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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 juillet 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 1303) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez fait l'appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Belleville demande le renvoi en congé, soit de son fils Louis, du régiment de cuirassiers, soit de son fils Jean-Baptiste, du régiment des carabiniers, »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Michamps demandent que la compagnie du chemin de fer du Luxembourg exécute l'embranchement sur Bastogne. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces k l'appui, diverses demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi concernant l’exécution de divers travaix d’utilité publique (question des fortifications d’Anvers)

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. de Boe. - M. le commissaire du Roi a prononcé hier un remarquable discours que nous pouvons considérer comme l'exposé des motifs de la loi qui nous est soumise. Les développements qu'il comporte auraient dû nous être donnés depuis deux mois, et non au moment même de l'ouverture des débats, alors qu'il est presque impossible de les examiner et de les discuter. Ce discours a placé la question sur un terrain exclusivement militaire et nous avons pu nous demander si nous sommes compétents pour résoudre les difficultés qu'il soulève.

S'il ne s'agissait ici que de nous prononcer sur la valeur d'une place forte, sur l'utilité qu'il y a de revêtir ou de ne pas revêtir une enceinte en maçonnerie, sur la nécessité ou le danger qu'il y a de construire certains ouvrages en dehors d'une forteresse à grand développement, je dirais : Nous sommes incompétents, et ce que nous avons de mieux à faire c'est de nous en référer à l'autorité des officiers de l'armée, à une condition toutefois, c'est qu'il y ait sinon unanimité entre eux, du moins un certain accord, et que nous ne voyions pas se produire la division profonde qui sépare, sur les questions les plus importantes, M. le commissaire du Roi et l'honorable général Goblet.

A côté des intérêts militaires se placent les intérêts civils ; les uns et les autres sont en lutte à l'occasion du projet de loi. Un profond antagonisme existe entre eux. Il appartient à la Chambre, il appartient aux mandataires du pays chargés de sauvegarder tous les droits, de concilier ces intérêts, de chercher à opérer une transaction.

Le gouvernement prétend que son projet atteint ce double but. Les protestations du conseil communal, de la chambre de commerce et du conseil provincial prouvent qu'il n'en est pas ainsi.

Indépendamment du débat qui peut s'élever sur ce point, nous avons à traiter une question plus grave qui aurait dû être mûrement élaborée, dont la chambre aurait dû être régulièrement saisie par un exposé des motifs long et détaillé, je veux parler de la question de la défense nationale. L'organisation de l'armée a été examinée par les Chambres en 1853. Aujourd'hui se présente la question des forteresses.

Le système de dissémination semble de plus en plus abandonné, on fait un pas de plus vers la concentration. On veut créer une grande place de guerre capable de défendre longtemps la nationalité belge qui s'y serait réfugiées, on veut établir à Anvers une capitale militaire qui serait distincte de la capitale civile et politique du pays. Celle-ci resterait sans défense, elle jouirait être dars certaines hypothèses abandonnée à l'ennemi.

Quel que soit le chiffre de notre armée, elle sera toujours inférieure aux forces à l'aide desquelles une grande puissance ennemie envahirait la Belgique. Si l'attaque, avait lieu par nos frontières du midi, par la route qu'ont le plus généralement suivie les invasions, nous ne pourrions tenir sur aucun champ de bataille en avant de Bruxelles, nous ne pourrions défendre la capitale puisqu'elle n'est couverte par aucune fortification, et notre système de défense nationale consisterait en réalité à abandonner le pays et à nous réfugier dans le camp retranché d’Anvers, dont nous ne pourrions à aucun prix nous laisser couper. Le système défensif basé sur les capitales a pour lui les autorités les plus compétentes, il est soutenu pur Napoléon, qui déclare que si Vienne, Berlin, Madrid avaient été fortifiés, le sort des campagnes d'Autriche, de Prusse et d'Espagne aurait été complétement changé. « Si en 1808 Vienne eût été fortifiée, la bataille d’Ulm n'eût pas décidé de la guerre. Si en 1806, Berlin avait été fortifié, l'armée battue à Iéna s'y fût ralliée, et l'armée russe l'y eût rejointe, si en 1808 Madrid avait été fortifié, l'armée française après les victoires d'Espinosa, de Tudela, de Burgos et de Salz Sierra, n'eût pas marché sur cette capitale, en laissant derrière Salamanque, Valladolid l'armée anglaise et l'armée espagnole. »

Et cependant derrière Vienne il y avait Austerlitz et la plus grande bataille de l'époque impériale à gagner.

Derrière Berlin il y avait Eylau et Friedland.

Derrière Madrid il y avait l'armée de l'Andalousie, couverte par la Sierra Morena, comme un jour, d'après le projet du gouvernement, il y aura l'armée belge protégée par le camp retranché d'Anvers.

L'empereur ne tient compte ni d'Austerlitz, ni d'Eylau, ni de Friedland, ni de l'armée de l'Andalousie. Pourquoi ? C'est que, d'après Napoléon, un pays dont la capitale est prise est un pays conquis.

Selon lui, il ne suffit donc pas qu'une armée soit placée en arrière de la capitale, pour défendre le pays.

Il est vrai que l'Andalousie sauva l'Espagne mais au prix de quels efforts ?

Pour reconquérir l'Espagne, que Madrid fortifié eût couverte, il fallut les batailles de Baylen, de Vittoria et tant d'autres, l'héroïsme de Saragosse et le génie du rival de Napoléon.

Lorsque par les manœuvres de l'ennemi vous aurez abandonné Bruxelles et le pays, trouverez-vous toutes ces conditions réunies pour les reconquérir.

Eu 1815, la Belgique fut envahie. Le duc de Wellington se trouvait dans une position analogue à celle dans laquelle se trouverait l'armée belge, il n'avait pas de forces suffisantes pour lutter ; se réfugia-t-il derrière le Rupel, sous les murs d'Anvers ? Il se plaça en avant de Bruxelles, à Waterloo. C'est qu'il pensait que la première chose à défendre c'était le cœur du pays. Cependant Bruxelles n'avait pas alors toute la valeur politique d'une capitale.

D'autres faits historiques militent en faveur de cette thèse.

En 1831 nous avons eu une guerre, nous avons eu ce qu'on a appelé la campagne de dix jours. Si en 1831 la capitale avait été fortifiée nous aurions pu nous défendre et nous n'aurions pas eu quelques millions de plus à inscrire au budget de notre dette, peut-être nous n'aurions pas perdu la moitié du Limbourg et la moitié du Luxembourg.

Si Bruxelles avait été fortifié, après la journée de Louvain nous n'aurions pas eu besoin du secours de l'armée française, nos troupes eussent pu se réfugier dans la capitale et défendre elles-mêmes le pays.

Si la France n'était venue à notre secours, le prince d'Orange serait probablement entré dans Bruxelles et l'indépendance de la Belgique serait devenue ce qu'est devenue l'indépendance lombarde lorsque le maréchal Radetzki eut occupé Milan.

La section centrale s'est occupée de la défense de la capitale.

On lui a fait un grief de ne pas avoir formulé un vote.

Est-il possible à une section centrale, est-il même possible à la Chambre d'émettre un vote à cet égard ? Tout ce que la Chambre peut faire, c'est de dire au gouvernement : Votre projet n'est pas suffisamment élaboré, présentez-en un nouveau ; celui-ci je ne l'accepte pas.

Ces réflexions émises sur la cause de la défense nationale, j'ai à parler de la question d’Anvers. Je suppose que les raisons soient péremptoires pour faire d'Anvers le refuge de l'armée ; je suppose qu'il faille faire une nouvelle capitale, une capitale militaire.

(page 1304) Vous proposez de faire autour de cette ville huit forts qui couvriront, dites-vous, les faubourgs ; vous proposez de construire au nord de la ville une enceinte qui donnerait à la ville des terrains pour le développement de ses établissements commerciaux. Ces terrains sont des marais où la population ne peut vivre. La ville n'a pas besoin d'autant de développement de ce côté, la ligne à construire pourrait être réduite et coûter moins.

Vous dites que vos huit forts couvriront les faubourgs, mais ces huit forts ne sont pas imprenables ; ils peuvent être forcés, alors vous engagerez une lutte sur l'enceinte actuelle de la ville. On a dit que cette lutte serait redoutable, elle pourrait l'être, mais elle pourrait également n'être pas sérieuse. Si le génie militaire usant des droits presque absolus qu'il possède selon Vattel dans l'intérêt des opérations militaires ordonnait la démolition des faubourgs et de la cinquième section, alors, vous pourriez défendre la ville.

J'ai dit que cette défense pourrait n'être pas sérieuse. J'ai cité l'opinion de Napoléon sur les fortifications de Vienne. Lorsque la loi sur les fortifications de Paris fut livrée à la discussion publique, un membre, contestant ce fait, déclara qu'en 1809, Vienne était fortifié. Voici ce que répondit M Thiers ; je cite textuellement ; je ne ferai que quelques rapprochements de noms.

« Que se passa-t-il en 1809 ? L'archiduc Maximilien s'enferma dans le vieux Vienne, et, pour défendre le vieux Vienne, il tira sur le nouveau, et le bulletin donne à cet égard des détails fort curieux. On jeta quelques obus de part et d'autre. L'armée française tira sur le vieux Vienne, et le vieux Vienne tira sur les faubourgs : savez-vous quel en fut le résultat ? On tua deux Français et quinze Viennois. C'est ainsi que s'établit et s'exécuta la défense ; on s'y prit, permettez-moi cette comparaison, à peu près comme si l'on voulait défendre le centre de Paris, et que, pour le défendre, on tirât sur les plus beaux quartiers ; cette défense ne pourrait pas durer quarante-huit heures. Ainsi le fait de 1809, quand on l'explique dans son authenticité historique, ne signifie absolument rien. Si le grand Vienne, si le Vienne tout entier eût été défendu, les choses se seraient passées autrement, car ce n'eût pas été Vienne tirant sur Vienne. »

Si cette enceinte n'a plus de valeur, pourquoi donc ne la démolit-on pas ? A cette réflexion faite par l'honorable M. Allard dans la section dont j'étais membre, on répondit que la ville du côté du nord et de l'est ne serait plus couverte que par les inondations, et qu'en cas de gelée, l'armée ennemie pourrait passer sur h glace et prendre ainsi la ville comme avait été prise la flotte du Helder.

Si l'objection est sérieuse, elle me paraît infirmer aussi la valeur des fortifications d'Anvers. Sur quoi repose la défense prolongée de la place ? Sur nos communications avec la mer, par conséquent sur la liberté de l'Escaut. Quelles sout les défenses de l'Escaut, non pas contre une attaque par mer, mais contre un attaque pas terre ? Ce sont les inondations.

Si ces inondations se trouvent prises par la gelée. qui empêchera une partie de l'armée ennemie d'occuper les digues du fleuve, d y jeter des obstacles, d'intercepter vos communications avec la mer ; de telle sorte que la place forte d'Anvers devrait être livrée ?

Puisque la ligne défensive ancienne semble inutile, et qu'il faut une enceinte, on a demandé que celle-ci fût étendue au-delà des faubourgs.

Le gouvernement a fait à cette grande enceinte diverses objections des objections financières et des objectons stratégiques.

Il est difficile de parler aujourd'hui du projet Keller. M. le général Renard a déclaré hier qu'il n'avait absolument aucune valeur. Depuis longtemps déjà M. Keller a été en pourparlers avec le gouvernement pour donner à son enceinte toute la portée militaire nécessaire.

Il croyait y être arrivé et à la suite des dernières discussions qui eurent lieu sur ce point, la section centrale demanda l'avis du gouvernement. Celui-ci répondit que l'enceinte de M. Keller était trop faible. Ce fut la seule réponse, je crois, que reçut l'honorable général Goblet. L'honorable général chercha en quoi consistait cette faiblesse et crut la voir dans l'absence de certains travaux, dont la construction lui semble constituer un danger. Nous aurions donc pu, dans le cas de négociations poursuivies, adopter cette grande enceinte.

