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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 11 décembre 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page ) (Présidence de M. Vervoort, présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur de Biennet demande l'abolition des passeports et une loi contre le port illégal des titres nobiliaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jacquet, lieutenant pensionné, demande remise de sa contribution personnelle, à Aywaille, en 1860. »

- Même décision.


« Des marchands de bétail, à Wavre, demandant la suppression des entraves à la liberté de leur commerce, qui existent encore dans cette ville. »

- Même décision.


« Les sieurs Sinay et Sadores, facteurs des postes à Grammont, demandent à être relevés de la déchéance qu'ils ont encourue en laissant périmer le délai fixé pour faire la déclaration de leurs années de service dans l'armée. »

- Même décision.


« Les membres du conseil communal et des habitants d'Hercklia-Ville demandent la construction du chemin de fer projeté entre Louvain et Hasselt par Diest. »

- Même décision.

« Les sieurs Kenis et Van Meel, président et secrétaire du comice agricole de Calmpthout-Esschen, demandent la suppression du droit de barrière. »

- Même décision.


« Des officiers pensionnés demandent que le montant de leurs pensions soit mis en rapport avec la valeur actuelle de l'argent. »

- Même décision.


« Des habitants de Bry demandent l'exécution du chemin de fer grand central franco-belge, partant d'Amiens et aboutissant à Maestricht, qui est projeté par le sieur Delstanche. »

- Même décision.


« Le sieur Moreau, ancien militaire pensionné pour cause de cécité, demande une augmentation de pension. »

- Même décision.


« Des habitants de Petit-Enghien prient la Chambre d'adopter la proposition de loi relative à la monnaie d'or. »

« Même demande d'habitants de Renihghelst. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Des habitants d'Aerseele demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »

« Même demande d'habitants de Thielt, Woumen, Coolkerke, Damme, Houthem, Hollebeke, Zedelghem, Sysseele, Dixmude, Wenduyne, Nieuwmunster, Woumen, Furnes, Waereghem, Belleghem, Pecq, Beveren, Moorseele, Péruwelz. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Gand déclarent adhérer à la pétition des membres du Cercle commercial et industriel de cette ville concernant la circulation de la monnaie d'or dans le pays. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Gorissen et Thiriaux, président et secrétaire général de l'association générale pharmaceutique de Belgique, demandent l'application du grade d'élève universitaire aux étudiants en pharmacie. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui rétablit le grade d'élève universitaire.


« Le sieur Tassin, maréchal des logis chef de gendarmerie pensionné, demande qu'il lui soit fait application de la loi du 21 juillet 1860 relative à la pension des gendarmes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vidrequin demande une modification de l'arrêté royal du 15 avril 1847, pour que les enfants des employés des douanes ayant servi dans l'armée puissent être admis à l'école des enfants de troupe. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Debruyne et Waltens, matelots di la marine royale, se plaignent d'une violation de la Constitution. »

- Même renvoi.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, chapitre IX)

Rapport de la commission

M. de Boe. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le titre IX du livre II du Code pénal.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1861

Discussion générale

M. J. Jouret. - Messieurs, je n'ai que quelques courtes observations à faire. MM. les membres de la Chambre auront remarqué, avec la même satisfaction que moi, sans doute, en lisant la note préliminaire du projet de budget, à l'article « Rivières et canaux », que la diminution de revenus résultant de la loi du 19 février 1860, portant réduction des péages sur le canal de Charleroi, ne sera, d'après les prévisions de M. le ministre des finances, que de 400,000 fr., et même de 300,000 francs, si ou la compare aux prévisions adoptées pour l'exercice de 1860.

Ces prévisions, qui sont pleinement justifiées par les chiffres, produits dans l'annexe qui termine le rapport de l'honorable M. Guillery, dont j'ai moi-même demandé la production dans ma section, sont bien loin de la somme considérable de 700,000 fr. et plus que l'on prétendait que devait coûter au budget des voies et moyens le vote de la loi de réduction des péages.

Si je fais cette observation, messieurs, ce n'est pas pour le plaisir de faire remarquer à la Chambre qu'il y avait beaucoup d'exagération dans les prévisions du gouvernement à cette époque, et que, quand mes honorables collègues et moi nous tes combattions, nous étions parfaitement dans le vrai, mais c'est surtout parce que, lorsqu'il est établi que dans la somme de 2,800,000 fr. formant le produit total actuel des rivières et canaux, le canal de Charleroi supporte encore à lui seul une somme de plus d'un million de francs, c'est avec raison et justice que nous réclamons et que nous continuerons à réclamer, pour cette intéressante voie navigable, toutes les améliorations dont elle est susceptible.

Cette somme d'un million ne fera que s'accroître jusqu'à ce que le chiffre du produit des années précédentes aura été atteint et dépassé peut-être.

Ce n'est, au reste, qu'incidemment que je fais cette observation, je me propose de revenir sur ce sujet, lors de la discussion du budget des travaux publics.

Messieurs, en lisant les considérations générales, consignées par l'honorable M. Guillery en tête de son rapport et par lesquelles il prouve comme l'avait fait déjà l'exposé des motifs, que t le budget de 1861 établit une belle situation financière », j'ai éprouvé un vif sentiment de satisfaction et de fierté.

Par l'effet presque unique de l'accroissement de la richesse et de la prospérité publiques en réduisant nos impôts dans des proportions considérables, si on compare les réductions aux augmentations beaucoup moins importantes qu'on leur a fait subir, en les réduisant notamment sur le droit de patente, sur les péages de plusieurs canaux, sur les douanes et en faisant disparaître l'impôt vexatoire des octrois communaux, il a été donné à la Belgique, après de longs et énergiques efforts, il est vrai, non seulement d'obtenir l'équilibre de ses recettes et de ses dépenses, chose rare et souvent inutilement désirée dans les Etats les mieux administrés, mais encore de voir l'exercice 1861 se solder non par un boni de 3,081,000 fr. comme le disent l'exposé des motifs et le rapport, mais de 8,081,000 fr., si l’on veut bien réfléchir que les 5,000,000, affectés annuellement aux travaux d'Anvers, ne le sont que pour sept annuités et redeviendront disponibles en 1865, en supposant, toutefois, que la situation financière se maintienne. Il est vrai, pourtant, que la somme dont on peut immédiatement disposer pour faire face aux dépenses imprévues et extraordinaires est de 3,081,000 francs.

C'est donc avec beaucoup de raison, que l'honorable rapporteur, en présence de l'état des choses signalé par lui, affirme que l'augmentation du budget des voies et moyens est un signe non équivoque de la prospérité et du bien-être dont jouit la nation.

(page 172) C'est avec non moins de raison qu’il dit dans un exposé rapide quelle utile impulsion a été donnée d'ailleurs aux services publics, aux progrès desquels les contribuables sont plus particulièrement intéressés, à la voirie vicinale, à l’enseignement à tous les degrés, aux lettres, aux sciences et aux arts. C'est à l'aide de cette situation exceptionnellement heureuse qu'ont pu s'exécuter, en outre, ces grands travaux d'utilité publique qui tout à la fois augmentent les revenus de 1'Etat et développent les sources de la richesse générale.

Nous ne saurions assez le répéter, messieurs, la position matérielle et financière du pays est excellente, et elle est en harmonie avec la haute position morale que lui ont faite depuis longtemps les institutions les plus libérales du inonde.

Aussi est-ce avec une profonde sympathie, et, j'en suis convaincu, avec un noble sentiment de fierté, que tous nous avons accueilli ces belles et patriotiques parole, par lesquelles l'honorable rapporteur a terminé cette partie de son travail. « La Belgique, dit-il, n'a pas à se plaindre de la liberté. Depuis qu'elle s'occupe elle-même de ses affaires et que son activité, son génie, ses richesses, le sang de ses enfants sont exclusivement consacrés à sa prospérité, au développement des arts, de l'industrie, de l'instruction publique, elle a pris un essor dont on chercherait vainement un second exemple. »

Cependant, messieurs, si nous avons le droit de nous enorgueillir d'un pareil état de choses, nous ne pouvons jamais perdre de vue les devoirs sérieux et graves qu'il nous impose.

Je ne veux pas reproduire ici les considérations que je faisais valoir, il y a quelques jours à peine, et imiter ce citoyen romain qui terminait toutes ses harangues au Sénat par ce cri passionné et convaincu : Delenda Carthago ! Nous n'avons heureusement pas de Carthage à détruire, et nous n'avons qu'à nous en féliciter.

Nous ne demandons qu'une chose, c'est qu'il nous soit permis de continuer à vivre heureux et libres.

Mais lorsque, comme je viens de le faire, je considère tout ce que nous ont valu, depuis 30 ans, de prospérité, de bonheur, d'honneur, de considération, les institutions que nous nous sommes données au moment de notre émancipation politique, lorsque je songe que ces biens si chers pourraient être menacés, je vous avoue, messieurs, que, toutes les fois que je me lève au sein de cette Chambre, je sens malgré moi sortir de ma poitrine cet autre cri des anciens que j'adresse au patriotisme de tous les pouvoirs publics et de la nation tout entière : Caveant consules.

Ce mot résume mes préoccupations et mes sentiments patriotiques, et je désire qu'il tienne vivement éveillée la sollicitude de ceux dont peuvent dépendre les destinées de la patrie.

M. H. Dumortier. - Lorsque, l'année dernière, la Chambre a voté la loi portant suppression des octrois, le gouvernement a exprimé la ferme volonté de présenter un projet de loi tendant à modifier la législation sur les sucres. L'état d'incertitude dans lequel se trouve à cet égard, cette grande industrie, ne devrait pas se prolonger ; il n'est rien déplus préjudiciable au commerce et à l'industrie que l'incertitude dans laquelle on les laisse quant à la législation qui doit les régir. Je me permettrai donc de demander à M. le ministre des finances, s'il entre dans ses intentions de nous présenter, dans un délai rapproché, la modification qu'il a annoncé l'intention de proposer à la législation sur les sucres.

M. de Lexhyµ. - Je n'ai à présenter qu'une courte observation qui trouvera mieux sa place, je pense, dans la discussion générale que dans celle des articles.

M. le ministre des finances a informé la section centrale qu'une étude embrassant l'ensemble des questions qui se rattachent à l'abolition des barrières était commencée. Je remercie M. le ministre de cette communication et j'exprime le désir qu'une prompte solution soit donnée à cette importante question. L'abolition des barrières serait, selon moi, le complément, le corollaire logique de l'abolition des octrois : en effet, une certaine connexité existe entre les octrois et les barrières, en ce sens que l'un et l'autre constituent une entrave à la la libre circulation de toutes choses, une entrave à l'activité humaine.

J'espère que le gouvernement qui a eu la gloire de provoquer et de réaliser cette grande réforme de l'abolition des octrois, tiendra à honneur d'activer son œuvre. Lors de la discussion de la loi portant suppression des octrois, on a reproché à cette loi d'accorder, pendant la période transitoire, une somme d'avantages plus considérable aux villes qu'aux communes. Eh bien, l'occasion est favorable, selon moi, pour arriver à faire tomber cette accusation, en abolissant les barrières qui nuisent surtout à l'industrie agricole.

Le produit des barrières n'est pas si considérable que la suppression puisse paralyser l'exécution d'une aussi grande réforme. Je me bornerai à cette courte observation, parce que je pense qu'il serait prématuré de traiter à fond une question aussi vaste, aussi compliquée que celle-là ; je prierai seulement M. le ministre de nous dire s'il se propose de nous présenter, sinon dans cette session, du moins dans la prochaine, la solution de cette importante question.

M. Vander Donckt. - Messieurs, dans plusieurs sections on s'est occupé beaucoup de la redevance des mines ; la section centrale n'a pas jugé à propos d'adopter la disposition déjà présentée lors du vote de la suppression des octrois. Dans ma section on a aussi longuement agité cette question. Je viens insister de nouveau et soumettre à la Chambre quelques réflexions à ce sujet.

La redevance des mines en Belgique n'est que de la moitié de ce qu'elle est dans tous les pays qui nous environnent ; elle est de 2 1/2 p.c. alors qu'elle est de 5 p. c. en Angleterre, en France, en Suisse, en Hollande et dans tous les pays qui nous entourent.

En Prusse, c'est tellement clair pour la Prusse que les mines de Moresnet, qui se trouvent sur un territoire neutre, payent 5 p. c. à la Prusse et 2 1/2 p. c. seulement à la Belgique.

On a fait une comparaison, on a dit qu'il n'y avait pas une répartition égale des charges entre les contribuables, que la propriété foncière payait 11 p.c. du revenu cadastral, tandis qu'on ne payait que 2 1/2 p. c. du revenu net des mines ; j'ajouterai que non seulement la contribution foncière est de 11 p. c, mais qu'il fallait y ajouter les centimes additionnels, qui ne sont pas inférieurs à 30 p. c, ce qui permet d'évaluer, sans exagération, la charge de la contribution foncière à 15 p. c, quand la redevance sur les mines n'est que de 2 1/2 p. c.

