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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 mars 1858

Séance du 26 mars 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 568) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Crombez donne lecture du procès-verbal de lu séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Henri Van Rhiel, forgeron, à Anvers, né à Standaardbuiten (Pays-Bas), Louis Van Rhiel, brodeur en or, Jean-François et Henri-Joseph Van Rhiel, forgerons, nés et demeurant à Anvers, demandent la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants de Cul-des-Sarts demandent la réforme de la loi sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires. »

« Par trois pétitions des habitants de Marilles, Opoeteren et Otrange font la même demande. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des instituteurs du canton de Neufchâteau prient la Chambre d'améliorer leur position. »

M. de Moor. - Je prie la Chambre de vouloir bien renvoyer cette pétition à la commission avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« La commission centrale de statistique adresse à la Chambre 110 exemplaires du tome VII de son Bulletin. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1859

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget de la dette publique pour l'exercice 1859.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis en tête de l'ordre du jour de la séance du 13 avril.

Prompts rapports sur des pétitions

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du rapport sur les pétitions demandant la réforme des lois sur la milice.

M. Vander Donckt. - Le premier objet à l'ordre du jour est le rapport sur les pétitions renvoyées à la commission avec demande de prompt rapport.

La discussion du rapport sur la milice doit venir en second ordre.

M. le président. - Il a été décidé hier qu'on commencerait par la discussion du prompt rapport sur les pétitions relatives à. la milice. La Chambre entend-elle maintenir sa décision d'hier ?

- Un grand nombre de voix. - Oui ! oui !

M. de Renesse. - Messieurs la nécessité de la révision de nos anciennes si défectueuses lois de milice, a été soutenue à plusieurs reprises depuis 1848, non seulement dans cette enceinte par d'honorables représentants siégeant des deux côtés de la Chambre, mais aussi par plusieurs organes de la presse et par des brochures livrées à la publicité ; entre autres, par celle de notre honorable collègue et ami, Vandenpeereboom, qui, dans les différentes hautes positions administratives qu'il a occupées, a pu, en connaissance de cause, juger du vice réel de notre législation sur la milice et des plaintes nombreuses qu'elle occasionnait parfois dans son application. Ce n'est donc pas une question neuve qui se présente itérativement devant la Chambre ; elle ne doit pas être considérée comme ayant été suscitée actuellement par un certain esprit de parti, lorsque déjà sous le précédent ministère, où l'élément catholique conservateur était dominant, le pétitionnement avait pris un assez grand développement et que nous voyons encore aujourd'hui quelques grands journaux de ce parti repousser toute réforme essentielle à la loi du recrutement.

L'on ne pourra, certes, prétendre que jusqu'ici, le gouvernement se soit conformé aux prescriptions si formelles de la Constitution qui, d'après son article 118, stipule : « que le mode de recrutement doit être déterminé par la loi, » et d'après l’article 139, déclare qu'il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées et dans le plus court délai possible aux objets suivants : entre autres n°10 à l'organisation de l'armée.

Jusqu'à présent, l'on n'a satisfait à cette dernière prescription de notre pacte fondamental que pour la partie de cette organisation qui a un rapport plus direct aux cadres des officiers, à leur position, à leur avancement, à leur retraite, et l'on ne s'est guère occupé du soldat milicien que pour aggraver la durée de son service militaire de 5 à 8 années.

Il était cependant obligatoire, pour le gouvernement, de s'occuper du mode de recrutement de l'armée qui doit former la base essentielle de sa bonne et économique composition ; il était, d'ailleurs, si bien entendu par le Congrès, que l'on devait, à bref délai, revoir et réformer les lois du recrutement que l'honorable rapporteur du titre V., De la force publique, disait dans son rapport : « que, dans le cadre étroit d'une constitution, l'on ne pouvait faire figurer tout ce qui concerne le mode de recrutement de l'armée, ni tout ce qui est relatif à la garde civique. Ces détails doivent être nécessairement abandonnés à des lois particulières qui développeront, dans leur application, les principes fondamentaux, posés par la Constitution. »

L'on ne peut donc, sans commettre un véritable déni de justice, repousser actuellement, par une fin de non-recevoir, les très nombreuses réclamations adressées à la Chambre, pour la réforme de nos anciennes lois de milice ; l'on ne peut soutenir, avec une certaine raison, que tout ce qui a rapport à la loi du recrutement serait pour le mieux, qu'il n'y aurait rien à faire ni à changer.

Les partisans de cette réforme, de toutes les opinions du pays, d'après les pétitions adressées, surtout en très grand nombre, par les provinces wallonnes et les plus industrielles, peuvent et doivent invoquer avec fondement les grands principes inscrits dans notre loi constitutionnelle qui, d'après son article 6, déclare les Belges égaux devant la loi, et d'après l'article 112, qu'il ne peut être établi de privilège en matière d'impôt.

Cette égalité des Belges devant la loi n'existe réellement pas aujourd'hui, puisque les uns, peu favorisés de la fortune, doivent servir militairement sans compensation aucune si le sort les désigne, tandis que d'autres, qui ont les ressources nécessaires, peuvent se faire remplacer ou substituer et s'exempter ainsi d'un impôt personnel qui est le plus lourd de toutes les charges publiques ; c'est donc un véritable privilège dont jouissent ceux de nos concitoyens qui ont le bonheur d'avoir une certaine aisance, de pouvoir presque toujours se libérer du service de la milice ; est-ce là l'égalité devant la loi ? Je ne pense pas que l'on puisse le soutenir avec quelque raison. Les modifications réclamés à nos lois de milice reposent donc sur les principes posés dans notre Constitution, en outre, sur l'obscurité de cette partie de notre législation, sur ce que déjà, à plusieurs reprises, il a fallu voter des lois interprétatives, et pour pouvoir établir une certaine uniformité dans les décisions en affaires de milice, prises par les députations permanentes qui jugeaient en dernier ressort toutes les contestations, l'on a dû, par la loi du 18 juin 1849, conférer à la cour de cassation la connaissance de toutes les fausses applications de ces lois qui sont, d'ailleurs, si incohérentes et si diffuses, qu'il a fallu recourir à de très nombreuses décisions ministérielles pour leur interprétation.

Cependant, d'après l'article 28 de notre pacte fondamental, l'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'au pouvoir législatif.

Avant la loi de 1841, le service militaire n'avait été fixé par la loi de 1817 qu'à cinq années ; depuis il a été porté à huit années, et même, par le projet de révision présenté le 19 février 1853, la durée de ce service devait être de dix ans ; il ne doit donc pas paraître étonnant que les populations des campagnes, qui se trouvent plus particulièrement frappées par cette aggravation de ce lourd impôt personnel, mais aussi par les charges pécuniaires que les parents des miliciens ont à supporter pour le remboursement des dettes de la masse d'habillement, si leurs fils sont envoyés en congé temporaire ou définitif, viennent réclamer des modifications essentielles à nos lois de milice ; et tous ceux qui ont des relations suivies .avec nos agriculteurs ont pu se convaincre que leurs réclamations sont très fondées, parce que le service de la milice enlève chaque année une assez forte partie de jeunes ouvriers agricoles, sans compensation aucune, lorsque déjà l'on se plaint généralement de la pénurie de ces ouvriers pour activer les travaux de la récolte ; surtout que depuis plusieurs années beaucoup d'ouvriers campagnards vont ou travailler à l'étranger ou trouvent un travail mieux rémunéré auprès de nos grandes industries et dans les grands travaux publics.

Je n'examinerai pas tous les différents systèmes qui ont été présentés jusqu'ici, ni tous les changements à apporter à nos lois de milice ; car c'est plus particulièrement au gouvernement à faire étudier toutes les grandes questions qui intéressent cette partie de notre économie sociale, et à soumettre aux Chambres législatives toutes les modifications qu'il croirait devoir y proposer.

Je crois, cependant, devoir déclarer qu'il ne paraît guère possible, dans un pays aussi industriel que le nôtre, de pouvoir former une armée, uniquement composée de volontaires ; le système le plus conforme à nos institutions libérales et à l'égalité devant la loi, sans privilège aucun, aurait dû être introduit en 1830, lors de notre régénération politique ; ce serait celui du service obligatoire de tous les citoyens indistinctement, sauf de rares exceptions, comme en Prusse ; mais actuellement il y a impossibilité d'établir un pareil système ; puisque déjà le service de la garde civique répugne à beaucoup de nos concitoyens ; il faudra donc rechercher un autre moyen de composer l'armée, en partie de volontaires, comme aujourd'hui, et en partie par ceux désignés par le sort ou autrement, sauf à leur accorder une compensation pécuniaire, pour leurs années de service effectif, et ainsi leur procurer un pécule qui pourrait contribuer à leur établissement, après leur sortie de l'armée ; toutefois, pour conserver une certaine proportionnalité, dans ce prix du rachat du service militaire, il faudrait, d'après mon opinion, que le taux en fût fixé, d'après un maximum et un minimum à déterminer, soit par la loi, soit par un arrêté royal, et qu'il fût (page 569) basé sur les contributions directes payées, soit par les miliciens qui voudraient se libérer ou par leurs parents.

Toutefois, le minimum du rachat du service de la milice ne devrait pas être trop élevé pour les fortunes moyennes.

Déjà, en -843, presque un pareil système avait été examiné par l'un de nos hommes d’État les plus distingués, l'honorable M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur ; ce ministre, ayant une grande connaissance pratique des affaires administratives, croyait qu'un tel système était praticable : « Cette institution (le système d'exonération), disait-il, honorerait le gouvernement belge, ce serait une idée nouvelle dont il doterait en Europe le système militaire. » Et plus tard, à la séance du 18 mars 1847, il développait, en sa qualité de représentant, un pareil projet auquel jusqu'ici aucune suite n’a été donnée.

Peu après, plusieurs de nos honorables collègues actuels, MM. de Decker, Malou, Coomans, Thiéfry. Ernest Vandenpeereboom et Loos, plus ou moins partisans d'un système d'exonération, à l'effet de procurer un pécule à chaque milicien servant personnellement, soumirent à l'appréciation de la Chambre une note contenant un projet de système d'exonération, servant de compensation au service personnel ; les dispositions de ce projet s'adaptaient à tous chiffres du contingent de l'armée ; à l'aide de quelques changements de détail, elles pouvaient prendre place dans le projet de la réforme présenté par le gouvernement à la séance du 19 février 1853, n°146.

Du reste, en citant le système d'organisation comme un moyen propre à améliorer la position des miliciens obligés de servir personnellement, et à leur procurer un pécule à leur sortie du service, je n'entends pas me prononcer définitivement sur ce système. Je désire seulement qu'il soit plus sérieusement examiné.

En 1851, l'honorable M. Rogier, en sa qualité de ministre de la guerre ad interim, reconnaissait lui-même, à la séance du Sénat, du 21 février, qu'il y avait nécessité de réformer nos lois de milice. Voici comme il s'exprimait alors :

« Je dis que la question qui concerne notre système de milice méritait à elle seule l'examen d'une commission spéciale, il y a beaucoup d'améliorations à introduire dans cette partie de notre législation ; ceux qui ont passé par les administrations provinciales en savent quelque chose. Ce n'est pas à dire que nous allons résoudre toutes les questions en quelques mois ; mais, je le déclare à l'avance, parmi les améliorations à introduire dans le système militaire, je place en première ligne le recrutement.

« Vous parliez tout à l'heure d'impôts, en voilà un qui a besoin de révision, et qui pèse bien lourdement sur les pauvres populations ; et viendrez-vous nous accuser de mauvais desseins, quand nous toucherons à cette base de notre armée, etc. ? »

Dans les instructions données en 1851, au comité mixte, institué pour la révision de la loi du recrutement, l'honorable ministre de l'intérieur, ayant toujours dans ses attributions l'intérim de la guerre, s'exprimait ainsi : « Le comité prendra pour guide cette pensée qu'il est désirable, au plus haut degré, que l’état militaire devienne, pour le simple soldat comme pour l'officier, une carrière honorable offrant des garanties d'avenir et des conditions de bien-être, et qu'un service que le milicien appelé sous les drapeaux peut regarder aujourd’hui avec raison, comme une charge très onéreuse et entachée d'injustice, soit répartie de la manière la plus équitable, soit sur l’universalité des citoyens, soit seulement de ceux qui, chaque année, sont appelés, par leur âge, au service éventuel de la milice.

« Il cherchera enfin si, tout en améliorant la position du soldat, il ne serait pas possible de trouver, dans le recrutement, des ressources pour alléger certaines dépenses affectées à l'armée, soit qu'elles appartiennent au budget de la guerre, soit qu'elles se rapportent au budget des pensions. (Voir le procès-verbal de la séance du comité, du 15 mars 1851.)

Ces paroles de l'honorable ministre de l'intérieur actuel, ainsi que ses instructions au comité ci-dessus indiqué, sont la critique la plus formelle, et constatent la défectuosité de nos anciennes lois de milice, et si M. le ministre, en 1831, ne voulait pas que l'on pût l'accuser de mauvais desseins, en touchant à la base de notre armée, c'est-à-dire, au recrutement, il ne doit pas non plus trouver mauvais qu'actuellement un très grand nombre de nos concitoyens partagent les opinions émises par l'honorable M. Rogier en 1851, et trouvent le mode de recrutement actuel très vicieux et surtout très onéreux pour nos populations pauvres.

Si, depuis plusieurs années, le gouvernement aussi bien que des membres de la législature ont reconnu la nécessité de la réforme de nos anciennes lois de milice, pourquoi les très nombreuses réclamations que nous recevons de toutes les provinces du royaume ne seraient-elles pas plus fondées aujourd'hui qu'alors ? Qu'est-ce qui a été changé depuis, pour améliorer ce vieux système du recrutement militaire, qui frappe toujours le pauvre désigné par le sort, et exempte le riche, parce que, à prix d'argent, il peut se racheter ce lourd impôt personnel ?

N'est-il pas de notre devoir dei nous conformer aux prescriptions si précises de notre Constitution, de nous occuper, sans trop tarder, de la révision de nos lois de milice !

Depuis 1830, nous avons cherché à améliorer la position morale, matérielle et hygiénique de nos nombreuses populations ouvrières, pourquoi ne tâcherait-on pas aussi de <rechercher les moyens de leur accorder une compensation pécuniaire, pour ceux d'entre eux qui, personnellement, doivent se soumettre au service de la milice ? Si cette grave question, sérieusement étudiée, pouvait obtenir une solution pratique, elle ferait le plus grand honneur au gouvernement d'un État libéralement constitué, dont les lois doivent avoir pour base tous les grands principes de liberté et d'égalité, et ne contenir de privilège pour personne, de manière qu'il y ait réellement égalité devant la loi, aussi bien pour le riche que pour le pauvre.

D'après les considérations que je viens d'émettre, sur la nécessité de faire droit à de justes et très nombreuses réclamations, venant de toutes les parties du pays, je crois devoir appuyer les conclusions de la commission des pétitions, dans l'espoir que le gouvernement examinera sérieusement toutes les questions importantes qui se rattachent à la réforme de nos anciennes lois, si défectueuses, de la milice, et, surtout, en ce qui a rapport à la charge si lourde du service personnel forcé pour ceux de nos concitoyens désignes par un fatal sort, et qui ne pourraient, faute de ressources suffisantes, se faire remplacer. J'ai dit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'on vient de rappeler les paroles que j'ai prononcées en 1851 au Sénat, l'on a rappelé aussi les idées que j'ai émises et les instructions que j'ai données lorsqu'il s'est agi de soumettre un avant-projet à la commission spéciale, chargée par le département de l'intérieur d'examiner les questions qui se rattachent au recrutement de l'armée.

Dans mes discours comme dans mes instructions, je me suis montré, comme je me montre encore aujourd'hui, favorable aux améliorations à introduire dans notre système de recrutement. Ces idées n'étaient pas nouvelles en 1851, je les avais largement développées en 1837, dans la discussion du budget de la guerre, sous le ministère de M. Willmar. J'émettais alors des idées que j'ai toujours professées depuis et que je serais heureux de pouvoir faire prévaloir dans la Chambre et dans l'administration générale.

Personne, messieurs, ne dira que la loi sur la milice soit de tous points irréprochable ; personne ne viendra soutenir qu'elle ne fasse peser des charges très lourdes sur une partie de la population.

Mais on exagère de beaucoup la gravité de ces charges et on ne tient pas assez compte des compensations que la loi sur la milice offre à ceux mêmes qui y sont soumis.

