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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 27 février 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 673) ((Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy procède à l'appel nominal a 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à ia Chambre.

« Le sieur Couvreur, ancien brigadier de la gendarmerie, demande qu'il lui soit fait application des dispositions de la loi relative à la pension des gendarmes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Rosoux-Crenwick demandent la construction du chemin de fer Grand-Central franco-belge d'Amiens à Maestricht, projeté par le sieur Delstanche. »

- Même renvoi.


« La direction de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale adresse à la Chambre 116 exemplaires du compte rendu des opérations de cette société, pendant l'année 1860. »

- Distribution à MM. les membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Dautrebande, forcé de s'absenter par suite de la mort de l'un de ses parents, demande un congé. Il ajoute dans sa lettre à M. le président :

« Ne pouvant être présent au moment de voter sur le projet de loi présenté par mon honorable collègue M. Dumortier, je sollicite de votre obligeance de faire connaître à la Chambre qu'il eût été négatif. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi interprétatif relatif aux poids des voitures employées au roulage et aux messageries

Rapport de la commission

M. de Naeyer. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi interprétatif de la loi du 29 floréal an X, relative au poids des voitures employées au roulage et aux messageries.

Projet de loi relatif à la police et la discipline médicale

Rapport de la section centrale

M. Muller. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la police et à la discipline médicale.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Proposition de loi relative à la monnaie d’or

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale continue.

MI de Theuxµ. - Je voterai pour le cours légal de l'or français. Je considère cette mesure comme étant aujourd'hui d'une utilité publique et comme devant devenir prochainement, suivant les plus grandes probabilités, d'une nécessité publique.

En effet, messieurs, de fait nous n'avons pas de monnaie nationale, nous n'avons que quelques pièces de 5 francs. La grande circulation est en pièces d'argent de France, ayant seules cours légal en Belgique.

Jusqu'ici nous avons tenu beaucoup à rester en communauté monétaire avec la France, et c'est le seul pays avec lequel nous puissions avoir cette communauté. Nous avons, dès 1832, mis à néant la communauté monétaire avec la Hollande. Nous n'en avons pas avec l'Allemagne ni avec l'Angleterre.

En Hollande, la monnaie de France n'a pas de cours légal, ni les pièces de 5 fr., ni les pièces d'or.

Mais un fait assez remarquable, c'est que dans ce pays où il n'y a aucune préférence pour l'une ou l'autre monnaie, les pièces d'or étaient, il y a peu de jours, cotées à la bourse d'Amsterdam à 7 centimes de plus que les quatre pièces de 5 fr. Voici le taux : quatre pièces de 5 francs 19-81. La pièce d'or 19-88. Donc 7 centimes en faveur de la pièce d'or. Donc il nous serait plus avantageux, au point de vue même de nos rapports avec les nations qui n'ont pas donné de cours légal aux monnaies françaises, d'avoir de l'or français plutôt que de l'argent français.

Messieurs, si la Chambre adoptait les opinions de M. le ministre des finances, je me demande quelle serait notre position. Ne serait-ce pas renoncer à toujours à avoir une communauté légale pour l'or avec la France ? Certainement.

En effet, M. le ministre des finances ne consentira jamais à admettre la pièce de 20 francs au tarif légal de la France ; d'autre part la France ne consentira jamais à abaisser le tarif légal de ses pièces d'or.

Pour la France, messieurs, il y a impossibilité d'abolir dans l'avenir le cours légal de l'or. M. le ministre nous a dit dans la séance d'hier qu'en 10 ans on a frappé en France de la monnaie d'or pour 4 milliards, et la monnaie d'argent a disparu dans la même proportion.

Comment donc la France pourrait-elle ôter le cours légal à l'or ? D'autre part, comment pourrait-elle diminuer la valeur de l'or lorsqu'il y a chez elle assentiment national à la valeur actuelle ? Ce serait contrarier tous les intérêts, ce serait contrarier le sentiment national, et le gouvernement français ne le fera pas.

Ainsi donc, jamais communauté d'or entre la Belgique et la France.

Mais dira-t-on, la communauté d'argent suffit. Qu'il me soit permis, messieurs, d'invoquer l'autorité du rapport fait par l'honorable M. Pirmez au nom de la commission monétaire instituée par M. le ministre des finances.

Nous trouvons dans ce rapport que la monnaie d'argent se détériore, qu'elle perd de son poids, qu'un jour il sera peut-être nécessaire de différencier la valeur en raison de la diminution du poids.

Cette assertion, messieurs, a une grande autorité, elle n'est pas du tout à dédaigner, car si dans le système de l'honorable M. Frère, vous ne pouvez point surélever la valeur de la pièce d'or de 5 à 10 centimes, comment pouvez-vous maintenir la valeur légale et invariable de l'argent lorsqu'il a perdu de sa valeur intrinsèque ? Je crois que l'argument est tout à fait positif.

A quoi sommes-nous donc exposés ? A avoir comme seule monnaie légale une monnaie qui a perdu de son poids. Si le fait se présente déjà aujourd'hui tant pour les pièces de 5 francs que pour la monnaie divisionnaire, qu'arrivera-t-il dans quelques années, alors que la quantité d'argent diminuant constamment, la circulation de ce qui restera deviendra de plus en plus active, ce qui augmentera de plus en plus l'usure ?

Nous restons, messieurs, en face de cette situation de n'avoir point de monnaie nationale, de n'avoir point de monnaie française en or, et de n'avoir point de monnaie d'argent au poids légal. Cela est intolérable dans un pays dont l'activité commerciale est aussi grande qu'elle l'est en Belgique. Jamais une nation ne se soumettra à une pareille chance.

Maintenir l'argent en Belgique comme seule monnaie légale et alors que la France, où cette monnaie a été frappée, l'abandonne de fait, cela est-il raisonnable ? Je ne le pense pas.

Pour moi, messieurs, je crois que l'emploi de l'or comme monnaie légale a un bel avenir, qu'il est avantageux, qu'il ne présente point les inconvénients graves signalés par M. le ministre, qu'il s'étendra de plus en plus et qu'il deviendra une nécessité publique.

Si, considérée au point de vue commercial, la découverte des gisements aurifères est un immense bienfait, elle est, au point de vue du système monétaire, une immense perfectionnement ; c'est une aide indispensable à l'étendue si rapidement progressive du commerce dans les divers Etats de l'Europe, je dirai presque dans tout l'univers.

Aussi, voyez avec quelle promptitude l'or a obtenu le cours légal dans les principales nations commerçantes, en Amérique, en Angleterre, en France, en Espagne, en Italie. A son apparition, il est vrai que des craintes se manifestent que l'or n'aille devenir un vil métal, ne vienne jeter la perturbation dans toutes les affaires. Des écrits sont publiés partout. En Suisse, on porte une loi contre le cours légal de l'or. Il en est de même en Belgique et en Hollande. Mais l'expérience ne tarde pas à dissiper ces frayeurs ; la Suisse rétablit le cours légal de l'or français ; la Belgique ne prend pas une pareille mesure, il est vrai, mais le public commercial, si intelligent, accepte l'or français avec une légère différence de la valeur commerciale à la valeur légale ; cette différence s'efface de plus en plus, et aujourd'hui elle n'est plus guère que de 4 à 5 centimes, alors que le cours légal n'existe pas ; je suis persuadé que si le cours légal était accordé, nous ne verrions plus de différence entre la valeur commerciale et la valeur légale ; le rétablissement du cours légal rendrait à la pièce de 20 francs la valeur qui lui est attribuée d'après son origine.

(page 674) En Belgique même, l'on a fait une enquête précieuse sur l'opinion de l'honorable M. Pirmez, rapporteur de la commission monétaire. Dans son rapport, il n'admettait pas même la tarification mobile de l'or.

M. Pirmez. - J'ai défendu ce système dans la commission.

M. de Theux. - Je croyais que l'honorable M. Malou l'avait soutenu.

M. Pirmez. - Je l'ai soutenu avec lui.

M. de Theux. - Et la majorité de la commission l'a rejeté.

L'honorable M. Pirmez, rendant justice à l'or, traduit aujourd'hui son opinion en un amendement, ayant pour objet de donner à l'or une valeur légale, mais temporairement variable.

Je considère cet amendement comme un progrès déjà fait dans l'opinion publique quant à l'or. Je crois que ces progrès iront croissant, et, que l'or, soit comme monnaie purement commerciale, soit comme monnaie légale, fera des conquêtes plus imposantes encore ; si le commerce devient toujours plus étendu avec l'Asie, qui recherche de préférence l'argent et avec l'Afrique qui donne également, la préférence à l'argent, l'exportation de l'argent continuera et l'importation de l'or semble devoir continuer pour longtemps ; car aujourd'hui qu'il se fait de nouvelles découvertes de gisements importants, l'avenir semble devoir lui appartenir.

Je crois que la lutte que nous soutenons contre l'or sera une lutte infructueuse.

Voyez, en effet, quels sont les avantages de l'or comme monnaie ! Ce métal, messieurs, est essentiellement propre à la monnaie.

Sous un petit volume et un petit poids il renferme une grande valeur. Il offre aujourd'hui une utilité immense, pour les voyages si nombreux qui se font dans tous les pays.

On dirait que la découverte de l'or en Californie et en Australie a été l'accompagnement nécessaire de l’établissement des chemins de fer et des voyages à la vapeur.

II semble, messieurs, que la Providence, ait ménagé ces deux découvertes à peu près à la même époque pour qu'elles se soutiennent mutuellement.

Messieurs, les affaires deviennent de jour en jour plus considérables et plus nombreuses.

Elles ne peuvent se solder que de deux manières, au moins les affaires importantes, soit par des billets de banque, soit avec de l'or, car on conviendra, je pense, sans distinction d'opinion, que l'argent n'est pas la monnaie du grand commerce, ni du commerce lointain, sauf une grande partie de l'Asie.

J'ajouterai, messieurs, qu'il se fait de grandes transformations en Europe. Ces transformations ont déjà été accompagnées de grandes crises ; de nouvelles crises peuvent surgir de jour à autre.

Que ferait-on, si l'on n'avait pas de monnaie, d'or, ? Donnerait-on cours forcé aux billets de banque ?

Mais malgré ce cours forcé, vos billets de banque n'auraient pas de valeur à l'étranger.

Il y a là des impossibilités qu'on ne peut nier.

L'or devint donc d'une nécessité absolue. Il sera employé comme marchandise si on ne lui accorde pas le cours légal, mais je préfère lui donner le cours légal.

