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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 juin 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1467) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants de Capelle-St-Ulric présentent des observations sur le projet de loi relatif aux octrois. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Grégoire, lieutenant pensionné, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur François Petit, propriétaire cultivateur à Jamoigne, né à Cemboing (France), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les membres du conseil communal de Rumpst demandent que le projet de loi relatif aux octrois supprime l'impôt de capitation ou d'abonnement dans les communes rurales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les membres du conseil communal de Meeswyck demandent la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Tongres. »

« Même demande des membres du conseil communal d'Eysden. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal d'Hoogstraeten prient la Chambré de modifier le projet de loi relatif aux octrois, de manière qu'outre les subsides, ordinaires pour l'enseignement primaire, cette commune soit entièrement dédommagée des taxes ou capitations communales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Heynssens propose des mesures pour supprimer l'impôt d'abonnement en même temps que les octrois communaux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux octrois.


« Le sieur Guiaux demande qu'il soit pris une mesure pour que les Belges ne prennent du service militaire à l'étranger, sans autorisation du Roi, qu'après avoir été prévenus que ce fait doit entraîner la perte de leur nationalité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Rapport sur une pétition

M. Vander Donckt. - Messieurs, votre commission, après avoir pris communication de la réclamation sans date des fabricants de sucre indigène, est d'avis que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné lecture ; elle n'a pas cru devoir se prononcer sur le fond, laissant à la Chambre d'en apprécier le mérite et la valeur.

Elle propose à la Chambre d'en ordonner la lecture et le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les octrois.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

M. de Boe donne lecture de la réclamation qui est conçue en ces termes.

« A MM. les président et membres de la Chambre des représentants.

« Messieurs,

« Nous avons vu avec une vive douleur l'interprétation donnée dans une séance précédente à la pétition que nous avons adressée à Sa Majesté le Roi, en faveur de Notre industrie menacée.

« Les accusations de manquer de patriotisme, d'être animés de mauvaises passions, de les traduire par des menaces, d'entretenir des espérances coupables sont tellement attentatoires à notre honneur, tellement opposées à nos sentiments que nous ne pouvons les laisser passer sans protestation.

« Simples industriels, étrangers à la politique, quand bien même l'expression de notre pensée eut été défectueuse dans la forme, était-ce une raison pour lancer contre nous l'accusation la plus grave, celle de trahir la patrie ?

« Enfants du pays, nous y tenons par le sang, par le sol, par nos établissements, par tous nos intérêts ; dans toute notre existence nous n'avons cessé de donner des preuves de patriotisme et de dévouement au pays, et ce dévouement ne lui fera jamais défaut.

« Qu'on sacrifie impitoyablement une industrie nationale en accordant une prime à l'étranger, mais qu'on ne nous inflige pas une flétrissure imméritée, cent fois pire que la ruine de nos établissements.

« Nous protestons donc au nom de notre honneur et de notre patriotisme contre l'interprétation erronée donnée à nos paroles ; nous aimons trop notre pays et ses institutions pour ne pas tenir à faire disparaître, à l'étranger comme à l'intérieur, la pensée qu'il pourrait y avoir, dans notre libre Belgique, des hommes capables d'entretenir des espérances criminelles ; et c'est plus encore par amour de la patrie, que pour protester contre les accusations dont nous sommes l'objet, que nous tenons à proclamer hautement notre attachement à nos institutions, notre dévouement au Roi, à la dynastie et à l'indépendance nationale.

« Nous avons l'honneur d'être, messieurs, vos dévoués serviteurs.

« Les délégués des fabricants de sucre indigènes.

« (Suivent les signatures.) »

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

(page 1471) M. Tack. - Au point, messieurs, où en est arrivée la discussion, je m'efforcerai d'être aussi laconique que possible et d'éviter les redites pour ne pas susciter d'ennui à la Chambre.

Il me sera peut-être difficile de ne pas en commettre, surtout que ej me propose de traiter un point sur lequel on s'est déjà passablement appesanti, la question de la répartition du fonds communal ; mais alors, messieurs, je tâcherai de résumer brièvement et de passer rapidement sur les doubles emplois.

Avant d'entrer en matière, je dois exprimer le regret de ce que dans plusieurs discours prononcés dans la séance de samedi et dans celle d'hier, on a semblé soupçonner les hommes de la droite de vouloir faire de la question qui nous occupe une question de parti.

Chaque fois qu'une insinuation de ce genre se produira, nous serons forcés, vous le comprenez, d'y répondre par une protestation. Nous ne pourrons cesser de réclamer que lorsque l'on voudra bien s'abstenir de suspecter nos intentions.

Qui ne comprend que nous nous trouvons ici sur un terrain neutre où nous pouvons tous, sans félonie et sans forfaiture, nous tendre la main en vue de l'intérêt public.

M. le ministre de l'intérieur le rappelait l'autre jour : de nos bancs sont parties, il n'y a pas longtemps, deux propositions tendantes à arriver à la suppression des octrois communaux.

L'une de ces propositions était due à l'initiative de l'honorable M. Coomans, l'autre à celle de l'honorable M. Jacques.

Si l'honorable M. Jacques n'est pas parvenu à rallier autour de ses combinaisons financières les sympathies de ses amis, à qui faut-il l'attribuer ? A ce que la plupart d'entre eux croyaient que cette proposition était une atteinte portée à l'indépendance communale.

Serait-ce par hasard par esprit de parti que la commission d'Etat et son organe, l'honorable M. Vandenpeereboom, signalaient la proposition de l'honorable M. Jacques comme inconstitutionnelle, comme destructive de l'autonomie des communes ?

Et de quel droit, messieurs, soupçonnerait-on la loyauté des convictions d'un homme de la trempe et du caractère de l'honorable M. de Naeyer ? Serait-ce aussi par esprit de parti que l'honorable M. Pirmez, qui est dans vos rangs, a cru devoir attaquer le projet de loi de l'honorable M. Frère dans une de ses dispositions essentielles ?

M. le ministre des finances nous disait, le jour où il déposait le projet de loi : Ce projet n'est pas une œuvre de parti, c'est une œuvre éminemment nationale, digne des préoccupations les plus sérieuses de la Chambre.

Ce sera un spectacle fait pour étonner que de voir une Chambre belge au milieu des difficultés politiques qui agitent en ce moment l’Europe, discuter avec calme sur de graves intérêts matériels, acclamer avec enthousiasme une réforme depuis longtemps désirée, vainement attendus et extirper des abus dix fois séculaires.

J'ai pour ma part applaudi à ces sentiments patriotiques ; de toute part on s'est dit : Non, il ne s'agit pas d'une question de parti.

Aujourd'hui nous vous demandons de vouloir, au moins un instant, croire à la pureté de nos intentions.

Pour mon compte, je déclare que j'éprouve un désir réel, sincère, de voir abolir les octrois ; je veux la suppression des octrois le plus promptement, le plus radicalement possible.

M. le ministre des finances disait encore : Mon plan n'est pas parfait. Examinez-'e, s'il y a lieu d'y introduire des modifications, proposez-les, je suis prêt à les accepter si elles sont admissibles.

Que signifie cet appel à notre concours, si aujourd’hui l'on vient nous dire : Préoccupez-vous du but que nous nous proposons, ne vous inquiétez pas des moyens que nous mettons en avant ?

Abattez le monstre, il est à vos pieds ; nous réalisons un progrès, acceptez-le sans hésiter ?

Que signifierait cet appel à notre concours si l'on avait le droit de venir nous dire, dès que le moindre changement est proposé : Prenez garde, vous touchez aux combinaisons du M. le ministre des finances, vous renversez son œuvre !

Ce serait tout bonnement nous éconduire par une fin de non-recevoir.

Quant à moi, je considère comme plus sérieux l'appel de M. le ministre des finances.

J'examine le projet de loi à mon point de vue ; je m'interroge pour savoir quels sont ses défauts, et quelles sont les modifications qu'on pourrait raisonnablement y apporter. En tout cas, qu'on se rassure, je ne viens point bouleverser les combinaisons financières de M. le ministre des finances.

A ma manière de voir, les octrois communaux sont un impôt détestable, exécrable si l'on veut, d'abord, parce qu’ils frappent principalement les objets de consommation de première nécessité ; ensuite parce qu’ils nécessitent un appareil extrêmement dispendieux qui absorbe une grande partie du revenu ; enfin, parce qu'ils gênent les allures du commerce et qu'ils violent la liberté individuelle.

Cela suffit largement, me semble-t-il, pour faire exécrer les octrois communaux, et il n'est pas besoin qu'on les charge d'autres malédictions, ce qu'on n'a pas manqué de faire.

Serait-il vrai, messieurs, que les octrois communaux sont un impôt mauvais en tant qu'impôt indirect ? Je ne m'occuperai pas de discuter la question de savoir s'il faut préférer les impôts directs aux impôts indirects ; je ne pense pas que personne ait envie de formuler une proposition à cet égard. Mais je constate que M. le ministre des finances considère les impôts indirects comme des impôts acceptables, puisqu'il remplace les octrois, qui sont des impôts indirects, par des droits d’accises qui sont également des impôts indirects.

Il est une chose contre laquelle il convient de se prémunir ; c'est l'exagération dans laquelle on tombe trop souvent quand on se préoccupe des bienfaits que l'abolition des octrois communaux doit procurer aux classes ouvrières.

Si l'abolition des octrois communaux est un immense bienfait pour la classe bourgeoise, elle sera aussi un grand bienfait pour la classe riche ; mais elle ne sera qu'un bienfait relativement petit pour la clause ouvrière.

Il est évident, par exemple, que l'abolition de l'impôt sur la viande fera baisser le prix de la viande. Je ne puis pas m’imaginer que, dans les localités où l'on perçoit 10 centimes au kilogramme brut, 15 centimes au kilogramme de viande dépecée, il n’en résultera pas, de la suppression des octrois, un avantage pour le consommateur ; mais cet avantage sera ressenti principalement par les classes aisées, qui consomment énormément de viande, par elles-mêmes et par leur personnel domestique ; c'est encore une excellente chose pour la classe bourgeoise ; quant aux ouvriers qui consomment peu de viande, ils n'en profiteront guère. Il en est autrement de la suppression des droits de mouture et des taxes communales prélevées à l'importation sur le pain. Le travailleur, dont le pain constitue la principale alimentation, y trouvera un avantage incontestable ; toutefois je ferai remarquer que le pain et la farine ne sont taxés que dans trois grandes villes du pays ; du moins l'impôt sur le pain et la farine est presque exclusivement perçu par trois grandes villes.

Le produit total de cet impôt est de 5,033,513 francs 14 centimes pour tout le pays. Gand et Anvers seuls perçoivent, de ce chef, 435,995 francs 87 centimes ; il reste donc 15,598 francs 58 centimes. Si vous défalquez de cette somme celle de 47,447 francs 55 centimes, perçue par la vile de Malines, il ne reste que 58,154 francs 3 centimes pour toutes les autres localités du pays où cet impôt se perçoit.

On aurait pu, à bon droit, exiger de Gand, d'Anvers et de Malines l'abolition de l'impôt odieux de la mouture, indépendamment de tout projet de suppression des octrois communaux.

M. B. Dumortier. - On l'a souvent réclamé.

M. Tack. - Le pain, la viande, le beurre, les œufs, les charbons, les huiles, etc. produisent net 5,053,513 francs 14 centimes.

Les bières 2,830,180 fr. 59 c ; les objets divers, parmi lesquels il y a considérablement d'objets de luxe, 4,252,617 francs 86 centimes ; total, 12,116,311 fr. 59 c.

Si l'on suppose que les classes peu aisées et les classes bourgeoises contribuent dans l'impôt de 5 millions prélevé sur les denrées de grande consommation, pour la moitié, c'est-à-dire pour 2,500,000 fr. qu'elles payent, la moitié de l’octroi sur les bières, soit 1,500,000 francs et, 1,000,000 de francs pour les autres objets assujettis à l’octroi, ensemble 5 millions ; il en résulte que les classes aisées supporteraient dans les droits d'octroi actuellement perçus 7 millions. Et par quoi remplacez-vous ces droits ?

Par une économie de 1,500,000 fr.

Par une augmentation du droit d'accises sur les vins de 810,000 fr.

Par une augmentation du droit d'accises sur les eaux-de-vie indigènes de 2,840,000 fr.

Par une augmentation du droit d'accises sur les eaux-de-vie étrangères de 50,000 fr.

