions des articles 3 et 4 de la présente loi ne seront pas applicables, lorsque l'inculpé aura été poursuivi et jugé contradictoirement en pays étranger. »

- Adopté.

« Art. 13. L'article 3 de la loi du 20 décembre 1852 relative à la répression des offenses envers les chefs des gouvernements étrangers, est abrogé. »

-- Adopté.

Article 6

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je demanderai à la Chambre de revenir un instant sur l'article 6, afin d'obtenir la rectification d'une erreur de rédaction qui s'y est glissée, erreur qui, du reste, se trouvait dans le manuscrit et qui m'a été signalée par la commission même qui a rédigé le projet. Il conviendrait de substituer aux mots : « soit pur des voies de fait », ceux-ci : « soit par des faits ». De cette manière on atteindrait, par exemple, le fait que signalait tantôt l'honorable M. Malou, de tapage injurieux fait devant la demeure d'un agent diplomatique, même en son absence.

(page 352) - La Chambre fait droit à la demande de M. le ministre de la justice et adopte le changement de rédaction qui vient d'être indiqué.

L'article 6, ainsi modifié, est définitivement adopté.

Vote sur l’ensemble

La Chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote sur le projet de loi.

Il est procédé à l'appel nominal.

94 membres y prennent part.

80 répondent oui.

10 répondent non.

4 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté pour le projet de loi : MM. Allard, Ansiau, Coomans, Crombez, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart. H. de Brouckere, de Decker, de Haerne, de la Coste, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Godin, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Lelièvre, Loos, Magherman, Malou, Mascart, Moncheur, Moreau, Nélis, Neyt, Notelteirs, Orban, Pierre, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Savart, Tack, Tesch, Thiéfry, Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Verwilghen, Vilain XIIII, Wala et Verhaegen.

Ont voté contre le projet de loi : MM. Coppieters 't Wallant, David, Dechentinnes, de Perceval, Frison, Grosfils, Lesoinne, Saeyman, E. Vandenpeereboom et Wanderpepen.,

Se sont abstenus : MM. de Renesse, Ch. Lebeau, Orts et Vander Stichelen.

M. de Renesse. - Ayant voté l'article 3 de la loi du 20 décembre 1852, qui stipulait que la poursuite des offenses faites contre un souverain étranger ne pouvait avoir lieu que sur la demande de ce souverain, je n'ai pu changer d'opinion, lorsqu'il ne m'a pas été démontré à l'évidence, qu'il faille, nécessairement, aujourd'hui, modifier le système adopté en 1853 qui ne paraît avoir donné lieu à aucun inconvénient ; je n'ai donc pu donner un vote favorable au projet de loi, n'étant, d'ailleurs, pas très disposé en faveur des lois qui, plus ou moins, sont exceptionnelles et de circonstance. Comme cependant des motifs politiques peuvent, dans certains cas, plaider en faveur de la poursuite d'office, je n'ai pas voulu voter contre ; j'ai préféré m'abstenir.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, j'ai adopté les douze premiers articles de la loi, mais la nécessité d'abroger l'article 3 de la loi du 20 décembre 1852 ne m'étant pas démontrée, je n'ai pu voter l'ensemble de la loi.

M. Orts. - Messieurs, j'approuve les articles principaux de cette loi, j'approuve encore, et je suis heureux de pouvoir approuver, sans rien renier de mon passé, la disposition qui substitue la poursuite d'office à la poursuite sur la plainte du souverain offensé. Mais je n'ai pas voté pour la loi parce que, après mûr examen, surtout après les discours qui ont caractérisé le début de cette discussion, il m'a semblé qu'on attachait au vote sur l'article 13 du projet actuel une approbation implicite de la loi de 1852. J'ai combattu cette loi et je la combattrais encore aujourd'hui par des motifs beaucoup plus graves que ceux qui font opter pour la poursuite d'office ou la poursuite sur plainte.

