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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 9 juin 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1503) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Jean-Nicolas Waxweiler, cultivateur à Turpange, né à Pétange (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Godefroid Verbruggen, agréé au bureau de la station du chemin de fer à Malines, né à Heytnuyzen (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation. »

- Même renvoi.


« Le sieur Kliemann, sergent-major au 3ème régiment de ligne, prie la Chambre de l'exempter du droit auquel se trouve assujettie la naturalisation qui lui a été conférée ou de prolonger de six mois le délai fixé pour le payement de ce droit. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Renard, ancien receveur des contributions, réclame l'intervention de la Chambre pour faire liquider sa pension de retraite, »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Verhaegen et Moser, président et secrétaire du Zeemans Collegie, à Anvers, se plaignent d'une mesure prise en faveur d'un étranger, au préjudice des capitaines de navires belges. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Uccle présentent des observations sur le projet de loi relatif aux octrois et demandent la suppression des capitations en même temps que des octrois ; la coopération proportionnelle de toutes les industries et de tous les intérêts sans privilège à la formation du fonds communal ; la répartition équitable de ce fonds commun entre les villes, les faubourgs et les campagnes et une garantie de cette répartition assurée aussi bien aux communes rurales qu'à la population des villes. »

a Mêmes demandes d'habitants de Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Ixelles, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles et Laeken. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. Mercier, forcé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

(page 1511) M. de Lexhyµ. - Messieurs, je ne me proposais de prendre la parole que dans la discussion des articles, et si j'interviens dans la discussion générale, c'est un peu la faute de l'honorable M. de Theux. M. le ministre des finances a prouvé, par des arguments irréfutables, que les villes payaient la grande part des impôts généraux et que le projet de loi soumis à nos délibérations ne leur serait pas aussi favorable que certaines personnes le prétendent.

M. de Theux, en soutenant la thèse contraire et en énumérant les avantages des villes, a dit que, même au point de vue de la représentation nationale, la prépondérance des villes était incontestable, et que c'est à peine si les campagnes comptaient, au sein de la Chambre, un seul membre exclusivement campagnard. Je suis peut-être le seul député purement campagnard, car je n'ai, dans mon arrondissement, aucune commune à octroi.

Je suis donc l'émanation pure d« l'élément rural et c'est à ce titre que j'interviens dans le début. Je remercie l'honorable M. de Theux de me donner l'occasion de déclarer hautement que je n'oublierai jamais que je suis campagnard et que ce sera toujours avec fierté que je défendrai les intérêts de l'agriculture. En prenant la parole dans la discussion générale, je suis condamné à tomber dans des redites et à vivre des arguments des autres : je me bornerai donc à présenter quelques considérations succinctes et j'espère que mon laconisme me vaudra votre bienveillante attention.

Je comprends, d'ailleurs, messieurs, votre légitime impatience d'entendre l'honorable M. B. Dumortier, qui doit parler après moi.

J'ai l'intime conviction que le projet de loi sera utile et favorable aux campagnes Il les affranchira d’un impôt odieux, humiliant et onéreux. C'est une charge que l'on évalue à trois millions de francs, qui ne pèsera plus sur les cultivateurs. A ce dégrèvement considérable, ajoutez l'essor puissant que donnera à l'agriculture la libre circulation de ses produits et vous aurez la mesure de l'intérêt des communes rurales à cette grande réforme.

L'indépendance communale, de son côté, trouvera son profit dans la loi actuelle. La création du fonds communal est destinée à fortifier l'autonomie des communes. A l'aide de leur part dans le fonds communal, elles pourront bientôt anéantir leurs capitations et réduire considérablement leurs centimes additionnels.

L'honorable M. Vermeire ayant présenté un amendement qui se rattache à cette question, j'en dirai un mot en passant. Nous avons peu de capitations dans la province de Liège, tandis que nous sommes écrasés par les centimes additionnels. Or, que demande M. Vermeire ? Il voudrait faire anéantir, par la loi, les capitations et laisser subsister les centimes additionnels.

Ce serait là une suprême injustice. Aussi repoussons-nous énergiquement cette proposition : pour nous, ce serait un leurre.

L'honorable M. Vander Donckt a prétendu que les provinces flamandes sont sacrifiées au profit des provinces wallonnes, Il serait difficile de concilier cette allégation avec les conséquences de l'amendement de M. Vermeire, qui aurait pour résultat fatal de sacrifier les provinces wallonnes au profit des Flandres. C'est la une contradiction que je signale et pour le surplus je renvoie M. Vander Donckt à M. Vermeire, pour tâcher de se mettre d'accord sur les Wallons.

On a cherché, messieurs, à égarer les esprits dans les campagnes, en criant bien haut dans cette enceinte : C'est le paysan qui payera tout : « den boer zal alles betaelen. »

Rien de plus faux, rien de plus dangereux ; car on devrait s'abstenir de recourir à ces tristes tactiques qui ont pour résultat de semer la division dans le sein de la famille belge. Non, ce n'est pas le paysan qui payera le tout, c'est le pays tout entier qui payera le tout. Eh quoi ! l'on ose dire que, nous paysans, nous payerons le tout, tandis qu'il a été prouvé mathématiquement, péremptoirement, que les campagnes ne payeront que 45 pour cent, alors que les villes payeront 55 p. c.

Le fonds communal sera donc composé d'après la proportion que je viens d'indiquer.

Ceci m'amène à examiner brièvement quelques-uns des éléments financiers qui composent le fonds communal.

Je ne parlerai pas du café, attendu qu'il ne subit pas d'aggravation d'impôt.

Quant à la poste, on a démontré que le profit postal est fourni exclusivement par les villes. Les subtilités auxquelles on s'est livré pour prouver le contraire sont venues se briser contre l'argumentation de l'honorable ministre des finances. Il est donc naturel que le profit de la poste soit porté à l'actif des villes.

Relativement aux eaux-de-vie, je ne vois aucun inconvénient à ce qu'on augmente le droit d'accise qui les frappe : c'est là une consommation qui est la source de grandes misères sociales et qu'il est moral de s'efforcer de restreindre. Vous savez, messieurs, qu'une différence existe entre les grandes distilleries et les distilleries appelées agricoles. Ces dernières jouissent d'une protection équitable.

Cette protection représente l’infériorité des moyens de production et est fondée sur la connexité qui existe entre l'agriculture et ces distilleries. Elles favorisent grandement le progrès agricole, et ce motif justifie complètement la protection dont jouit cette industrie.

Le gouvernement, dans son projet, maintient une protection légitime pour les distilleries agricoles ; mais la section centrale a cru devoir diminuer celte protection. Je proteste contre la résolution de la section centrale et pour le cas où elle ne se rallierait pas à la proposition équitable du gouvernement, je me réserve de la combattre, dans la discussion de l'article y relatif.

Quant à la bière, je ne dissimulerai point que ce sera avec la plus vive répugnance que je consentirai à l'augmentation d'accise sollicitée. En admettant même que les prix de la bière resteront les mêmes, j'aurais plutôt désiré souscrire à une mesure destinée à diminuer le prix de la boisson populaire. Je déplore donc cette augmentation d’impôt. D'un autre côté, les brasseries rurales vont être frappées, et c'est là une chose profondément regrettable.

Cependant, il a fallu trouver de l'argent pour former le fonds communal, et ce n'est malheureusement qu'en frappant la bière que le gouvernement a cru trouver le contingent nécessaire. Je regrette qu'il n'ait pas pu trouver d'autres ressources pour suppléer à cette aggravation d'impôt. Cependant, il est juste de faire remarquer que la somme fournie par les campagnes, de ce chef, leur sera rendue dans le fonds communal. Cette considération est de nature à nous engager à subir la dure nécessité de cette augmentation d'impôt. J'espère que le gouvernement saura trouver, dans un avenir rapproché, d'autres ressources qui lui permettront de diminuer l'impôt sur la bière : c'est là un vœu que j'exprime au nom des campagnes.

Relativement au sucre, j'adhère au système préconisé par l'honorable M. de Brouckere. Il me paraît inopportun de réformer incidemment une législation aussi compliquée que celle des sucres. Il serait d'autant plus rationnel d'en faire l'objet d'une loi spéciale, que nous consentons volontiers à donner l'argent demandé.

Les droits d'entrée sur les vins vont être augmentés, mais c'est là une chose assez juste, attendu que c'est une consommation essentiellement de luxe.

Voilà les matières principales qui vont être frappées et dont l'accroissement d'impôt formera le fonds communal. Voyons maintenant dans quelle proportion les campagnes interviendront dans cette augmentation d'impôt.

On a prouvé que les communes rurales fourniront 45 p. c, c'est-à-dire une somme de 6,500,000 francs.

Les villes fourniraient le reste pour arriver à 14 millions. Si nous fournissons la somme que je viens d'indiquer, nous la retrouverons complètement dans le fonds communal. La somme que nous verserons sera précisément celle qui nous sera attribuée dans le fonds commun. Ainsi donc cette proportion dans la contribution sera la mesure dans la répartition. Quoi de plus juste et de plus rationnel ! Les campagnes fourniront leur contingent, et il leur sera intégralement rendu lorsque la loi fonctionnera définitivement.

L'époque défavorable pour nous, c'est l'époque transitoire. Déjà la section centrale, dans le but de diminuer les inconvénients de cette période, a proposé d'augmenter d'un million de francs le fonds commun, et je le remercie de cette proposition. Si la section centrale a fait un pas, j'espère que M. le ministre des finances fera deux pas, de manière à atténuer les inconvénients de l'époque transitoire. Plus on augmentera le fonds commun, plus on améliorera le sort des campagnes, et c'est là mon unique but.

Qu'obtenons-nous donc actuellement? D'après le projet du gouvernement, nous aurons une somme de trois millions d'abord, qui ira en augmentant considérablement chaque année. Des propositions seront faites pour augmenter actuellement la part des communes.

Nous devons également tenir compte du dégrèvement considérable résultant, pour nos produits, de l'abolition des octrois.

Ce dégrèvement a été évalué, ainsi que je l'ai déjà dit, à une somme de 3 millions. C'est une dette dont on nous donne quittance ; mais je voudrais plus qu'une quittance et j'engage le créancier à se montrer généreux.

J'admets que les villes obtiennent temporairement un minimum, pour les indemniser de la ressource toujours croissante de l'octroi qu'elles vont perdre. Cependant, je ne puis admettre que ce minimum se forme au préjudice de la part des communes et que les chances mauvaises, c'est-à-dire celles de décroissance du fonds communal, soient à charge des campagnes.

Je réserve donc formellement mon opinion sur 1 article 14 du projet qui est relatif à cette question. Je ferai la même réserve relativement à l'article 15, qui est relatif aux traitements d'attente des employés de l’octroi ; je pense, à cet égard, que les villes doivent exclusivement payer les traitements d'attente; cela les engagera à appeler plus tôt les employés de l'octroi à d'autres fonctions.

Notre but, à nous, défenseurs des intérêts des campagnes, notre seul but doit être d'enrichir le fonds communal, de manière à augmenter toujours notre part. A cet effet, je suis disposé à souscrire aux mesures qui tendent vers ce résultat, à la condition de ne pas trop obérer le trésor public.

J'engage vivement l'honorable ministre des finances à examiner les (page 1512) nouvelles sources d'impôt qui ont été indiquées dans le sein des sections, et dans cette discussion. J'indiquerai tout particulièrement les mines et le tabac.

Ce sont là deux objets auxquels on pourrait demander une forte augmentation d'impôt qui servirait à enrichir le fonds communal. Je n'insisterai pas sur ce point qui a été parfaitement développé par mon honorable ami le comte de Renesse.

Je reconnais que les campagnes obtiennent la plus grosse part dans les subsides de l'Etat : c'est une considération très puissante pour nous engager à tenir compte du déficit momentané dans la part qui nous reviendra dans le fonds communal, déficit qui cessera complètement lorsque la loi fonctionnera définitivement.

En résumé, je considère l'ensemble du projet de loi comme avantageux aux communes rurales, et j'appelle de tous mes vœux des modifications aux dispositions transitoires, de manière à nous donner pleine satisfaction.

Tout en appelant des améliorations, je déclare que je voterai l'ensemble du projet, parce que j'ai la conscience de servir les intérêts des campagnes, et parce que je tiens à l'honneur d'associer mon nom à cette grande réforme qui sera le plus beau fleuron de la couronne du ministère actuel.

Les campagnes n'apprécient pas immédiatement les bienfaits de cette loi, elles le feront bientôt, parce qu'elles ne tarderont pas à les sentir. Elles savent, du reste, que la plupart des grandes mesures prises en leur faveur, et notamment la loi sur la voirie vicinale. sont dues à des ministres libéraux. Les campagnes connaissent leurs vrais amis et leurs vrais défenseurs et elles savent que c'est l'opinion libérale qui veut ardemment l'amélioration de leur condition morale et matérielle. Repoussons donc cette fatale idée de représenter les habitants des villes comme des adversaires des campagnes, car nos intérêts sont solidaires.

Soyons frères et unissons nos efforts pour cimenter l'alliance entre les campagnes et les villes.

(page 1503) M. Wasseigeµ. - En prenant la parole, je n'ai pas l'intention de rentrer dans la discussion générale. Cette discussion me paraît avoir été complète de la part des adversaires du projet. Je me bornerai à motiver mon vote, en quelques paroles. Je ne poserai pas de chiffres, je ne ferai pas de statistique, science si facile eti si complaisante pour ceux qui savent en tirer parti.

Je n'aime pas les octrois, je suis disposé à en voter l'abolition, cependant, je dirai avec l'honorable M. Julliot que je félicite du courage qu'il a eu de résister à l'entraînement général, que les octrois ne sont pas aussi mauvais qu'on a bien voulu le dire. S’ils sont devenus tels c'est à cause de la cupidité des villes et de la complaisance quelque peu faible du gouvernement qu'ils sont arrivés à revêtir ce caractère qui nous les fait trouver maintenant si odieux.

Quoi qu'il en soit, je suis disposé à voter l'abolition des octrois. Quant aux moyens de les remplacer qui sont indiqués dans le projet de loi actuellement en discussion, s'ils ne sont pas considérablement changés, si plusieurs amendements importants ne sont pas introduits, je me réserve de les repousser et par conséquent de voter contre l'ensemble du projet de loi.

Examinons froidement les quelques griefs principaux qui motiveront l'opposition que je fais au projet de loi tel qu'il nous est soumis.

L'un des principaux griefs, celui qui me paraît être resté le plus complètement debout dans la discussion, c'est celui qui est relatif à l’atteinte portée au pouvoir communal.

Parmi les garanties les plus précieuses résultant de la loi de 1856. je range le pouvoir donné aux administrations communales de voter seules leurs budgets de recettes. C'est là que gît la responsabilité de» administrateurs et c'est là que les administrateurs puisent leur plus grand contrôle. C'est la meilleure garantie qu'on puisse trouver contre les dépenses de luxe et les gaspillages des deniers communaux.

