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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 mars 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 807) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance du 26 mars.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Joostens, imprimeur-éditeur du journal le Messager de Bruxelles, prie la Chambre de lui faire restituer un payement qui lui a été réclamé par l'administration du timbre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal et des habitants de Houttave demandent l'établissement d'un pont tournant au hameau Nieuwege, dans la commune de Varssenaere. »

- Même renvoi.


« Le sieur P.-A. Bouchoms, demeurant à Gruitrode, né à Grondsveld (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des cabaretiers à Courtrai demandent l'abolition de la loi du 1er décembre 1849 relative au droit de patente sur les débitants de boissons alcooliques. »

M. H. Dumortier. - Je crois que cette pétition est digne de l'attention la plus sérieuse de la Chambre.

J'en demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


» Un grand nombre d'électeurs et d'habitants de Louvain demandent que, dans les élections, le vote ait lieu par ordre alphabétique. »

- Renvoi à la section centrale qui est chargée de l'examen du projet de loi concernant la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.


« Des receveurs communaux de l'arrondissement de Mons prient la Chambre d'établir en leur faveur une caisse de retraite ou de les faire participer au bénéfice de celles des secrétaires communaux. »

M. Lelièvre. - Cette pétition a un caractère d'urgence. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, qui sera invitée à faire un prompt rapport.

M. de Baillet-Latour. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Lelièvre, d'autant plus que des pétitions, tendantes aux mêmes fins, sont adressées de mon arrondissement par les secrétaires communaux. »

- La proposition de M. Lelièvre, appuyée par M. de Baillet-Latour, est adoptée.


M. le ministre des finances adresse à la Chambre 111 exemplaires des documents relatifs à l'enquête administrative qui a été faite pour la révision du tarif des douanes.

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« Le sieur Ed. Rul, avocat à Anvers, fait hommage à la Chambre d'un certain nombre d'exemplaires d'une brochure relative à la réorganisation des tribunaux de commerce. »

- Même disposition.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1860

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VII. Matériel du génie

Article 21

M. le président. - La discussion continue sur l'article 21, chapitre VII.

« Art. 21. Matériel du génie : fr. 700,000. »

- Personne ne demandant plus la parole, l'article 21 est adopté.

Chapitre VIII. Pain, fourrages et autres allocations

Articles 22 à 29

« Art. 22. Pain : fr. 1,798,000. »

- Adopté.


« Art. 23. Fourrages en nature : fr. 3,025,000. »

- Adopté.


« Art. 24. Casernement des hommes : fr. 633,050. »

- Adopté.


« Art. 25. Renouvellement de la buffleterie et du harnachement : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 26. Frais de route et de séjour des officiers : fr. 95,000. »

- Adopté.


« Art. 27. Transports généraux : fr. 75,000. »

- Adopté.


« Art. 28. Chauffage et éclairage des corps de garde : fr. 70,000. »

- Adopté.


« Art. 29. Remonte : fr. 558,340. »

- Adopté.

Chapitre IX. Traitements divers et honoraires

Articles 30 et 31

« Art. 30. Traitements divers et honoraires : fr. 133,228 70.

« Charge extraordinaire : fr. 775 92. »

- Adopté.


« Art. 31 Frais de représentation : fr. 30,000. »

- Adopté.

Chapitre X. Pensions et secours

Article 32

« Art. 32. Pensions et secours : fr. 89,000.

« Charge extraordinaire : fr. 8,185 18. »

- Adopté.

Chapitre XI. Dépenses imprévues

Article 33

« Art. 33. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 16,351 98. »

- Adopté.

Chapitre XII. Gendarmerie

Article 34

« Art. 34. Traitement et solde de la gendarmerie : fr. 1,806,605 37.

« Charge extraordinaire : fr. 105,993 60. »

M. Coomans. - Messieurs, d'après la déclaration faite samedi dernier par le gouvernement, il n'y a aucune raison pour ne pas transférer à la colonne des charges ordinaires et permanentes la somme de 105,993 fr. 60 c. demandée, comme supplément de solde pour la gendarmerie. Le gouvernement a déclaré que, dans sa pensée cette allocation se reproduirait annuellement au budget. On donnerait par-là satisfaction à de justes réclamations, en même temps qu'on traduirait dans le budget la pensée avouée du gouvernement. Je propose donc à la Chambre de ne faire qu'un seul chiffre des deux allocations.

M. Muller. - Je voulais dire que j'avais rédigé un amendement dans ce sens. (Interruption).

J'avais inséré des chiffres ; j'établis les chiffres tels qu'ils doivent l'être.

M. Coomans. - C'est une simple addition à faire.

M. Muller. - Je propose un amendement sur lequel la Chambre statuera.

M. le président. - Voici l'amendement déposé par M. Muller.

« Je propose, à l'article 34, de reporter la somme de 105,993 fr. 60 c. à la colonne des charges ordinaires et permanentes, dont le chiffre s'élèverait ainsi à 1,972,598 fr. 97 c.

« Le total des charges ordinaires et permanentes du budget serait porté, en conséquence, à 32,202,588 fr. 90 c, et le total des charges extraordinaires et temporaires serait réduit à 10,911 fr. 10 c. »

M. Coomans. - C'est mon amendement

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement est d'accord.

M. de Paul, rapporteur. - J'avais demandé la parole pour faire remarquer que du moment que le gouvernement adopte l'amendement, au nom de la section centrale, je ne puis que m'y rallier.

M. Allard. - J'ai demandé la parole pour faire remarquer que les rôles sont intervertis ; ce n'est plus le gouvernement qui demande des augmentations, ce sont les membres de la Chambre qui les proposent. Je voudrais savoir pourquoi le gouvernement a demandé que l'augmentation dont il s'agit soit portée à l'extraordinaire. On doit le laisser juge du moment où il convient de rendre cette allocation définitive.

(page 808) Puisque le gouvernement se rallie, je n'ai plus rien à dire, mais j'aurais préféré qu'il prît l'initiative de la proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'important, c'est qu'il y a accord entre le gouvernement et la Chambre. Le gouvernement n'aime pas à prendre 1 initiative des dépenses, mais il était dans ses intentions de rendre le crédit dont il s'agit permanent. En présence des nombreuses adhésions que la proposition a rencontrées dans la Chambre, le gouvernement n'a pas hésité à accepter pour 1859 ce qu'il aurait fait en 1860 ; car en 1860 il aurait certainement porté la somme aux charges ordinaires.

M. Coomans. - M. Allard se trompe, me semble-t-il. Nous ne prenons pas l'initiative de l'augmentation d'un chiffre du budget, nous venons simplement prendre acte de la déclaration bienveillante de M. le ministre, que l'intention du gouvernement est de maintenir pour l'avenir l'augmentation de 105,000 francs, proposée pour ce budget à titre de charge extraordinaire. Je constate, cela en vaut la peine, que ce n'est pas nous qui prenons l'initiative de l'augmentation du budget de la guerre. Nous demandons, parce que nous le trouvons juste, que ce qu'on a fait en 1859, que ce qui se fera pour 1860, soit fait pour 1861 et les années suivantes.

Cette augmentation en faveur de la gendarmerie est de celles, d'ailleurs, que je voterai toujours volontiers. J'en aurais pris l'initiative si on m'en avait laissé l'honneur.

M. Muller. - Dans la dernière séance M. le ministre de l'intérieur, parlant au nom du cabinet, a déclaré que l'intention du gouvernement était de maintenir à titre permanent l'allocation qui figure dans l'exposé des motifs et dans le budget à titre extraordinaire.

Maintenant, que proposons-nous, l'honorable M. Coomans et moi ? De traduire en fait la résolution manifestée par le gouvernement afin que le budget y soit conforme. Il y avait, messieurs, de puissants motifs d'agir de la sorte : Une première fois, on avait voté une allocation extraordinaire eu faveur de la gendarmerie ; mais postérieurement elle avait disparu du budget. Or, tout le monde reconnaît aujourd'hui l'insuffisance de la solde de ce corps, et l'on vous a fait comprendre dernièrement combien on éprouve de difficulté à recruter des gendarmes propres ou initiés à leur métier.

J'ai fait remarquer, ainsi que d'autres membres de cette assemblée, qu'il y avait utilité à ce que l'on sût que cette allocation avait un caractère permanent et ne serait plus désormais sujette à toutes les fluctuations de débats qui s'attachent aux dépenses extraordinaires.

Quant à moi, comme je suis sûr d’être d'accord avec le gouvernement, dont nous avons entendu la déclaration formelle et que je ne fais que la traduire en fait, j'accepte hautement la responsabilité de l'augmentation proposée en faveur de la gendarmerie à titre permanent, parce qu'elle est parfaitement justifiée.