Une objection, messieurs, a été présentée avec beaucoup de vivacité par M. le ministre des finances : c'est l'injustice commise à l'égard des créanciers, injustice qui n'est pas bien grande, parce qu'il ne s'agit aujourd'hui que d'une différence de 4 ou 5 centimes par pièce de 20 fr. équivalente à 5,000 centimes.

La perte est donc bien peu de chose. Mais M. le ministre des finances ne fait pas attention, lorsqu'il plaide la cause des créanciers, qu'il attaque la cause des débiteurs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout !

M. de Theux. - En effet, messieurs, la valeur de l'argent tend à hausser parce que l'argent devient rare, et si le débiteur est obligé de payer en argent, vous lui laites subir une surtaxa à sa dette en le forçant à se procurer de l'argent pour s'acquitter.

Il faudra qu'il vende des marchandises à un prix inférieur à celui auquel il les vendrait pour de l'or. Conséquemment il achète de l'argent par l'avilissement des marchandises.

Stipulez le payement des marchandises en pièces de 5 fr. et vous verrez si vous obtiendrez en France et dans beaucoup d'autres pays la même valeur que si vous stipuliez le payement en or. Evidemment non ! Vous n'obtiendrez pas même le même prix pour vos marchandises en Belgique.

Messieurs, je me demande pourquoi ces alarmes à l'idée de l'adoption de la mesure proposée, lorsqu'on n'a point vu ces craintes se manifester en 1850, lors de l'abolition du cours légal de l'or ? Car, jusqu'en 1850, les débiteurs avaient le choix entre les deux monnaies et, par la loi de 1850, vous avez restreint ce choix et aggravé la position des débiteurs. Pourquoi l'avez-vous fait ? Parce que vous ayez cru qu'en présence de l'avilissement possible de l'or, il y avait utilité à le faire et vous n'avez éprouvé aucun, scrupule à l'égard, des débiteurs. Lorsque, en 1848, vous avez donné cours forcé aux billets de banque, vous exposiez certainement les créanciers à subir une perte sur le montant de leurs créances.

Celte perte n'a pas été considérable parce que la crise n'a point persisté ; mais si cette crise s'était prolongée la perte n'eût pas été seulement de 4 ou 5 centimes sur 20 francs, mais elle se fût élevée à une somme beaucoup plus considérable. Le public pouvait perdre confiance dans l'avoir de la Banque ; les billets à cours forcé eussent été dépréciés dans le commerce et leur acceptation eût constitué une perte énorme, dans cette hypothèse, pour les créanciers.

Messieurs, soyons plus dans le vrai et disons que toutes les nations se sont réservé le droit de démonétiser certaines monnaies, d'en introduire une nouvelle et d'en fixer le cours légal.

Mais cette opération est subordonnée à une condition, essentielle, c'est que la taxe de la monnaie ne devienne pas une contribution déguisée. Or, tel ne serait évidemment pas l'effet de la mesure qui est soumise à vos délibérations.

Dans le système de l'honorable ministre des finances, le pouvoir législatif aurait les mains liées. Cette position, nous ne l'acceptons pas. Il est vrai que M. le ministre des finances y fait une exception ; c'est quand il y a une grande utilité publique, une nécessité publique et un assentiment national. Or, je le demande, ces trois conditions ne sont-elles pas réunies dans le cas présent ?

On s'est prévalu de l'assentiment national pour justifier le cours légal donné à l'or en France.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout, c'était la loi.

M. de Theux. - Oui, mais la loi a été portée parce qu'elle était réclamée par l'opinion publique. Eh bien, cet assentiment national existe en Belgique et se manifeste de la manière la plus évidente. L'utilité publique, elle est signalée par les réclamations incessantes et toujours croissantes.

Quant à la nécessité publique enfin, elle est dans les prévisions des hommes les plus expérimentés dans les affaires commerciales.

Je crois donc qu'il est important, de prendre cette mesure plutôt maintenant que plus tard, et si vous ne la prenez, pas maintenant, je ne doute pas que vous ne soyez obligé d'y recourir très prochainement.

La seconde objection est tirée du préjudice que le payement des salaires en monnaie d'or pourrait causer à l'ouvrier. Eh bien, la mesure proposée aura précisément l'effet contraire.

Les parties du pays qui commercent le plus avec la France reçoivent l'or en abondance et les salaires y sont payés en or, et la mesure proposée n'aurait pas plus les conséquences fâcheuses que l'on redoute que les lois de l'empire n'ont produit ces conséquences relativement à la couronne.

Si le cours légal est donné à l'or, l'ouvrier sera-t-il lésé ? En aucune manière ; loin de là, je le répète, sa position sera meilleure : il n'aura pas à débattre avec des tiers le taux de la pièce qu'il aura reçue ; il, la. rendra au taux auquel il l'aura acceptée,

Il en sera de même pour toutes les petites transactions, qui se font, notamment pour les transactions rurales.

Je me rappelle une circonstance qui définit bien la situation actuelle. Un habitant de la campagne se rend dans une ville voisine pour acheter une tête de bétail.

Il n'avait que de l'or, il comptait payer en or ; le propriétaire du bétail lui dit, qu'il ne reçoit pas l'or, le campagnard court de porte en porte et parvient enfin, après de nombreuses démarches, à échanger ses pièces d'or moyennant 45 centimes de perte sur chacune.

Voilà des faits qui ont dû se reproduire ; je ne dis pas que ce soit commun, général, mais cela prouve les inconvénients de l'absence du cours légal de l'or,

Messieurs, on dit aussi que l'on va frustrer les rentiers, les fonctionnaires publics ; je ne pense pas que les fonctionnaires ou les rentiers s'apercevront du cours légal de l'or, ce serait 2 à 3 centimes par mille centimes ; cela ne vaut pas la peine d'en parler. Prenons l'inverse ; s'ils reçoivent de l'argent et que le prix de l'argent vienne à s'élever, ils profiteront d'autant.

La monnaie d'or reçue dans le petit commerce aura sa valeur à 20 fr. et la perte réelle n'existera pas.

(page 675) Les besoins du commerce exigent deux choses, surtout au point de vue du payement, le crédit et la facilité de payer.

Quant au crédit, on y a suppléé par les banques d'escompte et de prêt ; quant à la facilité des payements, on y pourvoit d'abord par l'émission de billets de banque.

Il se présente un autre moyen concomitant ; pourquoi ne pas légaliser le cours de l'or ?

Ce qu'on a fait pour les billets de banque, pourquoi ne pas le faire pour la monnaie d'or ? On a créé une banque avec le concours de l'Etat, cette banque a émis des billets, la monnaie d'or ne demande point de privilège, elle demandé le cours légal ; c'est avec cela que se font toutes les transactions commerciales ; chose dont on ne se plaint pas du tout en France et ce dont vous n'aurez pas à vous plaindre ici

Une troisième objection, c'est l'étalon unique. Il semble que le double étalon monétaire soit la ruine d'un pays.

Je ne viens pas soutenir la coexistence, au point de vue théorique, des deux étalons, Cependant il ne faut pas forcer les conséquences de cette situation ; surtout si l'on considère qu'elle n'est que temporaire. Nous avons eu les deux étalons de 1832 à 1850 ; nous avons traversé de grandes crises de toute nature pendant cet intervalle et je demande quels sont les inconvénients dont le pays a été frappé. Les deux étalons existent en France ; je demande les inconvénients dont la France est frappée.

Mais l'Angleterre a pris l'initiative de l'étalon unique, et il est dans les probabilités que l'Angleterre sera suivie par la France. Je ne fais aucune difficulté à admettre cette position. Mais quand la France aura aussi adopté l'étalon unique, nous l'adopterons avec beaucoup plus d'avantage, avec beaucoup plus de facilité. Nos relations avec la France ne seront en aucune manière altérées.

Du reste je fais encore cette observation que l'admission de l'or à un taux légal amène de fait l'or comme étalon principal et en quelque sorte unique, la pièce de 5 francs ne restant dans la circulation que comme monnaie divisionnaire pour les petites transactions.

Ainsi d'après les conséquences probables et l'on peut dire certaines de la mesure, on donne satisfaction à ceux qui en théorie ne veulent qu'un seul étalon.

Quatrième objection : c'est la monnaie divisionnaire ; messieurs, on nous assure qu'elle est surabondante en Belgique. Ce fait est contesté par d'autres personnes. Mais enfin quoi qu'il en soit, je ne pense pas qu'il y ait urgence de décréter dès aujourd'hui, ni l'étalon unique ni une nouvelle monnaie divisionnaire.

Attendons un peu et nous n'en ferons que mieux Adoptons aujourd'hui le cours légal de l'or ; réservons à une époque plus ou moins rapprochée, l'examen de la question de l'étalon unique et de la monnaie divisionnaire. Nous aurons pour aide la France, qui a les mêmes intérêts que nous, parce qu'elle se trouve dans la même situation que nous, et au point de vue de la monnaie divisionnaire, dans une situation plus difficile que nous.

Aussi je ne doute pas que le gouvernement français ne soit sollicité de pourvoir aux besoins du commerce par une monnaie divisionnaire. Le gouvernement français ne faillira pas à cet avantage. Eh bien, l'examen qui se fera de cette question nous servira également. Car, quel que soit notre amour-propre national, nous ne sommes pas dans le cas de mépriser les lumières venant de pays aussi avancés en civilisation que nous.

Cinquième objection : le cours légal de l'or est une cause de surélévation de l'escompte. Ainsi la France, l'Angleterre, l'Amérique, qui ont donné le cours légal à l'or, voient l'escompte à des taux beaucoup plus élevés qu'il ne l'est en Belgique. Pourquoi ? Parce que, dit-on, l'or étant une monnaie commune, passe d'un Etat à un autre, ce qui amène des causes de perturbation dans celui qui la laisse sortir.

Je ne puis admettre cette théorie je crois qu'il y a d'autres causes beaucoup plus sérieuses, et plus évidentes à cette différence du taux de l'escompte.

Pour le moment actuel, je pourrais me borner à signaler la crise politique de l'Amérique qui, à elle seule, suffit pour causer cette perturbation dans les trois Etats.

Mais indépendamment de cette crise, qui est une cause actuelle, il y a d'autres causes particulièrement propres aux Etats-Unis d'Amérique, à l'Angleterre et à la France. Par exemple, pour l'Angleterre, on nous a dit avec raison que les principales affaires se font sans débourser ni or ni argent, par des émissions de papier. Qu'en résulte-t-il ? C'est que cette facilité commerciale donnée dans des temps ordinaires, qui prête à la surexcitation des affaires, cause aussi dans des temps de crise un besoin de monnaie beaucoup plus considérable, et de là l'élévation de l'escompte. Lorsque, dans un pays comme l'Angleterre, on commence à douter de la bonté des valeurs commerciales, on veut de l'or. Eh bien, ces demandes d'or étant si générales et si considérables, amènent des escomptes plus forts.

