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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 2 juin 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1439) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, sociétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des docteurs en médecine et pharmaciens à Tournai demandent que le projet de loi sur l'art de guérir consacre le principe électif dans la nomination des conseils médicaux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants d'une commune non dénommée présentent des observations sur le projet de loi relatif aux octrois. »

« Mêmes observations d'habitants de Pamel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les secrétaires communaux de l'arrondissement de Thielt-Roulers demandent que leur position soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l’instruction, plusieurs demandes en naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Van Volxemµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant demande d'un crédit de 275 mille fr. pour l'acquisition d'un immeuble situé rue Ducale.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. de Naeyer.

M. de Naeyer. - Messieurs, je regrette de n'avoir pas pu terminer hier les observations que je me proposais de présenter à la Chambre. Afin d'abréger autant que possible, j'ai mis en grande partie par écrit ce qu'il me reste à dire.

Messieurs, dans la séance d'hier, je me suis attaché à faire ressortir, au point de vue des principes généraux, les vices nombreux, suivant moi, du système financier proposé par le gouvernement pour remplacer les octrois. Les conséquences funestes de ce système se résument comme suit :

1° Pour la plus grande partie du pays, aggravation considérable des impôts de consommation qui ont le grave inconvénient de frapper en aveugle sans tenir compte de la position du contribuable, sans distinguer entre le riche et le pauvre.

2° Centralisation anomale de l'impôt, contraire tout à la fois à l'esprit lie nos institutions et aux vrais intérêts des contribuables.

3° Substitution complète de l'impôt général aux impôts locaux connus sous le nom d'octrois, alors cependant qu'il s'agit uniquement de dépenses d'utilité locale.

4° Pour les communes à octroi surtout, affranchissement de créer les voies et moyens nécessaires pour couvrir une grande parti de leurs dépenses. Or, cet affranchissement c'est une excitation réelle, quoique indirecte, à la prodigalité, que l'honorable M. Charles de Brouckere, que j'ai eu l'honneur de vous citer hier, appelle criminelle quand elle a lieu avec les deniers des contribuables.

5° Suppression, au moins en germe et en partie en réalité, de la véritable autonomie communale, pour une foule de localités.

Voilà les griefs généraux. J'ai eu l'honneur de dire que je fais pour le moment mes réserves quant à la répartition du fonds commun et quant au régime transitoire, qualification excellente si l'on avait voulu trouver un moyen de dorer la pilule.

Je crois avoir démontré que, s'il appartient incontestablement au pouvoir législatif d'abolir les octrois, l'obligation de créer de nouveaux impôts en remplacement de ceux dont les communes à octroi vont être libérées, rentre avant tout dans les attributions des administrations communales, et que le gouvernement nous entraîne dans une voie déplorable en voulant que nous fassions tout, et que nous nous chargions de remplacer les octrois sans le concours réel des villes, et cela contrairement à l'opinion qui a été si bien exposée par l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom au nom de la section centrale chargée, il y a peu de temps d'examiner les propositions des honorables MM. Coomans et Jacques.

J'ai démontré en outre qu'il est impossible de soutenir sérieusement que les villes à octroi sont impuissantes pour demander de nouvelles ressources à l'impôt direct, afin de remplacer leurs ressources actuelles provenant de l'impôt de consommation, alors surtout que les charges des contribuables, principalement dans les grandes villes, vont être diminuées dans de fortes proportions, par suite même de la suppression des octrois.

Mais, dira-t-on, il faut prévoir aussi les besoins de l'avenir, il faut tenir quelque chose en réserve pour y faire face. Je comprends ; il est bon de garder une pomme pour la soif, seulement je n'approuve pas le procédé qui consisterait à s'emparer des pommes d'autrui par un système d'escompte habilement combiné au profit des villes. Sans doute, les besoins des villes pourront aller en augmentant, mais les ressources que l'impôt peut leur procurer suivront une progression parallèle. Dans cette hypothèse, la population accroîtra, la prospérité se développera, le nombre des contribuables deviendra plus considérable, enfin les bases imposables prendront de l'extension et dès lors l'unité de l'impôt restant encore fixée au même taux, les communes verront grossir leurs revenus.

C'est ainsi que nous avons pu constater dans les revenus de l'Etat un accroissement considérable de produits, indépendamment de toute modification apportée aux lois d'impôt. Il n'y a donc aucune raison sérieuse pour affranchir les communes à octroi, de l'obligation que nos lois leur imposent

Cependant, tenant compte de toutes les circonstances et désirant vivement arriver à un résultat positif, j'ai dit que je suis disposé à adopter un système transactionnel, système qui doit nécessairement se composer de concessions réciproques, sans quoi il perdrait tout caractère de transaction. Ce système consisterait à introduire en partie dans les campagnes l'impôt de consommation, comme moyen de couvrir les dépenses locales, et par contre à laisser aux villes l'obligation de faire ce qui se pratique dans les communes rurales, c'est-à-dire de leur laisser l'obligation de demander à l'impôt direct au moins une partie des ressources nécessaires pour remplacer les octrois.

Dans cet état de choses, j'ai constaté que, les octrois étant abolis, les impôts de consommation ne peuvent être établis en réalité au profit des communes que sous la forme d'impôts généraux, centralisés entre les mains de l'Etat et qu'ainsi la constitution d'un fonds commun devient une nécessité. C'est, suivant moi, un mal, mais un mal nécessaire à raison des circonstances dont il faut évidemment tenir compte dans l'application des principes d'économie politique, de même que le mécanicien doit tenir compte du frottement du milieu.

Il en résulte que le fonds commun doit être renfermé dans les limites de ce qui est absolument nécessaire, et je suis ainsi amené à présenter quelques observations sur les principes qui doivent présider à sa formation.

1° Il faut qu'il s'harmonise avec les besoins communs de toutes les communes en général, sans qu'il soit possible de l'élever au niveau des besoins particuliers de chacune de ces communes.

2° Il faut qu'il reste complètement séparé des ressources générales de l'Etat, quant à son origine et quant à sa destination.

Quant à la première condition, elle résulte nécessairement de l'énorme différence qui existe, sous le rapport de la situation financière, entre toutes les communes du pays. En effet, il suffit de parcourir les documents distribués par le gouvernement pour demeurer convaincu que cette différence présente assez d'analogie avec celle qui existe entre les fortunes des citoyens. En accordant des sommes suffisantes aux communes qui ont le plus de besoins, vous excéderiez évidemment, dans les conditions d'un partage juste et équitable, les besoins d'une foule d'autres communes, ainsi que cela a été démontré hier et reconnu par l'honorable ministre des finances, vous supprimeriez de fait l'autonomie communale, il n'y aurait plus de commune que pour dépenser et pour dépenser avec les produits de l'impôt général.

(page 1440) Sous ce rapport, je serai forcé de combattre les amendements présentés par quelques honorables amis qui voudraient qu'on supprimât à la fois les octrois et les cotisations personnelles.

Je dis que cette suppression des cotisations personnelles est une impossibilité ou une monstrueuse injustice. C'est une impossibilité, si vous voulez faire la répartition du fonds sur des bases justes, équitables pour tout le monde ; c'est une nouvelle iniquité si l'on opère la suppression des cotisations d'après le système adopté pour les octrois, c'est-à-dire en agissant par voie de préciput soi-disant transitoire, au profit des communes à cotisations comme le gouvernement propose de le faire au profit des villes à octroi.

Si vous voulez arriver à la suppression des cotisations personnelles au moyen d'un système de répartition juste, équitable, il faudra ajouter au fonds commun une somme énorme, probablement pas moins de 9 millions. En effet il est à remarquer, d'après le spécimen dressé par le gouvernement, que dans la répartition de trois millions, une foule de communes ne recevront que le quart de leur cotisation personnelle, il en est plusieurs qui n'obtiennent pas le quart, il faudrait donc un fonds quadruple, par conséquent une augmentation de 9 millions.

Je me demande : Où le gouvernement va-t-il prendre ces 9 millions ? Ce serait facile si M. le ministre des finances avait à sa disposition la bourse de Fortunatus, qui était alimentée par une espèce de pouvoir magique. Malheureusement il n'en est pas ainsi : il ne faut pas se faire illusion, le gouvernement est pauvre en ce sens qu'il doit tout demander à l'impôt.

En définitive, c'est toujours le pays qui paye, et il faut bien se convaincre qu'il ne paye jamais plus cher qu'entre les mains du gouvernement, parce que l'argent versé dans les caisses de l'Etat, avant d'arriver à sa véritable destination, doit subir le frottement de rouages très corrosifs qui en enlèvent chacun quelques parcelles.

Ne perdons pas de vue que l'impôt est la plus terrible des mainmortes. Non seulement il enlève des capitaux à l'activée privée, mais il les enlève par la contrainte et par la force.

Je dis, en second lieu, que ce fonds commun doit rester complètement séparé des ressources de l'Etat. Il faut qu'il soit exclusivement alimenté par les impôts créés exclusivement en vue de faire face aux dépenses communales. Ce sont, à proprement parler, en réalité des impôts communaux, et ils ne sont généraux que pour la forme. Le gouvernement, ici, n'est qu'une espèce de receveur général des communes. Il n'est que l'intermédiaire entre la caisse communale et le contribuable.

Sous ce rapport, le système proposé par le gouvernement me paraît essentiellement vicieux. Je n'y vois qu'une espèce d'amalgame monstrueux, un véritable encastrement des finances de l'Etat dans les finances des communes. Le gouvernement donne d'une main pour retirer de l'autre. Il abandonne ou a l'air d'abandonner les produits de la poste, les produits du droit sur le café ; eh bien, il les reprend sur les genièvres et sur les bières. Car l'augmentation qu'il propose sur le genièvre formera 38 p.c. de nouveaux produits et il n'abandonne que 34 p. c. L'augmentation qu'il propose pour la bière formera 48 p.c. de nouveaux produits, et encore une fois il n'abandonne que 34 p. c.

Ii faut qu'il n'y ait absolument rien de commun entre les ressources communales et les ressources de l'Etat.

Il faut conserver au fonds communal sa spécialité d'origine, sa spécialité de formation et sa spécialité de destination. Il faut que le gouvernement reste maître de ses ressources à lui. S'il veut donner ensuite des subsides, qu'il les donne sur l'ensemble de ses ressources. Au fond, c'est la même chose ; le sacrifice est le même, et la forme ici est de nature à induire en erreur et à favoriser cette déplorable confusion que je dois combattre.

Pourquoi enchevêtrer ainsi les finances de l'Etat avec les ressources destinées aux communes ? Il ne peut en résulter qu'une chose : c'est de nous lier les mains quand il s'agit de remplir cette obligation que la Constitution nous impose depuis si longtemps, l'obligation de réformer enfin d'une manière vraie, réelle, complète, notre système financier.

Mais on me dira ici : Vous vous faites gloire d'être campagnard ; vous avez la prétention de défendre les campagnards, et voilà que vous vous opposez à ce qu'on abandonne au fonds commun des ressources qui sent fournies surtout par les villes.

Messieurs, ce sont là des subtilités, et je le comprends trop pour y attacher une valeur réelle. Ce sont des jeux de mots, et je vais vous le prouver.

D'abord, je n'admets en aucune façon que le droit sur le café soit fourni surtout par les villes. Il est à ma connaissance et à la connaissance, je pense, de tous les membres de cette Chambre, qu'on boit énormément de café à la campagne. Je dirai même qu'on en boit trop en ce sens que j'aimerais que le café fût remplacé dans de plus fortes proportions par la bière. Je crois que les forces de nos classes ouvrières n'auraient rien à y perdre.

Pour les postes on a déjà présenté des observations qui détruisent complètement cette allégation de M. le ministre des finances. Il faut être excessivement naïf pour croire que c'est toujours celui qui paye, qui supporte les charges, et en définitive votre argument revient à cela. Mais admettons que ce produit soit fourni par les villes, qu'est-ce que cela y fait ? Vous pourrez tout aussi bien abandonner à votre fonds commun une partie de l'impôt fourni qui est payé par les campagnes. La situation financière du gouvernement serait absolument la même. C'est donc ici une forme, si vous le voulez, séduisante, adroite ; mais ce n'est que cela. Mais au lieu d'abandonner le produit des postes, abandonnez une partie de l'impôt foncier, vous n'en serez ni plus riche ni plus pauvre ; le fonds communal n'en sera ni plus riche ni plus pauvre.

Il y a cependant une petite différence quant à la poste, c'est que je vois là une manière très adroite de se débarrasser de la question de la réforme postale qui paraissait gêner un peu. Je crois que c'est une manière très habile de désarçonner les grands promoteurs de la réforme postale. Je m'imagine que lors de la présentation du projet de loi, ces messieurs ont dû éprouver les émotions d'une surprise, non d'une surprise agréable, mais d'une surprise.

Messieurs, croyez-vous que, dans l'état actuel des choses, les communes rurales ne contribuent pas suffisamment, dans de justes proportions, dans des proportions équitables, aux charges générales de l'Etat. Le croyez-vous, alors surtout que vous devez tenir compte de cette circonstance : c'est que ce sont elles qui supportent en grande partie l'impôt le plus terrible, l'impôt du sang.

Eh bien, si vous croyez que leur part n'est pas assez forte, dites-le franchement. Proposez une disposition quelconque pour modifier cet état de choses, on la discutera. Mais n'y allez pas par des voies détournées. Or, c'est ce que vous faites.

