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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 14 février 1859

Séance du 14 février 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 548) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nomiual à 2 heures et un quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance du 12 février.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Jean-Lambert Martens, négociant à Brée, né à Nuth, partie cédée du Limbourg, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les sieurs Bodson et Dumisseaux demandent que la position des gendarmes soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques habitants d'Havré, Ville-sur-Haine et Gottignies prient la Chambre de statuer sur les pétitions concernant les houblons étrangers. ».

- Renvoi à la commission de l'industrie.


« Des habitants de Landenne-Petit-Waret demandent que le gouvernement n'accorde pas à l'administration communale l'autorisation de vendre des biens domaniaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des veuves d'officiers demandent de pouvoir se remarier en conservant la moitié de leur pension. »

- Même renvoi.


* Le sieur Detourbes, négociant en charbon, prie la Chambre de ne pas laisser accéder à la demande relative à la création de courtiers officiels qui, seuls, auraient le droit d'affréter des bateaux transportant la houille. »

- Même renvoi.


« Des débitants et consommateurs de sel raffiné, dans les provinces de Brabant et de Luxembourg, prient la Chambre de rejeter la demande qui a pour objet une nouvelle imposition de l'eau de mer employée dans le raffinage du sel. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« M. De Lexhy, retenu à Tongres par les devoirs que lui impose la mort de M. Van Muyssen, demande une prolongation de congé. »

- Accordé.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre IV)

Discussion des articles

Titre IV. Des crimes et des délits contre l'ordre public, commis par des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, où par les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère

Chapitre IX. Des infractions commises par les ministres des cultes dans l'exercice de leurs fonctions
Articles 295 et suivants

M. le président. - La discussion continu sur l'article 295.

M. de Theux. - Messieurs, à entendre M. le ministre de la justice, l'opposition combat l'Etat dans la question de l’enseignement, dans la question de la charité et dans la question de la répression des délits qui peuvent être commis par les ministres des cultes, dans l'exercice de leurs fonctions.

En ce qui concerne l'enseignement, nous n'avons jamais soutenu que les principes fondamentaux de notre Constitution elle-même, c'est-à-dire le règlement par la loi de l'enseignement donné aux frais de l'Etat et le maintien intact de la liberté d'enseignement telle que le Congrès l'a décrétée.

En ce qui concerne la charité, nous n'avons rien fait d'autre que de défendre les errements de tous les gouvernements chrétiens, en d'autres termes les errements du christianisme qui a civilisé l'Europe et qui a en même temps cherche à atténuer les souffrances de toutes les classes malheureuses à toutes les époques et en tout temps.

En ce qui concerne les ministres des cultes, nous ne défendons que l’application du droit commun.

Je pense donc que c'est à tort que l'on nous a opposé l'Etat. La vérité est que nous ne sommes en contradiction qu'avec des ministres ; et en Belgique il y a une différence essentielle entre les ministres et l'Etat. Car l’Etat changerait avec le ministère, ce qui est inadmissible.

Messieurs, je considère comme le premier devoir du gouvernement et des Chambres de fortifier l'attachement à la Constitution en la maintenant intacte dans tous les points, et de s'appliquer surtout à ne jamais y contrevenir par une loi formelle.

En ce qui concerne la discussion, je pense que l'on aurait dû s'attacher aà réviser la Cod# pénal, non seulement en en diminuant les peines, mais aussi en le mettant en complète harmonie avec notre Constitution. Or, c'est ce qu'on ne fait pas, cela me paraît évident.

On argumente des dispositions du Code pénal de 1810, comme si leur seule existence dans le passé était un motif de leur existence dans l'avenir ; mais alors pourquoi ne pas rétablir la situation de 1810 sous d'autres rapports ? En 1810, tout était préventif.

Vous n’aviez même pas la liberté de la conversation dans les lieux publics.

La police était toujours là pour vous ramener à ce que le gouvernement appelait le bon ordre.

Vous n'aviez pas la liberté de réunion et des discussions politiques ; vous n'aviez pas la liberté de la presse. Car la censure préalable existait.

Il n'est donc pas étonnant que le gouvernement d'alors ait interdit la publication des bulles et des brefs du pape, s'ils n'étaient pas munis de son placet ; qu'il ait interdit la publication des mandements des évêques et qu'il ait réprimé les sermons, si les évêques ou les curés trouvaient qu'il était de leur devoir d'appliquer à leurs diocésains ou à leurs paroissiens la morale de l'évangile, et si cette morale venait par hasard à contrecarrer l'un ou l'autre acte du gouvernement ou de ses agents, même les plus infimes, car le dernier garde champêtre était protégé par le Code pénal à l'égal de l'empereur lui-même.

Je conçois que sous l'empire de cet ensemble de dispositions, le gouvernement ne pouvant exercer une censure préalable sur les sermons, se fût réservé une très grande autorité sur leur répression, lorsque les sermons avaient été prononcés.

Mais tout cela n'est plus applicable dans l'ordre de choses actuel. Nous vivons sous un régime qui diffère du précédent du blanc au noir.

Messieurs, on a soutenu deux thèses.

D'abord que les articles 14 et 16 de la Constitution n'ont en rien abrogé le Code pénal, pas plus que l'article 18 de la Constitution n'avait aboli les lois sur la presse.

On a soutenu en outre que dans tous les cas le système du Code pénal pouvait encore être appliqué.,

Messieurs, je crois le contraire. Nous disons que l'article 16 de la Constitution a formellement aboli toutes les lois relatives aux objets qui y sont spécifiés.

Quant à l'article 14, nous disons qu'en principe il a aboli tout ce qui est contraire à la liberté des cultes et que toute loi, tout jugement qui enfreindrait la liberté vraie des cultes serait une atteinte formelle à la Constitution.

Voilà la thèse que nous défendons.

On a lu un extrait de la séance du Congrès dans laquelle a été discutée la question de savoir si l'article 18 de la Constitution déclarant la liberté de la presse avait aboli toutes les lois répressives des délits commis par la presse. Une commission fut nommée ; j'en fus le rapporteur. Effectivement, j'ai déclaré à l’assemblée que l'avis unanime de la commission avait été que l'article 18 n'avait pas ipso facto abrogé les lois sur la presse. Mais en même temps j'ai déclaré, au nom de la commission, qu'il fallait, dans le plus bref délai, pourvoir à une nouvelle législation sur la presse.

Mais, messieurs, notez-le bien, cette opinion de la commission ne fut pas partagée par l'assemblée du Congrès tout entière. Cela n'était pas présenté comme un objet ne donnant lieu à aucune espèce de discussion, à aucune espèce de dissentiment. Car l'honorable M. Raikem, mon ancien ami, qui avait provoqué l'attention du Congrès sur cet objet, eut soin de déclarer que s'il n'y avait pas une déclaration formelle de la part du Congrès, il y aurait de très grands dissentiments, des contrariétés de jugements et un état d'incertitude qui ne pouvait pas subsister.

Le Congrès n'adopta pas les conclusions de sa commission ; mais un de ses membres, M. Barthélémy, ayant déclaré qu'il avait préparé un projet de loi sur la presse qui lui semblait suffire pour le moment, il fut nommé, avec d'autres membres du Congrès, membre d'une commission spéciale pour réviser les lois antérieures sur la presse. La question de l'abrogation des lois sur la presse par la Constitution ne fut pas décidée par le Congrès ; mais le Congrès, pour couper court à toute difficulté, fit une loi sur la presse, qui était en harmonie avec les principes de la Constitution. Voilà les faits tels qu'ils se sont passés.

L'article 138 de la Constitution déclare formellement abolies toutes les lois qui sont en opposition avec son texte. Ainsi, messieurs, quant aux lois antérieures à la Constitution, les unes sont abolies d'une manière complète, les autres ne le sont que partiellement, selon que les articles en sont ou n'en sont pas en opposition avec le texte de la Constitution. Voilà le système de l'abrogation des lois par la Constitution ; c'est le même système qui existe pour l'abrogation d'une loi antérieure par une loi postérieure. C'est ainsi que je l'ai appris sur les bancs de l'école de droit et par la lecture des auteurs.

Prenons un exemple dans le cours de cette discussion même. Le gouvernement qui voulait d'abord reproduire purement et simplement le Code pénal, en ce qui concerne les mandements des évêques, a reconnu, ainsi que la commission elle-même, après un examen plus attentif, que l'article 16 de la Constitution exige formellement que tous les mandements des évêques, simplement livrés à l'impression, et quand il n'en est pas donné lecture en chaire, rentrent dans l'application du décret du 20 juillet 1831 sur la presse. Voilà donc une première concession, en ce qui touche l'abrogation, faite par la Constitution, du Code pénal.

(page 549) Une autre abrogation, faite par la Constitution, a été reconnue par la commission instituée pour réviser le Code pénal ; il s'agit de la correspondance des ministres des cultes avec leurs supérieurs.

Et, en effet, en ce qui concerne, soit la correspondance, soit les mandements, jusqu'à présent il n'a été intenté aucune poursuite, du chef du Code pénal, qu'on n'ait reconnu, soit que les mandements étaient inattaquables, soit que la Constitution avait abrogé le Code pénal.

Mais, dit-on, l'article 14 n'est relatif qu'aux discours prononcés en assemblée religieuse et dans l'exercice de ses fonctions, par un ministre du culte ; là du moins, ajoute-t-on, l'autorité judiciaire a reconnu que le Code pénal est encore en vigueur.

Voyons les faits et les arguments qu'on en tire.

On a cité notamment un jugement du tribunal de Huy, et un autre jugement du tribunal de Bruxelles, confirmés par un arrêt de la cour d'appel.

Mais je n'ai jamais ouï dire qu'un jugement de première instance et un arrêt de cour d'appel fissent autorité, je n'ai jamais oui dire cela. En France n'avons-nous pas vu la question de savoir si les coups portés et l'homicide commis eu duel tombaient sous l'application du Code pénal.