M. Allard. - Je ne suis nullement opposé à une augmentation de la solde de la gendarmerie, ni à ce que les chiffres proposés soient portés dans la colonne des charges ordinaires. Je n'ai demandé la parole que pour exprimer le regret de ce que le gouvernement n'ait pas pris lui-même l'initiative de cette mesure ; j'exprime de nouveau ce regret de voir les membres de la Chambre imposer des majorations de dépenses alors que le gouvernement n'ose pas les proposer. M. le ministre vient de déclarer qu'il n'avait pas pris cette initiative parce qu'il sait qu'en général les augmentations de dépenses ne sont pas très favorablement accueillies Cette déclaration justifie mon observation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement, messieurs, a pris l'initiative de la dépense dont il s'agit, en rétablissant dans la colonne des charges extraordinaires le crédit de 105,000 fr. qui y figurait autrefois ; il accepte complétement la responsabilité de cette initiative.

En quoi consiste l'initiative prise par quelques honorables membres ? Uniquement dans le transfert du crédit de 105,000 fr. de la colonne des charges extraordinaires à la colonne des charges ordinaires, et cela conformément à la déclaration du gouvernement que son intention était d'opérer ce transfert au budget de 1860. Mais l'initiative de la dépense proprement dite émane directement du gouvernement. Je pense donc que chacun peut prendre en toute sécurité de conscience la part d’initiative qui lui revient.

- La proposition de transfert est mise aux voix et adoptée.

En conséquence, le chiffre total des crédits ordinaires est fixé à 52,202,588 fr. 90, et celui des crédits extraordinaires à 10,911 fr. 10.

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

« Article unique. Le budget du ministère de la guerre est fixé, pour l'exercice 1860, à la somme de trente-deux millions deux cent treize mille cinq cents francs (fr. 32,213,000), conformément au tableau ci-annexé.

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget. En voici le résultat :

Nombre des votants, 70.

Pour le projet, 56.

Contre le projet, 8.

Abstentions, 6.

En conséquence le projet de budget est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption : MM. de Baillet-Latour, de Boe, H de Brouckere, de Decker, de la Coste, de Liedekerke, de Luesemans, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Henri Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Janssens, J. Jouret, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lelièvre, Loos, Magherman, Mascart, Muller, Neyt, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabayier, Saeyman, Savart, Tack, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Leempoel, Vermeire, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Dautrebande et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. de Bronckart, Dechentinnes, De Fré, L. Goblet, Grosfils, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt et Coomans.

Se sont abstenus : MM. de Renesse, de Smedt, A Goblet, Moreau, Nélis et Thiéfry.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Renesse. - Déjà, lors de la discussion du budget de la guerre de l'exercice de 1858, j’ai soutenu, avec plusieurs de nos honorables collègues, que l'organisation actuelle de l'armée, établie pour un tout autre système défensif du pays que celui que l'on cherche à faire prévaloir actuellement, devait subir des modifications économiques qui permettraient de réduire les dépenses ordinaires de la guerre, et d'employer ces économies aux dépenses extraordinaires nécessitées pour une meilleure défense nationale.

Cette organisation n'ayant, jusqu'ici, subi aucune modification économique, je crois devoir persister dans ma résolution de ne pas donner un vote favorable au budget de la guerre ; mais, dans les circonstances actuelles où la crise guerrière ne paraît pas encore entièrement terminée, je n'ai pas voulu voter contre, parce que je désire avant tout que le gouvernement soit mis en état de faire respecter notre nationalité et la neutralité garanties par des traités.

M. de Smedt. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai indiqués en quelques mots dans la discussion générale.

M. A. Goblet. - Je me suis abstenu par le motif qu'après avoir développé dans cette assemblée, en diverses circonstances, les considérations qui me portaient à croire que notre système défensif était insuffisant, j'ai voulu saisir la dernière occasion qui m'était offerte pour protester contre ce système dont je ne veux, sous aucun rapport, partager la responsabilité.

M. Moreau. - Je ne puis pas voter pour le budget parce que je n'ai pas voté pour la loi d'organisation de l'armée. Je n'ai pas voté contre, parce que je ne veux pas désorganiser le service.

M. Nélis. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pas assisté à la discussion ni en section ni en séance publique.

M. Thiéfry. - J'ai souvent indiqué les motifs de mon abstention, je trouve l'organisation de la réserve très défectueuse.

D'un autre côté il y a une loi d'organisation de l'armée. Le moment ne me paraît pas venu d’en demander la modification.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre VII)

Discussion des articles

Titre VII. Des crimes et des délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique

Personne ne demandant la parole dans la discus3ion générale, la Chambre passe à la délibération sur les articles.

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande que la discussion s'ouvre sur le projet de la commission, sauf à indiquer les dispositions auxquelles je ne me rallie pas.

Chapitre premier. De l’avortement
Article 408

« Art. 408. Celui qui, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura à dessein fait avorter une femme qui n'y a point consenti, sera puni de la réclusion.

« La peine sera celle des travaux forcés de dix à quinze ans, si le coupable est médecin, chirurgien, accoucheur, officier de santé, pharmacien ou sage-femme.

« Si le crime a manqué son effet, les coupables seront punis conformément à l'article 65. »

- Adopté.

Article 409

« Art. 409. Lorsque l'avortement a été causé par des violences exercées volontairement, mais sans intention de le produire, le coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinquante francs à trois cents francs »

(page 809) Le gouvernement a proposé d'ajouter à cet article un alinéa ainsi conçu :

« Si les violences ont été commises avec préméditation, avec connaissance de l'état de la femme, la peine sera de six mois à trois ans et l'amende de 100 francs à 500 francs. »

M. Lelièvre, rapporteur. - Je crois pouvoir me rallier à l'amendement du gouvernement, parce qu'il est incontestable que les circonstances énoncées en cet amendement impriment au fait un caractère particulier de gravité qui exige une peine plus élevée que dans le cas de l'article 409, tel qu'il était primitivement rédigé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, voici les raisons qui ont déterminé le gouvernement à introduire ce paragraphe dans la loi. Il est incontestable que les violences prévues par l'article 409 sont beaucoup plus répréhensibles que les violences simples, dans des cas où elles ne peuvent pas produire les résultats indiqués dans l'article 409. Par la même raison, les violences dont s'occupe cet article, exercées avec préméditation, sont plus coupables que les violences exercées avec préméditation que punit l'article 462.

Or, l'article 462 commine contre les coups et blessures simples, exercées avec préméditation, un emprisonnement dont le maximum est fixé à deux ans ; il fallait donc comminer une peine supérieure dans le cas de violences préméditées prévu par l'article 409.

Le projet du gouvernement comminait la peine de six mois à trois ans, sans distinguer si les violences étaient ou non exercées avec préméditation, et la peine pouvait donc être supérieure à celle dont sont punies les violences simples avec préméditation.

Mais la commission ayant réduit le maximum de trois ans à deux ans, il est indispensable d'introduire dans la loi une disposition qui consacre une distinction entre les violences commises sans préméditation et les violences commises avec cette circonstance aggravante. C'est dans ce but que j'ai proposé à la Chambre le paragraphe auquel l'honorable rapporteur vient de se rallier, au nom de la commission.

- L'article 409, amendé comme le propose le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Article 410

« Art. 410. Celui qui, par aliments, breuvages, médicaments ou par tout autre moyen, aura fait avorter une femme qui y a consenti, sera condamné à un emprisonnement de deux ans à cinq ans et à une amende de cent francs a cinq cents francs.

« Si le coupable est médecin, chirurgien, accoucheur, officier de santé, pharmacien ou sage-femme, il subira la peine ne ia réclusion.

« Dans les cas prévus par les paragraphes précédents, il ne pourra y avoir lieu à poursuite pour tentative d'avortement, si les moyens employés ont manqué leur effet. »

Le gouvernement propose de commencer le troisième paragraphe par ces mots : « Dans le cas prévu par le paragraphe précédent. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'expliquerai en deux mots le changement de rédaction que je propose.

Le projet de la commission porte au troisième paragraphe : « Dans les cas prévus par les paragraphes précédents. » Il est plus correct de dire « dans le cas prévu par le paragraphe précédent. »

Dans le paragraphe 3, il s'agit de la tentative. Or, la tentative n'est punie, en matière correctionnelle, que dans les cas expressément prévus par la loi ; or, le premier paragraphe de l'article 410 prévoit un délit, et le deuxième un crime ; d'après les principes généraux, la tentative du fait prévu par le premier paragraphe n'est pas punie, il suffit donc de dire : « dans le cas prévu par le paragraphe précédent. »

M. Lelièvre, rapporteur. - Déjà dans le sein de la commission, j'avais adopté l'amendement du gouvernement qui me paraît rationnel. En effet le paragraphe premier ne prononce qu'une peine correctionnelle, le fait n'est donc qu'un délit. Or il est inutile de dire que la tentative du délit ne sera pas punissable, puisque c'est là un principe applicable à tous les délits quelconques dont la tentative n'est réprimée qu'en vertu d'une disposition particulière de la loi.