Examinons les motifs que la section centrale, fait valoir pour repousser la proposition dont elle était saisie. La houille, a-t-on dit, est le pain de l'industrie ; ce serait lui imposer de nouvelles charges en frappant une matière première indispensable ; le moment serait mal choisi pour en agir ainsi. Selon moi, ce moment ne serait pas si mal choisi, car il y a à peine un an que nous venons de voter une réduction sur les canaux qui spécialement transportent la houille vers la capitale et les localités intermédiaires.

Dira-t-on que la houille a diminué de prix, cette matière première que tout le monde se flattait d'avoir à bon marché après la suppression des octrois et la réduction des péages sur les canaux ? Nullement, elle est plus chère que jamais. Sont-ce les bateliers qui en ont profité ? Pas du tout ; leur position est aussi précaire qu'elle l'était avant la réduction.

Il résulte à toute évidence de tout cela qu'une légère augmentation de la redevance ne peut avoir aucune influence sur le prix du charbon, car les houillères appartiennent à de grandes sociétés financières qui ont le monopole de l'exploitation et fixent les prix comme il leur plaît.

Les 5 p. c. n'auraient aucune influence sur le prix de la houille et rapporteraient quelque chose au trésor. C'est dans ce sens que j'appelle l'attention du gouvernement sur ce point, pour le cas où il y aurait nécessité d'augmenter nos ressources.

M. Rodenbach. - Je partage entièrement l'opinion de l'honorable préopinant. Je crois que, pour accroître nos ressources, on devrait songer sérieusement à augmenter la redevance sur les mines et à la porter de 2 1/2 à 5 p.c. J'attire l'attention du gouvernement sur ce point. Car s'il y a quelque chose d'imposable, c'est bien une industrie aussi puissante, aussi considérable que celle-là ; une industrie dont la production s'élève au-delà de 100,000,000, qui ne paye au trésor que 400 à 500,000 francs.

En portant la redevance de 2 1/2 à 5 p. c. on augmenterait les ressources de l'Etat d'un demi-million, et comme vous l'a dit l'honorable préopinant, cette augmentation serait sans influence sur le prix de la houille.

Jetons d'ailleurs un coup d'œil sur toutes nos industries. L'industrie houillère, comme je lui dit, est d'au-delà de 100 millions. On extrait, si je me rappelle bien, car j'ai traité cette question l'année dernière, 9 millions de tonnes de houille. Le pays en consomme 6 millions et l'on en exporte pour 3 millions. C'est donc une industrie qui fait des (page 173) affaires immenses, et cette industrie ne pourrait pas payer 300,000 fr. de plus ?

Je le répète, je crois cette question digne de toute l'attention du gouvernement. Je ne ferai pas d'amendement, parce que je crois qu'il n'aurait pas chance de succès ; niais j'attire sur ce point la sollicitude de M. le ministre des finances.

Quant à ce qui a été dit que la houille était le pain de l'industrie, je ne vois là que des mots. Cet argument ne tient pas devant un examen sérieux de la question.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, depuis treize ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette Chambre, j'entends une ou deux fois par année agiter cette question de la redevance des mines. L'an dernier, enfin, pour la première fois, on a abouti à une proposition soumise à un vote de la Chambre. La Chambre s'est prononcée. Elle a rejeté l'augmentation de la redevance qui était proposée. Il ne paraît guère qu'il soit opportun de recommencer encore une fois cette discussion.

Les honorables membres qui viennent de parler de cette question ne l'ont pas, je pense, suffisamment étudiée. Aux termes de la loi de 1810, la redevance sur les mines constitue un fonds spécial destiné et uniquement destiné à payer les frais de la surveillance exercée par le gouvernement sur l'exploitation des mines.

M. H. Dumortier. - Ce n'est pas la question.

M. Coomans. - C'est un abus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous commençons par constater ce qu'a voulu le législateur de 1810. Je n'infère pas de là que le législateur soit toujours tenu d'avoir le même avis. Je viens de vous rappeler ce que le législateur de 1810 a fait. Il est possible qu'il change en 1861 ; je ne m'oppose pas à ce qu'on essaie de modifier son opinion. Je constate seulement ce qu'on a voulu : c'est que le produit de la redevance servît à couvrir les frais de la surveillance du gouvernement. Maintenant, lorsque la redevance couvre ces frais et au-delà, le but que le législateur s'est proposé est atteint.

Les honorables membres disaient : « Mais on pourrait retirer une somme plus élevée de la redevance sur les mines. La propriété foncière est grevée de charges bien plus considérables, et il n'y aurait que justice à imposer les mines à peu près dans la même proportion. » Mais quelle comparaison sérieuse peut-on faire entre la propriété foncière et la propriété des mines ? D'abord la charge qui pèse sur la propriété foncière n'est pas celle qu'a indiquée l'honorable M. Vander Donckt.

Il a indiqué 10 p. c, 11 p. c. et même 15 p. c. du revenu cadastral et il a opposé cet impôt à une quotité quelconque que l'on percevrait sur un revenu réel. Cette comparaison pèche ainsi par sa base.

Mais, sous d'autres rapports, comment peut-on mettre en parallèle deux choses aussi dissemblables ?

Le revenu foncier va augmentant sans cesse et le capital se conserve parfaitement ; le revenu des mines, au contraire, est un revenu qui comprend une partie du capital. On mange son fonds avec son revenu dans le produit des mines. Ainsi, il n'y a aucune espèce de raison à vouloir soumettre aux mêmes règles l'un et l'autre revenu.

Mais, en outre, les revenus des mines sont essentiellement aléatoires. C'est une espèce de loterie, et cela est tellement vrai, que les capitaux qui sont engagés dans l'ensemble des exploitations houillères du pays ne donnent pas 5 p. c. d'intérêt.

Il y a des capitaux qui donnent beaucoup plus, c'est-à-dire qu'il en est quelques-uns qui ont obtenu le gros lot à cette loterie ; mais un très grand nombre sont en perte. L'intérêt public commande-t-il de faire en sorte que les capitaux n'affluent pas vers l'exploitation des mines ? Faut-il grever cette exploitation de charges plus considérables ? Voilà la question que la Chambre doit examiner, ou plutôt qu'elle a déjà examinée et qu'elle a résolue négativement.

Je ne m'étendrai pas davantage sur cette question ; je dirai seulement, en réponse à l'observation de M. Vander Donckt quant à l'impôt foncier, que cet impôt est bien moins élevé que ne le dit l'honorable membre. S'il veut l'estimer à 6 ou 7 p. c. du revenu réel, je serai d'accord avec lui, mais 6 ou 7 p. c. du revenu réel de la propriété foncière, c'est, qu'il veille bien le remarquer, bien moins que 2 1/2 p. c. du revenu des mines.

Un autre orateur a demandé qui le cabinet examinât la question des barrières. Je ne crois pas que l'on ait les éléments nécessaires pour examiner aujourd'hui cette question. Elle est beaucoup plus compliquée qu'elle ne le paraît au premier abord. Quand on parle de la suppression des barrières, ou a en vue exclusivement les barrières dont le revenu est perçu au profit de l'Etat ; mais, à côté des barrières établies sur les routes de l'Etat, il y a des barrières sur les routes provinciales, sur les routes communales et sur les routes concédées ; ces diverses catégories réunies changent un peu l'état de la question ; elle devient beaucoup plus complexe, beaucoup p'us difficile.

J'ai prescrit une étude très approfondie de la matière. Dès que cette étude sera achevée, je me propose de communiquer à la Chambre un travail complet, dans lequel j'exposerai l'historique de la question des barrières, l'état de la législation dans les divers pays, et la situation actuelle pour notre pays même. Lorsqu'on aura les faits sous les yeux, chacun pourra se former une opinion.

Je ne m'engage pas à apporter une solution. Je ne vais pas au-delà d l'étude, quant à présent. Je ne dis pas que la question soit insoluble et qu'il n'y ait pas autre chose à faire que ce qui existe. Je ne me prononce pas. Je constate seulement que la question est plus compliquée, que sa solution présente plus de difficultés qu'on ne pense.

Cette question n'a pas beaucoup d'intérêt au point de vue de l'agriculture. En effet, le droit de barrière ne grève pas considérablement l'agriculture ; c'est principalement l'industrie qui est frappée par cette taxe. Il n'y a de nombreuses exemptions du droit de barrière, qui presque toutes ne s'appliquent qu'à l'agriculture. Les barrières sont donc en réalité à la charge de l'industrie et du commerce.

En outre, les barrières une fois supprimées, que fera-t-on pour l'entretien des routes ? Je ne parle pas des routes de l'Etat ; mais je parle des routes provinciales et communales ; que devront faire les provinces et les communes ?

Créer des routes et ne pas les entretenir, ne plus les étendre, serait assurément une chose extrêmement fatale pour le pays... Il faudrait donc, en cherchant une solution de la question des barrières, se préoccuper, non seulement du revenu qu'elles donnent actuellement, mais d'un revenu nouveau à créer, afin de permettre la continuation et l'entretien des routes.

Il est encore une objection sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre. En soi, le droit de barrière n'a rien d'illégitime : c'est la rémunération d'un service rendu.

Si l'on veut empêcher que des routes ne se créent par des associations ou par des particuliers, on atteint le but en supprimant le droit de barrière ; mais alors il faut que désormais les chemins ne soient plus exécutés que par l'autorité publique, soit par l'Etat, soit par les provinces, soit par les communes...

M. de Naeyer. - Avec le concours des intéressés.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute, comme cela a lieu actuellement ; mais si la province ou la commune crée une route, il lui faut un revenu pour payer les frais d'entretien de cette route.

Du reste, je ne me prononce sur aucun point. Je ne fais que poser les questions. Je n'indique aucun moyen de solution. Je ne prétends pas qu'il faille maintenir ce qui est, je me borne à signaler les difficultés de la question qui est à résoudre.

Messieurs, on m'a demandé tout à l'heure si le gouvernement se propose de présenter, dans le cours de cette session, une loi sur les sucres. La Chambre a décidé que cette législation serait révisée avant le 31 décembre 1861.

Les motifs qui ont déterminé la Chambre, c'est qu'il importait notamment de constater les effets de la législation nouvelle introduite dans un pays voisin. Or, il faut un certain temps pour constater quels ont été les effets de cette législation, pour pouvoir en tirer des conséquences.

C'est donc pour cela même et par le fait de la décision de la Chambre que je suis obligé d'ajourner une proposition sur ce point. Mais le gouvernement restera fidèle à la prescription qui lui a été imposée par le législateur, en présentant une proposition dans le délai voulu.

Je n'ai rien à dire contre les observations produites par l'honorable M. Jouret dans cette discussion. Je me rallie entièrement aux sentiments patriotiques qu'il a exprimés. Je ferai une observation sur un seul point : c'est qu'il me paraît se hâter un peu de tirer des inductions du dégrèvement opéré sur les canaux.

Le budget des voies et moyens estime à 400,000 fr. la perte du trésor de ce chef. Nous verrons les faits.

Jusqu'à présent il ne s'est pas écoulé un temps assez long pour qu'on puisse juger de l'influence du dégrèvement. Je serais heureux que cette perte fût inférieure à celle que l'on prévoyait. Le chiffre de 400,000 fr. est, du reste, déjà assez considérable.

Si, par la suite, cette perte peut être compensée, nous aurons tous à nous en féliciter.

(page 174) M. Coomans. - Messieurs, je ne puis certes qu'approuver la prudence dont use l'honorable ministre des finances au sujet de l'abolition demandée des barrières. Il veut s’entourer de renseignements ; il veut les mettre sous nos yeux afin que nous puissions prendre une décision en connaissance de cause.

Mais l'honorable ministre me semble avoir un peu exagéré les difficultés, sans doute pour mieux justifier l'ajournement de la question.

J'ai demandé souvent l'abolition des barrières et je crois avoir eu soin chaque fois de dire qu'il ne s'agissait dans mon esprit que des barrières sur les chaussées du gouvernement.

En effet s'il s'agissait hic et nunc de compléter la grande réforme que nous avons en vue, de supprimer les entraves fiscales qui existent aujourd'hui sur toutes les roules, la question serait assez grosse, je le reconnais, et M. le ministre des finances aurait bien raison, non seulement de l'ajourner, mais encore peut-être de nous opposer une fin de non-recevoir.

Je reconnais que l'indemnité qu'il faudrait allouer aux provinces, aux communes et aux particuliers pour le rachat serait telle que nous reculerions peut-être tous devant les nouveaux sacrifices à imposer de ce chef au trésor. Mais comme il ne s'agit en réalité dans ma pensée et dans celle de la plupart de nies honorables collègues qui s'associent à cette demande de réforme, que de la suppression des barrières sur les routes du gouvernement, celui-ci devrait agir, ne fût-ce que pour prêcher d'exemple.