Cette question a été longtemps controversée par les jurisconsultes les plus distingués, des arrêts de la cour de cassation en sens contraires sont intervenus, et il a fallu un quart de siècle pour établir la jurisprudence.

La question de la propriété des cimetières en Belgique a été également longtemps controversée, elle vient d'être résolue dans le sens de l'opinion que j'ai toujours personnellement soutenue, qu'ils étaient la propriété des fabriques d'église. Une troisième question, la question de la charité, vient d'être résolue par la cour de cassation en sens opposé à la circulaire ministérielle. Cette question se plaide encore. Peut-on dire après cela qu'un jugement de première instance et un arrêt de la cour d'appel fixent la jurisprudence ?

Evidemment non. Mais, dit-on, ou n'a pas appelé du jugement, on n'a pas déféré l'arrêt de la cour d'appel à la cour de cassation. On nous faisait la même objection quand nous disions que la circulaire ministérielle n'était pas conforme à la loi. Pourquoi ne plaidez-vous pas ? disait-on. C'est facile à dire. Ceux qui ont plaidé savent ce qu'il en coûte de plaider ; les procès ont d'autres inconvénients et ceux qui ont eu le malheur d'eu avoir ne l'ignorent pas.

On ne peut pas dire qu'on ait accepté un jugement et qu'il y ait jurisprudence quand on n'a pas parcouru tous les degrés de juridiction, voilà la vérité.

Messieurs, après ces considérations générales, j'aborde maintenant successivement et d'une manière toute spéciale, l'article 16 d'abord et en second lieu l'article 14 de la Constitution, en rapport avec l'article 295 du Code pénal que nous discutons actuellement.

Je commence par l'article 16 que, pour moi, j'ai toujours déclaré incompatible avec un système spécial établi pour la lecture de mandements épiscopaux en chaire par le ministre du culte dans l'exercice de ses fonctions.

Je dis que ce fait est innocent s'il ne dépasse pas les limites du droit commun ; et s'il sort de ces limites, il doit être puni par le droit commun.

Voici l'article 16, il est tellement clair que non seulement je n'ai pas trouvé d'arguments qui pussent le rendre plus clair, mais je n'ai pas pu comprendre les arguments des adversaires de mon opinion.

« L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs. »

Jusque-là tout le monde est d'accord sur la clarté du texte de la Constitution.

« et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publicité. »

Qui donc a le droit de publier, sauf la responsabilité ordinaire ? Tous les ministres du culte quelconque ; quels actes ont-ils le droit de publier ? Les actes de tous leurs supérieurs ; quels sont ces supérieurs ? Les évêques et les synodes protestants ; les évêques et les synodes protestants sont bien les supérieurs des desservants et des ministres paroissiaux, les évêques et les consistoires sont bien les supérieurs des ministres des cultes en général.

Or, messieurs, tous les ministres du culte, sans distinction quelconque, peuvent publier les actes de leurs supérieurs, sauf la responsabilité ordinaire.

Que fait-on pour déchirer ainsi le texte de la Constitution ? On dit, d'une part, cela n'est relatif qu'aux bulles émanant de Rome ; d'autre part, cela n'est pas applicable à la lecture des bulles, des mandements ou autres écrits.

Quant à ce dernier point, je demanderai d'abord comment les ministres des cultes, du culte catholique par exemple, pourraient publier les actes de leurs évêques si ce n'est dans les églises ? A moins de prétendre que les curés soient tenus de faire imprimer à leurs frais les mandements et publier par la voie de la presse, on doit bien admettre qu'on n'a entendu parler que de la publication dans les temples par la voie de la lecture. Il est évident, d'ailleurs, que s'il ne s'agissait que du fait d'avoir publié par la voie de la presse ou colporté un acte des autorités religieuses supérieures, le clergé n'avait pas besoin de la garantie que lui donne l'article 16 de la Constitution.

De tout temps, messieurs, c'est à l'église qu'a eu lieu la publication des actes des autorités religieuses ; il en était ainsi avant l'invention de l'imprimerie, et depuis lors il en a toujours été de même. Mais qu'est-ce donc que le Congrès aurait eu en vue s'il n'en était pas ainsi ? Il suffit de se poser cette question pour se convaincre qu'il faut prêter au Congrès l'intention la plus absurde qu'on puisse imaginer, pour douter un seul instant qu'il a entendu autoriser formellement les ministres de tous les cultes à publier, dans l'exercice de leurs fonctions respectives, les actes de leurs supérieurs, et à les publier par la voie de la lecture et non par la voie de l'impression et de la distribution.

Maintenant, messieurs, on dit : Mais le Congrès n'avait en vue que les bulles et les brefs du pape et ce qui le prouve, c'est que, soit sous le gouvernement français, soit sous le gouvernement des Pays-Bas, il y avait des dispositions formelles qui empêchaient toute publication quelconque, alors même que l'acte fût parfaitement inoffensif en lui-même, à moins qu'ils n'eussent été soumis au placet. Pour restreindre ainsi l'article 16 de la Constitution, il faut en déchirer le texte ; car, si telle avait été l'intention du législateur constituant, on eût dit à l'article 16 : Les évêques ont le droit de publier les bulles et les brefs du pape. Le texte alors serait clair, mais il ne ressemblerait plus du tout au texte réel.

Voyons de quels arguments incroyables on a appuyé la thèse qu'on soutient.

On a dit. M. de Gerlache a parlé de bulles du pape, M. Ntlhomb en a également parlé, M. Beyts a proposé formellement d'autoriser la publication des bulles papales ; mais il faut remarquer d'abord que l'amendement déposé par M. Beyts n'a pas été pris en considération ; on ne peut donc pas en argumenter, et si l'on pouvait en argumenter, ce serait la conclusion contraire qu'il faudrait en déduire. Le discours de M. Nothomb ! mais ce discours contient la condamnation la plus formelle de l'opinion de nos adversaires. En effet, quel était le texte primitif, que portait le projet de Constitution ? « Toute intervention de la loi ou du magistrat dans les affaires d'un culte quelconque est interdite. »

Vous voyez là, messieurs, la pensée claire du Congrès : « Toute intervention de la loi, toute intervention du magistrat sont interdites. » Mais de ce texte, l'honorable M. Nothomb, qui a pris une grande part aux discussions du Congrès et qui était doué d'un esprit extrêmement pénétrant, de ce texte, M. Nothomb a déduit les conséquences et voici ces conséquences, telles qu'il les expose : « La premier qu'il n'y a plus lieu à des concordats.

« La deuxième conséquence, c'est la non-intervention du gouvernement dans la nomination des ministres du culte.

« La troisième conséquence est que pour tout genre de correspondance, de publication, le clergé reste dans le droit commun ; les prêtres écriront à leurs chefs supérieurs, même résidant en pays étranger. »

Donc, messieurs, si la publication des brefs du pape est libre, sauf la responsabilité ordinaire, à plus forte raison la publication des actes des évêques diocésains est-elle libre, sauf la responsabilité ordinaire ; le mot même signifie qu'à plus forte raison il en est ainsi.

« Ils publieront tous actes, sans les soumettre à un placet. Si ces écrits rendus publics renferment quelque chose de séditieux, les lois pénales ordinaires les atteindront comme tout autre écrit. »

Eh bien, messieurs, deux jours après, tous les amendements présentés au Congrès furent renvoyés à la section centrale et les auteurs des amendements furent invités à prendre part aux délibérations ; j'eus l'honneur d'être rapporteur, et la section centrale introduisit dans l'article précisément les trois conséquences que M. Nothomb avait déduites du principe de la non-intervention de la loi ou du magistrat. Ces trois conséquences s'y trouvent littéralement :

« Art, 16. L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.

« Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s'il y a lieu. »

Ces trois conséquences furent adoptées à l'unanimité par la section centrale. Il n'y eut divergence que sur la question de savoir si le contrat civil du mariage devrait précéder l'acte religieux.

Eh bien, messieurs, le rapport fut fait deux jours après le renvoi des amendements, et par conséquent tous les membres de la section centrale du Congrès étaient bien pénétrés de la discussion, et notamment des trois conséquences indiquées par M. Nothomb, et le Congrès, à l'unanimité sans aucune objection, adopta la disposition. Seulement, au lieu des mots « ne peut intervenir », on mit : « n'a le droit d'intervenir », et on ajouta le paragraphe relatif au mariage civil.

Ainsi, cette grande question de la liberté des cultes fut résolue par l'accord unanime de l'assemblée.

Mais voyez, messieurs, la contradiction où se mettent ceux qui veulent que la liberté de la publication des actes de leurs supérieurs par les ministres des cultes ne puisse se faire dans les temples, qui sont des lieux privilégiés ; ils suppriment cette liberté dans les temples et ils ne (page 550) peuvent la supprimer dans l'exercice du culte qui a lieu en dehors des temples, là où il n'y a point de lieu privilégié.

On doit restreindre le texte de la Constitution, on doit y apporter des distinctions qu'il ne comporte pas. Ces distinctions n'existent ni quant au lieu, ni quant à la nature de l'acte ; il est indifférent que l'acte émane de Rome ou d’un évêque diocésain, qu'il émane d'un consistoire protestant, il est indifférent que la publication ait lieu dans le temple ou hors du temple.

S'il s'agissait d'imprimés, je le répète, il n'était pas besoin d'un article spécial de la Constitution ; l'article 18, relatif à la presse, était suffisant. A moins de dire que le Congrès était absurde, qu'il ne savait pas ce qu'il faisait, on doit reconnaître que l'article 16 ne permet sous aucun rapport d'atteindre la publication des actes des supérieurs ecclésiastiques d’une autre manière que lorsque ces actes sont imprimés ou publiés par toute autre voie.

Et, messieurs, l'esprit pénétrant de M. Nothomb, et je dirai du Congrès entier, car on sait que cette assemblée avait l'habitude de bien approfondir les questions, M. Nothomb et le Congrès avaient en quelque sorte prévu ce qui se passe, car si l'article 16 n'avait pas été rédigé si clairement, on aurait pu soutenir avec quelque apparence de fondement que la liberté n'existait que pour la publication des brefs du pape, qu'elle n'existait point pour les mandements des évêques. C'est-à-dire, que l'on eût coupé l'autorité ecclésiastique en deux ; on eût permis la publication des brefs du pape, chef de toute la catholicité, mais on n'aurait point permis la publication des mandements des évêques, qui sont les chefs de leurs diocèses.