Dans ce paya encore, il y a beaucoup d'opérations hasardeuses et aventureuses qui causent quelquefois des perturbations inattendues.

La même chose existe en Amérique et la même chose existe en France.

En Belgique, au contraire, on a toujours reproché aux industriels et aux négociants d'être trop craintifs, de ne pas faire emploi de leurs capitaux. Ce reproche est peut-être d'autant plus mal fondé que la réserve de nos industriels et de nos commerçants est bien souvent augmentée par la crainte de ne pas savoir faire honneur à leurs affaires et de compromettre la fortune d'autrui. Ils limitent leurs opérations aux affaires qui ont des chances de réussite probables, qui n'excèdent pas dans tous les cas les ressources, dont ils ont besoin pour faire honneur à leurs affaires si l'opération réussit mal. J'aime à attribuer à mon pays cette prudence basée sur le sentiment de l'honneur et de la justice.

Messieurs, on a parlé de la surélévation du prix de toutes choses, si l'on donne le cours légal à l'or. Il faut convenir que dans un pays où l'or est reçu à 4 ou 5 c. de perte pour 20 fr. l'admission au cours légal ne peut pas amener cette perturbation ; mais cette objection n'est pas sérieuse. On a eu beau citer l'exemple de l'Espagne qui s'est appauvrie à la suite de la découverte de l'Amérique, non parce qu'elle avait de l'or et de l'argent en abondance, mais parce que les Espagnols ont émigré vers les colonies et se sont peu occupés de leur industrie, tandis que le travail est la vraie source de fa fortune.

Mais si la découverte des mines du Mexique et du Pérou a été fatale aux Espagnes, comment aurait-elle été bienfaisante pour le reste de l'Europe ?

C'est cependant un fait constant. Sans la découverte de ces mines, notre industrie et notre commerce n'eussent jamais atteint le degré de prospérité qu'elles ont acquis, et jamais on n'eût pu pourvoir aux nécessités sociales d'une population toujours grossissante.

Ajoutons que cette facilité donnée au travail par l'abondance du numéraire, si elle a amené le renchérissement de quelques objets, a aussi amené l'abondance d'une quantité d'autres objets qui sont d'une utilité égale pour les consommateurs. Je n'admettrai jamais que la découverte d'une chose utile soit préjudiciable ni à un Etat en particulier, ni au monde en général.

Sixième objection : Mais pourquoi, dit-on, toutes ces plaintes, dont la presse, dont les Chambres retentissent ? De quoi s'agit-il ? De la perte possible de quelques centimes sur la pièce d'or.

Et qui subit cette perte ? Ceux qui vendent des toiles en France, ceux qui vendent du charbon et du fer en France. Ce sont ceux-là qui reçoivent leurs payements en or, et tout ce que vous feriez ce serait de donner plus de valeur aux traites sur la France, c'est-à-dire de favoriser .souvent les personnages riches et puissants, au détriment du public. Mais, messieurs, si le Hainaut et les Flandres vendent beaucoup en France et reçoivent beaucoup d'or, mais cet or est nécessairement déversé dans le pays, il sert à acheter d'autres choses nécessaires aux industriels qui l'ont reçu.

De cette manière l'usage de l'or se généralise, c'est ainsi que dans le Limbourg, voisin de la Hollande, l'or est entré dans la circulation. Il n'a fallu que quelques années pour amener ce résultat, et il ne faudra que quelques années de plus pour que la circulation de l'or devienne générale dans le pays entier. Je tiens moins encore à la perte de quelques centimes sur la pièce d'or qu'à la gêne que cette différence cause au commerce. En effet, messieurs, quand on achète ou quand on vend, on doit songer à stipuler en quelle monnaie se fera le payement.

Ensuite, on doit examiner si le payement de la marchandise en or ou en argent établira une différence de prix. Que fait-on encore ? Il répugne à l'homme de subir des pertes ; on se dit : J'ai reçu des pièces de 20 fr. pour leur valeur nominale et je veux les donner pour leur valeur nominale. On attend même pour payer qu'on ait reçu de l'or, quand on n'est point pressé par son créancier. Enfin, l'un reçoit l'or sans difficulté, l'autre fait des difficultés. On attend aussi les variations de la bourse.

Il y a, en un mot, une gêne qui s'étend, pour ainsi dire, à tous les détails du commerce. Voilà pourquoi l'on réclame avec tant d'énergie. Puis cette perte de 4 à 5 centimes n'est pas si indifférente puisqu'elle eo renouvelle sans cesse. J'avoue que, pour moi, cette perte ne m'arrêterait pas si l'on était généralement d'accord pour admettre l'or au cours de la Bourse, mais cela n'est pas et ne sera pas ; il y aura toujours des (page 676) tiraillements et des embarras incessants, des embarras qui se multiplieront à l'infini.

Messieurs, le billet de banque est devenu aujourd'hui une nécessité ; on ne pourrait point s'en passer ; mais aussi l'or est devenu une nécessité et l'on ne peut pas non plus s'en passer ; le billet de banque est admis pour sa valeur nominale, pourquoi ne recevrions-nous pas l'or également pour sa valeur nominale ?

La Banque est favorisée par le gouvernement qui l'a créée et qui l'a soutenue par la confection de ses statuts, mais l'or est tarifé à un cours fixe en France, il est admis dans le commerce de cette grande nation et il a pour moi autant de valeur que le billet de banque ; il a même une valeur beaucoup plus permanente, il ne court pas de risque de dépréciation dans les grandes crises ; au contraire dans ces circonstances l'or obtient ordinairement un agio plus ou moins considérable.

L'honorable M. Pirmez a cru obvier aux inconvénients dont on se plaint, en présentant une tarification qui serait obligatoirement faite par le gouvernement tous les six mois et qui serait facultative dans l'intervalle.

Remarquez, messieurs, que l'honorable membre, qui s'est tant élevé contre le double étalon, n'établit point un étalon unique ; il crée un deuxième étalon.

M. Pirmez. - Personne ne serait obligé de recevoir l'or.

M. de Theux. - Le gouvernement au moins sera obligé de le recevoir, et si vous ne voulez pas mettre le gouvernement dans une position fausse, vous devez lui permettre par l'intermédiaire de la Banque nationale, de payer en or les dettes de l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas du tout.

M. de Theux. - Eh bien, si la monnaie d'or tarifée tous les six mois et encore dans l'intervalle de six mois, ne sert qu'à payer les contributions, cette tarification n'est pas nécessaire ; mais je dis qu'elle établira un préjugé contre le cours de l'or, et au lieu de le ramener à sa valeur nominale elle tendra à amener la permanence de la dépréciation et des embarras actuels, elle favorisera de plus en plus l'exportation de l'argent. Voilà, messieurs, quel sera le résultat de cette mesure.

Je ne pense pas, d'ailleurs, qu'il soit dans les convenances d'accorder au gouvernement un pareil pouvoir, et quant à moi je ne le ferai pas.

La septième et dernière objection, c'est que la mesure proposée à la Chambre est inutile, pourquoi ? Parce que l'argent ne fait pas défaut. On signale les sommes reçues en argent par la Banque dans le coûts d'une année, mais on ne dit point que si la Banque a reçu dix ou quinze millions dans un mois, elle a reversé ces millions dans la circulation et que ces mêmes millions lui sont revenus le mois suivant.

M. Coomans. - C'est comme les comparses de l'Opéra.

M. de Theux. - Ces payements en argent ne prouvent donc en aucune manière que le pays possède les quantités d'argent que la banque reçoit dans l'espace d'une année.

On dit encore : « Ce qui prouve l'abondance de l'argent c'est que beaucoup de particuliers apportent des sommes d'argent pour recevoir des billets de banque » Mais, messieurs, c'est à cause de la facilité de transmission attachée aux billets de banque. Ce n'est point parce que l'argent est surabondant : si l'argent était d'un emploi aussi facile, on le conserverait et on ne prendrait pas de billets de banque.

Messieurs, je conclus et je dis que le cours légal de l'or offre de grands avantages au public et qu'il ne donne pas lieu aux objections qu'on a présentées contre cette mesure, et surtout qu'il n'y a aucune espèce d'injustice dans les payements en or ; car les payements se règlent d'après les principes établis par le Code civil. Si l'on n'a pas stipulé en quelle monnaie le payement se fera, c'est qu'on s'en rapportait aux éventualités de l'avenir.

Si, au contraire, une monnaie de payement a été déterminée, eh bien la jurisprudence déterminera quel sera le devoir du débiteur, et elle établira si en bonne justice le créancier a droit de toucher de la monnaie d'argent plutôt que de la monnaie d'or. Nous, n'avons pas à déterminer ces circonstances, pas plus que nous ne sommes intervenus dans la question des baux, lorsque nous avons établi le cours légal des billets de banque ; on s'en est référé aux contrats.

Je dis qu'il est utile en même indispensable pour la Belgique de maintenir et d'étendre sa communauté monétaire avec la France. Or, en adoptant les opinions de M. le ministre des finances, non seulement vous n'étendez pas votre communauté monétaire avec la France, vous ne la rétablissez pas, telle qu'elle a existé de 1832 à 1850, mais en outre, vous êtes exposés, dans un avenir prochain, à n'avoir plus qu'une monnaie d'argent qui est en quelque façon sortie des habitudes de la France et qui est grandement dépréciée par l'usure ; peu à peu vous serez amenés au pesage des monnaies d'argent, qui mettra le pays dans une situation véritablement intolérable. En effet, pour l'argent qu'on recherche à l'étranger à cause de sa valeur, on prend les pièces les meilleures, et puis successivement les meilleures parmi celles qui restent, jusqu'à ce qu'il n'en demeure plus que celles qui n'ont plus véritablement leur valeur légale. Voilà où vous arrivez nécessairement.

Je dis que les pétitions qui vous ont été adressées, que les écrits qui ont été publiés attestent au plus haut point l'utilité publique de la mesure qui vous est proposée. Je dis que le législateur a le droit et que c'est même son devoir de pourvoir à une semblable situation ; et ce devoir, je le remplirai, en votant pour le cours légal de l'or français.