Si, messieurs, la loi sur la milice imposait des charges si accablantes, si elle était véritablement impopulaire dans le pays, comme on le dit, je m'étonne que ce sentiment de répulsion contre cette institution ait attendu l'année 1858 et l'impulsion d'un représentant pour se. manifester.

Nous avons traversé des époques où le pays tout entier était éveillé sur tous ses griefs, où il n'admettait pas de transaction, de composition quant à la réparation de ces griefs. Et pour remonter à 1830, époque où la milice pesait sur le pays d'une manière plus pénible peut-être par le mélange de nos diverses populations antipathiques ou inconnues les unes aux autres, en 1930, rappelez-vous-le, il n'y a pas eu de pétitionnement pour la suppression de la milice ; il n'y a pas eu de disposition prise par le gouvernement provisoire, qui était à la recherche en quelque sorte de tous les griefs, pour faire disparaître tout sujet de plaintes de la Belgique.

Dans le Congrès, il n'a pas été question non plus de modifier le mode d'actuel de recrutement ; et je cherche en vain des époques postérieures où ce système ait été combattu et condamné en principe.

Dans un pays libre comme le nôtre, messieurs, où beaucoup d'avantages sont assurés aux populations, où il y a des droits très nombreux et très importants, il faut aussi qu'on sache qu'il y a des charges en compensation, qu'il y des devoirs à remplir, et je voudrais que, du haut de cette tribune, quand on rappelle les droits de la nation, on lui rappelât aussi les charges et les devoirs qui lui incombent ; je voudrais qu’on lui rappelât que, pour la garantie même, pour le libre exercice de ces droits, il y a aussi des devoirs à pratiquer et à pratiquer avec résignation et courage.

Voilà, je crois, messieurs le rôle que nous aurions à remplir ; ce rôle serait beaucoup plus utile que celui qui consiste à jeter en quelque mots dans le pays la désaffection, la défiance de nos institutions.

Le service militaire est considéré de nos jours comme une charge ; autrefois il était regardé comme un droit, comme une prérogative, le droit, la prérogative, de porter les armes. Mais enfin j'admets que dans nos mœurs actuelles le service militaire soit devenu une charge. Comment faut-il la répartir ? Car personne ne viendra soutenir qu'un pays doit s'abandonner lui-même, et que son premier devoir n’est pas de se défendre avec résolution et efficacité. Eh bien, qui doit supporter cette charge ? Nécessairement, elle incombe à ceux qui sont capables de la porter, et ceux-là sont nécessairement réduits à un nombre assez restreint. Il faut d’abord déduire les femmes, les vieillards, les enfants, les impotents, de telle sorte que ce service, qui pèse sur un nombre restreint de citoyens, à la décharge de tous les autres, constitue une espèce d'inégalité, je le veux bien, mais elle est inévitable.

Quel est le nombre de ceux que nos lois désignent pour être soumis au service militaire ? Ils sont au nombre de 40,000 hommes. Chaque année il y a 40,000 citoyens belges inscrits, désignés pour le service militaire.

Pour que la charge fût égale, pour qu'il n'y eût pas de privilège, qu'il n'y eût pas de favorises, il faudrait que ces 40,000 hommes fussent tous appelés, fissent tous le service militaire. Mais nous arriverions en très peu de temps à une armée innombrable.

Mais dans ces 40,000 hommes, voici déjà que le privilège commence. On exempte les enfants uniques, ceux qui ont la vue plus ou moins (page 570) faible, ceux qui boitent plus ou moins, ceux qui n'ont pas la taille voulue. II y a déjà un grand nombre d'exemptions qui constituent, pour ceux qui en profitent, de véritables privilèges, de telle sorte que la charge, qui semble s'étendre à 40,000 hommes, se trouve en fait restreinte à moitié, ou à 22,000 hommes.

Ce sont donc 22,000 hommes qui sont appelés à supporter une charge qui devrait, en équité générale, peser sur le pays tout entier. Ces 22,000 hommes ne sont pas tous appelés au service, pourquoi ? Parce qu'on n'en a pas besoin.

Mais au fond et en principe, ils sont tous passibles du service ; et si les besoins de l’État l'exigeaient, le gouvernement pourrait appeler non pas les 40,000 hommes inscrits, parce qu'il y a là une impossibilité physique, mais les 22,000 hommes propres au service. Pourquoi n'appelle-t-il pas ces 22,000 hommes ? C'est parce que l’État n'en a pas besoin. Voudrait-on, par un esprit d'égalité outrée, forcer le gouvernement à appeler sous les armes plus d'hommes qu'il n'en a besoin ?

Il appelle une partie de ces 22,000 hommes et comment le fait-il ? On ne veut pas abandonner au caprice du pouvoir exécutif le choix de ces hommes, la faculté d’imposer le service à qui bon lui semble. Il a fallu éviter les conséquences de l'arbitraire du gouvernement en cette matière importante. Quel moyen employer ? C’était de recourir à la voie du sort ; c'était de laisser au sort le soin de désigner ceux qui seront, parmi ces 22,000 hommes, appelés à prendre les armes.

Il est pénible pour ceux qui n'ont pas le goût du service, ou qui peuvent employer plus utilement leur temps dans leur famille, d'être désignés par le sort, mais je voudrais qu'on m'indiquât un autre moyen d’arriver à la somme d'hommes dont l’État a besoin. Le sort est aveugle, il y a dans ce système plus ou moins d'arbitraire, mais enfin la désignation des contribuables ne dépend pas du caprice de tel ministre, de tel administrateur ; il sort tous égaux devant la volonté du sort, devant la fatalité, si vous le voulez, mais enfin il y a égalité.

Voilà donc ces 10,000 hommes désignés par le sort, qui sont préposés par la loi au soin de sauvegarder l'ordre, de défendre la frontière, de défendre l'honneur national. C'est là une charge, mais c'est aussi un rôle glorieux et qui doit mériter à ceux qui en sont investis la reconnaissance du pays.

Ceux qui remplissent ce devoir sont-ils suffisamment rémunérés ? Voilà la question et vous verrez qu'il n'y en a pas d'autre dans ce débat.

Si vous parlez de la rémunération purement matérielle, financière, je n'hésite pas à dire : Non, ils ne sont pas suffisamment rémunérés. Les services qu'ils rendent méritent une rémunération plus considérable. Nous verrons tout à l’heure quels seraient les moyens d'arriver à cette rémunération. Mais tout n'est pas désavantage dans le service. Il faut le dire, messieurs. De quoi se compose cette classe de 10,000 hommes ?

Lorsque vous avez retranché ceux qui, par leur état de fortune peuvent se faire remplacer, c'est-à-dire ceux qui substituent une prestation en argent à une prestation personnelle, lorsque vous avez retranché ceux qui se trouvent dans ce cas, que reste-t-il ? Il reste des jeunes gens sortis du peuple, du peuple des campagnes, et de la classe inférieure de nos villes. Quelle est la situation de la plupart de ces jeunes gens ? Ils sont pauvres, ils sont ignorants ; beaucoup ne sont pas suffisamment nourris.

Quelle est leur situation après une ou deux années de pratique militaire ? Je n'hésite pas à le dire, ils sont transformés physiquement et moralement. Ils contractent des habitudes d'ordre, de propreté, de dignité personnelle. Le sentiment de l'honneur s'éveille en eux ; un soldat ne transige pas avec le devoir, c'est le premier des principes militaires. Ces jeunes gens acquièrent des habitudes plus viriles, plus mâles ; ils deviennent plus braves en un mot ; ils deviennent des citoyens digne d'un pays libre.

Voilà, messieurs, les avantages personnels à chaque milicien ; mais qui ne voit qu'il y a là aussi un grand avantage pour le pays entier ? Ces miliciens contractent, je l’ai dit, dans la vie militaire, des habitudes d'ordre, de propreté, de dignité personnelle, ils viennent y puiser l'instruction primaire.

Consultez les documents statistiques, vous y verrez le grand nombre de miliciens qui, à leur entrée dans l'armée, ne savent ni lire ni écrire, il serait intéressant de comparer le nombre de ceux qui, au sortir de l'armée, savent lire et écrire. Ce qui est certain, c'est qu'un très grand nombre d'hommes entrent au service complètement ignorants et en sortent pourvus d'une instruction primaire très solide.

Je parle de ceux qui en sortent. Il faut aussi mentionner ceux qui restent au service. Beaucoup de jeunes gens, entrés dans l'armée sans aucune espèce d'instruction, deviennent d'excellents sous-officiers, d'excellents officiers, car grâce à notre libérale Constitution, les grades sont accessibles à tous, et nous avons dans notre armée plus d'un officier distingué qui est sorti des rangs les plus modestes de la société.

Voilà, messieurs, des avantages spéciaux et généraux qu'il ne faut jamais perdre de vue lorsqu'on veut envisager la question de la milice sous son véritable jour.

Faut-il, messieurs, ruiner dans sa base une pareille institution ? Faut-il décréter la suppression de la milice, comme le proposent les pétitionnaires et comme le propose l'honorable M. Coomans ? Je dois isoler l’honorable membre, je dois le désigner nominativement ; je ne puis pas lui donner la qualité de rapporteur de la commission qui a été chargée d'examiner les pétitions, attendu que, par une exception assez rare dans nos annales parlementaires, la commission ne s'est pas associée à son rapporteur, l'a laissé marcher seul, en déclarant qu'elle abandonnerait à l'auteur du rapport la responsabilité des faits et des vues qui y sont exposés.

M. Coomans. - La commission n'a pas désapprouvé ; elle s'est abstenue. C'est une nuance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est donc un fait assez peu favorable au système du rapporteur, de voir tous les membres de la commission dont il fait partie refuser d'en prendre la responsabilité.

Je comprends parfaitement que des hommes pratiques qui ont examiné la question avec quelque maturité, je comprends que les collègues de l'honorable M. Coomans ne se soient pas associés à son système, et je crois que lorsque ce système aura été exposé à la Chambre, l'honorable membre trouvera, dans la Chambre même, très peu de collègues disposés à s'y associer.

En quoi donc consiste le système de l'honorable M. Coomans ? Le voici : Suppression du recrutement par la voie du sort ; plus de milice ; une armée de volontaires, composée de 25,000, 30,000 ou 35,000 hommes (l'honorable membre n'est pas bien fixé sur le chiffre).

Cette armée de volontaires desservirait particulièrement l'artillerie, la cavalerie et le génie. Voilà donc notre armée de volontaires sur le papier ou dans l'imagination de l'honorable député de Turnhout.

Mais avec 25,000 à 30,000 hommes on n'a pas la prétention de défendre le pays, de faire face à tous les besoins intérieurs et extérieurs de la Belgique. Non ; à côté de l'armée de volontaires il y aura une armée de non-volontaires, une armée dans laquelle tout le monde devra servir, une landwehr en un mot.

Ainsi, pour alléger la charge, qui pèse annuellement sur 10,000 familles, nous allons l'étendre annuellement à toutes les familles ayant des membres jugés aptes au service ; et notez que pour le service de la landwehr, on n'acceptera pas aussi facilement que pour l'armée des exemptions à raison des défauts corporels. On procédera comme dans la garde civique, où l'on est sobre d'exemptions.

Voilà donc en deux mots l'agrément que le pays retirerait de cette réforme ; une armée de volontaires, si c'est possible, et l'obligation pour tout le monde, de servir. Voilà comment on entend guérir le pays du dégoût qu'il éprouverait pour la loi actuelle sur le recrutement.

A entendre, M. le rapporteur, notre jeunesse se soumettrait de bonne grâce à un exercice de 7 jours au camp ou ailleurs, et ces jeunes gens, pleins d'ardeur, deviendront un auxiliaire très efficace pour l'armée de volontaires.

M. Coomans assure donc que cette armée de non volontaires à laquelle tout le monde devra son service, grands ou petits, forts ou faibles, deviendra tout à fait digne d'entrer en campagne avec l'armée permanente.

Ici, messieurs, je ne comprends pas la contradiction étrange dans laquelle tombe l’honorable préopinant dans son rapport. Que dit-il (pages 5 et 12) contre le régime actuel ? Que nos miliciens, alors qu'ils restent pendant deux ans et demi consécutifs sous les drapeaux, ne sont pas cependant considérés par des hommes compétents comme assez consistants, assez forts pour espérer que, malgré leur bravoure, ils feraient bonne contenance devant une armée ennemie.

Or, il propose de supprimer ces miliciens et de les remplacer par des gardes civiques commandés par des officiers nommés par le gouvernement, pour autant, il est bon de faite cette réserve, que la Constitution le permette. Ces gardes civiques, ou pour mieux dire ces bandes se rassembleront une semaine ou plutôt six jours par an, car l'honorable rapporteur ne voudra pas les faire travailler le dimanche. Il pense qu'une pareille armée offrira plus de garanties, présentera plus de consistance qu'une armée de miliciens exercés pendant deux ans et demi et commandés par de jeunes officiers énergiques et capables de les conduire.

Voilà le système, je conçois très bien que messieurs de la commission ne s'y soient pas ralliés.

J'en reviens à l'armée de volontaires. Une armée de volontaires de 30,000 hommes ! C'est facile à dire, plus facile qu'à mettre sur pied ? Si vos volontaires ne veulent pas servir, comment les contraindre, comment les rassembler ?

Vous leur donnerez, dites-vous, l'apprêt d'un bon traitement, d'une récompense pécuniaire. Nous avons à notre porte un pays très riche sachant faire des sacrifices d'argent un peu plus facilement que nous.

Voyez de quelle manière s'y fait le recrutement des volontaires, voyez avec quelle facilité on parvient à y recruter 12 à 15 mille hommes, en dépit des avantages considérables qu'on leur offre ; comment on est obligé de faire appel aux bras étrangers au risque de s'attirer des désagréments à droite ou à gauche. Nous avons avec ce puissant pays beaucoup d'analogie sans le rapport des institutions, des mœurs, de l'industrie, de l'agriculture, et il nous offre un exemple frappant du danger que courraient notre institution militaire, et la défense du pays, si nous avions l'imprudence d'établir notre base militaire sur une armée plus ou moins imaginaire de 30 à 35 mile volontaires.

On les payera bien, dit-on ; l'armée coûtera, on l'avoue, beaucoup d'argent, autant, peut-être plus d'argent qu'aujourd'hui. M. le rapporteur n'y regarde pas de si près ; il donnerait volontiers plus d'argent qu'aujourd'hui ; pourvu qu'on lui accorde le système qu'il préconise ; mais je doute que la Chambre soit disposée à suivre le rapporteur dans ses libéralités.

(page 571) La Chambre trouve que l'armée coûte assez et qu'il n'y a pas lieu d'augmenter ses dépenses. Je voudrais, à propos de cet appât d'argent offert à nos militaires pour les attirer au service, je voudrais soumettre à la Chambre une réflexion ou, si l'on veut, un scrupule. Je le dirai, je verrais avec peine substituer dans le cœur de ces jeunes gens qui, poussés par une passion généreuse, désirent servir leur pays, acquérir de la gloire, substituer, dis-je, à ce sentiment généreux une passion moins noble, la passion du gain, le désir de gagner de l'argent.

Je sais que sur beaucoup d'esprits cet attrait est grand, mais dans la jeunesse surtout, il y a bon nombre d'hommes qui obéissent à une impulsion plus noble, qui ni servent que pour avoir l'honneur de servir et restent à l'abri de tout esprit de lucre et de spéculation.

Notre armée nous en offre l'exemple, beaucoup de jeunes gens, pour ne pas accepter le rôle de remplaçant, refusent la prime de réengagement et se privent ainsi d'un avantage qui leur est offert, ils préfèrent s'engager comme simples volontaires sans toucher aucune espèce de prime. Il faut entretenir, autant que possible, cet esprit dans notre jeunesse militaire.

Mais en supposant que tous cédassent à l'appât du gain, je demande qu'on me démontre la possibilité de réunir à coup sûr, toujours, en tout temps, cette armée de volontaires ; je n'en vois pas la possibilité ; les faits aujourd'hui le prouvent ; nos volontaires ne dépassent pas 12,000 ; d'année en année ils diminuent.

La carrière de l'industrie et du commerce les attire de plus en plus et ce n'est pas avec de telles dispositions dans les esprits qu'il faudrait songer à détruire de fond en comble le mode actuel du recrutement qui assure un contingent fixe à l'armée, pour lui en substituer un autre, sans garantie, sans efficacité, et basé sur de pures hypothèses.

Je poserai donc une question à la Chambre, car il faut en finir ; il ne faut pas que les populations se bercent d'illusions et de chimères. Je demanderai que la Chambre se prononce d'une manière formelle dans ce débat, et je demanderai si elle maintiendra le système actuel, si elle entend qu'on y substitue un système nouveau.

