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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 23 février 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 623) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Bruxelles demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est momentanément le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité, et que l'or français soit admis sur le même pied que la France admet l'or belge. »

« Même demande d'habitants de Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Ixelles, Denderleeuw, Tournai, Mons et Fleurus. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Ry demandent l'annulation de l'arrêté de la députation permanente du conseil provincial du 23 novembre dernier, qui a validé l'élection des membres du conseil communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Halleux demandent la construction d'un chemin de fer de Marloye à Bastogne. »

- Même renvoi.


« Plusieurs commissaires de police dans le Hainaut demandent l'établissement d'une caisse de retraite en faveur des commissaires de police. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Rouveroy demandent la construction du chemin de fer grand-central franco-belge d'Amiens à Maestricht qui est projeté par le sieur Delstanche. »

« Même demande des membres de l'administration communale de Merdorp. »

- Même renvoi.


« Le sieur Clermont présente des observations à propos de la pétition du sieur Haeck concernant les bénéfices de la Banque Nationale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion au sujet de la pétition du sieur Haeck.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur L.-F. Boscheron, horloger à Liège. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Proposition de loi relative à la monnaie d’or

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, dès que des questions monétaires sont agitées au moment où des troubles se révèlent dans la circulation d'un pays, elles soulèvent des orages, elles éveillent des passions et des intérêts, et elles ont pour résultat inévitable d'émouvoir profondément l'opinion publique. Les hommes préposés à la direction des affaires ont alors des devoirs difficiles à remplir ; ils sont en présence de plaintes qui toutes ne sont pas sans fondement ; on leur indique des remèdes qui ne sont pas sans danger.

C'est que les questions monétaires, qui ont pourtant une importance véritablement sociale, restent toujours obscures pour la foule, et que les esprits les plus distingués s'égarent parfois en cherchant à les résoudre.

La solution de ces questions, si elle est erronée, peut avoir des conséquences fatales pour les intérêts les plus respectables et les plus sacrés.

Ces conséquences n'ont échappé à aucun de ceux qui sont venus s'asseoir depuis huit ans à la place que j'occupe aujourd'hui, et aucun d'eux n'a voulu prendre la responsabilité de la mesure qui vous est conseillée en ce moment. Mais par une faveur spéciale, je me trouve l'objet d'attaques et de certains outrages sourds qu'on a daigné épargner à mes prédécesseurs. Ils ont pu refuser de faire ce que j'ai refusé de faire à mon tour ; leur conduite a paru naturelle et légitime ; la mienne ne peut être inspirée que par une opiniâtreté condamnable, par un fol orgueil qu'il faut humilier.

Depuis treize ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette Chambre, pendant plus de huit ans que j'ai été au pouvoir, j'ai entendu bien souvent murmurer ces mots à mots à mon oreille. Je n'ai pas eu à défendre un seul acte important, je n'ai pas eu à contrarier quelque intérêt cupide, sans être en butté aux mêmes accusations.

Au surplus, je n'y fais pas allusion pour m'en plaindre. Je suis arrivé, sous ce rapport, à un tel degré de philosophie, que je demande moi-même qu'on humilie mon orgueil ; il m'arrive même, je le dirai en confidence, d'indiquer les moyens les plus propres à y bien réussir. Mais je ne demande qu'une chose, une seule ; c'est que, sous ce prétexte, dont je reconnais à merveille toute la gravité, on ne sacrifie pas l'intérêt public.

Et pour que ceux qui me poursuivent avec tant d'ardeur puissent reconnaître eux-mêmes s'ils sont aussi justes qu'ils sont violents, je demanderai la permission à la Chambre de rappeler quelques faits qui seront de nature, je pense, à donner à réfléchir, je ne dis pas seulement à ceux qui ont conservé tout leur calme au milieu de discussions qui passionnent, mais aux adversaires les plus prononcés, pourvu qu'ils soient loyaux, sur le véritable caractère des incriminations qui sont maintenant dirigées contre moi.

Depuis 1850, date de cette loi néfaste, que nous examinerons bientôt, des tentatives ont été constamment faites dans cette Chambre pour en obtenir le rappel. En 1852, en 1854, on trouve des traces de ces tentatives dans nos annales parlementaires ; mais jusqu'en 1855 les plaintes n'étaient pas considérables, l'instrument des échanges suffisait à tous les besoins. A partir de cette époque, l'éventualité qui avait été prévue se réalise, une baisse notable sur le prix de l'or se révèle.

Incontinent, les spéculateurs cherchent à échanger dans ce pays quatre pièces de cinq francs contre une pièce d'or, qui vaut moins. C'est en vue d'entraver ces spéculations que la loi de 1850 avait été faite.

C'est apparemment pour qu'elles se puissent faire sans obstacle qu’on nous demande le rappel de cette loi.

Au mois de septembre 1856, la baisse de l'or est tellement prononcée, que la Banque Nationale, après avoir reçu la pièce de 20 francs à un cours qui était un peu inférieur à celui du marché, à 19-90, 19-80, se trouve tout à coup obligée de déclarer qu'elle ne recevra plus cette pièce qu'à raison de 19-50. Aussitôt les plaintes deviennent vives et générales. On accuse la Banque Nationale, comme si elle avait pu faire autre chose en vertu même des lois de son institution ; comme si elle était tenue de recevoir l'or au pair en échange des écus de 5 francs.

La question est portée devant la Chambre. « Il s'agit, disait-on (c'est un orateur de cette assemblée qui s'exprimait ainsi), d'un fait grave, d'une mesure qui supprime spontanément la valeur d'une monnaie généralement répandue, depuis longtemps tolérée, dans un moment tout exceptionnel où le pays est privé de toute monnaie d'or nationale, et où la monnaie d'argent disparaît en masse de tous les marchés de l'Europe. » M. Osy fit remarquer que notre système monétaire donnait le droit à la Banque et lui imposait même le devoir de n'accepter qu'à leur valeur réelle les pièces d'or françaises. M. Osy justifia du même coup le système monétaire en vigueur en Belgique.

L'honorable M. Dumortier ne fut pas de cet avis. Il fit une peinture effrayante des maux dont le pays était menacé par suite de la grande circulation des billets de la Banque Nationale. Il soutint qu'elle ne refusait l'or que pour accroître ses émissions. Suivant l'honorable M. Dumortier, les émissions ne devaient pas excéder 30 millions de francs. Jamais on n'avait atteint un pareil chiffre avant l'institution de la Banque. « C'est le chiffre maximum, disait-il, que nous avions en Belgique à l'époque même de la crise, lorsque le numéraire se cachait, lorsqu'il se retirait de la circulation. Aujourd'hui, où sommes-nous arrivés ? Au moyen de ce système de démonétiser l'or, de lui enlever son cours dans le pays, la Banque Nationale en est arrivée à ce résultat, d'avoir 97 millions de francs de papier en circulation en Belgique, et cela a été jusqu'à 110 millions ». Et puis, il ajoutait : « Je dis, messieurs, que toutes ces choses, il est du devoir du gouvernement de les surveiller de très près et d'y porter remède. Mais le remède, quel est-il ? Il est bien simple. C’est non pas de battre la monnaie d’or, puisque vous avez des (page 624) scrupules à cet égard, mais au moins de recevoir dans les caisses de l'Etat l'or battu en France, sauf à donner au gouvernement le pouvoir de le retirer le jour où il serait question de le démonétiser en France. De cette manière, la mesure ne pourrait présenter l'ombre d'une difficulté, car rien ne serait plus facile, grâce aux chemins de fer, que de renvoyer promptement en France toute la monnaie d’or qui se trouverait dans le pays.

« Je dis que l'état actuel des choses ne peut être maintenu ; nos houilles, nos toiles, tous les produits que nous envoyons en France sont payés en or français ; il en résulte une gêne que nos populations ne peuvent continuer à supporter.

« Il y a abus de la part de la Banque Nationale, il y a abus de la part de l'Etat à ne pas recevoir l'or français.

« J'appelle l'attention de M. le ministre des finances sur ce point et je l'engage vivement à présenter un projet de loi pour remédier au mal que je viens de signaler. S'il ne le faisait pas, je me croirais obligé d'user de mon initiative et de présenter moi-même un semblable projet. »

Ainsi parlait l'honorable M. Dumortier, dans la séance du 11 décembre 1856.

L'honorable M. Dumortier, comme de raison, concluait en soutenant qu'il y avait dans tous les pays plusieurs étalons de la valeur, que nous devions faire comme tous les autres et avoir au moins double étalon.

On lui répondit que donner cours légal à l'or français, à sa valeur nominale, c'était substituer en fait l'étalon d'or à l'étalon d'argent, qu'en fait il n'y aurait qu'un étalon.

La thèse que défend aujourd'hui l'honorable M. Dumortier n'est donc pas nouvelle.

M. B. Dumortier. - C'est toujours exactement la même chose

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Exactement la même chose. L'honorable M. Dumortier savait donc alors tout ce qu'il sait aujourd'hui ; il connaissait le mal, il était certain de posséder également le remède La Banque Nationale le troublait tout autant qu'aujourd'hui. Il était alors profondément convaincu, comme aujourd'hui, que rien n'était plus facile, dans une hypothèse qu'il prévoyait, que de renvoyer tout notre or, tout l'or français par le chemin de fer en France, en oubliant seulement de nous dire par quoi on le remplacerait, ou bien comment on ferait les échanges sans monnaie !

L’honorable M. Dumortier avait l'avantage, au surplus, de n'avoir pas à traiter cette question avec des hommes opiniâtres, avec des gens pleins d'orgueil, avec des gens qui mettent leur amour-propre au dessus de l'intérêt public. Il n'avait pas à traiter avec des ministres qui ne savent pas avouer franchement qu'ils se sont trompés.

Il avait affaire, messieurs, aux ministres les moins opiniâtres et les moins disposés surtout à se rendre solidaires de mes idées, pour peu que leur sentiment y eût répugné.

Eh bien, messieurs, ils n'hésitent pas à se prononcer contre l'honorable M. Dumortier. (Interruption.) M. Dumortier veut-il contester le fait ? Qu'il attende un instant ; il entendra les opinions du ministère de 1856, du cabinet de l'honorable M. de Decker.

« Sur des questions de ce genre, ainsi parle le ministre des affaires étrangères du cabinet de 1856, l'honorable comte Vilain XIIII, sur des questions de ce genre, on ne doit pas prendre de résolution dans les moments de crise, car on peut être impressionné par les événements qui se passent autour de nous, en recevoir une influence fâcheuse et prendre une résolution qui entraîne de graves conséquences pour l'avenir. Quand les crises se prolongent avec une trop grande intensité, on peut bien recourir à des expédients pour parer au plus pressé, mais on ne prend pas une résolution héroïque, comme celle de changer d'étalon monétaire, résolution qui pourrait avoir de graves conséquences pour le pays. »

Le ministre des finances, l'honorable M. Mercier, n'est pas moins explicite :il contredit avec vigueur les théories extraordinaires de l'honorable M. Dumortier.

« C'est avec raison, dit l'honorable M. Mercier, que l'honorable préopinant attribue une haute importance à la question monétaire ; cette importance est telle, qu'une erreur commise en pareille matière doit inévitablement produire tôt ou tard les conséquences les plus graves. Elle mérite donc l'attention la plus sérieuse.

« L'honorable membre suppose que tous les pays ont deux étalons monétaires. C'est une erreur. Les Pays-Bas, entre autres, n'ont qu'un seul étalon, et c'est après une longue expérience, après avoir alternativement vu disparaître tantôt sa monnaie d'argent, tantôt sa monnaie d'or par l'effet de la baisse dans la valeur relative de l'un ou l'autre métal ; après avoir essuyé des pertes très considérables, dues au système du double étalon, que le gouvernement néerlandais s'est enfin déterminé à no plus en conserver qu'un seul, l'étalon d'argent.