M. Vanden Stichelen. - Je me suis abstenu par les même motifs que M. Lebeau.

Projet de loi portant dégrèvement des péages sur le canal de Charleroi

Développements

M. J. Jouret. - Messieurs, la question ne dégrèvement de péages sur le canal de Charleroi dont mes honorables collègues MM. de Naeyer, Manilius, Ansiau, Prévinaire, Thiéfry, de Paul, de Moor, Coomans, Wanderpepen, Faignart, de Boe, Jacquemyns, de Portemont, de Bast, Saeyman et moi, avons saisi la Chambre, date de l'époque de la reprise de la commission par l’État en 1842.

A plusieurs reprises elle fut l'objet de discussions importantes au sein de cette Chambre, et notamment en décembre 1847, lors de la discussion du budget des voies et moyens de l'exercice 1848.

Ces discussions étaient demeurées sans résultat, lorsque des pétitions nombreuses, couvertes d'une infinité de signatures, et témoignant de l'extrême désir qu'avaient les intéressés qu'il y fût fait justice, furent adressées à la Chambre. Elles furent analysées dans la séance de la Chambre du 19 décembre 1855.

Ce fut notre honorable collègue, M. Vander Donckt, qui fit le rapport de ces pétitions dans la séance du 22 février 1856.

Après discussion, le renvoi de toutes ces pétitions à MM. les ministres des finances et des travaux publics, avec demande d'explications, fut ordonné.

MM. les ministres adressèrent ces explications à la Chambre le 22 avril suivant.

Dans la séance du 29 avril, à l'occasion de la discussion du budget des travaux publics, MM. de Steenhault, Faignart et Osy demandèrent que la Chambre s'occupât de cette question, en même temps que des diverses questions de travaux publics, comme en 1851, et l'honorable M. Osy demanda à M. le ministre des travaux publics s'il n'avait pas l'intention de prendre l'initiative d'une proposition à cet égard.

La réponse ayant été négative, MM. de Steenhault, Osy, Ansiau, Faignart, Manilius, Matthieu et Van Cromphout, usant de leur droit d'initiative parlementaire, déposèrent, le 1er mai 1856, une proposition de loi absolument conforme à celle que mes honorables collègues et moi avons déposée dans la séance du 19 courant.

le lendemain, M. de Steenhault développa la proposition, qui fut prise en considération et renvoyée à l'examen des sections.

Les sections et la section centrale l'accueillirent favorablement, et le 24 mars 1857 M. de Steenhault déposa sur le bureau le rapport de la section centrale qui conclut à l'adoption du projet par trois voix et trois abstentions.

Comme vous le voyez, messieurs, ce projet de loi qui a son origine dans un pétitionnement très considérable, appuyé vivement par les organes les plus importants de la presse dans la capitale et dans notre métropole commerciale, avait reçu une instruction complète, et tout faisait espérer qu'il aurait pu être discuté et adopté par la Chambre sans autre retard, lorsque la dissolution est venue le frapper de nullité comme tous les autres projets de loi pendants devant elle.

C'est un projet de loi conçu dans des termes absolument identiques que nous avons l'honneur de présenter à la Chambre.

MM. les anciens membres de la Chambre se rappelleront, sans doute, les développements lumineux présentés par M.de Steenhault dans la séance du 2 mai 1856.

II me semble que, pour donner aux membres nouveaux de la Chambre une idée complète des questions compliquées et difficiles que soulève le projet de loi, je ne puis mieux faire que de reproduire ces développements et d'en donner lecture à la Chambre. Ils ne sont pas très étendus.

Il me suffira pour compléter cette sorte d'exposé de motifs de joindre à ces développements quelques considérations nécessitées par les faits nouveaux qui se sont produits dans la question.

« Messieurs, la question que vous êtes appelés à résoudre par la proposition de loi que nous avons eu l'honneur de présenter à votre approbation est simple et claire. Elle se résume en une question de justice d'abord, et nous croyons pouvoir ajouter d'intérêt public.

« Le canal de Charleroi comprend un parcours total de 15 lieues. Les charbons de Charleroi expédiés sur Bruxelles le traversent dans toute son étendue ; ceux du Centre y entrent à Seneffe et n'en parcourent, par conséquent dans la même direction, qu'environ les huit quinzièmes.