Il suffit donc de s'occuper de la tentative dans le cas du paragraphe 2 de notre disposition, c'est-à-dire dans l'hypothèse où il s'agit d'un crime dont la tentative ne peut être exemptée de peine qu'en vertu d'un article formel.

M. de Luesemans. - Messieurs, je demande à M. le ministre de la justice s'il ne conviendrait pas de remplacer, dans le deuxième paragraphe, les mots « médecin, chirurgien, etc. », par cette expression générale : « si le coupable exerce une des branches de l'art de guérir, etc. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, une expression quelconque doit être longuement méditée, avant d'être introduis dans la loi. L'expression, indiquée par l'honorable M. de Luesemans, ne comprendrait peut-être pas les pharmaciens.

Du reste, les mots proposés dans le projet sont les expressions mêmes du Code actuel ; je ne pense pas qu'ils aient donné lieu à des inconvénients. Il est préférable de maintenir ce qui existe que de le changer légèrement.

M. de Luesemans. - Je suis de l'avis de M. le ministre de la justice qu'il ne faut pas légèrement introduire des amendements dans le Code pénal, Si M, le ministre considère mon observation comme sérieuse, il ne peut s'opposer à ce que l'observation soit renvoyée à l'examen de la commission.

M. Lelièvre, rapporteur. - Dans une loi pénale, tout doit être précisé et il importe de ne rien laisser à l'arbitraire. Il me semble donc nécessaire d'indiquer d'une manière claire et positive les individus auxquels, à raison de leur qualité, une peine plus grave sera appliquée. Sous ce rapport l'énumération énoncée en notre disposition a son utilité et je pense qu'il ne faut pas la remplacer par une locution générale qui pourrait donner lieu à des inconvénients.

M. Orts. - Messieurs, l’aggravation de peine prononcée contre les personnes qui exercent la profession de médecin, de chirurgien, d'accoucheur, de pharmacien ou de sage-femme, est déterminée par cette raison : c'est que ces personnes ont, par le fait de leur profession, le moyen de se procurer les substances ou les instruments propres à commettre le délit dont il s'agit. Or, la nomenclature qui se trouve dans le projet de loi ne comprend pas toutes les personnes qui se trouvent dans une pareille situation, et, quoique cela puisse paraître une mauvaise plaisanterie au premier abord, je citerai les médecins vétérinaires qui ont sous la main, aussi bien que les pharmaciens et les médecins qui traitent l’humanité, le moyen de commettre le délit prévu par l'article 410.

M. Savart. - Messieurs, je demanderai une explication sur le cas suivant :

Il y a des femmes d'une conformation tellement vicieuse qu'on ne peut jamais espérer de n'en tirer qu'un enfant en lambeaux ; on expose très souvent la vie de la mère, et l'enfant est toujours mort. Lorsque, pour éviter ce que j'appellerai une double exécution, un médecin, un pharmacien, etc., aura d'après la règle principiis obsta, aura eu recours à l'avortement ; je demande si, dans ce cas, le médecin, le pharmacien etc. seront punis par l'article que nous discutons.

Cela se pratique, du reste, en France, dans les hôpitaux. Il ne peut y avoir ni crime, ni délit, alors que l'avortement est en quelque sorte une légitime défense qui n'a pour but que de sauver la vie de la mère.

M. Lelièvre, rapporteur. - La question soulevée par M. Savart ne peut donner lieu à la moindre difficulté. L'article 410 suppose que l'agent a commis le fait avec intention criminelle. Or, dans le cas dont parle notre honorable collègue, il n'y a pas l'ombre d'une intention criminelle ; au contraire, il s'agit d'un cas de nécessité dans lequel l'homme de l'art entend soustraire la mère à une mort imminente, il n'existe pas le moindre délit.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce sont des questions de fait qu'il est impossible de trancher dans la loi.

M. de Luesemans. - Je demande le renvoi de l'article à la commission.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On pourrait adopter provisoirement l'article 410. Quand la commission se réunira, elle pourra s'occuper de la question soulevée par l'honorable M. de Luesemans. Si l'on admet une autre rédaction, elle devra être introduite dans les autres articles qui contiennent la même nomenclature.

Je prie donc la Chambre d'adopter provisoirement l'article, sauf à statuer ultérieurement sur un changement de rédaction que pourrait vous proposer la commission.

M. de Luesemans. - Messieurs, la proposition de M. le ministre de la justice atteignant parfaitement le but que j'ai en vue, je m'y rallie.

- L'article 410 est adopté sous la réserve indiquée ci-dessus.

Article 411

« Art. 411. La femme qui se sera fait avorter sera punie d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d'une amende de cent francs à cinq cents francs. »

- Adopté.

Article 412

« Art. 412. Lorsque les moyens employés dans le but de faire avorter la femme, auront causé la mort, celui qui les aura administrés ou indiqués dans ce but sera condamné à la réclusion, si la femme a consenti à l'avortement ; et aux travaux forcés de dix à quinze ans, si elle n'y a point consenti, sans préjudice, dans ce dernier cas, s'il y a lieu, de la peine prononcée par l'article 470.

« Le gouvernement admet cette rédaction sauf les mots: sans préjudice, dans ce dernier cas, s'il y a Heu. de la peine prononcée par l'article 470, s dont il propose le retranchement.

Il propose d'ajouter un alinéa ainsi conçu :

« Si le coupable est médecin, chirurgien, accoucheur, officier de santé, pharmacien ou s ge-femme, il subira, dans le premier cas prévu par le paragraphe précédent, les travaux forcés de dix à quinze ans, et, dans le second cas, les travaux forcés de quinze à vingt ans. »

M. Lelièvre, rapporteur. - Je pense que l'addition proposée par M. le ministre doit être admise. En effet la peine doit nécessairement être aggravée, si le coupable est médecin, chirurgien, etc. Il est donc indispensable d'énoncer à cet égard une disposition expresse, puisque le fait est plus grave que dans le cas énoncé au projet primitif. D'un autre côté cette addition est nécessaire pour maintenir l'harmonie entre les diverses dispositions du chapitre. Si dans le cas des articles 409 et 410, les hommes de l’art sont punis plus sévèrement, il doit en être de même dans le cas de l'article 412.

(page 810) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est nécessaire que la peine comminée contre le fait que prévoit l'article qui nous occupe, s'il est commis par un médecin, chirurgien, accoucheur, officier de santé, pharmacien ou sage-femme, soit portée dans le premier cas à dix ou quinze ans et dans le second casa quinze ou vingt ans de travaux forcés.

Si nous n'introduisions pas ce paragraphe, les personnes que je viens d'énumérer ne seraient punies que d'une peine égale à celle portée par l'article 408, quoique le fait soit beaucoup plus grave ; il y a donc lieu d'adopter la proposition que j'ai l'honneur de faire à la Chambre.

- L'article 412, tel que le gouvernement a proposé de le modifier, est mis aux voix et adopté.

Chapitre II. De l’exposition et du délaissement d’enfants
Article 413

« Art .413. Ceux qui auront exposé et ceux qui auront délaissé en un lieu non solitaire un enfant au-dessous de l'âge de sept ans accomplis ; ceux qui auront donné l’ordre de l'exposer ou de le délaisser ainsi, si cet ordre a été exécuté, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de vingt-six francs à cent francs. »

M. le ministre propose de remplacer les mots « l'ordre » et plus loin « cet ordre » par ceux-ci : « la mission », « cette mission ».

M. Savart. - La rédaction qui nous est proposée par le gouvernement diffère de celle adoptée par la commission et de celle du Code de 1810.

D'après le Code de 1810, pour que le fait soit punissable il faut qu'il y ait deux choses : exposition et délaissement. D'après le projet du gouvernement il ne faut pas l'accumulation des deux circonstances il y aurait distinction ; ceux qui auraient exposé et ceux qui auraient délaissé ; on frapperait donc le fait du délaissement et le fait de l'exposition ; la commission veut, pour que le fait de l'exposition soit punissable, qu'il soit accompagné du délaissement.

Mais, ensuite, elle punit le fait n'avoir donné la mission d'exposer seulement ; de sorte que nous sommes en présence de trois systèmes différents, le Code de 1810, l’article 413 du gouvernement et le projet de la commission.