(page 677) M. B Dumortierµ. - Messieurs, la mesure soumise en ce moment à votre examen ne me paraissait pas destinée à prendre de grandes proportions ; je croyais qu'il s'agissait d'un acte bien simple, commandé par l'opinion publique, réclamé par une grande partie du pays ; il me, semblait que la discussion d'une pareille mesure qui, d'ailleurs, ne préjuge aucun système économique, aucun système monétaire, qui laisse entières toutes les opinions ; il me semblait, dis-je, que la discussion d'une pareille mesure pouvait se passer avec le calme et la modération qu'elle commande.

Mais en écoutant le discours de M. le ministre des finances, discours en deux volumes, je dois le dire, je me suis involontairement rappelé ce vieux proverbe : Que rien ne fait autant crier un malade que de mettre le doigt sur la plaie. Le malade, à mes yeux, c'est M. le ministre des finances ; la maladie, c'est l'étalon d'argent qu'il veut conserver à tout prix ; le médecin, c'est l'auteur principal de la proposition de loi qui est soumise à vos délibérations, et qui fait d'autant plus crier le malade, qu'il a mis le doigt sur la plaie.

L'honorable membre pour Liège, après avoir bien voulu dire que j'étais un excellent homme, a ajouté que je n'entendais rien aux questions d'économie politique ; et il a bien voulu en donner des preuves. J'abandonne volontiers à l'honorable membre le monopole des connaissances en économie politique ; mais l'honorable membre qui a cherché à mettre à nu ma faiblesse au public, voudra bien me permettre d'exposer un peu la sienne ; il sera forcé de reconnaître, lui, homme si savant en matière d'économie politique, qu'il a la main singulièrement malheureuse chaque fois qu'il touche à la question monétaire.

J'examine les actes monétaires de M. le ministre des finances. Le premier qu'il a posé, c'est la démonétisation de l'or. Eh bien, ce qui arrive aujourd'hui prouve que l'honorable membre a été fort tristement inspiré dans cette opération, car sa loi de 1850 est devenue l'objet de réclamations universelles de tout le pays.

Autre chose : l'honorable membre, lors de la création de la Banque Nationale, est venu déclarer, dans les termes les plus formels, que jamais la circulation du papier-monnaie de cet établissement ne dépasserait 50 millions, que c'était là une limite extrême.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai jamais dit cela.

M. B. Dumortier. - Voici ce que vous avez dit dans votre exposé des motifs : « L'émission à cours forcé ne s'est guère élevée qu'à 50 millions. En supposant, et c'est là sans doute une limite extrême, que l'on puisse maintenir en circulation des billets convertissables pour une somme égale, etc. » C'est-il clair ?

La circulation des billets de la Banque Nationale ne devait donc pas dépasser 50 millions ; c'était là, suivant l'honorable membre, une limite extrême. Eh bien, je crois que l'émission, autorisée aujourd'hui, est de 150 millions. L'honorable membre regarde cela comme un bienfait, mais, quelque ignorant que je sois en économie politique, il me permettra de considérer ce fait comme pouvant devenir la source des plus grands dangers pour le pays, comme une chose fatale à l'existence de notre nationalité, en cas de crise politique européenne.

Arrive maintenant le jour du grand triomphe monétaire de l'honorable membre. En voyant M. le ministre des finances présenter à cette assemblée, un projet de loi sur la monnaie de nickel, il me semblait voir Minerve sortant tout armée du cerveau de Jupiter ; nous allions voir tout le monde s'agenouiller devant cette monnaie., C'était une conception bien ministérielle et tellement ministérielle que c'est bien plutôt la tête d'un ministre que celle d'un roi qui est gravée sur la pièce.

Eh bien, malheureusement, à toute chose il y a un lendemain, après la fête le quart d'heure de Rabelais arrive.

On émet cette magnifique monnaie, cette grande conception sortie du cerveau de l'honorable M. Frère.

Je crois que l'honorable membre serait fort embarrassé de dire ici l'accueil que sa monnaie a reçu dans le pays. D'un bout de la Belgique à l'autre le pays entier la proclame de la fausse monnaie.

Je suis donc autorisé aujourd'hui que si j'ai fort peu de connaissances économiques (je désire même ne pas en avoir du tout, ma tournure d'esprit ne se prêtant pas à l'idéologie), je suis donc autorisé à dire que l’honorable membre, qui paraît en avoir, a fort peu de connaissances en matière monétaire, et qu'en ces matières, il a la main malheureuse, très malheureuse.

Aujourd'hui qu'arrive-t-il ? C'est que si vous examinez le discours que l'honorable membre a prononcé, vous, direz qu'au lieu de bonnes raisons pour défendre son système, il n'a produit qu'une série de qualifications qui ne prouvent à mes yeux qu'une seule chose, la faiblesse des arguments de celui qui les émet.

Cette loi n'est qu'une mesure d'une grande iniquité. C'est une atteinte irréparable à la fortune publique. C'est un calcul politique. C'est une loi immorale, une atteinte à la loi des contrats. C'est voler les créanciers de l'Etat. C'est l'audace de la sottise greffée sur le mensonge.

- Une voix. - On n'a pas dit cela. On a dit sur l'ignorance.

M. B. Dumortier. - La mesure avec toutes ses iniquités repose sur le mensonge. Il n'y a dans la législation d'aucun peuple civilisé un pareil stigmate.

Quant aux pétitionnaires ce sont des récalcitrants, des malheureux.

Oh ! malheureux en vérité de ne pas partager les opinions de l'honorable ministre, mais bien plus malheureux de devoir perdre tous les jours sur l'or avec lequel ils sont obligés de payer leurs obligations.

Et quant aux écrivains qui soutiennent les doctrines contraires à celles professées par l'honorable membre, leurs pages sont des pages horribles.

Voilà, messieurs, le dictionnaire ministériel dans cette affaire. Ce dictionnaire, cette violence de langage, que prouvent-ils ? Ils prouvent que l'honorable membre n'a pas de bonnes raisons à donner. On ne dit pas que les pages écrites par ses adversaires sont horribles. On n'a pas besoin de dire que c'est l'audace de la sottise greffée sur le mensonge. Quand on a de bonnes raisons à donner, on démontre sa thèse, mais quand on n'en a pas, on se sert d'un pareil dictionnaire. La violence du langage est la compagne de l'absence de bonnes raisons.

Le discours de l'honorable ministre auquel je réponds, discours du reste dans lequel il ne m'a guère ménagé, se compose de quatre parties.

La première partie est sa justification personnelle.

La deuxième est destinée à l'attaque de ses adversaires.

La troisième sert à établir que l'argent abonde dans le pays.

La quatrième a pour but de démontrer que l'or est tellement peu considérable dans le pays qu'on ne peut en ramasser pour 4 1/2 millions.

Ainsi pas d'or, peu d'or, beaucoup d'argent.

Voilà l'opinion de l'honorable membre.

Eh bien, je dis, pour mon compte, que tout cela manque de fond, que ce sont autant de contre-vérités.

Que l'honorable membre défende ses opinions politiques, ses opinions économiques, je le veux bien. Pour moi je n'ai besoin en aucune manière des opinions économiques pour défendre le projet de loi qui vous est soumis, je pourrais me dispenser complètement d'en parler.

Le projet de loi se défend de lui-même, parce qu'en résumé ce n'est qu'une loi de circonstance, commandée par la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve le pays. Il ne préjuge en aucune manière aucune espèce de loi monétaire, ni la loi définitive qui mettrait le système en concordance avec le système français, ni celle qui créerait un étalon spécial pour la basse monnaie. Il ne tend qu'à une seule et unique chose, et je répéterai ici ce que disait l'honorable M. Fière, en 1850 : Il tend à mettre les faits qui se produisent dans le pays en harmonie avec le droit.

Quelle est actuellement la situation ?

En Belgique l'or abonde. Il est reçu au pair, quoi qu'en dise l'honorable ministre.

Dans toutes les transactions privées, en dehors des contributions, en dehors des opérations de banque, en dehors des payements des effets de change qui doivent passer par une banque, il est reçu partout au pair et à sa valeur nominale.

Les particuliers le reçoivent partout au pair, partout aussi le commerce le reçoit au pair, et ici les mœurs sont plus fortes que la loi, comme cela arrive toujours en pareil cas.

Les banques et le trésor public ne reçoivent pas l'or. La Banque ne le reçoit qu'avec une perte qui a été longtemps très considérable, puisqu'elle s'élevait à 50 centimes par pièce de 20 francs, et ce n'est que depuis six mois qu'elle a modifié ce taux.

L'argent, d'un autre côté, a disparu de la plus grande partie du pays.

L'honorable membre a toujours soutenu qu'avec son système l'argent n'aurait point quitté le pays. A diverses reprises il nous a garanti que l'argent resterait dans le pays, quand bien même la France aurait sa circulation en or. Eh bien, cette assertion ministérielle s'est trouvée complètement démentie par les faits.

(page 678) L'or est venu en Belgique prendre la place de l'argent qui s'exportait, et il ne reste aujourd'hui en Belgique qu'une seule monnaie d'argent, celle qui n'a pas son poids, celle qui n'est pas droite de poids et qui est détériorée par le frai.

Et veuillez le remarquer, si vous avez encore de cet argent qui n'est pas droit de poids, c'est parce que le prix de l'argent n'est pas encore arrivé au taux où il serait enlevé comme celui qui était droit de poids.

L'agio de l'argent étant de 27 pour mille et les pièces de 5 francs ayant perdu par le frai 35 pour mille, le jour où l'agio s'augmentera de la bagatelle de 8 pour mille, tout votre encaisse d'argent disparaîtra du pays. Vous aurez beau dire et beau faire, la dernière pièce de 5 francs disparaîtra parce qu'il y aura prime et avantage à en faire l'exportation.

Voilà la véritable situation du pays.

Les 4/5 de notre circulation en argent ont disparu.

Nous sommes menacés de voir disparaître ce qui en reste le jour où la rareté de l'argent allant en augmentant, 8 p. c. de plus seront donnés aux preneurs.

Maintenant, messieurs, dans un pareil état de choses quelle est la situation du pays ? En fait le pays se trouve dans la même situation que celle où il se trouverait si l'on avait accordé le cours forcé des billets de banque.

La Belgique vit aujourd'hui en fait sous le régime du cours forcé des billets de banque, et pourquoi ? Parce qu'il n'a que de l'or pour payer, parce que l'or n'a cours légal ni dans les bureaux de l'Etat, ni dans les opérations de banque, et comme on ne trouve pas de l'argent en quantité suffisante pour faire les affaires, on est forcément obligé de prendre des billets de banque ; de façon que pour ne pas avoir voulu maintenir en Belgique la loi monétaire de 1832 dans toute son intégrité, nous sommes arrivés en fait à un résultat funeste, à un résultat fatal dont personne d'entre vous ne voudrait assumer la responsabilité, au cours forcé des billets de banque.