Par une augmentation du droit d'accises sur les bières de 6,100,000 fr.

Par une augmentation du droit d'accises sur les sucres de 700,000 fr.

Total : 12,000,000 fr.

Voyons maintenant quel est le contingent qui incombe dans ces impôts nouveaux aux classes aisées ; j’estime que ce contingent s'élève :

Pour les vins à la totalité de l'impôt perçu, soit 810,000 fr.

Pour les eaux-de-vie indigènes au 1/3, soit 915,000 fr.

Pour les eaux-de-vie étrangères, à la totalité, soit 50,000 fr.

Pour les bières à la moitié, soit 3,050,000 fr.

Pour les sucres à la totalité, soit 700,000 fr.

Total : fr. 5,555,000.

Quant aux classes peu aisées, leur part contributive dans les impôts qui remplacent les octrois communaux peut être évaluée :

Pour les eaux-de-vie aux 2/3, soit 1,895,000 fr.

Pour les bières à la moitié, soit 3,050,000 fr.

Total général : 10,500,000 fr.

(page 1472) A laquelle somme il faut ajouter l'économie sur les frais de régie afin de compléter la recette actuelle de l'octroi qui atteint le chiffre de 12,000,000, ainsi que je l'ai fait connaître il y a un instant.

Il résulte des données que je viens d'exposer à la Chambre que les classes peu aisée continueront de payer comme auparavant et que les classes plus favorisées de la fortune seront notablement dégrevées.

Cependant je dois avouer qu'il y a ici un progrès relatif ; on ne pourrait, à la vérité, soutenir que la bière soit aussi indispensable à l'existence que le pain, la viande, le beurre et autres aliments de cette nature ; ensuite il faut le reconnaître, l'impôt nouveau est réparti sur un plus grand nombre ; et finalement, la perception en est plus économique. C'est le cas de dire avec le rapport de la section centrale, si l'innovation n'est pas parfaite, elle est moins vicieuse que l'abus existant ; somme toute, cependant, il n'y a pas là de quoi vanter outre mesure les innombrables avantages que procurera l'abolition des octrois aux déshérités de la fortune.

Mais est-il vrai que les octrois restreignent la consommation et qu'en les abolissant on imprimera à celle-ci et par suite aussi à la production un immense essor ?

J'ai peine à le croire ; je partage, sous ce rapport, l'avis de l'honorable M. Royer de Behr ; je considère les octrois plutôt comme des droits fiscaux que comme des droits protecteurs. Je ne m'attends pas pour ce qui me concerne à une grande extension de la consommation, et je doute fort qu'un bien grand développement et des bénéfices fabuleux attendent la production, grâce à la suppression des octrois communaux. Ainsi, par exemple, pour la consommation de la bière, il est possible qu'il y ait une augmentation de consommation dans certaines villes à octroi, notamment là où le droit nouveau sera moindre que l'octroi, cumulé avec l'accise actuelle ; mais d'autre part, ne le perdons pas de vue, on restreint forcément la consommation à la campagne, où l'on double le droit d'accise qui pèse aujourd'hui sur la fabrication.

Une question très importante dont on s'est peu occupé jusqu'à prêtent, c'est celle de savoir si les bases de répartition du fonds communal sont justes, équitables, et en rapport nécessaire avec la consommation. J'ai décomposé le chiffre du montant total des trois contributions qui servent de base à cette répartition.

J'ai constaté que la contribution personnelle figure dans ces bases à concurrence de 54 p. c, aussi bien dans les campagnes que dans les communes à octroi ; qu'en ce qui concerne les patentes elles figurent, pour les communes à octroi à concurrence de 16 p. c. et de 14 p. c. pour les communes sans octroi. En ce qui touche l'impôt foncier la proportion est de 29 2/5 p. c. pour les communes à octroi et de 31 1 /4 p. c. pour les communes sans octroi ; mais vous le savez, l'impôt foncier est un impôt de répartition, dont tout le pays est solidaire, et qui ne subit pas d'augmentation. Cependant je ferai observer qu'il est plus que probable que, dans un avenir peu éloigné, cette base sera plus favorable aux villes à octroi qu'aux communes rurales. En effet tout le monde sait que les constructions prennent un développement beaucoup plus rapide, généralement parlant, dans les villes qu'à la campagne.

La patente est évidemment un élément très favorable aux villes. D'abord, comme je viens de le faire observer, elles figurent dans le total du montant des trois bases pour une proportion beaucoup plus forte en faveur des communes à octroi qu'en faveur des campagnes. Ainsi, par exemple, à Liège, la patente entre dans les bases de répartition jusqu'à concurrence de 19 2/3 p. c. et à Gand, à concurrence de 15 p. c. A Bruxelles cependant le rapport est inférieur à ce qui existe pour les campagnes. Là elle n'entre dans les bases de répartition qu'à concurrence de 13 1/2 p. c. A Anvers elle figure pour 19 p. c.

De plus, il est à observer, messieurs, que le produit de la patente augmente chaque année. Ainsi, dans l'espace de douze ans, de 1846 à 1858, on constate une augmentation d'un million.

On pourrait se demander si la patente ne forme pas une espèce de double emploi avec la contribution personnelle, dans les bases de répartition, et s'il n'y aurait pas lieu d'éliminer des bases admises. Je conviens que la patente est un indice de la consommation. Car les grosses patentes sont payées par les grands industriels qui sont censés occuper de nombreux ouvriers, et comme les nouveaux impôts frappent en partie sur les classes ouvrières, je comprends que, puisque la répartition se fait en raison de la consommation, il convient d'admettre la patente comme base de répartition. Mais alors il faut être conséquent avec soi-même, et il conviendrait par conséquent aussi d'introduire parmi les bases le chiffre de la population en faveur des campagnes.

Je sais que la chose est difficile. Il est très embarrassant de faire à cet égard une évaluation exacte. Quoi qu'il en soit, si une proposition dans ce sens était faite, je serais tout disposé à m'y rallier. Pour le moment je passe outre, je me place dans l'hypothèse, que les bases telles qu'elles sont proposées sont équitables ; je suppose aussi que le projet de loi est constitutionnel, qu'il ne laisse rien à désirer au point de vue de l'indépendance des communes. Enfin, sous toutes réserves, j'opine, pour un instant, qu'il convient d'admettre ces impôts nouveaux tels qu'ils sont proposés dans le projet. J'aurais, pour ma part, je le déclare tout de suite, voulu voir écarter des impôts nouveaux celui qui frappe la bière. J'aurais voulu du moins voir effectuer une réduction sur l'augmentation proposée ; mais bref, j’admets momentanément, et sauf à y revenir lors de la discussion des articles, qu'aux différents points de vue que je viens d'énumérer, le projet de loi ne laisse rien à désirer, et je m'occupe de la question de répartition.

Quel est le système de la loi ? Substituer des impôts indirects à d'autres impôts indirects ; transformer des droits d'octroi en droits d'accises ; les généraliser, les étendre, les développer ; comme complément, abandonner une partie des revenus généraux de l'Etat au profit des communes ; former à l'aide de toutes ces ressources un fonds qu'on appelle fonds communal et qui s'élèverait à 14,000,000 de francs.

Comment faut-il procéder pour faire une répartition équitable de ce fonds ? La section centrale, par l'organe de son honorable rapporteur, me répond : Cela dépend de la réponse à donner à deux autres questions : la première, celle de savoir quelle est la part pour laquelle les communes sans octroi d'un côté, et les communes à octroi de l'autre côté contribuent dans les octrois communaux actuellement perçus ; la seconde, quelle est respectivement la part contributive, pour les communes sans octroi et pour les communes à octroi, dans la formation du fonds communal.

La solution, nous répond encore la section centrale, c'est qu'il n'y en a pas. La solution, c'est l'inconnue qu'il est impossible de dégager. La solution, c'est que vous vous trouvez dans le cas de devoir résoudre le problème de la quadrature du cercle. Etrange aveu ! S'il en était ainsi, il faudrait presque désespérer des principes de la science économique. Quoi ! nous serions fatalement condamnés à pétrir la pâte et à distribuer le gâteau au hasard ! Nous serions obligés de déclarer : Il nous est impossible de dire de quelle manière il faut procéder pour faire une répartition équitable et cependant nous en faisons une, telle quelle. Heureusement, messieurs, il n'en est pas ainsi, et la section centrale elle-même s'efforce d'établir, par doit et avoir, le compte des campagnards et celui des citadins. L'honorable ministre des finances en fait de même et nous fournit par-dessus le marché la solution de la seconde question, en nous disant que la règle à suivre, c'est la répartition d'après les trois bases qu'il signale comme justes et équitables.

Il est évident, messieurs, que, mathématiquement parlant, il est impossible de dire pour quelle part les communes à octroi et les communes sans octroi interviendront respectivement dans la formation du fonds communal. Mais enfin il y a certaines règles à suivre, certaines moyennes à admettre.

Ceci m'amène à la question traitée d'une manière si lucide par l'honorable M. Royer de Behr, par l'honorable M. de Naeyer, par l'honorable M. Coomans et par l'honorable M. Pirmez : la question de savoir si les impôts indirects retombent sur le consommateur ou sur le producteur, jusqu'à concurrence de quelle somme elles atteignent l'un et l'autre. Je partage l'avis des honorables membres qui ont traité la question avant moi, que l'impôt indirect finit à la longue, au bout d'un certain temps, par retomber sur le consommateur et non sur le producteur. On a dit et répété avec beaucoup de raison que le producteur ne fait qu'une avance dont il a soin de se faire rembourser de manière ou d'autre, soit en diminuant la qualité de sa marchandise, soit en augmentant son prix. Si les impôts augmentent, il est possible que le producteur n'augmente pas instantanément le prix de sa marchandise ; mais il y parviendra à la longue.

C'est une question de temps. De même le consommateur ne profitera pas toujours incontinent d'une diminution d'impôt. Il se peut faire que le producteur regimbe pendant quelque temps ; mais enfin la concurrence s’en mêlant, finira par abaisser ses profits au niveau général des profits de tous les autres services publics. Le prix de revient se compose d'éléments variables qui sont : la valeur de la matière première, le salaire des ouvriers, l'intérêt et l'amortissement du capital, le prix du transport, l'impôt, etc. La différence entre le prix de revient et le prix de vente constitue le profit ; l'offre et la demande, l'état du marché font varier le profit, mais ne parviennent jamais à abaisser le prix de vente au-dessous du prix de revient, sans quoi le producteur finirait par se ruiner.

Le phénomène économique se résume en ceci : Là où existe la liberté du travail, la concurrence finit immanquablement par abaisser les profits d'une industrie quelconque au niveau des profits de toute autre industrie. Cela étant, il est impossible que le producteur confisque longtemps à son avantage les bienfaits qui doivent résulter de la diminution de l'impôt ; ces bienfaits sont, en dernière analyse, acquis au consommateur.

Croit-on que le cultivateur qui amène une tête de bétail au marché, soit assez naïf pour ne pas comprendre dans son prix de vente, et le droit d'octroi et la consommation qu'il fait en ville et jusqu'aux vexations qu'il éprouve ? La preuve en est fournie par cette circonstance que, dans certaines villes où l'on a commis la maladresse d'élever outre mesure les droits de place et d'entourer les transactions de toutes sortes d'entraves, les vendeurs ont fini par déserter les marchés pour aller vendre à des prix moindres leurs denrées là où l'on avait eu la sagesse de ne plus susciter au commerce les mêmes tracasseries.

C'est même une erreur de croire que le cultivateur avance l'impôt quand il introduit du bétail en ville.

En effet, comment les choses se passent-elles à Bruxelles, à Courtrai et ailleurs ? Le cultivateur qui amène son bétail en ville se munit d'un document qu'on appelle passe-debout et, moyennant la délivrance de cette pièce, arrive au marché sans payer le droit d'octroi.

(page 1473) Le bétail est vendu et le droit d'octroi est payé par le boucher au moment où il introduit la bête à l'abattoir. (Interruption.) On me dit : Et le petit bétail ! C’est l'exception. Dans tous les cas il est évident que le cultivateur comprend dans son prix de vente le droit d'octroi lorsque exceptionnellement il l’a déboursé.

- Un membre. - S'il ne vend pas !