On aurait reconnu le droit du souverain pontife, étranger suivant quelques-uns, mais enfin, qui ne réside pas dans le pays et on aurait méconnu le droit des évêques. C'est une contradiction qui ne peut pas soutenir un examen quelque peu sérieux.

Je dis donc, messieurs, que d'après l'article 16 de la Constitution, il ne peut y avoir aucune distinction, aucune déviation du droit commun soit quant à la détermination du délit, soit quant au mode de jugement, soit quant à la pénalité, soit quant à la nature des actes.

Remarquez, messieurs, quelle perturbation résulterait de notre disposition. Le Congrès a établi le jury en matière de presse ; eh bien, les mandements des évêques sont tous imprimés ; il y aurait donc un délit de presse justiciable du jury, ou point de délit, car l'imprimé ne serait pas atteint ; s'il ne s'agit que d'une critique, la lettre pastorale lue dans l'église par ordre de l'évêque ne donnerai' lieu qu'à un délit correctionnel ; mais pour que le tribunal correctionnel fût compétent, il faudrait que l'évêque qui a ordonné la lecture fût déclaré co-auteur du délit commis par le curé, en lisant un mandement imprimé.

Et voilà l'évêque traduit devant un tribunal correctionnel quelconque du diocèse, à la plus grande diligence de l'avis du procureur du roi, tandis que, d'après le système de la Constitution, l'évêque et les curés sont traduits devant le jury, juge naturel de tous les délits de presse et de publication... (interruption), de tous les délits de presse auxquels la publication des actes émanant des supérieurs ecclésiastiques est assimilée en tout et par tout.

Je sais les distinctions qu'on a faites pour l'exposition d'images, pour la distribution d'écrits à la main. Mais il ne s'agit pas de cela. Il s'agit du texte de la Constitution tout à fait étranger à ces deux cas.

Voyons, messieurs, le décret du 20 juillet 1831, sur la presse : Est-il insuffisant ? Mais s'il l'était, vous devriez en combler les lacunes ; c'est la seule conséquence que je pourrais en tirer.

Voyons ce que porte ce décret. Il est intitulé : « sur la presse », mais il comprend réellement les deux hypothèses prévues par la Constitution : la publication et la presse. Car l'article 16 de la Constitution prévoit deux modes. Il atteint les discours, il atteint les écrits distribués comme tous les écrits imprimés.

Voici donc les dispositions du décret :

« Art. 1er. Indépendamment des dispositions de l'article 60 du Code pénal et pour les cas non spécialement prévus par ce Code, seront réputés complices de tout crime ou délit commis, ceux qui, soit par des discours prononcés dans un lieu public devant une réunion d'individus, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, auront provoqué directement à les commettre.

« Cette disposition sera également applicable, lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime ou de délit, conformément aux articles 2 et 3 du Code pénal. »

« Art. 2, Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué la force obligatoire des lois, ou provoqué directement à y désobéir, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans.

« Cette disposition ne préjudiciera pas à la liberté de la demande ou de la défense devant les tribunaux ou toutes autres autorités constituées. »

« Art. 3. Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué soit l'autorité constitutionnelle du Roi, soit l'inviolabilité de sa personne, soit les droits constitutionnels de sa dynastie, soit les droits ou l'autorité des Chambres, ou bien aura de la même manière injurié ou calomnié la personne du Roi, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois as.»

Cette disposition est renforcée par une loi subséquente. Les articles 4 et suivants s'occupent de la calomnie et de l'injure.

Ce décret me semble donc avoir largement pourvu à tous les besoins de la conservation de l'ordre public dans l'Etat, conservation dont je suis aussi partisan qu'aucun de vous puisse l'être, et dont la violation serait surtout préjudiciable à notre opinion.

Mais, dit-on, à l'occasion de la lecture d'un mandement épiscopal ou d'une bulle, il pourrait y avoir du trouble dans l'église et que fera-t-on alors ? Mais si l'acte est de nature à causer du trouble, ce sera sans doute un acte d'une gravité suffisante peur être atteint par une disposition du décret sur la presse, ou des lois auxquelles il renvoie ; je n'en prévois pas d'autres.

Jusqu'ici je n'ai pas entendu dire que la lecture d'une bulle du pape ou d'un mandement de l'évêque ait occasionné dans l'église le moindre trouble. Donc ne nous occupons pas de cette hypothèse. Les lois ordinaires y ont suffisamment pourvu.

En réalité, messieurs, voici ce que je crois : C'est une mesure préventive par intimidation. Le placet est défendu ; on veut revenir au placet par une voie indirecte. Voilà le vrai caractère du projet.

Je sais, messieurs, que toute loi pénale a quelque chose de préventif, en ce sens que la crainte de la peine détourne de poser un fait prévu par cette loi.

Mais vous ne pouvez pas restreindre un droit constitutionnel en laissant planer sur l'exercice de ce droit la crainte d'une poursuite ou d'une condamnation, à moins que vous n’ayez déterminé les faits qui peuvent donner lieu à une pénalité. Hors de là, vous ne pouvez faire un Code pénal qui, par son caractère répressif indéterminé, ressemblerait à la censure préalable, ou au placet, ou à toute disposition de ce genre.

Vous ne pouvez qualifier délit que ce qui est délit et vous devez qualifier les délits d'une manière telle, que chacun sache, en posant un fait, à quoi il s'expose.

Mais ce fait que vous convertissez en délit ne peut jamais être le droit que chacun tient de la Constitution ; ce ne peut être que l'abus du droit, qui trouble l'ordre public, qui cause un préjudice à la société, qui est reconnu un délit aux yeux de la raison, aux yeux de la conscience de tout le monde.

Voilà ce qui constitue le délit. Mais encore une fois devez-vous le définir clairement et lorsque vous avez l'article 16 de la Constitution sous les yeux, vous devez faire votre définition en termes clairs, il faut qu'elle s'applique à tout le monde et non à une catégorie de citoyens à l'exclusion des autres.

De toutes les libertés que le Congrès a sauvegardées, c'est assurément celle des cultes sur laquelle il a porté l'attention la plus spéciale. Pour sauvegarder cette liberté, il a fait deux articles, l'article 14 et l'article 16. Pour sauvegarder la liberté d'enseignement, il n'en a fait qu'un ; pour sauvegarder la liberté de la presse, il n'en a fait qu'un.

Mais voyez avec quel excès de précaution le Congrès a procédé pour empêcher que ce décret ne fût violé dans la suite. En garantissant la liberté des cultes par l'article 14, il garantit simultanément la liberté des opinions. Et pourquoi ? Parce qu'on aurait pu, sous quelque prétexte, dire : Ceci n'est pas une affaire de culte ; c'est une affaire d'opinion, et l'on aurait pu entraver ainsi soit la publication des dogmes, soit la publication de la morale évangélique qui doit être libre, eu ce sens qu'elle puisse indiquer à chacun ce qu'il doit faire pour sa perfection et indiquer à chacun ce qu'il doit éviter de faire pour ne pas enfreindre la loi évangélique.

Eh bien, dans ces publications, il se peut qu'il y ait de temps à autre quelque susceptibilité froissée et que sous prétexte qu'on a contrevenu à l'article 14, on cherche à intenter un procès du chef du Code pénal.

C'est ce que le Congrès n'a pas voulu.

Si l'un des délits, spécifiés par le décret de 1831 sur la presse, est commis en chaire par voie de publication de lettre pastorale, de mandement épiscopal, le décret de 1831 doit lui être appliqué, et s'il y a des doutes sur l'applicabilité de ce décret, on n'a qu'à le déclarer expressément. Si le décret est insuffisant, il n'y a qu'à le renforcer.

Quant aux actes des supérieurs ecclésiastiques, le Congrès a eu soin de les assimiler complétement et sous tous les rapports aux actes de la presse.

Et voilà que, par une voie indirecte, l'on veut soustraire les mandements à la juridiction du jury ; voilà qu'on veut punir dans un mandement ce qu'on ne punit pas dans un journal, alors que le Congres les a assimilés complétement. Ainsi, le mandement d'un évêque aura moins d'importance sociale qu'un simple article de journal ; un article de journal sera sauvegardé par la garantie nationale du jury, et le mandement d'un évêque sera traduit devant un tribunal correctionnel. Peut-on attribuer de semblables internions au Congrès ? peut-on admettre de pareilles inconséquences dans notre système pénal ? Cela est impossible. Je n'en dirai pas davantage sur ce point.

Je passe maintenant à l'article 14 de la Constitution. Cet article dont on se prévaut pour incriminer les sermons ou les discours prononcés par le ministre du culte dans l'exercice de ses fonctions et en assemblée publique, c'est l'objet spécial de la seconde partie de ce discours.

Je dis qu'à cet égard l'(erratum, page 594) article 201 doit être considéré comme abrogé, au moins en partie. On nous a cité l'autorité d'un professeur de l'université de Liége et celle de M. Delebecque qui, dit-on, soutiennent tous deux l'opinion opposée.

(page 551) Indépendamment des raisons que j'ai déjà alléguées, je puis citer, à mon tour, des opinions contraires de professeurs chargés de l'enseignement de cette partie de la législation dans des universités libres. Du reste, M. Delebecque n'a pas discuté son opinion ; seulement il n'a pas indiqué l'article 16 de la Constitution comme ayant abrogé le Code pénal.

Or, vous sentez bien, messieurs, que le défaut d'avoir annoté l'article 16 comme ayant abrogé le Code pénal, ne peut pas suppléer à l'examen approfondi de la question ; il est très possible que cet article n'ait pas suffisamment attiré l'attention de M. Delebecque, comme il en a été effectivement du gouvernement et de la commission. Nous ne pouvons donc tirer de ce fait aucune espèce d'argument.