Mais hier l'honorable général Renard est venu soulever de nouvelles difficultés ; il s'est pour ainsi dire déclaré non pas l'adversaire du projet Keller, mais de toute espèce de grande enceinte. Je n'ai pas encore pu lire tout le discours de l’honorable général Renard, mais si je ne me trompe, il a déclaré qu'une grande enceinte rendrait la position de l'armée trop difficile dans le camp retranché ; ainsi on se déclare contraire a toute espèce de grande enceinte.

La ville de son côté a fait des démarches ; elle a dit : Puisque vous ne voulez pas de la grande enceinte telle qu'elle est proposée par M. Keller, faites-la vous-mêmes, j'entre en composition avec vous.

Malheureusement la fixation de ce prix, on n'a pu l'obtenir. L'honorable M. Loos fait en vain des propositions, on ne les accepte pas. C'est dans cet état que se trouve la question. Je vous le demande, pouvons-nous, dans la situation actuelle, prendre une résolution ?

Il y a une foule de points extrêmement graves qui devraient être élucidés. Il y a ce point très grave de savoir s'il ne faudrait pas fortifier de préférence la capitale ; il y a cet autre point aussi très grave de savoir si une petite enceinte peut constituer un système sérieux de défense, car je ne sais si M. le général Renard nous a prouvé cela.

Il nous a dit que cette petite enceinte serait une force morale pour l'armée. Mais il s'agit de savoir si avec cette petite enceinte on pourra engager cette lutte dont parlait l'honorable général Greindl, cette lutte dans laquelle sera sauvée ou perdue la nationalité belge. Il y a enfin des négociations ouvertes qui devraient, au préalable, recevoir une solution.

(page 1374) >M. Vander Donckt. - Si j'ai demandé la parole, c'est pour motiver en peu de mots le vote que je me propose d'émettre sur le projet en discussion.

Ce vote ne sera pas favorable, et c'est pour qu'on n'en infère pas un intention hostie au cabinet, que je tiens à le motiver. Je déclare donc que mes intentions ne sont nullement hostiles au cabinet et que je regrette même de ne pouvoir émettre un vote favorable.

Mais on se demande pourquoi, dans quel but et dans quelles circonstances on exige aujourd'hui ce grand nombre de millions pour fortifier Anvers et pour exécuter d'autres travaux publics.

Quant aux fortifications d'Anvers, le système proposé est impopulaire dans le pays, je n'hésite pas à le dire ; il a encouru la réprobation générale.

On se demande pourquoi l'on veut fortifier ce point isolé du pays et, dans le cas d'une invasion étrangère, abandonner tout le reste de la Belgique sans défense. Quel est le but que l’on veut attendre par ce system ? Quel est le résultat qu'on espère en obtenir ? En cas d'invasion d'un armée de force supérieure, on voudrait sauver dans Anvers le gouvernement, le drapeau national ; on voudrait y sauver ce qu'on appelle la nationalité. les autorités supérieures, le trésor public, la haute finance, les riches et leurs trésors ; et le reste de la nation, le peuple, sera abandonnè sans défense à toute la fureur d'une soldatesque effrénée ; on nous dit : il faut à l'armée un point d'appui au besoin ; en 1830 nous n'avions pas le boulevard d'Anvers ; notre grand boulevard alors c'était le patriotisme qui animait le cœur de tous les Beiges et sur tous les points du pays, et aujourd’hui on voudrait nous enlever l'élite de la nation, celle qui par état et par ses connaissances est spécialement affectée à la défense du pays. Dans ce système, après quelques escarmouches, un simulacre de résistance, l'armée se retirera dans le camp retranché à Anvers et le reste du pays, y compris la capitale, sera abandonné, livre au pillage et à la dévastation ; on imposera des contributions de guerre, des corvées et des charges de toute espèce.

Oh ! s'il s'agissait seulement de se prémunir contre une surprise, de sauvegarder le gouvernement, le trésor, etc., contre un coup de main pendant quelques jours ! Mais il s'agit d'une longue résistance pendant six à huit mois ; or c'est la précisément le mal, car plus la résistance sera longue et opiniâtre, plus les vexations seront grandes, plus le pays sera épuisé, ruiné, plus les champs seront ravagés, les hommes seront massacres, les femmes déshonorées !

Voilà comme le public raisonne, et non sans motifs ! la situation que, dans ce système, on réserve à la Belgique n'est pas acceptable.

Lorsque le pays est ruiné ses champs et ses villes dévastées et pillées, ses habitants dispersés ou tués, il n'attache plus guère de prix à ce vain mot de nationalité.

Je laisse à d'autres honorables collègues la question financière qu'ils ont déjà traitée ; je dirai néanmoins qu'elle renferme des motifs très sérieux pour repousser le projet de loi dont l'exécution absorberait, pendant de longues années toutes les ressources disponibles du trésor.

Si on examine la question sous le rapport de l'intérêt particulier de la ville d'Anvers, en temps de guette le danger ne serait pas moins grand et le sort de ses habitants serait tout aussi précaire dans l'enceinte qu'au dehors de l’enceinte, et en temps de paix ce serait une gêne continuelle pour le commerce, des entraves au développement de la ville et à la liberté de ses habitants.

N'oublions pas qu'Anvers est pour ainsi dire le seul port de mer pour nos relations commerciales avec les autres nations ; c'est de la situation prospère de notre métropole commerciale que dépend en grande partie la prospérité de la Belgique entière.

Mais qui est ce qui demande ces fortifications d'Anvers ? Est-ce la ville ? elle s'y oppose avec énergie. Est-ce la province ? elle les repousse par l'organe de ses mandataires. Est-ce le pays ? Le pays tout entier les désapprouve et les repousse C'est donc le gouvernement seul qui les demande et pourquoi ? Pour sauver, en cas de danger, derrière ses fortifications, les autorités supérieures, les hauts fonctionnaires de l'Etat, le trésor public et l’armée, etc., etc., et pendant qu'Anvers offrira une résistance longue et désespérée, le peuple sera exposé à toutes les horreurs de la guerre. Voilà pourquoi ce projet est impopulaire, voilà pourquoi je ne puis l'accepter. Je voterai contre le projet de loi.

(page 1304) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs. j'aurais voulu tarder encore à prendre la parole dans ce débat ; le discours que vous venez d'entendre m'engage à le faire dès à présent.

Ce discours résume en effet ce que nous pouvons appeler les préjugés populaires contre le projet de loi qui vous est présenté. Dans un pays comme le nôtre où l'opinion joue une grand rôle, il importe de combattre à leur source ces préventions, ces préjugés qui se répandent dans le pays ; il faut le faire surtout quand ils trouvent des organes dans cette enceinte.

Commençons par retracer à la Chambre les diverses phases que la question importante qui nous occupe a parcourues depuis son origine.

Dès 1848, et même avant, mais particulièrement à cette époque, le gouvernement prit la résolution d'établir sur le point d'Anvers des travaux défensifs qui servissent, le cas échéant, de camp retranché à l'armée. Le cabinet d'alors en reconnaissait tellement l'importance et l'urgence, qu'il n'hésita pas à les faire commencer avant d'avoir obtenu l'autorisation de la Chambre et les crédits nécessaires. Ce ne fut qu'au mois de mars 1852 que le cabinet vint demander à la Chambre de sanctionner les actes posés en votant les crédits nécessaires pour les dépenses faites et pour les dépenses à faire.

A cette époque, messieurs, les travaux n'avaient pas l'importance qu'on leur a assignée depuis, ils n'entraînaient pas pour le trésor de grands sacrifices. Ils furent généralement approuvés par la Chambre. Nulle voix ne s'éleva contre l'acte qui avait été posé d'autorité par le cabinet d'alors.

Au mois de décembre 1852, après le départ du cabinet qui avait posé ces premiers actes, une nouvelle demande de crédit fut faite par nos honorables successeurs, par l'honorable M. de Brouckere. Cette demande s'élevait à 8,400,000 francs. Elle avait pour but de pourvoir à diverses dépenses, mais notamment aux dépenses des travaux défensifs d'Anvers.

Déjà alors on avait attribué à ces travaux une plus grande importance défensive. Dès le principe, je dois le dire, ils avaient été conçus dans la pensée du ministre de la guerre de manière à pouvoir recevoir des accroissements, des renforcements jugés nécessaires dans l'avenir. C'est, messieurs, ce qui avait été fait, et tel était l'objet du crédit demandé par nos honorables successeurs.

Ce crédit s'élevait à la somme de 8,400,000 fr. Il fut accordé par la Chambre en deux votes successifs.

A cette occasion, messieurs, il y eut des discussions à la Chambre ; il y eut des récriminations contre l'ancien cabinet. Je ne veux pas en occuper la Chambre.

Je dirai seulement ceci, c'est que les travaux qui furent exécutes par le cabinet d’alors, travaux qui contenaient en germe il faut le reconnaître, ceux que l'on vous propose aujourd'hui, que ces travaux reçurent l'approbation des honorables députés d'Anvers Un d'eux rendit hommage au patriotisme du cabinet qui avait, dans l'intérêt de la sécurité nationale, posé ce grand acte défensif ; l'autre, qui n'est plus présent dans cette enceinte, alla plus loin ; il reprocha au cabinet, non pas d'avoir trop fait, mais de ne pas avoir fait assez dans l'intérêt de la défense nationale, il lui reprocha de ne pas s'être placé à un point de vue trop étroit. C'était un honorable membre qui n'avait pas l'habitude de prodiguer l'argent du trésor.

Voilà, messieurs comment ces premiers travaux, d'où sont sortis tous les autres, furent envisagés dans la discussion du 10 décembre 1855.

En vertu des crédits votés alors, ces travaux furent continués, et nous arrivons à ce que j'appellerai la troisième période, celle de 1855.

Au mois d'avril 1855 l'honorable général Greindl vint proposer un crédit de 9,400,000 fr.

Ce crédit avait pour but de renforcer encore et d'étendre la combinaison première, les travaux du camp retranché. On proposait un système complet de camp retranché, de fortifications permanentes, telles qu'elles pussent présenter une résistance absolue et complète aux attaques de l'ennemi.

Jusqu'ici, messieurs, il n'est question ni de l'agrandissement d'Anvers nord ni de la grande enceinte ; nous sommes toujours dans la combinaison d’un camp retranché, mais on le veut plus fort qu'il n'était, et on propose, dans un crédit de 9,400,000 fr. une forte somme pour cette combinaison.

Le rapporteur, l’honorable M. Coomans, conclut, au nom de la section centrale, à l'ajournement de ce projet.

Il y eut, à cette occasion, d'importantes discussions ; il y en eut en comité secret, il y en eut en séance publique.

C'est, messieurs, à cette époque que l'on voit poindre pour la première fois à la Chambre l'idée de l'agrandissement de la ville d'Anvers au nord. Le ministre de la guerre la mit en avant, à ce qu'il paraît, dans le comité secret et il reçut des actions de grâces de la part d'un honorable représentant d'Anvers, l'honorable M. Vervoort ; il ne (page 1305) craignit pas de révéler en séance publique ce qu'il avait dit en comité secret. Or, il avait mis en avant l'agrandissement de la ville d'Anvers au nord, sans frais pour l'Etat, sans bourses délier pour l'Etat. On accueillit cependant cette perspective avec beaucoup de satisfaction, mais le projet de loi n'en fut pas moins ajourné.

Nous sommes en 1855. Nous arrivons maintenant à ce que j'appelle la quatrième période, à 1856.

L'honorable général Greindl vint présenter à la Chambre une demande de crédit de 8,900,000 francs.

Les combinaisons premières avaient changé.

Il ne s'agissait plus de renforcer l'ancien camp retranché On entrait dans le nouveau système, proposé aujourd’hui, et qui consistait dans la construction de forts détachés en avant du camp retranché.

La combinaison nouvelle avait pour but, disait le projet de loi, d'éloigner du centre commercial le champ de bataille et de faciliter l'expansion d'Anvers en dehors de son enceinte actuelle.