Dans le projet de loi qui nous est soumis on substitue l'action de l'Etat à l'action communale. C'est, à mon avis, un grand inconvénient.

Mais, au moins est-ce dans un intérêt communal que se fait la chose ? Non ! ce n'est pas pour créer aux communes des ressources à dépenser par elles. C'est dans un intérêt étranger qu'on veut former un fonds communal à distribuer à d'autres.

On dira que la liberté des communes n'est pas moins complète parce qu’elles recevront une somme qu'elles n'auraient pas sans le projet ; mais on oublie de dire que les communes payent une autre somme sans qu'on les consulte et que cette dernière est plus élevée que celle qu'on leur restitue. Il arrive donc que par la formation de ce fonds communal à l'aide de contributions frappées par le gouvernement sur les communes, on fait intervenir les unes dans les dépenses des autres. C'est à l'aide de fonds votés par les communes sans octroi qu'on parvient à subvenir aux dépenses des villes. C'est un des principaux reproches qu'on articule contre l'octroi et il me paraît que le projet de loi, au lieu d'y faire droit, le justifier.

D'ailleurs, messieurs, pourquoi imposer également des communes dont les besoins sont différents ? L'avantage de pouvoir voter son budget des recettes, c'est qu'on les proportionne aux besoins. Par le projet du gouvernement, au contraire, toutes les communes sont également frappées, qu'elles aient ou non besoin de ressources.

Que dirai-je des communes qui sont suffisamment riches, qui ont des biens-fonds, des rentes, qui n'ont besoin d'aucune imposition communale ? Elles pourront!, dit-on, employer l'argent qu'on leur donnera à des améliorations ; je ne pense pas qu'on puisse forcer une commune à faire des améliorations bon gré malgré elle. M. le ministre des finances lui-même l'a reconnu dans le discours qu'il a prononcé, il y a deux jours et que je regrette de n'avoir pas pu entendre.

Il a déclaré qu'au point de vue des principes, il serait préférable de voir les communes s'imposer elles-mêmes, mais qu'il est indispensable, pour réaliser l'abolition des octrois, d'avoir recours aux moyens qu'il indique.

J'ai peine à croire que cette nécessité existe d'une manière aussi absolue, et sans une nécessité absolue il me paraîtrait bien fâcheux de méconnaître une partie de la loi, la plus belge de toutes nos lois, celle qui consacre nos libertés les plus anciennes et les plus populaires, les libertés communales !

Mais, dit-on, il existe des motifs d'intérêt général, et c'est pour cela que nous croyons que, dans cette mesure d'intérêt général, les communes sans octroi doivent aider à remplacer pour les villes les ressources que celles-ci vont perdre.

L'intérêt général existe en effet à certain degré, il consiste surtout à faire cesser le plus tôt possible une chose que l'on reconnaît injuste.

Il est évident que les octrois sont une chose inique et vexatoire pour les campagnes. Ces barrières élevées entre elles et les villes dans l'intérêt exclusif des villes sont certainement gênantes, il faut les supprimer.

Mais depuis quand faudrait-il supprimer une chose reconnue injuste, sinon illégale, avec indemnité ? Je doute que cela puisse se faire.

Vous reconnaissez que l'octroi est injuste en ce qu'il force les communes rurales à subvenir aux dépenses des villes. Vous le supprimez. En cela vous faites bien.

Mais faire contribuer ceux qui ont été longtemps victimes de la spoliation, c'est ce que je ne puis admettre. La longue possession d'une chose injuste ne légitime pas l'injustice dans son principe.

La première suppression des octrois qui a eu lieu en France a été votée sans indemnité aucune de la part des campagnes. J'hésite à penser que lors qu'on a fait disparaître pour la première fois ces barrières que l'on envisage comme un restant de la féodalité, il soit entré dans l'esprit dit législateur français qu'il fallait grever ceux dont on rendait la position meilleure.

L'octroi est vexatoire pour les campagnes, c'est positif : mais y a-t-il pour elles autre chose que des vexations ; participent-elles au moyen d'écus au revenu de l'octroi ?

Ici se présente la question du producteur et du consommateur. Je me hâte de déclarer que je ne l'aborderai pas. Elle a été traitée d'une manière trop lucide, trop claire, trop complète par mon honorable ami M. Royer de Behr et par d'autres de mes collègues pour que j'aie encore à m’en occuper.

Le producteur paye ou il ne paye pas.

S'il ne paye pas, il est parfaitement illogique, en supprimant l'octroi, de le remplacer par un impôt qui le grèverait.

Si le producteur contribue dans l'octroi, il paye, parce que vous avez commis une injustice envers lui, parce que, au moyen de l'octroi, vous l'avez obligé de contribuer aux dépenses d'autres communes que la sienne.

(page 1504) Si vous supprimez pour lui cette obligation, je ne comprends pas comment vous puissiez continuer cet état de choses injuste dont vous le soulagez. Ce serait, je le répète, perpétuer des abus que vous voulez extirper en abolissant l'octroi.

Que restera-t-il donc pour remplacer les octrois ? Je partage l'avis de l'honorable M. de Naeyer, les impositions purement communales.

A mon avis, rien n’est plus juste que de remplacer l'octroi, qui est un impôt purement communal, par une contribution purement communale.

M. le ministre des finances croit qu'un pareil système serait impossible. M. de Naeyer croit le contraire, je me range à l'avis du dernier.

En supposant le principe en projet de loi admis, les voies et moyens adoptés sont-ils équitables ?

D'abord arrive l'intervention de l'Etat pour 3,500.000 francs. St M. le ministre des finances croit que les finances de l'Etat sont assez prospères pour pouvoir supporter sans inconvénient, même dans les circonstances actuelles, un sacrifice de cette importance, malgré les sommes considérables dont on a disposé pendant de longues années pour travaux publics, je ne m'y oppose pas. J’opine qu'on peut l'accorder aux villes pour leur permettre de traverser ce moment un peu pénible et passer d'une situation à une autre ; mais je l'accorde comme un bel et bon subside à condition qu'il sera distribué selon des besoins parfaitement justifiés.

Qu'on ne prétende pas que la somme de 3,500,000 fr. est payée en grande partie par les villes et qu'elles ne font que reprendre un bien qui paraîtrait déjà leur appartenir depuis longtemps. On a déjà fait justice de cette prétention que le revenu net de la poste était plus particulièrement payé par les villes.

Que vous préleviez un subside quelconque sur le trésor de l'Etat à l'article de la poste, de la contribution foncière, ou de tout autre, il a exactement pour moi le même caractère. Point de doute, le don de 3,500,000 fr. fait aux villes est un don purement gratuit.

J'examinerai en quelques mots la théorie développée par l'honorable M. Frère ; vraiment, je ne comprends pas quelles conséquences il est possible d'en tirer.

M. Frère vous a dit que si l'on tenait compte de la position respective des contribuables campagnards et des contribuables urbains, on verrait qu'il existe entre eux une grande différence, que le campagnard est très ménagé et qui le citadin est fortement imposé.

Il n'est pas question que je sache de réformer nos lois générales d'impôts et de faire disparaître des inégalités existantes dans la répartition des impôts ; il s'agit de la création d'un fonds spécial consacré à un usage déterminé et pour des dépenses d'une nature particulière.

Si les campagnards payent moins que les citadins dans les impôts généraux, ce n'est pas ici le lieu de chercher à rétablir l'équilibre par voie de compensation.

S'il y a inégalité dans la répartition actuelle, présentez un projet de loi général de révision des impôts et nous le discuterons ; jusqu'alors, nous devons croire qu'ils sont justement répartis, et il n'y a pas lieu, à propos des finances communales, à établir un équilibre qui n'est pas en question.

Je ne parlerai pas des augmentations de droits d'accises. Je laisse ce soin à de plus compétents que moi ; les questions qui se rattachent à ce sujet ont été traitées et elles le seront probablement encore dans le cours de la discussion. Je ne ferai qu'une simple remarque, qui a une importance générale. Il me peine de constater que ce soient principalement la plupart des industries agricoles qu'on frappe pour parvenir à former le fonds communal.

Quant à la bière, je ne puis me dispenser d'en dire un mot. C’est la boisson de l'ouvrier, la boisson nationale par excellence, celle qui répare les forces de nos populations. A ce titre on aurait dû faire de grands efforts pour l'épargner. M. le ministre des finances le reconnaît lui-même, et dans son discours d'avant-hier il disait : » Si l'on n'imposait pas la bière, vous n'auriez aucun moyen de prétendre que les classes nécessiteuses sont intéressées le moins du monde dans le projet de loi. »

Il paraît donc regretter lui-même ici l'inconvénient qu'il y a d'établir un impôt nouveau sur cette boisson populaire si indispensable, et néanmoins il ne paraît pas justifier la mesure qui atteint les bières.

Je suis convaincu que s'il avait voulu, avec le talent qui le distingue, se livrer à des recherches plus opiniâtres, il aurait pu trouver d'autres matières imposables qui auraient pu lui permettre de ne pas recourir à une aggravation de l'accise sur les bières. Mais il appartenait à un autre orateur, à celui qui s'est qualifié hier de représentant de la démocratie, de justifier l'augmentation de l'impôt sur les bières.

L'honorable M. De Fré a déclaré, en effet, qu'il était convaincu que ce n'était pas l'ouvrier qui supporterait l'accroissement de l’impôt, que la bière restant de même qualité, l'ouvrier l'obtiendrait au même prix qu'actuellement.

Qui donc payera l'augmentation de l'impôt ? Il faut bien qu'elle retombe sur quelqu'un. Sera-ce sur le brasseur ?

Mais pourquoi s'en prendre aux brasseurs ? L'industrie de la brasserie fait-elle de si gros bénéfices ? Est-elle dans un état si prospère ? Je ne le crois pas. Je connais beaucoup de brasseurs qui font honnêtement et convenablement leurs affaires ; j'en connais fort peu qui soient devenus millionnaires.

Pourquoi choisir cette industrie parmi les autres pour la frapper d'un impôt si accablant ? Evidemment, la mesure ne se justifie pas.

A défaut des brasseurs, ce seront sans doute les consommateurs qui payeront.

Non ! répond M. De Fré. Ce ne seront ni les brasseurs, ni les consommateurs, ce seront les cabaretiers, et voici comment il expose son système. D'après l’honorable M. De Fré les cabaretiers sont beaucoup trop nombreux. Il connaît certaine commune de 7,000 habitants qui en compte jusqu'à 100. C'est trop, c'est beaucoup trop. 30 suffiraient.

70 sur les 100, sont peu achalandés et ne pourront supporter l'augmentation de prix qu'ils devront payer au brasseur et vendre la bière au même prix qu'auparavant aux consommateurs, et devront par conséquent cesser leur commerce.

Et remarquez, je vous prie, ce singulier phénomène d'économie. Les cabaretiers survivants profiteront de la ruine de tous ces concurrents et pourront ainsi supporter une diminution dans leurs bénéfices.

Je n'avais pas encore vu de problème économique de ce genre. En vérité, les cabaretiers de l'honorable M. De Fré sont bien vertueux !

Et puis en supprimer 70 sur 100, c'est bientôt dit, mais cela arrivera-t-il, et cela serait-il conforme aux règles de l'équité ?

Un impôt qui supprime 70 p. c. de ceux qui exploitent actuellement une certaine industrie serait-il juste ?

D'ailleurs, en supprimant tant de cabaretiers, M. De Fré ne craint-il pas de blesser certain coreligionnaire politique (je parle d'avant la scission), son honorable collègue M. Hymans, qui a déclaré que le cabaret était le forum du peuple ?

Ne redoute-t-il pas qu'en fermant une aussi grande quantité de forums, il ne reste plus place au peuple pour discuter les questions qui intéressent son bien-être et celui du pays ?

Mais non, messieurs, tout cela n'est pas sérieux. C'est le consommateur qui payera le nouvel impôt sur la bière comme c'est le consommateur qui paye tous les impôts de consommation. C'est pourquoi la proposition du gouvernement est regrettable. Je désire de tout mon pouvoir qu'elle disparaisse du projet de loi, parce qu'elle frappe des malheureux dont la bière est l'unique boisson fortifiante.

J'arrive à la distribution du fonds communal. Ici l'injustice me paraît plus flagrante encore.

Je ne parlerai pas, messieurs, de l'article 14 du préciput accordé aux soixante-dix-huit communes à octroi. C'est là une disposition monstrueuse, exorbitante. L'auteur du projet de loi le reconnaît lui-même, puisqu'il prétend que ce préciput disparaîtra par l'accroissement successif du fonds communal. Mais en proposant cette mesure M. le ministre ne peut la justifier. Il ne cherche pas même à la défendre, il soutient seulement qu'elle sera transitoire.

Messieurs, je le délire, mais j'ai peine à croire que le fonds communal atteigne un développement assez rapide et assez fort pour permettre entre les communes un partage égal dans un délai rapproché et d'après les bases adoptées. Je crois que quand on nous dit que l'état de choses transitoire cessera promptement et que les communes rurales se trouveront bientôt en possession de ce qui leur revient, on se fait une illusion bien volontaire.

Les bases de répartition définitive sont-elles justes, en supposant le fonds communal assez élevé pour être distribué de cette manière ? Plus justes que la répartition transitoire sans doute. Mais elles ne me paraissent cependant ni impartiales ni équitables.

M. le ministre des finances vous l'a d'ailleurs déclaré lui-même, ii vous a dit qu'il était fort difficile d'apprécier l'importance de la consommation dans chaque commune. Il a pris les bases qui lui ont paru donner des résultats satisfaisants sans pouvoir répondre qu'ils soient rigoureusement exacts.

Je pense, quant à moi, que si l'on ne joint pas aux bases indiquées par M. le ministre la population dans un certain degré, on n'arrivera qu'à une répartition complètement injuste. Je dis qu'il est impossible de croire que la consommation des villes et des campagnes soit dans le rapport indiqué par M. le ministre et dans plusieurs des discours que vous avez entendus.

La disposition transitoire, si injuste pour les campagnes, l'est-elle moins pour les communes à octroi elles-mêmes ? Mais non, messieurs ; même pour les communes à octroi la disposition est aussi entachée d’une grande inégalité, d'une grande injustice.

La base de répartition est un point de fait, pris au hasard, sans justification aucune ; c'est le produit des octrois en 1859. On assimile, dans la distribution les communes économes, les communes prévoyantes, administrant leurs finances en bons pères de famille, avec les communes prodigues, vivant comme des pères de famille qui dépensent sans compter.