Il me paraît que de cette manière la plus grande partie des difficultés viendrait à disparaître. L'honorable ministre est parfaitement renseigné sur ce que rapportent les routes de l'Etat, et il peut savoir immédiatement si le trésor peut supporter cette perte.

Ce serait un bel exemple donné aux provinces et aux communes et nous agirions ainsi logiquement, ce que nous ne devons laisser échapper aucune occasion de faire.

J'irai peut-être plus loin que l'honorable ministre des finances.

Je ne demanderai pas la suppression des barrières sur les routes qui n'appartiennent pas au gouvernement. Je ne la demanderai pas surtout pour les routes communales parce que si je n'aime pas les barrières j'aime beaucoup les routes et je reconnais que, dans l'état actuel des choses, sans barrières, il n'y'aura point de routes communales.

Il faut à l'agriculture des routes avant tout.

Il faut non seulement que les communes aient intérêt à faire des routes.

Il faut que leur avenir financier soit sauvegardé, et qu'elles aient les moyens d'entretenir les routes faites ou à faire.

Il faut aussi que les particuliers qui ont intérêt à voir construire des routes, aient les moyens de les maintenir en bon état.

Je consens donc, comme à un bien relatif, au maintien des barrières sur les routes qui n'appartiennent pas au gouvernement. Mais quand nous voyous le gouvernement se livrer à de grosses dépenses pour les objets moins intéressants que celui-ci, je n'hésite pas à lui demander le sacrifice de quelques centaines de mille fr. Pour cela, il ne faut pas d'études ; il ne faut que de la bonne volonté ; il suffit de rédiger un petit projet de loi que nous voterons en moins d'une demi-heure ; car il ne peut entrer dans la pensée de personne de maintenir les barrières pour le plaisir de les conserver.

Il y a, dans le discours de M. le ministre des finances, un point très important que je dois relever et c'est surtout pour cela que j'ai demandé la parole.

D'après M. le ministre des finances, l'agriculture serait à peu près désintéressée dans la question des barrières ; ce seraient l'industrie et le commerce qui payeraient la presque totalité de ce péage. Cela est complètement inexact. Ceux qui voyagent le plus sur les routes pavées ce sont les paysans ; ceux qui y opèrent le plus de transports, ce sont les paysans. Or, la presque totalité du transport est sujette au droit de barrière ; il y a quelques exceptions, je ne l'ignore pas ; mais M. le ministre des finances doit savoir mieux que moi que la plupart des voitures de paysans sont soumises au droit de barrière. J'insiste donc sur ce joint que le principal intérêt à sauvegarder, en ce qui concerne les barrières, c'est l'intérêt de l'agriculture et c'est précisément au nom de l'agriculture que je demande la suppression des barrières, de cet abus d'un autre âge.

Du reste, si l'industrie et le commerce se présentaient comme le plus intéressés à la suppression du droit de barrière, je ne leur donnerais pas de démenti ; je me réjouirais, au contraire, de ce nouvelle appoint d’influence en faveur de la suppression des barrières ; et je crois qu'alors nous serions à peu près unanimes pour décréter cette suppression. Il ne peut y avoir qu'une seule opposition à ma proposition ; c'est celle de M. le ministre des finances, au point de vue du trésor ; mais je n'attends pas cette opposition de la part du ministre qui a eu l'honneur d'attacher son nom à la suppression des octrois.

Puisque je suis au chapitre des suppressions, et ce chapitre est selon moi, très important, car le progrès de la liberté ne gît que dans les suppressions, je demanderai aussi, et ce n'est pas la première fois, la suppression des droits de sortie sur différentes marchandises et notamment sue les chiffons (interruption), oui, sur les chiffons, la propriété, presque la seule propriété du pauvre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je répète encore une fois que je n'émets pas d’opinion sur la question ; et, en réalité, je n’en ai pas.

M. Coomans. - Cela m'étonne de votre part.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cependant ainsi.

M. Coomans. - Vous n'avez pas le droit de n'avoir pas d'opinion.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous demande pardon.

M. Coomans. - C'est un compliment.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous êtes bien bon ; mais j'ai le droit de douter ; c'est le commencement de la sagesse. Ah ! si je pouvais me borner à poser la question comme le fait l'honorable membre, je pourrais probablement me former une opinion immédiate. S'il ne s'agissait que de trouver à remplacer les 1,600,000 fr. que donne aujourd'hui le produit des barrières, la question ne serait pas très difficile à résoudre.

Mais je ne puis admettre qu'il soit possible de poser ainsi la question et de la résoudre dans ces conditions ; une telle solution serait évidemment injuste. Toutes les propriétés bordant les routes créées par l'Etat se trouveraient exemptées du droit de barrière ; tandis que toutes les propriétés bordant des routes créées par les provinces, pat les communes et par les particuliers, payeraient le droit de barrière. Cela serait injuste ; cela serait inacceptable.

La solution doit être complète pour tous, et cela pour d'autres raisons encore que les raisons de justice que je viens d'indiquer ; c'est que, si une route de l'Etat est plus longue qu'une route concédée avec barrière ou qui serait à créer avec barrière, il est évident que cette route concédée ne sera plus parcourue, ou que la route projetée ne sera pas créée ; on suivra la route de l'Etat, où il n'y aura plus de barrière, et ainsi le but principal que veut atteindre l'honorable membre, celui de poursuivre l'extension des routes, se trouvera, par cela même, singulièrement entravé, et beaucoup plus qu'il ne le pense.

Il est donc évident qu'en se plaçant au point de vue de l'honorable membre, la solution ne pourrait pas, quoi qu'il en dise, être acceptée par la Chambre ; c'est dans son ensemble que cette question doit être examinée.

Un des grands vices du système actuel des barrières, indépendamment de la confusion qui existe en cette matière, c'est que chaque produit de barrière est un cabaret. Voilà véritablement le vice capital du système des barrières. On oblige les voituriers à s'arrêter à chaque barrière, et à chaque barrière, ils sont tenus de faire une consommation.

M. de Naeyer. - Pas tenus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela est ainsi, en réalité.

- Plusieurs membres. - Oui ! oui ! c'est ainsi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et il est bien probable que le produit réel des barrières est inférieur à la somme qui est versée dans les caisses de l'Etat. (Interruption.) Oui, parce que les barrières sont reprises par les amateurs en vue du bénéfice qu'ils retireront du cabaret.

- Plusieurs voix. - C'est ainsi !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du reste, Du reste, j'ai pu constater, même à la suite de la suppression des octrois, que les voituriers étant moins tenus de s'arrêter à l'entrée des villes, il en est résulté une dépréciation du produit des barrières.

Messieurs, en Angleterre, à l'exception de routes considérées comme voies stratégiques, toutes les autres oui été créées par des associations, par des particuliers, et avec droit de barrière.

Eh bien, dans le système de l’honorable M. Coomans, qu'il a souvent défendu et non sans raison dans cette Chambre, de laisser faire, autant que possible, aux particuliers ; de décentraliser et de laisser à l'activité industrielle tout ce qu'elle peut faire sans que l'Etat s'en mêle, dans ce système, dis-je, il faudrait maintenir les barrières.

(page 175) M. Coomans. - Certainement !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et vous en demandez la suppression !

M. Coomans. - Sur les routes de l'Etat seulement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, mais je viens d'expliquer que toutes les parties de la question se lient si intimement entre elles, que les barrières ne pourraient être supprimées sur certaines routes sans l'être également sur toutes les autres. Cela me paraît incontestable. Je répète que les faits devraient être préalablement connus ; on parle de cette question sans l'avoir examinée, et on ne possède pas les éléments nécessaires pour se livrer à ce travail ; personne ne les possède. Je les ai fait réunir ; quand j'aurai terminé, je soumettrai un rapport complet à la Chambre ; et quand ce rapport aura pu être étudié, chacun pourra se faire une opinion en connaissance de cause. Mais, encore une fois, je n'ai pas, à l’heure qu'il est, de système à proposer à la Chambre ; quand le travail dont je viens de parler sera terminé, je me réserve de me prononcer, et si je trouve un système préférable à celui qui existe, je tiendrai à honneur de le proposer à la Chambre.

M. Coomans. - Je ne suis guère en dissidence, la Chambre s'en aperçoit, avec l'honorable ministre des finances. Toutefois j'ai quelques points à noter. Dès qu'on m'objecte qu'une proposition que je fais est injuste, je suis particulièrement sensible à un pareil reproche, j'éprouve, le besoin de me justifier. M. le ministre soutient qu'il serait injuste d'abolir les barrières sur les routes de l'Etat en les maintenant sur les autres routes.

Je ne conçois pas qu'on puisse dire qu'on commettrait une injustice vis-à-vis des riverains des routes à barrière, si l'on se bornait à abolir les barrières sur certaines routes, les routes de l'Etat, en les laissant subsister sur certaines autres ; car si cela était, il serait bien plus injuste de créer des routes.

Vous reconnaissez tous, ce qui est évident, que la création d'une route est un grand avantage pour les populations riveraines, avantage auquel ne participent pas d'autres populations trop éloignées pour s'en servir.

Si vous ne considérez pas cela comme une injustice, vous ne pouvez pas non plus considérer comme une injustice l'abolition des barrières sur certaines routes. Ah ! si les riverains de routes à barrières aimaient mieux n'avoir pas de routes que d'avoir un péage à acquitter, je concevrais votre thèse, mais comme on préfère une route à barrières à l'absence de route, vous ne faites aucun tort aux populations rurales, en supprimant les barrières sur les routes de l'Etat ; vous favoriserez les voyageurs circulant sur les routes où les barrières seront abolies et voilà tout ; vous ne pouvez faire que ce qui est en votre pouvoir. Il est en votre pouvoir de prendre une mesure qu'en principe vous trouvez équitable, sensée. Mais dire que l'application partielle en serait injuste, je n'admets pas cet argument.

Vous n'êtes pas, pouvez-vous dire, dans la position de pouvoir supporter un déficit de 1,600,000 fr., cela est soutenable, c’est une autre question ; mais ne parlez pas d’injustice. Je répète que s’il était injuste de supprimer le droit de barrière sur les routes de l’Etat seulement, il serait injuste de créer des routes, et l’on arriverait à une conclusion absurde. Les deux questions se lient. A fortiori il serait injuste de créer des routes nouvelles, comme c’est même une bonne chose, vous en créez partout, il ne serait pas injuste d’abolir les barrières sur vos routes puisque vous les abolirez sur toutes.

Si seulement vous les abolissiez sur les routes des Flandres et du Luxembourg, par exemple, en les maintenant sur les routes des autres provinces, vous manqueriez aux principes de la justice distributive ; mais comme vous abolissez les barrières sur toutes les routes que vous administrez, vous faites un acte logique et de bonne administration.

M. Magherman. - Je prie M. le ministre de vouloir bien comprendre dans les investigations auxquelles il va se livrer ce qui se passe dans les pays étrangers en semblable matière ; en France notamment il n'existe pas de barrières, cependant la grande voirie et la voirie vicinale, du moins dans certains départements, n'ont pas reçu moins d'extension qu'en Belgique.

Je ne veux pas me prononcer sur le système, dire que le système français est supérieur au nôtre, mais je dis : Examinons pour voir s'il n'y a pas quelque chose à prendre dans ce qui se pratique à l'étranger pour arriver au but que nous voulons atteindre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous examinons ce qui se passe en Angleterre, en France et en Allemagne.

M. de Lexhyµ. - Je reconnais toutes les difficultés que soulève cette grave question. L'honorable M. Coomans s'est élevé contre la qualification d'injuste que l'honorable ministre des finances a infligée au système qu'il vient de développer. Cette qualification est, selon moi, méritée. Abolir les barrières sur les routes de l'Etat et les maintenir sur les routes provinciales et vicinales, constitue un système d'une injustice flagrante.

Il me sera facile de le démontrer : supposons une localité traversée par une grand-route ; c'est là, je pense, un avantage incontestable qui amène, en résultat final, une grande somme de richesses dans cette localité par les facilités commerciales qui lui sont accordées. Notons, en passant, que cette localité obtient cet avantage sans bourse délier. Supposons maintenant une autre localité éloignée d'une grand-route, et c'est là la condition ordinaire, qui a dû construire, à grands frais, des tronçons de chemins vicinaux qui très souvent ne la relient à aucune voie de grande communication. Cette localité, pour entretenir ce qui lui a tant coûté, place des barrières sur ses chemins, et s'impose ainsi un nouveau sacrifice.

Mettez en parallèle ces deux situations et vous reconnaîtrez qu'il y a déjà une grande inégalité entre la localité qui possède une grand-route et celle qui n'en possède pas. Cette inégalité, il est vrai, résulte fatalement de la force même des choses et nous ne pouvons rien y faire. Mais si à ce bienfait venait s'adjoindre l'autre avantage de l'exonération des barrières sur la grand-route seulement, je dis qu'alors cette inégalité revêtirait le caractère du privilège. Ce serait là une suprême injustice, contre laquelle je proteste énergiquement, au nom de la masse de mes commettants.