Il y a aujourd'hui équilibre, au moins nous avons le droit de le prétendre aussi longtemps que vous n'avez pas le courage de proposer une modification. Si vous abandonnez une partie des ressources fournies par les villes comme leur part contributive aux charges générales, vous rompez l'équilibre. Les villes ne concourent plus dans une proportion assez forte aux charges de l'Etat. Et voilà toute la valeur de votre système quant au prétendu abandon des ressources fournies par les villes.

Messieurs, je viens d'exposer les griefs que je crois devoir faire valoir consciencieusement contre le système du gouvernement et qui, à mon grand regret, m'empêchent de donner mon adhésion aux propositions qui vous sont faites. Mais pour faire voir que je veux arriver à un résultat, je ne me borne pas à ces critiques. Je vous ai dit que je voulais la formation d'un fonds commun ; je vous ai dit d'après quels principes je le voulais. Je vais vous dire maintenant comment je veux le former et comment, par conséquent, je veux arriver à la suppression des octrois.

D'abord, j'admets ce que le gouvernement propose quant aux vins et quant aux eaux-de-vie étrangères.

J'admets également, parce qu'enfin, quand il s'agit de détruire un grand mal, il ne faut pas reculer devant des remèdes même énergiques, j’admets l'augmentation proposée par le gouvernement sur les eaux-de-vie indigènes, sur le genièvre.

Cependant, je fais une réserve. J'espère qu'on ne continuera p.is à combattre 'es propositions du gouvernement, en ce qui concerne les distilleries agricoles.

Je crois qu'il serait déplorable de vouloir donner le coup de mort à ces distilleries qui en réalité, ne font de mal à personne et qui font beaucoup de bien à l'agriculture.

J'espère ensuite que le gouvernement pourra modifier la législation sur les distilleries, de manière à faire droit enfin aux réclamations parfaitement justes et raisonnables, émanées des distillateurs qui font usage du système Champonnois et qu'il favorisera aussi, autant que possible, la distillation des mélasses.

Je crois qu'il s'agit ici de vivifier, en quelque sorte, des valeurs qui restent perdues pour le pays si on ne prend pas des mesures.

Messieurs, quant aux bières, il m'est absolument impossible de voter l'augmentation proposée, mais je serai disposé à élever le droit à 3 fr. par hectolitre de cette matière.

En effet, la bière est la boisson de l'ouvrier, la boisson populaire par excellence ; c'est le breuvage nutritif indispensable pour raviver les forces de l'ouvrier usé par le travail. Ce n'est pas avec le café, quelque éloge qu'on en fasse, qu'on y parviendra. La bière n'a pas besoin d'être chauffée pour donner à celui qui la prend, une chaleur bienfaisante, tandis que le café, qu'on préconise comme une boisson chaude, ne l'est, après tout, qu'après avoir été chauffé ; et sous le rapport des forces toniques, soyez certain que la bière vaut infiniment mieux que le café.

Il y a une chose qui me révolte : c'est justement sur cette boisson du peuple et de l'ouvrier qu'on impose la plus forte augmentation. Vous dites que nous sommes liés pour les vins par les traités ; soit ; mais par cela même que vous êtes liés pour les vins, vous avez à vous imposer des limites, des réserves, quant aux bières.

J'ajouterai cette considération : c'est qu'il n'est pas exact de dire qu'en réduisant le droit à 3 fr., il y aura un produit moindre de 3 millions et demi, parce qu'en doublant le droit, vous auriez une diminution dans la consommation, résultat que vous n'avez pas à craindre avec l'augmentation de droit que je propose, car si j'augmente le droit dans les communes rurales, je le diminue même considérablement dans la plupart des villes à octroi. Quant aux sucres, je vous avoue franchement que je ne vois pas encore très clair dans cette question. Les sucres, de leur naturel, sont très doux ; mais il paraît qu'ils ont l'air de s'irriter, parce qu'on ne leur accorde pas les honneurs d'une (page 1441) discussion spéciale. Ne les faisons pas entrer en fermentation pour si peu de chose, car évidemment la fermentation changerait leur caractère et leur nature. Je voudrais qu'on les laissât de côté pour le moment. Je ne dis pas qu'il n'y a rien à leur demander, que leurs prétentions sont tout à fait justes ; mais, je le répète, je ne vois pas très clair dans la question, en ce sens que je ne sais pas si l'écart qui existe aujourd'hui est un privilège, ou une simple compensation justifiée par une moins-value réelle.

Voilà pour moi la grande difficulté. C'est devant elle que je m'arrête et je crois qu'il varierait mieux d'en faire l'objet d'une discussion spéciale.

Remarquez que dans le système que je propose il n'a pas d'inconvénients à cet ajournement, parce que ces ressources doivent rester au trésor qui accorderait des subsides sur l'ensemble de ses ressources en adoptant les propositions que je viens d'indiquer. Voici le résultat en chiffres :

D'après les recettes des deux dernières années, de l'année 1858 et de l'année 1859, la moyenne pour les vins a été de 3,435,847 fr. ; pour les eaux-de-vie étrangères de 302,000 fr. Ensemble, 3,737,847 fr. Il y a à ajouter 860,000 fr., ce qui me donne 4,597,847 fr. pour les vins et pour les eaux-de vie étrangères.

Pour les genièvres la moyenne des deux dernières années a été de 7,134,939 fr., plus 63 1/3 p. c. par suite de l'augmentation proposée par le gouvernement et que j'adopte, cela donne 11,643,719 fr.

Je ferai observer qu'en augmentant le droit dans des proportions si fortes je dois m'attendre à une réduction de la consommation. Cette réduction sera compensée par d'autres produits que j'indiquerai tout à l'heure.

Pour la bière, la moyenne des deux dernières années a été de 7,761,184 fr. L'augmentation de 94 centimes que je propose en demandant de porter le droit à 3 fr. ce qui fait 45 2/3 p. c. porte le chiffre à 11,304,906 fr.

Pour les vins on peut compter sur une augmentation, parce que dans les grands centres de consommation il y aura une réduction notable de la taxe ; à Bruxelles les vins payent 24 fr. par hectolitre. Je ne sais au juste quel sera le droit à ajouter à l'accise par suite du système proposé par le gouvernement, mais je crois que cela ne peut aller qu'à 8 fr.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - 7 francs.

M. de Naeyer. - J'aime encore mieux 7, en vue d'obtenir un plus grand produit, mais non que je veuille dégrever les vins ; car si j'étais le maître je les frapperais solidement ; mais nous sommes liés par les traités.

Ainsi donc vous avez là une différence énorme pour Bruxelles. On paye aujourd'hui 24 fr. par hectolitre. Cela fait par pièce de vin quelque chose comme 50 à 55 fr. Quand vous n'aurez plus qu'un droit de 7 fr. vous n'arriverez qu'à 16 ou 17 francs par pièce.

Voyez l'énorme différence, l'énorme dégrèvement en faveur des classes riches de Bruxelles ; et ce n'est pas peu de chose, puisque les importations de vins à Bruxelles s'élèvent à quelque chose comme 12,000 hectolitres par an.

Je dis donc que, sous ce rapport, il y a compensation quant à la réduction de la consommation possible, probable même quant au genièvre ; il y a une compensation du chef des vins et du chef des bières, d'après les propositions que je formule. Eh bien, j'arrive ainsi à une somme totale de 27,546,412 francs ; je ne prends là-dessus que 33 p. c. pour le fonds commun afin de n'entamer en rien les ressources de 1 Etat et ces 33 p. c. me donnent 9,090,335 francs pour mon fonds commun ; et ce fonds commun est constitué exclusivement au moyen d'impôts communaux, c'est là leur origine, mais perçus sous la forme d'impôts généraux.

Voilà donc un système simple en ce sens que les finances de l'Etat sont complètement dégagées. Mais, me direz-vous, où arriverez-vous avec vos 9 millions ? D'abord, combien les communes à octroi auront-elles dans cette somme ? Eh bien, je vous dirai que, rigoureusement parlant, je n'en sais rien en ce moment ; mais elles auront ce qui leur revient d'après les principes mêmes adoptés en Allemagne pour les distributions des droits de douane entre les principautés qui forment le Zollverein. Voilà les principes que j'admets, mais il va de soi que l'application n'en sera pas la même et qu'elle devra varier d'après les circonstances.

Ces principes, quels sont-ils ? M. le ministre des finances s'en est prévalu pour justifier son système. Eh bien, si, comme je le crois, il a exposé exactement ces principes, ils sont la condamnation la plus manifeste de son système.

Ces principes, en effet, consistent d'abord dans le partage par tête ; voilà un de ces principes. Ensuite, il y a le préciput pour les excédants de consommation justifiés. Eh bien, nous adoptons ces principes.

Nous disons, en principe, il y a lieu à un préciput en faveur de communes à octroi pour leurs excédants de consommation constatés. Mais maintenant, vous gouvernement, qui avez à votre disposition tant de renseignements et tant de moyens de les recueillir, faites donc en sorte que nous puissions voir un peu clair dans cette question ; car ce n'est pas résoudre la difficulté que de dire : Arriver à une précision mathématique, c'est impossible. Mettez dans un cabinet toutes les plus fortes têtes mathématiciennes ; elles ne pourront pas donner la solution rigoureusement exacte du problème.

Je le sais parfaitement bien, mais en fait d'administration, en fait d'économie politique, à défaut de calculs rigoureux, on prend ce qu'on appelle un terme moyen, des données approximatives. Quand on ne peut pas arriver à une exactitude mathématique, ce n'est pas une raison pour négliger complètement toute investigation afin d'arriver au moins à un résultat approximatif.

Ainsi, messieurs, nous adoptons ces deux principes, partage par tête et préciput en faveur de l'excédant de consommation justifié ; et sur ces bases nous pourrons parfaitement nous mettre d'accord.

Maintenant, je dis que je ne sais pas à combien s'élèvera la part des communes à octroi ; mais je dis que cela pourra aller à 4 millions. Quatre millions ! Vous êtes loin, me dira-t-on, de ce qui est nécessaire pour remplacer les octrois. Oui, si vous vous arrêtez à cette déplorable idée fixe, que c'est le gouvernement qui doit tout faire.

Mais on est passablement avancé si vous admettez le principe juste, équitable que le remplacement des octrois doit se faire avec le concours des villes intéressées, comme disait si bien la commission qui s’est occupée de la question il y a quelques années. Comment ! ces villes dont les contribuables vont être considérablement dégrevés, ne pourraient pas, à raison même de ce dégrèvement, demander quatre millions à l'impôt direct ou autrement ?

Il est impossible de l'admettre, alors surtout que l'on considère que ces villes ont une population de plus de 1,200,000 habitants, qui obtiendront, par la suppression des octrois, une réduction de charges beaucoup plus considérable que les sommes qu'il s'agit de leur imposer.

On peut donc bien compter sur un concours de 4 millions.

Vous auriez donc huit millions. C’est encore beaucoup trop peu ; veuillez remarquer que j'ai conservé à l'Etat toutes ses ressources. Je suis disposé à allouer des subsides sur ces ressources générales qui ne sont entamées en rien, qui n'ont pas subi le prélèvement de 3 millions et demi dont palie le projet du gouvernement. Je suis disposé à admettre l'intervention du gouvernement au moyen de subsides ; et il n'y a pas ainsi de confusion entre les finances de l'Etat et celles des communes.

Le gouvernement dit qu'il peut faire un sacrifice de 3 millions et demi, la proposition de la section centrale porterait le sacrifice à 4 millions, quatre millions et demi ; je ne sais si le gouvernement se rallie à cette proposition, c'est à lui à apprécier les besoins du trésor. Si le gouvernement peut se rallier à cet amendement, le fonds est fait ; le service administratif des communes n'est entravé en rien.

Voici comment j'entends cette intervention du gouvernement. Je la crois justifiée par certaines considérations. Les villes qui ont vécu si longtemps en relations trop intimes avec l'octroi, se sont trouvées en contact avec un principe morbide qui a pu altérer leur constitution ; elles sont malades, à cause de l'influence délétère que les octrois ont exercée sur elles ; les octrois supprimés, elles entrent en convalescence ; or, sans être médecin, je sais que la convalescence exige des soins, des ménagements ; mais ces soins, ces ménagements, vous ne devez pas les perpétuer ; ils doivent aller en diminuant progressivement, sans quoi les constitutions affaiblies par la maladie ne se rétabliront pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Beaucoup se portent très bien.

M. de Naeyer. - Tant mieux. Nous n'aurons pas besoin alors de leur donner beaucoup de subsides fortifiants.

M. le ministre de l'intérieur est en position de connaître la santé financière des villes, et, puisqu'il nous donne à cet égard de bons renseignements, nous pouvons espérer que la prétendue impuissance dont on a parlé n'existe pas et que bientôt les villes auront acquis assez de force et d'énergie pour dire : « Si je dépense, c'est moi aussi qui paye. »

Je crois, cependant, que les subsides offerts ne seront pas refusés.

Je pense que des propositions seront faites dans l'ordre d'idées que je viens d'indiquer ; j'attendrai que ces propositions soient développées pour me prononcer à cet égard.