On assimile, par exemple, la ville d'Anvers, cette ville à laquelle ses (page 1505) habitudes d'ordre, ses habitudes si rangées, ont appris à ne dépenser que selon ses ressources, à la ville de Bruxelles, dont les dépenses de luxe sont excessives, à la ville de Liège qui a entrepris d'immenses travaux, en partie avec l'argent du gouvernement, j'en conviens, mais aussi avec l'argent de la commune.

C'est une prime à l'imprévoyance, à la prodigalité, et dussé-je faire rajeunir encore de dix nouvelles années l'honorable ministre des finances (ce qui nous rapprocherait beaucoup du temps heureux où nous étions ensemble sur les bancs de l'université), je lui dirais que c'est faire du véritable socialisme, que c'est prendre à ceux qui ont pour donner à ceux qui n'ont pas, que c'est donner à chacun selon ses besoins sans s'inquiéter d'où viennent ces besoins.

Il est une chose, messieurs, qui m'étonne, c'est le silence gardé jusqu'à présent par les honorables députés d'Anvers ; ces députés ordinairement si vigilants pour les intérêts de leur belle cité, j'ai cru qu'ils seraient venus nous prêter l'appui de leur voix, Je n'en désespère pas encore.

La loi est donc mauvaise à mes yeux. Elle est mauvaise, parce qu'elle porte atteinte à l'indépendance des communes, à la liberté des pouvoirs communaux ; parce qu'elle veut faire payer la suppression d'une injustice par ceux qui en sont victimes ; parce qu'en rachetant les octrois comme onéreux aux habitants des campagnes, elle veut leur en faire payer un prix excessif ; parce qu'elle est partiale dans le choix des voies et moyens ; parce qu'elle est dure envers les classes ouvrières ; parce qu'elle est injuste dans la répartition entre les villes et les campagnes et même entre les villes à octroi elles-mêmes.

La loi n'est pas parfaite, c'est possible, nous disent nos adversaires ; mais ce serait, de votre part, faire acte de patriotisme que d'imposer silence à vos scrupules, et de la voter quand même. Il est antinational, dans les circonstances où nous nous trouvons, de trop récriminer et de chercher à surexciter encore l'antagonisme qui pourrait exister entre les villes et les campagnes.

Singulier système, singulière confusion de toutes les notions de justice et d'équité !

Eh quoi, c'est vous gouvernement qui présentez, c'est vous majorité qui soutenez une loi que nous trouvons injuste, inique, vexatoire pour la grande majorité du pays, que vous-même trouvez défectueuse et imparfaite dans plusieurs de ses parties. Vous la présentez sans y être contraint, malgré l'inopportunité des circonstances, vous la soutenez malgré nos plaintes et nos griefs, et vous nous accusez de manquer de patriotisme, parce que nous ne vous suivons pas ! Mais qui donc peut-être accusé plus justement de manquer de patriotisme ou celui qui ne craint pas de faire naître un dangereux antagonisme : entre deux classes de citoyens d'une même patrie, en présentant une loi qui favorise les uns au détriment des autres, ou celui qui, révolté par l'injustice, la dénonce et se plaint ? La question ainsi posée, j'en appelle avec confiance au jugement du pays.

Oh ! qu'avec bien plus de raison, nous pourrions changer la position et vous dire : Les circonstances sont solennelles, elles peuvent d'un moment à l'autre devenir plus graves encore. Au nom des dangers possibles de la patrie commune, cessez donc pour un instant votre poursuite incessante de prépondérance et d'influence exclusive au profit des villes, concluons une trêve, n'abusez pas de la force et du nombre pour faire passer une loi que beaucoup d'entre nous trouvent injuste pour la plus grande partie de nos concitoyens ; soyez généreux, et vous aurez d'autant plus de mérite à l'être, que vous pourriez impunément nous le refuser, parce que vous devez être convaincus, et vous avez raison de l'être, que quoi qu'il arrive et quel que fussent nos griefs, au jour de péril, vous nous retrouveriez toujours enfants dévoués de notre pays, fidèles à la Constitution que nous avons jurée, et au Roi qui nous gouverne.

(page 1521) M. B. Dumortier. - Avant de prendre la parole, M. le président, je désirerais adresser une demande à M. le ministre des finances. Je désirerais savoir pendant combien d'années il estime que l'article transitoire sera en vigueur ; en d'autres termes, au bout de combien d'années les articles définitifs de la loi commenceront à sortir leurs effets.

M. le ministre des finances, qui fait tant de calculs sur le passé et sur l'avenir, ne peut pas avoir laissé une question si importante sans en faire l'objet de ses méditations.

Je désirerais donc savoir, avant de prendre la parole, à quelle époque les articles définitifs de la loi commenceront à être en vigueur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'en sais absolument rien.

M. B. Dumortier. - Je prends acte de cette déclaration.

Messieurs, la loi qui nous occupe peut être envisagée sous beaucoup d'aspects différents. Elle peut l'être au point de vue des finances de l'Etat, des finances communales, des libertés publiques, de la justice distributive.

La question des octrois s'est présentée à nous depuis longtemps.

L'honorable M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, a eu, le premier, l'idée d'arriver à la suppression des octrois. Ce n'est point, messieurs, que cette matière donnât lieu alors à des réclamations immenses dans le pays ; vous le savez, les vieux impôts, on s'y fait et l'habitude devient toujours une seconde nature ; mais on ne peut point méconnaître que les octrois, comme les barrières, ont un caractère gênant, très gênant, et qu'il serait à désirer de pouvoir arriver à leur suppression. Si cette suppression pouvait avoir lieu suivant les règles de l'équité et de la justice, ce serait certes un véritable bienfait pour le pays, et j'espère que l'issue de la discussion amènera un tel résultat.

En 1848, l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, nomma une commission dans le but d'examiner la question. Vous connaissez tous, messieurs, le projet qui est sorti de cette commission. Jamais personne n'avait songé à imposer les communes rurales au profit des villes.

Plus tard, mon honorable ami M. Coomans présenta un autre projet de loi, dans lequel, encore une fois, il n'était pas question de faire payer aux communes rurales les dépenses des villes.

Le premier qui eut cette idée fut l'honorable M. Jacques, et le projet de loi qu'il déposa n'obtint guère de succès dans cette Chambre. Cependant il fut renvoyé à l'examen de la section centrale avec celui de honorable M. Coomans comme un contre-projet, et cela donna lieu au beau rapport que publia alors un de nos collègues les plus distingués, l'honorable M. A. Vandenpeereboom. Tous vous avez rendu hommage à ce travail, dans lequel l’honorable député d'Ypres combattait l'un et l'autre projet, tout en reconnaissant combien les octrois étaient une chose regrettable.

Le projet dont nous sommes saisis aujourd'hui est, au fond, la reproduction de la pensée de l'honorable M. Jacques, celle de former un compte communal pour payer aux villes qui ont des octrois le revenu de leurs octrois au moyen d'un impôt prélevé surtout le pays ; mais l'honorable M. Jacques comprenait dans son projet toutes les capitations des communes rurales ; il y comprenait même, si je m'en souviens bien, les centimes additionnels.

Ici, au contraire, il n'est question ni des capitations rurales, ni des centimes additionnels ; il est seulement question de faire un fonds de 14 millions au profit des villes à octroi, et cela pour un temps dont M. le ministre des finances ne peut déterminer la durée, par conséquent, pour un temps bien long ; et veuillez le remarquer, messieurs, cette disposition transitoire est la loi tout entière.

Il est donc question de garantir aux villes les octrois qu'elles ont touchés, en 1859, et après avoir divisé le corps et distribué la chair, de donner les os à ronger aux villages. Voilà le projet de loi.

Eh bien, c'est cette double injustice que je ne puis pas admettre. Si l'on était venu présenter un système, et j'ai encore l'espoir que la Chambre pourra le voter ; si on était venu présenter un projet analogue à celui qui avait été proposé par l’honorable M. Charles de Brouckere et qui consistait à laisser aux villes le soin d'établir les impôts qui leur incombent, quand bien même l'Etat aurait eu à faire, de son côté, le sacrifice de certaines branches d'impositions, j'aurais été favorablement impressionné par un pareil projet.

Mais je dois le dire, ce qui me choque profondément dans le projet en discussion, c'est la création d'un fonds commun payé par tout le pays, en remplacement des octrois.

La création de ce fonds commun, je la regarde comme inconstitutionnelle ; et la répartition, je la considère comme la plus criante des injustices.

Voyons d'abord la question constitutionnelle.

Messieurs, lorsque le congrès national eut établi les droits des Belges, les droits de tous les citoyens, il eut à organiser les pouvoirs de l'Etat. C'est l'objet du titre III de la Constitution, intitulé « les Pouvoirs ». Dans ce titre figure l'article 31 en vertu duquel les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d'après les principes établis par la Constitution.

Le pouvoir communal est donc réglé par la Constitution. C'est pour nous un principe constitutionnel.

Que porte l'article 31 de la Constitution ? Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux d'après les principes établis par la Constitution.

C'est donc aux conseils communaux que la Constitution confère le droit de régler les intérêts communaux. Les régler par nous-mêmes,. c'est empiéter sur le domaine des conseils communaux, faire un abus d'autorité, un acte que la Constitution nous interdit. Et certes il n'est pas d'intérêt communal plus grand que celui des recettes et dépenses puisque tous les autres en dépendent.

Nous pouvons, en vertu des lois, interdire toute mesure qui viendrait entraver l'exécution des lois générales ; nous pouvons interdire aux communes de faire de leur octroi une ligne de douane, mais nous n'avons pas le pouvoir de nous substituer à l'action communale, quand il s'agit de régler les intérêts communaux, la Constitution nous le défend.

Les intérêts exclusivement communaux sont réglés par les conseils communaux, dit la Constitution. C'est donc aux conseils communaux et non à nous de les régler.

Après avoir posé le grand principe de la division des pouvoirs, base sur laquelle repose notre existence sociale, à l'intérieur, nos constitutions, notre organisation politique, principe que nous ne pouvons pas enfreindre sans bouleverser complètement la division des pouvoirs, le congrès a réglé à l'article 108 quelles sont les attributions des conseils communaux.

Cet article porte : « Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois.

« Ces lois consacrent l'application des principes suivants :

« 2° L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial ou communal sans préjudice de l'approbation de leurs actes dans les cas et suivant le mode que la loi détermine. »

Ainsi, tout ce qui est d'intérêt communal est exclusivement attribué par la Constitution aux conseils communaux ; vous n'avez qu'une seule chose à y voir ; c'est l'approbation de leurs actes dans les cas et suivant le mode que la loi détermine.

Ce sont ces principes que nous avons suivis scrupuleusement, quand nous fîmes, en 1835, cette grande loi communale qui est la charte de la liberté de nos communes.

Alors nous étions bien près du Congrès, on inscrivait dans la loi communale l'article 75, cette grande maxime de la division des pouvoirs.

« Le conseil communal règle tout ce qui est d'intérêt communal, il délibère sur tout autre objet qui lui est soumis par l'autorité supérieure. »

Le règlement des intérêts communaux par la commune, voilà le principe de la Constitution en matière d'organisation communale et le principe des attributions de la commune ; ce règlement, vous ne pouvez pas le faire par vous-mêmes sans violer la constitution et la division des pouvoirs ; vous pouvez surveiller, diriger la commune, pour qu'elle ne blesse pas l'intérêt général ; mais vous ne pouvez pas régler les intérêts communaux ; ce serait un abus de pouvoir ; si vous le faites, vous empiétez sur le pouvoir de la commune parce que la commune est plus faible que vous.

Que faites-vous ici ? Vous ne vous bornez pas à approuver ou à ne pas approuver les actes de la commune, vous établissez un fonds commun, c'est-à-dire qu'on étend l'octroi à toutes les communes de la Belgique, et par-là vous vous substituez à l'autorité communale dans le règlement de ses intérêts que la Constitution a confié à elle seule.

Que faites-vous par le projet de loi ? Soixante-dix-huit communes étaient frappées de l'octroi. Vous l'étendez sur 2,500 autres. On impose les 2,500 communes qui n'ont pas d'octroi. On leur impose l'octroi sans consulter le conseil communal, sans qu'il soit appelé à le sanctionner, sans que les communes en aient même besoin.

Et bien, je dis que c'est là une confusion de pouvoir contraire à la Constitution, et qu'une pareille confusion de pouvoirs est une véritable anarchie constitutionnelle. .

Je regrette, pour mon compte, d'avoir de telles observations à faire. Mais partisan avant tout de l'institution de 1830, profondément convaincu que ce n'est que par elle seule que la Belgique peut se sauver dans toutes les circonstances critiques qu'elle peut avoir à traverser, je désire conserver jet transmettre intact à nos successeurs ce document fondamental de notre histoire, cette base de nos institutions, sur laquelle notre édifice social tout entier est construit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi, un arrêté du pouvoir exécutif ne peut plus supprimer un octroi ?

M. B. Dumortier. - Un arrêté du pouvoir exécutif peut évidemment supprimer l'octroi, parce qu'en vertu de la loi communale aucune imposition communale ne peut être établie sans l'assentiment du Roi, et c'est ce que la Constitution porte.

Dans les cas prévus dans l'article 108, le pouvoir exécutif a l'approbation des actes des administrations communales. Puisque vous avez le droit d'approuver leurs actes, vous avez le droit de refuser votre approbation à ces actes. Mais de ce que vous avez le droit d'approuver les (page 1522) actes des administrations communales, vous n'avez pas le droit de vous substituer à la commune dans le vote des impôts communaux, d'enlever à la commune cette immense garante qui fait sa force, la responsabilité de ses magistrats, de supprimer devant le corps électoral la responsabilité des agents communaux.

Ce droit, vous ne l'avez pas, et c'est violer d'une manière flagrante la Constitution que de substituer l'action ministérielle à l'action de tous les corps électoraux, à l'action de tous les conseils communaux du pays.

Messieurs, ce n'est pas tout. Que porte encore l'article 112 de la Constitution ? Mon honorable ami M. Thibaut vous en a déjà fait la remarque, il porte qu'aucun privilège ne peut être établi en matière d'impôt.

Eh bien, le projet tout entier est un privilège en faveur des villes et au détriment des campagnes. Comment ! lorsque vous voyez dans le tableau spécimen annexé au projet de lot que sur un fonds commun de 14 millions, les communes à octroi qui ne forment que le quart, et pas même le quart de la population du pays, toucheront 11 millions et au-delà, et que les communes rurales qui forment les trois quarts, qui ferment les sept neuvièmes de la population, ne toucheront que 2,300,000 fr., vous oseriez me dire qu'il n'y a pas là de privilège en matière d’impôt ? En vérité je ne comprends plus le français, s’il n'y a pas là un privilège odieux en matière d’impôt.