Tout en maintenant le mode de recrutement en vigueur, l’intention du gouvernement est de chercher à y introduire des améliorations.

Je l'ai reconnu à toutes les époques ; il faut, autant que possible, obtenir une certaine compensation pour ceux qui supportent la charge, tandis que les autres en sont exempts.

Divers modes se présentent ; ils seront examinés avec soin ; je pourrai en indiquer à l'heure même si la Chambre est disposée à les entendre ; mais ce qui importe au gouvernement pour assurer et éclairer sa marche, c’est de connaître le point de départ. Il faut d'abord qu'il soit convaincu que la Chambre n'entend pas renoncer au mode actuel de recrutement. Si cela est décidé par la Chambre, le gouvernement aura une base pour le prochain projet de loi. Si, au contraire, la pensée de la Chambre restait dans le vague, si l’on pouvait supposer qu'elle incline de quelque manière que ce soit vers le système de l'honorable M. Coomans, alors vous empêcherez le gouvernement de procéder avec confiance dans la réforme qu'il veut entreprendre. Il ne s'agit pas, je le déclare d'avance, d'une réforme radicale. Non ; ici, comme en toutes choses, la marche la plus sage, h seule même à suivre, c'est d'améliorer en conservant, c'est d'améliorer la législation existante tout en conservant le mode de recrutement actuel.

Les lois sur la milice sont nombreuses depuis 1817, beaucoup de dispositions obscures ou disparates ; il est vrai de dire que depuis l'intervention de la cour de cassation en matière de milice, on est parvenu à des règles plus claires et plus uniformes, à résoudre beaucoup de questions qui autrefois faisaient le désespoir de l'administration publique. Il y a donc là déjà des réformes à introduire en profitant de la jurisprudence de la cour de cassation.

Il y a ensuite un autre point fort important à régler, c'est de trouver une compensation pour le milicien appelé au service. Mais par qui sera payée cette compensation et de quelle manière sera-t-elle assurée au milicien ? Par qui la compensation sera-t-elle payée ? Dans le système actuel, parmi les 10,000 hommes qui forment chaque année le continent de l'armée, il y en a 2,000 environ qui trouvent le moyen de payer les frais de remplaçants ou de substituants.

En supposant que la somme payée par chaque famille pour le remplacement ou la substitution, ne soit que de mille francs, chiffre moyen certainement très modéré, voilà une somme globale de deux millions. C'est quelque chose. Eh bien, n'y aurait-il pas moyen de faire un partage entre le remplaçant et le milicien qui sert pour son propre compte, en donnant un peu moins au remplaçant que ce qu'il reçoit aujourd'hui et en donnant la différence au milicien qui sert pour son compte ? Pour ceux qui se trouvent dans une position peu aisée, une faible somme est souvent une richesse.

Ainsi, je crois que si la loi sur la milice est surtout impopulaire par, un côté, c'est à cause de cette impossibilité où se trouve le fils du pauvre de payer la dette qu'il contracte à sa masse pour ses objets d'habillement.

C'est là une source de chagrins et de gêne pour beaucoup de familles, car il arrive ainsi que le milicien est retenu au corps beaucoup plus longtemps que ceux dont les parents sont en mesure de payer ce qu'ils doivent à leur masse. Je ne dis pas que ce soit là une réforme bien radicale ; mais ce serait déjà une grande amélioration, si l'on mettait à la disposition du milicien une indemnité qui lui permît de sortir du service indemne de toute charge envers sa masse.

Je crois donc que sur le prix payé par le remplaçant, on pourrait prélever une certaine somme pour le milicien qui sert pour son compte. Je ne sors pas du cadre de 10,000 hommes ; mais on pourrait étendre le cercle des contribuables, car ces 10,000 hommes ne forment que le quart de ceux qui sont annuellement inscrits.

Eh bien, si les 40,000 hommes inscrits contribuaient pour une part à former ce fonds de milice, la part de chacun serait beaucoup moindre. Ainsi en imposant une contribution de 50 fr. à chacune des 10,000 familles, on obtiendrait également 2 millions. Mais comme 50 francs constituent une somme considérable pour beaucoup de familles, il faudrait établir des distinctions ; mais enfin voilà une seconde combinaison, qui vaut certainement la peine d'être étudiée.

Mais on peut se demander si ce système serait absolument équitable. Non, messieurs. Et, en effet, à qui sert l'armée ? A qui l'armée rend-elle des services ? Au pays tout entier, Et qui doit payer les services rendus ? Celui qui les reçoit ; et ici c'est tout le monde. Il faudrait donc que tout le monde payât ceux qui rendent des services à tout le monde.

Mais, remarquez-le bien, messieurs, deux milliers d'impôts nouveaux ne seraient peut-être pas très faciles à créer et à obtenir des Chambres, et quoique ce système paraisse, au premier abord, le plus juste, le plus facile, je crois qu'il présenterait de sérieux inconvénients. Il en a surtout pour l'armée elle-même Aujourd'hui le budget de la guerre s'élève à un chiffre considérable et j'espère bien qu'il ne s'élèvera pas davantage.

Or, si nous ajoutions au chiffre du budget de la guerre, un nouvel impôt spécial ayant pour destination le service de l'armée, je ne doute pas qu'en très peu de temps on parviendrait à rendre l'institution plus ou moins impopulaire, à cause même de cet impôt spécial ; ce serait là une source constamment ouverte de récriminations.

Que l'honorable M. Coomans veuille bien me permettre de le lui rappeler. Il a, de bonne foi, je l'admets, mais enfin il a à une autre époque accepté la mission de chercher à ruiner une autre institution militaire.

Je fais allusion à la loi prétendument réformatrice de la garde civique. L'ancienne loi sur la garde civique contenait une disposition équivalente à celle que je viens d'indiquer en ce qui concerne la milice, c'est-à-dire que les familles qui ne fournissaient pas d'hommes à la garde civique étaient tenues à une prestation pécuniaire destinée à subvenir en partie aux frais de la garde.

Qu'ont fait l'honorable M. Coomans et ses honorables amis ? ils ont rayé de la loi cette prestation pécuniaires, au risque de nuire à la garde civique. On s'est dit : Nous allons nous gagner des partisans à notre réforme ; nous allons délivrer les familles de cet impôt et tout le monde sera enchanté. Et dans le même temps, on portait, autant qu'on le pouvait, la hache dans l'institution. On ne proposait pas d'appeler tout le monde sept jours consécutifs par an sous les armes ; on trouvait accablant d'avoir deux exercices par an ; on faisait tout ce qu'on pouvait pour énerver cette institution que l'on veut maintenant élever à la hauteur d'une armée permanente.

Il y a là évidemment une contradiction, mais c'est en passant que je la signale. Je dis seulement que ceux qui voulaient combattre l'institution de la garde civique, invoquaient à leur aide cette prestation financière que les familles étaient forcées de payer en compensation du service dont elle étaient exemptes.

Eh bien, si nous imposions une charge de celle nature pour l'armée, il serait possible qu'on fît valoir auprès des contribuables ce grief d'un impôt spécial payé en faveur de l'armée seule. Je verrais là un danger pour l'institution même. Il faudrait donc, si le nouvel impôt était établi, qu'il fût confondu avec les autres de manière que le contribuable ne sût pas pour qu'il le paye.

Ici je demanderai à la Chambre si elle se sent des dispositions telles, que la présentation d'un projet de loi imposant deux nouveaux millions au pays, aurait des chances d'être accueilli. (Interruption.)

Je parle de deux millions au minimum ; car avec ces deux millions j'accorde une très faible compensation à ceux qui remplacent et à ceux qui servent pour leur propre compte. Mais tout en me renfermant dans les limites les plus modestes, je vous montre où nous allons.

Je persiste à croire qu'il est juste de rémunérer d'une manière équitable celui qui consacre son bras, son temps, sa vie au service du pays. Mais il n'y a qu’un moyen d'arriver à ce résultat, c’est de recourir à l'impôt. Cet impôt, qui le payera ? Sera-ce les 10,000 hommes désignés par le sort ? Sera-ce les 40,000 hommes inscrits chaque année ? Ou sera-ce tous les contribuables du pays ? Il y a à choisir. Mais il est inévitable que dans l'un ou l’autre système, ce sera ou une catégorie ou la totalité des contribuables qui devra fournir la rémunération destinée à payer le service. Voilà, messieurs, quant au principe en lui-même. Quant à des réformes de détail, à des réformes administratives, dans le régime de la loi, on examinera avec soin tout ce qu'on peut introduire d'améliorations tous ce rapport, en évitant cependant avec le plus grand soin d'introduire des innovations qui auraient pour effet d'affaiblir, d'énerver, d'amortir l'énergie et les habitudes sévères dont l'armée a besoin.

Voilà donc, messieurs, la position que nous prenons : nous demandons que la Chambre se prononce par un oui ou par un non, d'une (page 572) manière formelle, sur la question de savoir si le mode actuel de recrutement sera maintenu dans notre législation comme base de notre armée. Lorsque cette question sera résolue, le gouvernement prend l'engagement de soumettre à une commission d'hommes compétents toutes les améliorations qui lui paraîtront conciliables avec le maintien de ce système.

Déjà, messieurs, en 1851 j'avais eu l'honneur de nommer une commission composée d'hommes compétents, spéciaux et pratiques. Je lui ai soumis les questions que je viens de vous présenter. Eh bien, je dois le dire, devant cette commission mes vues n'ont pas été accueillies ; elle a voulu le maintien pur et simple du système actuel.

Je persiste à croire qu'il faut quelque chose de plus, qu'il faut introduire les améliorations que l'équité exige.

M. Coomans. - Quoi ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cette question, je vous l'adresserais avec plus de raison à vous-même. Vous détruisez une institution, je demande ce que vous mettrez à la place, et je viens de prouver que ce que vous mettez à la place n'est qu'un vain fantôme, incapable de tenir pendant cinq minutes devant un examen sérieux.

Moi, je ne renverse rien ; je conserve et j'améliore ce que je conserve. Voilà ce que je fais et j'espère que la Chambre comprendra la pensée du gouvernement et l'aidera à atteindre le but qu'il vient d'indiquer.

Cette question que l'on m'adresse, je la renvoie aux promoteurs du pétitionnement ; vous voulez détruire de fond en comble une institution et vous ne savez ce que vous mettrez en place. Vous ne le savez pas vous-même, M. Coomans ; ou du moins vous n'avez pas formulé de proposition.

M. Coomans. - Je n'ai pas encore parlé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous n'avez pas encore parlé, mais vous avez écrit indépendamment du gros volume que vous annoncez devoir publier à vos frais personnels, vous nous avez gratifiés d'un rapport très développé.

M. Orts. - Et il l'a fait insérer par huissier dans les journaux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je viens de vous donner mes conclusions ; l'honorable M. Coomans en a-t-il d'autres à présenter ? Je les attendrai et la Chambre décidera entre nous.

M. Coomans. - J'attends les vôtres aussi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je maintiens le système que nous avons et je l'améliore.

M. le président. - La parole est à M. E. Vandenpeereboom.

M. E. Vandenpeereboom. - Je voulais parler dans le même sens à peu près que l'honorable M. de Renesse, et que l'honorable ministre de l’intérieur ; c'est-à-dire que je reconnais la nécessité d'une réforme, mais que je ne crois pas qu'on puisse, dans l'état actuel des esprits, la faire consister dans l’établissement d'une armée de volontaires. Il me semble qu'il voudrait mieux entendre un partisan de ce système, avant d'insister. Je renonce, pour le moment, à mon tour de parole.

M. le président. - La parole est à M. Grosfils.

M. Grosfils. - Ce qui a surtout remué le pays, c'est le chiffre trop considérable de notre armée Avant la révolution, lorsque. nous étions réunis à la Hollande, l'armée n'était pas plus forte pour les deux pays que celle que nous avons aujourd'hui.

La dépense est tellement forte, que vous ne pouvez plus arriver à aucune amélioration. A chaque instant l'on vient, dans cette Chambre, demander des augmentations de traitement ; il y a des travaux les plus utiles qui ne peuvent s'exécuter parce que l'armée absorbe toutes vos ressources

Je crois, messieurs, qu'une armée moitié moins forte suffirait pour maintenir notre indépendance. Notre neutralité est garantie par toute l'Europe et dès lors nous n'avons pas besoin d'une armée de 80,000 hommes.

Messieurs, en Angleterre on vient de nommer une commission chargée d'examiner tous les systèmes militaires des différents pays de l'Europe et cette commission penche beaucoup pour le système de la Suisse. Je ne le connais pas particulièrement, mais, je crois qu’il faut examiner tous les systèmes avant de prendre une résolution.

Ce que je puis dire, messieurs, c'est que j'ai fait partie d'un conseil de milice, j'ai été président d'un conseil cantonal et j'ai vu la détresse des familles qui se trouvaient dans l'impossibilité de mettre un remplaçant, la détresse des familles qui perdaient leur meilleur travailleur.

Je dis, messieurs, que la question mérite d'être examinée avec la plus grande sollicitude.

M. Thiéfry. - Une quantité considérable de pétitions ont été envoyées à la Chambre pour solliciter la réforme de la loi sur la milice ; elles sont signées par plus de 65,000 individus ; j'en ai examiné plus de la moitié, pour m'assurer si les pétitionnaires cherchaient à obtenir la disparition de certains abus, ou un changement radical. La presque totalité sollicite la suppression de la loi, l'abolition du tirage au sort.

On ne peut pas se faire illusion, les pétitionnaires cherchent à obliger le[gouvernement à substituer une armée de volontaires, à une armée où il y a des miliciens, ou plutôt à une armée nationale, composée de citoyens belges pris dans toutes les classes de la société. C'est là, à mon avis, une idée dangereuse, absurde même, dont la réalisation aurait pour résultat la désorganisation de la force publique.

Je n'avais nulle intention de m'en occuper très sérieusement ; je ne m'y suis décidé qu'après bien des réflexions. En songeant à ce pétitionnement général, à cet ensemble qui a éclaté sur divers points du pays, en remarquant des pétitions sur lesquelles figure la croix de ceux qui ne savent pas écrire leur nom, d'autres où 4, 8 et 6 signatures sont faites par la même personne, j'ai acquis la conviction que des meneurs ont organisé ce mouvement ; ce grand bruit est la conséquence de leurs manœuvres. On conçoit, du reste, avec quelle facilité on peut obtenir des milliers de signatures pour réclamer l'abolition d'une lourde charge, quelque nécessaire qu'elle soit : que l'on provoque l'abolition de la patente sous le prétexte de la liberté du commerce, et on verra bien vite marchands et boutiquiers apposer leurs noms sur les pétitions sans s'inquiéter si l’État doit avoir des ressources pour faire face aux dépenses les plus utiles à ceux-là mêmes qui demanderaient la suppression de l'impôt.

Il est plus que temps de mettre fin à l'agitation que l'on a propagée dans toutes nos provinces ; il faut éclairer les populations égarées, car je ne doute nullement qu'une infinité de signataires pensent que la milice peut être réellement abolie sans danger.

La question du recrutement de l'armée n'est pas une question de parti ; la loi qui le règle est une de ces lois nécessaires à l'existence du pays ; celui qui en réclamerait la modification pour acquérir de la popularité, ou pour provoquer des embarras au gouvernement, surtout dans un moment où il ne faut qu'une étincelle pour mettre l'Europe en feu, serait un très mauvais citoyen.

Je ferai d'abord remarquer à la Chambre, comme l'a dit hier M. le ministre de l'intérieur, que ce n'est pas le rapport de la commission des pétitions que nous discutons, c'est celui de l'honorable M. Coomans ; il suffit, pour s'en assurer, de lire le premier paragraphe ; la commission n'ayant pas eu le loisir d'examiner les questions que soulèvent les pétitions, s'est bornée à adopter le dépôt au bureau des renseignements.

J'examinerai la suppression du tirage au sort et la formation d'une armée de volontaires sous le rapport de la défense nationale ; car si on fait disparaître la nécessité de s'opposer à une invasion, il ne faudra plus d'armée ; la garde civique étant, à mon avis, suffisante pour garantir le maintien de l'ordre à l'intérieur.