Voici mes conclusions : je veux l'abolition des octrois, mais dans des conditions justes et équitables ; je voterai de grand cœur le projet de loi si ce n'est réellement qu'un projet d'abolition des octrois ; mais il me sera impossible de le voter si c'est en même temps un projet de dotation des villes par les communes rurales.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne viens pas faire une longue réponse au discours de l'honorable préopinant ; comme ministre de l'intérieur, je viens rétablir devant la Chambre la situation des communes à octroi et des commutes sans octroi, telle que la fait le projet de loi.

(page 1442) L'on combat le projet soumis à la Chambre comme étant, avant tout, favorable aux villes et défavorable aux campagnes : il enrichira les villes en appauvrissant les campagnes.

Je me permettrai de dire que les villes qu'on présente comme très malades financièrement se portent très bien.

- Un membre. - Pas toutes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si pas toutes, la plupart, et leur santé devient de jour en jour plus florissante, grâce à l'octroi. Maintenez l'octroi, l'état financier des villes ira de jour en jour s'améliorant. Voilà la situation.

Cependant nous ne sommes pas, nous, pour le maintien du système des octrois, nous le trouvons très injuste, très vexatoire vis-à-vis de ces communes rurales que vous accusez le projet de livrer pieds et poings liés aux villes. Nous demandons la suppression des octrois ; est-ce dans l'intérêt des villes ? Non, c'est dans l'intérêt des campagnes. Ce ne sont pas les villes qui demandent cette suppression ? D'où sont venues les réclamations ? De la part des campagnes, et avec beaucoup de raison.

Qu'est-ce que c'est que l'octroi de nos villes ? C'est un restant des privilèges du moyen-âge dont les villes ont continué à demeurer en possession même après 1830 ; on ne l'a pas assez remarqué. Sous le royaume des Pays-Bas jusqu'en 1830, il y avait l'ordre équestre, l'ordre des villes et l'ordre des campagnes ; l'ordre équestre avait ses privilèges politiques, il nommait directement ses représentants au conseil provincial ; tes villes les nommaient indirectement, les communes rurales également. Mais en ce qui concerne la constitution de la commune, elles se trouvaient dans un état d'infériorité, d'inégalité vis-à-vis des villes, elles ne- nommaient pas leur magistrats ; avant 1830, dans les communes rurales le conseil communal était nommé par les Etats députés ; le bourgmestre et les échevins étaient nommés par le pouvoir exécutif ; et par cette seule nomination ils faisaient partie du conseil communal.

Voilà quelle était la constitution politique des communes rurales. 1830 est arrivé qui a proclamé l'égalité des citoyens et des communes devant la loi, qui a supprimé l'ordre équestre, l'ordre des campagnes, mais pas entièrement l'ordre des villes ; il a laissé les villes en possession de ce privilège de tailler les campagnes à merci ; en possession du droit d'établir une ligne de défense contre les produits et les personnes venant de l'extérieur.

C'est un dernier vestige des droits féodaux que nous poursuivons, que la loi a pour but de supprimer. Vous dites que les octrois sont des entraves, et vous vous récriez quand on veut supprimer ce fardeau qui ne pèse pas seulement sur les habitants des villes, mais sur ceux qui viennent les visiter.

Les statistiques descendent souvent dans beaucoup de détails ; mais il est fâcheux qu'elles ne puissent arriver à constater le nombre des consommateurs forains qui, chaque jour, viennent verser dans la caisse des communes à octroi les droits qui enrichissent cette caisse. Mais certes ils y contribuent pour une forte part. Ainsi l'habitant de la campagne, quand il se présente aux frontières de ces villes féodales, a d'abord à payer des droits sur les denrées qu'il importe, et à subir des vexations sur sa personne, sur la personne de sa famille, de ses enfants. Ensuite, s'il consomme dans ces villes privilégiées, il paye, il contribue lui-même à enrichir la caisse de ces bourgeois privilégiés. Voilà la situation.

C'est en présence de cette situation qu'avec beaucoup de raison, les défenseurs, les représentants spéciaux des campagnards ont déclaré la guerre aux octrois. Et aujourd'hui lorsque l'on vient proposer la suppression de ce privilège monstrueux vis-à-vis des campagnes, voilà qu'on vient réclamer au nom des campagnards ! On prétend que la loi est tout entière au profit des villes.

Je dis que les villes ne réclament pas la suppression des octrois, qu'elles n'ont pas intérêt à la réclamer, et que leur situation financière va devenir plus difficile par le fait même de la suppression des octrois. La plupart de nos villes voient leurs revenus s'accroître d'année en année d'une manière notable. Plusieurs de nos villes ont même déjà escompté l'avenir. Elles ont engagé leurs ressources dans des dépenses qui doivent se faire dans plusieurs années. Telle est, par exemple, la position de la ville d'Anvers. Elle est engagée vis-à-vis de l'Etat pour une somme considérable. Elle a compté sur un accroissement successif de ses ressources. Cet accroissement va se trouver arrêté tout à coup, parce qu'elle sera réduite à la portion congrue de sa recette de 1859. Je comprends pourquoi la ville d'Anvers ne réclame pas la suppression des octrois. Je crois même qu'elle serait tentée de les trouver une fort bonne chose et d'en réclamer le maintien au point de vue financier de la commune.

On invoque l'indépendance, la liberté communale, parce que désormais les communes seront privées de l'avantage de créer des impôts.

Ce reproche fait à la loi ne peut concerner que les communes à octroi ; et encore, dans ces communes à octroi, est-il vrai que la faculté de créer l'impôt n'existera plus ? On fait consister toute la puissance communale, toute l'autorité communale dans la faculté de voter des taxes. C'est restreindre singulièrement cette puissance et cette souveraineté. Mais enfin est-il vrai que, dans les communes à octroi, il ne sera plus possible d'imposer des taxes ? Il restera encore beaucoup de matières sur lesquelles la puissance fiscale de l'administration communale pourra s'exercer. Il sera même nécessaire que cela soit. Car il est évident qu'avec les ressources de 1859, les villes ne pourront faire face à leurs besoins des années suivantes.

Il est acquis dès maintenant que les villes seront dans la nécessité de s'imposer de nouvelles taxes pour faire face à leurs besoins. Ainsi le droit de s'imposer leur est non seulement maintenu, mais il devra même être nécessairement exercé par elle.

Voilà pour les villes.

Quant aux communes rurales, rien n'est change à cet égard dans leur situation. Elles continueront à avoir le droit de s'imposer des cotisations personnelles. Immédiatement après la loi, elles pourront dégrever leurs habitants d'une portion notable de leur cotisation personnelle, soit du tiers, soit de la moitié. Mais aucune atteinte ne sera portée à leur liberté de s'imposer.

Supposons qu'elles n'eussent plus besoin de s'imposer, que par suite de l'accroissement du fonds commun, les communes en vinssent à cet état de choses qu'elles n'eussent plus d'impôts à payer ! On prétend qu'elles ne seront plus libres, par cela qu'elles n'auront plus à exercer le droit souverain d'imposer les habitants.

Voilà ce que j'ai compris. Voilà, si je ne me trompe, une des conséquences du discours que nous venons d'entendre. Il s'ensuivrait que lorsqu'une commune n'aura plus besoin de s'imposer elle aura perdu une partie de sa liberté, une partie de sa souveraineté.

Nous avons, messieurs, un grand nombre de communes qui, sous ce rapport, ne jouissent d'aucune liberté.

Un très grand nombre de communes n'ont pas d'octroi, elles n'ont pas de cotisation personnelle, elles ont le bonheur de vivre de leurs rentes. Elles n'ont pas à s'imposer, elles n'exercent pas ce droit d'établir l'impôt ; mais je pense que ces communes se trouvent parfaitement bien de cette situation et ne se plaignent pas du tout de leur servitude.

Nous devrions laisser de côté le reproche adressé au projet de loi de porter atteinte, à la liberté des communes, en ce qu'il les dispenserait de s'imposer elles-mêmes par une partie de leurs revenus.

Qu'on se rassure d'ailleurs, beaucoup de nos communes seront encore assez longtemps dans la nécessité de s'imposer certaines taxes. Les villes notamment y seront condamnées. Il fait les en prévenir. Ce n'est pas au moyen des ressources de 1859, que les villes pourront couvrir les dépenses chaque jour croissantes qu'elles ont à faire. Les communes rurales au contraire verront diminuer une partie de leurs cotisations.

Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Cela dépend de l'usage que l'on fait des cotisations. Je crois, pour ma part, que l'on ne devra pas trop engager les communes à réduire leur cotisation habituelle. Il y a encore beaucoup de bien à faire dans les communes ; il y a beaucoup d'améliorations à introduire au point de vue de la voirie, au point de vue de l'hygiène, au point de vue de l'instruction.

Eh bien, au moyen des ressources que la loi leur garantit, il sera désormais plus facile d'améliorer l'état des choses et même des personnes au sein des communes rurales. Les communes vont voir leur situation notablement améliorée. Celles mêmes qui ne perçoivent pas de cotisation personnelle recevront une véritable rente.

Celles qui perçoivent des cotisations personnelles pourront les diminuer, tout en voyant accroître leurs ressources du contingent qu'elles ont à puiser au trésor.

Les villes auront encore à se taxer. Elles auront à choisir le mode de taxation. Elles devront recourir probablement au même système que les communes rurales, et je n'y vois pas de mal. Je crois qu'il n'est pas indifférent au progrès des mœurs publiques que le contribuable sente le poids de l'impôt. Je crois que le contribuable communal sera bien plus attentif à l'emploi qui sera fait de ses deniers, lorsqu'il aura à les verser directement dans la caisse publique, que lorsqu'il paye indirectement, d'une manière insensible, au moyen des droits de consommation. Lorsque le citadin aura à payer directement par an 30, 40, 50, 100, 200 francs pour les voir appliquer à certaines dépenses, il y regardera de près. Il surveillera les magistrats. Il sortira de chez lui pour s'assurer que l'impôt qu'il a dû faire sortir de sa poche, non sans quelque peine, reçoit une bonne application. Les mœurs publiques éprouveront d'heureux effets de cette innovation.

Dans les pays libres, comme aux Etats-Unis, c'est l'impôt direct qui domine ; et là, chacun fait acte de citoyen, s'occupe très activement de la chose publique ; là, chacun est très attentif à l'administration de ses magistrats, et c'est un bien. Sous ce rapport, je ne vois pas avec peine la perspective pour nos villes d'avoir à imposer leurs citoyens d'une manière directe. Or, je le répète, ces villes que l'on dit si grandement favorisées, il faut le dire, n'auront pas assez de la part qui leur est faite par la loi ; elles devront imposer des sacrifices directs à leurs habitants.

Messieurs, chacun reconnaît les hautes raisons d'utilité, de justice, de moralité qui s'oppose au maintien des octrois. Tout le monde en théorie est adversaire de l'octroi ; à bas les octrois ! Et après cette déclaration, les adversaires des octrois semblent chercher les moyens de rendre impossible la loi qui est proposée pour leur abolition. Chacun apporte un système différent ; nous en verrons encore surgir de (page 1443) nouveaux, il est fort à craindre que si la Chambre s'engage dans cette voie, il n'arrive ce qui est arrivé à plusieurs époques : c'est qu'après avoir proclamé en principe l'abolition des octrois, on finisse par maintenir ce système odieux et détestable.

Le gouvernement n'a pas eu la prétention d'apporter un système complètement à l'abri de reproches, M. le ministre des finances vous l'a dit ; il ne s'oppose pas à ce que la loi reçoive certaines modifications. Il a fait un appel aux lumières de tous les membres de la Chambre.

Mais, s'il est certaines modifications qui peuvent être acceptées utilement, honorablement par le cabinet, il en est d'autres qu'il doit repousser résolument. Il en st surtout qu’il ne pourrait accepter à aucun prix, si l'on pouvait les considérer comme introduites dans cette enceinte sous l'impression de certaines pétitions qui font monter le rouge au front de tous les Belges.

Messieurs, supposer que nous acceptions de sang-froid, que le pays accepte de sang-froid de pareilles imputations, de pareilles menaces, ce serait lui faire une injure profonde ; ce n'est pas le gouvernement' qui jamais encouragea de pareilles défaillances.

M. Devaux. - Le pays non plus !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Certes, le pays non plus ; et je' ne doute pas que le gouvernement ne soit en cela le représentant fidèle du pays entier et de la Chambre.

Donc, de pareilles modifications, si elles pouvaient remonter à cette source impure, nous les repousserions de la manière la plus énergique.

Le gouvernement ne demande pas mieux que de s'éclairer, que de résoudre cette grande question économique de concert avec la plus grande majorité possible des membres de cette Chambre. Ce n'est pas, messieurs, ici une question de parti. Ce n'est pas une question de parti, on le dit sur tous les bancs. Mais est-on bien sûr, du côté de la droite, de ne pas mêler à l'opposition que rencontre cette loi, quelques raisons, quelques inspirations d'esprit de parti ?

M. Wasseigeµ. - Est-on bien sûr du contraire dans la gauche ?

M. Mercier. - On n'a pas admis un seul membre de la minorité dans la section centrale.

M. B. Dumortier. - Jamais l’esprit de parti n'a été poussé jusque-là.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je présume que si l'on n'a pas nommé des membres de la droite dans la section centrale, c'est qu'ils étaient contraires au projet de loi. Dans tous les cas, la loi n'est pas responsable de ce résultat. La droite compte des représentants trop raisonnables, trop réfléchis, pour faire un grief à la loi de ce qu'aucun d'eux ne figure dans la section centrale.