Voici, messieurs, ce que dit un professeur de droit de l'université de Louvain, jurisconsulte distingué et publiciste éminent.

« C'est ainsi que l'article 201 du Code pénal ne peut plus être appliqué aujourd'hui. »

« Cet article porte : Que les ministres du culte qui prononceront, dans l'exercice de leurs fonctions et en assemblée publique, un discours contenant la critique ou censure du gouvernement, d'une loi ou de tout autre acte de l'autorité publique, seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans.

« Cette disposition ne peut pas, en effet, se concilier avec le principe constitutionnel de la libre manifestation des opinions.

« Sous la législation actuelle, la critique des actes de l'autorité est permise, aussi longtemps qu'elle ne dégénère pas en provocation directe à la désobéissance aux lois. Or, cette disposition doit s'appliquer au ministre du culte comme à tout autre citoyen. Tous les Belges, quel que soit le caractère dont ils sont revêtus, sont égaux devant la loi. »

La critique des actes de l'autorité qu'un prêtre se permet, dans l'exercice de ses fonctions, ne peut donc être réprimée par les tribunaux, que dans le cas où ces critiques se transforment eu délit.

Nous n'en dirons pas autant des articles 202, 205 du Code pénal qui se rapportent à des faits qui rentrent évidemment dans le domaine de la justice répressive.

Ces articles sont relatifs à la provocation au crime, à la sédition, etc. Il est évident que le décret sur la presse réserve ces faits à l'application du Code pénal.

On veut faire un délit spécial pour les discours prononcés à l'église ou dans le temple, en assemblée publique. Mais on ne s'est pas même attaché à séparer ce qui appartient à la liberté des cultes de ce qui rentre dans le domaine du Code pénal. La commission avait d'abord proposé le mot « attaque », qui suppose intention méchante ; plus tard, M. le ministre de la justice a repris les mots « critique et censure », qui se trouvaient dans le projet primitif.

Ainsi, il y a désaccord complet sur la portée de l'article que nous discutons. On ne sait pas caractériser le fait punissable ; voilà la vérité C'est autant dire au juge : « Vous ferez du prédicateur tout ce que vous voudrez. »

Pour justifier l'article proposé, on dit que la Constitution contient des dispositions spéciales en faveur des cultes ; elle assure le traitement des ministres des cultes ; des lois ont exempté les ministres des cultes du service militaire et d'autres obligations ; et de là on conclut qu'il nous est libre, en opposition avec le texte formel de la Constitution, d'établir des restrictions directes ou indirectes à la liberté des cultes.

Ainsi, de ce que le Congrès, dans sa sollicitude, a pourvu aux nécessités des cultes, on en conclut que le Congrès nous a attribué la faculté de détruire la protection si formelle qu'il a accordée au culte dans les articles 14 et 16. Cela n'est pas logique.

On dit : les discours prononcés en chaire peuvent contenir la critique des autorités locales ; il peut résulter de là de très graves inconvénients ; l'autorité locale ne sera pas dans une position aussi favorable que le ministre du culte.

C'est là, encore une fois, une pure supposition. Ne perdons pas de vue que les administrations locales sont dépositaires du pouvoir, et qu'elles ont une très grande autorité dans les communes ; qu'elles sont électives, et que celui qui a été élu membre d'un conseil communal et, en outre, investi plus tard par le Roi du mandat de bourgmestre ou d'échevin, jouit d'une très grande influence, à raison de cette double qualité ; n'oublions pas non plus que le clergé, par l'ensemble de nos dispositions législatives, doit constamment avoir recours, pour les affaires temporelles du culte, aux autorités focales.

Le clergé est donc bien plus intéressé à se maintenir en bonne harmonie avec l'administration communale, que ne peut l'être cette administration à être toujours d'accord avec le clergé de la paroisse. Aussi, je suis très porté à croire que nous sommes très loin de cette supposition où les attaques procéderaient le plus communément du clergé.

On a cité deux faits qui ont été portés devant les tribunaux ; il est possible que par-ci par-là, par imprudence de caractère, par zèle exagéré, par inexpérience, une parole ait pu échapper à un ministre du culte ; mais cela se corrige par les membres du clergé eux-mêmes, par les autorités supérieures ; et ce ne sont pas des faits assez graves pour vouloir voter une législation spéciale.

La police du temple, dit-on, appartient à l'autorité publique, mais nous ne sommes pas ici dans le cas prévu par l'article 19 de la Constitution.

Cet article est ainsi conçu :

« Art. 19. Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable.

« Cette disposition ne s'applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police. »

Voilà une disposition toute spéciale pour des rassemblements politiques ; vous n'avez rien de ce genre pour les rassemblements paisibles qui ont lieu dans les temples et dans les églises ; évidemment s'il y avait du désordre dans les lieux affectés aux cultes, l'autorité communale aurait le droit de pénétrer dans le temple ou l'église pour y rétablir l'ordre et de prendre les mesures nécessaires à cet effet. Mais nous disons que l'autorité n'a pas à s'occuper par des mesures préventives de ce qui se passe dans le temple.

On a invoqué en outre dans plusieurs discours un intérêt tout particulier que les partisans du projet du gouvernement porteraient au clergé et à la religion.

Nous répondons : Toute intervention de la loi ou des magistrats dans les affaires du culte est interdite. La police se fait mieux par les ministres de chaque culte, que par l'intervention légale que nous voudrions y introduire.

En résumé, les avantages qu'on pourrait retirer de l'article en discussion sont extrêmement minces, tandis que les inconvénients qui pourraient en résulter sont extrêmement graves.

Voyons, messieurs, qu'a-t-on gagné en France et sous le royaume des Pays-Bas, par l'intervention du gouvernement dans les affaires du clergé ? On a eu la persécution, sous la république ; le despotisme sous l'empire et les tracasseries sous le royaume des Pays-Bas.

Eh bien, la république avec ses persécutions, l'empire avec son despotisme, le royaume des Pays-Bas avec ses tracasseries, leurs mesures préventives et répressives, n'ont pas eu tous les trois ensemble une durée plus grande que celle que nous avons déjà sous !e régime de notre Constitution.

Spécialement en matière de culte, on déclarait la Constitution absurde, on considérait comme impossible l'existence de l'Etat avec la liberté des cultes, la liberté de l'enseignement, la liberté de la presse, la liberté d'association, et le jury en matière politique. On prétendait qu’il n'y avait pas d'Etat au monde qui pût exister avec une pareille Constitution ; maintes fois des ministres de légations étrangères m'ont dit qu'ils ne concevaient pas que notre régime put exister.

Le Congrès a eu confiance dans la liberté, il a pensé que plus il y avait de divergence dans les opinions religieuses, philosophiques, politiques, plus il était nécessaire de garantir la liberté, que c'était là la source de la paix publique, que c'était le moyen de ne pas mêler sans cesse le gouvernement aux luttes et aux haines des partis.

Dans les pays libres, les gouvernements sont moins mêlés à ces grandes luttes, que dans les Etats absolus où ils sont en quelque sorte seuls en cause.

Je termine par cette considération : Si un article aussi clair que l'article 16 de la Constitution peut être dénaturé par une loi, si l'article 14 ne fait pas obstacle à une disposition pénale toute spéciale, ayant pour but évident de restreindre la liberté des cultes, eh bien, alors, tenez pour certain qu'un jour ou l'autre, le pouvoir qui a d'autres ennemis à craindre que les hommes religieux à quelque culte qu'ils appartiennent, saura aussi par des interprétations subtiles s'attaquer aux puissants du jour, la presse et l'association. Chaque époque a ses puissances. Je ne nie pas qu'à une époque éloignée le clergé a exercé une grande puissance dans les affaires publiques, mais depuis la réforme du XVIème siècle sa position a singulièrement changé ; les envahissements n'ont plus été du côté du clergé, mais du côté du pouvoir politique.

Les cultes dissidents ont cherché un appui dans les dépositaires du pouvoir politique, qui le leur ont accordé avec empressement, mais à la condition d'exercer un droit de tutelle ; les souverains catholiques ont dit : Les gouvernements protestants ont autorité sur leur église, pourquoi ne l'aurions-nous pas aussi ? Et ils ont étendu leur autorité en matière de cultes. Ensuite est arrivée la réaction.

De grands écrivains ont proclamé la liberté en toutes choses : Presse, culte, association, manifestation des opinions, jury eu matière politique, etc., etc. Chacune de ces libertés a eu de puissants défenseurs ; comme le Congrès avait la mémoire des vexations endurées tous les divers régimes de Joseph II, de la République, de l'empire et du royaume des Pays-Bas, il a proclamé la liberté la plus large en rédigeant les articles de la Constitution de telle manière qu'elle fût inviolable. J'espère pour l'honneur du pays et de la Chambre, et l'amour de notre Constitution, qu'il en sera ainsi.

M. Mascart. - Messieurs, après le discours de M. le ministre de la justice prononcé dans la séance de samedi dernier, il me paraît difficile de contester la constitutionnalité des articles en discussion, que dès lors celle-ci peut descendre des hauteurs qu'elle a occupées jusqu'ici.

Je me bornerai donc à signaler succinctement quelques conséquences inévitables de l'application des principes de nos adversaires.

On a dit, messieurs, que le Code pénal de 1810 était une arme dans les mains du gouvernement pour se défendre contre la fraction de l'ancien régime représentée par le clergé composé alors de moines que la révolution avait chassés de leurs couvents.

(page 552) A mon avis, cela n'est vrai qu'en partie, car l'empire en 1810 n'avait guère besoin d'un texte de loi pour se protéger contre ses ennemis ; les moyens extraordinaires et extra-légaux ne lui faisaient jamais défaut.

D'un autre côté les fonctionnaires relevant tous de l'Etat étaient l'objet d'une protection spéciale, et on peut dire que, depuis le ministre jusqu'au garde champêtre, tous étaient impeccables, tandis que les ministres du culte, depuis le pape jusqu'au pauvre steveniste étaient réprimandés, vexés, emprisonnés quand ils n'emboîtaient pas le pas du pouvoir ou qu'ils n'obéissaient pas à toutes ses volontés. Telle était la situation de l'empire en 1810, à l'époque de sa plus grande puissance.