Mais, dit l'honorable ministre, la loi de 1832 ce n'est pas moi qui l'ai détruite, c'est l'honorable M. Malou et son complice M. Dumortier.

Oh ! voilà une nouvelle découverte. L'honorable membre reproche aux pétitionnaires de ne point avoir lu la loi.

Eh bien, je dois dire que je demeure profondément convaincu que M. le ministre, qui adresse ce reproche à d'autres, n'a pas, lui, lu la loi de 1847 ou que, s'il l'a lue, il l'a certainement oubliée.

La loi de 1847, veuillez le remarquer, n'a point abrogé l'artice 23 de la loi de 1832 qui donnait cours légal à l'or français ; elle l'a maintenu, au contraire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que j'ai dit.

M. B. Dumortier. - Pas du tout ; vous avez dit que c'est M. Malou et son complice M. Dumortier qui avaient abrogé la loi de 1832.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout !

M. B. Dumortier. - Vous avez dit que la loi de 1847 n'a point abrogé l'article 23 de la loi de 1832.

Eh bien, qui l'a fait, messieurs ? C'est l'honorable M. Frère par la loi de 1850. Qu'il ne vienne donc pas nous accuser, mon honorable ami et moi, d'un fait qui lui est personnel et qui n'appartient qu'à lui.

Qu'a-t-on fait en 1847 ? L'or étant à cette époque à un prix considérable qui ne permettait pas de le battre en pièces de 20 francs, on a donné une valeur moindre aux pièces de 25 francs pour pouvoir faire de la monnaie d'or.

Il va sans dire qu'au moment où l'on agissait de la sorte, il était impossible de maintenir, dans la loi monétaire, l'obligation de battre des pièces de 20 francs au taux ancien ; il y aurait eu là contradiction flagrante et impossibilité. On a donc supprimé l'autorisation donnée au gouvernement de battre de la monnaie d'or au taux ancien, au moment où on lui imposait l'obligation de battre de la monnaie d'or nouvelle.

Mais on s'est bien gardé d'anéantir le droit de circulation des anciennes pièces d'or françaises. Ce droit a continué de subsister et n'a été abrogé que par la loi de 1850. Cela est tellement vrai que, lors de la discussion de la loi, l'honorable membre disait qu'il n'existait plus beaucoup de pièces d'or en Belgique ; ce qui prouvait qu'il y en avait encore. Mais accuser mon honorable ami et moi d'être les auteurs de la mesure qui a ôté le cours légal aux pièces d'or françaises, c'est donc une contre-vérité.

Maintenant, messieurs, comment dois-je suivre le discours de l'honorable ministre des finances ? Ce discours est entré dans tant de détails, il a occupé son auteur pendant si longtemps que ma santé ne me permettrait pas en ce moment de le suivre dans tous ses détails.

Je vais donc me borner à examiner deux choses : les sophismes de faits et les sophismes économiques que contient le discours de l'honorable membre. Bien que je n'y sois pas obligé, il sera assez curieux de voir un homme qui n'entend rien en économie politique rencontrer les sophismes d'un docteur en pareille matière.

L'argent abonde dans le pays ! voilà le thème de l'honorable ministre, et il faut bien qu'il le soutienne, car, en 1850, il est venu nous dire que son projet n'avait qu'un seul but, celui de mettre le droit en harmonie avec le fait existant.

Il faut bien qu'il le soutienne puisqu'il est venu nous dire bien des fois dans cette enceinte que, suivant son système, l'argent serait resté dans le pays bien que nos voisins eussent une circulation en or. Pour arriver à cette démonstration il a produit des preuves qu'il appelle des preuves écrasantes. Je me hâte de vous assurer tout d'abord qu'elles ne m'ont pas écrasé du tout.

Voyons donc les preuves écrasantes de l'honorable ministre.

La première est tirée du payement des contributions. Sauf quelques embarras dans de rares villages, les contributions, dit-il, rentrent sans difficulté ; preuve écrasante que l'argent abonde dans le pays !

Voilà une singulière preuve, en vérité. Mais dans la recette des contributions, est-ce que vous n'avez pas à votre aide, pour faire rentrer cet argent, vos porteurs de contrainte, vos garnisaires, vos recors de tout genre ? N'avez-vous pas le droit de faire vendre les meubles de ceux qui ne payent pas leurs contributions et qui ne les payent pas en monnaie d'argent ? Ah ! si vous acceptiez indifféremment l'or et l'argent, et si, dans ces conditions, vous receviez plus d'argent que d'or, je comprendrais votre argument ; mais je ne le conçois plus en présence de ce fait que le payement des contributions doit nécessairement être effectué à tout prix en argent, sous peine par le défaillant d'être exposé à voir vendre ses meubles à sa porte. Pour ne pas s'y exposer, celui-ci est donc contraint d'acheter de la monnaie d'argent à grosse perte. Votre démonstration est donc un sophisme, un pur sophisme.

La seconde preuve écrasante de l'honorable membre, ce sont les recettes opérées par la Banque.

Ces recettes, dit-il, se font toutes en argent ; par conséquent l'argent ne manque pas.

Mais cette preuve vaut tout juste autant que la précédente ; elle est basée sur un fait identique. Est-ce que la Banque reçoit autre chose que de l'argent ; et celui qui doit lui faire un payement n'est-il pas obligé, s'il n'a que de l'or, de changer cet or pour de l'argent en subissant la perte que l'or subit et en payant le prix de l'opération ?

Et puis, comme vient de le dire, avec infiniment de raison, mon honorable ami, l'honorable M. de Theux, c'est là un mouvement perpétuel : si l'argent entre d'un côté dans les caisses de la Banque, il en sort d'un autre côté ; c'est, comme le disait très spirituellement l'honorable M. Coomans, c'est le jeu des comparses sur la scène. L'argent entre d'un côté et sort de l'autre, et vous ne pouvez pas raisonner de cette quantité d'argent comme si elle existait complètement dans le pays.

Les billets pris à la Banque, c'est la troisième preuve écrasante. Mais c'est encore et toujours la même chose. Si la Banque acceptait les deux métaux, si elle recevait l'or au pair comme l'argent, et si M. le ministre des finances nous disait que l'argent afflue à la Banque, on pourrait en inférer logiquement que l'argent abonde dans le pays. Mais, alors que la Banque ne reçoit que l'argent, comment peut-on venir soutenir ici que c'est là une démonstration de l'abondance de l'argent dans le pays ?

Après avoir ainsi voulu établir ce qu'il est impossible de prouver ; après avoir voulu soutenir qu’il fait nuit en plein jour, en disant que l'argent abonde dans le pays, l'honorable membre est arrivé à une démonstration bien plus curieuse encore et infiniment plus intéressante ; c'est celle de la pénurie de l'or en Belgique.

Vous croyez, messieurs, que l'or abonde en Belgique ! Il n'en est rien c'est un véritable mirage, c'est une fantasmagorie.

L'or n'existe pas en Belgique, et en voici la preuve : la Banque de France ayant voulu avoir de l'or a fait savoir que quiconque voudrait perdre 4 centimes par pièce de 20 fr. pourrait lui livrer tant d'or qu'il le voudrait ; et l'on n'a pu réaliser que 4 1/2 millions dans notre pays et encore a-t-on dû faire venir une bonne partie de cette somme de la France. Par conséquent, dit l'honorable membre, c'est une preuve évidente, une preuve écrasante suivant son langage, qu'il y a pénurie d'or en Belgique,

Je tire, moi, de ce fait précisément la conclusion inverse de celle (page 679) qu'en tire M. le ministre des finances. Pour moi, ce fait est la démonstration que, comme chacun, en Belgique, place son or au pair, personne n'est tenté de vendre à perte à la Banque, alors que dans les transactions ordinaires l'or est accepté pour sa valeur nominale. Voilà ce que cela prouve.

Mais prétendre que cela prouve qu'il y a pénurie d'or dans le pays, encore une fois c'est vouloir soutenir qu'il fait nuit en plein jour. Voilà, messieurs, ce qui donne la mesure des arguments de l'honorable membre.

Un autre sophisme, et un sophisme dangereux par les conséquences qu'il en tire est celui-ci. L'or, dit l'honorable membre s'est infiltré en Belgique par la spéculation. Et puis il a fait entendre que les spéculateurs qui agissaient de la sorte ne le faisaient que pour gagner quelque chose sur la sueur des ouvriers.

Eh bien, je dois dire qu'il me paraît inouï devoir dans une assemblée de la nation un ministre du roi, qui doit plus que personne donner l'exemple de l'ordre à toutes les classes de la société, venir ainsi mettre les ouvriers aux prises avec les industriels. Je dis que de telles paroles ne devraient jamais sortir de la bouche d'un membre du pouvoir, d'un homme d’Etat. Mais le fait, d'ailleurs, est-il vrai ? Non, messieurs, il est complètement inexact. Comment l'or est-il entré dans le pays ? Il est entré avant tout par nos relations avec la frontière.

Quelles ont été les parties du pays qui les premières ont été envahies par l'or français ? Ce sont toutes les parties qui longent la frontière. C'est le commerce avec la frontière qui nous a amené l'or.

La première pétition qui nous a été adressée venait de Courtrai, ville frontière ; bientôt après, une autre est venue de Tournai, ville frontière ; la troisième nous a été envoyée d'Ypres, ville frontière ; puis il nous en est venu du bassin de Charleroi, du bassin de Mons et de Virton, ville à l'extrême frontière. C'était toute la frontière qui réclamait ; l'introduction de l'or n'était pas le fait de la spéculation, mais le résultat naturel de relations commerciales qui chaque jour se résolvent en payements en espèces.

Les ventes de grains, de bestiaux, de tous les produits de l'agriculture qui se soldent en monnaie amènent, pour des sommes énormes, de l'or dans le pays. Voilà comment l'or s'est nécessairement infiltré dans le pays.

Ajoutez-y l'infiltration qui se fait par ce qui reste du commerce interlope de Virton à Furnes, par les approvisionnements de sucre et de café que viennent faire les habitants de la frontière française qui payent avec de l'or, parce qu'ils n'ont pas autre chose. Voilà comment l'or s'est infiltré d'abord, et puis son expansion a été en s'augmentant comme une tache d'huile.