Quant à l'agrandissement au nord, il n'en était pas encore question. Le projet avait pour but de donner satisfaction aux représentants des intérêts anversois, qui, dans la commission mixte, avaient demandé qu'on plaçât à une grande distance ces forts détachés dont le gouvernement devait proposer la construction aux Chambres. C’était, disait le ministère, satisfaire aux intérêts anversois, attendu que le système du camp retranché suffisait complètement à la défense.

Voilà donc un crédit de 8,900,000 francs proposé en février 1856, dans le but d'établir à une grande distance d'Anvers les forts détachés qui doivent éloigner de la place le danger d'un bombardement.

Dans ce premier projet, il n'est pas encore question de l'agrandissement d'Anvers au nord. Au contraire, M. le ministre de la guerre a soin de dire qu'il ne peut être question de s'occuper de cet agrandissement que lorsque les travaux qu'il propose seront complétement achevés ; que tel est l'avis de la commission qui a proposé les forts détachés,

Mais un mois après cette déclaration, les travaux d'agrandissement d'Anvers au nord, qui devaient été ajournés jusqu'à l'achèvement des forts détachés, sont proposés par un nouveau projet de loi que présente M. le ministre de la guerre ; et un nouveau crédit de 8,020,000 francs vient se joindre au crédit antérieur de 8,900,000 francs.

La section centrale, placée en présence de ce double projet, forts détachés, agrandissement au nord, examina avec soin cette double combinaison et s'y montra très favorable. On reconnut la nécessité, l'utilité de l’établissement des forts détachés ; on reconnut aussi les mêmes qualités au projet d'agrandissement au nord.

Mais les exigences allèrent croissant ; à mesure qu'on faisait des concession, il semblait qu'il fallût en faire de nouvelles. C'est alors qu'on mit en avant l’idée très séduisante qui me séduisit beaucoup alors, qui me séduit moins aujourd'hui, mais que j'accepte cependant encore, l'idée d'une grande enceinte continue à placer en deçà des forts détaches et destinée à compléter le camp retranché primitif.

Au sein de la section centrale, cette idée fut accueille avec faveur. Maïs une première objection se présenta, et l'on se demanda ce que pourrait coûter une pareille enceinte. On consulta M. le ministre de la guerre. Il fut d'abord question d'une dépense de 60 millions. On trouva qu'elle était exagérée.

De nouvelles études, moins sommaires que celle-là, ramenèrent la dépense présumée à 52 millions. La section centrale jugea cette dépense encore trop forte, et elle engagea M. le ministre de la guerre à se livrer à de nouvelles études, afin de voir si l'on ne pourrait pas réduire encore la dépense.

La section centrale n'avait pas non plus ses apaisements sur les forts eux-mêmes ; elles les proclamait bons en principe, mais elle croyait qu'ils devraient être encore étudiés au point de vue de la construction, de l’emplacement et de la dépense ; elle pria donc M. le ministre de la guerre de soumettre à un nouvel examen les dépenses relatives aux forts détachés et celles qui se rattachaient à l'enceinte continue.

Mais contrairement à ce qui avait été fait en 1855, la section centrale, pénétrée de la nécessité de mettre enfin un terme à des ajournements successifs, apporta une conclusion ; elle dit au gouvernement : « J'approuve en principe les forts détachés, je désire l'enceinte continue, j'approuve aussi en principe l'agrandissement d'Anvers au nord, et pour commencer dès maintenant ce qui est incontesté entre vous et nous, je vous offre et j'apporte à la Chambre la proposition d'un crédit de 6,200,000 fr., destiné aux travaux d'agrandissement d'Anvers au nord et à l'agrandissement du fort n° 2. »

Le malheur voulut que cette proposition si conciliante et si pratique ne reçût pas l'adhésion immédiate du ministre de la guerre d'alors ; la proposition de la section centrale fut ajournée, et l'on a perdu ainsi deux années.

Si la proposition de la section centrale avait été acceptée alors, les travaux d'agrandissement d'Anvers seraient terminés ; il en serait de même du fort n°2. Et voyez sous quel aspect se présenteraient les questions que nous avons à débattre aujourd'hui, si nous pouvions déjà mettre hors de cause l'agrandissement d'Anvers au nord et le fort n°2, l'un des forts de la nouvelle combinaison.

La question eût fait un pas immense ; elle serait aujourd'hui généralement résolue, acceptée par tout le monde.

M. Thiéfry. - Nous avons encore fait et nous faisons les mêmes offres aujourd'hui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà donc la question d'ajournement en ajournement arrivée à l'année 1857. Le ministère mit du moins le temps à profit ; pour remplir les vues de la section centrale, il soumit à un nouveau comité, qui était, je crois, le huitième, l'examen des questions qui se rattachaient aux forts détachés et a l'enceinte continue.

Le comité qui était composé d’hommes spéciaux se prononça en principe et à l'unanimité pour l'excellence de la combinaison des forts détachés que nous proposons aujourd'hui. Quant à l'enceinte continue, il se divisa, mais où il resta aussi unanime, c'est sur l'absolue nécessité, si l'enceinte continue était admise, de la construire dans toutes les conditions de solidité indiquées par l'inspecteur général des fortifications ; la comité repoussa à l'unanimité l'enceinte connue sous le nom de projet Keller.

C'est en présence des résolutions de ce comité que le gouvernement nouveau se trouva placé quand il arriva aux affaires. C'était une des questions principales qu’il avait à produire devant la nouvelle Chambre.

Nous reconnaissions qu'il n'était plus possible de procéder par de nouveaux ajournements, qu'il fallait arriver à un résultat.

Qu'avions-nous à faire ? Nous avions à apporter à la Chambre, dans cette question si compliquée, tous les points qui se trouvaient résolus, qui étaient incontestés et incontestables

D'abord, nous avions à apporter la partie du projet de la section centrale de 1856, qui s'était prononcée en faveur de l'agrandissement d'Anvers au nord ; en second lieu, nous avions à proposer la nouvelle ceinture de forts détachés qui, également, avait été acceptée par la section centrale et qui, après nouvel examen, a été jugée un système excellent par le nouveau comité dont je viens de parler. Fallait-il comprendre dans ce projet, alors que nous reconnaissions la nécessité d’éviter de nouveaux ajournements, apporter d'autres questions qui auraient donné lieu à de nouveaux débats, provoqué peut-être de nouveaux ajournements. Nous ne l'avons pas pensé.

Voilà pourquoi nous avons tenu en dehors l'enceinte continue, mais non repoussé, car le projet de loi annonce que les travaux sont conçus de manière à faire système avec la grande enceinte et à pouvoir l'exécuter si l'avenir en fait connaître la nécessité, et si elle peut se construire aux conditions indiquées par la section centrale de 1856, c'est-à-dire avec le concours efficace, et sérieux de la ville d'Anvers.

Messieurs, à part cette question de la grande enceinte continue, question encore controversée, le projet tel qu’il est donne-t-il au pays, donne-t-il à Anvers une sécurité et des avantages tels qu'il puisse être accepté de confiance ? Je soutiens qu'à ce double point de vue le projet a droit aux sympathies du pays et qu'il a même droit aux sympathies de ceux qui le repoussent aujourd'hui avec une espèce d'aveugle fureur.

M. Loos. - Avec de la raison, mais non avec de la fureur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable bourgmestre d'Anvers sait fort bien que je ne fais aucune allusion à son discours, car je reconnais qu'il s'est exprimé avec beaucoup de modération, sauf dans les interruptions où tout le monde apporte de la vivacité, mas, je le répète, je ne fais aucune allusion à son discours d'hier.

Puisqu'on m'a interrompu, j'insisterai, je dirai que la guerre déclarée à ce projet au sein ou à l'entour de la ville d'Anvers sort de toutes les limites de la raison et du droit.

Je dis qu'il a été fait des appels indignes au-dedans et au-dehors du pays, à tel point que l'honorable représentant qui vient de m'interrompre a senti le besoin, en commençant son discours, de désavouer ces infamies que je ne crains pas de traduire à la barre de cette Chambre. Voilà à quoi je faisais allusion et non au discours de mon honorable ami que je crois aussi convaincu que moi. Je dis que le projet, au point de vue national comme au point de vue d'Anvers, a droit aux sympathies de tout le monde et mérite d'être adopté par la Chambre.

Au point de vue national, j'y reviendrai tout à l'heure, la question est simple comme tout ce qui est grand, la question sera facilement comprise.

Je m'attacherai d'abord au point de vue anversois, an point de vue commercial qui n'est pas entièrement local et même au point de vue des intérêts privés.

Au point de vue commercial, qu'est-ce que le projet donne à Anvers ?

Est-ce qu'il ne réalise pas des espérances très anciennes qu'on a longtemps crues irréalisables, qu'on a considérées comme un rêve ? Il les réalise aux frais du trésor après qu'il avait déclaré que ce travail se ferait sans bourse délier pour l’Etat.

Il réalise aux frais du trésor l'agrandissement de la ville commerciale. Il abat ce front énorme de fortifications contre lequel, lorsque j'avais l'honneur de gouverner la province et bien avant moi, s'élevaient tant de récriminations. On se disait : Quand viendra le jour où la ville commerciale pourra s'étendre librement, oh nous pourrons établir de nouveaux bassins au-dehors, où nous pourrons imiter ici ce qui se passe dans cette magnifique Angleterre où nous voyons le développement si admirable de certains ports de mer ? Cette fortification qui nuit à notre développement commercial, quand la Providence viendra telle nous (page 1306 en délivrer ! Messieurs, cette espérance lointaine, ces vœux si longtemps chimériques vont être comblés.

Pour vous donner une idée de l'importance que le commerce d'Anvers doit attacher et qu'il attache à ces travaux que vainement on voudrait vous représenter comme une concession dérisoire, je rappellerai un fait qui se présente à mon esprit.

En 1841, le chemin de fer qui était resté pendant plusieurs années expirant au glacis d'Anvers, pénétra enfin dans la ville jusqu'aux bassins. Ou fit une première tranchée dans les fortifications. Il y avait à l'extrémité des bassins depuis de longues années une butte en terre énorme qui gênait la circulation. Elle disparut ; elle fut nivelée et ce fait seul fut considéré comme un grand bienfait par le commerce.

A cette occasion aussi, un nouveau quai fut procuré à la ville d'Anvers et fut accepté aussi comme un autre bienfait.

Aujourd'hui il s'agit de donner à la ville d'Anvers l'équivalent de sa surface actuelle. Voilà ce que c'est que l'agrandissement au nord. Il s'agit de lui fournir un développement de quais de 1,100 mètres, des terrains immenses pour ses bassins, pour ses établissements commerciaux, pour ses établissements industriels.

On dira que si la ville fait des quais, elle en supportera la dépense. Je répondrai que si la ville d'Anvers fait la dépense des quais, elle en retirera des produits par les droits qu’elle impose aux navires. Si elle fait des bassins, elle en retirera également les produits. Si elle ne veut pas faire les quais elle-même, je pense qu'aux conditions où elle les fait, elle trouverait un assez grand nombre d'amateurs pour les construire à sa place.

Je ne parle pas de ces bassins dus à l'initiative de mon honorable ami. Je ne parle pas de l'emplacement pour ses établissements commerciaux, mais je dirai un mot de l'emplacement pour ses établissements industriels.

Les établissements incommodes et insalubres sont une source de soucis pour beaucoup d'habitants. Toutes les plaintes viennent se produire au sein des administrations qui ont à y faire droit. Je puis donc juger de ce que sont les inconvénients qui se rattachent aux établissements incommodes et insalubres.

Il y en a partout dans le pays ; mais il n'y en a nulle part plus qu'à Anvers ; c'est une ville qui se développe à la fois commercialement et industriellement. Eh bien, l'honorable bourgmestre d'Anvers sait combien de difficultés il éprouve et nous éprouvons à notre tour à l'égard d'un certain nombre d'établissements industriels. Il s'agit d'intérêts très importants, de millions engagés dans l'industrie et souvent la ville d'Anvers est obligée de lutter contre de pareils établissements, alors cependant que leur utilité, au point de vue général, n'est pas contestable.

Je dis qu'à ce seul point de vue industriel, il y aurait d'énormes avantages à procurer à ceux qui veulent créer de nouveaux établissements un terrain libre où ils puissent se développer sans gêner le voisinage, sans donner lieu à des oppositions, sans forcer la ville à leur refuser l'autorisation.