La loi est bonne ou elle est mauvaise en elle-même, indépendamment de cette circonstance. Je regrette, pour ma part, qu'il n'y ait pas eu un ou deux membres de la droite dans la section centrale ; mais enfin, je le répète, il en a été ainsi probablement parce que les membres de la droite se sont prononcés contre le projet.

M. Coomans. - Au reste, le résultat eût été le même ; cela n'y fait rien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si, messieurs, ce n'est pas une question de parti, il me paraît impossible que, dans la droite, il n'y ait pas un certain nombre de voix qui adoptent le projet de loi. Car, si je ne me trompe, dans les rangs de la droite les octrois ont rencontré, à diverses époques, des adversaires violents, convaincus et persévérants.

Ceux qui ont la prétention de parler au nom des campagnes, de défendre les campagnards, ont toujours combattu les octrois comme un abus monstrueux qu'il fallait à toute force faire disparaître. On vous propose de les faire disparaître, et voilà que l'on se retranche derrière une foule d'objections de toute espèce ; on oppose des systèmes nouveaux à celui qui est proposé, et s’il faut débattre longuement toutes ces objections et tous ces systèmes nouveaux, nous n'en aurons pas fini probablement dans cette session.

Nous soutenons que le projet de loi est surtout favorable aux campagnes, que les villes n'en ont pas besoin.

Nous y voyons un grand résultat politique et moral pour le pays. Aujourd'hui à tort ou à raison, il existe des différences tranchées entre l'habitant des villes et le campagnard. Je me figure que l'octroi est pour quelque chose dans ces différences.

L'habitant des villes, le bourgeois se croit un personnage, parce que, quand le campagnard arrive chez lui.il il frappe d'un impôt, comme le frappait autrefois le seigneur. (Interruption.)

Ce que je vais dire n'est pas fait pour vous déplaire. Sans doute le citadin, quand il sort de la ville et qu'il y rentre, est sujet à ces petites vexations ; mais il ne fait pas profession de venir chaque jour vendre les denrées à la ville.

Il en est autrement du campagnard ; quand il apporte en ville du grain, du foin, des légumes, du lait, des œufs, des denrées de toute espèce, il est arrêté aux portes où il subit les investigations, parfois les plus désagréables de la part des employés de l'octroi qui, d'ailleurs, ne font que leur devoir.

Un de nos honorables collègues a dit qu'il n'avait été visité qu'une seule fois en sa vie, et il en a conclu que personne ne l'était ; j'en demande pardon à l'honorable député de Courtrai, mais s'il portait le costume du paysan, il aurait été exposé bien plus souvent à subir les investigations des commis d'octroi. L'homme en sarrau et à pied est visité ; l'homme assis dans un équipage franchit fièrement et librement la barrière.

- Des membres. - Si ! si !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il m'arrive quelquefois de me passer le luxe d'une voiture de remise ; ce genre de voiture n'est pas arrêté aux portes de Bruxelles.

Ce que je dis des vexations auxquelles les campagnards sont soumis aux portes, j'en ai été témoin, chaque jour et à chaque heure.

Je ne passe pas une seule fois les portes de Bruxelles sans éprouver un sentiment de répugnance, je dirai presque de colère, et chaque fois que je les franchis, je me dis : « Béni soit le jour où l'on aura débarrassé le pays de ce dernier vestige du moyen-âge ! »

Messieurs, il est un argument sur lequel je dois insister et qui a une grande importance ; c'est la disparition, avec l'octroi, de cette distinction impolitique entre les communes rurales et les villes. Je désire appeler spécialement votre attention sur cette excellente conséquence de la loi.

Aux termes de la Constitution, il n'y a pas ni villages ni villes en Belgique ; il y a des communes, toutes égales devant la loi, investies des mêmes droits et procédant en vertu du même titre pour la formation de leur administration. Voilà la Constitution.

En fait, il y a des communes privilégiées vis à-vis d'autres communes. Il existe des inégalités de position entre les communes. Il est des communes qui ont le droit d'eu soumettre d'autres à la taxe et à la visite.

Il y a des bourgeois et des paysans. Eh bien, je voudrais qu'il n'y eût dans le pays qu'une seule catégorie d'habitants en Belgique ; qu'il n'y eût que des citoyens belges ; que nous fissions disparaître cette mauvaise distinction entre les bourgeois et les paysans, entre les habitants des villes et les habitants des campagnes. Je voudrais que tout le monde fût Belge au même titre, qu'il y eût égalité de position, accord d'intérêts, entente sympathique entre tous les habitants de la Belgique, quelle que soit la portion de territoire qu'ils occupent.

Cette distinction a des côtés que l'on peut dire ridicules. Il y a des localités qui se donnent des airs d'être quelque chose, qui s'appellent villes, et qui ne comptent pas 2 000, pas même 1,500 habitants, tandis que d'autres communes rurales, comptent 10.000 15,000 et près de 20,000 âmes. Ici ce sont des paysans ; et là, c'est-à-dire dans des localités dix fois moins importantes, ce sont des bourgeois.

Eh bien, nous repoussons cette distinction ; nous voulons que tous les Belges portent le sceau de la même origine, qu'ils ne soient plus classés en bourgeois et en paysans.

Pourquoi cette distinction ? Supprimez l'octroi des villes, et dites alors où seront les causes des différences entre les villes et les villages. Qu'est-ce qui constituerait alors une ville et qu'est-ce qui constituerait un village ? Je n'en sais rien.

M. Coomans. - La loi électorale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En aucune manière ; il n'y a qu'un seul article de loi qui par inadvertance a consacré cette distinction répugnante entre les habitants d'un même pays. Il est dit quelque part dans la loi provinciale que le commissaire d'arrondissement administre les communes rurales et les villes su-dessous de 5,000 âmes.

Voilà le seul article de notre législation depuis 1830 où l'on trouve le mot « communes rurales » ; mais la Constitution ne reconnaît que des communes, et ne distingue pas entre les villes et les villages. Le jour où l'octroi aura disparu, il ne restera plus en fait de trace de cette distinction fâcheuse.

Messieurs, ceci importe beaucoup, selon moi, à l'avenir politique du pays. Il y a entre les habitants des villes et les habitants des campagnes une sorte d'antagonisme qui n'a pas raison d'être, et que tous les hommes soucieux de l'avenir du pays devraient tendre à effacer de plus en plus. Pourquoi cette distinction ? Est-ce que l'habitant de la campagne n'est pas aussi bon Belge que l'habitant des villes ? N'apporte-t-il pas à la richesse publique son contingent ? Ne fournit-il pas son contingent de travail et de contributions ?

M. de Mérode-Westerloo. - Et de soldats.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et de soldats.

Est-il moins intelligent que l'habitant des villes ?

S'il est certaines questions sur lesquelles l'habitant des campagnes n'a pas, il faut bien le dire, la même aptitude que l'habitant des villes, combien de questions aussi, qui touchent aux campagnes et auxquelles l'habitant des villes n'est pas moins étranger ! Si l'habitant des campagnes ignore les choses des villes, l'habitant des villes est bien autrement ignorant des choses des campagnes. Je voudrais donc qu'il s'établît entre eux un échange d'idées et de lumières, une fusion d'intérêts, une communauté de sentiments ; il ne faut pas que les institutions entretiennent un préjugé qui consiste à faire croire que l'habitant d'une commune à octroi, par exemple, est quelque chose de plus que l'habitant d'une commune sans octroi.

Je reste, messieurs, dans les généralités. Je n'entre pas dans (page 1444) l'examen des nombreuses questions spéciales que soulève le projet de loi. Ce n'est pas mon désir ; ce n'est pas mon rôle ; mon collègue, M. le ministre des finances, se chargera beaucoup mieux que moi du cette mission. Mon honorable collègue a eu le courage d'entreprendre une réforme proclamée jusqu'ici irréalisable ; je ne puis, pour ma part, que rendre hommage à l'énergie de mon collègue. Je puis d'autant mieux le faire qu'en 1847 et 1848, j'avais essayé, pour mon compte, ce que M. le ministre des finances vient d'exécuter pour le sien. En 1847, j'avais institué une commission des octrois et en 1848, entraîné par les circonstances, j'avais dit : « Suppression des octrois ; voici un projet de loi. Délibérez. »

La commission des octrois, présidée par l'honorable M. de Brouckere, et dont plusieurs membres de la Chambre faisaient partie, entre autres l'honorable député d'Anvers, M. Loos, examina le projet ; elle ne l'admit pas.

J'avais proposé de remplacer l'octroi par l'impôt sur le revenu ; on me fit voir qu'il y avait là des impossibilités devant lesquelles je reculai.

Mon collègue des finances (il y a huit ans de cela) me dit qu'il croyait qu'il parviendrait un jour à la réforme des octrois. Nous étions à la veille de notre retraite en 1852. Je le félicitai et j'eus confiance en sa parole. I\ consacra les loisirs de son intérim ministériel à de profondes études, à des recherches consciencieuses. Il est arrivé au résultat que la Chambre a sous les yeux. Il vous a conviés à examiner ce projet, à y introduire des modifications.

Nous sommes prêts à admettre toutes les modifications qui ne détruisent pas de fond en comble le système de la loi.

Nous avens dit quelles sont celles de ces modifications que nous n'accepterions pas. Nous faisons un appel à tous les membres de la Chambre, espérant trouver un accord sur les dispositions principales.

Chacun reconnaît les conséquences avantageuses de tout genre, politiques, économiques, qui doivent résulter de cette grande réforme, dont la Belgique aurait eu l'honneur de prendre l'initiative, et de donner l'exemple. Ce n'est pas la première fois, messieurs, que la Belgique aurait pris l'initiative d'une grande réforme et donné un grand exemple ; faisons en sorte que le pays, confiant en lui-même, ronflant dans ses institutions, sentant la nécessité de fortifier de plus en plus ces institutions, de soutenir de plus en plus le gouvernement, que le pays n'assiste pas au triste spectacle d'un avortement législatif. Acceptez, messieurs, la réforme, acceptez-la, même avec certaines défectuosités, avec certains vices. Ces vices, le temps pourra les corriger ; on n'arrive pas d'un coup à une réforme complète et irréprochable ; il reste toujours un certain nombre de défauts qui devront disparaître, mais ce sera l'œuvre du temps, l'œuvre de l'expérience. Aujourd'hui, nous vous en conjurons, votez le principe et ne sacrifiez pas à des intérêts secondaires l'intérêt suprême de aà réforme.

M. Pirmez. - Messieurs, dans les grandes discussions qui ont récemment occupé la Chambre, on aurait vainement cherché la trace de nos divisions politiques. Dans ces questions, si vivement débattues, des déclarations de naissance, de l'usure, des coalitions, des membres siégeant sur les bancs les plus opposés se sont rencontrés dans une communauté complète d'idées pour défendre les menus sentiments.

Le projet qui nous est en ce moment soumis n'est pas d'une nature différente. M. le ministre de l'intérieur vient de nous convier à en examiner les dispositions si importantes par elles-mêmes en laissant de côté toute préoccupation étrangère.

Je réponds à son appel en venant soumettre à la Chambre quelques observations sur ce projet.

J'aborde immédiatement le débat, en me dispensant, pour abréger des anathèmes contre les octrois et des félicitations à M. le ministre des finances qui sont l'habituelle entrée en matière dans cette discussion.

A part le point de savoir si la suppression des octrois est bien utile, ce que l'on ne conteste pas, trois questions principales sont soulevées par le projet.

Faut-il créer un fonds communal ?

Comment faut-il, si l'on en décide la création, composer ce fonds communal ? Comment faut-il le répartir ?

Il y a là deux questions de principe et une question de détail.

Nous n'avons pas à nous occuper, dans le moment actuel, de la composition même du fonds communal dont les éléments peuvent être changés sans modifier l'ensemble du système ; aussi je ne m'attache qu'à la première et à la dernière question.

La solution donnée à ces questions par le projet, a été l'objet de critiques très vives.

On attaque la création d'un fonds communal comme portant atteinte à l'indépendance et à la bonne administration des communes.

Je ne crois pas que cette critique soit fondée et je viens y répondre.

On attaque, d'un autre côté, la répartition du fonds communal comme trop favorable aux villes à octroi.

Je crois que ce reproche est mérité et je viens l'appuyer.

Que la création d'un fonds commutai n'entame directement aucune des libertés, aucun des droits dont jouissent les communes, c'est ce que joui le monde est forcé de reconnaître ; mais on prétend que la création de ce fonds aura pour conséquence de priver les communes de la faculté de voter elles-mêmes leurs impôts.

J'avoue que l'adoption du système de la loi fera que les autorités communales ne voteront plus les impôts qu'elles votent aujourd'hui. Il en sera ainsi, non pas parce qu'il leur sera interdit de le faire, mais parce que ces ressources leur seront inutiles.

Mais, messieurs, si vous rendez ainsi sans objet l'exercice d'une prérogative de l'autorité communale, vous assurez aussi et en même temps l'indépendance de la commune d'une manière très considérable. Il n'est rien dans notre pays qui soit plus de nature à diminuer l'indépendance des administrations communales que les subsides donnés par le gouvernement, parce que souvent on les considère, à tort ou à raison, comme la récompense de la docilité.