Messieurs, le principe que l'on pose nous conduit à d'autres conséquences. Si vous êtes en droit de supprimer les octrois qui forment la recette principale de toutes nos grandes communes, si vous êtes en droit d'imposer cette charge à tout le pays, reconnaissez-le, vous êtes en droit d'en agir de même pour le reste des impositions communales.

Vous pouvez ainsi supprimer par une loi tout le reste des impositions communales et faire un fonds commun pour le répartir suivant les bases que vous aurez établies. Et que reste-t-il alors, je vous le demande, des libertés de la commune ? A quoi sert la commune ? Ce n'est plus qu'un bureau d'enregistrement du gouvernement. Que deviennent ces libertés communales dont on parle chaque jour ? Elles sont anéanties.

Je dis, messieurs, que c'est là la violation la plus flagrante de la Constitution, que c'est tout ce qu'on peut imaginer de plus déplorable.

Et qui donc frappe-t-on d'une pareille manière ? C'est la liberté communale.

Messieurs, veuillez, je vous prie, y faire bien attention. La liberté communale dans notre pays, c'est la base de toutes nos institutions politiques. Avant d'avoir le parlement, et bien longtemps avant d'avoir le parlement, la Belgique a eu les institutions communales, et c'est par elles, c'est par ces magnifiques institutions qu'elle a traversé les siècles, qu'elle a ressuscité le troisième jour, chaque fois qu'elle a été envahie par l'étranger. C’est par elles, c'est par la liberté de la commune que nous avons conservé et constamment conservé notre caractère national.

Ouvrez l'histoire de votre pays, qu'y voyez-vous ?

A la mort de Charles le Bon, comte de Flandre, vous voyez toutes les grandes communes des Flandres se réunir en place des Arènes près de Bruges et venir, comme l'avons fait, nous Belges, en 1830, nommer leur comte, leur souverain. Et quand saint Louis vînt demander quelque chose aux Flandres, les Flamands répondirent fièrement : « Vous n'avez aucun droit sur nous ; nous n'avons qu'à vous envoyer un cheval et une armure ; vous n'avez rien à nous dire. »

Quand les ducs de Brabant veulent faire la guerre aux voisins et que la commune de Bruxelles n'y consent pas, que voyez-vous ? C'est un simple échevin de Bruxelles qui, monté à la barre de cet hôtel de ville que nous avons non loin d'ici, crie au peuple : « Que ceux qui veulent suivre le duc, le suivent ; mais nous, bourgeois, nous magistrats de Bruxelles, nous ne le suivrons pas. » Et la commune tout entière s'en va et laisse son comte s'en aller seul chez lui.

A Liège, voyez combien a été grande, dans toutes les circonstances, l'action de la commune.

Pour moi je n'hésite pas à le déclarer, et je crois que c'est dans la conviction de la plupart d'entre vous ;- la commune belge, c'est le premier palladium de nos libertés ; c'est ce qui ne peut passer, parce qu'il y aura toujours des crises, et que chez nous l'esprit national, l'esprit communal saura toujours se relever à la suite de toutes les crises.

Quand, sous le régime de la maison d'Espagne, toutes les institutions communales eurent été supprimées, et quand ensuite la révolution brabançonne éclata, qui donc réorganisa le pays ?

Ce sont les communes de notre pays qui commencent par se reconstituer suivant les règles qu'elles avaient avant qu'on leur eût enlevé leurs privilèges. Tant ces privilèges sont traditionnels parmi nous. C'est Gand qui rétablit la collace ; c'est Tournai qui rétablit les eswardeurs ; ce sont toutes les villes qui rétablissent leurs institutions et leurs libertés. Eh bien, je dis qu'il y aurait un immense danger à toucher à des institutions aussi vivaces, je dis que ce serait la chose la plus fâcheuse que de bouleverser ces nobles, ces grandes institutions qui sont la pierre angulaire de notre édifice social.

Maintenant, à cette action communale, à ces libertés communales si grandes jusqu'ici, que substitue-t-on ? On substitue l'ennemi le plus grand de la liberté communale, la centralisation.

Adversaire prononcé et convaincu de la centralisation, je ne puis, sans une profonde douleur, la voir introduire dans tout ce qu'elle a au monde de plus préjudiciable à l'esprit public, la voir introduire dans les finances de la commune.

Laissez, pour Dieu ! à chaque commune son autonomie, qu'elle gère ses affaires comme elle l'entend. S’il y a des abus, qu'on les réprime. S'il y a nécessité, pour les réprimer, de faire intervenir le gouvernement, qu'il intervienne. Mais conservez toujours l'autonomie communale qui est la base de notre édifice social, et que vous voulez aujourd'hui remplacer par la centralisation.

Et, en effet, quand vous examinez bien le projet de loi, c'est, comme on l'a dit plusieurs fois, un mélange de socialisme et de communisme.

Il y a socialisme, quand c'est l'Etat qui vient faire les affaires de tous. Il y a communisme, quand c'est l'Etat qui fait la répartition. Eh bien, ces principes sont diamétralement opposés aux principes de 1830, qui ont pour base la liberté de tous sous la plus faible action du pouvoir.

Ah ! messieurs, si quelqu'un, dans les premières années de notre existence sociale, avait eu la malencontreuse pensée de venir proposer la création d'un fonds communal à payer par tout le pays, un cri d'indignation serait parti de tous les bancs de cette Chambre, pour repousser dans les termes les plus énergiques une pareille atteinte aux libertés communales, une pareille mesure de centralisation contre laquelle nous avons toujours voulu et nous voudrons toujours nous opposer de tous nos moyens.

Mais ainsi va l'humanité. Plus on s'éloigne de 1830, plus on perd de vue les grandes traditions de cette époque. Aujourd'hui on cherche à interpréter 1830 suivant les vicissitudes du jour, souvent même suivant les nécessités de parti tout opposées à son principe.

Restons donc dans le texte de la Constitution : « Les intérêts communaux sont exclusivement du ressort des conseils communaux. » Ne portons pas les mains sur cet article de la Constitution, en disant : Les intérêts communaux sont du ressort du pouvoir législatif.

Mais la loi a-t-elle donc le mérite d'être juste ? Est-elle juste dans sa base ? Est-elle juste dans son application ? La répartition des deniers publics se fait-elle avec justice ?

Le principe de tout gouvernement. C’est que les dépenses d'une localité doivent être faites par les habitants de la localité ; les dépenses de Bruxelles par Bruxelles, de Tournai par Tournai, de Liège par Liège et ainsi de suite. Voilà le principe ; principe non seulement qui est dans le fond de la pensée constitutionnelle, mais qui se trouve inscrit dans tous les esprits. Ici au contraire, que fait-on ? On crée un fonds communal au moyen duquel on fait payer par les campagnes les dépenses des villes.

Je sais bien que l'on est venu nous dire, que deux ministres sont venus nous dire, que le projet de loi est favorable aux campagnes. Eh bien, il y a un moyen pour qu'il ne soit plus favorable aux campagnes et préjudiciable aux villes : retournez les chiffres et donnez aux villes ce que vous donnez aux campagnes, et aux campagnes ce que vous donnez aux villes. C’est excessivement facile. Si vous êtes intimement convaincus qu’il y a préjudice pour les villes et faveur pour les campagnes, que les campagnes prennent le lot des villes, elles auront 11 millions et que les villes prennent le lot des campagnes, elles auront 3 millions.

Mais non, messieurs, cet argument ne prouve qu'une seule chose, c'est cet axiome de Talleyrand, que la parole est donnée à l'homme pour dissimuler sa pensée. Comment ! messieurs, quand j'examine le tableau joint au projet de loi, et que j'y vois qu'en comparant la répartition du fonds communal avec les impôts payés, les campagnes auront 31 p. c. de ce qu'elles payeront, tandis que certaine ville, la ville de Liège, touchera 175 p. c. de ce qu'elle paye, on viendra me dire qu'un pareil projet est au détriment de la ville de Liège et à l'avantage des campagnes ! C'est par trop fort ! Comment ! Les campagnes ne touchent pas même le tiers de ce qu'elles payent, et c'est en leur faveur qu'on fait la loi ! La ville de Liège reçoit 75 p. c. de plus qu'elle ne paye et vous dites que c'est en sa défaveur que la loi est faite !

Messieurs, à quoi bon d'avoir une langue pour s'exprimer, quand on entend de pareilles choses ?

J'examine le tableau annexé au projet de loi et j'y trouve que 4 villes, Bruxelles, Gand, Liège et Anvers obtiennent ensemble la somme de 7,348,278 francs. Ainsi sur un fonds communal de 14 millions ces 4 villes toucheront 7,348,278 francs, c'est-à-dire plus de la moitié du fonds commun payé par tout le pays. Mais quelle est la population de ces 4 villes ? '

Elles ont ensemble 476,930 habitants, et comme la population de la Belgique est de 4,623,089 habitants, il en résulte que les quatre villes dont il s'agit comprennent, en chiffres ronds, le dixième de la population du pays. Ainsi, voilà un dixième de la population du pays qui vient prélever dans l'impôt payé par tout le pays, au-delà de la moitié et les neuf autres dixièmes ne touchent que la petite moitié restante et encore répartie comme vous le savez l Je vous pose cette question, messieurs : Si un ministre était venu dans cette enceinte présenter un projet de loi ainsi conçu :

« Les octrois de Bruxelles, Gand, Liège et Anvers sont supprimés.

« Il sera prélevé sur le pays un impôt de 7 millions pour pourvoir aux besoins de ces quatre villes. »

(page 1523) Y aurait-il eu assez de sifflets en Belgique pour accueillir une pareille proposition ?

Eh bien, messieurs, c'est précisément ce que M. le ministre des finances vous convie à voter. On vous convie à voter ce qui aurait été unanimement sifflé et hué si les chiffres avaient été isolés au lieu d'être accolés à d'autres chiffres qui empêchent de les apprécier.

Je dis, messieurs, que c'est une criante injustice, et on aura beau soutenir qu'une pareille loi est préjudiciable aux villes ; ce qui est préjudiciable, c'est de voir le pays tout entier appelé à payer 7 millions pour remplacer les octrois de 4 villes seulement.

Il est évident que cette simple manière de présenter les faits met à nu toute l'injustice du projet de loi, car est-il une seule personne parmi vous qui puisse supposer que ces 4 villes formant le dixième de la population du pays payent la moitié des impôts ? Evidemment c'est ce que personne n'oserait avancer. On puiserait dans la poche des contribuables en faveur de ces 4 villes. Eh bien, vous n'avez pas le droit de le faire ; c'est un privilège que vous créeriez, un privilège contraire à la Constitution et que vous n'avez pas le droit d'inscrire dans la loi.

Maintenant, messieurs, la justice est-elle respectée au point de vue des villes entre elles ? Est-ce que toutes les villes sont placées dans les mêmes conditions ? Je tiens en mains une brochure, qui a été imprimée à Anvers et où l'injustice de la loi est démontrée à la dernière évidence. On prend pour base les neuf villes chefs-lieux de province et on arrive à ce résultat que, au-delà des sommes légitimement dues aux villes, il y aura des suppléments ainsi répartis :

Liège 110 p. c., Arlon 93 p. c., Gand 82 p. c., Bruges 72 p. c., Hasselt 72 p. c., Bruxelles 57 p. c., Mons 51 p. c., Namur 42 p. c. et Anvers 17 p. c.

Ainsi, messieurs, Liège obtient un supplément de 110 p. c, et Anvers, notre métropole commerciale, n'obtient qu'un supplément de 17 p. c.

Voici, maintenant, ce que chacune de ces villes reçoit en plus par tête d'habitant :

Liège 7 fr. 38., Bruxelles 6 fr. 35., Gand 6 fr. 01, Arlon 4 fr. 17, Hasselt 3 fr. 85, Bruges 3 fr. 69, Namur 3 fr. 01 et Anvers 1 fr. 85.

Ainsi injustice vis-à-vis de tout le pays ; injustice au point de vue des villes entre elles. La justice, oh mon Dieu ! il n'en existe rien dans le projet, pas l'ombre d'un mot. Ce qu'il y a de certain, c'est que les villes sont favorisées et que le grand nombre des communes belges sont lancées dans les ténèbres extérieures, où elles pourront ronger l'os dont les grandes villes auront mangé la viande.

Mais, messieurs, quelle va être la condition des petites villes et surtout des villes forteresses ? Pour celles-ci, il n'y a aucune chance d'augmentation de leur part du fonds communal. Leur revenu est condamné à l'immobilité.

La ville de Liège avec son immense périmètre, la ville de Liège qui n'a pas de fortifications, qui possède une industrie fortement développée, la ville de Liège verra chaque jour s'accroître le nombre de ses propriétés bâties, et par conséquent le chiffre de sa contribution foncière, de sa contribution personnelle et de ses patentes, la ville de Liège obtiendra une part d'année en anuée plus considérable dans le fonds communal.

En est-il de même des villes dont le périmètre est circonscrit comme Mons, Tournai et autres forteresses ? Ces villes peuvent-elles augmenter d'une seule le nombre de leurs maisons ? Leur part dans le fonds communal sera donc toujours la même ; cependant quand ces villes possédaient leur octroi, elles obtenaient tous les ans une augmentation de revenu par suite du développement de la richesse publique.

Je disais tout à l'heure à M. le ministre des finances : Quand donc l'article 14 cessera-t-il d'exister ; quand les dispositions définitives de la loi commenceront-elles à être en vigueur ? M. le ministre m'a répondu : « Je n'en sais rien. » Ainsi nous ne savons pas quand finira un pareil état de choses. Dans ma section il a été dit qu'il durerait 50 ans.

Eh bien, messieurs ; je vous le demande, quelle sera la situation des villes ? Comment ! voici une ville qui a 200,000 francs de revenu ; et dans 20, 30 ans cette ville n'aura que ce même revenu de 200,000 francs. Pensez-vous que la valeur de l'argent, la valeur des choses, sera dans 30 ans la même qu'elle est aujourd'hui ? Pensez-vous qu'un revenu de 200,000 francs, au jour où nous vivons, représente un revenu de 200,000 fr. d'il y a 50 ans ; et pensez-vous qu'un revenu de 200,000 fr. dans 50 ans, représentera un revenu de 200,000 fr. de 1860 ?

Aujourd'hui du moins, le revenu des villes s'accroît chaque année, en raison de l'accroissement de la richesse publique ; mais les octrois des villes étant immobilisés, il ne restera à ces localités que l'alternative, ou de ne plus marcher, ou d'être forcées d'établir des impositions nouvelles.

Ces impositions nouvelles seront des impositions personnels, d'odieuses capitations. Or savez-vous quelle serait la condition ? C'est que vous ne trouverez pas des magistrats pour établir des impositions nouvelles. Les magistrats qui viendraient proposer de frapper les villes d'impositions directes considérables ne seraient pas réélus le lendemain.