Je dis donc que ce gouvernement aurait pu, plus que tout autre, se dispenser d'édicter des peines contre les ministres du culte censurant ou attaquant les acte de l'autorité, parce qu'il disposait d'une puissance formidable et sans contrôle qui lui permettait tout. Nous sommes aujourd'hui dans des conditions tout à fait différentes et nous ne pouvons pas nous dispenser de protéger légalement l'autorité, les administrations communales surtout, sous peine de les rendre ridicules ou impossibles dans toutes les localités où le clergé ne s'occupe pas exclusivement de matières religieuses.

Vous ne trouveriez plus pour remplir les fonctions de bourgmestre, entre autres, que des gens disposés à se prêter à toutes les exigences du clergé, ou à le braver et à lui faire la guerre. Les hommes impartiaux, modérés et bienveillants ne se refuseraient-ils pas à occuper des fonctions gratuites qui les exposeraient à être désignés du doigt au prône pour des faits de l'ordre purement administratif ? Se figure-t-on la position du bourgmestre d'une commune rurale, pris à partie au milieu de ses administrés, à côté de sa femme et de ses enfants, et subissant l'humiliation la plus complète sans pouvoir se défendre, et cela pour avoir permis, par exemple, aux villageois de danser le jour de la kermesse ? On lui prescrirait d'entendre la messe sous peine de damnation, et quand il y serait, ou saisirait précisément cette occasion pour le présenter aux yeux de la population comme un ennemi de la religion, car dans beaucoup de localités la danse est un très grave péché.

Un conseil communal est appelé à se prononcer sur l'acceptation d'une donation faite au profil d'une fabrique d'église.

Se fondant sur les dispositions des lois en vigueur, il émet un avis défavorable.

Ce conseil osera-t-il encore se présenter à l'église pour remplir ses devoirs religieux ?

Il n’arrive pas toujours que la nomination d'un instituteur communal ne donne pas lieu à des tiraillements et j'en sais quelque chose, moi, bourgmestre d'une commune rurale. Si le candidat du clergé n'est pas nommé, voilà le conseil communal, l'école et l'instituteur mis au banc de l'opinion publique.

Les communes riches accordent parfois des suppléments de traitement aux membres du clergé ; les communes pauvres ne seront-elles pas moralement forcées à faire ce que font les autres quelle que soit leur situation financière ?

Messieurs, si ce système pouvait jamais prévaloir, vous subordonneriez en fait l'existence ou le maintien des administrateurs communaux modérés et indépendants, du bourgmestre surtout, au caractère plus ou moins conciliant des membres du clergé. Partout où celui-ci est animé d'un esprit dominateur, le bourgmestre serait ou son ennemi ou son très humble serviteur. Son ennemi, il réunirait peut-être les habitants sur la place publique, au son du tambour, pour repousser les attaques dont il aurait été l'objet à l'Eglise. Ailleurs, où les croyances religieuses déminent les intérêts politiques, le clergé serait tout et l'article 49 de la loi communale qui ne permet pas aux ministres du culte de faire partie des conseils communaux serait une lettre morte.

Messieurs, en 1857 on voulait la liberté de la charité comme on veut aujourd'hui la liberté de la chaire. C'est le même système dirigé contre l'indépendance des autorités communales. A l'aide de la première on arrivait à l'anéantissement de nos écoles et peut-être des bureaux de bienfaisance. Parl a complète liberté de la chaire on dominerait, par l'intimidation, la fraction la plus considérable des pouvoirs publics, les conseils communaux.

Je voterai les amendements proposés par M. le ministre de la justice.

M. le président. - Un amendement vient d'être déposé par M. Malou ; il est ainsi conçu :

« Tout ministre des cultes qui, par des discours en assemblée publique, dans l'exercice de son ministère, aura attaqué méchamment un acte de l'autorité publique étranger aux intérêts de la religion ou de la morale sera puni, etc. (Le reste comme à l'amendement de M. le ministre de la justice.)

M. Van Overloop. - Je crois qu'il serait utile de renvoyer cet amendement à la commission.

M. le président. - Quand l'amendement aura été développé par M. Malou à son tour de parole, s'il est appuyé, la Chambre jugera s'il y a lieu de le renvoyer à la commission.

M. Van Overloop. - J'en demande, en attendant, l'impression.

- L'impression est ordonnée.

(page 553) M. Moncheur, rapporteur. - Messieurs, dans le discours que j'ai prononcé le 20 décembre dans cette enceinte, et dans mon rapport postérieur du 20 janvier, j'ai développé nettement ma manière de voir sur les questions que soulèvent ces débats.

Je n'ai rien à retrancher de ce que j'ai dit alors, mais de nouveaux faits s'étant produits depuis lors, je dois m'expliquer sur ces faits, et vous présenter encore quelques considérations.

Lorsque j'ai eu l'honneur de vous entretenir de ces graves questions, au mois de décembre, je vous ai manifesté l'espoir que la commission et le gouvernement parviendraient à vous présenter une solution qui pût être acceptée par une grande majorité de l'assemblée, solution que j'aurais été heureux de défendre dans son intégrité comme rapporteur de la commission ; mais malheureusement, il n'en a pas été ainsi.

Outre que j'ai été forcé de me séparer de la majorité de la commission sur un point capital, celui qui concerne la lecture des mandements au prône ou dans l'exercice du culte, j'ai vu, je l'avoue, avec autant de peine que de surprise, se produire, à la réouverture de la discussion, les amendements qui ont été déposés par M. le ministre de la justice.

Je ne m'attendais pas à voir le gouvernement persister, en ce qui touche les articles 295 et 296, dans son premier projet, projet qui punit la simple critique et la censure des actes de l'autorité par les ministres des cultes, projet que la commission avait profondément amendé sur ce point et que M. le ministre me semblait avoir à peu près abandonné pour se rallier à celui de la commission.

Vous le savez, messieurs, le premier projet du gouvernement reproduisait, dans ses articles 295 et 296, exactement le texte des articles 201 et 202 du Code pénal actuel, sauf certaines diminutions de peines. Il punissait les discours prononcés en public par les ministres de cultes et contenant la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi, d'un arrêté royal ou de tout autre acte de l'autorité publique ; tandis que la majorité de la commission a jugé que sous l'empire de notre Constitution le fait de cette simple critique ou de cette censure ne pouvait être érigé en délit.

En effet, messieurs, la critique et même la censure ne peuvent-elles pas être parfaitement loyales, sincères, modérées, dépourvues de toute intention perverse ou méchante ? Oui, sans doute, et dès lors, tout citoyen belge quelle que soit sa qualité, quelles que soient la position et les conditions dans lesquelles il se trouve, doit pouvoir se les permettre ; ce citoyen use alors d'un droit constitutionnel.

Mais si la critique et la censure des lois ou des actes de l'autorité publique excédaient, dans les conditions spéciales oh les ministres des cultes se trouvent, les limites des droits constitutionnels de ceux-ci ; si elles prenaient les caractères de perversité, de passion, d'une intention coupable, la commission a pensé que, dans ce cas seulement, le fait posé publiquement par le ministre du culte, dans l'exercice de son ministère, pouvait et devait même être puni spécialement.

Or, pour caractériser et définir ce délit spécial, la commission avait d'abord décidé que le mot « méchamment » serait inséré dans l'article 295. Cet article punissait, par conséquent, la critique et la censure faites méchamment des lois, des arrêtés royaux, du gouvernement ou des actes de l'autorité publique.

Plus tard, elle crut devoir définir mieux encore, et par un seul mot, c'est-à-dire par le mot d' « attaque », le délit qu'elle voulait punir.

En effet le mot « attaque » dont on s'était servi également dans les articles 132 et 133 déjà adoptés du Code révisé, suppose l'intention méchante, et la signification juridique du mot « attaque » avait été fixée dans ce sens, lors de la discussion toute récente de ces articles.

Tel était donc le système de la commission en ce qui concerne les discours prononcés par les ministres des cultes. Mais vous comprenez, messieurs, toute la distance qui existe aujourd'hui entre le système du gouvernement et celui de la commission. Cette distance est égale à celle qui sépare un fait innocent en soi d'un fait accompagné d'une intention coupable.

Je m'étais rallié au système de la majorité de la commission. Ce système me paraissait juste, d'une utilité réelle et pratique et conforme à l'esprit de l'article 14 de la Constitution.

Ainsi, à part la rédaction de l'article 295, rédaction que je suis loin de trouver suffisante, qui me semble trop vague et incomplète, j'ai toujours admis et j'admets encore que la loi peut très constitutionnellement punir, chez les ministres des cultes quelconques parlant en public et dans l'exercice de leur ministère, certains faits qu'elle jugerait inutile de punir chez tout autre citoyen ou chez les ministres des cultes eux-mêmes lorsqu'ils ne sont plus dans l'exercice de leur ministère. C'est l'opinion de beaucoup de mes amis, et j'aime à constater, notamment, d'après ce que nous a dit vendredi dernier mon honorable ami, M. Malou, que, dans sa pensée aussi, la Constitution permettrait de prévoir et de punir certains délits spéciaux qui seraient commis par des ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère, et que ce n'est que la difficulté ou même, selon lui, l'impossibilité de trouver la formule convenable qui peut l'arrêter dans cette voie.

« Si l'impossibilité, a-t-il dit, de trouver une formule qui laisse subsister intact le droit venait à disparaître, aujourd'hui encore j'accepterais la qualification d'un délit spécial ; mais aussi longtemps que cette formule n'est pas trouvée, je réclamerai l'application du droit commun.»

Or, je viens de voir avec plaisir que mon honorable ami a trouvé cette formule. Il vient de la déposer sur le bureau comme amendement, et cet amendement exprime tout à fait ma pensée, pour autant du moins que j'ai pu en saisir le sens à la lecture qui vient d'en être faite.