Les communes dénuées de ressources propres sont ainsi portées à abdiquer une partie de leur autonomie ; en leur donnant une position plus indépendante, vous leur permettez de résister à la pression de l'autorité supérieure et vous augmentez ainsi la liberté de leur action.

M. de Naeyer fait au projet un autre reproche, en s'appuyant sur le sentiment d'un homme dont nous regrettons la perte et dont nous respectons l'autorité.

Le projet, nous dit l'honorable membre, supprime les freins qui forcent à l'économie ; il permet de dépenser à ceux à qui n'incombe pas la charge de se procurer les ressources, il éloigne ceux qui votent l'impôt de ceux qui le payent. N'y a-t-il pas dès lors certitude que les dépenses inutiles seront moins évitées et que les impôts seront plus facilement augmentés ?

Le système de M. le ministre des finances ne me paraît pas conduire à ce double résultat.

Les communes rurales n'ont guère jusqu'ici été accusées de prodigalités exagérées, de dilapidations de leurs deniers ; c'est aux villes seulement que l'on peut reprocher des dépenses excessives. C'est l'existence des octrois qui les a poussées surtout hors de la voie d'une sage économie. Par cet impôt indirect, elles obtenaient avec beaucoup de facilité et d'une manière peu apparente pour les administrés les ressources nécessaires pour couvrir ces dépenses.

Mais, quand le projet sera en vigueur, les villes pour augmenter leurs revenus, devront recourir à l'impôt direct, bien plus difficilement supporté qu'une taxe indirecte ; les administrateurs seront nécessairement ainsi forcés, par l'intérêt même de leur popularité, à devenir économes. La suppression de l'octroi fera atteindre le résultat que désire M. de Naeyer, sans que le fonds communal puisse le compromettre.

Je ne redoute pas plus que le pouvoir législatif vote des lois d'impôts excessives pour en verser le produit dans la caisse communale. La grande cause de l'augmentation des contributions de toute sorte est l'attrait de la dépense. Les gouvernants cherchent à éviter ce reproche de n'avoir rien fait, ils aiment à attacher leurs noms à des monuments, à de grands travaux, à des institutions nouvelles presque toujours onéreuses au trésor public. Cette grande cause de l'aggravation des charges de la nation n'agira pas ici ; si M. de Naeyer craint les dépenses parce que ceux qui les décrètent ne voient pas les ressources, je suis rassuré sur l'accroissement des voies et moyens parce que ceux qui les voteront ne les emploieront pas.

Il faut le reconnaître, messieurs : déclarer purement et simplement les octrois supprimés, sans rien mettre à la place, c'est une impossibilité.

Nos communes sont de petits Etats dans l'Etat, et, comme le royaume tout entier, elles ont besoin, surtout en présence de la situation qu'elles se sont faite, de recourir, pour couvrir leurs dépenses, et à l'impôt indirect et à l'impôt direct.

L'octroi est le seul impôt indirect qui procure aux communes des ressources considérables, les autres impôts indirects ne peuvent figurer que comme des compléments. Si vous enlevez aux communes ce mode de perception, vois vous trouvez en présence de cette alternative : ou leur procurer un revenu direct anomal par l'abandon d'une ou de plusieurs des bases des contributions générales, ou percevoir pour elles un impôt indirect en constituant une espèce de Zollverein des communes.

C'est le dernier système qu'adopte le projet, il présente l'avantage d'une économie considérable dans la perception, et il me paraît exempt d'inconvénients graves.

Toutefois, je n'admets ce système qu'à cette condition, qui est de son essence même, que l'Etat, mandataire fidèle, se bornera à toucher pour rembourser à la commune ce qu'il a perçu dans la commune.

Le projet, tel qu'il nous est présenté, répond-il, par la répartition qu'il prescrit, à cette exigence fondamentale ?

Telle est la question que nous nous sommes posée et que nous devons maintenant résoudre.

Je suis d'accord avec M. le ministre des finances, pour distinguer deux périodes ; la période définitive et la période transitoire.

Occupons-nous d'abord de l'état de choses à consacrer définitivement. Entre l'époque actuelle et celle où l'existence actuelle des octrois ne devra plus influer sur la législation, un certain temps s'écoulera nécessairement, pendant lequel des mesures exceptionnelles doivent être prises pour ménager le passage d'une situation à l'autre. Je suis disposé à voter ces mesures d'une manière très complète. Mais ne nous en (page 1445) préoccupons pas pour le moment et reportons-nous à une époque future aussi éloignée que l’on voudra, et cherchons quel devra être alors le mode de répartition du fonds communal.

Et d'abord, je viens de le dire, un seul principe gouverne la matière : il faut rendre à chaque commune ce qu'elle paye, tout autre principe serait souverainement injuste.

M. le ministre des finances admet ce point de départ. J'ai à regretter que la section centrale s'en soit écartée pour le remplacer par des idées que je considère comme extrêmement dangereuses.

Voici, en effet, ce que je lis dans son rapport. La section parle des bases à prendre pour la répartition. Je reconnais avec elle que ces bases doivent être fixes ; mais d'après quels principes se détermine-t-elle à les choisir ?

« Il fallait en outre, dit-elle, dans le choix de ces bases, avoir grandement égard à plusieurs éléments, besoins actuels et futurs, ressources et contribution à la caisse de toutes les communes du royaume. »

Vous voyez que, d'après la section centrale, il ne faut pas rendre à chacun ce qu'il paye (ce n'est là qu'un des éléments d'appréciation), mais qu'il faut tenir compte des ressources et des besoins. Mais c'est là du communisme pur.

Le principe du socialisme n'est-il pas la maxime : A chacun selon ses besoins ?

Il est impossible que l'on soutienne que, parce qu'une commune a naturellement, ou s'est créé des besoins considérables, les autres communes doivent s'imposer pour y satisfaire ; une démonstration n'est pas nécessaire pour écarter du débat une pareille prétention.

Apprécions maintenant, d'après le principe qui est le seul juste, le seul raisonnable, comment la répartition est faite et comment elle devrait se faire.

D'abord, il est hors de doute que les 14 millions qui composent le fonds communal doivent être répartis entre toutes les communes du royaume. Personne ne conteste qu'il doive en être ainsi pour les augmentations d'impôt, mais j'ai vu avec regret que, dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la section centrale, on ait supposé que les 3,500,000 francs d'impôts actuellement existants et que l'Etat abandonne à la caisse communale pourraient être attribués exclusivement aux villes à octroi sans qu'on en donne une part aux communes sans octroi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'a pas supposé cela. L'exposé des motifs a dit qu'il faut y avoir égard pour apprécier.

M. Pirmez. - L'exposé des motifs dit :

« Les deux millions prélevés sur les recettes que le café donne aujourd'hui à la douane et les 1,500,000 fr. sur les postes, bénéfice net qui est fourni en totalité par les villes, sont réalisés sans changement des taxes ; et quant aux sucres, les 700,000 francs d'augmentation résultent de la combinaison de la loi appliquée aux faits actuels, sans aggravation de tarif, et, tout au contraire, avec une certaine diminution du droit moyen perçu sur cette denrée. Ce n'est donc qu'une part des 9,800,000 francs restant qui constitue la charge nouvelle dont il faut, avant tout, restituer leur quotité aux communes sans octroi. »

Vous supposez donc que la restitution ne devait porter que sur ces 9,500,000 fr.

La section centrale admet la même supposition quand elle calcule la part à attribuer aux communes à octroi dans le fonds commun.

Mais, messieurs, les 3,500,000 fr. abandonnés par l'Etat ne sont-ils pas aujourd'hui employés dans l'intérêt de tous, et y a-t-il une raison pour leur enlever cette destination.

Le produit des droits sur le café n'est-il pas payé par tous les habitants du pays et en plus grande partie encore par les habitants des campagnes que par ceux des villes. (Interruption.) Je reviendrai sur ce point. Je constate, pour le moment, que c'est un impôt dont le produit est actuellement employé au profit de tous et qu'il n'y a pas de raison particulière pour qu'il ne continue pas à l'être.

Quant aux postes, on dit que les villes seules en donnent le revenu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le produit net des postes.

M. Pirmez. - J'accepte voire expression. On dit donc que ce sont les villes seules qui donnent le produit net des postes.

Je sais très bien que c'est dans les villes qu'on débite une très grande partie des timbres ; mais il a été très bien démontré déjà, et je ne veux pas revenir sur cette démonstration, que la très grande partie des porte de lettes sont payés par les négociants comme frais généraux de leur commerce et s'ajoutent ainsi nécessairement aux prix de leurs marchandises. Et comme ces marchandises sont consommées dans le pays entier, les ports de lettre seul en réalité payés dans le pays entier. N'est-il pas clair que si un négociant en café d'Anvers dépense 3,000 fr. en timbres-poste, il ne supportera pas en définitive la charge de cette somme, mais que tous ceux qui consommeront de son café contribueront à la lui rembourser ?

Mais, je le sais, c'est à un autre point de vue encore qu'on prétend que les campagnes ne fournissent rien aux postes.

La plus grande partie des dépenses de l'administration, nous dit-on, se fait dans les campagnes et que rapportent les campagnes relativement à ce que donnent les villes ? Mais très peu de chose. Un facteur rural qui doit parcourir 3 ou 4 petites communes en un jour trouverait à peine son salaire dans ce qui est payé pour les lettres et les journaux qu'il transporte.

II ne faut pas oublier, messieurs, que ces correspondances entre les campagnes et les villes profitent autant aux villes qu'aux campagnes. Quand j'envoie de Bruxelles une lettre dans un petit village, je profite autant de cette lettre que l'habitant de ce village qui la reçoit, et il en est de même de la lettre qu'il m'adresse en me répondant.

Du reste, messieurs, avant de retrancher du trésor public un revenu qui y entre aujourd'hui, pour l'attribuer à une partie du pays à l'exclusion de l'autre, sous prétexte que la première le paye seule et que la seconde ne fait que tirer des avantages de l'administration qui perçoit ce revenu, il faudrait faire une comparaison complète de ce que payent les différentes classes de la population et de ce qu'elles prennent dans les fonds de l'Etat.

N'est-il pas des dépenses qui se font exclusivement au profil des villes ? Mais nous avons encore, dans le moment actuel, une demande de crédit pour l'achat d'un immeuble qui contribuera à l'embellissement de Bruxelles. Ne dépense-t-on rien dans les villes en monuments, en fêtes, en entretien de musée, de collections, en subsides de toutes sortes ?

Et d'ailleurs avant de vouloir ainsi réformer une inégalité prétendument existante, il faut étudier à fond une question bien plus vaste encore : comparer la part contributive de la propriété immobilière et de la propriété mobilière dans l'impôt. La première ne se trouve-t-elle pas dans les mains des habitants des campagnes, plus que dans celles des habitants des villes, et la proportion inverse n'est-elle pas vraie pour la seconde ? Quelle est de ces deux propriétés la plus imposée ? Mais on ne contestera pas que la propriété immobilière ne soit surtout atteinte par la contribution directe, et presque exclusivement par les droits de mutation et en fait par les droits de succession.

Mais laissons ces questions étrangères au sujet déjà trop vaste qui nous occupe, et tenons pour constant qu'à moins de faire une grande révision de tout notre système financier, il est impossibIe.de vouloir changer ce qu'un examen isolé conduirait peut-être à prendre pour une inégalité, mais (erratumn, page 1464) ce qui dans l'ensemble du système ne serait qu'une juste compensation.

Un dernier mot sur les postes.

Je vois dans le projet que le fonds communal reçoit le produit net actuel de la poste. Pourquoi n'a-t-on pas dit tout simplement que l'Etat donne 1,500,000 fr. au fonds communal, puisque telle est, paraît-il, la somme de ce produit actuel ? Quelle eût été la différence pratique d'une énonciation et de l'autre ? Mais le produit net actuel de la poste est un chiffre connu et qu'il suffit d'aller prendre exactement dans les bureaux de l'administration des postes. Pourquoi donc ne pas simplement indiquer ce chiffre ?

J'avoue que je dois croire que cette énonciation détournée, sans résultat possible, ne me paraît avoir d'autre but que d'augmenter la part des villes.

Voilà donc un point que je considère comme constant : la répartition doit porter indistinctement sur les 14 millions du fonds commun.

Comment cette répartition est-elle faite dans le projet ?

Je rappelle à la Chambre que je m'occupe de la période définitive, dans laquelle l'article 3 du projet devrait recevoir sa pleine application.

La répartition se ferait alors d'après la triple base des sommes payées par chaque commune pour l'impôt personnel, les patentes, et la contribution foncière sur les propriétés bâties.

Voici le résultat de l'application de ces bases de répartition.

Les villes ou plutôt les communes à octroi (car il est des villes sans octroi, comme des communes rurales avec un octroi) obtiennent 55 p. c du fonds commun, les autres communes n'en obtiennent que 45 p. c.

En mettant en regard des sommes à distribuer le chiffre de la population, on arrive en nombre rond aux conséquences suivantes :

Communes à octroi : Part dans le fonds commun : fr. 7,700,000 ; population : 3,400,000 habitants : part par tête : 6 fr. 40.

Communes sans octroi : Part dans le fonds commun : fr. 6,300,000 ; population : 1,200,000 habitants : part par tête : 1 fr. 88.