M. Tack. - S'il ne vend pas, il ramène son bétail chez lui, on décharge le passe-debout et il ne paye pas l'octroi.

Messieurs, on a cité beaucoup d'autorités pour établir que les impôts indirects finissent, à la longue, par retomber sur le consommateur et que ce n'est qu'accidentellement, temporairement, qu'ils pèsent sur le producteur ; on a invoqué beaucoup d'auteurs qui n'appartiennent pas au pays, Ricardo, Mill, Gartner, Passy et d'autres ; permettez-moi de vous citer l'opinion d'un homme d'expérience qui était en même temps un habile théoricien et dont nous regrettons la perte récente, l’opinion de M. Ch. de Brouckere.

Voici ce que je lis à la page 18 du mémoire qu'il a joint au rapport adressé au ministre de l'intérieur par la commission de révision des octrois communaux :

« Grâce au ciel, en attendant la liberté commerciale, nous jouissons de la liberté illimitée du travail et, endéans les lignes de douanes, de la concurrence entre tous, comme producteurs, au bénéfice de tous, sous la forme de consommateurs. Partout où il y a absence de monopole, les bénéfices des services productifs se nivellent ; l'intérêt et le besoin de profits agissent sur eux comme la pesanteur sur l'eau, et produisent le même résultat.

« L'impôt n'est qu'un des éléments variables du prix des choses ; la rareté ou l'abondance des capitaux, la demande et l'offre de travail, la quantité et la qualité des matières premières, les besoins mobiles de la consommation concourent également à régler le prix de chaque production humaine. C'est précisément parce qu'il y a une telle complication dans les causes qui influent sur les prix, que l'on se fourvoie toujours lorsqu'on examine des faits particuliers, dans un moment donné et sous un point de vue déterminé. »

Voilà, selon moi, les véritables principes.

Mais, messieurs, j'ai à vous citer une autorité plus décisive encore ; c'est l'autorité de l'honorable ministre des finances lui-même.

Le principe essentiel, capital du projet de loi, suppose l'idée que le consommateur paye en dernière analyse les impôts indirects. Qu'est-ce que c'est que le fonds communal ? ou plutôt quels sont les éléments qui le composent ?

« Le fonds communal est alimenté (c'est M. le ministre des finances lui-même qui parle) par des impôts indirects qui frappent des objets de consommation qui ne sont pas de première nécessité. En conséquence, c'est en raison de la consommation qu'il faut faire la répartition du fonds communal. »

Qu'est-ce à dire ? Que c'est le consommateur qui paye les impôts indirects, Si vous ne supposez pas que c'est le consommateur qui paye les impôts indirects, je ne comprends plus comment vous faites effectuer la répartition à raison de la consommation.

Ou les consommateurs ne payent pas les impôts indirects, ou bien la base de répartition que vous admettez est vicieuse, il faut la supprimer. 11 n'y a pas de milieu.

On nous fait observer encore, messieurs, qu'en sa qualité de consommateur, le campagnard paye le droit d'octroi sur ce qu'il consomme et sur ce qu'il achète en ville. Cela est vrai, messieurs, jusqu’à un certain point ; mais ce fardeau n'est pas très lourd. D'ailleurs je me demande : Le campagnard sera-t-il désormais affranchi de tout impôt indirect en entrant en ville ? Ne continuera-t-il pas comme par le passé à payer sa part d'impôt sur le verre de bière qu'il consomme ? La bière va-t-elle être affranchie de tout impôt ? Et puis, quand on parle des forains qui participent au payement des droits d'octroi, il semble que tous ces forains sont des campagnards ; mais les forains qui font la plus grande consommation des objets sur lesquels pèsent les droits d'octroi sont des citadins. Ce sont des habitants de Gand, d'Anvers, de Liège de Tournai qui viennent faire des consommations à Bruxelles et qui supportent une grosse part des octrois communaux.

Du reste, il serait facile de rétorquer l'argument qu'on nous oppose. Vous allez réduire, à l'aide de votre projet de loi, les cotisations personnelles dans les campagnes. Il est évident que le cultivateur trouvera là le moyen d'abaisser le prix de ses produits qu'il vend à la ville. Si les villes sont des centres d'approvisionnement pour les campagnes, réciproquement les campagnes sont des centres d'approvisionnement pour les villes, et je puis à bon droit, m’emparant de votre argumentation, venir vous supplier d'abolir, dans l'intérêt des villes, les capitations qui pèsent sur les campagnes ; le raisonnement est identiquement le même.

Je ne me souviens pas d'avoir jamais entendu des campagnards se plaindre des charges que leur imposaient les octrois communaux. Je les ai parfois entendus se plaindre des vexations qu'ils subissent par suite de l'octroi, mais jamais des charges, que de ce chef, ils supportent.

On nous dit ; Ce ne sont pas les villes qui son -les plus intéressées à l'abolition des octrois et qui réclament avec instance, mais bien les campagnes.

L'honorable M. Coomans a répondu à cette assertion de la manière la plus péremptoire, en demandant ce que signifient ces nombreuses félicitations, ces actions de grâces adressées par les villes à l'honorable ministre des finances à l'occasion du projet de loi que nous discutons.

Si les villes n'ont pas un grand intérêt à l'abolition des octrois, comment expliquer ces félicitations ?

L'honorable M. Pirmez faisait à cet égard une observation très judicieuse, lorsqu'il nous disait qu'il fallait distinguer entre les administrations et les habitants des villes.

Il fut un temps où les administrations communales des villes s'opposaient à la suppression des octrois communaux.

C'était à l'époque où l'on disait à ces administrations communales : Les octrois seront supprimés et vous aurez à pourvoir aux ressources qui doivent les remplacer. Les administrations communales reculèrent en général devant l'impopularité qui frappe d'ordinaire le pouvoir qui se voit contraint d'aviser à la création de charges nouvelles. Aujourd'hui les choses ont changé de face. On dit aux administrations : Nous supprimons les octrois. Ne vous souciez pas de créer des ressources, nous nous en chargeons. Nous avons découvert que c'est le campagnard qui supporte la grosse part de l'octroi. Nous prenons dans sa poche l'argent nécessaire pour payer vos dettes.

Il n'est pas étonnant que, devant un langage pareil, les villes aient applaudi à outrance au système du projet de loi.

Le campagnard est vexé par les octrois communaux, le citadin l'est égaiement et par-dessus le marché celui-ci paye considérablement de sa bourse.

Vous faites disparaître ces griefs au profit de l'un et de l'autre, mais voici où commence l'inégalité : vous faites payer le redressement des griefs par les campagnards sous prétexte de charges qu'ils ne payent pas ; vous ne faites rembourser par les villes que partiellement des charges très réelles qui les grèvent aujourd'hui lourdement.

Eu un mot : Pour les villes, dégrèvement notable, point de charges nouvelles.

Pour les campagnes, dégrèvement insignifiant, charges nouvelles, considérables. Voilà comment se résume tout le projet de loi.

Pour s'en convaincre, messieurs, il suffit, de jeter un simple coup d'œil sur l'œuvre de M. le ministre des finances.

Où sont donc les impôts nouveaux qu'on fait supporter aux villes en compensation des dégrèvements qu'elles obtiennent ? Il n'y en a pas un seul dans le projet de loi, tandis qu'on met à la charge des campagnes des impôts qu'auparavant elles ne supportaient point.

Vous appelez charges nouvelles l'augmentation des accises sur les vins, les eaux-de-vie et les bières, dont le total s'élève à 9,800,000 fr.

Charges nouvelles !

Pour les campagnes, oui.

Pour les villes, non !

Ces charges ne sont, quant aux villes, que des transformations d'impôt, c'est le droit d'octroi qui devient droit d'accise.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous le payez !

M. Tack. - Dans quelle proportion.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que nous aurons à décider.

M. Tack. - Soit. J'arrive au second point que je me suis proposé de traiter.

Quelle est la quote-part que les communes sans octroi d'une part, les communes à octroi d'autre part apposeront dans le fonds communal ?

La section centrale, pour évaluer cette part, prend pour base la somme de 9,800,000 francs produit de l'augmentation des accises et nous dit : On suppose que sur ces 9,800,000 francs les villes payent un contingent de 5,400,000 francs et les communes sans octroi une part de 4,400,000 francs. C'est vite affirmé, mais non aussi vite prouvé.

On la fait voir à l'évidence, ce n'est pas le chiffre de 9,800,000 francs qu'il faut prendre pour point de départ des calculs à faire, mais bien celui de 14,000,000, montant intégral du fonds communal composés d'abord de 10,500,000 francs d'impôts nouveaux, au lieu de 9,800,000, chiffre admis par la section centrale ; car je ne vois pas pourquoi on négligerait, lorsqu'il s'agit de supputer le total de l'augmentation de\ l'impôt, le chiffre de 700,000 francs prélevé sur les sucres ; on semble vouloir faire passer comme n'étant pas une augmentation d'impôt ce prélèvement de 700,000 fr. qui en est cependant une et qui retombera comme les autres aggravations sur les consommateurs.

Le second élément qui entre dans la composition du chiffre de 14 millions, c'est la somme de 2,000,000 soustraite aux droits imposés sur le café. Quelle raison pourrait-il y avoir de ne pas comprendre, dans les évaluations auxquelles on se livre, l'impôt sur le café ? On consomme du café dans les campagnes comme dans les villes, les unes et les autres payent leur part du droit.

Même observation en ce qui touche le produit net de la poste, qui fournit un tribut de 1,500,000 fr.

Je puis difficilement comprendre comment la population des campagnes, qui est de 3,400,098 habitants, ne consommerait pas plus de la moitié des objets frappés par les impôts qui alimentent le fonds communal alors que le chiffre de la population des villes ne s'élève qu'à (page 1474) 1,222,991 habitants et surtout si l'on a égard à la nature des objets de consommation sur lesquels pèsent ces impôts.

La bière, le genièvre seuls continuent à la formation du fonds communal à peu près pour 10 millions ; on en consomme évidemment plus dans les campagnes que dans les villes, non pas par tête bien entendu mais en égard aux quantités, absorbées de part et d'autre par la consommation totale. Supposez que pour les 4 millions restant les villes interviennent pour un peu plus, y aurait-il même là compensation ?

Quant à la taxe postée, je n'y reviendrai point. Il a été démontré, il me semble, à toute évidence que l'assertion qui consiste à prétendre que le produit net de la poste est supporté exclusivement par les villes n’est qu'un mirage et rien de plus. Et quand il serait vrai de dire que les villes fournissent à elles seules le produit net de la poste, encore l'argument qu'on en tire serait sans valeur aucune ; car, comme on l'a très bien fait observer, la taxe postale fait partie de notre système général d'impôts, qui sont censés équitablement répartis. Si les villes contribuent pour une plus forte part dans tel impôt, les campagnes supportent une plus forte part dans tel autre.

L'argument ne pourrait être invoqué que lorsqu'il s'agirait d'une refonte générale de nos lois financières ; mais ce n'est point ici le cas.

J'ai dit tantôt que les campagnes consomment plus de bières que les villes ; voici un exemple qui vous prouvera le fondement de mon allégation.

La ville de Courtrai compte une population de 22,708 habitants, celle de Menin compte 9,346 habitants ; total pour les deux villes à octroi de l’arrondissement de Courrai, 32,054 habitants.

La population rurale de l'arrondissement de Courtrai, y jointe celle de la ville de Harlebeke, est de 103,149 habitants. A qui fera-t-on croire que ces 103,149 habitants de la campagne ne consomment pas considérablement plus de bière que les 32,054 habitants de Courtrai et de Menin ?

L'arrondissement de Courtrai compte des communes très populeuses : Entre autres celles de Anseghem quia 3,853 habitants, Deerlyk 4,492, Harlebeke 5,574, Mouscron 7,002 et Waereghem 7,002.

Dira-t-on que dans ces communes il n'y a pas assez d'aisance pour permettre à leurs habitants de consommer la bière à l'égal des habitants des villes ?

La quantité de bière fabriquée à Courtrai en 1859 est de 25,730 hectolitres cuve-matière ; j'ajoute la moitié en sus pour tenir compte de la différence entre l'hectolitre cuve-matière et l'hectolitre de bière produite, et j'obtiens pour rendement 38,596 hectolitres.

La quantité de bière exportée pendant le même exercice correspond au chiffre de 13,550 hectolitres ; la quantité importée à celui de 6,712 hectolitres.

La ville de Courtrai exporte donc le double de ce qui est importé. Il résulte de ces données que la consommation des bières à Courtrai est de 31,758 hectolitres.

Eh bien, il m'est impossible de croire que les habitants de l'arrondissement de Courtrai ne consomment pas le double, voire même le triple de cette quantité.