C'est donc par l'infiltration du petit commerce et non par la spéculation que l'or a envahi notre pays. Je ne veux pas prétendre qu'il n'y ait pas eu quelque part de la spéculation, mais je rends hommage à l'honneur des industriels de mon pays, je suis convaincu qu'il n'en est pas un seul qui eût voulu faire venir de l'or de France pour faire un bénéfice sur l'ouvrier lui-même, et je proteste ici en leur nom contre une insinuation aussi outrageante à leur honneur et à leur caractère.

C'est, dit l'honorable membre, une mesure départi, c'est du cléricalisme. C'est une mesure de parti.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'en ai pas parlé.

M. B. Dumortier. - Pardon, vous avez dit que c'est une mesure politique, et vous avez traité de misérables ceux qui agitent l'opinion publique.

Je dois le dire, moi qui ai présenté le projet de loi, si j'avais été guidé par l'esprit de parti, par une pensée politique, au lieu d'être mû par l'amour de la patrie, je n'aurais pas présenté mon projet de loi, je vous aurais laissé avec vos tenants vous présenter devant les électeurs au mois de juin prochain. Au lieu de cela je viens vous offrir une planche de salut.

Ne venez donc pas dire que nous agissons par esprit de parti quand nous n'agissons que dans l'intérêt public.

L'honorable membre qui nous accuse de pareilles passions dans la situation actuelle, m'a lui-même sommé, à diverses reprises, de présenter le projet de loi que nous discutons, de sorte que je puis dire que si je l'ai présenté, c'est à sa sommation que j'ai répondu ; c'est lui qui m'a forcé de le faire, et je me réjouis de l'avoir fait.

Messieurs, je vous ai démontré ce que valent les sophismes de fait énoncés par M. le ministre des finances.

Mais si les sophismes ne sont pas toujours de bonne mise dans le parlement, il est une chose dont on devrait certainement s'abstenir, c'est de travestir l'opinion de sis adversaires pour dire ensuite que ces opinions sont des pages horribles.

Dans l'exposé des motifs, j'ai cité l'opinion d'un homme que je n'ai pas l'honneur de connaître, que je n'ai jamais vu, mais qui par ses écrits a prouvé une grande connaissance en ces matières, M. Prové.

M. le ministre en me reniant responsable de la citation que j'ai faite sous son autorité dans mon exposé des motifs, responsabilité que j'accepte, et en tronquant la citation qu'il a faite, m'a fait dire tout le contraire de ce que porte cette citation, afin de soutenir que j'avais proposé de voler les créanciers de l'Etat, de porter atteinte à la foi des contrats, de commettre une iniquité dont aucun peuple civilisé ne s'est jamais rendu coupable.

Comme je désire rectifier cette citation, ne voulant pas qu'on me présente ainsi que l'auteur comme prêchant le vol des créanciers de l'Etat, je vous demande la permission de lire quelques lignes qui vous sont connues, mais qui mettront au jour l'étrange conduite de M. le ministre des finances.

« Les intérêts et les dotations réunis de nos emprunts contractés avant la loi de 1850 s'élèvent, en somme ronde, à 27 millions de francs par an, y compris ce que la Hollande nous enlève en vertu des stipulations de la conférence de Londres.

« Comme l'ancienne législation consacrait le double étalon et déterminait la valeur des deux monnaies dans le rapport de un à quinze et demi, la nation avait le droit de se libérer, soit en faisant convertir en monnaie blanche 121,500 kilogrammes d'argent fin, soit en frappant des pièces de 20 et 40 francs avec 7,838 7/10 kilogrammes d'or fin. »

Puis suit le raisonnement, démontrant que le système ministériel occasionne de ce chef au pays une perte annuelle de 837,000 fr.

Tout le raisonnement s'applique donc exclusivement aux emprunts contractés avant 1830, contractés quand l'Etat avait la faculté de payer soit en monnaie d'or soit en monnaie d'argent.

Eh bien, en lisant la citation de mon rapport, ce passage qui en détermine toute la portée, M. Frère l'a supprimé, il a tronqué sa citation pour en dénaturer la portée et afin de me présenter comme voulant voler les créanciers de l'Etat.

Et il l'a fait d'une manière d'autant plus mauvaise que la phrase essentielle, celle qui en détermine la portée, est imprimée en lettres italiques.

Cette manière d'argumenter, de tronquer ainsi les documents pour présenter ses adversaires sous des couleurs odieuses, vous en jugerez, messieurs. Si les expressions de mon contradicteur étaient dans mon dictionnaire, je pourrais avec bien plus de raison que lui parler d'audace et d'effronterie greffée sur.... Je n'achèverai pas.

Et ces pétitionnaires innombrables qui se sont adressés à vous pour obtenir le redressement du mal dont ils se plaignent, qu'est-ce que leurs plaintes aux yeux du ministre ? Ce sont des clameurs pour agiter le pays, ce sont des malheureux !

Le pays est en souffrance, mais il est malheureux qu'il ne partage pas l'opinion de M. Frère ; ses plaintes ne sont que de vaines clameurs qui ne méritent aucune espèce d'attention.

Comment ! dans un pays où vous parlez toujours de souveraineté nationale, que ne l'acceptez-vous quand elle se manifeste ? Cette souveraineté nationale, objet de vos attaques contre vos adversaires, ne peut se manifester que par des pétitions dans l'intervalle des élections, et vous venez la qualifier de vaine clameur contre la vérité. Voilà le respect que vous avez pour votre idole, vous la bafouez quand elle est contre vous, sauf à vous agenouiller devant elle quand elle est pour vous.

Et les chambres de commerce, ces organes de l'industrie, n'ont-elles pas, malgré tous vos efforts, réclamé contre la situation monétaire actuelle ? Est-ce que la commission n'a pas reconnu à l'unanimité qu'il fallait porter remède à la situation monétaire du pays ? Le pays entier le demande, cette situation entrave les affaires, cause d'immenses embarras, des pertes incessantes aux particuliers ; il faut en revenir au système que la Belgique n'aurait jamais dû abandonner.

Encore un étrange sophisme, la loi n'est pas justifiée par la nécessité.

Comment ! ce n'est pas la nécessité qui pousse les pétitionnaires à vous adresser des pétitions ? Comment ! depuis cinq ans, le bureau de la Chambre est chaque jour écrasé sous le nombre des pétitions et vous prétendrez que ces milliers, ces centaines de mille pétitionnaires qui arrivent devant vous, ce n'est pas la nécessité qui les pousse ? Vous prétendez qu'un pétitionnement qui commence à Virton et qui finit à (page 680) Furnes, qui s'étend sur toute notre frontière, est un mouvement factice, que ce n'est pas la nécessité qui l'amène ? Je dis que c'est encore nier l'évidence, que c'est soutenir qu'il fait nuit en plein midi,.

Mai«, dit l'honorable ministre, et avant lui deux honorables orateurs avaient soutenu cette thèse, c'est exposer la Belgique à une perte considérable, car l'or français peut arriver à une dépréciation ; la France peut le démonétiser un jour ; la France peut prendre une mesure différente et alors vous exposez la Belgique à une perte considérable.

C'est toujours raisonner dans le vide. Quelle est la situation du pays ? Mais l'or est dans le pays. Tous les arguments de l'honorable ministre et de ceux qui combattent le projet de loi ne signifient qu'une chose. Ils se placent dans une position facile. Ils raisonnent, comme si l'or n'était pas en Belgique, comme s'il s'agissait de savoir si l'on veut laisser entrer l'or français à la frontière. Mais l'or français a envahi votre marché ; il est chez tous les négociants, dans tous les bureaux, dans toutes les poches.

D'ailleurs je ne puis croire à la réalité d'une pareille supposition par le fait du gouvernement français. Car pour démonétiser la pièce de 20 fr. il faut mettre quelque chose à la place, et qu'est-ce que le gouvernement français mettrait à la place de l'or ? Probablement un cuir avec un clou, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, à moins que ce soit de la monnaie de nickel.

Le gouvernement français ne peut pas démonétiser son or, parce qu'en définitive il n'a rien à mettre à la place. Donc la dépréciation dont on parle est une véritable fantasmagorie, bonne à effrayer des badauds, mais qui n'aura aucune influence sur des députés du peuple belge.

On vous dit encore : Si la proposition est adoptée, l'argent qui reste en Belgique partira. Mais je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, pouvez-vous conserver cet argent ? Pouvez-vous garantir que la Belgique le gardera ? Oh ! vous me direz que oui. Je sais que vous avez un système créé comme cela. Mais vos prophéties ne sont pas celles des anciens prophètes. .

. Vous avez prédit que nous garderions notre circulation en argent ; nous ne l'avons pas gardée ; la monnaie d'argent est partie malgré vos prédictions.

Et si l'agio sur l'argent s'élève au taux du frai, les pièces de 5 francs qui nous restent partiront comme les premières en sont parties.

Quant à l'or, il est dans le pays. La chose est donc faite ; elle existe. Je prie la Chambre de bien se pénétrer de cette situation qui domine toute la discussion. C'est que le mal existe, qu'il ne s'agit pas de le faire, qu'il est fait. L'or est dans le pays ; l'argent en est parti en grande partie et le reste peut en partir demain. Faut-il attendre que le reste de l'argent soit parti pour prendre une disposition légale ? Je ne le crois pas. Mais toujours est-il que le mal est fait, qu'il ne s'agit pas d'empêcher l'arrivée de l'or en Belgique, que l'or s'y trouve.

On nous dit, messieurs, que la petite monnaie pourra disparaître de la Belgique. Oui et non. Une petite monnaie, dans un tel état de dépréciation que la nôtre, ne peut sortir du pays que par une opération de banque. Quand la pièce de 50 centimes a perdu 10 p. c. de son poids, comme cela est constaté par la commission, quand elle ne vaut donc plus que 45 centimes, il est de toute évidence qu'elle ne sortira pas du pays, si on ne la fait pas sortir ; et si, en admettant que la loi passât, je voyais la petite monnaie sortir du pays, je demanderais une enquête pour savoir comment cet argent est parti.

Car encore une fois il ne pourrait sortir que par une opération de grande banque, pour tirer vengeance de la loi, car il est impossible que la spéculation achète de la monnaie à 10 p. c. de perte, pour l'exporter du pays.

Et puis, la situation de notre industrie nous amènera toujours de la petite monnaie de France. Le commerce que font nos agriculteurs avec la France, le commerce interlope qui se fait avec la France, nous amènent une grande quantité de petite monnaie. C'est ainsi que cette petite monnaie est venue en Belgique. Il en est de la petite monnaie d'argent comme du billon. Le pays est encombré de billon français, et vous aurez de même de la monnaie divisionnaire.