Nous serons tous, je pense, d'accord sur un point, c'est que nous ne pouvons pas entretenir, en temps de paix, une armée plus nombreuse que l'effectif porté au budget, et il est positif que cet effectif ne suffirait point pour la défense du pays, dans le cas d'une agression par l'un de nos puissants voisins. Sans être doué de grandes connaissances militaires, tout le monde comprend qu'il faut alors un certain nombre de troupes dans chacune de nos forteresses. Plusieurs commissions formées d'officiers compétents ont fixé à 51,800 hommes de toutes les armes, la force nécessaire pour mettre ces places en bon état de défense ; et l'effectif porté au budget n'est que de 40,115 hommes. En comparant ces deux chiffres, personne ne méconnaîtra la nécessité d'une forte augmentation de troupes en cas de guerre. Or, il est impossible de donner immédiatement de l'extension à une armée composée uniquement de volontiers. Et si même, par des moyens que j'ignore, on pouvait trouver sur-le-champ 20,000 volontaires, ils seraient sans instruction militaire, ils n'auraient ni discipline, ni esprit de corps, qualités indispensables pour avoir une bonne armée, ils seraient sans officiers, sans sous-officiers ; une troupe semblable n'aurait aucune consistance et serait très facilement mise en déroute.

Nous serons tous, je pense, d'accord sur un point, c'est que nous ne pouvons pas entretenir, en temps de paix, une armée plus nombreuse que l'effectif porté au budget, et il est positif que cet effectif ne suffirait point pour la défense du pays, dans le cas d'une agression par l'un de nos puissants voisins. Sans être doué de grandes connaissances militaires, tout le monde comprend qu'il faut alors un certain nombre de troupes dans chacune de nos forteresses. Plusieurs commissions formées d'officiers compétents ont fixé à 51,800 hommes de toutes les armes, la force nécessaire pour mettre ces places en bon état de défense ; et l'effectif porté au budget n'est que de 40,115 hommes. En comparant ces deux chiffres, personne ne méconnaîtra la nécessité d'une forte augmentation de troupes en cas de guerre. Or, il est impossible de donner immédiatement de l'extension à une armée composée uniquement de volontiers. Et si même, par des moyens que j'ignore, on pouvait trouver sur-le-champ 20,000 volontaires, ils seraient sans instruction militaire, ils n'auraient ni discipline, ni esprit de corps, qualités indispensables pour avoir une bonne armée, ils seraient sans officiers, sans sous-officiers ; une troupe semblable n'aurait aucune consistance et serait très facilement mise en déroute.

Afin d'éviter l'inconvénient grave de ne pouvoir donner de l'extension à l'armée au moment de la guerre, le recrutement, dans les pays où tous les hommes ne sont pas astreints au service militaire, a lieu par voie d'appel et par enrôlements volontaires. L'Angleterre et quelques provinces de la Turquie sont les seuls pays de l'Europe où l'armée est composée seulement de volontaires. Je constate ce fait sans indiquer les différences qui existent dans les voies d'appel, cela me paraît inutile, puisqu'il ne s'agit que de prouver qu'il serait dangereux d'avoir une armée composée uniquement de volontaires ; on voit donc que ces sortes d'armées forment une minime exception comparativement à celles établies suivant les principes reconnus pour être les meilleurs.

Après la destruction des janissaires, le sultan introduisit de grandes réformes dans ses armées, et depuis 1814, le recrutement a lieu en Turquie par des enrôlements volontaires et par voie d'appel à l'aide du tirage au sort Il n'y a aujourd'hui que quelques provinces tributaires qui ne sont pas soumises à la loi du recrutement.

Quant à l'Angleterre, avant de l'imiter, il faut savoir si les Anglais se sont bien trouvés de leur organisation. Ils ont toujours concentre leurs moyens de défense dans leurs vaisseaux. Possédant une marine immense, ils se sont crus, chez eux, à l'abri de toute attaque : Cependant il fut un moment où ils eurent à craindre, de la part des Français, une descente dans leur île. En 1803, Napoléon Ier avait réuni à Boulogne une armée nombreuse, et une flottille pour la transporter de l'autre côté du détroit. Les Anglais s'émurent à l'aspect de ces préparatifs qui se faisaient en face de leur rivage ; ils cherchèrent à augmenter leur force ; leur armée de volontaires ne pouvant suffire, et eux-mêmes n'étant pas rassurés par une extension considérable donnée aux milices, ils créèrent une armée de réserve, forte de 30,000 hommes, formée d'Anglais par le tirage au sort.

Ainsi lorsque l'Angleterre crut à un danger réel, quand elle vit la possibilité de l'arrivée d'une armée française à Londres, elle, établit la (page 573) conscription qu'on voudrait supprimer ici ; et j'ajouterai que si l'Angleterre n'était pas séparée du continent par l'Océan, elle aurait forcément maintenu ce mode de recrutement.

Depuis cet événement, un autre exemple est encore venu faire ressortir l'insuffisance d'une armée de volontaires. Lors de la guerre de Crimée, l'Angleterre, pour réparer les pertes que son armée éprouvait, acheta des hommes partout où elle trouva des mercenaires, elle eut des bureaux de recrutement jusqu'en Amérique, et malgré ses offres d'argent, elle ne parvint pas toujours à recruter assez de soldats, pour remplacer ceux que la guerre mettait hors de combat ; elle dut envoyer des régiments de milice dans certaines localités, pour permettre aux troupes qui s'y trouvaient de se rendre sur le théâtre de la guerre.

Et en Belgique, si nous étions menacés d'une invasion, comment augmenterait-on l'armée ? Aurait-on le temps de trouver des volontaires ? Et puis ou a beau vanter ces sortes d'armées, je soutiens que les meilleurs défenseurs d'un pays sont ses propres enfants ; ils trouvent dans leur esprit national, dans leur patriotisme, dans l'attachement aux institutions, plus d'énergie et d'ardeur à défendre leur foyer ; mais pour en obtenir le résultat désiré, il faut une armée composée de soldats ayant une instruction complète, et non de 3/4 de gardes civiques, comme le propose M. Coomans.

Au point de vue où je me place, je n'hésite pas à dire que si les Chambres décrétaient l'abolition de la milice, et la création d'une armée de volontaires, ce qui positivement n'arrivera point, on ne trouverait pas un seul général pour prêter son concours à l'exécution d'une telle loi, parce qu'aucun d'eux n'oserait assumer sur lui la responsabilité d'événements qui surgiraient un jour avec une semblable armée.

Pour eaux qui croient à une paix perpétuelle, ou pour ceux qui ont une entière confiance dans le maintien de notre neutralité, oh ! pour ceux-là, une armée de volontaires est suffisante. Comme je ne partage ni l'une ni l'autre de ces opinions, je veux que mon pays soit en état de parer aux dangers auxquels il sera un jour exposé.

Beaucoup de pétitionnaires demandent que l'on substitue au tirage au sort, l'égalité parfaite ; je ne connais pas d'autre moyen de l'obtenir qu'en forçant tout le monde à être soldat ; ce serait introduire le système en usage en Prusse, où tous les jeunes gens, à peu d'exceptions près, sont obligés de servir dans l'armée active pendant trois ans. On aggraverait alors la charge qui pèse sur les familles et on se trouverait d'ailleurs en présence de deux difficultés insurmontables : d'abord l'impossibilité de forcer tout le monde à être soldat, cela n'est point dans les mœurs de nos populations. Nous en avons une preuve dans les villes où quelques exercices par an sont déjà considérés par bien des jeunes gens de la garde civique comme une très lourde charge. En Prusse même, on n'aurait jamais pu songer à imposer le régime militaire à toute la nation, sans la position malheureuse où les Français avaient mis ce pays, qui voulait secouer le joug sous lequel il gémissait. Il devait se former une armée nombreuse, malgré le traité qui lui défendait d'avoir plus de 42,000 hommes sous les armes.

La deuxième difficulté résulterait de notre situation financière. Les 19 vingtièmes des membres de cette Chambre trouvent le budget de la guerre trop élevé, et cependant il devrait être considérablement augmenté, parce que nous aurions à entretenir un effectif plus grand et que nous avons une armée où la solde est beaucoup plus élevée qu'en Prusse, et où l'habillement est aussi plus coûteux. On ne doit donc point songer à introduire en Belgique l'organisation militaire prussienne.

On ne peut pas non plus imiter la Suisse, où la défense du pays repose sur la levée en masse de toute la population, qui s'exerce fréquemment, au tir à la carabine : ce serait livrer la Belgique à la première armée régulière qui voudrait l'occuper. Ce qui est praticable dans une contrée couverte de montagnes, de défilés où une poignée de monde arrête parfois tout un corps d'armée, ne l'est pas dans un pays de plaine, dont les frontières sont ouvertes de tous côtés et qui est parsemé de toute espèce de routes.

Je n'ai envisagé une armée de volontaires que sous le rapport des difficultés à éprouver en cas de guerre. Voyons maintenant quelle serait la situation sur le pied de paix.

M. Coomans dit dans la note mise à la page 12 de son rapport, qu'il y a dans l'armée 11,310 volontaires ; il aurait dû ajouter qu'il y a dans ce nombre 2,400 incorporés en vertu des articles 168 et 171 de la loi sur la milice, de sorte qu'il n'existe réellement que 8,940 volontaires selon la vraie signification du mot, et encore le personnel des hôpitaux, des boulangeries et de la gendarmerie s'y trouve-t-il compris. En 1848, il y en avait 116 de plus.

Le budget étant établi sur un effectif de 36,814 sous-officiers et soldats, et l'armée ne comptant que 8,910 volontaires non miliciens, il faudrait un supplément de près de 28,000 volontaires pour avoir l'effectif de paix ; et en réduisant l'armée à 30,000 hommes, comme le propose l'honorable M. Coomans, il serait encore nécessaire d'en obtenir 21,000 en plus. Eh bien, je demanderai où on ira les chercher ?

Ce n'est pas parce que l'organisation actuelle a été cause qu'on a refusé d'enrôler 100 ou 200 jeunes gens que l'on doit croire pouvoir en trouver plus de 20,000 même en plusieurs années :

« On les aura aisément, dit l'honorable M. Coomans, le jour où l'on fera du service militaire une fonction publique rétribuée à l'égal des fonctions des douaniers, des commis aux accises, des sergents de ville. » Ainsi chaque soldat occasionnerait alors une dépense d'au moins 2 francs par jour. Or, la solde, l'habillement, le pain et le coucher d'un fantassin, ne coûtent que 90 centimes par jour ; la dépense du fantassin serait donc plus que doublée, et comme je suppose que notre honorable collègue voudra accorder des avantages proportionnels aux caporaux et aux sous-officiers, il en résulterait, scion les budgets soumis à la Chambre, un petit accroissement de 7,700,000 francs pour l'infanterie seulement, Il est évident que c'est là un projet irréalisable.

On aura la seule ressource des primes, et par ce moyen, on ne trouvera pas la moitié du nombre des volontaires nécessaires. II n'y a pas assez d'esprit militaire dans la nation, il y a trop de commerce dans le pays, trop de bien-être parmi le peuple pour espérer avoir beaucoup d'enrôlements volontaires ; les Belges, d'ailleurs, aiment, par- dessus toute chose, leur propre liberté.

Comment obtiendra-t-on ceux qui s'engageront ? La plupart par l'intermédiaire des racoleurs ; nous savons que ses hommes obtenus par l'embauchage sont en général le rebut de la population.

Pour maintenir une bonne discipline dans une armée composée de ce seul élément, on est obligé de recourir aux punitions les plus sévères : c'est pourquoi l'Angleterre a été forcée de conserver le fouet, dont l'usage est si dégradant pour l'humanité.

S'il en est ainsi, dit l'honorable M. Coomans, si les volontaires ont les défauts qu'on leur reproche, on devrait les exclure de l'armée.

La réponse est facile : d'abord, l'expérience a prouvé que ce que j'avance est exact ; puis des volontaires sont indispensables dans une armée ; mais autre chose est une armée composée exclusivement de volontaires, ou une armée dans laquelle on en admet seulement une partie : la différence provient du mode de recrutement ; dans une armée ordinaire on attend que le volontaire se présente de lui-même, on exige des certificats de bonne conduite ; on renvoie les mauvais sujets ; on choisit enfin comme on le fait ici pour la gendarmerie, où il n’y a que des soldats d'élite.

Avec une armée de volontaires, la nécessité d'avoir des hommes oblige de prendre tout ce qui se présente, et comme les enrôlés sont toujours en nombre insuffisant, on est forcé de placer, dans chaque localité un peu importante, des sous-officiers recruteurs auxquels on donne une prime fixée par soldat engagé : ces sous-officiers vont dans les plus mauvais cabarets, fréquentés par la lie du peuple et ils emploient toute espèce de moyens pour obtenir des enrôlement ; ils s'introduisent là où la misère est grande pour profiter de la situation et faire des victimes. On voit souvent des malheureux privés de leur liberté, parce que dans un moment d'ivresse provoquée par le recruteur intéressé, ils ont signé un engagement dont ils n'apprécient la portée que quand ils sont à jeun. Pour maintenir l'ordre et la régularité du service dans une armée de mercenaires, il faut donc une grande fermeté et des punitions sévères ; tandis que dans une armée ordinaire, le caractère revêche des volontaires s'adoucit par la fréquentation habituelle d'hommes d'un commerce plus doux.

Qu'un mauvais sujet soit constamment avec quatre individus ayant une bonne conduite et des mœurs irréprochables, il finira par devenir un homme rangé ; si, au contraire, cinq mauvais drôles sont toujours ensemble, leur conduite sera des plus répréhensibles. Il en est de même des volontaires.

Je le répète, si on décrétait une armée de 30,000 volontaires, l'effectif du pied de paix ne serait pas atteint ; je le déclare avec la certitude de ne pas me tromper, on aurait des cadres et pas de soldats ; pour s'en convaincre il suffit de réfléchir à ce qui se passe en France ; c'est un pays où le goût des armes est généralement plus prononcé qu'en Belgique, on y trouve plus facilement des hommes qui s'enrôlent volontairement, ou y accepte en outre tous ceux qui satisfont aux conditions exigées. J'en tire la conséquence qu'en ayant égard à la population des deux pays, la proportion des volontaires est plus forte en France qu'en Belgique : pour avoir notre effectif de paix, il faudrait obtenir le contraire, et même dépasser la proportion d'une manière vraiment par trop considérable. L'infanterie français comprenait en 1851, 41,925 soldats volontaires, je cite le chiffre de cette année, parce qu'il est le résultat d'un travail que j'ai fait à cette époque, je n'ai pas jugé nécessaire de recommencer mes recherches. Ainsi donc proportionnellement à la population nous aurions moins du huitième ou moins de 5,615 soldats volontaires dans l'infanterie, tandis qu'il en faudrait 18,054 pour avoir l'effectif du pied de paix de notre budget.

Il est par conséquent évident qu'une armée de volontaires serait insuffisante en cas de guerre, et qu'elle ne serait pas même au complet en temps de paix. Si on avait le malheur d'en tenter l'épreuve, les illusions disparaîtraient quand on aurait, comme je l'ai dit, désorganisé la force publique.

M. Coomans a compris lui-même qu'une armée de 30,000 volontaires aurait été impuissante pour défendre le pays ; et s'écartant de la demande de la généralité des pétitionnaires qui se bornent à réclamer la suppression du tirage au sort et la formation d'une armée de volontaires, il propose de la faire appuyer au besoin par une autre armée de 100,000 hommes, composée de l'élite de la jeunesse belge, c'est-à-dire de gardes civiques, et il ajoute : « Votre rapporteur se réserve de développer ce point capital sous sa responsabilité personnelle. »

(page 574) Ainsi, messieurs, à l'appui d'une proposition aussi importante, il n'y a pas le moindre développement.

Les armées existent pour défendre ce que nous avons de plus cher, nos familles, nos enfants, nos institutions, la patrie enfin, et en raison même de leur haute mission elles sont organisées selon les règles établies par les plus grands hommes d’État, par les capitaines de la plus grande renommée et d'une expérience consommée : tout à coup M. Coomans se pose en organisateur d'un système nouveau, il affirme que le pays sera bien défendu avec 30.000 volontaires et 100,000 gardes civiques, et il ne cite pas un seul général, ni une seule autorité sur laquelle repose cette opinion ; il faut que nous ayons foi dans ce qu'il avance, comme un fervent catholique dut croire à l'évangile. Je vous avoue franchement, messieurs, que je ne saurais accepter une telle responsabilité, et si même son système me souriait, je n'aurais ni assez d'amour-propre, ni assez de confiance en moi, pour le supposer meilleur que celui adopté dans tous les États du continent.