Je regrette de n'avoir pu constater le produit de la fabrication dans tout l'arrondissement de Courtrai ; en comparant les résultats de la fabrication dans la ville de Courtrai et dans celle de Menin avec ceux obtenus dans les campagnes, on arriverait à une proportion presque mathématique des chiffres respectifs de la consommation, par le motif que vu la situation dans laquelle se trouvent les brasseries de l'arrondissement on pourrait négliger les importations et les exportations.

On a soutenu que ce serait presque une témérité que de vouloir évaluer avec certaine précision la part qu'une ville donnée supportera dans l'alimentation du fonds communal. Vous allez pouvoir vous assurer qu'il n'y a en cela aucune témérité ni aucune présomption, c'est au contraire fort simple.

Permettez-moi de vous dire à combien j'évalue la part contributive de la ville de Bruxelles. J'ai pris mes renseignements dans des documents officiels, ils concernent l’année 1858, on n'en contestera pas l'exactitude.

Bières et vinaigres internes. - On a fabriqué à Bruxelles, en 1858, 387,100 hectolitres cuve-matière ; je fais remarquer que j'arrondis tous les chiffres et que je les force ; on a importé à Bruxelles 6,656 hectolitres de bière ; je les réduis à 4,400 hectolitres, parce que j'établis mes calculs sur l'hectolitre de cuve-matière ; j'obtiens ainsi un total de 391,500 hectolitres. L'augmentation du droit d'accise, à raison de 1 fr. 94 c. par hectolitre, me donne une part contributive pour ce qui concerne les bières de 759,510 fr.

Vins. - On a importé, en 1858, à Bruxelles, 11,400 hectolitres ; je suppose que l'augmentation de l'accise sera de 10 francs ; c'est exagéré, elle ne sera probablement que de 8 francs.

J'y ajoute, pour ne rien négliger, 11,000 francs, montant de l'augmentation présumée sur 1,100 hectolitres de vinaigre de vin, vinaigre concentré, etc. J'obtiens de ce chef 114,000 francs.

Eaux-de vie indigènes. - La fabrication a été de 52,000 hectolitres de contenance des vaisseaux imposables, à raison d’une augmentation de 95 centimes, ce qui donne une recette de 49,400 francs.

Eaux-de-vie externes. - En 1858, on en a importé à Bruxelles 17,600 hectolitres ; l'augmentation de l'accise, calculée à raison de 13 fr. 75 c. par hectolitre d'alcool à 50 p. c, équivaut à une part de 242,000 fr. ; toutes ces parts contributives dans l'augmentation de l'accise sur le vin, les eaux-de-vie et les bières forment un total de 1,175,910 fr., qui est la part de Bruxelles dans l'augmentation de l'accise correspondant au chiffre de 9,800,000 fr.

Il me reste à évaluer la charge que supportera la ville de Bruxelles dans les 4,200,000 fr. qui, ajoutés au chiffre de 9,800,000 francs, complètent le fonds communal de 14,000,000 de francs.

Vous savez que les ressources affectées à ces 4,200,000 fr. sont les 700.000 fr. prélevés sur le sucre, les 75 p. c. du produit des cafés et les 1,500,000 fr. provenant du revenu net de la poste. Supposons, pour un instant, que la ville de Bruxelles participe, ce qui est énorme, à concurrence d'un huitième, c'est-à-dire de 550,000 francs, dans le payement des 4,200,000 fr., son contingent total dans le fonds de 14,000,000 de francs sera par conséquent de 1,725,910 fr., et quelle est la quote-part qu'on lui alloue ? 2,872,914 fr. ; différence eu faveur de la capitale 1,147,000 fr., et veuillez noter que j'ai majoré à dessein tous les chiffres et que je ne déduis rien du chef des exportations ; il faut donc en bonne logique diminuer considérablement la quote-part de 1,725,910 fr. que j'ai assignée tantôt à la ville de Bruxelles.

Vous le voyez, messieurs, il n'est pas si difficile qu'on le dit de dégager l'inconnue qu'on nous affirme être impénétrable. Au reste, l'honorable M. Frère l'a dégagée lui-même puisqu'il avance, dans son exposé des motifs, que les communes sans octroi interviennent dans la formation du fonds communal à concurrence de 45 p. c. et les communes à octroi à concurrence de 55 p. c.

Eh bien, dans un esprit de large concession, je vais rabattre encore de mes prétentions et admettre, un instant, la proportion établie par M. le ministre des finances lui-même. Partant de ses propres données, je lui demande d appliquer la règle de répartition que lui-même proclame juste.

Les ressources affectées au fonds communal proviennent, dit l'honorable ministre, d'impôts indirects perçus sur des objets de consommation qui ne sont pas de première nécessité : la consommation se révèle par le degré d'aisance, le signe de l'aisance se retrouve dans les trois bases qui servent de point de départ à la répartition et qui sont le montant en principal de la contribution foncière sur les fonds votés de la contribution personnelle et de la patente. Répartissons donc le fonds communal au prorata des trois bases ; de cette façon il reviendrait aux villes 7,700,000 francs et aux campagnes 6,300,000 fr. ; tel est le résultat final des calculs de M. le ministre des finances et de la section centrale.

Mais il ne faut pas que la règle vantée soit une lettre-morte ; or on l'étouffé sous l'exception quand il s'agit d'en faire l'application aux communes à octroi et elle ne devient une réalité que lorsqu'il s'agit de partager entre les communes sans octroi le petit lopin qu'on leur accorde.

Je soutiens que si votre règle est équitable pour l'avenir, elle doit l'être également pour le présent ; si elle est bonne, pourquoi ne pas l'appliquer immédiatement, ou du moins aussitôt que possible ? Si, au contraire, elle est mauvaise, supprimez-la. Je comprends toutefois qu'il ne faut pas être trop absolu ; qu'il convient de mettre de la modération dans l'application si l'on ne veut point voir échouer la réforme.

Je comprends qu'il est juste d'adopter un tempérament ; aussi j'admets, avec les honorables MM. de Naeyer et Pirmez, une période transitoire ; mais une période transitoire qui ne soit pont indéfinie, qui ne s'éternise pas de manière à n'en jamais laisser voir la fin. Demande-t-on à M. le ministre des finances quand l'égalité sera rétablie entre les campagnes et les villes ? Point de réponse. Lui demande-t-on à quelle époque la période transitoire prendra fin, si ce sera dans 10, 15, 20 ou 30 ans ? Même silence.

Je veux, pour ma part, d'une période transitoire dont on peut au moins prévoir le terme. Le régime de transit on est un régime de privilège ; ce régime ne peut se justifier que dans un cas de nécessité absolue ; il doit cesser avec elle.

Le projet de loi consacre deux espèces de privilèges ; d'abord privilège en faveur de certaines villes et communes à octroi par rapport à d'autres villes et communes assujetties au même impôt.

Ensuite privilège des villes et communes à octroi vis-à-vis des villes et des communes sans octroi ; c'est à ce double privilège que je voudrais voir assigner un terme assez précis pour que, moralement au moins, on puisse en escompter l'échéance.

Pour faire promptement disparaître le premier privilège que je viens de signaler, je suis d'avis qu'il conviendrait de diviser le fonds communal en deux parts distinctes, une part pour les communes sans octroi et une autre part pour les communes assujetties à l'octroi.

Je voudrais que l'on assurât à toutes les villes réunies le produit net de leurs octrois, en 1859, soit en chiffres ronds 11,500,000 francs. (page 1475) J'admets aussi qu'on garantisse à chaque ville en particulier le produit net de son octroi pendant un délai de trois ans ; mais, ce délai expiré, je tiens à ce que le partage du fonds communal, c'est-à-dire, des 14,500,000 francs, ait lieu au prorata, d'après les bases admises comme équitables par l'honorable ministre des finances : en un mot, je tiens à ce que les bases opèrent, au bout de trois ans, dans toute leur étendue par rapport aux villes.

Il y a, messieurs, des inégalités choquantes dans cette répartition de ville à ville, telle qu'elle est faite en vertu du projet de loi. Ainsi il garantit à perpétuité à l'une 191 p. c. du montant de ses contributions, à d'autres 175 p. c., 160 p. c., 130 p. c., 120 p. c., 100 p. c., 50 p. c. ; au bas de l'échelle, vous n'accordez plus qu'une quote-part de 31 p. c.

Et quand nous interrogeons l'honorable ministre des finances pour avoir la justification de ces anomalies, il nous répond : « Tant mieux pour les communes qui reçoivent le moins ! Elles ont la chance de voir augmenter leur part, tandis que celles qui reçoivent le plus n'ont pas cette chance devant elles. » Le tant mieux est superbe, mais il n'est pas péremptoire ; c'est une de ces contre-vérités qui abasourdissent au premier instant ; mais quand on entre au fond des choses, on s'aperçoit que le meilleur lot est pour les villes qui reçoivent immédiatement la grosse part, que les autres qu'on berce d'une expectative sont fortement lésées.

Je suis endetté, il me manque cinquante mille francs ; vous êtes riche, je viens puiser, malgré vous, dans votre caisse les cinquante mille francs dont j'ai besoin pour payer mes dettes ; vous vous plaignez d'un procédé aussi cavalier, je vous réponds : Vous avez des ressources que je ne possède pas ; vous avez même la chance de voir augmenter vos revenus par la suite. Vous contenteriez-vous de cette réplique ?

Voilà ce que signifie le tant mieux qu'on répond aux villes qui reçoivent la moindre part. D'après mon système, l'égalité serait rétablie entre les villes après une période de trois ans ; veuillez remarquer que ce système est favorable à 54 villes et défavorable seulement à 24 autres dont la part éprouvera une réduction.

Mais la réduction est insignifiante pour plusieurs d'entre elles ; il en est cependant pour lesquelles elle s'élève à un chiffre assez important. Ainsi en opérant sur l'année 1858, Liège devrait fournir après trois ans un supplément de 376,000 fr., Gand un supplément de 169,000 fr., Bruxelles un supplément de 130,000. fr.

Les villes ci-après réaliseraient-une augmentation annuelle qui serait pour Anvers de 372,594 fr., pour Ypres de 17,287 fr., pour Alost de 26,744 fr., pour Courtrai de 17,521fr., pour Dinant de 5,473 fr., pour Tongres de 9,636 fr., pour Charleroi de 5,045 fr., pour Saint-Trond de 14,557 fr., pour Tirlemont de 21,473 fr. pour Diest de 19,066 fr., pour Nivelles de 17,931 fr., pour Ath de 25,986 fr., pour Leuze de 22,716 fr.

Il serait fastidieux de continuer cette énumération,. J’en ferai paraître, si la Chambre le permet, le spécimen aux Annales parlementaires (Note du webmaster : cette liste n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)

Vous le voyez donc, mon système est favorable à la plupart des communes à octroi ; il est défavorable à quelques-unes ; j'ai hâte d'ajouter qu'il ne lèse aucun droit.

Je ferai observer encore qu'il est plus avantageux à toutes les villes et communes à octroi, même à celles qui doivent fournir un suppléaient, que le système préconisé par l'honorable M. Pirmez.

En effet, s| la proposition de l'honorable M. Pirmez était votée, Liège devrait fournir tes la première année 130,879 fr., la deuxième année 196,318 fr., la troisième année 261,758 fr., de sorte qu'au bout delà troisième année elle aurait déjà dû pourvoir à une somme.de 588,955 fr., tandis que dans l'hypothèse que ma proposition soit appliquée,, elle n'aurait pas encore déboursé un centime, à l’expiration de la troisième année ; elle devrait commencer seulement à fournir 376,000 fr. pour la quatrième année.

Ce qui me paraît fort onéreux dans la proposition de l'honorable M. Pirmez, c'est que certaines villes verront leur position s'aggraver d'année en année, pendant bien longtemps.

Dans ma combinaison, j'exige un sacrifice invariable, toujours le même.

On me dira : Comment voulez-vous que la ville de Liège trouve le moyen de fournir l'appoint de 376,00 fr. ?

D'abord elle aura devant elle trois années de réflexion.

Et à mon tour je demande pourquoi la ville de Liège serait rentée pour un temps illimité à charge des autres villes du royaume. J’observe ensuite qu'elle pourra aisément réduire ses dépense. Elle a pu faire face à ses besoins, il y a 20 ans, en 1840, avec un octroi de 779,632 fr., il y a dix ans en l850 avec un octroi de 977,000 francs.