Messieurs, je viens de réduire à leur juste valeur tous les sophismes de faits énoncés par l'honorable ministre. Je pourrais, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, m'abstenir de rencontrer les objections tirées de l'économie politique. Les faits sont là. Il ne s'agit pas ici de maximes de professeurs ; il s'agit de tirer le pays d'un embarras extrême, d'une difficulté constante et permanente. Je pourrais m'abstenir d'en parler ; mais comme, à l'occasion de ces théories, des reproches très vifs nous ont été adressés, comme on nous a représentés comme voulant votér les créanciers, au profit des débiteurs, comme on nous a représentés en manière de voleurs qui veulent voler les créanciers de l'Etat au profit de l'Etat, je crois devoir répondre quelques mots à ce sujet ; et je ferai remarquer à l'assemblée que je n'ai nul besoin de ces doctrines pour appuyer le projet de loi.

D'abord on nous dit : Vous allez rétablir le double étalon. Eh bien, je parlerai avec franchise, je conçois que quelques honorables membres préfèrent un étalon unique. Mais je conçois aussi que beaucoup d'autres honorables membres préfèrent un double étalon. Il y a des motifs pour l'un et pour l'autre système, et les motifs ne sont pas mauvais du côté du double étalon.

Mais il est une question qui, en pareille matière, domine toutes les autres et à laquelle vous ne pouvez porter assez d'attention. En 1832, nous avons établi l'unité monétaire en Belgique et mis notre code monétaire en concordance avec la loi française. Or, nous devons aujourd'hui nous demander avant tout : l'intérêt de la Belgique en 1861 est-il, oui ou non, de conserver la communauté monétaire avec la France ? Voilà le point capital à examiner.

Cette question, très controversable en 1832, ne fait plus de doute en 1861, et quant à moi, je partage complètement l'opinion que le grand intérêt actuel du pays est de conserver la communauté monétaire avec la France.

Comment ! quand nous voyons les relations immenses que nous avons avec la France, quand nous voyons que la Belgique fait tous les ans avec la France pour 250 millions d'affaires commerciales et autant en banque, quand nous voyons que toutes nos relations personnelles sont avec la France, que les intérêts communs sont de tous les jours, de tous les instants, nous irions de gaieté de cœur et pour la satisfaction d'une pure théorie, nous irions rompre cet intérêt si majeur ! Je dis que ce serait le comble de la déraison.

Il y a quelque chose qui est bien au-dessus des théories, ce sont les besoins des sociétés. Arrangez vos théories non pas comme des géomètres qui à force de faire des angles aigus finissent par faire des angles obtus, mais mettez vos théories en harmonie avec les besoins du pays. Or les besoins du pays exigent impérieusement la communauté monétaire avec la France, et je dis que les adversaires du projet de loi se conduisent absolument comme s'ils ignoraient que la Belgique fait tous les ans pour 250 millions d'affaires commerciales avec la France, non compris les affaires de banque qui s'élèvent peut-être à un chiffre tout aussi considérable.

Je comprends parfaitement la nécessité d'une petite monnaie à l'usage du pays seul, mais je me garderai bien de mêler cette question à celle qui nous occupe ; quand le moment sera venu, je l'examinerai ; je crois qu'une petite monnaie, qui ne serait pas de nickel, par exemple, serait très utile au pays, et sous ce rapport je pense avoir un complice dans l'honorable M. Frère-Orban qui a proposé la monnaie de nickel.

Dans la question du double étalon ou de l'étalon unique, il ne faut donc pas, messieurs, perdre de vue nos relations commerciales et nos relations de banque avec la France. Mais cet étalon d'argent dont on parle tant, cette grande maladie d'une grande infortune, c'est un mythe, Où est-il donc cet étalon d'argent ? Où est le franc pesant 5 grammes ? Où est la pièce de 5 francs pesant 25 grammes ? Où est la pièce de 50 centimes pesant 2 1/2 grammes ? Ne venez donc pas sacrifier une monnaie qui a une valeur réelle à une monnaie qui n'a qu'une valeur fictive, à un étalon qui n'existe plus que dans l'imagination, que sur le papier de la loi.

Ceci, messieurs, me conduit à un autre sophisme, qui paraît être le grand cheval de bataille de tous les adversaires de la proposition de loi ; « Vous allez voler les créanciers au profit des débiteurs. » Voilà ce qu'on répète sur tous les tons et sur tous les airs variés possibles.

Eh bien, messieurs, je dis que sous prétexte de respecter les droits des créanciers (en me plaçant, bien entendu, sur le terrain de mes adversaires), je dis qu'en voulant maintenir ce qu'ils appellent les droits des créanciers, à leur insu sans doute, ils organisent dans leurs théories le vol des débiteurs. Comment ! vous ne voulez pas que je paye en or une dette quelconque et cela sous prétexte que l'or perd 20 centimes par 100 francs, c'est-à-dire 2 pour mille, mais vous voulez bien que je paye en argent qui perd de 3 1/2 à 4 pour mille !

Quand on paye avec de l'or qui perd 20 centimes par 100 francs, à peu de chose près la tolérance en matière de monnaie, alors on vote le créancier, mais quand on paye avec des pièces de 5 francs qui perdent (page 681) 36 centimes par 100 francs, alors on ne vote pas le créancier ! Faire perdre 20 centimes c'est voler, mais faire perdre 36 centimes c'est l'action la plus honnête du monde. Voilà le sophisme !

Mais, messieurs, si les pièces de 5 francs perdent 4 pour mille, les pièces de 2 francs perdent 25 pour mille, les pièces d'un franc perdent 60 pour mille. C'est la commission monétaire qui l'a constaté, et les pièces de 30 centimes perdent 100 pour mille, c'est-à-dire 10 pour cent.

Ainsi si j'ai une petite dette, une dette de 5 francs par exemple et que je paye en or, mon créancier perd un centime et je suis un voleur ; mais si je paye en pièces d'un demi-franc, ce qui impose à mon créancier une perte de 80 centimes, alors je suis un parfait honnête homme ! Je paye une somme de 1,000 francs en pièces de 30 centimes et je donne par conséquent 100 francs de moins que cette valeur réelle dont on parle tant, alors il n'y a aucun reproche à me faire ; mais si je paye en or, je donne 2 francs de moins que cette même valeur réelle et alors je vole mon créancier !

Voilà, messieurs, les théories de nos adversaires. Et c'est par de tels sophismes qu'on ose combattre le projet de loi et repousser une mesure réclamée par l'opinion publique.

Il est évident, messieurs, que le métal qui perd le moins aujourd'hui c'est l'or, et que celui qui nuit le moins à son créancier c'est celui qui paye en or.

Mais voulez-vous savoir, messieurs, ce que c'est que cette fameuse question du vol fait aux créanciers ?

Un seul exemple vous en démontrera la valeur.

Il y a cinq ans, l'argent était au pair. J'avais une opération à faire. J'empruntai une somme de 100,000 francs pour parfaire une opération, et j'ai stipulé que la somme serait remboursable en cinq ans. Mon créancier a acheté du lingot, il est allé le faire battre à la monnaie, et il m'a donné 100,000 francs en pièces de 5 francs ; cela lui coûtait 100,000 fr.

Aujourd'hui je dois opérer le remboursement ; je vais acheter du lingot ; je vais à la monnaie ; je fais battre pour 100,000 fr. de pièces de 5 francs que je donne à mon créancier en payement.

Qui est celui qui est voté ? C'est évidemment le débiteur qui est voté, et qui est scandaleusement voté au profit du créancier. En effet, les 100,000 francs que je fais battre aujourd'hui m'ont coûté 102,700 fr., c'est-à-dire 2,700 fr. au-dessus du pair, de manière que, sous prétexte de respecter les droits du créancier, vous organisez le vol au profit du créancier et au détriment du débiteur.

Cela est tout simple. MM. les théoriciens se mettent toujours à côté des faits ; ils disent que la monnaie d'argent est la mesure des valeurs et, d'autre part, que l'argent est une marchandise.

Mais ces deux propositions hurlent d'être ensemble. Comment ! l'argent est une marchandise, et la monnaie est la mesure des valeurs ; mais si l'argent est la mesure des valeurs, il est invariable de sa nature ; si la monnaie est une marchandise, sa valeur est variable.

Je le répète, ces deux propositions hurlent d'être ensemble. Tout cela est folie et rien que folie.

Mais, dit l'honorable membre, un résultat du projet de loi, c'est l'augmentation du change sur l'étranger ; cette augmentation serait un malheur pour le pays.

Messieurs, c'est précisément le contraire ; amener l'élévation du change c'est une des opérations les plus favorables qu'on puisse faire pour le pays.

Je vends pour 100,000 fr. de marchandise en France, le change est au-dessus du pair, il en résulte que j'ai mes 100,000 fr. plus l'agio ; au contraire, dans la situation actuelle, lorsque le change est en dessous du pair, je ne reçois pas 100,000 francs.

Messieurs, il n'y a pas un homme de finance au monde qui ne regarde l'augmentation du change dans un pays comme une preuve de sa prospérité, et ici on nous présente cette augmentation comme une sorte de calamité pour le pays ! C'est absolument le contraire. Oui, le change augmentera, lorsque vous aurez rétabli la circulation entre la France et la Belgique, que les payements pourront s'effectuer en espèces, les opérations se feront d'une manière plus avantageuse.

« L'escompte, dit-on, haussera ; tous les pays où la monnaie d'or existe ont un escompte très élevé. »

Je dois reconnaître que l'honorable M. Frère a émis quelques doutes à ce sujet et je crois qu'il a parfaitement raison.

Pour ma part, mon intelligence ne va pas jusqu'à comprendre en quoi la circulation de l'or dans un pays ou la circulation de l'argent dans un autre peut avoir de l'effet sur le taux de l'escompte ; quand un pays a son capital mouvant, je ne conçois pas comment l'or et l'argent peut établir une différence dans le taux de l'escompte. La cause de l'élévation de l'escompte dans certains pays n'est pas là.

Savez-vous ce qui occasionne chez certains peuples l'élévation du taux de l'escompte ? Je vais vous le dire. C'est la spéculation à vide, c'est la spéculation sans capitaux en caisse, la spéculation par agiotage. Voilà ce qui fait naître l'élévation de l'escompte.