Je me rallierai au projet de la commission qui demande l'accumulation des deux circonstances, exposition et délaissement ; mais pour être logique, il faut avoir la même règle pour ceux qui exposent comme pour ceux qui donnent la mission d'exposer. Quand il y a mission, il faut qu'il y ait assimilation entre ceux qui ont commis l'acte et ceux qui ont donné mission de le commettre.

Je demanderai s'il y a une exception pour l'exposition ou le dépôt dans un tour : il me semble que dans ce cas il ne peut pas y avoir de délit. Je ne comprends pas pourquoi la commission n'a pas ajouté : « qui auront donné la mission d'exposer et de délaisser ainsi. » Dans l'article du gouvernement il est dit : « qui aura donné l'ordre d'exposer et de délaisser ainsi. »

M. Pirmez. - La rédaction du gouvernement me paraît devoir être incontestablement préférée. D'après le Code de 1810, l'exposition et le délaissement isolés n'étaient pas punis, les deux faits devaient être cumulés pour tomber sous la loi pénale.

Ainsi, le fait d'exposer dans la rue, par exemple, un enfant quand il n'était pas abandonné entièrement, quand la personne qui l'avait exposé avait continué à le surveiller pour voir s'il était recueilli, n'était pas puni.

Le fait du délaissement par lui seul ne l'était pas davantage. Ainsi la personne qui aurait délaissé un enfant dans une chambre d'auberge ou dans une voilure, n'était pas punie.

II est inutile sans doute de démontrer combien ces faits sont graves, combien il est nécessaire de les réprimer.

La commission n'a pas pensé qu'on dût les exempter de toute peine ; c'est par suite d'un malentendu que l'article a été rédigé comme il l'est ; la commission a admis le projet du gouvernement qui punit et le délaissement et l'exposition séparément.

Dans le rapport accompagnant le projet, on a examiné la question de savoir si le fait de dépôt d'un entant à un tour constituait une exposition. Les auteurs du projet l'avaient pensé.

Cependant, quant au fait du dépôt d'un enfant dans un tour, il y a uue personne, une personne morale, d'ordinaire celle qui a établi le four ; il y a une personne qui déclare être prête à recevoir l'enfant ; ce n'est que la transmission de l'enfant à quelqu'un qui consent à le recevoir. Oh comprend qu'il n'y ait pas là d'exposition. L'exposition suppose que l'enfan est placé dans un endroit où des personnes indéterminées pourront le voir, le prendre.

Duns le tour l'enfant n'est donc pas exposé ; il y a un dépôt et non pas une exposition d'enfant.

L'opinion énoncée au rapport des auteurs du projet ne peut donc sur ce point être accueillie ; mais c'est sur cette question pénale seulement qu'il convient de se séparer de leur œuvre, et non pas en accordant l'impunité à l'exposition et au délaissement commis isolément.

M. de Luesemans. - Le système du gouvernement est également, à mon avis, celui auquel il faut accorder la préférence. Je ne suis pas éloigné d'admettre l'espèce d'exemption qu'on accorderait à celui qui aurait déposé un enfant au tour ; si l'on crée des tours, c'est pour que le dépôt puisse s'y faire.

Cependant, messieurs, dans mon opinion les tours ne méritent pas la faveur que l'on veut leur accorder ; si je consens à l'impunité, ce n'est pas à cause de leur valeur intrinsèque, c'est parce que, tant qu'ils existent, nous ne pouvons punir ceux que nous convions en quelque sorte à en user, et que d'un autre côté, le moment n'est pas éloigné, j'espère, 'où ceux qui subsistent encore en Belgique seront tous supprimés.

M. H. de Brouckere. - Tant mieux !

M. de Luesemans. - Tant mieux, dit l'honorable M. H. de Brouckere, et il a parfaitement raison ; il existe encore trois tours dans notre pays : à Anvers, à Gand et à Louvain. La suppression de celui de Louvain a été votée, par le conseil communal de cette ville, le 19 mars dernier.

Le conseil communal de Gand semble disposé à faire disparaître celui qui y existe encore.

Anvers est la seule ville qui hésite.

J'en conclus que la disposition que nous votons n'aura pas de graves conséquences.

Dans toutes les villes où l'on a résisté à l'injonction de la loi de 1811, qui exigeait la création de tours dans les chefs-lieux d'arrondissement où il existait des hospices pour les enfants abandonnés, on s'en est parfaitement trouvé.

Avant de procéder à la suppression du tour de Louvain, nous nous sommes entourés de nombreux renseignements, qui nous permettent de constater l'exactitude de ce fait. Liége, Courtrai, Verviers, Bruges n'ont jamais eu de tours, et n'ont pas voulu en avoir.

L'administration communale de cette dernière ville nous écrivit, entre autres, ce qui suit :

« Nous devons vous faire remarquer, messieurs, que c'est probablement à cette circonstance (l'absence d'un tour) que nous pouvons attribuer le nombre si restreint d'enfants trouvés qui sont entretenus aux frais de nos administrations charitables. En effet, il n'y en a aujourd'hui que quatre, et la dernière exposition date de 1839. »

Cette lettre porte la date du 12 mai 1857.

A Malines, à Namur, à Tournai, à Mons et à Bruxelles, les tours ont été successivement supprimés, à la grande satisfaction des autorités communales.

Nulle part le nombre d'infanticides n'a augmenté, et les expositions ont diminué partout.

A Bruxelles l'expérience a été décisive ; voici ce que l'honorable bourgmestre de Bruxelles nous écrivit à ce sujet, sous la date du 27 février 1859.

« La suppression des tours pour les enfants trouvés a complétement répondu à notre attente.

« Ainsi, le mouvement à l'entrée, qui était de 626 en 1855, de 488 en 1856 avec une surveillance spéciale, a été réduit à 64 en 1857 et 66 eu 1858. Aussi, depuis le 31 novembre 1855 jusqu'au 31 novembre 1858, le nombre d'enfants entretenus à la charge de l'hospice des enfante trouvés et abandonnés est descendu de 2,052 à 1,565, et cependant la moralité a suivi une marche décroissante beaucoup plus rapide ; de 266 en 1856, elle est tombée à 127 en 1857 et à 56 en 1858. »

Il est vrai que l'administration communale de Bruxelles a constaté quelques abandonnements sur la voie publique en plus, mais ils tendent à décroître, et les infanticides n'ont pas été plus nombreux ; le moment est donc venu de supprimer les tours où ils existent encore ; et j'engage de toutes mes forces les administrations en retard à procéder à cette suppression le plus tôt possible. Elles n'auront qu'à s'en féliciter, comme les villes dont j'ai parlé plus haut.

M. Lelièvre, rapporteur. - L'amendement de la commission a évidemment la portée que lui donne l'honorable M. Savart ; les mots « l'exposer ainsi » s'appliquent à l'exposition accompagnée de délaissement. Nous avons adopté l'article 349 du Code pénal qui est ainsi conçu :

« Ceux qui auront exposé et délassé en un lieu solitaire un enfant au-dessous de l'âge de sept ans accomplis, ceux qui auront donné l'ordre de l'exposer ainsi. »

Les expressions « l'exposer ainsi » exigent la double circonstance de l'exposition et du délaissement.

Quant à ce que vient de dire l'honorable M. Pirmez, je ne suis pas d'accord avec lui. Les notes que j'en ai tenues au sein de la commission énoncent formellement que celle-ci a voulu purement et simplement adopter le régime du Code pénal en vigueur. C'est en ce sens que j'ai compris la résolution de la commission et que j'ai par suite rédigé mon rapport.

Quant à la question même qui fait l'objet du débat, je maintiens que c'est à juste titre qu'on punit l'exposition dans le cas seulement où elle est accompagnée du délaissement de l'enfant.

D'abord ne perdons pas de vue que tel est le régime en vigueur sous le Code pénal de 1810, régime qu'on n’a jamais critiqué sous ce rapport.

Or, il n'existe aucun motif sérieux d'aggraver la législation actuelle qui a toujours été considérée comme suffisante.

(page 811) En France même on n'a jamais réclamé des dispositions plus rigoureuses, et lorsque en 1832 on s'est occupé de la réforme du Code pénal, on n'a pas cru devoir introduire le système que veut faire prévaloir l'honorable M. Pirmez.

Messieurs, en ne doit créer de nouveaux délits, que quand il existe dans la législation des lacunes évidentes.

Or, aucun auteur qui a écrit sur nos lois criminelles, n'a signalé le projet du Code pénal comme défectueux, au point de vue des conditions requises pour la répression de l'exposition.

D'un autre côté, il convient, à mon avis, de ne punir l’exposition que quand elle est accompagnée de délaissement. Pourquoi ? Parce que quand il n'y a pas intermittence des soins vis-à-vis de l'enfant, le fait n'est pas assez dangereux pour être atteint par les lois pénales.