Si elle a dû faire en 1853 un emprunt de 7,200,000 fr. et tout récemment un autre emprunt de 2,000,000 de fr. pour exécuter des travaux extraordinaires, on peut supposer qu’elle n’aura pas chaque année à pourvoir à des dépenses aussi considérables, aussi exceptionnelles. Elle trouvera, d'ailleurs, une ressourcé dans les centimes additionnels extraordinaires.

La ville de Bruxelles a pu s'imposer des centimes additionnels extraordinaires, en 1856, à concurrence de 307,000 fr. ; en 1858, à concurrence de 240,000 fr., et en 1859, d'aptes ce que nous a dit M. Jamar, pour une somme de 366,000 fr. ; pourquoi la ville de Liège ne pourrait-elle pas percevoir quelques centimes additionnels extraordinaires ? J'ai constaté, par des documents officiels, qu’en 1858 la ville de Liège ne payait pas de centimes additionnels extraordinaires.

M. Muller. - C'est une erreur. La ville de Liége paye près de 200,000 fr. de centimes additionnels extraordinaires.

M. Tack. - J’ai puisé mes renseignements dans les documents statistiques officiels publiés par les soins du département de l'intérieur.

M. Muller. - Je vous passerai le budget.

M. Tack. - Pourquoi la ville de Liège ne pourrait-elle établir une cotisation personnelle comme l'a fait la ville d'Anvers qui a perçu de ce chef, en 1858, 110,000 fr. sur les faubourgs. La ville de Bruxelles, nous a dit l’honorable M. de Naeyer, perçoit 60,000 fr. de cotisation personnelle sur les 5,000 habitants du Quartier Léopold. Les communes suburbaines perçoivent une cotisation de 200,000 fr., comme nous l’a dit l’honorable M. de Naeyer, sur une population de 80,000 habitants.

Je ne vois donc pas où est cette impossibilité pour la ville de Liège de fournir au moins un supplément.

Pour la ville de Gand, la chose ne sera pas bien difficile, car elle n'aura à fournir qu'un supplément de 169,000 fr. L'impôt mouture seul s'élève, dans la ville de Gand, à 171,000 fr. En supposant même que les octrois n'eussent pas été établis, la ville de Gand aurait bien dû finir par abolir le droit de mouture ; elle ne pouvait conserver cet impôt odieux, vexatoire. Elle aurait bien dû, dans ce cas. trouver des ressources pour faire face au déficit. Ne peut-elle faire aujourd'hui ce qu'elle aurait été obligée de faire par la force des choses ?

Pour la ville de Bruxelles, la somme de 130,000 fr. est une somme tout à fait insignifiante, comparée aux ressources dont elle dispose.

En ce qui concerne les nouveaux besoins qui se manifesteront à l'avenir, à côté de ces besoins se développeront parallèlement des ressources nouvelles.

Si nous jetons un regard en arrière, les communes, par exemple, qui ont vu leurs dépenses augmenter de 500,000 fr., dans l'espace de dix ans, auraient bien dû pourvoir à ces dépenses, si les octrois avaient été abolis il y a dix ans. Par conséquent, cette impossibilité dont ou parle n'existe pas.

Quel m'ai y aurait-il d'ailleurs à restreindre un peu les prodigalités des villes ? Est-ce les engager à faire des économies que de les dégrever complètement. Les dégrever complètement, c'est faire un appel à de nouvelles exagérations de dépenses : Il faut, comme le disait l'honorable ministre de l'intérieur, que les impôts soient sentis par ceux qui les payent ; c'est le moyen de forcer ceux qui payent à exiger de la part des administrateurs communaux des économies dans leur gestion.

Mais, dit-on, les communes ont assumé d'énormes dépenses qu'elles n'auraient pas faites, si les octrois n'avaient pas été établis.

Messieurs, je réponds que les communes à octroi ont tout bonnement été imprévoyantes, imprudentes.

Il y a longtemps que la question de l'abolition des octrois communaux est agitée. Tout le monde était convaincu que cette question devait être résolue un jour, et les villes ont dû savoir qu'elles auraient à pourvoir, si pas à tout le produit de leur octroi, au moins à une notable partie de ce produit.

Du resté, j'appelle l'attention de la Chambre sur ce fait : c'est que les villes ont été dûment averties. Car depuis longtemps le gouvernement n'accorde plus la faculté de percevoir de nouveaux octrois, ni celle d'augmenter les droits d'octroi existants, si ce n'est à titre provisoire.

Ainsi puisque toutes les autorisations données depuis quelque temps ont été données pour un an, pour deux ans ou pour trois ans et doivent être renouvelées périodiquement, on a donc dûment averti les villes ; on leur a fait savoir qu'elles auraient, dans un avenir plus ou moins éloigné, à aviser à d'autres moyens, à se créer d'autres ressources.

En stricte justice donc, messieurs, les villes à octroi n'auraient droit, dans la répartition du fonds communal, qu'à une part calculée au prorata de la contribution personnelle, des patentes et de la contribution foncière sur les propriétés bâties. Mais j'admets, comme la Chambre a pu s'en convaincre, qu'on vienne à leur secours, et je les place dans une brillante position vis-à-vis des campagnes. Je comprends que la prospérité des villes rejaillit sur les campagnes et que les campagnes doivent profiter indirectement du dégrèvement opéré, comme respectivement la prospérité des campagnes rejaillit sur les villes.

Messieurs, on fera à ma proposition une objection qui pourrait de prime abord paraître très sérieuse ; on me dira : Vous accordez à certaines villes à octroi beaucoup plus que ne leur rapporte cet impôt. Ma réponse est facile : Je fais exactement ce que fait l'honorable ministre des finances pour ce qui concerne les communes rurales ; il donne, en effet, à chacune une part, même à celles qui n’ont pas de besoin, même à celles qui vivent de leurs revenus.

(page 1476) Je serais fondé à dire, avec l’honorable ministre des finances : Je ne désespère pas de voir arriver le moment où certaines communes à octroi auront une telle abondance de fonds qu'elles pourront s’en servir pour payer leurs contributions à l'Etat. Mais je crains bien de ne jamais jouir de ce merveilleux spectacle, et je dis : L'excédant sera employé à des travaux d'utilité publique.

Telle ville qui a une banlieue fera des chemins vicinaux, : telle autre améliorera le pavage de ses rues, construira des trottoirs et des égouts ; telle autre s'éclairera au gaz, fera des travaux d'hygiène, d'assainissement, procurera de l’eau potable ou même fera des embellissements, restaurera ses monuments si elle en a, pu bien encore d'embellissement si vous voulez ; construira des hôpitaux, des hospices, des édifices consacrés aux cultes, bâtira des locaux pour ses écoles primaires, développera l'enseignement, établira des écoles gardiennes. Si elles n'ont pas fait tout cela jusqu'à présent quel en est le motif ? C'est que les ressources leur ont manqué. Mais aujourd'hui que vous leur créez ces ressources malgré elles, permettez-leur d'en jouir, et ne les forcez-pas de s'en servir pour dégrever d'autres communes.

Si d'aventure il y avait en Belgique quelque commune assez, fortunée pour succomber à une pléthore de ressources, elle pourrait, comme le disait l'honorable ministre des finances, au pis-aller les utiliser pour payer ses contributions à l'Etat ; ou bien elle ferait une réserve pour des temps difficiles, ou bien encore le gouvernement calculerait avec plus de parcimonie que dans le passé à son égard les subsides qu'il lui accorde. De cette manière, les fonds abandonnés par l'Etat aux communes feraient indirectement retour au trésor public.

J'en viens à l'inégalité de position des campagnes vis-à-vis celle des villes. C'est le dernier point que je traiterai.

Ici encore on est stupéfait de voir "es anomalies, les conséquences bizarres, les contradictions qui résultent de l’application de la loi. En voici un exemple :

Il y a dans le Hainaut une commune qui s'appelle La Bouverie.. Cette commune a eu la chance grande d’obtenir, en 1849, l'autorisation d'établir chez elle un octroi. Elle n'a perçu d'abord que 2,649 fr. ; mais l’appétit vient en mangeant, et le chiffre s'élève, aujourd'hui après douze ans d'intervalle, à 14,858 fr. Cette commune compte une population de 4,378 habitants.

Dans l’arrondissement que j’habite, il y a une ville qui a toujours géré ses finances avec économie, qui a mesuré ses dépenses au chiffre de ses ressources, elle compte une population supérieure à celle de la commune de La Bouverie.

C'est là ville d'Harlebeke, la plus ancienne ville des Flandres,,1e berceau des anciens forestiers. Elle compte une population de 4,574 habitants.

Quelle est la part qu'elle recevrait dans la répartition .du fonds communal ? 38 p. c. de ses contributions non garanti, tandis que la commune de La Bouverie reçoit 175 p. c. à perpétuité. La où la commune de La Bouverie reçoit 14,858 fr., elle touche la modeste somme de 5,266 fr.

Messieurs, pour faire disparaître cette in égalité, je proposerai d'abord de faire accroître le fonds communal uniquement et exclusivement au profit des communes sans octroi.

Remarquez que telle n'est pas la conséquence des dispositions du projet de loi. Car le fonds communal accroît non seulement au profit des communes sans octroi, Il augmente également au profit des communes à octroi.

Ainsi, dès que les communes sans octroi reçoivent une part proportionnelle de 50 p. c, d'après les basés admises, pas une seule ville ne peut plus recevoir une part inférieure. Les villes peuvent recevoir des parts fabuleusement supérieures à celles qui sont allouées aux campagnes, mais jamais aucune d'elles ne peut recevoir une part moindre.

D'après mon système, chaque ville recevrait, après trois ans, une quote-part qui' équivaudrait à 125 p. c. de ses contributions. Au lieu de faire miroiter pour la plupart d'entre elles une simple espérance, je lui accorde immédiatement une part plus forte que celle que leur accorde le projet de loi.

Je favorise d'autre part les campagnes en faisant accroître le fonds communal exclusivement à leur profit. Cette proposition, se comprend dans le système que je défends. Mais il ne serait pas possible dans le système du projet de loi, parce qu'on ferait tort aux villes à octroi qui reçoivent la part la plus petite.

Pour hâter le moment où les campagnes seront placées sur la même ligne que les villes à octroi, je demande en second lieu qu'on augmente le fonds communal, qu'au lieu d'allouer aux communes, sur les produits de l'accise de l’exercice 1859, une quote-part de 34 p. c, on leur accorde une quote-part de 40 p. c.

De cette manière, je crée une ressource de 1,700,000 fr. et j'arrive vite au moment où les bases opéreraient sur toute leur étendue tant au profit des campagnes qu'au profit des villes à octroi ;. La prospérité publique aidant, je ne crois pas me tromper en prédisant que d'ici à cinq ou six ans tout au plus, les positions seraient complètement nivelées, et les campagnes recevraient comme les villes une part calculée d'après le prorata du montant de la contribution personnelle, des patentes et de la contribution foncière sur les propriétés bâties.

Mais on me demande : Où trouverez-vous les ressources ? Messieurs, lorsque, dans la séance de samedi dernier, l'honorable M. de Brouckere a traité la question des sucres, il vous disait : La somme de 7 00,000 fr. que l'on demande à l'industrie du raffinage n'est certainement pas exagérée. J'interrompis l'honorable membre en disant : Ce n'est pas assez. L’honorable M., de Brouckere répliqua : Je serais curieux de voir mon interrupteur faire des propositions dans ce sens. Messieurs, je ne suis pas éloigné de m'y décider. Je ne sais pas pourquoi l'on ne pourrait pas porter le chiffre de 700,000 fr. au double, voire même au triple ; je ne vois pas pourquoi, quand la bière supporte une augmentation de 3,500,000 fr$., le sucre ne pourrait pas supporter une augmentation de 1,400,000 fr.

J'ajoute que je suis d'accord avec l'honorable M. de Brouckere, qu'il faut dans cette hypothèse respecter les bases de la législation actuelle, ne pas modifier l’écart établi entre les deux sucres. Dans ces conditions, à ce que je présume, les fabricants de sucre ne se plaindront pas de ma proposition. Je pense, au contraire, qu'ils béniraient la main qui les frappe.