« Le tarif de navigation est uniforme dans la direction de Bruxelles, c'est-à-dire que les bateaux venant du Centre acquittent la totalité du droit, fixé à 2 fr. par tonne, tout comme ceux qui partent de Charleroi. En d'autres termes, tous les charbons, par une fiction du tarif, partent de Charleroi.

« Dans la direction de cette dernière localité, l'assimilation n'existe plus, l'anomalie devient plus flagrante encore ; le bateau partant du Centre pour Charleroi acquitte un droit proportionnel et calculé à raison du parcours. Le péage disparaît quand, de Charleroi, le batelier se dirige vers le Centre.

« Il résulte de cette tarification inouïe que les charbons du Centre, acquittant comme ceux de Charleroi un droit fixe de 2 fr., payent 80 centimes de plus par tonne qu'ils ne devraient payer, si le droit était établi à raison du service rendu.

« Ce n'est donc, en réalité, qu'une surtaxe déguisée.

« Dans la direction de Charleroi, les marchandises expédiées du Centre vers Charleroi sout soumises à un droit calculé à raison des six lieues parcourues, tandis que celles venant de Charleroi et se dirigeant sur Seneffe sont exemptes de toute taxe.

« C'est là, messieurs, l'état de choses fidèlement exposé ; rassuré sur l'impression qu'il doit faire sur vos esprits, nous le livrons, sans commentaires, à votre appréciation.

« Le projet de loi que nous avons l'honneur de vous soumettre a pour but de faire cesser les injustices que je viens de vous signaler, et de mettre les choses dans leur état normal, en laissant à chacun la liberté des transactions, en abandonnant producteurs et consommateurs aux avantages comme aux désavantages de leur position topographique respective.,

« Ce principe de liberté, qui paraît de plus en plus devoir dominer toutes les questions qui touchent à l'industrie, nous avons cru pouvoir l'appliquer ici, avec d'autant plus de raison et d'opportunité, que l'industrie houillère jouit d'une prospérité sans égale, et qu'il s'agit d'un objet de consommation de première nécessité, et dont le haut prix frappe surtout les classes peu aisées de la société.

« L'inefficacité de la libre entrée des houilles anglaises, et de l'abolition-du dégrèvement des 75 p. c. dont jouissaient nos produits exportés en Hollande, vient singulièrement à d'appui de cette dernière considération.

« La progression constante de la consommation du charbon rend peu probable une diminution dans les prix à la fosse ; ce n'est que par l'abaissement des frais de transport que nous pouvons espérer de (page 353) suppléer à ce renchérissement et de mettre ce combustible plus à la portée de nos populations pauvres.

« Les motifs sur lesquels je viens d'appeler votre attention, sont assez puissants par eux-mêmes, pour que nous eussions pu nous borner à ce simple exposé, si les explications données par MM. les ministres des finances et des travaux publics n'étaient venues nécessiter quelques développements plus étendus.

« Le principe de la tarification actuelle date de la création du canal lui-même, en 1826. A cette époque, nous le reconnaissons volontiers, le péage uniforme pouvait avoir sa raison d'être, pouvait constituer une des conditions essentielles de son établissement.

« En 1826, messieurs, l'industrie charbonnière était encore dans l'enfance relativement à ce qu'elle est aujourd'hui, les capitaux ne s'y engageaient qu'avec une extrême réserve. Il importait alors de sauver les différents bassins de la concurrence qu'ils se seraient faite entre eux, et qui devait, nécessairement avoir pour résultat d'écraser ceux qui ne se seraient pas trouvés dais des conditions égales de transport.

« Le Centre, plus rapproché de Bruxelles de six lieues, se serait emparé de tout le marché, et bientôt il ne serait resté qu'un seul bassin, au détriment de l'intérêt public.

a Le gouvernement de cette époque aurait manqué à tous ses devoirs s'il n'avait pas tenu compte de la situation exceptionnelle d'une industrie, à laquelle se rattache si intimement la prospérité du pays tout entier.