Quant à moi, sans me flatter d'avoir trouvé une formule parfaitement satisfaisante pour l'application du principe, voici dans quel sens je disais, dans mon discours du 21 décembre, que le projet de la commission pouvait se concilier, d'une part, avec le grand principe de la liberté des cultes, et, d'autre part, avec ce qui forme la base de l'ordre social, à savoir : l'ordre public.

« La commission, ai-je dit alors, n'a pas admis la disposition du projet du gouvernement qui punit, dans les discours des ministres des cultes, la critique ou la censure du gouvernement, des lois ou des actes de l'autorité publique, parce que cette disposition semble ériger en délit un fait dépourvu de toute intention criminelle. La commission a donc remplacé cette formule par une disposition qui ne punit que l’attaque juridique, c'est-à-dire l'attaque méchamment faite des lois, du gouvernement, etc.

« Ainsi, ajoutai-je, d'après l'esprit et selon la lettre même de cette disposition, les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère, ont le droit d'énoncer, avec une complète liberté, leur pensée tout entière sur tous les sujets auxquels les intérêts moraux et religieux sont liés.

« Rien ne peut les gêner dans la liberté complète qu'ils doivent avoir pour l'accomplissement de leur devoir. »

« Mais si, abandonnant le terrain des choses morales et religieuses, ils se livraient, avec intention coupable, à des attaques contre les lois, les dépositaires de l'autorité publique ou leurs actes, alors seulement et en raison de la gravité de l'atteinte qu'ils porteraient à l'ordre et à la tranquillité publique, ils tomberaient sous l'application des articles 295 et suivants du projet. »

« Or, personne, pensons-nous, messieurs, ne revendiquera pour les ministres des cultes le droit d'attaquer méchamment, dans l'exercice de leur ministère et dans les discours qu'ils prononcent publiquement, les lois, les autorités publiques ou leurs actes, ni le droit de provoquer directement à la désobéissance aux lois, fait prévu par l'article 296.

« Aucun ministre d'un culte quelconque ne réclamerait non plus ce droit pour lui-même. »

Voilà quelle était, selon moi, la portée de l'article 295.

Toutefois, j'indiquais déjà dans ce même discours que, selon moi, les termes de cet article étaient trop vagues et qu'il serait nécessaire de caractériser plus exactement les faits incriminés.

Aussi, donnant suite à cette idée, je proposai à la commission, dès qu'elle se réunit pour examiner de nouveau cette matière importante, d'introduire dans l'article 295 cette distinction fondamentale entre la discussion des questions de l'ordre spirituel et celle des intérêts purement politiques et temporels.

Mais cette proposition ne fut pas accueillie par la majorité de la commission.

Celle-ci décida qu'il fallait laisser au juge le soin d'apprécier les faits et de reconnaître s'ils constituaient les attaques que l'article 295 entendait proscrire.

Le rejet de ma proposition aurait pu commander mon abstention sur cet article, mais une raison plus grave me força à le rejeter tout à fait ; la voici :

La commission avait reconnu, à l'unanimité, que l'article 16, indépendamment de l'article 18 de la Constitution, plaçait les écrits contenant des instructions pastorales sous l'empire des dispositions du droit commun et les soumettait à la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. En conséquence, elle avait voté, également à l'unanimité, la suppression des articles 298, 299 et 300 du projet qui étaient relatifs aux délits spéciaux qui pourraient être commis dans ces écrits.

Mais, messieurs, elle fit en même temps une autre chose : elle décida que si les instructions pastorales étaient lues par les ministres du culte, dans l'exercice de leur ministère, ces instructions pastorales tomberaient sous l'application des pénalités spéciales prononcées par les articles 295 et 296 du projet.

Elle modifia donc dans ce sens ces articles.

Or, cette résolution consacrait, à mon avis, une inconstitutionnalité manifeste, comme je le prouverai tout à l'heure.

Je fus donc obligé de voter contre les articles 295 et 296 dont j'avais dû auparavant admettre le principe, alors qu'ils ne concernaient que la répression de certains délits commis par des discours.

Par l'addition que la commission a faite des mots « écrits lus » dans ces articles, ces derniers sont devenus complexes, de simples qu’ils étaient auparavant.

Ils ont confondu deux choses distinctes dont j'admettais l'une, du moins en principe, et dont je rejetais l'autre.

Autant je croyais, en effet, comme je le crois encore aujourd'hui, que la (page 551) législature est compétente pour édicter dans de justes limites, en vertu de l'article 14 de la Constitution, des dispositions répressives des délits commis, en général, à l'occasion de l'usage des libertés que cet article consacre, autant je suis convaincu qu'en ce qui touche spécialement la publication des écrits émanés des supérieurs ecclésiastiques, le texte formel, précis et positif de l'article 16 empêche de les soustraire au droit commun. Car cet article a, à mes yeux, un but défini et une raison d'être spéciale.

Quant aux dispositions répressives dont je viens de parler et que la législature peut porter, pour punir les écarts, les imprudences et les excès de zèle des ministres des cultes, je ne les regarde comme constitutionnelles, ainsi que je le dis dans mon rapport du 20 janvier dernier, que si elles se renferment dans les limites d'une sage et fidèle interprétation de nos institutions constitutionnelles, de manière à concilier le grand principe de la liberté des cultes, avec les exigences de l'ordre et de la tranquillité publique.

Là est donc la difficulté ! Il faut trouver la ligne de démarcation qui, d'une part, laisse intacts les droits constitutionnels et, d'autre part, donne à la société les garanties d'ordre, de sécurité et de tranquillité auxquelles elle a droit. Ce problème serait-il insoluble ? Pour le résoudre, il faudrait d'abord distinguer le domaine spirituel du domaine temporel, puis punir les attaques passionnées, haineuses contre les lois, les autorités constituées ou les mesures prises par celles-ci dans le cercle de leurs attributions.

Tel est le principe que j'ai toujours défendu. Tel est le système, en quelque sorte transactionnel, qui était accepté par beaucoup de mes amis politiques et qui avait été exposé et défendu avec une grande supériorité de raison et de talent par l'honorable M. d'Anethan.

Mais, messieurs, nous sommes aujourd'hui bien loin de là !

Non seulement ce système transactionnel n'a pas été adopté par la majorité de la commission, mais nous voilà de nouveau en présence de l'article du Code de 1810 dans toute sa crudité et je dirai même dans toute son inconstitutionnalité.

Le gouvernement vous propose de punir les ministres des cultes qui, dans des discours prononcés ou des écrits lus, n'auraient fait que la critique ou censure du gouvernement, d'une loi, d'un arrêté royal, ou de tout acte de l'autorité publique.

Je dois repousser cette formule comme entamant l'exercice de droits constitutionnels que nous devons respecter.

Nous ne pouvons punir le simple fait de critique ou de censure.

Et ici je ne puis souscrire à l'opinion de l'honorable M. Pirmez au talent et aux bonnes intentions duquel je rends, du reste, pleine justice, à savoir que ces deux mots puissent signifier la même chose, soit que le mot « ou » se traduise par « siue », soit qu'ils se traduise par « aut ». J'admets moins encore avec lui, que ces deux mots, pris ensemble, soient les synonymes d'attaque.

Messieurs, si le mot « attaque » signifiait la même chose que « critique ou censure », il en résulterait, que par les articles 132 et 133 que j'ai cités tout à l'heure, vous auriez puni de trois mois à cinq ans d'emprisonnement et de trois mille francs d'amende toute personne qui aurait critiqué ou censuré, soit l'autorité constitutionnelle du Roi, soit l'inviolabilité de sa personne, soit les droits ou l'autorité des Chambres, soit la force obligatoire des lois.

Et certes, ce n'est pas là ce que vous avez voulu faire.

L'honorable M. Pirmez préfère, dit-il, la rédaction du gouvernement à celle de la commission, parce qu'elle n’innove rien, et que si nous changions l'expression, nous ferions penser que nous avons modifié la portée de la disposition.

Mais remarquez, messieurs, que la commission a voulu innover en cette matière. Elle a voulu modifier, dans certaine limite, la portée de la disposition de l'article 201 du Code actuel et de l'article 295 du projet du gouvernement qui n'en est que la reproduction.

Si la commission n'avait pas voulu innover, si elle n'avait pas cru nécessaire de mettre l'article 295 mieux en harmonie qu'il n'était dans le projet du gouvernement avec nos mœurs et nos institutions actuelles, elle n'aurait pas décidé que le mot « méchamment » serait inséré dans cet article, et je vous ai dit que le mot « attaque » n'a été substitué à la critique ou censure méchante, que parce qu'il en comprenait l'idée en un seul mot.

En maintenant donc cette idée dans l'article 295, je ne fais que défendre le système de la commission.

On ne veut rien innover, dit-on, parce qu'on ne veut pas tendre un piège au clergé en lui faisant croire qu'on lui permet des actes qu'il ne pouvait poser précédemment.

Mais si l'article 201 du Code pénal a été appliqué plusieurs fois depuis 1830 par nos cours et tribunaux, comme je l'ai dit moi-même dans mon premier discours, il reste à savoir dans quel sens il l'a été. Il reste à savoir si ce n'a point été dans les cas seulement où les tribunaux ont reconnu que cette intention coupable, que la commission a jugé désormais nécessaire pour pouvoir constituer le délit spécial de l'article 295, existait réellement.

C'est là une question de fait qui nous échappe.

En tous cas, comme nous faisons aujourd'hui une révision du Code pénal, il faut le mettre en rapport avec nos principes et nos lois fondamentales.

Prétendre qu'il n'y a rien à innover, sur ce qui a été fait en cette matière, en 1810, c'est se mettre en dehors de nos institutions.