Voilà des avantages incontestables et je crois que le commerce sait parfaitement reconnaître tout ce qu’il y aura pour lui d'avantageux dans cet accroissement.

Au point de vue général du commerce, qu'ont demandé ses représentants, des commissaires spéciaux au sein de la commission mixte formée à Bruxelles pour examiner lois les projets de défense d'Anvers ? Ils ont dit : Eloignez de nous le danger d'un bombardement ; portez en avant de la place une ceinture de forts qui préservent la ville des feux de l'ennemi.

Qu'a fait le gouvernement ? Il a adhéré à cette seconde partie des vœux du commerce d'Anvers. Il a reporté à 4,000 mètres les forts détachés qui préserveront la ville d'un bombardement.

Voici de plus en quoi le projet que nous présentons diffère du projet arrêté par nos prédécesseurs : Nous y ajoutons deux forts et dans quel but ? Dans le but de précisément de garantir les bassins contre un bombardement éventuel au nord. C'est encore une concession faite en faveur du commerce d'Anvers.

Ou dira : A quoi bon ces travaux ? Il nous serait plus agréable de n'avoir pas de fortifications du tout, de pouvoir nous étendre librement dans toutes les directions, de n'avoir pas à nous précautionner contre un bombardement.

Hier, l'honorable commissaire du Roi a répondu à cette observation d'une manière tellement victorieuse et saisissante que je ne pense pas qu'un membre de cette Chambre présente encore de pareilles observations

Plaçons-nous, messieurs, dans toutes les hypothèses possibles.

Anvers, je dois le faire observer, n'est pas unanime dans ses vœux. Mais enfin que veulent les organes autorisés de l'opinion d'Anvers ? veulent-ils le statu quo ?

Eh bien, ils l'auront si le projet de loi est rejeté. Qu'est-ce que c'est que le statu quo au point de vue commercial ? Ce sont les nouveaux bassins qui ont coûté des sommes considérables à la ville d'Anvers restant séparés des anciens bassins par un front de muraille qui rend la communication entre eux impossible.

Veulent-ils la continuation du système des servitudes contre lequel ils protestent ? Ils l'auront.

Mais le statu quo ne devra pas rester entièrement ce qu'il est. Aujourd'hui, en vue des nouveaux travaux préservatifs, de travaux de renforcement de la défense qui sont faits en dehors d'Anvers, le gouvernement use de tolérance vis-à-vis des nouvelles constructions.

Ce sont des constructions nombreuses faites en dehors de la loi, contre la loi. Il les tolère, pourquoi ? Parce que le gouvernement n'aime pas, en général, à user de rigueur vis à-vis d'une ville qui ne demande qu'à s'accroître et à s'étendre. Mais il le fait aussi à un autre titre ; c'est qu’il trouve jusqu'à certain point dans les nouveaux travaux de dépense l'équivalent de l'affaiblissement qui résulta pour l'ancienne forteresse des constructions journalières. Mais qu'on ne permette plus au gouvernement de les exécuter, qu'il doive conserver la situation telle qu'elle est, il devra nécessairement user de plus de rigueur vis-à-vis des constructeurs. Il manquerait à tous ses devoirs, s'il se permettait d'assister les bras croisés à l'affaiblissement successif de la forteresse.

Ainsi il ne faut pas se le dissimuler, le rejet du projet de loi n'est pas le maintien absolu du statu quo. Il y aura, de la part du gouvernement, une autre conduite à tenir, s'il ne trouve pas, dans les fortifications nouvelles un équivalent de l'affaiblissement des fortifications anciennes.

Ce n'est donc pas là ce qu'on peut vouloir. Veut-on la suppression totale des fortifications ? Est-ce là un vœu raisonnable ? Y a-t-il une seule voix qui s'élève pour demander la suppression de la forteresse d'Anvers ? Mais, je n'ai pas besoin de le dire, cette forteresse, malgré son affaiblissement, est encore une des plus importantes non pas de la Belgique (elle en est de beaucoup la plus importante), mais de l'Europe.

Supprimer les fortifications d'Anvers, c'est décidément livrer le pays sans défense. De tout temps, historiquement, traditionnellement, Anvers et sa forteresse ont été le point principal de la défense de la nation ou du gouvernement. Citons seulement deux exemples.

C'est dans la ville d'Anvers que les patriotes, je les appelle ainsi, que les ennemis des Espagnols, patriotes du XVIème siècle sont venus se réfugier.

C'est là que l'héroïque de Marnix a maintenu le drapeau national d'alors, drapeau malheureusement disparu, contre les forces espagnoles.

Eu 1830, quel a été le dernier refuge du gouvernement que le pays repoussait ? Anvers. Aussi longtemps que le drapeau hollandais a flotté sur la citadelle d'Anvers, la Belgique n'était pas complétement libre et indépendante, le gouvernement hollandais continuait de régner en Belgique, de peser sur la Belgique.

Est-ce une pareille position que vous voudrez abandonner ? Est-ce d'un pareil refuge que vous voudrez dépouiller votre nationalité, votre gouvernement qui la représente ? On vous l'a dit hier, supposez vos fortifications abattues, supposez la réalisation de ce rêve impossible, en serez-vous moins soumis à l'invasion de l'ennemi ? Ne serez-vous pas toujours un point de mire ? N'est-ce pas toujours vers les points importants, vers les grands centres de commerce, vers les villes situées sur les grands fleuves que se portent les efforts de l'ennemi ?

Et une fois maître de votre ville, il s'y fortifiera malgré vous et à vos dépens. Voilà ce que vous aurez gagné à vous défaire de cette forteresse qui vous protège bien plus qu'elle ne vous menace.

La troisième hypothèse est celle que présente le projet qui vous est soumis. Elle est raisonnable, elle est pratique, elle se renferme dans de sages limites financières. C'est d'abord une satisfaction accordée au commerce par l'agrandissement de la ville au nord, c'est une sécurité assurée à la ville par la construction des forts détachés.

La quatrième hypothèse, c'est la grande enceinte destinée à remplacer la vieille enceinte. Eh bien, cette dernière hypothèse, je l'ai déjà dit, nous ne la repoussons pas ; nous sommes prêts à l'accepter en principe.

Mais nous déclarons que nous ne sommes pas suffisamment éclairés sur la question. Nous déclarons qu'au point de vue financier, nous ne savons pas encore en quoi consiste le concours efficace de la ville d'Anvers, condition sine qua non imposée à la ville d'Anvers par la section centrale qui est favorable à la grande enceinte. Les hommes spéciaux ne sont pas non plus d'accord sur le tracé définitif de ce grand travail.

Mais au point de vue de la sécurité d'Anvers, je voudrais bien qu'on m'expliquât quelle garantie la nouvelle enceinte pourra offrir de plus que le système proposé. Est-ce que par hasard la nouvelle enceinte empêchera le bombardement des faubourgs ? On reconnaît bien que les forts détachés que nous proposons sont un obstacle au bombardement de la ville ; mars quand la nouvelle enceinte sera faite, en quoi les faubourgs seront-ils protégés contre le bombardement ? Et quand la nouvelle enceinte sera prise, en quoi les faubourgs seront-ils protégés contre les dévastations de l'ennemi ? La position des faubourgs reste absolument la même. Ils seront bombardés et dévastés en cas de guerre, si tant est qu'on pousse à outrance l'attaque et la détense.

Mais, messieurs, il y a d'autres raisons encore que des raisons financières ou des raisons stratégiques, pour ne pas accepter aujourd'hui comme immédiatement exécutable l'établissement d'une grande enceinte.

Je dis que les intéressés eux-mêmes ne sont nullement d'accord sur la nécessité de l'établissement d'une grande enceinte, et je le comprends. J'abandonne la question commerciale, celle qui doit dominer (page 1307) cependant avant tout dans le débat, et j'en viens à la question des intérêts privés qui jouent ici un très grand rôle. Je ne les en blâme pas, ils usent, comme nous le disons, de leur droit. Mais il est évident que les passions qui règnent en dehors de cette Chambre, que les exagérations auxquelles on se livre procèdent évidemment de certains intérêts privés. Eh bien, je dis que les intérêts privés ne sont pas d’accord entre eux et qu'ils ont des raisons pour ne pas être d'accord relativement à la grande enceinte.

Qu'est-ce que ce sera que l'agrandissement d'Anvers au moyen de la grande enceinte ? Je disais tout à l'heure que l'enceinte au nord doublait Anvers. La grande enceinte sextuple Anvers. C’est six fois les terrains actuels d'Anvers jetés sur le marché.

Croyez-vous que beaucoup de bons propriétaires d'Anvers possédant des propriétés bien louées dans le centre de la ville, soient désireux de voir tout à coup sextupler l'étendue des terrains à construire ? Je ne le pense pas, je crois qu'ils ne se soucient pas beaucoup d'une pareille concurrence.

Je conçois que les particuliers qui ont acheté des terrains asservis avec la perspective de les voir délivrer de la servitude crient très fort pour avoir la grande enceinte ; mais quant aux propriétaires anversois, je ne vois pas pourquoi ils se passionneraient.

Si les fortifications actuelles disparaissaient tout d'un coup, figurez-vous quelle perturbation une telle révolution jetterait dans toutes les propriétés.

Du reste cela n'est pas possible. Un pareil travail, quoi qu'on en dise, ne peut se faire qu'à très long terme et à la suite de longues années.

Mais puisque nous en sommes aux intérêts privés, je vais me faire l'organe de certains intérêts privés.

Qu'est-ce que c'est que la grande enceinte qu'on réclame du dedans et un peu du dehors ? C'est pour Anvers ce qu’eût été pour Bruxelles l'adjonction des faubourgs, c'est la conquête des faubourgs par la ville. Il est évident que la ville d'Anvers, au moyen de la grande enceinte, va voir reporter ses limites et son octroi à cette distance, que tous les habitants qui aujourd'hui se trouvent extra-muros et par conséquent en dehors de l'octroi, auront l'avantage de se trouver dans l'enceinte, mais aussi de se trouver dans l'octroi.

_ Eh bien, je crois que les habitants des faubourgs d'Anvers ne se soucient pas plus de cet agrément que ne s'en soucient les habitants des faubourgs de Bruxelles.

Autre question. Il y a dans cette grande agglomération des communes tout entières qui y passent. Il y a la commune de Berchem, il y a la commune de Borgerhout, communes très importantes et qui n'ont pas non plus grand souci de se voir conquises par la ville d'Anvers.

Que deviendront ces communes ? Resteront-elles en possession de leur indépendance et de leurs libertés communales, ou les habitants de Borgerhout, de Berchem, et d’autres communes en partie, deviendront-ils les administrés des honorables magistrats d'Anvers ?

Cela donne lieu à réfléchir dans les sections extra muros. Non seulement on y réfléchit : mats on y proteste.

On y proteste en termes convenables, on ne fait pas d'appel à l'étranger, on n'y traîne pas le gouvernement dans la boue, on n'y dit pas que nous sommes vendue à l'Angleterre, on n'appelle les foudres d'aucun pays voisin sur la Belgique.

Mais on s'explique en termes modérés et qui préviennent déjà en faveur des réclamants. Ils ne sont pas peu, ils sont trois cents. Je tiens la pétition en main ; elle nous est arrivée hier. Et que dit-on aux habitants de Borgerhout en faveur desquels on a déjà dépensé tant de flots d’encre, pour empêcher qu'on ne répande parmi eux des flots de sang ? Que dit-on aux habitants de Borgerhout ? « Vous allez être volés, vos femmes vont être déshonorées, vos maisons vont être incendiées, si vous n'avez pas la grande enceinte.3 C'est l'esprit du rapport de la section centrale ; ce sont les paroles de l'honorable député d Audenarde. Eh bien, ils n'ont pas l'air de croire à cela. Ils ne veulent pas de la grande enceinte.

Il leur convient d'être volés, déshonorés, brûlés, dévastés. Ils se prononcent en faveur du système du gouvernement.