Il n'y a danger réel que quand l'enfant a été abandonné dans un lieu même non solitaire, privé de toute assistance. C'est donc à juste titre que le Code pénal de 1810 a exigé l'abandon de l'enfant comme un élément indispensable du fait délictueux.

Lorsque l'agent n'a cessé de veiller sur l'enfant, lorsqu'il n'y a jamais eu cessation de soins de sa part, il n'existe pas de fait assez grave pour être l'objet d'une répression par voie extraordinaire.

Lorsqu'il y a eu délaissement de l'enfant sans exposition, la mère n'a voulu se soustraire qu'à une obligation civile, et le fait n'est pas encore de nature à porter une telle atteinte à l'ordre public qu'une pénalité devienne nécessaire.

Au surplus il est à remarquer que l'expérience n'a révélé ni en France ni en Belgique la nécessité de prononcer des peines au-delà des limites tracées par le Code pénal en cette matière.

Du reste puisqu'il s'agit d'une question importante, je demande qu'elle soit soumise de nouveau à la commission, et cette mesure est d'autant plus utile, que nous ne sommes pas d'accord avec M. Pirmez, sur la résolution qui a été prise effectivement sur cet objet.

M. Pirmez. - Je n'ai pas soutenu que la disposition telle qu'elle est indiquée au projet de la commission qui nous a été distribué, n'a pas la portée que lui donne l'honorable M. Lelièvre ; mais j'ai émis l'opinion, d'après les notes que j'ai tenues des observations présentées au sein de la commission, que la commission n'avait pas adopté le système qu'on lui attribue. Il y a divergence d'opinion sur un fait entre l'honorable rapporteur et moi. Je ne m'oppose pas au renvoi de l'article à la commission. Mais quant au fond de la question, je ne puis me rallier aux raisons de l'honorable rapporteur.

On nous dit souvent qne le Code de 1810 ne prévoyait pas tel ou tel cas, et que, par conséquent, nous ne devons pas le prévoir non plus.

Je ne saurais, messieurs, partager cette opinion : Je suis d'avis, au contraire, que partout où nous découvrons une lacune, nous devons la combler, sans nous préoccuper si, par-là, nous aggravons la législation actuelle, mais en examinant uniquement ce qui est utile et juste.

Eh bien, je demande si les faits dont il est maintenant question ne sont pas assez graves pour nécessiter une juste répression. Un enfant, comme je le disais tantôt, est délaissé dans une auberge, ou bien au moment où l'on ouvre la porte d'une maison, la personne qui porte l’enfant le dépose sur le seuil et disparaît. Autre cas encore, un enfant est exposé dans la rue et surveillé jusqu'au moment où quelqu'un passe et le recueille.

Ces faits doivent-ils rester impunis ?

Ne perdons pas de vue, messieurs, que, dans ces cas, il y a suppression complète de l'état civil de l’enfant. Ce qui doit déjà faire réprimer l'acte qui nous occupe.

Il est une autre circonstance encore qu'il ne faut pas oublier, la société ne peut pas se charger des enfants qu'il plaît à des particuliers de lui imposer. Eh bien, le système de mon honorable contradicteur consisterait à dire qu'il est licite de se débarrasser d'un enfant et de le mettre à la charge de la société. Dire que ce n'est pas un délit d'exposer un enfant sur la voie publique, de l'abandonner, c'est déclarer qu il est juste et licite de mettre cet enfant à la charge de la société.

Je n'abandonnerai donc le système du gouvernement que s'il m'était démontré qu’il est licite de supprimer l'état civil d'un enfant, et d'imposer à la société le soin de l’entretenir.

M. Lelièvre, rapporteur. - Je persiste à penser qu'il est impossible de s'écarter du Code pénal en vigueur, en ce qui concerne l'exposition qui doit être accompagnée du délaissement.

Le Code pénal de 1810 est en vigueur depuis un demi-siècle ; jamais on n'a éprouvé la nécessité de le modifier et d'aggraver sa sévérité relativement à l'objet dont nous nous occupons. Eh bien, alors que l'intérêt social n'a pas pendant un temps aussi long réclamé d'autres dispositions, pourquoi devons-nous créer de nouveaux délits ?

Depuis 1810 la société a été suffisamment sauvegardée par les prescriptions existantes, pourquoi renchérir sur leur sévérité, sans nécessité aucune ?

Mais les auteurs qui ont écrit sur le droit criminel n'ont jamais signalé les inconvénients de l'ordre de choses que je veux maintenir.

En France même on n'a pas cru devoir changer la législation.

Ne nous jetons donc pas dans de vaines théories dont l'expérience n'a pas révélé le fondement.

Mais, dit l'honorable M. Pirmez, il y a quelquefois dans le délaissement la suppression de l'état civil de l'enfant ; mais l'honorable membre ne peut ignorer que c'est là un fait prévu par d'autres dispositions et qu'en conséquence si réellement il existait une suppression de l'état civil commise volontairement par l'agent, ce fait tomberait sous l'application d'autres articles du Code pénal.

A mon avis, il y a de justes motifs pour ne pas punir l'exposition lorsqu'elle n'est pas accompagnée de délaissement ; le motif est simple. En ce cas la vie ne court aucun danger, il n'y a pas cessation de soins et par conséquent un fait, compromettant suffisamment l'ordre public pour être atteint par la loi pénale, n'est pas commis ; d’un autre côté lorsqu'il y a simple délaissement sans exposition, il n'existe pas des motifs suffisants pour décréter des pénalités.

Mais savez-vous qu'en punissant le simple délaissement, vous frappez le simple dépôt dans les tours ? Eh bien, je maintiens qu'il est impossible de trancher incidemment une question aussi importante que celle concernant les tours, et à ce point de vue encore, je repousse la disposition du gouvernement.

Du reste, ne perdons pas de vue que le Code pénal de 1810 est plus que sévère ; c'est même pour corriger son excessive sévérité que nous le révisons. N'érigeons donc pas en délits des faits nouveaux sans une utilité bien reconnue, et certes la disposition proposée n'a pas ce caractère.

M. Savart. - Je laisserai les membres de la commission se disputer entre eux sur la portée qu'ils veulent donner à la loi, mais je ne crois pas qu'il puisse y avoir erreur car je lis dans le rapport : « Le seul fait de l'exposition ne peut pas être puni, il doit y avoir en même temps délaissement. » La commission a donc voulu comme le Code de 1810 la réunion des deux circonstances, l'exposition et le délaissement. Quant au fait auquel on veut réduire ces expressions, je ne l'admets pas parce que jamais, suivant moi, on ne pourra considérer l'abandon d'un enfant au tour, comme une exposition d'enfant. L'exposition est tout simplement un dépôt que l'on confie à un établissement public, dépôt dont on peut toujours demander et obtenir la restitution moyennant certaines conditions. Ce n'est donc ni une exposition ni même un délaissement dans toute la force du terme.

Mais que vous adoptiez l'un ou l'autre des deux systèmes, toujours est-il qu'il faudra changer le texte de l’article 413 et ajouter au second paragraphe après les mots : « ceux qui auront donné la mission de l'exposer », ceux-ci : « ou délaisser », car, sans cela, l’action de délaisser ne serait pas punie. Le gouvernement a eu soin, dans son article, de répéter deux fois les mêmes expressions « exposer et délaisser » ; il faut donc les répéter également dans l’article de la commission si l'on veut que ces faits soient punis dans les deux cas prévus.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Savart vient de vous dire, messieurs, que quel que soit le système que vous adoptiez, il faut modifier l'article 413 ; cela pourrait être vrai, si l'on adoptait le système de la commission. Mais le gouvernement ne s'est pas rallié à cette manière de voir et la discussion s'est ouverte sur l'article 413 tel que le gouvernement l'a proposé.

Si la Chambre adopte le système du gouvernement, il n'y a aucune modification à introduire dans l'article, si ce n'est de substituer le mot « mission » au mot « ordre ». Nous croyons que le mot « mission » rend mieux l'idée que le mot « ordre » qui suppose un subordonné. Or, il peut y avoir exposition, il peut y avoir délaissement par l'intervention d'individus qui ne sont pas subordonnés ; sous ce rapport donc, je crois que le mot « mission » convient mieux.

Messieurs, je ne reproduirai pas les arguments qu'a fait valoir l'honorable M. Pirmez et qui me paraissent péremptoires. On ne peut pas soutenir que le délaissement de l'enfant sans l’exposition soit un fait innocent, l'on ne peut prétendre qn'il ne porte pas une atteinte sérieuse à l'ordre public et à l'état de l'enfant. Ce fait doit donc être réprimé. J'en dirait autant de l'exposition sans délaissement.