« L'Angleterre n'a pas non plus deux étalons ; elle n'a que l'étalon d'or ; il est vrai qu'elle a établi une monnaie subsidiaire ; elle a donné à cette monnaie une valeur intrinsèque inférieure à sa valeur nominale, ce qui se justifie par la restriction apportée àson cours légal ; elle ne doit, en effet, être acceptée que pour appoint, dans des proportions déterminées ; ce n'est assurément pas là un second étalon.

« L'honorable membre nous conseille d'adopter simultanément l'étalon d'or et l'étalon d'argent. Mais n'avons-nous pas à nos portes un exemple de ce que produit encore aujourd'hui le double étalon ?

« L’honorable membre croit-il que l'Etat voisin auquel je fais allusion se trouve dans une situation plus facile que la nôtre au point de vue monétaire ?

« Mais la crise monétaire est là bien plus intense que chez nous ; tous les efforts du gouvernement ont été impuissants pour empêcher la disparition de la monnaie d'argent, soit par la fusion du métal, soit par l'exportation. C'est là évidemment l'effet du double étalon qui existe en fait dans ce pays. Le même phénomène se produira tôt ou tard partout où ce système sera établi ou maintenu. La valeur légale des deux monnaies restant invariable, et le rapport de leur valeur intrinsèque pouvant au contraire se modifier chaque jour, l'un des deux métaux doit fatalement devenir un objet de commerce et de spéculation.

« C'est donc précisément dans un pays où l'on fait usage de la monnaie d'or, que l'on a à déplorer la plus forte disparition du signe monétaire. Si nous adoptions aujourd'hui le double étalonnes graves embarras qu'on éprouve ailleurs se produiraient chez nous.

« En Belgique, il n'y a pas, à proprement parler, de crise monétaire ; les habitants de nos frontières du midi éprouvent, il est vrai, quelques embarras momentanés, parce que, étant habitués à faire des transactions avec les communes limitrophes, ils essuient une certaine perte s'ils acceptent la monnaie d'or étrangère.

« Je ferai observer d'abord que ce fait ne provient d'aucun changement récent dans notre législation.

« J'ajouterai que bientôt chacun dans le commerce saura faire la distinction entre une valeur en francs d'or et une valeur en francs d'argent ; les transactions se régleront en conséquence.

« Je suis persuadé que le temps n'est pas éloigné où aucune nation ne persistera à maintenir le double étalon.

« Il est permis de discuter la question de savoir si l'on adoptera l'étalon d'or ou l'étalon d'argent, mais je regarde comme une question définitivement jugée qu'il ne faut qu'un seul étalon.

« On se plaint qu'il y ait en Belgique une circulation de papier très considérable. Mais, messieurs, il dépend de chacun de remplacer par de l'argent le papier dont il est porteur : il n'a qu'à se présenter à la Banque Nationale.

« Quant au reproche fait à la Banque Nationale d'avoir en quelque sorte tarifé la monnaie étrangère, l'honorable M. Osy a déjà fait remarquer que, dans la forme, la mesure n'était pas irréprochable ; il eût été convenable en effet de ne pas faire de publication, bien que cet établissement se soit borné à déclarer à quel prix il accepterait, pour son compte, la monnaie d'or étrangère ; on doit reconnaître, du reste, qu'il était en droit de ne pas la recevoir, puisque aucune monnaie étrangère n'a cours légal dans notre pays ; on ne peut donc exprimer qu'un regret à cet égard, c'est qu'un avis ait été publié et que cet avis ait pu momentanément produire un effet fâcheux sur le cours de cette monnaie en Belgique. »

Je cite, messieurs, complètement l'opinion de l'honorable M. Mercier ; j'y reviendrai encore dans un instant, car je soupçonne que toutes les raisons que fait valoir l'honorable membre ont plus de valeur, venant de lui, pour une certaine partie de la Chambre, que les mêmes raisons invoquées par moi seul.

Après avoir entendu M. le ministre des finances, M. Wautelet insiste. Il signale les inconvénients, les difficultés que fait éprouver au commerce la démonétisation de l'or français et le refus surtout de recevoir l'or français dans les caisses de l'Etat.

L'honorable M. Wautelet croyait que le gouvernement prendrait la situation en sérieuse considération, il lui semblait tellement certain que le gouvernement ne pouvait hésiter à donner cours légal à l'or français, qu'il avait l'intention de renoncer à la parole ; mais après avoir entendu la déclaration si explicite de M. le ministre des finances, l'honorable M. Wautelet estime que son devoir l'oblige à appuyer les réclamations qui se font entendre dans une partie du pays.

page 625) « La déclaration faite, dit-il, par M. le ministre des finances, qu'à son avis il n'y a rien à modifier, quant à présent, au système monétaire qui nous régit, m'oblige à prendre la parole.

« Cette déclaration faite, m'a-t-il paru, d'une manière très positive, m'a fait penser qu'il n'entrait pas dans les vues du gouvernement de tenir compte des réclamations nombreuses qui lui ont été adressées de toute part pour signaler les inconvénients du système actuel et y demander des modifications.

« S'il en est ainsi, je crois remplir un devoir en m'élevant contre le système que le gouvernement semble vouloir maintenir, parce que, à mes yeux, ce système crée non seulement des difficultés dans les opérations commerciales et entrave nos rapports avec la France ; mais il présente encore pour le pays des dangers de plus d'une espèce, que je crois utile de signaler à votre attention. »

Eh bien, messieurs, cette nouvelle attaque n'ébranle en aucune façon l'honorable ministre des finances. Vous le savez, l'honorable M. Mercier est d'ordinaire sobre de paroles ; il ne s'engage pas outre mesure dans les discussions ; il vient de s'expliquer d'une manière très nette, très catégorique ; mais cette fois, il revient à la charge avec une netteté, une précision et une fermeté de principes qu'on ne saurait trop louer :

« L'honorable membre qui vient de prendre la parole engage le gouvernement à s'occuper sérieusement de la question monétaire.

« Dans ces derniers temps, la presse a beaucoup agité cette question ; de nombreuses brochures ont été publiées sur cette matière. J'ai lu attentivement tout ce qui a été écrit d'intéressant à ce sujet. C'est après avoir pris connaissance des divers documents qui ont paru que je reste dans l'opinion que, dans l'intérêt du pays, le plus sage est de ne rien changer à l'état actuel des choses, du moins quant à présent. » (Interruption.)

- Un membre. - Quant à présent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh ! soyez tranquille, je cite textuellement ; je n'entends fermer les issues à personne ; s'il faut des portes de derrière par lesquelles on puisse passer, elles sont tout ouvertes.

L'honorable M. Mercier poursuit donc en ces termes :

« Je crois que toutes mesures quelconques qui seraient prises, loin d'être utiles, seraient nuisibles.

« Les difficultés que le commerce des localités qui avoisinent les frontières du midi éprouve en ce moment, n'existent pas par le fait du gouvernement belge ; elles sont indépendantes de son action.

« Qu'arrive-t-il ? Qu'une monnaie dont ces localités avaient l'habitude de faire usage dans une partie de leurs transactions commerciales, a diminué de valeur relativement à notre étalon monétaire, en d'autres termes que l'or a diminué de valeur relativement à l'argent. Est-il en notre pouvoir de lui rendre cette partie de valeur qu'il a perdue ? Assurément nous essuierions une perte, et en l'acceptant à sa valeur nominale nous ferions disparaître notre monnaie d'argent.

« La question de savoir si c'est la valeur de l'or qui diminue, ou celle de l'argent qui augmente, a peu d'intérêt dans le système du double étalon ; je suis du reste porté à croire que les deux métaux ont diminué de valeur, mais que la diminution a été plus forte pour l'or que pour l'argent.

« Je dis que les deux métaux ont diminué de valeur, et j'en juge par le prix plus élevé de la plupart des objets qui sont dans le commerce et notamment des subsistances.

« Si la France n'avait qu'un étalon monétaire, nous n'éprouverions pas les difficultés dont a parlé mon honorable ami, M. Wautelet.

« Dans la supposition qu'elle eût eu l'or pour unique étalon monétaire, il se serait établi une proportion entre notre franc argent et le franc or.

« La valeur relative de l'un à l'autre serait connue, et les transactions se feraient en conséquence.

« Mais le double étalon existant encore dans ce pays, il en résulte une certaine confusion, des embarras dans nos relations commerciales avec lui, mais il est probable qu'ils ne seront que momentanés ; peu à peu les transactions se régleront avec la France comme elles se règlent avec tous les pays dont le système monétaire est différent du nôtre.

« L'honorable membre a signalé lui-même une raison capitale pour maintenir, selon moi, l'étalon argent ; à moins que de nouveaux faits ne se produisent et détruisent les prévisions actuelles, l'argent, selon moi, a toute chance de conserver plus de stabilité dans sa valeur ; l'or semble destiné à une plus forte dépréciation ; dès lors, si nous adoptions ce dernier métal comme étalon monétaire, nous porterions préjudice aux fortunes mobilières, et notamment à tous ceux qui possèdent des fonds publics.

« Les obligations de l'Etat s'amoindriraient ainsi entre les mains des porteurs sans qu'il y eût faute de leur part, et uniquement par l'action du gouvernement ; cela serait injuste et très regrettable.

« Un honorable membre m'interrompt pour me faire observer que dans le système contraire, c'est le gouvernement qui perdra ; mais l'expérience a prouvé que la valeur de l'or et de l'argent perd constamment.

« Depuis des siècles, la valeur de ces métaux, relativement à celle de la plupart des autres objets qui sont à notre usage, a toujours diminué ; la probabilité est donc qu'il en sera de même à l'avenir ; mais ce fait ne se produira pas par l'action du gouvernement, du moment que nous maintenons comme étalon celui des deux métaux qui conserve la valeur la plus élevée. Nous n'aurons donc rien à nous reprocher.

« Je voudrais qu'on donnât au gouvernement un conseil qu'il pût suivre ; jusqu'à ce jour je n'ai entendu émettre aucune idée qui me paraisse pouvoir être adoptée.

« J'ai étudié la question, j’ai eu de nombreux entretiens avec les hommes du pays qui se sont plus spécialement occupés de cette matière, je n'ai rien trouvé jusqu'à présent qui permette de formuler un système qui, dans l’état actuel des choses, soit préférable à celui qui est en vigueur dans notre pays. »

Voilà l'opinion de l'honorable M. Mercier.

Messieurs, cette opinion si bien motivée, si énergiquement exprimée, a une importance bien plus grande encore que celle qui résulte même des raisons données : des membres du cabinet de 1856 qui faisaient partie de la Chambre, en1850, un seul avait voté en faveur de la loi de 1850, l'honorable comte Vilain XIHI ; l'honorable M. de Decker et l'honorable M. Mercier s'étaient abstenus ; ils n'avaient pas alors la conviction que la baisse de l'or pût se réaliser de manière à compromettre sérieusement les intérêts du pays ; mais les faits étant venus les éclairer, vous entendez l'honorable M. Mercier exprimer les mêmes idées que je n'ai cessé de défendre, établir entre nous sur ce point une communauté d'opinions que le seul intérêt public lui commandait d'accepter, et se faire, en un mot, le plus ferme soutien de la loi de 1850.

On vous dira, et déjà je viens d'entendre l'objection se produire dans une interruption, que les temps sont changés, que les circonstances ne sont plus les mêmes, que des faits nouveaux se sont produits, que la situation est plus grave en 1861 qu'elle ne l'était en 1856.