Je vais, messieurs, vous le prouver par une seule citation : voulez-vous savoir comment MM. Chauveau et Hélie commentent l'article 201 du Code de 1810 en l'expliquant tel qu'il est et non point sans doute, tel qu'il devrait être à son avis ? Le voici :

« Le discours, disent-ils, ne constitue qu'un simple délit passible d'une peine correctionnelle de 3 mois à 2 ans, s'il ne renferme que la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi, d'une ordonnance royale, ou de tout autre acte de l'autorité publique. Il importe peu que cette critique soit directe ou indirecte, la loi ne distingue pas, il suffit que le fait d'une critique ou d'une censure quelconque soit établi. »

Eh bien, messieurs, si vous ne voulez rien innover, voilà le régime que vous allez de nouveau consacrer.

Vous n'exigerez même pas que le délit spécial soit un délit moral ; le fait seul suffira pour le constituer.

Cependant tout le monde comprend que depuis 1810, le temps, les progrès des mœurs politiques, notre Constitution surtout, ont élargi considérablement le cercle des faits non punissables par le droit commun, tant en ce qui concerne les discours, qu'ence qui concerne les écrits. Nous devons donc élargir également et dans la même proportion, le cercle des faits non punissables en vertu des dispositions spéciales des articles 295 et suivants.

Cette proportion doit évidemment être conservée.

Ainsi certains faits qui auraient paru très graves en 1810 et longtemps après encore, certains faits qui auraient certainement été réprimés alors, ne sont plus punis aujourd'hui.

Je suppose, par exemple, qu'un homme en pleine place publique déclame aujourd'hui contre une loi ou un acte quelconque de l'autorité publique ; qu'il dise que telle loi, tel règlement provincial ou communal sont bien, il est vrai, une loi, un règlement provincial ou un règlement communal, qu'il n'en conteste point la force obligatoire tant qu'ils existent, mais qu'il proclame hautement, violemment, méchamment, que ces actes sont absurdes, ridicules, arbitraires, le fruit de l'erreur ou d'une ignorance crasse et évidente. Eh bien, messieurs, vous ne punissez pas un pareil fait dans le droit commun ; non seulement on peut dire tout cela publiquement mais on peut même l'écrire et l'imprimer dans tous les journaux.

Vous ne punissez point ces attaques (car j'appelle cela des attaques) ; et pourquoi ne les punissez-vous pas ? C'est parce que nos mœurs politiques peuvent supporter ce régime ; c'est parce qu'à côté de celui qui attaque si vivement, si passionnément une loi, il se trouvera peut-être une autre personne qui la défendra ou même qui la louera.

Vous ne punissez donc point ces attaques, quelque violentes qu'elles soient, par le droit commun.

La législation pénale a été relâchée à cet égard d'un cran, si j'ose m'exprimer ainsi ; eh bien, vous devez en faire autant quant à la matière spéciale qui nous occupe.

Si donc, sous les régimes précédents, la simple critique et la censure étaient punies chez les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère, aujourd'hui vous ne pouvez plus atteindre à leur égard, par votre loi pénale, que les attaques, dans les conditions toutes spéciales où les ministres des cultes sont placés, ces attaques peuvent blesser profondément la société tout entière.

Oh ! certainement nous faisons les vœux les plus sincères pour que les ministres des cultes, dans l'intérêt même de la religion, ne sortent jamais de la sphère de leur mission spirituelle, lorsqu'ils s’adressent publiquement aux fidèles assemblés pour écouter la parole de Dieu ; mais un simple abus, une maladresse, si vous voulez, ne peuvent être érigés en délits.

C'est là la nuance qu'il faudrait indiquer dans la loi.

Il faut que la loi exige comme élément du délit l'intention de nuire.

Quant au droit de qualifier spécialement certains délits, en vertu des articles 295 et suivants, je ne puis souscrire aux principes émis à cet égard par M. Pirmez et par M. le ministre de la justice.

Pourquoi, se sont-ils demandé, la loi a-t-elle le droit de punir la critique et la censure exercées par le prêtre, des actes de l'autorité ? C'est parce que cette critique ou cette censure apportent un trouble dans le culte. « Nous voulons, a dit M. Pirmez dans la séance du 9 de ce mois, nous voulons garantir une complète tranquillité aux personnes qui assistent aux cérémonies des cultes. Nous voulons empêcher que les cérémonies ne puissent être troublées ; dès lors nous devons avoir le droit d'exiger des ministres des cultes qu'ils ne soient pas eux-mêmes une cause de trouble. »

« La Constitution, a dit M. le ministre de la justice, garantit, à tous les citoyens le libre exercice de leur culte ; ce principe ne peut, à mon avis, exister sans sanction ; ce principe doit avoir sa sanction dans la loi pénale, et c'est parce qu'il reçoit sa sanction par le projet que nous avons soumis, que les ministres des cultes ne doivent pas s'écarter de l'objet de leur mission. »

Ainsi le droit de punir spécialement les ministres des cultes naîtrait surtout, selon l'honorable M. Pirmez et selon l'honorable ministre de la justice, de l'obligation imposée au législateur d'assurer la tranquillité des cérémonies religieuses, et d'empêcher le trouble du culte.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit cela.

(page 555) M. Moncheur, rapporteur. - Cela me semble résulter du passage du discours de M. le ministre, dont je viens de donner lecture.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous confondez le droit de punir avec la légitimité de la peine ; ce sont là deux choses tout à fait différentes.

M. Moncheur, rapporteur. - Vous considérez la peine comme légitime, parce que le ministre du culte aura troublé le culte. C'est ce que je dis. Du reste, je répondrai à l'honorable M. Pirmez qui, lui, a été très explicite sur ce point. Je ferai observer en outre que c' est également dans cet ordre d'idées que se trouve l'honorable De Fré lorsqu'il nous propose de punir les ministres des cultes qui auront fait la critique ou la censure du gouvernement et qui auront ainsi empêché, retardé ou troublé les exercices religieux du culte.

Une seule réflexion suffira pour démontrer que ce point de départ n'est pas juste et que ce n'est nullement l'obligation d'empêcher ou de punir le trouble du culte qui est le fondement du droit d'établir les peines spéciales des articles 295 et suivants, mais que c'est la lésion, le tort grave qui pourrait être causé à la société et à l'ordre public : cette réflexion, messieurs, c'est que si la loi n'entend punir la critique et la censure des actes de l'autorité que comme jetant le trouble dans le culte, il n'est nullement besoin de faire un article spécial sur cet objet, car le trouble du culte est puni en vertu des dispositions déjà adoptées du chapitre III du titre II du projet de Code pénal.

Si donc vous pensez que le droit que vous avez de punir la critique et la censure résulte de l'obligation d'assurer la tranquillité des cérémonies du culte, bornez-vous alors aux dispositions que je viens de citer, ou bien vous feriez double emploi.

Je n'ai, messieurs, qu'à appeler votre attention sur l'ordre des matières traitées par le projet de Code pénal et sur les rubriques des chapitres, pour vous convaincre de la vérité de aceque je vous dis. Les voici :

Le chapitre III du titre II est intitulé : « Des crimes et des délits relatifs an libre exercée des cultes, » et le titre II est intitulé : « Des crimes et des délits qui portent atteinte ... aux droits garantis par la Constitution, »

Voilà donc où se trouve traité tout ce qui est relatif au trouble du culte. Mais les articles 295 et suivants, dont nous nous occupons, sont placés dans le titre spécial qui punit les crimes et les délits contre l'ordre public ; ces articles n'ont donc rien de commun avec ce qui concerne la répression du trouble des cultes.

Quant à moi, messieurs, je me place à un point de vue plus élevé pour constater le droit de la société à cet égard ; je ne conçois, pour le législateur, le droit d'ériger en délit certains faits posés par des ministres des cultes, en dehors de leurs droits constitutionnels que lorsque ces faits, en raison de la position spéciale de ces ministres, peuvent menacer sérieusement l'ordre public qui est la base de la société. Comme je n'ai pas le même point de départ que l'honorable M. Pirmez, il n'est pas étonnant que je n'arrive pas aux mêmes conséquences que celles auxquelles il aboutit.

Permettez-moi, messieurs, de vous répéter ce que je vous disais sur ce point fondamental le 20 décembre. « La raison d'être des articles 295 et suivants, vous disais-je, c'est que les ministres des cultes, à raison de leur caractère et de leur position spéciale, position que la loi reconnaît de fait, peuvent, dans l'exercice de leur ministère, porter une atteinte plus grave à l'ordre public, que si les mêmes actes que ceux qu'ils commettent étaient posés par tout autre citoyen ou bien l'étaient par eux-mêmes hors de leur ministère. »

« C'est à cause de cette gravité plus grande de l'atteinte portée, dans ces cas, à l'ordre public que le législateur a le droit de punir certains faits qui, dans les circonstances ordinaires, pourraient échapper aux lois répressives. »

Ma conviction, quant à la vérité de ces paroles, est inébranlable.

C'est assez vous dire, messieurs, que je ne considère nullement le droit de punir spécialement les ministres des cultes, comme étant le corollaire des immunités qui leur sont données, et qui leur sont données non point dans leur intérêt, mais dans l'intérêt bien entendu de l'Etat lui-même. »

Ce n'est point en effet parce que les ministres des cultes sont exempts de la milice, ou de la garde civique, ou des tutelles, ce n'est point parce que le trésor public leur donne ou leur restitue un salaire, qu'ils pourraient être punis plus gravement ou dans d'autres cas que les autres citoyens ; la source du droit et du devoir du législateur à cet égard est donc ailleurs ; elle est dans l'obligation qui pèse sur lui d'éloigner tous les dangers qui peuvent menacer spécialement l'ordre public et la société.

Me résumant donc sur cette première question, je dis, messieurs, que l'on ne peut porter constitutionnellement des dispositions punissant les délits commis par les ministres des cultes qu'en exigeant l'intention de nuire comme élément constitutif du délit.

Je passe maintenant, messieurs, à l'examen des questions que fait naître l'article 16 de la Constitution.

La première question est celle de savoir si l'article 16 entraîne l'abrogation des articles 298 à 300, c'est-à-dire si cet article place les instructions pastorales dans le droit commun, au moins pour autant qu'elles ne soient pas lues au prône par les ministres du culte.