« Mais, ce monopole si fort à craindre, en 1826, est-il encore à redouter aujourd'hui, que toutes les forces réunies de cette industrie suffisent à peine aux besoins du pays et de l'exportation ?

« Cette concurrence serait-elle surtout à craindre ici pour les deux bassins qui nous occupent, quand ils se sont, chacun de son côté, créé des débouchés complètement séparés, quand sur un total d'environ 700,000 tonnes expédiées pour Bruxelles et le Nord, c'est à peine si 170,000 appartiennent à Charleroi qui, à son tour, s'est emparé d'une part considérable du marché français, et avec un succès tel, qu'il est obligé de venir emprunter au Centre pour les besoins de son industrie métallurgique.

« Le silence gardé par les industriels du bassin de Charleroi est, du reste, la meilleure preuve du peu d'importance que désormais ils attachent à cette question de péage, car on ne pourrait raisonnablement croire que cette industrie charbonnière, toujours si prompte à s'émouvoir, serait restée spectatrice muette d'un danger qui serait des plus sérieux s'il était réel.

« Les motifs d'intérêt public qui pouvaient donc exister lors de la création du canal ne pourraient plus être invoqués ; ils sont sans valeur aujourd'hui.

« Le temps a complètement modifié la situation. Ce qui pouvait être fondé en 1826, ne peut plus qu'être absurde en 1856. L'intérêt public a changé de face. Ce n'est plus le producteur, ou plutôt l'industrie, qui demande à être protégée contre elle-même, c'est le consommateur, qui, à son tour, et à bon droit, vient demander, nous ne dirons pas d'être protégé, mais d'être relevé de la véritable expropriation journalièrement exercée contre lui, et à laquelle les nécessités seules du moment ont pu le faire tacitement consentir.

« L'abaissement du tarif leur donnera-t-il satisfaction, aura-t-il une influence telle, que les consommateurs ont un intérêt réel à l'abolition de la surtaxe !

« Nous n'en doutons pas, messieurs, et c'est sans hésitation que notre réponse est affirmative.

« Prétendre le contraire nous paraît impossible en présence des faits qui tous les jours s'accumulent pour prouver l'importance que l’on attache au raccourcissement des distances et à l’abaissement des frais de transport.

« Si cette diminution des frais de transport était sans, influence, stérile au point de vue du consommateur, pourquoi donc le gouvernement concéderait-il des lignes de chemin de fer qui nuisent à son railway et qui n'ont qu'un raccourcissement pour but ?

« Pourquoi le .chemin de fer de Bruxelles à Gand ? Pourquoi celui de Luttre à Denderleeuw, de Bruxelles à Namur, de Mons à Manage, de Bruxelles à Louvain ?

« Pourquoi donc le gouvernement les concéderait-il si ce n'est parce qu'il sait bien qu'au point où en est arrivée l'industrie, la question du transport prime, en quelque sorte, toutes les autres ?

« Ce serait vouloir constater une exception d'ailleurs impossible que de prétendre que les marchandises, dont le transport s’effectue par le canal de Charleroi, ne sont pas soumises à cette loi générale et ne subissent pas l'influence du prix de transport.

« Il est, du reste, à remarquer, messieurs, que le producteur est, quoi qu'on en dise, désintéressé dans la question. Il vend, lui, sur le carreau de la fosse à un prix déterminé. Les frais de transport ne le concernent pas et sont indépendants de son prix de vente.

« Il y a donc deux choses dans le prix du charbon. Le prix d'achat et le prix du transport ; si l'un est essentiellement mobile et dépend de l'offre et de la demande, l'autre est fixe quant aux droits, et doit nécessairement et toujours peser de tout son poids sur la marchandise arrivée à destination.

« Cette majoration dans les prix, et qui doit être le résultat de la surtaxe que nous voulons faire disparaître, s'élève, pour Bruxelles et le Nord, a environ 400,000 fr., que le gouvernement prélève injustement sur le consommateur. Ce n'est donc pas pour ce dernier un objet de minime importance.