Le rapport entre ce qui serait attribué à un habitant des villes à octroi et ce qui serait attribué à un habitant des autres localités est de 5 40/100 à 1.

Pour que la répartition fût équitable, il faudrait donc supposer qu'un habitant des villes consomme à peu près autant que 3 1/2 habitants des campagnes ; c'est-à-dire que 2 citadins consomment à peu près autant que 7 campagnards. Eh bien, j'avoue que, pour moi, il m'est impossible d'admettre une pareille proportion.

On a fait appel à nos appréciations personnelles, on provoque de notre part un examen général qui ne repose ni sur des chiffres, ni sur des données positives de la science ou de la statistique. Maïs quand je fais cet examen, je n'arrive jamais à penser que les résultats auxquels le projet conduit soient exacts.

M. le ministre des finances motive le choix des bases adoptées sur une considération, en elle-même très vraie : Les consommations, dit M. le ministre, sont en rapport avec l'aisance ; l’aisance est en rapport avec les trois bases de contribution qu'on indique, ou plutôt les trois bases qu'on indique ont été calculées sur l'aisance ; elles sont donc en rapport (page 1446) avec la consommation, et partant, elles doivent servir à la répartition.

Je suis parfaitement d'accord avec M.lc ministre des finances, sur tout ce raisonnement ; mais je crois que s'il est juste, il en est fait une fausse application.

Si l'on s'occupe de toutes les consommations quelconques, de toutes sans aucune espèce d'exception, des consommations voluptuaires comme des consommations utiles, et des consommations utiles comme des consommations nécessaires, M. le ministre des finances est parfaitement dans le vrai. Mais, remarquez bien que les impôts qui alimentent le fonds communal, n'atteignent pas toutes les espèces de consommation ; ils ne frappent que très peu les choses de luxe et beaucoup les choses qui sont plutôt nécessaires que superflues.

Or si l'on peut admettre que le système de M. le ministre des finances soit parfaitement juste lorsqu'on considère toutes les consommations possibles, il devient complètement inexact quand on l'applique à des impôts frappant des choses consommées par toutes les classes de la société, comme la bière, le café, le genièvre.

Permettez-moi, messieurs, de vous faire saisir de plus près encore cet que je veux établir. Supposons un impôt sur les pommes de terre et sur le pain, c'est-à-dire sur tout ce qui est le plus indispensable à la subsistance. Serait-il possible de soutenir que la consommation des pommes de terre et du pain soit en rapport avec les trois bases indiquées ? Evidemment non. Un homme ayant 400 francs de revenu par an consomme autant de pommes de terre et de pain qu'un autre homme ayant 500 ou 600 francs de revenu ; car ce sont des objets de consommation dont l'aisance ne développe pas l'usage.

La richesse peut même produire un résultat diamétralement opposé, en permettant de remplacer ces aliments les plus communs, pour une partie au moins, par des choses meilleures dont elle rend l'accès possible.

Supposez maintenant une personne ayant 5,000 francs de revenu, elle pourra, avec cette somme, se procurer toutes les choses d'un usage ordinaire ; attribuez-lui un revenu double, la consommation des choses imposées par le projet n'augmentera guère pour elle ; cet accroissement de rente sera employé, dans une bien plus forte proportion que ce qu'elle avait d'abord, en achat d'objets de luxe, meubles, tentures, vases, tableaux que sais-je ? toutes choses que l'impôt de consommation n'atteint pas.

On voit maintenant pourquoi les bases admises par M. le ministre des finances sont complètement insuffisantes.

Qu'il me soit permis de le dire encore, je crois que l'on se fait une idée bien inexacte de ce que sont les villes et de ce que sont les campagnes. On me paraît un peu juger les villes par l'impression que laisse une promenade de la station du Luxembourg à la station du Nord en passant par la Montagne de la Cour. On suppose que, dans les villes, tout est aisance et que dans les campagnes on ne trouve que des marchands de légumes ou des éleveurs de bestiaux. Voilà l'idée générale que l'on se formerait quand on entend les observations faites à l'appui du projet de loi.

Il y a une chose très remarquable, c'est que, dans les villes, le luxe et l'aisance s'étalent et la misère se cache, tandis que dans tes campagnes on voit tout ; et cela est vrai pour l'ensemble comme cela est vrai pour les particuliers.

N'avez-vous pas dans vos villes, à côté de l'extrême opulence, l'extrême pauvreté, et derrière ces rues magnifiques, où le luxe et la richesse se montrent dans toute leur splendeur, ne trouvez-vous pas souvent une impasse, où vit, dans un étroit espace, une population égale à celle d'une commune rurale entière ut où la misère rogne dans toute sa laideur ?

Croyez-vous que les 40,000 habitants qui forment la population ouvrière de Gand consomment plus que les campagnards de nos cantons agricoles ? Croyez-vous qu'ils consomment autant que ta population ouvrière des grands centres industriels comme celui que je représente ici ? J'ose dire que non.

Eh ! messieurs, dans les classes aisées il y a quelque chose qui approche de ce que je signale dans l'ensemble. Vous verrez dans les villes ceux qui n'ont qu'un revenu modeste étaler beaucoup de luxe au-dehors et s'imposer beaucoup de privations au-dedans ; souvent on dépense, en choses que le public voit, ce qu'on devrait dépenser en choses qu'il ne voit pas. A la campagne, on sacrifie moins au luxe, et pour beaucoup si la vie est plus simple, elle est plus confortable. On trouvera une énorme différence entre ce qui se consomme dans deux familles d'égale aisance, mais vivant l'une à la campagne et l'autre à la ville. Mais comparez avec ceux des villes les festins de la campagne ; est-il rare d'y voir dîner pendant un demi-jour ? (Interruption.)

Messieurs, j'en appelle à vos souvenirs, à vos impressions. Je ne pense pas à contester que la richesse ne se trouve plus dans les villes que dans les campagnes, mais n'oubliez pas de tenir compte de l'application différente qui en est faite aux consommations, et si, après avoir comparé les classes riches, vous comparez les classes pauvres, vous vous convaincrez que la misère, pour s'y cacher davantage, n'y est pas moins réelle qu'ailleurs.

J'ai parlé de la population ouvrière de Gand ; je l'ai comparée à celle d'autres localités ; mais je dirai maintenant : Allez à Bruges, allez à Tournai où une si notable partie de la population vit de ce que lui donne le bureau de bienfaisance, et mes observations auront encore plus de force.

Messieurs, ici pas plus que les partisans de la répartition du projet, je ne puis indiquer les chiffres exacts ; le seul document statistique auquel j'ai pu recourir est le tableau qui nous a été donné comme annexe au projet de loi et qui indique la consommation des bières dans toutes les communes à octroi de la Belgique.

Mon honorable ami, M. Sabatier, a eu la patience de faire tous les calculs nécessaires pour apprécier, d'après le tableau, la quantité de bière consommée dans les villes et la quantité consommée dans les campagnes.

Voici en chiffres ronds les résultats auxquels on arrive.

La consommation de bière dans le pays entier est à peu près de 6 millions et demi d’hectolitres (6,380,000) ; les villes consomment environ 2 millions d'hectolitres. (Interruption.)

Si les données du tableau contiennent des erreurs, je ne vois pas pourquoi ces erreurs seraient plutôt en faveur des campagnes qu'en faveur des villes.

Les campagnes consomment plus de quatre millions d'hectolitres.

Ainsi, les campagnes consommeraient à peu près deux fois autant de bière que les villes.

Voilà ce qui résulte du tableau que je cite. L'honorable M. de Naeyer a fait, je pense, des calculs analogues sur la consommation des eaux-de-vie ; il est arrivé à un résultat à peu près identique.

Cette consommation des campagnes, double de celle des villes, n'étonne, que si l'on oublie que la population des campagnes est de 3,400,000 âmes et que celle des villes n'est que de 1,200,000.

En calculant la moyenne par tête pour les deux parties du pays, on trouve pour les villes 1 hectolitre 69 litres et pour les campagnes 1 hectolitre 27 litres, ce qui constitue une assez grande différence en faveur des habitants des villes.

Apres cette appréciation générale, à laquelle on nous a conviés et dont j'ai parlé, je ne trouve rien qui m'étonne, dans le résultat de ce tableau. (Interruption.)

Je ne prétends pas qu'un habitant des campagnes consomme autant qu'un habitant des villes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A peu près.

M. Pirmez. - La différence est de plus d'un quart. Vous avez produit le tableau et maintenant vous nous dites : C'est un renseignement que je vous ai donné, pour que vous ne vous y renseigniez pas.

Il est, du reste, facile de s'assurer de la consommation de la bière dans certaines parties du pays.

Ainsi, l'honorable M. Royer de Behr a parlé de l'arrondissement de Charleroi, il a dit que l'arrondissement de Charleroi ne recevrait pas autant qu'il payerait en plus d'après le projet d'accise sur la bière. Je ne pourrais pas donner exactement les chiffres, mais si je m'en rapporte à la pétition des brasseurs de cet arrondissement administratif, ceux-ci payeraient un excédant d'accise d'environ 400,000 fr., tandis que les communes ne recevraient toutes ensemble, quant à présent du moins, qu'environ 230,000 fr.

M. le ministre a un moyen bien simple de démentir l'assertion si elle est inexacte, car l'arrondissement de Charleroi n'exporte pas de bière, et cela par une raison très simple, c'est que la bière qu'on y fabrique n'a aucune qualité spéciale qui la fasse rechercher en dehors des lieux de production. M. le ministre a tous les moyens de faire briller la vérité ; le chiffre de l'accise perçue fixera le minimum de la consommation.

- Un membre. - Mais on y importe de la bière du dehors.

M. Pirmez. - Ces importations compenseront largement les faibles exportations qui se feraient dans le voisinage.

Je signalerai du reste en faveur du tableau que j'ai invoqué un fait assez remarquable, c'est que les trois plus grandes villes du pays après Bruxelles (nous n'avons pas de donnée fixe pour Bruxelles), les trois villes de Gand, Anvers et Liège sont renseignées comme consommant à peu près la même quantité de bière, et cette quantité est inférieure à la moyenne que le tableau donne pour les communes à octroi.

Je crois avoir démontré que les bases adoptées par M. le ministre des finances n'atteignent pas le but qu'on se propose.

Elles seraient exactes si elles s'appliquaient à toutes les consommations, elles ne le sont pas n'étant appliquées qu'aux consommations qui forment le revenu principal du fonds communal.

Il y aurait, je pense, moyen de remédier à ce défaut, ce serait de faire entrer la population pour une part dans les bases de la répartition. Les observations que j'ai présentées prouvent suffisamment qu’elle influe comme l'aisance sur la consommation des choses ou nécessaires à la subsistance ou au moins d'une utilité commune et générale.

Je me réserve de présenter, dans le cours de la discussion, un amendement en ce sens.

J'avoue, messieurs, que la partie du projet dont je viens de m'occuper est loin d'être celle qui mérite le plus de critiques. Ce que je tiens surtout à voir rectifier, c'est la disposition transitoire contenue dans l'article 14 du projet. Je suis prêt à voter des mesures transitoires très larges pour faciliter le passage d'un état de choses à un autre ; mais je (page 1447) ne puis admettre que sons le nom de disposition transitoire on introduise dans le projet des dispositions perpétuelles.

Je suis en droit de dire qu'elle est perpétuelle cette disposition qui porte que les villes à octroi ont droit à un minimum qui leur est toujours garanti... (Interruption). Vous ne dites pas que les villes ...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est le partage d'un fonds, si le fonds diminue, la part de chacun diminue, c'est ce que dit formellement l'amendement.

M. Pirmez. - Garantit-on, oui ou non, que les villes prélevèrent à toujours dans le fonds communal le minimum que vous indiquez ?

L'amendement porte, il est vrai, que, s'il arrive que le fonds communal diminue, le minimum des villes à octroi subira une diminution proportionnelle. Mais cette diminution ne sera que momentanée, puisque l'amendement porte que les villes recevront, les années suivantes, ce que cette diminution leur aura ainsi fait perdre, c'est-à-dire qu'elles recouvreront, dans les exercices postérieurs, ce que des circonstances momentanées leur auront enlevé.

Ainsi je constate que le projet de loi attribue (je ne dirai pas garantit, si l'on ne veut pas de ce terme) aux villes à octroi un minimum dont elles jouiront à perpétuité.

Or, je dis que ce n'est pas là une disposition transitoire, parce qu'une disposition transitoire est essentiellement limitée par le temps, et que celle-ci ne l'est pas, puisqu'elle doit durer toujours.

Mais en quoi consiste cette prétendue disposition transitoire ? Elle consiste simplement à faire des villes à octroi les créancières de tout le pays pour une rente de plus de onze millions. C'est une dette de 210 millions de francs que vous inscrivez au grand-livre de la dette publique, et dont un certain nombre de communes seulement seront créancières. Toutes les communes, il est vrai, en seront débitrices, les villes à octroi comme les autres, mais les premières en seront seules créancières.

L'honorable ministre de l'intérieur vient de nous dire qu'il faut l'égalité entre toutes les communes, qu'on doit faire disparaître toutes les traces de distinctions et de privilèges. Je lle demande aussi. Mais si vous voulez supprimer tous les privilèges, si vous voulez pour toutes les communes une égalité complète, ne faites pas des unes des créancières, des autres des débitrices.