L'armée de 100,000 gardes civiques devrait, dit l'honorable membre, être sérieusement organisée. Mais je le demande, y a-t-il un seul militaire qui puisse dire qu'il est possible d'avoir une armée sérieuse, là où le soldat a seul le droit de nommer à tous les grades depuis le caporal jusqu'au capitaine inclus ? M. Coomans l'a lui-même reconnu dans la séance du 29 avril 1855 ; il s'y exprimait ainsi :

« Le gouvernement n'a rien à ordonner aux officiers au-dessous du grade gouvernement, et quand il plaira à un sous-officier d'abuser de ses pouvoirs, M. le ministre de l’intérieur se trouvera peut-être dans l'impossibilité de faire droit aux réclamations des gardes »

Pour savoir si je pouvais avoir confiance dans les idées émises en 1858 par M. Coomans, j'ai cherché à connaître l'opinion d'hommes compétents qui avaient fait une étude spéciale de la garde civique : l'un d'eux disait que la législation de 1848 avait dépassé le but pour les temps ordinaires, il trouvait cette législation trop guerrière, il appelait corvées fatigantes, 12 exercices par an dans sa propre localité. Celui qui tenait ce langage en 1855, dans cette enceinte, était M. Coomans : comment croire alors en 1858, avec le même M. Coomans, que 100,000 gardes civiques se soumettront de bonne grâce à un exercice annuel d'une semaine au camp ? L'honorable rapporteur pense que cette semaine d'exercice suffira pour que ces 100,000 gardes civiques soient « tout à fait dignes d'entrer en campagne avec les bataillons parfaitement disciplinés qui constitueront l'armée permanente. »

Je doute fort qu'il y ait des membres de cette Chambre partageant cette assurance ; aussi je crois parfaitement inutile de désabuser notre collègue. Je me bornera à rappeler ce que l'un de nous a écrit dans un document parlementaire.

« En vain, disait-il, tâchera-t-on de former une garde civique capable de tenir la campagne avec des troupes régulières ; on lassera, on contrariera inutilement des populations dont les soucis sont ailleurs. Egale en courage, elle ne saurait jamais soutenir la comparaison avec l'armée, ni sur le champ de bataille, ni peut-être même dans la rue. La garde civique le sait, l'armée ne l'ignore point ; dans cette situation d'esprit, la réunion des deux forces ne saurait produire les résultats désirables. »

Celui qui a écrit ces lignes en 1855 est encore l'honorable M. Coomans qui réclame la suppression de la milice et la formation d'une armée de 100,000 gardes civiques ; comment pouvons-nous avoir confiance dans son système actuel, alors qu'en 1855, dans son rapport sur les modifications à apporter à la loi sur la garde civique, il exprimait une opinion si opposée à celle qu'il émet aujourd'hui ? Plus je réfléchis, plus je comprends que la commission des pétitions n'ait pas voulu s'associer aux idées de notre honorable collègue.

M. Coomans dit dans son rapport : Après quelques efforts insuffisants pour composer une armée permanente par le recrutement volontaire, le roi Guillaume Ier rendit le service obligatoire au moyen du tirage au sort ; c'est là, à mon avis, faire de l'histoire d'une manière incomplète. Pour être vrai, il faut dire que le système que l’honorable membre voudrait voir fonctionner, a été mis en pratique en France et en Belgique, il y a 44 ans et qu'il a dû être abandonné dans ces deux pays. C'est là la preuve évidente que ce mode de recrutement compromettrait notre existence politique.

Napoléon Ier, pour avoir trop abusé de la conscription, pour avoir enlevé une trop grande quantité d'hommes afin d'augmenter ses armées, a rendu la loi tellement odieuse, que Louis XVIII dut l'abolir ; l'article 41 de la charte de 1814 le dit positivement. Pendant quatre ans on ne recruta l'armée que par des enrôlements volontaires, on y admit les étrangers, on accorda des primes, et malgré toutes ces meures on fut dans l'impossibilité de compléter l'armée. En 1818 le maréchal Gauvion St-Cyr, ministre de la guerre, proposa de déclarer qu'en cas d'insuffisance des engagements volontaires, l'armée pourrait se recruter par des appels au moyen du tirage au sort : les chambres sanctionnèrent ce projet de loi ; dès lors la conscription était rétablie, seulement on n'osait pas encore le déclarer d'une manière bien franche ; mais la loi du 21 mars 1832 consacra ce grand principe.

L'article premier est ainsi conçu : « L'armée se recrute par des appels et des engagements volontaires. »

L'article 2. n'est pas moins important : «Nul, y est-il dit, ne sera admis à servir dans les troupes françaises s'il n'est Français. » Disposition contraire à la formation d'une armée composée uniquement de volontaires.

Pendant les guerres de l'Empire, on avait également enlevé à la Belgique une énorme quantité d'hommes. Aussi la répulsion que l'on éprouvait pour la conscription n'était pas moins grande qu'en France. Quand le pays se souleva en 1814, il n'y eut qu'un cri : plus de conscription ! Les. bataillons belges furent alors formés au moyen d'enrôlements volontaires.

Lorsque Bonaparte débarqua à Cannes, on comprit la nécessité d'augmenter immédiatement l'armée, on fit de vains efforts pour avoir plus de soldats, et ne sachant pas renforcer l'effectif des troupes d'une manière efficace, le roi Guillaume Ier rétablit la conscription en décrétant en avril 1815 une levée de milice, bien que la loi fondamentale ne fût pas encore adoptée ; la loi même sur la milice ne fut promulguée que deux ans plus tard, le 8 janvier 1817.

Les miliciens formaient des bataillons spéciaux ; mais en 1819, les bataillons de ligne, c'est-à-dire les bataillons de volontaires, furent supprimés en vertu d'une loi, et les soldats répartis entre tous les bataillons d'infanterie. Ainsi la nécessité obligea d'avoir de nouveau recours à la conscription en Belgique comme en France, et le pouvoir législatif l'a convertie en loi.

Je puis parler avec certaine connaissance des corps de volontaires, puisque j'y ai servi. En rentrant de France je fus placé dans le 8ème bataillons de ligne commandé par le colonel Arnaud ; j'étais en garnison à Termonde. J'ignore si la discipline était maintenue partout par les mêmes moyens, mais dans le 8ème bataillon on était dans la nécessité de faire usage de ceux employés en Angleterre. Chaque jour on apportait, devant les hommes réunis à la caserne pour la parade de garde, un banc sur lequel on couchait le patient, un homme lui tenait les pieds, un autre la tête, et un caporal, désigné spécialement, lui administrait, de toute la force du bras, 25 ou 50 coups de plat de sabre, sur la partie du corps que l'on devine facilement.

Il faut avoir été témoin de ces sortes d'exécution, pour comprendre tout ce qu'il y a d'inhumain, d'humiliant dans ces punitions corporelles ; elles ne sont pas dans nos mœurs, elles dégradent autant celui qui les ordonne que celui qui les subit : aussi, jamais je ne prêterai mon concours au rétablissement d'un mode de recrutement qui oblige nécessairement de soumettre l'armée à une discipline beaucoup plus sévère que quand elle est recrutée dans toutes les classes de la société.

(Erratum, page 588) Les pétitionnaires, comme les honorables membres qui ont parlé avant moi, signalent les injustices de la loi sur la milice ; l’homme favorisé par le hasard du tirage au sort est exempt du service militaire ; celui qui a un peu de fortune en est dispensé, alors que le pauvre est forcé de se consacrer au métier des armes pendant de longues années. M. Coomans cite dans son rapport d'autres abus. Ce sont là, il faut bien l'avouer, des reproches très justes à adresser à la loi, mais toutes les raisons alléguées ne sont pas suffisantes pour abolir complètement la milice, et la remplacer par des enrôlements volontaires.

Il est des devoirs sociaux qui deviennent des obligations pour tous ceux qui veulent que leur patrie reste une nation indépendante. Au nombre de ces devoirs, il faut compter celui d'avoir des institutions qui permettent de défendre son pays contre l'agression d'une armée étrangère ; et sans la conscription, sans la milice, il ne nous est pas possible de former une armée convenable pour résister à une invasion qui pourrait surgir tout d'un coup.

Nous avons encore bien d'autres lois que l'on ne songe point à changer quoiqu'elles renferment aussi quelque chose de vexatoire, c'est qu'elles sont faites dans l'intérêt de la société et que l'intérêt général prédomine toujours l'intérêt particulier. il en est de même de la loi sur la milice ; quelque rigoureuse qu'elle soit, elle est indispensable à la sûreté de l’État, elle est une nécessité pour rester ce que nous sommes : un peuple libre jouissant des plus belles institutions.

Cependant, je reconnais qu'elle est susceptible de grandes améliorations, qu'il y a quelque chose à faire pour accorder aux miliciens une compensation du sacrifice des nombreuses années qu'ils consacrent à l’État. L'honorable comte de Renesse vient de rappeler que six membres de cette Chambre avaient proposé en 1853 un projet d'exonération. La meilleure preuve qu'il y avait là de bonnes idées à mettre en pratique, c'est que, deux ans plus tard, le gouvernement français décrétait une loi qui a beaucoup d'analogie avec notre projet. Le remplacement direct est aboli des deux côtés ; mais l'exonération a lieu en France après le tirage au sort, tandis que nous n'admettions l'exonération qu'avant le tirage. (Interruption.)

C'est parfaitement exact. J'ai les deux documents ici en mains. La loi française ne permet l'exonération qu'après le tirage au sort. Eh bien, le projet à la discussion duquel l'honorable M. Coomans a assisté et qu'il avait, je pense, fini par adopter... (Interruption.) J'en ai parlé hier à un honorable collègue qui s'est réuni à nous en 1853 pour l'examen de ce projet ; il pensait que l'honorable membre l'avait adopté.

Eh bien, par note projet nous admettions l'exonération avant le tirage au sort. La partie financière est donc mieux assurée qu'en France. Aussi les ressources à obtenir par les mesures que nous proposions seraient, sans nul doute, bien plus considérables et permettraient d'accorder un pécule (page 575) à tout milicien congédié ; alors qu'en France le soldat qui a fini son terme de service ne reçoit aucune indemnité.

Je ne discuterai pas les divers projets d'exonération, parce que je ne crois pas le moment opportun et que M le ministre de l'intérieur vient de reconnaître qu'il y a des améliorations à introduire, il examinera la question et nous soumettra des propositions, nous pourrons alors nous prononcer avec connaissance de cause.

Le rapport de M. Coomans constate que beaucoup de pétitionnaires appelant la milice l'impôt du sang ; c'est le mot d'ordre qui a été donné, serait-ce parce que l'on ne s'acquitte de cette dette envers la patrie qu'en versant son sang ? Je demanderai alors qu'on veuille bien nous dire quel est le Belge qui a payé cet impôt depuis 20 ans. C'est là une qualification impropre qui pouvait être employée sous le premier empire, époque à laquelle le tirage au sort ne servait qu'à indiquer l'ordre de départ de chaque conscrit et alors que beaucoup d'entre eux ne revenaient plus dans leur loyer.

Mais aujourd'hui, si on veut conserver à la milice le nom d'impôt, on serait dans le vrai en l'appelant l'impôt du patriotisme, l’impôt du progrès, l'impôt de la civilisation. N'est-ce pas en effet sur nos milices que nous nous reposerons un jour pour défendre la patrie ? N’est-ce pas dans la milice que l'intelligence de bien des jeunes gens se développe ? Ils y deviennent, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, plus propres, plus soumis, plus actifs, plus laborieux ; beaucoup d'entre eux acquièrent dans les écoles régimentaires l'instruction qui leur manque : ils retournent enfin dans leur famille complètement transformés.

Je repousse donc de toutes mes forces le nom d'impôt du sang, que l'on donne à la milice ; ou ne la qualifie ainsi que dans le seul but de la rendre odieuse.

Je proteste également contre cette phrase du rapport où il est dit que nos soldats n'ont qu'une maigre nourriture et une paye dérisoire. Il faut n'avoir jamais mis les pieds dans une caserne pour écrire de telles choses. La Belgique est, de tous les pays du continent, celui où le soldat est le mieux nourri, le mieux payé. Quel est l'ouvrier qui mange de la viande tous les jours, qui est aussi bien vêtu, aussi bien logé, et entouré d'autant de soins que nos soldats ? Les officiels les traitent généralement très paternellement. Oh ! si on nous disait que ce bien-être ne compense pas la liberté, alors on aurait raison.

M. Pierre. - Un grand nombre de pétitions tendantes à la réforme des lois sur la milice nationale nous est parvenu. Nul plus que moi ne respecte le droit de pétitionnement. Je me garderai donc bien de blâmer, en aucune façon, l'exercice de ce droit en lui-même, mais je remonte plus haut que les pétitionnaires et j'arrive directement à la source du mouvement général qui se produit dais les esprits. Aussitôt je me trouve en mesure de constater que le pétitionnement n'est autre chose qu'une machine de guerre politique dont nos adversaires font usage. Et voyez comment l'esprit de parti occasionne et amène parfois chez les hommes d'étranges égarements en contradiction avec la logique la plus élémentaire ! L'obstacle ou du moins la tentative d'obstacle que nos adversaires jettent inconsidérément en travers de notre chemin est contraire et diamétralement opposé à leurs principes et à leurs antécédents, car je ne puis supposer que leurs actes ne soient pas la conséquence de leurs principes.

Dans les premières sessions qui ont suivi les événements de 1848, dont le contre-coup est arrivé à ses toutes dernières limites les plus extrêmes et finales, il se manifesta une tendance très prononcée à la réalisation d'économies dans les diverses branches des services publics. On fixa naturellement son attention sur l'objet de la dépense la plus élevée et en même temps la plus disproportionnée avec la manière d'être de notre pays. Où se trouvèrent les promoteurs et les appuis de mesures économiques à prendre de ce chef ? Ce fut, sans contente, dans les rangs du grand parti libéral auquel je me fais de plus en plus honneur d'appartenir.

Depuis cette époque jusqu'à présent, où se trouvèrent les promoteurs et les appuis d'un contingent de miliciens devenu exorbitant et d'un chiffre de budget de la guerre dépassant les proportions indiquées et tracées par la saine raison, comme par une sage entente de l'administration publique ? Ce fut, au contraire et sans conteste encore, dans les rangs de nos adversaires politiques, bien plutôt que dans les nôtres, car dans ceux-ci, une opposition assez forte s'est manifestée, eu toute occasion importante et plus particulièrement décisive.

Or, nos adversaires voulant et votant avec persistance, sauf quelques-uns des leurs, le contingent de miliciens non raisonnable, imposé au pays, et le budget de la guerre ruineux, dont nous sommes accablés, n'est-il pas inconcevable, qu'ils aient osé mettre en avant une machine de guerre, en opposition flagrante avec l'état de choses actuel, puisque si ce moyen aboutissait à l'abolition de la conscription, c'est-à-dire à la suppression du contingent de miliciens lui-même, c'en serait fait du chiffre excessif de l'armée, car la base fondamentale, qui est le contingent, lui échapperait et il lui resterait, suivant l'état de chose actuel, environ neuf mille volontaires, dans le sens véritable de la qualification de volontaires, ainsi, que l'a expliqué, tout à l'heure, l'honorable M. Thiéfry.

On le voit, nos adversaires ne sont, en ceci, nullement conséquents avec eux-mêmes, car je ne pense pas qu'ils contesteront ce que j’ai dit tout à l'heure, à savoir que le pétitionnement est le fait résultant d’un mot d'ordre donné par eux, afin de nous contrecarrer et de nous susciter des embarras populaires.

Ces prémisses d'une logique et en même temps d'une vérité incontestables étant déduites, j'aborde le fond de la question, c'est-à-dire l'examen sommaire du fondement ou du non fondement des pétitions qui nous sont soumises. Assurément, je ne pense pas que tout soit pour le mieux dans notre législation en matière de milice. Je suis profondément convaincu qu'en cela, comme en tant d'autres matières, d'importantes améliorations doivent être et seront introduites. Mais la législature d'un pays n'a point à se préoccuper uniquement de la nécessité des réformes, dans telle ou telle partie du système gouvernemental existant, elle doit aussi se préoccuper très attentivement de l'opportunité ces réformes. On ne gouverne point, en quelque sorte, mathématiquement et d'une manière abstraite ; il faut tenir compte, tant de la situation particulière du pays, que de la situation des autres pays, surtout des pays avec lesquels on est en contact pour ainsi dire immédiat, quand il s'agit de mesures rentrant dans les conditions d'une situation générale, comme dans l'espèce qui nous est offerte.