« La perte que devra subir le trésor, pendant quelque temps au moins, n'a pu, messieurs, échapper à notre attention et nous avons dû nous en préoccuper, avec d'autant plus de raison, que c'est une des considérations sur lesquelles MM. les ministres s'appuient le plus pour s'opposer à notre proposition.

« Nous ne croirons cependant jamais, messieurs, que l'intérêt du trésor puisse sérieusement être invoqué, en faveur du maintien d'une iniquité ; nous ne pensons pas qu'on puisse subordonner une question de justice, de moralité gouvernementale, à une question d'argent, et vous-mêmes, messieurs, vous n'admettrez jamais quels que soient d’ailleurs les besoins du trésor, qu'il y soit pourvu, à l'aide d'une fiction, d'une exception qui est d'autant plus arbitraire qu'elle constitue un système qui ne frappe qu'une partie de nos concitoyens ; car veuillez bien le remarquer messieurs, le canal de Charleroi est la seule voie de navigable qui soit encore soumise à un tarif uniforme. En France, cette tarification antérieurement admise pour quelques canaux, a été changée depuis 1836.

« La perte éventuelle à subir par le trésor, en admettant même, ce qui n'est pas, qu'elle dût être considérable, ne justifierait pas le maintien de l'état de choses actuel ; le gouvernement serait d'ailleurs peu fondé à nous opposer cette objection, et à se retrancher derrière cette fin de non-recevoir, car, si cette perte doit exister, elle ne peut être que passagère, elle n'est ni définitive ni irréparable, et beaucoup moins encore sans compensation.

« S'il est vrai que l'abolition de la surtaxe de 80 centimes par tonne fera baisser la recette, il est également incontestable que la réduction du péage déterminera un accroissement dans la consommation, et, par un supplément de trafic, un accroissement dans la recette.

» Nous verrons se reproduire ici ce qui a lieu chaque fois que des péages sont abaissés.

« Le trafic sur nos chemins de fer n'a-t-il pas pris une extension considérable sous l'influence de la réduction des tarifs ?

« Notre réforme postale et la prospérité de la compagnie du Nord, en France, prospérité due au bas prix de ses tarifs, ne sont-ils pas des précédents bien faits pour nous rassurer ?

« Et pour citer un fait concluant n'avons-nous pas l'exemple du canal de Charleroi lui-même ?

« Son produit en 1847, était de 1,655,000 francs, chiffre rond, réduit en 1849 à 1,080,000 francs ; par suite de l'abaissement de 35 p. c., il s'est bientôt relevé et atteignait 1,400,000 francs en 1855.

« La suppression de la surtaxe n'aurait-elle, d’ailleurs, pour résultat qu'un déplacement des transports du chemin de fer vers le canal, que nous devrions encore nous en féliciter et considérer et résultat comme fort avantageux.

« Notre matériel du chemin de fer étant insuffisant, celui qui devient disponible est un capital créé sans dépense. S'il est vrai de dire que l’État ne peut que l'employer, soit d'une manière ou d'une autre, il est clair aussi que les waggons rendus disponibles, et qu'on peut évaluer à 400, si tout le transport des charbons passait entre les mains du batelage, il est clair aussi, disons-nous, que ces waggons constituent une dépense en moins sur le matériel que l’État doit se faire construire.

« Ce matériel pouvant servir à des transports d'un tarif plus élevé que celui des charbons, il en résulte pour l’État, en capital et en produit, une double compensation à la perte qu'il subirait du chef de l'abolition de la surtaxe.

Quant à la question du maintien d'équilibre entre les divers centres industriels, elle est sauve, nous n'avons pas à nous en préoccuper. La question du péage du canal de Charleroi est une question spéciale aux deux bassins du Centre et de Charleroi. Nous avons démontré qu'elle est aujourd'hui sans intérêt pour ce dernier bassin ; il est superflu de dire que les autres centres industriels du pays n'ont rien à voir dans cette affaire.

» Si l'égalité des conditions de transports était encore une condition absolue de l'équilibre entre ces deux bassins, il eût été nécessaire et logique en même temps d'étendre ce système à toutes les voies de communication.