Remarquez, en effet, que cette augmentation extraordinaire du taux de l'escompte se présente dans les pays où les spéculations se font à vide et d'une façon effrénée. Le pays où les spéculations de ce genre se font dans les plus vastes proportions, ce sont les Etats-Unis ; l'escompte y est très élevé.

Vient ensuite, dans cet ordre de faits, l'Angleterre où l'escompte est également à un taux élevé. Il en est de même aujourd'hui en France, où l'on s'adonne actuellement à des spéculations de bourse. Mais en Belgique, où des spéculations ne se font jamais sans qu'il y ait des capitaux derrière, vous n'avez pas la chance d'avoir un escompte exorbitant.

C'est un hommage à rendre à la Belgique. Dans ce pays, les opérations ne se font pas à l'aventure comme elles se font aux Etats-Unis, en Angleterre et en France ; elles se font chez nous avec les capitaux nécessaires, et dès lors ces augmentations du taux de l'escompte que l'on signale dans les pays d'aventures commerciales, ces augmentations ne sont pas à craindre en Belgique.

Messieurs, j'ai entendu un autre argument qui m'a paru encore bien déplorable, c'est que le projet de loi qui vous est présenté est immoral, en ce qu'il tend à réduire le salaire des ouvriers.

Messieurs, je dois le dire, si tel pouvait être le résultat d'un projet de loi quelconque, ce projet n'aurait jamais mon appui.

Mais pensez-vous donc que l'ouvrier n'obtienne pas avec une pièce d'or ce qu'il obtient avec une quantité de monnaie d'argent équivalente ? Il est évident parce que l'or est reçu au pair par les particuliers dans tout le pays, il est évident que les objets que l'on acquiert sont les mêmes qu'on les paye en or ou en argent. Il n'y a donc de préjudice pour personne.

C'est ce qu'on disait en Suisse quand on y est revenu sur l'erreur que l'honorable M. Frère partageait et qu'il partage encore aujourd’hui, quand la Suisse a rétabli la circulation de l'or français, comme nous proposons de le faire en ce moment. On a choisi le moment où l'or était à une valeur presque égale à celle de l'argent parce que, comme le disait un grand écrivain de la Suisse, il n'y a de préjudice causé à qui que ce soit.

Mais, dit l'honorable membre, prenez pour exemple l'Angleterre, Voyez ce qui s'y est passé en 1695, et là-dessus il nous cite une série de discours du chancelier et des orateurs du parlement.

Eh bien, il ne connaît probablement pas fort bien ce qui se passait en 1695. A cette époque, la monnaie anglaise dont il s'agissait était une monnaie complètement altérée, comme le sont aujourd'hui les demi-francs. C'était un clou dans un cuir, comme le disait l'honorable M. Pirmez.

On était alors précisément dans les conditions où nous nous trouvons quand on veut donner cours légal, de par la loi, à un demi-franc qui perd 10 p. c.

Une telle situation a-t-elle quelque chose de commun avec la libre circulation de l'or, de l'or qui est aussi près du pair que possible, de l'or dont la dépréciation, d'après la cote de la Bourse, ne dépasse pas la tolérance en matière de fabrication de monnaie ?

Je dis qu'il n'y a là aucune espèce de similitude, et l'honorable M. de Theux vient de vous le dire, l'or français en Hollande est même à prime, en France il est à prime et vous viendrez dire qu'on portera préjudice aux créanciers parce qu'on leur donnera une monnaie qui est à prime partout et qui n'est dépréciée chez nous que par votre fait et par celui de votre Banque.

Maintenant, messieurs, que j'ai réfuté les sophismes qui avaient été débités, à l'occasion de cette discussion, par l'honorable M. Frère, j'arrive aux remèdes proposés par divers membres.

Quant à l'honorable M. Frère, il n'y en a qu'un, c'est de déclarer que l'argent a seul cours en Belgique.

Au moyen d'une pareille déclaration, toutes les difficultés disparaissent à l'instant.

L'or quittera le pays et l'argent tombera probablement du ciel comme la manne dans le désert.

(page 682) Pour lui tout le mouvement n'est dû qu'à l'ignorance ou au mensonge et les inconvénients actuels sont insignifiants. La situation monétaire du pays est des plus satisfaisantes, excepté quelques petits embarras.

Quand on est convaincu comme l’honorable membre que la situation actuelle est parfaitement satisfaisante sauf quelques petits embarras et quelques petits inconvénients insignifiants, on ne présente pas de système, mais telle n'est point l'opinion de la section centrale qui à l'unanimité vous a déclaré qu'il y avait lieu de porter un remède au mal, à la situation actuelle.

Déclarez que l'argent a seul cours en Belgique, voilà ce qui va sauver le pays.

Mais voilà 11 ans que vous avez fait cette déclaration, et cela n'a pas empêché l'argent de sortir du pays et l'or d'y entrer.

Voilà 11 ans que vous avez déclaré que l'argent seul a valeur en Belgique, eh bien, qu'est-il arrivé ? C'est que les mœurs ont été plus fortes que vos lois.

Le motif est excessivement simple, c'est que la Belgique ayant admis les dénominations de la monnaie française, la Belgique réglant tous ses comptes en argent français, rien de plus simple, rien de plus naturel que de voir cet argent prendre place dans sa circulation et dans les caisses des particuliers.

Ce ne sont donc pas vos déclarations qui changeront aujourd'hui une situation qu'elles n'ont jamais pu modifier.

Toutes vos prophéties ont été vaines, vous avez prédit que la Belgique, au moyen de vos doctrines, conserverait son argent quand bien même la France n'aurait que de la monnaie d'or.

Rien de ce que vous avez prédit ne s'est réalisé. Je ne crois donc pas à vos prophéties.

L'honorable M. Jamar tient un peu aussi de cette doctrine. Ah ! le bon billet qu'il a en mains !

Il y a un grand remède au mal, c'est de faire des discours au peuple, et le peuple sera satisfait. Il sera fort content et ne se plaindra pas.

Je crois, en effet, que c'est pour cela que l'honorable M. Frère a parlé pendant deux jours. Quant à moi, je ne crois pas encore à la possibilité de pareilles satisfactions pour une opinion publique qui est fatiguée d'une situation intolérable, qui ne peut durer plus longtemps. La payer en paroles, c'est par trop bon marché.

J'arrive maintenant à un système différent, c'est celui de l'honorable M. Pirmez. Il faut, dit-il, tarifer, et ce système le voici :

Le gouvernement déclarera, tous les six mois, le prix auquel la pièce d'or sera reçue dans les caisses publiques, et même plus souvent, s'il le juge convenir.

Quant aux particuliers, vous venez de l'entendre tout à l'heure, l'or ne sera pas obligatoire pour eux et, par conséquent, la Banque et ses instruments ne seront pas tenus de le recevoir, même au taux de la tarification.

Cela a été dit par l'honorable membre et confirmé par l'honorable M. Frère. Eh bien, qu'est-ce que c'est que ce système ?

C'est inscrire dans la loi l'agiotage des particuliers, l'odieux agiotage, cette source de toutes les perversités publiques.

Vos receveurs deviendront des agioteurs. Quand ils sauront que l'or va augmenter, ils le retireront de leurs caisses et le remplaceront par de l'argent. Quand ils sauront que l'argent va baisser, ils le retireront de leurs caisses pour le remplacer par l'or.

Vous avez constitué tous vos revenus dans la doctrine du vol au trésor public et vous ne rougissez pas de pareilles doctrines ?

Est-il possible, d'ailleurs, d'imaginer qu'on puisse constituer une comptabilité de l'Etat avec des valeurs monétaires variables chaque jour ?

Il n'y a point de livre de caisse possible avec une pareille doctrine, pas un négociant qui puisse tenir sa comptabilité avec un pareil système.

Vous le voyez, tout cela est intolérable et cela n'est point réfléchi. La république française qui avait proclamé un pareil système n'a jamais pu le mettre à exécution.

Et puis qu'est-ce que ce système ?

C'est celui de la Banque, c'est celui contre lequel s'élève le pays entier. Vous mettez de côté les réclamations.

Contre quoi les pétitionnaires réclament-ils ? C'est contre ce système de la tarification de l'or. Ils ne réclament que contre une seule chose : contre l'amendement de l'honorable M. Pirmez.

Ce que l'honorable M. Pirmez propose, c'est d'inscrire dans la loi l'abus dont se plaignent les pétitionnaires.

Ce n'est pas tout. Vous avez taxé l'or, et le ministre modifiera cette taxe quand il le jugera convenable.

Eh bien, n'est-ce pas là prêter encore, sous un autre point de vue, au plus odieux et au plus misérable des agiotages ?

Comment ! quelqu'un qui sera dans les secrets du ministre, je ne parle pas de M. le ministre lui-même dont je connais la délicatesse, la loyauté et la probité ; mais quelqu'un qui sera dans les secrets viendra agioter en bourse et vous verrez alors se reproduire en Belgique ces scandales honteux que nous avons déplorés chez d'autres peuples !

Eh bien, je dis qu'une pareille loi serait éminemment immorale parce qu'elle porterait à l'agiotage et à la dégradation des mœurs publiques du pays.

Messieurs, la loi que vous discutez en ce moment n'est point une loi de principes économiques ; c'est une loi commandée par la nécessité et qui laisse en dehors tous les principes. Quand vous aurez à faire une loi monétaire, quand vous aurez à déterminer l'étalon monétaire, vous ferez la loi comme vous l'entendrez et vous aurez le champ d'autant plus libre que, comme je l'ai déjà dit, la Belgique, actuellement, n'a pas de monnaie qui représente son étalon monétaire.

La loi n'est donc pas une loi de principe, mais une loi de nécessité et, par conséquent, purement temporaire, qui ne sera permanente qu'autant que la nécessité continuerait de subsister.

Le jour où cette nécessité n'existerait plus, cette loi vous l'abrogeriez comme nous abrogeons celle de 1850 qui a cessé d'avoir effet en Belgique. Cette loi, en un mot, n'a d'autre but que celle de 1850 qui, d'après l’honorable M. Frère, était destinée à mettre le droit en harmonie avec le fait.

Au surplus, l'opinion publique a fait justice de tous les sophismes économiques ; elle sait à quoi s'en tenir. Pour moi, je dirai à l'honorable ministre des finances que s'il a un remède à apporter au mal autrement qu'en appliquant les théories de l'économie politique, qu'il nous le présente ; mais s'il ne peut pas traduire ses doctrines en fait, je lui conseille de réserver son beau talent pour une chaire de professeur d'économie politique.

(page 676) - La séance est levée à quatre heures trois quarts.