C'est pour cela que le conseil communal de Liège s'est bien gardé de voter des centimes additionnels extraordinaires ; il a préféré établir des octrois considérables. L'honorable M. Tack vous a montré que la ville de Liège n'était pas frappée de centimes additionnels extraordinaires...

M. Muller. - L'honorable M. Tack a reconnu que c'était une erreur.

M. B. Dumortier. - Pas le moins du monde ; l'honorable M. Tack a reconnu l'exactitude de tous les chiffres qu'il avait posés.

Ce qui est positif, c'est que dans le tableau officiel que M. le ministre de l'intérieur vient de nous distribuer à la ligne des centimes additionnels extraordinaires, au profit des villes, Liège figure pour zéro...

M. Muller. - C'est une erreur.

M. B. Dumortier. - Si c'est une erreur, je prierai l'honorable M. Muller de vouloir bien communiquer ses observations au bureau de statistique, afin qu'il nous fournisse des documents sur lesquels nous puissions raisonner.

M. Muller. - Ce n'est pas ma mission.

M. B. Dumortier. - Notre mission est de raisonner d'après les documents officiels, et ce sont ceux-là que j'indique.

M. Muller. - L'erreur est constatée.

M. B. Dumortier. - Je le répète, les documents officiels distribués par le gouvernement aux Chambres sont positifs : la ville de Liège n'a pas de centimes additionnels extraordinaires.

M. Muller. - Demandez-le à l'honorable M. Tack.

M. B. Dumortier. - Je ne le demande pas à l'honorable M. Tack, je le demande à la statistique officielle. Huissier, cherchez le document.

M. Muller. - Je passe le budget de la ville de Liège à l'honorable M. Dumortier qui ne veut pas le consulter.

M. B. Dumortier. - Je ne dois pas m'en rapporter à ce budget ; je dois prendre pour guide les documents officiels que le gouvernement vient de nous distribuer il n'y a pas quinze jours ; et si ces documents renferment des inexactitudes, il est inutile de dépenser tant d'argent pour les élaborer. (Interruption.)

Nous ne pouvons, dans cette enceinte, baser nos raisonnements sur d'autres documents que les documents officiels.

- Un membre. - Il est prouvé que ces documents renferment une erreur.

M. B. Dumortier. - Je demande à l'honorable M. Rogier s'il y a des inexactitudes dans les documents statistiques publiés par le département de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne puis pas répondre de l'exactitude de tous ces renseignements statistiques, chiffres par chiffres ; mais dans le cas actuel, vous avez un document d'une exactitude incontestable : c'est le budget de la ville de Liège.

M. B. Dumortier. - M. le ministre sait bien que ce document ne nous est pas remis, tandis qu'il vient de nous distribuer le tableau que j'ai cité. On me remet à l'instant le document statistique qui vient d'être distribué ; aux pages 118 et 119 sont mentionnées les recettes extraordinaires ; dans la seconde ligne, sont portés les centimes extraordinaires aux contributions de l'Etat, et la ville de Liège y figure pour zéro. Ce que j'ai dit est donc de la plus rigoureuse exactitude.

Maintenant, si cette publication officielle contenait une erreur, je n'en suis pas coupable ; je constate seulement que ce que j'ai dit résulte d'un document officiel, et que dans ce document Liège ne paye pas de centimes extraordinaires.

J'admets maintenant, si vous voulez, que la ville de Liège s'impose 100,000 francs de centimes additionnels...

M. Muller. - 200,000 francs.

M. B. Dumortier. - On avait parlé d'abord de 100,000 francs. Voilà maintenant que la somme est doublée.

Mais j'admets encore ce chiffre, il n'en est pas moins vrai que l'argument que j'ai produit reste debout, à savoir que les villes préfèrent de beaucoup établir des majorations d'octrois que des centimes directs sur les habitants. Qu'a-t-on fait à Liège ? Cette ville si populeuse et si riche a poussé le régime des octrois jusqu'aux dernières limites ; elle a tout frappé à l'extérieur ; elle a établi toute espèce de lignes de douanes, tandis qu'en fait d'impôts directs, elle s'est bornée à des chiffres très modérés.

Le motif en est bien simple : c’est qu'il n'est rien de plus difficile pour une bonne administration communale que d'établir des impôts directs sur le peuple. Une administration qui voudrait agir de la sorte, sera toujours exposée à être renversée aux élections prochaines.

(page 1524) Et voilà la position dans laquelle on veut mettre les communes. Si les communes, et surtout les communes emmuraillées qui n'auront pas le privilège de voir le fonds communal augmenter, à cause que la contribution ne pourra pas s'y accroître, si ces communes dont la taxe de participation devra en quelque sorte s'immobiliser, sont ainsi condamnées à voir leurs revenus s'immobiliser également, ces communes seront donc dans un état de véritable décadence au profit d'autres communes qui, elles, ayant un grand périmètre, pourront, les premières, profiter de la suppression des octrois, après avoir profité de l'institution des octrois.

Messieurs, la loi sur les octrois aurait dû, à mon avis, avoir un véritable caractère démocratique.

Quel était, en effet, un des plus grands griefs qu'on élevait contre les octrois ? C'est qu’ils frappaient l'ouvrier, le travailleur. C'était un impôt sur la viande, sur la bière, sur tous les objets de consommation de première nécessité.

C'était l’ouvrier qui était surtout victime de l'octroi et qui le pourvoyait pour la plus grande partie. Ce qu'il fallait donc, c'était une réforme démocratique, au profit de l’ouvrier. Au lieu de cela que fait-on ? On fait une réforme doublement aristocratique ; aristocratique en ce qu'elle est faite tout entière au profit des grandes villes et contre les petites populations ; aristocratique en ce qu'elle fait payer le pauvre, l'ouvrier de tout le pays, sur les objets de consommation de toute première nécessité. C'est une subversion complète du principe sur lequel devait être basée la suppression des octrois. Cette suppression devait avoir pour résultat de diminuer le prix de la nourriture de l'ouvrier. Eh bien, diminuera-t-elle ? La viande, on vous a déjà déclaré qu'elle restera probablement au même prix dans les villes ; et vous en avez, messieurs, une preuve bien frappante. .

En 1848, à Paris, on supprima l'octroi sur la viande, et l'octroi resta supprimé pendant plusieurs mois. Qu'arriva-t-il ? Le prix de la viande ne baissa pas d'un centime. Au bout d'un certain temps, la ville de Paris, qui avait de grands besoins, rétablit l'octroi et le prix de la viande n'augmenta pas d’un centime.

Un membre. - C’est le producteur qui a payé la différence.

M. B. Dumortier. - Ce n'est pas le producteur. J'expose maintenant les faits ; j'arriverai tout à l'heure à l'objection.

La suppression de l'octroi n'avait donc amené aucune réduction du prix de la viande ; et l'exemple de ce qui s'est passé en 1848 à Paris nous dit ce qui se passera dans la plupart de nos communes quand vous aurez supprimé l’octroi sur la viande.

Ainsi, de ce côté, l’ouvrier restera à peu près dans les mêmes conditions ; ce sera l’intermédiaire qui gagnera davantage. Et ici qu’on ne vienne pas dire que ce sont les campagnes qui payent les octrois ; comment seraient-ce les campagnes qui payeraient seules les octrois ? Depuis quand donc peut-on soutenir qu’un impôt indirect prélevé sur un objet de consommation n’est point, en définitive, payé sur par le consommateur ?

J'ai dit à M. le ministre des finances que lorsque nous arriverions à cette discussion, je me chargeais de lui démontrer que lui-même partage cet avis. Et, en effet, messieurs, lorsque, il y a quelques années, nous votâmes la loi sur le débit des cigares, M. le ministre des finances prétendait que ce ne serait pas l'imposé qui aurait payé l'impôt, mais le consommateur. Il disait que son but était d'atteindre un objet de luxe et il ajoutait : « débitants de cigares ne feront qu'avancer l’impôt, car ils trouveront le moyen de le récupérer sur le consommateur. »

C'est donc, dans les principes d'alors de M. le ministre des finances, le consommateur qui paye, et cela est de toute exactitude.

On a beaucoup parlé d'un boucher dans l'enquête de Paris ; eh bien, je suppose un boucher ayant deux bêtes grasses et d'égale valeur à vendre sur un marché voisin ; il vend l'une pour Bruxelles, l'autre pour une commune sans octroi ; croyez-vous qu'il vendra celle-ci plus cher que l'autre à raison de l'existence d'un droit d'octroi à Bruxelles ?

Le grain se payera-t-il plus cher à Gand qu'ailleurs à cause du droit de mouture ? Evidemment non : c'est le consommateur qui supporte le droit d'octroi et parfois l'intermédiaire, boucher ou boulanger ; le producteur agricole y reste complètement étranger.

Aussi, messieurs, suis-je parfaitement convaincu que le prix de la viande restera probablement le même qu'aujourd'hui, et le pauvre, l'ouvrier ne profitera guère de la mesure qui va être prise. L'exemple de Paris est là pour le prouver ; l'intermédiaire en profitera, et il en profitera contrairement au but de la loi que nous allons voter.

La bière ! il est évident que vous étendez l'octroi sur la bière à tout le pays et que par conséquent l'intermédiaire augmentera le prix de la bière et le fera payer au pays entier deux centimes de plus qu'aujourd'hui, et tout cela pourquoi ? Pour que les habitants des grandes villes puissent avoir la bière à meilleur marché.

M. H. de Brouckere. - C'est l'octroi qui produit ce résultat.

M. B. Dumortier. - Il ne fait rien. Quand il y a baisse, l’intermédiaire en profite comme à Paris ; mais quand il y a hausse de droits. il élève en conséquence le prix de la marchandise.

M. H. de Brouckere. - Et les bouchers ?

M. B. Dumortier. Les bouchers ! c'est une part de leur bénéfice, c'est bien différent. Les bouchers de Paris auraient augmenté le prix de la viande si l'on avait augmenté le droit ; mais comme le droit a été réduit, ils ont mis le bénéfice dans leur poche.

La loi donc a un caractère diamétralement opposé à celui qu'elle devrait avoir : il n'y aura pas diminution là où la loi réduit. Le seul exemple de Paris et ce qu'a dit M. le ministre des finances, lui-même, en sont la preuve frappante, car il a dit formellement qu'il ne fallait pas s'attendre à une grande réduction sur le prix de la viande.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai rien dit de semblable.

M. B. Dumortier. - Vous l'avez positivement dit.

Maintenant, messieurs, sur qui frappe l'impôt ? L'impôt frappe de tous côtés les campagnes : ce sont les campagnes qui doivent payer et ce sont les campagnes qui ne reçoivent rien ou presque rien.

Il y a donc ici une injustice flagrante ; car, veuillez le remarquer, sauf la poste, ce sont tous objets de première nécessité qui sont frappés ; ce sont tous objets qui ont le même degré de consommabilité dans les campagnes et dans les villes.

Ce n'est pas tout ! La loi, à mon avis, n'est pas seulement injuste dans sa forme actuelle ; je la crois dangereuse ; je crois qu'elle présente les plus grands dangers pour le pays.

Je sais que ce n'est pas l'opinion de plusieurs membres : dans la section à laquelle j'appartenais, un ami de M. le ministre des finances nous a dit que cette loi était une révolution pacifique.

Oui, messieurs, c'est une révolution, mais une révolution malheureuse et, quant à moi, je dois le dire, je ne suis nullement partisan des lois révolutionnaires.

Voyons, en effet, la situation qu'elle va créer au pays.

Vous prélevez sur les finances de l'Etat, ou du moins sur le pays au moyen des recettes générales de l'Etat, par la loi en discussion, une somme de 14 millions de francs, et par la loi des travaux publics et des fortifications d'Anvers, votée il y a dix mois, vous avez stipulé que pendant un certain nombre d'années cinq millions seraient prélevés sur les budgets pour les travaux décrétés par cette loi. Voilà 19 millions de francs provenant de l'impôt public qui se trouvent engagés.

Je demande si une telle mesure est prudente dans la situation où se trouve l'Europe. Je demande s'il est un seul d'entre nous qui soit certain, que d'ici à peu de temps, la Belgique pour conserver sa liberté, son indépendance, ne sera pas forcée de faire des sacrifices d'argent, de recourir à l'impôt, pour conserver ce qu'elle a de plus cher au monde ; c'est dans un pareil moment, quand toute l’Europe est dans l'inquiétude de son lendemain, que dans tous les pays on arme, c'est dans un tel moment qu'on vient porter aux finances publiques un coup pareil ; c'est dans un pareil moment qu'on prélève une somme de 19 millions de francs, c'est-à-dire, le sixième du revenu de l'Etat.

Quelque partisan que je sois de voir supprimer les octrois, je dois déclarer qu'il y a inopportunité, danger même à faire de pareils sacrifices sur le trésor public.

Qu'au milieu de la paix, du calme, quand l'Europe n'avait aucune inquiétude sur son avenir, on ait fait une semblable proposition, je l'aurais compris. Mais prélever des fonds que nous devrions employer à défendre notre nationalité, pour réaliser une théorie qui ne presse pas, ce qu'on pourra faire demain aussi bien qu'aujourd'hui, c'est une chose qui me passe, je ne comprends pas qu'on puisse conduire les finances de l'Etat avec un pareil système en présence de la situation de l'Europe.

Mais ce n'est pas là le seul danger que la loi offre à mes yeux. M. le président, quel est ce gros dossier placé sur votre bureau et qui va jusqu'à la hauteur de la tête de vos secrétaires ? Ce sont des pétitions contre la loi !

- Plusieurs voix. - Pour et contre.

M. B. Dumortier. - Presque toutes contre. Eh bien, quand vous voyez une masse de pétitions pareille sortie de l'initiative du peuple, quand le bureau du président en est encombré, je dis que la loi que vous voterez sera un germe de mécontentement. Alors que vous devriez faire disparaître tous les griefs, toutes les plaintes pour resserrer tous les liens du pays, je ne comprends pas qu'on vienne jeter un pareil germe de mécontentement et de division parmi les habitants, qu'on vienne créer l'antagonisme entre les villes et les campagnes, soulever chez celles-ci une légitime indignation.

On a dit que le projet qui nous est soumis consoliderait notre nationalité ; si vous voulez consolider notre nationalité, faites disparaître les griefs et les mécontentements de tout genre ; que toutes vos lois soient fondées sur l'équité et la justice, et conservez avant tout cette grande règle d'égalité devant la loi qui est le mobile des sociétés modernes ; ne venez pas l'enfreindre pour faire des uns des privilégiés et des autres des parias ; si vous voulez consolider la nationalité, faites disparaître toutes les luttes de partis qui tuent l'esprit de patrie, tous les germes de mécontentement. Voulez-vous élever le patriotisme ? Faites droit à tant de protestations spontanées dues à la seule initiative du pays. Par-là vous rallierez tous les habitants autour du drapeau national, c'est ainsi et non en faisant des lois inconstitutionnelles et injustes que vous sauverez la patrie, car le patriotisme consiste à unir tons les citoyens, et non à les diviser.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

(page 1505) M. Thibaut. - Messieurs, j'aurais pu deux fois demander la parole pour un fait personnel ; je ne l'ai pas fait, pour ne pas entraver le cours naturel des débats. le demanderai à la Chambre de vouloir bien m'entendre, je ne l'occuperai pas plus de dix minutes.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !

M. Thibaut. - Messieurs, j'ai exposé, au début de la discussion les motifs pour lesquels je ne pouvais approuver le système au moyen duquel le gouvernement veut arriver à la suppression des octrois ; M. le ministre n'a pas consenti à défendre son projet contre mes objections, il s'est borné à affirmer qu'elles constituaient une hérésie constitutionnelle tellement évidente qu'il pouvait se dispenser de lui faire l'honneur de la discuter.

A mon tour, je dirai que cette prétention de M. le ministre des finances à l'infaillibilité est tellement exagérée, que je puis aussi me dispenser de la discuter.

Quant à mes objections, comme elles n'ont été rencontrées par personne, j'ai le droit de dire qu'elles restent debout.

Messieurs, l'idée fondamentale du projet de loi est celle-ci : création de nouveaux impôts généraux au profit des communes, préciput énorme en faveur des communes à octroi, c'est-à-dire rachat par les communes rurales d'une servitude qui leur est imposée depuis longtemps par les villes.

Eh bien, cette idée n'a jamais été considérée comme sérieuse avant le 10 mars 1860. C'est pour le démontrer, en peu de mots, que j'ai demandé une seconde fois la parole.

J'ouvre le rapport de la commission instituée en 1847 et je lis à la page 2 : « Nous ne pouvons vous laisser ignorer que dès la seconde réunion de la commission, tous les membres avaient exprimé la pensée de ne pas s'arrêter à la révision des octrois et d'aviser à leur suppression, à la condition expresse de les remplacer par un système général d'impôts communaux moins onéreux, moins inique et surtout moins hostile à l'unité nationale. >

Et à la page 5 je trouve cet autre passage :

« La commission s'est donc trouvée unanime pour demander que l'Etat fit aux communes l'abandon de la contribution personnelle et de celle, des patentes. »

Vous voyez messieurs, qu'il s'agissait là de remplacer l'octroi, impôt communal par d'autres impôts communaux.

J'ai aussi rappelé dans mon discours l'opinion personnelle du président de cette commission l'honorable M. Ch. de Brouckere. Elle se résume en cette proposition. « Les obligations communales doivent se résoudre en recettes ou en impôts également communaux. »

En 1853, le 22 novembre, on discutait dans cette enceinte sur la prise en considération d'une proposition émanant de l'initiative de M. Jacques.

M. Jacques proposait de prélever une somme de 12 millions sur le produit des droits d'accises et de douanes, et de distribuer cette somme de manière à assurer aux communes qui ont un octroi, des ressources équivalentes à celles qu'on leur enlèverait et de fournir en même temps aux autres communes l'équivalent des charges qu'on leur imposerait.

Vous le voyez, messieurs, c'est absolument le même système qui est présenté aujourd'hui par l'honorable M. Frère-Orban.

Comment était-il jugé par l'honorable M. Liedts, ministre des finances à cette époque ? M. Liedts ne s'opposait pas à la prise en considération de la proposition de M. Jacques ; mais il disait : « Qu'on remue la question tant qu'on voudra, on n'arrivera jamais à substituer aux octrois un impôt général, un impôt supporté par le pays tout entier. Je ne prétends pas inférer de là qu'il n'y ait rien à substituer à ce qui existe ; mais ce serait un système détestable que de vouloir mettre à la place des octrois autre chose que des ressources communales.

« Il est un point que l'honorable M. Jacques a négligé d'examiner, c'est le mode de répartition entre les villes et communes des produits de l'impôt à établir.

« Il donnerait, dit-il, à la capitale, 50 p. c. à raison de sa population actuelle et moitié à raison de sa perception actuelle ; mais lorsque l'impôt général sera établi, lorsqu'il sera payé par le paysan comme par le citadin, comment justifierez-vous cette répartition ?

« Je le répète, dit en terminant l'honorable ministre, toute loi qui aurait pour but de substituer aux octrois actuels un impôt général qui frapperait tout le pays sera combattue par le gouvernement, aussi longtemps du moins que j'aurai l'honneur de siéger sur ce banc. »

Voilà, messieurs, des autorités d'un grand poids et qui démontrent ce que j'affirmais tantôt, c'est-à-dire que jusqu'aujourd'hui l'idée de remplacer les octrois par des impôts généraux n'était acceptée par personne.

M. le ministre des finances actuel lui-même, dans l'exposé des motifs, fournit des armes terribles pour la combattre.

A la page 6, après avoir signalé divers inconvénients des octrois, M. le ministre ajoute : « Et ce ne sont pas les seuls vices dont les octrois sont imprégnés. Il en est un, plus grave peut-être que tous les autres, c'est qu'ils sont onéreux, vexatoires, injustes pour une grande partie des populations qui ne jouissent pas même des avantages qu'ils peuvent procurer ... »

Et plus loin : « Les droits d'octroi pèsent lourdement sur les campagnes. Ils revêtent vis-à-vis d'elles un caractère d'iniquité qui seul suffirait à les faire condamner. »

A la page 26 : « Les habitants des communes procurent incontestablement une partie de ce produit (des octrois). Non seulement leurs denrées sont frappées de taux élevés, non seulement l'octroi, qui les soumet à des formalités vexatoires et à des frais de tous genres, les tourmente et les rançonne ; mais ils ne peuvent faire ni une consommation, ni un achat à la ville, sans payer un impôt qui ne leur profite pas. »

Enfin à la page 37, M. le ministre dit encore : « Le projet de loi... fait cesser un régime injuste qui rend fatalement les campagnes tributaires des villes. »

C'est ainsi que l'honorable ministre des finances réfute lui-même l'idée fondamentale de son système chaque fois qu'il fulmine l'anathème contre les octrois.

Que signifient, en effet, tous ces passages que je viens de lire ?

M. le ministre trouve injuste le tribut que les villes prélèvent sur les campagnes. Il trouve inique le fait d'imposer les campagnards au profit des citadins. Il ne veut pas que les villes puissent jeter leurs filets, si je puis ainsi parler, sur les paysans lorsqu'ils s'approchent de leurs portes. En un mot, il condamne l'octroi, parce que cet impôt n'est pas, dans ses effets, exclusivement communal.

(page 1606) Je sais aussi de cet avis. Mais je veux juger d'après les mêmes principes et les octrois et le système que M. le ministre des finances présente pour les remplacer.

M. le ministre stigmatise l'octroi pour l'abolir, et l'assimile au droit respectable de propriété dont une commune ne peut être dépouillée sans une juste et préalable indemnité, quand il défend le système qu'il veut y substituer.

Malgré tous ses efforts, il reste vrai que le projet de loi rend fatalement et légalement les campagnes tributaires des villes.

Tandis que l'octroi ne pèse sur les campagnes que dans un rayon restreint, le projet de loi les frappe toutes.

En décomposant le prix de toute tasse de café, de tout verre de genièvre, de tout litre de bière, de tout verre de vin consomme à la campagne, après le vote de la loi, on découvrira la trace de ce tribut, de cette dîme payée aux villes.

Qu'y aura-t-il de changé ? L'impôt s'étendra partout ; il sera moins vexatoire, je l'accorde ; mais tout aussi onéreux, tout aussi injuste.

Tous les habitants du pays payeront l'impôt au profit des villes, et la plupart ne jouiront pas des avantages qu'il peut procurer.

Eh bien, par les mêmes motifs que M. le ministre condamne les octrois, je condamne son système.

En terminant, messieurs, je dois répondre quelques mois à un fait personnel.

L'honorable ministre a été sensible à la manière dont j'ai parlé des adresses de félicitation qui lui sont parvenues. Il me l'a reproché en termes très vifs. Déjà dans une séance précédente, un honorable député de Bruxelles avait cru découvrir dans mes paroles une allégation blessante, une accusation dirigée contre des hommes honorables qui consacrent avec le plus louable désintéressement leur temps et leur intelligence à l'administration de leur commune.

Messieurs, personne plus que moi ne rend hommage au désintéressement, au dévouement. J’honore d'autant plus les hommes dans lesquels on rencontre ces qualités, qu'ils ont été rares dans tous les temps et qu'ils luttent contre les tendances excessivement égoïstes de notre époque. Je ne fais du reste aucune difficulté de reconnaître qu'on trouve partout à la tête des administrations communales de notre pays des hommes qui font abnégation de leurs intérêts personnels. Mais là n'est pas la question, et pour m'exprimer en termes qui, j'espère, ne froisseront plus personne, je dirai que c'est un excès de dévouement aux intérêts des communes qu'ils administrent, qui en a porté plusieurs à complimenter M. Frère-Orban. J'aurais trouvé plus digne d'eux, je l'avoue, plus digne des villes qu'ils administrent, plus honorable, une renonciation complète, absolue aux octrois, ce dernier reste des abus d'un autre âge, comme on l'a dit si souvent dans la discussion.

M. le ministre des finances a reconnu lui-même qu'au point du vue pur des principes, il serait préférable de voir les communes s'imposer elles-mêmes, créer elles-mêmes leurs ressources, ne pas rendre nécessaire l'intervention de la législature.

Je dis donc que si les adresses de félicitation et les témoignages de reconnaissance transmis à M. le ministre des finances étaient purs de tout calcul et dictés par l'amour vrai, non pas de l'intérêt communal, mais de l'intérêt public, elles auraient dû en même temps engager M. le ministre des finances à retirer de son projet l'article 14. Il n'y aurait plus eu alors à débattre que des questions de principe.

M. de Naeyer. - Mon intention n'est pas de prolonger beaucoup cette discussion. Je crois au contraire que moyennant les observations que j'aurai l'honneur de vous présenter, il y aura moyen peut-être d'abréger la discussion des articles.

J'ai demandé surtout la parole pour présenter quelques amendements. Sous ce rapport, j'aurais pu me faire inscrire sur le projet au lieu de demander la parole contre.

Messieurs, je ne sais si je me fais illusion ; mais il me semble qu'il ne doit pas être impossible de nous entendre sur cette question, qui, comme on vous l'a fort bien dit, n'est pas une question de parti. Il faudrait pour cela quelques concessions de part et d'autre.

D'abord l'abolition des octrois ne fait plus question, je vous dirai que j'ai toujours eu l'intime conviction que les octrois seraient supprimés du moment qu'un ministre aurait eu le courage de proposer cette suppression au parlement.

Ensuite, il me semble que nous sommes d'accord sur plusieurs points en ce qui concerne la question du remplacement. Pour ma part, j'ai dérogé à la rigueur de mes principes pour admettre la nécessite de créer un fonds commun ; en outre pour reconnaître la nécessité d'imposer au pays tout entier un grand sacrifice, afin de réaliser la grande réforme dont il s'agit.

Il y a un troisième point sur lequel il me paraît que nous sommes assez d'accord ; c'est quant au principe qui doit présider au partage du fonds commun. Je crois que l'honorable ministre des finances a admis que ce partage doit se faire d'après la consommation présumée des communes en ce qui concerne les objets imposés dans l'intérêt du fonds communal.

Voilà donc les trois principes constitutifs du projet sur lesquels nous paraissons être d'accord ; création d'un fonds commun, sacrifice à faire par le pays tout entier pour venir au secours des communes à octroi, et puis en troisième lieu partage entre toutes les communes suivant la part fournie au fonds commun par chaque commune.

II n'y a plus que l'application sur laquelle nous pouvons différer. Or il me paraît qu'entre gens de bonne volonté, quand il ne s'agit plus que d'application il doit y avoir moyen de s'entendre.

Quelles sont les différences qui me séparent personnellement de l'opinion de l'honorable ministre des finances ?

D'abord c'est en ce qui concerne le quantum, si je puis m'exprimer ainsi, du fonds commun. Je ne suis pas d'accord avec l'honorable ministre, en ce sens que je ne veux pas que les ressources actuelles du trésor soient versées dans cette caisse communale. Je veux que ces ressources restent séparées, sauf à les employer pour venir directement au secours des communes à octroi.

Ensuite je ne suis pas d'accord avec l'honorable ministre sur ce point qu'il faille frapper la bière d'un droit d'accise de 4 fr. pour alimenter le fonds commun. J'ai l'intime conviction qu'on peut arriver à une bonne solution en se contentant d'un droit de 3 fr.

Voilà quant à la formation du fonds communal.

Quant au partage, je diffère d'opinion avec l’honorable ministre, en ce sens que la triple base indiquée par lui me paraît une formule incomplète pour exprimer la consommation. Je pense qu'au moins un tiers du fonds communal doit être partagé suivant la population.

En ce qui concerne le sacrifice à faire par le pays, je veux qu'il soit considérable ; mais je veux qu'il soit fait, non sur le fonds communal, mais directement sur les revenus de l'Etat, sans quoi vous arrivez toujours à cette idée de prélèvement, de préciput qui froisse l'opinion des communes rurales. Je veux que le sacrifice se fasse sur les ressources du trésor et je n'entends pas marchander à cet égard. Je demande que le gouvernement prenne l'engagement de fournir à perpétuité une somme de quatre millions aux communes à octroi, et je crois que c'est aller fort loin puisque cette somme annuelle de quatre millions représente un capital d'à peu près cent millions.

On m'a accusé quelquefois de me laisser guider par les idées d'une économie exagérée.

Je vous avoue que ce reproche me touche beaucoup moins que celui de la prodigalité. Toutefois, il n'y a pas un an que j’ai voté 50 millions environ pour les fortifications d'Anvers. Aujourd'hui je suis disposé à voter un capital de près de 100 millions pour démolir les octrois ; il me semble que j'ai bien le droit de dire que je ne recule pas devant les dépenses quand les grands intérêts du pays sont en cause, et je pense qu'il serait juste de m'épargner le reproche de vouloir l'abolition des octrois sans vouloir les moyens.

Messieurs, pour faire mieux comprendre ma pensée, je vais la traduire en amendements au projet de loi ; et je suis heureux de pouvoir le faire maintenant, parce qu'ainsi mes amendements pourront être imprimés et distribués, et l'on pourra les examiner avant de reprendre la discussion.

Il va de soi que je vote l'article premier, et je le voterai de grand cœur ; il n'y aura guère de vote qui m'aura procuré une satisfaction morale plus grande.