Le projet de M. le ministre des finances et l'amendement de la section centrale reconnaissent également que la rente a le caractère d'une dette ; seulement l’amendement donne aux communes débitrices, dans certains cas, une espèce de terme de grâce pour se libérer.

Mais l'iniquité de la répartition modifiée par la disposition transitoire ne saute-t-elle pas aux yeux ?

Les communes à octroi avec leur population de 1,200,000 âmes prendront plus de 11 millions, tandis que les autres communes avec leur population de 3 millions 400,000 âmes auront moins de 3 millions. Les villes recevront près de 10 fr. par habitant, tandis que les campagnes auront moins d'un franc !

Ce n'est pas tout.

S'il y a un déficit la première année et que le fonds soit réduit, comme le projet le prévoit, à 12,500,000 fr., ce sont les campagnes qui supporteront cette perte de 1,500,000 fr., en sorte qu'elles recevront moins de 50 centimes par habitant, ou un vingtième de ce que recevront les villes aussi en calculant par tête d'habitant.

Ce n'est pas tout encore.

On nous représente sans cesse les employés de l'octroi comme n'ayant pas d'autre mission que de vexer et de tourmenter les campagnards pour prendre leur argent.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ils remplissent un devoir.

M. Pirmez. - Sans doute, mais pourquoi sont-ce les campagnes qui doivent payer leur indemnité de retraite ?

- Un membre. - Cette indemnité sera payée au moyen du fonds communal.

M. Pirmez. - Pas du tout, car cette indemnité sera prélevée sur la part des communes sans octroi, et la conséquence en est qu'en supposant même que la diminution redoutée pour la première année ne se produise pas, l'habitant des campagnes ne recevrait en moyenne que 70 centimes tandis que l'habitant des villes conserverait ses 10 francs !

Je ne puis pas admettre que ce soit là une chose juste.

Mais, nous dit-on, si cette disposition ne renferme pas en elle-même un germe qui en supprime les effets dans un temps donné, elle perdra toute valeur par la force même des choses. Les revenus de l'impôt indirect grossissent chaque année, l'expérience nous le prouve, et dans un avenir plus ou moins éloigné, la répartition se fera malgré l'existence du minimum d'après les bases adoptées, parce que la part normale des communes à octroi égalera ce minimum.

« Petit poison deviendra grand

« Pourvu que Dieu lui prête vie. »

Oui, messieurs.

« Mais le lâcher en attendant

« Je tiens pour moi que c'est folie. »

Et qui peut ici tous garantir le développement progressif et continu, de l'impôt indirect ?

Le fonds communal augmentera peut-être, probablement si l'on veut ; je le désire, mais je n'en ai pas la certitude.

Ah ! si vous ne consultez que l'expérience des 30 années qui seront écoulées depuis 1830 ou des 45 années qui nous séparent de 1813 ; si vous ne prenez dans le passé qu'une époque si exceptionnelle de prospérité et de paix qu'aucune autre ne peut lui être comparée, je conçois que vous affirmiez cette augmentation future dos contributions indirectes. Mais si vous ne consultez pas de l'histoire que ses dernières pages, si vous remontez plus haut dans le livre, vous reconnaîtrez qu'il contient des enseignements qui ne permettent pas d'espérer toujours des époques aussi heureuses.

Cette paix si longue a eu, du reste, une cause. Cette rude leçon des désastres de la guerre que tous les peuples de l'Europe ont tour à tour subis, a porté longtemps des fruits, mais le souvenir ne commence-t-il pas à s'en effacer ?

La paix et la prospérité publique sont nécessaires pour que vos ressources augmentent ; si elles vous font défaut, vous aurez un effrayant décroissement de recettes. Et en ce moment où l'on ne sait si l'on doit craindre ou espérer, qui oserait garantir que la paix de l'Europe ne sera pas troublée ? Mais si vous ne pouvez garantir la paix, vous ne pouvez pas davantage garantir l'accroissement du fonds communal.

L'avenir est, pour M. le ministre des finances et pour la section centrale comme pour nous tous, une lettre close ; personne n'a le pouvoir da la décacheter.

Pourrez-vous, messieurs, voter une loi qui soumet des droits à la réalisation d'espérances incertaines ? Pour ma part, je ne puis adopter une disposition qui ne repose que sur une prophétie.

Je comprends fort bien qu'une disposition comme celle que je combats a des charmes et je ne m'étonne pas que les communes qui en profitent en soient très satisfaites. Aussi je n'ai pas été surpris non plus lorsque quelques-uns de nos collègues, MM. H. Dumortier, Tack, etc., ont réclamé un minimum pour les communes qui payent une capitation. C'est très avantageux pour ces communes. Mais qui payera ce minimum ? Les communes qui n'ont ni octroi ni capitation. Vous venez simplement dire que puisqu'on prend pour les communes à octroi, l’on doit prendre aussi pour les communes à capitation.

- Un membre. - On combattra cet amendement.

M. Pirmez. - Oui, je suis persuadé que M. le ministre des finances le combattra, et avec beaucoup de raison, je vous comprends ; vous avez des besoins, vous voulez de l'argent pour y pourvoir. Mais ce n'est pas à nous de vous le fournir. L'argument, je puis le reproduire contre les communes à octroi ; car de même que les communes à capitation, les communes à octroi demandent que nous subvenions à leurs dépenses.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les campagnes ne concourent-elles pas au payement des octrois ?

M. Pirmez. - Je vais arriver à cette objection ; mais permettez-moi de vous faire observer auparavant qu'il n'y a pas plus de raison d'ajouter au montant des octrois dans les villes, les capitations payées par les habitants extra muros que de donner aux communes sans octroi le minimum de leurs capitations.

Mais, nous dit M. le ministre des finances, les communes rurales ne contribuent-elles pas au payement des octrois ? Tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur nous disait que les octrois sont un reste de féodalité, un privilège odieux, en vertu duquel les villes exploitent les campagnes. Je ferai remarquer d'abord que si c'est une féodalité, il serait bon de l'abolir sans indemnité ; car je ne sache pas que la féodalité ail été abolie moyennant indemnité.

Mais M. le ministre de l'intérieur (puisque je lui réponds, je continuerai), nous dit : Ce sont les campagnes qui réclament l'abolition des octrois ; ce ne sont pas les villes. Les villes sont dans une situation florissante. Elles ont leurs caisses communales s'emplissant incessamment grandement par les revenus des octrois. Ce sont ls campagnes qui ont uniquement à se plaindre. Les villes sont dans une excellente situation.

Les caisses communales dans les villes s'emplissent régulièrement. Mais qui emplit ces caisses ? Je démontrerai tantôt que ce sont bien les habitants des villes, mais ne confondons pas la ville avec sa caisse. Je comprends que les administrations des villes ne demandent pas la suppression des octrois dans l'intérêt de leurs finances, mais les habitants la demandent ; et c'est toujours des villes que sont parties les demandes de suppression des octrois. Je n'ai jamais entendu dans les campagnes qu'on se plaignît des octrois. Je sais que c'est une chose (erratum, page 1464) gênante ; mais n'est-elle pas mille fois plus gênante pour les habitants des villes que pour les habitants des campagnes ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est gênant pour tout le monde.

M. Pirmez. - C'est évidemment gênant pour tout le monde. Mais quand une barrière est gênante, ce qui est gênant c'est de l'avoir à moins d'un quart de lieue de chez soi. Elle est beaucoup moins gênante pour ceux qui sont à une demi-lieue, à 2, 3, 5 ou 6 lieues.

Eh bien, voilà la position des habitants des villes ; ils ont la barrière à leur porte ; ils ne peuvent sortir un instant sans la franchir avec tous (page 1448) ses inconvénients, ils ne peuvent voyager, prendre le moindre paquet sans que, rentrant chez eux, ils aient à renseigner ce qu'ils portent avec eux.

Les habitants des campagnes n'ont pas cet inconvénient. Ils peuvent faire de très longs voyages sans rencontrer les obstacles que je viens de signaler.

Les habitants des villes, à ce point de vue, sont beaucoup plus frappés par l'octroi.

Mais ce que vous supposez toujours, c'est qu'il n'y a dans les campagnes que des marchands de légumes, des marchands de bestiaux et d'autres choses servent à la consommation des citadins. C'est là-dessus que repose tout le raisonnement. Mais c'est là une grande erreur. Vous avez des parties considérables du pays où il n'y a pas d'octrois, où les villes à octroi sont d'une si mince importance relativement au reste, que les octrois n'y ont pas de sérieuse importance. J'indiquerai cette partie du pays s'étendant entre Mons et Namur. Quelles sont les villes à octroi qui s'y trouvent ? Ce sont Charleroi, Philippeville et Marienbourg. Croyez-vous que cela exerce une grande influence sur les environs et que les octrois y soient une bien lourde charge pour les campagnards ?

Mais j'arrive à l'objection de M. le ministre sur les producteurs des campagnes qui payent l'octroi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Une partie de l'octroi.

M. Pirmez. - Une partie notable de l'octroi. Sommes-nous d'accord ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit que le producteur et le consommateur payaient alternativement l'octroi dans des mesures que je ne saurais pas déterminer.

M. Pirmez. - Si cette mesure est, pour l'habitant des campagnes, extrêmement (erratum, page 1464)minime, je n'ai pas intérêt à le contester, je vous l'accorderai. Mais lorsque vous nous présentez un projet de loi par lequel vous donnez à l'habitant des villes dix fois autant qu'à l'habitant des campagnes, j'ai le droit de vous dire : Précisez-nous cette mesure et établissez-nous pourquoi l'habitant des campagnes paye dix fois plus que l'habitant des villes. Car voilà la proportion. Il ne suffit pas de dire : Le producteur paye quelque chose, il faut dire combien. Or, j'ose avancer que l'habitant des campagnes n'entre dans le payement de l'octroi que pour une fraction imperceptible, une fraction que, dans les grandes choses, il faut négliger.

Je sais bien que, dans la science économique, presque toujours la vérité n'est pas ce qu'on voit. Je sais bien que quand un habitant de la campagne fournit à la ville des comestibles, c'est lui qui (erratum, page 1464) avance l'octroi. Et encore ce n'est pas un fait général, car remarquez que la plus grande partie des denrées agricoles ne payent pas d'octroi, et que pour la viande, c'est très souvent et ordinairement le boucherie la ville qui va acheter au-dehors les bêtes qu'il doit abattre et faire consommer dans la ville.

Eh bien, pour savoir si le producteur perd quelque chose, parce que la bête qu'il a élevée sera consommée dans une ville à octroi, il faut se demander si, quand le boucher de la ville va acheter une bête, il peut dire à l'éleveur : Vous me vendrez moins cher, parce que j'ai l'octroi à payer. Je demande si un marchand de bestiaux tiendra compte de cette circonstance et donnera ses bestiaux à moindre prix au boucher de la ville qu'à celui de la campagne ?

Mais M. le ministre des finances nous a cependant cité une autorité. Il nous a cité un entrepreneur de boucherie qui avait été entendu dans une enquête. M. le ministre lui a fait beaucoup d'honneur ; je ne pense pas que cet homme pouvait s'attendre à être cité comme une autorité dans le parlement belge. Car cet homme, je vais vous le démontrer, observe mal et ne comprend rien, absolument rien, aux faits économiques. Ainsi il avance que c'est l'agriculteur qui paye l'entièreté de l'octroi, que l'habitant de la ville n'y est pour rien, qu'il ne paye pas sa viande plus cher parce qu'il y a un octroi. « Il est certain, dit-il, pour moi que l'octroi, dans la fixation du prix de la viande, ne joue aucune espèce de rôle, puisque cette fixation dépend uniquement de l'offre d'un côté, de la demande de l'autre. Ainsi, la même viande que je vends aujourd'hui au prix de 70 centimes, le lendemain, si le besoin s'en fait plus vivement sentir, si l'abondance est moins grande, je la vends 80 centimes. Ainsi du jour au lendemain la même qualité de viande va subir une augmentation ou une dépréciation de 10 centimes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est clair.

M. Pirmez. - C'est très clair.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et c'est vrai.

M. Pirmez. - Et très vrai. Mais je nie que l'octroi n'exerce aucune influence là-dedans, et je vais le démontrer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous jouez sur les mots.

M. Pirmez. - Je vous réponds que je ne jouerai pas sur les mots et que ma démonstration sera complètement exempte de toute ambiguïté.

Il est très vrai que l'offre et la demande règlent le prix des choses. Il est encore vrai que quand l'offre de la viande sera très grande à Paris, le prix sera moins élevé, et j'admets qu'il peut y avoir, d'après ce principe de l'offre et de la demande, une différence de 10 centimes entre deux époques données. Mais cela ne prouve pas que s'il n'y avait pas eu d'octroi le prix de la viande, en supposant que l'octroi soit de 10 centimes, n'eût pas été de 60 et 70 cent. au lieu d'être de 70 et 80 cent. Les prix s'abaissent toujours aux frais de production, parce que l'offre est toujours telle que l'on se contente, dans chaque profession, des bénéfices ordinaires dans toute espèce de commerce.

Eh bien, si pour conduire de la viande au marché de Paris, il faut payer 10 centimes, la viande se vendra 10 centimes plus cher, car la concurrence serait toujours la même ou plutôt la concurrence serait plus grande, s'il n'y avait pas d'octroi. Ainsi l'habitant de Paris payera sa viande plus cher au moins de la différence de prix que l'octroi entraîne.