Je ne discute pas ce que vaudrait cette échappatoire pour se soustraire aux principes proclamés par l'honorable M. Mercier. Mais je vous arrête ; je conteste le fait que l'on invoquerait pour déserter une cause à laquelle on s'est attaché comme étant celle de la justice et de la vérité. Oui, la situation était plus grave en 1856 qu'elle ne l'est en 1861. Et, en effet, plus l'écart entre la valeur nominale de la pièce et sa valeur réelle était grand, plus il y avait de perte sur la pièce, plus la perte était considérable pour ceux qui ayant accepté cette monnaie êu pair, ne trouvaient pas à la placer au môme taux.

Mais aujourd'hui, le taux de la pièce s'est élevé par des circonstances que j'expliquerai ultérieurement ; la perte est insignifiante ; tout le monde le proclame ; on affirme que personne ne refuse de la prendre au pair ; on se fait même de cet état de choses un argument pour demander qu'on introduise définitivement l'or avec cours forcé dans la circulation ; la perte est insignifiante, et, par conséquent, sans se livrer à d'autres considérations, l'on peut dire aujourd'hui à ceux qui réclament ce qu'on ne pouvait pas dire alors : de quoi vous plaignez-vous ?

Messieurs, les plaintes du public, ses émotions, ses inquiétudes, ses alarmes, et surtout les réclamations des gens intéressées, ne s'arrêtaient pas devant les déclarations si explicites du cabinet de 1856.

De nouvelles et nombreuses pétitions furent adressées à la Chambre ; à chaque séance, nous entendions retentir ces mots : « Pétitions en faveur du cours légal de l'or français. »

On renvoyait d'ordinaire les pétitions au gouvernement, par simple formule de politesse. Mais comme l'accueil que la Chambre faisait à ces requêtes, loin d'arrêter, semblait plutôt exciter le zèle des pétitionnaires, on en vint à proposer le dépôt au bureau des renseignements, puis enfin à provoquer une mesure plus significative encore.

Dans la séance du 26 février 1858, l'honorable M. Vander Donckt fit un rapport sur un très grand nombre de pétitions adressées à la Chambre pour réclamer le cours légal de l'or français. Depuis le rapport et avant la discussion, d'autres pétitions encore avaient afflué en grand nombre sur le bureau de la Chambre. La commission des pétitions conclut au dépôt au bureau des renseignements.

(page 626) L'honorable rapporteur, après avoir indiqué ceux qui avaient intérêt à réclamer le cours légal de l'or français, ajoutait :

« Pour tous les autres habitants du pays, leur imposer la charge de recevoir l'or au cours qu'il a en France, c'est leur enlever une partie de leurs créances, sans compensation aucune. Eh bien, messieurs, cela n'est pas équitable, et nous espérons que la Chambre ne l'admettra pas.

« Votre commission qui, dans deux différentes séances, a examiné ces pétitions, vous a chaque fois proposé le dépôt au bureau des renseignements ; c'est encore la conclusion qu'elle a l'honneur de vous présenter, d'autant plus que le gouvernement s'étant prononcé contre la demande des pétitionnaires, il n'y a pas lieu de lui renvoyer les pétitions. »

L'honorable rapporteur avait déjà émis précédemment son opinion en termes non moins résolus : « On a conseillé au gouvernement, disait-il, de battre de la monnaie d'or, on lui a donné le conseil de donner cours légal à la monnaie d'or française, ce qui est pis encore.

« Je crois que le gouvernement a parfaitement bien fait de maintenir le système monétaire actuel et de le maintenir sans modifications. » Messieurs, le motif déterminant de la commission est digne de fixer votre attention : elle repousse le vœu des pétitionnaires, comme impliquant, s'il était réalisé, une spoliation du créancier au profit du débiteur.

Cependant d'honorables membres demandent que les pétitions soient, au contraire, renvoyées au ministre des finances ; les honorables MM. Rodenbach et B. Dumortier sont naturellement de cet avis. L'honorable M. Pirmez combat la motion ; voici comment il s'exprime.

« Il importe que cette décision soit prise par la Chambre, dit-il, parce que l'incertitude en cette matière peut avoir une fâcheuse influence. Qui consentirait, en effet, à prêter aujourd'hui une somme d'argent, s'il pouvait soupçonner que la loi permettra à son emprunteur de lui restituer, non pas ce qu'il a reçu, mais une somme en or, d'une valeur moindre ? La fixité est la qualité la plus essentielle du système monétaire ; si l'on perd la confiance qu'elle sera maintenue, on perd en même temps la confiance que les conventions seront exécutées telles qu'elles sont formées, parce qu'il est impossible de changer les monnaies sans changer les droits des parties à un contrat.

« La Chambre doit vouloir maintenir cette confiance, base de toutes les transactions commerciales ; elle fera, en adoptant les conclusions de la commission, comme une déclaration qu'elle n'entend en rien modifier notre système monétaire. »

La discussion continua pendant toute la séance du 26 février 1858 ; et voyant que l'opinion de la Chambre n'était pas favorable à la thèse qu'il avait défendue, l'honorable M. Dumortier annonça l'intention de se rallier à la proposition du dépôt au bureau des renseignements ; l'honorable M. Orts se hâta de déjouer la tactique de l'honorable M. Dumortier.

« Je propose à la Chambre, dit-il, de prononcer l'ordre du jour sur les pétitions dont il s'agit. C'est la seule manière de démontrer au pays que la Chambre s'est occupée de la question, qu'elle l'a examinée sous toutes ses faces, qu'elle a entendu les partisans et les adversaires de la mesure provoquée par les pétitionnaires, et que c'est en parfaite connaissance de cause qu'elle porte un jugement dont elle n'a pas envie de se départir.

« Si maintenant l'ordre du jour effraye ceux qui paraissent accueillir les plaintes des pétitionnaires, qui croient que le remède indiqué par les réclamants peut guérir le mal dont ils souffrent, il y a moyen de nous entendre. Que les adversaires de l'opinion défendue par M. Pirmez et par M. le ministre des finances, se lèvent et proposent autre chose que le dépôt au bureau des renseignements ; alors le vote aura une signification.

« Ce que je demande, c'est que les adversaires et les partisans de la mesure réclamée puissent se compter une bonne fois dans le sein du parlement, et que le pays sache à quoi s'en tenir sur le vote de la Chambre. Or, si les partisans et les adversaires se réunissent pour voter le dépôt au bureau des renseignements, c'est un fait qui induira le pays en erreur. C'est pour que la Chambre puisse se prononcer d'une manière nette et catégorique que je propose l'ordre du jour. »

En présence de cette motion, on demanda la continuation de la discussion au lendemain ; et le lendemain le débat absorba encore presque toute la séance.

Afin de ne pas laisser place à l'objection que l'ordre du jour semblait dédaigneux pour les pétitionnaires, l'honorable M. Pirmez insista pour le dépôt au bureau des renseignements, en proposant de motiver la décision en ces termes :

« La Chambre, après avoir mûrement examiné l'objet des pétitions, convaincue qu'il ne peut y avoir lieu, dans les circonstances actuelles, de modifier le système monétaire existant, adopte les conclusions de la commission. »

L'honorable M. Orts ajouta :

« Je n'ai fait ma proposition que pour procurer à la Chambre l'occasion de se prononcer sur la question. La formule proposée par l'honorable M. Pirmez me paraît conduire au même but, rien que par le fait de sa présentation par l'honorable membre qui, dans la séance d'hier, a parfaitement expliqué sa manière de voir sur la question. Je m'y rallie donc. »

Et cette motion fut adoptée par la Chambre à la majorité de 41 voix contre 27, et cette majorité commençait à l'honorable M. Verwilghen et finissait à l'honorable M. Verhaegen. Je regrette que ce dernier, toujours si conséquent, ne soit pas ici pour appuyer énergiquement le vote qu'il émit dans cette circonstance solennelle.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, la Chambre se prononçait de la manière la plus explicite, après de longs débats, pour le maintien du système en vigueur.

Je pouvais, messieurs, me retrancher derrière le vote de la Chambre et m'abstenir désormais. Mais je ne croyais pas que mon devoir me permît de rester inattentif à un état de choses dont je ne me dissimulais pas la gravité, à quelque parti qu'on s'arrête.

Faut-il admettre, faut-il repousser la monnaie d'or ? Ce n'est encore là qu'une des faces de la difficulté, car en supposant cette question résolue négativement, il reste à prendre des mesures pour maintenir la pureté de notre circulation, et ces mesures présentent de sérieuses difficultés.

Je ne me suis pas endormi dans ma quiétude. J'aurais peut-être pu trouver une excuse à mon inaction dans les rudes travaux que je m'imposais alors, et qui ne m'ont pas laissé une heure de repos durant toute une année ; mais cette question monétaire me préoccupait constamment.

J'instituai une commission composée des sommités de la finance. Je fis appel à son zèle, à son dévouement, j'invoquai ses lumières. Des hommes d'opinions diverses se rencontraient dans le sein de cette commission. J'y appelai non seulement des adversaires politiques, mais des antagonistes sur la question monétaire. Ainsi je ne cherchais pas des approbations, je demandais des conseils.

Je soumets à cette commission ainsi composée la question de savoir s'il faut donner cours légal à l'or français et cette commission à l'unanimité répond négativement.

Messieurs, après l'exemple qui nous avait été donné par nos prédécesseurs, après les résolutions de la Chambre, après la décision de la commission monétaire, nous pouvions nous arrêter. Nous pouvions sans qu'on pût justement nous accuser d'obstination, nous pouvions nous prévaloir de tant de résolutions, de tant d'avis différents, et renoncer à ouvrir de nouvelles enquêtes sur la question. L'avons-nous fait ? Pas encore. Nous n'avons voulu négliger aucune source d'information. Les chambres de commerce ont été consultées. Les opinions qu'elles ont exprimées sont assez inexactement exposées dans le rapport de la section centrale.

Huit ont demandé le cours légal de l'or français, c'est-à-dire le retour à la loi de 1832, comme le demande l'honorable M. Dumortier, c'est-à-dire le système connu sous le nom du double étalon et que la science, ainsi que le déclare l'honorable M. Mercier, est unanime à condamner. Quatre ont proposé la substitution de l'étalon d'or a l'étalon d'argent. Il ne faut pas que l'on confonde ces deux opinions.

Les quatre chambres de commerce qui demandent la substitution de l'étalon d'or à l'étalon d'argent, réclament en réalité le contraire de ce que demande l'honorable M. Dumortier ; dans les deux cas, on aura à la vérité une monnaie d'or ; mais dans le dernier, on aura renversé la loi de 1832 qu'on préconise, on aura condamné le système du double étalon.

C'est quelque chose au point de vue des idées. Ces quatre chambres combattent par cela même la proposition de l'honorable M. Dumortier. En reconnaissant que l'on ne peut avoir qu'un seul étalon, elles disent en d'autres termes, implicitement, mais formellement, que l'adoption de la proposition de l'honorable M. Dumortier ne ferait que substituer à l'inconvénient dont on se plaint, un inconvénient beaucoup plus grave, car la monnaie d'argent disparaîtrait sur-le-champ, ce qui ferait naître des plaintes plus vives que celles que l'on entend aujourd'hui.

Quatre chambres ont demandé le maintien du système en vigueur. On n'a voulu trouver qu'une chambre de commerce, deux tout au plus, qui soient d'avis de maintenir le système en vigueur.

Il y en a quatre, messieurs ; et si dans le rapport on en a éliminé deux, c'est parce que telle chambre qui demande le maintien de l'étalon (page 627) d'argent, le maintien du système en vigueur, déclare cependant qu'elle ne voit pas d'obstacle à ce que l'Etat reçoive dans ses caisses, à un cours à fixer, les monnaies d'or étrangères. Mais une mesure de ce genre ne porte aucune atteinte au système ; la tarification des pièces étrangères est admissible dans tous les pays ; elle se concilie avec un bon régime monétaire et se pratique dans un grand nombre d'Etats.