Eh quoi, les populations rurales qui n'ont que des chemins vicinaux sur lesquels on a établi des barrières, ces populations qui ont fait tant de sacrifices, seraient encore astreintes à payer les intérêts de leurs capitaux dépensés pour la construction des chemins, car les barrières représentent les intérêts du capital de construction.

Non, ce serait un privilège en faveur des communes possédant des grand-routes et je repousse tout privilège.

La réforme doit être complète, absolue et elle doit embrasser toutes les catégories de chemins. Qu'eût-on dit, si on était venu proposer d'abolir l'octroi seulement dans les grandes villes et de le laisser subsister dans les petites villes ? C'eût été absurde et inique. Il en serait de même dans cette matière, si la réforme n'était pas complète. Quant à moi, je le déclare hautement, pas d'abolition des barrières, plutôt qu'une abolition partielle. C'est là aussi, du reste, le sentiment de l'honorable ministre des finances, qui trouve que l'abolition doit être complète, pour être équitable. Evidemment, en abolissant les barrières, on enlève aux communes une source de revenus destinés à l'entretien de la voirie ; mais il va sans dire qu'il sera du devoir de l'Etat de se charger de ce service public. On ne pourrait supprimer le revenu, sans assumer les charges. C'est là un des côtés ardus de cette grande question.

Je ne demande pas une solution immédiate, parce qu'elle est impossible : il me suffit de savoir que le gouvernement examinera attentivement cette matière et qu'il nous soumettra toutes les données nécessaires pour porter un jugement éclairé et équitable sur cette question.

Je finis en disant de nouveau que j'appelle de tous mes vœu ce nouveau bienfait pour les campagnes : mais je ne veux que d'une réforme complète. Si l'honorable M. Coomans formulait la proposition d'abolir les barrières sur les grand-routes seulement, je la combattrais énergiquement et je regrette de voir l'un des défenseurs les plus zélés des intérêts ruraux, défendre aussi mal, cette fois, une cause commune.

M. Coomans. - Je m'étonne de l'observation que vient de faire l'honorable M. de Lexhy, après l'explication que j'ai donnée de ma manière de voir. J'ai dit que je voulais le maintien des barrières sur les petites routes, parce que les communes et les particuliers, s'il n'y avait pas de barrières, non seulement ne feraient plus de routes, mais ne pourraient pas entretenir celles qui existent.

Comme je considère la vexation du droit de barrière comme de beaucoup inférieure à l'avantage que les populations rurales retirent des toutes, et comme je suis logique, que voulant la fin je veux les moyens, dans l'intérêt des populations rurales, je demande le maintien du droit de barrière. Ce n'est pas tout de faire des routes, il faut qu'elles soient bien entretenues. Il ne s'agit pas d'avoir des routes sur le papier, il faut avoir des routes bien solides et en bon état. Or qui entretiendra les petites routes, sinon les communes et les particuliers ? Passe encore pour les provinces qui seront peut-être assez riches pour entretenir leurs routes sans le secours du produit des barrières, passe (page 176) pour le gouvernement qui est très riche, trop riche, comme l'a démontré tout à l'heure l'honorable M. Jouret.

Prouvez-moi que les communes sont assez riches pour faire des routes et les entretenir sans barrières, je m'en applaudirai et je supprimerai avec vous toutes les barrières, car l'amour des barrières est un amour si malheureux, si excentrique que je suis humilie de m'en voir accusé. Mais le reproche de l'honorable M. De Lexhy tombe devant l'évidence.

M. de Lexhyµ. - En proposant l'abolition des barrières, c'est-à-dire l'expropriation du revenu que les barrières donnent aux communes, il est évident que j'entends que, comme chaque fois qu'il y a expropriation, il y ait indemnité. Si le gouvernement enlève aux communes cette ressource, il est logique, il est rationnel qu'il les indemnise. Ainsi l'objection de l'honorable M. Coomans vient à tomber : il serait inutile d'insister sur ce point, tellement il me paraît clair.

M. Orts. - La grande réforme que nous avons accomplie en supprimant les octrois dans le courant de la session dernière, a attiré tout naturellement l'attention de la Chambre et du pays sur des réformes ultérieures analogues que nous avons le droit d'espérer, et qui ne seraient ni moins justes, ni moins utiles. Mais l'obstacle à toutes les réformes naît du désir où l'on doit se trouver de maintenir au trésor une bonne situation, tout en dégrevant les contribuables.

Pour supprimer des impôts vexatoires ou injustes, il faut trouver les moyens de les remplacer par des ressources qui n'aient pas le même caractère. Voilà toujours la difficulté ; voilà ce qui a compliqué la question de l'abolition des octrois. Voilà ce qui complique la question de la suppression des barrières que, pour ma part, je classe également parmi les impôts onéreux, vexatoires, désagréables aux populations et mal répartis, et qu'il faut supprimer.

Aussi est-il tout naturel que dans la discussion générale du budget des voies et moyens, lorsque d'un côté de cette Chambre, on demande la suppression de certains impôts considérés comme mauvais, d'autres membres complètent la discussion en faisant ce que faisait tout à l'heure l'honorable M. Vander Donckt, en signalant au gouvernement les moyens d'augmenter les ressources du trésor.

On a parlé à ce propos de la redevance sur les mines. Je ne suis pas, messieurs, partisan d'une élévation du chiffre de la redevance sur les mines ; je crois que cet impôt, par sa destination, n'est pas propre à servir de ressource ou d'espèce de vache à lait au trésor public. J'estime, d'autre part, qu'il est également dans la catégorie des impôts trop mal répartis pour l'exagérer ; il y a cependant quelque chose de juste dans les observations que la redevance sur les mines soulève à peu près chaque année dans cette enceinte, et ce quelque chose de juste, le voici.

L'industrie qui consiste dans notre pays à tirer parti des richesses minérales, est une industrie prospère. Elle concourt à supporter les charges du trésor dans une mesure qui ne répond pas à sa prospérité, qui ne répond pas aux bénéfices qu'elle rapporte à ceux qui l'exploitent. Sans vouloir rien exagérer, on peut dire que, sous ce rapport, elle est dans une situation meilleure que beaucoup d'autres branches du travail national. (Interruption). On ne peut nier de bonne foi que l'industrie métallurgique, que l'industrie charbonnière, l'exploitation houillère, par exemple, soit chez nous dans une voie de prospérité.

Je sais bien que cette industrie présente de grandes chances de perte, que beaucoup de gens y ont perdu beaucoup d'argent, comme l'a dit avec raison M. le ministre des finances ; mais il est incontestable qu'aujourd'hui, la situation générale de cette industrie est satisfaisante. Elle lutte parfaitement avec les produits étrangers et sur le marché intérieur et sur les marchés extérieurs, et il n'y a pas beaucoup de nos industries qui soient dans cette situation.

Je me suis souvent demandé si la richesse minérale du pays ne pouvait pas venir en aide aux besoins du trésor public par un autre procédé que l'augmentation de la redevance sur les mines, et je crois, après mûre réflexion, qu'il existe peut-être un moyen d'arriver à permettre au trésor de s'enrichir quelque peu, sans nuire à personne, en prenant part à l'exploitation et au développement de nos richesses minérales. Lorsque l'on se préoccupe des besoins du trésor et d'une meilleure et plus fructueuse répartition de l'impôt, on en vient nécessairement à rechercher non pas le moyen de faire produire plus aux impôts existants, ce qui serait parfait si ces impôts étaient parfaits eux-mêmes, mais à créer des ressources nouvelles sans grever les contribuables. On s'en préoccupe non seulement en Belgique, mais ailleurs, chez nos voisins. J'ai entendu parler du monopole des assurances obligatoires au profit de l'Etat, de la suppression de la succession ab intestat au-dessous même du dixième degré, en vue d'augmenter le produit des successions en déshérence du monopole des tabacs et vingt autres moyens de cette espèce, la plupart fort peu pratiques.

Eh bien, au risque d'augmenter cette liste de moyens peu pratiques, j'attirerai l'attention du gouvernement sur un autre point.

Le gouvernement verrait-il des inconvénients, dans l'état actuel des choses, à réserver désormais à la nation la propriété des mines non actuellement concédées en Belgique, de façon que le gouvernement ne concède plus ultérieurement d'exploitation que moyennent un sacrifice d'argent à son profit de la part du concessionnaire, faisant, en un mot, ce que fait le propriétaire qui loue son bien, exigeant un tantième sur la vente des produits extraits ou sur l'extraction brute.

Ce n'est pas là une idée bien neuve ni une idée exorbitante. Elle n'est pas neuve, car, dans la majeure partie de notre pays, avant la domination française, l'autorité concédait dans ces conditions. Elle concédait l'exploitation d'une mine à charge de payer une redevance qui variait du 20ème au 5ème des produits vendus ou extraits, et elle trouvait des concessionnaires qui exploitaient dans ces conditions et sans se ruiner le moins du monde.

Aujourd'hui même, messieurs, un grand nombre de propriétaires de concessions de mines très étendues, morcèlent leur exploitation dans ces conditions et trouvent des locataires qui exploitent une partie de la concession, moyennant un tantième sur la vente des produits extraits. On peut donc exploiter fructueusement la richesse minérale dans ces conditions.

L'Etat, se réservant la propriété des mines qui ne sont pas encore concédées pour en tirer parti dans ce sens à l'avenir, ne serait injuste pour personne. Je sais bien qu'une fiction de nos lois présente ta propriété minérale comme un accessoire, un appendice de la propriété de la superficie. Mais c'est là une fiction, c'est un mot ; ce n'est pas une réalité.

Aucun propriétaire ne demande la concession des mines gisant sous sa propriété foncière ; aucun ne réclame à son profit le bénéfice de la loi, parce que tout le monde sait parfaitement qu'il faut, pour qu'une exploitation de mines soit productive, qu'elle s'étende sous une quantité assez considérable de propriétés foncières, et la propriété est trop morcelée en Belgique, pour qu'un propriétaire puisse exploiter la mine qui se trouve sous son fonds.

Il n'y aurait donc pour le propriétaire de la superficie, auquel, du reste, on pourrait comme aujourd'hui payer une indemnité, une redevance, ni perte matérielle ni lésion de droit à supprimer ce qui n'est qu'un mot dans la loi.

Messieurs, cette question n'est pas neuve, je vous prie de le croire, ni en pratique ni en théorie. Elle a été soulevée dans la Chambre belge, par l'honorable M. Rogier dès 1834 ou 1835.

- Un membre. - En 1857.

M. Orts. - Mettons en 1837. Je constate seulement que la paternité du système ne m'appartient pas, je n'ai pas ce mérite. L'honorable M. Rogier a donc pris l'initiative de l'idée. Eh bien, si, depuis 1837, ce système avait été mis en pratique chez nous, les ressources du trésor se seraient considérablement accrues et l'activité individuelle en tant qu'elle se dirige vers l'exploitation des richesses minérales, n'aurait été en rien entravée ; la prospérité de l'industrie minière, en un mot, serait ce qu'elle est aujourd'hui.

On a fait une objection. On a dit : « Cela ne vaut plus la peine ; toutes les richesses minérales du pays sont aujourd'hui concédées. »

Je crois qu'il y a beaucoup d'exagération dans cette réponse et je n'en veux pour preuve que le nombre considérable de concessions que nous voyons accorder ou refuser par le gouvernement et qui figurent au Moniteur.

Remarquons en outre, en jetant un coup d'œil sur le passé, que les propriétés minières concédées ne sont pas, sur tous les points du pays, et surtout dans les parties du pays les plus riches en cette matière, aussi absolues qu'un examen superficiel le pourrait faire supposer.

Les concessions ne sont pas données partout à toute profondeur. Dans une grande partie du pays, les couches supérieures seulement sont concédées ; les couches inférieures sont encore à la libre disposition de concessionnaires futurs. Eh bien, cette richesse, on nous en demandera bientôt la concession, et la valeur en sera augmentée par la concurrence qui s'établira pour l'obtenir entre les exploitants des couches supérieures et d'autres demandeurs. Vous voyez donc, messieurs, que, sous ce premier rapport, il y a encore quelque chose à faire.

Il y a plus. Je ne viens de parler que des mines de charbon, mais le progrès de l'exploitation même ne tardera pas à nous amener des demandes en concession pour des mines de fer; eh bien, ces concessions, (page 177) pourquoi les donner encore gratuitement ? Il me semble que si l'Etat devenait ainsi propriétaire d'une richesse, qui, en définitive, lui appartient comme tout bien vacant, vous trouveriez là une ressource et vous n'auriez pas à la demander à l'impôt déjà si lourd pour le contribuable.

Voilà, messieurs, un moyen de répondre aux objections que l'on fait à la redevance des mines et qui consistent à dire que l'industrie minière ne contribue pas suffisamment aux charges publiques.