Alors que toute l'Europe est dans un état d'armement excessif, car elle se tient prête à de grandes éventualités, il y aurait évidemment imprévoyance de notre part de désorganiser notre état militaire. Je n'ai pas besoin de dire ici que je regrette et déplore vivement une telle situation. Il me paraît préférable de donner, par des actes, une preuve irrécusable de la sincérité de mes regrets incessants.

Qu'il me suffise de dire que je saurai me résigner à attendre l'arrivée du temps de réformes qui, excellentes en elles-mêmes, seraient aujourd'hui inopportunes.

Je conclus que, pour le moment, la seule chose à faire, c'est d'indiquer au pays, par un ordre du jour motivé, la considération principale et dominante qui commande provisoirement, sans aucun doute, le maintien du statu quo de notre législation en matière de milice.

M. Coomans, rapporteur. - Messieurs, n'ayant pas de discours écrit et voulant me borner à répliquer aux honorables préopinants, je demanderai toute l'indulgence de la Chambre.

Plusieurs choses étranges ont été dites dans ce débat, mais il en est une qui étonnera tout particulièrement les familles qui nous ont envoyé leurs suppliques, c'est la surprise que l'on manifeste ici d'entendre des plaintes au sujet des lois sur la milice ! A en croire les honorables membres qui me combattent, j'aurais apporté ici une révélation, j'aurais inventé les griefs dont se plaignent 72,000 pétitionnaires !

Eh, messieurs, notre loi fondamentale déclare qu'il y a urgence de réformer notre système de recrutement en même temps que les cadres de l'armée. (Interruption.) La loi fondamentale, dis-je, déclare qu'il faut remanier dans le plus bief délai notre organisation militaire. Or, les mots organisation militaire renferment bien, je pense, le système de recrutement, et je suis très étonné que M. le ministre de l'intérieur m'interrompe sur ce point, lui qui a prononcé plusieurs discours pour démontrer que la réforme du recrutement est comprise dans la prescription de l'article 139 de la Constitution.

Ainsi, messieurs, la loi fondamentale de 1831 déclare nécessaire, urgente, la réforme de nos lois sur la milice. L'honorable M. Rogier déclare à peu près tous les dix ans, quand il n'est pas ministre, que ces lois sont mauvaises. Une foule d'autres membres, appartenant aux différentes opinions disent la même chose, de temps en temps, lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir.

On saisit toutes les occasions pour déclarer que les lois sur la milice sont mauvaises, qu'elles pèsent lourdement sur le peuple, sur les classes laborieuses au profit des autres, qu'elles renferment des injustices criantes, etc. Dès lors est-il surprenant, que les populations se plaignent ? voudrez-vous que les populations se contentassent de vos vains discours ?

N'est-il pas naturel qu'elles vous prennent au mot, et vous somment enfin d'exécuter notre loi fondamentale et vos promesses, après 27 ans d'attente, après un long ajournement qui est sans motif comme sans excuse ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi en 1858 et non pas en 1857 ?

M. Coomans. - Vous pouvez adresser ce pourquoi à d'autres membres ; je n'ai jamais cessé de demander la réforme du recrutement depuis 1833 ; mais je voudrais que vous voûtassiez bien me laisser le temps d'achever l'expression de ma pensée.

Je dis donc qu'il n'y a rien de surprenant dans les plaintes nombreuses qui vous sont parvenues, non pas depuis l'année dernière seulement mais depuis de longues années, au sujet des lois sur la milice ; quant à moi je suis surpris que les plaintes ne soient pas plus vives, qu'elles ne soient pas plus continuelles, qu'elles ne se soient pas produites plus tôt et d'une manière beaucoup plus efficace.

Reconnaissons-le, messieurs, il y a quelque chose de dérisoire à vouloir payer les familles de vaines promesses, de vains discours ; il est du devoir d'honnêtes citoyens de réformer selon leur conscience les abus quand ils sont signalés. Je conçois parfaitement que les honorables membres qui ne partagent pas nos convictions au sujet des lois sur la milice, s'opposent à la réforme de ces lois ou tâchent au moins d'ajourner l'application de ces réformes.

Mais lorsqu'on est animé d'une foi sincère, on doit agir. Or, si l'honorable M. Rogier, si l'honorable M. E. Vandenpeereboom, si d'autres ()page 573) honorables membres qui se sont plus particulièrement occupés de la loi sur la milice, avaient agi avec le désir sincère et efficace d'aboutir, il y a longtemps que nous aurions atteint au but que nous devons avoir tous en vue. Je dis tous, parce qu'il n'est pas vrai le moins du monde que je me trouve isolé. La plus grande partie de mon rapport est consacrée à la démonstration des vices nombreux que renferme la loi sur la milice.

Eh bien, ce n'est pas seulement la commission qui s'est associée à cette partie du rapport ; je n'ai pas rencontré sur les bancs de cette Chambre un seul membre qui ne soit pas de mon avis sur la nécessité de réformer la législation sur la milice dans plusieurs de ses dispositions essentielles.

Savez-vous la différence qui existe entre ces membres et moi ? Moi, je veux agir conformément aux convictions qui m'animent, tandis que les autres se bornent à parler.

Or, j'ai trop de respect pour mon pays, j'aime trop le peuple pour me borner à de vains discours lorsqu'il demande des actes.

Il est surprenant qu'après 27 années d'études (car la question a dû être mise à l’étude le lendemain de la promulgation de la loi fondamentale) ; il est surprenant qu'après 27 années d’études, on ne nous apporte pas ici la moindre mesure de réparation. J'écoute très attentivement les divers orateurs qui reconnaissent en principe que les lois sur la milice doivent être réformées et je me demande encore à quoi Ils veulent aboutir. L'honorable ministre de l'intérieur a exposé 2 ou 3 idées ; mais il ne nous a pas dit laquelle de ces idées il adopte, de manière que je crains que les familles qui se sont adressées à nous ne soient leurrées.

Un mot sur les pétitions qui sont œuvre sérieuse, émanée de citoyens honorables et inspirée par de bons sentiments.

Le pétitionnement, dit-on, a été provoqué ; c'est le résultat d'une agitation factice. Il y a du clérical là-dessous, il y a des meneurs ; car il n'y a que les cléricaux qui puisent prétendre que les lois de milice sont assez mauvaises pour être réformées.

Le pétitionnement donc est une œuvre factice, et, qui plus est, l'œuvre d'un seul homme ; c'est M. Coomans qui a tout fait ; c'est lui qui a ouvert les yeux aux populations ; c'est lui qui leur a imprudemment prouvé qu'elles ont souffert trop longtemps ; c'est lui a inventé tous les abus dont elles se plaignent : c'est lui qui a remué les populations et engagé 72,00't citoyens à user du droit constitutionnel de pétition ; c'est lui qui les a frappés d'aveuglement ; nous devons éclairer, édifier ceux qu'il égare. 0 le grand coupable que ce député !

En un mot, ces 72,000 pétitionnaires belges sont dépeints ici absolument comme des imbéciles, comme des marionnettes dont un seul machiniste tient les ficelles.

Erreur, messieurs, erreur profonde et peu patriotique, La vérité est que ces 72,000 pétitionnaires, appartenant à toutes les opinions politiques, et plutôt encore à la gauche qu'à la droite, hélas ! savent parfaitement ce qu'ils ont fait, même ceux qui ont apposé une croix sur les pétitions, ils le savent malheureusement par eux-mêmes, et je puis assurer qu'on me fait beaucoup trop d'honneur. Du reste, si l'on tient absolument à me mettre à la tête d'une armée de 72,000 pétitionnaires, si l'on me force à la commander, si l’on violente à ce point, et ma modestie et mes goûts, et la vérité, eh bien, j'accepterai ce rôle très honorable, et je ne répondrai plus à un pareil reproche ; il est trop flatteur pour que j'en sois honteux.

Quand les pétitionnaires, dont je ne suis encore que le défenseur, m'accepteront réellement pour chef, les opérations de la campagne n'en avanceront que plus vile.

Il y a nos croix apposées sur des pétitions, a dit M. Thiéfry presque en se signant ; c'est vrai ; j'en ai vu, moi-même, sans horreur ; mais nous devons respecter ces croix ; chacune de ces croix est peut-être le signe d'une grande souffrance, d'une respectable douleur ; chacune de ces croix doit être la croix d'un père de famille, peut-être même d'une mère de famille.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'en savez-vous ?

M. Coomans. - C'est une hypothèse, je l'avoue, mais cette hypothèse est bien naturelle, après les 10,000 croix dont vous marquez chaque année les familles. D'ailleurs beaucoup de ces croix sont certifiées par des magistrats communaux.

On veut savoir immédiatement quel est mon système. Je pourrais répondre qu'on est bien curieux, attendu que mes honorables adversaires ne me font pas connaître leur système à eux, et qu'ils devraient en avoir un plutôt que moi, parce qu'ils sont ministres, parce qu'ils sont mes aînés dans cette Chambre et qu'ils sont obligés d'avoir un système après avoir déclaré, pendant 27 ans, que la loi doit être réformée, qu'elle est mauvaise. Je pourrai donc die à ces honorables membres : « Tirez les premiers. »

Quoi qu'il en soit, je dirai immédiatement quel est mon système ; il est si simple qu'il vous surprendra peut-être ; c'est le système de la loi-mère sur la milice, c'est le système actuellement en vigueur au point de vue légal ; c'est le système de la loi du 8 janvier 1817. (Interruption.)

Cela vous surprend ; c'est pourtant la vérité pure.

Je soupçonne l'honorable ministre de l'intérieur de n'avoir guère lu cette loi ; c'est sa principale excuse pour les longs retards qu'il a mis la réformer. (Interruption.)

.Je maintiens le mot. Si l'honorable ministre avoir lu quelque peu attentivement cette loi, il aurait vu que le système qu'il a essayé de tourner on ridicule y est inscrit tout au long.

La loi de 1817 déclare qu'il y aura une armée permanente de volontaires qui fera seule le service militaire régulier ; que, pour appuyer cette armée, il y aura une milice organisée, à peu près comme elle l'est aujourd'hui, milice qui restera sous les drapeaux chaque année pendant un mois. Après cela, tout à fait à l'arrière-plan, dans le lointain, la loi de 1817 place une sorte de garde nationale appelé alors Schutterij.

Voilà le système de la loi de 1817 qui est encore en vigueur à l'heure qu'il est.

Si je mettais dans nos discussions plus de tactique que de franchise, je pourrais me borner à cette déclaration et rappeler simplement le gouvernement au respect de la loi et j'aurais plusieurs complices ici.

En effet, en 1845, il a été déclaré, dans cette enceinte, sans opposition de la part de l'honorable M. Rogier et même, dirai-je, avec son assentiment, que l'application actuelle de nos lois de milice est complètement illégale. Un jour, l'honorable M. Manilius, dans un discours original et sensé, s'appliqua à prouver que la loi de 1817 n'était pas exécutée, que chaque année on enrôlait une foule d'hommes forcément, indûment ; qu'au lieu d'une armée de miliciens il fallait une armée permanente composée de volontaires seuls, et, en second lieu, une milice formée au moyen du tirage au sort. Cette milice ne devait tenir qu'un mois par an pendant cinq ans.

J'avoue que c'est pour éviter tout reproche de jouer avec les mots, c'est même, dirai-je, pour ne pas accuser le gouvernement de mon pays d'avoir vécu d'illégalité si longtemps, que je n'ai pas eu recours à cette argumentation, que je me borne à attaquer la bête par les cornes, c'est à-dire à demander simplement et purement une armée de volontaires.

Ceci soit dit uniquement pour démontrer que je ne suis pas un si grand utopiste qu'on le prétend, mais que je suis un homme pratique ayant des prétentions très modérées, puisque je demande l'exécution loyale, franche de la loi fondamentale et de la loi organique du 8 janvier 1817. Si je ne vous ai pas exposé plus longuement l'organisation de cette milice, dont parle la loi de 1817, dont je souhaite la formation en Belgique, c'est parce que je n'ai pas la prétention d'apprendre quoi que ce soit en matière militaire à la Chambre ; je laisse ce soin à des hommes plus compétents que moi, ne voulant pas imiter ceux qui n'avouent pas aussi franchement que moi leur incompétence.

Je ne réfuterai pas le reproche que me fait M. Pierre qui voit l'action des cléricaux ou des Chinois dans les pétitions contre la milice forcée. Pouvons-nous nous reconnaître de si grands coupables, quand nous nous rappelons que la thèse que nous soutenons aujourd'hui sur la milice a été soutenue cent fois par des libéraux très influents de cette assemblée ? En 1837 M. Rogier, il vient de l'avouer, a demandé la réforme des lois sur la milice.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sous certains rapports.

M. Coomans. - Soit, sous certains rapports ; mais vous trouviez que la loi n'était pas bonne, qu'elle était injuste ; c'est tout ce que dis ; si vous voulez vous contenter de cela, c'est assez pour la réformer ; il est vrai que M. Rogier n'était pas ministre, il n'en faisait pas de moins bons discours pour cela.

Le 10 avril 1845, nouveaux débats sur la milice, et M. Rogier fait encore un bon discours pour démontrer que ces lois sont injustes, qu'il faut les réformer, qu'il y a urgence, que l'impôt du recrutement pèse lourdement sur les classes laborieuses ; cette allégation suffit ; je ne veux pas, moi, contribuer à l'application de lois injustes. Quand je ne vote pas le budget de la guerre, c'est à mon grand regret, c'est que ma conscience ne me permet pas de voter un budget qui repose sur des lois injustes ; je veux mettre la logique et mes votes d'accord avec mon cœur.

C'est un sentiment qu'il faut respecter, même quand il n'est pas partagé et qu'il obtient peu de succès. En 1850 et 1851 même charge à fond contre la milice ; M. Rogier l'a déclarée encore injuste et accablante pour les petites familles.

Nous sommes en 1858 et rien n'est fait encore ; que dis-je ? loin de reformer les lois sur la milice conformément à la prescription péremptoire de la loi fondamentale belge, loin de les réformer dans le sens d'une atténuation du service militaire (c'était là la pensée du congrès constituant) ; loin d'amoindrir le fardeau, vous l'avez alourdi sans cesse ; vous y avez ajouté toutes sortes de charges supplémentaires. Il y a eu une tentative, heureusement non suivie d'exécution en 1853, pour augmenter encore les charges déjà écrasantes du service militaire. (Interruption )

Vous vouliez porter à dix années au lieu de huit la durée du service militaire.

- Un membre. - Qui ?

M. Coomans. - Nos honorables adversaires !

M. Thiéfry. - C'est une erreur !

M. Coomans. - II fallait cependant que ce projet de loi eût des partisans dans cette enceinte, puisqu'il a été déposé au nom du gouvernement ; mais il a eu très peu de succès dans les sections ; par cette raison et pour d'autres il n'a pas eu de suite. Mais je constate que nos lois de milice, au lieu d'être atténuées ont toujours été renforcées.

J'essayerai de rencontrer encore quelques-uns des arguments qui ont été présentés par mes honorables adversaires. Je le ferai dans l'ordre où (page 577) ils ont été présentés. Je m'acquitterai de cette tâche aussi rapidement qu'il me sera possible.

En 1830, dit-on, il n'y a pas eu de réclamations, pour les réformes de notre organisation militaire ; je le crois bien ; nous venions de reconquérir le premier des biens, notre indépendance nationale ; nous devions désirer de la conserver ; tout citoyen qui eût voulu alors porter atteinte à nos lois militaires eût été un mauvais citoyen ; en 1831 une demande de réforme de la loi sur la milice eût été une lâcheté ; c'est pour cela que vous n'en avez pas eu ; mais plus tard il était tout naturel que des pétitions vinssent pour demander que la charge militaire pèse également sur tous les citoyens belges.

L'honorable M. Rogier prétend que les 22,000 hommes jugés aptes au service et non exemptés peuvent être, selon la loi, appelés à l’activité ; cela est vrai, mais ils ne le sont pas, ils ne l'ont jamais été, ils ne le seront jamais ; ils ne peuvent même pas l'être. Je voudrais savoir ce qu'on ferait avec 200,000 hommes au lieu de 100,000, en présence des cadres que nous possédons ; car si les 200,000 hommes au lieu de 10,000 étaient appelés pour le service, nous aurions 200,000 hommes sous les armes au lieu de 100,000, et vous en seriez embarrassés. Les 10,000 hommes appelés sont les seuls utiles ; les autres ont tiré de bons numéros, on ne les appelle plus.