Je rédigerais l'article 2 comme suit :

« Il est attribué aux communes une part de 35 p. c. dans le produit du droit d'accise fixé par le chapitre II, sur les vins et eaux-de-vie provenant de l'étranger, sur les eaux-de-vie indigènes et sur les bières et vinaigres. »

Le droit sur la bière ne serait que de 3 fr.

Cela suffit pour me procurer un fonds commun de 9 millions sans entamer véritablement les ressources de l'Etat.

Je suis entré à cet égard dans des explications détaillées dans la séance du 2 de ce mois ; toutefois j'ai élevé à 35 p. c. la part dévolue aux communes, afin que mes évaluations soient absolument incontestables. Dans l'article 2, il ne s'agit plus de la poste ; il ne s'agit plus du café, m même du sucre et de l'augmentation de droits qu'il pourra subir. Tous ces impôts restent au trésor. Mais cela, comme je l’ai dit, n'exclut pas l'idée de faire un grand sacrifice en faveur des communes à octroi ; le gouvernement restant maître absolu de ses ressources, pourra faire facilement le sacrifice de 4 millions dont j'ai parlé.

L'article 3 serait modifié comme suit :

« Le revenu attribué aux communes par l'article 2 est réparti chaque année entre elles, pour un tiers suivant la population officielle de l'année précédente, et pour les deux tiers restants, d'après les rôles de l'année précédente, au prorata du principal de la contribution foncière sur les propriétés bâties, du principal de la contribution personnelle et du principal des cotisations de patentes. » (Le reste comme à l'article.)

Lorsque nous examinerons l'article 3, je me fais fort de prouver que la consommation de la bière et du genièvre est plus forte dans les communes rurales que dans les villes. La preuve sera très facile à fournir. Il suffira de réduire la question à ses véritables éléments et de la dégager d'une foule de détails sans importance, et qui ne servent en réalité qu'à embrouiller les idées. Je démontrerai clairement qu'on arrive à un résultat assez approximatif en renversant la proportion du gouvernement, c'est-à-dire en admettant que les communes rurales consomment (page 1507) dans la proportion de 55 p. c. et les villes dans la proportion de 45 p. c.

La conséquence serait qu'il y aurait sur les neuf millions formant le fonds communal à peu près cinq millions pour les campagnes et quatre millions et quelque chose pour les villes ; or il est à remarquer que la proportion de 55 p. c. pour les communes rurales et 45 p. c. pour les communes à octroi est absolument atteinte et réalisée quand le tiers du fonds communal est partagé suivant la population, le partage des deux autres tiers se faisant d'après les bases indiquées par le gouvernement.

L'article 9 serait modifié en ce sens que le droit d'accise sur la bière serait réduit à trois francs par hectolitre de cuve-matière, on ferait ainsi disparaître un grand grief qui s'élève contre le projet de loi et qui le rend inadmissible aux jeux de beaucoup de personnes.

Je supprimerais les articles concernant le sucre, non pas définitivement, mais je les ajournerais pour en faire l'objet d'une discussion spéciale. Cela peut se faire sans inconvénient, puisque je veux réserver cette ressource au trésor, et je ne sais s'il faudrait se contenter de demander au sucre 700,000 fr. Beaucoup de personnes sont d'avis que le sucre pourrait fournir un contingent plus considérable. Tant mieux pour le trésor ; cela lui permettrait de venir plus facilement au secours des communes à octroi.

Maintenant j'ajouterais, non comme disposition transitoire, mais comme disposition permanente, l'article suivant :

« Il sera porté chaque année, au budget de l'Etat, une somme de quatre millions à distribuer aux communes dont la quote-part dans la première répartition faite en vertu de l'article 3 sera inférieure au revenu qu'elles ont obtenu des droits d'octroi pendant l'année 1859, déduction faite des frais de perception et des restitutions allouées à la sortie.

» Cette somme sera partagée entre les communes au prorata du déficit résultant de la première répartition, pour parfaire le produit net de l'octroi, calculé ainsi qu'il est dit ci-dessus. »

Cette disposition deviendrait permanente, c'est-à-dire qu'à tout jamais, il y aurait 4 millions affectés aux besoins des communes qui dans la première répartition n'obtiendraient pas une part équivalente au revenu de leur octroi.

Le déficit des communes serait établi lors de la première répartition du fonds communal, et formerait à l'avenir la base du partage des quatre millions constituant la dette du trésor public. Il n'y aurait donc là rien d'arbitraire. Dès le principe, la quote-part de chaque commune copartageante serait fixée invariablement.

En résumé, voici les différences entre le système du gouvernement et celui que j'ai l'honneur de vous présenter.

Le gouvernement veut tout faire au moyen de l'impôt général, il veut absolument affranchir les villes de l'obligation de créer, au moins en partie, les ressources nécessaires pour remplacer les octrois. C'est évidemment aller trop loin. Je veux faire beaucoup au moyen de l'impôt général, je veux créer un fonds communal de neuf millions qui sera alimenté par de nouveaux impôts de consommation. Je veux imposer en outre au trésor public un sacrifice annuel de quatre millions exclusivement en faveur des villes à octroi ; il faut cependant une limite aux concessions, et il m'est impossible de libérer entièrement nos grandes villes d'une obligation que nos lois leur imposent de la manière la plus formelle, alors surtout que cela ne peut se faire qu'au moyen d'une surtaxe exorbitante sur la bière, la boisson populaire par excellence.

Ces propositions me semblent offrir certains avantages sur lesquels je me permets de fixer un instant votre attention.

D'abord, le fonds communal reste absolument séparé des ressources du trésor public et est alimenté exclusivement par de nouveaux impôts. Par conséquent, chaque fois que le contribuable payera, il saura que c'est exclusivement au profit d'une caisse, qui ne reçoit que pour restituer à chaque commune ce qui aura été payé par ses habitants.

Ainsi viennent à cesser ces plaintes que les campagnes doivent payer au profit des villes. Cela ne serait plus vrai, puisque les villes aussi bien que les campagnes ne recevraient que dans la proportion de ce qu'elles auraient payé. On partagerait sans préciput, sans prélèvement, absolument comme cela se pratique entre les enfants d'une même famille.

Quant aux impôts actuels, ils resteraient entièrement à la disposition du gouvernement, de sorte que le gouvernement et les Chambres resteraient complètement libres de modifier ces lois selon les circonstances. Ainsi la question de la réforme postale resterait entière. Il en serait de même de la question des sucres. Nous ne serions pas placés sous l'influence des intérêts communaux qui, nécessairement, exerceront une certaine pression, chaque fois qu'il s'agira de toucher à ces lois qui intéressent leurs finances ; nous serions complètement libres ; nous n'aurions pas en quelque sorte besoin de la permission des communes pour modifier notre système financier ; et je crois qu'il est bon d'assurer à cet égard la plus complète indépendance au parlement. Il y a un troisième avantage ; c'est que le fonds communal, tel que j'entends le constituer, serait élastique, également élastique pour tout le monde.

L'accroissement de ce fonds profiterait également aux villes et aux communes rurales. Suivant le projet du gouvernement, les parts assignées aux villes et surtout aux grandes villes, resteraient invariablement les mêmes pendant un temps qu'il est impossible de déterminer, et alors même, que les recettes du fonds communal augmenteraient dans des proportions assez fortes ; c'est un inconvénient incontestable et qui a été signalé notamment par la section centrale.

On vous a dit :

« Aujourd'hui ce sont quelques communes rurales qui se prétendent lésées, mais attendez deux ans, trois ans, ce sont les villes qui vont se plaindre. »

C'est tout naturel, vous leur donnez trop aujourd'hui, vous leur donnez trop, immédiatement ; habituez-les dès maintenant à s'imposer certains sacrifices ; ne leur faites pas contracter la mauvaise habitude de tout prendre dans la caisse de l’Etat ; alors vous n'aurez pas ces plaintes ; placez-les sur la même ligne que les autres et elles ne pourront pas se révolter dans la suite contre les conséquences naturelles d'un privilège exorbitant qui leur aurait été accordé dans le principe.

Le système que j'ai l'honneur de proposer fait cesser complètement l'inconvénient dont il s'agit et l’on ne tarderait pas à devenir une source d'embarras très réels ; en effet, je place toutes les communes rurales et urbaines, dans la même position vis-à-vis du fonds communal et les accroissements que ce fonds pourra recevoir profiteront à toutes absolument dans la même proportion.

Ainsi la part des villes à octroi ne cesserait d'augmenter, d'abord par l'accroissement même des recettes du fonds communal et en outre par l’extension des bases de répartition, c’est-à-dire par l’accroissement de la population ayant presque toujours pour conséquence un accroissement du produit des impôts directs.

Sous ce rapport encore il n'y aurait plus deux catégories de communes, chose qu'il faut éviter absolument ; les campagnes ne pourraient plus se plaindre aujourd'hui, et les villes ne pourraient pas se plaindre plus tard. Les villes ne pourront pas dire : le fonds s'accroît toujours au profit des communes rurales et nous n'en retirons rien de plus. Non, elles en retireraient dans la même proportion que les communes rurales, et il serait ainsi prouvé une fois de plus que le droit commun est le meilleur moyen de contenter véritablement tout le monde, et que tout système de privilège n'est propre qu'à faire naître un contentement momentané suivi ensuite de réclamations très vives et de plaintes très amères même de la part des privilégiés.

Je prends la liberté d'attirer encore votre attention sur un quatrième avantage qui me paraît avoir une grande valeur morale. En agissant comme j'ai l'honneur de le proposer, nous attribuons au sacrifice qu'il s'agit de faire son véritable caractère, son caractère réellement national, les villes ne seraient plus privilégiées dans le partage d'un fonds formé également par toutes les communes du pays. Non, ce serait le trésor public, le pays tout entier qui s’imposerait un grand sacrifice en vue d'un grand intérêt et politique et social, ce serait un acte de patriotisme qui ne se cacherait pas sous les formes d'une combinaison plus ou moins ingénieuse, mais qui se montrerait au grand jour, et qui figurerait avec honneur dans nos budgets. Ainsi viendraient à cesser toutes ces misérables questions de savoir dans quelle mesure les campagnards sont rançonnés aujourd'hui par les octrois ; on ne discuterait plus le point de savoir si les campagnes doivent une indemnité aux viles afin que celles-ci cessent de percevoir des impôts injustes, vexatoires, et blessant au plus haut degré l'intérêt général.

Ce dernier point, messieurs, il m'a été réellement impossible de le comprendre. On a dit en effet que nous devons restituer aux villes ce que nous leur prenons.

Eh bien, qu'est-ce que nous leur prenons ? Qu'est-ce que nous leur enlevons ? Nous leur enlevons la faculté de faire le mal, de blesser l'intérêt général. Usant des pouvoirs que la Constitution nous confère incontestablement, nous leur enlevons la faculté d'établir des impositions qui portent atteinte à la liberté individuelle, qui paralysent la circulation des hommes et des choses qui vicient profondément notre organisme économique ; en deux mots nous leur défendons de faire du moyen-âge au milieu du XIXème siècle.

Or, ce serait le renversement de toutes les idées que de dire que nous leur devons une indemnité de ce chef. Je pense que cette question doit être envisagée à un point de vue plus élevé. Pour justifier le sacrifice qu'il s'agit d'imposer au trésor public, je n'hésite pas à ranger la suppression des octrois parmi les grands ouvrages d'utilité publique destinés à féconder les éléments de la prospérité du pays. A la vérité, c'est une œuvre de destruction, mais certes, au point de vue de l'intérêt général elle peut soutenir le parallèle avec bien des travaux de construction.

Permettez-moi maintenant, messieurs, de vous indiquer les conséquences financières des propositions que je viens vous soumettre. Il y aurait donc à partager de la même manière, entre toutes les communes sans distinction, un fonds communal, véritable propriété communale, de neuf millions, mais qui, dans la situation normale du pays, irait en augmentant chaque année ; il y aurait, en outre, une allocation permanente de quatre millions portée chaque année au budget de l'Etat, et qui serait distribué exclusivement aux communes, qui, dans la première répartition du fonds communal, n'auraient pas obtenu une quote-part égale au produit net de leur octroi pendant l'année 1859. Les communes de cette dernière catégorie seraient au nombre de soixante environ avec une population de 1,110,000 habitants, calculée très approximativement, c'est-à-dire que le partage du fonds communal opère dans les conditions que je propose, procurerait au moins à 18 communes à octroi, ayant une population d'environ. L120,000 habitants une somme équivalente aux ressources que l'octroi leur a fournies en 1859.

(page 1508) Voici maintenant les conditions du partage du fonds communal entre toutes les communes sans distinction et sans privilège. Un tiers serait distribué suivant la population, et les deux autres tiers au prorata des trois bases indiquées par le gouvernement. D'après les calculs que j'ai faits, il en résulterait que chaque commune, soit rurale, soit urbaine, obtiendrait dans la répartition d'un fonds de 9 millions : 1° 68 centimes par tête d'habitant ; 2° 35 p. c. du principal des trois impôts qui servent de base à la répartition. Sur ce pied, il y aurait 4,950,000 fr. pour les 2,459 autres communes ; soit, à la campagne 1 franc 40 c. par habitant, et dans ls villes, 3 fr. 30 c.

Vous voyez, messieurs, que je tiens compte, au profit des villes, d'un excédant de consommation assez considérable. Il est évident que ce système aurait pour résultat d'améliorer considérablement la position qui est faite aux 2,459 communes sans octroi, puisque au lieu de 33 p. c. du principal des trois impôts indiqués comme bases de répartition, elles auraient 35 p. c. et, en outre, 68 centimes par tête d'habitant, et ce résultat, supérieur à celui qui est proposé par la section centrale, serait obtenu sans surtaxer les bières. Le fonds communal serait réduit, mais réparti d'une manière plus juste et plus équitable. Ce procédé bien simple suffirait pour faire droit, en grande partie, aux réclamations des communes rurales. Occupons-nous maintenant de la position qui serait faite aux 78 communes à octroi. D'abord il y en a 18 qui viendraient à disparaître de la liste, parce que la répartition du fonds communal, effectuée comme il est dit ci-dessus, leur aurait donné une somme égale, et même, pour plusieurs d'entre elles, supérieure au produit net de leur octroi, pendant l'année 1859, il est évident que ces 18 communes n'élèveraient aucune réclamation - il resterait 60 communes à octroi qui auraient obtenu dans le partage du fonds communal, environ 4 millions, mais auxquelles les octrois ont donné, en 1859, un revenu net d'environ 11,200,000 francs, donc déficit de 7,200,000 francs, somme ronde.

Mais c'est aux communes de cette catégorie dans laquelle figurent toutes nos grandes villes que serait destinée exclusivement la somme de 4 millions par an, représentant le sacrifice qui serait imposé au trésor public ; or, cette somme de 4 millions forme 55 1/2 p. c. du déficit de 7,200,000 fr. qui serait ainsi réduit à 3,200,000 fr. ; cette dernière somme représenterait le montant des nouvelles ressources que ces soixante grandes communes auraient à créer pour remplacer les charges beaucoup plus considérables dont elles sont grevées aujourd'hui.