Et il y a quelque chose de vrai encore, à ce dernier point de vue, dans cette objection. Sans doute la propriété minière paye un impôt qui se rapproche de l'impôt foncier dans la mesure indiquée par M. le ministre des finances ; mais on oublie que la propriété foncière supporte non seulement la redevance qu'on appelle impôt foncier, mais encore les droits de mutation et de succession de toute espèce auxquels la propriété minière échappe complètement. Elle n'est pas même soumise au droit de patente qui frappe toutes les industries. La propriété minière, par son caractère perpétuel et indivisible, par l'interdiction de la vendre sans le consentement du gouvernement ni de la morceler, ne paye jamais les droits de mutation que supporte la propriété foncière.

Je vous soumets, messieurs, cette idée. J'en suis persuadé, elle rencontrera des contradicteurs, mais elle me semble mériter néanmoins votre attention tout autant que le monopole du tabac.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant soumet ici même une idée qui, comme il l'a reconnu, n'est pas neuve, qui a déjà été discutée et qui a été résolue par la Chambre. Elle l'a été à une époque où il était beaucoup plus opportun de l'examiner qu'aujourd'hui : c'est lorsqu'on a fait la loi sur les mines en 1837. A cette époque, beaucoup de concessions restaient encore à donner ; la proposition pouvait avoir alors une utilité pratique, réelle, sérieuse.

Mais, depuis 1837 jusqu'aujourd'hui, toutes les concessions ont été données ; il n'en existe, pour ainsi dire, plus à donner.

M. Orts. - On vient encore d'en rejeter une.

M. le ministre des financesµ. - Sans doute, il y a quelquefois des demandes de concession là où il n'y a pas de mines, mais alors l'administration constate qu'il n'y a pas de mines et rejette la demande.

L'administration des mines est précisément instituée pour constater qu'il y a une exploitation sérieuse à faire. Il ne faut pas engager les particuliers à porter leurs capitaux dans des affaires impossibles. Si l'on découvre quelque nouveau bassin houiller, chose bien peu probable dans notre pays, alors on pourrait peut-être appliquer le principe de l'honorable préopinant ; je n'y verrais pas, je dois le dire, grand inconvénient ; mais je n'y verrais pas non plus grand avantage. Pourquoi pousse-t-on à l'exploitation des richesses minérales ? C'est dans l'intérêt public.

Or, que constate-t-on alors que l'on donne des concessions gratuitement ? On constate que l'on enfouit une quantité énorme de millions dans la terre, et que ces millions produisent très peu. Vous savez, messieurs, quel est l'intérêt moyen des capitaux engagés dans les mines : la statistique des mines l'indique, il n'atteint pas 5 p. c.

C'est l'industrie la plus désastreuse du pays ; car, je le répète, on y mange le fonds avec le revenu.

Voilà la réalité de la situation ; mais il en est des mines comme de beaucoup d'autres choses : on ne voit que ceux qui prospèrent ; on n'aperçoit pas ceux qui succombent ; on voit ceux qui sont en évidence, mais on n'aperçoit pas le sol jonché de cadavres, on ne sait pas que, dans cette bataille de l'industrie, il n'y a que quelques survivants.

Je ne pense donc pas que l'on pourrait arriver à un résultat utile par le procédé qu'indique l'honorable préopinant.

On a parlé également de la concession des mines de fer. Eh bien, messieurs, je crois que le jour où l'on arriverait à devoir concéder les mines de fer, on se garderait bien d'imposer des conditions onéreuses aux exploitants ; quand cette situation se présentera, elle sera excessivement fâcheuse pour le pays et il s'agira de donner des encouragements à ceux qui voudront bien enfouir leurs capitaux dans des mines de fer situées à une grande profondeur. Les capitaux peut-être ne se présenteraient pas pour une pareille industrie.

H faut, messieurs, se faire une juste idée de ce que sont l'industrie métallurgique et l'industrie des mines, avant de chercher à leur imposer des conditions onéreuses. Si un seul propriétaire possédait l'ensemble des exploitations houillères du pays, il y renoncerait immédiatement. Mais il y a là division ; les uns réussissent, d'autres échouent ; les succès font naître de grandes espérances qui ne se réalisent presque jamais, et c'est uniquement pour cela que vous avez des exploitations de mines ; sans l'espoir de gagner le gros lot à cette loterie, l'industrie des mines n'existerait plus en Belgiqueµ.

- La Chambre passe à l'examen des articles.

Discussion du tableau des recettes (I. Impôts)

Contributions directes, douanes et accises

Impôt foncier

« Principal : fr. 15,944,527.

« 3 centimes additionnels ordinaires : fr. 478,335.

« 2 centimes additionnels pour non-valeurs, : fr. 318,890.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,594,452.

« 3 centimes additionnels supplémentaires sur le tout : fr. 550,086.

« Total : fr. 18,886,290. »

- Adopté.

Personnel

« Principal : fr. 9,400,000.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 940,000.

« Total : fr. 10,340,000.

- Adopté.

Patentes

« Principal : fr. 3,600,000

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 360,000.

« Total : fr. 3,960,000. »

- Adopté.

Droit de débit de boissons alcooliques

« Droit de débit de boissons alcooliques : fr. 1,150,000. »

- Adopté.

Droit de débit des tabacs

« Droit de débit des tabacs : fr. 185,000. »

- Adopté.

Redevances sur les mines

« Principal : fr. 480,000.

« 10 centimes additionnels ordinaires pour non-valeurs : fr. 48,000.

« 5 centimes sur les deux sommes précédentes, pour frais de perception : fr. 26,400.

« Total : fr. 554,400.

- Adopté.

Douanes

« Droits d’entrée : fr. 14,000,000.

« Droits de sortie : fr. 25,000.

« Droits de tonnage : fr. 680,000.

« Total : fr.14,705,000. »

M. de Renesse. - Messieurs, sur une interpellation que j'ai eu l'honneur d'adresser, dans la dernière session, à l'honorable ministre des finances, par rapport au retard qu'éprouvait la présentation d'un projet de loi de révision générale de notre tarif douanier, M. le ministre, dans la réponse qu'il a bien voulu nous faire, à la séance du 9 décembre 1859, nous avait fait espérer que ce projet, attendu depuis longtemps, aurait pu être présenté dans le courant de la session passée ; néanmoins, j'ai vu avec regret que dans le projet de discours du trône, que l'honorable M. le ministre de l'intérieur nous a communiqué dans une séance précédente, il n'y est fait aucune mention d'un prochain dépôt de ce projet de loi de révision générale de notre régime douanier, si défectueux et qui n'a plus de raison d'être maintenu, surtout depuis que nous avons supprimé toutes nos douanes intérieures, par l'abolition des droits d'octroi, et que nos voisins s'empressent de modifier pareillement leurs tarifs douaniers dans un sens plus libéral.

Je crois donc, de nouveau, devoir insister auprès de l'honorable ministre des finances pour que ce projet de révision qui, déjà, aurait dû être présenté pendant la session législative da 1857-1858, d'après la promesse faite par le ministre d'alors, ne soit plus ajourné indéfiniment, au grand détriment des intérêts du trésor et de la masse des consommateurs.

J'aurai l'honneur de demander à M. le ministre des finances les motifs de la non-présentation de ce projet de loi ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. de Renesse a perdu de vue que les négociations que nous avons entamées avec la France ont modifié la situation ; que, par suite du système nouveau qui a été adopté en France, nous devons nécessairement attendre (page 178) le résultat de ces négociations, avant de nous prononcer sur le régime douanier qu'il convient de faire à la Belgique.

La réforme du tarif des douanes sera la conséquence inévitable du traité que nous négocions en ce moment avec la France. Evidemment, nous ne pouvons pas présenter un projet de loi pour réformer notre tarif douanier, au moment où nous négocions avec cette puissance.

M. de Renesse. - Messieurs, je ne puis, toutefois, admettre les raisons données par l'honorable ministre des finances pour la non-présentation actuelle du projet de loi de révision générale de notre tarif douanier.

Aujourd'hui le traité à conclure avec la France est la cause du retard apporté à la présentation de ce projet de loi ; l'année prochaine il y aura peut-être un traité à faire avec le Zollverein, et la question de cette réforme sera encore ajournée, et peu après il en sera de même, lorsqu'il s'agira de négocier avec la Chine.

Lorsqu'on a cru devoir retirer toute protection douanière à l'industrie agricole, il n'était pas question alors d'attendre les négociations avec d'autres pays pour opérer la retraite de toute protection à l'agriculture, et lorsqu'il s'agit maintenant des autres industries du pays, l'on cherche toujours à ajourner l'examen de la révision générale de notre tarif si défectueux ; voilà, cependant, plus de dix ans que cette question est à l'étude ; elle devrait enfin pouvoir être terminée, dans l'intérêt du trésor public et de nos nombreux consommateurs. Nous ne demandons pas que l'on retire immédiatement toute protection à l'industrie nationale. Ce que nous voulons, c'est que ces droits douaniers deviennent successivement des droits purement fiscaux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. de Renesse ne me paraît pas avoir bien saisi ma pensée. Il n'y a pas ajournement, parce que nous aurons successivement des traités à faire, mais parce que nous négocions en ce moment un traité avec un pays voisin. Manifestement, il est impossible, quant à présent, de présenter un projet de révision du tarif à la Chambre.

Maintenant, lorsque le traité que nous négocions avec la France aura abouti, comme nous avons lieu de l'espérer, on aura nécessairement et par cela même une réduction des droits, car les traités ont particulièrement pour objet de faire réduire les tarifs douaniers. Après cela, il y aura à examine .s'il ne faut pas traiter avec d'autres puissances pour obtenir également, au prix des mêmes concessions, des abaissements de droits de douanes, ou bien s'il faut opérer par l'application générale des tarifs qui auront été fixés par le traité.

Voilà quelle sera la situation ; en toute hypothèse, la conséquence de la négociation, c'est l'abaissement du tarif douanier.

M. Coomans. - Pas plus que l'honorable M. de Renesse, je ne me déclarerai satisfait des dernières explications de M. le ministre des finances. Il me semble même que les négociations pendantes avec la France viennent fort à point pour justifier une nouvelle fin de non-recevoir à la demande que plusieurs d'entre nous font annuellement ici depuis 10 à 12 ans. Depuis 10 à 12 ans, on nous promet une réforme douanière sérieuse, complète et non pas quelques petites modifications de détail.

Je reconnais que des négociations avec n'importe quel pays voisin peuvent faire ajourner une réforme partielle et provisoire du tarif douanier. Mais il s'est agi de toute autre chose ; il s’est toujours agi, dans la pensée de tout le monde, de réparer une criante injustice, de mettre, autant que possible, les diverses branches du travail national sur la même ligne, de faire cesser une iniquité flagrante qui est inscrite aujourd'hui dans notre Code douanier. Cette iniquité consiste en ce que plusieurs de nos industries, et ce ne sont pas les moins riches, jouissent d'une protection douanière qui varie de 50 à 100 p. c, tandis que d'autres industries, certes non moins intéressantes, ne jouissent d'aucune espèce de protection douanière.

Et j'admire qu'on vienne m'opposer la justice, quand je demande la suppression des barrières sur les routes du gouvernement. « Impossible, nie dit M. le ministre des finances, parce que nous devons traiter toutes nos populations de la même manière ; nous ne pouvons pas laisser peser le droit de barrières sur une partie de nos populations rurales, alors que d'autres parties seraient dégrevées de cette charge. »

Et cependant vous vous accommodez parfaitement de ce que j'appelle une iniquité flagrante, d'une grande protection douanière maintenue soigneusement en faveur de plusieurs industries, alors que d'autres industries ne jouissent d'aucune protection douanière.

Je le répète, quelles que soient les négociations, avec la France aujourd'hui, avec le Zollverein demain, avec l'Angleterre après-demain, vous pouvez très bien nous apporter ce projet de loi, si souvent promis au nom de l'équité, de la justice et du bon sens, projet de loi qui doit mettre à peu près sur la même ligne tous les travailleurs belges, et réaliser l'égalité des Belges devant la lot de douane comme devant les autres lois. Je dis à peu près sur la même ligne, car je ne réclame pas un traitement égal pour toutes les industries ; je craindrais d'être trop exigeant, si je demandais une justice absolue. Je vous invite de nouveau à exécuter vos promesses. Je sais bien que ce ne sera ni pour aujourd'hui, ni pour l'année prochaine. Mais enfin mon devoir est de répéter sans cesse le même refrain et j'y reviendrai jusqu'à ce qu'on m'entende.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre pourra répéter en effet fort longtemps son même refrain ; mais il n'en deviendra pas plus raisonnable.

M. Coomans. - C'est vous qui n'êtes pas raisonnable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Y aurait-il, dans la situation actuelle, assez de sifflets dans la Chambre et dans le pays pour un gouvernement qui viendrait présenter une réforme du tarif douanier au moment même où il négocie avec un pays voisin ?

M. Coomans. - Je tiens plus à ma réforme qu'à votre traité avec la France.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Que devons-nous dire dans les négociations commerciales ?