Au point de vue où je suis placé, au point de vue des intérêts privés, cette pétition est d'une immense portée. Elle a une signification qui ne peut pas échapper à l'attention de la Chambre. Je vais la remettre sur le bureau où je l'ai prise. Elle est courte ; je désirerais qu'elle reçut de la publicité. Ce sont les habitants de cette grande section extra-muros, bourgmestre en tête, qui protestent contre l'établissement de la grande enceinte et qui se rallient au projet du gouvernement.

- Plusieurs membres. - Lisez-la.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'on veut bien la lire au bureau, je pourrai me reposer un peu.

M. de Theux. - Je crois que nous nous engageons dans de mauvais précédents. Car si on lit cette pétition avant qu'elle ait passé devant la commission, on demandera également la lecture d'autres pétitions, sans aucun examen préalable.

M. le président. - Je rappellerai que cette pétition a été analysée hier et que la Chambre a décidé qu'elle serait déposée sur le bureau pendant la discussion, ce qui veut dire que tous les orateurs peuvent en faire emploi. M. le ministre de l’intérieur a en main cette pétition, il peut en faire tel emploi qu'il juge convenable.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. le ministre des finances voudra bien vous en donner lecture.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cette pétition est ainsi conçue :

« Messieurs,

« Le gouvernement a compris dans un projet de loi soumis à vos délibérations un crédit pour des travaux de défense à exécuter autour de la place d'Anvers et pour l'agrandissement de cette ville au nord.

« Une certaine opposition s'est organisée à Anvers contre cette demande du gouvernement et quelques habitants de cette ville, réunis en commission qui s'intitule commission de la cinquième section et des faubourgs se menant à la tête de cette opposition, demandent que la Chambre décrète l'agrandissement général de la métropole du commerce.

« Les soussignés tous propriétaires et habitants de la commune de Borgerhout, l'un des deux faubourgs d'Anvers, viennent protester contre cette réclamation de la commission dont il s'agit et prennent la respectueuse liberté de vous déclarer, messieurs, que ces réclamations sont diamétralement contraires aux vœux de l'immense majorité de la population de notre commune.

« Les soussignés croient fermement, messieurs, que la partie du projet de loi sur les travaux d'utilité publique qui concerne Anvers, répond parfaitement aux besoins de la métropole du commerce.

« L'agrandissement général de la ville, tel que le comprend la commission de la cinquième section serait la cause d'une perturbation dans de nombreux intérêts et d'une ruine complète pour un grand nombre d’habitants des faubourgs.

« Les soussignés ne sentent nullement le besoin, messieurs, de faire entourer leur commune d'une ligne de fortifications et ils protestent de toutes leurs forces contre l'idée qu'ils pourraient désirer le déplacement de la ligue fortifiée actuelle de manière à avoir la commune de Borgerhout englobée dans la nouvelle enceinte.

« Ils vous prient donc humblement, messieurs, de vouloir bien adopter le projet du gouvernement avec telles améliorations que vous pourrez y introduire dans l'intérêt d’Anvers et sans en modifier le caractère.

« C'est la grâce, messieurs, que sollicitent ceux qui se nomment

« Vos très dévoués serviteurs. » (Suivent les signatures.)

Cette pétition est signée du bourgmestre, d'un échevin et de 300 habitants au moins.

M. Coomans. - On pourrait imprimer les signatures.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Probablement, ils n'ont pas signé pour se cacher.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je disais, messieurs, et je pense que je viens d'établir qu’il y a divergence de vues au sein même des intérêts privés. La preuve est irréfragable. Je sais bien qu'on a agité de toutes les façons les intérêts privés. On a eu recours à toute espère de moyens et nous avons sur le bureau de la Chambre une pétition qui, véritablement, paraîtrait plaisante, s'il était permis de plaisanter dans une question aussi sérieuse. Savez-vous qui on a trouvé moyen de susciter contre les travaux d'Auvers ? Ce qu'on appelle la Gilde des artisans, présidée par un docteur en droit. L'avocat des ouvriers proteste donc contre le projet du gouvernement.

Je ne sais pas si ces ouvriers ont signé avec noms, prénoms et métiers, mais je me demande si ces ouvriers qui protestent contre le projet du gouvernement appartiennent à l'ordre des maçons, des briquetiers, des terrassiers, des charpentiers, des serruriers, des couvreurs. J'en doute. Je ne sais pas où l'on a été chercher ces ouvriers protestants, mais, franchement, messieurs, si nous voulions placer la question à ce point de vue, si nous voulions aussi faite appel aux classes ouvrières, nous leur représenterions le bien-être immense que vont répandre autour d'Anvers ces 20 millions dépensés dans un rayon aussi restreint.

Voilà, messieurs, les moyens auxquels nous pourrions recourir si nous voulions nous placer sur le terrain où on nous a précédés. Dans l'aveuglement où l'on se trouve, on va jusqu'à remuer des passions que l'on ferait mieux de laisser dormir, ou va jusqu'à les remuer par des appels publics, par des proclamations, pour amener les classes ouvrières à protester contre le projet du gouvernement, alors que ce projet aura pour résultat d'apporter encore plus de bien-être au sein des classes ouvrières.

Quand j'envisage, messieurs, la situation actuelle d'Anvers et la situation qui lui sera faite en suite de l'exécution du projet de loi, je dis que les accusations d'aujourd'hui changeront peut-être de but avant qu'un an ou deux se soient écoulés, je dis que ceux que l'on maudit aujourd'hui recevront peut être les félicitations de ceux qui les maudissent. Vous figurez-vous, messieurs, quel mouvement immense la dépense de 20 millions sur un point aussi restreint va jeter dans toutes les classes de la population ? Et qui doute que ces constructions considérables faites par l'Etat, vont provoquer des milliers de constructions nouvelles sous toutes les formes.

Nous ne pouvons pas nous le dissimuler, vainement voudrions-nous user de rigueur vis-à-vis des constructions nouvelles. Si les travaux s'exécutent, il y aura un tel élan, un tel empressement chez tous ceux qui, pour un motif ou l'autre, sont portés à construire, qu'il ne sera pas possible d'arrêter le mouvement.

(page 1308) Maintenant, messieurs, c'est du provisoire. Mais quand il s'agit de travaux de cette importance, qu'est-ce qu'un provisoire de 10 ans, qu'est-ce qu'un provisoire de 15 ans ? Est-ce que la ville d'Anvers s'est accrue en un jour ? Est-ce que l'agrandissement d'Anvers n'a pas été successif ?

C'est là l'œuvre du temps, l'œuvre des siècles. Eh bien, quand Anvers aura pris de nouveaux développements, quand les constructions nouvelles auront continué d'affaiblir les fortifications actuelles, je dis que la grande enceinte, aujourd'hui contestée, sortira de la force même des choses ; je dis que les hommes qui combattent encore la grande enceinte, seront forcés de demander cette grande enceinte comme remède à l'état de choses qui se sera créé. Pour moi, je la considère comme inévitable.

Ce ne sera pas demain ni après-demain. Ce sera dans 10 ans, dans 15 ans, à l'époque que les partisans de la grande enceinte avaient eux-mêmes assignée pour l'exécution de ce plan.

Messieurs, prenons la ville d'Anvers telle qu'elle sera à la suite de l'exécution du projet de loi. Elle sera agrandie au nord. Il y aura une grande tolérance pour les constructions nouvelles. On établira des communications plus faciles entre la partie extra-muros et la partie intra-muros. C'est déjà ce qui a eu lieu sur quelques points.

Il reste encore des portes à ouvrir, des ponts à construire, cela se fera. La circulation sera facilitée comme elle l'a été à Bruxelles où les faubourgs sont séparés de la ville non par des fortifications, mais par un fossé assez profond pour empêcher la circulation.

Supposons que la ville d'Anvers soit partagée en deux par un fleuve, comment procéderait-on ? On procéderait comme on le fait dans toutes les villes qui se trouvent dans cette condition, comme on l'a fait à Paris, à Lyon, à Liège : les habitants des deux rives communiquent entre eux par des ponts, ils entretiennent des relations fréquentes en traversant la rivière.

Que sriont désormais les fortifications actuelles aussi longtemps que la grande enceinte ne sera pas faite ? Ce qu'est la Seine à Paris, le Rhône et la Saône à Lyon, la Meuse à Liège, une séparation qu'on traversera par des ponts. Ces ponts se feront. Ainsi, messieurs, ce qui existe aujourd'hui recevra encore de notables améliorations.

La ville d'Anvers, messieurs, tire parti elle-même de l'état des fortifications. Grâce à la vigilance de ses honorables magistrats, elle est aujourd'hui en possession de la plus belle promenade que puisse posséder aucune ville du royaume.

Je ne pense pas que la ville d'Anvers voie jamais supprimer cette magnifique promenade, œuvre de ses magistrats, secondés par la bienveillance du génie militaire, qui n'est pas toujours aussi méchant qu'on le fait.

J'avoue que malgré le vieil attachement que je porte à cette noble cité, malgré les nombreux amis que je crois encore y compter, il ne m'est pas possible de m'attendrir sur ses destinées, pas plus qu'il ne m'est possible de m'épouvanter du spectacle qu'on a mis devant nos yeux, du spectacle des massacres et des horreurs de tous genres dont la ville serait l'objet, à la suite des forts nouveaux qu'on va construire.

Il m'est impossible de comprendre comment la ville d'Anvers sera exposée aux horreurs d'un bombardement, lorsque, par le fait des constructions nouvelles, ce bombardement se trouvera éloigné de la villa de 4,000 à 5,000 mètres.

Messieurs, je me suis beaucoup occupé de la ville d'Anvers et de ses intérêts ; je crois que des intérêts aussi considérables ont droit à toute la sollicitude du gouvernement et des Chambres ; ce serait faire acte volontaire d'aveuglement que de ne pas prendre en très haute considération les besoins et les vœux d'une telle population.

C'est, messieurs, ce que nous avons fait, et c'est ce que nous sommes encore disposés à faire ; nous accepterons toutes les mesures qui pourront se concilier avec les intérêts de la défense nationale.

J'aborde en quelques mots le côté national de la question. Ce n'est pas une vaine bravade, mais je déclare que si l'intérêt national exigeait une mesure qui dût contrarier les intérêts de ceux qui m'ont envoyé dans cette enceinte, je n'hésiterais pas à leur dire : « Faites de moi ce que vous voudrez ; mais avant tout, pour moi, l'intérêt national. »

Je suis ici le représentant d'une cité à laquelle m'attachent des souvenirs bien chers, mats je suis aussi le vieux représentant de la nationalité belge, et c'est cette nationalité, avant tout, que je vous demande de sauvegarder avec nous.

A ce point de vue, y a-t-il un seul de vous qui puisse contester tout ce qu'il y a de sérieux et de solide pour la nationalité dans le projet que nous proposons ?

Nous avons une armée, nous avons fait de grands sacrifices pour elle, nous maintiendrons ces sacrifices. Mais pour que l'armée soit solide et qu'elle ait confiance en elle-même ; pour que le pays ait aussi confiance dans l'armée, il lui faut un point de consistance et de résistance qui lui manque aujourd'hui.

Supposez votre armée, pleine de bravoure, de patriotisme et de dévouement, mais éparpillée dans tout le pays, ayant à subir une attaque plus ou moins imprévue et ne pouvant pas réunir ses forces pour se lancer contre l'ennemi ; puis supposez-la appuyée par une forteresse offrant toutes les garanties d'une bonne défense, dites si la force morale de l'armée ne sera pas doublée, triplée, décuplée.

Quant à moi, je considère ces travaux comme le complément matériel en quelque sorte de notre institution militaire. Il y a très longtemps que je les rêvais. Dès 1848, l'idée en a été soumise au sein du cabinet dont je faisais partie, et l'un des actes dont nous croyons pouvoir le plus nous honorer, c'est celui d'avoir commencé cet travaux dont nous vous demandons aujourd'hui le couronnement.