Voilà en résumé l'obligation que nous voulons, non pas imposer à ces communes, mais que nous voulons leur laisser, car elle leur est formellement imposée par la Constitution et par la loi communale.

Messieurs, ceci est-il exorbitant et peut-on, pour affranchir les communes à octroi de cette obligation, parler sérieusement d'impossibilité ou d'impuissance ?

Messieurs, je suis intimement convaincu du contraire, et il ne me sera pas difficile de vous faire partager ma conviction. Pour vous éclairer à cet égard, il y a parmi les documents distribués par le gouvernement une pièce extrêmement importante et sur laquelle je prends la liberté d'attirer toute votre attention ; je veux parler de l'annexe M, troisième supplément au n°84.

C'est un tableau qui nous fait connaître les charges locales qui pèsent aujourd'hui sur les communes à octroi, sur les communes sans octroi ; or, il résulte de cette pièce que pour les communes sans octroi, le montant total des centimes additionnels et des cotisations perçus au profit des caisses communales, s'élève à la somme énorme de 6,503,163 fr., c'est-à-dire à plus de 85 p. c. du principal des trois impôts (foncer bâti, personnel et patentes), que le gouvernement considère comme révélant le degré d'aisance de la population. Il y a plus ; dans la Flandre occidentale, les cotisations et les centimes additionnels perçus par les communes sans octroi s'élèvent à plus de 1,612,000 fr., tandis que le principal des trois impôts que je viens d’indiquer n’est que de 1,153,268 fr., c’est-à-dire que les charges locales représentent plus de 130 p. c. des signes révélateurs de l'aisance de la population.

Voilà les énormes sacrifices que les communes rurales s'imposent pour remplir loyalement les devoirs de l'autonomie communale.

Voyons maintenant quelle est sous ce rapport la position des villes.

L'honorable ministre des finances m'a fait remarquer, l'autre jour, que les cotisations personnelles sont établies également dans la plupart des villes, non seulement à charge des habitants extra muros, mais encore à charge des habitants intra muros. Il en existe effectivement quelques-unes, indépendamment de celles qui sont établies extra muros.

Mais c'est bien peu de chose. Nous avons ce renseignement dans le document dont je m'occupe en ce moment (annexe M.)

Les cotisations personnelles dans les villes, extra muros et intra muros s’élèvent en tout à 269,000 francs. Ce n'est pas lourd. Ajoutons cette somme aux centimes additionnels qui sont perçus au profit des villes et nous arriverons à un total de 1,625,092 francs, c'est à dire 17 1/2 p. c du montant des trois impôts dont j'ai parlé tout à l'heure.

Ainsi dans les villes les charges locales s'élèvent à 17 1/2 p. c. et dans les communes rurales, à 85 p. c. et dans les communes rurales de la Flandre occidentale à plus de 130 p. c. Cette différence s'explique aujourd'hui par l'existence des octrois qui pèsent très lourdement sur les habitants des villes ; mais elle prouve aussi à la dernière évidence que les octrois étant abolis, les villes seront parfaitement à même de se procurer des ressources considérables au moyen de l'impôt direct.

Messieurs, il me semble que nous ne faisons pas assez attention que, par la suppression des octrois, nous allégeons considérablement les charges des villes. Ainsi, par exemple, pour Bruxelles, voulez-vous savoir à quel chiffre énorme s'élèvera ce dégrèvement ?

Voici des chiffres tout à fait incontestables : ils sont tirés des documents du gouvernement.

Les octrois étant abolis, la ville de Bruxelles sera dégrevée à peu près d'un million, quant à la consommation des comestibles seulement.

Les chiffes que je donne sont puisés dans la statistique des octrois pour 1858 et vous avez pu remarquer que le produit net pour l'année 1859 est de 100,000 francs plus élevé. En outre :

Pour le combustible, fr. 352,000.

Pour les matériaux de construction, fr. 264,000.

Pour les fourrages, fr. 121,000.

Pour les vins, à peu près, fr. 200,000.

Pour les bières, d'après la proposition que j'ai faite, de fixer le droit à 3 francs, au moins, fr. 300,000.

Ce qui fait au moins 2 millions, même en tenant compte de la surtaxe imposée à la consommation des eaux-de-vie.

Or, voici maintenant la position qui serait faite à Bruxelles par l'application des amendements que j'ai eu l'honneur de vous soumettre. Bruxelles recevrait dans la répartition du fonds communal de neuf millions, savoir :

1° Du chef de la population (68 centimes par habitant), environ fr. 101,181.

2° 35 p. c. du montant des trois bases, fr. 779,466.

Total, fr. 880,655.

Le revenu net de l'octroi s'étant élevé en 1859 à 2,780,744.

Le déficit à combler serait de 1,900,089 fr., dans lequel l'Etat contribuerait à raison de 35 1/2 p. c, soit 1,054,549 fr.

Il resterait donc un déficit de 845,540, qui devrait être couvert au moyen de nouvelles ressources locales. Est-ce trop en présence d'un dégrèvement de plus de deux millions ?

Y a t-il là impossibilité ? N'est-ce pas le cas de dire : Qui peut le plus peut le moins ? .

Pour nos trois autres grandes villes j'arrive à des résultats analogues et même plus favorables.

Gand aurait à créer de nouvelles ressources jusqu'à concurrence d'une somme de 400,000 fr., en présence d'un dégrèvement de plus de 1,200 000 fr.

Anvers et Liège auraient à établir de nouveaux impôts pour une somme à peu près égale, c'est-à-dire 320,000 à 325,000 pour chacun de ces villes, et l'abolition des octrois leur procurera un dégrèvement de charges d'environ deux millions, près d'un million pour chacune de ces Villes.

En résumé, obligation pour nos grandes villes, de créer de nouvelles ressources jusqu'à concurrence d'une somme de 1,900,000 fr. environ ; mais par contre, dégrèvement de charges jusqu'à concurrence de cinq millions au moins.

II. résulte de ces considérations, que la position des quatre grandes villes étant ainsi réglée, il resterait sur le déficit total de 3,200,000 fr., une somme de l,400,000 fr. qui devrait être couverte par les nouvelles ressources à créer par les 56 autres communes qui n'auraient pas obtenu dans le partage du fonds communal une somme équivalente au produit net de leur octroi. Cela ne ferait en moyenne que 25,000 francs par commune, somme même inférieure au montant des cotisations personnelles dans plusieurs communes rurales. Toutefois, il y aurait des différences assez notables entre ces 56 communes ; mais à l'exception de Bruges, qui aurait à demander à l'impôt direct une somme de 113,000 francs environ, dans aucune autre de ces villes les nouvelles ressources à créer ne dépasseraient 100,000 fr.

Namur n'aurait qu'un déficit de 54,000 fr., et Tournai un déficit de 44,000 fr.,

Ensuite, parmi les 56 communes ou villes dont il s’agit, il y en a beaucoup ou le déficit se réduirait à des sommes peu importantes. A Soignies, par exemple, il s'agirait de trouver une somme de moins de 240 fr., et il serait facile de citer plusieurs exemples analogues.

Les observations qui précèdent démontrent encore que ce nombre de 78 communes à octroi ne doit pas nous effrayer. La plupart ne figurent en réalité sur le tableau que pour servir d'escorte aux grandes villes et, chose assez remarquable, nous avons en Belgique 26 villes sans octroi, tandis que les octrois existent dans quinze villages. Je n’indiquerai pas ces quinze communes rurales, mais je ne puis résister au plaisir de nommer ad honores les 26 villes qui ont vécu sans contredit avec les octrois.

Ces villes sont : Thielt, Warneton, Wervicq, Iseghem, Thourout, Eecloo, Deynze, Thuin, Chièvres, Châtelet, Gosselies, St-Ghislain, (page 1509) Braine-le-Comte, Antoing, Visé, Limbourg, Houffalize, Marche, Neufchâteau, St-Hubert, Durbuy, Laroche, Virton, Chiny, Andenne et Fosse. Il est à remarquer que dans ce nombre soit compris six chefs-lieux d'arrondissement, savoir : Thielt, Eecloo, Thuin, Marche, Neufchâteau et Virton et puisque six communes ayant une importance assez grande pour être chefs-lieux d'arrondissement, ont pu se passer d'octrois, il est évident que sous le nouveau régime que nous voulons établir cela sera infiniment plus facile encore pour le très grand nombre des localités qui figurent aujourd'hui sur le tableau des communes à octroi.

Ainsi il me paraît évident que l'impossibilité dans laquelle on se retranche pour affranchir complètement les communes d'une obligation que la loi leur impose, n'est réellement pas sérieuse ; je crois l'avoir démontré à un point de vue général en mettant la position des villes et des communes à octroi en regard de la position actuelle des communes rurales et les quelques détails dans lesquels je suis entré sont encore de nature à confirmer cette appréciation générale.

Je termine par quelques mots en réponse à deux ou trois objections qui ont été faites contre les observations que j'ai présentées dans mon premier discours. Ainsi on a dit que j'avais annoncé un système excessivement élémentaire. Je ne sais si c'est là un reproche bien grave ; mais ne peut-on pas faire la même objection, si c'en est une, au système du gouvernement ? Quoi de plus élémentaire, en effet, que de supprimer les octrois et de les remplacer par les revenus généraux du pays en créant de nouveaux impôts. Sous ce rapport donc, il n'y a pas de raison pour préférer un système à un autre. Messieurs, il y a deux systèmes également trop absolus : celui qui demande tout à l'impôt général, et qui porte ainsi atteinte à la véritable autonomie communale ; l'autre qui laisse tout à la charge des communes. Eh bien, ce que je propose c'est un système transactionnel ; je demande beaucoup à l'impôt général, j'impose un grand sacrifice au trésor public, mais je veux que les communes fassent quelque chose aussi, je veux qu'elles remplissent au moins en partie l'obligation que nos lois leur imposent.

L'honorable M. Jamar a objecté aussi que si mon système était adopté, plus un seul homme intelligent ne voudrait se charger de l'administration d’une ville à octroi. Je crois que cette opinion est exagérée ; d'ailleurs ce n'est pas un argument ; c'est plutôt une menace ou un avertissement comminatoire. Si l'honorable M. Jamar a voulu parler en son nom personnel, je n'ai certes rien à répondre, car je tends volontiers hommage à la haute intelligence de cet honorable collègue ; mais je ne puis admettre qu'il ait eu l'intention de parler et de stipuler en quelque sorte au nom de tous les hommes intelligents du pays ; et dès lors il me permettra de ne pas attacher une bien grande importance à cette observation.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs, je crois avoir suffisamment justifié la proposition que je viens d'avoir l'honneur de développer.

- Les amendements de M. de Naeyer sont appuyés. Ils seront imprimés et distribués.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Tack. - Je demande la permission de dire encore un mot pour réparer une omission J'ai oublié de remettre au Moniteur les amendements que j'ai eu l'honneur de présenter, de sorte qu'ils n'ont point paru dans les Annales parlementaires. Je demande de pouvoir les y faire insérer.

M. le président. - C'est de droit.

M. Tack. - Les voici :

« Art. 2. Substituer au chiffre de 34 p. c. celui de 40 p. c.

Sucres.

« Art : 10. Remplacer l'article 10 par la disposition suivante :

« Le minimum de la recette trimestrielle fixé à 1,125,000 francs par le paragraphe premier de l’article 4 de la loi de la loi du 15 mars 1856 est porté à 1,475,000 fr.

« Art. 14. Remplacer l'article 14 par les dispositions suivantes :

« § 1er. Le revenu attribué aux communes par l'article 2 est fixé au minimum de 15,000,000 de francs, pour la première année de la mise en vigueur de la présente loi.

« § 2. La quote-part assignée aux communes assujetties à l’octroi par la répartition faite, en vertu de l'article 3, ne peut être inférieure au montant total des revenus qu'elles ont obtenus des droits d'octroi et des taxes directes perçues pour en tenir lieu dans les parties extra-muros de certaines villes, pendant l'année 1859, déduction faite des frais de perception et des restitutions allouées à la sortie.

« L'excédant formera la quote-part des communes sans octroi, et leur profitera exclusivement.

« Pendant les trois premières années qui suivront la mise en vigueur de la présente loi, fa répartition de la quote-part assignée aux communes à octroi aura lieu entre elles, au prorata du produit net de leur octroi, pendant l'année 1859.

« § 3. La disposition du paragraphe 2 qui précède cessera de sortir ses effets, lorsque le tantième attribué aux communes sur le principal des contributions énumérées à l'article 3 sera le même pour les villes et communes assujetties à l'octroi, comme pour celles où l'on ne perçoit point actuellement cet impôt.

« § 4. S'il arrivait que les ressources affectées au fonds communal par l'article 5 fussent inférieures au chiffre de 15,000,000 de francs, la différence serait répartie entre les 78 communes assujetties à l'octroi, d'une part, et celles sans octroi, d'autre part, respectivement dans la proportion de deux tiers à charge des premières et d'un tiers à charge des secondes. »

- La discussion générale est close ; celle des articles est renvoyée à mardi prochain.

Projet de loi allouant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur, pour l’acquisition d’un hôtel rue Ducale à Bruxelles

M. le président. - Avant de nous séparer, messieurs, je vous proposerai de voter un projet de crédit au département de l'intérieur, pour l'acquisition d'un hôtel rue Ducale. Ce projet présente une certaine urgence.

- Adopté.

Vote de l’article unique

Personne ne demande la parole dans la discussion générale.

L'assemblée passe immédiatement à celle de l'article unique, ainsi conçu :

« Article unique. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de deux cent soixante-quinze mille francs (fr. 275,000) pour l'acquisition d'un hôtel, situé à Bruxelles, rue Ducale, à l'angle de la rue latérale du Parc et pour l'exécution de divers travaux nécessités par la transformation en un jardin public du terrain qui dépend dudit hôtel et du Palais ducal.

« Ce crédit formera l'article 141 du budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1860 et sera imputé sur les ressources ordinaires. »

- Personne ne demande la parole.

L'article est mis aux voix et adopté.


Il est procédé à l'appel nominal.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 72 membres présents ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté pour le projet de loi : MM. J. Lebeau, Magherman, Manilius, Moreau, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, V. Pirson. Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Saeyman, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeek, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Vervoort, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau, Carlier, Crombez, Dautrebande, David, de Bast, de Boe, de Bronckaert, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Lexhy, de Liedekerke, Deliége, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, Devaux, Frère-Orban, Goblet, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Koeler, Lange, Laubry et Dolez.

- La séance est levée à 4 heures et demie.