Concédez-nous ceci, nous vous concéderons cela.

Or si nous venions demander à la Chambre de dire : Nous accordons gratis à tout le monde ce que nous proposons de faire acheter par nos voisins, croyez-vous que ces voisins attacheraient encore quelque prix à nos concessions.

C'est là toute la question.

L'honorable membre a insisté à diverses époques, non pas toujours avec une grande fixité dans les idées, sur le régime économique qu'il fallait appliquer à la Belgique. Il a persisté à assimiler les industries les plus différentes et à vouloir pour toutes le même traitement.

M. Coomans. - A peu près le même traitement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et selon l'honorable membre, comme l'industrie agricole, car c'est là avant tout sa pensée, ne jouit plus de la belle protection qu'on lui avait donnée dans le temps par l'échelle mobile, l'honorable membre en conclut qu'il faut supprimer le tarif douanier pour les autres industries.

Ou les paroles de l'honorable membre n'ont pas de sens, ou elles signifient ce que j'exprime dans les limites, si l'on veut, de l’à peu près.

Il sera cependant bien obligé d'admettre que, quoi qu'il fasse, il n'y a pas d'assimilation possible entre les industries agricole et manufacturière, et que dans aucun pays on n'assujettira ces industries au même régime.

Peut-être l'honorable membre poursuit-il un idéal. Peut-être y aura-t-il lieu dans l'avenir de faire disparaître toutes les entraves qui existent entre les pays et de les placer sur le pied de la plus parfaite égalité.

Je ne veux pas dire que cet idéal ne se réalisera pas ; mais comme nous sommes obligés en politique de prendre les faits tels qu'ils sont, il faut reconnaître qu'on ne saurait, quant à présent, prendre en considération les idées de l'honorable membre.

M. Coomans. - Je désire rectifier un point que l'honorable ministre des finances persiste à ne pas comprendre, malgré les efforts que je fais pour être clair.

Je n'ai jamais demandé l'assimilation douanière de toutes les industries.

J'ai toujours reconnu que, non pas au point de vue de la justice, mais au point de vue des nécessités pratiques, il y a lieu d'appliquer un traitement différent à l'industrie et à l'agriculture ; mais ce que j'ai toujours dit aussi, et ce que deux honorables ministres, que je vois siéger sur leurs bancs, disaient à une autre époque avec moi, c'est qu'il était inique d'établir une différence énorme entre elles.

Je me rappelle que l'honorable ministre des finances et l'honorable ministre de la justice et peut-être d'autres honorables ministres encore de la même opinion ont toujours présenté notre tarif douanier d'aujourd'hui comme exceptionnel, comme un tarif de circonstance qui devrait être modifié.

Je regrette de n'avoir pas sous les yeux l'excellent discours que l'honorable ministre des finances prononça à l'appui de cette thèse il y a 8 ou 9 ans. Je ne sais si ce discours serait encore autant applaudi aujourd’hui qu'à cette époque, mais il en résultait que bientôt nous aurions une réforme douanière industrielle et qu'il était souverainement injuste de (page 179 maintenir la protection pour certaines industries à l'exclusion d'autres.

Nous étions d'accord sur ce principe.

L'honorable ministre prétend que j'ai varié sur ce point. Bien que cette question offre peu d'intérêt pour la Chambra, je pourrais prouver qu'il n'en est rien.

Je n'ai jamais varié d'un iota sur ce point.

J'aurais pu me tromper, tout en restant parfaitement logique avec mes propositions antérieures, car l'erreur a sa logique aussi ; et j'aurais pu m'amender en variant, car un homme qui varie n'a pas toujours tort, mais la vérité est que je n'ai pas varié là-dessus.

Je me suis toujours placé au point de vue de la justice. J'ai toujours dit à la Chambre : Voulez-vous de la protection ; soit, faisons de la protection, cela ne me répugne pas. C'est un système qui a eu de très beaux résultats. Il a fait de la Belgique ce qu'elle est ; elle en a fait un Etat riche et prospère comme vous l'avouez tous.

Voulez-vous faire de la liberté du commerce ? C'est encore bien. Je crois que l'avenir est à la liberté du commerce.

Mais adoptez un système unique, n'en ayez pas deux ; n'ayez pas en Belgique des travailleurs privilégiés et des travailleurs sacrifiés, et surtout avouez franchement que tous vos retards dans la présentation d'une réforme douanière ne sont pas puisés dans des questions de principe.

C'est tout bonnement un but politique qu'on veut atteindre. Voilà la vérité pure. Par votre protection douanière vous favorisez certains grands centres de population. (Interruption.) Cela est évident. C'est si évident que si l'honorable ministre des finances n'avait pas sur les bras quelque gros centre de population, tel que Gand, il aurait donné suite à ses bonnes conclusions de 1852. (Interruption.)

Il faut parler franchement ; il en est ainsi, nous ne sommes plus dans les principes, mais dans la politique. En maintenant la protection vous faites de la politique de parti. Eh bien, je préfère, moi, les principes à la politique.

J'invoque les principes que vous avez défendus ; ce sont les miens. Ce devraient être ceux de tout le monde parce qu'ils sont basés sur la justice, la loi suprême, celle qui devrait dominer toutes les considérations d'utilité, de convenance ou de favoritisme.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je tiens à dire que mes principes ne sont pas ceux de l'honorable membre, pas plus en matière économique qu'en politique.

En matière économique, j'ai combattu l'honorable membre sur la question de la prétendue protection agricole. Il voulait la protection agricole.

M. Coomans. - Aussi longtemps qu'il y avait une protection industrielle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non pas ; le système protecteur vous avait pour défenseur ; vous étiez alors pour la prohibition.

M. Coomans. - Jamais.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous êtes un peu modifié depuis, mais en annonçant que vous vouliez pousser à l'expérience d'un système de liberté que vous condamniez.

J'ai donc combattu les idées de l'honorable membre.

Lorsque nous avons commencé la démolition du régime des droits différentiels, nous avons encore rencontré pour adversaire l'honorable membre, il était favorable au système des droits différentiels, dont nous poursuivions la destruction.

Nous avons aussi proposé la suppression de presque tous les droits de sortie et, cette fois encore, nous entrions dans un système différent de celui que défendait l'honorable membre.

Depuis, des réformes importantes ont été introduites dans les tarifs. On a abaissé notablement les droits sur un grand nombre de matières premières. Le tarif est presque complètement réformé sous ce rapport.

Il reste à réformer une autre partie du tarif qui s'applique à diverses industries manufacturières.

M. Coomans. - Les plus grosses.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas précisément. Nous avons réglé la question de l'industrie métallurgique ; nous avons réglé la question de l'industrie houillère. Il reste à régler certains articles d'industrie manufacturière. Cela est vrai ; mais pour ceux-ci, comme pour ceux-là, agissant dans le même esprit, nous saurons faire des réformes sans jeter la perturbation dans les intérêts, sans mettre en péril les conditions du travail dans le pays.

L'honorable membre, et c'est le dernier mot qui explique le mieux sa pensée, s'est imaginé que nous étions arrêtés par la question politique, que la réforme du tarif douanier était entravée par l'industrie gantoise, qui s'opposerait prétendument à toute espèce de réforme. C'est bien là ce que vous avez essayé de faire entendre.

Or, messieurs, nous aurons précisément, comme conséquence des négociations avec la France et pour cette année même, à voir si les suppositions de l’honorable membre sont fondées ou si elles ne le sont pas. On verra alors si nous reculons devant la nécessité de faire, même sous ce rapport, les réformes qui sont commandées par l’intérêt public. J’espère que cette explication paraîtra assez catégorique, et que l’honorable membre renoncera à ses suppositions malveillantes à l’égard du cabinet.

La réforme ne sera entravée par aucune espèce de considération, et je sais d'ailleurs que les industriels gantois, fort intelligents, seront les premiers à reconnaître qu'il y a nécessité de modifier les tarifs actuellement en vigueur en Belgique.

Quand on voit s'opérer-dans d’autres pays de grandes modifications de tarifs ; quand on voit la France elle-même abandonner ce système de protection qu’elle a maintenu si longtemps, ce ne sera certainement pas la Belgique qui donnera le mauvais exemple de la persévérance dans un système qui ne défend pas, en réalité, les intérêts qu’il a la prétention de protéger.

- L'article douanes est mis aux voix et adopté.

Accises

« Sel : fr. 5,075,000.

« Vins étrangers : fr. 2,000,000.

« Eaux-de-vie indigènes : fr. 5,500,000. »

« Eaux-de-vie étrangères : fr. 190,000.

« Bières et vinaigres : fr. 8,680,000.

« Sucres de canne et de betterave : fr. 3,330,000.

« Glucoses et autres sucres non cristallisables : fr. 15,000.

« Ensemble : fr. 24,790,000. »

- Adopté.

Garantie

« Droits de marque des matières d'or et d'argent : fr. 225,000.

M. Van Humbeeckµ. - Une de vos sections a appelé l'attention de la section centrale sur l'inconvénient qu'il y a de laisser circuler dans le pays des matières d'or et d'argent fabriquées à l'étranger à un titre inférieur à celui qui est imposé dans le pays. La section centrale, prenant en considération l'observation qui lui était présentée par cette section, a posé au gouvernement ; la question suivante :

« Est-il vrai que les matières d'or et d'argent fabriquées à l'étranger peuvent circuler en Belgique à un titre moindre que celles qui sont fabriquées dans le pays ? »

Voici la réponse du gouvernement :

« Les matières d'or et d'argent fabriquées à l'étranger ne sont admises en Belgique qu'à la condition d'être au titre voulu dans le pays d'origine et d'être soumises à l'empreinte du poinçon spécial qui les fait reconnaître de fabrication étrangère. Si le titre étranger est inférieur au titre belge, comme cela existe en fait pour les produits de certains pays, la circulation des objets n'est pas interdite par notre législation, mais la vente n'en peut jamais avoir lieu et les objets ainsi fabriqués doivent être réexportés ou brisés. »

Vous voyez, messieurs, que la réponse faite par le gouvernement est une réponse en droit ; on rappelle la législation existante, on l'analyse ; c'est fort bien ; mais il ne suffit pas de savoir quelle est 1a législation existante ni quel est le but qu'on a voulu atteindre. Il faut surtout savoir si cette législation est efficace ou si elle est impuissante à atteindre le but qu'elle s'est proposé, de telle manière que les fabricants belges d'objets d'or et d'argent se trouveraient avoir tous les inconvénients d'one loi restrictive et n'auraient pas les avantages de cette législation.

Ce dernier état de choses paraît être celui qui existe en réalité. Les fabricants d'objets d'or et d'argent ont eu déjà l'occasion de faire valoir leurs plaintes devant les chambres de commerce et les prochains rapports de ces chambres feront sans doute mention des réclamations qui leur seront parvenues.

Le grief a, d'ailleurs, acquis une certaine notoriété puisque, il y a peu de jours, nous le trouvions rappelé dans une pétition que nous ont adressée des ouvriers d'une autre industrie. Je pense donc qu'il y a lieu d'examiner si la législation actuelle sur le titre des objets d'or et d'argent n'offre pas, à côté des législations étrangères, un appât à la fraude, appât qui serait assez grand pour contrebalancer même la crainte des pénalités combinées et rendre telle crainte sans effet.

Il s'agirait, dans ce cas, d'examiner également si la meilleur remède (page 180) à une semblable situation ne serait pas de rendre à l'industrie nationale de la fabrication des matières d'or et d'argent une liberté entière ou du moins une liberté pins grande que celle qui existe, c'est-à-dire d'abaisser le titre exigé pour la fabrication, à l'exemple de ce qui s'est fait dans des pays voisins.

Vous remarquez, messieurs, qu'en s'en tenant même aux termes de l'analyse de notre législation, telle qu'elle est faite par le gouvernement dans sa réponse à la section centrale, il y a possibilité pour les fabricants étrangers de matières d'or et d'argent de faire concurrence aux industriels belges qui s'occupent de la même fabrication, en même temps que, par le maintien de l'élévation de notre titre, il y a défense implicite pour les fabricants belges de se mettre dans les conditions qui leur sont indispensables pour lutter avec des chances égales contre leurs concurrents étrangers. D'ailleurs, quand même les griefs précédents ne seraient pas entièrement fondés, il résulterait toujours de l'analyse de la législation existante, en l'acceptant dans les termes indiqués par le gouvernement, que notre industrie de la fabrication des matières d'or et d'argent serait dans l'impossibilité absolue de jamais travailler pour l'exportation, sous l'empire des lois qui les régissent actuellement, puisque nos industriels ne pourront jamais arriver sur les marchés étrangers dans des conditions de bon marché semblables à celles dont jouit la production étrangère.

Ce dernier grief, fût-il le seul, serait assez sérieux pour faire étudier la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de modifier notre législation sur le titre des matières d'or et d'argent.