Une-seconde ressource a été indiquée par l'honorable comte de Renesse. Pourquoi ne pourrait-on pas doubler la redevance sur les mines ? Où est l'obstacle ? On me dira : La houille est le pain de l'industrie. Mais en doublant la redevance sur les mines, c'est-à-dire en réalisant, une ressource de 500,000 fr., l'augmentation ne sera pas d'un centime à l'hectolitre. Si je raisonnais comme l'honorable ministre des finances, si j'admettais, comme lui, que le producteur supporte la moitié de l'impôt, je pourrais soutenir que l'augmentation ne sera que d’un centime pour le consommateur. Et veuillez remarquer ceci : l'impôt se percevrait en grande partie sur l'étranger. Car l'extraction, en 1858, a été de 8,925,714 tonneaux.

La consommation intérieure a été de 5,834,398 tonneaux, et les exportations de 3,091,316 tonneaux. Au surplus,, la redevance sur les mines peut être assimilée, à beaucoup d'égards, à l’impôt foncier, et comme l’a fait observer l'honorable comte de Renesse, l'impôt foncier s'élève à 10 p. c. du revenu. Pourquoi l’industrie houillère ne pourrait-elle pas supporter 1 p. c. de son revenu.

Il est d’autres ressources auxquelles on pourrait recourir. MM. Pirmez et Coomans les ont indiquées.

Messieurs, je résume mon système en disant qu'il rétablit l’égalité entre les villes après un laps de trois ans et qu'il hâtera singulièrement le moment où elle sera rétablie vis-à-vis des campagnes ; que, moralement parlant, il permet de prévoir l'époque, très prochaine, où le régime du privilège aura complètement cessé. C'est, en un mot, une transaction entre le système des honorables MM. Pirmez . de Naeyer et Coomans et le système présenté par M. le ministre des finances,

Messieurs, avant, de terminer, je voudrais demander un renseignement à M. le ministre des financés. Je voudrais savoir si les droits d'abattage sont comptés dans les droits d'octroi qu'on rembourse aux villes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non.

M. Tack. - Je ferai remarquer, et c'est un point sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre, que dans certaines villes, les droits d'octroi sont confondus avec les droits d'abattage. De deux choses l'une : ou il faudra, pour ces villes, défalquer de leur quote-part, les droits d'abattage confondus avec les droits d'octroi, ou il faudra leur défendre à l'avenir de percevoir des droits d'abattage. Sans cela elles recevraient de deux côtés.

Les droits d'abattage leur seraient indirectement remboursés à perpétuité par le fonds communal et d'un autre côté elles continueraient à faire peser les droits d'abattage sur les consommateurs.

Il ne faudra pas non plus, c'est encore un point sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre des finances, que sous prétexte de droit de place, on maintienne, on rétablisse les droits d'octroi.

Dans certaines villes les droits d'octroi ne sont pas payés à l'entrée, mais sont acquittés sous forme de droits de place.

Quant à la citation que j'ai faite relativement à la ville de Liége, je crois que l'honorable M. Muller m'a mal compris ; j'ai parlé des centimes additionnels extraordinaires. La ville de Liège perçoit des centimes additionnels ordinaires comme toutes les communes du pays, mais elle ne perçoit pas de centimes additionnels extraordinaires.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas de ville qui en ait plus.

M. Tack. - J'ai cité Bruxelles qui a payé en 1858 306,000 fr. de centimes additionnels extraordinaires. (Interruption.) C'est dans les tableaux qui figurent au volume de 1860, page 78, des documents statistiques publiés par le département de l'intérieur, que j'ai recueilli ces données.

(page 1477) M. Muller. - Messieurs, j'ai, entendu, par centimes additionnels extraordinaires ceux qui ne sont pas imposés ni obligatoires en vertu de la loi de 1822, ceux qui ne sont pas perçus d'une manière uniforme dans tout le pays, et j'ai dit que la ville de Liége percevait près de 200,000 fr. au-delà des centimes additionnels obligatoires applicables à toyes les communes sans distinction. J'ai ajouté que je remettrais au besoin, à l'honorable M. Tack, les budgets de la ville de Liège, qui le convaincront.

M. Tack. - Si je suis dans l'erreur c'est le document officiel fourni par le gouvernement qui en est cause. J'y lu, exercice 1858, centimes additionnels extraordinaire, à Liége : néant., tandis que la ville de Gand, par exemple, supporte 51,000 francs de centimes additionnels extraordinaires.

(page 1467) M. Hymans. - Messieurs, j'aurais pu m'abstenir sans doute de prendre la parole dans ce débat ; il y a dans cette enceinte trop d'économistes distingués pour que mon opinion puisse avoir quelque poids dans la balance. Mais je n'ai pas entendu sans une légitime et vive émotion le reproche qui nous a été adressé hier par l'honorable M. Coomans, d'abandonner tous les principes, pour voter une loi injuste, pour satisfaire les appétits des villes aux dépens de l'intérêt des campagnes.

J'avoue, messieurs, que je ne m'attendais pas, de la part de l'honorable membre, au discours qu'il a prononcé. Quand je l'ai vu rentrer dans cette Chambre j'ai éprouvé une double satisfaction ; heureux, d'abord, de le voir rétabli, heureux, ensuite, de le voir venir apporter son concours à cette grande mesure de l'abolition des octrois qu'il a toujours appelée de ses vœux les plus ardents. Le discours de l'honorable membre m'a donc causé une amère déception, d'autant plus amère que j'avais précisément l’intention d'invoquer son témoignage pour justifier mon vote.

Messieurs, l'honorable ministre des finances a cité dans son premier discours les éloquentes paroles par lesquelles l'honorable M. Coomans réclamait l'abolition des octrois en 1855, au sein du conseil supérieur d'agriculture, au nom de l'intérêt des campagnes ; qu'il me soit permis, à mon tour, de citer les paroles beaucoup plus significatives prononcées par l'honorable membre dans cette enceinte même, le 9 juillet 1851, à l'appui d'une proposition qui tendait à l'abolition des taxes communales sur la viande de boucherie, les boissons, les céréales, le bois à brûler, le charbon de terre et les engrais. Voici ce que disait l'honorable M. Coomans à cette tribune :

« Messieurs, ma proposition est opportune, parce qu'elle est juste, parce qu'elle est populaire, dans le bon sens du mot, parce qu'elle est la conséquence logique, forcée de la libre importation des grains et du bétail exotiques ; parce que, au moment où l'on expose l'agriculture nationale aux hasards de la concurrence étrangère, on ne peut la charger d'impôts locaux très élevés, dont le producteur acquitte toujours une certaine part ; enfin, ma proposition est opportune, parce qu'elle tend à affranchir de taxes odieuses un demi-million de modestes travailleurs à peine pourvus des moyens nécessaires à leur existence physique.

« Bien que l’octroi pèse sur toutes les classes de la population et qu'il les gêne toutes, il grève particulièrement la petite bourgeoisie et les ouvriers, en ce qu'il frappe de préférence les objets de consommation forcée, tels qui les denrées alimentaires et les combustibles. Il n'est pas moins odieux aux classes agricoles qu'il met vexatoirement à contribution.

« ... Le cultivateur qui va approvisionner le marché, est obligé à faire des avances qui ne lui laissent plus toute liberté de traiter avec le consommateur. Leur intermédiaire, qu'il soit industriel ou commerçant, profite quelquefois de la perception de la taxe pour élever outre mesure le prix de la marchandise. Ce dernier abus n'est pas rare dans les faubourgs populeux où la vente des produits étant réglée par les prix de la ville, les marchands réalisent généralement plus de bénéfices que leurs rivaux intra-muros.

« Les millions que nos douanes communales prélèvent annuellement sur les objets de grande consommation, sont un impôt agricole et industriel à la fois, un impôt onéreux et injuste, un impôt vicieux au point de vue financier, à cause des difficultés de la perception, et un impôt réprouvé par la morale, en ce que chaque centre urbain est constamment assiégé par une armée de fraudeurs.

« ... Prétendra-t-on que ces millions sont indispensables aux villes qui les perçoivent, et qu'il est impossible de les remplacer par des ressources équivalentes ?

« Je ne rechercherai pas si nos grandis villes ont fait un usage irréprochable des énormes revenus que leur a donnés l'impôt sur les denrées alimentaires ; je n'examinerai point s'il est convenable de consacrer (page 1468) à des dépenses de luxe dont les classes laborieuses ne profitent point ou guère les contributions prélevées sur leur nécessaire. Je dirai seulement que, dans l'hypothèse où nos villes ne sauraient se passer des ressources dont elles disposent aujourd'hui, il y aurait lieu de substituer aux taxes que je blâme d’autres taxes à prélever, soit sur des objets de consommation volontaire, soit sur des produits industriels, soit sur le revenu présumé des habitants. »

Remarquez que c'est l'honorable membre qui propose aujourd'hui d'abolir les capitations qui n'ont pas d'autre base.

Je continue :

« Ce dernier moyen, qu'on pourrait combiner avec d'autres, ne serait pas une innovation. Il est employé, sans beaucoup d'opposition, dans les faubourgs de quelques-unes de nos principales cités, Gand et Anvers, par exemple, et dans une foule de communes rurales, auxquelles il fournit le plus clair de leurs ressources.

« L'impossibilité de l'abolition des taxes sur les denrées alimentaires ne sera soutenue par personne, je pense ; elle ne saurait l'être en aucun cas par une foule de membres de cette assemblée qui ont en vue la suppression du système des octrois. Or, si une réforme est praticable, pourquoi l'ajourner indéfiniment ? Elle ne sera jamais plus facile qu'aujourd'hui ; toujours elle rencontrera les mêmes obstacles et de plus grands peut-être.

« A quoi bon temporiser, et que nous servirait-il de reculer devant une amélioration conforme à nos vœux, à nos promesses, à notre devoir, à notre dignité ? En ajournant, par paresse, par peur ou par jalousie de parti, une mesure d'utilité générale que nous avons tous préconisée, que nous avons tous contribué à rendre populaire, que plusieurs d'entre nous ont inscrite sur leur programme politique, nous manquerons à nous-mêmes encore plus qu'au pays.

« Pour démontrer qu'un impôt doit être aboli, il suffit, ce semble, de prouver qu'il est injuste, odieux, et qu'il entrave la prospérité de l'agriculture et de l'industrie. Or, cette démonstration a été faite avec une telle surabondance d'arguments, que je serais embarrassé de les reproduire, même en substance. Dès lors, peut-on subordonner l'acceptation du principe de mon projet de loi à l'indication des ressources nouvelles compensant la perte de celles dont les villes seraient dépouillées ? Non, car les questions de justice et d'intérêt social dominent toute les autres. Dès qu'on les pose, il faut les résoudre à ce double point de vue, et aucune fin de non-recevoir n'est admissible. »

Messieurs, vous me pardonnerez cette longue citation ; je crois qu'elle ne manque pas d'intérêt.

L'octroi est donc injuste. Il est odieux. Il pèse sur l'agriculture. Il atteint le producteur. Il faut le remplacer par d'autres taxes de consommation. Il le faut remplacer même par des capitations. II faut en finir avec cet impôt dans l'intérêt de la dignité du pays : notre devoir nous le commande. Aucune fin de non-recevoir n'est admissible... C'est l'honorable M ? Coomans qui l'affirme, et certes, l'honorable ministre des finances n'a rien dit de plus énergique.

Maintenant,

« Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ? »

Je n'en sais rien. L'honorable membre nous parlait de peaux de lézard ;, je ne sais trop à quel propos. (Interruption.) L'honorable membre avait le droit d'en parler, car il paraît qu'il change d'opinion avec autant de facilité que le lézard change de peau.

Du reste, je laisse à l'honorable membre le soin de se mettre d'accord avec les principes qu'il nous accuse d'abandonner. Il a assez d'esprit pour prouver que tout ce qu'il a dit en 1851 est parfaitement en harmonie avec ce qu'il a dit hier.

L'honorable membre au moins ne dira pas que la politique est pour quelque chose dans ce revirement. La politique n'est évidemment pour rien dans ceci. Tous les adversaires du projet de loi l'ont déclaré : il ne s'agit pas ici d'une affaire de parti, et si la loi ne trouve aucun défenseur à droite, c'est par pur amour des campagnes qui n'ont à gauche que des ennemis.

Il n'y a absolument rien de politique dans les accusations qu'on nous lance, on ne sert aucun intérêt politique en accusant l'opinion libérale de sacrifier les petits aux grands, les campagnes aux citadins en matière d’impôt comme en matière électorale.

Seulement j'aimerais mieux un peu plus de politique, au lieu de cette façon de n'en pas faire, même au point de vue du calme et de la modération de nos débats.