La seconde question est celle de savoir si cette lecture les soumet à l’application des pénalités spéciales édictées par les articles 295 et 296.

MM. Jouret et Ch. Lebeau ont émis l'opinion que l'article 16 n'avait eu pour but et pour résultat que d'abroger les articles 207 et 208 du Code pénal de 1810 qui défendaient la correspondance des évêques avec la cour de Rome. Ce point de la législation ne paraît pas avoir jamais été examiné à fond avant la discussion de ce projet.

Ni la commission de révision du Code pénal, nommée en 1834, ni la commission qui a rédigé le projet dont nous nous occupons, ni le gouvernement n'ont pensé à proposer l'élimination de ces articles.

Votre commission elle-même avait suivi à cet égard les errements de ses prédécesseurs.

Mais à l'apparition du projet au grand jour, la vigilance de la presse, qui rend souvent de grands services en pareils cas, a éveillé l'attention du gouvernement et de votre commission sur cette question.

Après un nouvel examen, votre commission n'a pas hésité à reconnaître que l'article 16, par la généralité de ses termes, s'appliquait à toute correspondance des ministres des cultes quelconques avec leurs supérieurs, donc aussi bien aux correspondances des ministres des cultes avec leurs supérieurs à l'intérieur du pays, qu'aux correspondances avec les supérieurs étrangers.

Quant à moi, messieurs, il m'a suffi de recourir aux discussions du Congrès, pour être convaincu que ce pouvoir constituant n'a pas voulu que les écrits pastoraux restassent hors du droit commun, comme les y avait placés le Code de 1810.

Les principes larges du Congrès sur la triple liberté des cultes, de l'enseignement et de la presse étaient tout à fait exclusifs des restrictions et des répressions spéciales dont les instructions pastorales avaient été frappées sous l'empire français.

En présence des considérations frappantes de vérité que vient de vous exposer l'honorable comte de Theux, je crois pouvoir me dispenser d'insister davantage sur ce point qui ne me paraît pas susceptible de former un doute très sérieux pour la Chambre.

D'ailleurs, si l'article 16 de la Constitution n'existait point, l'article 18, qui établit la liberté de la presse, suffirait, à mon avis, pour restituer les instructions pastorales au droit commun.

Mais un autre point mérite de notre part plus d'attention parce qu'il est plus contesté ; c'est celui de savoir si l'écrit pastoral étant lu en chaire par les ministres des cultes, ceux qui l'ont lu, et l'auteur lui-même de l'écrit sont passibles des peines spéciales édictées par les articles 295 et 296 pour les délits particuliers qu'ils prévoient.

Quant à moi, en présence du texte de l'article. 16, je ne puis mettre la négative en doute.

L'honorable M. Pirmez vous a avoué avec franchise, qu'il avait partagé, au moins pendant un certain temps, mon avis sur ce point.

Ce fait a de l'importance de la part d'un esprit aussi judicieux que celui de l'honorable membre. Je regrette seulement que des considérations de théorie, quel que soit leur poids, lui aient fait abandonner l'opinion que le texte et la lettre formelle de l'article 16 lui avaient d'abord fait concevoir sur ce point.

L'article 16 porte en termes absolus et généraux que « l'Etat ne peut défendre aux ministres d'un culte quelconque de publier les actes de leurs supérieurs sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication, »

Telle est la volonté du pouvoir constituant.

Nous ne pouvons donc faire ni exception ni distinction là où la Constitution n'en fait pas.

Nous ne pouvons distinguer entre tel ou tel mode de publication des écrits dont il s'agit ; nous ne pouvons punir une instruction pastorale quand elle a été publiée d'une certaine manière et ne point la punir quand elle a été publiée de toute autre manière.

C'est en vain que l'on allègue des raisons d'analogie pour comprendre dans les dispositions des articles 295 et 296, et les instructions pastorales et les paroles prononcées par les ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère ; c'est en vain que l'on allègue aussi l'inconséquence qu'il y aurait à punir certaines expressions sorties de la bouche des ministres des cultes et à ne pas punir ces mêmes expressions, si elles se trouvaient dans un écrit pastoral lu par eux : Cela peut former une difficulté au point de vue de la doctrine et de la théorie ; mais en supposant que ces raisons d'analogie soient parfaitement fondées et que cette inconséquence soit réelle, que prouveraient-elles, messieurs ?

Elles prouveraient une seule chose : c'est que le pouvoir constituant aurait dû peut-être les prendre en considération pour faire lui-même une exception au principe posé par lui dans l'article 16, mais elles ne peuvent nullement autoriser la législature à faire elle-même cette exception.

Mais en outre l'inconséquence signalée ci-dessus est-elle bien réelle» Non, messieurs, car le pouvoir constituant a cru devoir donner à la législature le droit de punir d'une manière spéciale les écarts dus à l'inexpérience des ministres des cultes en général, tandis qu'il a pu logiquement laisser dans le droit commun les écrits émanés de dignitaires ecclésiastiques dont la position élevée, la sagesse et l'expérience lui offraient une garantie suffisante, quant à ces écarts d'une moindre importance.

Quoi qu'il en soit, un scrupule fondé sur un texte clair et précis de la Constitution doit suffire, messieurs, pour vous arrêter et vous faire rejeter sur ce point le projet de la commission et du gouvernement.

(page 556) Voici enfin quelques considérations qui doivent encore vous engager à prendre ce parti :

Dans le système de l'honorable M. Pirmez, si le ministre du culte a fait en chaire lecture d'un mandement contenant une critique ou une censure punissable, il est l'auteur principal du délit, et l'auteur du mandement, s'il a donné l'ordre de le lire, n'est que co-auteur du même délit ; mais voici une difficulté que je soumets à l'honorable membre.

Tout le monde est d'accord que les délits qui pourraient être commis au moyen d'écrits ou de lettres pastorales publiées sont des délits de presse. Que par conséquent les auteurs de ces écrits ne peuvent être justiciables que de la cour d'assises, c'est-à-dire que les auteurs des mandements jouissent nécessairement de la garantie du jury ; or, il est à remarquer que le délit commis par le ministre du culte qui aurait lu en chaire un passage d'un mandement contenant une critique ou censure ou même une attaque punissable aux termes de l'article 295 du Code pénal, ne serait qu'un délit correctionnel de la juridiction du tribunal correctionnel.

Il n'y aurait là en effet ni délit de presse ni généralement de délit politique : l'arrêt, rendu par la cour d'appel de Bruxelles, dans l'affaire de Boitsfort, a décidé que la critique ou la censure, de la part d'un ministre du culte, d'un acte de l'autorité communale ne constituent pas un délit politique.

L'auteur du mandement, co-auteur du délit correctionnel commis par le prêtre qui l'aurait lu devrait donc suivre celui-ci sur les bancs de la police correctionnelle ; il perdrait donc la garantie du jury qui lui est pourtant assurée par l'article 16 de la Constitution.

Et puis voyez, messieurs, à quels résultats bizarres ce système conduirait :

Comment ! voilà un mandement qui, pendant quinze jours, a circulé dans tout le pays, qui a été imprimé dans tous les journaux et dans lequel ne se trouve pas l'ombre d'un délit ; mais s'il est lu en chaire par les curés et les vicaires du diocèse, et s'il arrive qu'un procureur du roi y découvre une critique quelconque d'un acte quelconque d'une autorité publique, ce même mandement deviendrait punissable.

L'honorable M. Ch. Lebeau, raisonnant à un autre point de vue, il est vrai, vous a très bien fait sentir, messieurs, les conséquences singulières du projet sur ce point.

Je pense donc, quant à moi, que ce qu'il y a nécessairement à faire, c'est de supprimer purement et simplement les articles 298 et suivants, ainsi que je le disais déjà dans mon discours du 20 décembre.

Je termine, messieurs, en exprimant les regrets que j'éprouverai si nous ne parvenons pas à résoudre les questions qui nous occupent, de manière à rallier une forte majorité dans cette Chambre.

Je le regretterai, parce que je reconnais l'utilité d'une disposition qui commande la réserve et la prudence aux ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère.

Je le regretterai, parce que semblable disposition, rapprochée d'autres dispositions protectrices des cultes, donnerait à la loi la base religieuse qu'elle doit conserver.

Je pense qu'il est juste, utile, nécessaire que la loi reconnaisse, non point en droit, mais en fait, la position spéciale, la mission élevée et sociale des ministres des cultes.

Si la loi exige d'eux davantage que d'un simple citoyen, alors qu'ils sont dans l'exercice de leur ministère, elle doit aussi employer parfois leur influence dans un but de moralisation et de civilisation.

Défiez-vous donc, messieurs, de la théorie de la séparation absolue et radicale des cultes et de l'Etat.

Cette théorie est, ou bien une utopie, ou bien une chose pleine de dangers.

C'est cette théorie qui nous offre, entre autres, cet aphorisme : Point de commissaire de police dans l'église, mais aussi point de prêtre dans l'école.

C'est cette théorie qui est la négation, par l'Etat, de tout culte positif.

C'est cette théorie enfin qui conduit à l'athéisme dans la loi ; quant à moi, je la repousse de toutes mes forces.

(page 552) M. le président. - Un nouvel amendement vient d'être transmis au bureau par M. B. Dumortier ; il est ainsi conçu :

« Tout ministre du culte qui, dans des discours prononcés en assemblée publique et dans l'exercice de ses fonctions, se sera rendu coupable d'un des délits prévus par les lois contre la presse, sera puni conformément à ces lois. »

La Chambre juge-t-elle à propos de donner maintenant la parole à M. Malou pour développer son amendement ?

M. Malou. - Je demanderai que mon amendement et celui de M. Dumortier soient imprimés et qu'à la séance de demain nous puissions, comme orateur inscrits sur, consacrer quelques minutes (pour moi je n'en demande pas davantage), à l'explication du sens de nos amendements.

- La Chambre ordonne l'impression de l'amendement de M. Dumortier.

La séance est levée à quatre heures et demie.