Je ne veux pas m'appesantir davantage sur ces considérations qui ne peuvent trouver leur place ici que d'une manière tout à fait incidente, mais, la question ayant paru digne d'examen à une de nos sections d'abord et puis à votre section centrale, j'ai cru qu'elle pouvait occuper quelques instants, dans la discussion publique, l'attention de la Chambre et du gouvernement.

- L'article relatif à la garantie est mis aux voix et adopté.

Recettes diverses

« Droits de magasin des entrepôts, perçus au profit de l'Etat : fr. 180,000.

« Recettes extraordinaires et accidentelles : fr. 15,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

Droits, additionnels et amendes

« Enregistrement (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 13,300,000.

« Greffe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 250,000.

« Hypothèques (principal et 26 centimes additionnels) : fr. 2,400,000.

« Successions (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 8,825,000.

« Droit de mutation en ligne directe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 1,650,000.

« Droit dû par les époux survivants (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 150,000.

« Timbre : fr. 3,650,000.

« Naturalisations : fr. 5,000.

« Amendes en matière d'impôts : fr. 150,000.

« Amendes de condamnation en matières diverses : fr. 140,000.

« Ensemble : fr. 30,520,000. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (II. Péages)

Domaines

« Rivières et canaux : fr. 2,800,000.

« Routes appartenant à l'Etat : fr. 1,600,000.

« Total : fr. 4,400,000. »

Travaux publics. Postes

« Taxe des lettres et affranchissements : fr. 2,435,000.

« Port des journaux et imprimés : fr. 330,000.

« Droits sur les articles d'argent : fr. 29,000.

« Emoluments perçus en vertu de la loi du 19 juin 1842 : fr. 46,000.

« Ensemble : fr. 2,840,000. »

- Adopté.

Travaux publics. Marine

« Produit du service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres : fr. 110,000. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (III. Capitaux et revenus)

Travaux publics

« Chemin de fer, : fr. 27,500,000.

« Télégraphes électriques : fr. 500,000.

« Ensemble : fr. 28,000,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

« Domaines (valeurs capitales) : fr. 1,100,000.

« Forêts : fr. 1,000,000.

« Dépendances des chemins de fer : fr. 100,000.

« Etablissements et services régis par l'Etat : fr. 340,000.

« Produits divers et accidents, y compris ceux des examens universitaires : fr. 800,000.

« Revenus des domaines : fr. 275,000.

« Ensemble : fr. 3,615,000. »

- Adopté.

Trésor public

« Produits divers des prisons (pistoles, cantines, vente de vieux effets) : fr. 130,000.

« Produits de l'emploi des fonds de cautionnements et de consignations : fr. 800,000.

« Produits des actes des commissariats maritimes : fr. 50,000. »

- Adopté.

« Produits des droits de chancellerie : fr. 35,000. »

M. Coomans. - Je demande la parole.

N'est-ce pas dans cette somme que se trouve compris le produit des passeports ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, ce sont des droits de chancellerie.

M. Coomans. - Dans quel article se trouve compris le produit des passeports.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans l'article : Timbre.

M. Coomans. - Comme je n'ai pas de proposition à faire, la Chambre me permettra, je pense, de présenter ici l'observation que je désire lui soumettre sur les passeports. Je demanderai d'abord si je ne pourrais pas connaître le produit détaillé des passeports. Ma demande est improvisée, je ne serais pas étonné que M. le ministre ne pût pas me répondre immédiatement. Le produit total est faible. L'honorable ministre ne peut y tenir beaucoup, je vois avec plaisir que plusieurs journaux s'occupent depuis un certain temps de l'abolition des passeports ; j'ai longtemps soutenu cette thèse ; je désire savoir si l'intention du gouvernement est de donner suite à cette idée. Pour ma part, je serais heureux et fier de voir la Belgique, je ne dirai pas prêcher d'exemple, car cet honneur lui a été enlevé par d'autres puissances, mais suivre une bonne voie et supprimer aussi les passeports.

Je n'ai jamais compris l'utilité de cette prétendue prudence qui amène les gouvernements à vexer beaucoup d'honnêtes gens sans se mettre à l'abri des entreprises des fripons. Les malhonnêtes gens ont toujours soin de se mettre en règle au moyen d'un passeport ; ils en ont trois pour un.

Plus d'un Etat le comprend déjà, du moins je me suis assuré que cette année, en Allemagne, les passeports sont abolis, de fait du moins ; j'ai bien lu dans le Moniteur belge une note qui nie le fait, qui prétend que le passeport est encore exigé, considéré comme obligatoire en Prusse pour les voyageurs ; je puis attester, en connaissance de cause, qu'il n'en est rien.

Quand je suis entré en Prusse j'ignorais cette nouvelle réforme ; j'exhibais mon passeport ; c'est un fonctionnaire de la police qui m'a dit qu'il n'en fallait plus ; j'ai traversé sept ou huit Etats de l'Allemagne, personne ne me l'a demandé, excepté un ou deux aubergistes, pour leur satisfaction personnelle, par curiosité ou par esprit de lucre, car je me suis assuré qu'il n'était pas sorti de leurs mains.

En fait, le passeport n'est plus exigé dans toute l'Allemagne, ne nous (page 181) laissons pas devancer par les peuples voisins, nous qui avons la prétention au moins de les égaler.

A quoi sert le passeport ? Ce n'est pas à enfler le budget des voies et moyens, c'est une bagatelle qu'il produit. (Interruption.) Le timbre ! me dit-on. Je sais qu'on paye un droit de 8 ou 10 francs, cela ne peut pas faire grand-chose, c'est un impôt mauvais, puéril, absurde.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas une question fiscale.

M. Coomans. - Comme le reconnaît M. le ministre des finances, ce ne peut pas être une question fiscale ; mais alors je demanderai pourquoi on maintient encore le timbre des passeports ? Si on voulait gratter un petit coin du passeport, enlever le timbre, le reste suivrait et le passeport s'en irait bientôt tout entier.

Je suis assez voyageur, j'ai lieu de croire, par expérience, que le passeport est un moyen qu'emploient beaucoup de diplomates de second ordre pour se faire un petit revenu supplémentaire ; j'ai eu l'occasion de voir que les consuls belges ne font pas exception, ils prélèvent sur les Belges des droits de chancellerie vexatoires ; il me semblait que les consuls étaient institués à l'étranger pour nous rendre service et non pour faire des prélèvements sur la bourse, souvent trop peu fournie, du voyageur.

Il faudrait que les consuls reçussent ordre de ne plus prélever cette contribution ridicule et odieuse sur nos concitoyens. Il faudrait ensuite, M. le ministre des finances paraît être de mon avis...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne dis rien.

M. Coomans. - J'aime à interpréter favorablement votre pensée. Il faudrait, dis-je, supprimer le droit de timbre des passeports, ce serait un bon commencement.

Et puis, quand j'aurai réglé ce compte avec l'honorable ministre des finances, je m'adresserai aux honorables ministres de la justice et des affaires étrangères pour demander la suppression complète des passeports.

Je sais qu'un jour que j'ai fait la même demande dans cette Chambre, un honorable ministre m'a répondu que nous ne maintenions les passeports, c'est-à-dire que nous ne vexions les Belges et les étrangers que parce que beaucoup de gouvernements étrangers vexaient aussi les Belges. Mais je trouve que, de cette façon, les Belges sont deux fois vexés. J'aimerais mieux qu'ils ne le fussent qu'une seule fois et que les passeports fussent d'abord supprimés en Belgique. Ce serait encore un bon exemple donné, sauf à solliciter, par la voie diplomatique à titre de réciprocité, la suppression, en faveur des Belges, des passeports qu'ils doivent montrer à l'étranger.

Messieurs, je l'avoue, je suis presque honteux d'avoir à demander aussi souvent de pareilles choses à un gouvernement qui, je le reconnais, en beaucoup de matières, veut réaliser des progrès. Il est fâcheux que chaque fois que nous avons à proposer des progrès réels, on nous objecte des fins de non-recevoir. Je suis très curieux d'entendre, une fois pour toutes, l'apologie des passeports. Que M. le ministre nous la donne, je la cherche en vain partout. Si j'ai tort, je le reconnaîtrai et je promets de rayer cet article de mon programme annuel.

M. Rodenbach. - Je suis aussi d'avis que la loi sur les passeports doit être modifiée, et si je suis bien instruit, déjà M. le ministre de la justice s'en est occupé ; il étudie la question de la suppression des passeports.

Messieurs, en Angleterre, on doit montrer un passeport à la frontière, mais, à l'intérieur du pays, jamais on ne vous en demande. On fera bien d'examiner la législation de ce pays.

L'utilité des passeports est très contestable. Car généralement les malhonnêtes gens, les fripons sont parfaitement en règle sous ce rapport ; ils ont soin d'avoir deux ou trois passeports à leur disposition, tandis que les honnêtes gens oublient quelquefois de se mettre en règle. Je me rappelle avoir vu que les mauvais soldats ont presque toujours de très bons états de service, tandis que les bons soldats n'en ont pas.

Je n'en dirai pas davantage, mais j'engage, comme l'honorable préopinant, M. le ministre de la justice à poursuivre les investigations.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, comme l'a très bien supposé l'honorable M. Coomans, la question n'est pas du tout fiscale. En effet, le produit des passeports à l'étranger s'est élevé à 61,000 fr. en 1859, à 72,000 fr. en 1858, à 55,000 fr. en 1857 ; vous voyez que c'est une somme fort insignifiante.

Mais je lui fais remarquer une chose, à part les observations que mon honorable collègue M. le ministre de la justice aura à présenter à cet égard : c'est que nous délivrons des passeports parce que les gouvernements étrangers en exigent. Si partout on supprimait les passeports, nous n'aurions plus à en délivrer. Mais si nos nationaux, se rendant en pays étranger, sont tenus à avoir un passeport, il faut bien qu'ils s'en munissent.

La question n'est donc pas celle que suppose l'honorable membre. Elle va être expliquée par M. le ministre de la justice. Il vous dira les motifs pour lesquels, jusqu'à présent, on n'est pas arrivé à la solution de la difficulté.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le gouvernement s'occupe sérieusement de la question des passeports. La difficulté est beaucoup plus grande que ne semble le croire l'honorable M. Coomans, parce qu'il faut éviter, en supprimant l'obligation d'exhiber les passeports à la frontière, que les étrangers ne soient exposés à plus d'inconvénients que ceux auxquels ils sont exposés aujourd'hui.

Supprimer la vérification des passe- à la frontière n'est pas chose difficile. Mais lorsqu'on aura supprimé cette garantie, est-ce qu'il n'y aura pas nécessité de prendre certaines mesures, à l'intérieur du pays, vis-à-vis des étrangers et ne devra-t-on pas être d'autant plus rigoureux à l'intérieur qu'on aura laissé pénétrer plus facilement de l'extérieur ?

La difficulté est celle-ci : pouvons-nous laisser circuler librement tous les étrangers dans le pays, sans qu'il y ait aucun moyen de constater leur identité ? Là est la question. Supprimer complètement toute espèce de moyen de constater l'identité, déclarer que les étrangers pourront circuler dans le pays sans que le gouvernement puisse leur demander aucune espèce de justification, cela me paraît impossible. Le passeport atteint ce but ; c'est, si je puis dire ainsi, le moyen de se légitimer, d'établir qui l'on est.

L'intention du gouvernement est de supprimer la demande des passeports à la frontière, mais il faudra peut-être plus de sévérité à l'intérieur du pays, c'est-à-dire surveiller de plus près les étrangers et exiger en tout cas d'autres moyens de constater leur identité, si, par suite d'un crime, d'un délit, ou pour toute autre raison, l'on est amené à la leur demander.

Quant aux passeports qui sont délivrés aux Belges voyageant à l'intérieur, ils sont extrêmement rares. Je ne pense pas qu'on en exige nulle part.

Ils sont supprimés de fait. Ce sont les passeports à l'étranger qui seuls existent, et au si longtemps que nos régnicoles en demanderont pour justifier de leur identité à l'étranger, nous devrons bien leur en délivrer, car ce passeport est pour eux le seul moyen de se mettre en règle vis-à-vis des pays dans lesquels ils vont voyager. Tant que les gouvernements étrangers exigeront la production de passeports, nous devrons bien en délivrer à nos nationaux.

Messieurs, en Allemagne les passeports ne sont pas supprimés. Je puis l'attester à l'honorable M. Coomans. J'ai demandé des renseignements aux autorités prussiennes, et la note dont a parlé l'honorable M. Coomans est la reproduction à peu près littérale de ce qui nous a été écrit. Lorsque’en Allemagne, l'autorité a une raison de demander à un individu de justifier qui il est, de se légitimer, on exige un passeport, et la Prusse n'entend pas renoncer au droit de demander aux étrangers la production de ce document.

Si, en Belgique, l'on renonce à exiger des passeports à la frontière, comme je suis d'avis de le faire, il faudra admettre que cette pièce peut être remplacée par d'autres documents qui justifient suffisamment de l'identité de l'individu. Mais jamais on ne pourra admettre d'une manière absolue que les étrangers pourront circuler sans qu'on soit en droit de leur demander qui ils sont, d'où ils viennent, et ce qu'ils font dans le pays, quelles sont les raisons qui les y amènent.