L'opinion de la Chambre de commerce de Saint-Nicolas, que je crois pouvoir citer sans inconvénients, parce qu'elle est brièvement exprimée, prouve l'erreur d'appréciation commise par la section centrale, pour grossir le nombre des partisans de l'or étranger.

« La Chambre de commerce est divisée d'opinions sur cette importante question. »

Vous allez voir sur quoi porte la division, et vous serez bientôt convaincu qu'elle est aussi ferme dans ses doctrines que l'honorable M. Pirmez :

« Une partie de ses membres, après avoir examiné les idées émises sur cet objet, tant par les défenseurs que par les adversaires des différents systèmes mis en avant, se range à l'avis de la commission instituée le 14 mars 1859, pour examiner les questions monétaires en Belgique, et adopte les conclusions du rapport de cette commission. Quant à l'autre partie, tout en admettant également que l'argent doit être l'unique étalon monétaire belge et le seul agent de circulation légal, elle émet cependant l'avis que, pour faciliter nos relations d'affaires avec la France, et, afin de prémunir nos commerçants contre les pertes inhérentes à l'état de choses actuel, il y aurait lieu d'admettre l'or français en payement des contributions, à un cours qui serait fixé périodiquement par le gouvernement, suivant le taux du marché. »

Ainsi, une partie des membres de cette Chambre exprime un avis qui se trouve formulé dans l'amendement de MM. Pirmez, Jamar et de Boe. Et votre section centrale range la chambre de commerce de Saint-Nicolas parmi les adversaires du système que nous défendons !

Parmi les chambres de commerce du pays, les unes se sont trouvées divisées sur la question, les autres, en constatant les vices de la situation, n'ont pu se mettre d'accord ni sur les causes du mal ni sur le remède à y appliquer. C'est ce qu'énonce la chambre de commerce de Mons. Parmi celles qui ont proposé la substitution de l'étalon d'or à l'étalon d'argent, il en est qui n'ont pas dissimulé, comme nous le verrons plus tard, les conséquences de ce changement radical ; et il nous suffira de mettre sous vos yeux des aveux explicites pour que vous n'ayez plus aucun doute sur la portée de la mesure qu'on sollicite de vous.

Quoi qu'il en soit, pour le moment nous constatons, au sein des représentants du commerce et de l'industrie, des divergences d'opinion et des incertitudes qui ne sont assurément pas propres à lever les scrupules, et moins encore à ébranler des convictions.

Est-ce tout, messieurs ? Pas encore. Sur ces entrefaites, un conseil supérieur de commerce et d'industrie est formé en Belgique ; il est composé en très grande partie de délégués des chambres de commerce et de quelques personnes désignés par le gouvernement.

Ce conseil élit dans son sein une commission chargée d'examiner toute les questions qui intéressent l'industrie et le commerce, et de faire connaître les vœux que les représentants naturels de ces grands intérêts avaient à former. La question monétaire appela tout d'abord leur attention ; et, cette fois encore, la commission émanant du conseil supérieur de commerce et d'industrie déclara en termes exprès qu'il n'y avait pas lieu de donner cours légal à la monnaie d'or française. Les provinces d'Anvers, des deux Flandres, du Hainaut et de Liège étaient représentées dans le sein de cette commission. Et l'on ne craint pas d'affirmer qu'on est unanime dans le pays à réclamer le cours légal de l'or français ! On nous fait un crime d'une attitude qui ne serait que prudente et ferme, si même elle n'était pas le résultat de vieilles et loyales convictions.

Etait-ce à nous d'agir, messieurs ? Je le demande ; que tout homme d'honneur réponde ! Pas un seul d'entre vous, pas un seul n'aurait vu, dans une initiative exercée par nous sur cette question, autre chose que l'abandon des principes que nous n'avons pas cessé de défendre, comme intéressant au plus haut point l'avenir du pays, et l'on n'aurait pas manqué de dire que nous n'étions guidés que par d'étroits calculs, que nous n'agissions qu'en vue de nos positions personnelles.

A d'autres donc appartenait l'initiative en cette matière. L'initiative devait venir, non pas des adversaires de la mesure, mais de ceux qui consentent à en assumer la responsabilité. Cette initiative, elle était promise depuis 1856. Comment se fait-il que les manifestations que nous avons vu se produire ne se soient pas dirigées contre ceux qui ne tenaient pas les promesses qu'ils avaient faites, contre ceux qui attendaient quatre années avant de formuler une résolution sur cette question du cours légal de l'or français, contre ceux qui attendaient le dernier jour de la session 1860 pour déposer une proposition, sachant bien qu'alors elle ne pouvait pas être soumise à nos délibérations, et qu'une discussion ne pourrait plus s'ouvrir qu'à la veille des élections ? Calcul politique qui sera trompé ! (Interruption.)

Et maintenant, messieurs, quelle fut encore notre attitude en présence de cette proposition une fois déposée ? Nous en appelons à la Chambre entière ; en présence d'une proposition formelle, nous avons laissé faire ; nous n'avons rien demandé à nos amis ; aucun ministre ne s'est rendu dans les sections, lors de l'examen du projet de loi. Je pouvais, par mon vote, empêcher même l'auteur de la proposition d'être nommé rapporteur à la section centrale. Je n'ai pas été voter.

M. B. Dumortier. - Cela n'eût rien fait à la chose.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'aurais rendu plus évident l'étrange accueil que votre proposition rencontrait dans les sections de la Chambre. J'explique, d'ailleurs, l'attitude que nous avons gardée ; je montre comment nous avons laissé faire ; comment nous avons laissé se manifester tous les sentiments sans aucune espèce de pression de notre part. Je montre comment on est juste, lorsqu'on parle ici d'obstination, et qu'on désigne à la malédiction générale, la prétention d'un seul de s'imposer à la volonté de tous.

M. Rodenbach. - Ce n'est pas à la Chambre qu'on a dit cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non ; la Chambre n'en sait pas le premier mot.

Et maintenant, messieurs, chacun laissé à ses propres inspirations, tout le monde le reconnaît, que se passe-t-il dans les sections de la Chambre ? Deux sections adoptent la proposition, trois la rejettent, une s'abstient. Et l'on vient dire ici que le pays est unanime ! (Interruption. Vous n'êtes rien, vous me comptez donc pour rien dans le pays ! Le pays est unanime ! Et partout je vous montre la division, partout elle éclate, comme elle se révèle jusqu'au sein même des sections de cette Chambre ! Enfin, dans une section centrale composée de sept personnes, quatre propositions différentes se trouvent successivement rejetées, et l'on n'a à soumettre à la Chambre qu'un rapport négatif. Bien plus, l'hésitation est telle parmi ceux qui semblent les plus unis que, dans la section centrale, les cosignataires de la proposition principale se divisent et qu'ils sont obligés de finir par un compromis !

Ce résultat, messieurs, était-il de nature à nous porter à nous rallier à la proposition de l'honorable M. Dumortier ? Il fallait sans doute autre chose pour faire impression sur nos esprits. Le résultat de l'examen en sections, que ne prévoyaient guère les partisans extérieurs du cours légal de l'or français, leur fait penser qu'il est indispensable d'éclairer la législature. Des comités se forment ; une agitation est organisée suivant toutes les règles. C'est le droit, messieurs, des citoyens de se réunir, d'exprimer leurs vœux, et nous sommes certainement loin de les blâmer d'user de ce droit. En thèse générale même, nous voyons avec une vive sympathie ces réunions de citoyens s'occupant des intérêts publics. Mais nous nous réservons de juger franchement et librement, à notre tour, les opinions qu'on veut faire prévaloir ; nous nous réservons de démontrer si telle est notre conviction, qu'il y a danger pour le pays à admettre les idées que l'on préconise.

Un comité composé d'une vingtaine de négociants de la capitale s'est constitué en vue de chercher les moyens de remédier aux vices de notre situation monétaire et de les signaler à la Chambre et au gouvernement. Ce comité, qui était composé, non pas de théoriciens, mais d'hommes très pratiques, a étudié la question et vous a fait connaître son avis dans un mémoire qui vous a été adressé. Ce comité m'a fait l'honneur de me demander une audience, et nous nous sommes entretenues longtemps de la question. Voici, messieurs, le système qui m'a été soumis :

« Système monétaire.

« A. La monnaie d'un pays n'a cours légal que dans l'intérieur ; lorsqu'elle s'exporte, son caractère de monnaie se perd, ce n'est plus que de la marchandise qui se vend au poids.

« B. Au gouvernement du pays appartient le droit et incombe le devoir de battre la monnaie ayant cours légal.

« C. Comme conséquence de ce droit et de cette obligation, le gouvernement est garant et responsable de la monnaie ; c'est lui qui subit le frai, c'est-à-dire la diminution de poids due à l'emploi de la monnaie ; par contre, c'est lui qui profite du bénéfice de la fabrication.

« D. Nul ne peut battre monnaie ; l'infraction à ce principe est qualifiée crime et punie de peine très sévères.

« E. La monnaie doit être droite de poids et d'aloi, sous la garantie et le responsabilité directe du gouvernement.

(page 628) « F. Le gouvernement établit le rapport légal entre les monnaies de cuivre, d'argent, d'or, sous son entière responsabilité.

« G. En se conformant aux conditions énumérées ci-dessus, un gouvernement peu' faire choix de tels métaux qu'il juge convenable pour établir sa circulation monétaire. »

En conséquence de ces prémisses, on arrivait à la conclusion suivante :

« Il serait avantageux pour l'Etat :

« 1° D'employer les deux métaux précieux à la confections des monnaies belges ;

« 2° De battre de préférence celui des deux métaux qui est momentanément le plus abondant ;

« 3° De conserver le rapport légal dans toute son intégrité ;

« 4° D'admettre l'or français sur le même pied que la France admet l'or belge. »

Ce système, messieurs, contrariait toutes les idées reçues en fait de monnaies. Il supposait qu'en Belgique, comme le croyait hier l’honorable M. Coomans, comme M. Dumortier le croira toujours, qu'en Belgique le droit de fabriquer la monnaie n'est pas illimité.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez dit cela et bien d'autres choses encore ; vous avez dit dans votre exposé des motifs : « Si l'on ne veut pas laisser circuler l'or, que le gouvernement donne de l'argent. »

M. B. Dumortier. - C'est tout autre chose, je maintiens cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous soutenez que le droit de battre monnaie n'est pas illimité en Belgique.

M. Coomans. - C'est l'opinion que vous nous attribuez.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous exprimiez cette opinion-là hier.

M. Coomans. - Pas du tout !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soit ; abandonnez-la aujourd'hui.

Je dis donc que le comité de négociants institué à Bruxelles avait formulé ainsi son opinion.

Je dis qu'il supposait qu'en Belgique le droit de fabriquer de la monnaie n'est pas illimité ; il supposait que ce droit n'appartient pas à tous les citoyens, sous la seule condition de faire frapper les espèces à l'hôtel de la Monnaie, pour que le gouvernement puisse en vérifier le titre et le poids, tels qu'ils sont déterminés par la loi, et dispenser ainsi les citoyens de faire eux-mêmes cette vérification. Le système du comité confondait le billon avec la monnaie, le billon qu'on n'est pas tenu de recevoir en payement, si ce n'est pour des sommes minimes, avec la monnaie qui est libératoire. Il supposait, chose incroyable à notre époque, que le gouvernement bénéficiait sur la fabrication des monnaies, précisément comme si nous étions en plein en moyen âge.