(page 1309) M. Vervoort. - Messieurs, l'honorable ministre d'e l'intérieur vient de faire de son patriotisme personnel un éloge auquel je m'associe ; mais il ne s'imagine pas, sans doute, qu'il a le monopole de ce noble sentiment ; que ses amis d'Anvers en sont moins animés que lui, et c'est sous l'inspiration de notre patriotisme que nous repoussons le paragraphe premier du projet de loi, parce que les travaux auxquels il s'applique ne répondraient pas au but que le gouvernement nous propose d'atteindre.

Pour démontrer la justesse de cette appréciation, je n'ai qu'à opposer M. Rogier, député, à M. Rogier, ministre de l'intérieur.

En 1856, l'honorable M. Rogier faisait partie de la section centrale chargée d'examiner le système qu'il défend aujourd'hui avec tant d'ardeur, et à l'unanimité, elle déclarait en tête du projet opposé par elle à celui du gouvernement :

« Considérant que les intérêts de la défense militaire, de la population et du commerce d'Anvers réclament l'agrandissement général de cette ville. »

L'honorable ministre voulait alors que le cabinet s'efforçât de préparer l'exécution de ce grand travail et aujourd'hui, il soutient que l'agrandissement général doit devenir l'œuvre du temps.

L'honorable ministre a parlé de préjugés populaires ; il avait annoncé l'intention de les combattre. Je n'ai pas entendu qu'il les ait seulement signalés.

Une vive émotion s'est produite dans l'opinion et il ne pouvait en être autrement puisque le projet présente un rôle politique. J'aperçois bien les impressions du sentiment public, mais je ne vois point de préjugés à renverser.

Il est certain qu'une pensée politique a inspiré le paragraphe premier du projet de loi, celle d'établir sur une base solide notre état militaire pour protéger notre nationalité et nos droits ; et de devenir, en cas d'agression, les premiers défenseurs de notre neutralité et de nos libertés.

Mais telle est l'élévation de ce but, qu'il méritait bien les honneurs d'un projet de loi séparé, et d'un examen auquel ne vînt se mêler aucune préoccupation étrangère.

Aussi la surprise a été grande, chez la plupart des membres de cette Chambre, de voir figurer ce projet sous le paragraphe d'un article renfermant une série de travaux de toute nature.

Quoi qu'il en soit, une pensée élevée vous a guidés ; mais comment appliquez-vous votre principe politique ?

D'une forteresse ordinaire et d'un port de commerce, vous faites un établissement militaire formidable. Vous voulez convertir la ville commerciale par excellence en un refuge inexpugnable.

C'est ici que le sentiment populaire s'éveille et montre des craintes. Pour les expliquer, je n'ai besoin que du discours de M le commissaire du Roi. Il a cherché à vous démontrer que cette position puissante a toujours été en temps de guerre l'objet de la convoitise des grandes nations qui nous avoisinent.

Mais n'en résulte-t-il pas que plus vous fortifierez ce point important, plus vous chercherez à le rendre inexpugnable, et plus vous augmenterez les chances de voir porter la guerre en Belgique et de convertir ce coin tant envié en champ de bataille au cas de conflit européen ?

Une place de guerre aussi formidable appelle les luttes décisives. Voilà ce que le sentiment public a compris Si sa situation a fait d'Anvers une forteresse, sa situation en fait aussi la seule grande place de commerce du pays.

Ou ne s'effraye point de la voir dans les conditions d'une forteresse ordinaire, mais si vous faites un boulevard militaire de cette cité importante, qui a besoin de sécurité, je comprends que le projet soit impopulaire et inspire des répugnances.

L'idée d'organiser une puissante défense nationale est donc bien accueillie pour tout le monde, mais la manière de la traduire en fait est l'objet de graves dissentiments. Fortifier Anvers de façon à en faire l'établissement militaire principal du pays, n'est-ce pas aussi venir en aide à cette concurrence dangereuse qui se manifeste autour de nous.

La rivalité de Hambourg, du Havre, de Rotterdam et d'Anvers est manifeste. Le transit diminue en Belgique d'une manière alarmante.

On se demande, si le gouvernement avec les meilleures intentions du monde, ne travaille pas en faveur des rivales d’Anvers ?

En principe, Anvers ne devrait pas être une place de guerre, mais si la nécessité et l'intérêt général, si la volonté de la représentation nationale lui imposent ce rôle, il faut concilier les deux intérêts qui se trouvent en présence. Il ne faut pas que la prospérité croissante de la place de commerce soit sacrifiée aux intérêts de la place de guerre.

Depuis longtemps Anvers a besoin d'air et d'espace pour son commerce et sa population. Il lui en faudra plus que jamais comme place de guerre pour les exigences de l'établissement militaire.

Or, on veut en faire la citadelle, l'accessoire, le réduit du camp retranché, le refuge où se fera la capitulation ; de sorte que la ville commerciale où se trouvent des immenses dépôts du commerce, nos flottes marchandes, les chefs-d'œuvre de nos maîtres flamands, des monuments incomparables et où viendront se réfugier notre dynastie et les grandes administrations, la capitale de la guerre, enfin, sera réduite au sort d'une citadelle pendant les efforts désespérés de la lutte expirante.

Eh bien, si aux cent mille âmes qu'Anvers possède et aux trente mille habitants des faubourgs, vous ajoutez l’armée qui devra entrer dans son enceinte, un bombardement de quelques heures mettra fin à la lutte, comme à Vienne en 1805 et en 1809. Il est incontestable qu'une ville qui peut à peine contenir ses habitants, et dans laquelle seront refoulés trente mille habitants des faubourgs et une armée, ne peut supporter un long bombardement. (Interruption.)

Je répondrai bientôt au discours de M. le commissaire du Roi ; il ne perdra rien pour attendre, mais je désire suivre l'ordre que je me suis tracé afin d'abréger le temps pendant lequel je dois réclamer l'attention de la Chambre.

Je me demande quel est le sort ordinaire d'une grande cité ? C'est de se développer librement ; eh bien, la ville d'Anvers subit la loi contraire En pleine paix, au lieu d'aider à son développement, on l'étreint dans un cercle de fer.

En 1848, on avait établi non loin d'Anvers quelques redoutes ouvertes à la gorge ; plus tard, sans l'intervention de la législature, on les a converties en forts.

Cette mesure faisait naître des servitudes militaires ; vers la même époque, on prit des jugements de démolition, ce qu'on n'avait pas fait antérieurement.

Les propriétaires des maisons frappées par ces jugements dont l'exécution prochaine était annoncée, s'adressèrent à M. le général Anoul ; voici ce qu'il répondit :

« Bruxelles, le 11 août 1854.

« A M. le président de la commission instituée pour l'agrandissement d'Anvers.

« Monsieur,

« En réponse à votre lettre citée en marge, j'ai l'honneur de vous informer que j'ai donné l'ordre de suspendre provisoirement la mise à exécution des jugements qui condamnent les sieurs Coudyzer, Forceville, Debot et Claes à démolir les constructions qu'ils ont été élevées, suis autorisation, dans le rayon réservé de la place d'Anvers.

« Je pense, comme vous, monsieur, que la seule manière de donner satisfaction complète aux intérêts des propriétaires dont les terrains sont frappés de servitudes, serait d'englober ces terrains dans une nouvelle enceinte de la ville. Mais vous savez aussi que l'exécution de ce projet est subordonnée à des conditions dont la réalisation ne dépend pas du département de la guerre.

« Le ministre de la guerre, (Signé) Anoul. »

Cette lettre prouve qu'en 1854 la cinquième section parlait déjà de la nécessité de former une grande enceinte, et que le ministre de la guerre reconnaissait que c'était le seul moyen de faire droit aux réclamations des habitants des faubourgs.

Les membres de la Chambre ont reçu un plan où figurent les indications qui concernent les ouvrages projeté s.

Aujourd'hui, 2.500 hectares sont voués aux servitudes militaires ; à Paris, où il y a 38,000 mètres d'enceinte, 1,860 hectares seulement sont frappés de cette charge.

C'est là une situation qui mérite d'être prise en considération. Les servitudes diminuent considérablement la valeur des propriétés. En 1854, telle propriété qui valait 40,000 fr. a été vendue peu de temps après au prix de 9.000 fr. Les prêts hypothécaires sont devenus très difficiles. II y a pour les propriétaires des environs d'Anvers un intérêt incontestable à être affranchis des servitudes militaires.

C'est une des grandes considérations qui ont fait demander l'enceinte générale et je viens de faire voir que le ministre de la guerre en 1854 était d'avis que cette mesure présentait la véritable solution de la difficulté.

L'honorable ministre rappelait tout à l'heure une conversation qui aurait eu lieu en comité secret, je ne sais pas s'il est dans les usages de la Chambre de mettre au jour ce qui se passe dans les comités secrets.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'assistais pas à ce comité secret ; je ne faisais point partie de la Chambre, mais M. Greindl a répété en séance publique ce qu'il avait dit en comité secret.

M. Vervoort. - L'honorable ministre m'a paru croire que j'étais d'avis que la ville d'Anvers avait à participer aux frais de l'agrandissement au nord, or jamais je n'ai eu cette pensée et j'ai toujours soutenu le contraire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit que vous avez approuvé les paroles du ministre de la guerre lorsqu'il a formulé son idée de la manière suivante : « l'agrandissement du nord d'Anvers sans frais pour l'Etat. »

M. Vervoort. - Je puis avoir félicité le ministre d'entrer dans la voie de l'agrandissement d'Anvers, mais que je l'aie approuvé lorsqu'il songeait à mettre les frais à charge de la ville, cela n'est pas possible. J’ai toujours repoussé cette idée.

(page 1310) Que fit, messieurs, la section centrale lorsqu'on lui proposa un projet de loi pareil à celui qui est aujourd'hui soumis à la Chambre ?

La section centrale voulait alors arriver à une mesure définitive, elle voulait sortir du provisoire, et elle voulait prendre la seule mesure capable de satisfaire aux nombreux intérêts dont elle avait à s'occuper. Aujourd'hui le gouvernement veut rester dans le provisoire. Il établit un développement considérable au nord de la ville d'Anvers, dans une partie malsaine que l'on n'habitera point, où l'on construira des entrepôts, des magasins, mais où certainement aucun rentier ni aucun négociant n'établira jamais sa demeure.

L'honorable ministre nous dit que son projet donne des espérances à Anvers et qu'il doit faire tomber au nord des ouvrages qui ont été l'objet de longues récriminations. Je demanderai pourquoi, en 1856, l'honorable ministre ne se contentait point de ces concessions ? et pourquoi repoussait-il alors le projet du gouvernement, en demandant la grande enceinte ?

On prétend qu'Anvers n'est pas unanime dans ses réclamations. Nous voyons la régence, le conseil provincial, !a chambre de commerce et la commission de la cinquième section adresser de nombreuses pétitions au Roi et à la représentation nationale. Si l'on a recueilli des signatures sur une pétition colportée à Borgerhout, je ne pense pas que ce document puisse contrebalancer l'autorité du conseil provincial, de la régence et de la chambre de commerce.

Une aussi importante mesure que l'agrandissement général d'une ville peut froisser quelques intérêts privés, mais ce qu'il faut consulter, c'est, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, l'intérêt général, et je ne conçois pas comment on pourrait faire disparaître ou même amoindrir devant ces quelques signatures de la pétition de Borgerhout, les imposantes réclamations de toutes les autorités.

M. le ministre de l'intérieur a soutenu que la forteresse d'Anvers est encore une des plus puissantes forteresses de l'Europe.

Cette objection m'amène à examiner la valeur relative du projet du gouvernement et du système détendu par la section centrale.

Je crois, et je me fonde sur l'opinion d'hommes compétents, que l'enceinte actuelle d'Anvers n'est plus susceptible d'une longue et sérieuse défense, à cause des constructions qui enveloppent ses ouvrages défensifs.

Une nouvelle ville s'élève entre les remparts et les forts.

Quatre mille maisons qui renferment 30,000 habitants ont été construites depuis 1814, et la petite enceinte masquée par cette zone de bâtisses n'a plus de champ de tir.

Cette population se développant, ces constructions se multiplient constamment.

L'honorable ministre de l'intérieur a rappelé la défense d'Anvers par Marnix de Sainte-Aldegonde

La brillante défense qui a contribué à illustrer Marnix ne serait plus possible aujourd'hui.