Maintenant, au point de vue de l'opinion libérale que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte et que je désire voir triompher dans le pays, je me félicite de la présentation du projet de loi ; je suis heureux de pouvoir dire en conscience que le projet me paraît tout à fait favorable aux campagnes, et j'espère le démontrer en peu de mots.

Je pose cette question à la Chambre : Si l'on supprime l'octroi pour ne le remplacer absolument par rien, qui y perdra ? Ce ne sont évidemment pas les campagnes ; ce sont les villes ; elles seront privées d'un impôt qui se perçoit facilement et qui va toujours en augmentant - les communes sans octroi ne perdront rien, par la très bonne rien qu’elles gagneront un plus grand débouché pour leurs produits. (Interruption.)

Je crois que ce point de départ est incontestable.

Il est un autre principe non moins juste. Si vous ne devez rien à ceux à qui vous ne prenez rien, vous devez aux autres l'équivalent de ce que vous leur prenez ; voilà pourquoi la loi garantit aux communes l’octroi l'équivalent du produit de l'octroi, et quand on donne à la ville de Bruxelles près de 3 millions, on ne lui accorde pas à Bruxelles, comme l'a affirmé hier l'honorable M. Coomans, une prime d'un million ; on se borne à lui rendre ce qu'on lui prend.

Maintenant, que devez-vous aux communes sans octroi ? Comme le dit l'exposé des motifs, vous leur devez le remboursement du montant de leur part dans l'accroissement du produit des impôts.

Le gouvernement estime cette part, dans son projet de répartition définitive, à près de 3 millions. C'est 810,000 francs de moins que le chiffre des cotisations qui s'élève à 3,816,045 francs. D'après l'amendement de la section centrale, auquel je me rallie, on leur donnera plus que ce chiffre. Et si, en dehors des communes à octroi, il n'y avait que des communes à capitation, tout le monde se déclarerait satisfait. Les communes à capitation seraient remboursées comme les communes à octroi, du moins de la partie la plus lourde de leurs taxes communales.

Mais ici nous sommes en présence d'un fait très curieux : les défenseurs des communes à capitation se plaignent de ce qu'on les sacrifie aux villes à octroi. Ils voudraient, ainsi que l'a demandé l'honorable M. Vander Donckt, qu'on leur sacrifiât les communes qui né payent ni capitation, ni octroi. Ces communes sont au nombre de 840 sur les 2,459 qui ne payent pas d'octroi.

Voilà comment certains membres de l'opposition prennent la défense des campagnes.

C'est précisément en cela que réside la justice du projet de loi. Il rembourse aux villes à octroi le produit de l'octroi, en leur laissant le soin de chercher d'autres ressources pour satisfaire à l'accroissement de leurs besoins, à leurs dépenses nouvelles. Il permet aux communes sans octroi d'éteindre, d'abord, une partie et, avec le temps, le total de leur cotisation. Enfin, il donne aux communes sans octroi ni capitation, une grosse part qui excède souvent, qui égale presque toujours le produit des nouveaux impôts généraux, de sorte que les campagnes, qu'on nous accuse de sacrifier sont plus favorisées que les villes.

Avant que j'aille plus loin, il faut que je fasse justice d'une grave erreur qui semble dominer sur les bancs de la droite.

A mon sens, la suppression de l'octroi n'a jamais dû être considérée comme la suppression d'un impôt. Je conçois la suppression de l'octroi comme la suppression d'une vexation et comme le déplacement d'un impôt. Je ne comprendrais qu'on supprimât des impôts pour une somme d» 10 à 11 millions, sans supprimer en même temps des charges publiques pour une somme équivalente. Il y a suppression d'une vexation ; et si vous voulez réellement sacrifier 10 à 11 millions d'impôt, il n'y a qu'un seul moyen, c'est de diminuer d'autant les charges publiques.

Or, il ne faut pas se faire illusion ; et je crois que tous les hommes pratiques ont renoncé depuis longtemps à l'idée de résoudre les questions financières, les questions d'impôts par des économies. Il est évident que les charges publiques, s'accroissent en raison de la richesse publique.

Eu 1848, à l'époque où dominait dans toute l'Europe une fièvre d'économie, où une sorte de vertige d'économie s'était emparée des Etats, à tel point qu'aujourd'hui en Belgique, on revient sur la plupart des économies qu'on avait faites à cette époque, un économiste, dont personne ne contestera la compétence, disait à la tribune de l'assemblée nationale de France ce qui suit :

« Tant que les peuples civilisés entretiendront des armées permanentes et tant qu'ils auront des intérêts nombreux à administrer, un gouvernement à faire respecter, une police à maintenir, des routes, des écoles, des prisons et des hospices à entretenir, sans parler de la sollicitude que réclament l'agriculture, le commerce et l'industrie, la nécessité des gros budgets restera démontrée, quelque économie que l'on emploie et quelque système d'administration que l'on suive. »

M. Julliot. - Quel est cet économiste ?

M. Hymans. - C'est un de vos amis ; M. Léon Faucher.

Maintenant y a-t-il quelqu'un dans cette enceinte qui soit disposé à supprimer une seule de ces charges que signalait M. Léon Faucher en 1848 ? Pour faire des économies sérieuses il faut tailler dans le vif.

Il est évident que si vous vouliez retrancher 10 millions sur le budget de la guerre, vous feriez une économie sérieuse. Ce n'est pas de ce côté de la Chambre que l'on consentira à les supprimer dans la situation actuelle de l'Europe. Personne dans cette enceinte ne voudrait prendre la responsabilité d'une pareille réduction quelles que soient ses opinions en principe.

Messieurs, quand j'entends parler d'économies, je me rappelle toujours une charmante comédie jouée il y a quelques années et intitulée : Le Budget d'un jeune ménage.

(page 1469) Deux jeunes époux se trouvent en tête-à-tête. Quoique assez bien doués sous le rapport de la fortune, ils ont un peu dépassé leur budget. Ils sont d'avis qu'il faut faire des économies.

Madame dit à monsieur : Mon ami, il faut que tu supprimes ton coupé et tes deux chevaux de sang. Le mari répond : C'est impossible. Que dira-t-on, que dira le monde ?

Monsieur interpelle à son tour madame : Il faut que tu supprimes quelques-unes de tes parures, quelques-uns, de tes cachemires, quelques voyages en été, que tu restreignes tes crinolines.

Que dira-t-on ? s'écrie aussi madame. Mais au milieu de la conversation (monsieur et madame sont en train de déjeuner) madame, s'aperçoit que le mari met trois gros morceaux de sucre dans son café. - « Mais songe donc, dit-elle, que nous sommes obligés de faire des économies ! »

C'est là l'histoire des économies des Etats comme des ménages. On recule devant les économies par orgueil et il faut bien un peu tenir compte des faiblesses humaines. Toute la situation financière, d'ailleurs, suppose des droits acquis auxquels on ne saurait toucher impunément.

Enfin, richesse oblige. Les nations ne se plaignent de l'impôt que lorsqu'il est injuste et lorsque ses produits sont mal employés.

Nous ne sommes plus au temps où un économiste pouvait dire, comme celui qu'a cité l'honorable M. Royer de Behr :

« Le meilleur ministre des finances est celui qui dépense le moins d'argent. »

Je connais une définition beaucoup plus exacte. Elle est d'un ministre des finances qui a fait des études profondes sur la question, M. de Parieu, aujourd'hui conseiller d'Etat en France. D'après celui-ci, l'art du ministre des. finances consiste à prélever le maximum d'argent en excitant le minimum de mécontentement.

« Je crois que cette définition est meilleure et plus conforme à la situation des Etats modernes que celle du vénérable M. Droz, cité par l'honorable M. Royer de Behr. Les communes ont des obligations comme les Etats. Ouvrez la loi communale. Voyez les dépenses obligatoires qui leur sont imposées et qui vont tous les jours croissant. Ajoutez-y toutes les autres dépenses nécessaires qui ne sont pas obligatoires, et vous n'admettrez pas qu'on puisse abolir l'octroi sans en même temps le rembourser.

J'ai ici le dernier rapport adressé par l'honorable M. Ch. de Brouckere au conseil communal de Bruxelles le 3 octobre dernier.

Je vois dans ce rapport, qu'en même temps que l'on constate que la position financière de la commune n'a jamais été plus satisfaisante qu'en 1859, jamais non plus la ville n'a eu plus besoin de ressources que dans ce moment, pour l'exécution de travaux importants qu'elle a arrêtés. La ville est obligée, malgré l'accroissement du produit de l'octroi, d'émettre 1,200 bons de 1,000 fr. dans l'intérêt de l'instruction publique, afin d'augmenter les traitements des instituteurs primaires, afin de compléter le service de distribution des eaux, afin de faire construire une église dans un quartier dont l'église paroissiale depuis longtemps menace ruine ; afin de contribuer à la construction du palais de justice, etc.

Ce sont là des dépenses indispensables, quoique non obligatoires. L'honorable M. Ch. de Brouckere dit encore en terminant son exposé : « Les dépenses extraordinaires s'élèvent aune somme très considérable, et cependant nous reconnaissons qu'elles ne pourvoient pas à tous les besoins constatés par le conseil. Nous avons dû laisser en arrière la reconstruction de l'Athénée... » dépense très utile pour laquelle il faudra bien qu'on trouve de l'argent plus tard.

Vous voyez que, malgré l'augmentation des produits de l'octroi, la ville de Bruxelles est encore obligée de s'imposer extraordinairement.

Je crois qu'il en est de même de la plupart des grandes villes du pays dont la prospérité va en augmentant. Il en sera de même après l'abolition des octrois ; et tandis que les communes sans octroi pourront grâce à la répartition diminuer leurs cotisations personnelles, nous serons obligés de les augmenter.

Il est évident qu'il faut remplacer l'octroi par des impôts nouveaux.

Parmi ces impôts, il en est deux qui donnent lieu à réclamation : c'est l'accise sur la bière et le remaniement de la loi sur les sucres.

Pour la bière, je commence par déclarer que si l'augmentation de l'accise pouvait avoir pour résultat de frapper d'une manière sensible les consommateurs, je ne la voterais pas. Je me rallie à ce qu'a dit l'honorable M. de Naeyer sur ce point. Je me rallie à ce qu'a dit dans son remarquable rapport l'honorable M. Vandenpeereboom ; mais il faut, en définitive, considérer les faits.

L'augmentation sera de telle nature que si le consommateur devait la supporter tout entière, elle serait de trois quarts de centime par litre. C'est encore beaucoup trop, car il faut partager l'accise entre le brasseur, le cabaretier et le consommateur ; l'honorable M. de Brouckere, dont on invoque si souvent l'autorité dans cette enceinte, a déclaré dans son rapport de 1847, que les trois quarts de la bière se consomment en Belgique dans les estaminets.

D'ailleurs il est un autre argument décisif, c'est le perfectionnement continuel de l'industrie. C'est évidemment faire peu d'honneur aux brasseurs belges que de supposer que, depuis 1822, la fabrication de la bière ne s'est pas améliorée en Belgique et qu'ils n'aient pas depuis longtemps récupéré la taxe.

Je crois qu'il est admis qu'une augmentation de l'accise est presque toujours un stimulant pour les industriels. II est constaté qu'en Ecosse à la suite d'une taxe sur les alambics on a tellement perfectionné les procédés de fabrication que d'un alambic on a retiré un produit double de celui qu'on en retirait autrefois. Qu'est ce qui empêche qu'on ne fasse de même pour les bières ?

Dans une brochure distribuée hier matin, on dit à propos du brasseur qu'il se retrouvera parce qu'il mettra plus de farine dans son brassin et qu'il l'allongera, et ailleurs, qu'il se déchargera de l'augmentation de droits par son système de fabrication, que l'augmentation retombera sur le consommateur qui aura une boisson moins saine.

Je doute qu'il y ait un brasseur disposé à signer cette pièce qui n'est pas de nature à intéresser la Chambre aux producteurs de la bière dans la cas où elle serait justifiée par les faits.

Mais j'y trouve, pour ma part, une garantie pour le consommateur. La bière est une boisson d'un prix uniforme ; je ne crois pas que ce prix soit variable dans une même localité. Il est partout le même et, dès lors, il est évident qu'ici comme en toutes choses la concurrence sera la meilleure sauvegarde de la santé publique et que le plus honnête brasseur sera en même temps celui qui fera le mieux ses affaires.