Et, en conséquence de ces prémisses, la conclusion était « que le gouvernement fît battre celui des deux métaux qui est momentanément le plus abondant. »

Il y avait ici, vous le remarquez, un euphémisme des plus ingénieux. S'il n'avait pas été employé, si l'on avait eu recours à l'expression propre, on aurait vu éclater immédiatement le caractère de cet étrange projet. En parlant de celui des deux métaux qui est momentanément « le plus abondant » on voulait dire qui est le plus déprécié, car l'argent est beaucoup plus abondant que l'or, et d'après le texte pris à la lettre, c'est le premier métal qu'on aurait dû prendre, tandis que c'est le second que le comité entendait recommander. Ainsi, le système dans son ensemble, avait pour but de reconstituer la fabrication de la monnaie en droit régalien, procurant un bénéfice à l'Etat, bénéfice qu'on voulait d'autant plus grand, d'autant plus certain, que le gouvernement aurait frappé alternativement la monnaie dans le métal plus déprécié.

Et, pour le dire en passant, ce système, si monstrueux qu'il soit, est-il resté sans appui ? Depuis l'ouverture de la session, il est arrivé un grand nombre de pétitions, non des milliers comme on se plait à le répéter, mais 259, sur cette question monétaire ; c'est le nombre que j'ai constaté à l'ouverture de la discussion. De ces 259 pétitions, 118 du même texte demandaient l'institution du droit régalien, pour la fabrication des monnaies ! C'est l'opinion publique devant laquelle l'honorable M. Royer de Behr tire son chapeau.

Je fis remarquer au comité toutes les énormités d'un pareil projet, en appelant son attention sur les iniquités qu'il renfermait, et en lui expliquant comment le gouvernement ne pourrait pas le mettre en pratique, parce qu'il ne fabrique pas de monnaie. « C'est peut-être un tort, » répondit très consciencieusement l'auteur du projet.

Mais il me parut dès ce moment que les au Ires membres du comité avaient perdu quelque peu de leur confiance dans le système.

Je prie qu'on me dise si c'est à l'opinion de ces hommes pratiques que je devrais m'arrêter ?

Ceci se passait le 8 janvier dernier. A quelques jours de là, le premier système était complètement abandonné, et le comité me faisait l'honneur de m'adresser une autre brochure sur la question monétaire ; M. Dumortier l'a invoquée ; pour lui c'est une autorité ; elle avait été jusque-là négligée.

J'y lus que la loi de 1850, en démonétisant l'or, avait privé le débiteur de la faculté de se libérer en ce métal, et que, étant aujourd'hui déprécié par rapport à l'argent, il en résultait un préjudice pour le débiteur.

« ... L'argent en lingot, porte cet écrit, recommandé par le comité, se vend en ce moment avec un agio de 26 par mille. L'or, au contraire, est offert à un demi pour cent d'escompte.

« Dns ces conditions, la quantité d'argent fin nécessaire à l'amortissement de la dette de l'Etat, coûterait 27,702,000 fr. par année, tandis que l'équivalent d'or n'exigerait que 26,865,000 fr. de dépense. De là une différence préjudiciable de 857,000 fr. qu'il faudra subir pendant tout le temps que durera l'écart entre le prix des deux métaux. »

Et plus loin : « Il est permis de croire que l'état actuel des choses peut se prolonger jusqu'à l'extinction de nos emprunts, c'est-à-dire pendant 36 années en moyenne. Dans ce cas, la loi de 1850 aura causé au pays une perte de 72 millions de francs. »

Je restai confondu, je l'avoue, à la lecture de cet écrit destiné à prouver qu'il fallait donner cours légal à la monnaie d'or française à sa valeur nominale !

Jusque-là, j'avais entendu répéter qu'un franc était un franc, que le métal ne faisait rien à la chose, et partant qu'il était ridicule de ne pas admettre la pièce d'or comme l'équivalent de quatre pièces de 5 francs. Mais cette fois on ne se retranchait plus dans des nuages ; dans l'hypothèse posée, l'État allait être privé d'un bénéfice de 72 millions de francs, si l'on persistait avec obstination à vouloir payer en argent plutôt que de payer en or. S'il payait en or, l'Etat ferait un bénéfice annuel de 837,000 fr. ! (Interruption.)

L'auteur prétend que par la loi de 1850 j'ai causé au pays un préjudice de 837,000 fr. par an, qui sera de 72 millions de fr. si l'état de choses actuel se maintient pendant toute la durée de l'amortissement, et un préjudice bien plus considérable que 72 millions si l'écart s'accroît.

Mais si, sur l'amortissement annuel, il y a 837,000 fr. à gagner, par la substitution de l'or à l'argent, c'est apparemment que les créanciers de l'Etat perdront ces 837,000 francs, c'est apparemment que les créanciers de l'Etat seront volés de 72 millions de francs ! Et comme la dette de l'Etat est, en définitive, la plus minime partie des engagements qui existent dans le pays, tous les autres créanciers des particuliers perdront des millions en proportion, dans l'hypothèse posée par le mémoire recommandé spécialement à votre attention, par le comité des négociants de la capitale !

On propose donc, avec une crudité qui étonne, mais qui prouve aussi toute la bonne foi de ceux qui se font les propagateurs d'idées fausses qu'ils ne comprennent pas, on propose donc de faire passer une partie de la fortune des créanciers dans les mains des débiteurs.

On propose sans scrupule de réduire les dettes, de violer les contrats, de méconnaître les engagements contractés sous la garantie de la loi ! Bien plus, tant les idées sont étrangement perverties en cette matière, on se fait un mérite d'avoir un aussi merveilleux système d'aplanir les difficultés dont on se plaint. Les créanciers de l'Etat perdront 837,000 francs par an, 72 millions pendant la durée de l'amortissement ; tous les autres créanciers perdront des millions en proportion, et tout le monde sera enchanté ! Il n'y aura plus d'embarras, il n'y aura plus aucune espèce de difficulté dans la situation !

Si j'avais pu hésiter sur la question, de quels doutes n'aurais-je pas été assailli en lisant de pareilles énormités ? Et cependant, messieurs, les résultats clairement démontrés de la substitution de l'or à l'argent, la perte qu'elle doit entraîner pour les uns, le profit qu'elle doit procurer aux autres, en violation des principes les plus élémentaires de l'équité, ces résultats sont précisément ce qui fascine la foule. On acclame l'écrivain qui les a mis au jour.

Le comité des négociants justifie par là le cours légal de l'or français qu'il réclame, et pour mieux propager ses convictions, il provoque la réunion d'un grand meeting au sein de la capitale.

Des idées vont sans doute se produire dans cette assemblée, qui (page 629) serviront à nous éclairer ; des appels sont faits aux hommes les plus considérables et à tous les hommes de bonne volonté. Il en vient de Gand, de Mons, de Tournay et d'ailleurs. L'écrivain qui a mis en relief les avantages que le débiteur obtiendra si l'on donne cours légal à la monnaie d'or de France, est appelé à présider l'assemblée ; il est entouré d'un bureau qui donne encore plus de poids à ses paroles. Il flétrit les rois faux monnayeurs, c'est-à-dire ceux qui substituaient à une pièce de monnaie uns autre pièce de monnaie ayant une moindre valeur intrinsèque ? mais en lui conservant la valeur nominale de la première. Philippe le Bel est justement condamné par l'histoire. Mais je voudrais bien savoir ce que Philippe le Bel a fait, si ce n'est pas ce qu'on sollicite maintenant de nous ?

Voyons, messieurs, comment on expose à la foule assemblée les belles théories que nous venons de constater, et comment l'on s'est formé des idées aussi justes sur la question monétaire, afin de la bien faire comprendre au public.

« C'est à cette occasion (dit l'auteur du mémoire, parlant cette fois comme président de la réunion nombreuse qui a siégé à l'hôtel de ville), c'est à cette occasion que nos pères ont donné à Philippe le Bel le sobriquet de roi faux monnayeur.

« Afin d'extirper cette calamité dans sa racine et d'empêcher le retour de ces spoliations périodiques des pouvoirs sans frein et sans limite, la convention nationale de France nomma une commission de savants pour étudier la question monétaire, et à la suite de ses profonds et consciencieux travaux, la loi de l'an XI fut proclamée. Cette loi, œuvre de science, de saesse et de désintéressement, fut adoptée à la lettre par la Belgique en 1832.

« Elle fonctionna d'une manière parfaite, et n'occasionna jamais ni trouble, ni plainte, ni malaise, ni perturbation.

« Pourquoi, par quelle vertu cette législation de 1832 laissa-t-elle la nation dans le calme et la sécurité ?

« C'est parce que cette loi n'était ni une œuvre d'imprévoyance ni le produit de la peur ; c'est parce qu'elle répondait à tous les besoins sans léser aucun intérêt ; c'est parce que son objet essentiel était de faciliter les transactions commerciales de l'intérieur, et non de venir en aide à des combinaisons financières ou à des manœuvres de bourse, ayant pour effet de chasser nos espèces au-delà de nos frontières.

« En un mot, cette loi de 1832 donnait le calme au pays, parce qu'elle consacrait le principe d'une monnaie à deux métaux ; ce principe seul est de nature à garantir aux peuples leur instrument des échanges, attendu que seul il permet que l'un des deux métaux momentanément avili remplace à l'instant l'autre, lorsque par un renchérissement accidentel, ce dernier est attiré vers les marchés étrangers.

« La législation de 1850, au contraire, empêche ce salutaire résultat. Elle repousse l'or et n'admet pas que l'argent fasse fonction de monnaie.

« Mais cette loi de 1850 fixe invariablement à 200 francs le kilogramme d'argent au titre monétaire. Ce système défectueux n'enfantera aucun danger, aussi longtemps que le prix commercial des lingots ne sera pas trop élevé.

« Le monnayage aura son cours ; mais quand ce prix dépassera la valeur déterminée dans la loi, alors les effets désastreux de l'étalon unique apparaîtront.

« Dans ce cas, non seulement la fabrication des espèces deviendra impossible ; mais les pièces en circulation seront rapidement enlevées, prendront le vol vers la frontière, et la nation sera dépouillée de tout son numéraire.

« C'est le mal qui nous mine, c'est la plaie qu'il faut fermer, c'est la lèpre qu'il faut extirper sans retard. »

Ainsi, vous l'entendez, la loi de 1850 fixe invariablement à 200 fr. le kilogramme d'argent au titre monétaire. C'est la cause de tous nos maux, c'est la plaie qu'il faut fermer, c'est la lèpre qu'il faut extirper sans retour. Voyons donc cette loi fatale de 1850, Je la cite tout entière ;

« Art. 1er. L'article premier de la loi du 31 mars 1847, décrétant la fabrication de pièces d'or de 10 et de 25 fr. est rapporté.

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à faire cesser le cours légal de ces pièces fabriquées jusqu'à concurrence de 14,646,925 fr.

« Avant de faire usage de ce pouvoir, il fixera un délai pour les échanger dans les caisses de l'Etat au taux de leur valeur nominale.

« Art. 3. Les monnaies d'or étrangères cessent d'avoir cours légal en Belgique.

« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le jour de sa publication. »

Et voilà tout ! et l'on proclame, aux grands applaudissements de la foule ébahie, que la loi de 1850 fixe invariablement à 200 francs le kilo gramme d'argent, ce dont elle ne dit pas un seul mot, et que c'est cette mesure qui est la cause de tous les embarras dont on se plaint 1 Ainsi, les malheureux qui ont accepté la mission d'agiter l'opinion, de la diriger et de l'éclairer, sont atteints et convaincus de n'avoir pas même lu la loi qu'ils critiquent !