Mais ce n'est pas tout, l'octroi a pour résultat nécessaire de diminuer l'offre, parce qu'il y a un certain risque à introduire de la viande dans une ville à octroi ; ou a la chance de devoir la rapporter sans l'avoir vendue ; or, c’est encore l'acheteur qui doit supporter ce risque parce qu'il s'ajoute aux frais de production. Le consommateur de Paris payera donc la viande plus cher au moins du montant de l'octroi.

Cela ne veut pas dire que la viande sera plus chère dans la ville à octroi qu'elle ne l'est aux portes de la ville ; des circonstances d'un autre genre peuvent faire que le prix soit égal, mais ce sera parce que la viande eût été à moindre (erratum, page 1464) prix qu'au-dedans qu'au-dehors, s'il n'y avait pas eu d'octrois.

Pour les choses qui peuvent indéfiniment se conserver sans se gâte, la différence entre le prix de l'intérieur de la ville et le prix de l'extérieur sera toujours égale au montant du droit. (Interruption.) L'entrepreneur de boucherie signale la chose : « L'octroi fait à l'Etat vingt mille ennemis par an ; on retrouve la haine de l'octroi au fond de toutes les insurrections. On ne fera jamais comprendre à un ouvrier que le vin doit valoir 40 centimes au-dedans et 20 centimes au-dehors. »

Eh bien, pourquoi, au-dehors, d'après cet économiste improvisé, pourquoi le vin se vend-il plus cher en ville qu'au dehors ? Pourquoi l'octroi, qui ne fait absolument rien au prix de la viande a-t-il pour effet de doubler le prix du vin ? On voit que c'est là une chose absolument impossible. Mais il n'y a aucune raison sensible pour que le vin soit moins cher à Paris que dans les petites localités voisines, il y en a de très bonnes pour que la viande s'y vende à plus bas prix ; en sorte que la taxe d'octroi qui se voit très bien dans le prix du vin, peut, quant à la viande, ne faire que rétablir l'égalité de prix.

Dans les grands centres le débit des objets de consommation est presque certain et cette presque certitude du débit de la viande, par exemple, empêche que le vendeur n'augmente notablement son prix pour couvrir la perte de ce qui se gâterait faute de vente en temps opportun. Au contraire, dans une petite commune, le boucher aura la presque certitude de ne pas vendre toute sa viande, et, par conséquent, d'en perdre une partie ; il est évident qu'il devra, pour faire les mêmes bénéfices que son confrère de la ville, vendre à un prix plus élevé. Ceci explique pourquoi la viande se vendait, au rapport du témoin cité et malgré l'octroi, au même prix à Paris et à Bagnolet.

Je lis dans l'opinion de ce même économiste que l'octroi est une charge tellement lourde qu'il aime mieux envoyer ses agneaux à Londres qu'à Paris, qui est à sa porte.

Mais je lui demanderai comment il se fait que ce fait d'envoyer ces agneaux à Londres au lieu de les envoyer à Paris n'influe pas sur les prix payés dans cette dernière ville ?

N'est-il pas évident que, si l'octroi n'était pas là pour y mettre obstacle, une plus grande quantité d'agneaux seraient envoyés à Paris et que la consommation ferait baisser le prix de vente ?

L'octroi est une vexation très inique, c'est une entrave à la liberté du campagnard, à qui elle impose une perte de temps considérable ; mais cette perte de temps il doit encore nécessairement la faire payer au citadin. S'il la subit, pour lui vendre des objets de consommation, s'il faut une heure de plus pour arriver au marché, à cause de l'octroi, c'est une heure de travail qui viendra s'ajouter aux frais de production des choses portées au marché et que l'acheteur devra payer.

On nous dit encore : Le campagnard qui paye ainsi une partie des droits d'octroi comme producteur, en paye encore une partie comme consommateur ; chaque fois que le campagnard entre en ville et y boit ou y mange, il paye quelque chose à l'octroi.

Et d'abord, cela n'est pas aussi injuste qu'on veut bien le dire. Si quelqu'un habite pendant un demi-jour la ville, il profite pendant ce demi-jour des avantages de la ville. Mais je demanderai qu'au lieu de se borner à dire que l'habitant des campagnes paye quelque chose comme consommateur, on cherche à préciser, à dire combien, en moyenne, il paye ; j'ose dire qu'il paye infiniment peu. Que l’on calcule la population flottante d'une ville quelle qu'elle soit, et l'on trouvera toujours que, relativement à sa population sédentaire, elle est presque insignifiante.

Supposons même (supposition absurde), supposons que la population étrangère de passage soit pour moitié dans celle des villes à octroi, ce ne serait pas une raison pour établir une différence de 1 à 10 ?

Mais n'y a-t-il, dans la population étrangère d'une ville, que des habitants de communes sans octroi ? Mais ils forment le petit nombre. Voyez (page 1449) ce qu'envoient tous les jours à Bruxelles, Anvers, Mons, Gaud, Bruges et les autres grandes villes et vous aurez la conviction que tous les habitants des villes à octroi sont en majorité dans cette population flottante de la capitale

Messieurs, je crois avoir démontré que ce sont, en définitive, les habitants des villes qui supportent l'octroi. Je crois avoir démontré qu'il est impossible de maintenir une disposition transitoire perpétuelle.

Je proposerai à la Chambre un amendement qui a pour objet de faire disparaître cette perpétuité de la disposition transitoire et de diminuer la part des villes à octroi dans la répartition du fonds communal, tout en conservant les ménagements réclamés par tout changement important.

Voici cet amendement :

« Art. 14. Remplacer les paragraphe 2 et 3 par la disposition suivante :

« La quote-part attribuée à une commune, par la répartition faite en vertu de l'article 3, ne pourra être, pour la première année, inférieure à 90 p. c. du revenu des droits d'octroi pendant l'année 1859, déduction faite des frais de perception et des restitutions allouées à la sortie.

« Ce minimum sera successivement, pour chacune des années suivantes, de 85 p. c, de 80 p. c, et ainsi de suite en le diminuant de 5 p. c. chaque année, jusqu'à ce que la disposition de l'article 3 reçoive son application. »

Je sais bien, messieurs, qu'on me dira : Vous allez mettre les villes à octroi dans le plus grand embarras, vous allez les forcer à s'imposer. Mais l'honorable M. de Naeyer a déjà répondu en grande partie à cette objection.

Les administrations communales des grandes villes ne seront pas dans une position aussi commode qu'avec le projet primitif, je le reconnais volontiers, et je crois que si le projet de loi passe avec mon amendement, nous n'aurons pas autant de félicitations que M. le ministre en a reçu.

Il n'est jamais très agréable pour une administration communale d'établir des impôts et surtout des impôts directs ; mais ce n'est pas une raison pour faire supporter une partie des charges des grandes villes par les communes sans octroi.

J'ai dit en commençant que je considère la création d'un fonds communal comme un principe très admissible, parce que la commune doit pourvoir à ses besoins, comme l'Etat, en partie par des impôts directs et en partie par des impôts indirects ; mais ce serait manquer à ce principe même de l’institution que de vouloir que les villes puissent satisfaire à leurs besoins uniquement avec les revenus que l'Etat touchera pour elles.

Pourquoi les villes à octroi n'établiraient-elles pas des cotisations ?

La ville de Bruxelles l’a bien fait pour le Quartier-Léopold ; pourquoi ne pourrait-on pas le faire dans d'autres villes ? Mais est-ce une taxe aussi élevée qu'il faudrait établir pour combler le vide que produirait dans les caisses des villes l'adoption de mon amendement ? Mais il ne s'agit que d'une diminution de 10 p. c. seulement pour la première année ; la décroissance ne serait plus ensuite que de 5 p. c. par an.

Il est beaucoup d'objets qui sont aujourd'hui frappés par l'octroi, et que les villes pourraient encore sans l'octroi imposer la consommation ; il serait beaucoup plus juste de les atteindre encore que de demander des impôts frappant les campagnes comme les villes.

Ainsi on a parlé d'imposer le charbon de terre, à son extraction même ; mais pourquoi les villes qui le taxaient à l’entrée n'établiraient-elles pas un impôt sur les foyers où on le consomme ? Serait-il bien difficile d'obtenir un classement des foyers qui répondent aux exigences d'un impôt juste ?

L'octroi impose l'avoine. Pourquoi aujourd'hui ne pas imposer les chevaux qui mangent l'avoine ?

L'octroi impose des matières qui entrent dans les constructions. Pourquoi ne pas imposer les constructions mêmes ? Ne sont-elles pas assez apparentes pour que la perception de l'impôt soit assurée ?

Voilà quelques moyens, quels que seront les objets imposés par les villes, la mesure sera plus juste que celle qui frapperont le pays entier au profit d'une partie du pays.

Quand je parle de capitation, je ne veux pas prôner le système de capitation arbitraire que l'on rencontre dans certaines communes ; les villes doivent faire rechercher un système de signes matériels fixes, indicateurs de la richesse, à peu près dans le genre de notre système.de contribution personnelle, et lorsqu'elles auront un système satisfaisant, la capitation cessera d'être un impôt odieux et leur permettra de facilement pourvoir à leurs besoins.

Messieurs, on dit qu'il est impossible que les villes s'imposent directement.

Messieurs, l'honorable ministre des finances nous a fait naguère distribuer un document très considérable et très important, précisément pour nous éclairer sur la réforme des octrois ; c'est un rapport sur les taxes locales en Angleterre.

J'ai parcouru ce document avec un très grand soin, pour m'éclairer sur la réforme que l'on nous propose, et je n'en ai tiré, quant au système à employer pour remplacer tes octrois, qu'un seul enseignement, c'est que les villes peuvent pourvoir à leurs dépenses par la taxe directe.

En Angleterre, c'est avec l'impôt direct que l'on fait face aux dépenses communales. Et notez que cet impôt, qui comprend la taxe des pauvres, est énorme. Je ne demande certes pas qu'on établisse dans notre pays de pareilles contributions ; mais quand on voit en Angleterre les grandes villes pourvoir presque exclusivement par la taxe directe à leurs besoins, n'est-on pas fondé à dire que des villes peuvent et doivent, au moins dans une certaine proportion, y puiser leurs ressources.

A Dublin, l'impôt sur le revenu est de 32 p. c ; à Liverpool, il est de 21 p. c.

A Birmingham, l'impôt est de 5 schillings 3 pence par livre, du revenu des immeubles, soit 26 p. c.

La population de Birmingham était en 1851 (date du dernier recensement) de 232,000 habitants, et le revenu imposable, de 1,204,000 livres st., ce qui fait un impôt de 6,650,000 fr.

En calculant la part contributive moyenne des habitants, on trouve que cet impôt s'élève à 26 fr. par tête si l'on prend la population indiquée par le recensement, et il s'élève encore à 23 fr. en supposant que la population ait atteint 280,000 habitants.

A Manchester, la taxe directe est de 5 schillings 10 pence par livre soit 29 p. c. du revenu des immeubles ; il y avait en 1851, 300,000 habitants ; on suppose qu'il y en a aujourd'hui 400,000 ; le revenu est de 8,729,000.

Ce qui fait, d'après la population de 1851, 29 fr. par tête, et d'après la population actuelle 21 à 22 fr. par tête.

Je le répète ; il ne peut être question d'imposer une taxe approchant même de loin celle que j'indique ; mais encore une fois quand des villes aussi considérables que Birmingham et Manchester puissent aussi largement à la source de la contribution directe, est-il déraisonnable de demander que nos villes entrent aussi, pour une faible quotité, dans cette voie ?

Messieurs, je termine.

On a parlé beaucoup de la nécessité de l'égalité entre les villes et les campagnes ; c'est au nom de cette égalité que je propose mon amendement.

On proclame la nécessité de faire disparaître ces douanes intérieures qui divisent le pays en deux catégories de citoyens. Prenez garde, messieurs, en faisant tomber les murs d'enceinte et les aubettes de l'octroi de remplacer ces barrières matérielles, par des barrières morales dont l'effet serait bien plus pernicieux.

Je ne crois pas me tromper en disant que rien ne peut creuser une séparation plus profonde entre les diverses catégories de citoyens que l'inégalité dans les faveurs que distribue et dans les charges qu'impose la loi.

M. le président. - Voici l'amendement de M. Pirmez :

« Art. 14. Remplacer les paragraphes 2 et 3 par la disposition suivante :

« La quote-part attribuée à une commune, par la répartition faite en vertu de l'article 3, ne pourra être, pour la première année, inférieure à 90 p. c. du revenu des droits d'octroi pendant l'année 1859, déduction faite des frais de perception et des restitutions allouées à la sortie.

« Ce minimum sera successivement, pour chacune des années suivantes, de 85 p. c, de 80 p. c, et ainsi de suite, en le diminuant de 5 p. c. chaque année, jusqu'à ce que la disposition de l'article 3 reçoive son application. ».

- L'amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.

La suite de la discussion est remise à mardi, 5 juin, à 2 heures.

Projets de loi approuvant les traités de commerce conclus avec les républiques du Pérou et d’Argentine

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau deux projets de loi relatifs à deux traités de commerce conclus, l'un avec la République du Pérou, l'autre avec la République argentine. .

- Impression, distribution et renvoi aux sections.

La séance est levée à 4 heures et un quart.