L'égalité dont on parle n'existe donc pas ; l'égalité qui n'existe ni pour les 40 mille ou 45 mille jeunes gens de la même classe, existe-t-elle pour les dix mille appelés ? Pas davantage, attendu que huit mille sont frappés d'un impôt dont ils ne peuvent se libérer que par un service personnel, tandis que les 2 mille autres se libèrent par un service d'argent. L'impôt n'est donc pas juste, puisqu'il n'est pas égal.

Ce n'est donc pas le service personnel que vous mettez en loterie, ce n'est pas la question de savoir si un tel sera soldat ou non, mais si un individu payera une somme de mille à 1,500 fr. et l'autre pas. Le même impôt argent est demandé au riche comme au pauvre ; voilà l'inégalité ; vous pourriez à la rigueur mettre en loterie l'ordre du départ des hommes jugés aptes à servir, mais c’est de l'argent que vous mettez en loterie, c'est-à-dire que vous offrez les mêmes chances aux pauvres et aux riches. Voilà une iniquité criante que je ne cesserai pas de signaler.

M. le ministre de l'intérieur a très peu de confiance dans l'espèce de réserve que je proposais d'adjoindre à l'armée de 35,200 volontaires.

Ce serait, dit-il, de la garde civique ; et il n'en veut pas.

Ceci, messieurs, est autre chose : il y a quelques années, on nous faisait de la garde civique les plus grands éloges ; on prétendait quelle aurait pu servir sérieusement, non seulement au maintien de l'ordre public, mais encore à la défense nationale. On est d'un autre avis aujourd'hui ; ce n'est pas à moi à expliquer la contradiction. A ce propos, je ferai remarquer à l'honorable M. Thiéfry que je n'ai pas dit, comme il l'a allégué, que cette garde civique serait tout à fait capable et digne d'entrer en campagne avec les 35,000 volontaires.

M. Thiéfry. - J'ai lu votre rapport.

M. Coomans. - Et moi j'ai écrit mon rapport, ce qui est plus sûr.

Eh bien, je n'ai absolument rien voulu dire de semblable. Qui ne sait que 35,000 volontaires bien exercés ; rompus aux fatigues du service pendant 10 et 20 années, offriraient plus de consistance militaire que des hommes exercés annuellement pendant une, 2 ou 3 semaines seulement ? J'ai dit que ces 100,000 hommes seraient dignes par leur patriotisme et leur zèle d'appuyer les 35,000 volontaires et de se mettre à côté d'eux pour la défense du pays ; j'ai surtout parlé de leur zèle et de leur dévouement et je pense qu'il faudrait les consacrer principalement à la défense de l'ordre public et des places fortes.

On a fait de nouveau un tableau affreux, déchirant de la presse, du racolement ; c'est le grand argument de nos adversaires. Mais qui donc voudrait le renouvellement de ces abus ? Qui ne reconnaît que ce système est incompatible avec la formation d'une bonne et patriotique armée ? Personne n'en voudrait. Dans le sens des idées que j'ai émises, il va sans dire que le gouvernement aurait à faire un choix sévère parmi les volontaires qui se présenteraient, car j’ai toujours cru et je crois encore qu'il s’en présenterait beaucoup plus qu'il n'en faudrait pour former une armée de 35,000 hommes, pourvu qu'on leur assurât un avenir, pourvu qu'on fît pour eux ce qu'on fait pour les fonctionnaires inférieurs, et notamment pour les douaniers et les gendarmes.

Je n'ai jamais entendu dire, en effet, qu'en Belgique il ait fallu racoler la gendarmerie. C'est insulter la gendarmerie et les volontaires que de le dire. Tous nous sommes d'accord, je pense, pour rendre hommage au bon esprit qui anime la gendarmerie et nos braves sous-officiers de l'armée.

M. Pirson. - On ne parvient pas à compléter la gendarmerie.

M. Coomans. - Traitez les mieux et les gendarmes ne manqueront pas.

M. Orts. - On ne parvient pas même à avoir des pompiers à Bruxelles.

M. Coomans. - C'est que vous ne les traitez pas bien.

M. Orts. - Pardon ; nous les payons très bien.

M. Coomans. - Au surplus, messieurs, ne médisez pas trop de la presse comme on la pratique en Angleterre ; car vous l’avez eue en Belgique, mais sous un autre nom. Seulement, ce ne sont pas les racoleurs qui font la presse, ce sont les gendarmes, c’est le gouvernement, c’est le ministre de la guerre. Si donc c'est une chose si rigoureuse que de faire d'un ivrogne un soldat malgré lui, il est bien plus rigoureux encore de forcer à être soldat un jeune homme à jeun. Voyez, dit l'honorable M. Thiéfry, ce qui se passe en Angleterre : un homme s’enivre, un racoleur arrive à lui et lui fait signer, comme certain personnage de grand opéra, une pancarte diabolique : le voilà rivé à l'armée, et à son réveil ce malheureux se trouve être soldat.

Mais, messieurs, si cet individu s'est volontairement exposé à ce qui lui est arrivé, il est moins à plaindre, me semble-t-il, que le pauvre jeune homme qui ne s'est pas enivré et doit cependant marcher.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ils se rendent en chantant sous les drapeaux.

M. Coomans. - On chante parfois pour se consoler. Je dis que vous avez une milice forcée et que le milicien qui ne se rend pas sous les drapeaux y est conduit par les gendarmes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et moi je dis que nos gendarmes ne sont pas entraînés par des racoleurs ; que c'est leur faire injure de le prétendre, et j'ajoute qu'en général on sert sans murmurer.

M. Coomans. - Je dis que les gendarmes sont très souvent obligés d'user d'autorité pour obliger les miliciens à rejoindre leurs corps.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est l'exception !

M. Coomans. - Alors, n’accordez pas de primes pour l'arrestation des réfractaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On en donne pour 7 francs par an.

M. Coomans. - Vous avez d'autant plus tort dans ce cas d'inscrire dans le budget cet affront fait à l'armée belge. (Interruption.)

Messieurs, je suis décidé à répondre aux arguments que je crois susceptibles de réponse, je prie donc la Chambre de me laisser parler.

M. le président. - Personne ne vous en empêche.

M. Coomans. Il y aurait, dit-on, un impôt d'au moins 2 millions à ajouter au budget de la guerre si la législature se décidait à offrir quelques adoucissements aux miliciens ; et l'on recule devant cet impôt à prélever sur la totalité des contribuables. Mais, messieurs, cette charge, vous l'imposez aujourd'hui à quelques familles seulement et cela est certes bien plus dur. Je pense que sur ce point particulier j'ai quelque chance d’être d’accord avec M. le ministre de l'intérieur. Je ne vois pas du tout, quant à moi, qu'il soit juste de frapper un petit nombre de familles d'un impôt qui devrait être acquitté au contraire par la grande famille belge tout entière. Et j'ajoute en passant que cet impôt que vous prélevez chaque année dans la bourse de 2,000 familles doit être ajouté au budget de la guerre, car c'est une dépense réelle qui se fait pour votre établissement militaire. La question est seulement de savoir qui acquittera cet impôt ; si ce seront ces 2,000 familles qui le payent maintenant ou si ce sera le million de familles dont se compose la nation belge. Pour moi, je pense que toutes les dépenses militaires doivent être supportées par la nation entière.

Je ne sais si je dois réfuter la crainte qu'on a éprouvée de donner trop d'argent aux soldats ; on a paru craindre qu'on n'avilît la mission du soldat en ajoutant quelques centimes aux 2 ou 3 centimes qu’il a par jour.

Vraiment, messieurs, c'est prendre trop de souci de l’honneur militaire. Je ne vois pas pourquoi il serait avilissant pour les soldats de recevoir quelques centimes de plus qu'ils ne reçoivent aujourd'hui alors que nous saisissons toutes les occasions d'élever les appointements des hauts fonctionnaires de l’État.

On affirme qu'il serait impossible de réunir, à coup sûr, une armée de 30,000 volontaires, et, prétend-on, il faut que l'on puisse la former à coup sûr, ou le système des enrôlements volontaires est dangereux..

Ceci est un argument sérieux. Il est certain qu'il faut que l’armée ait les moyens de maintenir efficacement l'ordre public et, au besoin, de défendre le pays contre une agression étrangère. Mais j'ai une foi si profonde dans l'efficacité des moyens que j'emploierais pour créer une armée de volontaires, que je consentirais volontiers à un essai dans le sens que je vais dire.

Je voudrais que la loi offrît aux volontaires des avantages présents et futurs, futurs surtout, tels qu'il s'en présentât beaucoup aux régiments, et que le déficit des hommes (mais seulement après l'application des moyens dont je parle,) fût prélevé au moyen de la conscription comme il l’est aujourd’hui. Dès lors, me semble-t-il, tous les scrupules sérieux devraient disparaître dans l'esprit des défenseurs obstinés d'une forte armée.

Je respecte les scrupules présentés par l'honorable ministre à ce sujet.

Il nous faut certainement une bonne armée ; mais cette armée vous l'aurez, et je vous l’accorderai moi-même par la voie du tirage au sort, si l'expérience nous apprend que les mesures employées par nous, pour attirer le plus de volontaires possible dans l'armée, restent inefficaces. Quel danger y aurait-il à faire cet essai ? Aucun.

Ce sera là, à mon sens, la pierre de touche de la bonne volonté qu'on mettra à réformer nos lois de milice. Je ferai observer que ce que je viens de dire est tout bonnement l’application de la loi de milice de 1817. Mais il est bien entendu, dans cet ordre d'idée, qu’on ne se borne pas à appeler les volontaires avec la certitude et le désir de les voir venir et surtout qu'on ne refuse pas les volontaires ; et par malheur c'est ce (page 578) qu'on fait, l'honorable M. Thiéfry vient de le reconnaître, nous le savions du reste, on a refusé encore 200 volontaires cette année. Ces refus sont très fréquents et je n'hésite pas à dire qu'ils sont déplorables.

Je ne pense pas que le fait soit contesté. L'honorable M. Thiéfry sera mieux à même que moi d'administrer la preuve de son allégation. Je le suppléerai au besoin.

Il faut en finir avec le pétitionnement, dit l'honorable ministre. Il faut en finir, oui. Mais vous n'en finirez sur cette question grave, je vous le prédis avec une entière assurance, qu'après avoir fait voter par la Chambre une bonne loi. Ce n'est pas, encore une fois, avec des discours que vous en finirez, ce n'est pas avec de vaines promesses jamais exécutées ; il faudra présenter le plus tôt possible une bonne loi, inspirée par des sentiments généreux et en grande partie conforme aux demandes des pétitionnaires.

Il va sans dire, messieurs, que la petite atténuation indiquée par l'honorable ministre, a ma complète approbation. Presque tous les miliciens sont retenus aujourd'hui à l'armée par le boulet de la masse qu'ils traînent au pied. Pouvez-vous faciliter leur rentrée au foyer paternel après ses deux ou trois années qu'ils restent au régiment, en acquittant leur masse aux frais de l'Etat ? Ce sera une mesure bonne et juste, mais bien inefficace, qui ne fera pas cesser les plaintes légitimes, les plaintes fondées des pétitionnaires.

L'honorable M. Rogier me reproche (car il paraît que je suis toujours en cause, c'est moi qui lais tout le mal ici) d'avoir provoqué en 1853 la suppression de la prestation exigée pour la garde civique. Je parle de cette somme demandée à toutes les familles qui n'avaient pas de membres dans les rangs de la garde civique. Il n'en est rien, j'en appelle aux honorables membres qui faisaient partie avec moi de la section centrale. Je me suis borné à adopter une proposition qui avait été faite par des amis de M. le ministre de l'intérieur. le l'ai adoptée, mais ne me faites pas un crime d'être de l'avis de vos amis. Je me borne à déclarer que je n'ai pas pris l'initiative de cette mesure ; si elle est mauvaise dans l'esprit de l'honorable ministre, il doit la reprocher à ses amis. Du reste, j'accepte ma part de responsabilité. Je crois qu'il était convenable de supprimer cette prestation. C'est à titre de simple rectification que je fais cette remarque.

Le pétitionnement ne signifie rien, dit-on. Il est si facile, même à un seul homme, de faire circuler 1,800 pétitions couvertes de 72,000 signatures, dont plus de 1,200 bourgmestres et échevins, et s'il venait à l'esprit d'un membre de cette assemblée (c'est l'honorable M. Thiéfry qui l'affirme) de faire pétitionner pour la suppression des impôts, vous verriez les pétitions pleuvoir dans cette enceinte. Tout le monde pétitionnerait pour l'abolition des impôts !

Messieurs, cela n'est pas vrai. Je ne fais pas à mes compatriotes cette cruelle injure. Nos compatriotes savent qu'il faut des impôts, et vous ne trouverez pas dix imbéciles (cette fois le mot serait bon) qui consentiraient à signer une pétition demandant l'abolition des impôts. Dans tous les cas, ce n'est pas moi, ni personne ici, qui provoquerait un prompt rapport sur une pareille pétition. Quant aux 1,800 pétitions pour la milice, au lieu d'en médire, respectez-les, et vous ferez sagement.

Si nous avions, dit l'honorable M. Thiéfry, une armée de volontaires, nous n'aurions rien, car nous ne trouverions pas un seul général qui voulût la commander ; j'ai à ce sujet d'autres idées que l'honorable membre. Je me bornerai à lui faire observer que nos illustrations militaires les plus estimées étaient moins difficiles, qu'elles consentaient à commander des volontaires. Les Tilly et vingt autres étaient charmés de commander des volontaires et de prouver qu'ils n'étaient pas aussi mauvais qu'on le dit.

M. Thiéfry. - Ne prêtez pas à d'autres des pensées qu'ils n'ont pas, pour le bon plaisir de les réfuter.

M. Coomans, rapporteur. - Je crois avoir entendu dire à l'honorable membre qu'on ne trouverait pas, en Belgique, un général qui consentît à commander une armée de volontaires. C'est à cette singulière assertion que je viens de répondre.

Du reste, ajoute l'honorable membre, M. Coomans est complètement isolé, non seulement parmi les bourgeois, mais aussi parmi les militaires ; il ne cite pas un seul militaire qui veuille du système des enrôlements volontaires.

Puisque l'honorable M. Thiéfry me provoque, je vais lui donner un renseignement très curieux et qui l'intéressera beaucoup : c'est que le ministre actuel de la guerre en Hollande a publié un ouvrage dans lequel il préconise les enrôlements volontaires, à l'exclusion de tout autre système, et soutient que la patrie peut se passer de la milice forcée. Quant à mon isolement, au milieu de 72,000 pétitionnaires je le trouve très tolérable.

Je pourrais citer d'autres autorités et des autorités militaires très compétentes en cette matière ; mais cela nous mènerait trop loin. Du reste, le recrutement n'est pas une question exclusivement militaire. C'est bien plutôt une question civile, c'est une question d'équité, de justice et de bon sens que nous sommes tous à même d'apprécier.

Voici un détail encore, mais il faut que je rectifie les diverses allégations de l'honorable M. Thiéfry. Il prétend que lorsque j’ai examiné avec lui, avec les honorables MM. Vandenpeereboom, de Decker, Loos et autres, les divers systèmes d'exonération mis en avant, j'ai adopté le système qui a prévalu dans cette réunion.

Eh bien, j'en appelle à la mémoire loyale de l'honorable M. Thiéfry et de tous ses honorables collègues ; ils savent que je me suis borné à dire que le système d'exonération admis dans cette réunion constituait une amélioration, mais que je ne l'acceptais pas, attendu que je ne le croyais pas logique, juste et praticable.

M. E. Vandenpeereboom. - C'est vrai.

M. Coomans. - J'ai si peu accepté ma part de responsabilité de ce système, que j'ai refusé d'assister aux dernières séances et que je me suis borné à payer ma part des frais d'impression du projet, déclarant que je me réservais de combattre le système adopté par mes honorables collègues.

Messieurs, je pourrais prolonger beaucoup ce débat, et non sans utilité, en examinant diverses applications très injustes de nos lois de milice ; mais je sais gré à la Chambre de m'avoir écouté avec bienveillance jusqu'à présent, et je n'abuserai pas de ses moments.

Puisqu'on a bien voulu, dans une intention que je ne puis pas considérer comme entièrement charitable, me faire jouer un grand rôle personnel dans cette affaire, je dois une explication à ce point de vue.