Emerveillés de cette découverte que l'Etat pourra gagner sur sa dette 857,000 francs par an, soixante-douze millions si l'écart se maintient pendant la durée de l'amortissement ; désespérés que l'on ait pris une mesure « qui ne permet pas que l'un des deux métaux, momentanément avili, remplace à l’instant l'autre, » mode ingénieux d'altération des monnaies, ils en savent assez pour lancer l'anathème à la loi de 1850 sans avoir besoin de la lire ; ils en savent assez pour opposer cette loi à celle de 1832, celle-ci - écoutez, je vous prie, ces paroles - celle-ci qui n'était « ni une œuvre d'imprévoyance ni le produit de la peur ; qui répondait à tous les besoins sans léser aucun intérêt, parce que son objet essentiel était de faciliter les transactions commerciales de l'intérieur et non de venir en aide à des combinaisons financières ou à des manœuvres de bourse, ayant pour effet de chasser nos espèces au-delà de la frontière. »

Il ne manquait que l'indignité qui se cache sous ses paroles, pour prouver jusqu'où peut aller l'audace de la sottise greffée sur l'ignorance !

Et maintenant je vais montrer que ces directeurs de l'opinion n'ont pas plus lu la loi de 1832 qu'ils acclament, que la loi de 1850 qu'ils maudissent. Ce sont les prophètes de la pratique qui se dispensent de connaître les faits ; il leur suffit de se croire inspirés. Ils ont ouï parler d'une loi qui fixe invariablement le kilogramme d'argent à 200 francs ; et ceci leur paraît une étonnante absurdité ; ils n'ont pas compris, et tout naturellement ils ont été pénétrés de cette croyance qu'une chose aussi extraordinaire était la cause de toutes nos afflictions, de ce mal qui nous mine, de cette lèpre qu'il faut extirper, ne se doutant pas seulement que cette cause mystérieuse de tant de calamités se trouve précisément dans la loi de 1832, objet de leur prédilection !

L'article premier de la loi de 1832 porte :

« 5 grammes d'argent, au titre de neuf dixièmes de fin, constituent l'unité monétaire sous le nom de franc. »

Ainsi, le mot « franc » n'est pas autre chose que la désignation de 5 grammes d'argent ;-10 grammes font donc ou se nomment 2 francs, et par conséquent mille grammes ou un kilogramme se nomment ou valent 200 fr. : ce qui exprime exactement la même chose. Le franc, c'est le nom de 5 grammes, 5 grammes étant toujours 5 grammes et ne pouvant pas être autre chose, comme un kilogramme est toujours un kilogramme et ne peut être ni plus ni moins qu'un kilogramme, sous peine de n'être plus un kilogramme, il faut donc bien que le kilogramme d'argent vaille toujours 200 francs ou s'appelle 200 francs.

De là vient qu'on dit qu'un kilogramme d'argent, au titre légal, ne vaut jamais ni plus ni moins que 200 francs dans les pays qui ont adopté le système monétaire ayant pour base 5 grammes d'argent pour exprimer un franc ; en d'autres termes, cela revient à la quatrième règle de l'arithmétique : en mille combien de fois 5 ? Réponse : 200. Et dire qu'il y a des gens qui se chargent d'éclairer l'opinion publique sur cette question et qui ne savent pas cela !

Cependant on sait vaguement que la loi de 1832 a été modifiée ;o n sait vaguement qu'il n'est plus permis d'aller à l'hôtel des monnaies faire transformer un lingot d'or en pièces de 20 francs ; et l'on ne trouve rien de mieux que d'imputer ce crime à la malheureuse loi de 1850.

Aussi, l'association qui s'est constituée sur cette question se donne-t-elle pour mission « de poursuivre le retour à la loi de 1832, en ce qui concerne la circulation légale et le rapport constant des monnaies d'or t et d'argent. »

Mais qui donc a mutilé cette loi de 1832 ? Qui donc a fait abroger l'article 7 de la loi, portant qu'il serait fabriqué des pièces d'or de 20 et de 40 fr. ; l'article 8 qui fixait leur titre à neuf dixièmes de fin ; l'article 9 décrétant que les pièces de 20 fr. seraient à la taille de 155 pièces au kil. et les pièces de 40 fr. à la taille de 77 1/2 ?

Qui donc a détruit le principe dont on poursuit le rétablissement ?... Est-ce à nous, est-ce à la loi de 1850 qu'il faut imputer ce crime irrémissible ? Hélas ! non ; le coupable, c'est l'honorable M. Malou ; le complice, c'est l'honorable M. B. Dumortier ; c'est l'honorable M. B, Dumortier qui a mutilé la loi de 1832 dont il poursuit le rétablissement (page 630) aujourd'hui, d'accord avec M. Malou qui opinait pourtant d'une autre manière dans le sein de la commission des monnaies.

La loi du 31 mars 1847, proposée et défendue par l'honorable M. Malou, a, en effet, abrogé ces dispositions de la loi de 1832. Et sur quoi s'est-on fondé ? Sur ce que le rapport entre l'or et l'argent avait changé depuis la loi de l'an XI, sur ce qu'il était indispensable, si l'on voulait avoir une monnaie d'or, de diminuer le poids de ces pièces, en d'autres termes, la quantité de métal fin qui entrait dans une pièce fabriquée ; c'est ce qui a été consacré par la loi ; c'est ce qui a été décidé en 1847. Et ce sont ces mêmes personnes qui professent aujourd'hui le plus profond respect pour la loi de 1852, et qui veulent réintroduire l’or dans la circulation, lorsque le rapport entre les deux métaux a changé, mais cette fois par la réduction de la valeur de l'or ! Ils diminuent le poids de la pièce quand l'or est cher, pour le mettre en rapport, disent-ils, avec l'étalon monétaire ; ils ne veulent pas l'élever pour maintenir le même rapport quand l'or est déprécié !

Mais alors qu'a donc fait cette maudite loi de 1850 dont on parle ? Vous le voyez, cette loi de 1850 n'est pas coupable de ce singulier crime, origine pourtant de tous nos maux, d'avoir fixé le kilogramme d'argent à 200 francs. Elle n'est pas non plus coupable du fait qu'on ne peut plus battre de monnaie d'or en Belgique en tout semblable à la monnaie française.

De quoi est-elle coupable ? Mais elle est coupable d'avoir fait cesser, en premier lieu, le cours légal de ces déplorables pièces de 25 francs et de 10 francs, frappées dans les conditions que vous savez, espèce de billon renversé, la plus malheureuse conception qui se puisse imaginer. Y a-t-il quelqu'un qui demande que l’on remette en vigueur la loi de 1847, permettant de fabriquer des pièces d'or ayant proportionnellement moins de fin que la pièce de 20 fr. ? La condamnation de ce système de monnaie est irrévocablement prononcée.

Il est vrai que la loi de 1850 a ajouté que la monnaie d'or étrangère cesserait d'avoir cours légal en Belgique. Messieurs, on pourrait dire que cette mesure était une conséquence nécessaire de la loi de 1847. Ainsi que je viens de le démontrer en effet, cette loi avait abrogé la disposition de la loi de 1832 autorisant la fabrication des pièces de 20 et de 40 francs identiques aux pièces françaises de même valeur

Elle avait autorisé la création d’une monnaie d’or qui, relativement, avait une valeur moindre ; il était donc impossible que des pièces d'or, dans les conditions de la loi de 1832, pussent circuler concurremment avec les pièces de 25 fr. ou de 10 fr. parce qu'il est tout simple que, du moment que l'on pouvait donner, pour se libérer, des pièces de 25 fr. ou des pièces de 10 fr., valant moins que les pièces de 20 fr., on n'aurait pas été payer un agio pour employer celles-ci. Mais, soit qu'on n'y eût pas fait attention, soit qu'on crût que les pièces françaises n'avaient pas cours légal en Belgique, la loi de 1847 avait laissé subsister la disposition de l'article 23 de la loi de 1832, portant que « les monnaies décimales françaises d'or et d'argent seraient reçues dans les caisses de l’Etat pour leur valeur nominale. » Vous remarquerez cette expression : « seraient reçues dans les caisses de l'Etat. »

A notre sens cela ne signifie pas que les monnaies décimales françaises fabriquées dans les mêmes conditions que les nôtres, eussent cours légal en Belgique. Le texte dit qu'elles seront reçues dans les caisses de l'Etat, mais elle ne dit pas même dans la circulation, comme l'indiquent d'autres dispositions de la loi de 1832, et en particulier en ce qui concerne les pièces qui étaient notre monnaie nationale pendant notre réunion à la Hollande. Ainsi la loi mentionne que les pièces de 10 florins seront reçues au trésor et dans la circulation. Elle n'ajoute plus ces mots quand elle s'occupe des pièces françaises.

Cependant un doute s'est élevé sur le point de savoir si la loi, par cette expression : « seront reçues dans les caisses de l'Etat », n'avait pas, par cela même, imprimé le cours légal à la pièce étrangère. Ce doute naissait d'un arrêt rendu par la cour de cassation qui ne discute pas la question, mais la suppose résolue en ces termes : « Attendu que les pièces de 5 fr. ont cours légal en Belgique d'après la loi du 15 juin 1832. »

Dans cette incertitude, et admettant l'interprétation de l'arrêt de la cour de cassation, la loi de 1850 a fait cesser le cours légal des monnaies d'or étrangères pour lever toute espèce de difficulté sur ce point. Voilà au vrai et au juste ce qu'a fait la loi de 1850.

Cette mesure, dont je détermine bien le véritable caractère, que je n'exagère pas, a pourtant été une mesure très salutaire. Elle a été un acte de prévoyance. Elle est justifiée par tous les événements ultérieurs.

Qu'ai-je dit en vous proposant la loi de 1850 ? Ai-je, comme on se plaît à le répéter, parlé en termes effrayés d'une baisse énorme de l'or, en annonçant qu'elle était imminente et qu'elle allait créer du jour au lendemain une situation périlleuse pour le pays ? En aucune façon. J'ai constaté les faits tels qu'ils étaient à cette époque, avec le plus d'exactitude possible et sans aucune espèce d'exagération.

J'ai dit, à cette, époque, dans l'exposé des motifs de la loi de 1850 : « la baisse existe. Quelle est la cause de cette baisse ? A-t-elle un caractère de permanence, ou n'est-elle que passagère ? Quelles doivent en être les conséquences ? Il serait impossible de donner à ces questions une solution absolue et incontestable. Elle tient à des circonstances diverses, à des complications d'intérêts commerciaux, à des relations internationales dont l'appréciation, dans leur ensemble, échappe souvent à l'observateur le plus éclairé. »

Ce n'était pas là, j'imagine, se montrer trop effrayé de la baisse probable de l'or. J'énumère ensuite, à côté des causes plus ou moins contestables de cette baisse éventuelle, quelques faits généraux dont l'influence semble ne pouvoir être méconnue, et je mentionne enfin les découvertes nouvelles de terrains aurifères en ces termes : « Nous n'avons rien dit de la Californie, qui cependant préoccupe tous les esprits. II ne paraît pas que, jusqu'à ce jour, les produits de cette contrée soient arrivés sur le continent en quantité suffisante pour y exercer une notable influence. Mais on ne peut méconnaître que, pour peu que l'exploitation continue dans ce pays, il faudra bien tenir compte de ce fait nouveau. »

Il faut donc renoncer à la tactique qui consiste à représenter les auteurs de la loi de 1850 comme ayant prophétisé de grandes et d'immenses calamités qui ne se sont pas encore réalisées, afin d'induire de là que l'on peut abroger cette loi sans inconvénient. Certes, si la baisse de l'or, qui est déjà très notable, devait s'accroître davantage, et il est vraisemblable qu'il en sera ainsi, les perturbations seraient déplorables pour tous ceux qui vivent d'un revenu fixe payable en argent. Mais nous n'avons rien présenté en 1850 sous de trop sombres couleurs, et il nous suffit de citer aujourd'hui quelques-unes de nos paroles prononcées à cette époque pour montrer que nous avons raisonné dans la supposition d'une dépréciation qui est précisément celle qui s'est révélée.