La situation était différente alors. Les moyens d'attaque et de déefense se présentaient dans d'autres conditions et une seconde ville ne s'était pas élevée encore en face des remparts. Mais si vous pouvez avec succès défendre le drapeau national dans les murs d'Anvers, pourquoi demandez-vous 20 millions ? Pourquoi a-t-on formé en 1847 ce camp retranché qui répondait, disait-on, aux besoins de la défense ?

Il est évident que les travaux faits alors et ceux qu'on demande à construire encore, sont une protestation contre cette idée que l'enceinte actuelle peut suffire pour défendre le drapeau national.

On a rappelé 1831.

En 1831, les Hollandais possédaient la citadelle d'Anvers. La citadelle seule était attaquée, et par une convention spéciale la ville a été préservée et tenue en dehors de la lutte.

La. citadelle peut présenter une défense efficace, mais il en est autrement de l'enceinte de la ville, qui se trouve masquée par les faubourgs, et doit être nécessairement portée plus loin.

Et en cas de désastre, c'est un point que M. le commissure du Roi a passé sous silence, en cas de désastre, que deviendront, si l'on adopte le système du gouvernement ces faubourgs ?

Si l'armée vient à succomber dans son camp retranché et doit se réfugier, sous le choc impétueux rie l'ennemi vainqueur, dans l'enceinte de la ville, toutes ces habitations seront vouées à l'incendie et à la dévastation, ces populations seront sans asile.

Nous demandons que les petits forts incapables d'arrêter l'ennemi vainqueur et de soutenir une lutte protectrice soient reliés par des escarpes et par des fossés de 50 mètres de largeur, afin de présenter un front puissant à l'ennemi, après la chute de la première ligne de défense.

Avec la petite enceinte, messieurs, vous avez une place de guerre fort ordinaire, précédée d'une double ceinture de forts et séparée du cœur de la place par des amas de constructions d'une valeur considérable dont la destruction serait inévitable si l’enceinte était susceptible d’être défendue quelque temps.

Avec la grande enceinte, au lieu d'une place de guerre ordinaire vous avez une position retranchée dans laquelle un petit corps ou un armée affaiblie par de longs combats, peut lutter contre une armée puissante, sans qu’il soit besoin de démolir préventivement la nouvelle ville.

M. le ministre de la guerre a dit que la forteresse pourra être réduite à sa garnison pendant que l'armée tiendra la campagne. Pour ma part, je forme des vœux pour que l'armée puisse, si jamais le malheur d'une invasion venait à nous frapper, défendre le pays à la frontière et empêcher la conquête.

Mais ne l'oubliez pas, vous voulez créer à Anvers un grand établissement militaire qui doit abriter notre dynastie, le gouvernement, le pouvoir législatif, toutes les forces vives du pays. Laisserez-vous l'armée s'éloigner de cet abri suprême ?

Ne comprenez-vous pas que c'est une base d'opérations vers laquelle elle tournera sans cesse sa plus grande sollicitude ?

Ne sera-t-elle pas inévitablement enchaînée à ce grand boulevard national ?

Mon bon sens et mon patriotisme me disent que, dans votre hypothèse, il faut une grande enceinte, un de ces gigantesques ouvrages qui sont par eux-mêmes une force défensive et que puisse soutenir, par son intrépide résistance, une garnison composée de nos soldats.

Je trouve donc, messieurs, dans le discours même de M. le ministre de la guerre, un des plus graves motifs qui militent en faveur de la grande enceinte.

Seule elle répond à toutes les situations ; elle garantit surtout contre les surprises, contre les attaques brusques ; quand l'armée est réunie et se défend dans un tel retranchement, soutenu par des citadelles éloignées, je crois que le siège d'une pareille place serait d'une difficulté extrême et que la défense, ainsi organisée, offrirait les garanties d'une résistance sans durée limitée.

Pour moi, ces garanties n'existent pas avec votre camp retranché et ce refuge étroit et dangereux, surtout si votre défense était abandonnée, à une simple garnison.

Je concevrais les efforts du gouvernement si nous soutenions une thèse contraire à la sienne, si le gouvernement était d'avis que la grande enceinte est un mauvais système. Mais le gouvernement lui-même reconnaît que la grande enceinte est un excellent système ; pourquoi donc le voyons-nous combattre avec tant d'ardeur une opinion qui se rapproche de la sienne ?

Le gouvernement soutient que, d'après les autorités militaires, les deux systèmes ont une valeur égale.

Sur quoi fonde-t-il cette assertion ? Sur le vote d'une commission composée de onze officiers de l'armée. Cinq se sont déclarés favorables au projet du gouvernement ; cinq se sont prononcés pour la grande enceinte, et le onzième membre s'est abstenu ; on conclut de là que cinq voix s’tant prononcées en faveur d'un des systèmes et cinq voix en faveur de l'autre, les deux systèmes ont une valeur égale.

Mais cette déduction est-elle logique ? Toutes les voix avaient-elles la même importance ?

J'admets que la capacité de tous ces officiers est égale au point de vue de leur position respective ; mais au point de vue de l'appréciation des fortifications, de l'œuvre du génie militaire, nous devons faire une distinction. Si les membres de la commission appartenant à l’armée du génie et à celle de l'artillerie, se sont déclarés pour la grande enceinte, et si les officiers généraux d'infanterie et de cavalerie se sont prononcés pour l'autre système, on n'est pas fondé à dire que le partage des voix attribue une valeur égale aux deux systèmes, mais on doit en conclure que le système de la grande enceinte est préférable.

Je comprends que, malgré nos efforts répétés, on n'ait pas voulu communiquer à la section centrale le travail de cette commission, et surtout une note de M. le général de Lannoy. On a dit que ces pièces avaient un caractère confidentiel. Quel est donc le secret renfermé dans ces pièces ? Vous condamneraient-elles ? L'honorable général de Lannoy a fait une longue étude de la question. On a soulevé un coin du voile, on a lu quelques phrases de la note du général ; j'attache une grande importance à la connaître tout entière.

Je n'admets pas que l'on puisse dérober ces pièces à la connaissance des membres de la législature, lorsqu'il s'agit pour eux de discuter la question si importante de la défense nationale.

Comment ! vous avez fait faire un travail ; ce travail, vous le possédez, vous l'invoquez, et vous m'empêchez de l'apprécier à mon tour ! Je vous demande, moi, la révélation entière d'un document que vous ne nous avez fait connaître qu'en partie ?

Au mois d’août 1855, sous les murs de Sébastopol, on a examiné la question de savoir s'il fallait une grande ou une petite enceinte, et un des généraux les plus distingués de l'armée française s'est prononcé pour une grande enceinte.

Lorsqu'un homme, à jamais illustre pour avoir défendu Sébastopol, a traversé dernièrement notre pays, il a consenti à examiner la question. Or, les renseignements que j'ai obtenus me donnent la conviction que le général Totdeben est un partisan de la grande enceinte.

M. le commissaire du roi. - Une grande enceinte, je veux bien vous concéder cela.

M. Vervoort. - C’est ce que nous demandons.

M. le commissaire du roi. - Non, c’est l’enceinte Keller que vous demandez.

M. Vervoort. - Je n’ai pas parlé de M. Keller, mais nous allons voir à l’instant quelle est la grande enceinte dont j’ai l’honneur d’entretenir la Chambre.

J’allais dire, lorsqu’on m’a interrompu, que nous avons parmi nous (page 1311) un homme dont le mérite doit inspirer une grande confiance et dont le rapport a été assez légèrement attaqué. Ce collègue a figuré dans les guerres de l'empire ; il s'est spécialement distingué à Saint-Sébastien, c'est le dernier officier du génie qui ait donné son concours à la défense de cette place.

Le nom de cet officier qui était attaché à l’état-major du maréchal Soult se trouve mêlé au souvenir d'autres fai.t glorieux ; il fut choisi pour négocier à Londres la question des forteresses.

Eh bien, ce vétéran qui pendant 25 ans fut en Belgique à la tête de l'arme du génie, a une opinion conforme à celle de ses collègues actuels et en pourrait croire qu'un homme de cette valeur, que cet ancien ingénieur si initié à la pratique des fortifications, aurait appuyé un plan qui doit nous rendre la risée de l’Europe !

Je demande pardon à l'honorable général de faire de lui un éloge dont il n'a pas besoin, mais j'aime à mette mon opinion sous la protection de son autorité. Elle est imposante pour ceux qui savent rendre justice au mérite.

L'honorable général Renard a peu ménagé la section centrale.

Le rapport, cependant, ne renferme par une résolution que nous n'ayons discutée ; notre honorable président aussi a pris part à sa discussion avec le même zèle que nous ; toutes les questions ont été mûrement examinées ; c'est après nous être formé une conviction profonde que nous les avons résolues.

II y a solidarité entre les membres de la majorité et je revendique ma part de responsabilité.

L'honorable commissaire s'est fait une position commode et facile en critiquant l'esprit et le texte du rapport. Il attribue à l'honorable rapporteur des erreurs qui ne sont pas dans son rapport.

Je n'ai pas besoin de les redresser ici, c'est une tâche qui sera facile pour l'honorable rapporteur ; je ne m'occuperai pas des deux premières parties du discours de M. le commissaire du roi, je ferai observer seulement que lorsqu'il a dit que la neutralité désarmée est une chimère, il a confondu le droit et les moyens propres à le maintenir dans certaines circonstances.

Je suis du nombre de ceux qui ont foi dans la loyauté de nos voisins et qui pensent que les grandes nations qui ont voulu que nous fussions indépendants et neutres voudront maintenir leur œuvre.

M. Lesoinne. - C'est parce que c'était dans leur intérêt.

M. Vervoort. - Sans doute, c'est un intérêt européen qui a créé la Belgique neutre et indépendante. Mais cet intérêt n'a cessé d'exister pour toutes les puissances amies qui ont consacré notre état politique.

Je ne m'attacherai pas non plus, messieurs, à prouver que la ville de Hambourg eût été peut être plus à plaindre, si, au lieu de payer une contribution de guerre de 115 millions, elle avait subi un siège et un bombardement. En se développant librement pendant la paix, elle a pu recueillir les moyens de supporter le rôle qu'on lui a momentanément imposé pendant la guerre. Je ne chercherai pas enfin à démontrer qu'Amsterdam n'est pas une forteresse.

Je prends la troisième partie du discours de l'honorable général Renard, j'avoue que j'ai été péniblement surpris en entendant M. le commissaire du Roi diriger des attaques non seulement contre la section centrale et son rapporteur, contre les fortifications de Paris approuvées par tant d'officiers éminents, mais même contre le gouvernement.

Le cabinet précédent a déclaré qu'il mettait les deux projets sur la même ligne sous le rapport de la valeur militaire.

C’était en 1856, mais, comme l’a dit l'honorable M. Frère, le gouvernement est toujours le gouvernement ; du reste le cabinet actuel a accepté la solidarité des documents présentés par M. Greindl à l'appui du projet de loi de 1856.

Dans ses communications avec la section centrale, le cabinet a dit loyalement qu'il mettait les deux systèmes sur la même ligne. Le ministre de la guerre leur a reconnu la même importance militaire dans son discours du 26 juillet ; le gouvernement a écrit le 4 juin dernier à la section centrale : « les deux projets peuvent être mis sur la même ligne sous le rapport de l'importance militaire. »

L'honorable M. Rogier vient de dire qu'il ne repousse pas la grande enceinte, que c'est une question financière.

De son côté M. le commissaire du Roi fait des efforts pour démontrer que le système de la grande enceinte est un mauvais système, un projet dangereux. Le voilà donc en contradiction avec le ministre de la guerre. (interruption.) Je constate que l'on a soutenu ici que le système de la grande enceinte ne valait pas le système que le gouvernement veut faire prévaloir. L'honorable général Renard a non seulement critiqué le projet de la grande enceinte, il dit encore que le tracé était mauvais et que son exécution nous rendrait la risée de l'Europe ; Or, ce tracé est celui du chef de l'arme du génie ; le gouvernement se l'est approprié ; il en a déposé les plans au greffe de la Chambre.