Quant au dépôt dans un tour, dont a parlé l'honorable M. Savart, tout le monde est d'accord pour admettre que le dépôt dans un tour ne peut être considéré comme uue exposition.

Toute la question se borne donc à celle-ci : Faut-il, pour que la peine soit applicable, qu'il y ait à la fois exposition et délaissement, ou chacun de ces faits pris isolément doit-il entraîner une peine ? Sur ce point, je crois qu'il ne peut y avoir de doute sérieux.

M. de Luesemans. - L'honorable M. Pirmez vous a dit, avec infiniment de raison, selon moi, qu'il fallait punir l’exposition avec ou sans délaissement, par la raison que si, par le délaissement, la vie de l'enfant était plus compromise, cependant la simple exposition a pour résultat de supprimer l'état civil de l'enfant. Mais, messieurs, non seulement on supprime l'état civil de l'enfant, non seulement on réduit celui-ci à l'état d'orphelin, sans père ni mère, mais on en fait un véritable paria dans le monde. Je ne sais si quelqu'un de vous a été témoin des angoisses de ces malheureux quand ils doivent entrer dans la vie civile par la production obligée de leur acte de naissance.

Ainsi pour la milice, ainsi pour l'obtention d'un livret.

Mais c'est surtout lorsqu'ils doivent produire les documents exigés pour le mariage qu'ils se trouvent dans une condition réellement horrible. Trop heureux si, à cause de leur état, ils ne sont pas rejetés en dehors des familles, et quand ils y entrent, c'est dans les conditions les plus pénibles.

(page 812) Je crois donc que le législateur doit rendre l'exposition avec ou sans délaissement aussi rare que possible.

L'honorable M. Savart vous a dit que l'exposition dans un tour n'était pas en réalité un délaissement ; qu'on pouvait reprendre l'enfant exposé dans un tour.

Eh bien, que l'honorable M. Savart le dise. S'il a lu la statistique, combien d'enfants a-t-on repris ? Presque tous ont été complétement abandonnés ; ce n'est que dans de rares exceptions que les enfants ont été repris.

En réalité, ce sont de malheureux abandonnés, pour la presque totalité.

L'honorable M. Lelièvre vous a dit qu'il y avait une certaine inconséquence à punir l'exposition sans délaissement sur la voie publique et à ne pas la punir quand on délaisse un enfant autour. Je le reconnais.

Si les tours devaient continuer à subsister, je n'hésiterais pas à demander que l'on mît sur laa même ligne l'exposition au tour et l'exposition dans un lieu solitaire ou non solitaire, avec ou sans délaissement. Mais comme j'ai eu l'honneur de le dire, les tours tendent à disparaître tous les jours. Ou ne doit donc pas craindre qu'il y ait là de très sérieux, de graves inconvénients.

Je crois donc que, pour ces diverses raisons le système du gouvernement est préférable et que celui de la commission doit être sinon complétement rejeté, au moins singulièrement modifié.

- La Chambre décide que l'article sera renvoyé à la commission.

Articles 414 et 415

« Art. 414 Les délits prévus par le précédent article seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, s'ils ont été commis par des personnes à qui l'enfant a été confié. »

- Adopté.


« Art. 415. Si, par suite du délaissement, l'enfant est demeuré mutilé ou estropié, les coupables seront punis, dans le cas prévu par l'article 413, d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs ; dans le cas de l'article 414, d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de cinquante francs à trois cents francs. »

- Adopté.

Article 416

« Art. 416. Si le délaissement a occasionné la mort de l'enfant, la peine sera, dans le cas de l'article 413, un emprisonnement d'un an à quatre ans et une amende de cinquante francs à trois cents francs ; dans le cas exprimé à l'article 414, un emprisonnement de deux ans à cinq ans et une amende de cent francs à cinq cents francs. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch) propose de mettre trois ans au lieu de quatre ans.

- L'article ainsi modifié est adopté.

Article 417

« Art. 417. Ceux qui auront délaissé en un lieu solitaire un enfant au-dessous de l’âge de sept ans accomplis ; ceux qui auront donné l'ordre de le délaisser ainsi, si cet ordre a été exécuté, seront condamnés à un emprisonnement de six mois a trois ans et à une amende de cinquante francs à trois cents francs. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch) propose de substituer les mots : « la mission », aux mots « l’ordre ».

M. Savart. - Messieurs, la proposition du gouvernement me paraît beaucoup trop sévère et celle de la commission présente une omission grave. D'après l'article du gouvernement, ceux qui ont délaissé dans un lieu solitaire un enfant, ceux qui auront donné l'ordre de le délaisser ainsi, si cet ordre est exécuté, seront punies, etc. Dans l'article de la commission on a effacé les mots : « si cet ordre a été exécuté ».

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est un lapsus.

M. Lelièvre, rapporteur. - C'est une erreur.

M. Savart. - La seule intention constituerait le délit, alors même que des circonstances quelconques auraient empêché l'exécution. Il faut absolument rétablir les mots : « Si cet ordre est exécuté ».

M. Lelièvre, rapporteur. - Il est évident que l'on suppose que l'ordre a été exécuté et que c'est par une erreur d'impression que cette énonciation, qui se trouve dans le projet du gouvernement, n’est pas écrite dans celui de la commission. Le rapport ne laisse aucun doute à cet égard. Je dois du reste ajouter qu'à mon avis les peines proposées par le gouvernement sont extrêmement sévères. M. le ministre aggrave la plupart des peines énoncées au projet de la commission, il m'est impossible de partager cet avis. Je crois devoir me prononcer contre les peines énoncées aux amendements du gouvernement.

- L'article est adopté.

Article 418

« Art. 418 (nouvelle rédaction proposée par le gouvernement). L'emprisonnement sera d'un an à cinq ans et l'amende de cent francs a cinq cents francs, si les coupables du délaissement sont des personnes à qui l'enfant avait été confié. »

- Adopté.

Article 419

« Art. 419 (projet du gouvernement). Si par suite du délaissement prévu par les deux articles précédents, l'enfant est demeuré mutilé ou estropié, les coupables subiront la réclusion.

« Si la mort s'en est suivie, ils seront, condamnés aux travaux forcés de quinze à vingt ans. »

« Art. 419 (projet de la commission). Si par suite du délaissement prévu par les articles précédents, l'enfant est demeuré mutilé ou estropié, les coupables subiront un emprisonnement de deux ans à cinq ans.

« Si la mort s'en est suivie, ils seront condamnés aux travaux forcés de dix à quinze ans. »

Le gouvernement a proposé la modification suivante : « § 1er. Au lieu de : un emprisonnement de deux à cinq ans, dire : la réclusion.

M. Lelièvre, rapporteur. - Je fais observer que notre disposition aggrave la disposition du Code pénal en vigueur. En effet, d'après le code de 1810, si l'enfant est demeuré mutilé ou estropié, l'on n'appliquait que la peine prononcée contre les blessures volontaires. L'agent pouvait donc n'être condamné, en certain cas, qu'à un emprisonnement d'un mois à deux ans. Aujourd'hui, dans tous les cas on applique une peine criminelle.

C'est encore là un excès de sévérité qu'il m'est impossible d'admettre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, on ne saurait contester que le fait dont il s'agit est bien plus grave que celui qui consiste à porter des coups ou à faire des blessures dans des circonstances ordinaires. Ce fait est toujours prémédité et exercé contre un être qui ne peut se défendre. C'est donc dans cette catégorie de faits un des délits les plus graves qui puissent être commis.

Il y a donc lieu de comminer une peine plus sévère que celle qui est portée contre des coups et blessures qui, alors même qu'ils auraient la même gravité, n'auraient dans aucun cas fe même caractère.

M. Pirmez. - Messieurs, je dois faire observer que l'article, dans son ensemble, est bien loin d'aggraver la disposition du Code pénal actuel. D'après le Code, si l'enfant est mort, la peine est celle du meurtre tandis que le projet commine seulement les travaux forcés à temps. Il y aurait évidemment une trop grande distance entre les peines des deux paragraphes de l'article, si vous admettiez un simple emprisonnement, lorsque l'enfant n'est pas mort et quelque grave que soit la mutilation qu'il a subie et la peine capitale, lorsque l'enfant n'a pas survécu au crime.

Le nouveau projet rapproche les deux peines ; il prononce la réclusion lorsque l'enfant est mutilé et les travaux forcés lorsqu'il est mort. En somme la législation actuelle est adoucie.

M. Lelièvre, rapporteur. - Je sais parfaitement que, dans le cas où le délaissement a eu pour résultat la mort de l'enfant, la peine prononcée par notre article est moins sévère que sous le Code pénal eu vigueur. Mais il est aussi certain que dans le cas où l'enfant est demeuré mutilé ou estropié, il y a aggravation de sévérité, puisque, d'après le projet, la peine de la réclusion sera toujours prononcée. Eh bien, il m'est impossible d'admettre une disposition qui aggrave la sévérité de nos lois existantes. C'est, à mon avis, dépasser complétement le but qu'on se propose.