Voici ce que nous disions au Sénat le 28 décembre 1850. « La baisse de l'or est-elle constante ? Je ne pense pas qu'on puisse le nier. : Sera-t-elle durable ? Est-elle passagère ? C'est ce que nul ne peut affirmer. Les hommes les plus éminents, les hommes les plus compétents se divisent en certains points sur les conséquences de l'état actuel de la production des deux métaux précieux.

« Si la baisse de fer fait des progrès et si 20 fr. d'or ne valent plus 20 fr. d'argent, vous comprendrez immédiatement ce qui arrivera. Il y aura quelqu'un qui trouvera son profit à vous donner une pièce de 20 fr. en or pour quatre pièces de 5 fr. en argent, et, de cette manière, il restera dans votre poche, non pas 20 fr., mais une valeur de 19 fr. 90,19 fr. 80 ou 19 fr. 70. Si par événement, au contraire, la pièce d'or de 20 fr. vaut plus que quatre pièces de 5 fr., vous admettrez facilement avec moi que les détenteur d'or ne demanderont pas à opérer l'échange. Eh bien, je vous le demande, ne tombe-t-il pas sous le sens qu'il est impossible de maintenir perpétuellement un exact et juste rapport entre les deux métaux, entre l'or et l'argent ? »

N'est-ce donc pas là ce qui arrive aujourd'hui ? L'or ayant baissé, et dans des conditions précisément analogues à celles que j'ai indiquées en 1850, il y a quelqu'un qui a intérêt à vous présenter une pièce d'or en échange de 4 pièces de 5 fr., et de vous laisser ainsi moins riche de la différence de valeur entre les deux métaux C'est pour que ce trafic ne fût pas sanctionné et autorisé par les pouvoirs publics, que la loi de 1850 a été faite, et je m'applaudis fort de l'avoir soumise à l'adoption de la législature, et c'est apparemment pour légaliser ce trafic, qu'on demande le rappel de cette loi !

Si nous récapitulons ce que nous venons de voir et d'analyser, nous croyons qu'on ne pourra pas nous taxer d'une outrecuidante présomption pour n'avoir pas salué comme une merveille une nouvelle édition du droit régalien, conférant à l'Etat le droit de battre monnaie à son profit, en frappant alternativement la monnaie du métal le plus déprécié ! Véritable théorie du système d'altération des monnaies.

Nous croyons qu'on n'a pas réussi à nous convertir au système du double étalon en nous enseignant « qu'il garantit seul aux peuples leur a instrument des échanges, attendu qu'il permet seul que l'un des deux métaux momentanément avili remplace à l'instant l'autre. » Ce qui revient à dire qu'il faut réduire successivement l'étalon monétaire en laissant aux banquiers le bénéfice de la substitution d'un métal à l'autre, bénéfice que la première conception entendait réserver à l'Etat.

Nous croyons que nous pouvons honnêtement, et même sans cesser d'être libéral, répudier un système qui, de l’aveu de ceux qui le défendent, doit avoir pour résultat de permettre à l’Etat de faire annuellement 837,000 francs de bénéfice au détriment de ses créanciers !

Que reste t-il donc pour nous convaincre, car voilà à peu près tout ce qui a été produit jusqu'à présent pour nous séduire ? Je ne vois plus que les raisons de l'honorable M. Dumortier.

Mais, messieurs, je ne suis pia sans inquiétude.

L'honorable M. Dumortier est un guide peu sûr dans les matières économiques. Excellent homme d'ailleurs...

M. B. Dumortier. - Un très bon homme.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... dans les conversations particulières ; mais dans les discussions publiques, il s'abandonne trop facilement à toutes les fantaisies de l'imagination la plus complaisante et la plus brillante que je connaisse.

M. B. Dumortier. - Nous pouvons aller de pair.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous me flattez. Mais on comprend à merveille qu'en le suivant, on court risque de s'égarer. Ses propres amis ne sont pas bien rassurés sous ce rapport.

Vous les voyez se lever tour à tour, et s'ils adoptent plus ou moins la proposition de l'honorable membre, ils se hâtent de crier anathème aux motifs donnés par l'honorable M. Dumortier. Nous les repoussons, ils sont inadmissibles ! s'écrient-ils tout d'une voix.

Une proposition conçue par l'honorable M. Dumortier, et qu'il n'a pu justifier que par des raisons que tout le monde condamne, me paraît par cela même très suspecte.

Si l'on avait suivi les conseil de l'honorable M. Dumortier, nous n'aurions guère de chemins de fer.

M. B. Dumortier. - Pardon !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A l'exception de la ligne d'Anvers au Rhin, qui lui paraissait une chose possible parce qu'il n'y avait pas de voie navigable dans cette direction, toutes les autres lignes proposées dans le premier projet du gouvernement n'étaient à ses yeux que de la folie et du charlatanisme.

M. B. Dumortier. - J'ai demandé qu'on fît les chemins de fer par concession et vous n'en faites plus aujourd'hui que par concession. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il me semble que je n'excède pas mes droits en montrant que, dans une foule de matières économiques, l'honorable membre a émis des opinions qui, si elles avaient été suivies par la Chambre, l'auraient induite en erreur.

M. B. Dumortier. - C'est évident ; seulement je demanderai la parole pour vous répondre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Rien de plus juste. Ainsi, lorsqu'on a demandé à établir le service rural, c'était une chose monstrueuse aux yeux de l’honorable M. Dumortier. Il a demandé que cela fût inscrit comme inconstitutionnel.

Si l'on avait suivi ses conseils en matière économique, nous serions encore plongés dans le régime des droits différentiels, nous aurions encore l'échelle mobile, la prohibition et toutes les mesures les plus restrictives possible.

M. B. Dumortier. - Non, pas la prohibition.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soit ; pas la prohibition, mais la protection à outrance.

M. Coomans. - Vous l'avez encore.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que nous examinerons un autre jour. Et pour rester dans la question qui nous occupe, je dois constater que l'honorable membre a tellement varié, que je ne sais à laquelle de ses opinions je dois m'arrêter.

En 1847 il voulait à tout prix une monnaie nationale. Il annonçait des périls extrêmes si nous nous trouvions en communauté de système monétaire avec un grand pays voisin.

D'après lui, « un pays qui vous veut du mal vous enlève votre monnaie, pour la mettre en circulation chez lui,» et il assurait que « rien n'était plus facile. »

M. B. Dumortier. - Cela s'est fait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous voyez que l'honorable membre est toujours pénétré de la même conviction ! Et pourtant aujourd'hui, il veut à tout prix, malgré les périls immenses qu'il nous a signalés autrefois, que nous donnions cours légal chez nous à la monnaie, d'un grand pays voisin !

M. B. Dumortier. - Vous n'en avez pas d'autre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous verrons. N'anticipons pas ; je m'engage à vous faire voir que nous en avons d'autre et beaucoup.

M. B. Dumortier. - Cela sera curieux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier nous disait en 18356 en demandant le cours légal de cette monnaie étrangère « qu'il ne proposait pas de donner au gouvernement le droit de battre de la monnaie d’or. » Je ne le veux pas, je ne le proposerai pas, disait-il. Aujourd'hui l'honorable membre propose de confier au gouvernement le pouvoir de battre de la monnaie d'or.

Je me demande à laquelle des opinions de l'honorable M. Dumortier je dois croire ?

Comment veut-il me convaincre ?

Dois-je croire aux périls qu'il imaginait jadis, si, au lieu d'une monnaie nationale, nous n'avions pour nos usages qu'une monnaie étrangère, ou dois-je croire, comme il le prétend aujourd'hui, que nous ne pouvons, sans nous exposer à des souffrances et à des calamités de tous genres, refuser plus longtemps de donner cours forcé à la monnaie d'un pays voisin ?

Messieurs, quel est le point de départ, quelle est l'origine de la difficulté qui nous occupe ? C'est, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Dumortier, et c'est ainsi qu'il entend justifier principalement sa proposition, c'est la pénurie de la monnaie d'argent.

Si des négociants venaient vous dire simplement : Le change sur. Paris a baissé ; nous avons plus de bénéfice à faire venir de l'or et à le mettre dans la circulation au pair qu'à négocier nos effets sur la France ; et s'ils vous demandaient une loi parce qu'il y a des récalcitrants qui se refusent à recevoir au pair la monnaie achetée par eux à un cours inférieur à sa valeur nominale, ne vous indigneriez-vous pas contre une pareille proposition ? (Interruption.)

Je répète l'hypothèse.

Le change sur Paris a baissé. Ceux qui ont du papier sur Paris à négocier, ont plus d'intérêt à faire venir de l'or et à payer les frais de transport, pourvu qu'ils puissent l'émettre au pair dans le pays, qu'à vendre leur papier au cours du change. Et si l'on venait vous demander une loi pour que tous les Belges fussent contraints de payer, à ceux qui ont ce papier sur Paris, la différence entre le cours du change et le pair, vous repousseriez avec indignation une pareille proposition. Eh bien, c'est celle que l'on vous fait ; et j'en appelle aux explications mêmes qui vous ont été données dans une de vos dernières séances par l’un des champions de la proposition de l'honorable M. Dumortier.

Que vous a-t-on dit, messieurs ? Oui, il est vrai, on a maintenant d'ordinaire plus de bénéfice à faire venir de l'or de Paris qu'à vendre son papier. On donne la pièce au pair en payement des salaires. Mais si l'on a fait ainsi le bénéfice que l'on voulait obtenir en faisant venir cette monnaie au lieu de vendre le papier sur Paris, au détriment de qui l'a-t-on fait ce bénéfice ? Au détriment de l'ouvrier, à qui l'on a remis ces pièces d'or au pair ; c'est lui qui a payé la différence du change 1/2, 1/4, 1/8 p. c. selon les circonstances. Voilà ce qu'on vous demande de sanctionner !

On vous dit : Les salaires augmentent en proportion de la dépréciation de cette monnaie. Mais si les salaires devaient augmenter en proportion de cette dépréciation de la monnaie, à quoi bon cette opération ? Et qui donc supporterait la perte du change dans cette hypothèse ? Non, messieurs, les salaires n'augmenteront pas dans cette proportion, ils n'augmenteront que dans les conditions ordinaires où les salaires se modifient, c'est-à-dire sous les influences de la loi de l'offre et de la demande. Sans doute, l'élévation du prix des denrées, l'élévation du prix des choses a pour résultat, avec le temps, d'amener une augmentation des salaires ; mais c'est lorsque les populations ouvrières ont passé par toutes les souffrances ; c'est quand elles sont décimées par la misère et que les bras, moins nombreux, sont alors plus demandés qu'offerts. Mais aussi longtemps que les bras sont plus offerts que demandés, quel que soit le haut prix des subsistances, les salaires ne s'élèvent pas.

Retenez-le bien, messieurs, ce que je viens de signaler est l'une des causes les plus actives de l'introduction de l'or français dans la circulation ; c'est pour qu'il n'y ait point d'obstacle à l'opération qu'une loi est demandée, et de cette opération, vous savez maintenant quels sont ceux qui doivent payer les profits. Et c'est, dites-vous, parce qu'on manque de monnaie d'argent !