M. le général Renard, commissaire du Roi. - Le tracé est celui envoyé par M. Keller quand le gouvernement a voulu se rendre compte de la manière dont ou pourrait le défendre, mais le tracé n'est pas du génie.

M. Vervoort. - Nous avons reçu, sous la date du 5 mars 1856, une note du ministre de la guerre qui renferme ces mots :

« Afin d'aller au-devant de tout malentendu, je répéterai que le gouvernement ne fait aucune difficulté d'admettre en principe l'extension que comporte le projet de MM. Keller et Cie. »

Le 4 avril 1856, le ministre de la guerre demanda un crédit de 8,029,000 fr. Il dit dans son exposé des motifs : Nous avons déclaré, en même temps, que le gouvernement ne fait aucune difficulté d'admettre en principe l'extension que comporte le périmètre indiqué dans les dernières publications émises sous le nom de MM. Keller et Cie. »

Dans sa note du 21 avril 1857, M. le ministre de la guerre déclare déposer le plan de l'agrandissement général qu’il a fait dresser.

Le cabinet actuel, consulté sur les propositions Keller, répond à la section centrale (page 28 du rapport) :

« Le projet présenté sous le nom de Keller et Cie doit d'autant moins empêcher ou retarder l'adoption du projet du gouvernement que les deux plans sont les mêmes quant aux nouveaux forts à construire et quant au tracé de la nouvelle enceinte. »

Ainsi le gouvernement a approuvé le tracé de l'enceinte de M. Keller parce qu’il est le même que le tracé de l'honorable général de Lannoy, et M. le commissaire du Roi prétend qu'en adoptant ce tracé nous deviendrions l'objet de la risée de l’Europe entière !

M. le commissaire du Roi. - Je le maintiens.

M. Vervoort. - C'est flatteur pour le ministre de la guerre. Vous tirez à boulets rouges sur la section centrale, mais aussi vous lapidez le gouvernement. Voici d'autres contradictions. Quel est le principal argument de M. le commissaire du Roi ? C'est que le camp n'a pas assez de profondeur entre les forts avancés et l'enceinte continue. Je réponds d'abord à l'honorable général : Le plan n'est pas l'œuvre de la section centrale. Ce plan est l'œuvre du génie, et le gouvernement qui se l'approprie dit dans l'exposé des motifs :

« L'emplacement des forts détachés a été déterminé de manière à faire système avec la grande enceinte. » Cette citation fait comprendre la profonde divergence qui existe entre le génie et M. le commissaire du Roi.

Le cabinet déclare que les forts sont placés de manière à faire système avec la grande enceinte et il nous dit, dans une lettre insérée au rapport de la section centrale, que son plan de la grande enceinte et celui de M. Keller ont le même tracé (page 28 du rapport).

L'honorable général a prétendu d'abord que le fort n°4 était la clef du camp actuel ; que sa démolition ayant été demandée, ce camp avait perdu sa force, et que la construction de nouveaux forts avait été la conséquence de cette démolition ; et quand nous soutenons que le camp retranché est trop faible et qu'il faut le relier par une enceinte, on nous répond qu'il est très puissant et que l'enceinte n'est pas nécessaire.

M. le commissaire du Roi. - Il y a deux camps.

M. Vervoort. - Ces camps avaient une clef commune, le fort n°4 ; vous avez dit que cette clef étant supprimée il avait fallu prendre d'autres mesures parce que le camp n'était plus assez fort.

M. le commissaire du Roi, après avoir invoqué Vauban pour démontrer qu'une première ligne de défense doit être trois fois plus forte que la seconde, a critiqué la grande enceinte comme ne présentant pas assez de forces, et elle doit servir à réunir par des escarpes et des fossés les fortins existants.

M. le général Renard ne veut pas de la grande enceinte parce que les troupes ne pourraient pas librement s'y développer et parce qu'elles perdraient de leur force en contact avec la population et il consent à renfermer l'armée dans l'enceinte actuelle où la population de la ville et des faubourgs entraverait à coup sûr les mouvements stratégiques.

Et en ce qui concerne la profondeur du camp, que l'on examine donc les autres camps retranchés de l'Europe ; en trouvera-t-on beaucoup où les forts soient plus éloignés de l'enceinte continue ?

A Paris, quelques forts seulement sont plus éloignés.

A Cologne, la distance ne dépasse pas 800 mètres.

A Vérone, elle s'élève tout au plus à mille mètres.

Mais, en définitive, si les forts sont trop rapprochés de l'enceinte, il suffira au gouvernement de les éloigner davantage.

J'ai vu à regret tous ces vains efforts de M. le commissaire du Roi.

On ne saurait nier l'importance et même la supériorité d'une grande enceinte sur quelques fortins isolés. Cette enceinte constitue un élément de résistance par elle-même, elle est à l'abri d'une attaque imprévue ; on peut la défendre avec des forces peu considérables ; elle sauve les faubourgs, elle sauve les habitants de la ville, elle arrête l'ennemi et offre un abri salutaire à l'armée.

Sa construction est subordonnée à une question d'argent. Mais n'y a-t-il pas moyen de diminuer cette somme de 45 millions ? Et d'abord pourquoi cet agrandissement excessif au nord ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Parce qu'Anvers l'a demandé.

M. Vervoort. - Anvers vous a demandé des quais ; mais elle ne vous a pas demandé un collier d'ouvrages inutiles et des terrains inhabitables.

Votre plan s'étend derrière le fort du Nord au-delà des quais, pour faire un grand circuit vers la campagne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Anvers a demandé cela.

M. Vervoort. - La ville n'a pas demandé ce cercle de remparts ; elle ne peut pas utiliser ces terrains.

(page 1312) Je crois que l'auteur du projet a eu la pensée d'établir sur ce point une espèce de citadelle, qui sera défendue à l'extérieur par les remparts de la cité agrandie, et à l'intérieur par les bassins et le canal.

S'il en est ainsi, il est bien juste que le gouvernement paye la dépense de ces travaux, puisque la ville n'en profiterait pis la moins du inonde.

Voyez encore ici le danger que présente un pareil refuge préparé pour l'armée vaincue.

Une lutte entre des armées étrangères à proximité des bassins et de nos entrepôts, peut compromettre toutes nos richesses commerciales et amener des pertes incalculables.

Anvers sera exposé encore aux contributions forcées et à la mise en réquisition des substances alimentaires que renfermeront ses magasins.

Vous appellerez probablement la garde civique à votre aide ; ce seront encore les gardes civiques d'Anvers et de sa banlieue qui se sacrifieront les premiers pour la défense du drapeau dans ce moment suprême. Eh bien, vous devez tenir compte à Anvers de ces terribles éventualités.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Anvers doit être fier de ce rôle.

M. Vervoort. - Je ne le conteste pas et dans une discussion analogue il y a deux ans, nous avons dit que c'est un rôle glorieux pour la ville d'Anvers ; je ne rétracte pas ces paroles.

Au milieu des dangers de la guerre, son courage ne se démentira pas ; mais nous jouissons d'une paix profonde, son sort est mis en question et elle est certes en droit d'exposer son sort périlleux pour obtenir les garanties de sécurité et de bonne défense que lui doit le pays !

Il y a une autre économie à réaliser. On demande des revêtements en briques. C'est une dépense de 7 à 8 millions. Nous ne repoussons pas en principe les revêtements en briques ; mais ces travaux exigent de grands frais d'entretien, après quelques années, et ils ne sont pas nécessaires quand les remparts sont défendus par des fossé remplis d'eau.

A Berg-op-Zoom, à Rastadf, place fédérale, au port de Stettin, il n'y a pas de revêtements en briques derrière des fossés remplis d'eau ; à Alexandrie, à Copenhague, les travaux n'auront pas de revêtements en briques. A Sébastopol les ouvrages défensifs se trouvaient derrière des fossés sans eau et je comprends qu'un général français ait pu dire que des revêtements garnis de briques auraient rendu la victoire plus difficile.

Dans notre pays, à Audenarde, à Ostende, à Termonde, à Charleroi, ville basse, à Diest, forteresse créée par le chef actuel de l'arme du génie, il n'y a pas de revêtements en briques, et ces villes n'ont pas de travaux avancés. A Anvers même, il y a deux fronts d'attaque non revêtus, et vous l'appelez une forteresse formidable !

Pourquoi donc voulez-vous cette dépense pour une enceinte défendue par un camp retranché, flanqué de 8 citadelles ?

M. le général Renard n'est pas certain que les fossés de l'enceinte contiendront toujours de l'eau et il craint la destruction des batardeaux par la chute de quelques bombes. Les batardeaux auront 7 mètre d'élévation sur 4 mètres de largeur et dès lors je ne partage pas la crainte chimérique de l'honorable général.

Enfin, messieurs, je trouve dans le devis un chiffre de 2,600,000 fr. pour travaux et dépenses imprévues. N'y a-t-il rien à rabattre sur cette somme ?

Je dis donc au gouvernement : Réalisez toutes ces économies, examinez les offres de la ville d'Anvers qui n'a pas dit son dernier mot, et vous pourrez en venir facilement à un arrangement s'il est dans vos vœux et vos intentions de le conclure.

Pour moi je désire vivement et sincèrement qu'on en vienne à une combinaison qui satisfasse tous les intérêts.

Le ministère précédent avait écrit à la régence d'Anvers, pour l'interroger sur ses intentions relativement à son concours pécuniaire.

C'était au mois d'avril 1857, à l'époque où tous, nous étions absorbés par la discussion sur la loi de la charité.

Mais, pourquoi le cabinet actuel n'a-t-il pas, en s'appropriant l'ancien projet de loi, adressé une lettre de rappel à la ville d'Anvers ?

Aujourd'hui un échange de lettres a eu lieu ; mais le gouvernement refuse d'indiquer le chiffre qu'il exige.

Cependant dans toute négociation, avant de rompre, on fait connaître son chiffre, afin que l'autre partie puisse prendre une résolution définitive.

Il s'agit d'une participation pécuniaire : la ville vous l'offre ; mais elle n'a pas à concourir à une œuvre de défense nationale, elle n'a pas à payer la dépense des fortifications qu'on lui impose contre son gré et son intérêt.

Mais je comprends que les terrains sur lesquels est assise l'enceinte actuelle ont une grande valeur pour la ville ; il y a là une base équitable de négociation ; je comprends que la ville paye largement des terrains dont elle peut tirer un meilleur parti que le gouvernement.

La base de contribution, fondée sur le concours à la dépense à faire pour une œuvre nationale, serait inique ; les offres de la ville, au contraire, sont fondées sur un principe équitable et plus honorable pour le gouvernement.

Pour ma part, je suis désolé qu'un intérêt qui tient à la défense nationale soit réduit à une question d'argent ; je regrette qu'une négociation sur cet objet n'ait pas eu lieu en dehors du débat actuel et qu'on n'ait pas fait tous les efforts possibles, afin que la question d'intérêt national ne fût traitée qu'au point de vue patriotique et que la défense du pays fût consacrée d'une manière définitive. J'aurais voulu sortir du provisoire et nous y sommes encore engagés et a raison de ces négociations et parce qu'on prétend que la question de la grande enceinte n'est pas assez étudiée.

Je considère cependant cette enceinte comme pouvant être promptement exécutée, et, ainsi que je l'ai dit déjà, je crois qu'elle est indispensable au point de vue de la défense nationale et des intérêts du commerce. Par cette mesure on met les faubourgs à l'abri d'une destruction certaine, on fait disparaître une quantité considérable de servitudes onéreuses. L'Etat augmente ses revenus par les droits de mutation et l'accroissement des contributions. On tranquillise et l'on satisfait une ville importante, et on la fait sortir du provisoire.

Il s'agit, ne le perdez pas de vue, messieurs, de votre grande cité commerciale dont les intérêts sont aussi les vôtres, et si l'intérêt d'Anvers se présente en première ligne, cette ville éprouvée par des pertes cruelles et fréquentes a acquis des titres à votre sollicitude et à celle du pays.

(page 1308) - La séance est levée.