« Vous n'en avez rien fait, messieurs, les péages de toutes les autres voies de communications sont établis par distance.

« Vous avez donc préjugé la question, vous l'avez résolue dans notre sens, et vous avez bien fait, car Charleroi n'a pas décliné, sa prospérité n'a été qu'en progressant.

« Ces diverses considérations prouvent, à l'évidence, que la pondération des intérêts n'est plus qu'un prétexté, que l'intérêt du trésor seul est en jeu.

« Le soin, de cet intérêt, justifiable, sans doute, quand il ne blesse ni la justice ni le bon droit, ne l'est plus quand il repose sur une iniquité.

« Ce n'est donc pas sans raison, messieurs, que nous avons cru pouvoir vous proposer la suppression d'une taxe illogique, arbitraire, et dont le principe admis mettrait toutes les fortunes privées à la merci des besoins du gouvernement. »

Voilà, messieurs, les développements qui accompagnaient le projet de loi déposé en 1856 ; je crois qu'ils sont de nature à jeter la conviction dans tous les esprits.

Et, veuillez-le remarquer, messieurs, cette question est tellement juste, (page 354), si évidemment fondée que, comme vous venez de l'entendre dans les développements que je viens de lire, non seulement les industriels du bassin de Charleroi ont, toutes les fois que la question a été agitée dans cette Chambre, gardé un silence éloquent et significatif, mais même dès le rapport des pétitions fait par M. Vander Donckt, M. Dechamps lui-même, qui avait à défendre les intérêts du bassin de Charleroi, était forcé de donner son adhésion à la mesure en termes exprès.

« L'anomalie, disait M. Dechamps, dont le bassin du Centre et les consommateurs se plaignent à bon droit, devra être redressée. Le principe des péages par distance, qu'on veut faire prévaloir, est celui que j'ai constamment défendu à cette tribune. J'appuie donc le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics. »

Je dois à la vérité de déclarer pourtant qu'en même temps M. Dechamps prétendait que le principe dont les pétitionnaires demandaient l'application, impliquait la réforme générale de notre système de péages, et qu'il était impossible d'en vouloir une application partielle.

Il est inutile de faire observer, à cet égard, que la réforme générale de notre système des péages sur toutes nos voies navigables, canaux, rivières canalisées, fleuves et rivières non canalisées, une sorte d'équilibre raisonné entre ces péages, constituera, si jamais on la tente, une œuvre extrêmement compliquée, hérissée d'embarras, et difficile à mener à bonne fin.

Y aurait-il justice à reporter à des temps incertains et que, peut-être, nous ne verrons jamais, la réparation d'une iniquité révoltante, qui est une affaire toute spéciale entre les bassins de Charleroi et du Centre et qui intéresse au plus haut point les consommateurs desservis par l'un de ces bassins ? Je ne puis le croire.

Rien de plus facile que le redressement du grief que nous signalons.

II s'agit ici d'une seule voie navigable ; deux bassins y abordent. On demande que leurs transports payent une taxe proportionnelle au parcours qu'ils effectuent, c'est clair et simple.

Il me semble que la justice et la logique exigent que l'on commence par donner satisfaction à nos justes doléances et, si ensuite, une réforme générale de notre système des péages est réellement praticable le Centre s'y conformera de grand cœur, au même titre que toutes les autres parties intéressées du pays.

Nous le répétons, et cela a, du reste, été démontré dans les développements dont j'ai donné lecture tout à l'heure, l'abolition de cette surtaxe n'entraînera qu'une perte minime et momentanée pour le trésor. Un tableau des produits du canal de Charleroi avant et depuis la réduction des péages, que j'ai entre les mains, le prouve avec une logique irréfragable, celle des chiffres.

(Note du webmaster : suit le tableau des produits du canal de Charleroi de 1839 à 1855, non repris dans cette version numérisée)

Mais, messieurs, il y a pour décider le gouvernement non seulement à ne pas s'opposer à cette mesure, mais à en prendre lui-même l'initative des raisons de la plus haute importance.