Quant aux sucres, l'honorable M. Vandenpeereboom nous a montré, dans son rapport, que l'industrie sucrière n'a pas, au point de vue agricole, l’énorme importance qu'on lui attribue.

Sur 1,500,000 têtes de bétail que nous avons en Belgique, les fabriques de sucre n'en nourrissent que 12,000 ; sur 1,500,000 hectares de terres labourables, les fabricants de sucre n'en explorent que 10,000. En Angleterre, l'industrie des sucres indigènes n'existe pas ; elle y est inconnue ; elle y est en quelque sorte interdite par les droits prohibitifs établis dans l'intérêt même du consommateur.

Dira-t-on qu'en Angleterre l'agriculture est moins florissante qu’en Belgique ? N'est-il point reconnu, au contraire, que l'élève du bétail y fait l'admiration de tous les agronomes, de tous les hommes qui s'occupent de science agricole ?

Dieu me garde de me mêler à la guerre de la canne et de la betterave ; je craindrais d'être pris entre deux sucres, chose, à coup sûr, extrêmement périlleuse. Je dirai seulement que cette industrie a coûté énormément d'argent au trésor public et qu'on aurait trois fois supprimé les octrois avec ce qu'elle a touché de subsides. Je dirai encore que, par reconnaissance seule, les sucres indigènes devraient se montrer moins exotiques dans leurs réclamations. Du reste, j'attendrai sur ce point les explications de M. le ministre des finances.

En résumé, messieurs, je suis partisan du projet de loi parce que je suis d'avis, avec l'honorable M. Coomans, qu'il est de notre devoir et de notre dignité d'en finir avec cet odieux impôt des octrois, et parce que, à mon avis, les moyens par lesquels on propose de les remplacer ne blessent en rien la justice et l'équité.

Certes, si j'écoutais mes sympathies personnelles, j'aimerais mieux remplacer les octrois par l'impôt direct, et je crois qu'il est plusieurs sources d'impôts dont le trésor peut espérer un puissant concours : la redevance des mines, la patente des sociétés anonymes, les valeurs mobilières, pourraient très largement contribuer au revenu public. Mais, messieurs, ces impôts, en définitive, retomberaient sur le travail national et rencontreraient dans cette enceinte des adversaires ardents et convaincus.

J'ai, d'ailleurs, une raison péremptoire pour ne pas réclamer une augmentation de l’impôt direct ; cette raison, je la trouve dans les circonstances : je crois que, dans l'état actuel de l'Europe, il est bon de faire comprendre à la Belgique qu'elle est, après la Suisse, le moins imposé ce tous les pays du continent ; qu'elle est, après les Etats-Unis, le pays du monde sur lequel pèsent le moins lourdement les charges fiscales.

M. Coomans. - C'est bien inexact.

M. Hymans. - Je vous demande bien pardon.

M. le président. - N'interrompez pas, M. Coomans.

M. Hymans. - Ces charges seront diminuées encore par l'abolition des octrois. L'abolition des octrois, c'est l'émancipation du travail ; or, partout où le travail s'émancipe, la richesse augmente et le bien-être des masses est certainement la garantie la plus sûre et la plus durable des nationalités. Aussi est-ce un bonheur pour nous, les nouveaux venus dans cette enceinte, de pouvoir contribuer pour une part si faible qu'elle soit, à ce grand acte d'émancipation, qui sera la gloire du parlement belge aux yeux de l'étranger.

Ils sont nombreux encore dans cette enceinte les collaborateurs de ces lois qui ont organisé la commune, qui ont répandu l'instruction dans tous les degrés de la population, qui ont créé ces artères ferrées dans lesquelles circule la sève de la prospérité publique. A ceux-là le pays a voué une gratitude légitime et profonde. Je crois qu'il y aura quelque reconnaissance aussi pour ceux qui, dans le moment de crise universelle, (page 1470) auront suivi des hommes d'Etat courageux dans la voie d'une réforme financière qui n'est que le prélude , j'en ai la vive espérance, d'une rénovation féconde dans l'assiette générale des impôts.

Le Roi disait, en ouvrant la session extraordinaire de 1848 : « Plusieurs impôts devront être modifiés dans leurs bases ; ne perdons pas de vue, dans la répartition des charges, ce qui est dû à ceux à ceux dont le travail seul entretient l'existence. »

C'est sur ceux-ci, messieurs, que pèsent le plus lourdement la charge des octrois ; la loi actuelle leur accorde une justice tardive, mais éclatante.

Aussi, en ce jour nous renversons les derniers remparts qui subsistent entre des citoyens d'un même pays, mais nous élevons, en même temps, soyez-en sûrs, le rempart le plus solide contre l'étranger.

M. Desmaisières. - Messieurs, tous les impôts indirects, tous les droits perçus et établis en raison de la consommation, présentent un inconvénient très grave : c'est que leur perception donne lieu à des difficultés et à des vexations plus ou moins désagréables et gênantes pour les contribuables.

Les droits d'octroi, véritables lignes de douanes communales, sont de cette espèce, et par conséquent il n'y a pas lieu de s'étonner des plaintes qu'ils ont soulevées.

Je crois que leur suppression aurait d'heureuses conséquences, et je m'empresserai de donner mon vote à cette mesure, pourvu que son exécution n'entraîne point d'injustices, point d'atteinte aux principes de notre Constitution.

Le projet du ministère est-il dans ces conditions ? C'est ce que nous avons le droit d'examiner et déjuger, dussions-nous combattre et rejeter le projet sans en présenter un autre tendant au même but ; car je ne crois pas inutile d'observer, en passant, qu'il n'est nullement conforme aux véritables principes constitutionnels de nous dire : Approuvez le projet ministériel ou proposez-en un meilleur.

Je ne saurais regarder comme juste ni constitutionnelle, la manière dont le ministère veut remplacer les revenus de l'octroi. Je ne crois pas que nous puissions, sans leur consentement, charger uniformément toutes les communes du royaume de nouveaux impôts dont le produit considérable (14 à 15 millions) serait partagé inéquitablement, et je ne crois pas d'ailleurs que ce soit une idée heureuse de transformer les villes et communes à octroi en pensionnaires de l'Etat. Enfin je ne suis nullement édifié sur la nécessité de changer les bases de la législation sur les sucrés.

La Constitution par ses articles 31, 108 et U110a eu évidemment en vue de sauvegarder la liberté, l'indépendance communale, et la législature l'a tellement compris, que l'article 141 de la loi communale permet au collège des bourgmestre et échevins de dépenser entièrement les allocations portées à leurs budgets, quand bien même la députation permanente du conseil provincial aurait diminué plus ou moins ces allocations. Une nouvelle délibération du conseil communal suffit pour cela.

Je crains bien que les villes et communes qui consentent aujourd'hui à la centralisation de leurs intérêts budgétaires dans les mains de l'Etat ne s'en repentent plus tard quand elles verront leur indépendance plus ou moins ébréchée.

Il est évident, on ne saurait assez le répéter, que la Constitution veut en principe que les communes règlent leurs budgets et qu'elle permet seulement à l'autorité supérieure d'apporter des exceptions à ce principe.

Or, ce n'est pas y apporter seulement des exceptions que de supprimer les octrois communaux qui forment la majeure partie des recettes des villes et communes à octroi et de les remplacer par tout un système nouveau de recettes perçues par l'Etat, non seulement sur les communes à octroi mais encore sur toutes les autres communes du royaume qui n'ont pas d'octroi.

Ou dit aux communes à octroi :

« Les octrois sont des impositions communales, des charges imposées à la commune. On ne peut en assurer la perception que par des moyens préventifs ou répressifs très gênants et vexatoires. Nous vous proposons de vous en décharger complètement. Nous les supprimerons et nous vous conserverons les revenus qu'ils vous donnent en les remplaçant, non pas par d'autres charges communales, mais par des augmentations des impôts portés au budget de l'Etat, c'est-à-dire par des impôts qui tombent à charge de toutes les communes du royaume, aussi bien des communes sans octroi que de celles à octroi.

Oh conçoit aisément que les communes à octroi se sont empressées de donner leur consentement à cette proposition.

Mais, quant aux communes sans octroi, cette mesure, il faut le reconnaître, serait une charge onéreuse pour elles, et cette charge, étant établie sans leur consentement, est inconstitutionnelle. Toute la question est là : Proposez un système de remplacement des octrois qui puisse être consenti à la fois par les communes sans octroi comme par les communes à octroi, et dès ce moment le problème sera résolu à la satisfaction de tous les intéressés et n'aura plus, sous ce rapport au moins, rien d'inconstitutionnel.

On observe que le paragraphe 5 de l'article 108 de la Constitution investit le gouvernement et le pouvoir législatif du droit d'empêcher les conseils communaux de sortir de leurs attributions et de blesser l'intérêt général.

Mais personne, je pense, ne soutiendra que les conseils communaux sont sortis de leurs attributions, et il me semble que, si les octrois communaux blessent l'intérêt général en pesant sur le commerce intérieur, les impôts ou droits d'accise qu'on veut leur substituer ne sont pas à l'abri du même reproche. Non seulement ces droits d'accise pèsent sur le commerce intérieur, mais encore sur l'agriculture, l'industrie et le commerce maritime qui sont les trois grandes branches de la fortune publique.

Les villes et communes eu royaume se divisent en trois catégories, en ce qui concerne les octrois communaux.

La première comprend 78 villes et communes qui ont des octrois communaux dont le produit net est de 12 millions.

La seconde comprend 1,604 villes et communes, qui n'ont pas d'octroi, mais qui ont établi, en vertu des arrêtés royaux des 17 juillet et 4 octobre 1816, des cotisations personnelles pour nh tenir lieu.

Le produit total de ces cotisations a été, en 1859, de 3,816,045 fr., soit de 4 millions.

Elles sont établies au moyen de la division des contribuables en plusieurs classes, en raison de leur consommation présumée en objets et denrées sur lesquels se perçoivent les droits d'octroi.

Elles ne sont payées que par les habitants aisés de la ville ou de la commune. Les pauvres en sont exempts, et on conçoit dès lors que les villes renferment relativement plus de contribuables que les communes rurales.

Les rôles sont formés par les conseils communaux et soumis, avec droit d'appel, pour les contribuables, à l'approbation des députations permanentes des conseils provinciaux.

Enfin, la troisième catégorie comprend 855 villes et communes qui n'ont ni octroi, ni cotisations personnelles.

Je pose maintenant ce dilemme :

Ou les cotisations personnelles, dont on a fait l'expérience pendant 44 ans, constituent un système d'impositions tolérable, et alors, pour résoudre le problème difficile qui nous occupe, il suffit de décider que les octrois supprimés seront remplacés par des cotisations personnelles.

Ou bien ces cotisations constituent un système d'impositions intolérable et non susceptible d'améliorations, et alors les contribuables ont le droit de les voir, aussi bien que les octrois dont ils tiennent lieu, supprimés et remplacés par d'autres ressources.

Ils y ont d'autant plus de droit, que c'est principalement dans les Flandres que ces cotisations personnelles existent. Elles ont dû y être établies et accrues pour combattre la misère qui régnait dans ces provinces, et l'on conçoit que le nombre de personnes aisées étant beaucoup plus restreint dans ces communes que dans les villes et communes à octroi, la cotisation y constitue une charge relativement plus grande pour les contribuables.

Je le répète donc, messieurs :

Ou les cotisations personnelles doivent être supprimées en même temps que les octrois dont elles tiennent lieu pour être remplacées par des impôts de l'Etat ;

Ou les villes et communes à octroi peuvent remplacer, en grande partie tout au moins, leurs octrois par des cotisations personnelles. Le reste pourrait être remplacé par des centimes additionnels ou autres taxes communales.

En ce dernier cas, l'impôt communal conserverait ce caractère communal aussi bien dans son assiette que dans sa destination.

Les communes à octroi n'auraient plus à recevoir de l'Etat une rente de 12 millions qui, à 5 p. c, représente un capital de 240 millions.

II n'y aurait plus lieu d'augmenter les droits d'accise qui pèsent sur la consommation des classes pauvres, tandis que les cotisations personnelles atteignent principalement les riches.

Enfin, en s'abstenant de trop surcharger son budget, l'Etat conserverait les moyens de dégrever, en temps de paix, les contribuables trop imposés et d'augmenter ses ressources en temps de guerre ou de crise alimentaire ou autre.

M. le président. - Un amendement vient d'être déposé par M. Tack ; la Chambre en ordonne sans doute l'impression ?

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

- L'impression est ordonnée.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.