Il existe une autre considération qui ne me permet pas d’admettre la doctrine du projet, c'est que, tandis que le résultat n'est pas imputable à la volonté directe et positive de l'agent, on transforme en crime un fait qui ne constitue qu'un simple délit. Or, c'est là un système contre lequel s'élèvent tous les auteurs qui ont écrit sur le droit criminel.

Jamais un délit ne peut dégénérer en crime, à raison d'un événement qui n'est pas entré dans l'intention directe du coupable.

Sous ce rapport encore, je ne peux donner mon assentiment à la disposition.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je crois que ni l'une ni l'autre des deux observations que vient de présenter l'honorable M. Lelièvre, n'est fondée. L'honorable M. Lelièvre dit que dans le cas du premier paragraphe de l’article 419, nous aggravons le Code pénal actuel.

Messieurs, cela n'est pas exact. Que fait ce Code ? Il déclare que les lésions dont l'enfant pourrait être atteint seront punies comme blessures volontaires.

Maintenant, messieurs, de quelle peine, sous l'empire du Code pénal actuel, les blessures volontaires étaient-elles punis ?

Lorsqu'elles avaient entraîné une incapacité de travail de plus de vingt jours, elles étaient punies de la réclusion. Or, quelles sont les lésions qui d'après l'article 419 entraînent la réclusion ? Mais ce sont des lésions par suite desquelles l'enfant est mutilé ou estropié. Or, messieurs, en règle générale, des lésions de cette nature entraînent une incapacité de travail de 20 jours et seraient punies sous le Code pénal actuel de la même peine que celle que nous vous proposons.

Oui, en cas de préméditation, les travaux forcés ; mais les coups et blessures sans préméditation qui occasionnaient une incapacité de travail de plus de vingt jours, donnaient lieu à la peine de la réclusion.

Une autre observation faite par l'honorable M. Lelièvre n'est pas plus juste. L'honorable membre dit : « C'est un résultat qu'on n'a pas prévu. » Mais c'est précisément là la question. Il est bien certain que lorsqu'on délaisse son enfant, on doit prévoir et on prévoit qu'il est exposé à tous (page 813) les dangers, à tous les accidents, la mort y comprise ; et c'est précisément pour ce motif que la peine ne saurait être trop sévère.

M. Lelièvre, rapporteur. - D'après le Code pénal de 1810, la peine de la réclusion n'était prononcée que dans le cas où il y avait eu une incapacité de travail personnel pendant plus de 20 jours.

Or, la mutilation énoncée en notre article peut exister sans qu'il y eût une incapacité pendant cet intervalle de temps.

C'est donc avec vérité que j'ai soutenu que notre article est plus rigoureux que le Code de 1810. Il est incontestable que dans le cas dont nous nous occupons il peut n'être prononcé, sous le régime en vigueur, qu'un emprisonnement d'un mois à deux ans.

Aujourd'hui la peine de la réclusion, peine criminelle, est prononcée sans réserve.

Je le répète, je repousse la disposition par cela seul qu'elle est plus rigoureuse que la législation existante qui a suffi jusqu'à ce jour en pareille matière. L'aggravation n'est justifiée par aucun motif plausible, et je ne puis assez me prononcer contre un système d'aggravation qui, s'il continuait de se produire, anéantirait tout le bienfait de la révision de nos lois pénales.

La disposition renferme un autre vice que l'on a souvent reproché au Code pénal de 1810. Le fait ayant produit certains résultats, sans l'intention directe de l'agent, change de nature et devient crime. Or, c'est là une théorie que je repousse avec tous les auteurs qui ont écrit sur la législation pénale et ont signalé les défectuosités du Code pénal de 1810.

M. Pirmez. - Messieurs, la peine qui est comminée par l'article 419 est parfaitement un rapport avec la gravité du délit. Est-il un fait plus odieux, plus lâche que celui de conduire dans un lieu solitaire dans une forêt par exemple, un enfant âgé de moins de sept ans, et puis de l'abandonner ? Je demande si ce fait ne doit pas jeter l’indignation dans tout cœur honnête. Lorsque des blessures sont infligées à un homme fait, cet homme peut se défendre ; il y a là au moins encore une garantie : c'est la crainte pour l'agresseur des moyens de résistance de celui qui en est victime, de la réaction de la défense contre l'attaque ; mais quand il s'agit d'un enfant, l'absence de danger augmente la criminalité du fait et le rendrait plus révoltant.

La législation doit assurer par une sévérité nouvelle la protection à celui qui n'en a pas.

- L'article 419, proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Chapitre III. Des crimes et des délits tendant à empêcher ou à détruire la preuve de l’état civil de l’enfant
Article 420

« Art. 420 (projet du gouvernement). Toute personne qui ayant assisté à un accouchement, n'aura pas fait la déclaration à elle prescrite par les articles 53, 56 et 57 du Code civil, sera punie d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs. »

« Art. 20 (projet de la commission). Toute personne qui, ayant assisté à un accouchement, n'aura pas fait la déclaration à elle prescrite par les articles 55, 56 et 57 du Code ci\il, sera punie d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, sans préjudice, toutefois, de ce qui sera dit en l'article 539, en ce qui concerne les médecins, chirurgiens, officiers de santé et sages-femmes. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch) propose l'amendement suivant :

« Projet du gouvernement. - Dire « ... sera punie d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à mille francs ou de l'une des deux peines seulement. »

M. Orts propose le paragraphe additionnel ci-après ;

« La déclaration faite par un autre que le père sera considérée comme régulière, quoiqu’elle ne contienne pas le nom de la mère si elle est accouchée hors de son domicile et a imposé le secret aux témoins. »

M. Lelièvre, rapporteur. - Je déclare, au nom de la commission, me rallier à la proposition du gouvernement, parce qu'elle tend à diminuer la peine prononcée par notre article et que la réduction des peines doit être l'objet de la réforme des lois pénales.

Quant à l'amendement de l'honorable M Orts, il présente une question assez délicate qui doit être soumise à l'examen de la commission.

Je pense même qu'il est inutile de continuer une discussion qui ne doit pas aboutir pour le moment. Dans l'intérêt des travaux de la Chambre, il est préférable de prononcer immédiatement le renvoi à la commission.

Celle-ci examinera avec une attention particulière la question grave qui fait l'objet de l'amendement de l'honorable M. Orts et un rapport spécial sera fait à la Chambre.

- La parole est à M. Orts pour développer son amendement.

M. Orts. - Messieurs, je demanderai d'abord à la Chambre de vouloir m'écouter avec quelque indulgence. Je suis arrivé ce matin de voyage, et je ne m'attendais nullement à voir surgir aujourd'hui la discussion de la grave question que mon amendement soulève.

Quoique grave, la question est extrêmement simple, elle a été partiellement traitée au sein de la commission qui avait proposé un paragraphe additionnel auquel le gouvernement ne s'est pas rallié, paragraphe motivée sur les mêmes considérations que celles qui expliquent mon amendement. Il avait pour but de donner satisfaction à l'idée qui sert de base au moins pour moitié, c'est-à-dire en ce qui concerne les médecins, sages femmes, etc., qui ont assisté à quelque accouchement, et en laissant en dehors les autres personnes qui peuvent être témoins de l'événement et auxquelles le Code civil impose l'obligation subsidiaire de faire une déclaration de naissance à l'état civil.

Le Code civil, dans ses articles 55 et 56 impose l'obligation, au père d'abord, au médecin, à l'homme de l'art, à la sage-femme ensuite, et, à leur défaut, aux autres témoins de l'accouchement, voire même à la personne chez qui la mère accouche de faire une déclaration de naissance à l'état civil. Le Code ajoute, dans l'article 57, que l'acte de naissance, pour être couplet, doit contenir le nom de la personne accouchée.

Il s'est présenté de nombreuses difficultés dans l'application pour savoir quelle était, en certains cas, l'obligation des personnes qui avaient assisté à l'accouchement, autres que le père. Pour celui-là il n'y a pas de difficulté ; le père légitime et la loi n'en reconnaît pas d'autre ; malgré lui, le père doit déclarer la naissance de son enfant ; il doit, lorsqu'il est témoin de l'accouchement, bien entendu, il doit faire sa déclaration de la manière la plus complète. Rien ne saurait ici excuser une réticence.