On ne doit pas perdre de vue, et là est la question, lorsqu'on se met au seul point de vue du trésor, que de nombreux concurrents redoutables sont entrés en lice et menacent tout à la fois et le canal de Charleroi et le chemin de fer de l’État.

Nous voulons parler des chemins de fer concédés de Charleroi à Louvain, de Manage à Wavre et à Bruxelles et de Dendre-et-Waes.

Ce sont eux qui apportent l'argument le plus décisif, le plus péremptoire, aux partisans de l'abolition de la surtaxe.

C'est en face des faits et des résultats produits par la mise en exploitation de ces chemins de fer qu'éclate dans toute son évidence, l'urgence même de cette mesure, que nous proclamons d'ailleurs réparatrice.

Ici encore les faits et les chiffres sont d'une éloquence à laquelle on essayerait en vain de se soustraire.

Le chemin de fer de l’État enlève environ 250,000 tonnes de la station de Manage.

Ce chiffre comprend environ 90,000 tonnes destinées à compléter ce que l'approvisionnement de Bruxelles ne se procure pas par le canal. Il résulte de renseignements qu'on peut considérer comme authentiques que le chemin de fer de Manage à Wavre a transporté à Bruxelles à la station du Luxembourg en 1855 6,600 tonnes chiffre rond, en 1856 23,500, et en 1857 39,500 tonnes ; et un déficit proportionnel et correspondant à ces transports, a été constaté dans les expéditions du chemin de fer de l’État pendant les mêmes années.

II est évident, dès lors, que ce déficit provient de la concurrence que lui a faite le chemin de fer de Manage à Wavre, puisqu'il a transporté à peu près ce qui a manqué aux arrivages à la station du Midi, pour atteindre au chiffre de 90,000 tonnes de 1854.

Si l'on considère que cette voie n'est en exploitation que depuis le mois de septembre 1855, on est conduit à dire que si, dès la seconde année elle a enlevé à peu près la moitié des transports à l’État, elle aura avant peu d'années, accaparé le reste, au grand préjudice du trésor.

Ce fait est très important et il est destiné à prendre de plus larges proportions encore.

Les charbons de Charleroi en destination de Bruxelles auront un plus grand avantage encore à utiliser la ligne de Bruxelles à Charleroi, de préférence à celle de l’État et au canal.

Qu'on ajoute à cette situation la préférence marquée des négociants et des consommateurs pour les charbons arrivant par waggons, préférence d'ailleurs justifiée et parfaitement expliquée ; la facilité incontestable qui résulte pour Bruxelles de l'arrivée des charbons dans le haut de la ville ; les efforts que fait la compagnie du Luxembourg pour attirer les transports à son chemin de fer et enfin les avantages qu'elle procure aux consommateurs par l'établissement d'agences pour la vente des charbons, et, qu'on se demande alors si, en présence de ces faits, de cette concurrence inévitable, de ces causes permanentes de décroissance pour les revenus du canal de Charleroi, causes inhérentes, en définitive, à l'élévation du tarif et que le gouvernement n'a jamais ignorées, qu'on se demande alors si une surtaxe n'est pas la plus illogique comme la plus désastreuse des tarifications ?

Il est donc certain, si les choses restaient sur le pied actue1, que le chemin de fer de Charleroi à Louvain, celui de Manage à Wavre, et celui de Dendre-et-Waes accapareraient les transports que fait aujourd'hui l’État par l'une et l'autre de ses voies.

Cette perspective est peu rassurante pour le trésor. Les résultats qu'elle présage peuvent cependant être conjurés ; il suffira, pour cela, d'adopter le projet de loi que nous avons eu l'honneur de présenter à la Chambre.

Les charbons du Centre pourront alors prendre de préférence la voie d'eau, et les transports, que le chemin de fer de l’État peut voir se détourner définitivement de lui, lui seront assurés pour longtemps.