Voici ce qui se passe : l'or est amené dans la circulation comme je viens de l'indiquer ; il est remis en payement aux ouvriers ; il monte des ouvriers chez les détaillants ; de ceux-ci chez les marchands en demi-gros ; de ces derniers chez les négociants en gros ; et chacun le veut donner au pair en acquit de ses obligations, de là souvent des plaintes, des embarras que l'on ne peut méconnaître.

De ce que la monnaie est dépréciée, de ce que, à un moment donné (page 632) elle peut perdre plus encore de sa valeur, elle circule naturellement presque seule et avec rapidité. Chacun de ceux qui la possèdent cherche à s’en débarrasser immédiatement. Vous voyez beaucoup de cette monnaie ; mais c'est moins à cause de la quantité que de la qualité. Tout le monde a intérêt de s'en débarrasser au plus vite, et elle passe ainsi rapidement de main en main. Cette quantité, en effet, est forcément limitée ; il y a des obstacles, il y a des barrières et des barrières infranchissables, qui s'opposeront aussi longtemps que vous le voudrez à ce que cette quantité dépasse certaines limites. Ces barrières, ce sont les caisses de l'Etat et celles de la Banque Nationale.

Aussi longtemps que vous voudrez empêcher l'or d'envahir votre circulation, aussi longtemps que vous maintiendrez la situation actuelle, vous aurez l'argent nécessaire pour faire face à tous vos besoins. Sans doute, à mesure que l'or prend place dans la circulation, une certaine fraction d'argent se retire ; de deux monnaies en présence, celle qui a le moins de valeur prend la place de l'autre. Il est clair en effet que celui qui peut se libérer au moyen d'une pièce d'or qui vaut 19 francs 90 centimes ou 19 fr. 96, ne donnera pas généralement quatre pièces de cinq francs. Mais il est impossible que tout l'argent se retire, parce que tous les engagements qui sont contractés envers ces grands créanciers, qui sont l'Etat et la Banque, doivent toujours être acquittés en argent, et qu'il faut nécessairement que ceux qui ont à remplir de telles obligations, les exécutent en monnaie d'argent qu'ils doivent dès lors se procurer.

M. B. Dumortier. - Et quand il n'y en a pas ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'arrive précisément à l'objection.

Un fait capital est donc à éclaircir avant tout ; et quand ce fait capital sera bien mis en lumière devant vous, il vous sera impossible de voter la mesure proposée. Si vous aviez des doutes sur ce point, votre devoir serait d'ordonner une enquête pour vous éclairer sur ce fait qui domine tout : la monnaie d'argent fait-elle, oui ou non, défaut dans la circulation du pays ?

Eh bien, messieurs, je vais vous donner des preuves irrécusables, des preuves écrasantes que la mesure qu'on sollicite, avec toutes ses iniquités, n'est pas justifiée par la nécessité et repose sur une assertion matériellement inexacte.

Premier fait : Les contributions publiques rentrent-elles régulièrement, oui ou non ? Y a-t-il difficulté sur un point quelconque du territoire ? Voilà la question. Voici un tableau qui vous montrera que la rentrée des contributions, mois par mois, depuis 1856, s'opère exactement, dans les mêmes proportions. Je ne viens certes pas prétendre que vous ne trouveriez ni dans quelque village, ni sur un point quelconque de la frontière, certains embarras résultant de la circulation de l'or ; qu'on ne me prête point une telle exagération ; sans doute cela est et cela doit être, et des plaintes partielles ont incontestablement leur côté légitime. Nous ne parlons que des grands faits, des faits généraux qui s'appliquent à tout le pays. Voilà la vérité.

Second fait : Comment se font par les particuliers les payements à la Banque ? Remarquez ceci : à l'heure qu'il est, l'or circule avec une petite perte, de telle sorte que, s'il y avait des embarras, si un individu était gêné pour se libérer, il donnerait de l'or et subirait la perte. Il l'aurait pu à toutes époques, quelle qu'ait été la perte, car le besoin le plus impérieux était de remplir ses engagements. Eh bien, il n'y a jamais eu que des payements insignifiants en or faits à la Banque.

Et, tout au contraire, on y a fait des payements énormes en argent depuis quelques années.

En 1853, on a versé, en espèces, 116 millions, somme ronde ; en 1858, 156 millions ; en 1858, 166 millions ; en 1859, 202 millions ; en 1860, 230 millions, le tout en écus, le tout en pièces de cinq francs.

M. Rodenbach. - Elles n'ont pas le poids légal.

M. Coomans. - La même pièce a figuré souvent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'or est abondant, la même pièce ne figure qu'une fois dans la circulation ; pour l'argent, c'est différent, c'est toujours la même pièce qui revient !

On a donc payé en argent, et l'on est arrivé à 230 millions en 1860 ! C'est vrai, dira-t-on, mais on est forcé, on n'est pas libre, on a des engagement vis-à-vis de la Banque, on fait des efforts suprêmes. Voici qui détruira cette assertion.

Troisième fait. On vient apporter à la Banque des écus de 5 francs pour avoir des billets, purement et simplement, sans que rien y oblige, tant l'argent abonde, et on le fait pour des sommes énormes. Ainsi, ce public qui n'a pas d'argent, je parle toujours de faits généraux et non de faits exceptionnels, ce public qui n'a que de l'or, ce public au nom duquel on demande de décréter des mesures iniques, ce public s'en va portera la Banque des écus de 5 francs, pour obtenir en échange des billets de banque 1 On a versé à la Banque, pour obtenir des billets, à Bruxelles et dans tontes les agences, en 1853 60 millions en pièces de 5 francs ; en 1855, plus de 74 millions ; en 1858, plus de 90 millions de francs en 1859, 82 millions ; en 1860, près de 75 millions.

Ainsi, messieurs, voilà trois faits qui sont de la plus haute gravité contre l'assertion qui sert de base au projet ; mais en voici un quatrième plus décisif si c'est possible. Vous savez que la Banque de France, craignant quelque embarras si elle se trouvait obligée de rembourser ses billets en monnaie d'argent, qui forme une partie de sa réserve, a fait une opération avec la Banque d'Angleterre, qui lui a remis de l'or contre une certaine quantité d'argent.

Cette première opération n'ayant pas pu être renouvelée, une seconde a été tentée à Saint-Pétersbourg, et n'a pas réussi.

La Banque de France, qui apparemment avait lu dans nos journaux que l'or abondait extraordinairement en Belgique, qui était convaincue que les pétitionnaires en étaient extrêmement embarrassés, a voulu acheter des pièces d'or en Belgique.

M. de Naeyer. - Pas au pair.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, mais en réalité, la Banque le payait au pair au moins, car elle avait à sa charge les frais de transport de l'argent jusqu'à Lille et de l'or versé en échange, de Lille à Paris. Elle avait, en outre, des pertes d'intérêts. Ses achats ont fait monter le cours de la pièce d'or à 19 fr. 96 c. et 19 fr. 97 ; toutes les agences de la Banque ont été ouvertes pour la réception des pièces d'or qu'on y viendrait verser contre des écus de cinq francs ; des circulaires ont été adressées pour annoncer qu'on pouvait-obtenir des pièces de 5 francs argent contre des pièces d'or, sous l'insignifiante bonification de 20 centimes pour 100 francs ? Quelle somme la Banque de France a-t-elle pu recueillir ? N'oubliez pas qu'il s'agit de savoir si, comme on l'affirme, la gêne est extrême, si les affaires sont entravées, parce que l'on n'a que de l'or qui n'a pas cours légal et que l'argent est impossible à trouver ; il s'agit de savoir si ces embarras existent avec le caractère qu'on leur attribue et, en tout cas, s'ils sont de telle nature qu'il faille recourir à la mesure inique que l'on sollicite maintenant. On offre donc de l'argent en échange de pièces d'or à raison de 20 centimes par cent francs, à tous ceux, si grand qu'en soit le nombre, qui prétendent n'avoir que de l'or et se trouver ainsi dans l'impossibilité de se libérer avec une monnaie qui n'a pas cours légal.

Eh bien, messieurs, qu'est-ce que cette mesure a produit pendant six semaines qu'elle a été maintenue ? Elle a produit 4,500,000 francs, rien de plus. Et encore, j'ai fait verser au compte de la Banque de France, 200,000 francs qui se trouvaient dans les caisses du chef des jeux de Spa. Bien plus, le cours du change pendant les premiers temps de l'opération était tel que, par spéculation, on faisait venir de l'or de Paris qu'on versait au compte de la Banque de France, ouvert dans toutes les agences de la Banque Nationale.

Au cours du change, on achetait à Bruxelles et à Anvers, à raison de 19 fr. 92 c., des pièces de 20 francs payables à Paris, et on les faisait venir de là pour les verser, au taux de 19 fr. 96 c, au compte ouvert à l'intermédiaire de la Banque de France.

Il est donc venu de Paris même des pièces de 20 fr. destinées uniquement à être réexpédiées à Paris.

Et c'est ainsi qu'on a fini par obtenir 4,500,000 fr., dans ce pays qui regorge d'or, qui est gêné, embarrassé, parce qu'il n'a pas de pièces de 5 francs l

Donc la base essentielle, la justification du système que je combats, repose sur une assertion dont l'inexactitude est manifestement démontrée.

Et je prie de nouveau que l'on ne dénature pas ce que j'énonce. Je ne nie pas qu'il y ait de l'or dans la circulation, mais, bien entendu, je nie que ce soit une entrave pour les affaires. Je vous le répète, au surplus : tenez bien compte du mode par lequel l'importation de la monnaie d'or se fait dans notre pays ; pénétrez-vous bien de cette idée, qu'on vous demande purement et simplement de charger la nation d'indemniser les porteurs de papier sur Paris de la perte qu'ils pourraient essuyer s'ils le négociaient ; on demande, en un mot, une loi qui condamne les Belges à payer au pair une monnaie qu'ils peuvent acheter à un taux inférieur à sa valeur nominale.

Quand vous aurez décrété cette mesure, quel en sera le résultat ? Les autres Belges qui traitent avec les pays qui n'ont pas d'étalon d'or, subiront à leur tour un préjudice, dont vous serez impuissants à les affranchir.

(page 633) Au lieu de recourir à des expédients aussi exorbitants et aussi injustes, nous pensons qu'il faut répondre aux pétitionnaires : Ne recevez pas l'or, ou, si vous trouvez bon de l'accepter, subissez les conséquences de votre propre fait. Refuser l'or, dit le marchand, y pensez-vous ? C'est impossible ! Refuser la pièce d'or, c'est s’exposer à perdre mes chalands. Si je refuse, on ira chez mon voisin, je ne pourrai pas soutenir la concurrence ! Je suis forcé d'accepter les pièces au pair.

Vous voulez donc que le public vous indemnise de ce que vous faites pour soutenir la concurrence de votre voisin !

On faisait, à ce sujet, devant moi une observation fort juste. Les marchands donnent des étrennes aux domestiques le jour de l'an. Ils en sont, j'imagine, fort contrariés. Chaque fois qu'ils payent ces étrennes, lorsqu'on va acquitter les comptes de l'année, ils se lamentent et se plaignent d'essuyer un préjudice. On leur dit : Ne donnez plus d'étrennes. Mais, répondent-ils, si je ne donne pas d'étrennes, on ira chez mon voisin. Il faut bien que je fasse un sacrifice pour soutenir la concurrence.

Une loi, s'il vous plaît, pour indemniser les marchands de ce qu'ils donnent des étrennes aux domestiques !

Eh bien, au fond, messieurs, c'est précisément ce que l'on vous demande par la proposition de l'honorable M. Dumortier.

Je demande, messieurs, la permission à la Chambre de continuer mardi. (Assentiment.)

- La séance est levée à trois heures trois quarts.