Mais lorsqu'une femme, dans des circonstances autres que des circonstances légitimes, accouche hors de son domicile, est allée se cacher, pour mettre son enfant au jour, parce qu'elle avait probablement une faute à dissimuler, l'honneur de toute une famille peut-être à sauvegarder ; lorsque cette femme a pris cet précaution, dans l'intérêt de la tranquillité d'une famille, peut-on, la loi pénale à la main, rendre ces précautions illusoires, en imposant aux personnes, témoins de l'accouchement, au médecin, à l'homme de l'art, à la sage-femme, aux personnes dans le domicile desquelles l'accouchement a lieu, l'obligation de faire connaître le nom de cette mère qui se cache ? Voilà la question que mon amendement réveille.

Quant aux médecins, un autre article du Code pénal leur impose l'obligation du secret sur toute espèce de faits qui ne leur ont été révélés que dans l'exercice de leur profession.

Cette exception, la commission l'avait admise au cas spécial en proposant un paragraphe additionnel au projet du gouvernement ; le gouvernement ne s'est pas rallié à cet amendement. Donc et d'après la disposition du projet de loi, lorsqu'un médecin aura donné des soins à une femme, au moment de son accouchement, a une femme qui se cache, qui veut, autant que possible, dissimuler sa faute, préserver un honneur qui n'est pas seulement le sien, mais celui du mari qu'elle a trompé, d'enfants légitimes, de vieux et honorables parents, d'après la disposition du projet de loi, ce médecin sera obligé de déchirer le voile, de flétrir tant d'innocents ! et pourquoi ? Dans l'intérêt de l'état civil d'un enfant adultérin le plus souvent, c'est-à-dire d'un enfant auquel la loi refuse un état civil quelconque ?

On est allé plus loin ; et c'est jusque-là que j'entends aller à mon tour. On a soutenu que des raisons d'ordre public du plus haut intérêt voulaient que le secret, s'il était imposé par la mère, fût respecté par tout le monde, médecin ou non, dans l'acte de l'état civil ; que ce secret pesât également sur les personnes présentes à l'accouchement, si la mère l'exigeait.

Les raisons morales que la commission donne à l'appui de son amendement ont la même force, le même caractère d'utilité générale pour toutes les personnes témoins de l'accouchement clandestin, que pour le médecin ou la sage-femme.

Dans une loi pénale s'occupant de la matière délicate que nous traitons, ce qu'il faut surtout rechercher, c'est prévenir plutôt que réprimer. Il ne faut pas punir de minces infractions à l'ordre public, en courant le danger de provoquer par cette peine à des délits plus graves.

Si vous rendez pour la mère coupable l'accouchement clandestin impossible, et c'est ce que vous faites dans la loi, lorsque vous voulez punir sans distinction la non-révélation de la mère à l'état civil, vous poussez directement à l'infanticide et à l'avortement.

Non seulement par votre peine imprudente en créant le délit impitoyable que vous faites, vous poussez au crime, mais vous frappez d'autres que les coupables.

Vous rendez publique une faute dont la honte, - ainsi le veulent les préjugés du monde avec lesquels tout législateur doit compter, - ne retombe pas seulement sur les coupables. Vous marquez d’infamie, de ridicule toute une famille honnête dont un seul membre a failli ; vous souillez le nom d'un mari, d'enfants innocents en révélant la faute de sa femme, de la mère coupable. Et vous ne laissez à celle-ci d’autre moyen de cacher sa faute que l'avortement et l'infanticide, c'est-à-dire des crimes bien autrement graves.

Messieurs, sur un sujet aussi épineux, j'hésiterais, si j'étais isolé, à improviser un texte.

(page 814) Mais la cour de cassation de France a donné satisfaction à ces appréhensions, son autorité est mon appui, les articles 54 et 55 du Code civil et les articles corrélatifs du Code pénal qui leur servent de sanction, ont reçu une interprétation dont je réclame l’insertion dans nos lois ; on a exempté les personnes témoins d'un accouchement clandestin, non pas de faire connaître l'accouchement, mais de faire connaître le nom de la mère quand le secret a été imposé et que l'accouchement se fait en dehors du domicile légal de la personne accouchée.

Je demande par mon amendement, que je crois moral, que cette disposition de la loi ancienne, telle qu'on l'applique en France, soit maintenue dans la loi nouvelle. Ne poussons pas, en vue de réprimer de petits troubles sociaux, ne poussons pas ceux qui seraient disposés à les commettre à se rendre coupables d'infractions plus criminelles et plus dangereuses.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande l'impression de l'amendement et le renvoi de la discussion à demain. D'ici là je l'examinerai, et peut-être demain demanderai-je le renvoi à la commission.

M. Orts. - Il est inutile de s'occuper davantage de la question maintenant si on renvoie la discussion à demain ; je me rallie à la proposition de M. le ministre, je n'étais pas préparé, je n'ai pas donné la moitié des bonnes raisons que je pourrai donner demain.

M. Tack. - Il est plus naturel de renvoyer la discussion à demain ; il est convenable d'entendre les explications de ceux qui sont partisans d'un système contraire ; si on ne parvient pas à s'entendre, on pourra alors ordonner le renvoi à la commission.

M. Allard. - Je demande que la discussion soit continuée à demain. Ces discussions au sein de la commission, nous ne les connaissons pas ; j'aime à entendre le pour et le contre ; nous pouvons bien avoir des discussions publiques, c'est le moyen de voter en connaissance de cause.

M. Coomans. - Je n'admets pas, avec l'honorable préopinant, que dès que la Chambre a renvoyé un amendement à la commission, tout débat doit cesser ; la commission pourra s'éclairer des observations faites dans la Chambre ; nous n'avons pas, je le reconnais, la compétence des membres de la commission, mais je ne vois pas pourquoi il ne nous serait pas permis de lui soumettre nos observations. Je n'en ferai qu'une qui prouvera qu'elles peuvent avoir de l'importance.

L'honorable M. Orts ne se préoccupe que de la mère ; mais l’enfant n'a-t-il pas le droit de connaître sa mère ?

Il y a quelque chose de généreux dans la sollicitude que l'honorable membre montre pour les femmes adultères ; il faut en avoir aussi pour d'innocents enfants qui peuvent avoir intérêt à connaître leur mère, car ces accouchements clandestins ne seront pas toujours de femmes adultères ; il y aura bien, ça et là, des filles ; je pense même que ce sera le plus grand nombre ; il serait juste de donner à l'enfant l'exercice d'un droit naturel et civil qui est celui de connaître sa mère.

Je suis pour le moment disposé à voter dans le sens du gouvernement, mais j'appelle toute l'attention de la commission sur ce que je viens d'avoir l'honneur de dire, car si on ne me donne pas d'autres raisons que celles qui ont été produites, je ne pourrai pas voter l'amendement.

M. Orts. - Je comprendrais la sollicitude de l'honorable M. Coomans pour l'enfant, si h déclaration pouvait servir à quelque chose ; mais cette déclaration faite par toute autre personne que la mère est un chiffon de papier qui n'a aucune espèce de valeur. Il est impossible de rechercher la mère ; si on parvenait à la découvrir et qu'on constatât que l'enfant est adultérin, cela ne lui constituerait aucun droit, et s'il était simplement enfant naturel il faudrait, pour qu'il en tirât profit, que la mère fît elle-même la déclaration à l'état civil, ce qui est impossible.

- La Chambre consultée renvoie la discussion à demain.

Projet de loi supprimant les droits de sortie sur les charbons de bois et les écorces à tan

Dépôt

Projet de loi ouvrant un crédit extraordinaire au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour but de supprimer les droits de sortie sur les charbons de bois et les écorces à tan ; et un projet de loi ouvrant au département de la guerre un crédit extraordinaire de 5 millions pour la continuation des travaux nécessaires pour le matériel de l'artillerie et du génie.

Depuis longtemps la Chambre a voté des crédits de même nature.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation des projets de loi qu'il vient de déposer.

Les projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre VII)

Discussion des articles

Titre VII. Des crimes et des délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique

M. le président. - M. Pirmez vient de faire parvenir l'amendement suivant :

« La femme ne pourra être poursuivie que sur la plainte du mari, le mari que sur la plainte de la femme.

« Aucune peine ne sera prononcée lorsque le conjoint du prévenu aura été condamné du chef d'adultère pour un fait antérieur à celui qui donne lieu aux poursuites.

« Toutefois, cette exemption de peines ne pourra résulter d'une condamnation antérieure au fait qui donne lieu aux poursuites, ni de faits antérieurement couverts par la réconciliation ou la prescription. »

Cet amendement pourrait être imprimé, sauf à son auteur à le développer en temps et lieu.

- Adopté.

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Une proposition de loi vient d'être déposée sur le bureau ; je vous propose de la renvoyer aux sections, pour qu'elles examinent si la lecture peut en être ordonnée.

- Adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.