Il demeure donc démontré que ce n'est plus aujourd'hui l'intérêt des consommateurs seuls qui réclame l'abolition de la taxe différentielle, ce ne sont plus d'uniques considérations d'équité ou de justice distributive, l'intérêt du trésor, qui à son tour l'exige ; c'est le faisceau de ce triple intérêt, accusé par l'évidence des faits, qui exige cette mesure de réparation d'abord, d'intérêt public ensuite.

Enfin, messieurs, il faut remarquer, comme nous l'avons dit déjà, que le bassin du Centre expédie chaque année plus de 500,000 tonnes de charbon qui alimentent surtout les foyers domestiques ; et si chaque tonne était dégrevée de la surtaxe injuste de 80 centimes qui la frappe, ce serait une somme de 400,000 fr. laissée aux consommateurs et principalement à ceux dont les ressources sont les plus restreintes et qui ont le plus de peine à vivre. Et nous avons prouvé, je crois, que ce dégrèvement se résoudra, en définitive, en une consommation plus grande, partant en bien-être pour le consommateur, et, comme conséquence, en augmentation de trafic, ainsi que de produit, qui fera disparaître en peu de temps le léger sacrifice que l’État aura pu s'imposer momentanément.

Messieurs, dans un pays comme le nôtre où, à l'aide de l'élan irrésistible que. nos libres institutions donnent au développement de tous les intérêts matériels aussi bien que moraux, la richesse se produit avec abondance et rapidité, et où les conditions de sa production tendent incessamment à la concentrer, il est du devoir du législateur de chercher et de saisir toutes les occasions qui s'offrent à lui de donner satisfaction à cette partie essentielle du problème de la production de la richesse, sa bonne et saine distribution. Quel moyen de diffusion plus légitime, plus sacré, plus sain, pourrait jamais s'offrir à vous ?

C'est parce que le projet de loi, qui du reste fera disparaître une révoltante iniquité, a ce caractère marqué d'être principalement utile aux consommateurs pauvres, qu'il y a tout lieu de croire que la Chambre l'adoptera avec empressement.

Quelle mesure a été prise, au milieu des temps difficiles que nous avons récemment traversés, qui ait produit le résultat que nous venons de signaler ? Nous doutons qu'on puisse la citer, et cependant, nous le répétons, elle pourra être décrétée sans nuire à qui que ce soit, et sans compromettre d'une manière sérieuse les revenus du trésor.

Messieurs, il y a quelques jours à peine que, dans une requête présentée à la Chambre, des négociants en charbons et propriétaires de bateaux à Bruxelles, ont demandé une nouvelle réduction des péages sur le canal de Charleroi, en général.

Cette requête a été renvoyée à la commission permanente d'industrie, qui, par l'organe de l'honorable M. Sabatier, a fait un rapport à la Chambre qui va être discuté. Les intéressés producteurs du Centre et consommateurs ne peuvent que donner leur adhésion la plus complète aux conclusions de ce rapport. Plus que qui que ce soit au monde, ils ont intérêt à ce que les péages soient aussi bas que possible sur le canal de Charleroi qui est la voie la plus importante qu'ils possèdent, les uns pour l'écoulement de leurs produits et les autres pour les recevoir à bon marché. Seulement, quelle que puisse être la réduction de ces péages, ils demanderont toujours, avec autant de justice que de raison, que l'on fasse disparaître la surtaxe inique dont ils souffrent depuis si longtemps, (page 355) et qu'ils soient enfin admis à ne payer que conformément aux distances parcourues.

Prise en considération

M. Pirmez. - Je ne viens pas, messieurs, m'opposer à la prise en considération. Vous avez compris que la proposition fait revivre un vieux procès entre le bassin charbonnier du Centre et le bassin charbonnier de Charleroi.

M. Jouret est le représentant naturel des intérêts du Centre comme nous sommes, mes collègues de Charleroi et moi, plus spécialement chargés de la défense des intérêts du second de ces bassins. Nous avons assez de confiance dans notre cause pour ne pas craindre la discussion approfondie, c'est pourquoi nous ne nous opposons pas à la prise en considération. Mais nous nous réservons de combattre la proposition de loi lorsque le moment en sera venu.

- La proposition est prise en considération et renvoyée à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 heures et demie.