Le passeport restera donc toujours, dans mon opinion, le meilleur moyen pour le voyageur de justifier, en toute circonstance de son identité et je n'hésite pas à dire, en ce qui me concerne, que l'exigence d'un passeport à la frontière n'existât-elle pas, j'aurais toujours encore un passeport avec moi pour pouvoir, en cas de difficulté quelconque, prouver qui je suis.

Ainsi, messieurs, ce que l'on pourra faire, c'est de supprimer la demande du passeport à la frontière, mais il faudra toujours qu'un individu puisse, lorsqu'il en sera requis, justifier de son identité au moyen de documents équivalents.

M. Guilleryµ. - Les renseignements demandés par l'honorable M, Coomans se trouvent à la parg58 du rapport ; on y donne le détail des recettes des passeports pendant les cinq dernières années.

J'appuie, du reste, les observations faites par l'honorable membre, en faveur de la suppression des passeports, et le meilleur argument qu'on puisse donner, suivant moi, c'est que les passeports sont parfaitement inutiles, qu'ils ne prouvent rien du tout, attendu qu'on peu( (page 182) sans crime ni délit se servir du passeport d'un autre. C'est ce qui a été décidé par la cour de cassation,

D'ailleurs, comment les choses se passent-elles ? 10, 15, 20 individus se présentent à la frontière, on met tous les passeports ensemble, on les retient pendant dix minutes, puis on les rend à celui qui veut bien les prendre, et il est arrivé bien des fois qu'un voyageur a repris le passeport d'un autre et a continué ainsi son voyage. Quant à moi, j'ai été en Prusse et on ne m'a pas demandé mon passeport, mais on me l’a demandé quand je suis rentré en Belgique. C'est-à-dire que moi, Belge, la gendarmerie, en Belgique, m'a menacé de m'expulser du territoire si je n'avais pas de passeport !

De plus on a rendu le régime des passeports aussi vexatoire et aussi désagréable que possible ; on a rendu les formalités aussi gênantes qu'elles peuvent l'être : il faut d'abord un certificat du commissaire de police ; il faut, en second lieu, le visa de l'administration communale, puis il faut s'adresser au gouvernement provincial ; or, dans presque toutes les communes, on a arrangé les choses de telle manière que la première course est celle qui se fait la dernière.

Ainsi dans une commune voisine de la capitale, celle de Saint-Josse-ten-Noode, pourquoi ne pas la nommer ? on exige au commissariat de police que des personnes très connues, très respectables amènent deux témoins connus de M. le commissaire, pour pouvoir obtenir le certificat avec lequel il faut se présenter ensuite à l'administration communale, puis au gouvernement provincial.

Evidemment, messieurs, la suppression de cette vexation inutile sera un très grand bien.

Rapport sur une pétition

M. Nélis dépose le rapport de la section centrale qui a examiné la pétition de Mme Dumont, relative au crédit de 27,000 fr. qui a été réservé par la Chambre.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1861

Discussion du tableau des recettes (III. Capitaux et revenus)

Trésor public

M. Coomans. - Je voudrais encourager le gouvernement dans les bonne -dispositions qu'il manifeste. L'honorable ministre de la justice me semble partir d'un hypothèse complètement inexacte ; il suppose que le voyageur muni d'un passeport est un parfait honnête homme dont le gouvernement n'a plus à s'occuper et à qui le gouvernement n'a pas le droit de refuser l'entrée en Belgique, il n'en est rien : le gouvernement a le droit de refuser l'entrée en Belgique au voyageur muni d'un passeport parfaitement en règle, et mon intention n'a pas été un seul instant de favoriser l'entrée de mauvais sujets en Belgique ; je trouve que nous en avons assez.

Je dis que le gouvernement se trouvera, avec ou sans passeports, exactement dans la même position : quand il accordera l'hospitalité à un voyageur il aura, que ce voyageur ait un passeport ou non, le droit et le devoir de s'assurer si cette hospitalité n'offre pas d'inconvénients ; le passeport n'y fera rien du tout. Que le gouvernement se borne, s'il le juge convenable, à exiger certaines preuves de moralité, il en aura le droit sans le passeport comme avec le passeport. La suppression des passeports ne portera donc aucune atteinte à la sécurité de l'honorable ministre de la justice.

Il est parfaitement vrai, comme vient de le dire l'honorable M. Guillery, que le passeport ne prouve rien même avec un signalement. Mais beaucoup de nos passeports ne portent même pas de signalement ; je ne parle pas de ceux qui portent un signalement tellement large et trivial qu'il peut s'appliquer à tout le monde. Mon passeport est de ceux qui ne portent aucun signalement ; j'ai désiré qu'on n'en mît plus depuis qu'on m'en avait mis un qui m'a exposé plus d'une fois à être pris pour ce que je n'étais pas ; on m'a donc supprimé le signalement et on m'a donné un morceau de papier qui m'a coûté 8 ou 10 francs et dont personne, à l'étranger, ne s'est préoccupé si ce n'est quelques gendarmes italiens, en vue du pourboire.

Il ne m'a été demandé ni en Suisse, ni en Angleterre, ni dans aucun des nombreux Etats de la confédération germanique. Supprimez donc les passeports.

- Un membre. - Vous êtes libre de ne pas en prendre.

M. Coomans. - J'userai de cette liberté, mais tout le monde n'ose pas en user, puisque les agents du gouvernement belge, plus sévères que les agents étrangers, exigent la présentation d'un passeport quand nous rentrons en Belgique. Ce qu'a dit à cet égard M. Guillery est parfaitement exact ; seulement je n'ai pas poussé la complaisance aussi loin que lui ; j'ai envoyé promener le commissaire de police qui, avec insistance, exigeait, à Verviers, l'exhibition de mon passeport.

Je lui ai dit : « Je suis Belge, je me trouve en Belgique, ni les ministres ni le Roi n'ont le droit de m'expulser de mon pays, vous encore moins ; je suis en Belgique, j'y reste. Vous demandez mon passeport, vous ne l'aurez pas ; il n'est écrit nulle part que je dois avoir un passeport dans mon pays. Qu'à l'étranger on me demande un passeport, je n'ai pas le droit de m'y opposer. Je n'y puis rien. Mais en Belgique, j'use de mes prérogatives constitutionnelles. Je me proclame Belge. Civis romanus sum ; je suis Belge ; respectez la liberté d'un citoyen inoffensif ; si vous ne me croyez pas, suivez-moi ou faites-moi suivre à mon domicile. Si je ne suis pas Belge, expulsez-moi, mais si je suis Belge et que vous m'expulsiez, prenez garde à vous ! »

Ce petit discours produisit son effet et je passai outre.

Un jour, dans cette Chambre, l'honorable M. Verhaegen reprochait à l'honorable M. Nothomb, alors ministre de la justice, d'avoir expulsé, à la légère, disait-on, un individu qui était Belge et qu'on avait pris pour un Hollandais. (Interruption.)

L'honorable M. Nothomb s'était trompé de très bonne foi, comme tout ministre dans un Etat constitutionnel se trompe à chaque instant. Les ministres ont tant de choses à faire, à diriger et à surveiller qu'ils ne peuvent pats les faire toutes également bien. (Interruption,)

Quand même il y aurait six Frère au banc ministériel, cela ne suffirait pas.

Puisqu'on n'a pas le droit d'expulser un Belge de son pays, on n'a pas le droit de lui demander un passeport, sous peine d'expulsion. Tant pis pour des lois ou règlements surannés, s'ils sont contraires à cette thèse.

Mais reste l'objection : Comment la police saura-t- elle que vous êtes Belges ? Je réponds précisément par ce que l'honorable M. Verhaegen disait à l'honorable M. Nothomb : « L'honorable Nothomb devait s'assurer si l'individu dont il s'agit était Belge ou Hollandais. »

Je maintiens donc en résumé que le passeport est une sottise, un véritable abus d'un autre âge.

Je me trompe : je crois que cet abus est de notre âge ou à peu près, une invention despotique de nos conquérants de la fin du dix-huitième siècle ; car dans mes études historiques, je n'ai pas rencontré de passeports. (Interruption.)

Si l'honorable M. Hymans, qui est très fort en histoire, a trouvé des passeports établis il y a quelques siècles, je reconnaîtrai que c'est un abus d'un autre âge ; mais je crois qu'il ne fournira pas cette preuve ; cet abus est de notre âge, abus inventé par ceux qui en profitent, par les petits diplomates et les hôteliers, et dont je demande la suppression, dans le plus bref délai possible.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, on confond toujours deux choses différentes, d'un côté, la suppression de la délivrance des passeports par Je gouvernement belge, et, d'un autre côté, la suppression de la demande de passeports à la frontière. Ce sont là cependant deux choses tout à fait différentes.

Nous pouvons demain, si nous voulons, de notre plein gré, supprimer la demande de passeport à la frontière ; elle aurait déjà disparu, si, comme le disait l'honorable M. Coomans, je ne désirais obtenir la réciprocité des puissances étrangères, et c'est pour arriver à cette fin qui je me suis mis en rapport avec mon honorable collègue du département des affaires étrangères.

M. Coomans. Dépêchez-vous.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne dispose pas des gouvernements étrangers ; et cela n'est pas plus sérieux que la leçon de droit public donnée par l'honorable M. Coomans au vérificateur des passeports à Verviers.

Si cet agent avait été tant soit peu plus fort que l'honorable M. Coomans, il lui aurait dit qu'il n'avait pas, à la vérité, le droit de le faire expulser de Belgique, mais qu'il avait le droit de le faire loger, à Verviers, à l’Amigo, jusqu'à ce que M. Coomans eût établi son identité.

El je m'étonne beaucoup que l'honorable M. Coomans, membre de la Chambre des représentants, ait cru pouvoir soutenir une théorie aussi contraire aux lois en vigueur, et prétendre que personne n'avait le droit de lui demander un passeport en Belgique.

Nous avons parlé tout à l'heure de passeports délivrés pour l'intérieur. Eh bien, c'est précisément un passeport de ce genre qu'on doit avoir, quand on quitte son arrondissement et même son canton.

(page 183) Voilà quelle est la législation en vigueur ; et si le vérificateur des passeports de Verviers avait exigé de l'honorable M. Coomans la production d'un passeport, et que, sur le refus de cet honorable membre, cet agent ne l'eût pas laissé partir, il n'eût fait qu'exécuter la loi. Mais mieux vaut sans doute qu'il ne l'ait pas exécutée dans toute sa rigueur et qu'il n'ait pas soumis l'honorable M. Coomans au désagrément de passer quelques jours en prison à Verviers.

Maintenant, quant à la vérification de passeports aux frontières, j'ai dit quelle était la situation de la question. Il ne faut pas se faire illusion. Je crains que les voyageurs, après qu'on aura supprimé entièrement la demande de passeports, ne soient exposés à plus de désagréments, à plus de difficultés qu'aujourd'hui. Si on ne demande plus de passeport à la frontière, personne ne prendra la précaution de s'en munir, et il pourra se présenter telles circonstances où l'étranger sera obligé d'établir son identité ; alors peut-être sera-t-il dans l'impossibilité de le faire.

Je sais bien que le passeport ne prouve rien d'une manière absolue ; je sais que souvent les coquins, comme on l'a dit, sont en règle et qu'ils ont deux ou trois passeports à leur disposition ; mais ce n'est pas là une règle, mais une exception, et le passeport restera toujours le moyen le plus sûr et le plus facile de justifier de son identité et de se soustraire aux désagréments des investigations dont on peut être l'objet.

J'ai présenté ces considérations, pour qu'on ne s'imagine pas, plus tard, que l'administration ne s’est pas rendu compte des inconvénients attachés à la suppression de la demande de passeports aux frontières. Tout voyageur entrant dans le pays désire naturellement être débarrassé de l'obligation de montrer un passeport ; mais tout homme sage et prévoyant voudra toujours posséder sur lui une pièce à l'aide de laquelle il puisse, au besoin, établir son identité.

Quant aux passeports que le gouvernement belge est appelé à délivrer, il devra continuer à le faire aussi longtemps que les gouvernements étrangers exigeront la production d'un pareil document, et je dis plus, aussi longtemps que des citoyens belges, voyageant à l'étranger, voudront, par mesure de sûreté, se nantir de cette pièce. Si donc le gouvernement belge est libre de ne plus exiger des étrangers la production d'un passeport à la frontière, il n'est pas libre du tout de ne pas délivrer des passeports à ses nationaux qui le demandent. On demande aux étrangers leur passeport dans un intérêt de sécurité pour le pays, et on délivre aux nationaux un passeport pour leur sécurité à l'étranger. Encore, une fois, ce sont des choses tout à fait différentes.

- La suite de la discussion est remise à demain à 2 heures.

La séance est levée à 5 heures.