En n'hésitant pas à appuyer les pétitions pour la réforme des lois de milice, dans le sens des enrôlements volontaires, je suis resté fidèle à des convictions que j'ai souvent manifestées depuis vingt-cinq ans. Mon premier article de journal fut une prestation outre la milice forcée ; mon premier discours à la Chambre eut le même sens et le même but. J'ai toujours considéré la loterie militaire, telle qu'elle est pratiquée en Belgique, comme une iniquité criante envers les classes laborieuses, comme une pratique inhumaine, comme une fâcheuse anomalie dans l'ensemble de nos institutions nationales. Croyant que la justice, qui est la première des lois et le premier des intérêts sociaux, doit dominer toutes les lois et tous les intérêts chez les nations libres et civilisées, je me suis efforcé, je l'avoue, je m'efforcerai encore, je le déclare, d'obtenir l'abolition de la loterie militaire.

Je dois le reconnaître aussi et je le fais humblement : la cause que je défends a eu peu de sucées jusqu'à cette heure. La loi de 1817, loin d'avoir été améliorée et adoucie, a sans cesse été aggravée, et la promesse d'une réforme du recrutement, faite par le Congrès en 1831, n'a reçu aucune exécution.

La charge militaire est aujourd'hui, sous tous les rapports, beaucoup plus lourde qu'elle ne l'était en 1830. La voix du législateur constituant n'a pas été mieux écoutée que celle du public. Cela est vrai, mais 25 années de vaine attente n'ont détruit ni mes convictions, ni mes espérances. Aujourd'hui même qu'une grande manifestation du vœu national semble annoncer et assurer la victoire, je ne me fais pas illusion sur sa date. Je prévois, je prédis moi-même l'échec qui m'attend aujourd'hui ; il ne saurait être plus dur et, en apparence, plus humiliant que je ne me l'imagine moi-même. Mais j'y suis préparé et résigné. Le devoir de la conscience n'est pas de réussir, mais d'agir. D'ailleurs, rien n'inspire la patience comme la certitude de défendre une bonne cause, car, quelque éloigné qu'en soit le triomphe, il est certain.

Vous le savez bien, messieurs, le propre des grandes réformes est d'être longtemps désirées et puissamment combattues ; elles rencontrent deux terribles obstacles, à savoir les abus qu'elles menacent et les habitudes qu'elles dérangent. Il n'y a pas de grande réforme qui ait été improvisée. Rappelez-vous les longs efforts qu'ont coûtés l'abolition de l'esclavage, la police des mers, ces réformes parlementaire et alimentaire dans la Grande-Bretagne, la réforme postale, l'emploi de la vapeur, etc. Toute œuvre solide et durable naît et pousse lentement, péniblement, de même que croissent les arbres séculaires. Qui plante un chêne doit attendre. Aux pressés les broussailles.

Le résultat, quel qu'il soit, du vote que la Chambre va émettre, ne m'étonnera donc pas. Je n'en serai ni confus ni attristé outre mesure. L'avenir est aux pétitionnaires. Cet avenir, il dépend d'eux de le rapprocher singulièrement. Si leurs vœux sont méconnus en 1858, les élections de 1859 et de 1861 peuvent leur fournir l'occasion parfaitement légale de les exprimer d'une manière plus efficace. Après tout, nous ne sommes, nous ne devons être que les échos de la volonté nationale.

M. Thiéfry (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne puis accepter la position que l'honorable M. Coomans veut me faire en me prêtant un langage que je n'ai pas tenu...

M. Coomans. - Bien involontairement.

M. Thiéfry. - Je n'ai pas dit que, si on décrétait une armée de volontaires, on ne trouverait pas un général pour la commander, j'ai dit qu'on ne trouverait pas un général disposa à prêter son concours à l'exécution de la loi, c'est-à-dire qu'on ne trouverait pas dans l'armée un bonne capable qui voulût accepter le portefeuille de la guerre, à raison de la responsabilité qui pèserait sur lui dans certains moments.

M. Manilius. - Messieurs, je prends aussi la parole pour une espèce de fait personnel.

L'honorable M. Coomans m'a cité comme ayant soutenu dans le temps les mêmes idées qu'il défend aujourd'hui dans cette enceinte. Je tiens à expliquer à la Chambre de quelle manière je parais venir au secours de l'honorable M. Coomans.

Il y a 15 ans, il fut question d'une loi d'organisation militaire, et là, j'en conviens, j'ai émis l'opinion qu'avant toute organisation, il fallait commencer par la base, c'est à-dire qu'il fallait établir d'abord un mode de recrutement organique, au point de vus de la nationalité belge. (page 579) Il est vrai qu'alors j'ai demandé que la loi de 1817 fût convertie en une loi nationale. On a formulé, à cette époque, quelques modifications à la loi sur la milice et l’on a cru satisfaire ainsi à mes objections.

Voilà donc de quelle manière l'honorable M. Coomans me fait intervenir, en citant de moi un discours qu'heureusement je me rappelle fort bien et que je pourrais reproduire aujourd'hui, sans être aucunement de l'avis des pétitionnaires.

M. le président. - Voici un ordre du jour proposé par M. Thiéfry :

« La Chambre, sans s'arrêter aux demandes d'abrogation du mode de recrutement par la voie du sort, renvoie les pétitions à M. le ministre de l'intérieur en ce qui concerne les demandes d'autres modifications, qui pourraient être utilement introduites dans les lois sur la milice. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'accepte l'ordre du jour, je l'accepte parce que je le considère comme étant l'approbation des idées que j'ai émises dans mes discours. Je comprends cet ordre du jour de la manière que voici : Le gouvernement respecte les bases de la législation actuelle en ce qui concerne le mode de recrutement; il s'est engagé à introduire les améliorations dont cette législation lui paraîtrait susceptible.

Quoi qu'en dise l'honorable M. Coomans, j'ai lu la loi de 1817 ; elle consacre le principe du recrutement de l'armée par des volontaires, et par des miliciens désignés par le sort. C'est le système qui domine depuis 1817. Il s'agit de le maintenir, en y introduisant toutes les améliorations dont il peut être susceptible.

L'honorable M. Coomans a terminé par une révélation qui, pour moi, n'en était pas une ; il a terminé par où il eût dû commencer pouf mettre dans cette discussion une pleine franchise.

J'avais soupçonné que ce mouvement tout à fait extraordinaire et dont aucune trace n'avait apparu à aucune époque ; que ce mouvement qui avait attendu pour se produire l'arrivée d'un nouveau ministère, avait un but électoral, dans la pensée de l’honorable M. Coomans.

L'honorable membre vient de nous ajourner, en effet, aux élections de 1859 et de 1861 ; nous acceptons cet ajournement ; nous attendons M. Coomans, avec ou sans ses amis, aux élections de 1859 et de 1861.

On dira aux populations : « Renversez les libéraux, et nous vous délivrerons du fardeau de la milice. » Voilà le thème tout trouvé.

Eh bien, nous ne craignons pas les effets d'un procédé si peu national. Ce serait un expédient indigne d'un parti qui se respecte. Si l'honorable M. Coomans veut essayer de celui-là, après avoir si malheureusement réussi dans d'autres, libre à lui.

Mais, dans tous les cas, le parti libéral ne se laissera surprendre ni désarçonner par un expédient aussi grossier.

Le pays saura très bien que le jour où la loi sur la milice viendrait à disparaître, l'armée se composerait, non plus de soldats nationaux, mais de bandes mercenaires ; de ce jour-là ses libertés seraient compromises, de ce jour-là les contribuables auraient à payer des impôts autrement lourds que ceux qu'ils acquittent aujourd'hui

Ainsi, nous ajournons sans crainte sur ce terrain, l'honorable M. Coomans, seul ou avec ses amis, aux élections de 1859 et de 1861.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs , je n'ai demandé la parole que pour préciser un point. Il est donc bien entendu que le cabinet repousse rétablissement d'une armée exclusivement composée de volontaires...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui.

M. E. Vandenpeereboom. - Mais , comme d'un autre côté, je suis partisan d'adoucissements à introduire dans nos lois de milice, il doit être entendu aussi que le gouvernement s'est engagé à examiner la possibilité de modifier la loi dans ce sens. Je voudrais que la Chambre se prononçât sur ce point.

Messieurs, j'avais compté insister, j'y renonce volontiers. Je me borne à proposer, comme amendement à l'ordre du jour motivé, présenté par l'honorable M. Thiéfry, une rédaction que j'avais préparée avant la séance et qui me paraît mieux préciser la situation actuelle, que l'ordre du jour de mon honorable ami. Du reste, je n'y mets aucune espèce d'amour-propre d'auteur.

Je le propose, parce qu'il exprime mieux, me semble-t-il, la pensée de la Chambre et du ministère.

Voici mon amendement :

« La Chambre tout en estimant qu'il est hautement désirable de rechercher un système de rémunération du service personnel des miliciens, pense que la réforme du mode actuel de recrutement ne saurait s'effectuer par l'établissement d'une armée de volontaires. C'est avec cette pensée et sous cette réserve qu'elle renvoie à MM. les ministres de la guerre et de l'intérieur les nombreuses pétitions sur lesquelles il a été fait rapport. »

M. le président. - Nous avons deux propositions, celle de M. Thiéfry et celle de M. Ernest Vandenpeereboom.

- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

- D'autres voix. - Non ! non !

M. de Theux. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour protester contre ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur lorsqu'il a voulu faire envisager à la Chambre et au pays le pétitionnement contre les lois sur la milice, comme une manœuvre de la minorité pour renverser I ministère et la majorité. Cette manœuvre est indigne de nous. Voilà ce que je déclare à la face du pays, comme M. le ministre nous a lancé l'accusation à la face du pays.

Si mon opinion était favorable à la réforme des lois sur la milice dans le sens du pétitionnement, j'appuierais hautement les pétitions et j'engagerais les électeurs avec toute l'influence dont je puis disposer à faire prévaloir leur opinion dans les élections. Cette marche serait loyale, je pourrais l'avouer ; quand on a une opinion, on a le droit de chercher à la faire triompher.

Ce qui serait une manœuvre indigne, ce serait d'engager le pays à se prononcer en faveur d'une opinion qu'on ne partage pas et qu'on répudierait quand on serait au pouvoir. Voilà une manœuvre qui jamais ne sera suivie par moi ni par mes honorables amis.

Un mot maintenant sur l'ordre du jour motivé proposé par M. E. Vandenpeereboom. Si la Chambre veut entrer dans l'ordre d'idées que cet ordre du jour indique, je demanderai que la discussion continue et qu'on approfondisse la question de principe qu'on veut nous faire résoudre, sans discussion préalable.

Quant à moi, je n'hésite pas à dire que si la Chambre vote aujourd'hui, je voterai pour le renvoi proposé par M. Thiéfry avec les explications données par M. le ministre de l'intérieur au moment où la chambre allait voter ; c'est-à-dire que le gouvernement n'exclut pas plus que la loi de 1817 les enrôlements volontaires, mais qu'il n'entend pas abroger le tirage au sort pour la composition de l'armée en tant que la défense du pays l'exige, et qu'il examinera les améliorations dont la législation sur la milice est susceptible.

Dans cet ordre d'idées je ne fais aucune difficulté à voter la proposition de M. Thiéfry qui a toujours été le fond de ma pensée.

M. Coomans. - C'est la première fois qu'on m'accuse de manquer de franchise. L'accusation même prouvé le contraire. J'ai déclaré que, puisque les électeurs n'obtenaient pas l'accomplissement de la réforme qu'ils demandent par pétitions, ils avaient le droit de faire prévaloir leur opinion dans les comices électoraux. N'est-ce pas légal ? n'est-ce pas loyal, n'est-ce pas naturel ? (Interruption ) Cela est très délicat, n'en déplaise à M. le ministre, qui m'interrompt, et cela est très constitutionnel. Nous sommes ici les mandataires de la nation qui a le droit de faire prévaloir ses vœux et ses intérêts.

Quant à faire de la question une machine de guerre de parti, il n'en est rien, cela n'a pas pu entrer dans ma pensée. C'eût été très maladroit de ma part au point de vue de mes amis politiques. Ce serait une de ces machines infernales qui tuent autant d'amis que d'ennemis et je ne tire pas sur mes amis.

On dit que je veux une armée composée exclusivement de volontaires. On a prouvé le contraire, puisqu'on me reproche de vouloir deux armées, une de volontaires et une de miliciens.

Je déclare que je veux une armée permanente de volontaires et y adjoindre une aimée de miliciens en guise de réserve de guerre. Le service régulier et de tous les jours se ferait par les volontaires; en cas de danger, la milice les appuierait.

M. Thiéfry. - Messieurs, par ma proposition rien n'est préjugé en ce qui concerne les améliorations à introduire dans la loi sur la milice, toutes les questions seront examinées et on verra ce qu'il y aura à faire. M. E. Vandenpeereboom peut être certain que la question de l'exonération sera examinée comme toutes les autres ; il ne peut pas en être autrement. Je pense donc qu'il pourrait retirer son amendement et se rallier à ma proposition.

M. E. Vandenpeereboom. - Pour céder au désir exprimé par mes honorables collègues, je déclare retirer mon amendement. Je souhaite que la suite ne me fasse pas regretter la résolution que je prends maintenant. Je me réserve, du reste, d'y revenir, si les promesses qui nous sont faites ne se réalisaient pas.

M. le président. - La discussion est close.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !

- Il va être procédé au vote, par appel nominal, sur la proposition de M. Thiéfry.

En voici le résultat :

81 membres répondent à l'appel.

76 répondent oui.

5 s'abstiennent.

En conséquence, la proposition de M. Thiéfry est adoptée.

Ont répondu oui : MM. A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Stichelen, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Verwilghen, Allard, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Decker, de Haerne, de la Coste, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Godin, Jacquemyns. J. Jouret, M. Jouret, Lange, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Magherman, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Neyt, Notelteirs, Orban, Orts, (page 580) Pierre, Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Saeyman, Tack, Tesch, Thiéfry, Thienpont, Tremouroux et Verhaegen.

Se sont abstenus : MM. Coomans, David, Grosfils, Janssens et Lesoinne.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.

M. Coomans. - Je n'ai pas pu repousser l'amendement parce qu'il renferme une bonne promesse dont j'aime à prendre acte. D'un autre côté, je n'ai pas pu l'adopter, parce qu'il me semble exclure la formation d'une armée permanente exclusivement composée de volontaires.

M. Thiéfry. - Il l'exclut bien positivement.

M. Coomans. - Tant pis.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est la condamnation de votre système.

M. David. - J'aurais désiré voir introduire en Belgique le système pratiqué en Suisse pour la formation de son armée ; je n'ai donc pas pu voter pour l'ordre du jour. Mais comme il met le gouvernement en demeure d'apporter des améliorations à la législation existante, je n'ai pas voulu le repousser.

M. Grosfils. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.

M. Janssens. - Je désirerais que le nombre des enrôlements volontaires pût s'accroître, et j'ai quelque espoir même qu'on y parviendra au moyen de certaines dispositions bien conçues ; ce qui serait infiniment plus équitable que ce qui existe. Je n'ai donc pas pu voter la proposition de l'honorable M. Thiéfry, qui préjugeait cette question, tout en reconnaissant cependant qu'il y a quelque chose à faire.

M. Lesoinne. - Je me suis abstenu, parce que je veux rester libre d'apprécier les propositions qui nous seront soumises par le gouvernement en vue de modifier la législation existante.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Bien qu'il ne soit pas d'usage de discuter les motifs d'abstention, je ne puis cependant me dispenser de faire remarquer, quant à ceux qu'a donnés l'honorable M. Coomans, que le vote de la Chambre est la condamnation de son système.

En second lieu, on vient de dire que le ministère est mis en demeure de présenter des réformes aux lois sur la milice. Je me borne à rappeler, à cet égard, que le ministère a pris librement l'engagement, sans être mis en demeure, de présenter un projet de loi. Voilà, messieurs, ce que j'avais à relever.

M. Coomans. - Il est très vrai, ce me semble, que le système des enrôlements volontaires vient d'essuyer au moins un échec dans la Chambre.

M. Orts. - Son Waterloo !

M. Coomans. - Si M. le ministre tient à qualifier ainsi le vote qui vient d'avoir lieu, j'y consens volontiers pour le quart d'heure, sans le féliciter de sa victoire ; mais je pense, d'autre part, que nous avons réalisé un progrès, en ce que nous avons obtenu du gouvernement la promesse de réformes, promesse que je considère comme sérieuse ; sinon j'aurais lieu plus tard de m'en plaindre fortement.

M. le président. - La Chambre entend-elle se réunir demain pour entendre des rapports sur des pétitions ?

- Voix nombreuses : Non ! non ! Au 13 !

- La Chambre, conformément à sa décision d'hier, s'ajourne au 13 avril prochain.

- La séance est levée à 5 heures.